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raoulmccain
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Sans thorie rvolutionnaire, pas de mouvement rvolutionnaire.
(Lnine, 1902, Que faire ?)
Les dossiers du PCMLM
Le Ralisme Socialiste
Juin 2013
Parti Communiste Marxiste-Lniniste-Maoste de France
Le ralisme socialiste 2
Table des matires1.La conception matrialiste dialectiquedans les lettres et les arts ..............................22.Rejet du proletkult et du constructivisme .................................................................53. Refltez de faon vridique notre ralit, qui est dialectique en elle-mme .........84.1934, le premier congrs des crivains sovitiques....................................................125.Jdanov, la dcadence bourgeoise et les ingnieurs des mes.....................................146.Lnine, la dmocratie et la narodnost.......................................................................187.L'importance des ambulants.....................................................................................208.Le sentiment nouveau et la signification intrieure..................................................249.Andre Jdanov sur la musique...................................................................................2610.Le Parti Communiste franais des annes 1930......................................................4111.Le Congrs international des crivains pour la dfense de la culture Paris en 1935..............................................................................................................................4412.Le Parti Communiste franais des annes 1950......................................................5313.Mao Zedong dfenseur du ralisme socialiste..........................................................6114.Mao Zedong affine la dfinition...............................................................................6315.Les conseils et critres de Mao Zedong...................................................................6516. 7 leons chinoises....................................................................................................6817.Jiang Jing sur la rvolution de l'opra de Pkin.....................................................7018.Une grande rvolution qui touche l'Homme dans ce qu'il a de plus profond..........75
1.La conception matrialiste dialectiquedans les lettres et les arts
Le ralisme socialiste est la conception matrialiste dialectique dans les lettres et les arts. Formule dans les annes 1930 en Union Sovitique, le ralisme socialiste est une srie d'exigences, laquelle les lettres et les arts ne doivent pas se conformer , mais inversement correspondre afin de produire de vritables
uvres d'art. La conception du ralisme socialiste se fonde, en effet, sur le principe de la thorie du reflet, au cur du matrialisme dialectique, qui considre l'univers comme mouvement dialectique de la matire ternelle, en marche vers le communisme.
Dans cette perspective, une d'oeuvre d'art reflte ce mouvement, et par
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consquent le ralisme socialiste soutient le principe de tendance : une uvre d'art s'inscrit dans une tendance, celle du progrs qui invitablement triomphe.Soulignant le changement, il assume galement l'esprit du changement et exige le romantisme rvolutionnaire. Le mouvement de la matire tant objectif, il n'y a pas de place pour le subjectivisme ; le ralisme est la seule forme adquate, correspondant la ralit en prsentant des personnages typiques dans des situations typiques.
De par galement le cadre de la construction du socialisme, qui est national initialement et rejoint la perspective de rpublique socialiste mondial, le ralisme socialiste est national dans sa forme, socialiste dans son contenu.Le ralisme socialiste ne rejette pas l'art du pass, il l'assume, le prolonge et le dpasse. Le matrialisme dialectique rejette catgoriquement les notions d'art proltarien , d'art bourgeois , il revendique l'hritage.
Tendance, ralisme, national dans la forme et socialiste dans son contenu : tels sont les traits gnraux du ralisme socialiste ; pour cette raison, Staline a qualifi les crivains d'ingnieurs des mes.
Le Dictionnaire philosophique abrg de 1951, publi en Union Sovitique, dit ainsi que l'art sovitique prolonge les meilleures traditions ralistes de l'art du pass, en particulier de l'art russe, l'art de Pouchkine et de Tolsto, de Gogol et de Nekrasov, de Repin et de Surikov, de Tchaikovski et de Glinka, etc.Mais le ralisme de l'art sovitique reprsente une tape qualitativement nouvelle dans l'histoire de l'art universelle.
Il dit aussi : L'exigence fondamentale du ralisme socialiste est la
reprsentation vridique, historiquement concrte, de la ralit dans son dveloppement rvolutionnaire.
La vracit et le caractre historiquement concret de la reprsentation artistique de la ralit doivent se coupler avec la tche de transformation idologique et d'ducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme.Le ralisme socialiste n'exclut pas, mais au contraire inclut en lui comme un de ses lments constitutifs le romantisme rvolutionnaire, la facult de percevoir l'tat embryonnaire ce qui appartient l'avenir, car comme l'a montr A. Jdanov au premier congrs de l'Union des crivains sovitiques, toute la vie de notre Parti, toute la vie de la classe ouvrire et sa lutte sont une combinaison du travail pratique le plus lucide et rigoureux et des perspectives hroques et grandioses les plus sublimes. Le camarade Staline a appel les crivains et artistes les ingnieurs des mes , vous duquer les masses laborieuses dans l'esprit du communisme, du dvouement sans rserve au parti communiste, dans l'esprit du patriotisme sovitique et de l'amour pour la grande patrie socialiste.Par leurs uvres, les crivains et artistes sovitiques mnent la lutte contre les survivances du capitalisme dans les consciences et inculquent l'homme sovitique les principes de la morale socialiste. Le Dictionnaire philosophique abrg prcise galement : L'art sovitique est profondment populaire non seulement par son contenu et son orientation idologique, mais aussi par sa forme.Lnine disait que le nouvel art doit tre compris des masses. En 1948, la Rsolution
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du Comit central du PC(b) sur l'opra La grande amiti de V. Muradeli a donn des directives claires en cette matire.On y indique que les fondements de l'orientation raliste dans la musique sovitique sont l'alliage d'un contenu lev et d'une perfection artistique de la forme musicale, la vracit et le caractre raliste de la musique, son lien profondment organique avec la cration musicale du peuple et l'art du chant de ce dernier, une haute matrise professionnelle accompagne d'une simplicit et d'une accessibilit des uvres musicales. La mthode du ralisme socialiste postule la fusion organique de l'lment national et de l'lment international dans l'art. La position labore par le camarade Staline oriente ici l'art sovitique : la culture sovitique est une culture socialiste par son contenu et nationale par sa forme. Voil ce qu'est le ralisme socialiste, conception tire de la thorie du reflet formule par le matrialisme dialectique.
2.Rejet du proletkult et du constructivisme
Le ralisme socialiste ne peut tre compris qu'en ayant un relativement haut niveau de comprhension du matrialisme dialectique. Pour cette raison, la bourgeoisie et les commentateurs bourgeois des arts et des lettres n'ont jamais saisi sa substance.Le plus souvent, le ralisme socialiste est rattach de manire errone au proletkult , la culture proltarienne , une conception non communiste, malgr ses prtentions.
Cette idologie a t puissante dans les annes 1920, porte par le courant anarcho-syndicaliste. Son principal thoricien, Alexandre Bogdanov (1863-1928), avait dj t critiqu par Lnine dans Matrialisme et empirio-criticisme pour sa philosophie idaliste. Cependant, aprs la rvolution de 1917, il a remis en avant sa conception de manire plus dveloppe, appelant une science de l'organisation qu'il appelle tectologie , avec le Parti s'occupant de la
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politique, les syndicats de l'conomie et les artistes d'avant-garde des arts et des lettres.
Le proletkult est alors, dans cette conception, une prtendue avant-garde devant commander les arts, imposer par en-haut une nouvelle organisation, sur les ruines du pass.L'Association des Ecrivains Proltariens de Moscou (MAPP), allie au Front Gauche des Arts (LEF), explique ainsi dans sa revue Au poste, premier numro, du 24 juin 1923, que: Est proltarienne la littrature qui organise le psychisme et la conscience de la classe ouvrire et des classes travailleuses dans le sens des missions finales du proltariat, transformateur du monde et crateur de la socit communiste.
Le constructivisme est une idologie dans la mme logique que le proletkult ; l'organisation est le matre-mot. Alexandre Rodtchenko, dans A bas l'art (1921), expose ainsi la conception du constructivisme, dont il est le chef de file: Il s'agit vritablement de construire de nouvelles structures constructives fonctionnelles, dans la vie et non pas depuis la vie et en dehors de la vie ().A BAS L'ART comme moyen de fuite d'une vie qui n'en vaut pas la peine. La vie consciente et organise, qui peut voir et construire, est l'art moderne. L'tre humain qui a organis sa vie, son travail et lui-mme est un artiste moderne.Travailler pour la vie et non pas pour les palais, pour les glises, pour les cimetires et les muses. Travailler au milieu de tous, pour tous et avec tous. Il n'est rien d'ternel, tout est provisoire. La prise de conscience, l'exprience, le but, les mathmatiques, les techniques, l'industrie et la construction, voil qui est au-dessus de tout.
Vive la technique constructive. Vive l'attitude constructive envers toute chose. Vive le CONSTRUCTIVISME. Cette conception technique et organisationnelle de l'art a t rejete par les communistes. Le Comit Central du Parti Communiste de Russie (bolchvik) a en effet mis une rsolution le 18 juin 1925, intitul Sur la politique du parti dans le domaine des belles-lettres
Dans cette rsolution, le Parti rejette la prtention du proletkult dominer les arts et les lettres. Il y est expliqu : Si le parti juge de faon infaillible le contenu de classe des diffrents courants littraires, il ne saurait, en tant que tel, se lier une tendance dtermine dans le domaine de la forme littraire.En donnant la littrature une direction gnral, le parti ne peut soutenir une fraction littraire (en classant les fractions en fonction de leurs opinions diffrentes sur les questions de la forme et du style), comme il ne peut, par ses rsolutions, fixer les formes familiales, bien qu'il exerce une direction gnrale - et qu'il doive l'exercer- dans la construction de nouvelles formes de vie.Tout nous permet de supposer qu'un style adquat notre poque sera cr, mais qu'il sera cr l'aide d'autres mthodes qui ne sont pas encore labores. l'tape actuelle du dveloppement culturel dans notre pays, toute tentative pour figer le parti dans cette direction doit tre carte.
