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CFDT 4, boulevard de la Villette 75019 Paris LE COUT DU TRAVAIL La politique de baisse des cotisations sociales en France, effets attendus et conséquences Didier Balsan, Emmanuel Mermet février 2006 Rapport d’étude

Rapport Detude Sur Le Cout Du Travail

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cout du travail

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  • CFDT 4, boulevard de la Villette 75019 Paris

    LE COUT DU TRAVAIL La politique de baisse des cotisations sociales en France, effets attendus et consquences Didier Balsan, Emmanuel Mermet fvrier 2006

    Rapport dtude

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    Ce document est issu dun travail collectif qui a runi Gaby Bonnand, Didier Balsan, Violaine Delteil, Emmanuel Mermet, Laurence Laigo, Nathalie Destais, Sophie Thierry. Les discussions menes dans les fdrations CFDT avec Marcel Grignard (FGMM), Martial Videt (Ha.Cui.Tex), Patrick Pieron et Gilbert Piton (FCE), Herv Garnier et Christian Glaude (FGA), Danielle Rived et Martine Zuber (FTILAC), Didier Brul (Fdration des Services), y ont galement fortement contribu. Nous remercions grandement les personnalits extrieures rencontres : Bernard Gazier, Alain Gubian, Patrick Itschert. Ce rapport a reu le soutien financier de lIRES (Institut de Recherches conomiques et sociales) et a t ralis dans le cadre de lAgence dObjectifs liant lIRES et la CFDT en 2005.

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION 4

    1. MECANISMES THEORIQUES ET STRATEGIE DENTREPRISE 6 1.1 De quoi parle-t-on ? Que recouvre le cot du travail ? 6 1.2. De qui parle-t-on ? 8 1.3. Cot du travail et emploi : approche gnrale 9 1.4. Le cot du travail dans les stratgies dentreprises : quelques exemples 11

    2. LES POLITIQUES DALLEGEMENTS DE COTISATIONS SUR LES BAS SALAIRES 17 2.1. La dstabilisation de lemploi peu qualifi dans les conomies industrialises 17 2.2. Une politique de salaire minimum atypique en France 19 2.3. Des allgements de cotisations amplifis et prenniss, qui expriment un compromis politique particulier entre emploi et ingalits salariales 22 2.4. Quelle valuation peut-on faire aujourdhui, du point de vue de lemploi, de plus de dix ans dallgements de cotisations sur les bas salaires ? 24 2.5. Les baisses de cotisations sur les bas salaires risquent dvincer les stratgies de qualification 26

    3. FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE 29 3.1. Un financement fortement dpendant de la part des salaires dans la valeur ajoute 29 3.2. La progressivit des cotisations sociales 32

    4. COUT DU TRAVAIL, FISCALITE ET LOCALISATION DES ENTREPRISES 35 4.1 Classement des secteurs conomiques touchs par la concurrence internationale 35 4.2 La fiscalit des entreprises 41

    5. LA PLACE DE LA POLITIQUE SALARIALE DANS LUNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE 50 5.1. Lincidence de llargissement de lUnion europenne 50 5.2. Les Pactes sociaux ngocis dans certains pays europens : une discipline efficace, toutefois difficile maintenir durablement 52 5.3. La coordination europenne de la ngociation collective : un rle possible pour la CES 52

    BIBLIOGRAPHIE 59

    ANNEXES 62 1. Salaires minima en Europe et aux Etats-Unis en Euros, en 2003 62 3. Trame dentretien DRH 65 3. Entretiens avec des responsables de ressources humaines de grands groupes 66

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    INTRODUCTION Cot du travail : ce terme est rgulirement la une de lactualit. Des informations circulent : le cot du travail en France est infrieur celui de lAllemagne des sujets de baccalaurat en traitent : La rduction du cot du travail permet-elle de rduire le chmage ?... Pourtant, il est souvent utilis sans rfrence une dfinition prcise. Parmi les syndicalistes, il prend souvent une connotation ngative. En effet, utilis en majeure partie par les conomistes, les chefs dentreprise, il laisse entendre que le travail est avant tout un cot, ce qui explique son rejet par nombre de syndicalistes. Pourtant, dans notre environnement conomique de plus en plus imprgn par les effets de la concurrence mondiale, lutilisation de ce terme saccrot. Cest pourquoi nous avons voulu en cerner les contours dans cette recherche. Nous avons donc cherch dfinir la notion. Pour les conomistes, le cot du travail, cest l'ensemble des dpenses de l'entreprise lies l'utilisation de la main d'oeuvre. Il comprend donc les salaires verss aux salaris et l'ensemble des cotisations sociales. Souvent, le cot du travail et les cotisations sociales sont au cur du dbat sur les crations d'emplois. Pour les auteurs noclassiques, un cot du travail trop lev constitue un frein l'embauche. En effet, selon eux, l'employeur n'embauchera un salari supplmentaire que si celui-ci lui rapporte plus qu'il ne cote ou, autrement dit, il n'embauchera que si la productivit marginale (production obtenue par le dernier travailleur embauch) excde le cot marginal (cot du dernier travailleur embauch). Plus le cot du travail est lev, moins les employeurs seront incits embaucher. De plus, le cot du travail est un lment important de la comptitivit des entreprises : son lvation incite les employeurs licencier, substituer le capital au travail ou dlocaliser la production vers des pays main d'uvre bon march. Cependant, il convient de nuancer fortement ce jugement. Il est impossible d'tablir une relation entre montant des cots salariaux et le niveau des taux de chmage. De plus, il est difficile de rduire les cotisations sociales. Celles-ci sont la source du financement de la protection sociale (assurance maladie, vieillesse, chmage, etc.) et les baisser implique de trouver d'autres modes de financement de la protection sociale (par exemple la CSG). De mme, remettre en cause le SMIC est dangereux. Celui-ci garantit un pouvoir d'achat minimum et permet le maintien de la consommation. Il vite aux catgories les plus dfavorises de basculer dans la pauvret et l'exclusion. Enfin, les entreprises cherchent de plus en plus adapter leur production face aux fluctuations de la conjoncture. Elles vont essayer de transformer le cot salarial, de cot fixe en cot variable, plus flexible. Dans un contexte de mondialisation, la question du cot du travail savre davantage cruciale. La concurrence saccrot, y compris pour les services. La tendance est donc la comparaison des cots du travail. Trs ingaux, ces cots du travail vont probablement avoir tendance se rapprocher, mme si ce n'est pas dans un avenir proche.

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    Il apparat que les travaux des conomistes abordent la question des baisses de cotisations de faon parcellaire, sous langle des effets sur lemploi pour les bas salaires, sous celui de lattractivit du territoire, du financement de la protection sociale ou bien encore en terme de comparaison internationale. Cette recherche tente de rapprocher ces diffrentes approches afin de permettre une apprhension globale de la problmatique. Elle sinscrit dans le prolongement des rflexions engages par la confdration en 2001-2002 sur les salaires. La question du cot du travail ouvre en effet, au-del du salaire, la problmatique des cotisations sociales. Un comit de pilotage a t mis en place, regroupant plusieurs services confdraux. Des changes avec des responsables de Fdrations ou dUnion rgionale CFDT ont organises afin de confronter les analyses globales aux ralits sectorielles et territoriales. La mthode de travail a consist dans un premier temps une recherche documentaire. Puis des rencontres avec des personnalits extrieures : Bernard Gazier (chercheur au Matisse), Alain Gubian (Agence centrale des organismes de scurit sociale, ACOSS), Patrick Itschert (Fdration Syndicale Europenne du Textile, de l'Habillement et du Cuir - FSE:THC). Enfin, des entretiens ont t men auprs de responsables des ressources humaines de grands groupes (agroalimentaire, matriaux de construction, grande distribution), ainsi quavec des chefs de PME (cuir-textile). Dans ce document, notre dmarche se droule en plusieurs temps. Dans un premier chapitre, nous donnons une dfinition du terme de cot du travail. Au-del de la dfinition, nous avons aussi rencontr des chefs dentreprise et des directeurs des ressources humaines afin de confronter notre dfinition celle des entreprises, et pour apprhender comme ce facteur intervient dans leurs stratgies. De l, nous analysons dans un deuxime chapitre les diffrentes politiques de baisse du cot du travail qui ont t suivies en France depuis plus de dix ans. Principalement, nous tentons une valuation critique des allgements de cotisations sociales qui ont t mis en place trs tt en France. Nous essayons de mesurer les effets de la fin de la conditionnalit des baisses de cotisations la rduction du temps de travail, et dy apporter un regard critique. Trois lments viennent ensuite complter cette analyse de la politique conomique sur le cot du travail. Un troisime chapitre sera consacr au financement de la protection sociale, tandis quun quatrime se centrera sur la fiscalit des entreprises et leffet de la concurrence internationale sur les secteurs alors quun cinquime chapitre compltera par une analyse du cot du travail sous langle des stratgies de nos voisins europens comme des institutions europennes.

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    1. MECANISMES THEORIQUES ET STRATEGIE DENTREPRISE Avant de dtailler dans le deuxime chapitre lapproche conomique des baisses de cotisations sociales sur les bas salaires, il est paru ncessaire de revenir ce que lon entend par cot du travail et de sinterroger sur la notion de travail peu qualifi. Dans cette optique de mise plat, il nous a galement sembl important de senqurir des discours et des pratiques des entreprises relativement au cot du travail. Sans bien sr prtendre lexhaustivit, loin sen faut, cette contribution se termine par le compte rendu dentretiens raliss avec cet objectif.

