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Recherches soviétiques sur le romantisme français

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ISTV~N FODOR

RECHERCHES SOVIt~TIQUES SUR LE ROMANTISME

FRA N~ AIS

Boris R6izov, professeur ~ l'Universit6 de Leningrad, passe /t juste titre, pour un des meilleurs sp6cialistes sovi&iques du romantisme franqais. Ses ouvrages sont connus et souvent utilis6s par les chercheurs franqais aussi. 1 Ses travaux 6clairent les principaux probl~mes de la litt6rature fran~aise du XIX e si~cle. Dans ses premiers ouvrages il s'est pench6 avant tout sur les probl~mes du r6alisme et du naturalisme en publiant des monographies sur Balzac, Zola et Flaubert, z

Ces dernierstemps, il a 6tudi6 avant tout le difficile probl~me de la transition des Lumi~res au romantisme. Cette transition est d 'abord un processus id6ologique tr~s complexe, d'autre part c'est un processus litt6raire tout aussi complexe. R6izov 6tudie les deux processus et leurs corr61ations, h la fois comme historien des id6es et historien de la litt6rature.

I1 a trouv6 un des probl~mes d ' importance capitale de l'id6ologie du XIX e si~cle dans l'historisme. C'est dans l'histo- risme qu'il ~,oit - en accord avec Le Roman historique de Gy6rgy Luk~cs 3 - la grande nouveaut6 de la pens6e roman- tique moderne post-r6volutionnaire. Seulement, ~t la diff6rence du livre de Luk~tcs, il n'6tudie pas seulement la r6alit6 et ses

1 Voir CI. Duchet, , Th6~ttre, histoire et politique sous la Restaura- tion ,, in: Romantisme et politique 1815--1851 (Paris: Armand Colin, 1969).

2B. F. Pegaos, Taopuecmeo Ea~b~a~a (Leningrad, 1939); Eaab3mr (Leningrad, 1960); D~vhrm 3oa~ 1840--1940 (Leningrad, 1940), en coltaborafion.avec Klgman; TBopaeerno Oao6epa (Moscou, 1955).

a Gy Lukfics, Le Roman historique (Paris, 1965).

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contradictions d'une part et le roman historique de rautre, c'est-~-dire le reflet litt6raire du r6el, mais il se penche aussi sur le reflet id6ologique de ce r6el c'est-/l-dire qu'il &udie l'historiographie romantique 4 d'une part, et le roman histori- que de l'autre. 5

Nous connaissons l ' importance des historiens fran~ais de la Restauration dans la naissance du marxisme. Marx et En- gels ont reconnu plusieurs lois le m6rite des historiens fran~ais. Marx 6crivait ~t Weidemeyer: ~ ce n'est pas ~t moi que revient le m6rite d'avoir d6couvert l'existence des classes dans la soci&6 moderne et leur lutte entre elles. Longtemps avant moi, les historiens bourgeois avaient d6cfit le d6veloppement historique de cette lutte des classes ~>, ailleurs il precise qu'il pense aux historiens fran~ais. II appelle A. Thierry <~ p~re de la lutte de classe ~, Engels parle aussi de l'importance de Guizot, de Thiers et de Mignet dans la naissance du mat6ria- lisme historique.

Mais la vision historique ne se manifeste pas uniquement dans l'historiographie sous la Restauration. ~ Jamais encore avant cette d6cennie, l'histoire n'avait eu une si grande importance pour la vie intellectuelle du pays. Les th60ries politiques et les utopies sociales 6taient empreintes d'histo- risme, l'histoire se substituait presque aux recherches philo- sophiques et aux oeuvres litt6raires, ou bien plut6t elle d&er- minait les m6thodes des unes et des autres; la philosophie se transformait en histoire de la philosophie et en pbilosophie de l'histoire, le roman devenait << roman historique >r, la po6sie ressuscitait les ballades et les vieilles 16gendes, les peintres abandonnant le nu ~ naturel ~, peignaient des costumes anciens, et les hommes politiques se r6f6raient constamment ~t l'his- toire ~> - 6crit R6izov dans L'historiographie romantique.

