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1 Q Q u u i i ê ê t t e e s s - - v v o o u u s s , , M M o o n n s s i i e e u u r r A A s s a a n n t t c c h h é é e e f f f f ? ?

Qui êtes-vous, Monsieur Asantchéeff ?

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Page 1: Qui êtes-vous, Monsieur Asantchéeff ?

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Entre 1930 et 1940, le bureau d’études « hydravions » de la firmeLioré et Olivier, alors la plus grande société de construction aéro-

nautique en France, situé à Argenteuil, a imaginé et réalisé lesplus beaux hydravions jamais construits. A sa tête, un ingénieurde 30 ans choisi pour ses compétences et ses capacités phéno-

ménales de calcul : Paul Asantchéeff.

Ce dossier est un hommage rendu aux milliers de Russes blancs qui onttrouvé refuge en France en 1917 et qui ont apporté leur fantaisie, leur talent

et leur compétence.

Gérard Hartmann

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Détail de la carte de 1924 d’Argenteuil, avant l’installation des établissements Lioré et Olivier.De Bezons à Argenteuil le long des quais de Seine, on trouve successivement les usines de la FBA(Pérouzet), de Nieuport (anciens chantiers Claparède et futures usines Lioré et Olivier) et de GeorgesLévy. Au centre, Lorraine-Dietrich, étend ses usines vers le nord (cité ouvrière) et vers l’est, au sud duchâteau du Marais.

Les usines Lioré et Olivier d’Argenteuil en 1937.

Photographiés depuis un avion survolant la Seine, les usines Lioré et Olivier d’Argenteuil sont visi-bles le long du quai de Seine. Le bureau d’études est le bâtiment qu’on voit en front de Seine, paral-lèlement à la rivière. (Cliché Lecarme, collection André Violleau).

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Un « Russe blanc » à ArgenteuilPaul (Pavel) Borissovitch Asantchéeff ou

Asantchevsky est né en Russie le 1er janvier1900 à Ribinsk, une ville située à 300 km aunord de Moscou, au bord méridional du lac Ri-binsk. Boris Natvéevitch Asantchéeff1 son pèreest propriétaire du domaine Ajérovo. Noble delongue date, il a épousé Catherine, la fille dudiacre Favstovna Troïtsky qui lui a donné septenfants : Nicolas, Barbara, Gleb, André, Boris,Paul et Pierre2.

Après des études primaires brillantes, Paulpasse son diplôme de fin d’études en 1916 et ilobtient une médaille d’or pour avoir obtenu laplus forte note dans toutes les matières. Lepetit Paul promet beaucoup. Comme tous lesjeunes Russes de bonne famille, il parle leFrançais et l’Allemand. Il s’inscrit ensuite à Ri-binsk dans une école de commerce. En mêmetemps, il travaille à la construction de la lignede chemin de fer de Mourmansk avec son frèreaîné Boris et son oncle Sacha.

Paul Asantchéeff s’oriente vers une carrièred’ingénieur dans les travaux publics ; il étudiela construction des barrages à Saint-Pétersbourg lorsque se produit la Révolution.Avec quelques amis étudiants comme lui, il re-joint à Kiev un régiment de cavalerie « Blanc »pour lutter contre les « Rouges » bolcheviques.

La première guerre mondiale s’étend à laRussie. Asantchéeff est mobilisé dans l’arméeblanche, celle de Bermont sur la Baltique. Aucours de l’été 1918, il est fait prisonnier par lesallemands à Wünsdorf ; il y demeurera deuxans ; il travaille dans une ferme. Quand lesAméricains contrôlent le camp où il est retenuprisonnier, Il est déjà parvenu tant bien quemal à reprendre ses études ; il obtient un di-plôme d’ajusteur tourneur en langue allemandeen 1920. Il se rend alors en France où il estembauché en 1923 avec dix de ses compa-gnons comme ajusteur chez Renault. Il n’yreste que six mois. La société Breguet lui pro-pose un emploi de dessinateur au bureaud’études de Villacoublay-Vélizy. En 1924, ils’installe à Chaville et peut de nouveaucorrespondre avec ses parents restés en Rus-sie. Expulsés d’Ajérovo, ces derniers viventmaintenant en Sibérie. Il leur explique dans seslettres qu’il sait qu’il a trouvé sa voie : il veutêtre ingénieur dans l’aéronautique.

En 1925, il quitte la société Breguet etachève ses études d’ingénieur à Nancy où ilrencontre sa femme, Zoïa Kabloukov, étu-diante comme lui. Ils se marient l’année sui-vante, en 1926.

1. Azantcha en Tartare signifie sacristain.2. Le texte a été écrit vers 1930 par la mère de Paul

Asantchéeff. Il devait être publié en 1937 dans unepublication aéronautique (Les Ailes), mais aprèsl’accident du LeO H-47, Madame Asantchéeff y asagement renoncé.

En 1930, à trente ans, Paul Asantchéeff entrecomme ingénieur en chef chez Lioré et Olivier entant que chef de service au bureau d’étudesd’Argenteuil nouvellement créé. Pour être près deson travail, Asantchéeff s’installe avec sa famille àArgenteuil au 72, rue Duguay. Il va y rester onzeans. La firme Lioré et Olivier dispose entre 1930 et1937 de trois bureaux d’études : depuis 1920 celuide Levallois - dirigé par Henri Olivier en personne -étudie les appareils terrestres ; le bureau d’étudesde Clichy - placé sous la direction de Marcel Riffarden 1926 puis d’Edmond Benoit à partir de 1931 -étudie les hydravions militaires ; le bureau d’étudesd’Argenteuil que dirige Asantchéeff est chargé del’étude et de la construction des hydravions géantsde transport.

L’équipe d’Asantchéeff au bureau d’étudesd’Argenteuil comprend trente-cinq personnes, unevingtaine d’ingénieurs et quinze dessinateurs. Elleest composée de quelques « Russes blancs »comme lui, excellents mathématiciens, qui réalisentles calculs généraux, les calculs de structure, dejeunes ingénieurs pleins de talent, spécialisés dansl’aérodynamique, les coques marines et les flot-teurs, et les aménagements des hydravions. C’est àl’équipe d’Asantchéeff qu’on doit entre 1930 et1940 les plus beaux hydravions de la firme aéro-nautique Lioré et Olivier.

Publicité parue des Les Ailes en 1927, montrant un hy-dravion Lioré et Olivier LeO H-18 dessiné par Marcel Rif-fard.

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LeO H-19 embarqué, type H-198-2 (Marine nationale). Dérivé du LeO H-13, ce biplan à coque bi-moteur fut abondamment utilisé pour transporter du courrier depuis un bateau rapide.

LeO H-242 aux couleurs d’Air France (1934).

Le LeO H-242 fut mis en service sur les lignes d’Air France en Méditerranée de 1934 à 1939. Ce qua-drimoteur transporte de dix à quinze passagers à 200 km/h. (Cliché Musée de l’Air).