    1.1 DE QUOI PARLE-T-ON ? QUE RECOUVRE LE COUT DU TRAVAIL ?

    1.1.1. Le salaire et les cotisations lies la protection sociale La dfinition la plus frquente du cot du travail inclut le salaire et les cotisations sociales (salariales et patronales) ; cest aussi cette notion qui prvaut dans lesprit des dirigeants dentreprises. Le salaire est le prix du travail, dtermin sur le march du travail, selon des modalits toutefois un peu particulires qui ne se rsument pas la seule confrontation de loffre et de la demande : travers le Smic ce prix est fix de faon rglementaire et national pour 14 % des salaris1 ; pour les autres salaris, ce prix est ngoci divers chelons et ne rmunre pas seulement une prestation immdiate mais sert aussi doutil de gestion des ressources, par exemple en terme de motivation. Les cotisations sociales peuvent tre considres la fois comme le prix de lentretien de la force de travail (prix du systme de protection sociale qui prserve la sant et lemployabilit des travailleurs) et comme un complment de rtribution du travail qui assure le repos des travailleurs au-del dun certain ge (on est l au cur de lide de salaire diffr). La part des cotisations sociales dans le cot du travail a considrablement augment depuis une trentaine dannes : le cot total support par lemployeur aujourdhui reprsente le double du salaire net (moyen) peru par le salari, alors que le rapport tait de 1,7 en 1970. Dans lespace europen, cest en France que la part du salaire net dans le cot du travail total est la plus faible (57,8 %) aprs la Belgique (57,5 %) ; cette part dpasse lgrement 60 % en Allemagne et en Italie et atteint 75 % au Royaume-Uni ou au Danemark. De fait, les taux de cotisations sociales varient normment (de 4,9 % en Sude 33,3 % aux Pays-Bas pour les cotisations salariales, et de 0 % au Danemark 46,4 % en Italie pour les cotisations patronales) mais ces taux refltent diffrents choix fiscaux (redistribution principalement par limpt sur le revenu en Sude par 1 Les femmes sont cependant deux fois plus nombreuses que les hommes tre payes au salaire minimum. En France, ce sont 10 % des hommes mais 20 % des femmes qui sont concerns. Il en va de mme dans dautres pays dEurope.

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    exemple) et diffrents modes de financement de la protection sociale (financement fiscal au Danemark et en Sude par exemple) cf. Graphiques ci-dessous.

    Taux de cotisations sociales en pourcentage du salaire moyen de l'ouvrier

    0

    10

    20

    30

    40

    50

    Dane

    mark

    Pays

    Bas

    Roy U

    ni

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    de

    Belgi

    que

    Franc

    eIta

    lie

    cotisationssalariales

    cotisationsemployeurs

    Source : OCDE, 1997, in Snat, La concurrence fiscale en Europe, 1999

    Rpartition des prlvements obligatoires par catgorie conomique en % du PIB (1997)

    11,9 17

    ,1

    14,6

    10,7

    11,8

    11,5

    12,1

    12,4

    10,7

    10,4

    13,4

    10 11,9 13 11,9

    11,4

    36,4 32

    ,4

    28

    27,8

    25,6

    25,5

    20,7 27

    ,7

    23,7

    26,7

    19

    19,6

    14,4

    14,4

    16,4 23

    ,8

    5,8 3,6

    4,9

    8,1

    8,9

    8,9

    12,8 4

    ,8

    10,1 4,5

    5,5

    6,6

    9,9

    6,7 5,6

    7,4

    0

    10

    20

    30

    40

    50

    60

    SE DK FI

    BE FR NL LU AT IT DE PT ES UK IE GRUE

    -15consommation travail capital

    Source : Commission europenne, La fiscalit en Europe, 1999

    Cest pourquoi il nexiste pas de corrlation entre les taux de cotisations sociales et les cots globaux du travail dans chaque pays : des cotisations moindres saccompagnent de salaires plus levs sur lesquels de plus lourds prlvements fiscaux sont effectus en aval ; des cotisations sociales leves saccompagnent au contraire de salaires directs plus faibles, moins fortement imposs en aval. Pour autant, la faon dont le cot du travail sajuste aux cotisations sociales patronales diffre selon le niveau de salaire. Dans le cas franais, au Smic, toute hausse de cotisation patronale renchrit le cot du travail pour lemployeur ; pour des salaires sensiblement suprieurs en revanche, une hausse de cotisations patronales rduit le salaire net moyen terme : elle est finalement paye par le salari et naffecte gure le cot du travail pour lemployeur.

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    Enfin, si les tudes macro-conomiques et les statistiques nationales se limitent le plus souvent aux cotisations sociales obligatoires, les entreprises ont tendance inclure galement les avantages sociaux facultatifs ; cest particulirement vrai pour les entreprises internationales employant du personnel dans des pays qui, tels ceux dAsie ou dAmrique latine (sans parler des Etats-Unis), noffrent pas de bonne couverture sociale par des systmes collectifs obligatoires.

    1.1.2. Des cots indirects Certaines analyses conomiques peuvent inclure dans le cot du travail des cots indirects lis la gestion des ressources humaines et lajustement des effectifs (recrutement, formation, cot des licenciements ou des fins de contrats temporaires, etc.).

    1.1.3. Des complments de rmunration dune autre nature que le salaire Des complments de rmunration plus ou moins lis la performance de lentreprise, tels que la participation, lintressement et lpargne salariale, sont gnralement laisss en dehors du cot du travail : de plus en plus conus pour partager les gains de productivit et pour introduire plus de variabilit (on devrait dire de rversibilit) dans la rtribution des salaris, ils ont un autre statut que le salaire. Lpargne salariale peut nanmoins tre ngocie par les entreprises en change dune rigueur salariale (voir lexemple du groupe de la grande distribution tudi).

    1.2. DE QUI PARLE-T-ON ? La problmatique du cot du travail et de ses consquences pour lemploi concernerait, selon une commodit de langage, le travail peu qualifi quand bien mme lidentification rigoureuse de ce dernier est malaise : se dfinit-il par un niveau de salaire ? Par la nature des fonctions exerces ? Par le diplme du salari ? Par les comptences exiges ? On utilise en gnral un croisement de ces diffrents critres, avec lide dominante demplois demandant au salari une trs courte priode dadaptation. En ralit, les personnes concernes sont celles qui travaillent dans les secteurs faible productivit ou faible gain de productivit. Cest un ensemble plus large que celui des peu qualifis (il intgre par exemple lassistante maternelle, qui exige - et exigera de plus en plus - de relles comptences mais ne peut dgager des gains de productivit importants). Reste que les notions auxquelles les acteurs collectifs se rfrent sont fragilises par des difficults de mesure :

    mesure de la productivit du salari : on cherche notamment comment prendre en compte sa contribution au fonctionnement collectif dune quipe ;

    mesure des gains de productivit sans horizon temporel explicite ;

    valuation des qualifications et des comptences individuelles. Sur ces trois points, il importe de renouveler des mthodes et des grilles danalyse devenues archaques.

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    1.3. COUT DU TRAVAIL ET EMPLOI : APPROCHE GENERALE La relation cot du travail - emploi est complexe et beaucoup plus indtermine que ce que lon entend souvent. Ce lien peut tre tudi par une approche macro-conomique (fonctionnement densemble de lconomie), micro-conomique ( lchelle des acteurs, notamment des entreprises) et sectorielle. On peut en retenir les conclusions suivantes.

    1.3.1. Les effets dune hausse du cot du travail sur lemploi empruntent plusieurs voies ; lincidence globale reste incertaine. Plusieurs enchanements sont luvre, certains positifs, dautres ngatifs pour lemploi ; le rsultat final est peu prvisible. Trois phnomnes se conjuguent dans un sens ngatif pour lemploi :

    leffet de substitution : modification de la combinaison des facteurs capital et travail dans les entreprises ou modification de la structure de consommation des mnages au profit des biens et services les moins affects par les hausses de prix, donc les moins intensifs en main-doeuvre ;

    leffet rentabilit : une dgradation excessive du taux de marge des entreprises peut hypothquer leur investissement, leur dveloppement et donc terme lemploi ;

    leffet hausse des prix : la boucle prix-salaire (acclration de linflation induite par lacclration des hausses salariales) tend la fois faire remonter le taux dpargne des mnages (donc affaiblir la consommation domestique) et dgrader la comptitivit-prix par rapport aux autres pays.

    A linverse, dautres phnomnes engendrs par les hausses de salaires peuvent jouer positivement sur lemploi :

    leffet motivation : des hausses de salaires peuvent amliorer la productivit du travail (salaris plus motivs, plus stables, etc.) ;

    leffet dbouch : les hausses de revenu procures par les hausses de salaires soutiennent la consommation, donc la croissance condition toutefois que les capacits de production nationales soient suffisantes pour satisfaire cette consommation et que le supplment de revenu distribu ne soit pas ananti par un surcrot dinflation.

    Cette grille danalyse aide caractriser la place de la dynamique salariale dans lconomie franaise des 30 Glorieuses : forte progression des salaires, dabord cale sur les gains de productivit (trs rapides) puis suprieure ceux-ci ; progression soutenue de la consommation ; desserrement de la contrainte de rentabilit des entreprises par la hausse des prix et par des dvaluations rgulires ncessaires pour effacer le diffrentiel dinflation (donc de comptitivit) avec les autres pays ; ouverture internationale modre (quoique croissante) de lconomie. Ce rapport salarial a cependant fini par buter sur lintgration pousse de lconomie franaise dans les changes internationaux et sur lexplosion de ceux-ci, donc sur la contrainte de comptitivit internationale de nos produits et sur les effets trs pervers cet gard des enchanements inflation-dvaluation.

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    LUnion conomique et montaire en Europe exclut dfinitivement ce type de stratgie.

    1.3.2. La sensibilit de la demande de travail son cot reste mal connue Lconomtrie de la relation entre cot du travail et emploi est particulirement dlicate. Elle bute sur plusieurs difficults :

    la mesure de la quantit et du cot du facteur capital est trs imparfaite : ce cot est gnralement approch par les taux dintrt, mais cest une approximation grossire qui ne prend pas en compte lautofinancement des entreprises ; lusure du capital est aussi mal reflte par les amortissements comptables ;

    le cot de la main-duvre est galement plus complexe identifier quil ny parat : aux salaires et cotisations sociales, qui constituent le cot direct du travail, il conviendrait dajouter les cots dajustement de la main-duvre lis aux procdures de gestion des ressources humaines (embauche, formation, licenciement). Or ces cots indirects font parfois lobjet dtudes spcifiques mais sont rarement intgrs aux modlisations de la demande de travail. De mme, la prise en compte de lhtrognit de la main-duvre (en terme de qualification) est importante mais difficile faire ;

    le cot du travail tant gnralement apprci de faon relative, par rapport celui du capital, les imprcisions qui entourent ce dernier rejaillissent sur la mesure de la substitution capital/travail ;

    la plupart des travaux sont fonds sur des donnes issues de lindustrie manufacturire, alors que le secteur tertiaire est largement majoritaire dans les pays de lOCDE ;

    les tudes sectorielles manquent, alors mme que le lien cot du travail-emploi joue lintrieur des secteurs professionnels selon les crneaux occups par les entreprises (types de produits et de clientle). Ainsi le cot du travail nest pas tranger au dynamisme des crations demplois dans les services peu qualifis (htellerie bas de gamme, grande distribution, par exemple) ou soumis une contrainte de solvabilit des acheteurs potentiels (par exemples, les services de proximit ou les services aux personnes). De fait, le flchissement de la progression de lemploi dans ces secteurs, observe en France ds les annes 1970, est concomitant dune hausse rapide du salaire minimum. A linverse, on peut voquer la faible sensibilit au cot du travail du groupe agroalimentaire tudi. Ce groupe, bnficiant davantages concurrentiels forts, sest dot dune stratgie lui donnant ses marges de manuvre sociales mais qui ne pourrait pas tre reproduite par toutes les entreprises de lagroalimentaire.

