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@ Joseph-Marie AMIOT ART MILITAIRE DES CHINOIS

Recueil d'anciens traités sur la guerre

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Page 1: Recueil d'anciens traités sur la guerre

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Joseph-Marie AMIOT

ART MILITAIRE DES CHINOIS

Page 2: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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à partir de :

ART MILITAIRE DES CHINOIS,

ou Recueil d'anciens traités sur la guerre,

composés avant l'ère chrétienne, par différents généraux chinois.

Ouvrages sur lesquels les aspirants aux grades militaires sont obligés de subir

des examens.

On y a joint

Dix préceptes adressés aux troupes par l'empereur Yong-tcheng père de

l'empereur régnant. Et des planches gravées pour l'intelligence des exercices, des évolutions, des

habillements, des armes, & des instruments militaires des Chinois.

Traduit en français par le père Joseph-Marie AMIOT (1718-1793) missionnaire à Pe-king, revu, & publié par M. Deguignes.

A Paris, chez Didot l'aîné, libraire imprimeur, rue pavée, près du quai des

Augustins. MDCCLXXII. 400 pages+33 planches.

Édition en mode texte par

Pierre Palpant

www.chineancienne.fr

mars 2011

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Art militaire des Chinois

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TABLE DES MATIÈRES

Avis

Discours préliminaire du traducteur

Les dix préceptes de l'empereur Yong-tcheng aux gens de guerre.

Préface de l'empereur,

I. Il faut aimer & respecter ses parents,

II. Il faut honorer & respecter ses aînés, III. Il faut être de bonne intelligence avec tout le monde,

IV. Il faut instruire ses enfants & ses frères cadets,

V. Il faut cultiver la terre avec soin,

VI. Il faut se rendre habile dans l'exercice de la flèche tant à pied qu'à cheval, VII. Il faut user d'économie,

VIII. Il faut s'abstenir du vin & des liqueurs qui enivrent,

IX. Il faut éviter le jeu,

X. Il faut éviter les combats & les querelles.

Les XIII Articles sur l'art militaire, par Sun-tse.

Préface,

I. Fondements de l'art militaire,

II. Des commencements de la campagne,

III. De ce qu'il faut avoir prévu avant le combat, IV. De la contenance des troupes,

V. De l'habileté dans le gouvernement des troupes,

VI. Du plein & du vide,

VII. Des avantages qu'il faut se procurer, VIII. Des neuf changements,

IX. De la conduite que les troupes doivent tenir,

X. De la connaissance du terrain,

XI. Des neuf sortes de terrains, XII. Précis de la manière de combattre par le feu,

XIII. De la manière d'employer les dissensions & de mettre la discorde.

Les VI Articles sur l'art militaire, par Ou-tse.

Préface, I. Du gouvernement de l'État par rapport aux troupes,

II. Combien il est important de bien connaître ses ennemis,

III. Du gouvernement des troupes,

IV. Du général d'armée, V. De la manière de prendre son parti dans les différents changements

qui peuvent arriver,

VI. Des véritables moyens d'avoir de bonnes troupes.

Les V Articles sur l'art militaire, par Se-ma.

Préface,

I. De l'humanité,

II. Précis des devoirs particuliers de l'empereur,

III. Précis des devoirs particuliers de ceux qui commandent, IV. De la majesté des troupes,

V. Idée générale de la manière dont il faut employer les troupes.

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Extrait du livre intitulé Lou-tao, sur l'art militaire.

Préface,

I. De la manière dont on faisait anciennement les généraux, II. De la manière dont le souverain & le général se communiquaient

leurs secrets.

Instruction sur l'exercice militaire.

Préface, Exercice de ceux qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier,

Premier Exercice,

Second Exercice,

Instruction sur la manière dont on doit faire l'exercice général.

Des armes, des habillements & des instruments qui sont à l'usage des

gens de guerre.

Index

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AVIS

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p.V Ces ouvrages sur l'art militaire des Chinois, traduits en français

par le P. Amiot, sont déposés dans le cabinet de M. Bertin, ministre &

secrétaire d'État, à qui ils ont été envoyés de la Chine par le traducteur.

C'est le fruit d'une correspondance suivie que ce ministre, plein de zèle

pour le progrès de nos connaissances, entretient, par la permission du

Roi, avec des lettrés chinois que Sa Majesté a honorés de sa protection

& qu'elle a comblés de ses bienfaits, pendant le séjour qu'ils ont fait en

France 1. Cette correspondance devient de plus en plus intéressante &

utile aux sciences aux arts, par les mémoires que ces lettrés envoient

tous les ans, que le ministre se fait un plaisir de communiquer par la

voie de l'impression.

Tel est celui du P. Amiot, ouvrage qui a dû coûter beaucoup de

peines à ce savant missionnaire, déjà connu par la traduction d'un

poème de l'empereur de la Chine, contenant l'éloge de la ville de

Moukden, qui avait été envoyé à la Bibliothèque du Roi, que j'ai fait

imprimer l'année dernière. J'ai apporté les mêmes soins & les mêmes

attentions dans la publication de celui-ci, je me suis fait un devoir de le

donner tel que le P. Amiot l'a envoyé ; j'ai seulement transposé

quelques-unes des notes ; j'en ai divisé quelques autres ; j'ai supprimé

quelques avis que l'impression rendait p.VI inutiles ou qui étaient répétés

en différents endroits ; j'ai réuni ou rapproché plusieurs observations

qui m'ont paru devoir l'être ; j'y ai ajouté une table des matières. Du

reste je me suis attaché à rendre cette édition entièrement conforme à

l'original que le P. Amiot a paraphé lui-même à la fin de chaque

chapitre, dans la crainte que son manuscrit ne tombât en d'autres

mains & ne fût altéré.

1 MM. Ko & Yang. M. Parent, conseiller de la cour des Monnaies, est chargé de cette correspondance. Ses lumières & son zèle répondent parfaitement aux intentions du

ministre.

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« Il est arrivé, dit-il plus d'une fois que sous prétexte de

corriger ou de donner une nouvelle forme aux ouvrages qu'on

reçoit des pays si éloignés, on les a tronqués ou défigurés,

soit en ajoutant où il n'était pas à propos de le faire, soit en

retranchant ce qu'il fallait conserver, soit enfin en voulant

donner le tout à sa manière, qu'on croit préférable à celle des

auteurs ; en conséquence, au lieu de donner des

connaissances sûres & exactes, on n'a fait que multiplier les

erreurs ou confirmer les fausses idées qu'on avait d'abord

conçues sur des rapports précipités ou peu fidèles : tout au

moins on a obscurci les objets, au lieu de les éclairer. Il me

semble qu'on devrait se conduire à l'égard des écrits qui

viennent de loin, comme on se conduit à l'égard des ouvrages

qui sont déjà surannés qu'on veut rajeunir : on ne se permet

d'autres changements que ceux qui ont rapport aux

expressions & au style ».

C'est à quoi je me suis borné dans l'impression de ce recueil.

Parmi les ouvrages militaires composés par les Chinois, il y en a six

auxquels ils donnent le nom de King ou de classiques, ce sont ceux sur

lesquels tout militaire doit subir un examen.

Le premier est intitulé Sun-tse. p.VII

Le second, Ou-tse.

Le troisième, Se-ma-fa.

Le quatrième, Lou-tao.

Le cinquième, Leao-tse.

Le sixième, Tai-tsoung, Li-ouei-kong.

Le P. Amiot n'a traduit que les trois premiers de ces ouvrages. Il a

envoyé le Sun-tse & l'Ou-tse en 1766, ils sont arrivés l'année suivante.

Il y a joint un ouvrage fait par ordre de l'empereur Yong-tcheng,

concernant la conduite que les troupes doivent tenir, & il a mis à la fin

les exercices & les évolutions des troupes chinoises, avec les dessins

nécessaires. Le troisième, ou le Se-ma-fa, est arrivé en 1769. Le P.

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Amiot paraît avoir quelque envie de continuer ce travail : s'il l'envoie, si

le public reçoit favorablement celui-ci, on pourra donner la suite.

Voilà ce que j'ai rassemblé, de quelques notes qui étaient éparses

dans l'ouvrage du P. Amiot. Qu'il me soit permis d'y ajouter quelques

observations sur les ouvrages qu'il a traduits. Tous sont en Chinois à la

Bibliothèque du Roi dans un recueil qui est intitulé Vou-king, c'est-à-

dire Livres classiques des militaires. Le premier est Sun-tse : son vrai

titre est Sun-tse-ping-fa, c'est-à-dire, Règles de l'Art Militaire par Sun-

tse ou Sun vou.

Cet ouvrage était en quatre-vingt-deux chapitres ; il n'en reste que

treize. Un empereur de la Chine, nommé Vou-ti, de la dynastie des

Ouei, qui vivait vers l'an 424 de J. C. a fait un commentaire très

estimé, qui est intitulé Ouei-vou-tchu-sun-tse. Il y a paru plusieurs

autres commentaires de l'ouvrage de Sun-tse, sous la dynastie des

Tang & sous celle des Song.

Le second est nommé Ou-tse, autrement Ou-ki. p.VIII Ou-tse était du

Royaume de Ouei ou Goei. Le Père Amiot en parle dans sa préface.

Le troisième est Se-ma-jang-kiu, que l'on appelle communément

Se-ma, nom de sa dignité. Il était du royaume de Tsi, & vivait sous les

Tcheou, avant J. C. Son ouvrage est intitulé Se-ma-ping-fa, ou Règles

de l'art militaire par Se-ma.

Le quatrième est intitulé Ven-toui, c'est-à-dire, Demandes &

réponses. Les demandes sont proposées par Li-chi-min ou Li-che-min,

& Li-tsing-yo y répond. Li-chi-min est le même que Tai-tsong,

empereur de la dynastie des Tang. Ce petit traité sur l'art militaire est

divisé en trois parties. Li-tsing-yo, autrement dit Tsing-yo-se, portait le

titre de Goei-kong ou Ouei-kong. Le père Amiot, qui en parle dans sa

préface sur le Lou-tao, le nomme Tching-yao-che, ce qui est une faute

de copiste ; il faudrait dire, conformément à sa prononciation, Tching-

yo-che. Tai-tsong vivait l'an 627 de J. C.

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Le cinquième, dans l'édition de la Bibliothèque du Roi, est le livre

intitulé Goei-leao-tse. Le P. Amiot, qui en parle 1, le nomme Yu-leao-

tse. Ce Goei-leao-tse vivait avant l'ère chrétienne : on ignore de quelle

province il était. Son ouvrage, en forme de dialogue, est divisé en

vingt-quatre articles assez courts ; l'auteur y remonte à l'origine de l'art

militaire sous Hoang-ti. Plusieurs savants ont fait des commentaires sur

cet ouvrage.

Le sixième est le San-lio, composé par Hoang-che-kong, qui vivait, à

ce que l'on croit, sous la dynastie des Tsin, avant J. C. Il est divisé en

trois parties.

p.IX Le septième & dernier est intitulé Lou-tao, il est attribué à Liu-

vang, le même que Tai-kong, qui vivait 1.122 ans avant J. C. au

commencement de la dynastie des Tcheou. Cet ouvrage est partagé en

soixante petits articles ; le P. Amiot en a traduit seulement le vingt-

unième, qui traite de l'établissement du général, & les vingt-quatrième

& vingt-cinquième, qui tous les deux ont pour objet la manière de se

communiquer les secrets. Ils sont réunis tous les deux dans l'article II

de l'extrait du Lou-tao.

Voilà les ouvrages fondamentaux sur l'art militaire chez les Chinois.

Les deux éditions de ce recueil, qui sont dans la Bibliothèque du Roi,

sont numérotées 353 & 354 ; l'une & l'autre renferment les mêmes

ouvrages mais dans celle qui est numérotée 354, les commentaires

sont beaucoup plus étendus, & l'on a mis à la tête un petit traité de

l'exercice de la flèche, tant à pied qu'à cheval, avec les figures. Cette

édition a été faite sous le règne de Kang-hi, mort en 1722 ; l'autre,

sous celui de Van-li, qui mourut l'an 1620 de J. C.

Les planches qui accompagnent la traduction du père Amiot sont

copiées fidèlement d'après les dessins enluminés qu'il a envoyés ; on a

simplement réduit ces dessins, qui étaient plus grands.

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1 Préface du Lou-tao.

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DISCOURS DU TRADUCTEUR

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p.001 À juger des Chinois par leurs mœurs, par leurs coutumes, par

leurs lois, par la forme de leur gouvernement, en général par tout ce

qui s'observe aujourd'hui parmi eux, on conclurait, sans hésiter, que ce

doit être la nation du monde la plus pacifique la plus éloignée d'avoir

les brillantes qualités qui sont les guerriers.

Leur génie, naturellement doux, honnête, souple & pliant, doit les

rendre beaucoup plus propres au commerce de la vie, qu'aux actions

militaires & au tumulte des armes. Leur cœur, toujours susceptible de

la crainte des châtiments, toujours resserré entre les bornes d'une

obéissance aveugle envers tous ceux que la Providence a placés sur

leur tête, doit être comme incapable de former ces projets hardis qui

font les héros. Leur esprit, toujours étouffé, dès l'enfance, par un

nombre presque infini de petites pratiques, fait que dans l'âge même le

plus bouillant, le sang ne semble couler dans leurs veines qu'avec une

lenteur qui fait l'étonnement de tous les Européens. Leurs préjugés ou,

si l'on p.002 veut, leur bon sens, ne leur font envisager qu'avec une

espèce d'horreur cette triste nécessité, où des hommes se trouvent

quelquefois réduits, d'attenter à la vie d'autres hommes. Tout cela

réuni doit contribuer, à la vérité, à faire des fils respectueux, de bons

pères de famille de fidèles sujets & d'excellents citoyens, mais ne doit

pas, ce me semble, inspirer du courage au soldat, de la valeur à

l'officier ni des vues au général.

Cependant cette même nation, depuis près de quatre mille ans

qu'elle subsiste dans l'état à peu près où on la voit aujourd'hui, a

toujours, ou presque toujours, triomphé de ses ennemis ; & lorsqu'elle

a eu le malheur d'être vaincue, elle a donné la loi aux vainqueurs eux-

mêmes. Ses Annales nous exposent sans fard le bon & le mauvais de

chaque dynastie. Comme elles sont écrites avec cette simplicité qui

caractérise si bien le vrai, il me semble qu'on ne peut, sans quelque

témérité, révoquer en doute ce qu'elles renferment. On y voit de temps

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en temps des traits de lâcheté qu'on aurait de la peine à trouver

ailleurs ; mais plus souvent encore on y admire des prodiges de

bravoure, & un total d'actions & de conduite militaires dont ailleurs

aussi il n'y a pas d'exemples bien fréquents. Un Ou-ouang 1, p.003 un

Kao-ti 2, un Han-sin, un Tan-tao-tsi 3, un Ouen-ti 4, un Ou-ti 5, un Tai-

tsou 6, un Che-tsou 7, presque tous les fondateurs de dynastie, quels

politiques ! quels guerriers ! quels héros ! non, les Alexandres & les

Césars ne les surpassent point. D'ailleurs, ces grands hommes, ces

puissants génies, qui ont p.004 fait de si belles lois pour le politique & le

civil, ne peuvent-ils pas en avoir fait d'aussi belles pour ce qui concerne

le militaire ? Il ne me convient pas de m'ériger en juge sur cette

matière ; c'est à nos guerriers qu'il appartient de prononcer à cet

égard.

Le premier des ouvrages que je leur présente, est le plus estimé de

tous : il a été composé par Sun-tse, un des plus vaillants & des plus

habiles généraux que la Chine ait eus. Les Chinois font si grand cas de

cet ouvrage, qu'ils le regardent comme un chef-d'œuvre en ce genre,

comme un vrai modèle, comme un précis de tout ce qu'on peut dire sur

l'art des guerriers. Leurs docteurs d'armes (car la milice a ici ses

docteurs comme les lettres), leurs docteurs d'armes, dis-je, ne sont

1 Ou-ouang est le fondateur de la dynastie des Tcheou : il monta sur le trône l'an 1112 avant J. C. 2 Kao-ti, autrement dit Kao-tsou, est le fondateur de la dynastie des Han : il monta sur

le trône l'an 206 avant J. C. 3 Han-sin & Tan-tao-tsi sont deux fameux généraux, dont les Chinois parlent encore

aujourd'hui avec admiration : ils leur joignent Keng- kan, Ou han & Lai hi. 4 Ouen-ti, troisième empereur de la dynastie des Soung, & Ouen-ti, quatrième empereur des Han, sont fameux par leurs exploits militaires. Ouen-ti des Han régnait

l'an 179 avant J. C. & Ouen-ti des Soung monta sur le trône l'an 424 après J. C. 5 Ou-ti était le sixième empereur des Han occidentaux ; il vivait 140 ans avant J.C. Il y a eu un autre Ou-ti, treizième empereur de la dynastie des Tsin, ou, pour mieux dire,

neuvième empereur des Tsin occidentaux, lequel s'est rendu recommandable par ses

qualités guerrières : il régnait l'an 375 après J. C. 6 Tai-tsou est le fondateur de la dynastie des Ming. Il monta sur le trône l'an de J. C.

1368 : il est connu sous le nom de Houng-ou, qui est celui de son règne. 7 Che-tsou, autrement dit Chun-tche, est le premier de la dynastie régnante, qui ait porté, de son vivant, le titre d'empereur de la Chine. Dans la révolution qui arriva l'an

1644, il s'est fait, de la part des Tartares Mantchous, des actions de sagesse, de

bravoure & de politique, qu'on serait tenté de regarder comme fabuleuses, si elles ne s'étaient passées dans un temps si voisin du nôtre : mais il faut tout dire ; c'est en

suivant les conseils des Chinois que ces Tartares ont fait tout ce que nous admirons. Je

pourrai dans la suite donner une histoire un peu détaillée de cette révolution.

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parvenus au grade qui les distingue, que parce qu'ils ont su l'expliquer,

ou en commenter amplement quelques articles, dans l'examen qu'on

leur a fait subir avant que de les admettre.

Le second, composé par Ou-tse, va presque de pair, & n'a pas moins

une approbation universelle. Celui qui l'a composé est un autre héros,

dont les brillantes actions sont un des principaux ornements de

l'histoire de son temps. Le grand empereur Kang-hi fit traduire en

langue tartare-mantchou l'un & l'autre de ces ouvrages, pour les mettre

entre les mains des Tartares ; & aujourd'hui même, il n'est personne

qui se crût en p.005 état d'être à la tête des troupes, s'il ne savait par

cœur son Sun-tse & son Ou-tse. Ces deux auteurs, disent les Chinois,

sont dans leur genre ce que Confucius & Mong-tse sont dans le leur.

Ceux-ci forment des philosophes, des hommes vertueux, des sages ;

ceux-là forment de bons soldats, de grands capitaines, d'excellents

généraux.

Se-ma & les autres qui ont écrit sur l'art militaire, ont également

leur mérite ; ils sont néanmoins d'un rang inférieur, & on peut parvenir

à être bachelier & docteur même dans la science militaire, sans les

savoir ou sans les avoir lus. Cependant quoique ceux qui veulent

s'élever par la voie des armes, ne soient pas obligés à la rigueur de

prendre des leçons dans l'ouvrage de Se-ma & dans les autres auteurs

du second rang, il est fort rare qu'ils ne les lisent, qu'ils ne les

apprennent, & qu'ils ne les sachent du moins en substance. Le livre de

Se-ma jouit d'une estime universelle ; c'est ce qui m'a déterminé à en

donner la traduction, que l'on trouvera après les deux auteurs dont j'ai

parlé.

Comme le goût des Chinois est aussi différent du nôtre, que nos

usages, nos mœurs & nos coutumes diffèrent des leurs, il pourra se

faire que ce qui est si fort estimé chez eux, ne soit regardé chez nous

qu'avec une certaine indifférence. Ainsi ceux qui pourraient avoir la

curiosité de lire les ouvrages de Sun-tse & des autres qui p.006 ont écrit

sur l'art militaire, ne doivent pas s'attendre à y trouver des détails

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amusants, des préceptes instructifs ni des pratiques pour le pays où ils

vivent.

Si j'avais un conseil à donner, je dirais volontiers qu'ils ne doivent se

proposer d'autre but que celui de savoir ce qu'on a pensé dans les pays

lointains, dans les temps reculés, sur un art connu de toutes les

nations, mais différemment exercé par chacune d'elles ; je dirais

encore qu'ils doivent se rappeler de temps en temps que ce sont des

auteurs chinois qu'ils lisent, que ce sont des Chinois qui leur parlent

français : alors ils excuseront facilement les défauts qu'ils pourront

rencontrer, & tout ce qui leur paraîtra n'être pas conforme aux lumières

de leur raison, à leur expérience & à leur bon goût.

Cependant si, contre mon attente, il arrivait qu'on eût quelque

agrément à converser avec ces héros étrangers & à recevoir quelques-

unes de leurs instructions, j'en aurais moi-même une satisfaction bien

grande ; & je serais dédommagé de mon travail, si, avec l'agrément, on

y trouvait encore l'utile. C'est principalement dans cette dernière vue

que j'ai entrepris un travail si contraire à mon goût, si éloigné de l'objet

de ma profession. Ce n'est pas sans avoir vaincu bien des obstacles que

je l'ai conduit à sa fin. Le laconisme, l'obscurité, disons mieux, la

difficulté des expressions chinoises n'est pas un p.007 des moindres ;

cent fois rebuté, j'ai abandonné cent fois une entreprise que je croyais

être, & qui était en effet au-dessus de mes forces : j'y renonçais

entièrement, lorsque le hasard me remit sur les voies, dans le temps

même que mes occupations semblaient devoir m'en éloigner

davantage. Voici, en peu de mots, quelle en a été l'occasion.

Quelques seigneurs tartares de la plus haute qualité, qui tenaient un

rang distingué dans les troupes, s'étaient attiré la disgrâce du

souverain. La confiscation de ce qu'ils possédaient fut une des peines

qu'ils subirent. On dépouilla leurs maisons, & on vendit publiquement

leurs meubles. Une personne de confiance, que j'avais chargée depuis

plus d'un an de ramasser tous les livres qu'elle pourrait trouver sur la

guerre, étant allée dans le lieu où se font ces sortes de ventes, jeta les

yeux sur les livres qui y étaient exposés ; elle vit, entre autres, un

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manuscrit, dans lequel se trouvait la collection des bons auteurs qui ont

écrit sur l'art militaire, avec des notes qui en étaient une espèce de

commentaire, pour le développement & l'entière intelligence du texte ;

elle se rappela la commission que je lui avais donnée, & n'hésita point

sur le parti qu'elle avait à prendre. Toute cette collection était traduite

en tartare-mantchou. J'apprenais alors cette langue ; celui que j'avais

pour maître, fils & petit-fils d'officier, militaire p.008 lui-même, me fit un

grand éloge de l'acquisition que je venais de faire ; il voulut même que

nous en expliquassions quelque chose ensemble, s'offrant de me

donner tous les éclaircissements nécessaires sur un art dans lequel il

avait vieilli, m'assurant de plus que le style en étant clair, pur &

élégant, je ne pourrais que profiter infiniment dans cette lecture.

Je consentis sans peine à ce qu'il exigeait de moi. On apprend à

s'exprimer en latin, naturellement avec délicatesse, en lisant les

Commentaires de César : pourquoi n'apprendrait-on pas à bien parler

tartare en étudiant dans des Commentaires faits pour former des

Césars mantchous ? Telle fut la réflexion que je fis alors. A peu près

vers le même temps, j'appris qu'en France on était curieux d'avoir des

connaissances sur la milice chinoise ; ce fut pour moi un nouveau motif

qui acheva de me déterminer. J'entrepris donc, non pas de traduire

littéralement, mais de donner une idée de la manière dont les meilleurs

auteurs chinois parlent de la guerre, d'expliquer d'après eux leurs

préceptes militaires, en conservant leur style autant qu'il m'a été

possible, sans défigurer notre langue, & en donnant quelque jour à

leurs idées, lorsqu'elles étaient enveloppées dans les ténèbres de la

métaphore, de l'amphibologie, de l'énigme ou de l'obscurité. Je me suis

servi pour cela, non seulement du manuscrit tartare dont je viens de

parler, mais encore des p.009 commentateurs chinois, anciens &

modernes.

On a un grand avantage lorsqu'on possède les deux langues, je veux

dire la langue chinoise & celle des tartares-mantchous. Lorsqu'on ne

comprend pas le chinois, on a recours au tartare, lorsqu'on est

embarrassé de retrouver le vrai sens dans le tartare, on ouvre le livre

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chinois ; ou, si l'on veut mieux faire, on les a continuellement l'un &

l'autre sous les yeux. C'est la conduite que j'ai tenue pendant le cours

de mon travail, qui a été de bien des années. Je n'ai pas négligé de

consulter les personnes habiles, lorsque je l'ai cru nécessaire.

Néanmoins il est arrivé bien des fois, malgré leurs longues explications

& leurs prétendus éclaircissements, que le secours de leurs lumières ne

m'a guère éclairé.

Tous les hommes ont à peu près les mêmes idées ; mais chaque

nation a sa manière propre de les développer, toujours conformément à

son génie, & conséquemment à la nature de la langue qu'elle parle. Ce

qui paraît clair, brillant, pompeux & magnifique chez les unes, est

embrouillé & plein d'obscurités, fade & insipide chez les autres. Les

Chinois ont cela de particulier, que leur langue ne ressemble en rien à

aucune de celles qu'on parle dans le reste du monde, si l'on excepte

quelques nations limitrophes, qui probablement leur doivent leur

origine. Cette langue singulière, que les p.010 Japonais appellent la

langue de confusion, ne présente que des difficultés à un Européen,

sous quelque point de vue qu'il l'envisage. Les caractères qui sont faits

pour exprimer les idées chinoises, sont comme ces belles peintures

dans lesquelles le commun, ou les connaisseurs médiocres ne voient

qu'en gros l'objet représenté, ou tout au plus une partie des beautés

qu'elles renferment, tandis qu'un vrai connaisseur y découvre toutes

celles que l'artiste a voulu exprimer.

La langue tartare, beaucoup plus claire, sans comparaison,

méthodique même comme nos langues d'Europe, a néanmoins ses

difficultés : elle n'explique souvent certaines obscurités chinoises que par

d'autres obscurités, parce que la plupart des traducteurs, fidèles à la

lettre, ne s'embarrassent pas trop du sens. Comme ces deux nations ne

sont plus aujourd'hui qu'une seule & même nation, leur éducation, leur

manière de penser, d'envisager les choses & de les représenter, est à peu

près la même ; ce qui fait que, ce qu'on n'a pas compris dans le chinois,

on ne le comprend pas quelquefois non plus dans le tartare. Que sais-je

encore si par la communication que j'ai moi-même avec les Tartares & les

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Art militaire des Chinois

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Chinois, & par la lecture assidue des ouvrages composés dans leur

langue, mes idées ne se ressentent pas un peu du climat que j'habite

depuis de longues années, & si mon langage n'est pas une espèce de

jargon inintelligible p.011 pour un Français qui fait son séjour dans sa

patrie ? Si cela est, les lecteurs équitables m'excuseront sans peine, &

diront du moins, laudo conatum ; c'est tout ce que je demande d'eux.

Afin de ne rien omettre de ce qui a été fait pour les militaires de ces

contrées, je joins ici la traduction d'un petit livre qu'Yong-tcheng, fils de

Kang-hi & père de l'empereur régnant, a composé autrefois pour

l'instruction des troupes, comme membres de la société civile 1. J'ai cru

qu'on verrait avec quelque plaisir quelle est la doctrine qu'on propose

ici aux gens de guerre. Le premier soin d'un empereur de la Chine est

de travailler à faire de bon citoyens ; il tâche ensuite de faire de bons

guerriers.

L'empereur Yong-tcheng a divisé son ouvrage en dix chapitres, qu'il a

intitulés Les dix préceptes faits pour les gens de guerre. De tous ceux

que je mets au jour, celui-ci est le dernier en date ; il est même de tous,

celui qui a le moins de rapport à la guerre : cependant comme il a p.012

été composé par un souverain, & que c'est pour des guerriers que ce

prince l'a composé 2, je le place à la tête des autres ouvrages militaires.

