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DSC 166 DSC 15 F bis Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE LA DEFENSE ET DE LA SECURITE LA GUERRE HYBRIDE : UN NOUVEAU DEFI STRATEGIQUE POUR L’OTAN ? RAPPORT GENERAL Julio MIRANDA CALHA (Portugal) Rapporteur général

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DSC166 DSC 15 F bisOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DE LA DEFENSE ET DE LA SECURITE

LA GUERRE HYBRIDE : UN NOUVEAU DEFI STRATEGIQUE POUR L’OTAN ?

RAPPORT GENERAL

Julio MIRANDA CALHA (Portugal)Rapporteur général

www.nato-pa.int 10 octobre 2015

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION...................................................................................................................1

II. 2014 : UN TOURNANT CRITIQUE POUR L’ALLIANCE ?....................................................1 A. DES DEFIS HYBRIDES À L’EST ET AU SUD.............................................................1 B. LA GUERRE HYBRIDE : DEFINITIONS ET DOMAINES D’ACTION............................3 C. LA GUERRE HYBRIDE ET LA STRUCTURE DE L’OTAN............................................5

III. L’ANNEXION DE LA CRIMEE ET LA GUERRE CIVILE DANS L’EST DE L’UKRAINE........6 A. LA RUSSIE ET LA GUERRE HYBRIDE : SONDER LES POINTS FAIBLES

POUR LES METTRE AU SERVICE DE SES OBJECTIFS...........................................6 B. LA GUERRE HYBRIDE : UN SUCCES RETENTISSANT ?..........................................7 C. DE PUISSANTS GROUPES ARMES NON ETATIQUES DANS L’ARC DE

CRISE : L’ASCENSION DE DAECH.............................................................................8

IV. REAGIR À L’ECHELLE DE L’ALLIANCE............................................................................11 A. INTENSIFICATION DE LA VEILLE STRATEGIQUE...................................................11 B. MAINTIEN EN PUISSANCE ET MISE EN OEUVRE...................................................12 C. COMMUNICATIONS STRATEGIQUES......................................................................13 D. LA DEFENSE DES RESEAUX ET DES ECONOMIES...............................................13

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................15

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I. INTRODUCTION

1. Les nouveaux défis stratégiques imposés par la Russie et, jusqu’à un certain point, par Daech1 au cours de l’année écoulée poussent l’OTAN à tout mettre en œuvre pour trouver une riposte. Ces deux acteurs sont révisionnistes, le premier cherchant à modifier la donne actuelle de l’ordre de sécurité européen et le second, à défaire la structure étatique mise en place auMoyen-Orient après la Première Guerre mondiale. Cette menace à deux visages qui pèse sur les flancs est et sud de l’OTAN oblige aujourd’hui l’Alliance à adopter, en réponse, de nouvelles postures stratégiques.

2. On parle de « guerre hybride » pour désigner la myriade de tactiques que la Russie met au service de son projet visant à réduire l’influence des Etats-Unis en Europe et à affaiblir les moyens d’action collective de cette dernière en termes sécuritaires, politiques et économiques. La guerre hybride met à profit les faiblesses intérieures de l’adversaire en utilisant des moyens non militaires (comme l’intimidation et la manipulation politiques, économiques et de l’information) et, à l’appui de ces derniers, la menace de recourir à des moyens conventionnels et non conventionnels. Si le concept de guerre hybride n’a rien de nouveau, son utilisation par la Russie, et dans une moindre mesure par Daech, contre les intérêts des pays membres de l’Alliance confronte celle-ci à de nouveaux enjeux.

3. Avec l’ouverture de cette nouvelle ère de concurrence stratégique avec la Russie, l’OTAN aborde une fois encore un tournant annonciateur de changements dans son existence. L’OTAN de l’après-2014 est en train de mettre en place le plan d’action « réactivité » (RAP), qui doit lui permettre de réagir promptement aux nouvelles menaces qui pourraient se profiler sur ses flancs est et sud. Cela étant, la question se pose de savoir jusqu’à quel point l’OTAN, organisation à vocation essentiellement militaire, est en mesure de relever les défis inhérents à la guerre hybride, qui sortent souvent du cadre militaire tel qu’on le définit traditionnellement. La guerre hybride exige la mobilisation de la puissance nationale de chacun des 28 pays membres qui, une fois ces moyens réunis, représentent la force sécuritaire, politique et économique la plus imposante au monde.

4. Le présent rapport sera donc consacré à la situation très particulière dans laquelle se retrouve l’OTAN face aux tactiques de guerre hybride. Il fera brièvement le point sur certains des événements qui, en 2014, ont mis en lumière le positionnement d’ensemble de la Russie et de Daech vis-à-vis de l’ordre international établi qu’ils cherchent à perturber. La section suivante du rapport sera plus spécifiquement consacrée aux tactiques de la guerre hybride et aux moyens existants pour les contrer. Enfin, le rapport évoquera différents facteurs que les parlementaires des pays membres de l’OTAN devront prendre en compte au moment de considérer les mesures locales, nationales et internationales à prendre pour se préparer et pour défendre leurs populations dans l’environnement sécuritaire de l’après-2014.

II. 2014 : UN TOURNANT CRITIQUE POUR L’ALLIANCE ?

A. DES DEFIS HYBRIDES À L’EST ET AU SUD

5. A l’est – Les événements survenus en 2014 ont obligé les pays membres de l’Alliance à reconsidérer l’environnement international de sécurité dans lequel ils opèrent. À l’est, l’annexion de la Crimée par Moscou a remis fondamentalement en cause les normes établies en matière de comportement sur la scène internationale. Le recours à la force pour redessiner la frontière 1 Le présent rapport utilise le sigle arabe Daech (synonyme de « Etat islamique ») pour désigner le

groupe armé opérant en Syrie et en Iraq contre lequel les États-Unis mènent actuellement, aux côtés de nombreux alliés, une opération aérienne qui doit l’amener à réduire son emprise sur les territoires syrien et iraquien et à cesser l’exploitation des ressources dans les zones sous son contrôle.

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internationalement reconnue de l’Ukraine a infirmé les hypothèses qui présidaient jusque-là à l’intégrité territoriale souveraine des Etats européens, et mis en doute les acquis d’une Europe de plus en plus unie, en paix et libre, de l’après-Guerre froide. Les discours sur les sphères d’influence et la protection des « Russes où qu’ils soient » ont alimenté les craintes de voir le président russe Vladimir Poutine remettre en question la notion même d’Etat-nation pluraliste sur laquelle repose la grande majorité des Etats actuels. Et pourtant, malgré ces différents constats, la vision stratégique d’ensemble guidant les actions de la Russie reste floue.

6. Il est toutefois on ne peut plus clair, en cet après-2014, que le président Poutine cherche à revenir sur un statu quo qui, à ses yeux, va à l’encontre des intérêts de la Russie. La poursuite de cet objectif l’amène à réintroduire en Europe une concurrence géopolitique de type révisionniste. La vision du président Poutine pour l’Europe de l’après-2014 semble miser sur un enlisement du processus européen d’unification politique et économique et sur un déclin du rôle des Etats-Unis, dont les effets conjugués aboutiraient, à terme, à une scission de la communauté euro-atlantique de sécurité. D’après la nouvelle doctrine militaire russe publiée à la fin de 2014, l’action de l’OTAN et des Etats-Unis en Europe centrale et orientale constitue une menace directe – bref, on est bien loin de l’époque qui suivit la chute de l’Union soviétique, lorsque l’OTAN et la Russie cherchaient à mettre sur pied un partenariat (Hille, 2014).

