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INSTITUT DE RECHERCHE SUR L'ECONOMIE DE L'EDUCATION (IREDU-CNRS) A 0 9 S &bíí5 - RAPPORT DE RECHERCHE JEUX ET ENJEUX DU PARAITRE DES ENFANTS LORS DE L'ENTREE AU COURS PREPARATOIRE ET LORS DE L'ENTREE EN 6 EME RESONSABLE DE LA RECHERCHE : Marie-France DORAY (Université de Bourgogne- IREDU) EQUIPE DE RECHERCHE : Marie-Anne HUGON (Université de Rouen - EFS) Nicole LANTIER (CRESAS-INRP) Jacques SCHEER (LERS-IRTS 76) JUIN 1996 MINISTERE DE LA CULTURE-DAPA 9042 006821 ¡¡AUkllty

RAPPORT DE RECHERCHE - culture.gouv.fr · Chapitre 1. DISPOSITIFS 1 4 I. Des pratiques contrastées 14 II. Plusieurs dispositifs 17 III. Tradition, rites et rites négatifs 25

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INSTITUT DE RECHERCHE SUR L'ECONOMIE DE L'EDUCATION

(IREDU-CNRS) A 0 9 S & b í í 5 -

RAPPORT DE RECHERCHE

JEUX ET ENJEUX DU PARAITRE DES ENFANTS LORS

DE L'ENTREE AU COURS PREPARATOIRE

ET LORS DE L'ENTREE EN 6 EME

RESONSABLE DE LA RECHERCHE : Marie-France DORAY

(Université de Bourgogne- IREDU)

EQUIPE DE RECHERCHE : Marie-Anne HUGON

(Université de Rouen - EFS)

Nicole LANTIER

(CRESAS-INRP)

Jacques SCHEER

(LERS-IRTS 76)

JUIN 1996

MINISTERE DE LA CULTURE-DAPA

9042 006821

¡¡AUkllty

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2

TABLE DES MATIERES

Introduction 4

I. L'objet de la recherche 4 II. L'enquête 9 III.Le traitement des données et la présentation des résultats 11 Notes 12

Chapitre 1. DISPOSITIFS 1 4

I. Des pratiques contrastées 14 II. Plusieurs dispositifs 17 III. Tradition, rites et rites négatifs 25 Notes 35

Chapitrez LA RENTREE DES TOUT-NEUF 36

I.. Comme tout le monde 36 II. Le calendrier des soins du corps et de l'apparence

des tout-neuf 39 III..Sacraliser la rentrée ? 49 IV.. Pouvoir hiératique de l'institution scolaire 55 Notes 60

Chapitre 3. COMME D'HABITUDE 61

I. « L'important n'est pas là » 62 II. Le calendrier des soins du corps et de l'apparence des comme d'habitude ; 65 III. L'espace scolaire des comme d'habitude 69 IV. Comme tout le monde 75 V. Créer un cadre unique 80 Notes 86

Chapitre 4. PLUS CORRECT 87

I. Plus correct 87 II. Comme d'habitude mais fort corrects 94 III. Modèles d'écoliers 95 Notes 105

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Chapitre 5. GRANDIR 106

I. Cursus scolaire et chemin de la vie 108 II. Accompagner et suivre 119 III. Les enfants prennent l'initiative 122 IV. Le passage au college, un désenclavement de

l'espace-temps scolaire? 128

Notes 136

Conclusion 137

Annexes 139 I. Grille d'entretien 1993 139 II. Grille d'entretien 1994 146 III. Les personnes rencontrées (avec index) 157

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INTRODUCTION

4

"Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner" Georges Pérec, Espèces d'espaces, Galilée, 1974, p. 14.

I. L'OBJET DE LA RECHERCHE.

Notre recherche sur l'apparence des enfants lors de l'entrée

au Cours préparatoire et lors de l'entrée en sixième, aborde cet objet

- sous un angle particulier : nous ne nous sommes pas intéressés aux

tenues des enfants directement et en elles-mêmes, mais aux pratiques

concernant cette apparence en tant que, préparant l'enfant, elles

construisent la signification du passage de la famille à l'école en deux

occasions particulières. Nous avons donc cherché à décrire les activités

qui contribuent à l'état dans lequel se présente l'enfant lors de la rentrée :

achats, choix parmi les vêtements de la garde-robe, passage chez le

coiffeur, soins corporels...

Le travail sur l'apparence de l'enfant.

Le travail des humains sur leur apparence a depuis longtemps retenu

l'attention des ethnologues. Cette activité n'a jamais été réductible à une

réponse aux conditions climatiques. "Ce ne sont ni le froid ni la nudité qui

ont porté l'homme à se vêtir, mais le souci de s'investir de tout ce qui

l'aidera à s'affirmer et à être soi dans le monde" (1). Dans notre société

où existe une séparation assez tranchée entre espaces public et privé, le

domicile privé sert, selon l'expression de M-T Duflos (2), de "coulisses" à

l'apparition des individus sur la scène publique. Ils se lavent, se coiffent,

se maquillent ou se rasent, choisissent telle tenue et tels accessoires, en

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fonction de la météorologie, et aussi toujours des lieux, des personnes

qu'ils s'apprêtent à rencontrer. Mais il s'agit là des individus adultes, car

si, plus ou moins tôt, les enfants acquièrent le droit d'infléchir les choix

concernant leur propre apparence, ils n'atteignent pas une pleine

autonomie avant l'adolescence.

L'apparence de l'enfant fait partie des prérogatives et

responsabilités parentales. Se préoccuper des ongles, des cheveux, de

l'odeur et des vêtements de l'enfant fait partie des devoirs mais aussi des

plaisirs des parents, (de la mère le plus souvent). Par la façon dont les

parents habillent leur enfant ils expriment leur sentiment de l'enfance,

effaçant ou affirmant le statut de «bébé» ou d' «ado», et l'appartenance

sexuelle de l'enfant. Le rythme et la nature des soins corporels ne

correspondent pas mécaniquement au fait que l'enfant se salit, et que

poussent ongles et cheveux ; le renouvellement et le choix des tenues

vestimentaires n'obéissent pas simplement au fait que les saisons se

succèdent et que les enfants changent de taille.

La toilette et la tenue des enfants dépendent aussi des

circonstances pour les quelles on les prépare, après-midi à la plage,

visite aux grands-parents, première communion... Les soins corporels et

les vêtements choisis sont significatifs par les répétitions, les écarts, les

oppositions, les contrastes qu'ils constituent au regard de la toilette

effectuée et aux habits choisis en d'autres circonstances. Les activités

des parents concernant l'apparence de l'enfant contribuent à informer

celui-ci sur son identité, et à former celle-ci; elles l'aident aussi à

différencier les circonstances de la vie en société et à y tenir les rôles qui

conviennent ; elles l'aident à trouver ses repères dans l'écoulement du

temps et à différencier des espaces.

Destinataire des convictions de ses parents quant à ce. que

doivent être les vacances à la plage ou les réunions de famille, l'enfant

est simultanément le « porteur » de ces convictions. L'enfant est aussi

le support des croyances des adultes, il est préparé pour jouer un rôle

dans l'interprétation que ses parents désirent, plus ou moins

consciemment, donner des circonstances.. Ceux-ci se préoccupent des

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convenances et du regard qui sera porté sur l'enfant, ils visent à le faire

bien accueillir, mais ils tentent aussi de mettre en acte, à leur modeste

échelle et à travers l'enfant, ce qu'ils pensent que devrait être la réalité

(3).

Dans la perspective de Pierre Smith, selon lequel le rite "se

caractérise par des procédures dont il implique la mise en oeuvre afin

d'imposer sa marque au contexte que son intervention même contribue à

définir" (4), ou dans celle de Mary Douglas lorsqu'elle écrit "le rite

n'extériorise pas seulement une expérience, il ne la met pas seulement

en lumière, il modifie l'expérience par la manière dont il l'exprime" (5),

les soins du corps et le choix des vêtements de l'enfant peuvent avoir un

caractère rituel en ce qu'ils contribuent à définir le cadre de divers

moments de l'existence.

C'est à partir de cette problématique que nous avons mené la

recherche. La rentrée des classes intervient à une date qui n'est pas

décidée par les particuliers. Elle est objectivement le début de l'année

scolaire. La rentrée existe hors de la volonté des parents, et elle s'impose

à eux, à moins qu'ils aient choisi de ne pas scolariser leur enfant, ce qui

est très rare. C'est avec ce moment obligé que les préparatifs de rentrée

vont jouer, contribuant à son interprétation, complétant, amplifiant ou

contredisant les paroles prononcées, l'opinion explicite, et les sentiments

ressentis. Ils jouent un rôle dans l'aménagement des rapports entre les

familles et l'école. - *

La rentrée et le temps scolaire.

Nous avons donc recherché comment les préparatifs de rentrée

représentaient cet événement. Nous avons voulu décrire comment,

actuellement, les soins corporels et la parure de l'enfant prennent en

compte sa scolarisation, élément si important de son existence et de la

vie familiale. Comment les familles traitent-elles l'espace^ et le temps de

l'école ?

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L'école se veut plus ouverte qu'autrefois aux parents, elle

reste cependant un lieu qui retient plusieurs jours par semaine pendant

plusieurs heures les enfants loin du regard et de la responsabilité de

leurs pères et mères. Avec la disparition des uniformes de collégiens et

des blouses d'écolier, la tenue des écoliers est largement laissée à

l'initiative des familles. Les injonctions des règlements intérieurs des

écoles sont généralement vagues et, de fait, rarement contraignantes.

Les familles vont-elle dans le sens d'une reconstitution ou d'une

négation de la spécificité de l'univers scolaire ? L'apparence des enfants

lorsqu'ils vont en classe présente-t-elle des caractéristiques particulières

afférentes à leur activité d'écoliers ou au respect d'exigences supposées

de l'école ? Nous le verrons, la rentrée est souvent l'occasion pour les

familles de donner une certaine emphase à la réponse qu'ils apportent,

concrètement, à cette question. Le travail sur l'apparence de l'enfant peut

être une façon de payer tribu à l'institution scolaire, d'atténuer le

traumatisme de la séparation, mais aussi d'envoyer en territoire étranger

un enfant marqué par les signes de l'attachement familial ou d'aider

l'enfant à s'intégrer à un groupe de pairs.

Le temps scolaire, avec ses caractéristiques propres, s'est

construit progressivement. Il n'a jamais connu une totale indépendance,

le calendrier des fêtes religieuses puis civiles, celui des travaux agricoles

puis de l'activité des stations de ski intervenant dans la délimitation des

vacances. Les années scolaires sont séparées les unes des autres par

les "grandes vacances" situées en été. L'année scolaire a pris une

importance croissante en tant unité de base du temps scolaire, scandant

le découpage du programme des apprentissages, et le passage d'un

niveau à l'autre. Les trimestres sont des sous-divisions infiniment moins

importantes.

Depuis les années 1960, avec la disparition des classes de fin

d'études, la suppression de l'examen d'entrée en sixième et la création

du collège unique, le temps scolaire, jusqu'alors différencié par la

diversité des cursus s'est unifié mais son tempo annuel s'en est trouvé,

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jusqu'à récemment, durci, rigidifié. La fourchette des âges des enfants

présents dans les divers types d'établissements s'est en effet fortement

resserrée. Les classes à plusieurs niveaux se sont raréfiées, et le plus

souvent les élèves en changeant de niveau changent aussi

d'enseignants (ce qui ne se produit pas en Italie'ou Üti Danemark par

exemple). La correspondance entre l'âge et l'année d'étude est devenue

une norme de plus en plus stricte, et le redoublement un stigmate,

compromettant la poursuite d'une scolarité satisfaisante. Le dernier

bulletin scolaire de l'année, indiquant si l'élève "passe" dans la classe

supérieure, est devenu l'événement majeur de l'année scolaire.

Depuis quelques années la rigidité de la temporalité du système

scolaire est attaquée de divers côtés. La réforme des cycles en limitant le

recours au redoublement diminue encore les écarts entre l'âge et le

niveau atteint mais atténue l'effet du découpage en programmes

annuels. L'un des soucis manifestés par les directives officielles est

d'assurer "la continuité pédagogique" entre maternelle et primaire,

primaire et collège, collège et lycée. On assiste donc à des tentatives

pour rendre moins heurtée, plus lisse, la succession des années

scolaires.

L'année scolaire, en décalage avec l'année civile, se clôturait

jusque dans les années 1960 par la cérémonie de distribution des prix,

sur laquelle les documents et les témoignages sont nombreux. Il n'en est

pas de même pour la centrée qui semble n'avoir janfàis été célébrée

avec éclat (6). Il n'en demeure pas moins que "la rentrée" débute

officiellement l'année scolaire (même si certaines écoles allongeant

l'année scolaire afin de pouvoir alléger les horaires journaliers ou

hebdomadaires, la rentrée n'intervient donc, plus à la même date dans

tout le pays). Les préparatifs des familles peuvent donner des

interprétations d'autant plus diverses de ce commencement, que les

caractéristiques du temps scolaire sont contradictoires.

L'un de nos objectifs était de voir si, à notre époque de

privatisation des croyances et d'universalisation de la scolarité, le temps

scolaire servait aux familles à scander l'avancée en âge de leurs enfants

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et à y découper des étapes. Le passage d'un degré à l'autre du système

scolaire se prête en effet à cet usage, car malgré les efforts récents que

nous venons d'évoquer, la façon dont l'école maternelle, l'école primaire,

le collège, traitent les enfants reste marquée par de profonds contrastes.

La disparition des cloisons verticales qui séparaient les divers types de

scolarité a d'une certaine façon accentué les différences existant entre le

fonctionnement des divers degrés d'enseignement : les collèges ne sont

ni des classes de "primaire supérieur", ni des premiers cycles de lycées.

II. L'ENQUETE.

A partir d'une préenquête réalisée auprès de cinq foyers, nous

avons interrogé, chez elles, une quarantaine de familles. Nos

interlocuteurs ont été tantôt l'ensemble de la famille, tantôt le couple

parental, tantôt un seul des parents, et dans ce dernier cas presque

toujours la mère. Nos questions portaient d'une part sur les préparatifs de

rentrée, les achats et les choix concernant la tenue et l'équipement

scolaire, les soins corporels ; nous avions établi des grilles aussi

détaillées et exhaustives que possible. Nous avons aussi interrogé nos

informateurs sur leurs préocupations, pragmatiques et symboliques, liées

aux préparatifs évoqués (voir annexes 1 et 2).

Chaque famille a été rencontrée au moins deux fois, quelques

jours après les rentrées de Septembre 1993, et Septembre 1994. La

première année, nous avons choisi" des familles dont un enfant venait

d'entrer en grande section de maternelle (10 familles, dont la moitié sur

chacun des sites), ou au cours préparatoire (10...), ou au cours moyen

deuxième année (10...),ou en sixième (10...). L'année suivante, lorsque

nous les avons rencontrés, les enfants venaient d'entrer dans la classe

suivante, puisqu'il n'y a pas eu de redoublant parmi eux (quatre familles

avaient déménagé, trop loin pour que nous puissions les revoir). Ce

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dispositif nous a permis d'étudier, pour chaque famille, les différences de

traitement de la première entrée dans un degré d'enseignement (CP et

6è), par rapport aux autres rentrées.

Notre objectif ne pouvait être de décrire l'ensemble des

préparatifs de rentrée, à travers la diversité des régionsret des conditions

sociales, mais de rechercher comment les préparatifs s'organisaient à

partir d'un tissage des références propres à la famille (religieuses,

sociales, etc) avec les références scolaires. Nous souhaitions pouvoir

nous faire une opinion quelque peu précise sur les affirmations

éventuelles des parents et des enfants concernant la conformité ou

l'originalité de leur choix concernant la tenue de rentrée. C'est pourquoi

l'essentiel de nos entretiens se sont déroulés dans deux périmètres

assez restreints : un quartier d'une banlieue ouvrière proche de Paris, et

un secteur géographique peu étendu dans le quartorzième

arrondissement de Paris.

La famille, tout comme l'individu, n'est jamais sans

appartenances. En particulier, le passé scolaire, la situation

professionnelle, qui jouent un rôle très important dans le mode

d'existence et la façon de se représenter le monde, informent les

pratiques qui nous intéressent. On pouvait donc s'attendre à ce que les

familles ayant une expérience de l'école et une position sociale

relativement similaires réagissent à la rentrée de leur enfant de manière

relativement semblable et qui les distingue de familles ayant d'autres

positions sociales et d'autres cursus scolaires. C'est pourquoi nous

avions choisi d'interroger des familles assez contrastées sur ces deux

"variables".

Dans les deux groupes choisis la majorité réside dans un

ensemble d'immeubles qui donne sa tonalité à la zone environnante. En

banlieue il s'agit d'une cité HBM, construite en 1930. Les normes de

surface et de confort sont devenues archaïques, et il y réside une

population à faible revenu. - A Paris il s'agit d'un immeuble privé

comportant plus de qua'fre cents logements, construit à Fä fin des années

soixante. Les loyers sont, pour Paris, modérés. L'immeuble abrite surtout

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des cadres, moyens et supérieurs, assez ou très diplômés mais ne

disposant d'un patrimoine important. Nos deux terrains sont donc,

socialement, assez contrastés, mais chacun des deux groupes n'est pas

pour autant homogène. En banlieue quelques unes des personnes

rencontrées habitent des pavillons et bénéficient d'un niveau

d'instruction et d'un niveau de vie élevés. Dans le quartorzième,

inversement, certains de nos informateurs ont fait des études courtes et

occupent des emplois peu qualifiés. Dans le premier terrain tous les

enfants fréquentent les mêmes établissements scolaires (écoles

maternelle et primaire, collège publics) ; dans le second, bien que

voisines les unes des autres, les familles n'envoient pas toutes leurs

enfants dans les mêmes écoles, mais dans les deux cas nous pouvons

mettre en relation- les pratiques de chaque famille avec celles d'un

environnement relativement cohérent et perçu comme tel par nos

interlocuteurs.

III. LE TRAITEMENT DES DONNEES ET LA PRESENTATION

DES RESULTATS.

Nos hypothèses nous incitaient à rechercher, à partir des

données recueillies, des préparatifs exprimant avec plus ou moins

d'intensité (peu ou beaucoup d'achats, soins du corps plus ou moins

complets etc..) l'importance accordée au "passage" que constituait la

rentrée. Les interviews décryptés nous engageaient également dans

cette direction. Ce n'est que peu à peu, en réinterrogeant les pratiques

de telle famille à partir de ce qui nous semblait apparaître dans telle

autre, que nous nous sommes rendu compte que les préparatifs

s'organisaient selon non pas une modalité plus ou moins intense, mais

trois systèmes distincts de règles simples, que nous avons appelés

« dispositifs ».

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Le premier chapitre décrit les configurations selon lesquelles

s'organisent les préparatifs de la plupart de nos informateurs. La

question du rapport des parents d'aujourd'hui à ce qui, selon eux, serait

une tradition est posée.

Les deux chapitres suivants exposent comment la rentrée est

traitée par certains, les «tout-neuf», par la conjonction du propre et du

neuf comme un événement inaugural, par d'autres, les «comme

d'habitude» comme un non-événement.

Dans le chapitre 4, après avoir analysé le troisième dispositif

que nous avons rencontré, nous essayons de préciser la notion de

« correct », utilisée par tous nos interlocuteurs mais avec des

connotations diverses.

Les trois premiers chapitres s'appuient essentiellement sur les

données concernant les enfants du primaire, les parents étant pour ce

degré d'enseignement les principaux ordonnateurs des préparatifs. Dans

les chapitres 4 et 5, l'influence des enfants, qui croît avec l'âge, est prise,

en compte. Dans le dernier chapitre, nous décrirons comment les

préparatifs de rentrée peuvent être l'occasion, pour les parents et les

enfants de marquer que ceux-ci ne sont plus tout-à-fait des enfants, et

nous aborderons les préparatifs de l'entrée en sixième et de la rentrée en

cinquième, dans ce qui les différencie des rentrées dans le primaire.

Notes.

1 ) Maurice Leenhardt : "Pourquoi se vêtir ? », Journal de la société des Océanistes. N° 58-59, Mars- Juin 1978. 2) Marie Thérèse Duflos-Priot, L'apparence et son bon usage dans la vie quotidienne et la presse magazine, Université de Nantes CNRS, 1987, Cahiers du LERSCO, n°9

3) Sur l'enfant support des croyances : Octave Mannoni, Clefs pour l'imaginaire ou l'Autre scène. Seuil, 1969..

4) Pierre Bonté- Michel Izard, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie , article « Rite », PUF, 1991. 5) Mary Douglas, De la souillure, étude sur la notion de pollution et de tabou, La

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Découverte, 1992 6) Laurence Wylie n'accorde pas une ligne à la rentrée scolaire ; il évoque en revanche l'entrée des enfants en classe enfantine à quatre ans révolus, en cours d'année scolaire. Laurence Wylie, Un village dans le Vauduse, Gallimard, 1968, p. 78. Même silence sur la rentrée dans Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979. Une ancienne couturière interrogée signale en passant « tn septembre, c'était les tabliers de la rentrée des classes », p. 228.

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I. DISPOSITIFS.

Après la mort fortuite de la femme en gris, son fils avança de deux mois la date de son mariage, se confondant ainsi à la coutume qui veut que la joie chasse la peine (...) Enfin, le cortège gagna la maison, où les enfants et les membres de la famille troquèrent leurs habits de deuil contre des vêtements neufs ; la cérémonie funèbre était achevée et, dans la soirée, la noce allait commencer (Chine du Nord), Yu Hua, Un monde évanoui, Philippe Picquier,1994,p. 87-89.

I. DES PRATIQUES CONTRASTEES.

Le fils de Mme Bara, Mathieu (1), pour son entrée au Cours

préparatoire, était habillé de neuf de pied en cap. "Maillot de corps,

chaussettes, slip neufs, j'ai refait l'équipement. Tout était neuf, il avait un

jogging neuf, tout, tout était neuf, le jogging, les sous-vêtements, la chemise,

le (blouson) Bombers, les baskets noires, des petites chaussettes bleues,

avec un petit motif pour garçon, tout était neuf". La chemise "en coton bleu,

qui était bien chaude et bien belle» "avait été offerte par les grands-parents

maternels. Le reste de la tenue a été acheté par la mère de Mathieu,

quelques jours avant la rentrée, en grandes surfaces. Pour remplir le

nouveau cartable, choisi par l'enfant, Mme Bara a acheté, sans attendre la

liste des fournitures demandées par l'école, une ardoise, un cahier, une

trousse, des crayons de couleurs, des feutres. L'enfant était allé récemment

chez le coiffeur. La veille au soir, Mathieu a pris une douche. Il en prend

une tous les soirs, mais "d'habitude il prend sa douche, je sais qu'il est

propre et je le laisse partir comme ça. Mais ce soir-là, c'est vrai que j'ai fait

attention : "Faut que tu sois beau, c'est l'école, faut te faire beau, fais voir tes

ongles, fais voir...", il en avait marre, il en avait plutôt ras le bol, le gamin".

Le matin, la toilette a été plus rapide "les oreilles, les dents, un petit coup

sur le visage, le mouchoir dans la poche, et c'est parti ! », mais non,

Mathieu n'était pas encore tout à fait prêt : "Je lui ai mis un petit parfum

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d'homme; c'était la premiere fois, donc il était assez fier". Ainsi lavé,

parfumé, ne portant sur lui aucun vêtement ou objet déjà utilisé, Mathieu est

entré à l'école primaire.

Damien Rieux entre au Cours préparatoire avec des vêtements

qu'il a tous déjà portés. "En terme de fringues et tout ça, j'ai pas éprouvé le

besoin, dit sa mère. Moi, j'aime pas trop acheter en septembre, parce que je

trouvé qu'il fait encore beau, donc j'aime bien utiliser encore un peu les

affaires d'été". Damien a un cartable pratiquement neuf, mais qui avait été

acheté au cours de l'année précédente, pas spécialement en vue de la

rentrée suivante. Dans son cartable, pas de fournitures neuves. "On n'a pas

fait d'achat spécifique, pas de feutres, de marqueurs, on attendait la liste

traditionnelle de la maîtresse". La veille de la rentrée, Damien, comme

d'habitude, a pris un bain; il ne s'est pas lavé les" cheveux. Madame Rieux

lui avait coupé les ongles et avait vérifié la propreté de ses oreilles le

dimanche soir, comme à l'ordinaire. L'enfant ira chez le coiffeur après la

rentrée.

Pour l'entrée au Cours préparatoire, Jean de la Combe ne porte .

rien de neuf. Il portait un bermuda "très chicos", dit sa mère (Jean aurait

préféré mettre un jean), un sweat bleu marine. "Je voulais qu'il mette une

jolie chemise, et puis lui voulait mettre un tee-shirt ou un polo, mais il a

accepté (...) Son papa avait tenu à lui mettre des chaussures, et non pas

des baskets, des chaussures bateau mais qui, quand même, le sortaient de

ses baskets habituelles ". En ce qui concerne les soins du corps, "bain,

douche, lavage de cheveux, et les ongles ...,j'ai fait une revue générale en

prévision de la rentrée". Jean n'avait pas les cheveux fraîchement coupés,

mais "// estallé chez le coiffeur, disons à la mi-Août, donc il n'y avait pas de

problème".

Si l'on confronte les pratiques et les choix de Mme Rieux et de Mme

Bara, une série d'oppositions apparaît : alors que Mathieu était habillé

entièrement de neuf, Damien n'avait rien de neuf sur lui. Alors que

Mathieu était briqué comme un sou neuf, Damien n'a eu droit à aucun soin

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particulier, et il ira chez le coiffeur après la rentrée, alors que les cheveux

de Mathieu ont été coupés avant.

En revanche, Mme Rieux et de Mme Bara ont toutes les deux opté

pour des vêtements qu'elles considèrent comme des tenues d'écolier (par

opposition aux vêtements de fête et aux vêtements considérés comme trop

usés ou trop décontractés), alors que les parents de Jean ont habillé leur

fils avec des vêtements systématiquement plus «chic» que sa tenue

d'écolier habituelle. Les soins du corps sont exceptionnels pour Jean

comme pour Mathieu, mais la coupe de cheveux du premier n'est pas très

récente. Jean, contrairement à Damien n'aura pas besoin d'aller chez le

coiffeur dans les jours suivants.

Il ne s'agit pas là de trois cas extrêmes, entre lesquels se situeraient

la plupart des autres préparatifs. Au contraire, dans presque tous les cas,

tout se passe, en ce qui concerne les contrastes ou les similitudes que nous

venons de souligner, comme si les familles agissaient à partir de principes,

de règles d'action s'appuyant sur un jugement de valeur.

Ces principes concernent la nouveauté, à laquelle les uns se

montrent favorables, les autres hostiles et le caractère « habituel» (notion

que nous serons amenés à préciser) ou au contraire « exceptionnel » que

doivent avoir les soins du corps d'une part, les vêtements d'autre part.

Ce qui frappe, c'est la façon exhaustive avec laquelle les parents

suivent leurs principes respectifs. Parmi les familles que nous avons

rencontrées il y a très peu de «plutôt du neuf» ou de «presque comme

d'habitude, mais pas tout-à-fait». Les familles qui habillent l'enfant de neuf,

rhabillent entièrement de neuf, à deux exceptions près, dont nous parlerons

; les « plus correct » appliquent cette règle à l'ensemble de la tenue, etc..

Les entorses aux «règles» proviennent le plus souvent de

l'intervention (bien acceptée d'ailleurs) de proches, point que nous

détaillons ci-dessous. Elles peuvent aussi venir de l'intervention de l'enfant,

mais jusqu'en sixième, ces interventions sont rares et localisées aux

chaussures ou à la coiffure. Nous les détaillerons au chapitre V., dans

lequel nous verrons aussi comment l'entrée en sixième, ou en cinquième,

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est parfois l'occasion, pour les enfants de bousculer les «regles»

reconduites d'année en année par les parents, parfois au point d'inverser

celles-ci.

II. PLUSIEURS «DISPOSITIFS»

Pour caractériser la façon dont s'organisent les préparatifs nous

avons retenu le terme de «dispositif», qui, selon le Petit Robert, évoque

dans sa plus ancienne acception l'idée de «se préparer à ... », mais aussi,

à partir du siècle dernier, la «manière dont sont disposes les pièces d'un

appareil», et pour les militaires I'«ensemble des moyens disposés

conformément à un plan». Les actes et les objets concourant à la

préparation de l'enfant sont organisés, «disposés», de telle manière que

leur réunion acquière une dimension symbolique forte et cohérente.-

Chacun des éléments constitutifs de la préparation de l'enfant à son

premier jour de classe prend sens, en interdépendance avec les autres.

Ainsi la "revue générale" qui a accompagné la toilette de Jean comme celle

de Mathieu n'a pas exactement la même signification, parce que les autres

éléments des préparatifs diffèrent.

La plupart des familles qui nous ont informés se répartissent entre

les «tout-neuf», les «comme d'habitude», et les «plus correct», chaque

catégorie mettant en oeuvre un dispositif particulier.

Les «tout-neuf»

- l'enfant est entièrement vêtu de neuf,

- il s'agit de vêtements qui seront mis pour aller à l'école les jours

suivants,

- les soins du corps sont particulièrement méticuleux,

- la coupe de cheveux est très récente, pour les garçons en tout cas.

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Les «comme d'habitude»

- l'enfant ne porte rien de neuf (vêtements ou sous-vêtements),

- il s'agit de vêtements qui seront mis pour aller à l'école les jours

suivants,

- les parents se sont abstenus de couper les cheveux de l'enfant, mais

ils prévoient que l'enfant aille chez le coiffeur dans les jours qui suivent la

rentrée,

- la rentrée n'a en rien modifié le rythme habituel des soins du corps;

bain, shampooing, vérification de l'état des ongles etc., ont eu lieu ou non

dans la mesure où la veille ou le matin de la rentrée correspondait avec le

jour de la semaine où ils s'effectuent normalement.

Les «plus correct»

- l'enfant ne porte rien de neuf (vêtements ou sous-Vêtements),

- la tenue est plus «correcte», ou plus «chic» que d'habitude, c'est une

tenue qui conviendrait pour un anniversaire ou une visite aux grands-

parents,

- les soins du corps sont particulièrement méticuleux,

- l'enfant a eu les cheveux coupés, assez longtemps avant la rentrée

pour qu'il n'ait pas l'air, ce jour-là, de sortir de chez le coiffeur, mais pas au

point d'avoir besoin d'y retourner dans les jours prochains.

Le statut particulier du cartable.

Mathieu est" parti pour l'école avec un cartable neuf rempli de

fournitures neuves ; Damien et Jean avaient des cartables achetés durant

leur scolarité en maternelle, et qui contenaient du matériel scolaire déjà

utilisé. Pourtant le cartable et les fournitures scolaires ne sont pas

systématiquement neuf pour les «tout-neuf», et jamais neuf pour les

«comme d'habitude» et les «plus correct». Certains enfants «tout-neuf»

arborent fièrement pour leur entrée à la grande école le cartable transmis

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par un aîné, et presque tous les parents qui proscrivent le neuf marquent

cependant le jour de la rentrée au Cours préparatoire par l'achat d'un

cartable (2). Ce fait est à mettre en relation avec le statut de cet accessoire,

car le cartable est un objet bien particulier : acheté par les familles, faisant

le va et vient entre la maison et l'école comme le reste de la tenue, il se

distingue de celle-ci en étant purement scolaire, il est un "morceau d'école"

qui, même détaché de l'espace scolaire, ne perd jamais son statut exclusif

d'attribut de l'écolier. Crayons, cahiers, gommes, peuvent être utilisés par

les enfants à des fins privées, pas le cartable. Le sac à dos, par contre, est

polyvalent ; adopté par presque tous les collégiens, il s'introduit de moins

en moins discrètement dans le primaire, mais le cartable règne encore au

Cours préparatoire. Il est le symbole de l'accès à la Grande Ecole mais il est

aussi, dans la tenue de rentrée, l'élément le plus détachable de l'enfant.

Ce que nous avons repéré comme éléments constitués en

«dispositif» concerne plus étroitement, plus directement, l'être de l'enfant ;

ils n'agissent pas seulement sur l'apparence de l'enfant, mais ils

contribuent à mettre l'enfant dans un certain «état», en une certaine

«manière d'être».

L'intime et l'apparence

L'apparence que les parents cherchent à donner à l'enfant

correspond en partie à leur souci des convenances ; ils se préoccupent du

regard qui sera porté sur lui. L'apparence des enfants, comme celle des

adultes est concernée par le savoir-vivre.

Les parents «tout-neuf» estiment que «la rentrée c'est du neuf», ils

cherchent à ce que l'enfant fasse bonne impression sur l'enseignant, et

veulent permettre à l'enfant de rivaliser avec ses petits camarades. Les

«comme d'habitude» et les «plus correct», au contraire, estiment que «le

neuf, c'est ridicule», et que les enfants, le jour de la rentrée, ne doivent pas

être « trop bien léchés ».Opposés, d'une façon générale, aux tenues

« endimanchées», les «comme d'habitude» aiment acheter des habits

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pour leurs enfants, et (à deux exceptions près) ils ont en réserve des

vêtements pour les fêtes et les occasions exceptionnelles, vêtements qui

n'ont pas été jugés convenables pour la rentrée. Dans tous les cas, les

parents pensent agir, et se soucient d'agir, «comme il convient», et «comme

les autres».

Mais dans les préparatifs que nous avons étudiés, ainsi sans doute

qu'en bien d'autres circonstances, l'intime et l'apparence sont solidaires.

L'être et le paraître ont partie liée. Les efforts ne sont pas exclusivement

consacrés à l'aspect extérieur, au "costume" que l'enfant doit revêtir pour

jouer son rôle ; ils concernent aussi les parties cachées du corps, soins

corporels et sous-vêtements. L'importance de l'intime apparaît clairement

dans le cas d'une mère de famille, Mme Bongo, qui fait partie des gens

pour qui "la rentrée c'est le neuf et ça a toujours été". En 1994, elle a réussi

à habiller presque entièrement de neuf ses deux enfants, mais l'année

précédente elle n'y était pas parvenue, et avait dû demander l'aide du

vestiaire municipal. Elle insiste beaucoup au cours de l'entretien sur son

désir que ses enfants soient vêtus "comme les autres », mais ce désir n'est

pas seul en cause, ou ne concerne pas une conformité de pure surface,

puisqu1 elle a tenu à ce que le neuf soit présent, dans les chaussures, mais

aussi dans les sous-vêtements, donc invisible. L'impératif de porter quelque

chose de neuf est, en tous les sens du terme, intériorisé. Il s'intègre à un

souci de rénovation qui va au-delà du souci de l'opinion d'autrui.

Les pratiques et les choix, à l'intérieur de chaque dispositif, vont

dans le même sens, donnant sens à la rentrée, et lui attribuant un seul

sens, différent d'un dispositif à l'autre. Ceux qui soignent particulièrement la

toilette corporelle de l'enfant, l'habillent et l'équipent de neuf, agissent dans

tous les domaines en faveur d'une rénovation.

Symétriquement, si leur apparence avait été seule en cause, les

enfants qui sont entrés à l'école sans vêtement neuf, auraient pu mettre des

sous-vêtements neufs. Ils auraient pu avoir les ongles coupés la veille, et

leur mère aurait pu vérifier qu'ils étaient propres derrière les oreilles sans

risquer que les écoliers paraissent «trop» propres ; mais les soins du corps

obéissent au même souci que le choix des vêtements : éviter l'exceptionnel.

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Les parents qui mettent à l'enfant des vêtements sortant de l'ordinaire

des jours de classe habituels, marquent une attention particulière à la

propreté et ils ont veillé à ce que les cheveux aient une longueur qu'ils

jugent correcte, mais la nouveauté est strictement évitée aussi bien dans la

coiffure que dans la tenue.

Tout se passe donc comme si un effet de synergie était recherché

entre le visible et l'invisible, pour agir dans le sens soit de la «pérennité» de

l'être de l'enfant, soit de sa mise dans un état particulier, de renouvellement

ou de plus grande rigueur.

Interventions extérieures.

La cohérence parentale ou maternelle a été parfois perturbée par des

interventions extérieures, ponctuelles, ou de grande ampleur.

Ainsi peut-on noter dans la tenue de Mathieu Bara une chemise qui

est, selon les critères de sa mère, un vêtement trop «habillé» pour l'école,

mais cette chemise est un cadeau des grands-parents.

Certaines familles qui "ne font rien" pour la rentrée, acceptent

pourtant l'intervention de personnes proches qui tiennent, elles, à introduire

du neuf.

Ce peut être un simple accessoire ;- ainsi les enfants Reboul se

voient offrir une trousse par leur grand mère. La tante des enfants Mardain

"pour qui c'est très important d'avoir un vêtement neuf pour la rentrée, leur a

acheté un vêtement à chacun. C'était un pull pour Jérémy. (Avec elle) y a

toujours quelque chose qui marque la rentrée, pas forcément un vêtement.

Ca a été d'offrir un cartable d'autres années". Mme Robles pour qui la

tenue de classe idéale est "celle qu'on oublie", raconte : "On avait acheté

des chaussures en Espagne -c'est les grands parents qui avaient voulu

absolument les offrir pour la rentrée scolaire. Des chaussures qu'elles ont

eu un peu de mal à supporter, parce que c'était la première fois qu'elles les

mettaient l Elles ont voulu les mettre alors que j'avais dit de mettre des

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chaussures un petit peu plus souples parce qu' il faisait beau ; mais enfin,

bon, c'est plutôt leur caprice à elles, ça." Si la chevelure de Hugo Martins a

été "rénovée" pour son entrée au CP, ce n'est pas du fait de ses parents : "

Hugo n'arrêtait pas de dire qu'il voulait se faire couper les cheveux :j'ai une

copine qui est instit, qu'on a vu en vacances, et qui lui a dit "tu devrais te

faire couper les cheveux, l'école...!""

L'intrusion du neuf peut être beaucoup plus massive :

Pour l'entrée au Cours préparatoire Audrey Portel, sa mère et l'ami

de celle-ci avaient veillé à ce qu'elle ait "une tenue correcte", "des affaires

propres" mais "pour la rentrée, pas plus que d'habitude". Cependant, nous

l'avons vu, elle avait eu les cheveux coupés pour la rentrée, et une toilette

plus complète que d'ordinaire. L'année suivante, elle est habillée "tout neuf,

acheté par la mamie (la mère adoptive- du père de Audrey chez qui elle a

passé ses vacances). Ca a été fait exprès, c'est mamie qui l'a dit "ce sera

pour le jour de la rentrée". Et j'ai dit "si mamie a dit ça, on mettra pour le jour

de la rentrée". Elle a même eu les chaussettes, la culotte, le T shirt". Ce

dernier détail montre que l'esprit et pas seulement la lettre des intentions de

la "mamie" est perçu et accepté. Pour cette rentrée au CE1, Audrey a eu les

oreilles percées et des boucles d'oreilles.

Pour l'entrée en 6è, comme pour les autres rentrées, Anissa Hadim

qui vit avec sa mère, divorcée, mais voit régulièrement son père, a été

équipée de neuf de pied en cap par la famille paternelle. Elle fait les

boutiques avec son père, qui lui achète un stylo et un sac à dos luxueux,

avec sa grand-mère et sa tante qui choisissent avec elle des vêtements et

des chaussures à la mode. En ce qui concerne les soins du corps, Mme

Hadim a fait comme d'habitude. La mère est hostile à « l'apparat ,»et en

particulier pour la rentrée, Mais, dit-elle, "je respecte, parce que quand un

enfant est dans deux modes de vie pratiquement totalement différents, la

personne qui élève l'enfant peut pas remettre en question l'autre.-Si on veut

que son enfant ait un certain équilibre il faut pas toujours croire qu'on a

raison, qu'on est dans le bon chemin ; c'est pour ça.... »

Ce qui nous paraît remarquable, concernant l'attitude des parents vis-

à-vis de ces interventions, est le fait qu'ils acceptent l'intrusion, tout en s'en

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tenant, dans leurs propres choix à une extrême rigueur. Le donateur n'étant

pas présent le jour de la rentrée, les parents pourraient trouver des

prétextes, pour que l'enfant, finalement, n'aille pas chez le coiffeur, ou ne

mette pas la veste neuve le jour de la rentrée, mais cela supposerait qu'ils

agissent de façon délibérée , en ne faisant « rien » ; il faudrait qu'ils

prennent conscience de l'importance qu'ils accordent aux préparatifs, ce

qui serait contradictoire avec leur volonté de ne pas attacher d'attention aux

préparatifs matériels de la rentrée.