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Les premiers hydravions Lioré et OlivierFondée en février 1911 à Levallois-Perret

par Fernand Lioré et Henri Olivier, la firme Lio-ré et Olivier a d’abord construit jusqu’en 1916des avions pour d’autres, Blériot, Morane-Saulnier et Nieuport. En 1916, un bureaud’études est créé à Levallois, dirigé par HenriOlivier, et la firme achète des terrains à Villa-coublay pour y réceptionner les appareils mili-taires alors en commande. En avril 1918, lesateliers d’aviation Lioré et Olivier changent deraison sociale. Pour refléter le fait qu’ils de-viennent constructeurs à part entière, ils pren-nent le nom de Société des EtablissementsLioré et Olivier, au capital de 2 500 000 francs.La société est présidée par Clément-Bayard, legrand industriel de Levallois.

En 1920, Fernand Lioré, qui a alors 46 ans,est nommé par l’Etat à la direction de la So-ciété Maritime de Transports Aériens (SMTA),dont le but est la création et le développementdes lignes aériennes de transport en Méditer-ranée. La métropole a besoin de relier ses co-lonies en Afrique du nord dans de bonnesconditions. Un voyage par bateau prend deuxjours, alors qu’un vol direct par avion ne dureque cinq heures. En novembre 1921, la SMTAchange de nom pour s’appeler« L’Aéronavale ». La Société Lioré et Oliviercrée un bureau d’études dédié aux appareilsmarins (hydravions) à Levallois.

Jusqu’en 1927, le bureau d’études« hydravions » conçoit une dizaine de typesd’hydravions dont deux versions sont présen-tées : une version commerciale (transport) etune version militaire (armée). Dessiné en 1919à Levallois, le premier hydravion LeO est unpetit appareil de transport pour quatre passa-gers, déjà doté d’une cabine, entièrementconstruit en bois. Exposé au Salon del’aéronautique de 1920, l’appareil n’y rencontrepas le succès commercial attendu.

C’est en 1922 qu’apparaît le LeO H-13, lesecond hydravion de la firme Lioré et Olivier,dessiné à Levallois par l’ingénieur Andrieu. Ils’agit toujours d’un hydravion à coque deconstruction bois pour le transport de quatrepassagers. Ce second modèle connaît un petitsuccès commercial. Il est commandé par lesmultiples compagnies exploitant les lignes de laMéditerranée, dont l’ « Aéronavale » que dirigeLioré. Le LeO H-13 est produit à vingt-cinqexemplaires en 1923 en version « transport »et une version militaire est construite à septexemplaires en 1924.

Troisième hydravion de la firme, le LeO H-15 est le premier grand hydravion à coque detransport pour dix passagers, apparu en 1926.Il est suivi du type H-19, étudié à Levallois parl’ingénieur Gorin et son équipe. Ce modèle,capable de transporter confortablement six

passagers en cabine, est construit en série à qua-rante-six exemplaires de 1926 à 1931, dans unedizaine de versions civiles et militaires. Ce sont desLeO H-19 qui assurent le transport postal et passa-gers entre Antibes et Tunis au sein de la compa-gnie Air-Union entre 1927 et 1933.

Pour étoffer son bureau d’études hydravions lafirme Lioré et Olivier recrute entre 1928 et 1930 unebrochette d’ingénieurs de tout premier plan, dirigéspar Edmond Benoit : Marcel Riffard, grand spécia-liste des questions aérodynamiques, entouré desingénieurs Gorin, Toiteau, Quessette, Poitou, Cha-net, Kolinvatchoukoff, Sébastienne Guyot - uneaérodynamicienne de valeur qui va donner aux hy-dravions LeO des lignes futuristes - et André Viol-leau, spécialiste des coques. Les locaux de Leval-lois et Clichy étant trop exigus, c’est à Argenteuil lelong du quai de Seine dans les anciens locauxNieuport-Astra (ex Tellier-Despujols), totalementréaménagés, que la firme s’installe pour y dévelop-per les hydravions de transport. Un bureaud’études y est installé en 1928.

Quand Asantchéeff arrive à Argenteuil en 1930,les bureaux d’études Lioré et Olivier sont divisés entrois sections : la première équipe, dirigée parl’ingénieur Gorin, travaille sur des petits hydravionsen bois polyvalents ; l’autre équipe, dirigée parl’ingénieur Toiteau, étudie les projets militaires ;l’équipe d’Asantchéeff, enfin, composée au débutd’une vingtaine d’ingénieurs et d’une quinzaine dedessinateurs, est chargée de l’étude des hydra-vions de transport de la firme. C’est elle qui va dé-velopper les projets les plus ambitieux, des machi-nes métalliques à l’aspect ultra moderne.

La société Lioré et Olivier vit surtout dans lesannées vingt du succès de son bombardier LeO 20conçu en 1925, produit à 400 exemplaires dans unedizaine de versions. Au début des années trente,elle est l’un des plus importants constructeurs aé-ronautiques français (second après Breguet). Lesmarché les plus prometteurs semblant être ceuxdes appareils de transport, c’est désormais à Ar-genteuil et plus particulièrement au bureau d’étudesdirigé par Asantchéeff que la société Lioré et Olivierfait porter ses investissements.

Quand se crée Air France en 1933, c’est toutnaturellement vers la firme Lioré et Olivier que lacompagnie se tourne pour acheter des hydravionsde transport, en remplacement des anciens modè-les hérités des compagnies précédentes. LouisArène, directeur d’exploitation d’Air France, est enmême temps nommé administrateur de la SociétéLioré et Olivier (1935) avant de devenir le patron dela SNCASE. La compagnie française qui exploitedes lignes d’une grande longueur (Amérique duSud, Méditerranée, Afrique) souhaite ne plus com-mander que des hydravions métalliques, plus ré-sistants à l’usure marine, quadrimoteurs pour desraisons de sécurité, pour vingt passagers et plus,rentabilité oblige.

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Le Lioré et Olivier 46 en construction à Argenteuil début 1936. On distingue au fond les usines detraitement des esaux de Gennevilliers et à droite les usines Gnôme & Rhône. (Cliché Musée de l’Air).

Le prototype LeO-46 aux essais en 1938. Il a reçu des cocardes, ses capotages Mercier et des mo-teurs Gnome & Rhône 14 N de 1060 ch. (Collection André Violleau).

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Les projets LeO étudiés par AsantchéeffEn 1931, les premiers travaux de l’équipe

Asantchéeff portent sur la conception des flot-teurs de l’hydravion militaire H-254. En 1931,pour le première fois chez Lioré et Olivier,l’équipe d’Asantchéeff met au point sur le H-241 une coque tout en métal.

LeO H-24-1, plan deux vues. (Collection del’auteur).