7. La coopération a en effet cédé le pas à la concurrence, et l’OTAN doit aujourd’hui rassurer les opinions publiques de ses membres et par ailleurs, dissuader la Russie de mener d’autres actions susceptibles de compromettre l’intégrité territoriale des différents Etats composant l’Alliance – en particulier des Alliés d’Europe orientale, depuis la Baltique jusqu’au sud-est de l’Europe. Elle devra, pour œuvrer simultanément sur ces deux fronts, relever le niveau de sa veille stratégique et resserrer la coopération entre Bruxelles et chacun des Etats membres. La mise en place de cette nouvelle réalité marquée par un état de préparation renforcé et une veille stratégique plus pointue devra clairement s’inscrire dans une ère nouvelle placée sous le signe d’une volonté politique collective crédible.

8. Au sud – Au sud, dans la région qui s’étire du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord (MOAN) et jusqu’au Sahel, l’OTAN voit s’ouvrir une nouvelle phase d’instabilité prolongée. De puissants groupes armés non étatiques poursuivent leur action d’affaiblissement des Etats en place, laissant dans leur sillage une série de problèmes, dont un amoindrissement des ressources, des migrations massives et des conflits locaux intenses. La menace la plus immédiate apparue récemment est la montée en puissance de Daech qui, à la faveur de ses avancées rapides au cours de l’été 2014, a mis en place une série de bases d’opérations à cheval entre l’est de la Syrie et l’ouest de l’Iraq. Daech est parvenu à rallier d’autres groupes actifs en Afrique du Nord, au Sahel, et tout récemment en Libye, ce qui témoigne du vif intérêt que suscite son message appelant à la formation d’un nouveau califat censé remplacer les structures étatiques mises en place dans la région MOAN après la Première Guerre mondiale.

9. Capable de conserver des territoires, de recourir à une combinaison de tactiques terroristes et conventionnelles et de recruter des milliers de combattants venus de quatre coins du monde, Daech incarne, dans la constellation des groupes armés non étatiques, une menace particulièrement redoutable. Il est notamment parvenu à s’emparer de stocks importants d’armes offensives, et a profité de la déroute des forces iraquiennes à Mossoul pour mettre la main sur d’importantes liquidités. Fort de tous ces moyens, Daech est également arrivé à conserver le contrôle des champs pétrolifères présents sur son territoire, et jouit donc d’une relative autonomie financière. Les campagnes violentes de Daech ont perturbé les populations locales et brisé l’autorité étatique dans une vaste zone, avec pour double effet une accélération des mouvements massifs de populations quittant cette région et une intensification de la contrebande d’armes, du trafic de stupéfiants et de la traite d’êtres humains dans les territoires sous sa coupe.

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B. LA GUERRE HYBRIDE : DEFINITIONS ET DOMAINES D’ACTION

10. Ce double défi présent à la fois à l’est et au sud confronte l’OTAN à deux menaces stratégiques distinctes exigeant des stratégies différentes. D’un côté, il y a la Russie révisionniste, qui envisage la confrontation sous l’angle d’Etat à Etat. De l’autre, il y a Daech, un puissant groupe armé non étatique à l’action perturbatrice. Pour faire face à la première menace, il faudra non seulement se donner plus de moyens de réunir une puissance de feu soutenable et suffisante dans n’importe quelle région menacée de l’Alliance, mais également renforcer considérablement la veille stratégique – et donc, être mieux en mesure de recenser les menaces ambiguës, et de suivre leur évolution. Face à la seconde menace, par contre, l’Alliance devra renforcer ses capacités de réponse aux crises et conserver les capacités nécessaires pour empêcher les conflits de déborder à l’intérieur de ses frontières. Enfin, il faudra, dans les deux cas, améliorer la communication et les échanges de messages stratégiques, et améliorer le partage du renseignement entre les Alliés, ainsi qu’entre ces derniers et Bruxelles. Tout ceci revient, globalement, à améliorer la sécurité coopérative.

11. Le point fort de la tactique utilisée par les deux adversaires sur les flancs est et sud de l’Alliance tient à leur capacité à pratiquer la guerre hybride. L’expression « guerre hybride » est apparue et s’est rapidement répandue dans les cercles politiques et militaires modernes en 2006, après la seconde guerre du Liban, lorsque l’Etat d’Israël, en état de supériorité du point de vue conventionnel, s’est trouvé aux prises avec le dynamisme tactique d’un Hezbollah évoluant entre lutte terroriste et guerre conventionnelle. Cette guerre a marqué un tournant car, même si Israël a fini par nettement s’imposer, il n’est pas parvenu à réaliser ses objectifs stratégiques. La guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah a montré qu’un acteur non étatique était à même d’exploiter les vulnérabilités de forces armées conventionnelles plus fortes, et de concevoir des contre-mesures adaptées. Le déploiement de tactiques hybrides a un effet intrinsèquement déstabilisant sur un opposant pourtant plus fort. Cela étant, la guerre hybride comporte une faiblesse, elle aussi intrinsèque, à savoir qu’elle fait souvent appel à un éventail de tactiques ne s’inscrivant dans aucune stratégie, ce qui, à long terme, met en difficulté ceux qui la pratiquent.

12. Il n’existe pas de définition uniforme de la guerre hybride, car celle-ci ne se pratique pas, et ne peut se pratiquer, de manière codifiée. Cette commission définit la guerre hybride comme l’utilisation de tactiques asymétriques destinées à sonder et à exploiter les faiblesses de l’adversaire par des moyens non militaires (intimidation et manipulation politiques, économiques et de l’information) avec, à l’appui de ces derniers, la menace de recourir à des moyens militaires conventionnels et non conventionnels. Les tactiques peuvent être revues dans leur portée, et ajustées en fonction de la situation.

13. Les tactiques hybrides que pratique la Russie n’ont en soi rien de nouveau pour l’Alliance. L’Union soviétique a fréquemment cherché à tirer parti des problématiques internes aux pays membres de l’OTAN, créant des zones grises ambiguës dans lesquelles il était difficile d’évaluer son degré d’implication. Aujourd’hui, Moscou cherche à créer une zone grise ambiguë le long du flanc est de l’OTAN. Les différentes tentatives de déstabilisation politique et économique intérieure et de manipulation, à l’encontre des Etats situés sur le flanc est de l’OTAN, de la Baltique à la mer Noire, ont amené de nombreux dirigeants politiques des pays concernés à affirmer que de telles zones grises existent d’ores et déjà, et qu’elles ne pourront que s’étendre. On note toutefois une différence marquante entre l’utilisation que fit en son temps l’Union soviétique des tactiques hybrides, et celle qu’en fait aujourd’hui la Russie. En effet, alors que les Soviétiques recouraient essentiellement à ces moyens pour affaiblir l’adversaire, le président Poutine semble les mettre au service d’une restructuration politique de l’Europe conforme à ses objectifs.