4 ft. F. Person, ~panqy3ctcaa pomanmuuectcan ucmopuozpa~ua (Lenin, grad, 1956) en fran~ais: L'Historiographie romantique francaise (Mos- cou, s.d.).

s B. F. Pe~t3on, ~Opamty3ctcu~ ucmopuuecKu(t po~fan a anoxy po.uaumuJ~ta (Leningrad, 1958).

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Pourquoi ce gofit de l'histoire? L'historisme ne s'explique pas par un pass6isme exotique ou par une volont6 d'6vasion, mais par les n6cessit6s imm6diates de la bourgeoisie dans sa lutte id6ologique. R6izov montre bien que la bourgeoisie lib6rale avait besoin de montrer la n6cessit6 de l'6volution historique h travers les luttes des classes et les r6volutions. Et c'est uniquement les bourgeois lib6raux qui en 6talent capables. Ni les traditionalistes, ni les r6publicains de fid61it6 jacobine n'en &aient capables. <~ Ce n'6taient ni ceux qui rejetaient la tradition, ni ceux qui s'opposaient ~t la r6volution, qui formulaient cette nouvelle conception, puisque, les uns comme les autres, ils rejetaient l'histoire elle-mSme, les premiers au nom de la raison, les derniers au nom de l'ancien r6gime.. ~> Aussi l'histoire devient un arsenal d'arguments pour les luttes actuelles de la bourgeoisie. Cette prise de position n'empSche pas l'historiographie romantique d~&re scientifique, car c'est Thierry, Thiers, Guizot et Michelet qui ont, pour la premiere fois, consult6 les .vieilles chroniques et les archives pour la <~ r6surrection int6grale ~ de l'histoire du peuple, de la civili- sation et des <~ opinions ~>. Depuis le moyen ~ge jusqu'h la r6volution frangaise, en passant par la renaissance, la r6forme et la r6volution anglaise, ils ont 6tudi6 partout la lutte du Tiers Etat contre l'aristocratie, le clerg6 et l'absolutisme. Ce qui est nouveau, c'est justement la n6gation des normes 6ter- nelles, absolues, rationnelles, caract6ristiques encore des Lumi~- res. ils reconnaissent la Mgitimit6 de route 6volution nationale, de toute civilisation dont ils 6tudient l'6volution organique.

Seule la vision historique peut donner des r6ponses aux questions pos6es par la r6alit6 post-r6volutionnaire. Elle a 6t6 ~t la fois une science, une politique:et une arme de combat qui servait les buts de la bourgeoisie lib6rale. Done, c'6tait une histoire prospective. R6izov 6tudie la naissance de cette vision historique chez Thierry, Thiers, Guizot, de Barante, Mignet, Cousin, Villemain,~Mi~helet, Quinet, Ballanche, les saint-simoniens darts un contexte europ6en. L'auteur passe en revue les influences exerc6es par la philosophie id6aliste

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allemande, Herder, Vico et l'6cole 6cossaise. I1 montre 6gale- ment bien que sous la monarchie de Juillet ces historiens devien- nent des hommes politiques se tournant contre le romantisme et que leurs oeuvres historiques et litt6raires perdent leur carac- t~re progressiste. Pour les d~mocrates r6publicains des ann6es 3 0 - 4 0 l'histoire sera beaucoup plus saccad6e que pour les lib6raux. Mais R6izov n'6tudie .pas l'historiographie sous Louis-Philippe.