Ensuite, l’équipe Asantchéeff s’attaque àl’amélioration des hydravions de transport, telsque le H-24 créés par Riffard et Benoit et donthuit variantes sont successivement étudiées.La coque du type H-242 est étudiée à Argen-teuil où une maquette en grandeur est cons-truite pour montrer les aménagements inté-rieurs. Capable de transporter quinzepassagers, ce type est commandé en 1932 àquatorze exemplaires par Air-Union, compa-gnie qui intégrera Air France l’année suivante.Les vingt-et-un exemplaires vendus aux com-pagnies qui exploitent les lignes de la Méditer-ranée sont construits dans l’usine d’Argenteuil,les ateliers de construction des prototypes deLevallois ayant déménagé à Argenteuil en dé-cembre 1930. Situé entre les pontsd’Argenteuil et de Bezons, avec une surface de200 mètres de large sur deux kilomètres delongueur, le plan d’eau d’Argenteuil se prêtebien aux essais des hydravions. Les LeO H-242 des lignes de la Méditerranée sont lespremiers hydravions d’Air France.

Les usines Lioré et Olivier d’Argenteuils’étendent en 1935 sur 35 000 m2 d’ateliersdont 20 000 m2 couverts, emploient centsoixante-dix ingénieurs et mille trois cents ou-vriers. Entre 1935 et 1940, la Société est laplus grande entreprise de construction aéro-nautique de France. Pour la mise au point desgrands hydravions de l’Atlantique (et des chas-seurs Dewoitine), Lioré et Olivier est la pre-mière firme française à disposer à Argenteuil

en 1935 d’un laboratoire aérodynamique privé, unesoufflerie munie d’un tunnel à retour.

Bombardier-torpilleur à long rayon d’action

Premier grand projet mené par l’équipe Asant-chéeff, l’hydravion militaire LeO-46 dessiné en 1935est le résultat d’une étroite et fructueuse collabora-tion entre le bureau d’études de Clichy, dirigé par lejeune et brillant ingénieur Pierre Mercier qui vientd’en prendre la direction et le bureau d’étudesd’Argenteuil. Résultat : le LeO-46 est une machineimpressionnante de 10 tonnes capable de voler àplus de 300 km/h pendant plus de six heures, desti-née à la Marine nationale. Les deux équipes ontdessiné conjointement un monoplan très aérody-namique construit entièrement en métal. L’étude(second semestre 1935) et la construction (1er tri-mestre 1936) du prototype, faite selon les procédésclassiques, représente 100 000 heures de travail.L’appareil a bénéficié de nombreux essais en souf-flerie (Chalais-Meudon).

Le LeO 46 à Antibes,. (Collection A. Violleau).

Le LeO 46 offrait vers l’arrière aux marins cette vue sur-prenante, au dessus de la baie des anges à Antibes.

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Réalisé à Argenteuil, le prototype du LeO-46, un monstre de 19 mètres de long porté pardeux longs flotteurs de 10 mètres de longueur,effectue son premier vol sur le bassind’Argenteuil aux mains du pilote d’essais Lioréet Olivier Lucien Bourdin le 9 mai 1936. LeLeO-46 effectue ensuite un vol direct jusqu’àAntibes où il reçoit des modifications, capota-ges moteurs et compensateurs aérodynami-ques, puis à Saint-Raphaël où il est réception-né par la Marine. Malheureusement, leprogramme des hydravions « éclaireurs decombat » est annulé en 1939, l’Etat ayant jugéplus économique d’utiliser pour cette missionun bombardier terrestre, en l’occurrence le fu-tur LeO-45.

Essais en soufflerie de l’aile commune au LeO H-24-6 et au LeO H-47, projet alors baptisé LeO 46.(Septembre 1934).

Le bolide de la Méditerranée

Le premier hydravion entièrement conçupar l’équipe d’Asantchéeff est un hydravion detransport commandé par Air France en février1935 pour desservir les lignes de la Méditerra-née, en remplacement des LeO H-19, H-24 etdes CAMS 53. En fait, le projet d’hydravion detransport quadrimoteur pour vingt-cinq passa-gers remonte à 1932, un an avant la créationd’Air France. Le prototype étudié en 1934(sous le type LeO 46) et en 1935 sous le typeH-24-63 répond à la commande d’Air Franced’un hydravion commercial de transport pourvingt-six passagers capable de parcourir une

3. Le LeO H-24-6 aurait du porter le numéro de type

H-46, mais le type 46 comme on l’a vu est déjàutilisé.

distance de 1 000 kilomètres. Le nouvel appareildoit être capable de voler en pointe à 300 km/h,contre 180 km/h aux LeO H-24-2 et 145 km/h auxCAMS 53 utilisés précédemment.

Hydravion géant Short « Centurion » des lignes Impe-rial Airways, 1938. (Collection A. Violleau).

Par rapport aux H-24 des précédentes versions,le H-24-6 dessiné par Asantchéeff offre un aspectradicalement nouveau. En fait, c’est une nouvellemachine. Elle pèse 20 tonnes et doit être capablede transporter 26 ou 27 passagers. C’est le plusgrand hydravion jamais réalisé par la firme Lioré etOlivier. D’une envergure de 31,72 mètres, la voi-lure, en bois, n’est pas solidaire de la coque, maisplacée au-dessus pour des raisons aérodynami-ques. L’aile est fixée à la coque par une cabane detubes d’acier. La coque, d’une longueur de 21 mè-tres, de forme très étudiée, est métallique, recou-verte de panneaux en aluminium. Cette coque, des-sinée à Argenteuil par André Violleau et son équipeselon un procédé nouveau, - le fameux procédéAsantchéeff (chapitre suivant) - permetd’économiser un temps considérable par rapport àce qu’on fait de mieux à l’époque. Le gain de tempsse mesure par un facteur quatre ou cinq sur lesprocédés de construction traditionnels. L’idée estdue à Asantchéeff.

Le H-24-6 en construction à Argenteuil. (Coll. Violleau).

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C’est ainsi que la réalisation du premierprototype a pu être effectuée en quelques moisseulement, contre deux ans par les procédésclassiques. La construction du H-24-6 repré-sente quand même la bagatelle de 65 000 heu-res de travail pour le bureau d’études (deuxans). Les mouvements sociaux de 1936 per-turbent quelque peu la réalisation du prototype.

Hydravion géant à court rayon d’action Short« Centurion », 1938. (Collection A. Violleau).

Commencée en décembre 1935, la cons-truction du LeO H-24-6 01 est terminée auprintemps 1937. La mise au point est retardéepar les nationalisations de février 1937. Lafirme Lioré et Olivier est devenue le noyaucentral et le pilier de la SNCASE (elle lui ap-porte 75 % de ses effectifs et 90 % de sescommandes), laquelle Société nationale re-groupe les usines Lioré et Olivier d’Argenteuilavec celles de la SPCA4 à Marseille, cellesd’Etienne Romano à Cannes, de Potez à Berreet celles de la CAMS5 à Vitrolles.