    Les rsultats concernant la sensibilit de la demande de travail son cot (son lasticit disent les conomistes) varient beaucoup selon les mthodes retenues. Ils varient aussi fortement selon que les tudes sont ralises au niveau macro-conomique ou au niveau micro-conomique. Cette divergence est particulirement marque en France : la sensibilit de la demande de travail y apparat plus forte lchelle microconomique qu lchelle macro. Un document

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    prpar par lINSEE, la DARES et la direction de la prvision en 1997, loccasion de la Confrence sur lemploi, la dure du travail et les salaires , faisait ressortir une lasticit (macro) de lemploi son cot de 0,6 au niveau des bas salaires, ce qui signifiait quun allgement de ce cot de 10 MdF (1,5 Md) tait susceptible de crer ou de prserver 60 000 emplois ; prcisons que cette estimation valait pour le long terme et ne tenait pas compte des effets ngatifs court terme lis au financement de la mesure. Ce rsultat a ensuite t confirm par le rapport Malinvaud de 1998 relatif aux cotisations sociales patronales. Enfin, il faut prendre en compte les vitesses dajustement de lemploi aux salaires rels : lajustement est nettement plus rapide aux Etats-Unis quen Europe continentale.

    1.4. LE COUT DU TRAVAIL DANS LES STRATEGIES DENTREPRISES : QUELQUES EXEMPLES Sans prtendre constituer un chantillon reprsentatif, les exemples de stratgie dentreprise retraces dans cette section illustrent comment la question du cot du travail est influence par les dynamiques de branche, le positionnement des produits de lentreprise et les processus de production, ainsi que les liens entre ces trois paramtres.

    1.4.1. Stratgies industrielles, commerciales et sociales cohrentes de deux grands groupes internationaux (agroalimentaire et matriaux de construction) : des relations salariales de long terme, orientes vers la performance et ladaptabilit La trame dentretien ainsi que des comptes rendus des entretiens plus dtaills sont fournis dans les annexes 2 et 3. Un groupe industriel parmi les leaders mondiaux de lagroalimentaire

    Le cot du travail nest pas vritablement un problme ce groupe industriel. Au-del du fait que le cot du travail ne reprsente quun quart des cots totaux, la stratgie industrielle et commerciale mise en oeuvre confre au groupe dimportantes marges de manuvre sociales. Cette stratgie sappuie sur quelques grands principes :

    une position de leader sur chacun des trois marchs servis (eau, biscuits, produits laitiers) obtenue au prix dun abandon de toutes les activits ne permettant pas ce leadership ;

    le choix dune localisation de la production proximit des marchs de consommation ; cela carte toute mise en concurrence des mains-duvre nationales puisque les cots de productions et les prix de vente sont lis aux caractristiques des marchs locaux ;

    une grande attention porte la modernisation et la rationalisation des usines : cest la performance des quipements et des installations qui doit permettre de dgager chaque anne les 3 % 5 % de gains de productivit ncessaires au maintien de la comptitivit du groupe ;

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    un positionnement haut de gamme des produits, confort par une politique de marque (communication + marketing) active et mondialise, qui permet de pratiquer des prix un peu au-dessus de la moyenne ;

    une recherche de partenariat avec les pays o simplante le groupe, contribuant lever les standards locaux de qualit, la fois dans la consommation et dans lapprovisionnement agroalimentaire.

    Ces choix industriels et commerciaux trouvent un cho sur le plan social avec :

    des salaires levs, suprieurs, pour chaque niveau de classification, ceux en vigueur sur le march du travail local2 et parfois mme trop loigns de ceux-ci au point de rendre les salaris prisonniers de lentreprise et dhypothquer leur ventuel reclassement en cas de restructuration ;

    des recrutements haut niveau de qualification : Bac pro pour tre ouvrier (avec des flux de recrutement cependant faibles aujourdhui), Bac+2 pour tre ouvrier de maintenance ou agent de matrise, Bac+5 pour tre vendeur (avec une progression vers le statut de cadre au bout de quelques annes) ;

    un souci permanent demployabilit qui se traduit la fois par un gros effort de formation professionnelle (actualisation et volution des comptences) et par une forte exigence de mobilit au sein du groupe ;

    une recherche de cohrence entre le traitement des personnels et limage de bien-tre associe la marque.

    La ncessit de concilier une certaine ide de sa responsabilit sociale avec une adaptation permanente aux souhaits des consommateurs et la prservation dune bonne rentabilit a nanmoins conduit une gestion rigoureuse de la masse salariale :

    des augmentations annuelles des salaires cales sur linflation (avec un petit plus en cas daccord salarial sign avec les syndicats, et un effort particulier pour les bas salaires) ;

    un partage des gains de productivit ralis travers lintressement : celui-ci permet un ajustement de la masse salariale en fonction des variations de la valeur ajoute, la fois rapide et prservant lemploi. Il est par ailleurs utilis comme instrument de motivation pour les salaris : gr et calcul lchelle de chacune des socits du groupe, il nest vers que lorsque le rsultat de la socit dpasse un certain seuil, cette non automaticit exprimant lide que lon se partage une prosprit ;

    une volont de faire reculer le poids de lanciennet au profit dune meilleure prise en considration des comptences, sur la base de critres prcis devant tre ngocis avec les syndicats ;

    une vrification rgulire de la hirarchie salariale par un systme de cotation des postes ngoci avec les syndicats et par la comparaison avec dautres grandes socits (par exemple LOral ou Unilever).

    2 De fait, en France, les salaires minimaux dans ce groupe se situent environ 20 % au-dessus du Smic.

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    Le second exemple : un fabricant de matriaux de construction dimension internationale Ce fabricant de matriaux de construction (ciment, bton, tuiles, pltre), prsente quelques similitudes avec le groupe agroalimentaire prcdant : trs forte part de march (leadership mondial mme sur le ciment), stratgie de diffrenciation et de qualit des produits qui maximise les avantages comptitifs autres que le prix (cest particulirement prcieux sur des marchs la fois investis par des trs petites entreprises et marqus par une guerre des prix), une localisation des usines de fabrication proximit des chantiers (impratif technique pour le bton et le ciment), une gestion des ressources humaines long terme qui suppose la fois dabsorber les fluctuations conjoncturelles par une rgulation de la production et de mener en permanence un gros effort de formation et de rorientation des salaris en deuxime moiti de carrire, des qualifications dans lensemble leves pour des salaires relativement levs. Deux particularits de ce groupe mritent dtre soulignes :

    une dcentralisation trs pousse de la gestion des ressources humaines au niveau des socits du groupe, voire des sites (une centrale bton constituant un site, soit une trentaine de salaris) ; cest au niveau des socits que se ngocient les salaires, en cohrence avec un bassin demplois et avec un souci de rgularit des augmentations salariales annuelles (pas de coups daccordon) ;

    une utilisation de lintressement pour motiver les salaris progresser dans des directions prcises : protection de lenvironnement, dlais de livraison, risques du travail, absentisme, rentabilit ; en consquence, les critres relatifs lintressement sont rgulirement redfinis, par la ngociation avec les syndicats, au niveau de chaque socit.

    Lpargne salariale a toutefois un statut part dans ce management trs dcentralis : elle symbolise ladhsion au groupe et est donc gre ce niveau, en vue de soutenir lactionnariat salari et la constitution dune pargne-retraite (abondement de lemployeur dans les deux cas).

    1.4.2. Un groupe de la grande la distribution : une surveillance troite des cots salariaux et des avantages comparatifs du groupe au sein de la branche Pour ce groupe de la grande distribution (commerce de dtail dominante alimentaire), le cot du travail est un gros enjeu et une proccupation permanente. La grande distribution est une industrie de main-duvre, dans laquelle la masse salariale absorbe la moiti de la marge commerciale3. Symboliquement la question du cot du travail, qui jusquen 1998 relevait du service de contrle de gestion, a t intgre (lors dune rorganisation concomitante de lintroduction des 35 heures) la direction des ressources humaines. Plus fondamentalement, les frais de personnel sont suivis de faon trs fine par les managers des magasins laide de tableaux de bords dtaills prsentant