Entrées et rentrées

Si l'on s'en tient aux pratiques et aux choix des parents eux-mêmes,

ce qui frappe c'est leur caractère rigoriste et systématique, ainsi que la

reconduction de l'application des mêmes «principes» d'une année à l'autre.

Le respect des mêmes règles laisse peu de place à la distinction entre les

entrées, au cours préparatoire et en sixième, des rentrées « ordinaires ».

Ainsi, Madame Bara habillant entièrement de neuf ses enfants pour chaque

rentrée, accordant chaque année une attention méticuleuse aux soins du

corps, rénovant chaque année leurs coiffures, seul le «petit parfum

d'homme», et le cartable, distinguent l'entrée de Mathieu à la grande école

des rentrées en maternelle. L'entrée au collège n'amène pas

systématiquement une modification du dispositif qui a présidé aux rentrées

du primaire. Nous interrogerons d'abord cette constance, avant de décrire

et d'analyser, au chapitre V ce qui, éventuellement va distinguer entrées et

rentrées.

Les préparatifs présentent le plus souvent, une cohérence qui

correspond aux trois dispositifs décrits. Mais certains cas n'entrent pas dans

nos schémas. Nicolas Taunais n'avait pas de vêtements neufs le matin de

la rentrée, bien que ses parents lui aient acheté un sweat et des t-shirts;

mais les vêtements de rentrée, qui ne différaient pas de vêtements de

classe habituels, avaient été repassés ce qui est quelque peu inhabituel. Il

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avait des baskets neuves "C'était des Nike, le papa les avait promises,

c'était quelque chose entre eux, un cadeau, ça participait à la rentrée".

L'achat s'est fait en famille. "// y a eu quelques petits rituels" dit Mme

Taunais, pour commenter l'achat des baskets de marque. Nous

envisagerons plus loin le rôle particulier des chaussures dans les tenues de

rentrée, mais ce "rituel" positif n'est pas resté isolé : la veille de la rentrée,

"il y a eu le bain, le shampooing, les ongles, tout, je les ai astiqués". "Surtout

qu'ils venaient d'un mois de vacances", ajoute Mme Taunais, mais le retour

était intervenu une semaine avant, donc il y a bien eu toilette

exceptionnelle. En ce qui concerne les cheveux : "Je voulais qu'il aille chez

le coiffeur avant la rentrée au CP, mais il n'était pas d'accord, et son papa

non plus". Il semble donc que les préparatifs hésitent dans l'interprétation à

donner de la rentrée. Mais nous hésitons nous-mêmes, peut-être s'agit-il

d'un dispositif donnant de cet événement une représentation originale ?

Aurélie Esposito entre au Cours préparatoire avec des vêtements

neufs et le shampooing du dimanche soir a été décalé pour intervenir la

veille de la rentrée; mais les sous-vêtements n'étaient pas neufs et les

cheveux ont été coupés pendant les vacances.

Audrey Portel arrive pour la première fois à la grande école, sans

aucun habit neuf, mais les soins du corps ont été particulièrement

méticuleux et sa coupe de cheveux est toute nouvelle...

Le nombre restreint des familles interrogées, le fait aussi que nous

n'ayons enquêté que dans des milieux restreints (et en particulier ni en

province ni dans les «beaux quartiers») ne permet de dire ni quelle est la

fréquence de chacun des trois dispositifs repérés, ni si d'autres dispositifs

existent. Il semble néanmoins possible d'affirmer que les préparatifs ne

s'éparpillent pas à l'infini, et ne se répartissent* selon des variables

continues (de tout neuf à rien de neuf etc.). Cette discontinuité des

caractéristiques des préparatifs, leur tendance à s'organiser en dispositifs,

nous paraît lié au fait que lespratiques des parents constituent des prises

de position par rapport à la rentrée. Elles transforment le caractère

composite et contradictoire de l'événement, en opérant un choix parmi les

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diverses interprétations possibles, et en luttant contre les interprétations

rejetées.

III. TRADITION, RITES ET RITES NEGATIFS.

I Le système de règles à partir duquel nous les avons classés n'est

[ que partiellement délibéré par les «tout-neuf» et les «plus corrects» ; quant

aux «comme d'habitude», ils n'ont pas conscience du caractère

• systématique de leurs pratiques.

Les parents ayant agi comme madame Bara, sont tous des gens

1 "modestes", ou très modestes, ayant été peu ou pas scolarisés. L'allocation

. de rentrée les encouragent sans aucun doute, matériellement et

I psychologiquement, à renouveler en Septembre la garde robe des enfants ;

- mais d'une part, certains bénéficiaires agissent «comme d'habitude»,

I d'autre part certains «tout-neuf» ont procédé à leurs achats longtemps à

( l'avance. Les «tout-neuf» revendiquent l'inscription de leurs préparatifs

dans une tradition associant le neuf à la rentrée, et admettent d'emblée la

( d i m e n s i o n symbolique de leurs pratiques.

Les «comme d'habitude» se situent par rapport à la même «tradition»,

• mais pour s'en démarquer :" Je trouve ridicule de les habiller de pied en

* cap neuf le jour de la rentrée, je ne rentre pas dans ce truc-là, les rites,

| comme ça." Les enfants, le jour de la rentrée, ne doivent pas avoir l'air

•* "trop" préparés : "Les enfants qui arrivent trop bien peignés, trop bien

l léchés, trop bien vernis, sont un peu tournés en ridicule, c'est à dire que

c'est mal perçu maintenant, ça a changé ça." Les « comme d'habitude »

considèrent qu'ils n'ont pas fait de préparatifs de rentrée. I ï i i

t

Invocation de la tradition.

Les foyers «tout neuf » se réfèrent à une tradition ; certains

revendiquent de la perpétuer, d'autres, qui n'ont pas été scolarisés,

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viennent s'y inscrire en s'inspirant d'une expérience qui leur semble

transposable.

"La rentrée, c'est du neuf, ça a toujours été et ce sera toujours, c'est

comme une coutume", affirme Mme Bara, dont la famille est originaire du

sud-ouest et qui a passé son enfance à Villejuif, dans la banlieue

parisienne. Selon Mme Bris, originaire de Rungis, dans l'Essonne : "On

préparait comme moi je fais, ça a toujours été comme ça, je sais pas

pourquoi. Chez mes parents, le jour de la rentrée, j'étais toujours habillée

en neuf, alors j'ai continué, c'est ...je sais pas pourquoi... ». Mme Rabade

évoque son enfance à la Réunion : "Avec ma mère, il fallait avoir tout neuf,

tout, chaussures, chaussettes, cartable, même si le cartable était encore en

bon état'. La façon dont nos interlocutrices ont justifié l'achat de vêtements

neufs pour la rentrée "ça a toujours été comme ça", pouvait évoquer les

réponses notées par Françoise Zonabend à propos de ce qu'elle repère en

tant que "résidus d'anciens rites". Ces vestiges ont subis une "usure

sémantique", comparable à celle qu'ont connue les noms, propres, mais

sont restés des rites, dit l'auteur, en tant que "rites-mémoires" . Leur

maintien a pour but "à l'intérieur d'un groupe donné de relier les

générations les unes aux autres, de les inscrire dans un temps familial ou

social commun" (3). Ici, nous ne sommes pas en présence de survivances

ayant perdu toute autre signification que le lien avec le passé, puisque,

nous le verrons, ces préparatifs servent à opérer des découpages dans la

temporalité et l'espace d'aujourd'hui, mais il est significatif que le « neuf »

soit ici associé au respect d'une tradition. Notre propos n'est pas d'étudier

les origines de cette tradition. L'important n'est pas pour nous de savoir si

la tradition associant le neuf et la rentrée est ancienne et quel a pu être son

degré de généralité, mais qu'elle apparaisse comme telle. Notons

cependant que même dans des sociétés "sans histoire" dans lesquelles les

rites sont censés immuables, des changements interviennent. Ainsi que l'a

souligné par exemple Jack Goody, la transmission dans les sociétés orales

est toujours recréation (4).

Ce qu'il faut prendre en compte, d'abord, c'est l'acceptation de se

placer dans ce qui est supposé être une tradition, mais l'on peut supposer

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qu'un tri entre les divers types de vêtements s'est opéré, éliminant les

vêtements « trop habillés », tandis que l'exigence du neuf se radicalisait.

Il ne s'agit là que d'une hypothèse, appuyée sur des données éparses .

Lorsque Madame Bris déclare « le jour de la rentrée, c'est des affaires

neuves, on a toujours fait ç a »Nathalie, l'aînée, commente : « Chaque

rentrée scolaire, une jupe écossaise I La jupe ...J'aimais pas ça ». Ses

parents interviennent pour se justifier :.« Oui, mais dans le temps .... », dit

la mère, « C'est plus pareil maintenant », renchérit monsieur Bris. Nathalie

a seize ans, et il apparaît donc qu'en quelques années les Bris ont modifié

la tradition dont ils se réclament : la tenue de rentrée n'est plus une tenue

de fête Nous avons vu que, pour la rentrée, les parents de Madame Bara

offre à Mathieu une chemise, type de vêtement que la maman, elle, n'aurait

pas inclus dans ses préparatifs. Madame Hervé, 25 ans, mère célibataire

sans travail, garde un souvenir terriblement cuisant de sa tenue de rentrée

au CP, à Gehtillij., où elle habitait déjà la cité : « Oui, avec une robe à

fleurs, des chaussettes vertes (rire). Ah je m'en rappellerai toujours de la

robe.^C'est ma mère qui m'avait, pas acheté, on lui avait donné des affaires,

et puis y avait cette robe à fleurs, elle était magnifique, pour elle du moins.

Mais ça faisait vraiment portugais; j'étais bonne pour aller à carnaval, j'étais

bonne à aller faire le clown dans un cirque. Ils m'ont tous mis en boite et

tout "-T'es pas belle avec ta robe ! "¡je suis rentrée chez moi, je pleurais, "-

Je veux pas retourner à l'école! "; ma mère du coup a jeté la robe, et puis

après par la suite c'était jogging et toute la clique ».Tout en restant dans la

même condition sociale, extrêmement précaire, que ses parents, Mme

Hervé a adopté, pour ses enfants, ce qui lui apparaît comme une coutume

à laquelle ses parents étaient extérieurs . Il est probable que ceux-ci

n'avaient pas su s'adapter à l'évolution excluant de la rentrée les « beaux

habits ».

Mme Benali, ainsi que M et Mme Abid, établissent explicitement

une parenté entre la rentrée et la fête de l'aïd, relevant de leur tradition, fête

dans laquelle interviennent purification et vêtements nouveaux. La

transposition de cette tradition n'a pas été sans inconvénient pour Sonia

Benali . "Je lui ai mis du henné, c'était la première fois pour ma fille. Mon

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mari il a rouspété parce que il a dit "elle avait des beaux cheveux avant",

elle avait des cheveux châtains clairs, châtains, et même au soleil avec des

reflets blonds ¡mon mari il a rouspété, il a dit "pourquoi tu as fait ça ? ", j'ai

dit "écoute, moi, ...".parce que je voulais qu'elle change de couleur de

cheveux. Je me suis dit ça va faire joli ça va donner un reflet roux, et j'ai fait

ça (rire). Je me suis dit : ça va la changer un peu. ».

Mais Mme Benali qui souhaitait assurer la meilleure rentrée

possible à Sonia a mis celle-ci dans rembarra. "Ma fille, le jour qu'elle est

revenue de l'école, elle me dit "Maman tu me fais deux trois shampooings".

Je lui ai dit "- Ecoute, je l'avais fini ta tête". Elle me dit "- Parce que les

enfants ils rigolent à l'école » . J'ai dit "- Qui c'est qui rigole? ", elle me dit "-

Ils m'ont dit que j'avais les cheveux rouges".". Je lui ai dit : "- C'est rien, ça,

c'est parce que ils savent pas ce que c'est, tu as pas les cheveux rouges, tu

as les cheveux roux». Elle voulait absolument que la couleur s'en aille ! J'ai

dit "- C'est trop- tard maintenant, tu auras toujours' cette couleur de

cheveux!"(rire). Le henné ça fortifie les cheveux, ça les fait pousser". Malgré

cette justification d'ordre sanitaire, c'est bien aux fêtes de l'Aïd que pense

Mme Benali, fêtes, qui au sortir du Ramadan, exigent que l'on s'habille de

neuf et où le henné participe des rites de purification. En mettant du henné

sur les cheveux de sa fille, Mme Benali a sans doute voulu faire un

compromis. Parlant de ce produit elle explique en effet : " J'en mettais avant

dans les mains, dans les pieds. Mais la grande il veut pas, elle m'a dit

"Maman, tu fais juste un petit peu dans les mains, il veut'pas parce que elle

se sent gênée vis à vis des copines, des copains". Pour la rentrée scolaire,

Sonia n'a pas eu de henné dans les mains, mais dans les cheveux, ce qui

pouvait passer pour une préoccupation purement esthétique ; "Je me suis

dit, ça va faire joli, ça va donner un reflet roux". Il semblerait que Mme

Benali ait voulu, pour aider sa fille à entrer dans un monde qu'elle même,

connaît mal, utiliser tous les moyens symboliques dont elle pouvait

disposer.

Les « tout-neuf >» , mise à part madame Hervé, ont manifesté une

certaine réticence à détailler leurs souvenirs de rentrée, et nous avons *.

respecté cette réticence. Peut-être celle-ci est-elle liée au fait qu'ils ont

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I ' m

J incorporé ces souvenirs, les faisant revivre dans la préparation de la rentrée

t de leurs propres enfants, et qu'ils ne désirent pas prendre de la distance

par rapport à ce passé revivifié, parce qu'ils seraient amenés à mesurer les

¡ modifications qu'ils ont apportées aux pratiques de leurs parents. La façon

dont ils se remémorent la rentrée ressemble plus à une invocation qu'à une

i évocation.

\

Souvenirs des « comme d'habitude »

Les parents qui n'ont pas renouvelé la tenue de l'enfant adoptent

eux aussi, lorsqu'ils évoquent les rentrées de leur enfance, l'idée qu'il

existait une «coutume», qu'ils n'éprouvent plus le besoin de respecter.

Leurs souvenirs sont souvent plus détaillés que ceux des « tout-neuf »,

qui, nous l'avons vu, se bornent le plus souvent à affirmer la congruence du

neuf et de la rentrée. Bien que l'idée de neuf, sous forme d'achats, mais

aussi d'odeur, domine dans les souvenirs, le renouvellement complet de la

tenue est loin d'être toujours affirmé. Le tablier et les chaussures étaient

neufs, ainsi que le papier pour recouvrir les livres, mais le reste ?

Les souvenirs de rentrée de Madame Calvari sont marqués par le

neuf , rejoignant donc ceux des tout-neuf : « J'étais en banlieue et je me

souviens que pour la rentrée c'était des vêtements neufs, l'important était

axé sur les vêtements neufs. Et puis, pratiquement, toujours, du matériel

neuf, à chaque rentrée scolaire ».Madame Pietri qui souligne l'importance

que revêtait la rentrée dans son enfance, évoque aussi le neuf, mais insiste

sur le caractère particulier des habits : « robes, un peu plus que

d'habitude », nécessité d'être « coquette » ; «J'habitais le Maroc. Il y a

une odeur qui me revient au niveau de la rentrée, c'est l'odeur du plastique

neuf, le plastique qu'il y avait sur les tables. Je me rappelle. (...) On

s'habillait particulièrement pour la rentrée. Il y avait des achats pour la

rentrée. C'était des robes, un peu plus que d'habitude, on marquait le coup,

il fallait être coquette, tout devait être neuf, de la tête aux pieds. Cartable,

crayons, tout ça c'était du neuf. Je sais qu'à l'époque, le jour de la rentrée,

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c'était un événement et tout concordait vers cet événement». Elle

commente : «Mes parents marquaient vraiment la rentrée. On était déguisés

pour la rentrée. Je crois qu'à l'époque on était habillés en fonction des

circonstances, pour les fêtes il y avait un habit particulier».

Ce sont aussi les souvenirs olfactifs qui reviennent en premier à la

mémoire de Madame Fharas : "D'abord ça sentait les cahiers neufs, les

chaussures neuves. A l'époque on achetait vraiment que pour la rentrée.

Ca sentait le cuir neuf, les chaussures, le tissu, les crayons, les gommes et

tout». Puis elle croit pouvoir dire qu'elle et ses frères et soeurs étaient

« habillés de neuf complètement », mais elle nuance ensuite « habillés

de neuf du moins en apparence, peut-être pas les petites culottes, les

maillots de corps, parce que moi j'étais la dernière des enfants, donc on

devait se repasser (les sous-vêtements) » ; elle réfléchit encore : « ... Je

pense que, même, maman devait pas m'acheter de vêtements neufs, mis à

part les chaussures... il fallait aussi acheter une blouse, parce qu'on

mettait une blouse à l'époque, un tablier».

« C'était quelque chose de beaucoup plus rituel, au niveau des

achats » déclare Madame Reboul, mais les achats qu'elle évoque sont

finalement peu nombreux : « Il y avait les tabliers et puis quand même pas

mal de préparatifs pour la rentrée ; on achetait des chaussures, on achetait

les cahiers, les livres etc. Le papier pour recouvrir les livres, aussi, on avait

ça, recouvrir les livres avec le papier ». Madame Rieux hésite, lorsqu'elle

évoque les préparatifs maternels : « Elle nous aurait tout mis neuf ce jour-là

que ça m'étonnerait pas. Je me souviens, les chaussures, le tablier, à

l'époque il y avait le tablier, le cartable ... et il me semble les habits, les

habits j'ai du mal à me rappeler. Ma mère nous emmenait chez le coiffeur

avant la rentrée des classes, et elle nous récurait de fond en comble ».

Pour Mme Puche, « la rentrée des classes c'est vraiment une paire de

chaussures neuves, je ne sais pas pourquoi, ça doit être que ça devait être

comme ça quand j'étais petite ; donc je regrette de pas l'avoir fait, mais,

bon, je le ferai la semaine prochaine." Mme Puche a en fait respecté le

tabou du neuf, comme toutes les mères qui enverront leur enfant chez le

coiffeur une semaine après la rentrée.

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Ces évocations, plus précises que celles des « tout-neuf »,

| tendraient à confirmer l'hypothèse selon laquelle ces derniers auraient fait

évoluer la tradition, en radicalisant le recours au neuf, et en renonçant aux

| habits de fête.

i F Interprétations proposées par les « comme d'habitude »

Certaines de nos informatrices, comparant leur attitude à celle de

leur mère, proposent des interprétations des différences qu'elles perçoivent

Madame Pietri, que nous venons de citer, met l'accent sur urie

tendance générale à ne plus célébrer les événements par des vêtements

particuliers (5).

Mesdames Fharas et Râteau pointent la modification du rythme des

achats : « On n'avait que ça pour l'année, c'était pas du tout comme

maintenant (...) A l'époque il fallait marquer le coup, c'était une coutume,

tous les gens faisaient pareil, je crois. On achetait pour l'année scolaire,

bon, peut-être que pour la rentrée, c'était l'automne, après c'était le

printemps, et puis l'été ... Peut-être trois fois dans l'année, mais la rentrée

scolaire d'abord. » ; « C'était : on fait la garde robe en début d'année

scolaire. On savait qu'il fallait que ça dure toute l'année ; pas question

qu'on change de baskets tous les 15 jours ! On peut pas comparer ». Il est

sans doute exact que les pratiques d'achats de vêtements se sont

modifiées. Du renouvellement en une fois, à chaque saison, de la garde-

robe, on est passé aux achats fractionnés et multiples ; les allocations de

rentrée freineraient ce changement dans les foyers les plus modestes.

Autre milieu, autre époque, estime madame Fharas, qui habite le

grand immeuble, dans le XlVè : « Nous, on habitait quand même dans le

XVIè, c'était un autre milieu, par rapport aux petites camarades dont les

parents avaient de bonnes situations, on voyait des différences. Pour nous

c'était propre, c'était toujours impeccable, mais ce n'était pas le luxe, le

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grand luxe comme dans le 16è à l'époque. Maman faisait comme elle

pouvait, il fallait un peu égaliser les autres enfants, ou les autres parents.

Pour les enseignants aussi je crois qu'à l'époque ça comptait beaucoup

plus. " Selon madame Fharas, « Maintenant tous les gamins s'habillent

pareils, tous les enfants vont en jeans, alors qu'à notre époque les enfants

ne s'habillaient pas de la même façon ».Ainsi Madame Fharas, qui a des

revenus très modestes, estime que la mode juvénile actuelle, moins

marquée par les appartenances sociales, a résorbé le problème des tenues

de rentrée, en tout cas dans le quartier qu'elle habite aujourd'hui, car elle

hésite sur la situation dans le XVIè : « Maintenant ça a beaucoup changé,

dans le XVIè on s'habille un peu tous pareils, mis à part les petits smocks,

les petites chaussures anglaises »

Pour madame Rieux, comme pour "madame Fharas, « d'abord,

c'était une époque, deuxièmement, c'était un milieu familial », mais c'est

sur le changement des relations avec l'école qu'elle insiste : « Parce que

moi, j'étais d'un milieu modeste, aller à l'école, c'était un événement. Ma

mère voulait nous signifier toute l'importance que ça avait. (...) Il faut dire

que je suis issue d'une famille assez modeste, très modeste, puisque mon

père était docker sur le port de Marseille, avec une maman très volontariste

sur les études ». Madame Rieux est très sensible à la dimension

symbolique des préparatifs auxquels se livraient sa mère : « Ma mère était

très attachée aux symboles, la rentrée, elle, c'était plutôt les vêtements

neufs, les trucs neufs. Il me semble qu'elle était plus marquée par les

symboles que ce que je peux l'être moi... Est-ce que c'est parce que je

travaillé dans l'enseignement ? Est-ce que c'est quand même que le CP ...

on va avoir le temps d'en faire des rentrées scolaires ! Pour nous, moi, prof

à la fac, mon mari informaticien, l'école, c'est banal »

Selon Madame Calvari, les préparatifs de sa mère répondaient à la

fois aux mêmes préoccupations que celles de la mère de madame Fharas,

et au même rapport à l'école que celui de la mère de Mme Rieux : « Mes

parents avaient des moyens très modestes mais je pense qu'ils avaient à

coeur que leurs enfants se montrent le premier jour sur leur plus beau jour.

Et peut-être parce que eux n'avaient pas été à l'école très très longtemps, je

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pense qu'ils avaient envie que pour les enfants ce soit tellement important,

que ça puisse peutzêtre aussi leur donner le goût-d'aller plus loin ». Elle

donne une portée-générale aux différences d'attitudes qu'elle constate

entre sa mère et elle : « Je crois que les parents avaient envie que,

extérieurement, leurs enfants soient peut-être plus marquants que les

autres, alors qu'aujourd'hui on a l'impression que l'aspect extérieur a moins

d'importance qu'avant. Et puis je pense qu'aujourd'hui on a plus confiance

dans l'école qu'avant. Les parents avaient peut-être des appréhensions.

Maintenant les parents font plus confiance, on est peut-être moins

angoissés». Elle généralise aussi pour conclure : « C'était un rite qui je

pense a disparu. Aujourd'hui c'est beaucoup plus banalisé. »

« Chacun mvestit sur ce qu'il peut investir, dit Mme Rieux, ma mère,

elle était jamais allée à l'école, alors elle avait du mal à me dire ce qui allait

se passer l'année d'après. Donc elle investissait sur ce qu'elle pouvait

investir ». Les gens plus instruits verbaliseraient, plutôt que de passer par

des rites.

Rites négatifs

Il y aurait eu une « coutume », un « rituel » de rentrée

portant sur l'apparence de l'enfant, tradition qui serait en voie de disparition.

Les parents n'accorderaient plus guère d'importance à la façon dont

l'enfant se présente à l'école le premier jour de l'année scolaire. Mais, dans

tous les domaines, ainsi que le note Mary Douglas, ceux qui refusent la

tradition ont eux-mêmes toujours des prédécesseurs qui ont opposé le

caractère figé et contraignant des rites au caractère spontané de leurs

propres pratiques (6). Si un rite apparaît artificiel et creux, c'est bien parce

qu'il ne correspond »plus aux problèmes qu'il contribuait, sur son mode

particulier, à résoudre. Soit ces problèmes ont disparu, et le rite devient

sans objet, soit la situation que le rite contribuait à formaliser s'est modifiée,

la problématique a changé, et d'autres rites apparaissent.

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Or, les familles qui disent n'avoir "rien fait de spécial » pour la

rentrée, ont mis une grande rigueur à ne rien faire. Si chacun des éléments

(vêtements déjà portés, pas de coupe de cheveux, toilette habituelle) peut

sembler fortuit, leur rassemblement évoque les "rites négatifs" mis en

évidence par Marcel Mauss. Celui-ci, voulant faire admettre leur existence

à côté des rites "positifs", argumentait : "ne pas faire est encore une action,

un acte d'inhibition est encore un acte, ce n'est pas un phénomène négatif"

(7). Pour une partie des parents, le jour de la rentrée, le neuf est tabou, au

sens que Mauss donne à cette notion. "C'est sous la forme d'interdit rituel

qu'on traitera les tabous. Les tabous sont avant tout circonstanciels. Si un

chrétien jeûne pendant le carême, c'est pour manger gras le jour de

Pâques, faire maigre le vendredi est un rituel positif autant qu'un rituel

négatif". Notons cependant que s'appliquer à manger de la viande le

vendredi était devenu rituel pour certains anticléricaux, alors qu'aujourd'hui

l'habitude de manger du poisson le vendredi (toujours proposé ce jour-là

par les cantines) s'est vidée pour beaucoup de Français de son caractère

rituel. Le rite", positif ou négatif, peut devenir "usage", pour reprendre la

terminologie de Mauss, mais nous pensons que la façon dont ces familles

n'ont "rien fait de spécial" pour préparer l'entrée de l'enfant à l'école, est

trop systématique, trop, cohérente pour qu'elle n'ait pas été régie par le

souci, précisément, de ne rien faire de spécial.

L'absence de préparatifs particuliers n'est pas contradictoire avec

l'importance accordée à la rentrée, elle est l'une des modalités possibles de

la représentation de celle-ci.

Ayant décrit comment s'organisent les préparatifs de rentrée il s'agit

maintenant de voir comment ces configurations interviennent sur le temps et

l'espace pour y situer la rentrée.

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Notes.

1 ) Tous les noms et prénoms sont fictifs. Certains entretiens ont été menés avec non seulement la mère, mais aussi le père, l'enfant lui-même, et parfois des frères et soeurs. 2) Ce point est détaillé au chapitre V.

3) FrançoiseZonabend, "Rites et vie quotidienne" in Les rites de passage aujourd'hui, Actes du colloque de Neuchâtel 1981, L'Age d'homme, 1986. 4) Jack Goody, La raison graphique, Minuit, 1977., Entre l'oralité et l'écriture, PUF, 1993. 5) Arnold Niederer, « Eléments de ritualité dans la vie quotidienne », " in Les rites de passage aujourd'hui, opus cité. 6) Mary Douglas, De la souillure, étude sur la notion de pollution et de tabou, La Découverte, 1992"* 7) Marcel Mauss , Manuel d'ethnographie, Payot, 1967, p. 237.

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II. LA RENTREE DES TOUT-NEUF

Le cinquième jour du cinquième mois lunaire, les femmes et les enfants mettaient des vêtements neufs et dessinaient sur leur front le caractère wang avec du réalgar dilué dans du vin. Shen Congwen, Le passeur de Chadong, 10/18, Albin Michel, 1990p. 31-32. (Uhine, Province du riunan, début du XXè siècle. Le caractère Wang, qui signifie Roi, est censé assurer une protection contre les maladies et les esprits malfaisants; le réalgar, de couleur rouge, est également une protection contre le pestilences)

Dans le calendrier des soins du corps et des tenues vestimentaires

des tout-neuf, la rentrée occupe une place bien particulière. Il s'agit pour les

familles de faire en sorte que l'enfant soit « comme les autres ». Mais le

neuf et le propre participent aussi à la renaissance d'un espace-temps

autonome, celui de l'école. Le pouvoir hiératique de l'institution scolaire est

reconnu par les tout-neuf, qui souhaitent se mettre au-dessus des soupçons

qui pèsent sur les familles « défavorisées ».

I. COMME TOUT LE MONDE ?

Les tout-neuf considèrent que « tout le monde », et en tout cas les

gens qui se respectent, habille de neuf les enfants pour la rentrée. Ce jour-

là l'enfant doit être « présentable », non seulement aux enseignants, mais

aux autres parents et aux enfants. Dans cette « présentation » , c'est

l'honneur familial qui est engagé. Pour Mme Bara, par exemple, il ne s'agit

pas seulement de protéger son enfant d'une éventuelle dépréciation, c'est

son propre honneur qui est engagé : "J'étais très fière de voir mon fils très

beau, très bien habillé, c'est ma grande fierté".

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Le regard des autres.

Mme Hervé explique " C'est pas question qu'ils avaient pas (de

vêtements en bon état), c'était pour faire bien, quoi... Parce que les autres

ils allaient avoir du neuf, alors eux, ¡'voulais qu'ils ayent du neuf aussi, quoi,

je voulais que mes filles soyent bien pour la rentrée de l'école, quoi,

qu'elles soyent propres, bien habillées et tout. C'est pour dire que moi

aussi, je peux me permettre, je suis toute seule avec mes enfants et je peux

me permettre de les habiller aussi. Je veux pas que les gens disent que

mes enfants sont mal habillés, sont ci, sont ça, quoi. Moi, mes enfants, c'est

tout pour moi. J'aime bien qui soyent bien. Mme Benalr a habillé ses

enfants de neuf, entre autres raisons, " parce que la plupart du temps, les

gens ils sont tous bien habillés pour la rentrée, alors moi, j'ai fait pareil, j'ai

dit, moi, je vais bien habiller ma fille, comme font certains parents pour leurs

enfants."

Le rassemblement à la porte de l'école, après la dispersion des

vacances, est vécu comme un concours. L'enfant est engagé dans une

compétition de prestance dont il ne doit pas sortir humilié. Il faut, en cette

occasion, aider l'enfant à participer à une compétition. Ainsi que l'explique

Mme Soumba, son sentiment personnel, qui la pousse à soigner

l'apparence de ses enfants, lui paraît rejoindre un devoir de tout un chacun,

un usage commun, sanctionné officiellement par les autorités légales : « -

Moi j'ai toujours aimé que les enfants soient bien habillés, c'est agréable de

voir un enfant propre et bien habillé. C'est pour ça qu'on a des aides

comme l'allocation pour la rentrée scolaire; et puis elle , bien présentable,

c'est bien; quand les gens voient l'apparence de tes enfants, même pour le

respect de l'enfant, c'est bien; si on peut, on doit le faire »

Dès le CP, et même en maternelle, l'opinion des enfants les uns sur

les autres entrent en ligne de compte dans les préparatifs. Mme Bara

affirme que tous les enfants sont habillés de neuf lejour de la rentrée et elle

ajoute : "Même les enfants, à chaque rentrée, entre eux, ils en parlent : "-Tu

as vu un tel, il avait rien de neuf, -Moi, tu as vu, j'ai mes tennis, -Moi, tu as

vu, j'ai mon blouson". Il faut pas que les mômes ils se sentent lésés par

rapport aux autres. Si les parents n'ont pas de revenus assez, ils peuvent

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pas acheter ce qu'ils veulent aux enfants, les momes le ressentent, c'est

méchant entre eux les gosses »

Mme Benali, si incertaine de sa capacité à communiquer avec les

autochtones, précise "donc, je me suis dit elle va prendre du neuf, comme

ça, elle va pas se sentir gênée vis à vis des autres enfants, quoi... Je sais

pas si je m'exprime bien, je sais pas si j'arrive à me faire comprendre... » .

Selon Mme Soumba : « La rentrée ça c'est quelque chose I, dans la tête

des enfants, et même des parents; tous les parents se préparent pour ça...

Le premier jour de la rentrée entre les enfants, c'est sûr, ils se regardent,

hein! » Le souci que l'apparence de l'enfant ne gêne pas, mais au

contraire favorise son intégration à son groupe de pairs est donc présent

. dès les premières années de la scolarité. Nous verrons plus loin comment

l'enfant, en grandissant, prend appui sur cette préoccupation pour faire

valoir ses préférences concernant sa propre apparence.

Comme il faut.

Les «< tout-neuf » habitent tous, sauf un, dans l'un des deux

périmètres où nous avons enquêté, celui de la banlieue Sud de Paris. Tous

ceux qui habitent ce quartier sont locataires dans la cité HBM, cité

inconfortable mais aux loyers très faibles. Le jour de la rentrée, le neuf ne

fait pas l'unanimité à l'entrée des écoles (maternelle et primaire) et du

collège. Certains résidants de la cité, et les deux familles que nous avons

rencontrés dans des pavillons du quartier n'ont « rien fait »pour la rentrée.

Ces adeptes du « comme d'habitude » ont eu aussi l'impression de faire

« comme les autres », et « comme il convient ». Cependant, dans ce

quartier, s'il n'y a pas unanimité en faveur du neuf, chaque famille « tout-

neuf » peut appuyer ses préparatifs sur" l'existence de préparatifs

similaires. Ce n'est pas le cas pour les Delage, dont les enfants fréquentent

une école où les « comme-d'habitude » prédominent nettement. Les

Delage se sont préoccupés du regard des autres, et en particulier des

enseignants . Ils ont mis des habits neufs à leur fils « parce que ça lui fait

plaisir, à lui, je crois; et puis on a envie de le présenter bien, qu'il soit

mignon, qu'il soit bien habillé. Parce que beaucoup de gens attachent aussi

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beaucoup d'importance à ça, et que des fois y a des jugements qui sont

faits... Les enseignants .... donc y a ce que nous on veut montrer » . Les

Esposito, une des familles dont les préparatifs ne correspondent pas à l'un

des trois dispositifs que nous analysons peut être citée ici : les habits sont

neufs, mais pas les sous-vêtements. La mère, cadre moyen habitant Paris,

insiste sur l'importance de l'esthétique et son désir de rendre ses fillettes

« agréables à regarder, comme un tableau ».

Mais la préoccupation du regard d'autrui ne peut être la seule

motivation des « tout-neuf » puisque, nous l'avons vu, la nouveauté des

vêtements s'inscrit dans un dispositif où l'invisible intervient. Le neuf est

ressenti comme une obligation morale autant et plus que sociale, et qui est

spécifiquement attachée à ce moment de l'année.

II. LE CALENDRIER DES SOINS DU CORPS ET DE

L'APPARENCE DES TOUT-NEUF

Mme Bara, pour la rentrée, a « refait l'équipement », achetant de

quoi habiller entièrement de neuf son fils Mathieu, mais aussi ses deux

filles. Ainsi que les autres tout-neuf, même si la rentrée au CP est pour elle

i particulièrement importante, toutes les rentrées de septembre donnent lieu

* à un renouvellement exhaustif de la tenue des écoliers ; « c'est tous les

T ans pareil, avec chaque enfant, chaque rentrée ».

Noël et l'anniversaire des enfants Bara sont d'autres points du

r calendrier qui sont susceptibles d'être marqués par des achats de

vêtements, mais le renouvellement, à ces occasions, n'est ni complet, ni

ressenti par Mme Bara comme une « obligation ».

Le reste du temps, les achats sont ponctuels, un pull, ou un

F pantalon de jogging, et ils ne sont pas liés à une date particulière. Ils se font

au gré des bonnes occasions : « En période de soldes, quand je vais faire

1 des courses et que j'aperçois des pulls de jogging ou des pantalons pas

très chers, j'en prends ». Pour les achats de vêtements, en dehors de la

I préparation de la rentrée, Mme Bara essaye de temporiser, elle ne fait ni

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d'achat d'impulsion, ni d'achat en prévision de besoins ultérieurs : « En

principe j'attends que les affaires soient quand même usées, parce que je

peux pas me permettre d'en acheter si souvent que je le voudrais. A part la

rentrée scolaire où je fais des frais, j'attends un petit peu». Avant la rentrée,

au contraire, Mme Bara achète « pour la rentrée et pour les autres jours, en

prévision ». En cours d'année il s'agit pour Mme Bara de répondre à

l'usure des vêtements de Mathieu, et au désir de l'enfant. « Quand il me dit

"maman j'en ai marre de mes baskets, j'en voudrais d'autres", ou bien "/'/ y a

ça qui me ferait plaisir", si je peux, j'y vais et je lui prends ».

Mis à part la rentrée, et, mais de façon beaucoup moins

systématique, les fêtes de fin d'année et les anniversaires, le neuf n'est pas

utilisé par Mme Bara pour marquer des temps sociaux; le rythme des achats

suit, non sans difficultés et restrictions obligées, les besoins et les désirs

des enfants.« A part Noël, où je les arrange un petit peu plus, parce que

c'est quand même une très belle fête, et ça a lieu avec des belles affaires,

sinon, non, je leur mets pas des super affaires... Parce queje sais que ça va

pas durer longtemps, ils se roulent par terre, ils jouent avec la boue, etc.,

donc c'est pas la peine ». La tenue de rentrée se caractérise par sa

nouveauté, mais les habits choisis pour cet événement serviront pour les

autres jours d'école, tant qu'ils ne seront pas déchirés ou trop élimés, puis

ils seront utilisés le mercredi, le dimanche, et les jours de vacances. « Le

jour de la rentrée, lui, le maître et les enfants voient, comme lui, ses affaires

pour la première fois ; après ils les verront régulièrement, c'est remis ».

Les vêtements d'anniversaire ne sont pas différents des habits de classe; ils

peuvent ne pas être neufs, mais doivent être en bon état. « Pour les

anniversaires, on va pas mettre de jeans troués ou des pulls rapiécés, mais

sans plus». Par contre les vêtements destinés aux fêtes de fin d'année sont

différents ; la tenue de fête comporte volontiers du neuf, mais n'est pas

caractérisée par celui-ci : « Noël, c'est la chemise, le petit noeud papillon

'etc., alors que la rentrée c'est une tenue décontractée, mais belle. C'est pas

•pareil du tout». Notons que la tenue de rentrée de Mathieu comportait une

chemise, élément qui fait partie, selon sa mère, de la tenue réservée aux

fêtes de fin d'année, chemise plus « collet monté >» que le T shirt qui

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accompagne d'habitude son jogging ou ses jeans d'écolier : cette chemise

est un cadeau de ses grands-parents maternels, elle constitue une intrusion

des proches dans le dispositif de rentrée, phénomène du même ordre que

la présence d'un élément neuf dans la tenue des « comme d'habitude ».

Mme Bara oppose les vêtements dans lesquels les enfants sont

« guindés »aux habits qui ne sont pas «serrés» : « Au lieu de lui

prendre un jogging qui va lui serrer, qui va être en tissu assez épais, je vais

prendre un truc en toile un peu plus large que sa taille, en principe je lui

prends des chaussures une pointure un peu plus large, au cas où l'hiver il

met des chaussettes. Il y a des affaires très belles mais les mômes sont

guindés dedans, c'est pas bien. Je veux qu'il se sente bien dans sa peau,

pas trop serré ». Par ailleurs, les vêtements de rentrée, comme tous íes

habits non destinés aux fêtes de fin d'année, ont été choisis « un petit peu

à la mode ».

La tenue d'écolier de Mathieu, par rapport à sa tenue de fête, est

« décontractée »Cette décontraction est limitée par l'état des vêtements

jugé compatible avec l'école : « // est certain que le mercredi, je vais lui

mettre les jeans troués ou usés, et puis je lui dis "traîne-toi avec, y a pas de

problème", que les jours d'école, je le ferais pas. Il y a une différence : les

mercredi et les dimanche, je le mets en tenue vraiment décontractée, je fais

pas attention que ce soit troué ou pas, il s'amuse, il déchire ses affaires, et

puis voilai ».