En consquence, le parti doit se dclarer en faveur d'une mulation libre des diffrents groupes et tendances littraires. Toute autre solution ce problme serait une fausse solution, bureaucratique et administrative.De la mme manire il est inadmissible de
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lgaliser par dcret ou par rsolution du parti le monopole de l'dition au profit d'un groupe ou d'une organisation littraires.Certes le parti soutient matriellement et moralement la littrature proltarienne et paysanne-proltarienne et il aide les compagnons de route et autres, mais il ne peut confrer le monopole aucun de ces groupes, ft-il le plus proltaire dans son contenu idologique ; ce serait ruiner la littrature proltarienne elle-mme. Les communistes russes, ici, soulignaient dj ce qui sera conceptualis par la suite : la question de la tendance. Le Parti ne juge pas l'approche esthtique, mais l'esprit d'une uvre, si elle se situe dans la bonne tendance historique.
Les communistes russes taient tout fait conscients, comme cela est dit dans la rsolution, que : Ainsi, de mme que la lutte de classes ne disparat pas de notre socit, elle ne disparat pas davantage du front de la littrature.Dans une socit de classes il n'y a pas et il ne peut y avoir d'art neutre, bien que la nature de classe de l'art en gnral et de la littrature en particulier s'exprime dans des formes infiniment plus varies que, par exemple, en politique. Les arts forment une catgorie particulire de la superstructure idologique, et l'approche communiste doit tre trs labore, mme si les arts ne sont nullement qualitativement diffrent, l'oppos de ce que pensaient alors ceux cultivant l'indpendance totale de l'art (comme Lon Trotsky).
La rsolution explique ainsi de manire parfaitement claire : Si le proltariat doit prserver, affermir et largir sa domination il doit aussi se porter
sur des positions quivalents dans de nombreux nouveaux secteurs du front idologique.La pntration du matrialisme dialectique dans des domaines entirement nouveaux (biologie, psychologie et sciences naturelles en gnral) a dj commenc. Dans le domaine littraire galement, la conqute de positions doit redevenir, tt ou tard, un fait accompli.Il ne faut pas cependant perdre de vue que, pour le proltariat, cette tche est infiniment plus complexe que d'autres tches qu'il doit affronter.
Mme quand il se trouvait encore dans le cadre de la socit bourgeoise, le proltariat pouvait dj se prparer la rvolution victorieuse, former des cadres combattants et dirigeants, et se forger une arme idologique formidable pour la lutte politique.Mais il n'a pas pu travailler ni sur les questions de sciences naturelles, ni sur les questions techniques ; classe culturellement opprim, il a pu encore moins s'laborer une littrature propre, une forme artistique propre, un style propre.
Si le proltariat possde aujourd'hui des critres infaillibles en ce qui concerne le contenu social et politique de n'importe uvre littraire, il n'a pas encore de rponses dfinitives toutes les questions relatives la forme artistique. Ce qui a t pos ici, c'est l'laboration de ce qui va tre un peu moins de 10 ans plus tard le ralisme socialiste.Enfin, la rsolution notait comment le processus se droulerait : Il faut, toutefois, tenir compte du fait que la direction dans le domaine littraire revient la classe ouvrire dans son ensemble, avec toutes ses ressources
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matrielles et idologiques. L'hgmonie des crivains proltariens n'existe pas encore, et le parti doit les aider gagner le droit historique cette hgmonie. Les crivains paysans doivent rencontrer un accueil amical et bnficier de notre soutien inconditionnel.
Dans ce cadre, le parti doit combattre par tous les moyens une attitude insouciante et mprisante l'gard de l'hritage de la vieille culture comme
l'gard des spcialistes de l'expression littraire. Mais il faut galement critiquer l'attitude qui sous-estime l'importance de la lutte pour l'hgmonie idologique des crivains proltariens. C'est la perspective de la mise en place d'une littrature et d'arts pratiqus par les communistes, en assumant l'hritage et d'un haut niveau technique, sans pour autant tomber dans un avant-gardisme dcal, subjectiviste, voire nihiliste.
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3. Refltez de faon vridique notre ralit, qui est dialectique en elle-mme
Aprs la priode des annes 1920 qui fut marque par le dveloppement des tendances cubo-futuristes relativement organises (constructivisme, suprmatisme, etc.) et la question des compagnons de route de la rvolution socialiste de 1917, le Parti Communiste de Russie (bolchvik) dcida que le moment tait venu de raliser un saut qualitatif.La figure clef dans ce processus est l'crivain Maxime Gorki, qui est le principal contributeur l'mergence du concept de ralisme socialiste, notamment par un article comme Comment j'ai appris crire , publi le 30 septembre 1928 la fois dans la Pravda et les Izvestia.
Gorki y expose la ncessit d'assumer l'hritage, et de dpasser le clivage entre le ralisme et le romantisme ; il formule ainsi le chemin pour une littrature vivante, partisane, collant la ralit. En ce sens, Gorki reprend directement la conception formule par Lnine dans Tolsto, miroir de la rvolution russe.
On y trouvait exprim toute la conception lniniste de la thorie comme reflet de la ralit, avec une valuation matrialiste dialectique des diffrents aspects.Lnine, ds le dbut de Tolsto, miroir de la rvolution russe, expliquait justement la complexit du reflet :Il peut sembler, premire vue, trange et artificiel d'accoler le nom du grand artiste la rvolution qu'il n'a manifestement pas comprise et dont il s'est manifestement dtourn. On ne peut tout de mme pas nommer miroir d'un phnomne ce qui, de
toute vidence, ne le reflte pas de faon exacte.Mais notre rvolution est un phnomne extrmement complexe ; dans la masse de ses ralisateurs et de ses participants immdiats, il existe beaucoup d'lments sociaux qui, eux aussi, ne comprenaient manifestement pas ce qui se passait et qui, de mme, se dtournaient des tches historiques vritables qui leur taient assignes par le cours des vnements.Et si nous sommes en prsence d'un artiste rellement grand, il a d reflter dans ses oeuvres quelques-uns au moins des cts essentiels de la rvolution.
Ce faisant, Lnine procdait une prsentation du double caractre de Tolsto, dans un modle d'valuation matrialiste dialectique :Les contradictions dans les oeuvres, les opinions et la doctrine de l'cole de Tolsto sont, en effet, criantes. D'une part, un artiste gnial qui, non seulement, a peint des tableaux incomparables de la vie russe, mais qui a donn la littrature mondiale des oeuvres de premier ordre. D'autre part, un propritaire foncier faisant l'innocent du village.D'une part, une protestation d'une nergie remarquable, directe et sincre contre l'hypocrisie et la fausset sociales ; de l'autre, un tolstoen , c'est--dire cet tre dbile, us, hystrique, dnomm l'intellectuel russe, qui, se frappant publiquement la poitrine, dit : Je suis un mchant, je suis un vilain, mais je m'occupe d'autoperfectionnement moral ; je ne mange plus de viande et je me nourris maintenant
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de boulettes de riz.D'une part, la critique impitoyable
de l'exploitation capitaliste, la dnonciation des violences exerces par le gouvernement, de la comdie de la justice et de l'administration de ltat, la rvlation de toute la profondeur des contradictions entre l'accroissement des richesses, les conqutes de la civilisation, et l'accroissement de la misre, de la sauvagerie et des souffrances des masses ouvrires ; d'autre part, l'innocent qui prche la non-rsistance au mal par la violence. D'une part, le ralisme le plus lucide, l'arrachement de tous les masques quels qu'ils soient ; d'autre part, la prdication d'une des choses les plus ignobles qui puissent exister au monde, savoir : la religion, la tendance substituer aux popes fonctionnaires d'Etat des popes par conviction, c'est--dire une propagande en faveur du rgne des popes sous sa forme la plus raffine et, par suite, la plus abjecte.
Cependant, l'uvre de Tolsto est un refet, et il faut le considrer tel quel :les contradictions dans les vues et les enseignements de Tolsto ne sont pas l'effet du hasard, elles sont l'expression des conditions contradictoires dans lesquelles se droulait la vie russe durant le dernier tiers du XIXe sicle.La campagne patriarcale qui venait seulement de se librer du servage avait t livre au Capital et au fisc pour tre littralement mise sac. Les vieux fondements de l'conomie paysanne et de la vie paysanne, qui s'taient maintenus au cours des sicles, furent dmolis avec une rapidit incroyable.Aussi faut-il juger les contradictions dans les opinions de Tolsto, non du point de vue du mouvement ouvrier contemporain et du
socialisme contemporain (un tel jugement est, certes, ncessaire, pourtant il ne suffit pas), mais du point de vue de la protestation contre le capitalisme en marche, contre la ruine des masses dpouilles de leurs terres, protestation qui devait venir de la campagne patriarcale russe.
Il ne faut donc pas comprendre l'artiste tel que lui s'est compris ; vue de l'extrieur, la question risque d'amener des erreurs d'interprtation :Tolsto prte rire en tant que prophte qui aurait dcouvert de nouvelles recettes pour le salut de l'humanit, - et c'est pourquoi ils sont vraiment pitoyables, les tolstoens , trangers et russes, qui ont voulu transformer en dogme le ct justement le plus faible de sa doctrine. Tolsto est grand comme interprte des ides et des tats d'me qui se sont forms chez les millions de paysans russes, l'avnement de la rvolution bourgeoise en Russie.
Ce qu'il faut, c'est voir la porte historique de ce que reprsente l'uvre, sa signification dans la correspondance avec la matire en mouvement : Le dsir de balayer d'une faon radicale et lglise officielle et les grands propritaires fonciers et le gouvernement de ces propritaires fonciers, d'anantir toutes les anciennes formes et coutumes de proprit foncire, de nettoyer la terre, de crer la place de ltat policier de classe une communaut de petits paysans libres et gaux en droits, - ce dsir traverse comme un fil rouge toute l'action historique des paysans dans notre rvolution, et il n'est pas douteux que le contenu idologique des crits de Tolsto correspond beaucoup plus ce dsir paysan qu' l' anarchisme chrtien abstrait, comme on dfinit parfois le
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systme de ses ides.La grandeur d'une uvre peut donc tenir la reprsentation de la faiblesse d'une poque, selon le principe du typique :Les ides de Tolsto sont le miroir de la faiblesse, des insuffisances de notre insurrection paysanne, le reflet de l'apathie de la campagne patriarcale et de la lchet foncire du moujik ais .