Les r6flexions sur l'historiographie lib6rale qui est ~t l'origine de toute la litt6rature des ann6es 20 Font men6 dans plusieurs sens. D'une part, i! s'est mis ~t 6tudier le roman historique fran~ais et son module Walter Scott, 6 de l'autre, il a commenc6

analyser la naissance de la conception historique et sociolo- gique de la litt6rature, 6galement issue de l'id6ologie lib6rale, c'est-h-dire des id6es du groupe de Coppet (Mme de Stall, B. Constant, Sismondi, Barante, Guizot, Mine Necker de Saussure) qui pr6c~de chronologiquement l'historiographie de la Restauration. 7

En ce qui concerne le roman historique des ann6es 20, il insiste sur le rapport &roit entre rhistoriographie et le roman historique: ~ Le roman historique ne pouvait pas naitre sans rhistoriographie nouvelle h laquelle il a emprunt6 sa concep- tion du processus historique en g6n6ral ainsi que les m&hodes de recherche et les principes de la pr6sentation. Mais, d'autre part, l'historiographie romantique non plus ne pouvait naitre sans le roman historique. ~> En effet, les romans de Wal- ter Scott ont beaucoup influenc6 les historiens. Cette frater- nit6 de l'id6ologie politique, de la recherche scientifique et de l'art, bas6s sur rimagination cr6atrice comme cat6gorie principale, caract6risent tout l'historisme des ann6es 1820.

Le roman histoiique contribue largement h l'6mancipation du genre romanesque, genre m~pris6 par l'esth&ique classique,

6 B. r . PeH3OB, T6op,~ecmso Babmepa Cttomma (Moscou--Leningrad, 1965).

7 t;. r . Pea3oB, Me;rJcby ~::taccutlus.uo.M u po.uanmu3.uo.~ (Leningrad, 1962).

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le roman devient genre s6rieux justement ~t cette ~poque. Comme il 6tudie les diff6rentes classes, iI se penehe 6galement sur leurs diff6rentes mani~res de vivre. C'est pourquoi: un des ~l~ments importants du roman historique est Ia representation de la vie quotidienne de l'6poque, du milieu, et celle des types qui illustrent les diff~rentes ,classes. L e milieu influence les personnages, en mSme temps la recherche de la v6rit~, des forces motrices, des correlations par la voie de l'imagination cr6atrice sont 6galement importantes et serviront de traits significatifs pour le futur roman r6aliste de type balzacien.

Le roman historique, comme rhistoriographie a pour but de montrer la r6surrection d'une6poque de la vie du peuple, et non seulement les faits des rois. I1 &udie les diff6rents types de roman historique, le roman-chronique de M6rim6e (Chroni- que du r~gne de Charles IX),:la construction dramatique ~< scot- tienne ~> de Balzac (Les Chouans) et: l'architecture lyriquer philosophique de Hugo (Notre-Dame de Paris).

Un pareil changement se produit dans les idles litt6raires sous l'Empire 6galement. L'ouverture aux litt6ratures &ran- g~res, la reconnaissance du d6terminisme sociologique, histo- rique du gofit, des litt6ratures nationales dans leur diversit6, la n6gation des normes dogmatiquesdans l'esth6tique carar sent les id6es du groupe de Coppet~ qui continue en partie les id6es litt6raires des id~ologues sensualistes en se basant sur les id6es de Montesquieu et de Rousseau, mais qui, par la suite, ira plus loin sous l'influence de la philosophie id6aliste allemande. Ce qui est important aussi dans ce livre, c'est que R6izov cherche les origines id~ologiques du romantisme progressiste. Contrairement h ceux qui font remonter les origi- nes du renouveau litt6raire aux aristocrates 6migr6s, R6izov d6montre bien que cette ouverture existe aussi chez les lib6- raux; l'Italie de StendhaI, l'Italie et rAllemagne de Madame de StaB1, les impressions illyriennes d e Nodier, la d6couverte d'autres cultures par des ~crivains progressistes jouent un r61e pr6pond6rant darts la naissance du romantisme frangais. Les membres du groupe de Coppet 6tudient les diff&entes