@

1 On verra, dans la préface que l'empereur place à la tête de ses Préceptes, en quel

sens il est l'auteur de l'ouvrage qui porte son nom. C'est la coutume des empereurs

chinois de ne pas mettre de différence entre ce qu'ils font faire & ce qu'ils font eux-mêmes, en fait de littérature. J'ai tant travaillé sur cette matière, disait autrefois Kang-

hi, à l'occasion d'un point d'anatomie, dont on lui rendait compte, que je dois bien être

au fait. Tout son travail en ce genre consistait dans un ordre qu'il avait donné au P. Parennin de traduire en tartare-mantchou les ouvrages de M. Dionis. 2 Les empereurs tartares-mantchous, qui ont gouverné la Chine depuis la destruction

des Ming, n'ont pas cru pouvoir mieux traiter la théorie de la guerre que n'avaient fait les Chinois qu'ils ont vaincus ; c'est pourquoi ils se sont contentés de faire traduire,

avec tout le soin possible, leurs ouvrages les plus essentiels : ils se sont approprié tout

ce qu'ils ont trouvé chez la nation vaincue, qui pouvait leur convenir ; & en adoptant la forme de leur gouvernement, quant au principal, ils n'ont pas jugé qu'il fût indigne

d'eux d'adopter également la plupart de leurs préceptes militaires. S'il y a de la

différence entre la milice d'aujourd'hui & celle des anciens Chinois, elle ne se trouve guère que dans une certaine police extérieure, qui ne doit être comptée pour rien. Les

dix Préceptes de l'empereur Yong-tcheng sont faits en général pour l'instruction de tous

les Mantchous, parce qu'ils sont censés être tous gens de guerre.

Page 16: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

16

LES DIX PRÉCEPTES

ADRESSÉS AUX GENS DE GUERRE,

par Yong-tcheng,

troisième empereur de la dynastie régnante

Page 17: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

17

Préface de l'empereur

@

p.013 Depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, les hommes

ont toujours eu des maîtres qui les ont gouvernés, qui les ont nourris,

aimés, instruits, qui leur ont montré le chemin de la vertu, qui ont

regardé comme un point capital le soin de les y faire marcher.

Kang-hi, mon père, a régné plus de soixante ans 1. p.014 Il a comblé

de mille bienfaits tous ses sujets ; il les a tendrement aimés ; il a été

leur père autant que leur maître. Les Mantchous ont été en particulier

l'objet des attentions continuelles de son grand cœur : il se fit un devoir

d'examiner par lui-même leur ancienne doctrine, n'oublia rien de tout

ce qui pouvait la faire revivre & la leur inculquer. Pour cela il ne s'en

rapporta pas seulement à ses lumières ; il ordonna de plus aux

gouverneurs de province, aux officiers généraux, & à tout ce qu'il y

avait de plus habile dans son empire, de l'étudier, de s'en instruire à

fond, de la faire apprendre à tous les gens de guerre qui leur étaient

soumis, d'employer tous leurs efforts pour la graver dans leur cœur

dans le plus grand détail.

Pour moi je me suis toujours appliqué à acquérir la grande

science 2 ; en héritant du trône de mon père, j'ai également hérité de

ses inclinations, dans toutes les affaires, je sens que je pense comme il

avait déjà pensé lui-même. Comme lui, j'aime tendrement mes sujets ;

comme lui encore, je ne veux rien négliger pour p.015 conserver les

Mantchous dans leurs anciennes mœurs, afin qu'ils soient toujours la

force & le soutien de l'empire.

1 Kang-hi n'a régné dans la réalité que 60 ans ; mais on compte toute l'année dans

laquelle il mourut, comme étant de son règne. 2 La grande science est un ouvrage composé par Confucius. Tseng- tse, un des

disciples de ce philosophe, y a ajouté quelques commentaires. L'objet de la grande

science est, 1° de régler son propre cœur avant de vouloir régler celui des autres ; 2° elle donne des préceptes sur le bon gouvernement ; 3° elle enseigne la manière de

pratiquer le bien & de s'y soutenir constamment, pour avoir la tranquillité de l'esprit &

le repos du cœur.

Page 18: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

18

L'année dernière, Hata, gouverneur général de Ningouta 1, vint à la

cour : je l'exhortai, en termes les plus forts, à ne rien négliger pour

l'instruction des troupes.

— C'est de vous autres, officiers généraux, lui dis-je plus

d'une fois, que dépend le bon ordre qui doit régner parmi les

gens de guerre ; vous devez leur expliquer, dans le détail le

plus exact, toutes les lois & les ordonnances qui les regardent

particulièrement ; il ne faut pas craindre de répéter souvent

les mêmes choses ; c'est un point des plus importants pour le

bien de l'État que celui que je vous recommande. Pour toi,

Hata, il faut que tu rédiges tout ce qui s'est fait en ce genre,

que tu mettes par écrit toutes les instructions que tu croiras

devoir être données aux troupes ; quand tout sera fini, tu me

le présenteras, afin que je le fasse publier par tout l'empire.

Hata obéit à mes ordres mais ne trouvant dans son écrit que de la

confusion, un style bas, les choses les moins nécessaires, je me suis

déterminé à faire composer par Tchang-cheou une simple instruction

divisée en dix parties, que j'ai revue avec un grand soin avant que de la

faire publier.

p.016 Quoique cet ouvrage soit fait particulièrement pour ceux qui

suivent actuellement le parti des armes, & qui portent le nom ou le titre

de soldat ou d'officier, je prétends néanmoins que non seulement les

gens de guerre, mais que tous les Mantchous, sans exception, en

fassent une lecture réfléchie, qu'il soit dans toutes les maisons, qu'on

l'apprenne partout, & que ceux même qui ne savent pas lire, trouvent

le moyen de le savoir par cœur en entier. C'est par là qu'on ne perdra

pas de vue l'ancienne doctrine des Mantchous, qu'on se la transmettra

de père en fils, & qu'en la conservant, on conservera le bonheur qui est

attaché à notre nation.

1 Ningouta est une des principales forteresses du pays des Mantchous. Elle est à 44° 24' 15" de latitude, & à 13° 15' de longitude orientale, en prenant le premier méridien à

Pe-king.

Page 19: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

19

Vous, grands de l'empire, gouverneurs de province, mandarins

officiers, ayez soin que mes ordres soient exécutés à la rigueur ;

instruisez les Mantchous mes esclaves 1, &, en les instruisant, soyez

pénétrés de cet amour paternel que j'ai moi-même pour eux & pour

vous tous.

Fait le douzième jour de la huitième lune de la cinquième année

d'Yong-tcheng 2.

1 Tous les Mantchous sans exception, de quelque qualité & condition qu'ils soient, sont les esclaves nés de l'empereur. Les grands, les regulos & tous les princes se donnent

eux mêmes le nom d'esclave, lorsqu'ils sont en présence de Sa Majesté. Moi votre

esclave, disent-ils ; ce que ne font pas les Chinois, qui se nomment simplement du nom de leur grade, ou de leur dignité. 2 La cinquième année d'Yong tcheng répond à notre année 1728.

Page 20: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

20

Premier précepte

Il faut aimer & respecter ses parents

@

p.017 Quoique vous soyez engagés dans la profession des armes, &

que l'étude des livres sacrés 1 & des Livres d'histoire ne vous ait pas

fort occupés, il ne faut pas que vous ignoriez le principal & le plus

essentiel de vos devoirs. Quelques réflexions sur la manière tendre

dont un père & une mère aiment leurs enfants, suffiront pour vous les

rappeler.

Un enfant qui vient de naître est hors d'état de pourvoir à sa propre

subsistance ; il ne peut se rendre à soi-même aucun de ces services

d'où dépendent sa santé & sa conservation : mais ceux à qui il doit le

jour les lui procurent avec empressement & avec joie.

Voyez comment un père & une mère sont attentifs à tout ce qui

regarde leurs enfants : il prêtent l'oreille au son de leurs voix ; ils

observent leurs visages ; ils sont dans des perplexités continuelles à

leur occasion ; s'ils les voient rire, ils sont bien aises ; ils sont tristes,

s'ils les entendent pleurer. Commencent-ils à marcher, ils comptent

leurs pas, ils les suivent, ils ne les quittent point ; sont-ils malades, ils

en sont dans l'affliction, ils en perdent même l'appétit & le sommeil

p.018 Lorsqu'ils commencent à devenir grands, ils les instruisent, ils leur

donnent une éducation convenable à leur état ; quand ils sont parvenus

à l'âge qui fait les hommes, ils tâchent de leur procurer un

établissement qui puisse les rendre heureux le reste de leurs jours.

Pour le dire en deux mots, les bienfaits dont un père & une mère

comblent leurs enfants, sont comme ceux dont le Ciel lui-même nous

comble chaque jour. Ils sont de toute espèce, ils sont sans nombre.

Conviendrait-il de les oublier, de les méconnaître, de n'en pas avoir la

plus parfaite reconnaissance ?

1 Les Chinois entendent par livres sacrés ces anciens livres qu'ils appellent King, c'est-

à-dire l'Y-king, le Che-king, le Chou-king, le Li-ki, l'Yo-king, dont il ne reste que quelques fragments, & les ouvrages de Confucius, qu'ils respectent presque autant que

les King. Parmi ces ouvrages de Confucius, on a placé ceux de Mong-tsée, & le tout

ensemble forme ce qu'on appelle les Se-chou.

Page 21: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

21

La manière de rendre à ses parents une partie de ce qu'on leur doit,

est d'avoir pour eux la tendresse & tous les égards convenables, est de

les respecter, de leur être soumis en tout, de leur procurer la

subsistance, & de les entretenir décemment 1. La fortune des hommes

n'est pas la même : les uns sont dans l'abondance, les autres dans la

médiocrité ou dans la pauvreté ; mais le riche & le pauvre peuvent

également remplir les mêmes devoirs. Celui qui est pauvre ne saurait

donner à son père à sa mère des mets exquis pour nourriture, ni des

habits somptueux pour vêtements ; mais il s'acquittera de son

obligation envers eux, s'il les nourrit & les entretient suivant son état &

ses facultés.

Le respect, la soumission, la tendresse sont de tous les états. C'est

être bon fils que d'aller au devant de tout ce qui p.019 peut faire plaisir à

son père, de ne lui désobéir en rien, de suivre en tout sa volonté, de le

consulter dans tout ce qu'on entreprend, de ne trouver rien de difficile

dans tout ce qu'il commande, de le seconder dans toutes ses vues, &

enfin de lui faire hommage de tout ce qu'on possède. Soyez tels, &

vous aurez rempli la plus essentielle & la première de vos obligations.

Ce n'est qu'en vous appliquant de toutes vos forces à honorer, à

respecter, à servir & à aimer avec tendresse vos parents, que vous

pourrez exécuter le premier des ordres que je vous prescris, comme

votre empereur & votre maître dans la doctrine.

1 Les Chinois, & aujourd'hui les Mantchous, ont ce principe si fort gravé dans le cœur,

que dès qu'ils ont des enfants un peu grands, ils ne pensent plus qu'à jouir

tranquillement de la vie, se reposant de tout sur ceux à qui ils ont donné le jour : aussi, la qualité de père est si respectable, que les enfants, voulant jouir à leur tour des

prérogatives & de tous les avantages qui y sont attachés, se la procurent le plus tôt

qu'il leur est possible.

Page 22: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

22

Deuxième précepte Il faut honorer & respecter ses aînés

@

Dans le sein d'une famille, le père & la mère sont ce qu'il y a de plus

précieux ; ils tiennent le premier rang : après eux viennent les enfants,

chacun par préséance d'âge. Il convient qu'il y ait de la subordination,

que les plus jeunes soient sous la dépendance des plus âgés.

Vous êtes le cadet de votre famille ; par cette raison, vous devez

être soumis à tous ceux qui la composent, tous ont droit de vous

commander. Vous ne devez rien faire que par les ordres ou avec la

permission de quelqu'un d'eux ; ou si vous avez entrepris quelque

chose de votre propre mouvement, ne la finissez point s'ils sont d'un

avis contraire. Vous seriez coupable d'entreprendre à la légère ce que

vous pourriez avoir imaginé. Chaque jour, chaque moment, vous devez

donner des preuves de votre soumission. Les occasions ne vous

manqueront pas ; ne les laissez pas échapper sans les mettre à profit.

p.020 Dans les entretiens ordinaires, ne montrez jamais de

l'opiniâtreté, ne disputez pas même pour soutenir votre sentiment ;

mais, persuadé que vos aînés pensent mieux que vous, cédez-leur avec

modestie, conduisez-vous comme si vous n'étiez pas d'un avis

différent. Dans les repas ne vous servez qu'après tous les autres. Soyez

réservé dans vos paroles, & ne parlez guère sans avoir été interrogé.

Si vous sortez, ne précédez jamais vos frères ; mais tenez-vous un

peu à l'écart, & marchez après eux. Debout, assis, dans toutes les

occasions, cédez-leur la première place.

Qu'un vil intérêt n'altère jamais l'union qui doit régner parmi vous, ne

vous laissez jamais aller à des murmures indécents. Ne dites point en

vous-même : Je suis plus jeune, il est vrai, que mes frères de quelques

années ; mais après tout je suis fils de la maison comme eux. Je ne dois

me décharger sur personne de ce qui me regarde particulièrement ; je

dois, travailler moi-même à ma propre réputation, me procurer un

établissement auquel mes frères ne penseraient peut- être pas pour

Page 23: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

23

moi : ainsi, je tâcherai d'avoir la plus grande part que je pourrai des

biens de mon père. Que dans d'autres circonstances je leur cède, à la

bonne heure ; mais ici je n'en ferai rien, chacun y est pour soi 1.

p.021 De tels sentiments sont toujours condamnables. Si vous les

aviez, vous manqueriez à votre devoir, vous ne seriez rien moins que

ce que vous devriez être à l'égard de vos frères. Vos père & mère en

auraient du déplaisir, & par là même, vous manqueriez aussi à ce que

vous leur devez. Je passe sous silence plusieurs autres choses qui ne

sont pas moins mauvaises, & qu'il faut que vous évitiez 2 si vous voulez

remplir les vraies obligations du plus jeune de votre famille.

Si, jusqu'à présent, vous avez eu à vous reprocher quelque p.022

chose sur cet article, corrigez-vous promptement. Si au contraire vous

avez toujours rempli vos obligations, remplissez-les désormais avec

encore plus d'exactitude. Je vous en fait le commandement, & je

prétends être obéi.

@

1 Ici, dès qu'un père & une mère sont morts, le fils aîné entre en possession de tous les

droits de la paternité envers ses frères cadets ; & ceux-ci lui doivent la même

déférence, la même soumission & le même respect que si véritablement il était leur père. Cependant ils sont libres de se séparer ou de rester dans la même maison. En cas

qu'ils se séparent, l'aîné est obligé de leur donner une portion des biens qu'a laissé le

père, égale à celle qu'il garde pour lui-même ; car, ici, les enfants partagent également. Il n'y a rien de déterminé pour les filles : si elles ne se marient point, leurs frères sont

obligés de les nourrir. 2 Une personne que je crois au fait de certaines anecdotes de l'ancienne cour, où ses ancêtres ont joué de grands rôles, étant de la famille impériale, m'a dit que cet article

avait coûté la vie d'abord à Hata qui avait traité ce sujet, ensuite à Tchang-cheou.

L'empereur Yong-tcheng n'était que le quatrième fils de Kang-hi. La manière dont il monta sur le trône n'est pas hors de soupçon, & celle dont il se conduisit à l'égard de

ses frères n'était rien moins que louable. Il en fit périr plusieurs, maltraita fort les

autres, ceux du moins qui pouvaient lui faire quelque ombrage. Hata, gouverneur de Ningouta, qu'il avait chargé de composer une instruction pour la conduite civile morale

des troupes tartares, & en général de tous les Mantchous, avait un peu trop insisté, à

ce qu'on prétend, sur les devoirs réciproques des frères entr'eux, en particulier des cadets envers les aînés. L'empereur crut y voir une satyre de sa conduite. Il ne s'en

plaignit pas ; mais il rejeta cet ouvrage comme ne contenant que les choses les plus

communes, & d'un fort mauvais style pour la manière dont il était écrit. Tchang-cheou fit la même faute que Hata, & ne fut pas plus heureux ; mais l'empereur

ne supprima pas son écrit en entier ; il approuva, au contraire, avec de grands éloges

ce qu'il en laissait, le fit publier sous son propre nom. Il était trop bon politique pour laisser apercevoir ce qui le choquait : comme il était aussi fort vindicatif, les deux

seigneurs tartares ne furent pas long temps sans être coupables de quelque crime, qui

leur fit perdre la tête sur échafaud.

Page 24: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

24

Troisième précepte

Il faut être de bonne intelligence avec tout le monde

@

Dans toutes les choses qui regardent le service, comme dans celles

qui n'y ont point de rapport, il faut vous prêter mutuellement du

secours, & regarder tous ceux qui habitent un même lieu que vous,

comme si c'était une seule personne à laquelle vous seriez chargé de

rendre service, & envers laquelle vous voudriez de tout votre cœur vous

acquitter de ce devoir.

Ayez pour tout le monde les mêmes égards & les mêmes attentions

que vous avez pour vous-même. Partagez le bien & le mal d'un chacun.

Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, affligez-vous avec

ceux qui sont dans la tristesse, assistez ceux qui sont dans le besoin, &

n'attendez pas pour cela qu'ils soient réduits à une misère extrême.

Obligez tout le monde à propos ; travaillez de concert comme si vous

n'aviez tous qu'un même but, & comme si tous ensemble vous ne

composiez qu'une même famille. Si vous tenez cette conduite, les

disputes, les querelles & les dissensions n'auront jamais lieu parmi

vous : l'union, la concorde & la paix répandront sur vos jours une

douceur & une tranquillité que vous ne goûterez jamais sans elles.

Gens de guerre, c'est à vous que je m'adresse en p.023 particulier.

Dans la garnison où vous vivez 1, ayez toutes sortes d'égards les uns

pour les autres : ne faites aucune distinction entre les personnes qui

1 Les garnirons chinoises diffèrent des nôtres, 1° en ce que les soldats qui les

composent ne sont point ambulants comme chez nous. Ce n'est point tantôt un

régiment ni tantôt un autre qui garde telle ou telle ville, tel ou tel poste ; mais les mêmes soldats demeureront dix ou vingt ans de suite dans un même lieu. 2° Les

troupes qui composent la garnison sont dans des lieux séparés du reste des habitants.

Elles ont des espèces de casernes, dans l'enceinte desquelles chaque soldat a sa petite maison d'environ dix pieds en carré. Sur le devant de chacune de ces maisons, il y a

une petite cour & par derrière un petit jardin ; la cour le jardin sont à peu près de la

même grandeur que la maison. Il faut qu'il y ait là de quoi loger un soldat, sa femme & ses enfants ; car ici les soldats, comme le reste du peuple, sont tous, ou presque tous

mariés. De plus, ces maisons ne communiquent point les unes aux autres ; elles sont

séparées par des murailles de la hauteur de six à sept pieds, afin que les familles ne puissent pas voir ce qui se passe les unes chez les autres, ou plutôt afin que les

femmes ne soient pas vues dans la liberté de leurs ménages car ici c'est une espèce de

crime à un homme de regarder la femme d'un autre.

Page 25: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

25

demeurent près de vous & celles qui en sont éloignées ; mais d'accord

avec tout le monde, prévenez-vous mutuellement par tous les bons

offices qui dépendent de vous. Ne mettez aucune différence entre les

grandes affaires & celles qui ne vous paraissent d'aucune conséquence ;

mais dans toutes, employez également vos soins, comme si toutes vous

regardaient personnellement. Ne faites acception de personne : voyez

d'un œil égal le pauvre & le riche, le simple & l'homme d esprit ; ayez la

même condescendance & les mêmes égards pour tous.

Si vous êtes du nombre des forts, n'insultez point à ceux qui sont

faibles : si vous êtes riches, n'ayez aucun mépris pour les pauvres. Ne

tirez aucune vanité des talents que vous pourriez p.024 avoir. Que la

modestie & l'humilité accompagnent toutes vos actions.

Consolez ceux qui sont dans l'affliction, ayez de l'indulgence pour les

défauts que vous apercevrez dans les autres, excusez leurs faiblesses,

pardonnez sans peine les insultes que vous croyez avoir reçues. Un seul

affront supporté patiemment suffit pour établir votre réputation. Telle

est la doctrine que je vous propose. Si vous vous en écartez, les

murmures, les querelles, les inimitiés règneront parmi vous, la

concorde, le plus désirable de tous les biens, s'éclipsera, ou peut-être

disparaîtra pour toujours. Comment après cela pouvoir vivre

tranquillement ? Quelles douceurs pourriez-vous trouver dans la vie ?

De quel exemple seriez-vous pour vos enfants, pour vos petits-fils, &

pour toute la postérité ? Gens de guerre, écoutez mes ordres avec

respect, & n'hésitez point à les suivre 1.

@

1 Les troupes que l'empereur a principalement en vue dans son instruction, sont celles

qui demeurent dans les garnisons de Tartarie ou des confins. Ce sont là les troupes favorites d'un empereur tartare chinois ; ce sont, du moins, les seules qui pourraient le

tirer d'affaire en cas de malheur. Aussi n'oublie-t-on rien pour les bien discipliner, pour

entretenir parmi elles cette inclination guerrière qui est le propre de la nation tartare. Un soldat mantchou, disait l'empereur régnant, à l'occasion du peu de troupes qu'il

envoyait pour une expédition assez importante, un soldat Mantchou en vaut dix d'une

autre nation.

Page 26: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

26

Quatrième précepte

Il faut instruire ses enfants & ses frères cadets

@

p.025 Si la conduite de vos enfants & de vos frères cadets n'est pas

telle qu'elle devrait être, c'est assurément votre faute ; c'est que vous

ne les avez pas instruits comme il était de votre devoir de le faire :

ainsi, ne cherchez pas d'autre source de leur mauvaise conduite & de

leurs désordres.

Un enfant qui manque d'instruction se livrera à tous ses penchants :

si naturellement il est porté au bien, il peut arriver qu'il devienne

honnête homme ; mais si ses inclinations le portent au mal, il sera

nécessairement un mauvais sujet. C'est à vous, pères, c'est à vous,

aînés de famille, à instruire vos enfants, à veiller sur l'éducation de vos

cadets. Vous pouvez par vos sages instructions & par vos bons

exemples, empêcher qu'ils ne suivent le torrent des vices qui les

entraîne : vous pouvez les corriger de leurs défauts, les faire rentrer

dans la bonne voie lorsqu'ils s'en écartent.

Tout homme est naturellement porté à aimer ses semblables, à

avoir du respect & de la condescendance pour ceux qui sont au-dessus

de lui, ou par l'âge ou par les emplois. Il faut cultiver cette heureuse

inclination ; il faut en profiter pour enseigner aux enfants la manière

dont ils doivent aimer & respecter leurs parents, celle dont ils doivent

se conduire à l'égard des magistrats ; pour leur inspirer l'obéissance

aux lois & à ceux qui sont préposés pour les faire garder ; pour leur

apprendre quels sont les devoirs réciproques du mari & de la femme, &

des frères entr'eux ; pour leur expliquer en p.026 quoi consiste la

véritable amitié ; pour leur inspirer une fidélité à toute épreuve ; pour

leur faire connaître toute l'étendue des obligations qu'ils ont

contractées, ce qu'ils doivent faire pour remplir celles de bons citoyens,

suivant leur âge, leurs forces & leur capacité, pour leur faire éviter

jusqu'aux plus petites fautes.

Page 27: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

27

Le Ciel, suivant une ancienne maxime, donne la faculté

d'apprendre ; l'étude & l'application donnent la science. Celui qui fait

souvent des actions qui ne sont pas bonnes, s'y accoutume ; &

l'habitude qu'il en contracte, lui rend le mal comme naturel. Le jeu, le

vin, la débauche, la fréquentation des méchants, sont les sources

ordinaires de la dépravation du cœur ; & quand une fois le cœur est

dépravé, on ne connaît plus de frein ; la crainte des châtiments

imposés par les lois en est un bien faible pour arrêter le désordre.

Pères, aînés de famille, si vous avez des fils, si vous avez des frères

qui soient tels, pouvez-vous être tranquilles ? La vie peut-elle avoir des

douceurs pour vous ? Tristes victimes de leurs crimes, vous verrez

tomber sur vous, comme sur eux, tout le poids de la sévérité des lois ;

sans avoir eu part à leur crime, vous partagerez leur ignominie, & la

honte vous suivra partout. Au contraire, si vous instruisez bien vos

enfants & vos frères, si vous veillez sur leur conduite, si vous mettez

tous vos soins à leur donner une bonne éducation, votre front sera

rayonnant de gloire, la porte même de votre maison brillera d'un éclat

qui éblouira les passants 1.

p.027 Mantchous, retenez bien ce que je viens de dire, & conformez-

vous-y de toutes vos forces.

@

1 Ce quatrième précepte, comme on l'a vu, ne regarde pas seulement les pères, mais

encore les aînés d'une maison ; au défaut des pères, ce sont les aînés que les lois

rendent responsables des désordres de leurs cadets. Il n'est pas rare de voir ici des grands dépouillés de leurs biens, privés de leurs charges, quelquefois même châtiés

plus sévèrement, par la seule raison que quelqu'un de leurs frères cadets est mauvais

sujet. Cette rigueur me paraissait outrée dans les commencements que j'étais à la Chine, mais aujourd'hui je la trouve raisonnable : je la crois même nécessaire, vu le

génie des Chinois ; l'intérêt & la crainte sont les deux principaux mobiles de toutes

leurs actions.

Page 28: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

28

Cinquième précepte Il faut cultiver la terre avec soin

@

Vous qui formez le corps des troupes, n'oubliez jamais que vous

êtes entretenus aux dépens de l'État. A chaque saison, à chaque lune,

chacun de vous reçoit exactement la solde déterminée pour le rang ou

le poste qu'il occupe ; vous avez, outre cela, des terres 1 qu'on vous a

données dans la vue de p.028 vous faire passer la vie avec plus d'aisance

& de commodités ; il faut les faire valoir de votre mieux : si vous ne les

cultivez pas avec soin, elles ne vous donneront que peu de profit ;

peut-être même n'en retirerez-vous aucun ; si vous les laissez en

friche, elles ne vous produiront rien. C'est ce que l'expérience apprend

tous les jours.

Si vous vous livrez à la paresse, si vous ne préparez vos terres, si

vous ne les ensemencez pas à propos, si, après les avoir ensemencées,

vous vous négligez sur les autres soins qu'elles demandent, votre

récolte ne sera point faite dans le temps convenable ; elle ne saurait

être bonne. Dans un temps de sécheresse, ceux qui ne sont occupés

que des travaux de la campagne, qui y donnent toute leur attention,

qui font tout ce qui dépend d'eux pour suppléer à ce que la nature leur

refusé, ne recueillent souvent que très peu : que doit-il arriver à ceux

1 Après que les Tartares mantchous se furent emparés de la Chine, l'empereur, sans

toucher aux terres du peuple, se saisit de toutes celles qui étaient incultes, qui

appartenaient aux princes & aux grands qui avaient constamment suivi le parti des restes de la dynastie qui venait d'être éteinte, & celles aussi de tous ceux qui se

trouvèrent atteints de quelque crime auprès du vainqueur. Il en fit comme l'apanage de

ceux de sa nation auxquels il les distribua toutes. Les huit bannières sous lesquelles sont tous les Mantchous, eurent, par les règlements qui furent faits alors, des fonds de

terre déterminés, dont, à proprement parler, elles ne sont que les usufruitières ; car le

droit d'aliénation ne leur appartient pas. Un particulier pourrait bien vendre le fonds de terre dont il était possesseur, mais seulement à un autre particulier de la même

bannière que lui. Malgré cela, les Chinois trouvaient les moyens de s'en rendre peu à

peu les maîtres, soit en les achetant sous des noms empruntés, soit en trompant de mille manières ces nouveaux venus qui n'avaient point encore perdu leur ancienne

bonne foi, ni leur sincérité naturelle. Les empereurs de cette dynastie ont fait chacun

des règlements pour tâcher de remédier à cet abus ; mais il paraît qu'ils n'ont pas eu tout le succès qu'ils avaient droit d'en attendre. L'empereur régnant a publié un édit par

lequel il permet aux descendants des propriétaires de terres aliénées hors de la

bannière, de les reprendre, en rendant seulement le prix du premier achat.