Mathieu, pour la rentrée, avait subi des soins du corps

particulièrement méticuleux, mais il se douche tous les jours, y compris le

mercredi et le dimanche. Ces jours-là, explique Mme Bara, « Je pars du

principe que, du moment que physiquement il est propre, le reste ça n'a pas

trop d'importance, si ce n'est les jours d'école ». Mme Bara oppose donc la

propreté du corps, nécessaire tous les jours, au « reste », c'est à dire aux

vêtements déchirés ou usés, proscrits de l'école.

Le calendrier des tenues de Jean-Marc Bris est très semblable.

Chaque été, depuis que Jean-Marc va à l'école, la famille Bris profite du

séjour dans sa petite maison en Bourgogne pour constituer peu à peu sa

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garde-robe des mois à venir, et en particulier sa tenue de rentrée, en

"profitant des promotions" des grandes surfaces. Jean-Marc Bris était en

jeans pour son premier jour à l'école élémentaire, vêtement plus «chic»,

selon sa soeur aînée que les joggings eux aussi achetés en Côte d'or :

« En jeans ça fait mieux, ça fait plus chic. Il est à la mode mon frère ! Il suit

les conseils de sa grande soeur ». Mais il n'était pas question, toujours

selon elle, d'habiller ce jour-là Jean-Marc, en « pingouin »: « Y a des

mecs ils se baladent, costard cravate, ça fait pingouin ça ! » Les autres

jours d'école l'enfant est souvent en jogging ; le jean est plus « correct »

que le jogging, mais reste une tenue « simple ».adaptée à l'école. A la

question «- Esf-ce que ça ressemblait à un habit de fête ?», le père et sa

fille aînée répondent ensemble : « - Non, c'est un habit de travail. »

La tenue de fête de l'enfant est différente de la tenue de rentrée,

mais n'est pas une tenue de cérémonie « En costume, il y resterait pas.

Lui, habillé en costume, non », explique le père, et la grande soeur-

renchérit : « // supporte pas les chemises boutonnées jusqu'en haut, alors,

non, non». Mais, « il a un pantalon à pinces en velours, il a une chemise, il

a de beaux pulls en laine : il a de quoi s'habiller, un habit correct ». La

famille Bris, qui n'a pas pu installer de véritable douche, utilise un tub le

Mercredi et le Dimanche soir pour doucher Jean-Marc. Il s'agit des veilles

de retour en classe, et les soins du corps sont donc ici rythmés par l'école.

Pour les enfants tout neufs, le jour de la rentrée, le balisage du

temps et de l'espace opéré par les tenues et les soins du corps peut être

plus simple ou plus complexe que dans les foyer Bara et Bris.

Des tenues peu variées

Jérôme, n'a pas à proprement parler de tenue de fête. « Si il y a

une sortie, un Noël, un réveillon, on ira acheter quelque chose qui sortira de

l'ordinaire,- mais qu'il mettra après pour tous les jours ;ils sont à l'âge où on

grandit ». En dehors~de ces rares occasions, « c'est toujours le même

style, jean, sweat, baskets, toujours dans le simple, des vêtements dans les

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quels il se sente bien, qu'il soit à l'aise, qu'il puisse se permettre de

s'asseoir par terre, s'il en a envie». Certaines- occasions sont donc

marquées par du neuf, mais sans renouvellement complet de la tenue ; le

vêtement « qui sort de l'ordinaire », chemise ou gilet, n'en sort pas

suffisamment pour être tenu en réserve; cependant, le jour de la rentrée, il

n'en apparaît pas de telle sorte dans la tenue de Jérôme Delage. Alors que

Mathieu entre au CP en jogging, dans ce foyer, le jogging est réservé aux

jours de gymnastique et, avec les vêtements usagés, au mercredi.

Dans ces familles où, les occasions de « s'habiller » étant peu

fréquentes, les enfants n'ont pas le temps d'user les vêtements de fête, le

nombre de ceux-ci^st limité, alors que d'autres foyers, plus festifs, ou/et,

comme les Rabade, pratiquants religieux, les vêtements de fête sont d'un

usage plus fréquent et sont plus nombreux et renouvelés plus souvent.

Des garde-robes à multiples compartiments.

Des tenues contrastées contribuent à délimiter nettement les

sphères d'expériences des enfants Rabade : « Les affaires de l'école, c'est

l'école ; les affairesjpour aller au patronage, centre aéré, c'est patronage,

centre aéré, parce q"ue ce sont des choses même si elle les a abîmées, je

vais pas faire la guerre ¡je tiens à ce qu'il y ait la barrière Ecole, Patronage,

et Fêtes ».

Comme les mères de famille " précédentes, Mme Rabade

« déclasse » les vêtements d'écolier, lorsqu'ils sont trop usagés ou

déchirés : « Les jours de classe, elle met jeans, jogging. Le mercredi, c'est

encore autre chose, elle mettra des jeans, ou un jogging, mais les habits

qu'elle porte à l'école, elle les met pas le mercredi ». La nécessité d'être

« propre et correct » à l'école est nettement affirmée : « Pour l'école, je

fais attention que /es. vêtements soient pas déchirés, pas sales, sans bric à

brac, faut pas que ce soit des affaires abîmées. Si c'est abîmé, elle ira pas à

l'école avec, jamais ».

Mais de plus, en cours d'année, Mme Rabade met en relation les

achats de vêtements avec le calendrier scolaire et avec des

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« événements » de nature scolaire : elle marque chaque petite rentrée

par un vêtement neuf, et fait coïncider les achats de vêtements nécessaires

en cours d'année, avec les résultats scolaires de Patricia : « Moi, je base

sur l'école, parce que je tiens à ce qu'elle apprend, donc, y a des bonnes

notes, je ramène un truc ; c'est pas du chantage, non. Je travaille dans

Paris, quand je passe, je vois un truc qui est pas trop cher, hop, je prends.

Dans le mois, je peux lui acheter deux trucs. »

Et pourtant les soins du corps maxima, sauf pour la rentrée, ne sont

pas dictés par l'école. C'est le samedi soir que les enfants se lavent les

cheveux, avec, si nécessaire un « shampooing-poux »,car le dimanche,

la famille va à la messe. Les enfants Rabade ont des « habits du

dimanche » , qui appartiennent à la catégorie des habits de fête : « il faut

être bien habillé pour aller à la messe ». Les occasions de mettre des

habits de fête sont beaucoup plus nombreuses pour les enfants Rabade

que pour Mathieu et ses soeurs, Jérôme, ou Jean-Marc : « On est tout le

temps invités, vous savez, on fait la fête souvent, donc y a souvent cette

occasion de s'habiller. C'est pour ça que je tiens à ce qu'ils soient bien

habillés, sans excès, mais bien habillés. Les fêtes, c'est s'il y a un baptême,

une communion, mariage, et puis Noël, le jour de l'An (...) Quand on va au

mariage, au baptême, j'achète un truc. Nous, on ne va pas à la fête avec un

jogging, on va à la fête avec un smoking, un tailleur, un truc habillé».

Mme et M. Soumba, sont arrivés du Mali en 1974, et leurs cinq

enfants, dont l'aînée a 19 ans, sont nés en France. Ils sont musulmans, et

« Thabit du dimanche » n'est pas leur référence, mais la diversité des

tenues accompagne leurs appartenances plurielles. «Le 31 décembre

c'est la fin de l'année, ...Noël, nous on est pas des chrétiens, on est des

musulmans, mais puisqu'on est dans un pays où ça fait plaisir à tous les

enfants, nous on le fête pour eux ».

Les achats importants de vêtements s'effectuent « trois fois dans

l'année : là maintenant, on peut dire que c'est le moment le plus qu'on

dépense des sous ; et puis pour Noël et le 31 décembre, comme on fait la

fête avec les enfants il y a des choses spéciales pour les soirées, les

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enfants on les habille bien, plus les cadeaux. Pour les fêtes c'est pas

beaucoup, un ensemble à chacun pour passer la fête parce que les

grandes filles et les garçons ils sortent pour aller danser, il faut leur acheter

un truc. La fille de 11ans elle veut une robe parce qu'elle fête avec nous.

Quand l'été commence aussi, ils peuvent plus porter les trucs d'hiver, donc

on retourne aux magasins pour acheter les polos, les chemises, les trucs de

chaleur ».

« Quand je fais des achats pour la rentrée, je profite d'acheter au

moins 3 ou 4 complets que je mets de côté : ça c'est pour quand je sors

avec eux, parce qu'il y a des fois on a des invitations, des dimanches pour

sortir, ça c'est spécial, queje garde moi-même pour habiller les enfants. Je

mélange pas avec les vêtements qu'ils amènent pour l'école ».

« Les grandes fêtes c'est un autre habit, ils s'habillent même en

Africains des fois, quand on va dans nos fêtes africaines, par ex les

mariages, des baptêmes, ou des vedettes qui viennent de chez nous qui

font des concerts, et ils s'habillent comme tout le monde. On les habille en

Africains pour qu'ils apprennent comment s'habiller. J'ai des affaires du

pays, qu'on coud, des robes qu'elle peut pas mettre pour aller à l'école.

C'est moi qui les garde, pour les sorties ».

Conclusion : Un temps fort, et spécifique

La rentrée, au niveau de l'apparence de l'enfant, fait partie des

temps forts du calendrier, au côté de ce que les'familles désignent sous le

terme de « fêtes ». Mis à part Noël et le.jour de l'an, que les tout-neuf, y

compris les musulmans, célèbrent tous par de beaux habits, le nombre et la

nature des moments fêtés par la tenue de l'enfant sont très variables.

Certains enfants n'ont pas de « tenue de fête », mais tel ou tel vêtement

qui sort "un peu de l'ordinaire, d'autres une tenue un peu plus « habil lée »

que les tenues ordinaires (pantalon à pince, chemise, pull-over de laine,

pour reprendre l'exemple de Jean-Marc, se distinguant du jean, T shirt,

sweat ou haut de jogging) , ou plus extraordinaire, comme le noeud

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papillon de Mathieu. D'autres disposent de plusieurs tenues, comme les

enfants Soumba.

Un trousseau

Sauf les Bongo, les familles « tout-neuf » que nous avons

rencontrées dépensent plus en vêtements pour la rentrée que pour les fêtes

de fin d'année. Mme Bongo, originaire du Cameroun dispose d'un budget

très faible. « Les approches de Noël, c'est le grand moment que j'achète,

beaucoup plus que la rentrée. C'est Noël et le nouvel an, là où on sait que

c'est obligé, et donc on va mettre un peu plus dans l'habillement. Parce que

chez nous c'est comme ça :pour Noël, il faut s'habiller, il faut se faire beau,

c'est à peu près comme la rentrée ici.». Mais, si, dans les autres familles,

les dépenses vestimentaires de rentrée sont les plus importantes de

l'année, ce n'est pas que la tenue de rentrée soit très coûteuse, c'est qu'à

cette occasion la famille procède comme si elle avait à constituer un

trousseau à l'enfant, alors que Mme Bongo doit se résoudre à faire appel au

vestiaire de la mairie: Mis à part M. et Mme Soumba qui procèdent à un

renouvellement massif des vêtements au début de l'été, les « tout-neuf »,

en dehors de la rentrée et des approches de Noël, cherchent à échelonner,

à fractionner les achats. Sans aucun doute les allocations de rentrée

favorisent un tel rythme d'achats, mais elles ne suffisent pas à l'expliquer.

Certains, comme les Bris ou les Rabade, n'attendent pas l'allocation pour

engager les dépenses, d'autres en sont bénéficiaires sans pour autant faire

partie des « tout-neuf ».

Une tenue pour l'école.

La tenue de rentrée des « tout neuf » se distingue de toute autre.

Certains des enfants rencontrés ont eu cependant d'autres occasions de

renouveler complètement leur garde-robe :les enfants Soumba qui partent

dans les centres de vacances de la mairie, et les enfants Rabade pour leur

« première communion ». Mme Bris se souvient que dans son enfance

« on préparait comme moi je fais, pour chaque rentrée. Comme quand

on allait en colonie de vacances ». Nous reviendrons sur les points

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communs et les différences entre la rentrée, le départ en colonie, et la

« première communion ». Les fêtes de fin d'année et les cérémonies

familiales sont aussi des circonstances qui appellent à l'achat de vêtements

neufs, mais pour aucun enfant il n'est signalé que tout doit être neuf, y

compris les sous-vêtements. Notons que dans ces familles, Noël ou le jour

anniversaire de la naissance peuvent être l'occasion d'offrir un vêtement

« de tous les jours », mais quelque peu coûteux aux enfants plus âgés

(blouson, ou habit « de marque »), mais les enfants de cinq ou six ans,

eux, reçoivent des jouets, ils ne considéreraient pas les vêtements comme

des cadeaux.

La tenue de rentrée marque, comme les tenues de fêtes, le

caractère particulier des circonstances, mais elle n'est pas une « tenue de

fête ». Mme Bongo établit clairement la distinction entre les tenues

adéquates à Noël et celles convenables à la rentrée : « C'est une grande

chose le jour de la rentrée, oui il faut le faire le plus beau possible. La

différence c'est que, pour la tenue de la rentrée il faut qu'il soit comme les

autres camarades, à peu près. Tandis que l'autre, disons, comme on a parlé

de Noël, il n'est pas obligé de s'habiller pour s'approcher des camarades, il

s'habille surtout comme nous on veut. S'il avait une cravate à mettre, on va

pas lui mettre pour aller à l'école ». Mme Bongo poursuit ses explications :

« La différence, c'est que les habits de tous les jours pour la classe, il faut

qu'il soit à l'aise, survêtement et tout ce qui s'en sort, alors que les habits du

dimanche c'est pas pareil non, les habits du dimanche, c'est pas pour

danser ou pour courir. Parce que les habits du dimanche, il faut faire

attention, par exemple après la messe on rentre etil faut les retirer pour pas

les abîmer, il faut pas salir. Si il y a des amis qui nous invitent, ils mettent

ça » Il est intéressant de noter que les enfants Bongo ne vont pas à la

messe, et que le dimanche, s'ils restent en famille, ils se « mettent à

l'aise ». Mais la tenue adéquate à une cérémonie religieuse sert ici de

référence aux tenues « habillées ».

La tenue de rentrée est une tenue d'écolier : l'enfant doit être vêtu

« comme les autres », etil doit être « à l'aise ».dans des vêtements qu'il

pourra abîmer. Mais, nous l'avons vu, les vêtements cesseront d'être

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mettables en classe à partir d'un certain degré d'usure, ou s'ils ont été

déchirés.

Ainsi que l'exprime Mme Soumba, les préparatifs particuliers

inscrivent certaines dates dans la mémoire : « Pour la rentrée, moi je trouve

qu' un enfant doit être vraiment bien habillé, c'est très important, surtout

quand on est jeune, c'est des souvenirs qu'on garde, la rentrée, les fêtes".

La rentrée, pour les tout-neuf fait incontestablement partie des événements

mémorables. S'interrogeant sur les rapports entre les festivités et l'objet de

la fête, François - André Isambert remarque : « On fête toujours quelque

chose, même si l'objet est futile (une rencontre, un avancement etc.). Le rôle

du symbole n'est pas alors de simplement signifier l'objet, l'événement,

mais de le célébrer, d'utiliser tous les moyens d'expression pour faire

apparaître la valeur que l'on attache à cet objet ». (1) La première

caractéristique des préparatifs des tout-neuf est que, par la mobilisation

exceptionnelle qu'ils demandent, ils instituent le premier jour de l'année

scolaire en moment d'une valeur exceptionnelle, que l'on ne peut ni ne doit

laisser passer, que l'on doit retenir.

Une date critique.

Les préparatifs des « tout-neuf » contribuent à faire du premier jour

de classe une « date critique », selon la formule de F-A Isambert : « La

date critique interrompt la continuité du temps, et instaure un temps

différent » (2). Mais le temps dans lequel pénètre l'enfant revêtu des habits

de rentrée n'est pas celui de la fête. Le jour de la rentrée, il n'y aura pas de

repas meilleur que d'habitude, de chansons ou de danses, mais l'appel des

élèves, l'entrée dans une classe et la prise de possession, souvent

provisoire, d'une place assise dans "celle-ci, peut-être la lecture ou le

résumé du règlement, les premiers exercices, bref, des activités organisées

par les enseignants, dans l'école, et qui n'ont rien de festives. C'est cet

univers scolaire qui est traité, par les tout-neuf, comme un temps "différent de

tout autre. C'est pourquoi les moyens choisis pour mettre en exergue cette

journée sont différents de ceux utilisés pour d'autres temps forts. Alors que

les tenues de fête se distinguent des vêtements ordinaires, c'est la

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nouveauté seule qui rend exceptionnelle la tenue de rentrée, qui sinon est

une tenue « ordinaire ». Mais cet ordinaire désigne les jours de classe ;

les vêtements usés, rapiécés, et (pour les Delage) les joggings, sont dans le

même rapport aux vêtements de classe, que les vêtements « ordinaires »>

aux habits de fête : il serait déplacé de les utiliser, les à l'école, les autres

pour la fête. Il s'agit donc de comprendre à quelle interprétation, à quelle

représentation, de la rentrée travaillent le neuf et le propre.

111. SACRALISER LA RENTREE ?

En dehors de la rentrée, la conjonction du renouvellement complet

de la tenue et l'extrême propreté intervient, dans certaines familles, en

deux autres circonstances fort dissemblables en apparence : le départ en

cojonie de vacances (ou en classe de nature ou de mer), d'une part, la

première communion d'autre part. En ces deux circonstances, lorsque

l'enfant est « rénové », la famille met l'accent sur le fait que l'enfant passe

sous une autorité autre que familiale. Il pénètre dans un temps-milieu (3)

différent de celui qu'il quitte. La conjonction du propre et du neuf interprète

la rentrée comme le franchissement d'une frontière qui délimite un

« ailleurs », ayant quelque chose à voir avec le sacré, ou, pour employer

un terme de Rudolph Otto qui a l'avantage de ne pas avoir de connotation

religieuse, avec le « numineux », c'est à dire avec des forces ambiguës, à

la fois bienfaisantes et dangereuses. Les préparatifs pour un départ en

colonie de vacances permettent de mieux comprendre que la

« sacralisation » de l'école n'a pas forcément à faire avec le religieux.

Le costume de première communion des petits garçons , la robe du

dimanche des communiantes (aujourd'hui le plus souvent dissimulés par

l'aube) peut aider à comprendre la nature du temps célébré par la tenue de

rentrée. Alors que l'enfant qui part en classe de mer portera tout au long du

séjour le trousseau inauguré le jour du départ, le costume du premier

communiant sera réservé aux cérémonies, et tout particulièrement aux

messes dominicales si l'enfant devient pratiquant. Dans sa nouveauté, le

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costume (ou la belle robe) aura accompagné (aux yeux des parents, et non

des responsables religieux) son premier accès officiel à un espace-temps

religieux, qui existe en dehors de lui, sur un autre plan, mais dans lequel,

dans cette tenue particulière, il se retrouvera périodiquement (4).

La tenue de rentrée n'est pas une tenue de fête, les habits serviront

pour aller en classe, jusqu'à ce qu'ils soient déchirés ou élimés. C'est la

nouveauté qui rend exceptionnel la tenue de rentrée, et l'on peut considérer

que les vêtements usés, rapiécés, sont dans le même rapport aux

vêtements de classe, que les habits de fête aux vêtements ordinaires, en ce

qu'ils ne sont pas mettables dans l'espace scolaire, tout comme les

vêtements de classe sont inadéquats à la fête. L'organisation du temps

scolaire à laquelle procèdent les tout-neuf est homologue à la relation entre

- le temps sacré et le temps profane, telle que l'a organisée la liturgie

catholique. Pour les catholiques, il existe un rapport d'équivalence entre

les fêtes de Pâques et l'année, d'une part, et entre le dimanche « des

temps ordinaires » et la semaine d'autre part. De façon similaire les tout-

neuf, par leur calendrier vestimentaire, établissent un rapport d'équivalence

entre la rentrée et l'année scolaire d'une part, les jours d'école et les autres

jours d'autre part. Le temps scolaire est donc traité par les tout-neuf comme

un temps cyclique, qui se renouvelle chaque année, après avoir été

interrompu par les vacances d'été.

« Vive les vacances,

A bas les pénitences,

Les cahiers au feu,

Et la maîtresse au milieu !»

Tel le phoenix, l'école doit renaître de ses cendres. (5)

Seule parmi nos informateurs, Mme Rabade relance le temps scolaire

après les petites vacances : « Pour la Toussaint, tout ça, à chaque rentrée

scolaire, y a un truc neuf pour rentrer, pour encourager. Ma mère nous

faisait ça, j'aimais bien, c'était resté dans la tête, ça ; et puis ils ont pris

l'habitude, donc à chaque rentrée y a un truc, même un chemisier, le bas

elle l'a déjà mis, mais au moins y a un truc qui n'a pas été porté encore".

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Mais pour elle, comme pour tous les « tout-neuf »>, le grand

renouvellement du temps scolaire intervient à l'issue des vacances d'été.

« La rentrée, c'est du neuf ».

Le caractère numineux de l'espace-temps scolaire est décelable

dans le fait qu'il ne suffit pas que les vêtements et les accessoires aient l'air

neuf. Il importe que l'habit n'ait jamais été porté. C'est pourquoi les

vêtements restent parfois assez longtemps en attente. « Le jour de la

rentrée, il lui fallait du neuf, explique Mme Bongo, et ses chaussures ( des

baskets) pour la première fois il les a mises ; mais elles étaient toujours là,

parce qu'il fallait pas qu'on les mette tout de suite ». Mme Rabade a

acheté en juillet, le jogging de marque que portera Patricia pour la première

fois, le jour de la rentrée. La tenue de Jean-Marc Bris a été réunie au cours

de l'été. Cependant, il est notable que, pour son entrée en grande section,

Jean-Marc ait eu aux pieds des baskets déjà mises. Dans l'esprit de cette

famille, selon laquelle « la rentrée, c'est du neuf »,il ne s'agit pas d'une

véritable infraction à la règle proclamée,'étant donnée la circonstance pour

laquelle les chaussures avaient été étrennées : « // les avait mis là-bas

une fois, pour un baptême ».L'occasion sortait suffisamment de l'ordinaire

pour que les baskets soient restées « comme neuves ».

La sacralité du domaine scolaire, c'est-à-dire le fait qu'il soit habité

par des forces tout à la fois bénéfiques et dangereuses, est marquée aussi

par le fait que le propre et le neuf concernent aussi bien les parties cachées

du corps et de la tenue que l'apparence de l'enfant.

La rénovation de l'enfant

Dans ces préparatifs qui allient soins du corps méticuleux, coupe

des cheveux, vêtements neufs, tout se passe comme si on aidait l'enfant à

opérer une sorte de mue. L'enfant est "transformé" en écolier. Ses

vêtements neufs ne marquent pas seulement un événement mais l'entrée

dans un nouvel état, dans lequel sa tenue l'accompagnera. Cette pratique

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peut être rapprochée de l'anecdote rapportée par Jean-Yves Rochex :

Youssouf, jusqu'alors élève dissipé et mal noté, a "changé de vie" en

changeant de collège en cours d'année ; "// a jeté les jeans larges et les

anciens vêtements et, avec son père, "a tout racheté" » (6)

En habillant l'enfant de neuf, les parents l'incitent à se sentir autre.

Certes, les vêtements neufs n'ont plus la raideur des vêtements de 1895,

mais les remarques de Georg Simmel sur la "prérogative" que le vêtement

neuf exerce "sur l'individualité de son porteur" nous semblent encore

pertinentes "L'habit neuf influence notre attitude bien plus que le vieux,

lequel finit par être complètement travaillé dans le sens de nos gestes

personnels, se pliant à chacun d'eux sans résistance, et laissant nos

propres innervations se révéler dans les moindres détails. Si nous nous

sentons plus "à l'aise" dans un vieux vêtement que dans un neuf, n'est-ce

pas que ce dernier nous impose sa loi morphologique et que, si nous le

portons longtemps, elle évolue peu à peu en celle de nos mouvements

propres ?". (7)

Sacrifices.

Enfin, l'aspect sacrificiel des dépenses de rentrée est à prendre en

compte. Certes, la valeur marchande, très faible pour la tenue de Jean-Marc

Bris, beaucoup plus considérable pour celle de Patricia, importe moins que

la nouveauté. Mais le fait que la dépense soit mis en relation avec

l'occasion précise du début de l'année scolaire confère à celle-ci une

valeur particulière. Ce sacrifice est, pour Mme Soumba, un plaisir autant

qu'un devoir : « C'est agréable d'avoir des enfants qui vont à l'école, qui

suivent bien, ça fait plaisir, même si on a des problèmes d'argent, on veut

se sacrifier pour ses enfants, il le faut. » . Mme Bara qui chaque rentrée

habille de neuf ses trois enfants, ne parle pas de sacrifice, mais au fil de la

conversation elle explique comment elle se « débrouille » « Moi je suis

pas difficile, la plupart de mes fringues c'est ou les fringues de ma fille,

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parce qu'on a la même taille, ou ma soeur qui fait le tri et qui me donne des

affaires et puis voilà, on se débrouille toujours, honnêtement, mais on se

débrouille ».

Les habits neufs eux-mêmes seront en quelque sorte sacrifiés à

l'année scolaire, car même s'ils restent un certain temps en bon état, ils

auront perdu leur virginité, et changeront presque autant de nature que

l'argent qui, avant l'usage des chèques, se transformait en monnaie une

fois que l'on avait « cassé » un gros billet. La nouveauté de la tenue

d'écolier accompagne et redouble la virginité des cahiers, elle est gage

d'un bon démarrage de l'enfant, et de l'année.

L'espace et le temps scolaires réclament, selon les « tout-neuf»,

d'être abordés en un état particulier caractérisé par la nouveauté et la

pureté. Les soins du corps particulièrement méticuleux débarrassent

l'enfant des marques du passé, les vêtements et les objets commencent

leur vie, protégeant l'enfant lors de son entrée dans le tout-autre, et

participant à la résurrection de ce tout-autre .

Le neuf au service du propre.

Le jour de la rentrée il s'agit de bien marquer que l'école est

« spéciale », et, pour bien marquer cette spécificité, de « faire encore plus

spécial », pour reprendre les expressions de Mme Soumba. Il s'agit pour

celle-ci de renchérir sur l'état continûment requis de l'enfant en tant

qu'écolier : "Je crois que, pour moi, c'est très important, un enfant qui est

bien habillé pour aller à l'école, il se sent à l'aise, il faut qu'il soit propre.

Même pas pour la rentrée, pour aller à l'école on a besoin vraiment d'avoir

ce qui faut. A la rentrée, je fais encore plus spécial.".

Mathieu Bara "adore la douche", et en prend une tous les soirs. Les

vêtements d'école ne sont jamais tâchés ou déchirés. « C'est quand même

important l'école, je vais pas l'envoyer n'importe comment », souligne sa

mère. Ce n'est pas par rapport à un état habituel de malpropreté que le petit

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garçon a eu droit à des soins de propreté plus attentifs la veille de la

rentrée, et le renfort du neuf, mais aussi du parfum spécial, indiquerait plutôt

la difficulté à créer un contraste entre l'écolier de tous les jours et celui du

premier jour de classe. Mais sans doute, plus que d'un contraste s'agit-il de

produire une mise en évidence de l'état dans lequel l'enfant doit se

présenter habituellement à l'école, en donnant une version emphatique de

cet état.

Nous venons de le voir, le propre est associé au neuf pour

renouveler, rénover l'enfant qui entre dans l'espace-temps de l'école

renouvelé par la rentrée. Mais dans les commentaires des parents « tout-

neuf » sur leurs pratiques, le propre apparaît tout autant comme une

catégorie englobante que comme une sous-catégorie du neuf, c'est à dire

que si, d'une part, les pratiques de propreté concernant le corps de l'enfant

et le choix d'habits jamais portés sont mis au service du Neuf, le neuf sert

aussi à confirmer la Propreté.

Dans les commentaires des parents « tout neuf », le caractère neuf des

habits qu'ils ont choisis pour préparer la rentrée est toujours associé au

propre. "Moi j'ai grandi où à la rentrée, tout le temps on était propre, on

avait tout le temps un trucneuf, donc je répète ça", dit par exemple Mme

Rabade. L'oscillation entre l'accent mis sur le propre et l'accent mis sur le

neuf est présente dans le dialogue entre M et Mme Abid, à partir de la

question, « - Pour la rentrée, vous les habillez de neuf, pourquoi? » :-

Mère : parce que chez moi c'est comme ça.

- Père : ça fait propre à la rentrée.

- Mère : non, c'est pas le propre; le garçon c'est la première fois, comme ça

il va être content ¡pareil, la maîtresse, si c'est bien, elle va être contente,

c'est comme ça."

Mais dans la réponse de Mme Delage, à la même question, le neuf

est traité comme le superlatif du propre :

- On attache une certaine importance à l'image que va donner l'enfant le

jour de la rentrée.

- Et quelle image vous vouliez faire passer?

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- Celle d'un enfant propre. "

C'est aussi ce qu'exprime Mme Bongo : "On se sent beaucoup plus

à l'aise quand on porte des sous-vêtements propres, et pour eux neufs, ça

fait encore mieux."

La propreté a à faire avec l'ordre. Elle est le produit d'une

classification et elle produit un rangement, un arrangement de la réalité. La

saleté, écrit Mary Douglas, est "quelque chose qui n'est pas à sa place".

Dans toutes les sociétés "la saleté est une offense contre l'ordre. En

l'éliminant nous n'accomplissons pas un geste négatif ; au contraire, nous

nous efforçons, positivement, d'organiser notre milieu". (8)). C'est pourquoi,

la saleté est toujours relative à un contexte. Il est sale de mettre un peigne

sur la table de la cuisine. Ce même peigne, lorsqu'il aura réintégré la salle

de bains apparaîtra propre. Le vin est propre dans mon verre, mais il salira

la nappe. Les préparatifs nécessaires pour que l'apparence de l'enfant soit

appropriée au cadre scolaire le jour de la rentrée, sont la quintessence des

préparatifs suffisants pour les jours d'école ordinaire. Pour les « tout-

neuf », il s'agit, le jour de la rentrée, d'inaugurer une parure d'écolier, que

les parents jugent conforme au temps-milieu de l'école. D'après les tout-

neuf, ce ne sont pas seulement les tâches, mais aussi les trous et les

vêtements élimés, qui sont incompatibles avec le cadre scolaire, ce qui

indique bien que la propreté requise par l'école n'est pas d'ordre

uniquement hygiénique. « C'est important qu'on soit propre le premier jour,

comme les autres jours, d'ailleurs ; pour l'école, H est toujours bien habillé

mon frère. »,dit Nathalie Bris.

IV. POUVOIR HIERATIQUE DE L'INSTITUTION SCOLAIRE.

A leur incorporation dans l'armée les jeunes recrues sont rasées,

douchées, dotées de nouveaux vêtements pour des raisons d'hygiène mais

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aussi, ainsi que le confirme l'uniforme, pour signifier un nouvel état. Le

nouvel écolier tout propre et tout neuf semble lui aussi préparé à une

incorporation, mais ce n'est pas l'école qui a organisé pour lui cette

transformation, ce sont les parents qui ont interprété la situation, traitant

l'école comme une institution dotée d'un pouvoir hiératique. L'école

primaire française, lorsque l'Etat a pris le relais de l'Eglise Catholique, a eu

tendance à renforcer son pouvoir temporel en s'arrogeant une puissance

sacrale. Durkheim théorisa cette aptitude, établissant un parallèle entre la

puissance sacrale que le prêtre tient de l'église, et le pouvoir que

l'instituteur tient de la Société. Lorsque le maître subordonnait l'entrée en

classe à l'état de propreté des mains ou des oreilles des enfants, il était le

servant du « temple de l'hygiène », ainsi que certains textes appelaient

l'école (9). Mais faut-il parler seulement au passé ? On peut en douter en

écoutant Mme Oleg, militante de l'Association des parents d'élèves et

habitant un pavillon voisin de la cité (« le 58 ») où habitent beaucoup de

« tout-neuf », mettre en incise le thème de l'ignorance (supposée) des

règles de l'hygiène dans des considérations sur les difficultés des habitants

de la cité : "On s'est toujours battu pour qu'il y ait de bonnes conditions, et là

les 4 fermetures sur le quartier, on les a fait annuler. On se bat toujours sur

la même base : 55% d'enfants du 58, avec 14 nationalités, des enfants qui

ont des conditions de vie ... des pièces exiguës, peu de place. Vous savez

en grande section, à un moment, y avait piscine et l'institutrice faisait des

cours d'hygiène, elle apportait des savons pour les enfants et elle leur

montrait comment on se lavait sous la douche. Donc c'est tout ça qui doit

être pris en compte, avec bon, des parents dépassés qui ne parlent pas

forcément le français, avec les problèmes de chômage qui viennent se

greffer là dessus. Et en réponse à ça il faut qu'il y ait une cohérence, c'est le

rôle de l'école."

Ne sommes-nous pas ici dans le droit fil du rôle très important joué

par l'école de la troisième république dans la diffusion vers les classes

populaires des normes de propreté élaborées par les élites ? Ainsi que l'ont

montré de nombreux auteurs, les découvertes de Pasteur ont contribué à

modifier les représentations du propre et les pratiques de propreté, mais

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ces représentations nouvelles intègrent les nouvelles connaissances

scientifiques aux préoccupations politiques et morales qui connotent

immanquablement le propre et le sale . Les efforts pour faire adopter aux

enfants du peuple les règles de l'hygiène s'accompagnaient d'une

réprobation morale à l'égard des familles des petits contrevenants, et de la

conviction qu'il s'agissait en diffusant les habitudes de propreté de mener

une oeuvre de véritable conversion des foyers populaires (10).

Toutes les sociétés établissent une différence entre le propre et le

sale, mais le contenu de ces catégories n'est pas intangible.

L'entrée de Toinou à l'école, en 1892 , préparée par une toilette

exceptionnelle, donne un exemple des normes de propreté parmi les ruraux

d'une région pauvre et reculée : "Un beau matin, je fus réveillé de bonne

heure ; ma mère qui avait disposé près de mon lit le grand saladier de terre

brune, plein d'eau tiède, entreprit de me débarbouiller dans le moindre

détail (....). Je protestai par des cris aigus contre ce traitement inusité...»

Pourtant la toilette, ainsi que le souligne rétrospectivement Sylvère, est

partielle : « Les oreilles, le cou, tout y passa, à l'exclusion seulement des

quelques endroits que la décence ordonne à l'Auvergnat de la montagne

de protéger contre toute ablution jusqu'à la fin de ses jours » (11). En

temps ordinaire les Sylvère ne se débarbouillent que le dimanche matin,

sous la pression de la mère de famille. Pour son premier jour d'école

l'enfant est revêtu d'une robe propre (il n'a pas encore de culottes), et porte

sa « toque des dimanches ». D'une façon générale les paysans et les

petites gens des villes n'ont adopté qu'avec un retard sur les catégories

plus aisées d'autres exigences de propreté. Les manuels scolaires publiés

à l'époque où Toinou devient écolier préconnisent tous la même fréquence

des soins de propreté : le visage et les mains doivent être lavés tous les

jours, l'abblution générale doit se pratiquer une fois par semaine, le bain

entier une fois par mois (12).

Les Bris, Mme Bara, les Benali, etc. (Voir fiches en annexe) habitent

le 58, ils ont de faibles revenus, et comme l'a souligné Mme Oleg, leurs

appartements ne satisfont pas aux normes actuelles. Construits en 1930,

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les logements de cette cité fournissent uniquement l'eau froide a l'évier.

L'installation de chauffe-eau et de douches est à l'initiative des locataires, et

il n'y a pas assez de place pour une baignoire. Certes, dans le mouvement

d'individuation et d'intériorisation des contraintes qui a "creusé" le territoire

de l'intimité personnelle, et amené à ce que le corps tout entier soit lavé, :

l'espace clos de la salle de bains a joué un rôle important, permettant de

concrétiser la nouvelle conception de la propreté (13). Mais c'est à travers

une imagerie de la pauvreté héritée du passé que Mme Oleg et les

organisatrices des leçons de douche perçoivent les difficultés, réelles, des

habitants de la Cité. Ceux que nous avons rencontrés regrettent, parfois

avec véhémence, le manque de confort de leur logement. L'absence d'une

salle de bains ne les empêchent pas de partager avec les mieux logés les

normes actuelles de propreté. Etre propre, pour eux comme pour les autres,

c'est avoir lavé, par bain ou douche, au minimum deux fois par semaine,

toutes les parties cachées du corps. Les cinq enfants Soumba se douchent

tous les jours. « Parait-il que c'est moi qui paie le plus d'eau ici ill », dit

leur mère. ». Cette habitude requiert un planning : Ahwa, « qu'elle va à

l'école ou pas, c'est la douche tous les soirs, avant de se mettre au lit, elle

se lave très proprement, après le petit Tous les matins le grand il se lève à

6H du matin, même s'il commence à 8H. ... » . Les « pauvres » modernes

sont convaincus des vertus de l'eau et du savon, et d'ailleurs certains

d'entre eux n'ont pas eu à s'éloigner de la tradition européenne tenant, à

partir de la fin du Moyen-Age, la nudité et l'eau en suspicion, puisqu'ils

viennent d'ailleurs. Si, dans certains foyers, les enfants sont négligés, ce

n'est pas par ignorance des normes, mais parce que les difficultés

submergent les parents ; la saleté de l'enfant est signal de détresse, elle

n'est pas, de nos jours, caractéristique de la pauvreté.

Se distancier de la minorité du pire.

Le jour de la rentrée, Mme Bara a considéré qu'il fallait que l'enfant

soit particulièrement propre, et que pour ainsi dire il reluise de propreté. Ce

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choix a peut-être été renforce par le désir de se mettre au-dessus de tout

soupçon. A travers la propreté ostentatoire de leur enfant, certains parents

cherchent sans doute à manifester, à autrui, mais aussi à eux-mêmes, qu'ils

ne sont pas ceux que l'on pourrait croire. C'est sans doute l'une des raisons

qui les poussent à mettre en scène leur soumission à l'école et plus

exactement à l'ordre scolaire. Sensibles au phénomène d'assimilation à

« la minorité du pire », analysé par Norbert Elias, c'est aussi avec eux-

mêmes qu'ils se mettent en règle (14). Ainsi lorsque M. Bris indique que,

pour le premier jour d'école primaire, la famille a voulu rendre Jean-Marc,

« disons, plus présentable quoi, vu qu'il connaissait pas la maîtresse », il

ajoute immédiatement, pour justifier cette préoccupation : « Y a des

mômes qui sont pas propres pour aller à l'école ». Mme Portel évoque son

voisinage en décrivant les parents « irresponsables », pour s'en

distinguer, mais au risque d'aggraver les stéréotypes négatifs à travers

lesquels sont perçus les habitants de la cité, et dont elle, qui vit

maritalement, est particulièrement susceptible d'être victime (et dont elle

sera effectivement victime dans l'interprétation que fera l'institutrice des

difficultés scolaires de sa fille) : « On est dans une cité, ici, à Gentilly, et

j'observe énormément ... C'est vrai que moi je trouve que c'est important

l'enfance, la scolarité, par rapport peut-être à ce que j'ai vécu, je sais que

c'est la base de beaucoup de choses, et je vois beaucoup d'enfants, des

amis à Sabrina entre autres, où les parents s'en occupent pas du tout. C'est

du n'importe quoi, c'est du laisser aller, les enfants sont mal habillés, ils

sont pas couverts en hiver, et en été ils ont des pulls, enfin, c'esf

incompréhensible, et bon, voilà, les enfants sont pas motivés ».

CONCLUSION

Loin d'être contradictoire avec la participation au renouvellement du

temps scolaire, la préoccupation d'en faire autant que « les autres »

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contribue à cet objectif :un espace-temps scolaire situe dans « Tai l leurs »

et le « tout-autre » ne peut être conçu que comme un domaine collectif, et

le renouvellement du temps cyclique a besoin d'un concours d'efforts. Les

tout-neuf de la cité HBM inscrivent leurs préparatifs familiaux dans une

pratique collective, bien que non unanime, mais les Delage, isolés dans un

quartier de « comme d'habitude », participent eux aussi à la résurrection

de l'année scolaire.