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Régions susceptibles d’être perturbées par des tactiques hybrides

14. Nord-est de l’Europe. Compte tenu de leur proximité avec la Russie, de la proportion importante de populations de souche russe qu’ils abritent et de leurs forces armées peu nombreuses et relativement sous-équipées, les pays baltes cristallisent les préoccupations de nombreux observateurs au sein de l’Alliance, qui voient en eux le talon d’Achille de l’OTAN. Comme on a pu le lire dans d’autres rapports de la commission de la défense et de la sécurité consacrés au RAP et au lien transatlantique, les pays membres de l’OTAN engagent actuellement des ressources considérables destinées à rassurer et à renforcer les Etats de cette région. La mise sur pied d’une dissuasion crédible dans les pays baltes a figuré en bonne place sur la liste des priorités de l’Alliance en 2015. Alors que l’OTAN procédait à un renforcement notable de sa présence dans la région, les Etats baltes ont entrepris, de leur côté, d’investir conjointement dans leurs institutions de défense, et ce à tous les niveaux. La commission continuera, tout au long de 2016, de suivre les efforts de réassurance et de dissuasion menés actuellement dans ces pays.

15. Sud-est de l’Europe. Durant la session tenue à Budapest en mai 2015, les parlementaires de l’OTAN ont fait part de la préoccupation que leur inspirent certains Etats du sud-est de l’Europe et la vulnérabilité potentielle de ces derniers à des manipulations par la Russie. Les cas de la Grèce et la Hongrie ont été spécifiquement mentionnés. Les craintes de voir la Grèce quitter l’UE au cours du printemps et de l’été derniers avaient, à juste titre, suscité des interrogations sur les conséquences qu’aurait un tel événement pour l’Alliance. Les nombreuses inquiétudes exprimées à cet égard tenaient surtout au fait que si Moscou venait à prendre le relais en tant que source de financement pour la Grèce, celle-ci serait non seulement plus encline à sortir de l’Union, mais aussi et surtout, s’agissant de la sécurité, à se laisser attirer plus loin dans la sphère d’influence de la Russie, avec de lourdes conséquences sur la prise de décision qui, dans le cadre de l’OTAN, repose sur l’unanimité. Après toutes les gesticulations éprouvantes qui, de part et d’autre, ont marqué la crise du financement de la Grèce, une solution préservant la solvabilité d’Athènes fut finalement trouvée, lui permettant de rester dans l’Union. La Grèce maintient donc ses engagements vis-à-vis de l’Alliance et reste tenue par toutes les responsabilités connexes.

16. Certains membres n’étaient pas seulement interpellés par le cas grec, mais aussi par ce qui ressemblait, de la part de Budapest, à un périlleux numéro d’équilibriste entre Bruxelles et Moscou. Plusieurs membres hongrois ont réagi à ces propos en faisant remarquer que la relation de la Hongrie avec Moscou était guidée par le pragmatisme. Budapest considère en effet que si elle a stratégiquement intérêt, à court et à long terme, à resserrer ses liens avec la communauté euro-atlantique, il lui faut également tenir compte, au plan intérieur, de ses intérêts économiques, lesquels l’amènent inévitablement à entretenir une relation avec Moscou. La Russie est pratiquement le seul fournisseur pétrolier et gazier de la Hongrie, ce qui amène celle-ci à se tourner presque exclusivement vers l’Est pour assurer sa sécurité énergétique. Le ministre hongrois de la Défense a toutefois indiqué aux membres que son pays envisage son avenir en tant que contributeur solide au sein de la communauté euro-atlantique, et plus particulièrement au sein de l’OTAN.

17. Balkans occidentaux. La question du maintien de la stabilité dans les Balkans occidentaux a également été évoquée. Les membres de la commission ne savent que trop bien que la stabilité dans les Balkans conditionne directement la stabilité européenne. L’équilibre des intérêts de Bruxelles et de Moscou dans la région constitue d’ailleurs une question sensible depuis la fin de la Guerre froide. Les visites effectuées récemment par la commission à Belgrade et à Pristina ont permis de mettre en évidence certains progrès dans le dialogue entre les deux parties, de même

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que le souhait de ces dernières d’œuvrer à une relation plus étroite avec la communauté euro-atlantique. Cela dit, des fractures ethniques et religieuses persistent indéniablement dans la région. Des résultats économiques plutôt médiocres, la corruption chronique à tous les niveaux ainsi que les tensions significatives exercées sur les Balkans, tant à l’échelle régionale qu’au plan international (dans le sillage, notamment, de la récente crise des migrants) rendent cette région vulnérable aux manipulations extérieures. Les Balkans occidentaux resteront dès lors une des priorités de la commission.

C. LA GUERRE HYBRIDE ET LA STRUCTURE DE L’OTAN

18. L’OTAN a pour vocation d’être une alliance de sécurité collective à même de décourager les menaces et de défendre ses populations en cas de conflit. Le recours collectif à la force est subordonné à l’accord du Conseil de l’Atlantique Nord – et cet accord ne peut être donné qu’à partir du moment où il est établi qu’un membre fait l’objet d’une agression armée aux termes de l’Article 5 du Traité de Washington. L’Alliance ne peut mener une action collective que si les membres du Conseil se sont prononcés à l’unanimité en faveur de celle-ci. Or, les tactiques de guerre hybride, de par leur ambiguïté qui les rend difficilement décelables et empêche de définir précisément la menace dont elles sont porteuses, compliquent singulièrement le processus d’autorisation, par le Conseil, d’une action collective.

19. Autrement dit, tout l’intérêt des tactiques hybrides réside dans le fait qu’elles peuvent graduellement aboutir à une situation menaçante tout en restant sous le seuil fixé par l’Article 5 pour une action collective. Il est évident que la Russie a intérêt à éviter les violations claires de l’Article 5. Dès lors, l’option la plus viable s’offrant à elle pour atteindre aujourd’hui ses objectifs consiste à pratiquer une forme de concurrence stratégique ciblant les vulnérabilités politiques, économiques et sociétales de l’Occident, tout en avançant masquée et en restant sous le seuil de déclenchement d’une riposte conventionnelle.

20. En fait, la rivalité stratégique entre la Russie et l’OTAN s’inscrira plus probablement dans un autre cadre, celui des Article 3 et 4 du Traité de Washington. L’Article 3 du Traité oblige les Alliés, en-deçà de la défense collective, à favoriser et à maintenir un niveau constant de collaboration et d’assistance mutuelle. Le principe qui sous-tend l’Article 3 s’avère particulièrement pertinent au regard des nouveaux défis hybrides, qui doivent être combattus à l’échelle de l’Alliance par des forces à niveau de préparation élevé. Or, les dépenses de défense et les projets de modernisation des forces des pays alliés ont connu un déclin continu depuis la Guerre froide, et plus particulièrement depuis 2008. Ceci tient à deux facteurs. Premièrement, à la fin de la Guerre froide et avec la disparition de la menace monolithique de l’URSS, les Alliés ont cherché à toucher les dividendes de la paix. Deuxièmement, l’élargissement à 28 Etats membres qu’a connu l’OTAN au cours de cette période l’a confrontée au problème du partage de la charge. Le Sommet du pays de Galles a cherché à inverser cette tendance à la baisse des dépenses de défense, observée à l’échelle de l’Alliance, en présentant l’engagement relatif aux dépenses de défense, qui doit encourager les membres à mettre un terme aux coupes budgétaires dans ce secteur et à s’efforcer de consacrer à leur défense 2 % du PIB, dont 20 % au moins iraient à la recherche et au développement. Cette question est traitée de manière approfondie dans le rapport de la Sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité Concrétiser les objectifs du Sommet du pays de Galles   : le renforcement du lien transatlantique [168 DSCTC 15 F] .