Page 29: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

29

qui ne se donnent aucun mouvement, qui négligent les travaux les plus

essentiels ? Moi-même, qui suis le grand maître de tout ce qui est sous

le ciel, qui, comme tel suis à l'abri plus que personne, de la disette &

des maux qu'elle entraîne après elle ; moi-même, chaque année, en

présence des princes & des grands, je laboure la terre de mes propres

mains 1. Ce que j'en fais, est pour convaincre l'Univers que p.029 les

soins & les travaux que la terre exige, regardent tout le monde, que

tout le monde, par conséquent, doit s'y employer de toutes ses forces,

puisqu'il n'est personne qui ne profite de ce qu'elle produit.

Gens de guerre, gardez-vous bien en particulier de vous négliger sur

cet article. Ouvrez le sein de la terre, préparez-la, ensemencez-la,

cultivez-la, recueillez ce qu'elle vous offre ; maïs que tout soit fait en

son temps. Si chaque année vous êtes exacts à lui donner à propos

tous les soins qu'elle demande, chaque année aussi vous aurez, par son

moyen, de grands sujets de satisfaction & de joie ; non seulement elle

vous fournira le nécessaire, mais encore elle vous mettra en état de

nourrir vos parents, d'entretenir votre famille, de passer agréablement

la vie au milieu de l'aisance & des commodités, souvent préférables à la

possession des plus riches trésors. Dans les mauvaises années, la

pauvreté & la disette n'auront aucun accès chez vous, parce que vous

aurez mis en réserve le surplus des années abondantes & fertiles 2.

p.030 Grands de l'empire, magistrats, vous tous sur qui je me

décharge du soin de gouverner, en détail, les peuples, instruisez tous

1 La cérémonie du labourage de la terre, faite par l'empereur une fois chaque année,

est fort ancienne à la Chine. Elle doit son origine, je pense, au respect que les Chinois

ont eu de tout temps pour celui de leurs empereurs auquel ils attribuent la perfection de l'agriculture. Chun, qui vivait environ 2.257 ans avant Jésus-Christ, apprit aux

hommes la bonne manière de cultiver la terre, dit l'historien chinois, il leur enseigna les

six manières de planter les arbres & d'ensemencer la terre. Chun, persécuté dans sa famille, par un frère du second lit, quitta la maison paternelle, & se fit laboureur. Il

parvint ensuite, par ses vertus & son mérite jusqu'à être le maître de l'empire. Ses

descendants, pour faire honneur à un art aussi utile à la société, & qui avait été cultivé par un aussi grand personnage, établirent cette cérémonie qu'une sage politique a

conservée jusqu'aujourd'hui dans tout son éclat. 2 On ne doit pas être surpris que l'empereur recommande si fort aux soldats de cultiver la terre. Ils font ici nombre parmi les citoyens ; d'ailleurs, à moins d'un cas pressant, on

a grand soin de ne pas les occuper aux exercices militaires, lorsque la terre ou les fruits

ont besoin de culture.

Page 30: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

30

mes sujets de mes intentions ; faites en sorte que les terres soient bien

cultivées, ne souffrez pas qu'il y en ait aucune en friche.

Officiers, ayez les mêmes attentions à l'égard des troupes que vous

commandez ; qu'aucune famille, qu'aucune personne n'échappe à votre

vigilance : il est de votre honneur, il est de votre intérêt, que tout le

monde fasse son devoir : faites vous-mêmes le vôtre.

@

Page 31: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

31

Sixième précepte

Il faut se rendre habile dans l'exercice de la flèche tant à pied qu'à cheval

@

L'art d'attaquer & de se défendre, lorsque l'occasion l'exige, regarde,

en général, tout le monde ; mais en particulier, c'est l'affaire capitale

de ceux qui suivent le parti des armes.

Dès qu'une fois vous êtes inscrit au nombre des gens de guerre,

l'État est chargé de votre subsistance, & il y pourvoit avec soin 1 .

Conviendrait-il de négliger le principal de vos p.031 devoirs, celui pour

lequel seulement vous êtes entretenus à grands frais ?

Être en état de tirer de la flèche, tant à pied qu'à cheval ; savoir

parfaitement l'un & l'autre de ces exercices, ne peut être que l'effet

d'une habitude contractée de longue main. Vous n'êtes point astreints à

des occupations étrangères, votre état vous en dispense ; rien par

conséquent ne doit vous distraire de ce que vous devez à l'exercice des

armes 2 ; tout ce que vous voyez, tout ce que vous entendez vous

rappelle sans cesse vos obligations. Que serait-ce si, au lieu de donner

tous vos soins à les remplir, vous alliez passer dans les plaisirs & dans

la débauche un temps que vous ne devez employer qu'à bander un arc

& à lancer des traits ? De quelle monstrueuse ingratitude ne seriez-

vous pas coupables envers l'État ?

1 L'État est chargé de fournir à chaque soldat & à sa famille une subsistance honnête. Les cavaliers ont six onces d'argent par mois, dont la moitié leur est donnée en argent &

l'autre moitié en riz ; les fantassins n'ont que quatre onces d'argent, dont la moitié leur

est également payée en argent & l'autre moitié en riz ; ce qui revient, pour les cavaliers à 45 liv. & pour les fantassins à 3o liv. de notre monnaie. Ce qu'on leur donne en riz revient

à la même somme. En temps de guerre les soldats sont défrayés jour par jour, & leurs

femmes perçoivent, dans les villes ou villages où elles font leur séjour, une partie de la solde de leurs maris, ce qui suffit pour leur entretien & celui de leurs familles. 2 J'ai déjà dit que les soldats avaient tout le temps qu'il fallait pour cultiver la terre : ils

ont aussi celui de s'exercer aux armes ; parce qu'outre qu'il est rare que les soldats ne se soient pas défaits de leurs terres, s'ils en avaient, en faveur de ceux de la bannière

qui ont eu de quoi les acheter, on ne les fatigue pas à force d'exercice ; seulement en

certains temps de l'année, les officiers généraux les assemblent & les examinent. Ceux qui sont en défaut sont punis par le bâton (ou, pour parler plus juste, par le fouet ; car

le bâton est pour les Chinois & le fouet pour les Mantchous), & quelquefois cassés, ce

qu'ils craignent infiniment.

Page 32: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

32

Lancer une flèche avec dextérité a été de tous temps un art chéri

des Mantchous ; ce n'est que par cette voie qu'on pouvait

anciennement se faire un grand nom parmi nous, qu'on pouvait même

être mis au nombre des hommes. Quoiqu'on ne pense pas tout à fait de

même aujourd'hui, p.032 cependant un Mantchou qui tirerait mal une

flèche, serait sans cesse sujet aux reproches & aux châtiments des

officiers qui le commandent ; il serait sujet aux railleries de ceux qui le

fréquentent ; il serait la honte de sa famille, & une espèce d'opprobre

pour sa nation. Dans une nuit profonde, lorsque le tambour vous

annonce les différentes veilles, faites de sérieuses réflexions sur un

sujet si important (i). Que chacun de vous prenne la résolution de faire

désormais tous ses efforts pour réussir dans un art d'où son honneur

particulier & le bien de l'État dépendent également.

Dans tous les exercices que vous ferez, tant en public que dans

votre particulier, ne soyez jamais contents que vous ne donniez au

milieu du but ; ne soyez nullement satisfaits si, lorsque vous êtes à la

chasse, vous ne percez chaque fois la bête que vous aurez tirée. C'est

par votre habileté en ce genre qu'on mesurera le degré d'estime qu'on

doit avoir pour vous. On ne vous donnera des emplois militaires qu'à

proportion de votre capacité & de votre adresse. Les soldats

deviendront officiers, les officiers seront élevés à des grades plus

distingués ; & tous, vous jouirez d'une réputation qui ne sera pas moins

glorieuse pour vos ancêtres que pour vos descendants. Vous n'ignorez

pas quel est le chemin qui doit vous conduire à la félicité & aux

honneurs ; vous savez de même quelle est la voie qui mène aux

infamies & aux misères : suivez l'un sans relâche ; écartez-vous de

l'autre avec toute l'attention dont vous êtes capables.

Les Chinois distinguent la nuit en cinq parties par les veilles qu'ils

font battre d'intervalle en intervalle. La première veille est à l'entrée de

la nuit, & la dernière se bat à l'aurore.

@

Page 33: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

33

Septième précepte

Il faut user d'économie

@

p.033 L'homme ne doit rendre aucun de ses jours inutiles : il ne doit

être aucun de ses jours sans avoir de quoi le passer. Il faut qu'il ait

ordinairement quelque chose de réserve pour le temps de calamité. Ce

n'est qu'en se conduisant ainsi qu'on peut mériter le titre d'économe.

Les troupes sont payées aujourd'hui comme elles l'étaient

autrefois ; cependant, parmi les gens de guerre, on en trouve fort peu

qui soient à leur aise. La prodigalité est la vraie cause de la misère où

ils sont réduits pour la plupart. Ils savent en général qu'il est une vertu

qui s'appelle économie ; du reste ils se mettent peu en peine de la

connaître en détail & de la pratiquer. Ils veulent être propres & brillants

dans leurs habits : ils veulent dans leurs repas ce qu'il y a de meilleur,

& dans leurs mets ce qu'il y a de plus exquis.

C'est ainsi que dans le cours d'une lunaison, ils consomment la paie

de plusieurs mois 1. Ils empruntent ensuite pour p.034 avoir de quoi

vivre ; ils paient de gros intérêts, & leurs dettes s'accumulent de jour

en jour ; ils deviennent en peu de temps insolvables, & réduits aux

dernières extrémités. L'État ne cesse pas cependant de les entretenir.

Leur solde est toujours exactement payée ; mais elle suffit à peine pour

satisfaire une partie de leurs créanciers 2. Il en est d'autres qui, non

1 Du temps de Kang-hi, il n'était pas rare de voir des grands mêmes aller à la cour avec des bottes de toile. Aujourd'hui il n'est pas jusqu'aux moindres soldats qui ne soient

tout habillés de soie, lorsqu'ils montent la garde, ou qu'ils font l'exercice. Pour ce qui

est des mets exquis que l'empereur leur reproche de vouloir dans leurs repas, il ne faut pas croire que ce soient des ragoûts finement apprêtés dont il veut parler : il veut leur

dire seulement qu'ils ne doivent pas manger de la viande dans tous leurs repas ; car ici

la viande est ce qu'il y a de plus exquis pour les Tartares & les Chinois de ces parties boréales. Du reste ils ne sont pas fort délicats sur le choix. Quelque viande que ce soit

leur est bonne. La chair de cheval, de chameau, d'âne, & de chien même, est excellente

à leur goût. Encore la plupart de ces animaux, quand on les vend au marché, sont morts ou de vieillesse ou de maladie ; car il est défendu de les tuer. Je parle des

chameaux & des chevaux ; il n'en est pas de même des ânes & des chiens. 2 Ce qui ruine la plupart des Mantchous est, 1° leur gourmandise, 2° leurs emprunts fréquents. Ils sont obligés de payer un gros intérêt ; & au lieu de travailler à éteindre

leurs dettes, ils en font sans cesse de nouvelles ; & ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il se

trouve des gens assez bons pour leur prêter, quelque insolvables qu'ils les croient.

Page 34: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

34

contents de dissiper mal à propos leurs revenus, dissipent encore, en

très peu de temps, tous les fonds qu'ils ont reçus de leurs ancêtres, ces

fonds que les chefs de leurs familles avaient obtenus pour prix de leur

valeur, ou qu'ils avaient amassés a la sueur de leur front, en mettant

en réserve chaque année, chaque lune, chaque jour même.

Pour obvier à de si grands désordres, j'ai cru devoir vous faire un

précepte de la pratique d'une vertu que votre intérêt seul devrait vous

faire embrasser à tous. Soyez économes ; ne faites plus désormais de

folles dépenses en habits ; soyez sobres dans vos repas ; ne cherchez

pas à avoir ce qu'il y a de plus délicat en fait de mets & de vins. Pour

les mariages & les enterrements, ne faites que les dépenses qui sont

absolument nécessaires 1 ; proportionnez tout à votre état & à vos p.035

facultés : c'est en se conduisant ainsi que ceux qui sont dans la

pauvreté, pourront peu à peu acquérir des richesses, & que ceux qui

sont pourvus des biens de la fortune, pourront les conserver & les

augmenter.

Je finis cet article par cette sentence de nos anciens, que je vous

ordonne de bien graver dans votre esprit : Avoir une espèce de regret à

un repas que l'on prend, c'est laisser un levain pour celui qui doit le

suivre : porter ses habits comme malgré soi, c'est travailler à de

nouveaux vêtements. Gens de guerre, faites bien attention à ce que j'ai

dit dans cet article & conformez-vous-y de toutes vos forces.

@

1 Les mariages & les enterrements sont aujourd'hui les deux grandes affaires des Chinois & des Tartares-Mantchous. Les enterrements surtout les ruinent. Ils croiraient n'avoir

point d'honneur, s'ils ne procuraient pas à ceux qu'ils font enterrer une sépulture

honorable, & s'ils ne mettaient pas leurs corps dans une caisse de bon bois, &c.

Page 35: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

35

Huitième précepte

Il faut s'abstenir du vin & des liqueurs, qui enivrent 1

@

Dans les repas ordinaires, dans des jours de cérémonie, dans des

invitations, & dans d'autres occasions semblables, on ne saurait se

dispenser de boire du vin, j'en conviens ; mais p.036 il y a des usages

que l'honnêteté prescrit, & au-delà desquels il ne faut jamais aller.

L'excès dans le boire renverse le naturel, & gâte les cœurs les plus

droits & les mieux faits. Lorsqu'une fois un homme est adonné à la

boisson, il n'est sorte de crimes dont il ne soit capable ; il y en a même

qui deviennent furieux : qu'on leur dise un mot qui leur déplaise,

aussitôt ils tirent le couteau 2, ou telle autre arme semblable, & courent

pour égorger, ou pour se faire égorger eux-mêmes. La plupart, sans

s'embarrasser de mourir ou de vivre, suivent précipitamment tout ce

que leur dicte une aveugle fureur ; fureur toutefois qui n'aura point sa

source dans les injures qu'ils pourront avoir reçues, mais uniquement

dans le vin qu'ils auront pris avec excès.

La plupart des forfaits dont le Tribunal des crimes m'avertit chaque

jour, n'ont guère été commis que par des gens plongés dans

l'ivresse 3 : les prisons sont pleines des victimes de l'ivrognerie : elles

regorgent de ces sortes de criminels qui, après avoir consumé tous

1 Le vin & les autres liqueurs enivrantes, qui sont en usage dans la Chine, ne sont

faites qu'avec différentes sortes de grains, comme blé, millet, riz, blé sarrasin autres

semblables : ce vin & ces autres liqueurs sont très malfaisantes, elles ont les plus pernicieux effets. La plupart de ceux qui en boivent, même sans excès, commencent

d'abord par engraisser ; mais peu à peu ils tombent dans la phtisie, perdent l'appétit de

telle sorte qu'ils ne sauraient plus rien avaler, & meurent ensuite secs & décharnés comme des squelettes.

2 Les gens de guerre, officiers, soldats & autres, quels qu'ils soient, n'ont droit de

porter les armes que lorsqu'ils sont en faction ; hors de là rien ne les distingue des simples citoyens, si ce n'est peut-être les marques de leur dignité, lesquelles

néanmoins leur sont communes avec les mandarins de lettres de même grade : mais il

n'est défendu à personne de porter un couteau à sa ceinture ; c'est même une partie des ornements chinois & tartares. 3 Le Tribunal des crimes a ses jours d'audiences, comme les autres Tribunaux. Il est

obligé de faire à chaque fois un précis de toutes les affaires actuellement pendantes, d'annoncer le nombre des prisonniers, de spécifier leurs crimes, &c. Chaque Tribunal

fait la même chose pour les affaires qui sont de son ressort. Ainsi l'empereur est à peu

près au fait tout ce qui se passe dans tout son empire.

Page 36: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

36

leurs biens dans les débauches du vin, ont commis une infinité d'autres

crimes, & ont entraîné p.037 dans leur malheur leurs femmes, leurs

enfants, leurs parents & leurs aînés 1. C'est en vain qu'ils témoignent

alors les regrets les plus amers ; il n'est plus temps de changer de

conduite, les supplices vont trancher le cours d'une vie qui n'a été

qu'un tissu de dérèglements & de crimes de toute espèce. Il faudrait

prévenir tous ces malheurs ; on le pourrait aisément, si, après s'être

une fois enivré, on faisait de sérieuses réflexions sur le pitoyable état

où l'on s'est trouvé pendant l'ivresse, sans pudeur, sans honnêteté,

sans raison & sans usage libre des sens : honteux de soi-même, on

rougirait d'une première faute, & cette honte salutaire serait suivie du

plus ferme propos de ne boire désormais qu'avec une extrême réserve.

p.038 La seule crainte des châtiments imposés par les lois, pour tous

ceux qui commettent des crimes, ne devrait-elle pas être plus que

suffisante pour détourner de la source empoisonnée d'où dérivent la

plupart de ces mêmes crimes ? Cependant on ne le voit que trop ; nulle

considération n'est capable d'arrêter un buveur. Ce vice honteux lui ôte

presque la liberté ; la seule vue du vin lui fait oublier toutes ses

résolutions ; il s'est enivré, il s'enivrera encore. Gens de guerre, évitez

un excès si capable de vous déshonorer, d'abréger vos jours & de

rendre inutiles le peu de ceux que vous aurez à vivre. Pères, mères,

frères, parents, amis, vous êtes tous intéressés à les détourner de ce

1 Lorsque quelqu'un est coupable de quelque crime, il est puni non seulement dans sa

propre personne mais encore dans celle de sa femme & de ses enfants, qu'on donne

pour esclaves à quelques seigneurs, s'ils sont de bonne famille, ou qu'on vend à qui veut les acheter, s'ils sont gens du commun. Cette loi, barbare en elle-même est

comme nécessaire : elle est une espèce de frein qui arrête bien des crimes qui se

commettraient sans cela. Ici les hommes ne s'embarrassent pas trop de mourir : pourvu qu'ils soient enterrés en lieu honorable, & qu'ils laissent des descendants qui les

pleurent dans les temps prescrits, ils sont contents. La seule idée qu'ils pourraient être

privés de ces honneurs, s'ils étaient sûrs que leurs femmes & leurs enfants ne dussent couler que des jours malheureux dans une honteuse servitude, les fait frémir, & les

empêche de se livrer à certaines passions, qu'ils suivraient aveuglément sans cette

crainte. Malgré cela il ne s'en trouve encore que trop qui se défont eux-mêmes, pour se venger de leurs ennemis, ou pour telle autre raison semblable ; mais ce sont des

monstres, dont on a horreur, & que toute la nature abhorre. Je dis qu'ils se donnent la

mort pour se venger de leurs ennemis, parce que, suivant les lois du pays, quand quelqu'un a été trouvé mort, on recherche tous ceux qu'on croit avoir été ses ennemis,

on les interroge, on les met à la question, pour savoir d'eux si, par leurs mauvaises

manières, ils n'ont pas porté cet homme à une action si détestable, &c.

Page 37: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

37

vice ; ne leur épargnez pas les exhortations, pour leur faire garder à la

rigueur un précepte que la bonté & la tendresse paternelles que j'ai

pour eux & pour vous m'ont suggéré.

@

Page 38: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

38

Neuvième précepte Il faut éviter le jeu

@

Parmi les choses qui portent un préjudice réel à l'homme, le jeu

tient, sans contredit, un des premiers rangs. Nous autres Mantchous,

bons & sincères dans notre origine, attachés à nos devoirs, &

uniquement occupés du soin de les remplir, nous étions bien éloignés

d'avoir une telle passion : nous ne connaissions que des amusements

honnêtes & innocents. Il n'en est pas de même aujourd'hui :

j'apprends, avec un regret amer, qu'il s'en trouve parmi les nôtres qui

jouent, & qui sont même joueurs de profession. Insensés, que

prétendent-ils ? quelles peuvent être leurs vues ? Parmi ceux qui

jouent, le plus grand nombre se ruine, & les autres, p.039 je veux dire

ceux même qui gagnent, loin de s'enrichir, s'appauvrissent tôt ou tard.

Il n'est donc permis à personne de jouer ; si quelqu'un s'avise

désormais de le faire, il enfreindra mes ordres, & il ne sera pas moins

rebelle à ceux de la Providence 1 qui veut que chacun soit content de

son sort.

Il n'est personne ici-bas qui n'ait sa part déterminée des biens de la

nature ; mais la mesure des richesses de chacun ne dépend pas

toujours des soins qu'il peut prendre pour les acquérir. L'état

d'opulence & de pauvreté n'a point été laissé à notre choix ; tout est

réglé par la Providence. Cependant il se trouve des hommes assez

stupides & assez méchants pour méconnaître cette Providence, & pour

vouloir se soustraire à ses ordres absolus. Étouffant dans leurs cœurs

les semences du bien que les lois humaines & celles de la nature y

avaient répandues, ils soupirent après le bien d'autrui, & cherchent à

l'envahir par les voies les plus illicites. Leur cupidité va si loin, qu'ils ne

font bientôt plus aucune difficulté de tromper, lorsqu'ils le peuvent

1 Le caractère chinois qu'on rend par ce son ming, le mot mantchou qui lui répond, peuvent s'expliquer également par le mot de providence, ou par celui de destinée, ou

du fatum des anciens. Il a véritablement l'une & autre de ces significations, tant en

chinois qu'en tartare-mantchou.

Page 39: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

39

impunément : ils mettent en usage toutes sortes d'artifices ; ils

gagnent chaque jour ; chaque jour les dépouilles des autres semblent

devoir augmenter leurs trésors : mais tout cela n'est qu'une vaine

apparence ; ils ne tarderont pas à être dépouillés à leur tour.

Ce qui m'étonne encore davantage, c'est d'apprendre qu'il se trouve

des hommes assez imbéciles pour se laisser tromper par ces joueurs de

profession. On ne serait pas la dupe de tels fripons si l'on voulait faire

quelque attention sur leur p.040 conduite. Ils séduisent d'abord de mille

manières ceux qu'ils veulent dépouiller ; ils n'oublient rien pour leur

donner insensiblement le goût du jeu ; mais quand une fois ils les

tiennent dans leurs filets, ils ne les laissent point échapper, qu'ils ne les

aient entièrement ruinés.

Un homme chez qui la passion du jeu commence à s'insinuer,

d'abord, joueur timide, ne donne au jeu que peu de temps ; mais

bientôt devenu plus hardi, il néglige ses devoirs, il abandonne sa

profession, il ne cultive plus l'art ou le métier dont il tirait sa

subsistance & celle de sa famille, il n'a plus d'autre occupation ni

d'autres pensées que le jeu ; il vend ses meubles, ses maisons & tout

ce qu'il possède, jusqu'à ce qu'enfin réduit à une misère affreuse, sans

ressource, sans honneur & sans réputation, il n'est plus qu'un objet

méprisable aux yeux des hommes, & un vil rebut de la nature humaine,

qui se trouve comme déshonorée de l'avoir produit.

Officiers, soldats, gens de guerre, qui que vous soyez, évitez un

excès si criant ; ne cherchez point à acquérir des richesses par d'autre

voie que par celle de vos travaux & de vos épargnes : vous avez vos

appointements fixes, ménagez-les ; ne faites point de dépenses

inutiles : vous avez des terres, cultivez-les avec soin & mettez à profit

tout ce qu'elles vous rendront. Après avoir suffisamment pourvu à votre

entretien & à celui de votre famille, mettez le superflu en réserve pour

l'avenir, pour les temps de calamité.

Dans la crainte ou je suis que les Mantchous, mes esclaves, ne

s'adonnent au jeu, j'ai voulu leur faire envisager une partie des

désordres que cette funeste passion entraîne après elle ; j'ai voulu les

Page 40: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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prévenir des dangers qu'ils courraient en s'y livrant. Instruits de mes

intentions & de leurs devoirs, ils doivent étouffer toute pensée qui

pourrait leur venir, de p.041 chercher à s'enrichir par une voie non moins

criminelle qu'inutile ; les châtiments suivront de près l'infraction à mes

ordres sur cet article. Que ceux qui, par une licence inique, sont

adonnés au jeu, aient à se corriger sans délai 1.

@

1 Les Chinois & les Mantchous qui sont aujourd'hui dans la Chine, sont peut-être, de

toute les nations du monde, celles qui, en apparence, ont le plus d'aversion pour le jeu.

Un joueur, un homme capable de tous les crimes, & un malfaiteur avéré, sont ici des termes presque synonymes. On ne laisse pas cependant que de jouer, & de jouer

même avec fureur. On a fait en différents temps des ordonnances très sévères contre le

jeu. Les empereurs de cette dynastie, par une politique semblable à celle d'un de nos rois, qui, pour arrêter le cours du luxe qui se répandait en France, permit aux

courtisanes seulement ce qu'il défendait aux personnes d'honneur, en défendant

rigoureusement le jeu dans toute l'étendue de l'empire, l'ont permis aux porteurs de chaise seulement, gens sans aveu, qui sont dans un mépris général ; mais cette

politique n'a pas eu tout le succès qu'on s'en était promis. L'empereur régnant n'a

excepté personne de la loi commune.

Page 41: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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Dixième précepte

Il faut éviter les combats & les querelles

@

L'amour de la vie est naturel à l'homme ; le soin de la conserver est

naturellement le premier de ses soins ; cependant il y a des gens assez

insensés pour ne pas craindre de la perdre, en se livrant aux excès

d'une colère aveugle, qui leur fait oublier ce qu'ils sont & ce qu'ils se

doivent à eux-mêmes. Leur colère, ou, pour mieux dire, leur fureur,

vient quelquefois d'une haine invétérée qu'ils n'ont pas eu soin

d'étouffer comme il faut, & qui se réveille à la première occasion ;

quelquefois aussi elle leur vient pour avoir reçu quelque insulte réelle

ou p.042 imaginaire, dont ils croient devoir se venger sur-le-champ, à

quelque prix que se soit.

L'homme, dans quelque état que le Ciel l'ait fait naître, a des devoirs

indispensables à remplir. Au-dessus de lui, il doit à ses ancêtres le soin

de faire à temps réglés les cérémonies prescrites, pour marque de sa

reconnaissance : au-dessous, il doit à ses enfants & à ses descendants

le bon exemple & les instructions. Ces deux devoirs ne sont pas d'une

petite conséquence ; ils sont indispensables. Comment peut-il se faire

qu'on n'y donne pas toute son attention ? On les oublie entièrement en

s'oubliant soi-même. La colère étouffe tout sentiment d'honneur, de

bienséance & d'humanité : on ne pense plus à la conservation de sa

propre vie ; comment penserait-on à remplir ses autres obligations ?

Les disputes, les querelles & les combats ont leur principe dans

l'impatience & dans l'orgueil. On ne saurait rien souffrir ; on s'emporte

pour la moindre chose ; la moindre chose blesse les cœurs

naturellement inquiets & turbulents. Pour réprimer les saillies d'une

colère naissante, il faut savoir prendre sur soi. Un homme qui ne sait

point se modérer, qui n'est pas maître de soi, ne saurait manquer

d'être dans l'inquiétude. Celui au contraire qui se modère dans les

occasions, acquiert une humeur douce, & jouit d'une tranquillité

inaltérable ; il pardonne aisément les affronts même les plus

Page 42: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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outrageants ; ce que ne saurait faire un homme qui a le trouble dans le

cœur & l'inquiétude dans l'esprit.