Notes :

1) François-André Isambert, Le sens du sacré, fête et religion populaire, Ed de Minuit 1982, p. 158).

2) Idem, p. 150

3) Maurice Leenhardt, Do Kamo, 1947, Gallimard (tel), 1985. Sur cette notion de « temps-milieu » F-A. Isambert renvoie aux réflexions fondatrices de H. Hubert et M. Mauss, Mélanges d'histoire des religions, Paris, Alean, 1909.

4) Albert Camus, né en 1913, est pour sa «première communion», «habillé d'un costume marin et d'un brassard, muni d'un petit missel et d'un chapelet de petites boules blanches, le tout offert par les parents les moins pauvres (la tante Marguerite) » p. 160. Il évoque son entrée en sixième, quelques mois plus tard : « le 1er octobre de cette année-là (...), mal assuré sur ses grosses chaussures neuves, engoncédans une chemise qui gardait encore son apprêt, bardé d'un cartable fleurant le vernis et le cuir (....) dans ce premier départ vers le mystérieux lycée » p. 185. Albert Camus, Le premier homme, Gallimard, 1994. L'apparence des premiers communiants en 1950 est décrit dans H-C Chéry, La communion solennelle en France, Le cerf, 1952. Les prêtres sont très critiques.« Ces soins excessifs et exceptionnels chez nos petits ruraux donnent à cett&joumée une atmosphère païenne » note un prêtre ; l'auteur souligne « un aspect sérieux et même triste (de ces préparatifs), c'esr l'accaparement de l'attention des enfants, des filles surtout, par le souci de leur parure ».

5) Chanson à rapprocher des souvenirs de Louis Guilloux, né en 1899 : «Les vacances approchaient. C'était l'époque heureuse où on brûlait les vieux cahiers dans la cour de l'école. Nous en faisions de grands tas auxquels M. Cardinal mettait lui-même le feu, une vraie grande fête. H ne nous faisait plus de leçons ».L'herbe d'oubli, Gallimard, 1984, p. 68.

6) B. Chariot, E. Bautier, J-Y Rochex, Ecole et savoir, A. Colin, 1992, p. 68.

7) Georg Simmel, « La mode », 1895, in La tragédie de la culture et autres essais, Rivages, 1988.

8) M. Douglas, Opus cité, p 24

9) Julia Csergo, Liberté, égalité, propreté, La moralede l'hygiène au XlXè siècle, Albin Michel, 1988.

10) Corbin (Alain), Le miasme et la jonquille, 1982, Rééd Flammarion (Champs) Fort curieusement J. usergo, dans la conclusion de son ouvrage, Liberté, égalité, propreté, rejoint le point de vue qu'elle dénonce : « Malgré l'optimisme qui éclate au travers des affirmations réitérées, voire obsessionnelles, l'apprentissage de la propreté se heurte à des résistances tenaces, véhiculées par une tradition populaire

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encore pénétrées des vertus de la crasse » Or cette assertion est deja contestable concernant la fin du I9ème siècle à Paris, et surprenante sous la plume de J. Csergo qui s'est attachée elle-même à démontrer que l'une des excellentes raisons pour lesquelles les pauvres ne se lavent pas est qu'on ne leur en fournit pas les moyens. Par exemple, a Paris, au momentmêmeoù l'eau courante pénètre dans la majorité des appartements, on terme les bornes fontaines qui auraient pu continuer à fournir l'eau aux plus pauvres . Le fait que les bains douches connaissent un très grands succès indique aussi que l'attachement à la crasse n'est déjà plus, à la fin du XlXè à Paris, par l'ensemble du petit peuple parisien).

11) Antoine Sylvère, Toinou, le cri d'un enfant auvergnat, Pion, France Loisirs, 1980, p. 29.

12) J. Csergo, Opus cité, p. 122).

13) Georges Vigarello, Le propre et le sale, L'hygiène du corps depuis le Moyen Age, Seuil, 1985.

14) Norbert Elias, «Remarques sur le commérage», Actes de la recherche en sciences sociales, n°60, Novembre 1985, pp. 23-29.

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III. COMME D'HABITUDE

« Les enfants arrivent beaucoup trop frisés, bichonnés ; ces soins excessifs et exceptionnels chez nos petits ruraux donnent à cette journée une atmosphère païenne : parents et enfants sont beaucoup top préoccupés de ces superfíuités» H-C Chéry, La communion solennelle en France, Le cerf, 1952, p. 122.

Alors que les tout-neuf racontent volontiers leurs préparatifs, les autres

parents ont d'abord l'impression qu'ils n'ont rien à dire puisqu'ils n'ont rien

fait, du moins rien de spécial ; ils n'ont pas fait d'achats, hormis assez

souvent le cartable ou le sac-à-dos (surtout, respectivement pour l'entrée au

C.P. et en sixième) et quelques fournitures ; les soins du corps et le choix

des vêtements n'ont rien eu d'exceptionnel. Au contraire des familles qui,

lavant l'enfant plus soigneusement que d'habitude et l'habillant entièrement

de neuf, accumulent les actes susceptibles de marquer la journée d'une

pierre blanche, les familles qui « ne font rien », ont évité tout préparatif qui

aurait pu différencier la journée d'autres journées sans importance

particulière. Or pour ces parents, autant que pour les « tout-neuf », la

rentrée, et tout particulièrement lorsqu'il s'agit de l'entrée au cours

préparatoire ou de l'entrée en sixième, est un moment important, porteur

d'espoir mais aussi de beaucoup d'angoisse. L' «indifférence » à l'égard

de la préparation matérielle de l'enfant n'est pas indifférence à l'événement

mais une réaction à celui-ci, une façon de le traiter, moins irréfléchie et

spontanée que nos interlocuteurs le laissent d'abord entendre.

Nous nous arrêterons d'abord sur cette indifférence affichée envers

- les aspects matériels de la préparation de l'enfant, et nous montrerons

qu'elle participe à une représentation de la scolarité.

La comparaison des « non-préparatifs » avec les préparatifs jugés

adaptés par les mêmes parents à d'autres circonstances permettra de

préciser comment les « comme d'habitude » situent la rentrée. Dans la

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plus part des cas la tenue d'écolier se distingue et de tenues plus

« habillées » et de tenues plus « décontractées » ; le dispositif « comme

d'habitude » inscrit la rentrée dans la suite des jours de classe. Mais nous

avons rencontré aussi deux familles qui tendent à ne jamais habiller leurs

enfants en fonction des circonstances, et qui s'efforcent de créer un « cadre

unique » au déroulement de la vie des enfants.

I. «L'IMPORTANT N'EST PAS LA»

Les «comme d'habitude», qui ont souvent poursuivi leurs études et

sont souvent des cadres, considéraient n'avoir rien d'intéressant à nous

dire à propos des préparatifs matériels de la rentrée. Il-s'agissait selon eux

d'une question sans importance et notre démarche leur semblait quelque

peu saugrenue. Ils avaient fait peu ou pas du tout d'achats. L'enfant avait

été lavé et habillé comme d'habitude, il n'y avait rien à signaler. Pour les

gens qui " ne font rien ", l'important n'est pas dans les actes matériels de

préparation de l'enfant. Les tout-neuf ne pensent pas que les vêtements ou

la toilette, ni même le cartable neuf, soient des problèmes importants, et

plusieurs nous ont entretenus d'autres aspects de la scolarité de leurs

enfants, ou ont manifesté le désir de le faire. Parmi leurs préparatifs, ils

incluent le souci d'informer l'enfant, de le préparer psychologiquement. On

ne peut donc considérer que les « comme d'habitude » substituent

d'autres préparatifs aux soucis concernant la tenue et la propreté de

l'enfant. Mais ils présentent les choses comme si les préoccupations

matérielles pouvaient les détourner d'autres préoccupations. Ils ont

tendance à opposer préparation matérielle et préparation morale. C'est ce

que fait nettement Mme Lebrun : "La rentrée des classes je ne l'ai pas du

tout préparée sur le plan matériel, j'ai fait en sorte que ce soit un jour

comme un autre, mais sur le plan moral ou psychologique, surtout pour

Mickaël, il y a eu une préparation de longue haleine, qui commence déjà

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avec le maître en CM2 et ensuite le voyage aux Etats Unis (organisé par

l'école)." C'est aussi ce que disent M. et Mme Lachet : " Les habits, tout ça,

pour la rentrée, on veut pas trop la motiver sur des choses comme ça, on

l'a motivée que ça allait changer, tout ça ." Dans ces familles l'aspect

matériel de la rentrée est présenté comme contradictoire de l'aspect moral,

psychologique, intellectuel de la préparation de la rentrée. Alors que les

tout-neuf appuient la préparation psychologique sur les préparatifs

matériels, les «< comme d'habitude » semblent penser que les préparatifs

matériels détourneraient l'attention de l'essentiel, voire dénatureraient

celui-ci.

Dans l'indifférence affichée pour les préparatifs de rentrée peut se

lire une tentative de "dématérialisation" des préoccupations concernant, la

scolarité. Cette tentative rappelle la défiance de certains catholiques (et de

certains membres du clergé) à l'égard des rites de leur Eglise, et leur désir

de « banaliser le cadre, les instruments, le langage » de l'exercice de la

religion. Vatican II (1962-1965) répondra à leur attente. La prise de distance

à l'égard des rites catholiques « se développe évidemment avec une

aisance particulière dans les couches sociales ascendantes (...) celles où la

carrière individuelle se vit comme une ascension.». En effet, selon F-A

Isambert,« dans un cadre culturel où l'accomplissement social requiert à la

fois des qualités de lucidité intellectuelle et d'autonomie morale, il est

logique que l'accomplissement religieux semble requérir une distanciation

symbolique et une prise de liberté par rapport aux puissances et aux

autorités ». La dématérialisation des préparatifs de rentrée met l'accent sur

les préoccupations intellectuelles, en tenant pour acquis que l'intellect doit

se dégager, se libérer de la matérialité, de même que les catholiques

« modernes » sont en quête d'une spiritualité épurée de pratiques

rituelles. De même que certains catholiques en viennent à opposer

l'authenticité de l'attitude intérieure à la facticité des apparences, les

« comme d'habitude » opposent l'intériorité du travail intellectuel à

l'apparence physique. L'enfant, en allant à l'école, va s'instruire, apprendre

à lire s'il entre au Cours préparatoire, ce qu'indique son cartable, mais il n'a

pas à s'introduire dans un temps-milieu animé de forces bénéfiques mais

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inquietantes.

Implicitement l'activité intellectuelle de l'écolier se trouve définie

comme une activité essentiellement individuelle et « intérieure » . Cette

opposition entre l'extérieur et l'intérieur est exprimée par Mme Rieux : " Mon

importance elle se situe plus à un niveau affectif, psychologique, que sur

des marques extérieures de l'habillement, les choses neuves, etc. ». Les

aspects interindividuels des apprentissages, discipline imposée en partie

de l'extérieur, autorité du maître, compétition, mais aussi échanges de

connaissances et constructions interactives de savoirs sont méconnus.

Cet effort, en partie conscient, pour dématérialiser la rentrée, doit

aussi être rapproché des analyses de l'histoire de l'école selon lesquelles

on serait passé d'une « école qui eduque >é une « école qui instruit »

(2). «L'école qui éduque» était une institution qui prenait en charge

globalement l'enfant, une instance nettement distincte, parallèle à l'univers

familial à laquelle il convenait de livrer un enfant débarrassé des marques

de ses origines. Depuis la fin des années 1950, «l'école qui instruit» ne

prendrait en charge que l'aspect intellectuel, «cognitif» de l'éducation, et

elle serait vécue comme un instrument fonctionnel distinct, certes, de

l'univers familial, mais davantage au service de celui-ci qu'en concurrence

avec lui. Certains parents, et surtout les parents de milieux modestes,

conserveraient de l'école l'image de son modèle antérieur, alors que les

autres seraient en phase avec la réalité scolaire actuelle. La mission de

l'école ayant changé, les pratiques concernant l'apparence des enfants lors

de la rentrée enregistreraient ce changement, du moins pour ceux qui ont

intégré cette évolution. L'évolution des rapports entre école et familles serait

suffisamment avancée pour qu'elle touche même des gens comme Mme et

M. Lachet, femme de ménage et chauffeur-livreur, tous deux titulaires d'un

CAP :"Pas de chichis, déclare M. Lachet, ce n'est pas parce que c'est la

rentrée, c'est un jour comme les autres; c'est pas parce que c'est la rentrée

qu'on en fait plus »

Les «comme d'habitude» exprimeraient, ou illustreraient, en se

libérant de toute préoccupation concernant les soins corporels et la tenue

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de l'enfant le jour de la rentrée, la forme moderne de la scolarisation.

Cependant, si les «comme d'habitude» cherchent à s'abstraire des

préoccupations concernant les soins corporels et la tenue de l'enfant le jour

de la rentrée, aucun n'habille l'enfant «n'importe comment». D'une part,

nous l'avons vu, l'indifférence est jouée, en un dispositif rigoureux, en une

démonstration qui s'appuie, bien que négativement, et quoiqu'en aient les

parents, sur la «matérialité» de l'enfant qui entre en classe. D'autre part,

pour les « comme d'habitude », l'habitude à laquelle ils font référence est

celle qui correspond aux jours d'école, sauf dans deux familles dont nous

analyserons ensuite les pratiques.

II. LE CALENDRIER DES SOINS DU CORPS ET DE

L'APPARENCE DES COMME D'HABITUDE.

Les vêtements portés par Damien Rieux le jour de la rentrée sont

habituels, ou ordinaires, par rapport aux vêtements qu'il endosse dans

quelques occasions exceptionnelles. Les habits neufs sont plutôt réservés à

ces occasions : « Finalement, si je fais un achat de quelque chose de neuf,

je vais essayer de le faire coïncider avec une sortie, une fête ou un mariage.

En plus, j'ai dit qu'il n'y avait pas de « vêtements du dimanche », c'est pas

tout à fait vrai. Par exemple l'année dernière, au moment de Noël et du jour

de l'an, je lui ai acheté un petit gilet qu'il mettait sur ses jeans et puis une

chemise rouge, ça lui a fait une tenue plus chic ». La famille ayant été

invitée à un mariage : « Je ne lui ai pas mis le petit costume, noeud

papillon etc.. Je lui ai mis une chemise un peu plus chère que d'habitude,

une ceinture orange, des chaussures . Il a donc une tenue un peu plus

sophistiquée ».

La tenue de rentrée du petit garçon était par ailleurs « plus

correcte » que celle qu'il est autorisé à arborer les jours où il n'a pas école

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: « Pour moi, le jogging , cest bien dans sa maison et encore, c'est bien

quand on va faire du sport. Donc Damien ne met pas de jogging pour aller

à l'école sauf le jour où il a gym. Il en met le mercredi parce qu'il aime bien,

pour rester à la maison ou pour aller chez un copain, mais pas à l'école».

Mais si l'enfant ne va pas à l'école en jogging, il n'y va pas non plus, sur ses

instances, en duffle-coat, qui ne fait pas partie des vêtements dans lesquels,

en tant qu'écolier, il serait « à l'aise » : « Par exemple, moi, j'aime bien

les duffle coats; mais pour aller à l'école, alors là, pas question ! Ca le gène,

c'est trop long, il peut pas courir, il peut pas sauter, donc je le lui mets

quand j'ai envie d'aller me balader avec lui ».

Ainsi les vêtements de rentrée étaient des vêtements adéquats,

selon les critères de Mme Rieux, à l'école. Notons qu'elle aurait préféré que

son fils mette un short, mais finalement Damien est parti en « pantalon long

en toile, sweat, baskets, la tenue reconnue, c'est un peu l'uniforme ».

En ce qui concerne les soins du corps, Damien était rentré au CP un

mardi et ses cheveux avaient été lavés le Dimanche soir, « comme

d'habitude ». Mais cette « habitude » est liée au temps scolaire : « Le

samedi soir, souvent, il ne prend pas son bain, parce que le lendemain il n'y

a pas école, donc c'est vrai que le bain du soir il est subordonné au fait

qu'on aille à l'école».

Mis à part deux cas sur lesquels nous allons revenir en détail, les

« comme d'habitude » disposent tous de vêtements réservés aux fêtes.

Le ton jubilatoire avec lequel Mme Portel décrit ceux de sa fille

associe ces tenues aux plaisirs, aux réjouissances des fêtes : « Elle a une

belle chemise de satin noir et fuchsia, une petite jupe avec des étoiles, des

petits collants, on se maquille aussi des fois pour la fête, pour Noël, pour les

anniversaires, pour la fête à Gentilly. Elle a une petite robe qui lui a été

offerte par ma mère il y a trois ans,- qu'elle peut mettre encore vu que ma

mère est comme moi, elle achète toujours très grand. Des fois on la ressort

quand on va chez mamie Emma, ou pour une sortie. On a été invité

dernièrement au restaurant, on est allé manger des fruits de mer, c'était

agréable et elle avait mis sa belle petite robe à fleurs, crème avec des fleurs

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fuchsia ei ie coi en saiin fuchsia aussi, avec un gros noeud derrière ».

Les iiiieties Robies oni. pour ies fèies ou ies anniversaires, «des

vêiemenis ( en pariicuiier des robes espagnoles) qui permeiieni de se faire

pius remarquer » .

D'autres parenis metieni piuiôi ¡'accent sur ia nécessiié. en

certaines occasions, de taire « pius aiieniion » à ia ienue des entants :

« J'ai pas d'habiis du dimanche; mais H y a des habiis que je iui mei pas à

i'écoie, parce que je ies réserve, pour ie dimanche, ou à ¡'occasion quand

on va voir des amis, ou des fêies famiiiaies, ou des choses comme ça; on

faii pius aiieniion »., expiique Mme Prévost Mme Cozzeno utilise une

expression qui mei en évidence i'ambiguiïé : « Four ies fêies, ies cousins

ei ies cousines soni en cosiume aiors voiià, on faii un peiii peu aiieniion à

ce que ça fasse fêie On ne peui pas dire que ce soii une ienue, ii mei

un paniaion, une chemise bianche et puis des chaussures. Bon, comme ii

esi souvent en baskeis ei en jogging, forcément.. ».

Dimiiri öieg a iui aussi un paniaion (en veiours), des chaussures de

viiie: pour ¡anniversaire de sa grand-mère. Nathan Puche a mis sa

première chemise bianche. Les fuies oni des robes, pariois confectionnées

par ieurs mères, ii s'agit ià de vètemenis, qui seion ies mères se disiingueni.

respeciivemeni. des jeans ou jogging, des baskeis, des T. shiris, des

caieçons ou ienues unisexe. Mais ¡es vêiemenis de fêie peuvent aussi êire

des vètemenis qui seraient « ordinaires ». par exempie pour Dimiiri, haut

de jogging ou sweai. s'iis n'éiaieni «mis en réserve », c'esi à dire

maintenus proches de i'éiai neui.

Les cadres exprimeni pius souveni que ¡es ouvriers une réiicence à

¡'égard de « i'endimanchemeni », mais en praiique, iis oni eux aussi dès

habiis « réservés » pour ies grandes occasions. Comme nous ¡'avons déjà

indiqué (...) ce n'est ni par manque de iemps ni par manque d'argeni que

ces iamiiies n'oni pas iniroduii de vêtements neuis ou d'habiis de fèie dans

ia tenue de renirée. Ce n'esi pas non pius par indifférence envers

¡'apparence de ¡entant. Comme ies « ioui-neui ». ies « comme

d'habiiude » aimeni acheier des vêiemenis pour ieurs enfanis, et ne

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manifestem aucun desinteret a l'égard de l'apparence de ceux-ci.

Les habits de rentrée ont été choisis parmi ceux destinés à être mis

pour aller à l'école, et qui sont donc distincts des vêtements jugés plus

habillés, ou tenus « en réserve ». L'écolier doit être à l'aise dans ses

vêtements, il ne doit pas avoir à craindre de les abîmer. « Quand ils vont à

l'école, comme ce sont des garçons et qu'ils passent leur vie par terre à se

traîner, on met plutôt des pantalons un peu passés, et certains jeans si on

veut qu'ils restent à peu près potables, on garde plutôt pour le mercredi et le

week end. On met les choses qui risquent rien pour l'école », explique

Mme Martins, qui le jour de la rentrée a laissé dans l'armoire les vêtements

achetés quelques jours avant.

M. Lachet expose de façon imaginée pourquoi une tenue de fête ne

conviendrait pas pour l'école :« Si on lui mettait une belle robe pour aller à

l'école, elle ne se sentirait pas bien, elle pourrait pas jouer comme elle a

envie de jouer, elle pourrait pas se traîner par terre, ou s'asseoir par terre si

elle joue aux cartes ou n'importe quoi. Des fois elle joue aux billes avec son

copain, le garçon Nicolas, si elle aurait une robe, je pense qu'elle aurait

peur de se salir ; elle ferait de la peinture, elle serait pas à l'aise » . Pour

les Cozzeno, le choix des vêtements de rentrée n'était pas un problème

« A partir du moment où il est bien dans sa peau, qu'il peut jouer et qu'il est

propre ».

Le principe selon lequel l'écolier doit être à l'aise est partagé par les

comme d'habitude et les tout-neuf, mais, contrairement aux tout-neuf, les

comme d'habitude refusent de sacrifier les habits neufs au début de l'année

scolaire. Parallèlement, les «comme d'habitude» respectent, comme les

tout-neuf, l'impératif selon lequel que l'écolier. doit être « propre et

correct », mais en donnent une interprétation, lors de la rentrée, bien

différente de l'interprétation emphatique des « tout-neuf ».

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111. L'ESPACE SCOLAIRE DES COMME D'HABITUDE

Propres et corrects :

Destinés à être salis, abîmés, déchirés, les vêtements de classe

doivent cependant, lorsque l'enfant arrive à l'école, n'être ni sales, ni troués,

ni trop usagés, ni trop « décontractés ».

Que la toilette ou la tenue de l'enfant, le jour de la rentrée, aient été

particulières ou au contraire « ordinaires », tous les parents disent avoir

veillé à ce que leur écolier soit « propre et correct ». Tout en énonçant,

sans aucune hésitation ces deux préoccupations, nos interlocuteurs ont

toujours marqué qu'il s'agissait d'une évidence. Il va de soi que l'écolier

doit être « propre » et « correct ». Cela va de soi, mais pas suffisamment

pour être du domaine de l'implicite.

La tenue de rentrée de Tom Prévost répondait à des critères

clairement énoncés par sa mère : « Il fallait qu'il soit propre et correctement

vêtu; les vêtements n'étaient pas neufs, mais ils n'étaient pas usagés,

quand même! ».Il s'agit là des normes respectées par Mme Prévost pour

constituer la tenue habituelle d'écolier de ses enfants : « Pour l'école je fais

très attention à la propreté, ils ont des vêtements propres tous les jours,

j'aimerais pas qu'ils partent avec quelque chose de tâché, de sale. » . La

formulation est souvent moins ouvertement normative, mais la

préoccupation est générale.« Pour la rentrée ils ont mis ce qu'ils ont envie

de mettre, mais des vêtements qu'ils avaient déjà et qui étaient tout à fait

corrects et propres » indique Mme Taunais (qui avait achetés des

vêtements quelques jours avant). Selon M. Lachet : « Tous les parents font

attention qu'ils soient propres, pas d'affaires sales; c'est normal ». Sa

femme nuance : « Y en a, c'est propre mais c'est pas repassé, ils s'en

foutent. Moi, non, j'aime bien que se soit bien repassé. Je ne lui mettrais

pas d'affaires non repassées ». Et il est vrai que le repassage n'est pas

une pratique générale. Les critères de propreté et de correction recouvrent

des acceptions diverses, nous allons y revenir, mais il est notable qu'ils

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soient toujours présents dans la caractérisation des tenues d'école, et donc

de rentrée pour les « comme d'habitude ». Ainsi les joggings, bannis de

l'école par Mme Rieux sont la tenue habituelle d'Anthony Cozzeno. mais il

s'agit de joggings « qui ne soient pas abîmés ou déchirés. Il va toujours à

l'école, propre et bien habillé ».

Que l'entant se présente à l'école « propre et correct » est donc un

souci que les «comme d'habitude » partagent avec les « tout-ne ut ».

mais alors que ceux-ci présentaient leurs efforts exceptionnels comme le

simple respect de ces impératits. les « comme d'habitude » s'efforcent de

ne pas en faire « plus >» que d'habitude.

Accentuer le caractère fonctionnel de l'école.

Les tout-neuf interprètent de façon emphatique la propreté de l'enfant

I pour participer à la résurrection annuelle de l'espace-temps scolaire. Les

comme d'habitude gomment le caractère inaugural du premier jour de

» l'année scolaire. En ne se créant pas d'obligation de renouveler et purifier

* l'enfant, les comme d'habitude refusent d'accorder au temps scolaire un

T caractère cyclique. Ce refus minimise le décalage et l'indépendance de

* l'espace-temps scolaire. La nature numineuse de ce cadre se trouve

1 affaiblie. L'entrée à l'école ne nécessite pas de sacrifice, ni de pratiques de

rénovation, ou bien plutôt, il est nécessaire de ne pas faire de sacrifices ni

I de pratiques inaugurales, afin de ne pas activer les puissances

bienfaisantes et dangereuses de l'institution scolaire, et de maintenir autant

I que faire se peut celle-ci dans sa fonction didactique.

En veillant à ce que leur enfant soit propre et correct, les comme

d'habitude reconnaissent qu'ils repèrent et respectent des normes émanant

de l'école, et que pour eux aussi la scolarité se déroule dans un espace

I particulier. La nécessité pour l'enfant d'être dans un état particulier, propre

et correct, pour pénétrer dans le périmètre scolaire attribue bien à celui une

I spécificité. Mais les préparatifs de ceux qui n'ont «rien fait» oeuvrent pour

1

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que le temps de l'école soit un temps de travail qui alterne de manière

fonctionnelle avec le temps de loisirs. La propreté du corps et de la tenue

sont interprétés comme une contrainte induite rationnellement par l'activité.

Pour Mme Hadim, «le dimanche si on est à la maison, à la limite même si

on a envie de rester en pyjama, y a pas de problème; un enfant, s'il est là le

samedi qu'il s'est tâché parce que on a été au cinéma qu'il a mangé une

glace, c'est pas important parce qu'on rentre en voiture, tandis que de partir

le matin avec une tâche de chocolat qui date de la veille, non. C'est

surtout des choses comme ça qui me paraissent importantes ».

Significativement Mme Hadim inclut les devoirs scolaires dans l'hygiène de

l'écolier : « au niveau vestimentaire, c'est tous les jours qu'on doit faire

attention, voir si ils se sont brossé les dents, s'ils sont peignés, si ils ont

appris leurs leçons, mais ça c'est dans l'hygiène de vie, c'est pas une seule

journée ».

En sus de cette fonctionnalité de l'activité scolaire que les non-

préparatifs visent à conforter, c'est aussi la temporalité annuelle de cette

activité, et les différences entre maternelle, école primaire et collège qui

sont visées.

La continuité pédagogique

De même que ce sont les autorités ecclésiastiques elles-mêmes, au

plus haut niveau avec Vatican II, qui ont encouragé «la prise de liberté par

rapport aux puissances et aux autorités », de même les responsables de

l'Education Nationale prônent la coeducation et la continuité pédagogique.

C'est en se plaçant dans le droit fil de l'orthodoxie pédagogique que les

parents « comme d'habitude » s'efforcent d'éviter les ruptures que

pourraient constituer (que constituent objectivement) les débuts d'années

scolaires.

L'absence de préparatifs particuliers, même si son caractère systématique n'est pas perçu, est souvent explicitement reliée au désir des

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parents de minimiser l'événement. Ainsi Mme Taunais reconnaît, à propos de l'entrée de Nicolas au CP : "C'était important", et ajoute : " mais on n 'a pas gonflé l'événement, on a essayé de lui dire que c'était pas quelque chose de trop exceptionnel....Il n'avait pas d'affaires neuves." M. et Mme Lachet ne voulaient pas "trop la motiver sur des choses comme ça", expliquent : "e//e se serait attendue à un truc incroyable et puis ça se serait peut-être mal passé. "

Les parents qui déclarent d'abord ne pas s'être intéressés à la préparation matérielle, et mettent l'accent sur le fait que « l'important n'est pas là », reconnaissent tous, ensuite, qu'ils ont voulu « dédramatiser », le terme revient très souvent, pratiquement dans tous les entretiens avec les « comme d'habitude », ce qui implique bien qu'il y avait un risque. Mme Rieux souligne la nouveauté que représente les entrées en CP et en sixième : « Je crois que le CP c'est autant une découverte pour les parents que pour les enfants parce qu'on ne sait pas comment ça va se passer, il y a des choses qu'on maîtrise pas.... L'entrée au CP était plus investie, c'est comme quand il va rentrer en 6ème, il y a tout l'apprentissage de comment ça fonctionne à l'école et puis après, comment ça fonctionne au collège, ce qui se fait la première année et qui à mon avis est acquise pour les 4 ans ou 5 ans qu'il passe dans l'établissement ». Mais pour l'entrée au CP elle fait « comme d'habitude ».Conscients des changements auxquels l'enfant aura à s'adapter, certains parents choisissent d'éviter toute nouveauté supplémentaire. Ou bien plutôt, ils cherchent à contrecarrer, à compenser activement, la violence des changements.

Tout en cherchant à dématérialiser, à intellectualiser et « psychologiser » la rentrée, les abstentions, les actes négateurs du caractère exceptionnel du premier jour de l'année scolaire, sont le point d'appui positif (au sens où Mauss parlait de la positivité des rites négatifs) des parents qui cherchent à faire advenir dans la réalité la « continuité pédagogique » prônée par les responsables de l'Education nationale : « continuité pédagogique » à l'intérieur d'un cycle d'apprentissage, et d'un cycle à l'autre.

L'influence des conseils autorisés apparaît dans les explications de Mme Matéo : « En fait la préparation a été surtout psychologique chez nous, parce qu'on a essayé de banaliser, parce qu'on nous a tellement dit qu'il faut pas..., qu'il faut voir la 6ème comme la suite logique du primaire, ne pas en faire une affaire d'état... Leur dire qu'ils allaient peut-être effectivement être perturbés les premiers jours parce qu'il

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y a plus de monde, que c'est un college, c'est plus grand, mais qu'il fallait pas s'affoler, c'est plus à ce niveau-là. ».

Mme Oleg oppose l'attitude des gens de son quartier très populaire à sa propre attitude : « L es gens font pression "-Alors, clest le grand jour! ; alors c'est la grande école! » Déjà à la maternelle, les derniers jours, les mamans qui disaient "-Alors c'est le grand saut; c'est le grand départ"; le grand truc, le grand machin, on avait l'impression que c'était la terre qui s'arrêtait de tourner !. Alors, moi, j'ai répondu à ça en laissant tomber tout; en essayant de savoir ce qui se passe à l'école, mais sans trop insister, et en le laissant vivre sa vie dans la continuité. Moi, ce que je pensais être important, c'était au contraire qu'il y ait la continuité avec avant ». Mme Oleg appuie son opinion sur l'avis des psychologues du centre médico-pédagogique fréquenté par son fils : « C'est une, étape, d'autonomie et tout, mais c'est la continuité; il a pas changé du jour au lendemain; et justement le groupe de travail auquel il participait au CMP, ils allaient dans ce sens là; la psychologue elle me disait que ce serait bien dans la continuité,-qu'il continue d'y aller et puis après, de lui-même qu'il continue une autre activité ».

Les « comme d'habitude » manifestent avec les moyens du bord

que la rentrée s'inscrit dans « le cours des choses », selon l'expression

de M. Cozzeno. Astrid ayant été admise au CP sur dérogation, Mme Robles

explique que sa fille a été très bien préparée par les démarches

nécessaires à son passage anticipé. Elle présente. le jour de la rentrée

comme "une logique qui se déroulait, et à laquelle on adhérait

normalement... J'ai rien fait effectivement pour faire que ce jour-là soit

différent des autres, c'est sûr... c'est peut-être volontaire au fond".

L'apparence de l'enfant est chargée de l'inscrire dans un cursus

scolaire sans rupture. Il s'agit davantage de manifester symboliquement un

dogme que de refléter une réalité, mais nous sommes bien en face d'un rite

puisque les non-préparatifs agissent, à leur modeste échelle, sur la réalité.

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Plus royallstes que le roi

Dans leur entreprise de renforcement et du caractère purement

intellectuel de l'activité scolaire et de la continuité de celle-ci, certains

J parents en viennent à braver ce qu'ils considèrent comme les préjugés des

enseignants eux-mêmes.

J Nicolas Taunais, comme l'ensemble des « comme d'habitude »

(sauf Hugo Martins), a eu les cheveux coupés après la rentrée : « J e

voulais qu'il aille chez le coiffeur avant la rentrée au C.P. mais il était pas

d'accord et son papa non plus, donc il estallé avec ses cheveux plus longs

l que d'habitude » raconte sa mère, qui évoque le fait que M. Taunais,

après 1968 a conservé longtemps ses cheveux longs. Le couple a choisi de

I scolariser ses enfants à l'école privée bilingue, par refus des méthodes

- .répressives et du manque d'ouverture de l'école publique. Mais la

I longueur des cheveux Nicolas va être jugée par l'enseignante inadaptée au

cadre de cet établissement qui joue pourtant l'ouverture et la coeducation :

« l'année dernière la maîtresse a demandé à ce qu'on lui coupe les

• cheveux, parce qu'il paraît que ça gênait dans sa lecture, enfin je ne sais

• pas si c'était vraiment le motif ou pas, mais on lui a rafraîchi... » raconte

i Mme Taunais. Mais à la rentrée suivante Nicolas a de nouveau »les

* cheveux plus longs que ceux de sa classe » . Mme Taunais dit qu'elle

| aurait voulu qu'il aille chez le coiffeur, mais que son fils n'était pas d'accord.

Sans doute Mme Taunais est-elle partagée entre le souci de l'opinion des

j enseignants et le refus du préjugé « cheveux longs, idées courtes », et

finalement elle accepte que Nicolas manifeste qu'il n'a pas besoin de

I changer de tête pour entrer à l'école.

C'est auprès des enseignants de l'école publique que Mme Oleg va

faire valoir une conception de la propreté débarrassée de préjugés. Le jour

de la rentrée Dimitri ne portait sans doute pas de vêtements tâchés, mais sa

mère n'a pas hésité, en cours d'année scolaire, à revendiquer des critères

de propreté se référant exclusivement à l'hygiène et donc débarrassés,

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épurés des préoccupations de civilité : « Dimitri il a une spécialité, c'est les

tâches H Alors un jour, j'en ai eu marre, j'ai prévenu tout le monde, les

maîtresses, les animatrices, j'ai dit "-Dimitri, il est propre, c'est lavé, repassé,

les tâches et les trous, tant pis ! » Mme Oleg milite activement à TAPE, et

de ce fait, connaît bien les enseignants de l'école maternelle. Elle n'est pas

identifiée au 58, et se sent capable de faire reconnaître la propreté de son

fils, derrière l'apparence, trompeuse, des tâches et des trous. C'est le seul

parent que nous ayons rencontré qui joue la propreté contre l'apparence, et

qui juge acceptable une tenue d'écolier tâchée. Le contraste est frappant

entre l'attitude de ceux qui veulent se mettre au-dessus de tout soupçon, et

celle de Mme Oleg, qui, nous l'avons vu jugeait fort utile les leçons de

douche au bénéfice de ses voisins du 58. Mme Oleg juge aussi que les

habits déchirés sont tolerables: «Je l'habillerais pas n'importe comment,

mais si c'est déchiré, je m'en fiche; enfin, s'il est vraiment déchiré, ma mère

va mettre une pièce ».

Ces deux cas d'insubordination sont intéressants à comparer. Les

Taunais ont choisi de scolariser leurs enfants dans un cadre moins rigide,

et plus ouvert aux parents que ne l'est généralement l'école publique, mais

Mme Oleg agit selon les valeurs proclamées de l'instruction publique, et sa

position de militante APE lui permet sans doute effectivement d'obtenir que

les enseignants interprètent « correctement » les tâches sur les vêtements

de Dimitri.

IV. COMME TOUT LE MONDE.

Ceux qui évitent le neuf et les soins du corps exceptionnels le jour

de la rentrée ne sont pas pour autant indifférents aux regards des autres; ils

essaient, comme les tout-neufs, d'éviter les "sanctions diffuses", rires,

sarcasmes, mépris (3), qui visent celui qui ne se conforme pas aux normes

de comportement en vigueur. Mme Evbosify qui habite le XIVè, s'est

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entendue reprocher de « trop » bien habiller ses enfants pour l'école; ses

amies cadres ont eu de « petites phrases » lorsqu'elle a parlé des habits

neufs de Chloé. Les « comme d'habitude » considèrent qu'il ne convient

plus d'habiller de neuf l'enfant pour la rentrée. Alors que les « tout-neuf »

considère la rentrée comme un concours où chacun cherche à être le plus

beau (sans sortir de la catégorie tenue d'écolier), d'habitude », ils

craignent de se ridiculiser en en faisant « trop ». Rappelons l'opinion de

Mme Leguen "les enfants qui arrivent trop bien peignés, trop bien léchés,

trop bien vernis, sont un peu tournés en ridicule, c'est à dire que c'est mal

perçu maintenant, ça a changé ça." Mme Calvari lorsqu'elle évoque

l'attitude de sa propre mère dit : « Elle préparait vraiment tout ce qu'il fallait,

en étant presque trop parfaite ». On retrouve, chez des gens beaucoup

moins fortunés, souvent d'origine modeste, mais longuement scolarisés,

une variante démocratisée du « ni vue ni connue » de la bourgeoisie

ancienne analysée par Beatrix Le Witta : « - J'accorde toujours de

l'importance à la manière qu'ils ont d'être habillés. Et j'aime moi, en fait, les

choses qui ne se voient pas »déclare Mme Martins.

Les propos de Mme Matéo exprime bien la complexité de cette

attitude. Elle raconte d'abord qu'elle n'a pas beaucoup prêté d'attention à

l'apparence de ses fils le jour de la rentrée : « Je dois dire que je n'ai pas

attaché beaucoup d'importance à leur tenue, pas plus que l'année dernière,

pourvu qu'ils partent propres ». Au fil des entretiens elle indique que son

fils est «assez méticuleux lui-même, il est assez propre (...) De lui-même il

.accepterait jamais de mettre un T-shirt sale ou déchiré; donc c'est facile

avec lui ». Elle dit aussi l'importance qu'elle accorde à la propreté de ses

écoliers .« C'est important, j'en suis convaincue, par respect, comme ça, vis

à vis des autres, vis à vis des enseignants, j'ai toujours fait très attention à

l'état de leurs vêtements, même s'ils n'en ont pas l'apparence, l'air de

dire «je m'en fiche un petit peu » ». Il faut, pour Mme Matéo, à la fois

que ses enfants soient propres et que cette préoccupation ne soit pas trop

visible; c'est pourquoi elle nous livre comme un «aveu», un détail

concernant son souci de la tenue de ses enfants : « Je sais bien que ça a

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l'air ridicule, mais c'est vrai que j'investis même au niveau des tennis, qu'il

faut que ça soit propre, on met du blanc, on lave les lacets régulièrement,

c'est ridicule certainement, mais enfin, je peux pas m'en empêcher,

voilà! ».

Il semble que les parents aient à donner à l'enfant une apparence

« naturelle » ; ils doivent manifester qu'ils n'ont pas pomponné leur écolier

; ils doivent en quelque sorte se faire oublier en tant que parents pour que

se manifeste le fruit de la bonne éducation : un enfant autonome et à l'aise,

correct sans raideur.

Désinvolture affichée.