Le H-24-6 est mis à l’eau sous élingue. (CollectionA. Violleau).

4. Société de Production et Construction Aéronauti-

que.5. Chantiers Aéro-Maritimes de la Seine.

A une époque où le constructeur reçoit unequantité très importante de commandes militaires(bombardiers LeO-45 pour l’Armée de l’Air) et civi-les (hydravions d’Air France), réorganiser la pro-duction sur plusieurs sites aussi répartis demandedes mois d’effort. Finalement, après analyse rapide,les nationalisations offrent à l' équipe d’Asantchéeffsur le site de Berre les moyens nouveaux qui luimanquaient. La SNCASE possède bien un hangarà Antibes pour le montage des prototypes, mais ladistance séparant l’usine d’Argenteuil de celles dusud de la France ne simplifie pas les opérationsd’assemblages et les essais. Le plan d’eaud’Argenteuil étant un peu court et dangereux (pré-sence des ponts) et le slip devant l’usine s’avéranttrop léger pour supporter un hydravion de 20 ton-nes, les pièces construites à Argenteuil doivent êtreacheminées à Antibes puis à Berre pour le montageet les essais.

L’hydravion de transport Méditerranéen en position in-habituelle, sur un chariot. (Collection A. Violleau).

Les mécaniciens s’affairent avant les essais. (CollectionA. Violleau).

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Le LeO H-24-6 est mis à flot. (Coll. A. Violleau).

Le LeO H-24-6 lors des essais à Berre, 1937. (Ar-chives de la SNCASE).

Le LeO H-24-6 aux couleurs d’Air France. (Collec-tion A. Violleau).

Finalement, le premier vol du prototype H-24-6 a lieu le 30 septembre 1937 à Berre, auxmains du pilote d’Air France Léon Givon. Qua-tre mois plus tard, la compagnie de transportpasse commande à la SNCASE de huit hydra-vions6 H-24-6 pour un montant de cinq millionsde francs. Cette commande arrive à un mo-ment où la SNCASE est surchargée de travail :sur le site d’Argenteuil, les ailes des cinq hy-dravions transatlantiques LeO H-47 comman-dés par Air France en 1937, pour un montant

6. Commande ramenée à six hydravions un an

après.

de près de vingt-huit millions de francs sont alorsen cours de construction tandis que le bureaud’études planche sur l’hydravion de l’Atlantiquenord, le futur LeO H-49 (SE-200). La quatrième Ré-publique a ouvert tout grand les vannes des com-mandes aéronautiques, la nouveau ministère de laDéfense nationale ayant obtenu enfin les fonds deses programmes de réarmement. C’est précisémentà cette période, début 1938, que la SNCASE reçoitun premier marché d’hydravions militaires pour laMarine nationale.

Le 30 septembre 1937 à Berre. (Collection A. Violleau).

Le LeO H-24-6 aux couleurs d’Air France, une machined’une rare beauté. (Collection A. Violleau).

Les ennuis d’assemblage et de mise au pointdes hydravions de transport LeO H-24-6 d’AirFrance ne font que commencer. Le 28 avril 1938,au cours d’essais d’hydroplanage à grande vitesse,la coque du prototype H-24-6 se déchire et doit êtrerenforcée, ce qui retarde la construction des appa-reils de série de plusieurs mois. L’imminence de laguerre oblige le Gouvernement fin août 1939 à ré-quisitionner les deux LeO H-246 (le prototype etl’appareil de série n° 3) dont la construction estterminée, pour les militariser. Ils sont affectés à laMarine nationale comme hydravions de reconnais-sance lointaine. Transférée à Marignane, la cons-truction des six LeO H-24-6 de série est terminée

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en 1940 et les hydravions sont finalement misen service sur la ligne Marseille - Alger, pen-dant vingt-deux mois, en pleine guerre.

LeO H-24-6 prototype aux essais sur l’étang deBerre en octobre 1937. (Collection A. Violleau).

Le 01 en cours de militarisation, janvier 1940.(Collection G. Hartmann).

En novembre 1942, quand la zone sud dela France est occupée, tous les hydravionsfrançais d’Air France sont réquisitionnés parles Allemands. Transférés sur la Baltique, lesLeO H-24-6 ne réapparaîtront plus en France.Les deux LeO H-24-6 de la Marine nationale,passés sous les couleurs allemandes sont dé-truits par les alliés en 1944 sur le lac de Jo-nage, à l’est de Lyon.

En 1944, deux LeO H-24-6 rescapés de laguerre sont remis en service sur les lignes dela Méditerranée jusqu’à épuisement de leurspièces de rechange, en 1946.

L’hydravion Transatlantique

En 1935, Asantchéeff et son équipe, dé-sormais forte d’une cinquantaine de collabo-rateurs, commence l’étude d’un second projet.C’est un projet très ambitieux qui date de 1934.Le ministère de l’Air a présenté aux construc-teurs un cahier des charges pour un grand hy-dravion de transport, capable de traverser les3 200 km de l’Atlantique sud en moins de 14

heures de vol avec une tonne de fret et quatre pas-sagers à la vitesse de croisière de 288 km/h avecun vent contraire de 60 km/h7. Deux constructeursseulement y répondent : CAMS, avec son projet160, et Lioré et Olivier avec le LeO H-47.

En 1935, la société Lioré et Olivier est en pleindéveloppement. Des moyens nouveaux sont dispo-nibles, comme la soufflerie construite à Argenteuilpar l’ingénieur Robert Boname. Elle permet de tes-ter l’aérodynamique des prototypes alors en cons-truction : l’hydravion LeO H-47, destiné aux lignesde l’Atlantique sud, le H-24-6 des lignes de la Mé-diterranée, le LeO-46 à flotteurs destiné à la Marinenationale et le bombardier LeO 45 de l’Armée del’Air.

Soufflerie Lioré et Olivier à Argenteuil, 1935. (CollectionG. Hartmann).

C’est dans cette soufflerie que sont mis au pointles fameux capotages étudiés par l’ingénieur Mer-cier, qui font gagner au bombardier quadriplace 80km/h en vitesse de pointe !

LeO H-47 est l’œuvre de Paul Asantchéeff, pourles calculs de structure et le dessin de la coque etPierre Mercier pour l’étude de la voilure, qui estcommune en ce qui concerne son étude avec celledu LeO H-24-6. L’équipe d’Asantchéeff comprendJean Poitou, Wladimir Mimiovitch, Stephi Kolinvat-choukoff et Sébastienne Guyot, spécialiste del’aérodynamique. André Violleau est chargé du des-sin de la coque.