    3 La marge commerciale correspond la diffrence entre le chiffre daffaires et le prix dachat des marchandises.

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    pour chaque magasin des indicateurs de productivit par tte (mesure fonde sur les ventes) et de cots salariaux horaires par tte, ces indicateurs pouvant tre agrges par rayon, par classification, par type de contrat, etc. Les indicateurs de gestion fournis reposent beaucoup sur la comparaison entre magasins similaires au sein du groupe : chaque manager dispose ainsi dune liasse de tableaux et de ratios, intitule benchmarking social des magasins, qui fait apparatre la situation de chacun par rapport au moins bien plac de sa catgorie, au plus performant et la moyenne. En cas de mauvaises performances en termes de productivit ou de cot salarial, le manager concern doit (formation lappui) fournir une analyse des causes de ses rsultats et laborer un plan dactions correctrices. Celles-ci passent la fois par des modifications de la gamme des produits vendus (plus ou moins intensifs en main-duvre) et par des leviers sociaux tels que labsentisme, la formation, le turnover, la gestion des horaires du personnel, etc. Les bonnes pratiques issues de ces plans dactions sont elles-mmes diffuses dun magasin lautre via lintranet. Dans ce contexte, les salaires sont videmment sous surveillance. Depuis une rvision de la formation des salaires en 1998, la prise en compte de lanciennet a t supprime. Labsence de prime lanciennet sinscrit dans une logique patronale visant dissuader linstallation des salaris dans les postes les plus rptitifs, offrant peu de perspectives professionnelles. Par consquent, la progression salariale ne provient que des augmentations gnrales et de la mobilit professionnelle. La promotion interne est certes privilgie par rapport aux recrutements externes pour pourvoir les postes dencadrement, mais ces promotions sont loin dabsorber toutes les aspirations des caissires4 et autres manutentionnaires lenrichissement de leur tche. De fait, les salaris restent peu longtemps dans leur entreprise (seulement 8 % des salaris du groupe ont plus de 50 ans) et le turnover est lev dans lensemble de la branche. La mise en place rcente (dcembre 2002) de deux dispositifs dpargne salariale, ouverts tous les salaris du groupe, en sus du systme de participation dj en vigueur, laisse penser que cest par ces canaux que transiteront dsormais lessentiel des gains de productivit distribus aux salaris. Il existe enfin une interaction intressante entre le groupe et sa branche. Il se veut locomotive sociale de son secteur, ce qui correspond deux aspects, troitement lis lune lautre : dabord, il entend avoir toujours un quart dheure davance par rapport au reste du secteur (question dimage) ; ensuite, les autres entreprises du secteur doivent toujours chercher le rattrapersauf hypothquer rapidement sa comptitivit ; ce quart dheure davance doit donc tre, en quelque sorte, un quart dheure glissant. Cette interaction se joue notamment par la prsidence que dtient ce groupe dans la commission sociale de la branche. Le plus rcent exemple dapplication de cet enchanement relativement vertueux est la signature durant lt 2003 dun accord dpargne salariale au niveau de la branche, qui tendra ce dispositif aux 400 000 salaris non encore couverts.

    4 Les caissires reprsentent la moiti des effectifs.

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    1.4.3. Les centres dappels tlphoniques : des stratgies hsitantes, entre matrise des cots et sophistication des prestations, dans le contexte dune activit mergente et volutive Les centres dappels5 poursuivent une optimisation des cots de main-duvre dans un contexte de transformation des prestations de service qui impose une certaine vigilance quant aux comptences des salaris. La compression des cots du travail (qui reprsentent environ les trois quarts des cots de ces prestations) est recherche par les employeurs de plusieurs faons : par une filialisation des structures (destine les sortir du primtre de la convention collective de lentreprise mre), par un lobbying pour la cration dune convention collective spcifique lactivit des centres dappel (et donc distincte de celle des tlcommunications juge trop onreuse), enfin par une dlocalisation dans des pays francophones (de surcrot frapps par le chmage de leurs jeunes diplms) comme le Maroc, la Tunisie ou la Roumanie ; la rmunration dun tl-oprateur au Maroc hauteur de 300 par mois permet dtre encore trs au-dessus des salaires minimaux locaux. Simultanment les modalits de suivi de clientle, les besoins de conseil et dassistance dans de nombreux domaines poussent une sophistication de ces services, qui conduit les employeurs chercher fidliser leurs salaris (le turnover annuel du personnel est de 50 % en rgion parisienne !) notamment en simplantant sur des bassins demplois en reconversion. Les enjeux conomiques ne sont pas ngligeables puisque une croissance annuelle de 5 % 10 % de lemploi est attendue dans ce secteur qui reprsente dj 4% de lemploi total aux Etats-Unis (contre 1 % seulement en France). Dans ce contexte, les syndicats, tout particulirement la CFDT, sopposent la constitution dune filire isole qui serait dote de ses diplmes, classification et grille salariale, et plaident au contraire en faveur dun rattachement de ce mtier lactivit concerne par la prestation dinformation (assurance, informatique, voyage, etc.) ; il sagit dun effort pour lutter contre la multiplication de conventions collectives au rabais et de segments du march du travail dpourvus de passerelles et de perspectives professionnelles pour les salaris.

    1.4.4. Deux PME du textile Deux responsables de PME du Pays de la Loire ont t rencontrs : une entreprise produisant des chaussures, et une autre spcialise dans les cadeaux de naissances. Lessentiel des entretiens raliss portait sur le cot du travail dans la stratgie de lentreprise et sur les allgements de cotisations sociales sur les bas salaires. Le cot du travail pse essentiellement dans les dcisions qui concernent la localisation de la production car les carts sont jugs importants et rels. Lentreprise produisant des chaussures a ainsi 25 sites de production et de logistique dans 8 pays. Pour cette entreprise cependant ce nest pas uniquement le cot du travail qui a dict ces choix mais aussi la flexibilit afin de produire plus certaines priodes (la demande est sensible la mto, aux effets de modes avec deux collections par an).

    5 TEQ ralis sur les centres dappels par la FTILAC en 2001.

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    Sur le dispositif dallgement, le discours des responsables de PME rencontrs, au-del de lacceptation recevoir des aides, est critique. La succession des dispositifs en particulier est mal vcue, dautant que les engagements de lEtat ne sont pas toujours respects (plan Borotra6). La concentration des aides sur les bas salaires ne parat pas toujours en phase avec le fait que certains pays concurrents montent en gamme. De plus, les aides sont verses toutes les entreprises, mme celles qui ne subissent pas la concurrence internationale. Sur la question de leur efficacit, les aides paraissent utiles court terme car permettant dattnuer la disparition rapide de pans dactivit. Mais, long terme, elles ne sont pas efficaces car lacclration de linternationalisation se traduira par une dmultiplication des consquences de ces mutations. Linstrument des allgements a donc ces limites face lampleur venir du phnomne. De plus, la question du financement des aides est pose au travers de la dette de lEtat, paye par les gnrations futures. Ces entretiens confirment lanalyse selon laquelle dans ce secteur les allgements gnraux (non conditionnels) de cotisations sociales ne constituent pas des solutions durables. Ils ont au mieux permis de faire reculer des chances. Les autres facteurs de comptitivit identifis nont pas fait lobjet de politiques industrielles, daccord sociaux. Cest lexemple de ce que la politique publique dans le domaine de lemploi ne peut pas se rsumer la seule logique du cot du travail. La fin des quotas OMC7 est loccasion pour les pouvoirs publics denvisager une approche moins restrictive de ces questions.

    * * *

    Les entretiens mens illustrent la diversit avec laquelle les entreprises abordent la question du cot du travail. Ils montrent que loin dtre une problmatique isole, cette question est lie une stratgie plus globale et aux caractristiques du secteur. Tributaire dun discours global sur le poids des cotisations sociales (et plus largement des prlvements obligatoires), la politique de baisse des cotisations sociales, cibles sur les bas salaires, ne sest pourtant pas appuye sur une analyse des besoins des entreprises. Treize ans aprs leur mise en place, quels lments de bilan peut-on dresser ?

    6 En 1996, le plan Borotra prvoit un allgement des charges en change damnagement du temps de travail et du maintien ou du dveloppement de lemploi. Cette aide, juge illgale par la Commission europenne, sera rembourse davril 2000 avril 2003 par les entreprises ayant peru plus de 650 000 F daide. 7 Les accords multifibres, entrs en vigueur en 1974, limitaient les volumes d'exportation des pays en dveloppement vers les pays industrialiss. LOMC a programm le dmantlement de ces accords. Avec le retour de la libralisation des changes, les produits textiles sortent progressivement du cadre de laccord et sont rintgrs aux rgles communes. En 2005, les pays en dveloppement pourront exporter sans aucune limitation.

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    2. LES POLITIQUES DALLEGEMENTS DE COTISATIONS SUR LES BAS SALAIRES

    La question du cot du travail, qui semble plus obsessionnelle en France que dans dautres pays europens, a fort faire avec la problmatique de lemploi peu qualifi. Ce dernier sest trouv dstabilis par une conjonction de facteurs communs lensemble des conomies dveloppes. En outre, en France, le dbat a t marqu par le contexte particulier de la politique du Smic. Ces aspects constituent le contexte dapparition des politiques dallgements de cotisations sociales sur les bas salaires qui dbutent en 1993, et qui sont devenues progressivement moins cibles et dun niveau plus lev. Les valuations de ces politiques, au-del de leurs divergences notamment en terme dampleur des impacts, montrent que les effets positifs pour lemploi se sont vraisemblablement concentrs sur le court terme. Lon peut par ailleurs faire lanalyse que les effets moyen et long terme beaucoup plus discutables, dans la mesure o le ciblage des allgements sur les bas salaires nencourage pas lconomie franaise prendre la direction du dveloppement des secteurs innovants dans le cadre de la stratgie de Lisbonne.

    2.1. LA DESTABILISATION DE LEMPLOI PEU QUALIFIE DANS LES ECONOMIES INDUSTRIALISEES Cinq grands facteurs, communs lensemble des pays dvelopps, se sont conjugus pour rduire la demande de travail peu qualifi de la part des entreprises et remettre en cause les trajectoires professionnelles des salaris concerns. En raison de ces mutations, les emplois peu qualifis, susceptibles dtre occups par des personnes peu qualifies (encore ce lien logique ne va-t-il pas de soi dans la ralit) sont au cur des analyses conomiques et des politiques publiques depuis le dbut des annes 1990 dans tous les pays dvelopps.