Ce désir que l'enfant soit correct sans que les parents aient l'air de

s'y être appliqué peut basculer dans le désir prioritaire d'afficher la

désinvolture. Mme Mériot présente comme des concessions pénibles aux

conventions le choix, en certaines circonstances, de vêtements qui

sembleraient très ordinaires à bien d'autres mères : " Si on est invités , les

histoires de réunions de famille; je veux dire, dans ma belle famille, où les

enfants ont tendance à avoir justement une chemise, une cravate ... j'ai

horreur des gamins qui sont en chemise-cravate genre petit homme, donc

surtout pas ; ce jour-là ils ont un jeans sans trou parce que c'est pas la

peine de choquer et puis un t-shirt blanc ou une chemise sympa... » Elle

laisse son fils entrer en CM2, puis en 6è, dans des vêtements élimés. Cette

tenue ne relève pas d'une pénurie de vêtements due à des ennuis

financiers ou à la négligence ; « J'aime bien leur acheter des vêtements,

leur acheter des trucs sympas mais en fait, je leur achète trop et pourtant

j'essaye de me gendarmer ». Par ailleurs Mme Mériot ne tolère pas les

tâches d'une façon générale, explique-t-elle, « c'est les tâches que je

supporte pas, parce que je trouve que effectivement, pour les autres, c'est

pas du tout agréable; ça aussi il s'en fiche, mais ça fait partie de l'éducation

que j'essaye de donner à mes fils. Ca fait partie de la courtoisie qu'on a

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pour les autres, de manger proprement à table, de pas sortir avec des

tâches partout et de pas sortir des insanités » Mme Mériot, tout comme

Erasme, range les tâches au côté des mauvaises manières de table et des

grossièretés de langage, c'est-à-dire dans la catégorie des comportements

condamnables eu égard à la sensibilité d'autrui (4). Cette catégorisation va

de pair avec une tendance à la banalisation de l'espace. A la question :

« Si un mercredi, où ils ne vont pas à l'école, vous les voyez avec une

tenue avec une tâche, est-ce que vous n'êtes pas tentée de les laisser plus

facilement aller que s'ils allaient à l'école ? », elle répond : « Non, parce

que je trouve qu'ils ont suffisamment de vêtements dans leur placard pour

pouvoir mettre des affaires propres »_ Cependant, le soir précédant la

rentrée elle a veillé à ce que son fils prenne un bain, ce qu'il ne fait pas tous

les soirs, et elle a lavé le jean très usagé que Sébastien avait choisi pour

aborder le collège. Le caractère très usagé de la tenue de rentrée nous

intriguant, nous cherchons à mieux comprendre, ce qui était d'abord

présenté comme un caprice de l'écolier.

« - L'exigence principale, pour vous ce serait quoi, finalement, la propreté,

l'élégance, la coquetterie ?

- La coquetterie, peut-être pas , mais la beauté, la propreté et l'élégance;

mais l'élégance, pas conçue comme ... conçue comme leur style, étant

entendu que comme par hasard leur style est un style queje trouve sympa !

- donc, finalement, ça vous convient assez qu'ils soient élégants, mais du

style "négligé" ?

- Enfin, moi j'appelle pas ça négligé.

- Elégamment négligé?

- Oui oui !

- Vous vous en fichez pas du tout ?

- Non, je m'en fiche pas; je dois dire que si je les voyais partir à l'école avec

un pantalon de jogging rouge vif, un t-shirt jaune et un haut de survêtement

violet brillant, je pense que ...je tomberais à la renverse ».

Mme Mériot a le souci de la propreté et du bon goût, et l'état des

vêtements de ses enfants, plus usagé qu'il n'est admis par la majorité des

parents, n'est pas le résultat d'un désintérêt ou d'une négligence, il s'agit

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d'un choix. Ce choix nous paraît différent de celui de Mme Oleg, car alors

que celle-ci impose les tâches en vertu d'une conception scientifique de la

propreté, Mme Mériot cherche sans doute à préserver la personnalité de

ses fils de l'éventuel conformisme scolaire.

Objet transltionnel et encouragement à l'enfant pour qu'il reste

«lui-même».

Mme Mériot pousse plus loin que les autres « comme d'habitude » le

souci que les vêtements aident l'enfant à persévérer dans son être, en

l'enveloppant de son passé, et en proclamant sa décontraction.

Dans le cas de Sébastien Mériot, unique parmi nos informateurs, la

parenté entre le vieux vêtement et "l'objet transitionnel" est forte. Pour Mme

Mériot, la rentrée c'était « une reprise d'habitudes >» et Sébastien choisit

de porter pour aborder le CM2 " un pantalon de jogging qui commence à

se trouer aux genoux mais qui apparemment est très confortable ; et il n'a

pas voulu l'échanger contre autre chose; un T shirt souvent porté cet été en

vacances, il commence à être trop petit mais il l'adore, donc je le lui ai pas

encore arraché, il rentre encore dedans mais à peine ; de vieilles baskets

noires qui sont vraiment dans un sale état, qu'il traîne tous les jours ;il a des

chausssures en toile très sympas et il a une autre paire de baskets

blanches, mais c'est toujours les mêmes qu'il met, mais ça, j'ai l'habitude. "

Cette attitude extrême sera encore amplifiée l'année suivante, pour l'entrée

en 6ème où Sébastien portera "unjean noir troué aux genoux, usé comme

c'est pas possible ; c'est son jean préféré, il le lâche pas.", jean dont la

mère fait l'historique : donné par un cousin, il a été porté par le frère aîné

avant d'être transmis à Sébastien

Sans aller jusque là, le dispositif des foyers qui n'ont « rien » fait

encouragent chez l'enfant le sentiment de sa propre continuité. Les

vêtements déjà portés ne se définissent pas seulement négativement, par

leur caractère non neuf. Les vêtements non neufs sont aussi des vêtements

familiers, investis affectivement, où l'on se sent soi-même, auxquels on est

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attaché et auxquels les parents prêtent une propriété de sécurisation. Ici

apparaît, en positif, le refus du neuf. C'est pourquoi les parents, avec

d'éventuelles restrictions, laissent l'enfant choisir les vêtements qu'il

portera. Enumérant les éléments de la tenue de rentrée, ils précisent au

passage qu'il s'agit de vêtements qu'il "aime", "dont il avait envie», «qu'il

connaît déjà".

V. CREER UN CADRE UNIQUE.

Deux familles « comme d'habitude » poussent plus loin que les

autres la mise en scène des dogmes pédagogiques favorables à

« l'autonomie » de l'enfant et à la « coeducation ».

Chez les « comme d'habitude » précédents, l'affectation de tel ou tel

vêtement pourra être différente selon les foyers : ainsi le jogging ou la

chemise seront intégrés ou refusés dans la pile des vêtements pour l'école.

Parfois il semble n'y avoir que deux piles, comme chez les Martins (qui

intègrent le jogging aux tenues de classe, et semblent ne pas conserver les

vêtements devenus indignes de l'école) . Même si la diversité des tenues

est loin d'être aussi grande que chez les Rabade ou les Soumba, dans ces

foyers aussi les soins du corps et des tenues donnent des points de repères

quant aux diverses facettes de l'existence. L'aspect éducatif de cette

diversité est revendiqué par Mme Rieux : « Mon souci principal, c'est de lui

apprendre qu'il n'y a pas que le jogging et les baskets. Et j'aimerais lui

apprendre qu'il y a des tenues diversifiées, qu'il y a des moments où on

peut se faire un peu plus plaisir etc. ».

Par contre, la tenue des enfants Foucher ne sert pas à marquer les

circonstances, et Mme Foucher exprime une certaine hostilité aux

cérémonies elles-mêmes : « Les communions nous ne connaissons pas,

les mariages nous évitons ce genre de cérémonie aussi. Quand on a

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vraiment quelque chose d'important, ils vont avec leurs vêtements courants.

Il n'y a pas de "vêtements du Dimanche". Ils sont habillés tous les jours

pareils. Ils vont à l'école de la même façon qu'ils sont habillés à la maison

ou quand ils sont invités ». Ce n'est pas par désintérêt pour l'apparence

de ses enfants que Mme Foucher adopte cette ligne conduite ; elle aime

acheter des vêtements à ses fils, elle y consacre du temps, et attache de

l'importance à ce qu'ils aient l'air habillés avec de manière (relativement)

recherchée et coûteuse. « C'est vrai qu'ils sont habillés avec une certaine

recherche, très souvent des vêtements de qualité, des vêtements de

marque. (...) Je fais les soldes systématiquement (...) Quand on les voit

comme ça, on se dit qu'ils sont habillés avec un énorme budget et en fait

j'arrive à trouver des vêtements à des prix défiant toute concurrence».

Mme Foucher semble faire de la tenue de ses enfants une affaire

personnelle, une affaire privée, indépendante des contraintes que

pourraient constituer telle ou telle situation; le parallèle qu'elle établit est à

cet égard significative : « J'ai toujours accordé un certain plaisir à leur

acheter de jolis vêtements : de la même façon que j'aime bien arranger

mon intérieur, j'aime que mes enfants soient bien habillés ». Le logement

peut être utilisé comme une extension du moi intime; il permet d'être chez

soi ; il est un intérieur, dont l'intimité s'oppose à l'espace public extérieur. Il

est aussi un cadre dans lequel on peut inviter des personnes de l'extérieur,

étrangers qui auront à s'adapter à ce cadre défini par ses occupants et qui

contribue à les définir. Si l'on poursuit la comparaison entre les enfants et

l'appartement, la fonction de l'apparence des enfants est, elle aussi, double.

D'une part elle est aménagée par la mère, parce que ses enfants

constituent une extension d'elle-même. D'autre part Mme Foucher traite

l'apparence de ses enfants comme une sorte de logement portatif, qu'elle

aménage pour eux, un cadre destiné à ce que les autres s'adaptent à eux.

Cette façon de traiter l'apparence physique comme un cadre est à la fois

banale et très intéressante.

Banale dans la mesure où elle correspond, comme l'a analysé Norbert

Elias, à la conscience de soi qui s'est créée en occident avec

l'affaiblissement des appartenances locales, et le renforcement du pouvoir

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central (5). Nous avons le sentiment d'être constitués d'un moi profond, a la

fois protégé et isolé du monde extérieur par une enveloppe.

Intéressante parce que ce sentiment d'individualité se trouve ici

exacerbé au point d'opérer un renversement : l'enveloppe du moi,

expression du visage, vêtements, postures, chargée de révéler ou

dissimuler celui-ci, devient capable de lui éviter de s'adapter aux autres.

L'apparence n'est plus une « armure » protectrice mais gênante, elle

permet au contraire d'être « bien dans sa peau ». Elle n'est plus

seulement le cadre sécurisant mais contraignant du moi profond, elle

devient un cadre qui, comme le domicile privé, accueille autrui tout en lui

dictant sa conduite.

Le parallèle établi par Mme Foucher nous, paraît révélateur d'une

forme d'individualisme qui se développe dans les couches instruites en

ascension sociale, et dont nous allons retrouver l'expression dans une

autre famille.

Cependant, chez Mme Foucher, le souci de propreté et correction

est mis"en relation avec l'école : « Ils sont toujours propres et corrects en

arrivant à l'école.(...) Ils prennent leur bain parce que je veux qu'ils soient

propres pour aller à l'école. J'y fais plus attention pour aller à l'école que

dans les autres occasions ». Ce souci est motivé par deux ordres de

considération : « par respect pour la maîtresse » mais aussi pour rendre

les enfants, aux yeux de celle-ci, attirants. « Je pense que mes enfants, le

fait qu'ils soient propres et bien habillés, crée une attirance . Je l'avais vu

pour Simon , à la fin de sa 2ème année de crèche : on nous avait remis un

livret et il y avait les impressions des puéricultrices et c'est un côté qui était

apparu dans le dossier. Elles ne me l'avaient pas dit mais c'était dans le

dossier ». Pour les enfants Foucher, « toujours habillés pareil », la tenue

de rentrée était quand même marquée par le fait que l'enfant doit se

présenter régulièrement à l'école « propre et correct ».

Les Calvari, eux, semblent considérer que ni le degré de propreté ni

la tenue des enfants n'a à prendre en compte les circonstances autres que

climatiques. L'apparence de Romain et de son grand frère, âgés de 9 et 14

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ans en 1993), serait, aux dires de leur mère, insensible, au calendrier et aux

différents contextes :

Les enfants n'ont pas de « tenue habillée » mais leurs vêtements

seraient considérés par beaucoup de tout-neuf et plusieurs comme

d'habitude comme trop chics pour l'école : « Ils ont des chemises qui sont

tellement belles et de marque, qu'ils peuvent aussi bien les mettre parce

qu'ils ont envie, un jour, pour aller à l'école, qu'un jour où il y a une fête,

une sortie» . Il n'y aurait donc pas de vêtements réservés pour certaines

circonstances, et « un vêtement qui est déchiré à l'école parce qu'ils ont

joué, ça ne me met pas du tout dans tous mes états, ça ne me gène pas ».

Les habits déchirés ou quelque peu usés sont éliminés au fur et à mesure

de la garde-robe des. garçons Calvari. Par exemple, au retour des

vacances, « le tri des vêtements s'est fait par rapport à la taille et puis si la

couleur était défraîchie »\ la sélection est sévère : « de temps en temps,

- certains vêtements du grand qui sont vraiment en excellent état et qui

pourront aller à son frère, je les garde, mais c'est très limité.». Comme Mme

Foucher les Calvari aiment rechercher des vêtements pour leurs enfants.

Les achats sont fréquents, liés à des bonnes occasions et à des « coups de

coeur »de Mme Calvari ou de son mari. « Mon mari aime bien venir avec

moi faire les courses et d'ailleurs il achète aussi très souvent tout seul, il

connaît la taille des garçons. Ils ont beaucoup de vêtements de marque

mais qui viennent des stocks ou démarqués, ou alors, on voyage beaucoup,

(M. Calvari travaille dans une compagnie aérienne) et on en achète pas mal

à l'étranger, au Maroc, en Thaïlande, Indonésie, etc. (...)». La périodicité

des achats est donc, selon Mme Calvari, complètement déconnectée des

circonstances de l'existence des enfants. Il s'agit sans doute d'une

présentation des faits exprimant une certaine conception du statut de

l'enfant, que d'un reflet exact de la réalité puisque nous notons, dans la

tenue de rentrée de Romain, la présence d'un slip « acheté en Juin, pour la

classe de mer », et l'année suivante d'un blouson en jeans « acheté

l'année dernière pour aller en classe de nature ». Par ailleurs Romain « a

une eau de toilette qu'il met quand il va à un anniversaire d'un copain, il

n'en a pas mis le matin de la rentrée ».

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De même que la tenue vestimentaire, la propreté corporelle et celle

des vêtements sont présentées comme une constante : « Ils aiment l'eau,

même trop; alors ils se lavent facilement, ils se douchent, ils se coiffent, ils

se lavent les dents tout le temps (...) Mes enfants ont eu l'habitude d'être

changés régulièrement, donc propres, ce sont des enfants qui n'aiment pas

du tout garder un vêtement deux jours de suite et surtout si un vêtement est

tâché, d'eux-mêmes, depuis tout petits ».

Au détour de la conversation, Mme Calvari reconnaît que le goût de

Romain pour la propreté n'exclut pas la nécessité de quelque pression ; « A

des moments, il préférerait traîner que d'aller se doucher, mais quand on lui

dit, il y va » ; mais l'accent est mis, là aussi, sur le caractère

décontextualisé de l'état des enfants. Il n'y aurait aucune occasion

susceptible de provoquer une attention particulière aux soins du corps : « -

Non, parce que ce sont des soins réguliers et que je ne m'inquiète pas. Si

par hasard il se foule un pied, si on lui enlève la chaussette, je n'ai pas de

crainte à avoir ».

Dans la présentation qu'en donne Mme Calvari les exigences de

l'école ne sont pas des contraintes pour elle et les membres de sa famille

puisqu'elles correspondent à leurs propres habitudes familiales, voir à la

seconde nature inculquée aux enfants par ces habitudes.« Ils sont toujours

bien habillés, propres , confortables et qui leur plaît. » :. le devoir est

transmué en goût, par intériorisation des contraintes.

Tous les efforts des parents de Romain semblent viser à créer, à

l'aide des soins du corps et des vêtements (et des sous-vêtements, qui sont

eux aussi de marque), une enveloppe, qui permettrait à l'enfant d'être

toujours à l'aise, « bien dans sa peau », de ne jamais se sentir déplacé. Il

s'agit de protéger les enfants du « regard des autres, soit critique parce

qu'ils sont trop bien, soit critique parce qu'ils sont sales, ou critiques parce

qu'ils sont déchirés (...) Passer dans la masse en étant sûr d'être bien dans

sa peau, je crois que ça favorise leur équilibre ».

Il est probable que le thème même des entretiens a poussé Mme

Calvari à gauchir sa présentation des faits dans le sens de la mise en

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valeur de l'existence de ce cadre protecteur qui parviendrait a éviter aux

enfants les ruptures temporelles et spatiales. Mme Calvari pense que, à

condition que les parents s'abstiennent de marquer la rentrée par des

préparatifs, le temps des vacances peut être aboli : "Je crois que si les

parents en font un petit peu de trop... alors que là, j'ai l'impression que les

enfants vont à l'école le jour de la rentrée sans vraiment avoir quitté l'école

deux mois avant, et sans avoir l'impression qu'ils vont reprendre un travail...

Je crois qu'il faut qu'il n'y ait pas de rupture trop marquante." Alors que

Romain vient d'entrer au CM2, elle prévoit déjà l'entrée au collège : "Pour la

6ème, on essaiera de ne pas faire quelque chose de trop exceptionnel

pour pas que ce soit quelque chose qui rompe trop avec les habitudes, qui

soit déstabilisant car les enfants ont quand même besoin de garder un

cadre bien stable". On peut s'étonner du pouvoir qui est ainsi conféré aux

pratiques négatives de conserver un cadre qui donne à l'enfant la stabilité

que tous les changements, énumérés par Mme Calvari elle-même,

menacent de détruire : " ...changer d'établissement, d'horaires, des

changements de professeurs.... ».

Plutôt que d'une émancipation du cadre scolaire, il s'agit ici de son

extension, sous sa forme moderne, à l'ensemble de l'existence. L'enfant est

censé être autonome, la spécificité des différentes sphères de la vie sociale

devrait disparaître, au profit d'un unique et harmonieux environnement

éducatif. Ce cadre n'existant pas encore, l'apparence de l'enfant est

chargée, par un étrange renversement, d'en fournir l'équivalent.

CONCLUSION :

Les « non préparatifs » de rentrée contribuent à une

représentation du temps et de l'espace scolaires qui n'est pas davantage

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que celle des tout-neuf, le reflet ou l'expression passive de la réalité.

Cependant l'interprétation qu'ils proposent de la relation entre familles et

école, contrairement à celle des tout-neuf, est en accord avec un certain

nombre d'orientations affichées par les responsables de l'Education

Nationale. Cette particularité contribue à rendre invisible ce qu'il y a de

construit, de mis en scène, dans les préparatifs négatifs des « comme

d'habitude >».

Notes :

1 ) François-André Isambert, Le sens du sacré, fête et religion populaire, Ed de Minuit, 1982, pp. 113-118.

2) Christian Nique, Claude Lelièvre, La république n'éduqueraplus, Pion, 1993.

3) Ruwen Ogien, "Sanctions diffuses", Revue Française de sociologie, XXI, 1990.

4) Selon Erasme, d'ailleurs,̂ « un peu de négligence dans l'ajustement ne messiedpas à la jeunesse, mais il ne faut pas pousser cela jusqu'à la malpropreté ». La civilité puérile, publiée en annexe de Erasme, De pueris, Klincksieck,1990, p.99.

5) «Ce que ion est ou ce que l'on fait dans le rapport avec les autres apparaît comme quelque chose qui est imposé «de l'extérieur», un masque ou une enveloppe que la « société » poserait sur le « noyau intérieur» de la « nature » individuelle ». « Dans la logique de la pensée affective (...) ce rempart invisible se confond, dans la façon dont il est ressenti, avec le corps tangible : c'est le corps, se dit-on alors, qui sépare commeun mur Itiommedes autres hommes- même si l'on sait pertinemment que c'est le corps qui les réunit» Norbert Elias, La société des individus, Fayard, 1991, p. 176 et p. 165.

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IV. PLUS CORRECTS.

« Le lycée était une école qui n'était pas faite pour nous. Il fallait payer pour y être admis, et, sans doute aussi, ne devait-on s'y présenter que dans ses habits du dimanche. Bébé était toujours tiré à quatre épingles. Comme il sied à un enfant unique, il était choyé, ponponné, vêtu des meilleurs habits : chaussettes blanches et souliers jaunes, comme pour aller à la fête, lavé, peigné avec soin, un large noeud papillon à son cou. Un vrai enfant modèle. » . Louis Guilloux, L'herbe d'oubli, Gallimard, 1984, p. 72.

La notion de « plus ou moins correct » , déjà rencontrée, servira de

fil directeur à ce chapitre. Nous ferons d'abord l'analyse du dispositif

« plus correct », et de sa contribution à une définition particulière de la

rentrée. Nous en viendrons ensuite aux tenues portées, le jour de la

rentrée, par deux « comme d'habitude », tenues qui ressemblent fort à

celles des « plus correct». Puis nous nous interrogerons sur les repères

servant aux familles pour définir la « correction ». Sans analyser dans le

détail les modes enfantines et juvéniles, vaste sujet qui excède le champ de

notre recherche, nous soulignerons la plus ou moins grande indépendance

des tenues d'écoliers à l'égard du modèle offert par les classes

supérieures.

I. « PLUS C O R R E C T »

Rappelons le dispositif « plus correct » :

- l'enfant ne porte rien de neuf (vêtements ou sous-vêtements),

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- la tenue est plus «correcte», ou plus «chic» que d'habitude, cest une

tenue qui conviendrait pour un anniversaire ou une visite aux grands-

parents,

- les soins du corps sont particulièrement méticuleux,

- l'enfant a eu les cheveux coupés, assez longtemps avant la rentrée pour

qu'il n'ait pas l'air, ce jour-là, de sortir de chez le coiffeur, mais pas au point

d'avoir besoin d'y retourner dans les jours prochains.

Parmi nos informateurs seules trois familles ont suivi ce système de

règles, ce qui limite nos possibilités d'analyse.

Mme de la Combe n'a, dit-elle, pas fait de préparatif : "Je vous dis,

on n'a rien fait de spécial, on n'a rien préparé. J'ai acheté quelques

vêtements pour lui, pas pour sa soeur ..." Mais ces vêtements ne seront

pas utilisés le jour de la rentrée, Jean ne portera rien de neuf ce jour-là.

Son cartable avait été acheté la première année de maternelle «On y a

mis un cahier à spirales quadrillé, une trousse qu'il avait de l'année

dernière ». Mme de la Combe commente spontanément l'absence de

matériel neuf : « On n'a pas du tout mis l'accent sur l'aspect matériel de la

rentrée, on a plutôt favorisé l'aspect acquisition des connaissances car ça

allait être l'année de la découverte pour lui ». Alors que ces éléments

laissent.augurer une rentrée «comme d'habitude», la tenue du petit

garçon ne correspondait pas à sa tenue d'écolier habituelle : « Je l'ai

habillé très très joliment, comme j'aurais pu l'habiller pour un

anniversaire. » . En ce qui concerne les soins du corps, sa mère a procédé

à « une revue générale en prévision de la rentrée".. Les cheveux, ayant

été coupés à la mi-Août, ont simplement été lavés.

Une tenue de fête.

Commentant le choix des vêtements, le matin de la rentrée, Mme de

la Combe dit : « On a marqué le coup » et emploie la même expression

pour désigner d'autres occasions de soigner la tenue : « On marque le

coup quand il va à un anniversaire, quand il va chez ses grands parents

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paternels, pour Noël ». « mais il n'est pas du tout déguisé en monsieur

miniature, avec une veste, une cravate ou un noeud papillon. Il a un joli

pantalon de velours bleu-marine et un pull over ».

Mme de la Combe caractérise la tenue de Jean par une série de

nuances : « Il était très très bien habillé, pas forcément avec des choses de

prix, mais jolies (....) C'était soigné, mais sans ostentation; sans vêtements

neufs, mais il était mignon, bien habillé (...)Mais en même temps il n'était

pas « endimanché » comme on dit. Non, parce qu'il n'en a pas d'ailleurs

de vêtements endimanchés, il était habillé chic , mais bon (...) Il n'est pas

du tout déguisé en monsieur miniature, avec une veste, une cravate ou un

noeud papillon. Il a un joli pantalon de velours bleu-marine et un pull

over ».

La rentrée, chez les Combe a été traitée, sur le plan vestimentaire

comme une fête. Parlant de l'apparence de l'enfant lors des déjeuners chez

ses grands-parents, Mme de la Combe précise qu'elle est prévue « pour

leur faire plaisir, pour les honorer un petit peu » ; la tenue de Jean le jour

de la rentrée est sans doute une façon d'honorer » l'école. Mais autant

qu'une manifestation destinée à l'extérieur, il s'agit pour la famille de se

mobiliser ; « Mon mari avait promis aux enfants de rentrer tôt ce soir là,

donc quand on s'est retrouvé le soir, c'était une petite fête, rien

d'extraordinaire, mais on a parlé, on s'est réjoui, on a quand même pas mal

amplifié le phénomène. Jean ne raconte pas beaucoup de choses

malheureusement, mais on a eu quand même quelques bribes ».

Une tenue qui n'est pas inaugurale.

Mme de la Combe caractérise la tenue de rentrée non seulement

par assimilation à une tenue de fête, mais aussi par opposition à la tenue

de classe habituelle de Jean. Chacun des vêtements choisis le matin de la

rentrée, sur intervention des parents, est caractérisé par son opposition à un

autre vêtement : "Je voulais qu'il mette une jolie chemise, et lui voulait

mettre un T-shirt ou un polo » . « Son papa avait tenu à lui mettre des

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chaussures, et non pas des baskets (...) On lui a pas mis un jean ou... Il a

mis un bermuda très chicos"..

C'est selon le même principe de présentation que Mme Mardain

évoque la tenue de Jérémy à son entrée en sixième : pour aborder le

collège son fils était habillé avec un pantalon bleu marine, une chemise de

jean, un pull col en V, des baskets, le tout ayant été déjà porté. Cette tenue

est la même que celle qu'il endosse pour aller aux anniversaires de ses

copains. « L'objet de négociation , explique Mme Mardain, c'esf le

pantalon long, la chemise plutôt que le T- shirt. Les baskets, c'est immuable.

Il s'était habillé avec son short et son T- shirt de la semaine et je l'ai fait

déshabiller et je l'ai habillé correctement, proprement pour le premier jour,

pour être disposé à l'effort ». Elle ajoute en riant : «On a tenu trois jours ...

après c'est rentré dans le quotidien » .

La tenue de rentrée Jérémy aurait pu convenir pour un anniversaire

ou une visite aux grands-parents, mais elle n'est pas sa « grande tenue » :

« - J'ai une veste de smoking, un pantalon qui va avec et une

chemise blanche. J'ai mis ça y a pas longtemps pour un mariage; la veste

c'est mon grand père à Noël, le pantalon c'est maman, la chemise aussi.

J'ai mis aussi à Noël (...) Pour aller à une boum, je mets un jean et une

chemise ».

Réinstaurer l'ordre.

Les commentaires de Mme Mardain concernant les soins du corps

acceptés par Jérémy donnent à ceux-ci la signification non pas d'un bain

lustral nécessaire au renouvellement d'un temps cyclique, mais du retour à

des principes que la vie quotidienne a tendance à estomper. La veille,

Jérémy a pris un bain, ce.qui bien sûr n'est pas exceptionnel, mais

commente sa mère : « La règle, c'est un bain tous les soirs mais il y a

beaucoup de soirs où on passe à côté »Même renforcement de « l a

règle » le matin : « avant de partir il se lave la figure et les mains, mais

c'est un garçon de dix ans, pas axé sur la savonnette ; donc je lui ai dit de

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se laver un peu plus que d'habitude. Plus ce jour-là, oui. ». Les préparatifs

de rentrée contribuent aussi chez les Combe à un retour à l'ordre, après

l'anarchie des vacances. Mme de la Combe indiquant que la famille s'est

couchée plus tôt que d'habitude, commente « par rapport aux horaires

anarchiques de l'été, c'était quand même assez structuré ». Elle dit aussi :

« il a très bien mangé dans la perspective d'avoir un gros effort à fournir le

lendemain, il sait qu'il doit bien manger pour être en forme quoi ». Pourtant,

selon sa mère, «le C.P., il n'a pas tout de suite réalisé que ça correspondait

à un gros travail »,

« Je l'ai habillé correctement, proprement pour le premier jour, dit

Mme Mardain, pour être disposé à l'effort ». Elle ajoute en riant : «On a

tenu trois jours... après c'est rentré dans le quotidien » . Mme Mardain, qui

achètera des vêtements et la plupart des fournitures après la rentrée, offre à

Jérémy, à l'occasion de celle-ci, un roman de Pennac. En nous le signalant,

parmi ses rares préparatifs, elle ajoute « rien à voir avec le scolaire, pour le

plaisir ».

Le sérieux de l'ordre scolaire, auquel se référait la tenue de

Vincent, l'effort au quel celle de Jérémy doit le disposer, le travail qui attend

Jean, selon sa mère, s'opposent aux plaisirs des loisirs. Peut-être le

rapport à l'école est-il davantage instrumentalisé, plus distancé, que celui

des autres familles, ainsi que le suggère le roman qui n'a « rien à voir »

avec l'école, ou ces propos de Mme de la Combe : « Je fais confiance à

l'école publique tant que ça marche, et si ça ne marche plus, sans états

d'âmes et si j'ai les moyens financiers pour, je le changerai d'école. Mais je

ne vois pas pourquoi je les changerais d'école, alors que l'école a bonne

réputation, qu'elle a un bon C.P. et qu'elle en plus est à côté de la maison,

parce que j'aime la proximité et pour les médecins et pour l'école ».

Tous les éléments de la tenue des enfants semblent aller dans le

sens, de les encourager à se sentir, non pas autre mais malgré tout plus

conscient d'eux-mêmes, moins « décontractés » que d'habitude. Ils sont

susceptibles de les aider à « bien se tenir ». Ils luttent contre un certain

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laisser-aller des jours de classes ordinaires; mais ils ne donnent pas à ce

moment particulier un caractère inaugural. Ils contribuent à armer les

enfants, en prévenant un certain relâchement.

Les parents qui ne rénovent pas l'enfant pour la rentrée mais

cherchent à le rendre « plus correct » donnent une troisième interprétation

de la rentrée, dans laquelle l'accent est mis sur l'opposition nécessaire

entre le travail et le jeu; l'école a des exigences, qui sans être

« dramatiques » , sont à mettre en scène, pour aider l'enfant et la famille

toute entière à s'y adapter. Les préparatifs interprètent ici la rentrée comme

un rappel à l'ordre et un retour à l'ordre, ce qui n'est pas contradictoire avec

leur connotation festive. « La fonction psychologique de la fête, remarque

F-A Isambert, même dans ses divertissements, peut aller de la libération

des pulsions interdites dans la vie quotidienne jusqu'au renforcement de la

soumission à un ordre que la vie quotidienne fait oublier » (1). Il semble

que ce dispositif vise moins que les deux précédents le pouvoir hiératique

de l'institution scolaire que ne le font les deux précédents. Alors que les

tout-neuf participent à sa résurrection annuelle, que les « comme

d'habitude » cherchent à inscrire dans la réalité sa disparition auto-

proclamée, les « plus corrects » semblent plutôt vouloir renouveler les

principes et les forces nécessaires à l'enfant et à la famille pour faire front

au travail scolaire.

Tenue(s) d'écolier(s) modèles

La tenue d'écolier de Jean exclut certains éléments jugés

convenables par d'autres parents. Comme Mme Rieux, Mme de la Combe

réserve les joggings pour les jours de gymnastique, et même préfère aux

jeans «ces pantalons de toile, c'est pas du jean, c'est peau de pêche un

peu, vous voyez ?» .Le polo fait partie des vêtements de classe. La tenue

de classe de Jean est donc moins décontractée que celle d'autres écoliers,

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mais les parents s'inclinent quand même devant la « nécessité » que

l'écolier soit « à l'aise » : « // a pas envie d'être en bermuda par exemple,

il est plus à l'aise en pantalon, pour jouer au foot dans la cour; il veut mettre

ses baskets aussi ». Mme Lejeune, très réticente au port des chaussures

de sport, doit transiger : "Les pédiatres disent que c'est mauvais d'être tout

le temps dans des tennis. C'est beaucoup moins sain pour les pieds que de

porter du cuir. Le pied est moins bien tenu. J'ai une amie pédiatre qui m'a

dit ça.. Je lui en mets, mais j'essaie qu'il mette des chaussures Je mitige".

La tenue de week-end tend à être plus «jolie» que la tenue de

classe : « Le week-end parfois on met des vêtements un peu jolis, qu'on ne

met que le week-end, parce qu'en classe ils se salissent énormément. »

Il semble que la tenue de rentrée soit l'occasion pour les Combe de

manifester ce que devrait être la tenue d'écolier de Jean si l'environnement

n'incitait au laxisme.

C'est aussi la fabrication d'un écolier modèle qui est évoquée par la

Mme Jourdan pour commenter la tenue choisie pour l'entrée de son fils en

6è. Mme Jourdan explique que le jour de la rentrée elle a veillé à ce que

son fils ait une tenue "assez classique pour faire penser que c'est un bon

élève (...)on a choisi certainement des vêtements qui le fassent considérer

comme un enfant sage, comme un bon élève." Elle ajoute, s'adressant à

son fils qui portait le jour de la rentrée une chemise bleu marine à manches

longues, un jean, un blouson bleu marine et des baskets blanches : "-T'as

pas mis ce jour-là des trucs complètement farfelus, que tu pourrais mettre à

d'autres occasions. Tu peux mettre par exemple des T- shirts Philo Dido,

des choses un petit peu marrantes. Mais le premier jour peut-être que nous

avons pensé à quelque chose de plus sérieux".

La tenue de Vincent est, selon sa mère, «classique » ; son allure

sérieuse est opposée à la fantaisie, aux éléments « farfelus, marrants »>

souvent présents dans la tenue habituelle de son écolier ; mais cette tenue

« classique », proche de celle de Jérémy, si elle exclut le T-shirt au profit

de la chemise à manches longues, comporte jeans et baskets, exclus par

les Combe. La fabrication d'écoliers modèles par les « plus correct » ne

suit pas forcément le même modèle d'écolier. Nous reviendrons sur ce point

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après avoir analysé la tenue de rentrée de Henri-Paul et Marine.

II. COMME D'HABITUDE MAIS FORT CORRECTS

C'est en short qu'Anthony Cozzeno est entré au CE1, et en T- shirt,

«parce que quand il fait beau il est habillé comme ça». La tenue du petit

garçon était donc dans la continuité des vacances. Cependant « // avait

traîné pendant toutes les vacances avec des claquettes, là on a été obligé

de mettre les baskets ». Pour l'entrée au CP il portait un jogging. C'est

aussi dans une tenue de vacances que Henri-Paul Lejeune entre au CP.

« Je leur ai mis à tous les deux des vêtements qu'ils aimaient bien , pas

neufs, qu'ils avaient eu toutes les vacances» . Mais la tenue de Henri-Paul

ressemble bien davantage à celle de Jean qu'à celle d'Anthony : T-shirt et

sweat Tintin achetés en boutique, bermuda, chaussures bateau. Dans son

cartable, Henri-Paul emporte une blouse, obligatoire dans l'école du XVè

arrondissement qu'il va fréquenter (sa mère l'y emmène en voiture). " Je les

ai mis dans une école, c'est un peu marche ou crève, c'est une école qui a

de très bons résultats...mais je ne sais pas s'ils suivront forcément. S'il y a

un problème , je les changerai". Le port obligatoire de la blouse réjouit

Mme Lejeune qui en fait longuement l'éloge ; il empêche que les enfants se

salissent et « coule (tout le monde) dans le même moule » . « Si j'achète

un joli truc, je le lui mets plus facilement le week-end que pour aller à

l'école....je trouve qu'ils reviennent dans un tel état quand ils se mettent à

jouer au foot. ». Mme Lejeune récuse l'idée formelle de "tenue de fête"

mais explique "j'achète souvent une fois par an, une tenue qu'il met..un

pantalon puis un sweat sympa ». Elle ne considère pas la tenue de rentrée

de Henri-Paul comme une tenue de fête ou d'anniversaire, puisque les

vêtements ont déjà été souvent portés. Si Henri-Paul n'a pas mis de

baskets, ce n'est pas non plus en l'honneur de la rentrée. Sa mère évite

qu'il en mette souvent. " On m'a dit que c'était pas très sain (de porter des

baskets) et qu'il valait mieux porter des chaussures de cuir pour les pieds,

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c'est mieux que les baskets ». Les soins du corps ont été habituels, les

cheveux attendront que l'année scolaire soit entamée pour être coupés :

« Je voulais l'emmener chez le coiffeur et finalement je l'ai pas emmené, je

l'emmènerai mercredi parce qu' il a les cheveux longs ».

On retrouve les mêmes caractéristiques dans les non-préparatifs de

rentrée de Marine Sevestre : blouse dans le cartable pour l'entrée dans une

école catholique du quartier, vêtements très « classiques » mais qui sont

les vêtements mis durant l'été par Marine. Robe à fleurs et chaussures

blanches en cuir ont été achetées, comme une grande partie de la garde-

robe de la fillette, dans des boutiques pour enfants du XVIè. La garde-robe

de Marine ne comporte pas de jean, parce qu'elle ne veut pas en porter ; le

jogging n'est, difficilement, accepté par l'enfant que pour faire du vélo.

Si dans le premier cas le choix de l'école est justifié par ses bons

résultats, et dans le second par son caractère familial, il permet aussi bien à

Mme Lejeune qu'à Mme Sevestre de conserver à leurs enfants une tenue

qui les distingue du commun. Il assure un entourage de camarades qui

socialement est proche des fréquentations familiales et amicales des

vacances, entourage plus homogène dans l'aisance que celui auquel ils

auraient été mêlés dans l'école publique.

III. MODELES D'ECOLIERS.

La revendication d'une appartenance de classe apparaît nettement

dans la tenue « comme d'habitude » des deux enfants qui emportent une

blouse dans leur cartable le jour de la rentrée ; elle apparaît aussi dans la

tenue « plus correcte » de Jean. Mais le modèle offert par la bourgeoisie

traditionnelle (2) est en concurrence avec d'autres références.

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Le jogging et l'école (3).

Selon Mme Bara, « tous les gens habillent leurs enfants neuf ce

jour-là mais les vêtements des enfants dépendent des parents. Je vois des

parents assez "bon genre", et leurs mômes c'est la petite chemise avec le

noeud papillon, le petit blouson, les petites pompes cirées, et puis la

maman qui arrive en jogging, elle va mettre son môme en jogging avec des

baskets propres et neufs ». Mme Bara, qui a habillé son fils d'un jogging

neuf et d'un blouson « Bombers » (à l'origine blouson des aviateurs

américains), précise ensuite qu'elle-même est rarement en jogging. Ce qui

est intéressant dans son témoignage, qui par ailleurs relève bien plus de

l'imagination que deM'observation, c'est le fait qu'elle situe socialement la

tenue de son fils, et c'est aussi la façon dont elle le fait. Il y aurait d'un côté

les gens prétentieux et démodés, de l'autre les gens modestes, modernes

et décontractés. Il est sous-entendu que les premiers sont plus aisés, plus

bourgeois, que les seconds, mais Mme Bara met l'accent sur des styles de

vie ; alors qu'elle suit le modèle offert, selon elle, par les « gens bon-

genre »pour les tenues de fête de ses enfants, elle le rejette et le ridiculise

pour le jour de la rentrée.

Les Cozzenoi' qui ont fait « comme d'habitude » tout en étant de

milieu populaire, ont mis un jogging à Anthony pour son entrée au CP ;

Mme Cozzeno insiste sur l'aspect pratique du jogging. Le jour de la rentrée

il fallait qu'Anthony « soit propre c'est tout, et puis qu'il ait des facilités pour

aller aux toilettes, c'est pour ça que je lui mets souvent des joggings. A cet

âge là, s'ils sont en pantalon ils ont forcément des bretelles ... même les

chaussures, il a des baskets à scratch. Comme ça s'il doit les enlever c'est

facile.. En fait à l'école maternelle on nous apprend à ce qu'ils aient des

vêtements qui soient faciles à mettre, donc je continue dans ce sens là. Je

trouve que c'est bien pour eux, et puis je trouve qu'on arrive toujours à

apprendre à faire les choses avec le temps ». .