Pour franchir l’Atlantique sud, soit 3 200 kmavec 680 kg de fret et quatre passagers en cou-chette à la vitesse de croisière de 290 km/h, Asant-chéeff dessine un grand hydravion à coque quadri-moteur de 21 mètres de long et de 31,80 mètresd’envergure, de construction entièrement métalli-que. Asantchéeff reprend sur le H-47 la voilure duH-24-6, due à Mercier, et qui donne d’excellentsrésultats. Il y introduit toutefois une modification :les moteurs ne sont plus montés de face mais deuxpar deux en tandem, solution qui s’avèrera moinsefficace en vitesse de pointe et qui posera des pro-blèmes de refroidissement aux moteurs arrière.

L’aile du H-47, construite en aluminium, est ex-haussée par rapport à la coque grâce à une chemi-née autorisant le passage d’un homme pour la vi-

7. Par suite de la rotation de la terre, il existe un vent per-

manent d’ouest en est d’environ 60 km/h qui rend letrajet Paris – New-York plus long en temps que le trajetNew-York – Paris.

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site des moteurs. Des ailerons courent sur toutle bord de fuite de l’aile, laquelle reçoit deuxballonnets de sustentation métalliques. Dessi-née par Asantchéeff et Violleau, la coque entiè-rement métallique est amortie pour effacer leschocs à l’amerrissage. Elle comprend des cou-ples en oméga sur lesquels sont fixés les pan-neaux d’aluminium, les tôles étant montées àclin et rendues étanches par un enduit, unesimple peinture au Ripolin.

Le H-47 01 première version, avec radiateursconventionnels. (Musée de l’Air).

D’avant en arrière, la coque comprend uncompartiment pour équipements marins, unesoute pour les bagages et le fret de six mètrescubes, un escalier donnant accès à l’écoutilledébouchant sur le pont avant, la cabine de pi-lotage, la cabine du radio et du mécanicien, lacabine passagers de 4,30 mètres de long sur2,50 mètres de large éclairée par des hublotsrectangulaires, un cabinet de toilette et lasoute arrière.

Le H-47 01 première version aux essais, 1936. (Collec-tion A. Violleau).

Le marché pour un prototype est passé à Lioréet Olivier le 10 août 1935 - quelques mois après leH-24-6 - pour un montant de quatre millions defrancs. Le prototype du LeO H-47 est assemblé du-rant l’été 1936 à Argenteuil, dans une usine où lesprojets s’accumulent et où la place commence àfaire défaut. Réalisé en moins d’un an selon la« méthode Asantchéeff » le prototype LeO H-47pèse 10 tonnes à vide et 19 tonnes en charge.

Sa construction connaît les mêmes vicissitudesque celle du H-24-6. Les grèves de 1936 provo-quent un retard de plusieurs semaines.

L’hydravion est acheminé par route en élémentsjusqu’à Antibes à l’automne 1936. Il est monté dansles hangars de la base aéroportuaire d’Antibes.Baptisé « Atlantique I », il est propulsé par quatremoteurs Hispano-Suiza 12 Y de 860 ch – moteurspuissants mais fragiles - noyés dans l’épaisseur del’aile, solution déconseillée par le motoriste maisretenue par Mercier pour sa valeur aérodynamique.Les essais en soufflerie permettent désormais devérifier certaines vieilles théories … ou de les abo-lir. Ils permettent à Mercier et Asantchéeff, ingé-nieux et pragmatiques, de dessiner des capotagesefficaces, évacuant correctement les calories et deconstruire des radiateurs aérodynamiques trèsperformants.

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Le LeO H-47 01 modifié aux essais à Antibes en 1937.(Collection André Violleau).

LeO H-47 01 modifié aux essais à Antibes (janvier 1937). Le très beau profil du Lioré et Olivier H-47 modifié montre ses nouveaux radiateurs aérodynamiques refroidis à l’éthylène glycol, contribuantà la propulsion de l’hydravion. L’étude aérodynamique du H-47 servira au SE-200. (Musée de l’Air).

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Commencés à Antibes en décembre 1936par Bourdin, le pilote d’essais Lioré et Olivier,les essais du 01 se poursuivent à Berre enjanvier 1937 aux mains de Jacques Lecarme,chef pilote d’essais de la SNCASE, mais aussipar des pilotes de la marine Jozan, De Marmieret Serre. Le prototype H-47 y atteint la vitessede 360 km/h à 2 500 mètres d’altitude.

Le 1er mars 1937, Air France réceptionnele prototype LeO H-47 et commande cinq ap-pareils de série pour un montant de 28 millionsde francs. La construction des hydravions estaussitôt lancée à Berre, les ailes étant assem-blées à Clichy.

Le 19 mai 1937 vers 16 heures, le proto-type est détruit lors d’un vol de routine à Anti-bes, dix personnes étant à bord ; au cours d’undécollage en charge laborieux, l’aile touchel’eau et la coque se déchire. Cinq personnesdont le pilote d’essais Bourdin trouvent la mortdans cet accident8.

8. Une plaque commémorative de cet accident est

apposée sur le mur des remparts d’Antibes, côtégauche du port. Information aimablement commu-niquée par Marcel Terrusse, neveu d’Albert Ter-russe, ancien commandant le la base.

Air France maintient sa commande mais exigedes modifications. Les plaques d’aluminium de lacoque sont montées désormais longitudinalement,la coque est renforcée et allongée de 30 cm. La dé-rive est agrandie et des mâts en N remplacent lesmâts en I dans la cabane.

Photos du prototype, collection Violleau. Le déjaugeagetrop cabré dénote un mauvais équilibrage, une sous-motorisation ou une vitesse de décollage insuffisante.

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Les deux premiers LeO H-470 de série. (CollectionA. Violleau).

Le premier LeO H-470 de série, immatriculéF-AQOA, effectue son premier vol à Berre le 23juillet 1938, aux mains de Lecarme Le secondappareil apparaît à Berre en septembre 1938pour essais, les appareils suivants étant livrésdirectement au centre de réception de la Ma-rine de Saint-Raphaël entre mai et septembre1939.

A la déclaration de guerre, seul le F-AQOA estopérationnel. La Marine nationale réquisitionnealors les cinq LeO H-470 comme appareils de re-connaissance en mer. Après modification (armés),les hydravions de transport d’Air France sont mis enservice en décembre 1939 dans l’escadrille E11 dela Marine nationale basée précisément à Berre.

Alourdis par leur équipement militaire, les LeOH-47 sont cependant capables de performancesexceptionnelles : au poids de plus de 20 tonnes, lesmachines grimpent à 2 000 mètres en 8 minutes 15sec et volent à 352 km/h. Cependant, leur autono-mie, à la vitesse économique, dépasse 3 500 kilo-mètres !

Le 8 mars 1940 un premier LeO H-47 est acci-denté en Corse. En août 1940, un second LeO H-47 est abattu par la chasse italienne « par erreur ».Le 15 août 1940, L’escadrille 11E est dissoute etses hydravions regroupés avec ceux de l’escadrille9E à Dakar.

Privés de pièces de rechange après l’invasionde la zone sud de la France en novembre 1942, lestrois hydravions seront contraints de rester clouésau sol. Le dernier LeO H-47 est réformé en août1943. La société Air France qui avait financé leurdéveloppement ne pourra jamais s’en servir.