Le soldat tait rempli de sympathie pour la cause paysanne ; ses yeux s'allumaient au seul mot de terre. Plus d'une fois, le pouvoir passa, dans l'arme, aux mains de la masse des soldats - mais il n'y eut presque pas d'utilisation rsolue de ce pouvoir ; les soldats hsitaient ; au bout de quelques jours, quelquefois au bout de quelques heures, aprs avoir tu quelque chef ha, ils rendaient la libert aux autres, entraient en pourparlers avec les autorits et se laissaient ensuite fusiller, fouetter, se mettaient de nouveau sous le joug - tout fait dans l'esprit de Lon Nicolavitch Tolsto !En dfinitive, Lnine suit donc l'enseignement de Friedrich Engels, qui considrait Balzac comme :l'un des plus grands matres du ralisme, bien plus grand que tous les Zola passs, prsents et venir (). Son uvre capitale est une constante lgie sur l'irrmdiable dclin de la bonne socit ; ses sympathies se tournent entirement vers la classe condamne s'teindre. Mais malgr tout, sa sature n'est jamais aussi tranchante, son ironie jamais plus amre qu'au moment o il met en mouvement les seuls hommes et femmes
avec qui il sympathise le plus profondment les nobles ().Que Balzac ait donc t contraint d'aller l'encontre de ses propres sympathies sociales et de ses prjugs politiques, qu'il ait vu la ncessit de la chute de ses nobles favoris, et qu'il les ait dcrits comme des personnes ne mritant pas un sort meilleur, et qu'il ait vu les vritables hommes de l'avenir, au seul endroit o, en attendant, on pouvait les trouver c'est ce que je considre comme tant l'un des plus grands triomphes du ralisme, et l'une des plus grandes caractristiques du vieux Balzac.
Ce paradoxe conforme la thorie du reflet permet de comprendre les arts et les lettres comme reflet le plus fidle de la ralit.Dans la Literaturnaja Gazeta du 23 mai 1932, Ivan Gronski qui tait le directeur des Izvestia explique :Le problme de la mthode ne doit pas tre pos de faon abstraite, l'crivain n'aura pas suivre des cours de matrialisme dialectique avant de pouvoir crire.Le principe de base inculquer chaque crivain est le suivant: crivez la vrit, refltez de faon vridique notre ralit, qui est dialectique en elle-mme. La mthode fondamentale de la littrature sovitique est donc celle du ralisme socialiste.La ralit est dialectique en elle-mme , il n'y a pas besoin de forcer le trait ou d'imposer un mouvement la ralit, et ce d'autant plus dans une socit construisant le socialisme. La base du ralisme socialiste tait pose.
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4.1934, le premier congrs des crivains sovitiques
En 1932, le Parti Communiste de Russie (bolchvik) dcide d'unifier les crivains dans une seule grande association. Ce choix est officialis par la rsolution du Comit Central du 23 avril 1932 : Sur la restructuration des organisations littraires et artistiques .La mise en place des dcisions de la ralisation aboutit au premier congrs des crivains sovitiques, Moscou en 1934, ouvert le 17 aot 1934, pour se drouler du 19 aot au 1er septembre.
Ce congrs des crivains en 1934 est donc la grande ralisation du mouvement lanc par les communistes sovitiques la suite de la rvolution de 1917 dans le domaine des arts et des lettres. Il s'est tenu
de manire trs organise, en tant largement annonc dans la presse, une grande valeur lui tant accorde, avec une trs grande reconnaissance idologique et culturelle.Parmi les crivains sovitiques, on trouvait notamment Feodor Gladkov, Samuil Marshak, Demyan Bedny, Leonid Leonov, Konstantin Fedin, Vsevolod Ivanov, Mikhail Sholokhov, Fyodor Panfyorov, Alexander Serafimovich, Aleksei Tolstoy, Aleksandr Fadeev, Mikhail Zoshchenko, Boris Pilnyak, Mikhail Prishvin, Ilya Ehrenbourg.Parmi les auteurs venus hors d'URSS, on trouvait entre autres Johannes Becher, Louis Aragon, Andr Malraux, Ernst Toller, Vitezlav Nezval, Theodor Plivier, Willi
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Bredel.En pratique, 53% des personnes participant taient membres du Parti. 26 sessions furent tenues, avec 212 discours et prsentations. Il y eut 41 messages de salutations, venant d'usines, de kolkhozes, d'coles et d'universits, de l'arme rouge, d'organisations artistiques ainsi que d'organes du Parti.
Le congrs lui-mme a envoy des messages de salutations: Staline, Vorochilov (commissaire politique pour la dfense), au comit central du Parti, au conseil des commissaires du peuple, au conseil des ministres, aux crivains rvolutionnaires de Japon et de Chine, ainsi qu' l'crivain franais Romain Rolland. Une lettre fut envoye aux travailleurs des usines papier d'Union Sovitique.Diffrents discours ont encadr la congrs ; c'est ainsi Gorki qui a tenu le discours d'ouverture et celui de clture, lanant un magnifique : Nous nous prsentons comme les juges d'un monde vou la mort et comme des hommes qui proclament l'humanisme authentique, l'humanisme du proltariat rvolutionnaire. Il tint galement, ds le premier jour, un expos sur la littrature sovitique et il prit de nouveau la parole aussi lors de la 9e session. Il fut, de fait, la grande figure du congrs.Jdanov, secrtaire du comit central, intervint quant lui le premier jour ; Radek prit la parole lors de la 12me session au sujet de La littrature mondiale moderne et les tches de l'art proltarien , et Boukharine prit la parole lors de la 19e session au sujet du thme Posie, potique et les tches de l'activit potique en URSS .
Radek et Boukharine reprirent la parole, respectivement lors des 15e et 22e sessions, en rponses aux remarques suites leurs interventions. Alexei Steckij, responsable de la section du comit central pour la culture et la propagande, prit la parole lors de la 23e session.La clture du congrs alla de pair avec l'tablissement des statuts. Ceux-ci se fondent directement sur la rsolution du Parti d'avril 1932, soulignant l'appropriation critique de l'hritage littraire du pass . Le ralisme socialiste est prsent comme la mthode fondamentale de la littrature artistique sovitique et de la critique littraire .Ce qui est exig, c'est la mise en forme historique-concrte, conforme la vrit, de la ralit et de son dveloppement rvolutionnaire.
Cependant, les communistes ne forment qu'une fraction de l'Union des crivains. Du moment qu'un crivain respecte la lgalit socialiste, il peut rejoindre l'Union.Ces statuts furent largement mis en avant dans la presse sovitique; le quotidien Izvestia traita chaque jour du congrs, la Pravda le traita rgulirement, la Literaturnaja gazeta fut publie quotidiennement pendant le congrs.L'ide mise en avant tait que la littrature devait avancer, se mettre en adquation avec les progrs qu'avaient connus la socit. Selon le mot de Staline, les artistes taient les ingnieurs des mes .
Tant Staline que Gorki soulignaient l'importance de donner naissance au ralisme socialiste; ils mirent en avant la dmarche, l'esprit, le contenu, soit l'accompagnement de la construction du socialisme. Il n'y avait pas d'explication
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quant la forme, il n'y avait pas d'obligation.Le socialisme ne commande pas la littrature, il orchestre le mouvement, il indique le chemin, et il doit convaincre. C'est le principe de la littrature de tendance . C'est Jdanov qui thorise le principe, dont les grandes lignes ont t tablies par Lnine.Jdanov parla de romantisme rvolutionnaire , de romantisme de nouveau type , composante incontournable du ralisme socialiste.Dans ce cadre, la Pravda numro 229 du 20 aot 1934 publia un discours de Jdanov, deux jours aprs la tenue de celui de Gorki, lui aussi publi. Les deux discours commenaient la page deux, furent publis en entier malgr leur longueur et
accompagns d'une grande photographie.Le mme numro de la Pravda
publia galement en entier une lettre de salutation, depuis Nice, de Heinrich Mann, le grand auteur communiste allemand dsormais rfugi, ainsi que des messages des crivains allemands Oskar Maria Graf (prsent au congrs) et Lion Feuchtwanger.La Pravda publia ainsi de manire rgulire, et en y accordant une grande place, les activits du congrs.Le 26 aot, la rsolution appela la lutte les crivains du monde entier, contre l'oppression capitaliste, la barbarie fasciste, contre l'esclavagisme colonialiste, contre la prparation d'une nouvelle guerre imprialiste et pour la dfense de l'union sovitique.
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5.Jdanov, la dcadence bourgeoise et les ingnieurs des mes
Le discours de Jdanov a eu lieu le 17 aot 1934 ; en voici l'extrait principal, o il prsente la situation de la littrature mondiale et la question des ingnieurs des mes . Que peut crire l'crivain bourgeois, quoi bourgeois peut-il rver, quel enthousiasme peut entraner ses penses et o le prendrait-il, cet enthousiasme, lorsque l'ouvrier dans les pays capitalistes n'a pas la certitude du lendemain, qu'il ne sait pas s'il travaillera demain, que le paysan ne sait pas s'il travaillera demain sur son lopin de terre ou s'il en sera chass par la crise capitaliste, que le travailleur intellectuel est aujourd'hui sans travail et ne sait s'il en aura demain ?
Que peut crire l'crivain bourgeois, de quel enthousiasme peut-il tre question pour lui, lorsque le monde, du jour au lendemain, peut tre nouveau prcipit dans le gouffre d'une nouvelle guerre imprialiste ?La situation prsente de la littrature bourgeoise est telle qu'elle ne peut dj plus crer de grandes uvres. Le dclin et la corruption de la littrature bourgeoise, qui dcoulent du dclin et de la corruption du rgime capitaliste, se prsentent comme le trait caractristique, comme la particularit caractristique de l'tat de la culture bourgeoise et de la littrature bourgeoise dans le temps prsent.