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litt6ratures nationales et r6gionales (litt6rature~du Midi et du Nord) dans leur 6volution sp6cifique et pr~conisent Hnfluence rSciproque des litt6ratures nationales. Ainsi ils fondent h la lois l'6tude sociologique d u fair litt6raire, l'histoire des litt6- ratures nationales et la litt6rature compar6e, en rejetant les normes du (( bon gofit }) &ernel~ classique- (n6cessairement fran~ais). Ils r6habilitent~ les autres litt6ratures nationales, consid6r6es auparavant comme barbares, mais aussi toute la culture moderne,~d'origine chr&ienne et m6di6vale. L'id6e de la relativit6 du gofit sera d'une tr~s grande importance, ainsi que l'id6e qu'il faut faire une litt6rature ad6quate ~t son 6poque, fi sa soci&6, ~t sa civilisation, valable pour l'6poque romantique et mSme pour l'6poque contemporaine.

Bien que R6izov metre au centre de son ouvrage la discus- sion sur le drame, il analyse en d6tail' les id6es philosophiques, politiques et esth6tiques des diff6rents repr6sentants du groupe qui est loin d'&re homog~ne. I1 &udie en premier lieu Madame d e Stall dans ses oeuvres De. la litt~rature dans ses rapports avee les institutions sociales et De l'Allemagne. C'est elle qui exerce la plus grande influence sur tout le groupe et partout en Europe. Mais il 6tudie 6galement les id6es politiques et philoso- phiques de Benjamin Constant ainsique ses 6tudes sur Schiller, la pr6face de Wallenstein ~erite par Constant qui attaque les r~gles rigides de la trag6die .classique frangaise tout comme le .r61e de Sismondi clans la d6converte .des litt6ratures d u Midi (litt6ratures italienne, espagnole)qui suivent 6galement un module diff6rent du classicisme fran~ais. Mais il se penche ~galement sur l'activit~ des membres plus jeunes du groupe, Prosper de Barante, qui &udie la :litt6rature du XVIIt ~ si~cle et Guizot, qui analyse Corneille, en prouvant combien Cor- neille et plus tard la litt6rature du XvHIe si6cle sont diff6rentes du module rigide d'un n6oclassicismel obligatoire de La Harpe et de l'Empire. Celaprouve 6galement que ce premier centre de romantisme; fran~ais voulait continuer les-Lumi~res, tandis que les n6oclassiques d'une part et Chateaubriand de l'autre (dans l'esth6tique fid~le au principe classique de la repr6sen-

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tation de la (~ belle nature ~)) sont hostiles aux Lumi~res. Dam ses analyses, R6izov montre que le groupe de Copper, a t~ch6 de comprendre toutes les formes nationales de la cul- ture, pour s'61ever au-dessus d'elles ~) ou les transformer, afin de faciliter la naissance des formes nouvelles, plus parfaites de l'art.

Ce nouvel art, l'art de l'homme libre sur le plan politique, moral et esth6tique serait dans leur esprit ~ l'union de routes les formes nationales connues de l'art qui auraient dfi se com- pl6ter les unes les autres et er6er un id6al du beau significatif et obligatoire pour tous. Car les formes sociales de la vie dont ont r~v6 ces lib6raux, 6taient g6n6ralement humaines, alors que les vieilles formes avaient un caract~re strictement national. (MSme~ le classicisme qui aspirait h l'universel est devenu directement inational, frangais). Ainsi, l'itin6daire de cette pens6e esth&ique lib6rale allait du national h l'humain g~- n6ral. ~>

L'infltienee d 'une litt6rature 6trang~re n'aboutit done pas ~t l'oppression de la litt6rature nationale, mais c'est la condition n6cessaire de I'6volufion de toutes les litt6ratures nationales.