En 1936, le bureau d’études d’Asantchéeff a eul’opportunité une fois de plus de montrer sa trèsgrande compétence dans le domaine des hydra-vions de transport, avec un projet encore plus am-bitieux que le H-47 baptisé LeO H-49. En effet, le12 mars 1936, le Gouvernement, à travers les ser-vices techniques du ministère de l’Air, a lancé unconcours pour hydravions transatlantiques géantsde 30 à 40 tonnes, capables de franchir cette foisles 6 000 kilomètres de l’Atlantique nord.

L’hydravion géant Transatlantique

Le cahier des charges présenté début 1936 sti-pule que l’hydravion doit voler à la vitesse de croi-sière d’au moins 250 km/h en utilisant seulement70% de la puissance nominale avec un vent deface de 60 km/h. Il doit transporter 500 kg de fretpostal plus vingt passagers en couchettes et doitpouvoir décoller par un mètre de creux, l’équipageétant limité à six personnes.

Deux constructeurs répondent à ce programme :CAMS avec son hydravion 161, basé sur l’étude del’hydravion transatlantique sud, et Lioré et Olivieravec son projet H-49, extrapolation lointaine du H-47. L’étude de ces deux hydravions va durer un an,toute l’année 1936. Etudié à Sartrouville, le projetPotez-CAMS 161 - la CAMS a été rachetée entretemps par Potez - est présenté début 1937 aux ser-vices techniques de l’aéronautique et un marché de40 millions de francs pour un prototype est passé le23 janvier 1937. Lioré et Olivier reçoit simultané-ment 45 millions de francs pour la construction detrois prototypes du LeO H-49.

Dessiné par l’équipe de Paul Asantchéeff, lepremier prototype nommé H-49.1 et dont le premierdessin est terminé à Argenteuil le 3 décembre 1936

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se présente comme un très grand hydravion àcoque métallique (40 mètres de long), avecune envergure de 52 mètres, pesant à videplus de 40 tonnes et 60 tonnes au décollage.Destinée à traverser l’Atlantique Nord en unequinzaine d’heures (ce qu’aucun aéronef dansle monde n’était capable à cette époque), lamachine qui doit être propulsée par six moteurs18 L de 1 500 ch – moteurs encore à l’étudechez Gnome & Rhône en 1936 - emporte42 000 litres d’essence dans les réservoirs devoilure.

Le poste de pilotage du premier prototypeest situé juste devant le bord d’attaque del’aile. Il sera déplacé dans la pointe avant surle H-49.2. Comme sur le H-47, les moteurssont « visitables » en vol par l’arrière par unhomme allongé sur un chariot mobile se dépla-çant dans un couloir aménagé dans le bordd’attaque de l’aile. La vitesse de croisière pré-vue est de 325 km/h, et la vitesse maximale de390 km/h. Aucun hydravion de transport dansle monde n’a encore jamais atteint une tellevitesse.

Fin 1937, Air France modifie son cahier descharges pour demander un hydravion encoreplus lourd, 70 tonnes, équipé de quatre à huitmoteurs au maximum et capable de transporternon plus 20 mais 40 passagers avec trois ton-nes de courrier sur l’Atlantique Sud (3 200 ki-lomètres) ou 20 passagers et une tonne de fretsur l’Atlantique Nord (6 000 km) avec une vi-tesse de croisière supérieure à 300 km/h.

Très critiqué, le choix par l’Etat d’hydraviongéant s’avère supérieur aux solutions concur-rentes qui présentent toutes un inconvénient :le danger d’incendie et d’explosion des diri-geables géants (solution allemande), la com-plexité de pilotage et l’insécurité au moment delargage des hydravions porteurs (solution bri-tannique) ou le coût exorbitant des plates-formes flottantes (solution franco-britannique).En 1937, les appareils terrestres sont encoreincapables de franchir l’Atlantique Nord avecune charge utile dans des conditions commer-ciales normales. L’enjeu est d’importance. Il nes’agit ni plus ni moins que de la conquête deslignes commerciales de l’Atlantique nord, quese disputent âprement anglais, allemands,français et américains.

En France, trois constructeurs répondentaux nouvelles conditions du marché : Laté-coère, chez qui l’ingénieur Marcel Moine adessiné un hydravion très fin : le Laté 631, laSNCASE avec l’hydravion SE-200 (le H-49.2 aété rebaptisé ainsi), et la société Delame, avecle DL-70, double monoplan hexamoteur, cedernier projet n’étant pas retenu. Latécoèrereçoit en 1938 plus de 55 millions de francspour la construction de trois prototypes de sonLaté 631.

L’étude et la réalisation des trois prototypesd’hydravion géant commandé par Air France à

la SNCASE se poursuit toute l’année 1937 et unebonne partie de l’année 1938 au bureau d’étudesd’Argenteuil, sous la conduite d’Asantchéeff. Cettefois, non seulement la coque et ses aménagementsintérieurs, mais toute la voilure, les ballonnets et lessystèmes propulsifs sont développés à Argenteuil.Pour y parvenir, cinq groupes sont constitués.

Supervisée par l’ingénieur Vérrimst, l’équipe« aile » est chargée l’étude et la construction de lavoilure, entièrement métallique de 1,50 mètred’épaisseur et de 330 m2 de surface portante.L’équipe « moteurs », dirigée par l’ingénieur Kono-vatchoukoff, est chargée de l’aménagement desmoteurs et des accessoires. Le SE-200 disposed’une puissance motrice de 10 000 chevaux !L’équipe « empennage », dirigée par l’ingénieurAviez, est chargée des plans de queue. Une équipe« calculs généraux », dirigée par l’ingénieur Minio-vitch, est chargée de l’ensemble des calculs, tandisqu’une équipe « coque », dirigée par l’ingénieurAndré Violleau, comprend une trentaine de dessi-nateurs et ingénieurs chargés de l’étude, de la ré-alisation de la coque et des aménagements inté-rieurs.

Une maquette en bois au 1/5 est testée durantsix semaines dans la grande soufflerie de Chalais-Meudon en 1938, celle d’Argenteuil étant réservéeaux appareils militaires. Etant donné la masse del’hydravion, cette maquette possède déjà des di-mensions imposantes. D’une envergure de plus de10 mètres, construite en bois et contreplaqué, lamaquette du futur SE-200 permet de déterminer lastabilité en montée plein gaz et en vol horizontal,données qui manquaient lors de la réalisation du H-47, les valeurs des couples de lacet, de roulis ettangage ainsi que la traînée des six moteurs. Elleest équipée de moteurs électriques tournant à5 600 tours par minute et actionnant une hélice deprès de 80 cm de diamètre. La quantité de caloriesà évacuer par les capotages moteurs du type Mer-cier est ainsi calculée. Les essais de la maquettefournissent des résultats intéressants. Ils révèlentque la surface de l’empennage horizontal doit êtreaugmentée de 10%.