Les temps sont rvolus sans retour o la littrature bourgeoise, refltant les victoires de la socit bourgeoise sur la fodalit, pouvait crer les grandes uvres de la priode d'essor du capitalisme. Il se produit maintenant une dgnrescence gnrale de ses thmes et de ses talents, de
ses auteurs et de ses hros.Possd par une peur mortelle de la rvolution proltarienne, le fascisme s'attaque la culture, il fait retourner l'humanit aux priodes les plus barbares et les plus sinistres de l'histoire, il brle sur les bchers, il anantit sauvagement les productions des plus grands esprits.
Le dchanement du mysticisme et du clricalisme, l'engouement pour la pornographie sont caractristiques du dclin et de la corruption de la culture bourgeoise.Les clbrits de la littrature bourgeoise, de cette littrature bourgeoise qui a vendu sa plume au capital, sont aujourd'hui les voleurs, les mouchards, les prostitus, les voyous.Tout cela est caractristique de cette partie de la littrature bourgeoise qui s'efforce de cacher la corruption de la socit bourgeoise, qui essaye vainement de dmontrer qu'il ne s'est rien pass, que tout va pour le mieux dans le royaume de Danemark et que rien n'est en train de pourrir dans la socit capitaliste.Les reprsentants de la littrature bourgeoise qui ressentent le plus vivement cet tat de choses sont envahis par le pessimisme, l'incertitude du lendemain, le got des tnbres ; ils prconisent le pessimisme comme thorie et pratique de l'art. Et seul un petit nombre d'crivains, les plus honntes et les plus clairvoyants, essayent de trouver une issue sur d'autres chemins, dans d'autres directions, et de lier leur sort celui du proltariat et de sa lutte rvolutionnaire.
Le proltariat des pays capitalistes forme dj l'arme de ses crivains, de ses
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artistes, de ces crivains rvolutionnaires dont nous sommes aujourd'hui heureux de saluer les reprsentants au premier congrs des crivains sovitiques.La phalange des crivains rvolutionnaires dans les pays capitalistes n'est pas encore bien grande, mais elle s'tend et s'tendra de jour en jour, mesure que s'accentue la lutte de classe et que croissent les forces de la rvolution proltarienne mondiale.Nous croyons fermement que la dizaine de camarades trangers qui sont ici prsents constitue le noyau et le germe de la puissante arme des crivains proltariens que crera la rvolution proltarienne mondiale au del de nos frontires.
Ainsi vont les choses dans les pays capitalistes. Il n'en est pas de mme chez nous. Notre crivain sovitique puise les matriaux de sa production artistique, ses sujets, ses images, sa langue et son style dans la vie et l'exprience des hommes du Dniprostro et de Magnitogorsk.Notre crivain puise ses matriaux dans l'pope hroque du Tchliouskine, dans l'exprience de nos kolkhozes, dans l'activit cratrice qui sourd en chaque endroit de notre pays.Dans notre pays, les principaux hros des uvres littraires, ce sont les btisseurs actifs de la vie nouvelle : ouvriers et ouvrires, kolkhoziens et kolkhoziennes, membres du Parti, administrateurs, ingnieurs, jeunes communistes, pionniers.
Les voil, les types fondamentaux et les hros essentiels de notre littrature sovitique.L'enthousiasme et la passion de l'hrosme imprgnent notre littrature. Elle est optimiste, mais pas du tout par une sorte d'instinct zoologique foncier. Elle est optimiste dans son essence, parce qu'elle est
la littrature de la classe ascendante, du proltariat, la seule classe progressive, d'avant-garde. La force de notre littrature sovitique, c'est qu'elle sert la cause nouvelle, la cause de la construction du socialisme.
Le camarade Staline a appel nos crivains les ingnieurs des mes . Qu'est-ce que cela signifie ? Quelles obligations vous impose ce titre ?Cela veut dire, tout d'abord, connatre la vie socialiste afin de pouvoir la reprsenter vridiquement dans les uvres d'art, la reprsenter non point de faon scolastique, morte, non pas simplement comme la ralit objective, mais reprsenter la ralit dans son dveloppement rvolutionnaire.Et l, la vrit et le caractre historique concret de la reprsentation artistique doivent s'unir la tche de transformation idologique et d'ducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme. Cette mthode de la littrature et de la critique littraire, c'est ce que nous appelons la mthode du ralisme socialiste.Notre littrature sovitique ne craint pas d'tre accuse d'tre tendancieuse. Oui, la littrature sovitique est tendancieuse, car il n'y a pas et il ne peut y avoir, l'poque de la lutte des classes, de littrature qui ne soit une littrature de classe, qui ne soit tendancieuse, qui soit apolitique.
Et je pense que chaque crivain sovitique peut dire n'importe quel bourgeois obtus, n'importe quel philistin, n'importe quel crivain bourgeois, qui lui parlerait du caractre tendancieux de notre littrature : Oui, notre littrature sovitique est tendancieuse, et nous en sommes fiers, parce que notre tendance, c'est que nous voulons librer les travailleurs et tous les hommes du joug de l'esclavage
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capitaliste .tre ingnieur des mes, cela veut dire avoir les deux pieds sur le sol de la vie relle.Et cela signifie son tour rompre avec le romantisme la vieille manire, avec le romantisme qui reprsentait une vie inexistante et des hros inexistants, qui faisait s'vader le lecteur des contradictions et du joug de la vie dans un monde chimrique, dans un monde d'utopie.
A notre littrature, qui a les deux pieds poss sur de solides fondations matrialistes, le romantisme ne peut tre tranger, mais c'est un romantisme de type nouveau, le romantisme rvolutionnaire.Nous disons que le ralisme socialiste est la mthode fondamentale de la littrature et de la critique littraire sovitiques, mais cela suppose que le romantisme rvolutionnaire doit entrer dans la cration littraire comme une de ses parties constituantes, car toute la vie de notre Parti, toute la vie de la classe ouvrire et son combat reviennent unir le travail pratique le plus svre, le plus raisonn un hrosme et des perspectives grandioses.Notre Parti a toujours t fort parce qu'il unissait et unit l'esprit pratique le plus rigoureux avec les perspectives les plus vastes, avec la marche continue vers l'avenir, avec la lutte pour la construction de la socit communiste.La littrature sovitique doit savoir reprsenter nos hros, elle doit savoir regarder vers nos lendemains. Et ce n'est pas l faire preuve d'utopie, car nos lendemains se prparent aujourd'hui dj par un travail conscient et mthodique. On ne peut tre un ingnieur des mes si on ne connat pas la technique de l'art littraire, et l il est ncessaire de noter que la technique de l'crivain possde une srie de
particularits qui lui sont spcifiques.Vos armes sont nombreuses. La
littrature sovitique a toutes les possibilits d'utiliser ces armes de toutes sortes, genres, styles, formes et procds de la cration littraire) dans leur diversit et leur intgralit, en choisissant le meilleur de ce qui a t cr dans ce domaine par toutes les poques prcdentes.De ce point de vue, la matrise de la technique, l'assimilation critique de l'hritage littraire de toutes les poques constituent la tche sans l'accomplissement de laquelle vous ne pourrez devenir des ingnieurs des mes.Camarades, de mme que dans d'autres domaines de la culture matrielle et spirituelle, le proltariat est l'unique hritier de tout ce qu'il y a de meilleur dans le trsor de la littrature mondiale. La bourgeoisie a dilapid l'hritage littraire, notre devoir ,est de le rassembler, de l'tudier et, l'ayant assimil de manire critique, de nous porter en avant.
tre ingnieur des mes, cela veut dire lutter activement pour une langue riche, pour des uvres de qualit. Notre littrature ne rpond pas encore aux besoins de notre poque. Ses faiblesses refltent le retard de la conscience sur l'conomie, dont, il va sans dire, nos crivains ne sont pas indpendants.C'est pourquoi un travail inlassable sur eux-mmes et sur leur quipement idologique
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dans l'esprit du socialisme est la condition indispensable sans laquelle les crivains sovitiques ne pourront rduquer la conscience de leurs lecteurs et se faire ainsi les ingnieurs des mes.Nous avons besoin d'une parfaite matrise de l'art littraire et, sous ce rapport, l'aide qu'Alexis Maximovitch Gorki apporte au Parti et au proltariat dans leur lutte pour une littrature de qualit et pour une langue riche, est inestimable.
Ainsi, les crivains sovitiques voient toutes les conditions runies pour qu'il leur soit possible de faire des uvres qui soient, comme on dit, l'unisson de l'poque, des uvres o les contemporains puisent des
leons et qui soient l'orgueil des gnrations venir.Toutes les conditions sont cres pour que la littrature sovitique puisse donner des uvres qui rpondent aux besoins accrus des masses sur le plan de la culture. Notre littrature, et elle seule, a la possibilit de se lier aussi troitement ses lecteurs, la vie des travailleurs, que c'est le cas dans l'Union des Rpubliques socialistes sovitiques.Le prsent congrs est particulirement significatif cet gard. Il a t prpar, non seulement par les crivains, mais par tout le pays avec eux.
6.Lnine, la dmocratie et la narodnost
Notre Parti s'est toujours intress aux questions de l'art, dans la mesure o les circonstances le lui ont permis. Et il doit s'y intresser, car l'art c'est la quintessence de la culture. (Gorki, Le Contemporain, 1912)On ne peut pas saisir la formation du ralisme socialiste si l'on ne voit pas l'arrire-plan propre la Russie. Lnine tait un grand spcialiste de la situation culturelle russe de la fin du 19me sicle, priode d'un grand lan dmocratique ; ses uvres sont parsemes de rfrences littraires.Dans une statistique de 1934, alors que 29 volumes des uvres compltes de Lnine taient disponibles (et donc pas tous), on trouve les auteurs cits le nombre de fois suivants :Chtchdrine : 320 fois
Gogol : 99 foisKrylov : 60 foisTourguniev : 46 foisNekrassov : 26 foisPouchkine : 19 foisTchekhov : 18 foisOstrovsky : 17 foisGleb Ouspensky : 16 foisGontcharov : 11 foisPeintres, crivains, intellectuels de la Russie alors fodale taient intimement lis, pour les meilleurs d'entre eux, la bataille dmocratique.