La monographie de R6izov s'arrSte h la fin de l 'Empire; I1 serait pourtant int6ressant de poursuivre la recherche e t d o voir, comment les id6es litt6raires 6voluent sous la Restau, ration, parall~lement ~t rhistoriographie, surtout dans le groupe lib6ral du Globe (Sainte-Beuve, J,-J. Ampere). Car c'est ici que se concr&isent les id6es du groupe de Coppet, et l'on y voit la naissance de l'histoire litt6raire, de la litt6rature compar6e, de la litt6rature universelle et de la th6orie litt6raire (philoso- phie de la litt6rature) 6galement bas6es sur rhistOire.

Les deux volumes d6jgt parus de sa monographie de StendhaI s'occUpent de la mSme p6riode et des mSmes probl~mes. Le premier volume traite du jeune Stendhal a (jusqu'en 1810), le deuxi~me s'arrSte avant la publication de son premier roman,

* t;. E. PeHaoB, Cment)a~. Fot)u y~en~n (Leningrad, 1968).

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A r m a n e e ? Donc c'est essentiellement la pr6paration de Sten- dhal-romancier, pr6paration ~t la fois sur le plan des id6es politi- ques et esth&iques que l 'auteur 6tudie dans un esprit compa- ratiste et historique.

II d6montre combien Stendhal se d6tache de l'id6al du classicisme fran~ais (Corneille, Racine, le rationalisme voltai- rien) d6j~t dans sa jeunesse. Dans sa p6riode r6publicaine il admire surtout Rousseau, les trag6dies d'Alfieri et les id6es de Hobbes. Apr~s 1803 c'est surtout le mat6rialisme sensualiste des id6ologues (Helv6tius, Destutt de rl?racy, Cabanis) qui le pr6occupe et l'6crivain par excellence qu'il aime est Shakespeare, parce que Shakespeare n ' a pas de point de vue partiel, il explique tout, sympathise avec tout.

Le roman n'est pas encore au centre de ses pr6occupations (il veut &re avant tout auteur dramatique), mais il se rend compte d6j~t que c'est le roman qui rend le mieux les 6tats d'~me, le lyrisme et l'expression philosophique de la soci6t&

D6j~t dans sa jeunesse il distingue deux publics. Celui qui cherche son plaisir, la v6rit6, et l'autre qui veut simplement 6tre respect6, qui veut montrer son <~bon gofit ~), c'est-~t-dire chercher la forrne, la rh6torique habituelle. Nous y voyons d6j~t la distinction qu'il fera dans R a c i n e e t S h a k e s p e a r e entre le plaisir dramatique et le plaisir 6pique. Cette distinction entre les deux publics correspond tout ~t fait ~t la conception profess6e p a r les historiens des deux nations (deux classes) & l'int6rieur de la nation, c'est-~t-dire l'aristocratie et le peuple (qui est en g6n6ral le Tiers Etat).

Aux deux publics correspondent deux goQts, Shakespeare convient plut6t au goQt du peuple, son art est d6mocratique, comme le souligne Guizot en 1821 dans sa pr6face des t:F, u v r e s

de Shakespeare. Voici comment R6izov r6sume les id6es de Guizot sur Shakespeare: L'oeuvre de Shakespeare est d6mocra-