Une autre source de querelles & de combats vient quelquefois de la

mauvaise volonté de certaines gens qui vont semer la discorde & irriter

des cœurs qui, par eux-mêmes, ne sont déjà que trop portés à la

vengeance ; ils rappellent sans cesse le souvenir d'une injure qu'on

avait déjà peut-être p.043 oubliée ; ils en exagèrent la grandeur ; ils

parlent sans cesse de la honte qu'il y a à la laisser impunie ; ils

fournissent des moyens, ils animent, ils engagent à des entrevues & à

des explications, où, pour l'ordinaire, après quelques paroles, on en

vient aux injures, & des injures aux coups & au mépris de sa propre

vie. Avec quelle attention ne devrait-on pas éviter d'être les victimes de

ces perturbateurs du repos public !

Dans le fort de la dispute il ne manque guère de se trouver

quelqu'un qui exhorte à la paix, qui se donne pour entremetteur entre

les deux partis ; mais on ne l'écoute point ; la vengeance & la colère

étouffent la raison & tous les motifs qu'elle peut suggérer ; on court à

sa propre perte, sans s'embarrasser des chagrins cuisants ni des

malheurs qu'on va causer à toute sa famille & à sa postérité 1. Lorsque

quelqu'un a été tué, il p.044 faut que son meurtrier meure aussi ; c'est la

loi de l'empire. Ne l'oubliez pas, gravez-la profondément dans votre

1 Les querelles & les combats dont l'empereur parle ici, ne regardent guère que les

Mantchous, car, pour les Chinois, il est rare qu'ils en viennent à ces sortes d'extrémités. Les vrais Chinois ne vont guère au-delà des injures, ou tout au plus de quelques coups

de poings ; & encore lorsqu'ils veulent se battre, ils ne le font point sans de longues

délibérations : ils commencent par ôter leurs habits, ils les mettent proprement dans quelque endroit sûr, aimant beaucoup mieux qu'on leur déchire la peau du corps, qui ne

leur coûte rien, que les vêtements qui leur coûtent de l'argent : quand celle-là est

écorchée, disent-ils, on en est quitte pour attendre patiemment la guérison ; mais quand ceux-ci sont déchirés, il faut en acheter de nouveaux.

Après que leurs vêtements sont à l'abri de toute insulte, ils se provoquent mutuellement,

& se disent, par-ci par là, quelques injures pendant l'espace d'un quart d'heure ou d'une demi-heure, jusqu'à ce que quelqu'un des spectateurs, dont la curiosité de savoir le sujet

de la dispute est déjà satisfaite, s'ennuyant de ne plus rien entendre de nouveau, se

mette en devoir de les séparer ; les champions font d'abord quelques difficultés ; mais dociles ensuite, ils se séparent & s'en vont chacun de son côté.

Les Mantchous & tous ceux qui sont sous les bannières sont un peu plus furieux. Ils

mettent quelquefois le couteau à la main, & ils s'égorgent : c'est, la plupart du temps, sans en avoir l'intention ; car aujourd'hui les mœurs chinoises les ont presque tous

subjugués, & il n'y a guère de combats que parmi ce qu'il y a de plus vil, ou parmi ceux

qui sont pris de vin.

Page 43: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

43

esprit, rappelez-en le souvenir lorsque les mouvements de l'indignation

& de la colère commencent à s'élever dans votre cœur : n'attendez pas

pour cela que les semences de la haine aient pris racine ; n'attendez

pas le moment de la dispute ; il ne serait plus temps alors. Pensez

aussi que vous n'êtes pas les maîtres de vos personnes, pour en

disposer à votre gré ; elles appartiennent à l'empire & à vos familles ;

c'est pour l'empire & pour vos familles que vous devez les conserver ;

un seul moment d'oubli vous rendrait coupables envers l'un & envers

les autres.

@

Page 44: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

44

LES TREIZE ARTICLES

SUR

L'ART MILITAIRE

ouvrage composé en chinois par

Sun-tse, général d'armée dans le royaume de Ou,

& mis en tartare-mantchou par ordre de l'empereur Kang-hi,

l'année 27e du cycle de 60, c'est-à-dire, l'année 1710.

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Préface

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p.047 Avant que d'exposer les ouvrages de Sun-tse, il convient,

disent les commentateurs, de faire connaître sa personne, & de donner

une idée de ses talents pour former les troupes & pour en entretenir la

discipline militaire. Voici en peu de mots comment ils remplissent ce

double objet, & l'histoire vraie ou supposée qu'ils racontent de ce

général.

Sun-tse, disent-ils, né sujet du Roi de Tsi 1, était l'homme le plus

versé qu'il y ait eu dans l'art militaire. L'ouvrage qu'il a composé & les

grandes actions qu'il a faites, sont une preuve de sa profonde capacité

& de son expérience consommée en ce genre. Avant même qu'il eût

acquis cette grande réputation qui le distingua depuis dans toutes les

provinces qui composent aujourd'hui l'empire, & dont la plupart

portaient alors le nom de royaume, son mérite était connu dans tous

les lieux voisins de sa patrie.

Le roi de Ou 2 avait quelques démêlés avec le rois de Tchou & de

Ho-lou 3. Ils étaient sur le point p.048 d'en venir a une guerre ouverte, &

de part & d'autre on en faisait les préparatifs. Sun-tse ne voulut pas

demeurer oisif. Persuadé que le personnage de spectateur n'était pas

fait pour lui, il alla se présenter au roi de Ou pour obtenir de l'emploi

dans ses armées. Le roi, charmé qu'un homme de ce mérite se rangeât

dans son parti, lui fit un très bon accueil. Il voulut le voir & l'interroger

lui-même.

— Sun-tse, lui dit-il, j'ai vu l'ouvrage que vous avez composé

sur l'art militaire, : j'en ai été content ; mais les préceptes

que vous donnez me paraissent d'une exécution bien difficile ;

1 Le royaume de Tsi était dans le Chan-tong. 2 Le royaume de Ou était dans le Tche-kiang. Il s'étendait dans le Kiang-si, & dans le

Kiang nan, & occupait une partie de chacune de ces provinces. 3 Le royaume de Ho-lou était dans le Chan-tong. On l'appelait plus communément le

royaume de Lou.

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il y en a même quelques-uns que je crois absolument

impraticables : vous-même, pourriez-vous les exécuter ? car

il y a loin de la théorie à la pratique. On imagine les plus

beaux moyens lorsqu'on est tranquille dans son cabinet &

qu'on ne fait la guerre qu'en idée ; il n'en est pas de même

lorsqu'on se trouve dans l'occasion. Il arrive alors qu'on

regarde souvent comme impossible ce qu'on avait envisagé

d'abord comme fort aisé.

— Prince, répondit Sun-tse, je n'ai rien dit dans mes écrits

que je n'aie déjà pratiqué dans les armées ; mais ce que je

n'ai pas encore dit, & dont rependant j'ose assurer

aujourd'hui Votre Majesté, c'est que je suis en état de le faire

pratiquer par qui que ce soit, & de le former aux exercices

militaires quand j'aurai l'autorité pour le faire. p.049

— Je vous entends, répliqua le roi : vous voulez dire que vous

instruirez aisément de vos maximes, des hommes intelligents,

& qui auront déjà la prudence & la valeur en partage ; que

vous formerez sans beaucoup de peine aux exercices

militaires, des hommes accoutumés au travail, dociles, &

pleins de bonne volonté. Mais le grand nombre n'est pas de

cette espèce.

— N'importe, répondit Sun-tse : j'ai dit qui que ce soit, & je

n'excepte personne de ma proposition : les plus mutins, les

plus lâches & les plus faibles y sont compris.

— A vous entendre, reprit le roi, vous inspireriez même à des

femmes les sentiments qui font les guerriers ; vous les

dresseriez aux exercices des armes.

— Oui, prince, répliqua Sun-tse d'un ton ferme, je prie Votre

Majesté de n'en pas douter.

Le roi, que les divertissements ordinaires de la cour n'amusaient

plus guère dans les circonstances où il se trouvait alors, profita de cette

occasion pour s'en procurer d'un nouveau genre.

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Art militaire des Chinois

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— Qu'on m'amène ici, dit-il, cent quatre-vingts de mes

femmes.

Il fut obéi, & les princesses parurent. Parmi elles il y en avait deux en

particulier que le roi aimait tendrement ; elles furent mises à la tête

des autres.

— Nous verrons, dit le roi en souriant, nous verrons, Sun-tse,

si vous nous tiendrez parole. Je vous constitue général de ces

nouvelles troupes. Dans toute l'étendue de mon palais vous

n'avez qu'à p.050 choisir le lieu qui vous paraîtra le plus

commode pour les exercer aux armes. Quand elles seront

suffisamment instruites, vous m'avertirez, & j'irai moi-même

pour rendre justice à leur adresse & à votre talent.

Le général, qui sentit tout le ridicule du personnage qu'on voulait lui

faire jouer, ne se déconcerta pas, & parut au contraire très satisfait de

l'honneur que lui faisait le roi, non seulement de lui laisser voir ses

femmes, mais encore de les mettre sous sa direction.

— Je vous en rendrai bon compte, Sire, lui dit-il d'un ton

assuré, j'espère que dans peu Votre Majesté aura lieu d'être

contente de mes services ; elle sera convaincue, tout au

moins, que Sun-tse n'est pas homme à s'avancer

témérairement.

Le roi s'étant retiré dans un appartement intérieur, le guerrier ne

pensa plus qu'à exécuter sa commission. Il demanda des armes & tout

l'équipage militaire pour ses soldats de nouvelle création ; & en

attendant que tout fût prêt il conduisit sa troupe dans une des cours du

palais, qui lui parut la plus propre pour son dessein. On ne fut pas

longtemps sans lui apporter ce qu'il avait demandé. Sun-tse adressant

alors la parole aux princesses :

— Vous voilà leur dit-il, sous ma direction & sous mes

ordres : vous devez m'écouter attentivement, m'obéir dans

tout ce que je vous commanderai. C'est la première & la plus

essentielle des lois militaires : gardez-vous bien de

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Art militaire des Chinois

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l'enfreindre. Je veux que dès demain vous p.051 fassiez

l'exercice devant le roi, & je compte que vous vous en

acquitterez exactement.

Après ces mots il les ceignit du baudrier, leur mit une pique à la

main, les partagea en deux bandes, & mit à la tête de chacune une des

princesses favorites. Cet arrangement étant fait, il commence ses

instructions en ces termes :

— Distinguez-vous bien votre poitrine d'avec votre dos, &

votre main droite d'avec votre main gauche ? Répondez.

Quelques éclats de rire furent toute la réponse qu'on lui donna d'abord.

Mais comme il gardait le silence & tout son sérieux :

— Oui, sans doute, lui répondirent ensuite les dames d'une

commune voix.

— Cela étant, reprit Sun-tse, retenez bien ce que je vais dire.

Lorsque le tambour ne frappera qu'un seul coup, vous

resterez comme vous vous trouvez actuellement, ne faisant

attention qu'à ce qui est devant votre poitrine. Quand le

tambour frappera deux coups, il faut vous tourner de façon

que votre poitrine soit dans l'endroit où était ci-devant votre

main droite. Si au lieu de deux coups vous en entendiez trois,

il faudrait vous tourner de sorte que votre poitrine fut

précisément dans l'endroit où était auparavant votre main

gauche. Mais lorsque le tambour frappera quatre coups, il faut

que vous vous tourniez de façon que votre poitrine se trouve

où était votre dos, & votre dos où était votre poitrine.

Ce que je viens de dire n'est peut-être pas assez clair : p.052

je m'explique. Un seul coup de tambour doit vous signifier

qu'il ne faut pas changer de contenance, que vous devez être

sur vos gardes : deux coups, que vous devez vous tourner à

droite : trois coups, qu'il faut vous tourner à gauche ; &

quatre coups, que vous devez faire le demi-tour. Je

m'explique encore.

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L'ordre que je suivrai est tel : je ferai d'abord frapper un seul

coup : à ce signal vous vous tiendrez prêtes à ce que je dois

vous ordonner. Quelques moments après je ferai frapper deux

coups : alors, toutes ensemble, vous vous tournerez à droite

avec gravité ; après quoi je ferai frapper non pas trois coups,

mais quatre, & vous achèverez le demi-tour. Je vous ferai

reprendre ensuite votre première situation, comme

auparavant, je ferai frapper un seul coup. Recueillez-vous à

ce premier signal. Ensuite je ferai frapper, non pas deux

coups, mais trois, vous vous tournerez à gauche, aux quatre

coups vous achèverez le demi-tour. Avez-vous bien compris

ce que j'ai voulu vous dire ? S'il vous reste quelque difficulté,

vous n'avez qu'à me la proposer, je tâcherai de vous

satisfaire.

— Nous sommes au fait, répondirent les dames.

— Cela étant, reprit Sun-tse, je vais commencer. N'oubliez

pas que le son du tambour vous tient lieu de la voix du

général, puisque c'est par lui qu'il vous donne ses ordres.

Après cette instruction répétée trois fois, Sun-tse p.053 rangea de

nouveau sa petite armée, après quoi il fait frapper un coup de tambour.

A ce bruit toutes les dames se mirent à rire : il fait frapper deux coups,

elles rirent encore plus fort. Le général, sans perdre son sérieux, leur

adressa la parole en ces termes :

— Il peut se faire, que je ne me sois pas assez clairement

expliqué dans l'instruction que je vous ai donnée. Si cela est,

je suis en faute ; je vais tâcher de la réparer en vous parlant

d'une manière qui soit plus à votre portée

(sur-le-champ il leur répéta jusqu'à trois fois la même leçon en d'autres

termes) :

— Puis, nous verrons, ajouta-t-il, si je ferai mieux obéi.

Il fait frapper un coup de tambour, il en fait frapper deux. A son air

grave, & à la vue de l'appareil bizarre où elles se trouvaient, les dames

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oublièrent qu'il fallait obéir. Après s'être fait quelques moments de

violence pour arrêter le rire qui les suffoquait, elles le laissèrent enfin

échapper par des éclats immodérés.

Sun-tse ne se déconcerta point ; mais du même ton dont il leur

avait parlé auparavant, il leur dit :

— Si je ne m'étais pas bien expliqué, ou que vous ne

m'eussiez pas assuré, d'une commune voix, que vous

compreniez ce que je voulais vous dire, vous ne seriez point

coupables : mais je vous ai parlé clairement, comme vous

l'avez avoué vous-mêmes ; pourquoi n'avez-vous pas obéi ?

Vous méritez punition & une punition p.054 militaire. Parmi les

gens de guerre, quiconque n'obéit pas aux ordres de son

général, mérite la mort : vous mourrez donc.

Après ce court préambule, Sun-tse ordonna à celles des femmes qui

formaient les deux rangs de tuer les deux qui étaient à leur tête. A

l'instant, un de ceux qui étaient préposés pour la garde des femmes,

voyant bien que le guerrier n'entendait pas raillerie, se détache pour

aller avertir le roi de ce qui se passait. Le roi dépêche quelqu'un vers

Sun-tse pour lui défendre de passer outre, en particulier de maltraiter

les deux femmes qu'il aimait le plus & sans lesquelles il ne pouvait

vivre.

Le général écouta avec respect les paroles qu'on lui portait de la

part du roi ; mais il ne déféra pas pour cela à ses volontés.

— Allez dire au roi, répondit-il, que Sun-tse le croit trop

raisonnable & trop juste pour penser qu'il ait sitôt changé de

sentiment, & qu'il veuille véritablement être obéi dans ce que

vous venez annoncer de sa part. Le prince fait la loi ; il ne

saurait donner des ordres qui avilissent la dignité dont il m'a

revêtu. Il m'a chargé de dresser aux exercices des armes cent

quatre vingts de ses femmes, il m'a constitué leur général ;

c'est à moi à faire le reste. Elles m'ont désobéi, elles

mourront.

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Art militaire des Chinois

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A peine eut-il prononcé ces derniers mots, qu'il tire son sabre, & du

même sang-froid qu'il avait témoigné jusqu'alors, il abat la tête aux

deux qui commandaient les autres. Aussitôt il en met deux autres à

leur p.055 place, fait battre les différents coups de tambour dont il était

convenu avec sa troupe ; & comme si ces femmes eussent fait toute

leur vie le métier de la guerre, elles se tournèrent en silence toujours à

propos.

Sun-tse adressant la parole à l'Envoyé :

— Allez avertir le roi, lui dit-il, que ses femmes savent faire

l'exercice ; que je puis les mener à la guerre, leur faire

affronter toute sorte de périls, & les faire passer même au

travers de l'eau & du feu.

Le roi ayant appris tout ce qui s'était passé, fut pénétré de la plus

vive douleur.

— J'ai donc perdu, dit-il en poussant un profond soupir, j'ai

donc perdu ce que j'aimais le plus en ce monde... Que cet

étranger se retire dans son pays. Je ne veux ni de lui, ni de

ses services... Qu'as-tu fait, barbare !... comment pourrai-je

vivre désormais, &c.

Quelque inconsolable que le roi parût, le temps & les circonstances

lui firent bientôt oublier sa perte. Les ennemis étaient prêts à fondre

sur lui ; il redemanda Sun-tse, le fit général de ses armées, par son

moyen il détruisit le royaume de Tchou 1. Ceux de ses voisins qui lui

avaient donné le plus d'inquiétudes auparavant, pénétrés de crainte au

seul bruit des belles actions de p.056 Sun-tse, ne pensèrent plus qu'a se

tenir en repos sous la protection d'un prince qui avait un tel homme à

son service.

Telle est l'idée que les Chinois donnent de leur héros. De

l'événement qu'ils racontent, & que je viens de raconter d'après eux,

soit qu'il soit réel, soit qu'il soit supposé, on conclut également que la

1 Le royaume de Tchou était dans le Ho-nan. Kin-tcheou en était capitale.

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Art militaire des Chinois

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sévérité est la base sur laquelle appuie la plus grande autorité du

général. Cette maxime, qui peut-être n'est pas bonne chez les nations

d'Europe, est excellente pour les Asiatiques, chez qui l'honneur n'est

pas toujours le premier mobile.

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Article premier

Fondements de l'art militaire

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p.057 Sun-tse dit : les troupes sont la grande affaire d'un État ; c'est

d'elles que dépendent la vie ou la mort des sujets, l'agrandissement ou

la décadence de l'empire : ne pas faire de sérieuses réflexions sur ce

qui les concerne, ne pas travailler à les bien régler, c'est montrer une

trop grande indifférence pour la conservation ou pour la perte de ce

qu'on a de plus cher, c'est ce qu'on ne doit pas trouver parmi nous.

Cinq choses principales doivent faire l'objet de nos continuelles

méditations, & de tous nos soins 1 . Semblables à p.058 ces fameux

artistes, qui, ayant entrepris quelque chef-d'œuvre de leur art, ont

toujours présent à l'esprit le but qu'ils se sont proposé, mettent à profit

tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils entendent, & n'oublient rien pour se

procurer de nouvelles connaissances & tous les secours qui peuvent les

conduire heureusement à leur fin. Si nous voulons que la gloire & les

succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue

la doctrine, le Ciel, la Terre, le général & la discipline 2. La doctrine

1 C'est aux militaires en général que l'auteur adresse la parole dans tout ce qu'il dit

dans son Traité, mais plus particulièrement aux généraux & aux officiers. 2 Par le mot de doctrine on peut entendre ici la religion, puisque la doctrine est en effet toute la religion des Chinois, de ceux au moins que les ridicules superstitions de

l'idolâtrie n'ont pas infectés. Cette doctrine dont l'auteur veut parler, est celle qui

apprend aux hommes une morale dictée par les lumières de la raison. Par le Ciel, l'auteur entend la connaissance des choses purement naturelles que le Ciel

offre à nos yeux sous les différents climats, dans les différentes saisons & sous les

différentes températures de l'air. Il entend aussi la connaissance des deux principes yn & yang, par lesquels toutes les choses naturelles sont formées & par lesquels les

éléments reçoivent leurs différentes modifications. En général l'yn & l'yang sont, dans

le système de la physique chinoise, les deux principes qui, mis en action par un principe supérieur, qu'ils appellent Tai-ki, peuvent produire tout ce qui compose cet univers.

Par la Terre, l'auteur entend probablement la connaissance de la géographie, & de la

topographie de chaque lieu particulier. La manière dont s'expriment les Chinois est relative à leur façon d'envisager les choses.

Quoique la plupart aient de l'esprit, quoique leur esprit soit pour l'ordinaire bon & juste,

quoiqu'il y ait de la clarté & de la finesse dans leurs idées, cependant la manière dont ils les rendent est souvent une énigme qu'on a bien de la peine à déchiffrer. S'ils ont

plusieurs choses à exprimer, & qu'un seul caractère les leur représente, ils l'emploient

sans hésiter, ne faisant point attention que ceux qui liront leur ouvrage, n'ayant pas

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nous fera naître à tous des sentiments uniformes ; elle nous inspirera

une même manière de vivre & de mourir, & nous rendra également

intrépides dans les malheurs & dans la mort.

Si nous connaissons bien le Ciel, nous n'ignorerons point ce que

c'est que ces deux grands principes yn & yang ; nous saurons le temps

de leur union & de leur mutuel concours pour la production du froid, du

chaud, de la sérénité ou de l'intempérie de l'air.

La Terre n'est pas moins digne de notre attention que le p.059 Ciel ;

étudions-la bien, & nous aurons la connaissance du haut & du bas ; du

loin comme du près, du large & de l'étroit, de ce qui demeure & de ce

qui ne fait que passer.

La Doctrine, l'équité, l'amour pour ceux en particulier qui nous sont

soumis & pour tous les hommes en général, la science des ressources,

le courage & la valeur, telles sont les qualités qui doivent caractériser

celui qui est revêtu de la dignité de général ; vertus nécessaires, pour

l'acquisition desquelles nous ne devons rien oublier : seules elles

peuvent nous mettre en état de marcher dignement à la tête des

autres.

Aux connaissances dont je viens de parler, il faut ajouter celle de la

discipline. Posséder l'art de ranger les troupes ; n'ignorer aucune des

lois de la subordination & les faire observer à la rigueur ; être instruit

des devoirs particuliers de chaque officier subalterne ; savoir connaître

les différents chemins par où on peut arriver à un même terme ; ne pas

dédaigner d'entrer dans un détail exact de toutes les choses qui

peuvent servir, & se mettre au fait de chacune d'elles en particulier ;

tout cela ensemble forme un corps de discipline dont la p.060

connaissance pratique ne doit point échapper à la sagacité ni aux

attentions d'un général.

Vous donc, que le choix du prince a placé à la tête des armées, jetez

les fondements de votre science militaire sur les cinq principes que je

comme eux la tête remplie du sujet qu'ils ont traité, ne prendront pas, peut-être, ou ne

prendront qu'une partie de leur pensée. Je remarque ceci une fois pour toutes.

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Art militaire des Chinois

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viens d'établir ; la victoire suivra partout vos pas : vous n'éprouverez

au contraire que les plus honteuses défaites, si, par ignorance ou par

présomption, vous venez à les omettre ou à les rejeter.

Avec les connaissances que je viens d'indiquer, vous saurez quel est

celui qui, parmi les rois qui gouvernent le monde 1, a le plus de doctrine

& de vertus 2 ; vous connaîtrez les grands généraux qui peuvent se

trouver dans les différents royaumes. Si c'est en temps de guerre, vous

pourrez conjecturer assez sûrement quel est celui des rivaux qui doit

l'emporter ; & si vous devez entrer vous-même en lice, vous pourrez

raisonnablement vous flatter de devenir victorieux.

Avec ces mêmes connaissances, vous n'ignorerez point en quel

temps le Ciel la Terre seront d'accord 3 pour favoriser la sortie des

troupes auxquelles vous prescrirez les routes qu'elles doivent tenir, &

dont vous règlerez à propos toutes les marches ; vous ne commencerez

ni ne terminerez jamais la campagne hors de saison ; vous connaîtrez

le fort & le p.061 faible, tant de ceux qu'on aura confiés à vos soins, que

des ennemis que vous aurez à combattre ; vous saurez en quelle

quantité & dans quel état se trouveront les munitions de guerre & de

bouche des deux armées ; vous distribuerez les récompenses avec

libéralité, mais avec choix, & vous n'épargnerez pas les châtiments

quand il en sera besoin.

Admirateurs de vos vertus & de votre bonne conduite, les officiers

généraux ne se feront pas moins un plaisir délicat, qu'un rigoureux

devoir de vous seconder. Ils entreront dans toutes vos vues, & leur

exemple entraînant infailliblement celui des subalternes, les simples

soldats concourront eux-mêmes de toutes leurs forces à vous assurer

les plus glorieux succès. Vous serez estimé, respecté, chéri de votre

1 Par les rois qui gouvernent le monde, l'auteur entend les différents princes qui gouvernaient alors la Chine. 2 Les mots que j'ai rendus par ceux de doctrine & de vertu, peuvent signifier encore ici coutumes, mœurs, usages, &c. 3 Suivant les principes de la physique chinoise, c'est l'accord du ciel & de la terre qui

produit la beauté des saisons, &c. Par le ciel & la terre, les Chinois entendent aussi le deux principes généraux yn & yang ou, ou, comme je l'ai déjà remarqué, la matière en

état de recevoir toutes sortes de modifications par le mouvement qui lui est imprimé

par le Tai-ki.

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Art militaire des Chinois

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nation, & les peuples voisins viendront avec joie se ranger sous les

étendards du prince que vous servez, ou pour vivre sous ses lois, ou

pour obtenir simplement sa protection 1.

C'est encore avec ces connaissances qu'également instruit de ce que

vous pourrez & de ce que vous ne pourrez pas, vous ne formerez

aucune entreprise, sans la conduire à une heureuse fin. Vous verrez ce

qui sera loin de vous comme ce qui se passera sous vos yeux, & ce qui

se passera sous vos yeux, comme ce qui en est le plus éloigné. S'il y a

quelques dissensions parmi vos ennemis, vous en profiterez habilement

pour attirer les mécontents dans votre parti. Les récompenses ne

seront pas plus épargnées que les promesses & les dons.

p.062 Si vos ennemis sont plus puissants & plus forts que vous, vous

ne les attaquerez point, vous éviterez avec un grand soin d'en venir

aux mains avec eux ; vous cacherez toujours avec une extrême

attention l'état où vous vous trouverez. Il y aura des occasions où vous

vous abaisserez, & d'autres où vous affecterez d'avoir peur. Vous

feindrez quelquefois d'être faible afin que vos ennemis, ouvrant la porte

à la présomption à l'orgueil, viennent ou vous attaquer mal à propos,

ou se laissent surprendre eux-mêmes & tailler en pièces honteusement.

Vous ferez en sorte que ceux qui vous sont inférieurs ne puissent

jamais pénétrer vos desseins. Vous tiendrez vos troupes toujours

alertes, toujours en mouvement dans l'occupation pour empêcher

qu'elles ne se laissent amollir par un honteux repos. Vous ne souffrirez

aucune dissension parmi vos gens, vous n'oublierez rien pour les

entretenir dans la paix, la concorde & l'union, comme s'ils ne faisaient

tous qu'une seule & même famille. Enfin votre sage prévoyance vous

ayant fait supputer jusqu'où pouvait aller la consommation des vivres &

des autres choses d'un usage journalier, vous serez toujours

abondamment pourvu de tout, & après les plus glorieux exploits, vous

1 L'auteur parle pour le pays & pour le temps où il vivait. L'empire de la Chine était

alors divisé en plusieurs États, il était rare qu'il n'y eût pas quelque guerre entre ceux qui les gouvernaient. Comme les intérêts étaient différents, on cherchait à se les

procurer par des voies propres à réussir ; une des plus sûres était d'attirer ses voisins

dans son parti.

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Art militaire des Chinois

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reviendrez dans le sein de votre famille pour y jouir tranquillement du

fruit de votre victoire parmi les acclamations de vos concitoyens, qui ne

cesseront de vous combler d'éloges, comme vous étant redevables de

tous les avantages d'une douce paix. Telles sont en général les

réflexions que ma propre expérience m'a dictées, & que je me fais un

devoir de vous communiquer.