Seul élément ancien de la tenue de Patricia pour son entrée au

collège, le sac-à-dos, acheté à la fin du CM2 : il est en cuir et a été acheté

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par monsieur Rabade dans une maroquinerie. Cet achat anticipait de peu

sur l'effort exceptionnel prévu pour l'entrée en 6è. Chez les Rabade, les

décisions concernant la tenue de Patricia ont été prises dès la fin du mois

de Juin : « La discussion, c'est quand j'ai eu le carnet du CM2 disant

qu'elle passait en 6ème, alors je lui ai dit, tu passes en 6ème, OK, tu

choisis, je t'achète ». La mère savait fort bien à quoi elle s'exposait « J'ai

tenu à ce qu'elle soit bien comme un peu tous les autres enfants, parce que

c'est vrai, cette génération-là, c'est génération marques ¡C'est sûr qu'elle a

dû discuter avec ses copines ». Patricia veut un survêtement Reebok, et sa

tante proposant sa contribution, elle lui demande des chaussettes Nike et

des chaussures Reebok. Sa mère raconte :« Aussitôt qu'il y a eu soldes

chez Go-Sport, au mois de juillet, je suis partie, j'ai pris tout de suite. Sinon,

en temps ordinaire, comme j'avais promis, j'aurais donné, mais ça me serait

revenu trop cher ». D'habitude Mme Rabade achète sur le marché, chez

Tati, ou dans les grandes surfaces, et elle ne prévoit pas de renouveler

pareilles dépenses. D'ailleurs l'achat des fournitures demandé par le

collège (achat qui intervient après la rentrée) marque les limites de sa

tolérance aux goûts onéreux de sa fille. « Y a eu la tempête, parce qu'elle

voulait tout marqué Naf Naf, Benetton et Creeks, faut pas pousser. D'abord

elle voulait pas aller à Continent, il fallait aller dans une librairie. Après elle

a compris parce que quand j'ai mis à côté le cahier Continent et le cahier

Naf Naf, les mêmes pages, la même feuille, elle a compris ». Cette attitude

à la fois ferme et pédagogique n'est pas nouvelle : « Je lui apprends déjà à

calculer un budget, depuis qu'elle me demande des marques. Ca va faire

trois ans, c'était Nike après Addidas, c'était ci, c'était ça, donc je lui ai dit : -

Regarde ce que je touche, regarde ce qu'il touche papa, regarde ce qu'on

doit payer, tu calcules avec moi. Quand on fait tous les mois le bilan de ce

qu'on va acheter, de ce qu'on va dépenser, le loyer, l'électricité, je l'appelle.

Elle est assise à côté de nous, pour qu'elle voit que quand elle demande

quelque chose on est pas obligé de courir acheter »_ Notons que Mme

Rabade achète un agenda (le collège laissant le choix entre agenda et

cahier de textes), bien que celui-là soit « un peu trop » par rapport à son

budget, parce qu'elle juge cette préférence légitime.

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Les dépenses somptuaires de l'entrée en sixième ont donc été

exceptionnelles mais délibérées. Le type de vêtements choisis par l'enfant

ne suscite pas de réticence.

On retrouve une attitude identique chez Mme Michaud, dont l'aîné

entre en sixième en jogging, baskets et chaussettes de marques. Habitué à

compter en terme de budget par la mère, c'est lui qui freine les dépenses en

matériel scolaire.

Les parents Benali, en revanche, n'acceptent pas sans inquiétude

et une certaine réprobation de souscrire aux exigences nouvelles de Samir.

« L'année dernière, tout ce queje lui ai acheté pour la rentrée, que ce soit

pulls ou chemises ou pantalons, il était content, mais par contre là,

vraiment... J'ai dit-Tu vas venir avec moi, on va tacheter par exemple trois

pulls, des petites chemises, un ou deux pantalons et une paire de

chaussures. Mais non, il a eu.trois choses seulement pour 900 F. ". J'ai dit "

- Ecoute Samir, à partir du moment que c'est neuf..." mais y a rien eu à

faire, c'est de la marque qu'il veut. Parce que mon fils, il se sent un petit peu

gêné vis à vis des copains, parce que la plupart du temps les copains, soit

disant, d'après lui, sont toujours bien habillés avec de la marque ». «Soit

disant », « d'après lui », Mme Benali est dubitative, et elle aurait aimé

que son fils suive son propre exemple : « Ma mère, elle m'achetait, moi de

temps en temps j'allais avec ma mère, j'achetais, mais pas cher. Je me

contentais de ce que j'avais, j'étais contente, et pourtant y avait des belles

petites jeunes filles toujours bien habillées et tout.... Tandis que mon fils : "-

Maman, lui il a ça, il a ça, moi je veux pas m'aff¡cher. Par exemple, il avait

une paire de baskets par la mairie, qui sont toutes neuves, il n'a pas voulu

les mettre pour le collège, parce que c'est pas de la marque! ». Malgré sa

réprobation, elle est sensible à l'importance que Samir accorde aux normes

de ses pairs, à son désir d'entrer en compétition avec les grands « // était

pas content, donc ça m'a fait quelque chose au fond de moi, et j'ai acheté

quand même (rire), et pourtant je vous assure qu'on n'a pas trop les

moyens, mais qu'est-ce que vous voulez, des fois on a envie de faire des

sacrifices.... Mais par contre je pourrais pas faire ça tous les jours

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(...) Combien tu les a payé, Samir, tes baskets ? -429F. » (Tout au long de

l'entretien la mère demande à Samir le prix des achats de rentrée le

concernant, et le garçon répond au centime près). Samir entre au collège

en bas de sur-vêtement et baskets Nike, avec un sweat à capuche, lui aussi

de marque. Les parents n'ont pas d'objection quant au* caractère sportif des

vêtements, mais c'est leur coût qui leur paraît disproportionné à leurs

ressources.

L'entrée au collège incite les parents « tout-neuf » à faire des

« sacrifices » plus importants que pour les autres rentrées. Certains

orientent leurs dépenses vers l'achat de vêtements de sport « d

marque », et ils procèdent alors avec une systématicité presqu'aussi

grande que pour leurs préparatifs précédents : toute la tenue visible,

chaussettes incluses, est de marque.

Ainsi certains parents, alors qu'ils accordent un$grande importance

à la tenue de rentrée, et qu'ils tiennent ce jour-là à souscrire ostensiblement

aux valeurs de l'école, choisissent, parfois, pas toujours, sous la pression

de l'enfant, une tenue en rupture totale avec les critères de correction

d'autres familles.

Les parents « tout-neuf » n'optent pas tous pour ce type de tenue.

La tenue de jogging figure dans le trousseau de rentrée, réuni par les Bris

pendant leurs vacances en Côte d'Or, mais le jour de lâ^rentrée, Jean-Marc

est en jean. « Le jean, ça fait plus chic ».explique la grande soeur. Aucun

« comme d'habitude » mis à part Anthony Cozzeno n'entre à l'école en

jogging. Le jogging n'est pas, à l'origine, un vêtement de travail,

contrairement au jean, mais un vêtement de détente après l'effort, mis au

point à l'usage des sportifs. Les avis des parents sur les circonstances dans

lesquelles il est convenable que les enfants le portent sont souvent justifiés

par des considérations pratiques, des jugements esthétiques et moraux,

mais qui ne sont pas étrangers à la position sociale, objective et subjective.

« Je trouve que" c'est bien pour eux, et puis je: trouve qu'on arrive

toujours à apprendre à faire les choses avec le temps » dit Mme Cozzeno.

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Mme Taunais, diplômée de l'enseignement supérieur, et dont le fils

fréquente la petite école bilingue, fait preuve de la même attitude : «L'année

dernière il avait pas mal de joggings, là on est dans une passe plutôt jeans

avec ceinture. Moi j'aimais bien le jogging parce qu 'ils sont pas serrés, ils

sont à l'aise »

Mais certains parents n'ont pas la même confiance dans les vertus

du temps. Malgré son souci de la « continuité », Mme Prévost, directrice

de crèche, se méfie des mauvaises habitudes (ou sacrifie au culte de la

précocité) : « Jusque là, il était 99% du temps en jogging. Cette année (son

fils vient d'entrer en C.P.) c'est plutôt les jeans, mais je suis pas sûre de son

changement donc je vérifie qu'il mette pas trop de joggings. Parce que j'ai

peur qu'il arrive plus jamais à s'habiller normalement. On est tellement à

l'aise dans un jogging».

Le jogging est associé à la « souplesse », à la « facilité », à Ja

« décontraction » ¡l'enfant n'y est « pas serré », « à l'aise », mais pour

postuler comme tenue d'écolier, ces qualités sont aussi des défauts, surtout

aux yeux des parents cadres. Chez les Reboul, les joggings (hérités

d'autres enfants) ne sont pas portés en classe, ni même pour jouer le

mercredi, ils servent de pyjamas. Mme Rieux explicite l'incompatibilité qu'il

y a, selon elle, entre école et jogging :" «J'aime pas qu'il aille en jogging à

l'école, ça ne me plaît pas. Je trouve que l'école c'est un lieu public, c'est un

lieu de travail. Comme il y a la cour de récréation, je comprends que leur

demande soit très marquée pour des vêtements souples et dans lesquels ils

bougent, mais c'est une facilité aussi. Pour moi, le jogging c'est une tenue

de sport, c'est pas une tenue, quoi. Donc Damien ne met pas de jogging

pour aller à l'école, sauf le jour où il a gym. Il en met le mercredi parce qu'il

aime bien, pour rester à la maison ou pour aller chez un copain, mais pas à

l'école, donc le substitut c'est le jean ».

Certains parents qui toléraient le jogging dans les tenues de leur

écolier notent avec satisfaction que celui-ci s'en détourne en devenant

collégien, d'autres enregistrent simplement ce changement.

« C'est une bataille qui n'est pas pour le jour de la rentrée

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spécialement, dit Mme Meriot, mais il est tout le temps avec ses pantalons

de jogging et moi je l'aime bien en jean. ....Les joggins, je comprends que

ce soit confortable mais, c'est vraiment pas gracieux, ça poche, c'est infâme

! Quand je le vois tous les matins se ruer sur un pantalon de jogging qui

commence à être troué au genou, c'est des trucs idiots, j'y pense de temps

en temps, moi, j'ai fait pareil, je me dis que je vieillis... Je le laisse partir

comme ça parce que finalement ça a peu d'importance et s'il est content

... » . Mais l'année suivante, de lui-même, Sébastien abandonne le jogging

: « quand il a gym et il lui arrive d'enlever son jean et de se mettre en

jogging, assez rarement ...» . Florine Chambón, depuis qu'elle est

collégienne, considère que le jogging « n'est plus une tenue » pour la

classe, mais pour le week-end et les jours de gymnastique.

Thomas Râteau, est encore « les trois quart du temps en jogging. »

mais il commence à mettre des jeans. « Toute la primaire il m'a fait acheter

des jeans, mais il les mettait pas, il mettait que des joggings, peut-être parce

que c'était plus confortable ! C'est carrément depuis l'entrée en 6ème qu'il

me met autant de jeans que ça. Je pense que c'est vis à vis des autres, les

plus grands, il doit voir que les plus grands sont habillés en jeans, il doit

vouloir faire comme les grands ! ! »

Mme et M Lebrun parents d'élèves militants, partisans convaincus

de la continuité pédagogique et qui opposent nettement préparation

matérielle préparation psychologique, ont acheté e n ^ , à l'occasion de

l'entrée de l'aîné au collège, des survêtements de marque (en solde) à

leurs deux garçons. "C'était un peu le cadeau de rentrée ". Ces vêtements

n'étaient pas portés au jour J., où la tenue ressemblait à celle de l'année

précédente, (jeans), mais les parents n'ont pas de prévention à l'égard du

jogging, « le jogging c'est leur tenue de base.. ». Le changement

provoqué par l'entrée au collège de l'aîné ne correspond pas

particulièrement à leurs voeux : « L'année dernière il mettait des joggings

pratiquement tout le temps; parce qu'il était à l'aise là dedans; mais dans le

courant de l'année , il a changé d'attitude, il a voulu mettre des jeans. Il a

une idée précise de jeans, c'est les 501. (- C'est les plus chers, je crois?) -

Je me débrouille pour les avoir en promo ». Le second entre en 6è en

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ayant déjà adopté le jean. Mais son exemple rappelle que le jean n est pas

forcément choisi par l'enfant pour sa correction « // sait ce qu'il veut mettre;

il veut pas faire intello. L'année dernière il avait un jean troué, ça lui allait

très bien qu'il soit troué, parce qu' un jean trop beau , une chemise avec un

pull, ça fait intello! »

Ainsi le jogging est-il traité par les collégiens selon deux modalités

principales; pour beaucoup il est abandonné, parce qu'il est un vêtement

d'enfant ; une minorité l'adopte (dans telle variante précise), mais à

condition qu'il soit « de marque », par référence à des univers nettement

éloignés de l'école et de la respectabilité bourgeoise, et au risque de se

placer en position de compétition permanente avec les jeunes partageant

leurs goûts vestimentaires, mais avec eux seuls. Quant au jean, qui est

pratiquement la seule alternative pour les garçons, il se diversifie en

variantes plus nombreuses que le jogging, variantes dont les nuances à fort

pouvoir classificatoire pour les jeunes échappent aux adultes, et dont

l'étude dépasse le cadre de notre travail. Il peut aussi bien être le substitut

discret d'un pantalon de bonne coupe, un « jean bourgeois » (4)

qu'exprimer la contestation. -

« Y a des endroits où j'ai pas envie qu'il s'habille en jogging, et là

j'interviens en lui disant « - Là, on va à tel endroit donc ne met pas un

jogging » » . Le refus d'intégrer le jogging à la tenue d'écolier mêle, avec

des pondérations diverses, le souci de respectabilité sociale et le souci

d'ajuster la tenue à l'effort que représente le travail scolaire. Inversement ,

peut-être faut-il voir dans l'envoi de l'enfant à l'école en jogging un certain

refus du modèle bourgeois de la correction, mais aussi une valorisation des

récréations, une revendication silencieuse contre les contraintes imposées

aux écoliers (5) ?

Les « comme d'habitude » qui incluent le jogging dans la tenue

d'écolier disent qu'ils n'auraient pas vu d'inconvénient à ce que l'enfant

entre à l'école en jogging, mais l'on peut supposer qu'ils ont donné un petit

coup de pouce au hasard qui a fait choisir un jean ce jour-là.

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Correct et « c lassique ».

Les Jourdan ont choisi pour Vincent des vêtements" qui le fassent

considérer comme un enfant sage, comme un bon élève." Mme Jourdan

qualifie cette tenue comme « assez classique » .Ce sont aussi des

vêtements « classiques » que portent MarineSevestre.

Chemise bleu marine à manches longues, jean, blouson bleu marine

et baskets blanches achetés à Monoprix et en grande surface pour Vincent

; robe fleurie à col blanc, cardigan blanc, chaussures de cuir blanc pour

Marine, achetés dans les boutiques du XVIè arrondissement, nous sommes

en présence de deux gammes très différentes de vêtements. Leur point

commun est de s'opposer aux vêtements « à la mode », ou « fantaisie ».

Mme et M Robles , cadres supérieurs habitent un pavillon et leurs

filles fréquentent l'école primaire du quartier où vont aussi Jean-Marc Bris

ou Anthony Cozzeno. Mme Robles sans fréquenter le XVIè, aime le

« classique » au sens où l'entend Mme Sevestre. La première année nous

décrit assez longtemps les vêtements et sous-vêtements qu'elle choisit pour

leur qualité, ses couleurs préférées pour les fillettes (bleu-marine, blanc,

rouge). Elle choisit des vêtements qui doivent être « oubliés » par l'enfant,

et ne pas attirer l'attention. Mais la pression de la fille aînée va l'amener à

modifier la tenue de ses écolières .<< Depuis l'année dernière la grande ...

J'ai beaucoup de mal... mais après tout, c'est comme ça, hein! Je préfère

qu'elle mette un petit col blanc, elle préfère un t- shirt; des fois je lui

demande de se mettre un petit peu plus habillée, non, elle ne veut plus de

jupe; elle préfère des jeans, bon i Je lui demande de mettre des chaussures

de ville, elle veut des chaussures de sport, bon! Voilà ! La petite suit la

grande, elle aime bien être habillée comme la grande, c'est son modèle. La

petite, elle, est en jupe, mais elle suit assez la grande et elle est très

souvent en pantalon » Les vêtements « dscrets », préférés par Mme

Robles, jupes plissées, cardigans, chaussures de ville, ne passent sans

doute pas inaperçus dans la cour de l'école.

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Jeans (a l'origine vêtement de travail), chaussures de sport,

blousons (d'origine militaire), la tenue des écoliers d'aujourd'hui procède

d'emprunts qui rappellent l'éclectisme de la tenue de « l'enfant bien

habillé » à la veille de la Révolution, « archaïsant (col Renaissance),

populaire (pantalon), et aussi militaire (veste et boutons d'uniforme

militaire) » (6). Hors quelques écoles privées, c'est à partir de ces

éléments obligés que les parents peuvent constituer des tenues qui gardent

pour référence le bon goût bourgeois. Sans recourir aux pantalons qui ne

sont pas des jeans (mais y ressemblent fort) de Jean de la Combe, la

chemise à manches longues, le pull col en V, ou le cardigan, la coupe de

cheveux, le sweat qui n'est pas « bariolé », construisent un nouveau

classicissisme. C'est dans les détails que l'appartenance bourgeoise ou la

référence à ses normes peuvent s'inscrire, tant que les enfants ne

viendrons pas brouiller les cartes. Il faut ¡ci rappeler le rejet, par les « tout

neuf » des jupes plissées et des chaussures de ville qui célébraient la

rentrée.

Tout dans la tenue de Bébé, dix ans, fils du directeur d'une école

primaire de Saint Brieuc, telle du moins qu'elle a survécue dans le souvenir

de Louis Guilloux, qui lui était alors en classe de fin d'études (au début du

siècle) marque qu'il est déjà identifié par ses parents à la bourgeoisie dont

le bac lui donnera le brevet (voir en tête de chapitre). Nous avons enquêté

loin des « beaux quartiers », et la tenue des élèves de sixième que nous

avons rencontrés n'a pas grand chose à voir avec celle de Bébé, sauf dans

le cas des deux enfants allant dans des écoles privées exigeant le port de

la blouse. Mais le modèle d'enfant bourgeois, avec des modifications,

apparaît dans la tenue des « plus correct» , et pour peu de temps sans

doute dans celle de Astrid Robles. Il peut se recomposer dans des

formations de compromis autour des jeans et des baskets. En revanche,

l'affirmation d'une autre référence que la bourgeoisie, s'affiche dans la

tenue de rentrée des « sportifs ».

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Notre propos était de souligner la presence, dans les tenues de

rentrée, d'autres critères de correction que ceux offerts par les classes

supérieures. Nous allons voir que ces « contre-modèles » jouent un rôle

non négligeable dans les tenues de rentrée revendiquées par les enfants

désireux d'être reconnus comme des grands.

Notes

1) Encyclopedia universalis, Fêtes, Vol 7, p. 915

2) Tradition sinueuse. Philippe Ariès note la tendance à la fin du XVIIIè siècle, à doter les jeunes garçons de bonne condition du pantalon, longtemps reservé aux marins mais devenu le costume des artisans des faubourgs. Le pantalon populaire et « débraillé » remplace la robe trop enfantine et la culotte trop cérémonieuse. Il ajoute (écrivant en 1973) :« Nous assistons actuellement à un transfert de costume qui présente quelques ressemblances avec l'adoption du pantalon par les garçons au temps de Louis XVI : le bleu du travailleur, le pantalon de toile rude est devenu le « blue-jean », que les jeunes portent avec fierté comme le signe visible de leur adolescence ».. L'enfant etla vie familiale sous l'Ancien régime, Seuil, nvelle édition, 1973.

3) Comme les parents nous appelons indifféremment « joggings » des vêtements qui diffèrent notablement par la matière, la coupe et le prix. Aux yeux des adolescents ces différences sont très importantes, puisqu'elles renvoient à des sports, des héros, et des groupes de références différents, mais ce qui nous intéresse ici c'est leur référence commune au sport.

4) Beatrix Le Wita, Ni vu ni connue, Approche ethnographique de la culture bourgeoise, Ed Maison des sciences de l'Homme, 1988, p. 72-73.

5) Anne Guérin, « La paralysie sociale chez l'enfant », Informations sociales, 1977. Jacqueline Chobeaux, Les corps clandestins, l'école,"l'enfant et le quotidien, EPI, Desclée de Brouwer, 1993.; ; ;

6) Philippe Ariès, Opus cité, p. 52.

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V. GRANDIR.

« Quand le moment venait pour l'enfant d'accompagner pour la première fois son père au marché (...) on rhabillait de neuf et son père lui ceignait la tête d'une ceinture de soie. Il recevait un poignard, un cadenas et un petit miroir; dans le capuchon de son burnous, sa mère mettait un oeuf frais. Il partait à dos de mulet précédant son père. A la porte du marché, il brisait l'oeuf, acte viril accompli aussi à l'occasion de l'ouverture des labours, ouvrait le cadenas et se regardait dans le miroir (...). Son père le guidait dans le marché le présentant aux uns et aux autres et lui achetant toutes sortes de friandises» Pierre Bourdieu, Le sens pratique, 1980, p 379.

Ce rite kabyle fait partie des cérémonies jalonnant les étapes du passage des petits garçons au monde masculin et qui aboutissent à la circoncision.., il intervient entre la sixième et la dixième année de l'enfant, et suit de près celui de la première coupe de cheveux.

Passage de la robe au premier pantalon, première coupe des

boucles du petit garçon; passage du pantalon court au pantalon long, les

changements de l'apparence de l'enfant peuvent, intégrés à des rites plus

ou moins complexes, ou en eux mêmes, marquer des étapes dans

l'existence. Le choix du jour où ces modifications de l'apparence

interviennent peut relever de l'initiative individuelle, tout en se situant dans

une plage de temps collectivement fixée, où correspondre à une cérémonie

collective. Ces deux possibilités apparaissent successivement dans

l'autobiographie d'Antoine Sylvère, Toinou, né en 1888. "Après les

vacances du Premier de l'an, (en 1893) ma mère prit la résolution, devenue

nécessaire, de me pourvoir de vêtements plus conformes à mon sexe.

Depuis longtemps, j'étais profondément vexé des doutes que tout étranger

pouvait émettre sur ma qualité de garçon. On imagine avec quelle joie je

revêtis les courtes culottes qui remplaçaient la robe que j'abandonnais pour

toujours, l'étroit paletot et le flottant tablier noir qui complétaient ma nouvelle

tenue" (1) .Albert Camus, né en 1913, situe aussi entre quatre et cinq ans

l'accès aux culottes courtes, sans que cet événement corresponde non plus

à une occasion précise. Il a quatre ans lorsqu'il entre dans la section

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maternelle de l'école d'un quartier populaire d'Alger, en compagnie d'un

voisin qui a »un an ou presque de plus que lui». « Depuis ce premier jour

où, Jacques (Albert Camus) portant encore une robe et confié à Pierre,

conscient de ses culottes et de ses devoirs d'aîné, les deux enfants étaient

allés ensemble à l'école maternelle ....» (2).

C'est pour sa première communion que Toinou aura son premier

"habit" et sa première paire de chaussures (3). La ««première

communion » qui durant une longue période a coïncidé en France avec la

fin de la scolarité obligatoire (4) , était l'occasion pour les familles de

marquer une étape dans la vie de la jeune génération ; les préparatifs

concernant l'apparence de l'enfant contribuaient à cet aspect de la

cérémonie : premier voyage à Dijon, afin d'y acheter la première paire de

chaussures et le premier chapeau pour les fillettes de Minot du début du

siècle : »jusqu'à la première communion, on allait à la messe en sabots »

(5), premier costume d'homme pour les garçons.

Nous avons recherché si, parmi nos informateurs, les étapes dans

la scolarité étaient utilisés dans les préparatifs pour marquer des étapes

dans la vie de l'enfant.

Dans le souvenir de Philippe Ariès, la scolarité sert de point de

repère aux familles bourgeoises pour l'accès des grands garçons au

pantalon long, mais c'est la fin, et non le début de l'année scolaire qui

occasionne le changement : « Dans ma génération, on quittait les culottes

courtes à la fin de la seconde, à la suite d'ailleurs d'une pression sur des

parents récalcitrants » (6).

Laurence Wylie signale que dans le Vaucluse, au début des années

1950, la première coupe de cheveux intervient pour certains petits garçons

lors de leur entrée à l'école, non pas au cours préparatoire mais dans la

classe enfantine. L'entrée des enfants à l'école coïncide plus souvent avec

leur anniversaire, avec le fait qu'ils aient quatre ans révolus, qu'avec le

premier jour de l'année scolaire. « Les seuls enfants à subir une

cérémonie spéciale avant d'entrer à l'école sont les garçons qui, comme

Jeannot Biron ou Bébert Fabre, vont se voir couper leurs belles boucles

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pour adopter la coiffure traditionnelle des garçonnets : raie sur le côté et

longue mèche retenue en arrière par une épingle. Beben) s'est fait couper

les cheveux par son père la veille de son entrée à l'école ; mais Mme Biron,

plus habituée aux moeurs citadines et dont le mari tient un commerce

prospère, a conduit Jeannot au salon de coiffure de Mme Avenas parce

qu'elle voulait que la première coupe de son fils soit faite «comme il

faut» >.> L'utilisation du tempo scolaire pour marquer cette étape de la

coupe des cheveux dans la vie de l'enfant n'est pas systématique. Certains

garçons ont les cheveux courts avant l'entrée à l'école, et au contraire

certains conservent encore quelques temps leurs boucles : « Dans la

classe enfantine, il y avait un garçon qui portait encore les cheveux longs

mais sa mère se sentait obligée de justifier ce fait en arguant que la famille

devait bientôt assister à un mariage et qu'il fallait que Loulou soit très beau

ce jour-là »(7).

Les étapes de la scolarité servent-elles actuellement, dans certains

cas, à scander l'avancée en âge de l'enfant, et en particulier à l'affirmation

progressive du bimorphisme sexuel, à partir d'une relative neutralité des

petits enfants ?

I. CURSUS SCOLAIRE ET CHEMIN DE LA VIE.

Dans quelle perspective l'entrée à la grande école inscrit-elle le

devenir de l'enfant ? D'abord, à court terme, pour la plupart des parents,

l'entrée dans l'écrit, comparée par plusieurs aux « premiers pas ». Mme

Oleg « comme d'habitude » :« Moi j'étais impatiente, dans la mesure où il

va commencer à lire à écrire, c'est sympa ! C'est émouvant ! C'est plus

d'autonomie pour lui. Avant hier il nous a lu ses premières lignes; c'est vrai

que c'est mignon; c'est comme les premiers pas, c'est une étape. Si j'avais

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eu un caméscope je l'aurait filmé; c'est charmant ». Mme Benali,

analphabète, « tout-neuf », exprime les mêmes attentes : « Je suis

contente qu'elle est rentrée à la grande école. Quand je suis allée la

chercher le premier jour, je l'ai prise dans mes bras, je l'ai embrassée, j'ai

dit "alors, ça s'est bien passé ?". C'est vrai que ça fait plaisir parce que je

me dis, maintenant, ma fille va grandir, il va savoir lire, il va savoir écrire, je

suis contente qu'elle fait ces pas-là ». (Notons au passage l'emploi du

pronom masculin pour désigner la fillette, et que nous avons aussi

rencontré dans des familles populaires françaises depuis des générations.

Sans doute peut-on y lire la prédominance de la notion « d'enfants », de

« gosses », sur l'identité sexuelle, précisément parce qu'il s'agit de jeunes

individus).

A plus long terme, quelle destinée préfigure l'entrée au cours

préparatoire ?

Mme Oleg évoque la course aux diplômes ; la perspective est

purement scolaire : « Dimitri est rentré dans le circuit, il en ressortira qu'à

16 ans dans le pire des cas (...) On voudrait pas lui mettre les pieds dans le

starting block, c'est la compèt qui arrive, faut que ça se termine sur une

agrèg ou un doctorat H On est anxieux nous mêmes, on a tendance à

anticiper les choses et en fin de compte les anticiper, c'est générateur

d'angoisse et de rien d'autre, parce que on peut pas savoir ».

Mme Benali, elle, n'envisage pas le devenir de sa fille d'un point de

vue strictement scolaire. Elle raconte, non sans fierté les projections dans

l'avenir de Sonia : « Vous savez qu'elle a de drôles de questions,

monsieur, parfois. Elle me dit "- Maman, avant j'étais à la maternelle,

maintenant je suis à la grande école, ensuite je vais aller au collège,

ensuite je vais aller au lycée et puis après je suis une femme, je vais me

marier, j'aurai des enfants ... » . Mais Sonia, qui écoutait tranquillement la

conversation en nettoyant ses rollers, lève la tête et proteste vivement

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lorsque sa mère lui fait dire : « et puis après je suis une femme » . Elle

crie :« Non! après :le bac ! Et après .... » mais elle ne sait pas dire ce

qu'il y a après le bac, et sa mère reprend ; « et après Sonia elle devient,

une grande fille, une jeune fille, une grande femme ». Sonia, toujours

fâchée, mais riant à demi, conclut : « Après je suis vieille, après je suis

morte ! » et sort en emportant ses rollers.

Aider l'enfant à franchir les diverses étapes du parcours scolaire et

l'encourager à s'acheminer vers la maturité sexuelle, sont deux projets

concomitants mais qui peuvent être ressentis comme contradictoires. Parmi

les familles que nous avons rencontrées, seule Mme Michaud utilise de

façon massive les préparatifs de l'entrée au C.P. pour manifester que sa fille

a «grandi» et devient une femme.

Nous avons déjà décrit au chapitre précédent les préparatifs

transformant certains enfants, de pied en cap, en les habillant de vêtements

typiquement « jeunes » pour leur entrée au collège. Ces coûteuses tenues

sportives reconnaissent le droit à l'enfant d'entrer dans le groupe des

jeunes, et agissent dans le sens de cette intégration. Lorsque Patricia

Rabade choisit cette tenue, en accord avec ses parents, ce n'est pas sa

féminité qui est affirmée, mais son droit à entrer dans une période qui

prépare l'accès à l'âge adulte sans préfigurer celui-ci. C'est par rapport aux

« petits jeunes » que sa mère cherche à lui donner le goût de prendre soin

d'elle-même. « C'est un plaisir d'être bien habillé ;je l'emmène avec moi ;

je fais en sorte qu'elle aime bien s'habiller. Parce que, après, quand on

regarde les petits jeunes avec unjean sale dans la rue, ça fait pas plaisir de

voir. J'attache de l'importance à ce qu'elle soit propre, bien habillée". Ces

vêtements sportifs classent les garçons et les filles dans une catégorie où ils

ne sont plus tout à fait des enfants, mais ne préfigurent et ne présagent en

rien le tailleur ou le costume cravate. Ils les autorisent à s'identifier à des

héros de mondes excentrés par rapport au monde du travail, à vivre dans

un univers intermédiaire dont les idéaux font écran aux projets raisonnables

d'installation dans la vie adulte.

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I l l

Alors que vu de l'extérieur, par les adultes, un adolescent est

caractérisé par sa ressemblance avec les autres ; vu de l'intérieur, par les

autres adolescents, l'adolescent se singularise par le détail de ses choix.

Ces deux formes d'affirmation identitaire sont complémentaires. C'est ce qui

ressort, par exemple des propos de Mme Hadim : « Le problème c'est que

dès qu'il y en a une qui a quelque chose, la semaine d'après elles ont

toutes la même chose. J'ai dit "vous manquez un peu de personnalité". Par

exemple les baskets, elles ont pratiquement toutes la même taille de pieds,

et j'ai dit : « -Je me demande comment vous faites si un jour vous allez en

gymnastique, pour reconnaître les vôtres». Elle me dit que non, elles ont

pas toutes les mêmes, y en a des moyennes, des montantes, des

moyennement montantes... » J'ai dit : « Moi je vois pas de différence dans

vos chaussures, de vraies galoches, je trouve que c'est des vraies

galoches ». Enfin, ça leur plaît !» L'apparence contribue à fixer les limites

d'un univers qui n'est pas uniforme, loin de là, mais tourné sur lui-même.

La création de cet univers intermédiaire est sans doute encouragé

indirectement par le fait que l'école n'est pas favorable à toutes les facettes

de la précocité. Ahwa Soumba inaugurait pour son entrée au collège un

ensemble chemise et pantalon en velours acheté à C et A., des baskets et

des chaussettes de marque achetés au marché de Bicêtre et chaussettes

Burlington, tenue qui sans doute n'a pas fait problème. Mais chez les

Soumba, les tenues vestimentaires sont très importantes (cf chapitre 2), et

la mère encourage Ahwa à « soigner sa tenue ». Cette attitude, cette

éducation, n'est pas forcément appréciée au collège (où la fillette obtient de

bonnes notes). « Une de ses professeurs m'a dit "-Elle est coquette, hein!"

Je crois que c'est pas le problème, le problème c'est d'être propre ».

Autrement dit, selon la mère, l'enseignante a outrepassé ses prérogatives.

Mais souvent le collège est perçu comme un lieu où il n'est pas convenable

d'affirmer la féminité. Mme Klein, enseignante, veille à ce que sa fille soit

««correcte » pour entrer au collège, et d'une façon générale elle opère une

certaine censure sur les tenues d'écolière de sa fille. « Elle a des

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camarades qui portent des vêtements qui me paraissent tout à fait

incongrus pour des petites filles ». , dit Mme Klein, mais les tenues de

vacances de sa fille ne sont plus tout-à-fait des tenues de petites-filles. Mme

Fharas intervient parfois dans la tenue d'écolière de sa fille « Des fois, je

trouve que ce n'est pas de très bon goût, donc j'essaye de la dissuader,

parce que cela fait trop femme pour aller à l'école. A l'école, pour une

enfant de 12 ans, même si elle est en 5e, même si elle fait déjà assez

femme, elle doit rester une enfant. Ce n'est pas une question de

provocation, mais je ne sais pas, mais il faut rester un peu dans la limite des

choses. En rentrant, si elle veut, elle peut se permettre ..., mais au collège,

elle ne peut pas s'habiller comme une jeune fille de 16 ans ou de 17 ans ».

La prolongation de la scolarité en se généralisant a aussi

généralisé l'adolescence, c'est-à-dire une étape aménagée sous la forme

d'une halte, sur le chemin de la maturité sexuelle.

Noémie arrachée à son difficile départ dans la vie.

A bien des égards les préparatifs de l'entrée au C.P. de Noémie

sont semblables à ceux des autres « tout-neuf ». Pourtant, contrairement à

eux, ils ne concernent que secondairement l'entrée dans l'espace-temps

scolaire.

La rentrée est le seul moment dans l'année où Mme Michaud

procède à des achats importants pour renouveler la garde-robe des

enfants. « A Noël, y a mes soeurs, mes parents, parce que j'ai beaucoup

de famille, eux, ils achètent et c'est pas la peine que j'achète, alors qu' à la

rentrée c'est moi qui met tout. » Le reste de l'année : « J'ai pas des vrais

moments, c'est quand ça méprend, quand je vois qu'ils ont besoin ».

Les habits d'abord réservés pour les fêtes sont ensuite utilisés pour

aller à l'école. Ils se distinguent des vêtements achetés pour la rentrée par

leur provenance, mais aussi par le fait qu'ils peuvent être « imposés » aux

enfants. « A Noël c'est moi qui choisit, des fois elle est pas contente mais

elle les met quand même ».

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Pour les achats effectués en deux fois dans la dernière semaine

d'Août et la première semaine de Septembre, l'avis des enfants a été

sollicité par la maman, à l'avance. « On a reçu des prospectus de

Continent, de Carrefour, et tout ça, et elle a mis des croix où elle voulait, je

veux ça, je veux ça. On a essayé de trouver ce qu'elle voulait. » Puis « on

estallé acheter les affaires, le cartable, et puis des habits. C'est elle qui a

tout choisi ».

Noémie et sa mère, d'après celle-ci, avaient la même

préoccupation : la tenue vestimentaire devait participer à l'accession de

Noémie à une nouvelle étape de son existence . « Elle disait je suis

grande, je vais à la grande école, je voulais la mettre que ça fasse petite

fille,pasbébé ».

Interrogée sur les caractéristiques des habits d'école, Mme Michaud

répond en fonction de la même préoccupation : « J'estime qu'elle doit

s'habiller autrement : comme elle dit qu'elle est grande, et moi aussi je le

dis, j'essaie de l'habiller en conséquence. » .

Les préparatifs des autres « tout-neuf » expriment avec plus de

vigueur que d'habitude les qualités de propreté et de correction

continûment requises par l'école ; ils participent à l'inauguration de

l'espace-temps scolaire qui accueillera l'enfant jusqu'aux vacances d'été ;

la rentrée de Noémie donne de l'emphase à l'étape que représente la

rentrée dans sa propre évolution.

Pour son entrée au C.P. Noémie n'est pas habillée en « petite

fille » mais « comme une maman ». « Elle a dit "-Moi je veux être comme

toi parce que comme ça je serai comme une maman" et donc je l'ai mise

comme ça, on était comme ça toutes les deux. Elle avait un caleçon et un

petit pull par dessus, on était toutes les deux pareilles. ».

Les soins du corps, la veille au soir, sont particulièrement

méticuleux, mais ce sont les préparatifs du matin qui sortent

particulièrement de l'ordinaire. « D'habitude je ne suis pas là, parce que

moi je pars le matin à 5 heures du matin, donc c'est le garçon qui la réveille

et ils partent tous les deux à l'école (...) Je me suis occupée d'elle, quoi,

puisque les autres matins je suis jamais avec elle ». Pour la mère comme

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pour la fille ce moment est exceptionnel, et il va être utilisé par Mme

Michaud pour célébrer la féminité de l'enfant. « Donc elle, elle a mis du

parfum et moi je lui ai mis de la crème, je l'ai bien peignée. C'est vrai que

j'ai pris mon temps pour la préparer. Je lui ai mis du rouge à lèvres, du fard

à joue et tout ». Le parfum est un « parfum Mickey, elle ne le met pas tout

le temps », il a été donnée à la fillette par son père, divorcé depuis six ans,

et que Noémie ne voit qu'épisodiquement.

Ce que retient Mme Michaud des réactions et remarques de sa

famille concernant la rentrée de Noémie concerne l'effet essentiel

recherché par les préparatifs : « On estallé le soir chez mes parents, parce

que mes parents habitent à côté et voulaient savoir si ça s'était bien passé

et tout. Ma soeur l'a vue, elle a dit "- Tes bien, on dirait une petite jeune fille

" ».

L'apparence nouvelle de Noémie, ou l'apparence de la nouvelle

Noémie, est tour à tour définie comme celle d'une « grande », d'une

« petite fille », d'une « maman », d'une «< petite jeune-fille ». Ce qui

semble importer c'est le fait que Noémie" n'est plus un bébé, qu'elle sort

d'un territoire quelque peu vague et à l'horizon incertain pour s'engager sur

un chemin bien tracé qui la conduira à l'âge adulte.

Ainsi qu'elle l'explique, Mme Michaud est moins préoccupée par

l'entrée à l'école en tant qu'adaptation à une institution que par la capacité

de sa fille à rattraper son retard de croissance initial. « La rentrée

m'inquiète pas trop, parce que j'avais déjà eu le garçon... Mais on a

toujours un petit souci pour elle, parce qu'elle est née trop petite,

prématurée, à 6 mois et demi, et elle était toujours riquiqui. On s'est dit, elle

va aller à l'école, le cartable est plus grand qu'elle ... Mais finalement elle

est aussi grande que les autres et elle a bien rattrapé. Elle suit sans

problème ». Noémie est-elle aussi grande que les autres ? Pourra-t-elle

« suivre » sur le plan scolaire ? Craintes et espoirs ont été réactivés par

l'entrée à la grande école. L'échéance scolaire a été prise comme un défi à

relever, l'occasion de tourner le dos aux débuts difficiles de l'enfant, et aux

inquiétudes qu'ils ont nourries. Selon sa mère, c'est la perspective de

quitter la maternelle, concrétisée par la liste des fournitures à acheter pour

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l'entrée au C.P., qui a modifié l'image que Noémie avait d'elle-même, «

quand elle savait qu'elle allait quitter la maternelle pour entrer dans la

grande école...Parce qu'ils ont remis un livre, une liste pour acheter les

affaires... Jusque là elle se croyait bébé parce qu'elle était à la maternelle,

fallait dormir l'après-midi et tout, et après pour elle, elle était quelqu'un

de grand. ».