21. L’Article 4 du Traité de Washington stipule, quant à lui, que « Les parties se consulteront chaque fois que, de l'avis de l'une d'elles, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une des parties sera menacée». Le problème, à partir du moment où l’on se réfère à l’Article 4, tient évidemment au fait qu’il est difficile, pour 28 Etats membres dont les perceptions peuvent – et vont inévitablement – varier, de s’accorder sur une interprétation uniforme et cohérente de la menace. Les tactiques hybrides utilisées par la Russie visent clairement, entre

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autres, à semer la confusion quant à la nature et à la gravité réelles de la menace résultant de ses agissements. Or, s’il est vrai qu’une action donnée peut ne pas être perçue à titre individuel comme une menace immédiate, plusieurs mesures du même type prises simultanément peuvent, en s’additionnant, confronter l’Alliance à un véritable défi – c’est ce que l’on appelle souvent la « tactique du salami ».

22. Les tactiques hybrides utilisées par Moscou pour fragiliser l’Ukraine et annexer la Crimée donnent une idée des outils décisifs dont la Russie pourrait, de l’avis de nombreux observateurs, se servir pour poursuivre son œuvre de déstabilisation à la périphérie de l’Alliance. Cela dit, il importe également de mettre en lumière certaines faiblesses qui aujourd’hui encore, minent l’intervention russe en Ukraine. L’analyse du cas ukrainien montre indéniablement que cela ne se passe pas aussi bien que certains voudraient le faire croire.

III. L’ANNEXION DE LA CRIMEE ET LA GUERRE CIVILE DANS L’EST DE L’UKRAINE

A. LA RUSSIE ET LA GUERRE HYBRIDE : SONDER LES POINTS FAIBLES POUR LES METTRE AU SERVICE DE SES OBJECTIFS

23. Les actions de la Russie depuis le début de l’année 2014 ont ébranlé la perception qu’avait jusque-là la communauté euro-atlantique de son environnement de sécurité. Comme l’ont montré/illustré les manœuvres diplomatiques menées par Moscou fin 2013 pour empêcher la signature, par l’Ukraine, d’un accord d’association et d’un accord de libre-échange approfondi et complet (DCFTA) avec l’Union européenne, la Russie jugeait absolument essentiel, pour ses intérêts, de bloquer l’intégration de l’Ukraine dans les sphères économiques et politiques européennes. La révolution de Maïdan qui a éclaté le 29 novembre après que le président Yanoukovitch eut refusé, comme le lui enjoignait la Russie, de signer l’accord d’association et le DCFTA, a eu pour effet de compromettre les plans de Vladimir Poutine, qui espérait ramener l’Ukraine dans le giron de Moscou sans trop de difficultés.

24. Les manifestants pro- et anti-Maïdan s’affrontèrent au cours des premiers mois de 2014, tandis que Bruxelles, Moscou et Washington exprimaient leur solidarité avec les parties qui avaient leur soutien. Après l’éviction du Président Yanoukovitch, le 22 février, l’ingérence de la Russie dans l’est de l’Ukraine commença à se faire plus concrète. Le 26 février, après plusieurs jours de manifestations pro-russes à Sébastopol, les forces armées russes entamèrent, dans les Districts militaires Ouest et Centre, un exercice de grande envergure destiné à tester leur état de préparation. L’ampleur déclarée de cet exercice rassemblant 150 000 soldats était suffisante pour donner à penser que l’on se trouvait en présence d’une force d’invasion représentant une menace pour le nouveau gouvernement ukrainien. Mais il s’agissait également d’une diversion militaire efficace destinée, à la fois, à détourner l’attention de Kyiv de la Crimée et à la dissuader d’opter pour une riposte militaire à grande échelle (Popescu, 2015). Le 27 février, des forces spéciales russes non identifiées s’emparaient du Parlement de la Crimée et installaient le gouvernement Aksyonov.

25. Le 1er mars, les parlementaires russes autorisaient Vladimir Poutine à faire usage de la force en Ukraine, « afin de protéger la population de Crimée contre l’arbitraire et la violence », permettant ainsi aux forces russes de resserrer leur emprise sur la Crimée. Après que des unités de commandos eurent pris le contrôle de différentes infrastructures clés, des unités régulières d’infanterie furent envoyées sur place pour sécuriser le territoire. Dans le même temps, la flotte russe de la mer Noire et le District militaire Sud voisin se tenaient prêts à assurer un soutien en défense aérienne. Moins de deux semaines plus tard, le référendum sur le statut de la Crimée officialisait l’annexion de cette dernière par la Russie.

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26. Après avoir systématiquement nié, avant le référendum de mars, avoir lancé une offensive militaire en Crimée, les dirigeants russes ont par la suite reconnu – allant même jusqu’à s’en vanter – avoir usé de ruse contre l’Occident (Sutyagin, 2014). L’utilisation, par Moscou, d’unités de commandos sans insignes – « les petites hommes verts », comme on allait les appeler par la suite – qui avaient pour mission de s’emparer de certaines institutions gouvernementales clés de la Crimée et de les placer sous contrôle, a tout particulièrement frappé les esprits. Jusqu’à la fin de l’année 2014, des groupes de Spetsnaz ont mené des opérations spéciales dans plusieurs districts (oblasts) de l’est de l’Ukraine, créant et contrôlant des équipes d’insurgés composées de locaux, certes, mais renforcées et guidées par des Spetsnaz et par des militants « volontaires » qui, dans certains cas, venaient de régions aussi lointaines que la Tchétchénie (Freedman, 2014 - 2015).

B. LA GUERRE HYBRIDE : UN SUCCES RETENTISSANT ?

27. La confiscation réussie de la Crimée par la Russie et le désordre civil prolongé qui en a résulté en Ukraine, ont poussé de nombreux observateurs à suggérer qu’en recourant à ces tactiques hybrides, Moscou s’était lancé dans une nouvelle forme de guerre particulièrement efficace. Pour atteindre ses objectifs, la Russie a en effet utilisé et coordonné entre elles une vaste gamme de tactiques différentes allant de la coercition politique et économique aux cyberattaques, à la désinformation et à la propagande, en passant par l’action militaire clandestine ou manifeste. Mais bien que ces différents instruments soient utilisés de manière interchangeable depuis un an pour fomenter des troubles dans l’est de l’Ukraine, ils n’ont pas rencontré le même succès que les opérations menées en Crimée au début du conflit.

28. La Russie s’est aidée efficacement des technologies modernes pour exploiter la dimension« information » de la guerre civile en Ukraine. En diffusant sa propagande et en déformant les faits, elle parvient à concevoir des scénarios et des réalités alternatives, qu’elle répand ensuite dans le cyberespace et sur le terrain2. Ce procédé a servi de multiplicateur de forces au cours du conflit. La version des faits privilégiée par la Russie la présente sous les traits d’un garant et d’un défenseur des droits des populations russophones, et consiste à dire que l’usage de la force constitue pour elle une manière légitime de défendre ses compatriotes contre les atrocités dont ils sont actuellement les victimes en Ukraine. Ce scénario a été largement utilisé au départ en Crimée, pour diffuser à l’intention des civils, des troupes et du gouvernement de Kyiv ainsi qu’au monde, l’image d’une Ukraine militairement et politiquement finie, et encourager ainsi les civils à se rallier à la Russie.