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Article II

Des commencements de la campagne

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p.063 Sun-tse dit : je suppose que vous commencez la campagne

avec une armée de cent mille hommes, que vous êtes suffisamment

pourvu des munitions de guerre de bouche, que vous avez deux mille

chariots, donc mille sont pour la course, & les autres uniquement pour

le transport 1 ; que jusqu'à cent lieues de vous, il y aura partout des

vivres pour l'entretien de votre armée 2 ; que vous faites transporter

avec soin tout ce qui peut servir au raccommodage des armes & des

chariots ; que les artisans & les autres qui ne sont pas du corps des

soldats, vous ont déjà précédé ou marchent séparément à votre suite ;

que toutes les choses qui servent pour des usages étrangers 3, comme

celles qui sont purement pour la guerre, sont toujours à couvert des

injures de l'air & à l'abri des accidents fâcheux qui peuvent arriver. Je

suppose encore que vous avez mille onces d'argent à distribuer aux

troupes 4 chaque p.064 jour, & que leur solde est toujours payée à temps

& dans la plus rigoureuse exactitude : dans ce cas vous pouvez aller

droit à l'ennemi ; l'attaquer & le vaincre seront pour vous une même

1 A traduire le texte à la lettre, il faudrait dire Des chariots pour courir, mille ; des

chariots couverts de peaux, mille. 2 Ce passage pourrait encore être traduit de la manière suivante : Que vous avez

toujours des vivres pour pouvoir consumer durant le trajet de mille li, c'est-à-dire de

cent lieues ; car dix li chinoises font à peu près une lieue de vingt au degré. 3 Le texte semble dire : Les choses qui sont pour les étrangers, plutôt que les choses

qui sont pour des usages étrangers. 4 Dans le temps & le pays où vivait l'auteur, mille onces d'argent étaient une somme très considérable. D'ailleurs, il peut se faire que Sun-tse ne veuille parler que de la paie

des soldats, & qu'il ne comprenne point dans ces mille onces d'argent les

appointements des officiers. Une once d'argent vaut aujourd'hui à la Chine sept livres dix sols de notre monnaie : or, mille onces d'argent pour une armée de cent mille

hommes ne feraient qu'un sol & demi par tête ; ce qui, dans le temps présent, serait

très peu de chose. Il peut se faire encore que les mille onces d'argent que l'auteur exige ne soient que par-dessus la paie ordinaire. Cette dernière conjecture, qui est la

plus conforme au texte, tel que je l'ai expliqué, ne me paraît pas trop bien fondée ; car

l'État s'étant chargé de tout temps de l'entretien des femmes, des enfants, de toute la famille de ceux qui sont à la guerre, il n'est pas vraisemblable, qu'outre le paiement

ordinaire de chaque soldat, il y eût des dons journaliers tels que ceux que Sun-tse

exige.

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Art militaire des Chinois

59

chose. Je dis plus : ne différez pas de livrer le combat, n'attendez pas

que vos armes contractent la rouille, ni que le tranchant de vos épées

émousse. S'il s'agit de prendre une ville, hâtez-vous d'en faire le siège ;

tournez d'abord toutes vos vues de ce côté-là, dirigez là toutes vos

forces : il faut ici tout brusquer ; si vous y manquez, vos troupes

courent risque de tenir longtemps la campagne ; en ce cas, de combien

de malheurs n'allez-vous pas devenir la funeste source ? Les coffres du

prince que vous servez s'épuiseront, vos armes perdues par la rouille

ne pourront plus vous servir, l'ardeur de vos soldats se ralentira, leur

courage & leurs forces s'évanouiront, les provisions se consumeront. &

peut-être même vous trouverez-vous réduit aux plus fâcheuses

extrémités. Instruits du pitoyable état où vous serez alors, vos ennemis

sortiront tout frais, fondront sur vous, & vous tailleront en pièces.

Quoique jusqu'à ce jour vous ayez joui p.065 d'une grande réputation,

vous ne pourrez désormais vous montrer avec honneur. En vain dans

d'autres occasions aurez-vous donné des marques éclatantes de votre

valeur, toute la gloire que vous aurez acquise sera effacée par ce

dernier trait. Je le répète ; on ne saurait tenir les troupes longtemps en

campagne, sans porter un très grand préjudice à l'État, sans donner

une atteinte mortelle à sa propre réputation.

Ceux qui possèdent les vrais principes de l'art militaire, n'y reviennent

pas à deux fois. Dès la première campagne tout est fini ; ils ne consument

pas pendant trois années de suite des vivres inutilement. Ils trouvent le

moyen de faire subsister leurs armées aux dépens de l'ennemi, épargnent

à l'État les frais immenses qu'il est obligé de faire, lorsqu'il faut

transporter bien loin toutes les provisions. Ils n'ignorent point, & vous

devez le savoir aussi, que rien n'épuise tant un royaume que les dépenses

de cette nature ; car soit que l'armée soit aux frontières, ou qu'elle soit

dans les pays éloignés, le peuple en souffre toujours ; toutes les choses

nécessaires à la vie augmentent de prix, elles deviennent rares, ceux

même qui dans les temps ordinaires sont le plus à leur aise, n'ont bientôt

plus de quoi les acheter. Le prince se hâte de faire ramasser le tribut des

Page 60: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

60

denrées que chaque famille lui doit 1 ; la misère se répandant du sein des

villes jusques dans les campagnes, des dix parties du nécessaire on est

obligé d'en retrancher sept. Il n'est pas jusqu'au souverain qui ne ressente

sa part p.066 des malheurs communs. Ses cuirasses, ses casques, ses

flèches, ses arcs, ses boucliers, ses chars, ses lances, ses javelots, tout

cela se détruira. Les chevaux, les bœufs même qui labourent les terres du

domaine, dépériront, & des dix parties de sa dépense ordinaire, il se verra

contraint d'en retrancher six. C'est pour prévenir tous ces désastres qu'un

habile général n'oublie rien pour abréger les campagnes, pour pouvoir

vivre aux dépens de l'ennemi, ou tout au moins pour consumer les

denrées étrangères, à prix d'argent, s'il le faut.

Si l'armée ennemie a une mesure de grain dans son camp, ayez-en

vingt dans le vôtre 2 ; si votre ennemi a cent vingt livres de fourrage

pour ses chevaux, ayez-en deux mille quatre cents pour les vôtres 3. Ne

laissez échapper aucune occasion de l'incommoder, faites-le périr en

détail, trouvez les moyens de l'irriter pour le faire tomber dans quelque

piège ; diminuez ses forces le plus que vous pourrez, en lui faisant faire

diversion, en lui tuant de temps en temps quelque parti, p.067 en lui

enlevant de ses convois, de ses équipages, d'autres choses qui

pourront vous être de quelque utilité.

Lorsque vos gens auront pris sur l'ennemi au-delà de dix chars,

commencez par récompenser libéralement tant ceux qui auront conduit

l'entreprise, que ceux qui l'auront exécutée. Employez ces chars aux

1 Le plus ancien des tributs qui se soit levé à la Chine était une dîme sur toutes les

terres en état d'être cultivées. Peu à peu les empereurs ont imposé d'autres droits sur les métaux, sur les différentes marchandises & sur certaines denrées. Ils ont établi des

droits d'entrée pour des marchandises des différentes provinces ; en un mot, ils ont

aujourd'hui des douanes sur le même pied à peu près que dans les royaumes d'Europe. 2 Le texte dit : Si votre ennemi a un tchoung, ayez-en vingt. Ce tchoung est une

ancienne mesure qui contenait dix hou, plus quatre boisseaux, c'est-à dire, soixante

quatre boisseaux, car un hou valait dix boisseaux. Un boisseau de riz, par exemple, pèse communément dix livres chinoises : la livre chinoise est de seize onces, & l'once

chinoise est à l'once de Paris, comme dix est à neuf, ou, plus exactement, comme neuf

est à huit ; car l'once de Paris vaut huit gros, & l'once de la Chine vaut neuf de ces mêmes gros. J'en ai fait moi-même l'épreuve il y a quelques années, sur des balances

extrêmement justes de part & d'autre. 3 Le texte dit : Si votre ennemi a de la paille, des herbes & du grain pour ses chevaux, la valeur d'un ché, &c. Le ché est une mesure contenant cent vingt livres de poids ; ou

autrement, le ché est une mesure qui contient dix autres mesures à peu près de la

même grandeur qu'un boisseau chinois.

Page 61: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

61

mêmes usages que vous employez les vôtres, mais auparavant il faut

en ôter les marques distinctives qui pourront s'y trouver 1. Traitez bien

les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats ; faites en

sorte, s'il se peut, qu'ils se trouvent mieux chez vous qu'ils ne le

seraient dans leur propre camp, ou dans le sein même de leur patrie.

Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les

défiances convenables, & pour le dire en deux mots, conduisez-vous à

leur égard comme s'ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées

librement sous vos étendards 2.

p.068 Si vous faites exactement ce que je viens de vous indiquer, les

succès accompagneront tous vos pas, partout vous serez vainqueur,

vous ménagerez la vie de vos soldats, vous affermirez votre pays dans

ses anciennes possessions, vous lui en procurerez de nouvelles, vous

augmenterez la splendeur & la gloire de l'État, & le prince ainsi que les

su jets vous seront redevables de la douce tranquillité dans laquelle ils

couleront désormais leurs jours. Quels objets peuvent être plus dignes

de votre attention & de tous vos efforts 3 !

@

1 Il faut en ôter les marques distinctives qui pourront s'y trouver. Ces marques

distinctives consistaient principalement dans la couleur dont le bois des chars ou chariots était peint, dans certains caractères qui y étaient gravés, & surtout dans un petit

étendard carré, sur lequel étaient certaines figures qui servent de distinction de quinze en

quinze hommes, de dix en dix, &c. Il y en avait même de cinq en cinq hommes ; mais ceux-ci, outre qu'ils étaient plus petits, étaient de forme triangulaire. Les uns & les autres

étaient appelés du nom général tou, qui signifie étendard, pavillon, drapeau, &c. 2 Il était facile au vainqueur d'employer ses prisonniers aux mêmes usages que ses propres soldats, parce que ceux contre lesquels on était en guerre, ou pour mieux dire,

parce que les parties belligérantes parlaient un même langage, ne formaient entre elles

qu'une seule & même nation ; c'étaient des Chinois qui combattaient contre d'autres Chinois : je parle ici des guerres les plus ordinaires. 3 C'est de l'habileté de la bonne conduire d'un général que dans tout son Traité Sun-tse

fait dépendre le bonheur & toute la gloire d'un royaume. Cette maxime n'a pas lieu seulement dans les anciens livres ; aujourd'hui même elle est encore dans toute sa

vigueur. Mais comme tous les bons succès sont attribués au général, c'est le général

aussi qui est responsable de tous les événements fâcheux. Coupable ou non coupable, qu'il y ait de sa faute, ou qu'il n'y en ait point, dès qu'il n'a pas réussi, il faut qu'il

périsse, ou, tout au moins, qu'il soit châtié. Une telle conduite paraît d'abord contraire à

la raison, mais en l'approfondissant un peu, on ne la trouve plus telle, respectivement aux peuples chez qui elle a lieu. C'est en effet de la persuasion où chacun est ici que

cette maxime est réduite en pratique, que dépend une partie du bon ordre qui règne

dans l'empire chinois.

Page 62: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

62

Article III

De ce qu'il faut avoir prévu avant le combat

@

p.069 Sun-tse dit : voici quelques maximes dont vous devez être

pénétré avant que de vouloir forcer des villes, ou gagner des batailles.

Conserver les possessions & tous les droits du prince que vous

servez, voilà quel doit être le premier de vos soins ; les agrandir en

empiétant sur les ennemis, c'est ce que vous ne devez faire que lorsque

vous y serez forcé.

Veiller au repos des villes de votre propre pays, voilà ce qui doit

principalement vous occuper ; troubler celui des villes ennemies, ce ne

doit être que votre pis-aller.

Mettre à couvert de toute insulte les villages amis, voilà ce à quoi

vous devez penser ; faire des irruptions sur les villages ennemis, c'est

ce à quoi la nécessité seule doit vous engager.

Empêcher que les hameaux, que les chaumines même des sujets de

votre souverain ne souffrent le plus petit dommage, c'est ce qui mérite

également votre attention ; porter le ravage dans les hameaux ou dans

les chaumines de vos ennemis, c'est ce qu'une disette de tout doit

seule vous faire entreprendre 1.

1 Un commentateur chinois donne un sens un peu différent au commencement de cet

article. Quoique son explication soit conforme à l'ancienne morale chinoise, j'ai cru

néanmoins ne devoir pas la suivre, parce qu'elle m'a paru ne pas rendre le véritable sens de l'auteur, contredire même quelques-uns de ses principes. Voici la version de cet

interprète. « Conserver les possessions des ennemis, est ce que vous devez faire en

premier lieu, comme ce qu'il y a de plus parfait ; les détruire, doit être l'effet de la nécessité. Veiller au repos & à la tranquillité des kun, des lu, des tsou & des ou de vos

ennemis ; c'est ce qui mérite toutes vos attentions ; les troubler & les inquiéter, c'est

ce que vous devez regarder comme indigne de vous... Si un général, continue l'interprète, en agit ainsi, sa conduite ne différera pas de celle des plus vertueux

personnages ; elle s'accordera avec le ciel & la terre, dont les opérations tendent à la

production & à la conservation des choses plutôt qu'à leur destruction... Le ciel n'approuva jamais l'effusion du sang humain : c'est lui qui donne la vie aux hommes ;

lui seul doit être le maître de la trancher... Voilà, ajoute-t-il, le véritable sens des

paroles de Sun-tse ».

Page 63: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

63

p.070 Ces maximes une fois bien gravées dans votre cœur, vous

pouvez aller attaquer des villes, ou donner des batailles, je suis garant

du succès. Je dis plus : eussiez-vous cent combats à livrer, cent

victoires en seraient le fruit. Cependant ne cherchez pas à dompter vos

ennemis au prix des combats & des victoires ; car s'il y a des cas où ce

qui est au-dessus du bon, n'est pas bon lui-même, c'en est ici un où

plus on s'élève au-dessus du bon, plus on s'approche du pernicieux &

du mauvais.

Sans donner de batailles, tâchez d'être victorieux : ce sera là le cas

où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez de

l'incomparable & de l'excellent. Les grands généraux en viennent à bout

en découvrant tous les artifices de l'ennemi, en faisant avorter tous ses

projets, en p.071 semant la discorde parmi ses gens, en les tenant

toujours en haleine, en empêchant les secours étrangers qu'il pourrait

recevoir, & en lui ôtant toutes les facilités qu'il pourrait avoir de se

déterminer à quelque chose d'avantageux pour lui.

Si vous êtes forcé de faire l'attaque d'une place & de la réduire,

disposez tellement vos chars 1, vos boucliers & toutes les machines

nécessaires pour monter à l'assaut, que tout soit en bon état lorsqu'il

sera temps de l'employer. Faites en sorte surtout que la reddition de la

place ne soit pas prolongée au-delà de trois mois. Si ce terme expiré,

vous n'êtes pas encore venu à bout de vos fins, sûrement il y aura eu

Ce que j'ai rendu par les mots de villes, villages, hameaux & chaumines, est ce que les

Chinois appellent kiun (ou kun) lu, tsou & ou. Voici l'explication littérale de chacun de

ces mots. Un kun est un lieu qui contient douze mille cinq cents hommes ; un lu contient cinq cents familles ; un tsou contient cent habitants, un ou est l'habitation de

cinq familles seulement. 1 L'auteur parle ici des chars appelés lou. Ces sortes de chars étaient à quatre roues, & pouvaient contenir à l'aise environ une dizaine de personnes. Ils étaient couverts de

cuirs ou de peaux de bêtes ; il y avait tout autour une espèce de galerie faite de

grosses pièces de bois. Sur la couverture de cuir il y avait de la terre pour la sûreté de ceux qui étaient dans ces chars, pour empêcher qu'ils ne fussent incommodés par les

traits, les pierres & les autres choses que lançaient les ennemis. Chacun de ces chars

était comme une espèce de petite forteresse, de laquelle on attaquait & on se défendait. Ils étaient surtout en usage dans les sièges : on s'en servait aussi dans les

batailles rangées. Dans ce dernier cas ils étaient placés à la queue de l'armée, & après

une défaite, on se mettait à l'abri derrière, & l'on s'y défendait comme on l'aurait fait dans une place de guerre. Tant que le vainqueur n'en était pas maître, il ne pouvait pas

se flatter d'avoir réduit l'ennemi, C'était encore au milieu de ces chars qu'on plaçait ce

qu'il y avait de plus précieux.

Page 64: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

64

quelques fautes de votre part ; n'oubliez rien pour les réparer. A la tête

de vos troupes, redoublez vos efforts ; en allant à l'assaut imitez la

vigilance, l'activité, l'ardeur & l'opiniâtreté des fourmis 1. Je suppose

que vous aurez fait auparavant les p.072 retranchements & les autres

ouvrages nécessaires, que vous aurez élevé des redoutes 2 pour

découvrir ce qui se passe chez les assiégés, & que vous aurez paré à

tous les inconvénients que votre prudence vous aura fait prévoir. Si

avec toutes ces précautions, il arrive que de trois parties de vos soldats

vous ayez eu le malheur d'en perdre une, sans pouvoir être victorieux,

soyez convaincu que vous n'avez pas bien attaqué.

Un habile général ne se trouve jamais réduit à de telles extrémités :

sans donner des batailles, il sait l'art d'humilier ses ennemis ; sans

répandre une goutte de sang, sans tirer même l'épée, il vient à bout de

prendre les villes ; sans mettre les pieds dans les royaumes étrangers,

il trouve le moyen de les conquérir ; & sans perdre un temps

considérable à la tête de ses troupes, il procure une gloire immortelle

au prince qu'il sert, il assure le bonheur de ses compatriotes, & fait que

l'univers lui est redevable du repos & de la paix : tel est le but auquel

tous ceux qui commandent les armées doivent tendre sans cesse &

sans jamais se décourager.

Il y a une infinité de situations différentes dans lesquelles vous

pouvez vous trouver par rapport à l'ennemi. On ne saurait les prévoir

toutes ; c'est pourquoi je n'entre pas dans un p.073 plus grand détail.

Vos lumières & votre expérience vous suggéreront ce que vous aurez à

faire, à mesure que les circonstances se présenteront ; néanmoins je

1 La comparaison d'une armée à des fourmis pourra paraître déplacée à ceux qui n'ont pas suivi ces insectes de près ; mais nos naturalistes savent encore mieux que les

Chinois, que la fourmi est peut-être de tous les animaux celui qui a le plus

d'acharnement au combat. On en voit qui, partagées en deux, ne lâchent point prise, & excitent même l'ennemi. 2 Ce que j'ai rendu par le mot de redoutes, étaient des espèces de tours faites de

terres. Elles étaient plus hautes que les murailles des villes qu'on assiégeait ; du haut de ces tours, ou plutôt du haut de ces terrasses, on tâchait de découvrir les différentes

manœuvres des assiégés pour la défense de la place. L'interprete chinois les apelle des

montagnes de terre.

Page 65: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

65

vais vous donner quelques conseils généraux dont vous pourrez faire

usage dans l'occasion.

Si vous êtes dix fois plus fort en nombre que n'est l'ennemi,

environnez-le de toutes parts ; ne lui laissez aucun passage libre ;

faites en sorte qu'il ne puisse ni s'évader pour aller camper ailleurs, ni

recevoir le moindre secours. Si vous avez cinq fois plus de monde que

lui, disposez tellement votre armée, qu'elle puisse l'attaquer par quatre

cotés à la fois, lorsqu'il en sera temps. Si l'ennemi est une fois moins

fort que vous, contentez-vous de partager votre armée en deux 1. Mais

si de part & d'autre il y a une même quantité de monde, tout ce que

vous pouvez faire c'est de hasarder le combat ; si au contraire vous

êtes moins fort que lui, soyez continuellement sur vos gardes, la plus

petite faute serait de la dernière conséquence pour vous. Tâchez de

vous mettre à l'abri, & évitez autant que vous le pourrez d'en venir aux

mains avec lui : la prudence & la fermeté d'un petit nombre de gens

peuvent venir à bout de lasser & de dompter même une nombreuse

armée.

Celui qui est à la tête des armées peut se regarder comme le

soutien de l'État, & il l'est en effet. S'il est tel qu'il doit être, le royaume

sera dans la prospérité ; si au contraire il n'a pas les qualités

nécessaires pour remplir dignement le poste p.074 qu'il occupe, le

royaume en souffrira infailliblement, & se trouvera peut-être réduit à

deux doigts de sa perte. Un général ne peut bien servir l'État que d'une

façon ; mais il peut lui porter un très grand préjudice de bien des

manières différentes. Il faut beaucoup d'efforts & une conduite que la

bravoure & la prudence accompagnent constamment pour pouvoir

réussir : il ne faut qu'une faute pour tout perdre ; parmi les fautes qu'il

peut faire, de combien de sortes n'y en a-t-il pas ? S'il lève des troupes

hors de saison, s'il les fait sortir lorsqu'il ne faut pas qu'elles sortent, s'il

n'a pas une connaissance exacte des lieux où il doit les conduire, s'il

1 Le nombre dix est le terme de comparaison le plus ordinaire des Chinois. Ainsi, au lieu de traduire comme je l'ai fait : Si vous êtes dix fois plus fort en nombre que

l'ennemi, &c, on pourrait dire : Si vous êtes à l'ennemi comme dix est à un, comme dix

est à cinq, &c.

Page 66: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

66

leur fait faire des campements désavantageux, s'il les fatigue hors de

propos, s'il les fait revenir sans nécessité, s'il ignore les besoins de ceux

qui composent son armée, s'il ne fait pas le genre d'occupation auquel

chacun d'eux s'exerçait auparavant, afin d'en tirer parti suivant leurs

talents ; s'il ne connaît pas le fort & le faible de ses gens, s'il n'a pas

lieu de compter sur leur fidélité, s'il ne fait pas observer la discipline

dans toute la rigueur, s'il manque du talent de bien gouverner, s'il est

irrésolu & s'il chancelle dans les occasions où il faut prendre tout à coup

son parti, s'il ne sait pas dédommager à propos ses soldats lorsqu'ils

auront eu à souffrir, s'il permet qu'ils soient vexés sans raison par leurs

officiers, s'il ne sait pas empêcher les dissensions qui pourraient naître

parmi les chefs : un général qui tomberait dans ces fautes épuiserait

d'hommes & de vivres le royaume, déshonorerait sa patrie, &

deviendrait lui-même la honteuse victime de son incapacité 1.

p.075 Pour être victorieux de ses ennemis, cinq choses principalement

sont nécessaires à un général. 1° Savoir quand il est à propos de

combattre, & quand il convient de se retirer. 2° Savoir employer le peu

& le beaucoup suivant les circonstances. 3° Montrer autant d'affection

aux simples soldats qu'on peut en témoigner aux principaux officiers.

4° Profiter de toutes les circonstances prévues ou imprévues. 5° Être

sûr de n'être point démenti par le souverain dans tout ce qu'on peut

tenter pour son service & pour la gloire de ses armes. Avec cela, si

vous joignez à la connaissance que vous devez avoir de vous-même, &

1 Il paraît que l'auteur exige un trop grand détail de la part d'un général, surtout

lorsqu'il dit qu'il doit savoir le genre d'occupation auquel s'exerçaient tous ceux qui

composent une armée, avant qu'ils fussent enrôlés, détail qui ne paraît pas praticable, ni même possible. Il est à présumer que Sun-tse ne prétend pas que celui qui est à la

tête d'une armée connaisse nommément tous ceux qui la composent ; mais seulement

il exige qu'il les connaisse en général par le ministère des officiers subalternes. D'ailleurs, les mots chinois san-kun, & les mots tartares ilan-tchohai-kun, qui en sont la

traduction, peuvent signifier également les trois différentes classes dont une armée est

composée, c'est-à-dire les officiers généraux, les officiers subalternes & les simples soldats. Alors l'auteur exigerait seulement du général une connaissance exacte des trois

ordres de son armée, désignés par les mots de San kun, qui signifient des trois kun. Un

kun, à le prendre à la lettre, est proprement un assemblage de quatre mille hommes. Ainsi dans ce sens, l'armée dont parle Sun-tse ne serait composée que de douze mille

hommes. Elle serait encore plus faible si un kun, comme on le trouve dans quelques

dictionnaires, n'était que l'assemblage de deux mille cinq cents hommes ; ce serait une armée de sept mille cinq cents hommes seulement, ce qui n'est pas vraisemblable ; en

général, par les mots de San-kun, dans les anciens livres qui traitent de la guerre, on

entend une armée entière, de quelque nombre qu'elle soit composée.

Page 67: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

67

de tout ce que vous pouvez ou ne pouvez pas, celle de tous ceux qui

sont sous vos ordres, eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois

vous serez victorieux. Si vous p.076 ne connaissez que ce que vous

pouvez vous-même, si vous ignorez ce que peuvent vos gens, vous

vaincrez une fois ; une fois vous serez vaincu : mais si vous n'avez ni la

connaissance de vous-même, ni celle de ceux à qui vous commandez,

vous ne compterez vos combats que par vos défaites.

@

Page 68: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

68

Article IV

De la contenance des troupes

@

Sun-tse dit : Anciennement ceux qui étaient expérimentés dans l'art

des combats ne s'engageaient jamais dans des guerres qu'ils

prévoyaient ne devoir pas finir avec honneur. Avant que de les

entreprendre, ils étaient comme sûrs du succès. Si l'occasion d'aller

contre l'ennemi n'était pas favorable, ils attendaient des temps plus

heureux. Ils avaient pour principe que l'on ne pouvait être vaincu que

par sa propre faute, qu'on n'était jamais victorieux que par la faute des

ennemis. Ainsi, les habiles généraux savaient d'abord ce qu'ils devaient

craindre ou ce qu'ils avaient à espérer, ils avançaient ou reculaient la

campagne, ils donnaient bataille ou ils se retranchaient, suivant les

lumières qu'ils avaient, tant sur l'état de leurs propres troupes que sur

celui des troupes de l'ennemi. S'ils se croyaient plus forts, ils ne

craignaient pas d'aller au combat & d'attaquer les premiers. S'ils

voyaient au contraire qu'ils fussent plus faibles, ils se retranchaient &

se tenaient sur la défensive.

L'art de se tenir à propos sur la défensive ne le cède point à celui de

combattre avec succès. Ceux qui veulent réussir dans le premier

doivent s'enfoncer jusqu'au centre de la terre. Ceux au contraire qui

veulent briller dans le second, doivent p.077 s'élever jusqu'au neuvième

ciel 1. Sa propre conservation est le but principal qu'on doit se proposer

dans ces deux cas. Savoir l'art de vaincre comme ceux qui ont fourni

1 Le commentateur chinois explique cette dernière phrase de la manière suivante.

« Pour se mettre en défense contre l'ennemi, il faut être caché dans le sein de la terre, comme ces veines d'eau dont on ne sait pas la source, dont on ne saurait trouver les

sentiers. C'est ainsi que vous cacherez toutes vos démarches, que vous serez

impénétrable... Ceux qui combattent, continue-t-il, doivent s'élever jusqu'au neuvième ciel ; c'est à-dire, il faut qu'ils combattent de telle sorte, que l'univers entier retentisse

du bruit de leur gloire, & que leurs belles actions soient approuvées dans le ciel

même. » Le texte traduit à la lettre dirait : « Ceux qui veulent réussir dans les premiers, doivent s'enfoncer jusqu'à la neuvième terre... » Quelques auteurs chinois

conçoivent la terre composée de neuf enveloppes ou couches concentriques, comme ils

conçoivent les cieux divisés en neuf sphères qui sont chacune un ciel particulier.

Page 69: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

69

cette même carrière avec honneur, c'est précisément où vous devez

tendre : vouloir l'emporter sur tous, & chercher à raffiner dans les

choses militaires, c'est risquer de ne pas égaler les grands maîtres,

c'est s'exposer à rester même infiniment au-dessous d'eux ; car c'est ici

où ce qui est au-dessus du bon, n'est pas bon lui-même. Remporter des

victoires par le moyen des combats a été regardé de tout temps par

l'univers entier comme quelque chose de bon : mais j'ose vous le dire,

c'est encore ici où ce qui est au-dessus du bon est souvent pire que le

mauvais.