    2.1.1. La concurrence des pays nouvellement industrialiss bas cots de main-duvre Les carts salariaux dans le monde (mme imparfaitement mesurs) sont videmment impressionnants : au milieu des annes 1990, les cots salariaux horaires ouvriers taient en France environ dix fois plus levs quen Chine, Indonsie, Thalande, et plus du double de ceux en vigueur en Core du Sud ou Taiwan. Dans lespace europen largi aux nouveaux membres, les cots salariaux horaires schelonnent prsent dans un rapport de 1 12 : de 2,4 /heure en Lettonie 28 /h en Sude, la France avoisinant 24 /h ; la moyenne des dix pays de llargissement est denviron 4 /h ; quant aux deux pays dont ladhsion est programme pour 2007 Roumanie et Bulgarie leur niveau de cot salarial est encore plus faible, de lordre de 1,5 /h)8. 8 Source : Eurostat

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    Toutefois limpact de ces carts sur lemploi national est difficile valuer prcisment car il transite par plusieurs canaux : importations, dlocalisations, progrs technique induit par la concurrence. En outre il ne faut pas perdre de vue que cest avant tout entre pays industrialiss eux-mmes que sexerce la concurrence : en loccurrence les cots salariaux horaires ouvriers taient en 1993 en Espagne infrieurs de 40 % aux cots observs en France, eux-mmes identiques ceux des Etats-Unis et infrieurs de 40 % aux cots en vigueur dans lex-Allemagne de lOuest. De la seconde moiti des annes 1960 jusqu la fin des annes 1980, ce sont les pays qui ont connu la plus forte progression de leurs cots unitaires (Allemagne et Japon) qui ont en mme temps enregistr les meilleures performances de leur solde commercial. Ce rsultat tenait de nombreux facteurs : structure de consommation et monte en gamme de lindustrie au Japon, forte comptitivit hors-prix (image et qualit des produits, innovation), monnaie forte en Allemagne. Aujourdhui cependant, lAllemagne, dont les cots salariaux unitaires restent levs lchelle europenne, apparat trs affaiblie au plan industriel et commercial9. La relation entre cots salariaux et comptitivit est donc complexe, faisant intervenir une combinaison de facteurs, dont les effets peuvent tre longtemps diffrs.

    2.1.2. Le progrs technique et les changements dorganisation quil induit Les nouvelles technologies et les nouvelles formes dorganisation qui les accompagnent (lignes hirarchiques plus courtes, recours plus frquent aux dlgations de moyens ou de rsultats, adoption commune dune ractivit leve, etc.) exigent un niveau de formation et de comptence suprieur celui des ouvriers non qualifis fordistes et contribuent leur tour rduire la demande de travail peu qualifi. On peut ajouter que la diffusion et la banalisation des savoirs (connaissance banalise de langlais aujourdhui, par exemple) contribue marginaliser les personnes rellement non qualifies ainsi que les gnrations restes lcart de ces savoirs. Cest pourquoi dailleurs lemploi des salaris gs bute moins sur leur salaire ou sur leur productivit que sur un rapport difficile entre des gnrations passes par des formations initiales et des systmes techniques ou cognitifs trs diffrents. Une majorit dconomistes considrent que ce phnomne a une responsabilit plus grande que la concurrence des pays mergents dans la modification de la structure des emplois des vieux pays industrialiss. 2.1.3. Lvolution de la consommation domestique Dans le cas de la France, le dplacement progressif de la demande domestique vers des services intensifs en travail qualifi (enseignement, sant, secteur social) expliquerait les deux tiers de laugmentation de la part des diplms dans lemploi total entre 1970 et 1990.

    9 La formidable puissance dexportation de lAllemagne sest fissure : la part de ce pays dans les ventes mondiales est passe de 12 % en 1990 9 % en 2001. Le revenu par tte en Allemagne, qui tait en 1990 suprieur de 54 % au reste de la zone euro , a vu fondre de moiti son avance en onze ans (cart ramen 27 % en 2001).

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    2.1.4. Le ralentissement gnral de la croissance Il sest conjugu aux prcdents facteurs pour diminuer la demande en travail peu qualifi dans les conomies dveloppes depuis la fin des annes 1970, particulirement dans le secteur manufacturier et dans les services industrialiss (banque, assurance, par exemple). 2.1.5. La dstabilisation des marchs internes dans les entreprises Les marchs internes ont tenu une place importante en France, plus que dans dautres pays. Pilier des 30 Glorieuses , ce compromis salarial consistait offrir aux salaris (dans lindustrie notamment) des trajectoires professionnelles vaguement relies au diplme initial, offrir des salaires partiellement dconnects des productivits individuelles et confrant une grande place lanciennet selon des grilles professionnelles relativement rigides. Sinscrivant dans une gestion long terme de la relation demploi, le salari changeait une certaine prvisibilit de son salaire contre lacquisition du capital humain spcifique lentreprise et la fidlit celle-ci. Moyennant quoi la hirarchie salariale refltait peu la hirarchie des productivits et des expriences relatives (cette hirarchie tant plus facile apprhender que la valeur absolue des valeurs ajoutes individuelles). Surtout prsent dans lindustrie de main-duvre, ce systme revenait subventionner implicitement, dune part, les travailleurs jeunes et les travailleurs gs par les travailleurs en milieu de vie professionnelle ; dautre part, les travailleurs peu qualifis par les travailleurs plus qualifis ; les premiers tant rmunrs lgrement au-dessus de ce quaurait justifi leur productivit, les seconds tant rmunrs un peu en dessous. Ce rapport salarial a cependant fini par buter sur la contrainte de comptitivit et le raccourcissement des horizons temporels de gestion de lemploi, li la fois louverture internationale et lacclration du progrs technique. Les marchs internes se sont ainsi replis sur quelques catgories de salaris qualifis dge intermdiaire, liminant les anciens mcanismes de subventions implicites entre catgories. Le raccourcissement de lhorizon temporel de gestion des salaris peu qualifis, que les entreprises ne cherchent plus fidliser, renforce lexigence patronale dune adquation immdiate entre salaires et performances individuelles. La segmentation accrue du march du travail et des modes de gestion des ressources humaines est sans doute ce qui renouvelle la question du travail non qualifi par rapport aux organisations syndicales dautrefois10.

    2.2. UNE POLITIQUE DE SALAIRE MINIMUM ATYPIQUE EN FRANCE A ces facteurs communs sajoute un paramtre propre chaque pays : il sagit du niveau ou de lvolution des salaires relatifs des emplois peu qualifis dans lventail des salaires de chaque pays. Cette question de la hirarchie salariale a donn une tournure assez particulire en France au dbat sur les moyens de prserver lemploi non qualifi.

    10 Cf. Bernard GAZIER, Tous Sublimes Vers un nouveau plein emploi, Flammarion, 2003.

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    2.2.1. Une forte dynamique du Smic de la fin des annes 60 jusquau milieu des annes 80 Un consensus existait en France au dbat des annes 90 sur le caractre excessivement lev du cot du travail au niveau du Smic au regard des pays voisins (ce constat sappliquait au salaire minimum et non pas au cot salarial moyen). A partir de 1968, le salaire minimum avait rapidement augment en termes de pouvoir dachat jusquen 1982 ; le rapport du Smic au salaire moyen ouvrier tait de ce fait pass de 51 % en 1967 73 % en 1985 ; le salaire net mdian11 (pour les salaris temps plein) quivalait 1,8 Smic en 1976 et 1,6 Smic en 1984. Le niveau relatif du salaire minimum a t stabilis partir du milieu des annes 80, jusquau milieu des annes 1990, alors que ce niveau a eu tendance baisser dans de nombreux pays dEurope continentale.

    Evolution relative du SMIC depuis 1970 (base 100 en 1970)

    100

    300

    500

    700

    900

    1100

    1300Salaire horaire debase ouvrier (SHBO)brutSMIC brut horaire

    SMIC mensuel net

    salaire moyen net

    prix

    Source: INSEE, Liaisons sociales, DARES, Les bas salaires, Dossiers thmatiques, n20, 2002.

    Cette dynamique de revalorisation du Smic a engendr certaines stratgies dadaptation de la part des entreprises et des pouvoirs publics.

    2.2.2. Les stratgies dadaptation des entreprises Les entreprises franaises ont ragi la fois :

    en aplatissant les carrires salariales au voisinage du Smic : cest la fois labsence de revalorisation ngocie des minima de branche12 et labandon de carrires salariales sur certains types demplois peu qualifis (exemple des caissires dans le groupe de la grande distribution tudi). Ainsi, en 1989, 20 % des salaris au voisinage du Smic taient dans cette tranche de salaire depuis au moins dix ans. Cela soulve de srieux problmes de reconnaissance et de motivation pour ces salaris. Les comparaisons avec

    11 Le salaire mdian est le salaire qui partage lensemble des salaris en deux moitis gales : il y a autant de salaris situs en dessous de ce seuil quil y en a au-dessus. 12 On estime quen France une revalorisation dun point du Smic se diffuse jusqu 1,4 Smic environ de manire linairement dcroissante (+0,5 points 1,2 Smic, +0,25 points 1,3 Smic, plus rien 1,4 Smic).

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    nos voisins europens montrent bien que cest en France que la proportion de salaris au Smic (qui atteint 14 %) est la plus forte, mis part le cas du Luxembourg o le salaire minimum est trs lev (il concerne 15,5 % des salaris de ce pays) ;

    en substituant des salaris qualifis des salaris non qualifis : cest le phnomne de dclassement (de plus en plus perceptible en France) qui sanalyse comme un moyen pour lemployeur dabaisser ses cots unitaires13 en jouant sur la productivit immdiate du salari ;

    en poussant les gains de productivit : au dbut des annes 1990 les travaux de J.M. Charpin prparatoires au XIme Plan mettaient en vidence une croissance de la productivit du travail surtout dans le secteur tertiaire beaucoup plus rapide en France que dans les autres pays.

    2.2.3. La rponse des pouvoirs publics La raction des pouvoirs publics a consist dvelopper les contrats spcifiques demplois drogeant au Smic et allger les cotisations sociales autour du Smic. Les lignes directrices europennes pour lemploi, issues du processus de Luxembourg , ont dailleurs repris cette ide destination des pays concerns. La politique dallgement de cotisations sociales sur les bas salaires dveloppe progressivement en France partir de juillet 1993 est bien lenvers de la promotion vigoureuse du Smic mene de la fin des annes 1960 au dbut des annes 1980. Les mesures dallgement de cotisations de 1993-95 visent donc corriger avec retard les effets de la politique passe : il sagit alors vritablement dune baisse du cot du travail aux alentours du Smic (ristourne dgressive entre 1 et 1,33 Smic). A partir de 1995, les nouvelles mesures dallgement de charge viseront non plus abaisser le cot du travail mais compenser en temps rel de nouvelles hausses de cots salariaux : neutralisation du coup de pouce donn au Smic aprs les lections prsidentielles de 1995, compensation des hausses de cot horaire induites par la mise en uvre de la RTT sans rduction de salaire en 2000, puis compensation partir de 2003 de la runification des Smic conscutive la RTT (hausse programme de 11,4 % du Smic sur trois ans). Entre 1993 et 1996, le cot du travail au niveau du Smic a t abaiss de 12,4 % (rduction dclinant rapidement 8 % pour 1,1 Smic et sannulant pour 1,33 Smic). En 1996 le rapport entre le cot du travail au niveau du Smic et le cot du travail correspondant au salaire mdian (pour un travail temps complet) tait revenu ce quil tait en 1970. La progressivit des cotisations sociales tait engage (37 % du cot du travail pour un Smic, 45 % pour 1,3 Smic).