L’étude du projet et la construction des troisprototypes sont estimés à plus d’un million d’heuresde travail (estimation largement sous-estimée).L’équipe des ingénieurs de la SNCASE décide évi-demment pour gagner du temps d’utiliser « la mé-thode Asantchéeff ». Cette fois-ci, le procédé estétendu à tout l’appareil, et non plus seulement à lacoque. Mais le tracé et la construction à l’échelle1/1 d’une coque de 40 mètres de long posent desproblèmes particuliers. Le bureau d’études de larue du Pérouzet à Argenteuil étant trop petit,l’équipe du SE-200 s’installe le 23 août 1937 prèsde la gare d’Argenteuil, dans les locaux des anciensétablissements Ransome, où se trouve un hangarde 40 mètres de long sur 10 mètres de large. Pourles mêmes raisons de place, les prototypes du SE-200 sont assemblés à Marignane.

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La bâtiment Ransome d’Argenteuil, rue ClaudeMonet avant sa démolition en 1999.

En 1938, la France est en plein réarme-ment. Des milliers d’avions sont commandésen catastrophe aux Sociétés nationales. LaSNCASE reçoit une commande pour 1 600bombardiers LeO-45. Mais les lignes aériennesde l’Atlantique Nord et Sud intéressent plusque jamais l’Etat, qui commande pour lecompte d’Air France à la société Latécoère dixhydravions Laté 631 et cinq hydravions SE-200 à la SNCASE. Cette dernière, il est com-mandé simultanément quarante quadrimoteursBloch 161 pour les lignes de la Méditerranée.Malheureusement, tous ces appareils sontpropulsés par le même moteur, le Gnôme &Rhône 14 R en étoile de 1 500 ch, en atten-dant le sortie du 18 P de 1 800 ch, prévue pour1942. Or, les moteurs 14 R équipent en prioritéen 1938 les bombardiers de l’Armée de l’AirLeO-45. Pour conquérir les lignes commercia-les de l’Atlantique, la compagnie Air France etl’Etat, en cinq ans de 1936 à 1940, ont dé-boursé 150 millions de francs.

Pendant ce temps, le bureau d’étudesAsantchéeff s’active. Malgré les dimensions del’appareil, les pièces sortent une à une du bu-reau d’études d’Argenteuil et sont assembléesà Marignane. Sur le SE-200 prototype 01, pourla première fois en France, des tôles de 4 mmsont utilisées pour la coque, tandis que destôles d’aluminium de 3,2 mm sont prévues pourla série.

Quand la guerre se déclenche, en septem-bre 1939, l’assemblage du prototype 01 estinterrompu à Marignane après 118 000 heuresde travail sur l’appareil. Le gros du fuselage etde la coque sont alors construits. Mais l’usinereçoit une autre priorité : la production en ca-tastrophe des bombardiers LeO-45, dont laconstruction s’avère difficile, puisque seule-ment 120 exemplaires sont livrés à ce momentsur les 600 prévus. Les usines de Villacoublay,Marignane, Ambérieu et Saint-Nazaine sontréquisitionnées pour produire 100 bombardiersLeO-45 par mois, tandis que chez Gnome &

Rhône plus de 10 000 moteurs 14 R sont comman-dés en quelques semaines, moteurs que la sociétéest bien en peine de produire aussi rapidement.

Après la débâcle de juin 1940, le personnel dela SNCASE du nord de la France se replie progres-sivement à Marignane. L’ingénieur Mercier, qui acréé chez Citroën la suspension par barres de tor-sion, obtient même des « traction » à bon prix pourque son équipe se rende dans le sud de la France.Les derniers ouvriers de l’usine d’Argenteuil démé-nagent à Marignane en février 1941. A partir d’août1940, la commission d’armistice allemande qui aune idée derrière la tête9, fait poursuivre la cons-truction des hydravions géants français. Celle duPotez-CAMS 161 reprend à Sartrouville ; idem pourles Laté 631 à Toulouse et le SE-200 01 à Mari-gnane, tant bien que mal. Les ouvriers qualifiésayant été mobilisés massivement en septembre1939, il a fallu renouveler une bonne partie du per-sonnel. A Gennevilliers, la production des moteurs14 R se poursuit, cette fois financés parl’Allemagne. Toute l’année 1941, la constructiondes hydravions géant se poursuit, au ralenti. Com-plètement écœuré par les circonstances qui vien-nent de se produire, Asantchéeff quitte la SNCASE.

Les trois premiers appareils de chaque cons-tructeur volent en 1942. Le Potez-CAMS 161 ef-fectue son premier envol sur la Seine le 20 mars1942 à Sartrouville ; le Laté 631 n° 01 décolle pourla première fois le 4 novembre 1942 à Biscarrosse,au moment où la zone sud est envahie ; le SE-200n° 01 effectue son premier vol le 11 décembre 1942aux mains de Jacques Lecarme, après des essaisd’hydroplanage sur l’étang de Berre en septembre.Les hydravions géants d’Air France vont connaîtreune fin sordide. Le SE-200 01 est réquisitionné parles allemands en janvier 1944 et transporté sur lalac de Constance où il est détruit trois mois plustard par les Mosquitos britanniques. Le Potez-CAMS 161 est transporté par les allemands et dansla mer Baltique d’où il ne reviendra jamais. Le SE-200 02 est détruit dans le bombardement allié surMarignane en mars 1944. Le SE-200 03 en cons-truction est réparé et achevé en fin 1944. Les SE-200 n° 4 et 5 ne seront, eux, jamais achevés. LesLaté 631 sont les seuls hydravions géants à entreren service dans la compagnie Air France, sur leslignes des Antilles (concession faite à la France parles américains qui s’octroient les meilleurs lignes),pour une courte période seulement, de juillet 1947à octobre 1948, dans des conditions catastrophi-ques.

9. Transport de troupes en Afrique du nord ou bombarde-

ment des Etats-Unis ?

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Le Prototype du SE-200 n° 1 à Marignane en juillet 1942, à sa sortie d’usine. Il arbore fièrement lenouveau logo de la SNCASE. (Collection André Violleau).

Le SE-200 n° 3 à Berre en 1947.

Confié au Centre d’Essais en Vol (CEV) pour la mise au point des moteurs SNECMA 14 N qui seront bientôtabandonnés, le beau SE-200 03 porte curieusement à la fois une immatriculation civile et les cocardesmilitaires. (Cliché Musée de l’Air).

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La « méthode Asantchéeff »La fameuse méthode de construction des

avions géants pour laquelle le grand cons-tructeur américain Igor Sikorsky, confronté aumême problème que les ingénieurs du bureaud’études d’Argenteuil, s’est déplacé en Franceen février 1940, est une méthode pourtant quin’a rien de scientifique. C’est une méthode deconstruction plutôt pratique - voire empirique -développée pour faire face aux impératifs del’époque : le manque d’espace au bureaud’études d’Argenteuil pour y élaborer d’aussivastes projets dans l’urgence.