« Elle avait une petite couette (...) un petit collant (...) elle a choisi

un petit noeud. » ... le terme « petit » vient constamment à la bouche de

Mme Michaud lorsqu'elle parle de sa fille, et sans doute les préparatifs lui

ont-ils été aussi utiles qu'à sa fille pour confirmer les changements qu'elle

dit avoir perçus depuis la distribution de la liste «Ca s'est senti dans elle

qu'il y avait un changement, elle avait plus les caprices de quand elle était

plus petite, elle cédait plus facilement. ».

Eléments marquant que l'enfant franchit une étape sur le

chemin de la maturité.

Pour tous les parents rencontrés, l'entrée au C.P. et l'entrée en

sixième sont des moments importants, émouvants, souvent angoissants. A

ces entrées ils opposent tous la « routine » des rentrées dans les autres

classes. « Pour moi, dit Mme Bara, la plus grande rentrée ça a été celle-ci.

Les prochaines vacances, pour moi, ça sera même pas une rentrée, mais

cette année c'était LA rentrée. C'était de la maternelle à la grande école ».

Mais c'est tous les ans qu'elle renouvelle l'apparence de ses enfants et fait

particulièrement attention à leur toilette. Les préparatifs de chaque famille,

en ce qui concerne les soins du corps et la tenue vestimentaire, différent

peu d'une année à l'autre. Il semble que le traitement de l'année scolaire

soit prioritaire dans l'organisation des préparatifs. Or la façon d'aborder le

temps scolaire incite, nous l'avons vu, à chaque début d'année scolaire, à

agir de façon « exhaustive », soit dans le sens du renouvellement, soit

dans le sens de la banalisation, soit dans le sens d'une plus grande

« correction ». Cette exhaustivité diminue les possibilités de marquer tel

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début d'année davantage qu'un autre. Cependant les préparatifs de Mme

Michaud pour ses deux enfants, des Benali pour Samir, et des Rabade pour

Patricia montrent qu'il est possible d'utiliser les préparatifs pour inaugurer

une phase nouvelle dans la vie de l'enfant. Si d'autres parents « tout

neuf » ne le font pas, c'est qu'ils n'éprouvent pas le besoin d'utiliser de la

sorte le tempo scolaire. Notons que certains, tout en accordant la priorité au

renouvellement du temps scolaire, signifient par quelque détail que l'enfant

devient « plus grand ». Ainsi, dans les préparatifs de Mme Bara, le « petit

parfum d'homme», (et sans doute aussi le blouson « Bombers»),

distingue l'entrée au C.P. des rentrées en maternelle. Il indique que

Mathieu franchit une étape dans sa croissance, que par rapport au bébé

qu'il était hier encore, il devient, il est en train de devenir, un homme. Dans

les préparatifs de Mme Benali le henné utilisé pour colorer les cheveux

l'enfant « pour la première fois », et les bottillons à la mode chez les plus

grandes marquent l'acheminement de l'enfant vers la féminité.

Les « comme d'habitude » ne peuvent s'autoriser ce genre

d'initiative sans contrevenir à leur dispositif d'effacement des

ruptures. C'est pourtant ce que font certains en ce qui concerne un

élément très particulier de la tenue : les chaussures. Les baskets montantes

adoptées depuis plusieurs années par les adolescents, font l'objet de la

convoitise des plus petits. Les baskets montantes les classent parmi les

« grands », et les acheminent vers la virilité. Mme Bara, dès la maternelle,

achète des « baskets noires montantes » à Mathieu, pour qu'il soit « à la

mode », mais d'autres parents se font plus ou moins longtemps tirer

l'oreille avant de s'y résoudre. A partir d'un certain âge, il ne suffit plus

d'avoir des baskets : les enfants se préoccupent de la marque. Mme

Prévost, par exemple, se "laisse mener parle bout du nez par les aînés (9

ans) qui veulent des baskets comme ci comme ça. Ils savent que sur des

points précis je dirais non, mais pour des baskets, je me dis ils en ont

besoin, ils font du sport.". Même Sébastien Meriot qui affiche dans sa tenue

une décontraction extrême frisant le négligé porte " des Nike Air.; des Nike

Air ! le Air c'est très important... C'est la seule coquetterie de Sébastien, il

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ne porte que des baskets blanches.". Le prix élevé de ces chaussures pose

des problèmes aux familles modestes mais elles se rabattent, au moins

jusqu'en 6è, sur des imitations. Les familles de cadres rencontrées à Paris

cherchent aussi à temporiser.

La famille Taunais, soucieuse par ailleurs de « ne pas gonfler

l'événement », lorsque le fils entre en C.P. (sans cartable comme nous

allons le voir) saute le pas à cette occasion : «Il avait pas d'affaires

neuves, mais des baskets Nike. Le papa les avait promises, c'était quelque

chose entre eux, c'était un cadeau, ça participait à la rentrée ». Mme Rieux

agit de même pour l'entrée de Damien, non pas au C.P. mais au CE1. Nous

avons décrit longuement l'entrée de ce petit garçon au C.P., sans même un

cartable ou un stylo neuf. L'année suivante, Mme Rieux laisse dans

l'armoire le jean qu'elle vient d'acheter à Damith •• et va jusqu'à doter son fils

d'un cahier déjà utilisé dont elle a arraché les premières pages. Cependant

Damien a obtenu l'achat des « fameuses baskets ». « Depuis la fin de

maternelle, et très fortement depuis l'année dernière qu'il est au C.P., il rêve

sur ces baskets, il rêve d'avoir des baskets, non pas des tennis. Son père

avait dit "-Non, les baskets d'abord c'est plus cher, ensuite c'est plus difficile

à mettre et enfin il n'y a aucune raison que tu aies des baskets"... Donc je lui

avais dit, moi, "-Pour ton anniversaire tu auras des baskets, puisque tu y

tiens tant que ça"... Or son anniversaire, c'est en mai, donc je lui ai fait

comprendre très gentiment que les baskets, au mois de mai, c'était un peu

inutile, je lui ai dit, "-On va acheter des tennis d'été et je te promets qu'à la

rentrée tu auras des baskets". Il est rentré avec l'idée "maman on achète les

baskets", et lundi, mardi, ça a été l'achat ». C'est donc à l'occasion de la

rentrée que Damien inaugure l'élément clef de la tenue des garçons.

Cédric Leguen a dû lui aussi lutter pour obtenir des baskets, que sa

mère s'obstine d'ailleurs à appeler "tennis". Lors de son entrée en CM2, il

n'avait rien de neuf hormis : « des tennis chers, là c'était pour le côté frime

parce que ça faisait trois mois qu'il militait pour avoir ces tennis et j'aurais

pu prendre autre chose. (...) Je l'ai fait participer à ses tennis, ça a été

symbolique mais il a 15 F d'argent de poche par semaine et il a économisé

pendant 3 semaines et il a mis réellement sa participation pour que au

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moins il se rende compte que si on n'en achetait pas à 200 F il pouvait faire

un effort."

En revanche, c'est sans aucune difficulté que, pour l'entrée au

collège, Florine Chambón obtient de sa mère, favorable par ailleurs à la

banalisation, «les chaussures de l'année» : "La seule chose neuve c'était

les chaussures. On les avait achetées toutes les deux un des soirs

précédant la rentrée, aux Galeries Lafayette. Des chaussures noires, à

bouts ronds, avec des petits lacets, des chaussures je dirais de garçon.

Elles ont coûté 380 f. C'est la paire de chaussures de l'année. Les autres

vêtements, au contraire, je dirais même que ça a été choisi dans le sens :

surtout on ne détonne pas. " Dans la logique des onze ans de Florine, les

lourdes chaussures aux bouts ronds renforcés de métal contribuent à son

incorporation au collège. (Notons qu'en 1996, un principal de collège ayant

voulu interdire ce type de chaussures Dr (Doc) Martens, à l'origine

chaussures de sécurité anglaises, adoptées par les skinheads à la fin des

années soixante, a déclenché une manifestation de la part d'un nombre

important de ses collégiens).

L'achat des baskets ou de chaussures «de jeunes » par les

« comme d'habitude » est une concession à l'enfant. Mais le fait qu'il

intervienne à l'occasion de rentrées scolaires indique que tout en mettant

sur la mise en scène de la continuité du temps scolaire et en niant le

caractère numineux de l'institution, les parents acceptent de prendre en

compte l'autorité du groupe de pairs dans lequel l'enfant doit s'intégrer,

groupe qui ne peut être sélectionné par les parents. Insistons sur le fait que

les transformations de l'apparence de l'enfant indiquant qu'il n'est plus tout

à fait un enfant sont loin d'être toujours et par toutes les familles,

systématiquement lié au calendrier scolaire.

Nous n'avons pas trouvé d'autres éléments, dans les préparatifs de

rentrée, susceptibles d'indiquer clairement que l'enfant en entrant à l'école

franchit une étape sur le chemin de la maturité sexuelle et sociale.

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119

Cependant il faut tenir compte du fait que la façon dont l'enfant va aller

jusqu'à l'école le jour de la rentrée permet aux familles de mettre en scène

des transformation dans les rapports enfant, parents et école (8).

II. ACCOMPAGNER ET SUIVRE.

Avec le cartable, l'accompagnement est la grande caractéristique de

l'entrée au Cours préparatoire. Durant toute la scolarité primaire

l'accompagnement prolongera les préparatifs. Davantage que pour l'entrée

en grande section ou dans les autres classes du primaire les parents font

tout ce qu'ils peuvent pour accompagner ensemble l'enfant qui entre pour

la première entrée à la grande école.

Chez les Bris, c'est habituellement le père, en invalidité, qui

accompagne Jean-Marc à l'école, mais pour l'entrée à la grande école c'est

toute la famille qui s'est déplacée, le père, la mère qui n'est pas allée

travailler ce matin-là, et la grande soeur, lycéenne, qui à midi ira voir si tout

se passe bien pour son petit frère. « C'est surtout mon ami qui l'habille le

matin, mais ce premier jour, c'est moi qui l'ai habillée, pourquoi, j'en sais

rien. Je l'ai accompagnée, (avec son compagnon) après, non, sauf des

fois. », raconte Mme Portel.

Certaines familles se reconstituent provisoirement pour ce moment-

là, le père et la mère, séparés ou divorcés, tenant tous les deux à être

présents pour l'entrée dans l'école et la classe (7). Même les parents dont

l'enfant est à « l'école aujourd'hui », école qui favorise au maximum la

continuité, tiennent à cette pratique : « C'est souvent leur papa qui les

accompagne, qu'on soit tous les deux, c'est parce que c'était le premier

jour. On rencontre l'institutrice, on accompagne notre enfant, on le confie. Il

y avait ce besoin chez nous de faire à deux, parce que on n'a pas grossi ça

avant, mais c'est un moment important le premier jour de classe ». Mme

Puche commente le fait qu'elle et son mari ont accompagné Nathan :

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« d'habitude c'est lui qui les emmène. C'était un très grand jour! ».

L'accompagnement participe des préparatifs des « comme d'habitude »

comme des « tout-neuf » (9).

Les parents de Jean de la Combe, étaient eux aussi ensemble pour

l'accompagner, ainsi que la petite soeur. Le soir la réunion autour des

écoliers marque aussi l'événement : « moi je me suis sauvée à 4 h pour

aller les chercher à la demie. Mon mari qui avait promis aux enfants de

rentrer tôt ce soir là, est rentré tôt, donc quand on s'est retrouvé le soir c'était

une petite fête, rien d'extraordinaire, mais on a parlé on s'est réjouit, on a

quand même pas mal amplifié le phénomène. Jean ne raconte pas

beaucoup de choses malheureusement, mais on a eu quand même

quelques bribes ». Nous l'avions noté, la remobilisation de la famille au

seuil de l'année scolaire, pour aider l'enfant dans sa scolarité est

particulièrement importante chez les « plus correct».

Alors que l'accompagnement est de règle dans le primaire, et

mobilise souvent la famille toute entière lors de l'entrée au C.P., il devient

l'exception au collège. Même si les parents font un bout de chemin, ou

arrivent jusqu'à la cour du collège, ce qui est loin d'être toujours le cas, ils

suivent l'enfant mais ne l'accompagnent plus.

Les Meriot avaient tenu à accompagner Sébastien pour son entrée

au CM2 : «... puis le départ à l'ascenseur, s'est fait avec son père et moi-

même, parce que quand même c'était le premier jour et nous on avait envie

de l'accompagner, pour notre plaisir à nous, je le précise bien ».Ce plaisir

ne se renouvellera plus, ce qu'ils savent déjà avant le départ en vacances,

lorsqu'ils aident l'enfant à repérer le trajet de leur domicile au collège « Ce

qu'on a fait pour préparer l'entrée en 6è, c'est des trajets jusqu'au collège,

pour qu'il connaisse le chemin... On l'a fait un petit peu en Juillet, et une fois

en Septembre ». Ils ne sont donc pas pris au dépourvu lorsque, pour son

entrée au collège, leur fils veut partir seul. « Le matin, on avait pas le droit

de l'accompagner, ou on avait le droit de l'accompagner de loin; il nous a

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concédé de l'accompagner de loin. On a beaucoup .ri parce que on

attendait qu'il ait traversé un feu pour le traverser nous aussi, et puis bon,

au bout d'un moment... on l'a suivi jusqu'au métro avant son collège ».Les

Meriot ont tenu à « accompagner de loin »,« Parce que l'entrée en 6è,

c'est pas n'importe quoi; ça veut dire que y a plus de petit à la maison H

Pour lui, c'est un changement de statut; vis à vis de son frère aussi, c'est se

retrouver dans la même catégorie. ». Ce changement de statut est aussi

un remaniement dans les relations parents, enfants, école, changement que

représente la nouvelle scénographie du départ pour l'école.

Chez les Chambón, le changement n'avait pas été anticipé : « Elle

voulait absolument que je l'accompagne, donc je suis descendue avec elle

et on a rejoint Niki, sa copine, en bas, et en fait quand elles se sont

retrouvées toutes les deux, Florine m'a regardée et a dit : "-Finalement je

vais peut-être y aller tout seule avec Niki, on y va sans les parents".

Les Lebrun accompagnent Mickaël, et, le collège ayant prévu un

accueil des parents, ils n'ont pas l'occasion de mesurer le changement .

« Les rentrées, on les a toujours faites, on a toujours été là le matin pour

les rentrées, même si c'était pas toujours facile». En fait, eux aussi ont suivi

plutôt qu'accompagné leur fils : « Antonin a téléphoné et il est venu le

chercher le jour de la rentrée. Ca a bien dédramatisé d'ailleurs. Ils sont

partis un peu devant nous et on a suivi, avec la maman du copain ».

Thibault Mateo aurait préféré que ses parents ne

l'accompagnent pas, mais «comme c'était le premier jour au niveau

collège, on l'a accompagné ».L'année suivante « il en était pas question,

ça le rendait malade à l'avance; ça c'était le traumatisme à l'idée que les

parents l'accompagnent ! ».

Pour l'entrée en cinquième, les parents sont pour la plupart

dissuadés de se manifester aux abords du collège. Certains rusent : « Je

l'ai accompagnée quasiment jusque devant la porte du collège, avec

comme prétexte de promener le chien... Elle souhaitait que les camarades

ne me voit pas. Effectivement, il n'y avait qu'une seule mère en dehors de

moi. Je suis partie vite. Il pleuvait. »

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ru

] L'entrée en sixième est donc souvent l'occasion de laisser l'enfant

prendre davantage d'initiatives, même si les parents se soucient

j généralement depuis longtemps de son avis. En ce qui concerne les

préparatifs, nous avons rencontrés certaines familles dans lesquelles en

j sixième ou en cinquième, les enfants avaient effectivement pris l'initiative

au point de remettre en cause la représentation prévue et parfois déjà

I préparée par les parents.

i III. LES ENFANTS PRENNENT L'INITIATIVE.

I I I I l

I I

Certains enfants vont faire capoter la représentation organisée par

leurs selon le schéma de l'année précédente.

Lors de l'entrée de Romain au CM2, Mme Calvari estimait que

l'absence de préparatifs parvenait même à suturer la béance que les

grandes vacances ouvrent dans ce qu'elle appelle la «vie régulière ».

Elle prévoyait déjà de poursuivre, pour l'entrée au collège, la stratégie de

banalisation qu'elle et son mari ont toujours menée « pour la sixième, on

T essaiera de ne pas faire quelque chose de trop exceptionnel (...). Je crois

que si les parents en font un petit peu de trop, l'enfant au lieu de se sentir

bien, a une telle angoisse que le jour de la rentrée il estpaniqué »

Or, pour son entrée en 6è, Romain va prendre une série d'initiatives

: à la fin des vacances, passées en famille dans le midi, il va s'acheter un

jean et une chemise neuve, rouge avec des petits dessins blancs, pour la

ï rentrée. Il fait également l'acquisition d'un stylo plume. Par contre, mais

toujours en contradiction avec les prévisions de sa mère, Romain n'a pas

7 de sac à dos neuf. Celui qu'il porte a été acheté en fin de CM2, évinçant le

solide cartable qui aurait dû l'accompagner jusqu'à la fin de l'école

I primaire. Romain s'est fait couper les cheveux, et le matin de la rentrée il se

]

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parfume avec son eau de toilette Roland Garros, réservée aux

anniversaires.

Selon sa mère, l'enfant s'est dit : "je rentre dans un collège, je vais

dans un endroit nouveau, il faut quand même que j'ai des habits

nouveaux... ». « En plus, ajoute-t-elle, // a//a/f voir des gens nouveaux,

alors il avait peut-être l'impression qu'il fallait qu'il ait sur lui des choses qui

le démarquent par rapport aux enseignants ordinaires qu'il connaissait

depuis 4 ou 5 ans... ». Les vêtements ont été choisis par Romain dans une

grande surface et ne sont pas de marque, contrairement aux vêtements

achetés habituellement pour lui par son père et sa mère, qui commente ce

choix en expliquant : «vis à vis de ses amis, je crois qu'il est content de

montrer qu'il est bien habillé sans vraiment pour autant se distinguer par

des marques parce que c'est pas du tout le style de ses petits

camarades ». Mais insensiblement Mme Calvari, tout en continuant à

donner son: interprétation des préparatifs de son fils, oublie quels ont été

ceux-ci et présente ses propres préférences : « Ils ont quand même très

envie de paraître bien vis à vis des enseignants, mais pas forcément de

porter quelque chose d'apprêté... comme nos parents nous faisaient porter

à certaines occasions ou à certaines fêtes. » Il est vrai que le jean et la

chemise choisis par Romain ne sont pas des habits de fête, et qu'après la

rentrée il les met pour aller en classe. Mais lorsque Mme Calvari continue

en affirmant « Ils ont pas envie non plus de trop se démarquer, de mettre la

chose qui ferait trop neuf ou trop " c'est papa et maman qui ont envie que je

mette ça". Alors du neuf mais qui peut paraître déjà un peu porté », elle

mêle la factualité de l'attitude de Romain, qui a opté pour des vêtements

que n'ont pas choisis ses parents et son souhait à elle, qui aurait été que

les vêtements ne soient pas neufs, ou n'aient pas eu l'air neuf. Lorsque

nous lui demandons si, selon elle, il vaut mieux banaliser la rentrée ou

« marquer le coup », elle prend position sans hésiter en faveur de la

banalisation. « Parce que l'enfant n'a pas cette angoisse de se dire " j'ai

un palier à franchir". (...)lla déjà tellement de choses qui changent dans la

vie pratique, que marquer davantage le changement ne peut que les

angoisser, alors que là ce changement se fait de façon très progressive et

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fres banale ». Tout semble se passer comme si coexistaient le Romain

réel, qui pour l'entrée au collège a voulu, comme l'expliquait sa mère, faire

coïncider la nouveauté de sa tenue avec les nouveautés qui l'attendaient, et

« l'enfant »,en général, « les »,que toute nouveauté supplémentaire

perturberait. Lorsque Mme Calvari conclut l'exposé de ce qui lui paraît la

bonne conduite à tenir par « alors que là, ce changement se fait de façon

très progressive et très banale »>, elle a complètement perdu de vue les

innovations introduites par Romain.

C'est donc à l'occasion du passage de l'école primaire au collège

que Romain intervient pour donner son interprétation de la rentrée, faisant

preuve d'autonomie, par des moyens et dans un sens tout à fait différents

du dispositif parental.

Pour l'entrée en 6è, sur les instances de sa mère, Jérémy\avait dû

s'habiller plus « correctement » qu'il ne le souhaitait : il était entré au

collège avec un pantalon bleu marine, une chemise de jean et un pull col

en V, des baskets. L'année suivante sa tenue n'est guère différente."« U n

jean noir, assez neuf, avec une ceinture marron, et ma chemise en jean,

bleue, offerte pour Noël »jun pull et des baskets. La mère est intervenue :

« j'ai dit " -Ne mets pas ce pull là, ça va pas avec la chemise"; c'était

bariolé. - C'était important? - Oui, tous les jours, mais spécialement ce jour

là, j'aurais pas laissé passer. Question d'esthétique ». C'est donc sur

« l'esthétique » que porte la discussion, et non plus sur la « correction »,

car Jérémy a changé d'attitude. Alors que sa mère n'achète << jamais rien

de neuf pour la rentrée », il inaugure ce jour-là : « des baskets toutes

neuves, blanches et vertes, achetées à Berk. Je les avais pas encore mis

(...), un pull bleu gris acheté par ma tante », de l'eau de toilette qu'il s'est

acheté, « parce que je me suis dit "pour autant d'être bien coiffé bien

habillé, autant que je sente bon" ». Il a choisi un jean noir, parce que « j e

trouve que ça fait beaucoup plus chic le jean noir que le jean bleu ». Alors

que la tenue de rentrée imposée par la mère l'année précédante avait

« tenu trois jours », après lesquels Jérémy avait réintégré ses T shirts et

ses joggings, cette année le garçon considère que le jogging « ça a pas

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vraiment de classe, c'est nul. »;aux T-shirts il préfère substituer « ma

chemise enjean, bleue, ou alors ma chemise verte, couleur d'automne ».

L'entrée en 5è a donc été, pour Jérémy, l'occasion de marquer un

souci nouveau de son apparence, un nouveau rapport à lui-même et aux

autres. La façon dont il s'est préparé apparente celle-ci à un anniversaire,

fête entre pairs où l'on se réjouit ensemble de grandir. Fête entre pairs mais

qui ont été triés, choisis. La tenue de Jérémy évoque aussi celle que les

Jourdan avait choisi pour que Vincent apparaisse « comme un enfant sage,

comme un bon élève.» . Cette nouvelle apparence est peut-être à mettre en

relation avec le fait, un peu surprenant, que Jérémy demande à sa mère de

raccompagner, alors que pour l'entrée en sixième, « on avait fait le chemin

jusqu'au collège pendant le week end avant la rentrée, je pensais qu'il

préférait y aller seul».

Anissa, elle aussi, attendra l'entrée en 5è pour modifier le dispositif

de rentrée. Mme Hadim (cadre moyen, en ascension sociale puisque ses

parents originaires d'Algérie, étaient analphabètes, son père ouvrier) est

divorcée et ne partage pas le goût de la famille de son mari (commerçants

originaires d'Algérie) pour "l'apparat". Mais elle ne s'oppose pas à des

tenues qu'elle juge trop «< apprêtées » : « Je respecte. Si on veut que son

enfant ait un certain équilibre il faut savoir se remettre en question, pas

toujours croire qu'on a raison, qu'on est dans le bon chemin; c'est pour ça

que c'est bien quand il y a deux modes de vie différents, ça enrichit... ».

Pour l'entrée en 6è, comme pour les autres rentrées, Anissa était

équipée de neuf de pied en cap par la famille de son père : elle fait les

boutiques parisiennes avec son père, sa tante ou sa grand-mère. Son père

lui achète un stylo et un sac à dos luxueux, sa grand-mère et sa tante lui

offre des vêtements et des chaussures à la mode. En ce qui concerne les

soins du corps, Mme Hadim a fait comme d'habitude, mais Anissa a fait un

brushing, et « elle a mis un noeud blanc; celui-là elle le met quand elle

sort, par exemple, si c'est le -week end et quelle va chez ses copines,

elle met ce noeud-là ».

Pendant les vacances, selon sa mère, Anissa « a beaucoup grandi,

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comme ça faisait un mois et demi que je l'avais pas vue, j'ai trouvé ... elle

fait plus jeune fille maintenant que avant de rentrer en 6ème elle faisait

encore petite fille coquette , tandis que là, c'est vraiment l'ado. ». C'est

donc une « ado. », et non une « petite fille coquette » qui va faire son

entrée en 5è. « Quand j'ai été la chercher chez eux, sa grand mère a dit "-

Tu prends tes affaires qu'on t'a préparées pour la rentrée ", elle a dit "- Oui,

oui", d'un air agacé et elle a laissé le sac en plastique dans le couloir et

quand je lui ai dit « -Mais t'as pas pris le sac ?", elle m'a dit "-Non, non, de

toutes façons je les mettrai pas". J'ai insisté, mais elle a dit « -J'ai déjà

choisi ce que je voulais mettre pour rentrer à l'école". .. Le père et la tante

devaient être contents le soir ! (rire) Par contre ils lui ont acheté une montre

au mois d'août qu'elle a mise le jour de la rentrée, alors que ça faisait une

semaine qu'elle ne s'en souciait plus de la montre, une montre chère

comme moi je n'en achèterai pas ».

Les préparatifs de Anissa vont être typiquement négatifs, mis à part

un brushing. « C'est elle qui s'est habillée enfin, qui s'est pas habillée

d'une façon. Elle a mis... c'est surtout des trucs à la mode, mais qu'elle avait

le jour d'avant. C'est le vieux jean avec un trou qu'elle a mis pour aller le

premier jour en 5ème (rire). Ses baskets à la mode comme ils ont tous, des

montantes avec la semelle épaisse mais ça a pas de marque. Son blouson

Roller Ball (?), ils ont tous les mêmes, vous savez, j'ai acheté ça à

Carrefour ».

Il esta noter que Anissa choisit de s'habiller « à la mode », mais une

mode qui n'est pas celle des boutiques coûteuses qu'elle fréquente avec

son père ou sa tante. En ce qui concerne les soins du corps, la maman a

noté que Anissa enlevait le vernis à ongles, transparent, qu'elle portait les

jours précédents.

Mme Hadim accepte volontiers ces préparatifs ; ils correspondent

.davantage que ceux des années des précédentes à son désir de faire

« comme d'habitude » ; le jean troué lui-même trouve grâce à ses yeux,

alors qu'elle est soucieuse de propreté et de correction vis-à-vis de l'école.

Elle considère que la tenue peut servir de « soupape» aux tensions

créées par les contraintes scolaires. « Eux, c'est leur mode, c'est leur

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mode, c'est pas la notre, donc entrer en guerre pour ça... Si elle ne faisait

ses devoirs, ça, d'accord, mais pour un jean et des chaussures montantes,

bon ... A l'école, un enfant il peut pas faire comme il veut, si chez lui il arrive

pas à faire comme il veut, il a plus de soupape de sécurité, ça veut dire qu'il

est toujours contraint...., Moi je laisse, parce que je me dis les habits, je

vais pas ... ». L'écolier doit être propre et correct, mais le choix de ses

vêtements relève de « chez lui » et ne doit pas être contraint.

La mère de Victor Bongo refuse que la coupe de cheveux,

indispensable selon elle pour la rentrée, imite celle du « prince de Bel

Air », (héros d'un feuilleton américain, l'acteur est par ailleurs un rappeur

célèbre). « On a dit, il faut d'abord qu'il grandisse pour avoir cette coiffure

là » . Peut-être parce qu'il veut marquer son indépendance, le jour de la

rentrée, Victor ne met pas les habits préparés par sa mère : « ce que j'avais

préparé pour les habiller, des chaussures neuves (baskets qui « imitent »

les Nike) et tout, lui n'a pas mis ce jour-là. Il est parti juste avec un stylo pour

prendre des notes. C'était quand même des habits propres, mais c'était pas

les habits que j'avais achetés pour la rentrée; il les a mis plus tard. »

Aurélie Esposito (dont la mère pratiquait, et pratique encore pour la

cadette, un dispositif « tout-neuf » de surface) refuse les vêtements neufs

pour son entrée en 6ème mais « accepte »des "bottines noires un peu

montantes. ".

Certains parents jusqu'alors hostiles aux préparatifs exceptionnels,

ont voulu marquer l'entrée au collège : "Je pensais bêtement qu'à cet âge -

là, on avait envie, surtout quand on va au collège d'acheter, je ne sais pas,

une trousse neuve, un classeur neuf, il y a eu une dérogation pour le

classeur, mais sinon, il ne voulait absolument rien....De ce côté-là, j'ai été

un peu frustrée." C'est l'enfant maintenant qui fixe la règle et accorde des

dérogations. Les Mateo parviennent cependant, à l'occasion du passage au

collège, à procéder à une certaine remise en ordre qui apparente leurs

préparatifs à ceux des plus corrects : « Le T shirt, de lui-même il a accepté

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i I I I I I 1

de ne pas prendre le plus grand, il a quand même fait attention, son père

avait haussé le ton la veille en disant : "Il n'en n'est plus question, ça passait

à l'école primaire, ton maître était gentil" ; on lui a laissé croire qu'au

collège on surveillait ça de plus près. Il a fait quand même attention, j'ai

remarqué que le Tshirt qu'il choisissait était correct, il était quand même un

peu crispé, donc. Il n'a pas osé partir avec la casquette à longue visière

qu'il met habituellement. ». Thibault réussit à ne pas mettre le jean et les

tennis neufs proposés par sa mère.

LE PASSAGE AU COLLEGE, UN DESENCLAVEMENT DE

L'ESPACE-TEMPS SCOLAIRE ?

Si l'entrée au C.P. est consacré par l'achat du premier « v r a i

cartable, l'entrée au collège est difficilement envisageable sans sac à dos.

Le passage du cahier de textes à l'agenda, qui n'intervient souvent qu'en

cinquième donne au collégien un outil pour articuler l'espace-temps

scolaire avec les autres sphères de son existence. Enfin, alors que les

parents, jusqu'alors accompagnaient l'enfant, l'entrée ouvre une ère où ils

ne pourront que le suivre.

Le cartable symbole de l'entrée à la "grande école".

ï Pour Henri-Paul Lejeune, selon sa mère, "le CP c'est l'achat du

cartable. Lui, il avait toujours vu les autres avec un cartable et il en avait

"] pas, donc la joie d'aller à l'école, d'avoir l'impression d'être un grand avec

un cartable tout neuf plein de fournitures toutes neuves dedans." Le jour de

J la rentrée 1993, Tom Prévost, en Grande section de Maternelle, avait lui

aussi « regardé avec envie du côté du cartable de ses frères, avec les

I feutres, les crayons, les machins, mais en se disant c'est pour quand il sera

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plus grand". L'année suivante il a enfin un cartable, acheté quinze jours

avant la rentrée. «Il l'avait dans sa chambre; il a mis des choses dedans, il

les a retirées...". Au premier rang des préparatifs pour la rentrée au C.P. de

Chloé, habillée de neuf pour la rentrée, Mme Esposito met l'achat du

cartable. « Donc le cartable a été acheté, et elle a fait tout le retour avec le

cartable sur le dos, très contente quand on lui disait "- Alors, tu vas à l'école

I "». Comme le souligne Mme Oleg, le cartable est un signe, connu de tous.

Son fils Dimitri qui, lui, n'a porté du neuf que le lendemain de la rentrée, a

eu droit aussi à cet emblème de son accession à la cour des grands. " Un

cartable, c'est signe qu'on est grand ; il s'agit pas, quand on l'emmène à

l'école le samedi matin, de toucher à ce cartable : c'est lui qui l'a sur le dos,

c'est signe qu'il est rentré en C.P. (...) le cartable a une importance sociale

incroyable, incroyable !! Plus que les vêtements, c'est fou l'importance du

cartable. "

Tom, Henri-Paul, Dimitri, font partie des enfants qui, à part le

cartable, n'ont rien de neuf pour la rentrée. Le cartable étant un élément

plus distinct de l'enfant que les soins corporels et les vêtements, les

« comme d'habitude » peuvent doter leur enfant d'un cartable neuf. S'il est

le seul élément neuf de la tenue de rentrée, il signale l'accès de l'enfant à

une nouvelle activité plutôt qu'un changement global de statut. La place

particulière du cartable dans la tenue d'écolier explique aussi pourquoi

deux enfants "tout neuf» utilisent, le jour de leur entrée en C.P., un cartable

déjà utilisé. Pour Sonia Benali "le cartable est pas neuf, il était à sa soeur, et

mon autre fille elle a pris le cartable à son frère, donc j'ai acheté un seul

cartable, pour l'aîné". Jérôme, lui, hérite du cartable de son frère. Sonia et

Jérôme sont fiers de cette transmission, comme si leurs grands frères leur

passaient le relais, les munissaient d'un outil scolaire qui a fait ses

preuves, et qui est apprécié par Sonia "mieux que du neuf".

Astrid Robles réagit d'une façon identique à l'octroi d'un vieux

cartable de sa mère. "Le jour de la rentrée elle a pris un vieux cartable qui

était là, un cartable que j'avais eu de chez France-Loisirs, qui était très

souple ; elle était très fière parce que c'était un cartable qui avait été à moi".

Le "vrai" cartable sera acheté quelques jours plus tard. Cet achat différé

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nous paraît cependant s'inscrire dans l'attitude générale de sa mère qui n'a

"rien faif pour la rentrée. A l'exception des chaussures neuves prévues par

les grands-parents, le dispositif de rentrée est semblable à celui qui a

préparé la rentrée de Damien Rieux. Les feutres, les crayons de couleurs

les stylos qui garnissaient le cartable avaient déjà été utilisés. Jean de la

Combe, qui était vêtu pour sa rentrée de vêtements déjà portés mais

particulièrement "jolis", n'a pas eu droit non plus à un cartable neuf : "Il avait

un petit cartable que j'avais acheté la première année de maternelle dont il

ne s'est jamais servi. Il a demandé à son père depuis quand on avait ce

cartable et son père lui a répondu que ça faisait un an. Bon on a un peu

menti, mais il en a fait sa petite affaire. On y a mis un cahier à spirales

quadrillé, une trousse qu'il avait de l'année dernière". Notons que l'année

suivante Camille, la petite soeur, qui entre à son tour en C.P., hérite à son

tour d'un cartable "que j'avais acheté mais qui n'avait jamais servi". Mme

de la Soudière souligne "// était neuf mais ce n'était pas un achat de la

rentrée de C.P.". Il s'agit bien, même si l'on utilise un cartable neuf,

d'essayer d'éviter qu'il entre dans les préparatifs du jour de la rentrée.

Selon nous l'évitement de l'achat du cartable, dans ces trois derniers cas

participe à un rite négatif particulièrement rigoureux, il s'est agi d'éviter ce

que certains de nos interlocuteurs ont qualifié de «« cérémonie de l'achat du

cartable ». Contrairement aux cartables de Sonia et Jérôme qui sont

"mieux que du neuf" parce qu'ils ont déjà expérimenté l'univers scolaire, les

cartables de Diane, Maxime, Guillaume, n'ont d'ailleurs pas subi le

baptême du feu.

Les hasards de l'enquête ont fait que nous avons rencontré des

enfants qui sont entrés au C.P. sans cartable. En effet certaines familles du

XlVè arrondissement de Paris ont choisi pour leurs enfants une école privée

laïque bilingue implantée dans le quartier. Cette école fournit tout le

matériel scolaire et donne rarement du travail à la maison. Mme Taunais

explique, cependant que Nicolas a eu un cartable en cours d'année ; "Au

C.P., ils fonctionnent avec un classeur et une chemise. Il trimballait ça dans

des sacs, donc on a acheté un cartable". Cet achat était prévisible, mais ce

n'est pas un hasard si le cartable est absent de l'entrée au C.P., évincé par

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le lunch-box, qui semble être le signe distinctif de cette école franco-

américaine qui ne dispose pas de cantine. D'une part cet établissement

scolaire est choisi par les parents, au prix de lourds sacrifices financiers, en

réaction explicite contre l'école publique "caserne" et "bureaucratique".

C'est une petite école qui cultive un "climat" familial et les relations de type

amical entre parents et enseignants, et entre parents. D'autre part la

transition entre la grande section de maternelle et le cours préparatoire,

favorisée par la contiguïté des locaux, la faiblesse des effectifs globaux de

l'école, l'est aussi par des activités où les enfants des deux degrés sont

mélangés et par la pratique qui consiste à ce que l'instituteur "suive" ses

élèves., passant d'une classe à l'autre avec eux, et en particulier de la

grande section au C.P.. Enfin c'est l'institution elle-même qui incite les

parents à s'abstenir de doter d'un cartable l'enfant qui entre au C.P., les

aidant ainsi à transgresser un usage très fortement ancré dans le reste de la

société.

Symbole pour l'enfant et signe reconnaissable par tout le

monde de l'accès de celui-ci au cours préparatoire, le cartable, "morceau

d'école" accompagne l'enfant dans son introduction à la culture écrite.

Seuls quelques parents renoncent à manifester que c'est à l'école

qu'interviendra ce passage.

Sacs à dos.

Contrairement au cartable, le sac à dos est polyvalent. Il semble que

cette caractéristique assure son succès auprès des teen-agers. Ayant

assuré la rentrée au cours préparatoire les cartables sont progressivement

évincés par les sacs-à-dos au cours de la scolarité élémentaire et

quasiment absents des premières années du collège. Mais leur

réappropriation actuelle par une partie des lycéens et des étudiants peut

laisser augurer une réhabilitation de sa présence à l'entrée en sixième.

Parmi nos jeunes informateurs seul Vihcenr a conservé un cartable pour

aborder le collège, mais certains ont conservés, pour cette occasion le sac

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à dos acheté a la fin du CM2.

Les parents ou les enfants soulignent le caractère impératif du

remplacement du cartable par le sac à dos : « Aurélie, elle avait un sac à

dos, évidemment II Le cartable qui a fait tout le primaire, elle m'avait bien

répété pendant toutes les vacances, que c'était terminé I » . Cédric est allé

tout seul acheter le sien, et son choix convient à sa mère : « C'est ma

famille, ma mère, ma soeur et mon frère qui m'ont donné de l'argent pour la

rentrée scolaire . Le sac à dos est noir, bien organisé comme un cartable,

avec deux ou trois volets, des petites poches pour mettre les choses, avec

une marque brodée dessus. Il l'a acheté tout seul à Inno, c'est la seule

chose neuve qu'il avait pour la rentrée. ».Samir Benali accepte le sac

que sa mère a choisi pour sa solidité (il est en cuir, et comporte de

nombreux compartiments), mais, bien qu'en général l'un des parents (ou

toute la famille) accompagne l'enfant, les critères de choix de l'enfant

triomphe souvent, au détriment sans doute de l'état ultérieur des cahiers

mais aussi du dos de l'écolier. « // est hors de question d'aller en 6è avec

un cartable, hein, je crois ! c'est le grand truc » dit Mme Leguen, qui a

réussi à négocier le choix du sac avec l'aîné de ses fils « Mathieu qui est

rentré en 6ème, il voulait un sac à dos et moi je voulais que ce soit un vrai

sac à dos, renforcé avec des cloisons, donc on a erré dans tout Paris

pendant je ne sais combien d'après-midi pour trouver ce que moi je voulais

et qui lui convienne sur le plan couleur ». L'année suivante, elle se résigne

finalement avec bonne humeur à entériner les goûts minimalistes du cadet ;

Cédric entre en sixième avec «un sac à dos acheté en vacances pour aller

à la plage,. 45F, très exactement, c'était un plaisir! I II a voulu garder celui-

I à » Mme Chambón est un peu déconcertée : « Florine préférait avoir ce

sac à dos nul plutôt qu'un, cartable que je trouvais mieux structuré avec des

armatures ». Beaucoupvpréfèrent que leur sac évoque le moins possible

sa fonction scolaire : les parents de Victof^n'eri sont pas très satisfaits :

« On était tous les cinq, à Vélizy, c'est lui qui l'a choisi, et moi je voulais

qu'il prenne quelque chose de plus grand. Lui, il a choisi quand même

l'esthétique, peut être il a vu les copains avec ça. On dirait vraiment un sac

de sport. Son père il a dit : "moi je vois ça pour aller au sport hein, pas pour

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aller à l'école "». Aurélie a elle aussi opté pour un sac qui est « plus un sac

marin qu'un sac à dos ».