29. Sur le plan intérieur, l’efficacité des actions de la Russie en Crimée s’est traduite par un fort regain de popularité pour Vladimir Poutine (Freedman, 2014 - 2015). Sur le plan international, la propagande a probablement eu un double effet : premièrement, elle a projeté de la Russie l’image d’un pays plus menaçant qu’il ne l’est compte tenu de sa force réelle (Freedman, 2014-2015) ; et deuxièmement, elle a dissuadé les pays occidentaux d’apporter à l’Ukraine un soutien aussi poussé qu’elle aurait pu, en théorie, l’envisager (à savoir une aide militaire létale).

30. Mais bien que la Russie ait essayé dans un premier temps de fomenter des troubles dans les districts orientaux de Kharkov, de Zaporijia, de Dniepopetrovsk, accentuant même sa percée dans l’ouest jusqu’à Odessa, les mouvements séparatistes pro-russes n’ont finalement pu conserver que les provinces de Louhansk et de Donetsk, qui partagent toutes deux une frontière avec la Russie. La tournure des combats dans ces provinces a d’ailleurs été largement déterminée par le degré d’intervention directe de la Russie. Il est également apparu que la capacité de Moscou à contrôler les groupes rebelles mandataires était toute relative. Le vol civil 2 Pour plus d’informations sur les campagnes russes de propagande et de désinformation, consulter le

rapport 2015 de la Sous-commission sur la gouvernance démocratique sur La bataille des cœurs et des esprits : répondre aux campagnes de propagande à l’encontre la communauté euro-atlantique   [164   CDSDG 15 F bis]

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MH-17 probablement abattu par un missile sol-air BUK fourni par la Russie en constitue le plus tragique exemple.

31. Après l’échec initial du Protocole de Minsk, les combats connurent une nette recrudescence à Donetsk et à Louhansk jusqu’à la fin de l’année 2014. Au cours de l’hiver 2014-2015, alors que la guerre civile reprenait en Ukraine, Moscou se lançait dans une surenchère avec la communauté internationale, en particulier l’OTAN et les Etats-Unis, en publiant une nouvelle doctrine militaire qui confirmait sa perception selon laquelle la Russie est directement menacée par les ingérences sécuritaires, politiques et même économiques de l’OTAN et de Washington en Europe orientale (voire en Europe centrale). Il est particulièrement question, dans ce texte, des préoccupations de Moscou face à ce qu’il considère comme des immixtions politiques occidentales destinées à déstabiliser les régions situées dans le voisinage immédiat de la Russie – invitation claire appelant les pays occidentaux à ne pas intervenir militairement en Ukraine. Le débat sur l’octroi, aux forces ukrainiennes, d’un soutien militaire létal plus important se poursuit, et les craintes de voir une telle initiative déboucher sur une escalade du conflit continuent inutilement d’empêcher les Etats-Unis et ses alliés de fournir à Kyiv un soutien sous la forme d’armes offensives.

32. Les mesures décrétées par les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie, de la France et de l’Allemagne lors du sommet tenu à Minsk le 12 février n’ont pas été intégralement exécutées par les parties au conflit. Minsk II (nom donné aux accords en question) n’a pas permis de mettre un terme aux combats dans l’est de l’Ukraine. L’offensive qui menaçait à l’été 2015 ne s’est finalement pas produite et la région s’embourbe donc dans un conflit de faible intensité qui n’en finit pas.

33. Le rôle de Moscou dans ce conflit n’est devenu que plus évident au fil du temps. Pour renforcer son influence sur les groupes rebelles pro-russes à Donetsk et à Louhansk et, par la même occasion, accroître leur efficacité, Moscou cherche à exercer un contrôle plus direct sur ces factions hétéroclites.3 Pour ce faire, il a été obligé d’envoyer sur place des renforts chargés de prêter main-forte aux forces rebelles dans les domaines de la planification, de la logistique et de l’exécution opérationnelle. Ce retour des forces russes à l’avant-plan a été dénoncé par les Etats-Unis, l’OTAN, l’OSCE et de nombreux autres intervenants.

34. Mais même si la Russie a usé à la fois de moyens non conventionnels et conventionnels pour atteindre son objectif, à savoir ramener l’Ukraine dans sa sphère d’influence, le succès de ses efforts reste, au mieux, contestable. Kyiv est plus déterminé que jamais, dans le court à moyen terme à tout le moins, à s’engager sur la voie d’une intégration plus poussée au sein de la communauté euro-atlantique. Dans le meilleur des cas, la Russie est parvenue à déclencher une « guerre chaude » appelée à évoluer en conflit gelé et, au pire, elle a contribué à attiser une guerre civile prolongée. Si l’on exclut l’hypothèse d’une démonstration de force imposante qui pousserait Kyiv à faire des concessions au cours de l’année qui vient, Moscou suppute probablement que les effets conjugués des vieux démons de l’Ukraine – en particulier sa corruption endémique et son économie défaillante – et d’une baisse d’intérêt de la part de l’Occident exacerberont le désenchantement à Kyiv, et ramèneront finalement le pays dans la sphère russe.

C. DE PUISSANTS GROUPES ARMES NON ETATIQUES DANS L’ARC DE CRISE : L’ASCENSION DE DAECH

3 Des éléments actifs dans les provinces de Donetsk et de Louhansk ont proclamé leur indépendance vis-à-vis de Kyiv et pris les noms de République populaire de Donetsk (DPR) et de République populaire de Louhansk (LPR) respectivement.

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35. De nombreux acteurs au sein de l’Alliance mettent en évidence un autre type de menace hybride à l’encontre des pays membres de l’OTAN, à savoir l’instabilité générale que font régner, dans toute la région MOAN et au Sahel, de puissants groupes armés non étatiques, en particulier Daech. Ceux-ci sont en effet capables, aujourd’hui, de tenir des territoires et usent de moyens conventionnels et non conventionnels pour conserver ces derniers et les étendre. De plus, des groupes comme Daech affichent une véritable dimension transnationale du fait qu’ils parviennent à attirer des combattants étrangers dans leurs rangs. L’accroissement rapide des flux de combattants étrangers rejoignant Daech et la multiplication de ses sympathisants partout dans le monde ont contribué à la réapparition des menaces terroristes dans les pays membres de l’OTAN, et amené à une prise de conscience de l’imbrication croissante entre sécurité intérieure et extérieure. Il est intéressant, à ce titre, de présenter un bref aperçu de l’ascension de ce mouvement, de manière à mieux évaluer jusqu’à quel point les craintes suscitées par ces nouveaux acteurs capables de faire peser des menaces hybrides le long de la frontière sud de l’OTAN, sont justifiées.

36. La montée en puissance de Daech est le résultat d’un phénomène de polarisation et de mobilisation idéologique et sociale en Iraq et en Syrie, dont l’apparition remonterait, aux dires de nombreux observateurs, à quelques décennies déjà. Les succès remportés par ce groupe dans la région peuvent être attribués en grande partie à l’exploitation efficace de griefs anciens. Daech s’est posé en fer de lance des Arabes sunnites marginalisés et persécutés, déterminés à substituer un califat islamique aux régimes confessionnels en place. La capacité de Daech à mettre cette base au service de ses objectifs est apparue en pleine lumière en juin 2014, lorsque le mouvement, après avoir traversé rapidement le désert de Syrie, s’est emparé de larges pans du territoire iraquien. Tout cela n’aurait pas été possible si le chef de Daech, Abu Bakr al-Baghdadi, n’avait pu compter sur le soutien des tribus sunnites dissidentes implantées dans la région – Daech est en fait une émanation d’al-Qaïda en Iraq, qui a mené la sanglante insurrection contre les forces des Etats-Unis après l’invasion de 2003.