9 B. F. Pea3oB, CmeuOaab. # u a o c o # u a ucmopuu - - Hoaumutca - - 3 c m e . mmca (Leningrad, 1974).. ....

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tique, c'est son m6rite essentiel, c'est pourquoi dans la France monarchique divisant la soci6t6 en deux classes, l 'aristocratie et le peuple, Shakespeare est rest6 incompris, La trag6die classique qui servait les buts de l'aristocratie ~tait artificielle, il n 'y avait pas en elle de grande v6rit6 complete, l~tudier Shakespeare - c'est 6tudier la soci6t6 darts toutes ses couches, parce que les classes inf6rieures p6n&rent aussi dans l'action de ses drames, le peuple y participe avec les rois. Le drame romantique dolt suivre les traces de Shakespeare, il doit r6s- susciter les id6es du peuple, plus profondes et plus g6n6rales que les id6es aristocratiques de l a trag6die classique. L'art va non pas vers ta perfection de la forme, mais vers la per- fection de la soci&6. Shakespeare exprime les idles de 1789 telles qu'elles ont v6cu dans l'Angleterre du XVI e si~cle. Le nouveau drame dol t ~tre libre comme le drame de Shakespeare et ne doffse soumettre qu'~t la mati~re exprim6e. Le sujet essen- tiel de Shakespeare est la libert6 morale, ce qu'il y a de plus humain dans l'homme. C'est pourquoi la connaissance de Shakespeare est une n6cessit6 historique pour l a France. I1 appartient aux Fran~ais du XIX ~ si~cle, c'est pourquoi il peut les aider et leur servir de module, non pas dans les d&ails de sa ~ forme ~), mais dans la substance morale et politique de son oeuvre. Tout cela prouve, combien, dans l'id6ologie lib6rale de la Restauration, la philosophie de l'histoire, la politique, la pens~e sociale et esth&ique sont 6troitement li6es, ainsi que les diff6rents arts qui ~ fraternisent ~). Stendhal est le meilleur exemple de cette 6voluti0n parall~le. C'est ce que souligne le sous-titre de sa nouvelle monographie, consacr~e ~t l'oeuvre de Stendhal jusqu'~t la publication d'Armance et qui ne se penche que sur l'id6ologie de Stendhal, telle qu'elle se refl&e dans son Journal et ses &udes, consacr6es ~t la pein- ture, ~t la musique, h la litt6rature et h l~t politique. L'analyse des romans vraisemblablement fera l'objet d 'un prochain vo- lume ~t paraitre.

Cette &ude qui n'est pas centr6e sur la biographic de l 'auteur est unique dans la philologie stendhalienne, m~me par rapport

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aux oeuvres qui traitent de ses id6es. IV. del Litto, La vie intellec- tuelle de StendhaI, #endse et dvolution de ses id&s (1802-1821), (Paris, 1959); F. Rude, Stendhal et la pens& sociale de son temps (Pads, 1967).]

En ce qui concerne la philosophie de l'histoire, il d6montre clairement l'6voluti0n de Stendhal de la conception tradition- nelle statique, h travers la vision chaotique de l'histoire jusqu'~t l'id6e de l'6volution historique qui s'aitirme h travers les luttes sociales et id6ologiques et qui coincide avec l'id6ologie des historiens lib6raux.

Dans son 6volution politique, il passe du constitutionnalisme lib6ral aux id6es jacobines, ~t la reconnaissance de la lutte des classes et des partis. I1 montre d'une fa~on d&aill6e et convaincante les diff&'entes &apes et nuances de son image de Napol6on. Le point de vue d6mocratique de Stendhal, ayant pour but le bonheur public et la libert6, suppose la libert6 de l'esprit et le r61e pr6dominant de la ~ classe pensante , ainsi il s'oppose mSme aux conceptions technocratiques de certains saint-simoniens. I1 pense que l'in6galit6 sociale, bas6e sur l'ar- gent, est dangereuse pour la culture. Mais le nouveau public cultiv6, tant rSv6, tarde h naRre. L'harmonisation des deux grands id6aux du XVIII e si&le, la libert6 et le bonheur public, e s t 6galement difficile ~ r6aliser dans les tendances privati- santes de la soci6t6 bourgeoise.