Maxime Gorki constate que : Prendre un hros de la littrature, un type littraire du pass et le montrer dans la vie de tous les jours, c'est le procd favori de Chchdrine. Depuis 1870, ses hros sont les descendants de Khlestakov, Motchaline, Mitrophane, Prostakov, qui avaient conquis
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toute la socit avec une force particulire aprs 1881. (Histoire de la littrature russe)Lnine a accord une grande attention la littrature, car pour lui elle allait de pair avec l're des masses, avec la dmocratie. A ses yeux, bien avant 1917 donc, nous avons dj atteint l'ge de la rvolution. Les temps de la seule pression littraire sont dj rvolus ; la pense et la raison de millions de gens abtis s'veillent ; elles s'veillent non seulement pour lire des livres, mais pour l'action, pour l'action vivante des hommes, pour la cration historique.
Dans les annes 1960, le rvisionnisme trafiquera prcisment ces affirmations de Lnine pour nier la ncessit de la rvolution et prtendre que Lnine voulait avant tout la dmocratie. En ralit, lorsque Lnine parlait de dmocratie, il en parlait toujours de manire trs prcise, dans le contexte russe.C'est pour cela que Lnine a demand l'esprit de Parti chez les littraires. Dans son article intitul L'organisation du parti et la littrature de parti et publi en 1905, il explique : En quoi consiste donc ce principe ? Non seulement aux yeux du proltariat socialiste, la littrature ne doit pas constituer une source d'enrichissement pour des personnes ou des groupements ; mais d'une faon plus gnrale encore elle ne saurait tre une affaire individuelle, indpendante de la cause gnrale du proltariat.A bas les littrateurs sans-parti ! A bas les surhommes de la littrature ! La littrature doit devenir un lment de la cause gnrale du proltariat, une roue et petite vis dans le grand mcanisme social-dmocrate, un et indivisible, mis en mouvement par toute l'avant-garde consciente de la classe
ouvrire.La littrature doit devenir partie intgrante du travail organis, mthodique et unifi du Parti social-dmocrate.
Est en fait dj tabli ce qui va tre au cur du ralisme socialiste ; mme si Lnine ne parle ici que de la littrature lie au Parti, cela sonnera d'autant plus valable dans une socit socialiste.
L'approche du ralisme socialiste, on l'a ainsi dj clairement : Il est indiscutable que la littrature se prte moins que toute chose une galisation mcanique, un nivellement, une domination de la majorit sur la minorit. Dans ce domaine, certes, il faut absolument assurer une plus large place l'initiative personnelle, aux penchants individuels, la pense et l'imagination, la forme et au contenu.Tout cela est incontestable, mais tout cela prouve seulement que le secteur littraire du travail d'un parti proltarien ne peut pas tre mcaniquement identifi aux autres secteurs de son travail.Tout cela ne contredit nullement ce principe, tranger et bizarre pour la bourgeoisie et la dmocratie bourgeoise, selon lequel la littrature doit ncessairement et obligatoirement devenir un lment du travail du Parti social-dmocrate, indissolublement li ses autres lments. Les journaux doivent devenir les organes des diffrentes organisations du Parti. Les crivains doivent absolument rejoindre les organisations du Parti.Les maisons d'dition et les dpts, les magasins et les salles de lecture, les bibliothques et les diverses librairies doivent devenir des entreprises du Parti soumises son contrle.Le proltariat socialiste organis doit
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surveiller toute cette activit, la contrler fond, y introduire partout, sans exception, le vivant esprit de la cause vivante du proltariat, mettant fin ainsi ce vieux principe russe, semi-oblomovien, semi-mercantile : l'crivain crit quand a lui chante, et le lecteur dit s'il lui chante.
Le ralisme socialiste exprime donc l'expression dmocratique des masses, par et dans le socialisme. En l'occurrence, le ralisme socialiste profite de l'hritage dmocratique qui est ne en Russie.
Voil pourquoi le peintre et thoricien de l'art Konstantin Juon explique que C'est sur son sol natal que l'art peut dvelopper ses formes et ses traits nationaux authentiques, en liaison avec le nouveau contenu socialiste.Le coloris spcifique de la vie et de la nature, les types humains, la richesse architecturale, ornementale, celle de l'habillement, le caractre unique du style, des formes et des couleurs propres aux diffrents lieux sont susceptibles de crer de
nouvelles valeurs artistiques qui constitueront un apport original l'art mondial.
C'est la reconnaissance de la dignit du rel, et ainsi Juon parle galement de la subordination du principe intuitif la pense consciente, laquelle n'entre pas en contradiction avec l'intuition, mais ne fait au contraire que la prciser. Juon mentionne galement l'apprhension synthtique ou universelle, selon le terme de Lonard de Vinci, des phnomnes.
Cette unit fait que le trait distinctif du ralisme socialiste est la liquidation des contradictions entre l'artiste et le spectateur, entre le talent et la conception du monde , avec le ralisme compris non seulement comme la reprsentation vridique du monde visible, mais aussi comme l'expression de la pense critique et des sentiments de l'homme par rapport aux phnomnes de la vie. Et pour arriver cette plonge dans la ralit, les communistes profitent de la grande exprience des ambulants.
7.L'importance des ambulants
Les Peredvizhniki les ambulants forment un mouvement de peinture russe qui a jou un rle capital pour l'avnement du ralisme socialiste. Les ambulants, des annes 1860 1890, montraient leurs tableaux aux masses
lors d'expositions itinrantes, avec une peinture oriente vers une reprsentation de la vie quotidienne du peuple (la narodnost' en russe).
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Voici deux tableaux de Nikolay Alexeyevich Kasatkin (1859-1930) : La collecte du charbon, tout d'abord.
Voici Dans une famille ouvrire.
Ils taient profondment marqus par la littrature russe dmocratique, avec notamment Vissarion Belinsky (1811-1848) et Nikolay Chernyshevsky (1828-1889) le titre Que faire ? de l'ouvrage clbre de Lnine est directement repris de l'ouvrage ponyme de Chernyshevsky, o l'on peut lire :
Or, j'ai voulu reprsenter de simples
honntes gens de la gnration nouvelle, des gens comme j'en rencontre par centaines.
J'en ai pris trois : Vera Pavlovna, Lopoukhov et Kirsanov. Moi-mme, je les tiens pour des gens ordinaires eux-mmes aussi, et tous leurs amis, c'est--dire des gens comme eux.
Ai-je jamais parl d'eux en d'autres
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termes ? Ai-je cont autre chose leur sujet ? Je les ai dpeints avec affection et estime.
Mais leur ai-je jamais vou de la vnration ? Ai-je rien hasard qui puisse le moins du monde faire croire que ce sont des tres prodigieux et sublimes, que je n'imagine rien au-dessus d'eux, qu'ils sont pour moi un pur idal ?
Je les fais agir en simples honntes gens de la gnration nouvelle, pas d'avantage. Que font-ils qui sortent de l'ordinaire ?
Ils ne commettent pas de bassessses, ne sont pas des lches, ont des ides simplement honntes, tchent de s'y conformer dans leurs actes, sans plus ; que voil de l'hrosme la vrit !
Voici la visite des pauvres, par Vladimir Yegorovich Makovsky (1846-1920):
Parmi ces peintres, Ilya Repine (1844-1930) sera mis en avant en URSS comme la plus grande figure, celui qui a pav la voie au ralisme socialiste.
Voici des oeuvres de Repine:
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L'historien sovitique Aleksei Aleksandrovich Fedorov-Davydov dit de Rpine qu'il reprsente :
le sommet du ralisme, du dmocratisme et de la narodnost' possibles dans l'art d'une socit de classe.
La peinture de Surikov reflte la plus grande conqute de la culture du XIXe sicle avant le marxisme : l'historicit de la pense.
Levitan dans le paysage et Serov dans le
portrait ont puis les possibilits des genres en question. Seule la peinture du ralisme socialiste peut aller plus loin et plus haut qu'eux.
es ambulants sont d'une valeur extrmement grande pour la culture mondiale ; elle montre le formidable niveau de la peinture russe dans la seconde partie du 19me sicle. Il est significatif que la bourgeoisie n'ait jamais russi reconnatre la formidable valeur des ambulants,
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clbrant la seconde moiti du 19me sicle uniquement du point de vue dcadent.
Voici des tableaux de Vassily Maximovich Maximov (18441911):
Lors de son discours au congrs des crivains sovitiques en 1934, Maxime Gorki notait que le peuple avait produit nombre d'histoires, non crites, au sujet de grandes figures, cratives et intuitives, prtextes la rnovation de la vie.
Gorki cite des hros comme Hercule, Promthe, Mikula Selyaninovich,
Svyatogor, des figures comme Faust, Vasilisa, Ivan le simple, Petrouchka, etc., qui rentrent dans des histoires trs vivantes, artistiquement acheves.
Il y oppose le roman picaresque, comme Lazarillo de Tormes ou Simplicissimus, les histoires clbrant les criminels et les bandits, comme Bel Ami de Maupassant ou
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Arsne Lupin. La bourgeoisie ne sait mettre en scne que des voleurs, des assassins et des agents de police.
On reconnat bien le principe de montrer le
peuple, de clbrer l'universel, et non pas des choses triviales. On voit alors comment les ambulants reprsentent un formidable apport.
8.Le sentiment nouveau et la signification intrieure
Le ralisme socialiste, de par l'esprit de la narodnost, est orient vers la vie telle qu'elle est vcue. Elle tmoigne donc de la vie quotidienne, des caractres des tres humains vivant dans une socit.Et avec la construction du socialisme, les tres humains ont chang ; Jdanov souligna ainsi au congrs des crivains : Nous ne sommes plus les mmes Russes qu'avant 1917, la Russie n'est plus la mme et notre caractre n'est plus le mme. Pour cette raison, le ralisme socialiste conjugue la fois la mise en avant du plus haut niveau civilisationnel avec comme rfrences ouvertes la fois l'Antiquit et la Renaissance et l'expression du sentiment nouveau , de la signification intrieure. Le ralisme socialiste n'est pas un portrait , une photographie la mode du matrialisme vulgaire ; il rvle le monde intrieur. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le byt, c'est--dire la peinture du mode de vieNina Dmitrieva, lors de l'Exposition pansovitique de 1952, explique au sujet de la peinture du byt : Montrer la richesse des aspirations individuelles, l'ampleur de la pense et des horizons intellectuels, la beaut des qualits morales des Sovitiques, tout en dnonant et en raillant impitoyablement les tats
d'arriration, la routine, l'inculture, la bassesse des intrts, o qu'ils puissent se manifester, tel est le pathos de la peinture du byt. L sont sa signification et sa fonction en tant qu'instrument de l'ducation communiste.