37. Si la prise rapide de la seconde grande ville iraquienne, Mossoul, a valu à Daech de se retrouver à l’avant-plan de la scène internationale, ses objectifs restent essentiellement régionaux et consistent, globalement, à soumettre l’ordre politique et territorial existant à ses exigences. Le 29 juin 2014, Daech annonçait la formation d’un califat islamique et abandonnait le nomd’ « Etat islamique el-Sham » pour celui d’« Etat islamique ». Le groupe a pour objectif principal d’étendre le califat en poursuivant ses conquêtes et en s’y maintenant.

38. Le groupe Etat islamique peut être qualifié de menace hybride car il est en mesure de recourir efficacement à diverses tactiques, terroristes ou conventionnelles et à des réseaux globaux de recrutement grâce auxquels il peut rallier des milliers de combattants à sa cause. Le président américain Barack Obama a souligné cet aspect lorsqu’il a déclaré que Daech représentait « une espèce d’hybride qui, loin de se résumer à un réseau terroriste, nourrit également des ambitions territoriales et utilise jusqu’à un certain point une stratégie et des tactiques propres aux forces armées. » Le groupe Etat islamique est capable de mettre sur pied, de déployer et de soutenir des forces conventionnelles tout en optimisant par ailleurs le recours à des tactiques irrégulières, et il adapte et combine ces différents moyens de manière à tirer parti des faiblesses de l’adversaire.

39. Cette efficacité s’est clairement exprimée en Iraq où, lors de ses premières incursions, Daech a fait montre d’une réelle agilité couplée à une importante puissance de feu conventionnelle, qui lui ont rapidement permis de contrôler stratégiquement d’importants centres urbains ainsi que les axes routiers, et de s’implanter sur le terrain. Daech fait aussi appel à une panoplie d’armes avancées qu’il s’est le plus souvent procurée lors de la prise de bases militaires et d’arsenaux en Iraq. Son arsenal comprend des drones tactiques de reconnaissance aérienne, des véhicules blindés américains, des pièces d’artillerie, des armes de petit calibre, des mines et des bombes artisanales. Il utilise aussi des missiles sol-air tirés à l’épaule contre les frappes

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aériennes menées par la coalition. Au moins un hélicoptère d’attaque iraquien Mi-35M a déjà été abattu par ces combattants. Bien que les frappes aériennes de la coalition emmenée par les Etats-Unis aient obligé le groupe à chercher de plus en plus refuge dans les environnements fortement urbanisés des villes dont il s’est emparé, à opérer de nuit, à répartir ses forces en petites unités tactiques et à restreindre l’utilisation des téléphones cellulaires et des radiocommunications jugés peu sûrs, il n’en conserve pas moins d’importantes parties du territoire, et reste en mesure d’orchestrer des offensives (Malas, 2014).

40. Daech passe pour être le groupe armé non étatique le plus riche au monde. Il tire l’essentiel de ses revenus des installations pétrolières syriennes et iraquiennes, de l’extorsion de fonds et de l’imposition de taxes aux propriétaires et industriels des zones occupées et des enlèvements contre rançon. Il encaisse par ailleurs des droits de péage sur les autoroutes et touche le produit des ventes d’antiquités sur le marché noir. Le groupe est également financé par des dons effectués depuis des pays du Golfe et bénéficie même de l’intervention de bailleurs de fonds en Iraq (Jung, Shapiro, Wallace et Ryan, 2014). A la mi-2014, les revenus quotidiens de Daech s’établissaient à 3 millions de dollars environ par jour (Dilanian, 2014), et ses actifs étaient compris entre 1,3 et 2 milliards de dollars (Chulov, 2014). La campagne aérienne menée sous le commandement des Etats-Unis au cours de l’année écoulée a infligé des dommages considérables à la majorité des raffineries de pétrole et de gaz implantées dans les zones sous le contrôle de Daech, avec pour résultat une diminution des gains issus de sa principale source de revenus. Alors que la campagne aérienne se poursuit, la capacité du groupe à se financer au travers de sources extérieures devrait encore diminuer4.

41. Daech consacre ses rentrées à la fourniture et à la maintenance d’équipements pour ses forces, à la gestion de son appareil interne ainsi qu’au paiement de salaires aux combattants et d’indemnités aux personnes à charge des militants tués au combat. Daech maintient également en état les infrastructures civiles des villes et des villages, et verse des pots-de-vin et des commissions aux chefs tribaux dans les régions se trouvant sous son contrôle. Enfin, le mouvement doit assumer les frais inhérents à la campagne de propagande qu’il mène tous azimuts sans discontinuer.

42. Daech fait preuve d’une capacité, quasi inégalée pour un acteur non étatique, à mener efficacement la guerre de l’information. Les films de propagande scénarisés par des professionnels, qu’il utilise pour populariser ses objectifs et magnifier ses combattants ainsi que ses batailles, s’avèrent de puissants outils de recrutement. Daech excelle tout particulièrement à exploiter les réseaux sociaux (principalement YouTube, Twitter et plusieurs blogs) pour planifier des opérations, procéder à des recrutements, lever des fonds et, plus généralement, assurer son marketing, en mettant à profit le caractère décentralisé desdits réseaux et les compétences de ses partisans, qui créent et administrent des pages dans lesquelles ils font eux-mêmes la promotion du mouvement. Le succès de cette campagne se mesure au nombre de combattants étrangers rejoignant ses rangs, qui n’a jamais été aussi élevé.

43. La notoriété croissante de Daech a amené un nombre considérable de groupes armés, depuis l’Afghanistan au Nigéria en passant par la Libye, à prêter allégeance à Daech. Le succès de la « franchise » Daech a très certainement de quoi inquiéter, car le groupe est en mesure de donner l’impression qu’il se développe. Les groupes qui prêtent allégeance peuvent avoir diverses motivations, comme élargir leur base de recrutement, voire accéder à certaines ressources. Cela étant, même si ces groupes se soumettent à Daech, le commandement et le contrôle stratégiques exercés par ce dernier sur ses affiliés restent limités.

4 Pour plus d’informations sur le financement du terrorisme, voir le rapport 2015 de la Sous-commission sur les relations économiques transatlantiques sur Le financement du terrorisme   [171   ESCTER 15 F]

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44. Si Daech et les autres groupes armés non étatiques ne représentent pas une menace de même nature que celle émanant de Moscou, ils n’en continueront pas moins de fragiliser considérablement la situation aux frontières de certains pays membres de l’Alliance. Les graves perturbations régionales résultant de leur action risquent bien de dégénérer pour aboutir à une guerre continue qu’il faudra alors contenir en dehors des frontières de l’OTAN. Les retombées de ces conflits continueront de provoquer des crises humanitaires dans les régions concernées et au-delà, remettant en question la sécurité alimentaire et perturbant l’exploitation des ressources et la vie des populations. Ces répercussions mettent - et continueront de mettre - indubitablement à l’épreuve les capacités de réponse aux crises des pays membres. Enfin, les difficultés inhérentes au suivi et au contrôle des agissements des combattants djihadistes étrangers de retour en Europe et en Amérique du Nord constituent un défi pour les services de renseignement et de maintien de l’ordre de tous les pays membres, et de l’Alliance dans son ensemble. IV. REAGIR À L’ECHELLE DE L’ALLIANCE

45. Comme indiqué précédemment, la Russie use de tactiques hybrides, ce qui met clairement l’Alliance en difficulté, tandis que les perturbations causées à l’échelle régionale par des groupes armés non étatiques vont continuer à remettre en question la sécurité de l’Alliance, sur ses frontières mais aussi à l’intérieur de celles-ci sous la forme du terrorisme. La commission de la défense et de la sécurité a entrepris, pour 2015, d’étudier l’évolution de l’environnement stratégique de sécurité. Une devise appropriée de l’OTAN face à ce double enjeu pourrait tenir dans les mots adoption, adaptation et aptitude. En effet, l’Alliance, à l’heure d’adopter de nouvelles stratégies face aux défis inédits que lui opposent des acteurs étatiques et non étatiques à ses frontières orientale et méridionale, devra adapter sa structure et revoir son état de préparation, de manière à être apte à relever ces nouveaux enjeux.