Le troisi~me chapitre traite de la sociologie de l'art de Stendhal. I1 consid~re que la base de l'art - h l'oppos6 du classicisme et du rationalisme - est la passion. Ces passions pourraient devenir une puissante force cr6atrice qui rendrait le peuple heureux s'il avait une constitution convenable. Nous voyons combien sont li6es chez Stendhal l'esth&ique, la soci&6 et la politique. Sa pens6e aboutit quand m~me h une impasse; il se rend compte du d6veloppement in6gal de la culture par rapport h la structure sociale et politique: la d6mocratie bour- geoise et la r6publique m~nent hun nivellement e tun asc&isme qui ne favodse pas le d6veloppement des arts. Darts l'Italie opprim6e, arri6r6e, monarchique, l'art est plus d6velopp6

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que dans la r6publique d6mocratique bourgeoise des Etats- Unis.

Le quatri~me chapitre analyse l'esth6tique stendhalienne. I1 en recherche les ofigines et les trouve dans la sensibilit6 de Rousseau, dans l'utilitarisme d'Helv&ius, le sensualisme des id6ologues, comme Destutt de Tracy et Cabanis et la philo- sophie de Hobbes dont i l tire vraisemblablement sa c61~bre d6finition: ~ la beaut6 n'est que la promesse du Bonheur ~). Ces vues se sont confondues darts son oeuvre, ou plut6t darts ses diff6rentes p6riodes (jacobine, bonapartiste, romantique lib6rale) terrains aspects se sont renforc6s. I1 a une p6riode rous- seauiste, n6oclassique, sensualiste, plus tard romantique. M~me dans sa p6riode romantique ce n'est pas l'id6alisme allemand, mais le sensualisme anglais et fran~ais qui dominent chez luL La comparaison avec l'esth6tique de Winckelmann est tr~s riche en enseignement, elle prouve le caract~re historiquement et socialement concret des vues de Stendhal par rapport l'abstraction id6aliste de Winckelmann. Ce qui est particuli~re- merit important, c'est que - chez Stendhal - ~t cause juste- merit de l'histoire, l'id6al n'est pas abstrait et &ernel, mais c'est un id6al historiquement, socialement et individuellement concret. C'est ainsi qu'il distingue l'id6al antique, m6di6val et moderne darts ses travaux sur la peinture: Histoire de la peinture en Italic et le Salon de 1824.

R6izov 6tudie les id6es esth6tiques de Stendhal dans un tr~s large contexte d'histoire de l'esth6tique (Panckouckue, Dubos, Montesquieu, Winckelmann, Hobbes, Addison, Qua- trem~re de Quincy). I1 r6sume tr~s bien la nouveaut6 de Stendhal qui passe de ~ l'6ternit6 ~) au temps r6el, historique, de la v6rit6 abs01ue h la v6rit6 relative et en m~me temps, il ouvre la vole /t une cr6ation esth&ique libre. Sous l'influence du sensualisme esth6tique, il rejette l'all6gorie rationaliste (consid6r6e par Winckelmann comme le sommet de l'art) et pr6f~re le symbole concret, sensible.

I1 exprime plusieurs fois son id6al du beau moderne, et sa c61~bre d~finition du romantisme est aussi celle d e l 'art

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moderne, en harmonie avec les plaisirs du public contemporain et la v6rit6 du monde r6el.

La mission de Stendhal n'&ait pas de supprimer l'id6al antique ou l'id6al m6di6val, mais de conqu6rir de nouveaux mondes, encore inconnus. Et dans ce sens, il interpr&ait l 'art et la vie intellectuelle de l'humanit6 autrement que les classi- ques, les rationalistes, les naturalistes et les platoniciens. I1 a ouvert les portes h tout ce qui est n6 ~t son 6poque, sous la R6volution fran~aise et dans la nouvelle soci6t6 en pleine formation. Son id6al du romantisme, nourri par l'Edinburgh

Review antischlegelienne et le romantisme italien plus proche des philosophies empiriques et sensualistes que le romantisme allemand, est tr~s proche de ce que nous entendons par r6a- lisme, et ce n'est pas par hasard qu'il parle de miroir en parlant du roman--chronique de 1830, n6cessairement politique.