C'est pourquoi l'on ne saurait indiscutablement rduire la spcificit du genre du byt la reprsentation d'anecdotes futiles dont ne dcoule aucune faon ni tendance et qui ne proposent mme pas des possibilits minimes pour rvler le typique, pour caractriser franchement l'tat psychique des personnages. Dans ce cadre, et conformment la culture russe, une grande attention est porte l'humour, la dimension excentrique, burlesque, etc. Ce qui n'empche pas du tout une conjugaison avec une porte trs srieuse, mais la souligne (l'approche de Charlie Chaplin n'est pas loin). En 1950, l'hebdomadaire satirique crocodile tirait 240 000 exemplaires.Le cirque, comdie mlodramatique de Grigori Alexandrov datant de 1936, dcrit une femme amricaine ayant un enfant noir et fuyant le racisme, se rfugiant dans un cirque sovitique. Elle bascule dans la culture sovitique, o le racisme est rejet, avec une scne fameuse o une berceuse est chantonne l'enfant par des personnes de
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diffrentes nationalits de l'Union Sovitique.Une chanson aura un retentissement formidable par ailleurs, dans ce film : la chanson sur le patrie , d'Issak Dunaevskiy pour la musique, pour des paroles Vassili Lebedev-Kumach (sur le net on peut trouver sur lesmaterialistes.com quelques mp3 de cette chanson).
Le ralisme socialiste pose ainsi le rapport entre l'individu et l'universel ; c'est un appel la totalit sociale et naturelle.Lukacs, dans Balzac et le ralisme franais, notre en 1951 ce que cela signifie pour le rapport nouveau de l'crivain au public : La catgorie centrale et le critre de la conception raliste de la littrature, savoir le type par rapport au caractre et la situation est une synthse particulire qui lie organiquement le gnrale et l'individuel.Le type ne devient pas tel parce qu'il est moyen, pas plus que pour son caractre uniquement individuel, quelque prononc qu'il soit, mais du fait que tous les moments d'une priode historique qui, du point de vue humain et social, sont essentiels et dterminants, concourent en lui et s'y croisent, du fait que la cration du type montre ces moments dans leur degr d'volution le plus lev et dans l'extrme dploiement de ses possibilits virtuelles, dans l'extrme reprsentation d'extrmes qui concrtise en mme temps le sommet et les limites de la totalit de l'homme et de l'poque. Il explique, dans la mme uvre, que Depuis la rvolution franaise, l'volution de la socit avance dans une direction qui met les efforts des crivains authentiques invitablement en contradiction avec la littrature et avec le public de leur poque.
Pendant toute la priode bourgeoise,
un crivain ne pouvait devenir grand qu'en luttant contre ces courants. Depuis Balzac, la rsistance de la vie quotidienne contre les meilleures tendances de la littrature, de la civilisation et de l'art n'a cess de crotre.Cependant, il y a toujours eu des crivains isols qui dans leur uvre ont excut contre leur poque l'ordre de Hamlet : ils ont prsent au monde un miroir et l'aide de ce reflet ils ont fait avancer l'volution de l'humanit ; ils ont contribu au triomphe du principe humaniste dans une socit contradictoire qui d'une part produit l'idal de l'homme total mais qui d'autre part dtruit celui-ci dans la pratique.
Le ralisme socialiste correspond aux exigences de l'tre humain nouveau ; dans ce cadre il est aussi une bataille pour la production.Le 28 janvier 1936, un article de la Pravda intitul Le chaos remplace la musique , au sujet de son uvre Lady Macbeth de Mzensk , critiquait ainsi l'oeuvre de manire approfondie : Lauditeur de cet opra se trouve demble tourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus (). Il est difficile de suivre cette musique, il est impossible de la mmoriser (). Cette musique est mise intentionnellement sens dessus dessous ().Il sagit dun chaos gauchiste remplaant une musique naturelle, humaine. La facult qua la bonne musique de captiver les masses est sacrifie sur lautel des vains labeurs du formaliste petit-bourgeois ().Ce Lady Macbeth est apprci des publics bourgeois ltranger. Si le public bourgeois lapplaudit, nest-ce pas parce que cet opra est absolument apolitique et confus ? Parce quil flatte les gots dnaturs des bourgeois par sa musique criarde, contorsionne,
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neurasthnique ? La suite sera, en 1937, la rponse crative dun artiste sovitique de justes critiques comme le formulera Chostakovitch au sujet de sa symphonie numro 5, chef d'oeuvre typique de l'URSS.En plus de Chostakovitch, dont l'une des fameuses uvres est la Symphonie n 7 Leningrad , il y a d'autres grands compositeurs sovitiques, comme Aram Khatchatourian qui s'appuie sur la musique populaire armnienne, ou encore Prokofiev, qui recevra pour sa Cinquime Symphonie un prix en 1945, le fameux prix Staline. Mme au pire de la guerre imprialiste, la culture et la civilisation sont d'ailleurs au cur des valeurs de la valeureuse Union
Sovitique, les concerts affrontant la menace des bombardements.Le ralisme socialiste exprime la naissance d'un monde nouveau, c'est un processus. Ainsi, aprs la seconde guerre mondiale imprialiste, le Parti Communiste d'Union Sovitique a d empcher un retour du formalisme, alors que les tendances bourgeoises espraient s'installer, dans un esprit bureaucratique.En 1948, trois jours de runion de la direction du PCUS aboutissent au document intitul A propos de l'opra de Vano Mouradeli, La Grande Amiti ; Jdanov est alors la figure majeure dfendant le ralisme socialiste.
9.Andre Jdanov sur la musique
A la mi-janvier 1948 se tint, au sige du Comit central du Parti communiste bolchevik Moscou, une Confrence des musiciens sovitiques laquelle participrent plus de 70 compositeurs, chefs d'orchestre, critiques musicaux et professeurs de musique. La Confrence, aprs avoir ouvert une discussion sur Topera de V. Mouradli, La Grande Amiti , se saisit de l'occasion pour soumettre examen les problmes poss par Ptt de dveloppement de la musique sovitique dans son ensemble. Dans son discours d'introduction, Andre Jdanov effectua d'abord une analyse profondment critique du livret de l'opra, La Grande Amiti , et mit nu ce qu'il avait ses yeux de manifestement erron au point de vue historique.
Quelques mots sur le livret. Le livret de cet opra est artificiel et les vnements rendre sont inexacts et faux du point de vue historique.Voici, brivement, de quoi il est question. L'opra est consacr la lutte livre pour l'amiti des peuples dans le Caucase du Nord, en 1918-1920. Les peuples du Caucase, dont l'opra a en vue de montrer des Osstes, les Lesghiens et les Gorgiens, passent, avec l'aide d'un commissaire envoy de Moscou, de la lutte contre le peuple russe, en particulier contre les Cosaques, la paix et l'amiti avec lui.Ce qu'il y a d'historiquement faux ici, c'est que ces peuples n'ont jamais t en inimiti avec le peuple russe. Tout au contraire, dans la priode historique laquelle est consacr cet opra, c'est prcisment de concert avec
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les Osstes, les Lesghiens et les Gorgiens que le peuple russe et l'Arme rouge battaient les forces de la contre-rvolution, jetaient les fondements du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord et instauraient la paix et l'amiti des peuples.
A l'poque, ce sont les Tchtchnes et les Irigouchis qui faisaient obstacle l'amiti des peuples.Donc, en ce temps-l, ce sont les Tchtchnes et les Ingouchis qui semaient la haine entre les nationalits, et voil qu'au lieu d'eux, on prsente au public les Osstes et les Gorgiens ! C'est l une erreur historique grossire ; c'est falsifier l'histoire ; c'est attenter la vrit historique.Bien qu'il soit question dans cet opra d'une poque fort intressante, de l'poque de l'instauration du pouvoir des Soviets dans le Caucase du Nord, avec toute la complexit de ses coutumes multinationales et la varit des formes de la lutte de classes, et alors que dans ces conditions cet opra aurait d rendre pleinement la vie fertile en vnements et les murs des peuples du Caucase du Nord sa musique s'est trouve tre trs loin de l'uvre populaire des peuples du Caucase du Nord.
Si les Cosaques paraissent sur la scne et ils jouent un grand rle dans l'opra - ni la musique, ni les chants n'ont rien de typique pour les Cosaques, leurs chansons et leur musique. Il en est de mme des peuplades de montagnards. Si au cours de l'action on danse une lesghienne, la mlodie ne rappelle en rien les mlodies si connues et si populaires des lesghiennes. Le compositeur, en qute d'originalit, a crit pour sa lesghienne, une musique peu comprhensible, fastidieuse et beaucoup moins jolie et riche en contenu que la musique populaire ordinaire de la lesghienne.
Puis, reprenant la parole au cours de la discussion, Jdanov fit l'intervention suivante :Permettezmoi d'abord de faire quelques remarques sur le caractre de la discussion qui se droule ici. L'apprciation gnrale de la situation dans le domaine de la cration musicale se ramne cette constatation : a ne va pas fort.Il s'est exprim, il est vrai, diffrentes nuances au cours des interventions. Les uns ont dit qu'elle boitait surtout sous le rapport de l'organisation, ils ont montr l'insuffisance de la critique et de l'autocritique et dnonc les fausses mthodes de direction, particulirement l'Union des compositeurs.