Il ne faut pas que les quadrupèdes aient une force extraordinaire

pour porter vers la fin de l'automne la quantité de nouveaux poils dont

leurs corps se chargent chaque jour : il ne faut pas avoir les yeux bien

pénétrants pour découvrir les astres qui nous éclairent : il ne faut pas

avoir l'oreille bien p.078 délicate pour entendre le tonnerre lorsqu'il

gronde avec fracas ; rien de plus naturel, rien de plus aisé, rien de plus

simple que tout cela. Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de

difficultés dans les combats. Ils ont tout prévu ; ils ont paré de leur

part à tous les inconvénients ; ils savent la situation des ennemis, ils

connaissent leurs forces, & n'ignorent point ce qu'ils peuvent faire &

jusqu'où ils peuvent aller ; la victoire est une suite naturelle de leur

savoir & de leur bonne conduite.

Tels étaient nos anciens : rien ne leur était plus aisé que de

vaincre ; aussi ne croyaient-ils pas que les vains titres de vaillants, de

héros, d'invincibles, fussent un tribut d'éloges qu'ils eussent mérité. Ils

n'attribuaient leur succès qu'au soin extrême qu'ils avaient eu d'éviter

jusqu'à la plus petite faute.

Avant que d'en venir au combat, ils tâchaient d'humilier leurs

ennemis, ils les mortifiaient, ils les fatiguaient de mille manières. Leurs

propres camps étaient des lieux toujours à l'abri de toute insulte, des

lieux toujours à couvert de toute surprise, des lieux toujours

impénétrables. Ces généraux croyaient que pour vaincre, il fallait que

les troupes demandassent le combat avec ardeur ; & ils étaient

persuadés que lorsque ces mêmes troupes demandaient la victoire avec

Page 70: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

70

empressement, il arrivait ordinairement qu'elles étaient vaincues 1 .

C'est ainsi que d'un ton assuré ils osaient prévoir les triomphes ou les

défaites, avant même que d'avoir fait un pas pour s'assurer des uns ou

pour se préserver des autres.

p.079 Vous donc qui êtes à la tête des armées, n'oubliez rien pour

vous rendre dignes de l'emploi que vous exercez. Jetez les yeux sur les

mesures qui contiennent les quantités, & sur celles qui déterminent les

dimensions ; rappelez-vous les règles du calcul ; considérez les effets

de la balance ; examinez ce que c'est que la victoire ; faites sur tout

cela de profondes réflexions, & vous aurez tout ce qu'il faut pour n'être

jamais vaincus par vos ennemis.

Les considérations sur les différentes mesures vous conduiront à la

connaissance de ce que la terre peut offrir d'utile pour vous : vous

saurez ce qu'elle produit, vous profiterez toujours de ses dons : vous

n'ignorerez point les différentes routes qu'il faudra tenir pour arriver

sûrement au terme que vous vous serez proposé.

Par les règles du calcul vous apprendrez à distribuer, toujours à

propos, les munitions de guerre & de bouche, à ne jamais donner dans

les excès du trop ou du trop peu.

La balance fera naître en vous l'amour de la justice & de l'équité ;

les récompenses & les châtiments suivront toujours l'exigence des cas.

Enfin, si vous rappelez dans votre esprit les victoires qui ont été

remportées en différents temps, & toutes les circonstances qui les ont

accompagnées, vous n'ignorerez point les divers usages qu'on en aura

faits, & vous saurez quels sont les avantages qu'elles ont procurés, ou

quels sont les préjudices qu'elles auront portés aux vainqueurs eux-

mêmes.

1 Selon le commentateur, Sun-tse ne veut point dans les troupes une confiance trop

aveugle, une confiance qui dégénère en présomption. Il prétend que les troupes qui

demandent la victoire sont des troupes ou amollies par la paresse, ou timides, ou présomptueuses. Des troupes au contraire qui, sans penser à la victoire, demandent le

combat, sont, selon lui, des troupes endurcies au travail, des troupes vraiment

aguerries, des troupes toujours sûres de vaincre.

Page 71: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

71

Vingt onces ne firent jamais équilibre avec douze grains 1. p.080 Si

ces deux sortes de poids sont placés séparément dans les deux bassins

d'une même balance, les onces enlèveront les grains, sans presque

aucun obstacle de la part de ceux-ci. Soyez à vos ennemis ce que les

onces sont aux grains. Après un premier avantage n'allez pas vous

endormir ou vouloir donner à vos troupes un repos hors de saison.

Poussez votre pointe avec la même rapidité qu'un torrent qui se

précipiterait de mille toises de haut 2. Que votre ennemi n'ait pas le

temps de se reconnaître, ne pensez à recueillir les fruits de votre

victoire, que lorsque sa défaite entière vous aura mis en état de le faire

sûrement, avec loisir & tranquillité.

@

1 Il y a dans le texte : Un y surpasse un tchou... Un y est une mesure qui contient vingt

onces chinoises. Un tchou est la douzième partie du centième d'une once. J'ai déjà dit plus haut ce que c'était que l'once chinoise. 2 Il y a dans le texte : Qui se précipiterait de la hauteur de mille jin ou jen. Un jen est

la mesure de huit pieds chinois. Le pied chinois moderne ordinaire est au pied de roi, à très peu de chose près, comme 264 est à 266. Le pied chinois ancien est au pied

chinois moderne, comme 236 est à 264. Cette évaluation, qui est inutile ici, pourra

peut-être avoir son utilité dans la suite.

Page 72: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

72

Article V

De l'habileté dans le gouvernement des troupes

@

Sun-tse dit : Ayez les noms de tous les officiers tant généraux que

subalternes ; inscrivez-les dans un catalogue à part, avec la note des

talents de la capacité de chacun d'eux, afin de pouvoir les employer

avec avantage lorsque l'occasion en sera venue, faites en sorte que

tous ceux que vous devez commander soient persuadés que votre

principale attention est de les préserver de tout dommage. Les troupes

que vous ferez avancer contre l'ennemi doivent être comme des pierres

p.081 que vous lanceriez contre des œufs. De vous à l'ennemi il ne doit y

avoir d'autre différence que celle du fort au faible, du vide au plein.

Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret. Voilà en peu de

mots en quoi consiste l'habileté & toute la perfection même du

gouvernement des troupes. Le grand jour & les ténèbres, l'apparent &

le secret ; voilà tout l'art. Ceux qui le possèdent sont comparables au

Ciel & à la Terre, dont les opérations ne sont jamais sans effet : ils

ressemblent aux fleuves & aux mers dont les eaux ne sauraient tarir.

Fussent-ils plongés dans les ténèbres de la mort, ils peuvent revenir à

la vie : comme le soleil & la lune, ils ont le temps où il faut se montrer,

& celui où il faut disparaître : comme les quatre saisons, ils ont les

variétés qui leur conviennent : comme les cinq tons de la musique,

comme les cinq couleurs, comme les cinq goûts, ils peuvent aller à

l'infini. Car qui a jamais entendu tous les airs qui peuvent résulter de la

différente combinaison des tons ? Qui a jamais vu tout ce que peuvent

présenter les couleurs différemment nuancées ? Qui a jamais savouré

tout ce que les goûts différemment tempérés peuvent offrir d'agréable

ou de piquant 1 ? On n'assigne cependant que cinq couleurs & cinq

sortes de goûts.

1 Les anciens Chinois comptaient seulement cinq tons pleins, qu'ils désignaient par les

noms de koung, chang, kio, tché, yu. Ils admettaient cinq couleurs principales, qui sont

Page 73: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

73

Dans l'art militaire & dans le bon gouvernement des troupes, il n'y

a, en général, que deux sortes de choses, celles qu'il p.082 faut faire en

secret, & celles qu'il faut faire à découvert : mais dans la pratique c'est

une chaîne d'opérations dont on ne saurait voir le bout ; c'est comme

une roue en mouvement qui n'a ni commencement ni fin.

Dans l'art militaire chaque opération particulière a des parties qui

demandent le grand jour, & des parties qui veulent les ténèbres du

secret. Vouloir les assigner, cela ne se peut ; les circonstances peuvent

seules les faire connaître & les déterminer. On oppose les plus grands

quartiers de rochers à des eaux rapides dont on veut resserrer le lit :

on n'emploie que des filets faibles & déliés pour prendre les petits

oiseaux. Cependant le fleuve rompt quelquefois ses digues après les

avoir minées peu à peu, & les oiseaux viennent à bout de briser les

chaînes qui les retiennent, à force de se débattre. Quelque bonnes,

quelque sages que puissent être les précautions que vous aurez prises,

ne cessez pas un moment d'être sur vos gardes, veillez sur tout,

pensez à tout : qu'une présomptueuse sécurité n'approche jamais de

vous ni de votre camp.

Ceux-là possèdent véritablement l'art de bien gouverner les troupes,

qui ont su & qui savent rendre leur puissance formidable, qui ont acquis

une autorité sans borne, qui ne se laissent abattre par aucun

événement, quelque fâcheux qu'il puisse être ; qui ne font rien avec

précipitation ; qui se conduisent, lors même qu'ils sont surpris, avec le

sang froid qu'ils ont ordinairement dans les actions méditées & dans les

cas prévus longtemps auparavant, qui agissent toujours dans tout ce

qu'ils font, avec cette promptitude qui n'est guère que le fruit de

l'habileté, jointe à une longue expérience.

La force de ces sortes de guerriers est comme celle de ces grands

arcs qu'on ne saurait bander sans le secours de quelque machine. Leur

autorité a l'effet des terribles armes qu'on p.083 lance avec des arcs ainsi

le jaune, le rouge, le vert, le blanc & le noir. Ils ne connaissaient que cinq sortes de goûts fondamentaux dont ils prétendaient que tous les autres participaient. Ces cinq

goûts sont le doux, l'aigre, le salé, l'amer & le piquant. Le mot que je rends par celui de

piquant est soan qui signifie ail, ou telle autre chose semblable d'un goût approchant.

Page 74: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

74

bandés 1 : tout plie sous leurs coups, tout est renversé. Tels qu'un

globe qui présente une égalité parfaite entre tous les points de sa

surface, ils sont également forts partout ; partout leur résistance est la

même. Dans le fort de la mêlée & d'un désordre apparent, ils savent

garder un ordre que rien ne saurait interrompre, ils font naître la force

du sein même de la faiblesse, ils font sortir le courage & la valeur du

milieu de la poltronnerie de la pusillanimité. Mais savoir garder un ordre

merveilleux au milieu même du désordre, cela ne se peut, sans avoir

fait auparavant de profondes réflexions sur tous les événements qui

peuvent arriver. Faire naître la force du sein même de la faiblesse, cela

n'appartient qu'à ceux qui ont une puissance absolue 2 & une autorité

sans bornes. Savoir faire sortir le courage & la valeur du milieu de la

poltronnerie de la pusillanimité, c'est être héros soi-même, c'est être

plus que héros, c'est être au-dessus des plus intrépides.

Quelque grand, quelque merveilleux que tout cela paraisse, j'exige

cependant quelque chose de plus encore de ceux qui gouvernent les

troupes, c'est l'art de faire mouvoir à p.084 son gré les ennemis. Ceux

qui le possèdent, cet art admirable, disposent de la contenance de leurs

gens & de l'armée qu'ils commandent, de telle sorte qu'ils font venir

l'ennemi toutes les fois qu'ils le jugent à propos : ils savent faire des

libéralités quand il convient, ils en font même à ceux qu'ils veulent

vaincre : ils donnent à l'ennemi & l'ennemi reçoit, ils lui abandonnent &

il vient prendre. Ils sont prêts à tout ; ils profitent de toutes les

circonstances ; ils ne se fient pas tellement à ceux qu'ils emploient,

qu'ils n'en choisissent d'autres pour être leurs surveillants ; ils ne

comptent pas tellement sur leurs propres forces, qu'ils ne mettent en

usage les autres moyens qu'ils croient pouvoir leur être utiles ; ils

1 L'espèce d'arc dont il est parlé était soutenu par une machine. Il y en avait qu'un seul homme pouvait bander à deux mains, c'étaient les moindres. Il y en avait aussi où

plusieurs hommes à la fois employaient leurs forces. On lançait avec ces arcs plusieurs

sortes d'armes, comme lances, javelots, traits, pierres, & autres choses semblables : on s'en sert encore aujourd'hui dans quelques campagnes contre les tigres. J'en ai vu qui

m'ont paru ne pas différer de nos arbalètes, quant à la forme. 2 Par le mot de puissance, il ne faut pas entendre ici domination, &c. mais cette faculté qui fait qu'on peut réduire en acte ce qu'on se propose. Dans l'idée de Sun-tse, un

général doit avoir cette faculté pour pouvoir exécuter tout ce qu'il envisage comme

devant lui être avantageux.

Page 75: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

75

regardent les hommes contre lesquels ils doivent combattre, comme

des pierres ou des pièces de bois qu'ils seraient chargés de faire rouler

de haut en bas. La pierre & le bois n'ont aucun mouvement de leur

nature ; s'ils sont une fois en repos, ils n'en sortent pas d'eux-mêmes,

mais ils suivent le mouvement qu'on leur imprime ; s'ils sont carrés, il

s'arrêtent d'abord ; s'ils sont ronds, ils roulent jusqu'à ce qu'ils trouvent

une résistance plus forte que la force qui leur était imprimée.

Vous donc qui commandez les armées, faites en sorte que l'ennemi

soit entre vos mains comme une pierre de figure ronde, que vous

auriez à faire rouler d'une montagne qui aurait mille toises de haut ;

c'est en cela qu'on reconnaîtra que vous avez de la puissance & de

l'autorité, & que vous êtes véritablement digne du poste que vous

occupez.

@

Page 76: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

76

Article VI

Du plein & du vide 1

@

p.085 Sun-tse dit : Une des choses les plus essentielles que vous ayez

à faire avant le combat, c'est de bien choisir le lieu de votre

campement. Pour cela il faut user de diligence, il ne faut pas se laisser

prévenir par l'ennemi, il faut être campé avant qu'il ait eu le temps de

vous reconnaître, avant même qu'il ait pu être instruit de votre marche.

La moindre négligence en ce genre peut être pour vous de la dernière

conséquence. En général il n'y a que du désavantage à camper après

les autres.

Celui qui est chargé de la conduite d'une armée, ne doit point se fier

à d'autres pour un choix de cette importance ; il doit faire quelque

chose de plus encore. S'il est véritablement habile, il pourra disposer à

son gré du campement même & de toutes les marches de son ennemi.

Un grand général n'attend pas qu'on le fasse aller, il sait faire venir. Si

vous faites en sorte que l'ennemi cherche à se rendre de son plein gré

dans les lieux où vous voulez précisément qu'il aille, faites en sorte

aussi de lui aplanir toutes les difficultés, de lui lever tous les obstacles

qu'il pourrait rencontrer ; car si vous cherchez à l'attirer dans des lieux

où il lui soit comme impossible d'aller, dans des lieux malsains, ou dont

les p.086 inconvénients soient trop à découvert, vous ne réussirez pas, &

vous en serez pour votre travail pour vos peines, peut-être même pour

quelque chose de plus. La grande science est de lui faire vouloir tout ce

que vous souhaitez qu'il fasse, & de lui fournir, sans qu'il s'en

aperçoive, tous les moyens de vous seconder.

1 Je ne vois pas trop comment le titre de cet article s'accorde avec les choses qu'il

traite. Le manuscrit tartare que j'ai entre les mains, l'intitule de la manière suivante : Article sixième. Des véritables ruses. Les autres commentateurs ne parlent pas plus

clairement.

Page 77: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

77

Après que vous aurez ainsi disposé du lieu de votre campement & de

celui de l'ennemi lui-même, attendez tranquillement que votre

adversaire fasse les premières démarches ; mais en attendant, tâchez de

l'affamer au milieu de l'abondance, de lui procurer du tracas dans le sein

du repos, & de lui susciter mille terreurs dans le temps même de sa plus

grande sécurité. Si, après avoir longtemps attendu, vous ne voyez pas

que l'ennemi se dispose à sortir de son camp, sortez vous-même du

vôtre ; s'il ne veut pas se mettre en mouvement, mettez-vous-y vous-

même, donnez-lui de fréquentes alarmes, faites-lui naître l'occasion de

faire quelque imprudence dont vous puissiez tirer du profit.

S'il s'agit de garder, gardez avec force : ne vous endormez point.

S'il s'agit d'aller, allez promptement, allez sûrement par des chemins

qui ne soient connus que de vous. Rendez vous dans des lieux où

l'ennemi ne puisse pas soupçonner que vous ayez dessein d'aller.

Sortez tout à coup d'où il ne vous attend pas, & tombez sur lui lorsqu'il

y pensera le moins.

Si après avoir marché assez longtemps, si par vos marches &

contre-marches vous avez parcouru l'espace de mille li 1 sans que vous

ayez reçu encore aucun dommage, sans p.087 même que vous ayez été

arrêté, concluez, ou que l'ennemi ignore vos desseins, ou qu'il a peur

de vous, ou qu'il ne sait pas garder les postes qui peuvent être de

conséquence pour lui. Évitez de tomber dans un pareil défaut.

Le grand art d'un général est de faire en sorte que l'ennemi ignore

toujours le lieu où il aura à combattre, de lui dérober avec soin la

connaissance des postes qu'il fait garder. S'il en vient à bout, & qu'il

puisse cacher de même jusqu'aux moindres de ses démarches, ce n'est

pas seulement un habile général, c'est un homme extraordinaire, c'est

un prodige 2. Sans être vu, il voit ; il entend, sans être entendu ; il agit

sans bruit & dispose comme il lui plaît du sort de ses ennemis.

1 J'ai déjà dit ailleurs qu'un li chinois est la dixième partie d'une lieue de vingt au

degré. 2 Le commentateur tartare dit : C'est un homme extraordinaire, de la nature des

esprits qui voient sans être vus, entendent, &c.

Page 78: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

78

De plus, si, les armées étant en présence, vous n'apercevez pas qu'il

y ait un certain vide qui puisse vous favoriser, ne tentez pas d'enfoncer

les bataillons ennemis. Si, lorsqu'ils prennent la fuite, ou qu'ils

retournent sur leurs pas, ils usent d'une extrême diligence, & marchent

en bon ordre, ne tentez pas de les poursuivre ; ou si vous les

poursuivez, que ce ne soit jamais ni trop loin, ni dans les pays

inconnus. Si, lorsque vous avez dessein de livrer la bataille, les ennemis

restent dans leurs retranchements, n'allez pas les y attaquer, surtout

s'ils sont bien retranchés, s'ils ont de larges fossés, des murailles

élevées qui les couvrent. Si au contraire croyant qu'il n'est pas à propos

de livrer le combat, vous voulez l'éviter, tenez-vous dans vos

retranchements, disposez-vous à soutenir l'attaque & à faire quelques

sorties utiles. Laissez fatiguer les ennemis, attendez qu'ils soient ou

p.088 en désordre ou dans une très grande sécurité : vous pourrez sortir

alors, & fondre sur eux avec avantage. Ayez constamment une extrême

attention à ne jamais séparer les différents corps de vos armées. Faites

qu'ils puissent toujours se soutenir aisément les uns les autres ; au

contraire faites faire à l'ennemi le plus de diversion qu'il se pourra. S'il

se partage en dix corps, attaquez chacun d'eux séparément avec votre

armée toute entière ; c'est le véritable moyen de combattre toujours

avec avantage. De cette sorte, quelque petite que soit votre armée, le

grand nombre sera toujours de votre côté. Or toutes choses étant

d'ailleurs égales, la victoire se déclare ordinairement pour le grand

nombre.

Que l'ennemi ne sache jamais comment vous avez intention de le

combattre, ni la manière dont vous vous préparez à l'attaquer, ou à

vous défendre. S'il l'ignore absolument, il fera de grands préparatifs, il

tâchera de se rendre fort de tous les côtés, il divisera ses forces & c'est

justement ce qui sera sa perte.

Pour vous, n'en faites pas de même : que vos principales forces

soient toutes du même côté ; si vous voulez attaquer de front, mettez à

la tête de vos troupes, tout ce que vous avez de meilleur. On résiste

rarement à un premier effort, comme au contraire on se relève

Page 79: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

79

difficilement, quand on a d'abord du dessous. L'exemple des braves

suffit pour encourager les plus lâches. Ceux-ci suivent sans peine le

chemin qu'on leur montre ; mais ils ne sauraient eux-mêmes le frayer.

Si vous voulez faire donner l'aile gauche, tournez tous vos préparatifs

de ce côté-là, mettez à l'aile droite ce que vous avez de plus faible ;

mais si vous voulez vaincre par l'aile droite, que ce soit à l'aile droite

aussi que soient vos meilleures troupes & toutes votre attention.

p.089 Ce n'est pas tout : comme il est essentiel que vous connaissiez

à fond le lieu où vous devez combattre, il n'est pas moins important

que vous soyez instruit du jour, de l'heure, du moment même du

combat ; c'est une affaire de calcul sur laquelle il ne faut pas vous

négliger. Si l'ennemi est loin de vous, sachez jour par jour le chemin

qu'il fait, suivez-le pas à pas, quoiqu'en apparence vous restiez

immobile dans votre camp ; voyez tout ce qu'il fait, quoique vos yeux

ne puissent pas aller jusqu'à lui : écoutez tous ses discours, quoique

vous soyez hors de portée de l'entendre : soyez témoin de toute sa

conduite, entrez même dans le fond de son cœur pour y lire ses

craintes ou ses espérances.

Pleinement instruit de tous ses desseins, de toutes ses marches, de

toutes ses actions, vous le ferez venir chaque jour précisément où vous

voulez qu'il arrive. En ce cas vous l'obligerez à camper de manière que

le front de son armée ne puisse pas recevoir du secours de ceux qui

sont à la queue, que l'aile droite ne puisse pas aider l'aile gauche, &

vous le combattrez ainsi dans le lieu & au temps qui vous conviendront

le plus.

Avant le jour déterminé pour le combat, ne soyez ni trop loin, ni

trop près de l'ennemi. L'espace de quelques li seulement est le terme

qui doit vous en approcher le plus, dix li entiers sont le plus grand

espace que vous deviez laisser entre votre armée & la sienne.

Ne cherchez pas à avoir une armée trop nombreuse, la trop grande

quantité de monde est souvent plus nuisible qu'elle n'est utile. Une

petite armée bien disciplinée est invincible sous un bon général. A quoi

servaient au roi d'Yué, les belles & nombreuses cohortes qu'il avait sur

Page 80: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

80

pied, lorsqu'il était en guerre contre le roi de Ou 1 ? Celui-ci avec p.090

peu de troupes, avec une poignée de monde, le vainquit & le dompta, &

ne lui laissa de tous ses États, qu'un souvenir amer, & la honte

éternelle de les avoir si mal gouvernés.

Cependant si vous n'aviez qu'une petite armée, n'allez pas mal à

propos vouloir vous mesurer avec une armée nombreuse ; vous avez

bien des précautions à prendre avant que d'en venir là. Quand on a les

connaissances dont j'ai parlé plus haut, on sait s'il faut attaquer, ou se

tenir simplement sur la défensive ; on sait quand il faut rester

tranquille, & quand il est temps de se mettre en mouvement ; & si l'on

est forcé de combattre on sait si l'on sera vainqueur ou vaincu : à voir

simplement la contenance des ennemis, on peut conclure sa victoire ou

sa défaite, sa perte ou son salut. Encore une fois il vous voulez

attaquer le premier, ne le faites pas qu'auparavant vous n'ayez

examiné si vous avez tout ce qu'il faut pour réussir.

En déployant vos étendards, lisez dans les premiers regards de vos

soldats : soyez attentif à leurs premières actions ; & par leur ardeur ou

leur nonchalance, par leur crainte ou leur intrépidité, concluez un bon

ou un mauvais succès. Ce n'est point un présage trompeur que celui de

la première contenance d'une armée prête à livrer le combat. Il en est

telle qui ayant remporté la plus signalée victoire, aurait été entièrement

défaite, si la bataille s'était livrée un jour plus tôt, ou quelques heures

plus tard.

Il en doit être des troupes à peu près comme d'une eau courante. Si

la source est élevée, la rivière ou le ruisseau coulent rapidement ; si la

source est presque de niveau, on s'aperçoit à peine de quelque

mouvement ; s'il se trouve quelque vide, l'eau le remplit d'elle-même

dès qu'elle trouve la moindre issue qui la favorise ; s'il y a des endroits

trop pleins, l'eau cherche naturellement à se décharger ailleurs.

1 Le royaume d'Yué était dans le Tché-kiang, près de Chao-king-fou. Celui de Ou était

dans le Kiang-nan, &c.

Page 81: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

81

p.091 Pour vous, si en parcourant les rangs de votre armée vous

voyez qu'il y ait du vide, il faut le remplir ; si vous trouvez du

surabondant, il faut le diminuer : si vous apercevez du trop haut, il faut

l'abaisser : s'il y a du trop bas, il faut le relever. L'eau dans son cours

suit la situation du terrain dans lequel elle coule : de même, que votre

armée soit rangée conformément au lieu qu'elle occupe. L'eau qui n'a

point de pente ne saurait couler ; des troupes qui ne sont pas bien

conduites ne sauraient vaincre, c'est le général qui décide de tout. S'il

est habile, il tirera parti des circonstances même les plus dangereuses

& les plus critiques. Il saura faire prendre la forme qu'il voudra, non

seulement à l'armée qu'il commande, mais encore à celle des ennemis.

Les troupes quelles qu'elles puissent être n'ont pas des qualités

constantes qui les rendent invincibles ; les plus mauvais soldats

peuvent changer en bien & devenir peu à peu d'excellents guerriers.

Conduisez-vous conformément à ce principe ; ne laissez échapper

aucune occasion, lorsque vous la trouverez favorable. Les cinq

éléments 1 ne sont pas partout ni toujours également purs ; les quatre

saisons ne se succèdent pas de la même manière chaque année ; le

lever & le coucher du soleil ne sont pas constamment au même point

de l'horizon ; la lune n'est pas toujours également brillante. Une armée

bien conduite & bien disciplinée, imite à propos toutes ces variétés.

@

1 J'ai dit ailleurs que les Chinois admettent cinq éléments ou causes primitives dans la nature, dont toutes les choses participent plus ou moins. Ces cinq éléments sont la

terre, le bois, l'eau, le feu & le métal.

Page 82: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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Article VII

Des avantages qu'il faut se procurer

@

p.092 Sun-tse dit : Après que le général aura rassemblé dans un

même lieu toutes les troupes qu'il doit commander, il doit mettre son

attention à leur procurer des campements avantageux ; car c'est de là

principalement que dépend la réussite de ses projets & de toutes ses

entreprises. Cette affaire n'est pas d'une exécution aussi facile qu'on

pourrait bien se l'imaginer ; les difficultés s'y rencontrent souvent sans

nombre, & de toutes espèces ; il ne faut rien oublier pour les aplanir &

pour les vaincre.

Les troupes une fois campées, il faut tourner ses vues du côté du

près & du loin, des avantages & des pertes, du travail & du repos, de la

diligence & de la lenteur ; c'est-à-dire qu'il faut rendre près ce qui est

loin, tirer profit de ses pertes même, substituer un utile travail à un

honteux repos, convertir la lenteur en diligence ; c'est-à-dire encore

qu'il faut que vous soyez près lorsque l'ennemi vous croit bien loin ;

que vous ayez un avantage réel lorsque l'ennemi croit vous avoir

occasionné quelques pertes ; que vous soyez occupé de quelque utile

travail, lorsqu'il vous croit enseveli dans le repos, que vous usiez de

toute sorte de diligence, lorsqu'il ne croit apercevoir dans vous que de

la lenteur ; c'est ainsi qu'en lui donnant le change, vous l'endormirez

lui-même pour pouvoir l'attaquer lorsqu'il y pensera le moins, sans qu'il

ait le temps de se reconnaître.

L'art de profiter du près & du loin consiste à tenir l'ennemi éloigné

du lieu que vous aurez choisi pour votre campement, p.093 & de tous les

postes qui vous paraîtront de quelque conséquence : il consiste à

éloigner de l'ennemi tout ce qui pourrait lui être avantageux, à

rapprocher de vous tout ce dont vous pourrez tirer quelque avantage ;

il consiste encore à vous tenir continuellement sur vos gardes pour

Page 83: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

83

n'être pas surpris, & à veiller sans cesse pour épier le moment de

surprendre votre adversaire.