Mme Klein a été étonnée : « Curieusement, elle n'a pas demandé

de cartable. Elle a pris un cartable qui était celui de sa soeur (âgée de 15

ans) et dont sa soeur ne voulait plus. Il lui donnait l'impression d'être

grande parce que c'est un sac à dos» . On retrouve ¡ci la valeur accordée

par certains enfants entrant au C.P. à l'héritage des aînés. Mais d'autres

enfants préfèrent, comme Cédric, inscrire le sac à dos dans la continuité

des vacances ou des loisirs. « Il avait le sac à dos Lacoste qu'on avait

acheté en cours d'année pour aller au sport, et cette année il va à l'école

avec ce sac. C'est lui qui l'a choisi », explique Mme Râteau. La couleur

joue un rôle aussi important que pour les petits, mais, en réaction avec le

goût des couleurs vives de ceux-ci, les grands optent volontiers pour le noir

ou le kaki. « Elle voulait un sac à dos ; elle en avait déjà deux autres de

couleurs vives, celui-là est noir. C'est le noir qui est intéressant cette année,

ils aiment bien le noir à cet âge-là »explique Mme Fharas. Ahwa Soumba

est allée acheter son sac au marché de Bicêtre, avec sa mère : « e//e l'a

choisi grand, solide, il était beau aussi, il est noir , c'est un Rangers qu'on

met sur le dos ».

Beaucoup plus que les cartables, les sacs à dos permettent aux

enfants d'afficher leurs références à d'autres univers que l'univers scolaire,

et de marquer une certaine autonomie par rapport à celui-ci. Le choix du

sac à dos engage la personnalité de l'enfant.

Cahier de textes et Agenda

« Il était très déçu parce qu'on a refusé aux sixièmes l'achat d'un

agenda, c'était stipulé dans le dossier d'inscription pour que les sixièmes

ne commencent pas à écrire n'importe où . Il voulait s'acheter un bel

agenda, il a le malheureux cahier de textes banal, ça, il a regretté ... » . La

déception de Romain est partagée par presque tous les enfants entrant en

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6è que nous avons rencontres. L'agenda est toujours préféré au cahier de

textes, et lorsqu'il n'est pas interdit, par l'école ou parfois par les parents,

pour la première année de collège, il s'impose en cinquième.

Mme Chambón détaille sa découverte de l'importance que cette

acquisition a revêtue aux yeux de sa fille Florine. Celle-ci lui a expliqué

pourquoi elle n'achète pas de cahier de textes avant la rentrée : « -Peut-

être que cette année on nous permettra d'avoir un agenda de textes ».

Alors j'ai dit "-Je sais pas tellement ce que c'est, quelle est la différence?" et

elle m'a expliqué qu'en fait ça faisait beaucoup moins bébé, c'est un

agenda comme moi j'ai dans mon sac. ».. Au « grand plaisir »de Florine,

le collège autorise l'agenda. « J'ai dit "-Est-ce que tu es sûre que tu vas

pas te tromper?" "- Non, non, non, c'est génial !". Elle est allée se l'acheter

et elle me l'a montré le soir quand je suis rentrée du boulot ».

Le temps du cahier de textes ne concerne que l'école. Il ignore les

dimanche. Il tourne en rond entre le lundi et le samedi. Du temps

hebdomadaire cyclique du cahier de textes, les enfants accède à un temps

civil, qui commence en septembre et va de jour en jour, égrenant les mois

de l'année, sans retour en arrière, ils accèdent à un temps qui, étant donné

la configuration de l'agenda est potentiellement celui des adultes. « Elle a

rempli la première page, le nom, l'adresse, l'adresse du lycée... Elle m'a

demandé son groupe sanguin, que je ne connais pas d'ailleurs, un N° de

sécu, et elle était baba que je le sache par coeur . Enfin, pour elle, cet

agenda c'était une sorte de saut, je pense, dans les grandes ». Comme le

note Mme Chambón, Florine, tout en s'éloignant de l'enfance, ne rejoint pas

les adultes, mais les « grandes », car l'utilisation de l'agenda par les

collégiens est spécifique. Ils ne l'utilisent pas pour noter les rendez-vous ou

les événements extra-scolaires, mais l'existence de plages « inutiles » est

l'un des charmes de l'agenda : « Sur les jours où on ne travaille pas elle a

accessoirisé en découpant des photos sur 30 millions d'amis. Elle a collé

dessus des petits autocollants, des photos de chats de chiens ». Aux

devoirs se juxtaposent les goûts et les centres d'intérêts des enfants,

animaux pour Florine, acteurs ou joueurs de baskets pour d'autres, dessins

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et collages plus ou moins élabores. Certains enfants, après avoir épuisé les

pages de vacances, recouvrent celles occupées par les devoirs déjà faits.

L'agenda peut aussi permettre de se faire accompagner en classe par les

proches : Florine colle sur le sien la photo de son chat et de sa demi-soeur.

Sur l'agenda on demande aussi aux camarades d'intervenir (« Salut, je

voulais te dire que tu es ma meilleure copine... »; «Tout à l'heure contrôle,

j'aimerais boire du coca et manger une tartine de nutella », etc ...).

L'agenda est ainsi détourné par les collégiens pour aider à la coexistence

entre les progrès qu'ils doivent accomplir sur le plan scolaire et la

nécessaire construction et affirmation de leurs goûts, leurs rêves, leur

personnalité. Il nous semble regrettable que les sixièmes se voient souvent

interdire cet espace privilégié de négociation entre devoirs et plaisirs, entre

le public et l'intime.

CONCLUSION

L'utilisation du début de l'année scolaire pour marquer l'entrée de

l'enfant dans une nouvelle étape de son avancée en âge ne semble être

qu'exceptionnellement l'aspect principal des préparatifs. Ceux-ci servent

bien davantage à caractériser l'espace-temps scolaire, qu'à scander la vie

de l'enfant. Cependant la tenue de rentrée peut être, assez fréquemment

l'occasion pour l'enfant d'obtenir un signe de son appartenance au groupe

de pairs réuni par l'école. En choisissant la rentrée pour inaugurer le

premier survêtement de marque ou les premières baskets de marque les

parents entérinent l'importance, pour l'enfant, de ces fréquentations dont

l'organisation et le contrôle leur échappent largement.

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Notes :

-! 1) Antoine Sylvère , Toinou, le cri d'un enfant auvergnat, Pion, France Loisirs, 1980, p. 45.

2) Albert Camus, Le premier homme, Gallimard, 1994. p. 131.

3) Antoine Sylvère , opus cité, p.243

4) La grand-mère d'Albert Camus décide que son petit-fils doit absolument faire sa première communion un an avant la date prévue : il doit la faire avant son entrée au lycée (et donc à ce qui est pour lui l'issue de l'école primaire), sinon, dédare-t-elle au curé, il ne la fera pas du tout

5) Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p. 203.

6) L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien régime, Seuil, nvelle édition, 1973, p. 42.

Í 7) Laurence W ylie, Un village dans le Vaucluse, Gallimard, 1968, p. 79. Jean-Paul Sartre a déjà sept ans lorsque son grand-père lui fait couper les cheveux. Les mots.

8) Van Gennep avait noté, comme éléments de rites de passage, l'accompagnement des visiteurs jusqu'à la porte, celle des voyageurs à la gare.

9) L'entrée des parents dans la classe est prévue dans les textes, mais seulement pour les cours préparatoires ; sur nos terrains cette directive était respectée, ce qui, sous divers prétextes, n'est pas partout le cas ; l'accès aux classes du cours élémentaire n'était pas possible, et certains parents n'ont pas pu repérer qui allait être l'enseignant de leur enfant.

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CONCLUSION

«Le rite n'est pas comparable aux illustrations qui accompagnent les instructions écrites pour l'ouverture des boîtes de conserve ». Mary Douglas, De la souillure, p. 82.

Selon Mme Oleg, en exagérant l'importance de la rentrée ses

voisines auraient inquiété Dimitri : "L'avant-veille, il a fait des terreurs

nocturnes toute la nuit, il a fallu qu'on le prenne avec nous dans le lit.

Impossible de le calmer, hein. Ce qui s'est passé, c'est toutes les mamans

qui disaient " - Alors c'est bientôt la rentrée, c'est bientôt la rentrée, gna

gna", ce qui fait qu'il a craqué. S'il leur avait dit merde, j'y aurais vu aucun

inconvénient ". Il est clair pour Mme Oleg que les habitants de son quartier

très populaire manquent totalement de psychologie. D'après elle et tous les

parents qui n'ont « rien fait », l'absence de préparatifs inhabituels,

« sécurise 4'enfant, évite « l'angoisse »,lui permet de se sentir « à

l'aise ». Comme bien souvent le langage de la psychologie autonomise

théoriquement l'individu, ici l'enfant, et considère la situation à laquelle il va

être confrontée, ici la rentrée, comme une donnée.

Mais les parents qui ont tout fait pour marquer la rentrée, étaient eux

aussi préoccupés du confort psychologique des enfants ; ils ont cherché à

ce qu'ils soient "contents", "fiers », et également, "à l'aise»

Faut-il que la rentrée soit "une sorte de fête", ou faut-il "dédramatiser",

la réponse ne se trouve pas dans la "psychologie de l'enfant ». Il est

difficile de se sentir "à l'aise" lorsque l'on se retrouve en savates dans une

soirée chic, ou en chaussures vernies sur un bateau de pêche. La rentrée

est une situation beaucoup moins identifiable qu'un cocktail ou une sortie

de pêche. Alors qu'en habillant leurs enfants de neuf, les parents marquent

l'événement, traitent la rentrée comme le début d'une nouvelle étape,

figurent l'école comme un espace nettement séparé de la maison, ceux qui

"ne font rien" cherchent à effacer les marques de rupture dans le temps et

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l'espace et à ce qu'à l'école l'enfant soit presque comme chez lui. Les

« plus correct » réaffirment l'effort qui est nécessaire à l'enfant et à la

famille pour tirer profit d'une école quelque peu laxiste, tandis que certains

parents visent à créer un cadre unique pour l'enfant, et autour de l'enfant,

sans ruptures temporelles et spatiales. Ces attitudes contrastées ne sont

pas indépendantes du degré de familiarité qu'entretiennent les familles

avec l'école, et de la confiance qu'elles lui accordent, mais elles ne sont

pas l'expression de ces relations.

Par leurs préparatifs opposés les parents incitent l'enfant à

comprendre la même situation de façons opposées, et, dans le même

temps, ils se servent de l'enfant pour faire "comme si" les rapports entre la

famille et l'école étaient de telle ou telle nature. Mais l'important ici est

moins dans le « comme si », que dans le fait que les préparatifs se situent

dans le registre du « faire ». Les parents ne se contentent pas de raconter

à l'enfant, et de se raconter à eux-mêmes, ce que signifie la rentrée et

l'école. Les « comme d'habitude », comme les autres parents avertissent

verbalement l'enfant des changements auxquels il devra s'adapter. Mais les

préparatifs ne sont pas une autre forme de discours, congruent ou

contradictoire. Les préparatifs, et c'est en cela qu'ils sont rituels,

interviennent dans la réalité, modifient l'expérience. « On peut dire sans

exagération, écrit Mary Douglas, que le rite est plus important pour la

société que les mots pour la pensée. Car on peut toujours savoir quelque

chose et ne trouver qu'après les mots pour exprimer ce qu'on sait. Mais il

n'y a pas de rapports sociaux sans actes symboliques». L'organisation des

préparatifs de rentrée en dispositifs montre que la réalité du fonctionnement

de l'école est susceptible de diverses interprétations, au sens intellectuel,

analytique du terme, mais surtout qu'elle suscite dans les familles le besoin

d'une mise en scène qui rende ce fonctionnement moins inquiétant. Le fait

que les «comme d'habitude» partagent la mythologie dominante parmi les

responsables de l'éducation nationale n'implique pas qu'ils soient plus

réalistes, plus rationnels, ni meilleurs éducateurs que les «tout-neuf», mais

leur permet de le croire.

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RENTREE 93

GRILLE D'ENTRETIEN

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La rentrée scolaire. Questionnaire.

f.. Questions d'ordre général, (enregistrement).-—* ...

Q.: Quels ont été les préparatifs pour la rentrée scolaire de votre enfant ?

Q.: Comment s'est organisée cette journée de rentrée scolaire pour votre enfant ? ]

| Q,: Comment s'est passée cette journée ?

! ¡¿. Remplir avec la personne la grille sur la ten ue de Venían t le matin de la rentrée, (enregistrement).

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Q.: Pour quelles raisons y avez-vous accordé de l'importance ?

I Q.: Depuis quand accordez-vous de l'importance à l'apparence de votre enfant ?

3. Questions sur la tenue de l'enfant, (enregistrement).

Q.: Quelle importance avez-vous accordée à l'habillement de votre enfant ?

. Q.: Est-ce une préoccupation agréable ou désagréable ?

Q.: Comment vous êtes-vous informée pour choisir l'habillement de votre enfant ? (télé, journaux, collègues, membres de la famille, voisines).

Q.: Y-a-t-il eu des discussions à ce sujet dans la famille ? Avec qui ? Quand ? Des occasions de conflits ?

Q.: Quelle est l'importance de l'investissement financier pour l'habillement ?

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Í Q.: A quels autres moments achetez-vous de l'habillement pour

I votre enfant ? (vacances, fêtes ou anniversaires, mariage, 1ère * communion, autres rentrées scolaires...)

j Q.: A-t-il une tenue de dimanche ou bien une tenue de-fête ?

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4. Faire remplir grille équipement scolaire, (enregistrement).

5. Faire remplir grille soins du corps, (enregistrement).

6. Dernières questions sur les souvenirs de rentrée scolaire du ou des parents (enregistrement).

Q.: Dans quelle école étiez-vous quand vous rentriez dans la même classe que votre enfant ? (privée, publique, ville, village, petite, grande,).

Q.: Quels sont vos souvenirs de votre rentrée scolaire dans cette classe ? (CP ou 6e).

Q.: Pour conclure cet entretien, avez-vous d'autres éléments à indiquer dont nous n'aurions pas encore parlé ?

7. Remplir le desriptifde la famille.

Merci d'avoir bien voulu nous accorder cet entretien. !!!!

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Soins du corps.

la veille, le matin, participation de qui, remarques douche bain lavabo : lavage des * cheveux :

ongles des pieds et des mains : coiffure :

Quelle attention avez-vous accordée à l'odeur de l'enfant ?(savon, shampoing, eau de toilette).

Quel est le rythme habituel des soins du corps pour l'enfant ?

Y-at-il eu des écarts par rapports aux habitudes ?

Pourquoi ?

A quelle(s) autre(s) occasion(s) y portez-vous une attention particulière ?

La coupe de cheveux a-t-elle été rafraîchie ou bien est-ce une nouvelle ?

Quand ? Par qui ?

Y-a-t-il eu des discussions à ce propos , Avec qui ?

Y-a-t-il eu un changement recherché ? obtenu ?

Y-a-t-il eu une visite médicale ?

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Fiche descriptive de la famille.

Composition de la famille (enfants et parents) : (sexe et âge)

Profession des parents et étudespoursuivies :

Logement : type (F2,F3, F4) et éléments de confort (salle de bain).

Importance des relations dans la famille : avec les grand-parents paternels, maternels, avec les oncles et tantes paternels et maternels :

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GRILLE D'ENTRETIEN

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La rentrée scolaire. Questionnaire.

1. Vacances et année précédante (enregistrement).

Q : Comment s'est passée l'année écoulée , pour l'enfant, sur le plan scolaire ?

Q : Avant les Vacances vous êtes-vous informé à propos de la rentrée suivante?

- Avez-vous fait des démarches, pour qu'il soit dans telle école ou/ et dans telle classe?

Q : Pendant les vacances, est-ce que vous avez parlé de la prochaine

rentrée ?

- Qu'avez-vous dit?

- Et les autres membres de la famille, ou les amis?

- A votre avis, on a trop ou pas assez parlé?

- Est-ce que on a dit ce qu'il fallait ?

Q : L'enfant était-il bien préparé psychologiquement?

- Etait-il bien informé?

Q: L'enfant a-t-il fait des devoirs de vacances?

- Autre type de préparation: jeux éducatifs, lectures ?

- La préparation avait-elle commencé l'année dernière?, Sous quelle forme?

- Quelle a été la préparation par l'école ?

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2) Préparatifs matériels.

Q : Avez-vous pris un ou plusieurs jour(s) de congé pour préparer la "1 rentrée?

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Q : Quels ont été les préparatifs pour la rentrée scolaire de votre I enfant ? (pendant les vacances, les jours précédants, la veille de la

rentrée)

Q : Avez-vous pris des heures ou la journée, pour le jour de la rentrée?

Q : Comment s'est passée cette journée de rentrée scolaire ?

| - Préparatifs?

- Qui l'a accompagné?

- Jusqu'où l'avez-vous accompagné?

Q : Qu'auriez-vous souhaité?, est-ce que vous auriez voulu que ce soit organisé autrement?

- Y avait-il une réunion pour les parents?

- Y êtes-vous allé ?

- Comment s'est passée l'après-midi?

- Comment s'est passée la soirée?

- Le "changement GS/ CP, ou CM2/6ème, vous paraît-il bien aménagé? trop brutal?

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3. Remplir avec la personne la grille sur la tenue de l'enfant le \ matin de la rentrée, (enregistrement).

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TENUE DE L'ENFANT, NEUF/PROPRE MARQUE ACHETE Où, LE MATIN DE LA RENTREE Repassage Personnage (Tintín etc...)

Polo/ T shirt/ Corsage Sous-pull / Chemise (blanche ou fantaisie)....

Pull (quel type de col?)/ Sweat-shirt/ Gilet. Haut de jogging.

Jean/ Jogging/ Pantalon (style?) Short (en jean/en toile etc ?) Bermuda (jean/ toile ...) Jupe/ Robe (style)/ Caleçon ...

Blouson (style) / blazer/ Anorak/ doudoune/ K way

Baskets/ Tennis (avec scratch?) / Mocassins/ Chaussures/ Sandales...

Chaussettes

Linge de corps

Foulard/ Casquette

Bijoux (préciser) Couteau, Montre

- Discussions? - L'avis de l'enfánt a-t-il été important? - La crainte du racket a-t-elle pesé sur les choix?

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x 4) Questions sur la tenue de l'enfant, (enregistrement).

Q : Quelle importance avez-vous accordée à l'habillement de votre ~! enfant le jour de la rentrée?

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Q : Pour quelles raisons /y avez-vous accordé de l'importance ? ou I / n'y avez-vous pas attaché d'importance?

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- Si habits neufs, Pourquoi? si rien de neuf, Pourquoi?

Q : Avez-vous accordé de l'importance - à l'avis des enseignants - à l'avis des autres enfants - à l'avis des autres parents?

Q : Qui a choisi les vêtements pour le jour de la rentrée?

- Y a-t-il eu discussions?

- Etait-il habillé autrement que les jours de classe ordinaires? Quelles différences?

- Est-ce que c'était plutôt une tenue de fête? Différences?

Y a-t-il des différences par rapport à l'an dernier?

Si oui, pourquoi?

I ] I Q : Avez-vous eu l'allocation rentrée?

Q : Comment vous êtes-vous informée pour choisir l'habillement de votre enfant ? (télé, journaux, collègues, membres de la famille, voisines, enfant).

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5) Politique vestimentaire.

Q : Quelle est l'importance de l'investissement financier pour l'habillement ?

- Part de la rentrée.

Q : A quels autres moments achetez-vous de l'habillement pour votre enfant ? (vacances, fêtes ou anniversaires, mariage, 1ère communion, autres rentrées scolaires...)

Q : Bénéficiez-vous d'héritages de vêtements ?

Q : A-t-il une tenue de dimanche, une tenue de fête ? (quelles fêtes?)

Q : L'apparence de l'enfant, est-ce une préoccupation agréable ou désagréable ?

Q : A quelles occasions met-il des joggings?

Q : Porte-t-il des marques?

- Que pensez-vous des marques?

Q : Faites-vous les achats de vêtements, avec ou sans l'enfant?

- Si avec, depuis quand?

- Quelle est l'importance de l'avis de l'enfant ?

- Y a-t-il eu une évolution, la quelle?

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\S2.

EQUIPEMENT SCOLAIRE (AVANT LA RENTREE).

NEUF/DEJA UTILISE MARQUE ACHETE Personnage •

CARTABLE SACADOS (description; discussions?)

Trousse

Feutres/ Stylos à

(s)

Crayons bille

STYLO PLUME

de couleurs/

AGENDA / CAHIER DE TEXTES (raisons du choix)

Cahiers/ Classeurs (les quels?)

Bonbons gateaux

argent pour pain au chocolat

- Avez-vous choisi conformément à la liste donnée par l'école?

- Avez-vous acheté le moins cher possible?

- Y a-t-il eu des fantaisies? Les quelles?

- L'avis de l'enfant a-t-il été important?

- Discussions ?

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Soins du corps.

la veille, le matin, participation de qui, remarques douche bain lavabo : lavage des cheveux :

ongles des pieds et des mains : coiffure :

Quelle attention avez-vous accordée à l'odeur de l'enfant ?(savon, shampoing, eau de toilette).

Quel est le rythme habituel des soins du corps pour l'enfant ?

Y-at-il eu des écarts par rapports aux habitudes ?

Pourquoi ?

A quelles) autre(s) occasion(s) y portez-vous une attention particulière ?

La coupe de cheveux a-t-elle été rafraichie ou bien est-ce une nouvelle ?

Quand? Par qui?

Y-a-t-il eu des discussions à ce propos , Avec qui ?

Y-a-t-il eu un changement recherché ? obtenu ?

Y-a-t-il eu une visite médicale ?

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6) Faire remplir grille équipement scolaire, (enregistrement).

7) Faire remplir grille soins du corps, (enregistrement).

8) Aménagement de la chambre.

Q : A l'occasion de cette rentrée, avez-vous réaménagé la chambre de l'enfant?

- A-t-il un bureau ? Depuis quand?

- A-t-il un tableau -.noir? Depuis quand, • * .

- A-t-il une bibliothèque? Depuis quand?

Q : Intervenez-vous dans son travail scolaire? (modalités)

9) Changements _

Q : Est-ce que le fait que l'enfant entre en ... fait que vous le voyez autrement?

- Pensez-vous que sa conduite ait changé ? ( va à l'école tout seul, traverse la rue, fait des courses seul, se préoccupe des marques ...)

- Avez-vous changé de conduite avec lui (Argent de poche, discipline , vêtements...)

Q : Pouvez-vous comparer cette rentrée avec celle de l'année dernière ?

- Préparatifs ?

- Déroulement?

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10) Les souvenirs de rentrée scolaire du ou des parents (enregistrement).

Q : Dans quelle école étiez-vous quand vous rentriez dans la même classe que votre enfant ? (privée, publique, ville, village, petite, grande,).

Q : Quels sont vos souvenirs de votre rentrée scolaire dans cette classe ? (CP ou 6e).

Q : Quels étaient les préparatifs? (Vêtements, équipement, préparation psychologique)

Q : Quelles différences voyez-vous avec la rentrée de votre enfant?

- Si différences, comment les expliquez-vous? (milieu, niveau d'instruction, époque ...)

Q : Pour la rentrée, avez-vous cherché à - banaliser ? - marquer le coup ? Pourquoi?

Q : (Si nécessaire) Pouvez-vous préciser la part de votre mari (ou compagnon), dans les préparatifs de la rentrée ?

Q : Qui dans votre famille a participé aux préparatifs de la rentrée ?

- Qui dans la famille s'est intéressé à la façon dont s'est passé la rentrée?

Q : Pour conclure cet entretien, avez-vous d'autres éléments à indiquer dont nous n'aurions pas encore parlé ?

7. Remplir le descriptif de la famille.

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Fiche descriptive de la famille.

Composition de la famille (enfants et parents) : (sexe et âge)

Profession des parents et étudespoursuivies :

Logement : type (F2,F3, F4) et éléments de confort (salle de bain).

Importance des relations dans la famille : avec les grand-parents paternels, maternels, avec les oncles et tantes paternels et maternels :

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ANNEXE III. INDEX DES FAMILLES

En gras : - le nom de famille. Nous avons donné le même à la mère et aux enfants, bien qu'en réalité, par suite des divorces, ils portent assez souvent des noms différents. - les personnes rencontrées. Cité : il s'agit du 58, cité HBM, sans salle de bain prévue. Quartier résidentiel : la population y est plus aisée que dans le périmètre de banlieue où nous avons prioritairementenquêté. Grand Immeuble : l'immeuble prive où habitent beaucoup de nos enquêtes du XlVè.

Abld Katia, CP et Medhi, CM2;2 soeurs, 13 et 15 ans Banlieue, Cité, F3. Déménagent durant l'été 94. M è r e 40 ans, Kabyle, analphabète ; Femme de ménage dans un foyer. P è r e 53 ans, Kabyle, analphabète, en invalidité. Cf. Pages : 27. 54.

Bara Mathieu, GS, CP ; 2 soeurs, 11 et 12 ans. Banlieue, Cité depuis 10 ans, F3. Mère : 32 ans, enfance en banlieues ouvrières (père facteur), sans diplome, caissière, au chômage depuis 8 ans. « Je suis sous tutelle donc ma tutrice s'occupe de payer mon loyer, mon EDF, mes factures, et elle m'envoie de l'argent pour le mois. On arrive toujours à se débrouiller » . Voudrait rejoindre ses parents, partis dans le Sud-ouest, ce qu'elle fera en Juillet 1995. Divorcée. ~ Père, ouvrier plombier, « Ils le voient, quand le père aenvie de venir. ». Cf. Pages :14-18. 21. 23. 25. 26. 36. 37. 39-41. 52. 53. 96.

Benal i Son ia , GS, CP et Samir , CM2, 6è ;frère, 3ans. Banlieue, Cité, F3. M è r e: 36 ans; Née en Algérie. Venue en France en 1964, à l'âge de 6 ans. Niveau 4ème pratique, assistante maternelle, au chômage, compte faire des heures de ménage Père, 40 ans, né en Algérie, n'a jamais été à l'école, manoeuvre Cf. Pages : 27-28. 37. 38.98-99. 109-110. 115. 116. 129.

Bongo Eugénie , CP, CE1 et Victor, 6è, 5è ; tous les 2 au Cameroun jusqu'en 92; soeur, 3 ans. Banlieue, Cité, F3. Mère 45 ans, née au Cameroun, père agriculteur, niveau 4ème,. en France depuis 1971. Caissière, stage auxiliaire de vie. Second Mari: 32 ans, technicien de maintenance, Camerounais, en France depuis 1982, mariage en 91, séparation et instance de divorce en 94. Cf. Pages :20. 46. 47. 51. 55. 127. 132.

Bris Jean-Marc, GS, CP et Nathal ie , 16 ans, prépare un CAP pressing. Banlieue, Cité, F3.Pasde douche. M è r e 38 ans, sans diplome, auxiliaire de vie. P è r e 54 ans, enfance en banlieue ouvrière, niveau 5è, atravaillédès qull a pu pour aider sa mère, invalidité depuis 12 ans. Petite maison achetée en Côte d'Or, là-bas, tout est magnifique".. Cf. Pages :27. 41-42. 46. 51. 52. 55. 59. 99. 119.

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Cal var i Romain, CM2, 6è ; frère, 15 ans. XlVè, Grd Immeuble, F4. Mère, 43 ans, Bac+3, institutrice Père, 45 ans, Bac+2 gestion commerciale, agent d'une compagnie aérienne. a. Pages :29. 32-33. 76. 82-85. 122-124.

Chambón Florine, 6è, 5è. XlVè, Grd Immeuble, F3 M è r e 38 ans, Bac+4, productrice de films publicitaires. Divorcée Compagnon, 35 ans, monteur de films. Père, paysagiste, remarié, vit à Bordeaux, une petite fille. g. Pages :01. 118. 121. 132. 134-135.

de la C o m b e Jean, CP, CE1 ¡soeur, Sans. XlVè, Propriétaires F6 dans immeuble moderne. Mère : 38 ans, Bac + 4, cadre dans un service culturel. Père : 47 ans, Bac + 4, cadre supérieur Cf. Pages : 15. 17. 18.. 88-89. 91 93. 120. 130.

C o z z e n o Anthony, CP, CE1 ; Soeur, 10 mois. Banlieue, Cité depuis 10 ans, F2. 7E sans ascenseur. Mère : 32 ans, enfance dans le Xlllè, terminale A, diplôme d' Aide soignante. Aide soignante. Père : 33 ans, enfance dans le Xlllè, Chauffeur. Cf. Pages : 67. 68. 73. 94. 96. 99.

D e l a g e Jérôme,CP, CE1; frère, 8ans. Banlieue, quartier résidentiel, ILN, F5. Mère 29 ans, certificat d'auxilliaire puéricuttrice.garde des enfants à la maison. Père: 30 Ans, école de comptabilité, agent de sécurité. Œ Pages :38. 42-43. 54.

Esposito Chloé, CP, CE1 et Aurélie, CM2, 6è. iFrère, 8ans. XlVè, Grd Immeuble, F5. Mère 34 ans, Bac + 3, études d'art, assistante antiquaire . Ne travaille plus depuis 11 ans. En 1993, va faire un stage pour reprendre une activité professionnelle. En 1994 : hôtesse d'accueil à mi temps. Père: 36 ans, Bac+4, consultant informatique. g. Pages :24. 39. 127. 132.

Fharas N ik i ,6è ,5è . XlVè, Grd Immeuble, F2. Mère 49 ans, enfance dans le XVIè, père artisan-peintre, à l'école jusqu'à 13 ans, a été opératrice de saisie, fait des ménages. Divorcée. Père: Marocain, vit au Maroc. g. Pages :30. 31-32. 133.

Foucher Robin, GS ; 2frères, 8 et 12 ans. XlVè, Loft dans immeuble ancien. Déménagent en province durant l'été 1993. M ère 42 ans, double licence, institutrice dans le privé. Père: BTS d'automatisme jamais utilisé, photographe publicitaire, 40 ans. g. Pages : 80-82.

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Hadim Anissa, 6è, 5è. Banlieue, cité, F3. M è r e 37 ans, née en France de parents algériens analphabètes, Secrétaire médicale. Divorcée. Père: 40 ans, Né en Algérie, arrivé en France à 2 ans, niveau bac, Commerçant. Voit régulièrement sa fille. a. Paaes :22. 71. 111. 125-127.

Hervé Char l ine, CP, CE1 ; 2 soeurs, 9 et 4 ans, frère né en 94. Banlieue, Cité, F3. Mère 25 ans; enfance dans la cité ; 4ème CCPN, puis caissière, un an, dans plusieurs boites. Ne travaille pas. Sous tutelle. Père: « Avec le père des enfants, c'est fini, il vient me voir de temps en temps ». Compagnon, 20 ans Famille dans la cité, mère, soeur, frère, neveux. Cf. Pages :27. 28. 37.

Jourdan Vincent, 6è,5è. Banlieue, quartier résidentiel, Propriétaires d'un pavillon. Mère, 45 ans, niveau bac, + CAP, secrétaire. P è r e ,46 ans, Bac +5 Maths appliquées, Ingénieur, au CNET. Cf. Pages : 93. 103.

Klein Myriam, 6è, 5è ; soeur, 15 ans. XlVè, Grd Immeuble, F4. Mère professeur de lycée. divorcée. Père: avocat. Cf. Pages: 111. 133.

Lachet Céline, CP, CE1 ; soeur, 4 ans. Banlieue, cité, F3. Pas de douche. M è r e 29 ans, enfance en banlieue, famille ouvrière, CAP comptable, femme de service. P è r e 29 ans, enfance en banlieue, famille ouvrière, 5è et CAP fraiseur, chauffeur-livreur, demandeur d'emploi. Cf. Pages : 63. 64. 68. 69.

Lebrun Sébastien, CM2, 6è et Mickaël, 6è, 5è. XlVè, HLM, F4. M è r e: 35 ans, naissance et jeunesse en bretagne, niveau BEP, Secrétaire à Sciences Po, à 3/4 de temps. Père 35 ans, naissance et jeunesse en bretagne, CAP Cuisine, Cuisinier jusqu'en 83, chauffeur de taxi indépendant, «//se réveille normalement vers 3 h de l'après-midi et il est tout à fait disponible pour eux ; // s'est énonvément investi dans la vie de ce nouveau collège, il fait partie de la FCPE, du conseil d'administration, du conseil de classe dela6ème » Cf. Pages :62. 101-102. 121.

Leguen Cédric, CM2, 6è ; soeur, 7ans. XlVè, Grd Immeuble, F3 Mère : 38 ans, Bac+4, chef de publicité dans un journal. Père : 42 ans, Arts déco, illustrateur, au chômage. Cf. Pages: 76. 117. 132.

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Le jeune Henri-Paul, CP, CE1 , Ecole privée dans le XVè ; 2 soeurs, 8 ans et 3 ans. XlVè. propriétaire F 6 dans immeuble récent. Mère, 34 ans, bac+2, reste au foyer depuis la naissance du premier enfant. Père : 37 ans, cadre supérieur. Cf. Paœs : 94-95. 128.

Mardain Jérémy ,6è , 5è ; Eloïse, CP, CE1 . XlVè, HLM, F4. Mère:34 ans, DUT de Gestion, Bac + 2, gestionnaire dans un hôpital Divorcée Père: cadre supérieur, contact irrégulier avec les enfants : "ce peut être trois fois par semaine et un blanc de 6 mois". Œ Pages :22. 90. 91. 124-125.

Martins Hugo, GS, CP ; frère, Sans. XlVè, propriétaire, F4, dans immeuble ancien. Mère : 28 ans, 2nde, commédienne au chômage. Divorcée. Père : 32 ans, comédien, habite le quartier, garde conjointe. g. Pages :21. 68. 80.

Mateo Thibault, 6è, 5è. XlVè, Grand immeuble, F4. M ère: 45 ans, maîtrise, ingénieur d'études à l'université. Père : 43 ans, DESS, Directeur commercial g. Pages :72. 76. 121. 127-128.

Mériot Sébastien, CM2, 6è ; frère, 12 ans. XlVè, Grd Immeuble, F4. Mère. 38 ans, secrétaire, maîtrise de psycho.en cours. Père, 43 ans, licence, formateur. g. Pages : 77-79. 101. 120.

Michaud Noémie, GS, CP et Christophe, CM2, 6è. Banlieue, Cité depuis 12 ans, F4. M èr e 43 ans. Née au Portugal, en France depuis 1976, a demandé la nationalité française. Bac portugais, BEP français en Comptabilité. Facturière comptable àRungis (5h30 à 13 H). Divorcée depuis 6 ans Père. 32 ans, CAP et BEP de Comptabilité. g. Pages:98. 112-115.

O leg Dimitri, GS, CP ; soeur, 3 ans. Banlieue, propriétaires d'un pavillon. M è r e 30 ans, originaire de Montreuil, parents commerçants, correctrice de livres à domicile. Père: 32 ans, orphelinat de 6 à 14 ans, chef de chantier. Cf. Pages :56. 58. 67. 73. 74-75. 108. 109. 129. 137.

Pietri Clara, GS ; frère, 2 ans. XlVè, Grand immeuble, F2. Déménagent durant l'été 1993. Mère niveau licence, maquettiste à son compte, Père: architecte, travaillent ensemble. Cf. Pages :29. 31.

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Portel Audrey, CP.CE1. Banlieue, Cité depuis 3 ans, F2. Pas de douche. Mère : 24 ans, sans diplôme, Aide cuisinière Divorcée Père, sans diplome. Compagnon, 36 ans, 5ème de transition, chef de rang. Ris, 9 ans, vient pour le Week-end. a. Paaes :22. 24. 59.66. 119. '

Prévost Tom, GS, CP ".trèresjumeaux, 8ans. XlVè, HLM, F4. M è r e 37 ans, bac 44, infirmière-puéricultrice et directrice de crèche. Père 41 ans, CAFB, bibliothécaire-adjoint. Œ Pages :67. 69. 100. 128.

Puche Nathan, CP, CE1 ; école bilingue ¡soeurs, 4 et 2 ans. XlVè, Grand immeuble, F4. Mère37 ans, bac, voyage d'un an en Amérique du Sud, travaille chez elle, décryptages, préparation de dictionnaires. •»' . .-=.., Père, 35 ans, famille d'architectes, quitte l'école en 2nde, travaux dans ladécoration. Cf. Pages : 30. 67. 119.

Raba de Patricia, 6è, 5è ; frère, 4 ans. Banlieue, Cité depuis 3 ans, F3. Mère, 35 ans, naissance et jeunesse à la Réunion, niveau 3ème, employée communale à Bagnolet. Père, 38 ans, naissance et jeunesse àlaRéunion, niveau 3ème, peintre en bâtiment. Fréquents contacts avec la Réunion, et en France, avec des réunionnais. Cf. Pages :26. 43-44. 46. 50. 52. 54. 96-97. 110.

Râteau Thomas, CM2, 6è. -—*_.. Banlieue, HLM, F3 ; « Y a 50 logements, ça pas fait-grande cité comme au 58, c'est une toute petite rue ». M ère,33 ans, adjoint administratif. Père, 35ans, s'est arrêté en 5ème, machiniste R ATP. Cf. Pages:31. 101. 133.

Reboul Jonas, GS, CP et Pauline, CM2, 6è ¡frère2ans. XlVè, Grand immeuble, F4. M ère 39 ans,, bac 44 (école d'art), céramiste, donne des cours le mercredi; Père: 39 ans, médecin oméopathe. Œ Pages :21. 30. 100.

Rieux Damien.CP.CE1. XlVè, Grand immeuble, F3. Mère: 47 ans .enfance à Marseille, père docker; Universitaire. Père : 51 ans Informaticien. g. Pages : 15. 16. 18. 30. 32. 33. 64-66. 72. 80. 100. 117. 130.

Robles Astrid, CP, CE1 ¡soeur, 8 ans. Banlieue, pavillon, propriétaires. Mère : 45 ans, Bac+4 (lettres), chargée de mission dans un ministère. Père : 40 ans, né en Espagne, école d'aéronautique espagnole; informaticien. Fillettes bilingues, passent leurs vacances dans la famille de leur père. g. Pages :21. 67. 73. 103. 104. 129.

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Sevestre Marine, GS,CP. XlVè, F3 dans immeuble moderne. Mère : avait un restaurant ; aide son mari. Père : patron d'une PME. Cf. Pages :95. 103.

Soumba Abdoulay, GS.CP et Ahwa 6è, 5è ; 1 soeur, 2frères, 13, 16. 19 ans. Banlieue, cité depuis 10 ans. Mère 35 ans, née au Mali, collège, arrivée en France à l'âge de 15 ans, avec son mari. Père : 40 ans, originaire du Mali, ouvrier qualifié. Cf. Pages :37. 38. 44-46. 48. 52 53. 111. 133.

TaunaiS Nicolas, CP, CE1. Ecole bilingue : 2 soeurs, 5 et 3 ans. XlVè, Grd Immeuble, F4. Mère : origine modeste, licence de linguistique et diplôme d'infirmière, ne travaille pas. Père : DEA, informaticien Cf. Pages : 23-24. 69. 72. 74. 100. 117. 130-131.