Les ingénieurs du bureau d’études d’Argenteuil encharge du SE-200, Rolland, Violleau, Kastler en1937. (Collection André Violleau).

Construire un avion géant de 40 tonnesdans des locaux conçus pour des avions pluspetits n’est pas chose aisée. En 1936, lesAméricains de Boeing ont dépensé 670 000heures de travail à la construction du prototypedu B-17, la fameuse « Forteresse volante », unappareil de 30 tonnes, soit 22 heures de travailau kilo.

L’appareil photo géant du bureau d’études de Ran-some où est née la coque du SE-200. (CollectionAndré Violleau).

Les travaux d’étude en 1936 et la construc-tion, par des procédés classiques, des prototy-pes du bombardier de dix tonnes Lioré et Oli-vier LeO-45 a nécessité 203 000 heures detravail, soit 20 heures au kilo. La constructiondu SE-200 01 de 70 tonnes en 1937 est esti-mée à un million d’heures de travail par desmoyens classiques : cinq ans d’efforts à unmoment où la concurrence est effrénée. Les

procédés de construction classiques montrent ainsileur limite.

Paul Asantchéeff au travail.

Ransome : l’appareil photo est en place.

La méthode imaginée par Asantchéeff permetdans le même temps de labeur que pour le LeO-45 (200.000 heures) de dessiner et construire unprototype de 42 tonnes (le LeO H-49), donc quatrefois plus grand, réduisant ainsi le temps à 5 à 7heures au kilo. André Violleau décrit la « méthodeAsantchéeff ».

« Le tracé gabarit des grands éléments du H-49, tels que les couples de coque : 6,50 mètres dehaut et 2,10 mètres de largeur, fut le premier pro-blème à résoudre. Il exigeait la confection de ta-bles à dessin spéciales par leurs dimensions. Lesecond problème fut celui de l’éloignement du bu-reau d’études d’Argenteuil et des ateliers de fabri-cation, à Vitrolles. Selon la méthode classique, lesplans réalisés en bureau d’études sont réalisés à

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l’échelle à l’usine, ce qui nécessite de refairetous les calculs de dimensions et constitueune cause d’erreurs. Ceci a milité en faveurd’un tracé gabarit sur tôles d’acier en gran-deur, à échelle 1/1».

Mise au point pour les coques, la méthodeAsantchéeff a été étendue au tracé de l’aile etdes empennages.

« Trois tables furent construites, pour des-siner deux couples à la fois. Deux tables fu-rent posées horizontalement sur des tréteauxpour être dressées verticalement sur la troi-sième, montée sur un châssis spécial, per-mettant ainsi la reproduction photographiquedes tracés. Ces tables couvraient l’espacelaissé disponible dans le hangar de Ransome(40 mètres sur 10 mètres) par le tracé longitu-dinal de la coque ».

« Pendant que l’on relève le contour de formesd’un couple sur une table, on procède à la mise enplace des éléments d’un deuxième couple sur laseconde table, on lessive et photographie un troi-sième couple sur la dernière table dressée verti-calement. Au fur et à mesure de l’avancement destravaux, la table rabattable est échangée avec unetable portant un tracé gabarit terminé ».

Le dessinateur Kastler devant un couple du SE-200 àRansome en 1939. (Cliché collection André Violleau).

Contre toute habitude, le montage et démontagedes tôles, la manutention du cadre reproducteur, lamanutention, l’échange et le relevage des tablesainsi que le lessivage sont faits par les dessina-teurs eux-mêmes.

« On pourrait penser que cette méthode est ra-tionnelle. Cependant il est à noter que les dessi-nateurs n’exécutent leur véritable travail de dessinque dans une position plutôt incommode, couchésou à genoux, sur des tables de dimensions inusi-tées dans les bureaux d’étude. Les diverses ma-nutentions qu’ils ont à opérer entre temps peuventparaître un délassement, mais si l’on songe aupoids de ces tables chargées par des tôles, onconçoit que ce travail est loin de leur métier ».

Dessin d’un demi couple du SE-200 à Ransome.

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« Tracées sur panneaux de bois permet-tant la retouche, ces formes (tracés de coquetransversaux et longitudinaux, aile et empen-nages) donnent le contour extérieur des cou-ples, carlingues, quilles, nervures, longerons,membrons. A l’aide d’un reproducteur, ces tra-cés sont reportés sur des tôles d’acier recou-vertes de peinture, sans passer par l’étape desplans sur papier. Le tracé gabarit ainsi obtenuest traité comme un dessin, avec les repèresde pièces et désignation des matières, rivetset profilés. Cependant, aucune cote de décou-

page, sciage, tronçonnage ou perçage n’est don-née. De plus, aucune vue oblique ou en perspec-tive n’est tracée. La préparation des tôles est exé-cutée par un peintre qui, ne disposant d’aucunautre local, est installé directement sur une portiondu tracé longitudinal recouvert de papiers sur le-quel il est obligé de se déplacer suivant les be-soins de consultation ».

« Le dessin des liasses, destinées à la consul-tation, archivage et contrôles, est réalisé par sim-ple photographie du tracé gabarit, avant son expé-dition aux ateliers. Chaque photographie estcomplétée d’une nomenclature de même présenta-tion que celle qui eut dû figurer sur le dessin de cetélément ».

Rapporteur créé par l’ingénieur Violleau pour le dessindes coques d’hydravions. (Cliché Eliane Hartmann 1998).

La méthode Asantchéeff économise de cette fa-çon les tracés des cotes de positionnement deséléments et de leur calcul d’angle, les tôles engrandeur étant plus lisibles que des plans papier auformat réduit. Leur fourniture en atelier permet depasser directement à la fabrication des pièces.

« Les tôles, de 2 mètres sur 1 mètre, peintes endeux couches au blanc de titane, sont fixées pardes vis à bois sur la table. Leur positionnement surla coque est repéré par des cercles tracés à lapointe sèche, dont le centre est placé à un ou deuxcentimètres du bord d’une des tôles et dont la cir-conférence apparaît sur les deux tôles à la fois. Ledessin comporte également le nombre, le pas et lediamètre des rivets et boulons pour l’assemblage,permettant au dessinateur de procéder à un as-semblage, comme il sera fait en usine ».

Paul Asantchéeff est décédé à 80 ans, dansl’anonymat, le 13 août 1979 à Foncine-le-Bas, pe-tite localité du Jura.

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Le magnifique Lioré et Olivier H-47. (Gravure le Paul Lengellé, Musée de l’Air).

Alignement de tombes de Russes blancs dans le cimetière de Montmorency (Val-d’Oise). Dansplusieurs autres cimetières du département (Cormeilles-en-Parisis) des tombes orthodoxes sont visi-bles.