    13 Les cots unitaires correspondent aux cots par unit produite.

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    Taux de cotisations sociales salariales et patronales sur le salaire brut en fonction du niveau de salaire en France

    20

    25

    30

    35

    40

    45

    50

    1970

    1974

    1978

    1982

    1986

    1990

    1994

    1998

    1 SMIC

    1 Plafond descuritsociale2 Plafonds descuritsociale

    Source : INSEE, Liaisons Sociales, DARES, Les bas salaires , dossiers thmatiques, n20, 2002.

    2.3. DES ALLEGEMENTS DE COTISATIONS AMPLIFIES ET PERENNISES, QUI EXPRIMENT UN COMPROMIS POLITIQUE PARTICULIER ENTRE EMPLOI ET INEGALITES SALARIALES

    2.3.1. La politique dallgements de cotisations sur les bas salaires a pris beaucoup dampleur La politique dallgements de cotisations sur les bas salaires sest dploye dabord en France, ds le dbut des annes 90, puis en Belgique et aux Pays-Bas : autrement dit, dans les trois pays dEurope disposant de salaire minimum relativement levs. Elle figure dsormais dans la stratgie europenne pour lemploi (depuis Luxembourg, 1997) qui met la fiscalit du travail au cur de ses propositions. Mais cest la France qui a donn cette politique la plus grande ampleur (18 Milliards deuros dallgements en 2001 soit 1,2 % du PIB) et qui lui consacre le plus gros effort budgtaire (15 Md en 2001 sous forme de compensation des allgements, soit 87 % de la masse totale dexonrations, 1 % du PIB). Entre juillet 1993 et janvier 2003, lallgement de cotisations (patronales) au niveau du Smic est pass de 5,4 points 26 points ; le niveau de salaire auquel sannulent les allgements est dans le mme temps pass de 1,2 Smic 1,7 Smic ; les mesures sont donc devenues progressivement plus massives et plus tendues. Si lon ajoute lensemble des contrats de travail spcifiques aids par lEtat (contrats de qualification, contrats dapprentissage, emplois-jeunes, CES, Contrat-jeune en entreprise, etc.), cest plus dun emploi sur deux qui se trouve en France subventionn, autrement dont le cot rel est partiellement pay par lEtat et non par lemployeur. Lallgement du cot du travail peu qualifi, est devenu en France un sujet central dans le dbat relatif lemploi, alors quen Allemagne cest la question de la formation professionnelle qui occupe ce rang de sujet obsessionnel ; au Royaume-Uni cest la validation des acquis, en Italie cest la formation initiale et lillettrisme.

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    2.3.2. Quel que soit leur calibrage technique, les mesures dallgement de cotisations sur les bas salaires ont une signification politique et conomique profonde Tout dabord, ces mesures dconnectent les deux fonctions du salaire que sont lindication dun prix dune part, et la formation dun revenu, dautre part. Ainsi, le pouvoir dachat du Smic (brut) a augment de plus de 15 % entre 1992 et 2002 (laugmentation est cependant moindre dduction faire des divers prlvements sociaux salariaux qui se sont alourdis sur la dcennie) ; le cot pour lemployeur dun salari au Smic a augment de 5 % seulement sur la priode du fait des allgements de cotisations ; et compte tenu des gains de productivit horaire (de 1,5 % par an en moyenne), le cot unitaire au Smic a baiss de 10 % au cours de ces dix annes (il serait rest stable sans les allgements). Ce faisant, ces mesures avaient pour objectif prserver les chances demploi des personnes peu qualifies tout en empchant leffondrement de leurs rmunrations dans une priode de forte diminution des besoins des entreprises leur gard. Cette stratgie a pour partie contribu concilier lutte contre le chmage et endiguement de la pauvret et des ingalits salariales lesquelles se sont nettement accentues au cours des annes 80 dans certains pays, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Alors que la hirarchie salariale dans les cinq premiers dciles de salaires a t en France comprime durant la priode (pour un temps plein), lventail des salaires sest fortement ouvert aux Etats-Unis sous leffet la fois dune lvation de la prime dducation et dune baisse (en termes rels et en valeur relative) du salaire minimum fdral, ce qui sest traduit par un affaissement des salaires des jeunes et des travailleurs peu qualifis - mme si les salaris amricains restent beaucoup moins longtemps quen France bloqus aux premiers chelons de salaire. Par ailleurs, les allgements de cotisations entrinent le principe de cotisations sociales progressives en fonction du salaire. Cest un fait nouveau puisque les cotisations ont dabord et pendant longtemps t dgressives (ce qui tait cohrent avec une conception strictement assurantielle de la protection sociale) avant de devenir plus strictement proportionnelles par rapport au salaire (en lien avec une conception plus redistributive de la Scurit sociale). Ainsi les taux globaux de cotisations sociales (employeur et salari) taient en 1992 quasiment identiques quel que soit le niveau de salaire (41 % du cot salarial jusquau plafond de la Scurit sociale et 39 % au-del) ; or ce prlvement ne reprsentait plus la fin des annes 1990 que 35,5 % du cot salarial au niveau du Smic, contre 44 % au-del de 1,3 Smic. La progressivit sest encore accentue depuis. Prenniss, les allgements de cotisations sociales signifient enfin une transformation du financement de la Scurit sociale avec lapport croissant de ressources fiscales. Si cela nest pas incohrent avec les objectifs conomiques et sociaux aujourdhui assigns la protection sociale, il est en revanche regrettable que cela nait pas t dbattu avec les syndicats ; dautant que cela conduit aussi rexaminer les fondements de la gestion paritaire des organismes sociaux. Les chapitres 4 et 5 dveloppent ces deux derniers aspects (progressivit et fiscalisation).

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    2.3.3. La stratgie salariale franaise comporte cependant des limites On na pas empch la hausse du taux de chmage des personnes peu qualifies. Les services de proximit demeurent moins dvelopps quailleurs. Le nombre demplois par habitant dans le commerce et dans lhtellerie-restauration tait, au milieu des annes 1990, suprieur respectivement de 80 % et de 130 % aux Etats-Unis. La moiti de cet cart sexpliquerait par le cot du travail, lautre moiti sexpliquant par des diffrences de structure de consommation entre les deux pays. Il est vrai que la place de ce type demplois soulve un dbat de socit ainsi quun certain nombre de questions conomiques sur les fondements de la croissance moyen-long terme. Cette stratgie nest en outre pas exempte deffets pervers :

    elle a aliment la tendance au dclassement des jeunes diplms et la rduction de la prime dducation (dans un contexte daccroissement des flux de jeunes bacheliers) : 35 % des jeunes possdant le Baccalaurat (sans autre diplme) sont aujourdhui en emploi non qualifi ; cette proportion tait estime 14 % seulement au milieu des annes 198014. Un oprateur dans les centres dappels tlphoniques est recrut aujourdhui entre Bac+2 (BTS ou quivalent) et Bac+4 pour un salaire net mensuel compris entre le Smic (soit 913 ) et 1500 ;

    elle a focalis les politiques de lemploi sur la question de labaissement du cot du travail, relguant les objectifs dlvation des qualifications, de relance des carrires salariales et professionnelles et de mise jour des grilles de classification un rang secondaire.

    2.4. QUELLE EVALUATION PEUT-ON FAIRE AUJOURDHUI, DU POINT DE VUE DE LEMPLOI, DE PLUS DE DIX ANS DALLEGEMENTS DE COTISATIONS SUR LES BAS SALAIRES ?

    2.4.1. Une instabilit chronique de ces mesures Il faut dabord souligner que la monte en charge de cette politique sest accompagne dune instabilit extrme de ces mesures. Leur dure de vie en moyenne ne dpasse pas 18 mois ; toutes sortes dallgements ont t expriments (mesures par palier ou linairement dgressives, mesures conditionnelles ou non en termes demploi, etc.15). Non seulement certains changements de paramtres ont t dpourvus de toute logique conomique (ainsi le seuil dligibilit est ainsi ramen de 1,33 Smic 1,3 Smic en 1998 la seule fin de raliser une conomique budgtaire) mais cest toute cette politique qui finit par perdre sa lisibilit conomique. Un consensus existe parmi les conomistes sur le fait que linstabilit chronique des dispositifs affaiblit trs srieusement leurs effets potentiels sur lemploi et maximise au contraire les effets daubaine pour les entreprises. La difficult suivre ces 14 Source : DARES 15 Seuls les mcanismes de franchise proposs par le Commissariat gnral du Plan au dbut des annes 1990 (MAAREK G., 1994, Cot du travail et emploi : une nouvelle donne, rapport du Commissariat gnral au Plan, La documentation franaise, octobre), nont pas t mis en uvre. Universel, ce mcanisme est le meilleur rempart contre les trappes bas salaires mais prsente aussi, a priori, le plus faible rendement en termes demploi (prcisment du fait de labsence de ciblage).

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    changements incessants et a fortiori les intgrer dans une stratgie doptimisation des cots ressort dailleurs clairement des entretiens que nous avons eus en entreprise. Plus contestable encore sont les rformes de ces mesures qui donnent a posteriori raison aux entreprises qui nont pas respect la lgislation ou le Pacte social. Ainsi la loi Fillon, en supprimant la condition dapplication des 35 heures, a fait des perdants (les entreprises qui avaient conclu des accords de RTT ambitieux conformment la loi Aubry) et des gagnants (les entreprises qui avaient gagn du temps ou qui avaient conclu des accords de RTT non conformes la loi). Il aurait t sage, dun point de vue dconomie politique, de ne pas enlever leurs allgements aux entreprises qui avaient jou le jeu de la RTT.