46. Comme on peut le lire dans le rapport de la DSCFC sur  Le plan d’action ‘réactivité’ de l’OTAN: assurance et dissuasion pour la sécurité après 2014 [167 DSCFC 15 F] , l’OTAN s’emploie d’ores et déjà à s’adapter dans la perspective d’un niveau de préparation plus élevé. La mise en œuvre de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) permettra de raccourcir le temps nécessaire pour projeter une puissance de feu significative n’importe où dans l’Alliance, afin d’exercer la dissuasion et de défendre tous les Etats membres. Mais, à côté de cette réponse militaire, il est également nécessaire, pour continuer d’assurer la sécurité des pays membres face à la guerre hybride, de pouvoir mobiliser à l’échelle de l’Alliance les forces diplomatiques, militaires, économiques, financières et juridiques ainsi que les moyens d’information des 28 Alliés.

47. Il est indispensable que les parlementaires de l’OTAN poursuivent leurs délibérations sur toute une série de problématiques, de manière à instaurer des mécanismes facilitateurs devant permettre à l’Alliance de mener cette réflexion et cette coopération de haut niveau.  

A. INTENSIFICATION DE LA VEILLE STRATÉGIQUE

48. Les tactiques de guerre hybride utilisées par Moscou ont semé la confusion et, par voie de conséquence, empêché jusqu’à un certain point les Etats membres de parvenir à une évaluation unanime de la situation sur le terrain en Ukraine. Il importe, à l’heure où les actions menées peuvent avoir des conséquences stratégiques, de trouver une solution à ce manque de connaissance de la situation, et les parlementaires des pays membres de l’OTAN peuvent intervenir à cet égard en plaçant cet enjeu au premier plan des débats sur la sécurité nationale.

49. Partage du renseignement – Le partage du renseignement est depuis bien longtemps au centre des débats entre les Alliés, et si le RAP ramène cette question à l’avant-plan, c’est parce qu’il est nécessaire, pour pouvoir évaluer la situation avec exactitude, de pouvoir s’appuyer sur des mécanismes clairs de partage du renseignement. Si des liens existent entre les services de

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renseignement extérieur des différents membres, des blocages trop nombreux continuent de s’opposer à un échange efficace du renseignement intérieur. L’OTAN n’étant actuellement pas cliente pour ce niveau de renseignement, elle a besoin d’un point d’accès aux agences de tous les Etats membres recueillant des informations de ce type. L’ambiguïté de la tactique utilisée par Moscou en Ukraine souligne toute l’importance de cette question.

50. Un renforcement des liens entre agences nationales, y compris celles actives dans le domaine du maintien de l’ordre, permettra aux pays de mieux aborder une série de menaces de sécurité transnationales et de problèmes communs. Parmi les informations susceptibles d’être ainsi échangées, on peut citer les données d’imagerie, les données biométriques, les informations sur la situation aux frontières, les demandes de visa, les manifestes de vols, le suivi des personnes ayant des liens connus avec des organisations hostiles, les conversations téléphoniques et électroniques, les transcriptions de conversations avec des personnes connues présentant un intérêt, les renseignements sur les tentatives de se procurer des données classifiées, les informations relatives aux sentiments de l’opinion publique et enfin, les données recueillies dans le cadre de sondages d’opinion.

51. Conscients depuis longtemps de cette nécessité de collaborer, ainsi que de partager et d’échanger l’information, les responsables du maintien de l’ordre et les organismes de renseignement se sont déjà, dans les faits, organisés en réseaux de manière à pouvoir traiter ces problèmes communs. Le rayon d’action de ces réseaux et les moyens dont ils disposent vont bien au-delà des possibilités qu’offrent les budgets et ressources de chaque agence prise individuellement (Johnson, Loch, 1996). Des questions comme le terrorisme, la contrebande d’armes, le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains ont de tout temps donné lieu à des contacts réguliers entre acteurs du maintien de l’ordre (Anderson, 1989). La police, les services chargés de faire respecter la loi et les agences de renseignement s’appuient donc, au jour le jour, sur les liens étroits et déjà anciens qu’ils entretiennent avec leurs homologues pour contrer les menaces transnationales (Heyman, 1990). On pourrait rationaliser le renseignement à l’échelle de l’Alliance en mettant sur pied des organismes régionaux de partage du renseignement conçus sur les mêmes principes que les centres d’excellence, où les Etats membres intéressés pourraient se retrouver dans le cadre de pôles d’échange.

52. Un rôle accru pour le Quartier général des opérations spéciales de l’OTAN (NSHQ) – Les pays membres de l’OTAN possèdent certaines des meilleures unités de forces spéciales au monde. Celles-ci auront indéniablement un rôle à jouer dans le cadre de la VJTF, mais on apeut-être tendance à trop mettre l’accent sur leurs capacités d’action directe, au détriment de leur aptitude à fournir une assistance militaire aux Etats membres et aux partenaires de l’OTAN. A condition d’être bien entraînées, des forces spéciales locales peuvent contribuer à la connaissance de la situation et assurer un rôle d’anticipation stratégique.

53. Le NSHQ s’appuie, à l’échelle de l’Alliance, sur un réseau collaboratif robuste qui a un rôle à jouer dans la prise en charge de défis à caractère hybride. On pourrait, afin de valoriser la contribution des forces spéciales, envisager un transfert du NHSQ au Commandement interallié interarmées des opérations spéciales, de manière à l’intégrer à la structure de commandement de l’OTAN. A l’heure qu’il est, la coopération entre le NSHQ et l’OTAN s’inscrit dans le cadre d’un mémorandum d’entente (MOU). Les parlementaires de l’OTAN pourraient plaider en faveur d’un renforcement du rôle des forces d’opérations spéciales et d’une meilleure prise en compte des possibilités qu’offrent ces dernières en termes d’adaptation aux défis hybrides.

B. MAINTIEN EN PUISSANCE ET MISE EN OEUVRE

54. Volonté politique et investissements – Le RAP est essentiellement conçu pour apporter à une menace hybride une réponse militaire basée sur des moyens conventionnels. Il n’est efficace qu’à partir du moment où il existe une volonté politique de l’utiliser. Sachant que la menace dont il

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est question ici ne prendra probablement pas la forme d’une invasion ou d’une incursion relevant clairement de l’Article 5, il est indispensable, pour que le RAP puisse produire un maximum d’effets attendus, qu’il soit à la fois financé dans sa totalité et maintenu dans la durée. Les coûts inhérents au RAP étant à la charge des pays participants, sa mise en application dans les conditions voulues ne peut être laissée aux mains des seuls pouvoirs exécutifs. C’est aux parlementaires des pays membres qu’il incombera en effet de chiffrer le financement indispensable à son élaboration et à son maintien en puissance.