D'autres, s'associant la critique de l'organisation et du rgime rgnant dans les organisations, ont signal ce qui va mal dans l'orientation idologique de la musique sovitique. Les troisimes ont tent d'escamoter le caractre aigu de la situation ou de passer sous silence les questions dsagrables. Mais de quelque faon qu'aient t exprimes ces nuances, le ton gnral de la discussion se rduit constater que a ne va pas fort.Je n'ai pas l'intention d'apporter une dissonance ou une atonalit dans cette apprciation, quoique l' atonalit soit aujourd'hui la mode. La situation est en effet bien mauvaise. Il me semble qu'elle est pire qu'on ne l'a dit ici.Je n'ai pas l'intention de nier les rsultats obtenus par la musique sovitique. Ils existent, bien sr, mais si l'on se reprsente quels rsultats nous aurions pu et d obtenir dans le domaine de la musique, si l'on compare mme les succs dans ce domaine avec les rsultats obtenus dans d'autres domaines de l'idologie, il faut avouer qu'ils
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sont tout fait insignifiants.Si l'on prend, par exemple, la littrature, on voit aujourd'hui certaines revues prouver de vritables difficults parce qu'elles n'arrivent plus faire place tous les manuscrits dignes de publication qu'elles ont en portefeuille. Il semble qu'aucun des orateurs n'ait pu se vanter d'une telle surproduction en musique. Il y a progrs dans le domaine du cinma ou de la dramaturgie.
Mais dans le domaine de la musique il n'y a pas le moindre progrs sensible.La musique est en retard, tel est le ton de toutes les interventions. Aussi bien l'Union des compositeurs qu'au Comit des arts, il s'est cr une situation videmment anormale. Du Comit des arts on a peu parl et on ne l'a pas suffisamment critiqu. En tout cas on a parl notablement plus et de faon plus incisive de l'Union des compositeurs.Et pourtant, le Comit des arts a jou un rle de fort mauvais aloi. En se donnant l'air de dfendre de toutes ses forces la tendance raliste en musique, le Comit a favoris de toutes les faons la tendance formaliste en levant ses reprsentants sur le pavois, et par l-mme il a rendu possible la dsorganisation et l'introduction de la pagaille idologique dans les rangs de nos compositeurs. En outre, inculte et incomptent dans les questions musicales, le Comit s'est mis la trane des compositeurs du clan formaliste.
On a compar ici le Comit d'organisation de l'Union des compositeurs a un monastre ou aux gnraux sans arme. Il n'est pas besoin de contester ces affirmations.Si le sort de la cration musicale sovitique se trouve tre la prrogative du cercle le
plus ferm de compositeurs et de critiques dirigeants, de critiques choisis suivant le principe du soutien des chefs et crant autour des compositeurs une atmosphre enivrante d'adulation, s'il n'y a pas de discussion de travail, si l'Union des compositeurs s'est instaure une atmosphre confine, moisie, o l'on distingue les compositeurs de premire et de seconde qualits, si le style dominant dans les confrences de l'Union des compositeurs est le silence respectueux ou les pieuses louanges aux lus, si la direction du Comit d'organisation est coupe de la masse des compositeurs alors on ne peut pas ne pas reconnatre que la situation sur l' Olympe musical est devenue menaante.
Il convient de dire un mot particulier de l'orientation vicieuse de la critique et de l'absence de discussion de travail l'Union des compositeurs. Du moment qu'il n'y a pas discussion de travail, qu'il n'y a ni critique ni autocritique, il n'y a pas non plus mouvement en avant. La discussion de travail est une critique objective, indpendante c'est aujourd'hui devenu un axiome apparaissent comme la condition la plus importante du progrs crateur.
L o il n'y a pas critique et discussion de travail, les sources mmes du mouvement se tarissent, il s'installe une atmosphre de serre, de moisissure et de stagnation, dont nos compositeurs n'ont nul besoin.Ce n'est point par hasard que les gens qui prennent part pour la premire fois une confrence sur les questions musicales, trouvent trange que puissent se perptuer des contradictions aussi irrductibles entre le rgime trs conservateur qui prside l'organisation de l'Union des compositeurs, et les ides soi-disant ultra-progressives de
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ses dirigeants actuels dans le domaine de l'idologie et de la cration.On sait que la direction de l'Union a inscrit sur son drapeau des formules prometteuses comme l'appel l'esprit novateur, le rejet des traditions dsutes, la lutte contre l' pigonisme , etc.Mais il est curieux que les mmes personnes qui veulent paratre trs radicales et mme ultra-rvolutionnaires dans leur programme crateur, qui prtendent au rle de destructeurs des canons vieillis que ces mmes personnes, quand elles prennent part l'activit de l'Union des compositeurs, se rvlent extraordinairement rtrogrades, impermables aux nouveauts et aux changements, conservatrices dans leurs mthodes de travail et de direction, et souvent paient volontiers tribut dans les questions d'organisation aux pires traditions et l' pigonisme tant dcri, cultivant les procds les plus borns et culs quand il s'agit de diriger la vie et l'activit de leur propre groupement.Comment cela se fait, il est ais de l'expliquer. Si une phrasologie boursoufle sur les soi-disant tendances nouvelles de la musique sovitique, s'associe a des actes qui ne sont nullement d'avant-garde, cela seul sufft provoquer un doute lgitime sur le caractre progressiste des bases idologiques sur lesquelles reposent des mthodes aussi ractionnaires.L'organisation a en toutes choses une grande importance, vous le comprenez parfaitement. Il faut c'est vident, procder une srieuse ventilation dans les organisations de compositeurs et de musiciens, il faut qu'un souffle frais y purifie l'air pour qu'y soient cres des conditions normales au travail crateur.Mais la question d'organisation, pour
importante qu'elle soit, n'est pas fondamentale. La question fondamentale, c'est l'orientation de la musique sovitique. La discussion qui s'est droule ici lude quelque peu le problme et ce n'est pas juste.Si en musique vous cherchez la phrase musicale claire, de mme dans la question de l'orientation de notre musique nous devons chercher atteindre la clart.
A la question : s'agit-il de deux tendances en musique ? la discussion apporte une rponse parfaitement nette : oui, c'est prcisment de cela qu'il s'agit. Bien que certains camarades aient essay de ne pas appeler les choses par leur nom et que l'on ait jou partiellement en sourdine, il est clair qu'il y a lutte entre les tendances, que les efforts faits pour remplacer une orientation par une autre sont manifestes.En mme temps une partie de nos camarades a prtendu qu'il n'y avait pas de raison de poser la question de la lutte des tendances, qu'il ne s'tait produit aucun changement d'ordre qualitatif, qu'on assistait seulement au dveloppement do l'hritage classique dans les conditions du milieu sovitique.On a dit qu'il n'y avait aucune rvision des fondements de l musique classique et que, par consquent, il n'y avait pas matire discussion, qu'il tait vain de faire du bruit.Le problme se rduirait tout au plus des corrections de dtail, des cas isols d'engouement pour la technique, des fautes isoles de caractre naturaliste, etc. C'est justement parce que l'on s'est livr un camouflage de cette nature, qu'il convient de s'tendre plus en dtail sur la lutte des deux tendances.
Il ne s'agit videmment pas
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seulement de corrections, il ne suffit pas de dire qu'il y a une gouttire dans le toit du Conservatoire et qu'il faut la boucher et l'on ne peut pas ne pas tre d'accord l-dessus avec le camarade Chehaline, mais le trou n'est pas seulement dans le toit du Conservatoire ce serait vite rpar ; il s'est form une brche beaucoup plus importante dans les fondations mmes de la musique sovitique.Il n'y a pas l-dessus deux avis et tous les orateurs l'ont montr : dans l'activit de l'Union des compositeurs le rle dirigeant est jou aujourd'hui par un croupe limit de compositeurs. Il s'agit des camarades Chostakovitrh, Prokoflev, Miaskovski, Khatchatourian, Popov, Kabalevski', Chebaline. Qui voulez-vous encore associer ces camarades ? (Une voix crie : Chaporine . Jdanov poursuit :)
Lorsqu'on parle du groupe dirigeant qui tient tous les fils et toutes les cls du Comit excutif des arts ce sont les noms qu'on donne le plus souvent. Nous admettrons que ces camarades sont les principales figures dirigeantes de la tendance formaliste en musique. Et cette tendance est totalement fausse.Les camarades sus-nomms ont, eux aussi, pris ici la parole, et dclar qu'eux aussi taient mcontents qu' l'Union des compositeurs il n'y ait pas d'atmosphre de critique, qu'on les loue exagrment, qu'ils sentent certain affaiblissement de leurs contacts avec les cadres de base des compositeurs, avec les auditoires, etc.Mais pour constater toutes ces vrits, sans doute n'avait-on pas besoin d'attendre un opra incompltement ou imparfaitement russi.Ces aveux auraient pu tre faits beaucoup plus tt. C'est qu'au fond pour ce groupe
dirigeant de nos compositeurs du clan formaliste, le rgime qui rgnait jusqu'ici dans les organisations musicales n'tait, pour modrer mon expression, point dsagrable. Il a fallu la confrence au Comit central du Parti pour que ces camarades dcouvrent le fait, que ce rgime recle aussi des cts ngatifs. En tout cas, jusqu' la Confrence au C.G., aucun d'entre eux n'a jamais propos de rien changer l'tat de choses existant dans l'Union des compositeurs. Les forces du traditionalisme et de l' pigonisme agissaient sans dfaillance.
On a dit ici que le moment tait venu de changer carrment les choses. On ne peut pas ne pas en tomber d'accord.Pour autant que les postes de commande de la musique sovitique sont occups par les camarades en question, pour autant qu'il a t dmontr que des tentatives pour les critiquer auraient provoqu, comme l'a dit ici le camarade Zakharov, une explosion, une mobilisation immdiate de toutes les forces contre la critique, il faut en conclure que ce sont prcisment ces camarades qui ont cr cette insupportable atmosphre de serre, de stagnation et de rapports amicaux, qu'ils sont maintenant disposs dclarer indsirables.Les dirigeants de l'Union des compositeurs ont dit ici qu'il n'y a pas d'oligarchie l'Union des compositeurs. Mais alors se pose la question: pourquoi s'accrochent-ils tant aux postes de directeurs de l'Union? Le pouvoir les sduit-il pour lui-mme?