    2.4.2. Des valuations trop rares et de porte limite Les valuations en bonne et due forme restent rares : faute de crdits ddis ce travail, faute de stabilit des mesures, rformes avant mme davoir t values, et faute de motivation des chercheurs lorsquil sagit dvaluer a posteriori des dispositifs qui ne font plus partie de lagenda politique. Les valuations disponibles sont en outre limites sur le plan mthodologique ; lvidence, on ne dispose pas en France dun matriau dtudes suffisamment abondant et fin sur cette politique structurelle. A ce stade, limpact sur lemploi des mesures de 1995-96 est estim proche de 250 000. Les travaux de Crpon et Desplatz publis en 2001 ont fait grand bruit parce quils avanaient un impact suprieur (prs de 500 000 emplois pour les allgements de 1994-97) et surtout beaucoup plus rapide que ce quindiquaient les prcdents travaux ; ce rsultat reste toutefois isol, la mthode utilise est exprimentale et ne prend pas en compte les phnomnes de bouclage conomique (pertes demplois dans les entreprises non bnficiaires des allgements et subissant la concurrence des autres, moindre croissance et pertes demplois lies au supplment de prlvements obligatoires ncessaires pour financer les allgements, autres dpenses publiques vinces, etc.). Plus rcemment, en 2004, les travaux de la DARES (Jamet ; Gafsi et alii) ont prsent des chiffrages beaucoup plus bas, avec environ 100 000 emplois crs ou prservs les estimations de Jamet tant au dessus de cette barre et celles de Gafsi et alii en dessous. Ces calculs sont bass sur des approches sectorielles. La modration de leffet total, sur lemploi qualifi et non qualifi, tient surtout dans les travaux de Gafsi et alii aux faits que les allgements ne se traduisent pas par une baisse proportionnelle du cot du travail, car le salaire net compense partiellement cette baisse. Reste quil existe un arbitrage entre quantit et qualit des emplois crs : un allgement massif et troitement cibl sur le Smic maximise la cration demplois peu qualifis mais augmente aussi le risque denfermement des salaris concerns dans des postes peu valorisants et peu rmunrateurs ; linverse, des allgements moins cibls (autrement dit qui dbordent largement au-del du Smic) diluent leffet sur le cot du travail (ils peuvent tre partiellement compenss par des hausses de salaire net) et gnrent moins demplois mais rduisent le risque denfermement des salaris.

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    2.4.3. Limportance des effets de substitution Les divers travaux dvaluation convergent nanmoins sur un point : les crations demplois rsultent principalement deffets de substitution : entre travail peu qualifi et travail qualifi, entre travail et capital. Leffet dchelle (hausse gnrale de la production lie lamlioration de la rentabilit des entreprises ou aux baisses de prix consenties) est en revanche plus faible. Cela explique que lon ait vu en France la part de lemploi peu qualifi dans lemploi total r-augmenter16 dans les annes 90, expliquant pour partie le ralentissement des gains de productivit. 2.4.4. Les risques des politiques trs cibles : dimportants effets daubaine Les politiques dallgements de cotisations trs cibles ne sont pas exemptes dinconvnients. Ainsi les allgements lis la politique des territoires, en particulier la politique de la ville (zones franches par exemple), comportent une forte part didologie : la cration en 2003 de 41 nouvelles zones franches ne saccompagne daucune valuation (publique) de son cot a priori ; les valuation a posteriori font galement dfaut mais plusieurs indices tendent montrer que ces dispositifs servent plus dplacer qu crer des emplois et que les effets daubaine pour les entreprises sont importants. De mme, le contrat-jeune, totalement exonr de cotisations patronales (soit 45 points) durant les deux premires annes, soulve la question de son cot (lev) au regard du rendement probable de la mesure. Enfin, la politique dallgements de cotisations sur les bas salaires soulve un dbat relatif la nature des emplois crs et lventuelle gense de piges non-qualification ou de piges pauvret. Ce dbat confond souvent, dans une mme mise en cause, la cration demplois non qualifis et labsence de perspective donne certains salaris pour en sortir au cours de leur vie active ; il importe donc de bien discerner ces deux problmatiques, la seconde offrant un champ de revendication et daction syndicale essentiel pour lavenir. Mais au-del de cette mise au point, que peut-on tablir de plus ce sujet ?

    2.5. LES BAISSES DE COTISATIONS SUR LES BAS SALAIRES RISQUENT DEVINCER LES STRATEGIES DE QUALIFICATION Les prventions que lon peut avoir lencontre des allgements de charge sur les bas salaires du point de vue dune stratgie de qualification tiennent surtout la relgation politique de cette stratgie un rang secondaire ; il sagit bien dune viction de ce sujet dans le dbat public relatif lemploi et la croissance. Mais sur le terrain cette viction est moins vidente. Salaris et entreprises ont en effet dautres incitations pour investir en matire de qualification : les taux de chmage restent trs diffrents selon le niveau de qualification et donnent donc aux salaris ou futurs salaris un signal favorable la qualification ; en outre laccs lemploi ouvert par la dynamique des allgements de cotisations est susceptible doffrir aux salaris un apprentissage sur le tas utile condition que celui-ci soit reconnu et formalis (notamment

    16 Voir le document le document de la DARES, Emplois non qualifis, emplois bas salaires et mesures dallgement du cot du travail, Premires Synthses n51.1, dcembre 2000.

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    travers la Validation des Acquis de lExprience VAE). Au niveau des entreprises, de nombreux facteurs sont pris en compte dans lanalyse de la rentabilit dun investissement en formation (notamment la base de formation initiale du salari : plus celle-ci est large, plus les bnfices dune formation sont rapidement intgrs). De plus, toutes les entreprises qui sappuient sur des stratgies dexcellence et de diffrenciation de leurs produits doivent imprativement recourir une politique de qualification de leur main-duvre, soit pour pouvoir employer des techniciens trs spcialiss non disponibles sur le march du travail, soit pour assurer un renouvellement et un perfectionnement permanents de leurs prestations. A lchelle des branches professionnelles aussi des outils existent pour construire de vritables relations salariales qualifiantes : la VAE qui doit permettre en principe de reconnatre des savoir-faire indpendamment des diplmes obtenus dans le cursus de lEducation Nationale ; les Certificats de Qualification Professionnelle . Ces derniers sont malheureusement sous-utiliss cependant que la VAE est quelque peu dtourne de son objectif par une trop grande dpendance lgard des formations acadmiques. La promotion de logiques professionnelles suppose donc un bon usage des outils conus dans cet objectif. Cest une ncessit avre dans certains mtiers comme celui des assistantes maternelles, qui sintgre dans une stratgie nationale (et mme europenne) demploi des femmes et dgalisation des chances des enfants. A long terme, on ne peut se contenter de dire quil faut choisir entre un rgime de croissance productivit lente et progression salariale lente (propice aux moins qualifis) ou un rgime de croissance productivit rapide et progression salariale rapide (imposant des standards levs de qualification et dinnovation technologique). Plusieurs contraintes, dmographiques et conomiques, appellent une stratgie plus complexe pour prserver notre comptitivit et notre potentiel de croissance :

    la perspective dun fort renouvellement de la main-duvre du fait de lvolution dmographique ncessite de rapprocher qualitativement loffre et la demande de travail, en termes professionnels et gographiques sauf voir, dans dix ans, les goulots dtranglement provoquer des tensions salariales qui pourraient se diffuser au reste du march du travail et affaiblir ainsi la comptitivit de lensemble de notre conomie ;

    face au risque dcrasement de lindustrie europenne entre dune part, des pays mergents (dAsie surtout) dont les productions montent en gamme et o les travailleurs gagnent progressivement en qualification et, dautre part, lindustrie nord amricaine fort contenu technologique, il faut veiller en Europe, particulirement en France, ne pas dformer la structure des emplois vers les secteurs peu qualifis et faible productivit (construction, distribution, htellerie-restauration) qui enrichissent peu le capital humain et la croissance potentielle. Il faut plutt dployer une politique dtermine dlvation des qualifications, en mme temps que des valeurs ajoutes produites et de la productivit horaire.

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    *

    * * Alors que la politique dallgement des cotisations sociales sur les bas salaires sest largement dploye depuis 1993, les valuations de cette politique restent rares et de portes mthodologiques limites. Au-del de la cration, et de la prservation, dun certain volant demploi court terme, les risques dune politique dexonration non conditionnelle sont nombreux. Cette politique a favoris la tendance au dclassement des jeunes diplms17, sans quil y ait eu par ailleurs dentre significative des demandeurs demploi peu qualifis dans lemploi. Elle a focalis les politiques de lemploi sur la question de labaissement du cot du travail, plaant un rang secondaire les objectifs dlvation des qualifications, de relance des carrires salariales et professionnelles et de mise jour des grilles de classification, alors quelles participent pourtant la comptitivit hors cot du travail. Les crations demplois lies aux allgements de cotisations proviennent surtout deffets de substitution, ce qui explique que la part de lemploi peu qualifi dans lemploi total a r-augment dans les annes 1990, expliquant pour partie le ralentissement des gains de productivit en France. De plus, des allgements trop cibls peuvent enfermer les salaris dans une trappe bas salaire contraire la dynamique de progression salariale. Au final, il existe donc un arbitrage raliser entre quantit (immdiate) et qualit des emplois crs, ce dbat devant tre mis en perspective avec la stratgie industrielle de la France en Europe, et de lEurope dans le Monde. A cot de leurs effets sur lemploi et les rmunrations, les baisses de cotisations sociales ont des effets sur le financement de la protection sociale, au travers de la progressivit du prlvement quelles introduisent et de la fiscalisation des ressources en raison de leur compensation.

    17 35 % des jeunes possdant le Baccalaurat (sans autre diplme) sont aujourdhui en emploi non qualifi, cette proportion tait estime 14 % seulement au milieu des annes 1980.