55. Mobilisation des forces – Reste également une question essentielle à éclaircir s’agissant du RAP, et en particulier de la VJTF, à savoir les modalités d’approbation, par les parlements, d’un déploiement de forces. Ce sujet doit impérativement être débattu dans le cadre de l’AP-OTAN, de manière à ce que ses membres soient informés des mesures prises par les différents parlements nationaux dans cette perspective.

56. Autorité politique – Un débat serein s’impose par ailleurs sur la délégation d’un minimum d’autorité au SACEUR en cas de crise. A l’heure où une mobilisation immédiate et effective s’avérera peut-être nécessaire, permettre au SACEUR, ne fut-ce que de préparer des forces et les mettre en attente, ne revient pas à lui céder une autorité politique suffisante pour saper le pouvoir de décision finale du Conseil quant à une action militaire de l’OTAN.

C. COMMUNICATIONS STRATÉGIQUES

57. Contrer les opérations de propagande de la Russie doit amener à remettre les communications stratégiques à l’avant-plan. L’OTAN ne dispose toujours pas, à ce stade, de capacités robustes en la matière. Les communications stratégiques doivent aller bien au-delà des simples déclarations prononcées de temps à autre par le secrétaire général. Bruxelles doit œuvrer, en coordination avec chaque Etat membre, à la mise en place effective de mécanismes qui permettent d’améliorer les communications stratégiques au niveau de l’Alliance et aux échelles nationale et régionale. Le Centre d’excellence pour la communication stratégique de l’OTAN implanté en Lettonie constitue un bon point de départ, mais il est possible et nécessaire d’en faire beaucoup plus.

58. Sensibilisation du public – Les parlementaires doivent également prendre l’initiative en jouant leur rôle essentiel de sensibilisation et d’éducation du public dans leurs circonscriptions respectives, l’objectif étant de conscientiser l’opinion et de faire en sorte qu’elle puisse résister à la propagande au service des visées subversives de la Russie. Il faut que des mesures soient prises pour renforcer le rôle d’une société civile bien informée dans chaque Etat membre, de manière à aider les groupes ethniques et religieux marginalisés vulnérables aux manipulations venues de l’extérieur, à comprendre les efforts déployés par leurs gouvernements respectifs pour appréhender leurs griefs spécifiques et y trouver une réponse.

D. LA DEFENSE DES RESEAUX ET DES ECONOMIES

59. Une cyberdéfense robuste – Il ne faudrait pas que le regain d’attention porté aux menaces traditionnelles à l’encontre de la sécurité de l’OTAN rejette les menaces plus récentes, comme la cyberguerre, à l’arrière-plan. En 2013, l’OTAN a été confrontée à plus de 2 500 cyberattaques significatives, et la crise de la Crimée en mars 2014 s’est accompagnée d’attaques menées par des hacktivistes prorusses qui ont mis hors service plusieurs sites web de l’Alliance. Il n’empêche que cette dernière a réalisé des progrès notables depuis la première grande cyberattaque de 1999, en ce sens qu’elle appréhende mieux la nature de la menace et a relevé son niveau de préparation de manière à pouvoir la contrer. Un fossé important subsiste néanmoins entre les moyens de nombreux pays et ceux dont dispose l’OTAN.

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60. Pour que la prise en charge de la cybermenace soit efficace, l’OTAN doit continuer à se consacrer à sa cybermission, qui lui enjoint de défendre son propre réseau et de renforcer par ailleurs les capacités de ses Etats membres. Il lui faut pour cela poursuivre la mise en œuvre de la politique OTAN de cyberdéfense adoptée en 2011, et du plan d’action qui en découle. La Déclaration du sommet du pays de Galles de septembre 2014 confirme que la cybersécurité peut faire partie de la défense collective. Ce texte indique en effet que les cyberattaques sont susceptibles « d’atteindre un seuil pouvant menacer la prospérité, la sécurité et la stabilité des Etats et de la zone euro-atlantique ». Même si la Déclaration stipule que toute décision d’invoquer l’Article 5 devra être prise par le Conseil de l’Atlantique Nord au cas par cas, des facteurs comme la portée, la durée et l’intensité/l’échelle de l’attaque ainsi que l’identité de son auteur entreront probablement en ligne de compte. Il existe des cybermenaces multidimensionnelles et il faut dès lors que les efforts futurs de cyberdéfense s’inscrivent dans une approche globale, à l’échelle de l’Alliance.

61. Une telle approche suppose, premièrement, que l’on s’emploie à étudier et à mettre en œuvre dans la durée des solutions de partage et de mise en commun des cybercapacités entre les pays membres et, deuxièmement, que l’on tire tout le parti possible des synergies créées au travers du partenariat entre l’UE et l’OTAN, en mettant à profit les avancées européennes dans le secteur cybernétique. L’OTAN est par ailleurs bien placée pour coordonner les efforts déployés par les forces armées nationales dans ce domaine, et pour consolider l’engagement transatlantique en la matière, en associant les Etats-Unis à cet effort. Et troisièmement, un programme visant à relancer la collaboration avec le secteur privé devra être développé, de manière à dépasser le simple partage de l’information pour s’acheminer vers un engagement plus substantiel dans des domaines comme la lutte contre la cybercriminalité, la réponse collective à des incidents ponctuels ou l’amélioration de l’état de préparation général.

62. Largement inexploité à ce jour, le secteur privé, qui contrôle la majorité des contacts entre le cyberespace et la société civile, peut jouer un rôle vital en sensibilisant les acteurs nationaux dans les pays membres et en les poussant à l’action. C’est bien le secteur privé, au contraire des gouvernements, qui a résolu de manière décisive la quasi-totalité des cyberconflits de mémoire récente (Healey et Tothova, 2014). La résilience des réseaux et du marché répond aux intérêts fondamentaux tant des gouvernements que du secteur privé, et il existe des moyens plus efficaces que ceux utilisés actuellement pour renforcer la collaboration en la matière.

63. Solidarité économique – L’importance accordée aux stratégies économiques et financières de la Russie dans son offensive contre l’Ukraine met également en lumière la composante économique de la guerre hybride. Certains affirment que Moscou prend appui sur ses entreprises publiques pour restreindre les options politiques de Kyiv et de l’OTAN, et pour s’attirer le soutien des populations de Crimée, en encourageant le développement, les investissements et l’amélioration du niveau de vie. Ces entreprises publiques sont également bien implantées à l’étranger, en particulier dans le voisinage immédiat de la Russie, ce qui suscite l’inquiétude dans certains milieux. Si acquérir une position dominante et forger des dépendances économiques ne se fait pas en un jour, la situation que l’on connaît a été rendue possible par l’absence effective d’acteurs autorisés conscients de ces menaces économiques et à même de coordonner les efforts destinés à les combattre. Mais même si les moyens de lutte économique dont dispose l’OTAN sont limités, les différents pays membres et organisations partenaires, comme l’UE, restent en mesure d’appliquer des sanctions et ne se sont d’ailleurs pas privés de pénaliser la Russie pour son rôle dans la crise ukrainienne. Dans ce domaine également, il faudra redoubler d’attention.

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