De plus : ne vous engagez jamais dans de petites actions que vous

ne soyez sûr qu'elles tourneront à votre avantage, & encore ne le faites

point, si vous n'y êtes comme forcé ; mais surtout gardez-vous bien de

vous engager à une action générale, si vous n'êtes comme assuré d'une

victoire complète. Il est très dangereux d'avoir de la précipitation dans

des cas semblables ; une bataille risquée mal à propos, peut vous

perdre entièrement : le moins qu'il puisse vous arriver, si l'évènement

en est douteux, ou que vous ne réussissiez qu'à demi, c'est de vous

voir frustré de la plus grande partie de vos espérances, & de ne pouvoir

parvenir à vos fins.

Avant que d'en venir à un combat définitif, il faut que vous l'ayez

prévu, que vous y soyez préparé depuis longtemps ; ne comptez jamais

sur le hasard dans tout ce que vous ferez en ce genre : après que vous

aurez résolu de livrer la bataille, que les préparatifs en seront déjà

faits, laissez en lieu de sureté tout le bagage inutile, faites dépouiller

vos gens de tout ce qui pourrait les embarrasser ou les surcharger ; de

leurs armes même ne leur laissez que celles qu'ils peuvent porter

aisément.

Si vous devez aller un peu loin, marchez jour & nuit ; faites le

double du chemin ordinaire ; que l'élite de vos troupes soit à la tête ;

mettez les plus faibles à la queue. Prévoyez tout, disposez tout, &

fondez sur l'ennemi lorsqu'il vous p.094 croit encore à cent li

d'éloignement : dans ce cas je vous annonce la victoire. Mais si ayant à

faire cent li de chemin avant que de pouvoir l'atteindre, vous n'en faites

de votre côté que cinquante, & que l'ennemi s'étant avancé en ait fait

autant ; de dix parties il y en a cinq que vous serez vaincu, comme de

trois parties il y en a deux que vous serez vainqueur. Si l'ennemi

n'apprend que vous allez à lui que lorsqu'il ne vous reste plus que

trente li à faire pour pouvoir le joindre, il est difficile que dans le peu de

temps qui lui reste, il puisse pourvoir à tout, & se préparer à vous

recevoir.

Page 84: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

84

Sous prétexte de faire reposer vos gens, gardez-vous bien de

manquer l'attaque, dès que vous serez arrivé. Un ennemi surpris est à

demi vaincu ; il n'en est pas de même s'il a le temps de se

reconnaître ; bientôt il peut trouver des ressources pour vous échapper,

& peut-être même pour vous perdre. Ne négligez rien de tout ce qui

peut contribuer au bon ordre, à la santé, à la sureté de vos gens tant

qu'ils seront sous votre conduite ; ayez grand soin que les armes de

vos soldats soient toujours en bon état. Faites en sorte que les vivres

soient sains, & ne leur manquent jamais ; ayez attention à ce que les

provisions soient abondantes, rassemblées à temps ; car si vos troupes

sont mal armées, s'il y a disette de vivres dans le camp, & si vous

n'avez pas d'avance toutes les provisions nécessaires, il est difficile que

vous puissiez réussir. N'oubliez pas d'entretenir des intelligences

secrètes avec les ministres étrangers, soyez toujours instruit des

desseins que peuvent avoir les princes alliés ou tributaires, des

intentions bonnes ou mauvaises de ceux qui peuvent influer sur la

conduite du maître que vous servez, & vous attirer des ordres ou des

défenses qui pourraient traverser vos projets, & rendre par là tous vos

soins inutiles. Votre prudence & votre p.095 valeur ne sauraient tenir

longtemps contre leurs cabales ou leurs mauvais conseils. Pour obvier à

cet inconvénient, consultez-les dans certaines occasions, comme si

vous aviez besoin de leurs lumières : que tous leurs amis soient les

vôtres : ne soyez jamais divisé d'intérêt avec eux, cédez-leur dans les

petites choses, en un mot entretenez l'union la plus étroite qu'il vous

fera possible 1.

1 L'auteur veut parler ici de ces princes qui avaient le gouvernement des provinces, qui

pouvaient refuser à un général des troupes ou des vivres, lui donner ou lui refuser passage sous le moindre prétexte. Ces sortes de gouverneurs étaient comme de petits

souverains dans leurs provinces. Ils dépendaient, à la vérité, du roi ou de l'empereur

dont ils recevaient leurs gouvernements, souvent à titre de principauté & de royaume même, mais quand une fois ils en étaient pourvus, ils y exerçaient une autorité qui ne

différait guère de celle du souverain, surtout dans le temps que l'empire était

démembré, & qu'on comptait à la Chine plusieurs royaumes. Ils représentaient au roi ou à l'empereur ce que bon leur semblait ; & il ne leur était pas difficile de le faire

pencher pour, ou contre les intentions & les intérêts d'un général. Le général, de son

côté, avait un pouvoir sans bornes dans son camp & dans son armée. C'est par ses soins qu'on levait les troupes ; c'est lui qui taxait ce que chaque province devait fournir

d'hommes, d'argent & de munitions : en un mot, rien de tout ce qui avait rapport à la

guerre une fois conclue, ne se faisait que par ses ordres.

Page 85: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

85

Je demande de vous quelque chose de plus encore : ayez une

connaissance exacte & de détail de tout ce qui vous environne ; sachez

où il y a une forêt, un petit bois, une rivière, un ruisseau, un terrain

aride & pierreux, un lieu marécageux & malsain, une montagne, une

colline, une petite élévation, un vallon, un précipice, un défilé, un

champ ouvert, enfin tout ce qui peut servir ou nuire aux troupes que

vous commandez. S'il arrive que vous soyez hors d'état de pouvoir être

instruit par vous-même de l'avantage ou du p.096 désavantage du

terrain, ayez au moins des guides sur lesquels vous puissiez compter

sûrement.

Dans les occasions où il s'agira d'être tranquille, qu'il règne dans

votre camp une tranquillité semblable à celle qui règne au milieu des

plus épaisses forêts : lors qu'au contraire il s'agira de faire des

mouvements du bruit, imitez le fracas du tonnerre : s'il faut être ferme

dans votre poste, soyez-y immobile comme une montagne : s'il faut

sortir pour aller au pillage, ayez l'activité du feu : s'il faut éblouir

l'ennemi, soyez comme un éclair ; s'il faut cacher vos desseins, soyez

obscur comme les ténèbres. Gardez-vous sur toutes choses de faire

jamais aucune sortie en vain : lorsque vous ferez tant que d'envoyer

quelque détachement, que ce soit toujours dans l'espérance, ou, pour

mieux dire, dans la certitude d'un avantage réel : pour éviter les

mécontentements, faites toujours une exacte & juste répartition de tout

ce que vous aurez enlevé à l'ennemi.

A tout ce que je viens de dire il faut ajouter la manière de donner

vos ordres, de les faire exécuter. Il est des occasions & des

campements où la plupart de vos gens ne sauraient ni vous voir ni vous

entendre : le tambour & le lo 1, les étendards & les drapeaux peuvent

suppléer à votre voix & à votre présence. Instruisez vos troupes de

tous les signaux que vous pouvez employer. Si vous avez à faire des

évolutions pendant la nuit, faites exécuter vos ordres au bruit d'un

1 Le lo militaire est un grand bassin d airain d'environ trois pieds de diamètre, sur six pouces de profondeur. On le frappe avec un bâton de bois. Cet instrument s'entend de

fort loin.

Page 86: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

86

grand nombre de tambours & de lo ; si au contraire c'est pendant le

jour qu'il faut que vous agissiez, employez les drapeaux & les p.097

étendards pour faire savoir vos volontés. Le fracas d'un grand nombre

de tambours & de lo servira pendant la nuit autant à jeter l'épouvante

parmi vos ennemis, qu'à ranimer le courage de vos soldats ; l'éclat d'un

grand nombre d'étendards, la multitude de leurs évolutions, la diversité

de leurs couleurs, & la bizarrerie de leur assemblage, en instruisant vos

gens, les tiendront toujours en haleine pendant le jour, les occuperont,

leur réjouiront le cœur, en jetant le trouble & la perplexité dans celui de

vos ennemis. Ainsi, outre l'avantage que vous aurez de faire savoir

promptement toutes vos volontés à votre armée entière dans le même

moment, vous aurez encore celui de lasser votre ennemi, en le rendant

attentif à tout ce qu'il croit que vous voulez entreprendre, de lui faire

naître des doutes continuels sur la conduite que vous devez tenir, & de

lui inspirer d'éternelles frayeurs.

Si quelque brave veut sortir seul hors des rangs pour aller

provoquer l'ennemi 1, ne le permettez point ; il arrive rarement qu'un

tel homme puisse revenir. Il périt pour l'ordinaire, ou par la trahison,

ou accablé par le grand nombre.

Lorsque vous verrez vos troupes bien disposées, ne manquez pas de

profiter de leur ardeur : c'est à l'habileté du général à faire naître les

occasions, & à distinguer lorsqu'elles sont favorables ; mais il ne doit pas

négliger pour cela de prendre l'avis des officiers généraux ni de profiter

de leurs lumières, surtout si elles ont le bien commun pour objet.

p.098 Le temps la température de l'air sont des circonstances qu'il ne

faut pas négliger. Un bon général tire parti de tout. L'air du matin &

celui du soir donnent de la force. Les troupes sont fraîches le matin,

elles ont le soir toute leur vigueur. L'air du milieu du jour les rend

1 Il était permis autrefois, dans les armées chinoises, à quiconque voulait se faire un

nom, de sortir du camp armé de pied en cap, d'aller se présenter devant l'armée ennemie. Lorsqu'il était à portée de se faire entendre il défiait à un combat de corps à

corps, Les deux champions se battaient en présence des deux armées ; mais on

employait autant les artifices que la force, l'adresse ou la valeur.

Page 87: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

87

faibles & languissantes ; pendant la nuit elles sont fatiguées & n'aiment

que le repos, cela est ordinaire.

Lors donc que vous voudrez attaquer l'ennemi, choisissez, pour le

faire avec avantage, le temps où les soldats sont censés devoir être

faibles ou fatigués. Vous aurez pris auparavant vos précautions, & vos

troupes reposées & fraîches auront de leur côté l'avantage de la force &

de la vigueur.

Si vous voyez que l'ordre règne dans les rangs ennemis, attendez

qu'il soit interrompu, & que vous aperceviez quelque désordre. Si leur

trop grande proximité vous offusque ou vous gêne, éloignez-vous afin

de pouvoir les attaquer quand ils viendront de loin.

Si vous voyez qu'ils aient de l'ardeur, attendez qu'elle se ralentisse,

& qu'ils soient accablés sous le poids de l'ennui ou de la fatigue.

Si vous les voyez attroupés & rangés comme des cigognes, gardez-

vous bien d'aller à eux.

Si, réduits au désespoir, ils viennent pour vaincre ou pour périr,

évitez leur rencontre. S'ils se sauvent sur des lieux élevés, ne les y

poursuivez point ; si vous êtes vous-même dans des lieux peu

favorables, ne soyez pas longtemps sans changer de situation. Si les

ennemis réduits à l'extrémité abandonnent leur camp, & veulent se

frayer un chemin pour aller camper ailleurs, ne les arrêtez pas.

S'ils sont agiles & lestes, ne courez pas après eux ; s'ils manquent

de tout, prévenez leur désespoir.

p.099 Voilà à peu près ce que j'avais à vous dire sur les différents

avantages que vous devez tâcher de vous procurer, lorsqu'à la tête

d'une armée vous aurez à vous mesurer avec des ennemis qui, peut-

être aussi prudents & aussi vaillants que vous, ne pourraient être

vaincus, si vous n'usez de votre part des petits stratagèmes dont je

viens de parler.

@

Page 88: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

88

Article VIII

Des neuf changements 1

@

Sun-tse dit :

I. Si vous êtes dans des lieux marécageux, dans des lieux où il y a à

craindre les inondations, dans des lieux couverts d'épaisses forêts ou de

montagnes escarpées, dans des lieux déserts & arides, dans des lieux où il

n'y ait que des rivières & des ruisseaux, dans des lieux enfin d'où vous ne

puissiez aisément tirer du secours, & où vous ne seriez appuyé d'aucune

façon, tâchez d'en sortir le plus promptement qu'il vous sera possible.

Allez chercher quelque endroit spacieux & vaste où vos troupes puissent

s'étendre, d'où p.100 elles puissent sortir aisément, & où vos Alliés puissent

sans peine vous porter les secours dont vous pourriez avoir besoin.

II. Évitez avec une extrême attention de camper dans des lieux

isolés ; ou si la nécessité vous y force, n'y restez qu'autant de temps

qu'il en faut pour en sortir. Prenez sur-le-champ des mesures efficaces

pour le faire en sureté, & en bon ordre.

III. Si vous vous trouvez dans des lieux éloignés des sources, des

ruisseaux & des puits, où vous ne trouviez pas aisément des vivres &

du fourrage, ne tardez pas de vous en tirer. Avant que de décamper,

voyez si le lieu que vous choisissez est à l'abri par quelque montagne

au moyen de laquelle vous soyez à couvert des surprises de l'ennemi, si

vous pouvez en sortir aisément, si vous y avez les commodités

nécessaires pour vous procurer les vivres & les autres provisions ; s'il

est tel, n'hésitez point à vous en emparer.

1 C'est encore ici où je ne vois pas comment le titre répond aux matières dont l'auteur

traite dans cet article. Voici comment débute le commentateur.

« Quoique les changements qu'on peut faire dans la conduite d'une armée soient sans nombre, on les réduit ici à neuf qui sont les principaux, ceux du moins donc on peut

conclure tous les autres. On appelle changement tout ce qui est accessoire à la conduite

ordinaire des troupes, ou bien, une opération militaire à laquelle on se détermine, à raison de la circonstance actuelle ».

J'ai désigné, d'après le commentateur tartare, chaque changement par un chiffre que

j'ai mis en marge.

Page 89: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

89

IV. Si vous êtes dans un lieu de mort, cherchez l'occasion de

combattre. J'appelle lieu de mort ces sortes d'endroits où l'on n'a

aucune ressource, où l'on dépérit insensiblement par l'intempérie de

l'air, où les provisions se consument peu à peu sans espérance d'en

pouvoir faire de nouvelles ; où les maladies, commençant à se mettre

dans l'armée, semblent devoir y faire bientôt de grands ravages. Si

vous vous trouvez dans de telles circonstances, hâtez-vous de livrer

quelque combat. Je vous réponds que vos troupes n'oublieront rien

pour se bien battre. Mourir de la main des ennemis, leur paraîtra

quelque chose de bien doux au prix de tous les maux qu'ils voient prêts

à fondre sur eux, & à les accabler.

V. Si par hasard ou par votre faute votre armée se rencontrait dans

des lieux pleins de défilés, où l'on pût aisément vous tendre des

embûches, d'où il ne serait pas aisé de vous sauver p.101 en cas de

poursuite, où l'on put vous couper les vivres & les chemins, gardez-

vous bien d'y attaquer l'ennemi ; mais si l'ennemi vous y attaque,

combattez jusqu'à la mort. Ne vous contentez pas de quelque petit

avantage ou d'une demi-victoire ; ce pourrait être une amorce pour

vous défaire entièrement. Soyez même sur vos gardes, après que vous

aurez eu toutes les apparences d'une victoire complète.

VI. Quand vous saurez qu'une ville, quelque petite qu'elle soit, est

bien fortifiée & abondamment pourvue de munitions de guerre & de

bouche, gardez-vous bien d'en aller faire le siège ; si vous n'êtes

instruit de l'état où elle se trouve qu'après que le siège en aura été

ouvert, ne vous obstinez pas à vouloir le continuer, vous courriez risque

de voir toutes vos forces échouer contre cette place, que vous seriez

enfin contraint d'abandonner honteusement.

VII. Ne négligez pas de courir après un petit avantage lorsque vous

pourrez vous le procurer sûrement sans aucune perte de votre part.

Plusieurs de ces petits avantages qu'on pourrait acquérir & qu'on

néglige, occasionnent souvent de grandes pertes & des dommages

irréparables.

Page 90: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

90

VIII. Avant que de songer à vous procurer quelque avantage,

comparez-le avec le travail, la peine, les dépenses & les pertes

d'hommes & de munitions qu'il pourra vous occasionner. Sachez à peu

près si vous pourrez le conserver aisément ; après cela vous vous

déterminerez à le prendre ou à le laisser, suivant les lois d'une faine

prudence.

IX. Dans les occasions où il faudra prendre promptement son parti,

n'allez pas vouloir attendre les ordres du prince. S'il est des cas où il

faille agir contre des ordres reçus, n'hésitez pas, agissez sans crainte.

La première & principale intention de celui qui vous met à la tête de ses

troupes, est que p.102 vous soyez vainqueur des ennemis. S'il avait

prévu la circonstance où vous vous trouvez, il vous aurait dicté lui-

même la conduite que vous voulez tenir.

Voilà ce que j'appelle les neuf changements ou les neuf

circonstances principales qui doivent vous engager à changer la

contenance ou la position de votre armée, à changer de situation, à

aller ou à revenir, à attaquer ou à vous défendre, à agir ou à vous tenir

en repos. Un bon général ne doit jamais dire : Quoi qu'il arrive, je ferai

telle chose, j'irai là, j'attaquerai l'ennemi, j'assiégerai telle place. La

circonstance seule doit le déterminer ; il ne doit pas s'en tenir à un

système général, ni à une manière unique de gouverner. Chaque jour,

chaque occasion, chaque circonstance demande une application

particulière des mêmes principes. Les principes sont bons en eux-

mêmes ; mais l'application qu'on en fait les rend souvent mauvais.

Un grand général doit savoir l'art des changements. S'il s'en tient à

une connaissance vague de certains principes, à une application

uniforme des règles de l'art, à certaines lois de discipline toujours les

mêmes, à une connaissance mécanique de la situation des lieux, &, si

je puis m'exprimer ainsi, à une attention d'instinct pour ne laisser

échapper aucun avantage, il ne mérite pas le nom qu'il porte, il ne

mérite pas même de commander.

Un général est un homme qui, par le rang qu'il occupe, se trouve

au-dessus d'une multitude d'autres hommes ; il faut par conséquent

Page 91: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

91

qu'il sache gouverner les hommes ; il faut qu'il sache les conduire ; il

faut qu'il soit véritablement au-dessus d'eux, non pas seulement par sa

dignité, mais par son esprit, par son savoir, par sa capacité, par sa

conduite, par sa fermeté, par son courage & par ses vertus. Il faut qu'il

p.103 sache distinguer les vrais d'avec les faux avantages, les véritables

pertes d'avec ce qui n'en a que l'apparence ; qu'il sache compenser l'un

par l'autre, tirer parti de tout. Il faut qu'il sache employer à propos

certains artifices pour tromper l'ennemi, & qu'il se tienne sans cesse sur

ses gardes pour n'être pas trompé lui-même. Il ne doit ignorer aucun

des pièges qu'on peut lui tendre ; il doit pénétrer tous les artifices de

l'ennemi de quelque nature qu'ils puissent être ; mais il ne doit pas

pour cela vouloir deviner. Tenez-vous sur vos gardes, voyez le venir,

éclairez ses démarches & toute sa conduite, & concluez. Vous courriez

risque autrement de vous tromper & d'être la dupe ou la triste victime

de vos conjectures précipitées.

Si vous voulez n'être jamais effrayé par la multitude de vos travaux

& de vos peines, attendez-vous toujours à tout ce qu'il y aura de plus

dur & de plus pénible. Travaillez sans cesse à susciter des peines à

l'ennemi. Vous pourrez le faire de plus d'une façon ; mais voici ce qu'il

y a d'essentiel en ce genre.

N'oubliez rien pour lui débaucher ce qu'il y aura de mieux dans son

parti ; offres, présents, caresses, que rien ne soit omis ; trompez

même s'il le faut ; engagez les gens d'honneur qui sont chez lui à des

actions honteuses indignes de leur réputation, à des actions dont ils

aient lieu de rougir quand elles feront sues, & ne manquez pas de les

faire divulguer.

Entretenez des liaisons secrètes avec ce qu'il y a de plus vicieux

chez les ennemis ; servez-vous-en pour aller à vos fins, en leur

joignant d'autres vicieux.

Traversez leur gouvernement, semez la dissension parmi leurs

chefs, fournissez des sujets de colère aux uns contre les autres, faites

les murmurer contre leurs officiers, ameutez les officiers subalternes

Page 92: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

92

contre leurs supérieurs ; faites en sorte qu'ils p.104 manquent de vivres

& de munitions, répandez parmi eux quelques airs d'une musique

voluptueuse qui leur amollisse le cœur ; envoyez-leur des femmes pour

achever de les corrompre, tâchez qu'ils sortent lorsqu'il faudra qu'ils

soient dans leur camp, & qu'ils soient tranquilles dans leur camp

lorsqu'il faudrait qu'ils tinssent la campagne ; faites-leur donner sans

cesse de fausses alarmes & de faux avis ; engagez dans vos intérêts les

gouverneurs de leurs provinces : voilà à peu près ce que vous devez

faire, si vous voulez tromper par l'adresse & par la ruse 1.

Ceux des généraux qui brillaient parmi nos anciens étaient des

hommes sages, prévoyants, intrépides & durs au travail. Ils avaient

toujours leurs sabres pendus à leur côtés ; ils étaient toujours prêts à

tout événement : s'ils rencontraient l'ennemi, ils n'avaient pas besoin

d'attendre du secours pour se mesurer avec lui. Les troupes qu'ils

commandaient étaient bien disciplinées, & toujours disposées à faire un

coup de main au premier signal qu'ils leur en donnaient. Chez eux la

lecture & l'étude précédaient la guerre & les y préparaient. Ils gardaient

avec soin leurs frontières, & ne manquaient pas de bien fortifier leurs

villes. Ils n'allaient pas contre l'ennemi, lorsqu'ils étaient instruits qu'il

avait fait tous ses préparatifs pour les bien recevoir ; ils l'attaquaient

par ses endroits faibles, dans le temps de sa paresse & de son oisiveté.

Avant que de finir cet article, je dois vous prévenir contre cinq

sortes de dangers, d'autant plus à redouter qu'ils p.105 paraissent moins

à craindre ; écueils funestes contre lesquels la prudence & la bravoure

ont échoué plus d'une fois.

I. Le premier est une trop grande ardeur à affronter la mort ; ardeur

téméraire, qu'on honore souvent des beaux noms de courage,

d'intrépidité & de valeur, mais qui au fond ne mérite guère que celui de

lâcheté. Un général qui s'expose sans nécessité, comme le ferait un

simple soldat, qui semble chercher les dangers & la mort, qui combat,

1 Il n'est pas nécessaire que je dise ici que je désapprouve tout ce que dit l'auteur à l'occasion des artifices & des ruses. Cette politique, mauvaise en elle-même, ne doit

avoir aucun lieu parmi des troupes bien réglées.

Page 93: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

93

qui fait combattre jusqu'à la dernière extrémité, est un homme qui

mérite de mourir. C'est un homme sans tête, qui ne saurait trouver

aucune ressource pour se tirer d'un mauvais pas ; c'est un lâche qui ne

saurait souffrir le moindre échec sans en être consterné, & qui se croit

perdu si tout ne lui réussit.

II. Le second est une trop grande attention à conserver ses jours.

On se croit nécessaire à l'armée entière ; on n'aurait garde de

s'exposer ; on n'oserait pour cette raison se pourvoir de vivres chez

l'ennemi ; tout fait ombrage, tout fait peur ; on est toujours en

suspens, on ne se détermine à rien, on attend une occasion plus

favorable, on perd celle qui se présente, on ne fait aucun mouvement ;

mais l'ennemi qui est toujours attentif, profite de tout, & fait bientôt

perdre toute espérance à un général ainsi prudent. Il l'enveloppera, il

lui coupera les vivres, & le fera périr par le trop grand amour qu'il avait

de conserver sa vie.

III. Le troisième est une colère précipitée. Un général qui ne sait pas

se modérer, qui n'est pas maître de lui-même, & qui se laisse aller aux

premiers mouvements d'indignation ou de colère, ne saurait manquer

d'être la dupe des ennemis. Ils le provoqueront, ils lui tendront mille

pièges que sa fureur l'empêchera de reconnaître, & dans lesquels il

donnera infailliblement.

IV. Le quatrième est un point d'honneur mal entendu. p.106 Un

général ne doit pas se piquer mal à propos, ni hors de saison ; il doit

savoir dissimuler ; il ne doit point se décourager après quelque mauvais

succès, ni croire que tout est perdu parce qu'il aura fait quelque faute

ou qu'il aura reçu quelque échec. Pour vouloir réparer son honneur

légèrement blessé, on le perd quelquefois sans ressources.

V. Le cinquième enfin est une trop grande complaisance ou une

compassion trop tendre pour le soldat. Un général qui n'ose punir, qui

ferme les yeux sur le désordre, qui craint que les siens ne soient

toujours accablés sous le poids du travail, & qui n'oserait pour cette

raison leur en imposer, est un général propre à tout perdre. Ceux d'un

rang inférieur doivent avoir des peines ; il faut toujours avoir quelque

Page 94: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

94

occupation à leur donner ; il faut qu'ils aient toujours quelque chose à

souffrir. Si vous voulez tirer parti de leur service, faites en sorte qu'ils

ne soient jamais oisifs. Punissez avec sévérité, mais sans trop de

rigueur. Procurez des peines du travail, mais jusqu'à un certain point.

Un général doit se prémunir contre tous ces dangers. Sans trop

chercher à vivre ou à mourir, il doit se conduire avec valeur & avec

prudence, suivant que les circonstances l'exigent. S'il a de justes

raisons de se mettre en colère, qu'il le fasse, mais que ce ne soit pas en

tigre qui ne connaît aucun frein. S'il croit que son honneur est blessé,

qu'il veuille le réparer, que ce soit en suivant les règles de la sagesse, &

non pas les caprices d'une mauvaise honte. Qu'il aime ses soldats, qu'il

les ménage ; mais que ce soit avec discrétion. S'il livre des batailles, s'il

fait des mouvements dans son camp, s'il assiège des villes, s'il fait des

excursions, qu'il joigne la ruse à la valeur, la sagesse à la force des

armes ; qu'il répare tranquillement ses fautes lorsqu'il aura eu le

malheur d'en faire ; qu'il profite de toutes celles de son ennemi, & qu'il

le mette souvent dans l'occasion d'en faire de nouvelles.

@

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Art militaire des Chinois

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Article IX

De la conduite que les troupes doivent tenir 1

@

p.107 Sun-tse dit : Avant que de faire camper vos troupes, sachez

dans quelle position sont les ennemis, mettez-vous au fait du terrain

choisissez ce qu'il y aura de plus avantageux pour vous. On peut

réduire à quatre points principaux ces différentes situations.

I. Si vous êtes dans le voisinage de quelque montage, gardez-vous

bien de vous emparer de la partie qui regarde le nord ; occupez au

contraire le côté du midi : cet avantage n'est pas d'une petite

conséquence. Depuis le penchant de la montagne, étendez-vous en

sureté jusques bien avant dans les vallons ; vous y trouverez de l'eau &

du fourrage en abondance ; vous y serez égayé par la vue du soleil,

échauffé par ses rayons, & l'air que vous y respirerez sera tout

autrement salubre que celui que vous respireriez de l'autre côté. Si les

ennemis viennent par derrière la montagne dans le dessein de vous

surprendre, instruit par ceux que vous aurez placés sur la cime, vous

vous retirerez à loisir, si vous ne vous croyez pas en état de leur faire

tête ; ou vous les attendrez de pied ferme pour les combattre, si vous

jugez que vous puissiez être p.108 vainqueur sans trop risquer :

cependant ne combattez sur les hauteurs que lorsque la nécessité vous

y engagera ; surtout n'y allez jamais chercher l'ennemi.

II. Si vous êtes auprès de quelque rivière, approchez-vous le plus

que vous pourrez de sa source ; tâchez d'en connaître tous les bas-

fonds & tous les endroits qu'on peut passer à gué. Si vous avez à la

passer, ne le faites jamais en présence de l'ennemi ; mais si les

1 Sun-tse met cet article immédiatement après celui des neuf changements, dit un des

commentateurs, parce qu'il en est comme la suite, ou comme une espèce de

supplément d'explication. Sun-tse, ajoute-t-il, appelle savoir se conduire dans les troupes, cet art par lequel, suivant les occasions, on se détermine à telle ou telle chose.