En d'autres termes, ces gens ont-ils pris l'autorit en mains parce qu'il leur est agrable de dtenir l'autorit pour elle-mme, ont-ils t atteints d'une telle dmangeaison administrative, veulentils simplement jouer aux petits princes comme
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Vladimir Galitski dans le Prince Igor ?Ou bien serait-ce que cette domination s'est tablie en vue de donner la musique une orientation dtermine ? Je pense que la premire supposition tombe et que la seconde est la bonne.
Nous n'avons pas raison d'affirmer que la direction des affaires de l'Union n'est pas lie l'orientation. Nous ne pouvons pas adresser une telle accusation disons, Chostakovitch Par consquent, si l'on dirigeait, c'tait pour orienter.Effectivement nous avons affaire une lutte trs aigu, encore que voile en surface, entre deux tendances.
L'une reprsente dans la musique sovitique une base saine, progressive, fonde sur la reconnaissance du rle norme jou par l'hritage classique, et en particulier par les traditions de l'cole musicale russe, sur l'association d'un contenu idologique lev, de la vrit raliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d'une cration musicale chantante, d'une haute matrise professionnelle.La deuxime tendance exprime un formalisme tranger l'art sovitique, le rejet de l'hritage classique sous le couvert d'un faux effort vers la nouveaut, le rejet du caractre populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bnfice des motions troitement individuelles d'un petit groupe, d'esthtes lus.Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.En outre, c'est une particularit de la seconde tendance que d'viter les attaques de front, de prfrer cacher son activit rvisionniste sous le masque d'un accord prtendu avec les propositions
fondamentales du ralisme socialiste.De telles mthodes de contrebande
ne sont videmment pas neuves, les exemples du rvisionnisme proclamant son accord avec les propositions fondamentales de la thorie rvise, ne manquent pas dans l'histoire. Il est d'autant plus ncessaire de dmasquer la vritable nature de cette seconde tendance et le mal qu'elle a fait au dveloppement de la musique sovitique.
Analysons par exemple la question de l'attitude envers l'hritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu'ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l'hritage classique, il n'y a pas moyen de dmontrer que les partisans de l'cole formaliste prolongent et dveloppent les traditions de la musique classique.N'importe quel auditeur dira que les uvres des compositeurs sovitiques du clan formaliste sont radicalement diffrentes de la musique classique. La musique classique se caractrise par la vrit et le ralisme, par l'art d'unir une forme clatante un contenu profond, d'associer la plus haute matrise avec la simplicit la plus accessible.La musique classique en gnral, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractrise, c'est l'lvation de l'ide : car elles savent reconnatre les sources de la musique dans l'uvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.Quel pas en arrire font nos formalistes hors de la grand'route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pntre d'impressions idalistes, trangre aux larges masses du peuple, s'adressant non des millions de sovitiques mais quelques units ou quelques
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dizaines d'lus, une lite !Comme cela ressemble peu Glinka, Tchakovski, Rimsky Korsakov, Dargomyjski, Moussorgski, qui voyaient le principe de leur uvre dans leur capacit d'exprimer l'esprit du peuple, son caractre ! La volont d'ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa cration, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractre nettement antipopulaire.
Si chez certains compositeurs sovitiques a cours cette thorie illusoire selon laquelle on nous comprendra dans cinquante ou cent ans , si nos contemporains ne peuvent nous comprendre, la postrit nous comprendra , alors c'est une chose simplement effrayante. Si vous tes dj accoutums cette pense, une telle habitude est extrmement dangereuse.De tels raisonnements signifient qu'on se coupe d'avec le peuple. Si moi crivain, artiste, littrateur, responsable du Parti je ne cherche pas tre compris de mes contemporains, alors pour qui donc vivre et travailler ?Mais cela conduit au vide spirituel, l'impasse. On dit que certains critiques musicaux parmi les flatteurs murmurent aux compositeurs, maintenant en particulier, des consolations de cette sorte. Mais des compositeurs peuvent-ils entendre de sang-froid de tels conseils, sans traner les conseillers au moins devant un tribunal d'honneur ?Rappelez-vous comment les classiques rpondaient aux exigences du peuple. On oublie dj chez nous en quels termes lumineux se sont exprims les Grands Cinq [littralement le groupe vigoureux , groupe de compositeurs russes du milieu du 19me sicle, avec comme principaux reprsentans Balakiriev, Moussorgski,
Borodine, Rimsky-Korsakov, Curz] et le grand critique musical Stassov, leur compagnon, sur le caractre populaire de la musique.On oublie le mot remarquable de Glinka sur les rapports du peuple et des artistes: Celui qui cre la musique c'est le peuple, et nous, les artistes, ne faisons que l'arrange . On oublie que les choryphes de l'art musical n'ont cart aucun genre, quand ces genres les aidaient promouvoir l'art musical clans de larges masses populaires.Mais vous cartez mme des genres tels que l'opra, vous tenez l'opra pour une uvre de second ordre, vous lui opposez la musique symphonique instrumentale, pour ne rien dire de votre attitude ddaigneuse envers la musique de chant, la musique chorale ou la musique de concert : vous trouvez honteux de vous abaisser jusqu' elle et de satisfaire aux exigences populaires.Cependant, Moussorgski a mis en musique le Hopak . Glinka utilisa le Komarinski dans l'une de ses meilleures uvres. Peut-tre faudra-t-il reconnatre que le propritaire foncier Glinka, le fonctionnairesdes tsars Srov et le gentilhomme Stassov taient plus dmocrates que vous.
C'est paradoxal, mais c'est un fait. Vous avez souvent jur vos grands dieux que vous tenez pour la musique populaire ; s'il en est ainsi, pourquoi dans vos uvres utilisez-vous si peu les mlodies populaires ? Pourquoi se rptent les dfauts que critiquait dj Srov lorsqu'il montrait que la musique savante , c'est--dire professionnelle, se dveloppait paralllement et indpendamment de la populaire ?Est-ce que chez nous la musique symphonique instrumentale se dveloppe en une troite interaction avec la musique
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populaire, que ce soit la chanson, la musique de concert ou la musique chorale?
Non, on ne peut le dire. Au contraire, on constate ici indniablement une rupture qui tient la sous-estimation par nos symphonistes de la musique populaire. Je rappellerai en quels termes Srov caractrisait son attitude envers la musique populaire. Je pense son article La musique des chants de la Russie du Sud o il disait : Les chansons. populaires en tant qu'organismes musicaux ne sont absolument pas l'uvre de talents isols, mais la production du peuple tout entier ; elles sont, par toute leur structure, trs diffrentes de la musique artificielle qui rsulte d'une imitation consciente des modles, qui est le produit de l'cole, de la science, de la routine et de la rflexion.Ce sont les fleurs d'un point donn, apparues comme d'elles-mmes, pousses dans tout leur clat sans la moindre prtention d'auteur, et, par suite, elles ne ressemblent gure ces produits de chssis ou de serres de la composition savante.C'est pourquoi apparat le plus clairement en elles la navet de la cration et (pour reprendre la juste expression de Gogol clans les mes mortes) la haute sagesse de la simplicit, grce essentielle et secret essentiel de toute cration artistique.
Comme un lys dans sa splendeur parfaite clipse l'clat du brocart et des pierres prcieuses, de mme la musique populaire, par sa simplicit enfantine, est mille fois plus riche et plus forte que tous les artifices de l'art d'cole, prconiss par les pdants dans les conservatoires et les acadmies musicales. Comme tout est bon, juste et fort ! Comme l'essentiel est bien saisi : le dveloppement
de la musique doit se faire sur la base d'une action rciproque, d'un enrichissement de la musique savante par la musique populaire ! Mais de nos articles thoriques et critiques d'aujourd'hui ce thme a presque compltement disparu.Cela confirme une fois de plus le danger que courent les chefs de file de la musique contemporaine, de se couper du peuple lorsqu'ils renoncent une source aussi belle de cration que la chanson, et la mlodie populaires. Une telle coupure ne peut videmment tre le fait de la musique sovitique.
Permettez-moi de passer la question des rapports de la musique nationale et de la musique trangre.Des camarades ont dit ici avec raison qu'on constate un engouement et mme une certaine orientation vers la musique bourgeoise occidentale contemporaine, vers la musique de dcadence, et qu'il y a l galement un des traits fondamentaux de l'orientation formaliste clans la musique sovitique.Stassov a fort bien parl en son temps des rapports de la musique russe avec la musique de l'Europe occidentale, dans son article Ce qui freine le nouvel art russe, o il crivait : II est ridicule de nier la science, la connaissance en quelque domaine que ce soit y compris dans le domaine musical. Mais les jeunes musiciens russes qui n'ont pas derrire eux comme l'Europe, pour les soutenir, une longue chane de priodes scolastiques, regardent audacieusement la science en face : ils la vnrent, utilisent ses bienfaits, mais sans exagration et sans servilit. Ils nient la ncessit de sa scheresse et de ses excs pdants, ils se refusent ses jeux gymnastiques auxquels
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donnent tant d'importance de milliers d'Europens, et ils ne croient pas qu'il faille humblement vgter de longues annes sur ces mystres sacro-saints. Ainsi parlait Stassov de la musique classique de l'Europe occidentale. En ce qui concerne la musique bourgeoise contemporaine, qui se trouve en pleine dcadence et dgradation, il n'y a rien tirer d'elle. A plus forte raison sont absurdes et ridicules les manifestations de servilit devant une telle musique.Si l'on tudie l'histoire de notre musique russe, puis sovitique, on en vient la conclusion qu'elle a pouss, s'est dveloppe et est devenue une force puissante justement parce qu'elle a russi tenir sur ses propres pieds et trouver ses propres voies de dveloppement, qui lui ont donn la possibilit de mettre nu la richesse du monde intrieur de notre peuple.Ceux-l se trompent profondment qui pensent que l'panouissement de la musique nationale russe, aussi bien que celles des autres peuples sovitiques, signifie un affaiblissement de l'internationalisme dans l'art.
Celui-ci ne nat pas s