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    3. FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

    Les allgements de cotisations sociales affectent doublement le financement de la protection sociale. Ce financement reposant pour prs de 80 % sur les revenus dactivit, la baisse des taux de cotisations affaiblit les ressources propres de la protection sociale qui, reposant de plus en plus sur des compensations des exonrations, se fiscalise. Lvolution de la part salariale dans la richesse nationale interpelle donc directement le domaine des conditions de la production, de la distribution des richesses. Cette proccupation est centrale pour le financement de la protection sociale. Le second effet des allgements, cibls sur les bas salaires, est quils ont introduit une progressivit dans le prlvement, les dplafonnements ayant auparavant fait pass de la dgressivit la proportionnalit. Si la progressivit parat un objectif souhaitable de la politique fiscale par la redistribution des revenus quelle implique, on peut sinterroger sur la logique densemble dans la mesure o limpt sur le revenu est loutil reconnu pour raliser ce but. Dautant que lvolution des prestations, plus souvent universelles, devrait conduire une part plus forte de la contribution de lEtat dans le financement de la protection sociale.

    3.1. UN FINANCEMENT FORTEMENT DEPENDANT DE LA PART DES SALAIRES DANS LA VALEUR AJOUTEE

    3.1.1. Prs 80 % des ressources repose sur les revenus dactivit Les comptes de la protection sociale assimilent la CSG un impt. Lvolution du financement de la protection sociale depuis un peu plus de vingt ans parat de ce fait caractris par une baisse de la part des cotisations sociales. Le graphique ci-dessous illustre cette tendance : la part des cotisations dans le total des ressources de la protection sociale hors est passe de 78 % 67 %, soit une baisse de 11 points en vingt ans, au profit dune augmentation complmentaire de la part des impts et taxes et contributions publiques. En revanche, en sloignant de cette classification comptable pour calculer la part des ressources assises sur les salaires, on constate une assez grande stabilit. En effet, en 2002, la somme des cotisations sociales et de la part de la CSG18 qui correspond aux revenus dactivit atteint 77 % du total des ressources. De cette stabilit, la CSG nest pas la cause dans la mesure o son rendement reflte la part des salaires dans lensemble des revenus. En revanche, on constate une diminution de la part des contributions publiques, ce qui peut paratre contradictoire avec le besoin dun financement reposant plus fortement sur la solidarit en raison de prestations qui deviennent plus universelles (aspect dvelopp plus bas). 18 Cette part est approche grce deux ratios publis dans le rapport de la CCSS de 2003 : le rendement de la CSG est 74 % sur les revenus dactivit ; 70 % des impts et taxes affects la scurit sociale repose sur la CSG.

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    Part des diffrentes sources de financement de la protection sociale (hors transferts)

    67%

    10%

    78%

    0%

    10%

    20%

    30%

    40%

    50%

    60%

    70%

    80%

    90%

    100%

    1981 2002

    autres recettes

    produits financiers

    contributions publiques

    Impts et taxes (dont CSG revenus deremplacement, patrimoine et placement)CSG revenus d'activit

    cotisations sociales

    Sources : DREES, dossiers solidarit et sant, oct-dc 2003 ; rapport de la CCSS 2003 ; Calcul CFDT

    Ainsi les revenus dactivit reprsentent-ils prs de 80 % des ressources de la protection sociale. La part des salaires dans la valeur ajoute est donc un lment central pour assurer ce financement.

    3.1.2. Quelle volution de la valeur ajoute depuis trente ans ? La valeur ajoute se calcule comme la diffrence entre la production vendue (produit final) et les achats de biens et services consomms pendant la production (consommations intermdiaires). Il sagit donc de la valeur quajoute le processus de production lors de la transformation des biens entrant dans le produit final, do le terme de valeur ajoute . Celle-ci provient de lutilisation du capital (machines) mais aussi du travail (savoir-faire, exprience). La valeur ajoute produite dans les entreprises se rpartit entre diffrents revenus :

    la masse salariale qui se dcomposent en salaires (73 %) et en cotisations sociales (23 %) ;

    les impts lis la production, dont la taxe professionnelle ;

    la rmunration du capital : lexcdent brut dexploitation, qui sert financer le paiement de limpt sur les bnfices, linvestissement et les dividendes des actionnaires (seule cette dernire notion peut sapparenter du profit pur ).

    La part de la masse salariale dans la valeur ajoute a fortement vari au cours des dernires trente annes (graphique ci-dessous) :

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    Partant de 65% en 1960, elle est monte par paliers successifs jusquen 1983 un niveau de prs de 72,5 %.

    Ensuite, celle-ci a diminu pour arriver ds la fin des annes 80 au mme niveau que trente ans plus tt : 64,4 %.

    On observe mme une faible remonte depuis la fin des annes 90 avec la reprise conomique et la croissance de lemploi et des salaires.

    Enfin, lvolution est contraste en fonction des secteurs : la baisse est nettement plus sensible dans lindustrie que dans les services, par exemple.

    En contre partie, le taux de marge, ce qui va aux entreprises, est pass de 25 32 % de la valeur ajoute entre 1983 et 1988.

    Partage de la valeur ajoute en France

    4,53,4

    26,8

    32,071,0

    64,3

    0,0

    5,0

    10,0

    15,0

    20,0

    25,0

    30,0

    35,0

    1978

    1980

    1982

    1984

    1986

    1988

    1990

    1992

    1994

    1996

    1998

    2000

    2002

    50,0

    55,0

    60,0

    65,0

    70,0

    75,0

    Impts sur la production Taux de marge Masse salariale

    Source : Comptes de la Nation, INSEE, 2003 Lecture du graphique : Masse salariale : chelle de gauche (64,3% en 2002) et impts (4,5%) Taux de marge (part des entreprises) : chelle de droite (32% en 2002)

    Au niveau europen, on analyse que la part des salaires dans le PIB a subi la mme volution (pour finir 60 %), tandis que cette part est reste stable aux Etats-Unis sur lensemble des quarante annes passes (de 65 61 % actuellement). Le mouvement de balancier observ dans les annes 80 correspondrait ainsi un retour lquilibre prvalant dans les annes 60 entre part des salaires et part des entreprises. Cest en raison de la spirale inflation salaires que la part des salaires avait t propulse plus de 72 %, ce qui correspondait des hausses de salaires plus fortes que linflation et la productivit du travail. La correction des annes 80 sest faite sous limpact de la fin de lindexation automatique des salaires sur les prix et dune hausse des salaires infrieure la productivit. De plus, la hausse du chmage et la baisse du taux demploi ont galement jou en faveur dune baisse de la masse salariale dans les entreprises. Celles-ci ont alors substitu du capital au travail, afin de rduire la place du facteur le plus cher.

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    3.1.3. La part des salaires dans la valeur ajoute est influence par trois grands facteurs :

    lvolution du nombre demploi,

    lvolution des salaires,

    celle des cotisations sociales. Cest donc avant tout le partage des richesses et la ngociation des conditions de la production au sein de lentreprise qui constituent les leviers daction. Les deux notions qui sopposent sont alors la distribution des revenus faite au sein de lentreprise face la redistribution des revenus quopre lEtat via la fiscalit. Lenjeu de la distribution est de redonner des marges de manuvre au partage des richesses au sein de lentreprise. Ce nouveau partage des richesses passe alors par un renforcement des ngociations collectives sur les salaires et les qualifications, et peut alors servir rduire les ingalits de niveaux de salaires entre qualifications et genre, promouvoir de meilleures qualifications et de meilleurs salaires. Il permet alors daccrotre la part des salaires dans la valeur ajoute, augmentant ainsi les ressources de la protection sociale sans passer par des prlvements supplmentaire, limpt ou une ventuelle taxe sur la valeur ajoute, comme cela est parfois amen dans le dbat.

    3.2. LA PROGRESSIVITE DES COTISATIONS SOCIALES La question de la progressivit des cotisations sociales rejoint celle des principes qui sous-tendent le systme de protection sociale, notamment dans la dimension historique.

    3.2.1. Un compromis entre deux modles dorganisation de la protection sociale Le systme franais de protection sociale est traditionnellement prsent comme un compromis spcifique entre deux grands modles. Il repose sur des principes beveridgiens (base universelle), mais avec une mise en uvre bismarckienne (base professionnelle) (Kerschen, 1995 ; Pallier, 2002) Lunit de lorganisation est le premier des trois grands principes beveridgiens. Il correspond deux aspects : tous les facteurs dinscurit doivent tre couverts par un systme unifi dassurance sociale appel runir lensemble des branches de prestations ; la gestion de lassurance sociale doit tre confie un organisme unique sur le plan gographique. Le second principe beveridgien, luniversalit, porte la fois sur les risques sociaux et les personnes protges. Le troisime principe est celui de luniformit. Dans la perspective de Beveridge, il sagit dune galit de devoir et de droit pour les personnes protges de la mme catgorie : les prestations sont dun montant identique pour des ventualits analogues (en tenant compte des personnes charge) ; les cotisations sont galement uniformes et varient seulement avec ltendue de la protection, fonction de la catgorie sociale et non pas des gains individuels. Le plan de scurit sociale de Beveridge comprend donc une solidarit horizontale pour les prestations de scurit sociale (les biens portants paient pour les malades, les jeunes pour les vieux, ) et une solidarit verticale (les riches payant pour les pauvres) mais par limpt. En France, ce principe a t rejet par les rformateurs. Les prestations ont pris la forme de revenu de remplacements ce qui droge la

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    premier partie du principe duniformit. Le financement a t assur par des cotisations sociales fonctions du salaire, ce qui est au contraire la seconde moiti du principe. Cependant, si les cotisations sociales taient proportionnelles, elles taient en revanche soumises un plafond qui introduisait de fait une forte dgressivit des prlvements. Ce plafond tait un compromis vis--vis de la logique beveridgienne et avait pour objectif dintroduire une rupture entre le niveau des ressources individuelles et le niveau de cotisations. Les prestations taient elles mme soumises un plafond, dun montant identique. Ainsi le systme franais tait un compromis entre les deux systmes historiques avec un principe dassurance sociale jusquau plafond, puis un principe beveridgien au-del avec des prestations et des cotisations constantes. Le tout correspondait une liaison forte entre cotisations et prestations.

    3.2.2. De la dgressivit la progressivit : dplafonnement et allgements La dgressivit des prlvements a t ensuite progressivement leve par des dmarches de dplafonnement dfendues par la CFDT. La principale raison de ces dplafonnements est la recherche de ressources financires supplmentaires en raison de laccroissement des besoins (march du travail dgrad, dpenses de sant,). Dun point de vue historiq