C'est en pensant ~t cette phrase de l a conclusion du livre de R6izov que nous pouvons le mieux comprendre la port6e et la signification des romans de Stendhal, bien qu'il ne parle pas des romans. Pendant les derni~res ann6es de l 'Empire et pendant route la Restauration, il a ressenti un int6r~t dou- loureux ~t l'6gard des questions politiques, qui peuvent &re ramen6es ~t une seule question: comment assurer le plus grand bonheur au plus grand nombre. Les pr6occupations du bon- heur personnel &aient difficiles ~t dissocier des pr6occupations du bonheur du pays et de l'humanit6.

Les romans de Stendhal refl&ent ces id6es, mais aussi leur crise vers la fin des ann6es 20 et surtout sous Louis- Philippe. Car dans ses romans r6alistes il exprime aussi sa d~siltusion de la r6alit~ bourgeoise, et des id6es lib6rales, ainsi que l'impossibilit6 de cr6er le nouveau public cultiv6. Ceci va de pair avec la perte de ses illusions sur le romantisme.

R6izov ne continue p a s s e s recherches sur l'histoire des id6es apr~s la R6volution de 30, mais il 6tudie le roman du XIX ~ si~cle 1~ et attache une tr~s grande importance h l'6cole

10 g. r . PerI3OB, @pantlyzelcu~t poman XIX seua (Moscou, 1969).

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fr6n6tique du ~ d6senchantement ~) (Janin,. Jeune France), qui a 6galement influenc6 Stendhal, Balzac, G. Sand et le jeune Flaubert.

C'est dans sa monographie sur le roman fran~ais du XIX r si~cle qu'il esquisse ses id6es sur d'autres aspects du XIX ~ si~cle. I1 montre qu'apr6s la R6volution de 30, la plupart des 6crivains combattent l'6goisme bourgeois atomisant. C'est contre cet individualisme que Balzac se r6volte, mais il attend la solution du probl~me des forces conservatrices, de l'Eglise et de la monarchie, tout en analysant impitoyablement la r6a- lit6 sociale de son temps. Par contre, George Sand et Flaubert se tournent vers le panth6isme qui tente de dissoudre l'individu dans la nature et l'humanit6. Si l'id6ologie progressiste domi- nante des ann6es 20 6tait l'historisme, ce r61e sera jou6 par le panth6isme h partir des ann6es 30. Ce panth6isme est h la fois naturel et socio-historique. Mais tandis que chez George Sand l'individu est en continuel mouvement avec la nature et l'hu- manit6 en marche vers la libert6, chez Flaubert tout est stati- que. Les processus sociaux apparaissent pour lui, surtout apr~s la R6volution de 48, comme des processus ali6n6s, inalt6- rabies : les hommes, au lieu de faire leur histoire, en subissent la fatalit6.

Dans cette monographie l'accent est mis sur le roman histo- rique et social de type r6aliste ou naturaliste. Nous regrettons que le roman personnel, aussi repr6sentatif de l'6poqu~e que le roman historique et social (Senancour: Obermann, Cha- teaubriand: Atala, Ren~, Constant: Adolphe, Musset: Con- fession d'un enfant du siOcle, Nerval: Sylvie, Aur~lia etc.) ni les Mis~rables de Hugo n'y soient 6tudi6s. I1 est vrai qu'il a choisi comme point de d6part le roman de connaissance, n6 du roman historique pour montrer l'unit6 du roman du XIX ~ si6cle, mais la diversit6 et la complexit6 dans l'unit6 y auraient gagn6 par l'analyse de l'expression romanesque de la subjec- tivit6 off vision, connaissance et critique sociale coexistent.

L'ensemble des travaux de R6izov constitute une somme ad- mirable et originale sur l'id6ologie et le roman dans la France

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du XIX e si~cle et t ous les comparatistes peuvent pulser avec profit dans les livres tr6s solides et tr~s riches du chercheur sovi6tique.