Pour cela il faut être au fait du terrain, en savoir tirer parti, connaître ses propres

avantages, avoir connaissance des desseins des ennemis.

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Art militaire des Chinois

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ennemis, plus hardis, ou moins prudents que vous, veulent en hasarder

le passage, ne les attaquez point que la moitié de leurs gens ne soit de

l'autre côté ; vous combattrez alors avec tout l'avantage de deux contre

un. Près des rivières même tenez toujours les hauteurs, afin de pouvoir

découvrir au loin ; n'attendez pas l'ennemi près des bords, n'allez pas

au-devant de lui ; soyez toujours sur vos gardes, de peur qu'étant

surpris vous n'ayez pas un lieu pour vous retirer en cas de malheur.

III. Si vous êtes dans des lieux glissants & humides, marécageux &

malsains, sortez-en le plus vite que vous pourrez ; vous ne sauriez

vous y arrêter sans être exposé aux plus grands inconvénients ; la

disette des vivres & les maladies viendraient bientôt vous y assiéger. Si

vous êtes contraint d'y rester, tâchez d'en occuper les bords ; gardez-

vous bien d'aller trop avant. S'il y a des forêts aux environs, laissez-les

derrière vous.

IV. Si vous êtes en plaine dans des lieux unis & secs, ayez toujours

votre gauche à découvert ; ménagez derrière vous quelque élévation

d'où vos gens puissent découvrir au loin. Quand le devant de votre

camp ne vous présentera que des objets de mort, ayez soin que les

lieux qui sont derrière puissent vous offrir des secours contre l'extrême

nécessité.

Tels sont les avantages des différents campements ; avantages

précieux, d'où dépend la plus grande partie des succès militaires. C'est

en particulier parce qu'il possédait à fond l'art p.109 des campements,

que l'empereur Hiuen-yuen triompha de ses ennemis, & soumit à ses

lois tous les princes voisins de ses États 1.

1 Hiuen-yuen est un des noms qu'on donne à Hoang-ti, fondateur de l'empire chinois.

C'est du moins sous son règne que le gouvernement commença à prendre la forme

qu'on observe chez des peuples civilisés. Hoang-ti avait toutes les qualités qui font les grands princes : il était habile politique & grand guerrier. On lui attribue des préceptes

sur l'art militaire qu'on dit avoir été excellents ; mais il n'en reste aucun vestige. Il

vainquit un roi barbare nommé Tche-yeou, dit l'historien chinois, dans un lieu qu'on appelait alors Tchouo-lou (c'est ce qu'on appelle aujourd'hui Tchouo-tcheou, qui n'est

éloigné de Péking que de 120 li chinois, c'est-à-dire de 12 lieues de 20 au degré). Ce

fut après cette expédition que Hoang-ti ou Hiuen-yuen mit tous ses soins à faire des règles sur l'art militaire. Dès lors il ne manqua plus rien aux Chinois pour être la

première nation du monde. Le peuple était fidèle, sincère & respectueux ; les

magistrats avaient la droiture & l'équité en partage ; les guerriers étaient prudents,

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Art militaire des Chinois

97

Il faut conclure de tout ce que je viens de dire, que les hauteurs

sont en général plus salutaires aux troupes que les lieux bas &

profonds, parce que c'est dans les lieux élevés qu'on trouve pour

l'ordinaire cet air pur & sain qui met à couvert de bien des maladies

dont on ne pourrait se préserver dans les lieux humides & bas. Dans les

élévations même il y a un choix à faire ; c'est de camper toujours du

côté du midi, parce que c'est là qu'on trouve l'abondance & la fertilité.

Un campement de cette nature est un avant-coureur de la victoire. Le

contentement & la santé, qui sont la suite ordinaire d'une bonne

nourriture prise sous un ciel pur, donnent du courage & de la force au

soldat, tandis que la tristesse, le mécontentement & les maladies

l'épuisent, p.110 l'énervent, le rendent pusillanime & le découragent

entièrement.

Il faut conclure encore que les campements près des rivières ont

leurs avantages qu'il ne faut pas négliger, & leurs inconvénients qu'il

faut tâcher d'éviter avec un grand soin. Je ne saurais trop vous le

répéter ; tenez le haut de la rivière, laissez-en le courant aux ennemis.

Outre que les gués sont beaucoup plus fréquents vers la source, les

eaux en sont plus pures & plus salubres.

Lorsque les pluies auront formé quelque torrent ou qu'elles auront

grossi le fleuve ou la rivière dont vous occupez les bords, attendez

quelque temps avant que de vous mettre en marche ; surtout ne vous

hasardez pas à passer de l'autre côté, attendez pour le faire que les

eaux aient repris la tranquillité de leur cours ordinaire. Vous en aurez

des preuves certaines si vous n'entendez plus un certain bruit sourd,

qui tient plus du frémissement que du murmure, si vous ne voyez plus

d'écumes surnager, & si la terre ou le sable ne coulent plus avec l'eau.

Pour ce qui est des défilés & des lieux entrecoupés par des

précipices & par des rochers, des lieux marécageux & glissants, des

lieux étroits & couverts, lorsque la nécessité ou le hasard vous y aura

conduit, tirez-vous-en le plus tôt qu'il vous sera possible, éloignez-

vaillants & intrépides ; les maladies étaient rares, & comme on avait l'art de les guérir,

elles ne duraient pas longtemps, &c.

Page 98: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

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vous-en le plus tôt que vous pourrez. Si vous en êtes loin, l'ennemi en

sera près : si vous fuyez, l'ennemi poursuivra, & tombera peut-être

dans les dangers que vous venez d'éviter.

Vous devez encore être extrêmement en garde contre une autre

espèce de terrain. Il est des lieux couverts de broussailles ou de petits

bois ; il en est qui sont pleins de hauts & de bas, où l'on est sans cesse

ou sur des collines ou dans des vallons, défiez-vous-en ; soyez dans

une attention continuelle. Ces p.111 sortes de lieux peuvent être pleins

d'embuscades ; l'ennemi peut sortir à chaque instant, vous surprendre,

tomber sur vous, & vous tailler en pièces. Si vous en êtes loin, n'en

approchez pas ; si vous en êtes près, ne vous mettez pas en

mouvement que vous n'ayez fait reconnaître tous les environs. Si

l'ennemi vient vous y attaquer, faites en sorte qu'il ait tout le

désavantage du terrain de son côté : pour vous, ne l'attaquez que

lorsque vous le verrez à découvert. Enfin, quelque soit le lieu de votre

campement bon ou mauvais, il faut que vous en tiriez parti ; n'y soyez

jamais oisif, ni sans faire quelque tentative ; éclairez toutes les

démarches des ennemis ; ayez des espions de distance en distance,

jusqu'au milieu de leur camp, jusque sous la tente de leur général. Ne

négligez rien de tout ce qu'on pourra vous rapporter, faites attention à

tout.

Si ceux de vos gens que vous avez envoyés à la découverte vous

font dire que les arbres sont en mouvement, quoique par un temps

calme, concluez que l'ennemi est en marche. Il peut se faire qu'il veuille

venir à vous ; disposez toutes choses, préparez-vous à le bien recevoir,

allez même au-devant de lui. Si l'on vous rapporte que les champs sont

couverts d'herbes, que ces herbes sont fort hautes, tenez-vous sans

cesse sur vos gardes ; veillez continuellement, de peur de quelque

surprise. Si l'on vous dit qu'on a vu des oiseaux attroupés voler par

bandes sans s'arrêter, soyez en défiance ; on vient vous espionner, ou

vous tendre des pièges ; mais si, outre les oiseaux, on voit encore un

grand nombre de quadrupèdes courir la campagne, comme s'ils

n'avaient point de gîte, c'est une marque que les ennemis sont aux

Page 99: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

99

aguets. Si l'on vous rapporte qu'on aperçoit au loin des tourbillons de

poussière s'élever dans les airs, concluez que les ennemis sont en

marche. Dans les endroits où la poussière est basse & épaisse, p.112

sont les gens de pied ; dans les endroits où elle est moins épaisse &

plus élevée, sont la cavalerie & les chars. Si l'on vous avertit que les

ennemis sont dispersés & ne marchent que par pelotons, c'est une

marque qu'ils ont eu à traverser quelque bois ; qu'ils ont fait des

abattis, & qu'ils sont fatigués ; ils cherchent alors à se rassembler. Si

vous apprenez qu'on aperçoit dans les campagnes des gens de pied &

des hommes à cheval aller & venir, dispersés çà là par petites bandes,

ne doutez pas que les ennemis ne soient campés.

Tels sont les indices généraux dont vous devez tâcher de profiter,

tant pour savoir la position de ceux avec lesquels vous devez vous

mesurer, que pour faire avorter leurs projets, & vous mettre à couvert

de toute surprise de leur part. En voici quelques autres auxquels vous

devez une plus particulière attention.

Lorsque ceux de vos espions qui sont près du camp des ennemis

vous feront savoir qu'on y parle bas d'une manière mystérieuse, que

ces ennemis sont modestes dans leur façon d'agir & retenus dans tous

leurs discours, concluez qu'ils pensent à une action générale, & qu'ils

en font déjà les préparatifs : allez à eux sans perdre de temps ; ils

veulent vous surprendre, surprenez-les vous-même. Si vous apprenez

au contraire qu'ils sont bruyants, fiers & hautains dans leurs discours,

soyez certain qu'ils pensent à la retraite & qu'ils n'ont nullement envie

d'en venir aux mains. Lorsqu'on vous fera savoir qu'on a vu quantité de

chars vides précéder leur armée 1, p.113 préparez-vous à combattre, car

les ennemis viennent à vous en ordre de bataille. Gardez-vous bien

d'écouter alors les propositions de paix ou d'alliance qu'ils pourraient

vous faire, ce ne serait qu'un artifice de leur part. S'ils font des

1 Lorsque les armées chinoises allaient pour combattre, elles envoyaient une partie des

chariots, fourgons & chars au devant de l'ennemi, tant pour le tromper par l'appât de quelque butin, que pour se faire une espèce de rempart contre toute surprise. Lorsque

ces chars étaient attaqués il se détachait quelqu'un pour en donner avis au gros de

l'armée.

Page 100: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

100

marches forcées, c'est qu'ils croient courir à la victoire ; s'ils vont &

viennent, s'ils avancent en partie & qu'ils reculent autant, c'est qu'ils

veulent vous attirer au combat ; si, la plupart du temps, debout & sans

rien faire, ils s'appuient sur leurs armes comme sur des bâtons, c'est

qu'ils sont aux expédients, qu'ils meurent presque de faim, & qu'ils

pensent à se procurer de quoi vivre ; si passant près de quelque rivière,

ils courent tous en désordre pour se désaltérer, c'est qu'ils ont souffert

de la soif ; si leur ayant présenté l'appât de quelque chose d'utile pour

eux, sans cependant qu'ils aient su ou voulu en profiter, c'est qu'ils se

défient ou qu'ils ont peur ; s'ils n'ont pas le courage d'avancer,

quoiqu'ils soient dans les circonstances où il faille le faire, c'est qu'ils

sont dans l'embarras, dans les inquiétudes & les soucis.

Outre ce que je viens de dire, attachez-vous en particulier à savoir

tous leurs différents campements : vous pourrez les connaître au

moyen des oiseaux que vous verrez attroupés dans certains endroits ;

si leurs campements ont été fréquents, vous pourrez conclure qu'ils ont

peu d'habileté dans la connaissance des lieux. Les oiseaux peuvent

vous servir encore à découvrir les pièges qu'ils vous tendent & à

découvrir ceux de leurs espions qui viendraient pour reconnaître votre

camp ; faites attention seulement à leurs cris 1.

p.114 Si vous apprenez que dans le camp des ennemis il y a des

festins continuels, qu'on y boit & qu'on y mange avec fracas, soyez-en

bien aise ; c'est une preuve infaillible que leurs généraux n'ont point

d'autorité.

Si leurs étendards changent souvent de place, c'est une preuve

qu'ils ne savent à quoi se déterminer, & que le désordre règne parmi

eux. Si leurs officiers subalternes sont inquiets, mécontents, & qu'ils se

fâchent pour la moindre chose, c'est une preuve qu'ils sont ennuyés ou

accablés sous le poids d'une fatigue inutile. Si dans différents quartiers

1 L'auteur ne dit point ici s'il veut parler des oiseaux qui sont en pleine campagne, ou

seulement des oiseaux domestiques, dont on se servait pour la garde, à peu près comme on se sert des chiens. Il est vraisemblable, comme le dit un commentateur, que

parmi les espions, il y en avait qui étaient uniquement chargés de faire attention aux

mouvements, vol chants, &c, des oiseaux qui venaient du côté de l'ennemi.

Page 101: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

101

de leur camp on tue furtivement des chevaux, dont on permette

ensuite de manger la chair 1, c'est une preuve que leurs provisions sont

sur la fin.

Telles sont les attentions que vous devez à toutes les démarches

que peuvent faire les ennemis. Je suis entré dans un détail de minuties

dont la plupart vous paraîtront pour le moins inutiles ; mais mon

dessein est de vous prévenir sur tout, & de vous convaincre que rien de

tout ce qui peut contribuer à vous faire triompher n'est petit.

L'expérience me l'a appris, elle vous l'apprendra de même ; je souhaite

que ce ne soit pas à vos dépens. Encore une fois, éclairez toutes les

démarches de l'ennemi, quelles qu'elles puissent être ; mais veillez

aussi sur vos propres troupes ; ayez l'œil à tout, sachez tout ;

empêchez les vols & les brigandages, la débauche & p.115 l'ivrognerie,

les mécontentements & les cabales, la paresse & l'oisiveté ; sans qu'il

soit nécessaire qu'on vous en instruise, vous pourrez connaître par

vous-même ceux de vos gens qui seront dans le cas ; & voici

comment :

Si quelques-uns de vos soldats, lorsqu'ils changent de poste ou de

quartier, ont laissé tomber quelque chose, quoique de petite valeur, &

qu'ils n'aient pas voulu se donner la peine de la ramasser ; s'ils ont

oublié quelque ustensile dans leur première station, & qu'ils ne le

réclament point, concluez que ce sont des voleurs, punissez-les comme

tels 2.

Si dans votre armée on a des entretiens secrets, si l'on y parle

souvent à l'oreille ou à voix basse, s'il y a des choses qu'on n'ose dire

qu'à demi-mot. Concluez que la peur s'est glissée parmi vos gens, que

1 De temps immémorial il a été défendu à la Chine de tuer des chevaux, des bœufs, &c.

pour en manger la chair ; non pas qu'ils croient que cette chair soit mauvaise, car ils la

mangent très volontiers, lors même que ces animaux sont morts de vieillesse ou de maladie, mais pour des raisons politiques. En temps de guerre on ne permettait pas de

manger la chair d'aucune bête de somme, sous quelque prétexte que ce fût.

2 Les voleurs ne sont pas traités à la Chine comme ils le sont en Europe : en France, par exemple, un voleur est pendu, ou envoyé aux galères ; à la Chine il en est quitte

pour quelques coups de bâton.

Page 102: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

102

le mécontentement va suivre, & que les cabales ne tarderont pas à se

former : hâtez-vous d'y mettre ordre.

Si vos troupes paraissent pauvres, qu'elles manquent quelquefois

d'un certain petit nécessaire ; outre la solde ordinaire, faites-leur

distribuer quelque somme d'argent ; mais gardez-vous bien d'être trop

littéral, l'abondance d'argent est souvent plus funeste qu'elle n'est

avantageuse, & plus préjudiciable qu'utile ; par l'abus qu'on en fait, elle

est la source de la corruption des cœurs & la mère de tous les vices.

Si vos soldats, d'audacieux qu'ils étaient auparavant, deviennent

timides & craintifs, si chez eux la faiblesse a pris la place de la force, la

bassesse, celle de la magnanimité, soyez sûr que leur cœur est gâté ;

cherchez la cause de leur dépravation, & tranchez-la jusqu'à la racine.

p.116 Si, sous divers prétextes, quelques-uns vous demandent leur

congé, c'est qu'ils n'ont pas envie de combattre, ne les refusez pas

tous ; mais en l'accordant à plusieurs, que ce soit à des conditions

honteuses.

S'ils viennent en troupe vous demander justice d'un ton mutin &

colère, écoutez leurs raisons, ayez-y égard ; mais en leur donnant

satisfaction d'un côté, punissez-les très sévèrement de l'autre.

Si, lorsque vous aurez fait appeler quelqu'un, il n'obéit pas

promptement, s'il est longtemps à se rendre à vos ordres, & si, après

que vous aurez fini de lui signifier vos volontés, il ne se retire pas,

défiez-vous, soyez sur vos gardes.

En un mot, la conduite des troupes demande des attentions

continuelles de la part d'un général. Sans quitter de vue l'armée des

ennemis, il faut sans cesse éclairer la vôtre ; sachez lorsque le nombre

des ennemis augmentera, soyez informé de la mort ou de la désertion

du moindre de vos soldats.

Si l'armée ennemie est inférieure à la vôtre, & si elle n'ose pour

cette raison se mesurer avec vous, allez l'attaquer sans délai, ne lui

donnez pas le temps de se renforcer ; une seule bataille est décisive

dans ces occasions. Mais si, sans être au fait de la situation actuelle des

Page 103: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

103

ennemis, & sans avoir mis ordre à tout, vous vous avisez de les

harceler pour les engager à un combat, vous courez risque de tomber

dans ses pièges, de vous faire battre, & de vous perdre sans ressource.

Si vous ne maintenez une exacte discipline dans votre armée, si vous

ne punissez pas exactement jusqu'à la moindre faute, vous ne serez

bientôt plus respecté, votre autorité même en souffrira, & les

châtiments que vous pourrez employer dans la suite, bien loin d'arrêter

les fautes, ne serviront qu'à augmenter le nombre des coupables. Or si

vous n'êtes ni craint ni respecté, p.117 si vous n'avez qu'une autorité

faible, & dont vous ne sauriez vous servir sans danger, comment

pourrez-vous être avec honneur à la tête d'une armée ? comment

pourrez-vous vous opposer aux ennemis de l'État ?

Quand vous aurez à punir, faites-le de bonne heure & à mesure que

les fautes l'exigent : quand vous aurez des ordres à donner, ne les

donnez point que vous ne soyez sûr que vous serez exactement obéi :

instruisez vos troupes ; mais instruisez-les à propos ; ne les ennuyez

point, ne les fatiguez point sans nécessité ; tout ce qu'elles peuvent

faire de bon ou de mauvais, de bien ou de mal, est entre vos mains.

Une armée composée des mêmes hommes peut être très méprisable,

quand elle sera commandée par tel général, tandis qu'elle sera

invincible commandée par tel autre.

@

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Art militaire des Chinois

104

Article X

De la connaissance du terrain 1

@

Sun-tse dit : Sur la surface de la terre tous les lieux ne sont pas

égaux ; il y en a que vous devez fuir, & d'autres qui p.118 doivent être

l'objet de vos recherches ; tous doivent vous être parfaitement connus.

Les lieux étroits ou pleins de défilés, les lieux scabreux &

entrecoupés par des précipices & des rochers, les lieux éloignés ou de

difficile accès, les lieux qui n'ont point une communication libre avec un

terrain plus spacieux & plus propre à vous fournir les secours dont vous

pourriez avoir besoin, sont du nombre des premiers ; tâchez de les

connaître à fond, pour n'y pas engager votre armée mal à propos.

Tout lieu au contraire dans lequel il y aurait une montagne assez

haute pour vous défendre de toute surprise, où l'on pourrait arriver &

d'où l'on pourrait sortir par plusieurs chemins qui vous seraient

parfaitement connus, où les vivres seraient en abondance, où les eaux

ne sauraient manquer, où l'air serait salubre & le terrain assez uni, un

tel lieu doit faire l'objet de vos plus ardentes recherches. Mais soit que

vous vouliez vous emparer de quelque campement avantageux, soit

que vous cherchiez à éviter des lieux dangereux ou peu commodes,

usez d'une extrême diligence, persuadé que l'ennemi a le même objet

que vous.

Si le lieu que vous avez dessein de choisir est autant à la portée des

ennemis qu'à la vôtre, si les ennemis peuvent s'y rendre aussi aisément

1 Cet article a une liaison nécessaire avec le précédent, dit le commentateur ; la raison

qu'il en rapporte est que la marche des troupes ne saurait se faire avec avantage, si

celui qui est chargé de les conduire ne possède pas à fond la connaissance des lieux, tant de ceux qui sont dans son propre royaume que de ceux qui sont au-delà des

frontières, chez son ennemi même. Il me semble que pour cette raison l'article de la

connaissance du terrain aurait dû précéder celui de la marche des troupes, ou, du moins, on aurait pu ne faire qu'un article des deux, puisque les mêmes choses y sont

répétées. C'est le défaut général des auteurs chinois de répéter souvent un même

principe, un même raisonnement & les mêmes paroles.

Page 105: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

105

que vous, il ne s'agit que de les prévenir. Pour cela faites des marches

pendant la nuit ; mais arrêtez-vous au lever du soleil, & s'il se peut,

que ce soit toujours sur quelque éminence, afin de pouvoir découvrir au

loin ; attendez alors que vos provisions & tout votre bagage soient

arrivés ; si l'ennemi vient à vous, vous l'attendrez de pied ferme, &

vous pourrez le combattre avec avantage.

Ne vous engagez jamais dans ces sortes de lieux où l'on peut aller

très aisément, mais d'où l'on ne peut sortir qu'avec beaucoup de peine

& une extrême difficulté ; laissez un pareil p.119 camp entièrement libre

à l'ennemi : s'il est assez imprudent pour s'en emparer, allez à lui ; il

ne saurait vous échapper ; vous le vaincrez sans beaucoup de travail.

Quand une fois vous serez campé avec tout l'avantage du terrain,

attendez tranquillement que l'ennemi fasse les premières démarches &

qu'il se mette en mouvement. S'il vient à vous en ordre de bataille,

n'allez au-devant de lui que lorsque vous verrez qu'il lui sera difficile de

retourner sur ses pas.

S'il a eu le temps de tout préparer pour le combat, & que l'ayant

attaqué, vous ne l'ayiez pas vaincu, il y a tout à craindre pour vous : ne

revenez pas à une seconde charge ; retirez-vous dans votre camp, si

vous le pouvez, & n'en sortez pas que vous ne voyiez clairement que

vous le pouvez sans danger. Vous devez vous attendre que l'ennemi

fera jouer bien des ressorts pour vous attirer ; rendez inutiles tous les

artifices qu'il pourrait employer.

Si votre rival vous a prévenu, & qu'il ait pris son camp dans le lieu

où vous auriez dû prendre le vôtre, c'est-à-dire, dans le lieu le plus

avantageux, ne vous amusez point à vouloir l'en déloger en employant

les stratagèmes communs ; vous travailleriez inutilement.

Si la distance entre vous & lui est un peu considérable & que les

deux armées soient à peu près égales, il ne tombera pas aisément dans

les pièges que vous lui tendrez pour l'attirer au combat : ne perdez pas

votre temps inutilement ; vous réussirez mieux d'un autre côté. Ayez

pour principe que votre ennemi cherche ses avantages avec autant

Page 106: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

106

d'empressement que vous pouvez chercher les vôtres : employez toute

votre industrie à lui donner le change de ce côté-là ; mais surtout ne le

prenez pas vous-même. Pour cela n'oubliez jamais qu'on peut tromper

ou être trompé de bien des façons. Je ne p.120 vous en rappellerai que

six principales, parce qu'elles sont les sources d'où dérivent toutes les

autres.

La première consiste dans la marche des troupes.

La seconde, dans leurs différents arrangements.

La troisième, dans leur position dans des lieux bourbeux.

La quatrième, dans leur désordre.

La cinquième, dans leur dépérissement.

Et la sixième, dans leur fuite.

Un général qui recevrait quelque échec, faute de ces connaissances,

aurait tort d'accuser le Ciel de son malheur ; il doit se l'attribuer tout

entier.

Si celui qui est à la tête des armées néglige de s'instruire à fond de

tout ce qui a rapport aux troupes qu'il doit mener au combat & à celles

qu'il doit combattre ; s'il ne connaît pas exactement le terrain où il est

actuellement, celui où il doit se rendre, celui où l'on peut se retirer en

cas de malheur, celui où l'on peut feindre d'aller, sans avoir d'autre

envie que celle d'y attirer l'ennemi, & celui où il peut être forcé de

s'arrêter, lorsqu'il n'aura pas lieu de s'y attendre ; s'il fait mouvoir son

armée hors de propos ; s'il n'est pas instruit de tous les mouvements

de l'armée ennemie & des desseins qu'elle peut avoir dans la conduite

qu'elle tient ; s'il divise ses troupes sans nécessité, ou sans y être

comme forcé par la nature du lieu où il se trouve, ou sans avoir prévu

tous les inconvénients qui pourraient en résulter, ou sans une espèce

de certitude de quelque avantage réel ; s'il souffre que le désordre

s'insinue peu à peu dans son armée, ou si, sur des indices incertains, il

se persuade trop aisément que le désordre règne dans l'armée

ennemie, & qu'il agisse en conséquence ; si son armée dépérit

insensiblement, sans qu'il se mette en devoir d'y apporter un prompt

remède ; un tel général ne peut être que la dupe des ennemis, qui lui

Page 107: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

107

donneront le change, par des suites étudiées, par p.121 des marches

feintes, par un total de conduite dont il ne saurait manquer d'être la

victime. Les maximes suivantes doivent vous servir de règle pour

toutes vos actions.

Si votre armée & celle de l'ennemi sont à peu près en nombre égal

& d'égale force, il faut que des dix parties des avantages du terrain

vous en ayez neuf pour vous ; mettez toute votre application, employez

tous vos efforts & toute votre industrie pour vous les procurer. Si vous

les possédez, votre ennemi se trouvera réduit à n'oser se montrer

devant vous & à prendre la fuite dès que vous paraîtrez ; ou s'il est

assez imprudent pour vouloir en venir à un combat, vous le combattrez

avec l'avantage de dix contre un. Le contraire arrivera, si, par

négligence ou faute d'habileté, vous lui avez laissé le temps & les

occasions de se procurer ce que vous n'avez pas.

Dans quelque position que vous puissiez être, si pendant que vos

soldats sont forts & pleins de valeur, vos officiers sont faibles & lâches,

votre armée ne saurait manquer d'avoir du dessous ; si au contraire la

force & la valeur se trouvent uniquement renfermées dans les officiers,

tandis que la faiblesse & la lâcheté domineront dans le cœur des

soldats, votre armée sera bientôt en déroute ; car les soldats pleins de

courage & de valeur ne voudront pas se déshonorer ; ils ne voudront

jamais que ce que des officiers lâches & timides ne sauraient leur

accorder, de même des officiers vaillants & intrépides seront à coup sûr

mal obéis par des soldats timides & poltrons.

Si les officiers généraux sont faciles à s'enflammer, s'ils ne savent ni

dissimuler, ni mettre un frein à leur colère, quel qu'en puisse être le

sujet, ils s'engageront d'eux-mêmes dans des actions ou de petits

combats dont ils ne se tireront pas avec honneur, parce qu'ils les

auront commencés avec précipitation, & qu'ils n'en auront pas prévu les

inconvénients & toutes les suites ; il arrivera même qu'ils agiront p.122

contre l'intention expresse du général, sous divers prétextes qu'ils

tâcheront de rendre plausibles ; & d'une action particulière commencée

étourdiment contre toutes les règles, on en viendra à un combat

Page 108: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

108

général, dont tout l'avantage sera du côté de l'ennemi. Veillez sur de

tels officiers, ne les éloignez jamais de vos côtés ; quelques grandes

qualités qu'ils puissent avoir d'ailleurs, ils vous causeraient de grands

préjudices, peut-être même la perte de votre armée entière.

Si un général est pusillanime, il n'aura pas les sentiments d'honneur

qui conviennent à une personne de son rang, il manquera du talent

essentiel de donner de l'ardeur aux troupes ; il ralentira leur courage

dans le temps qu'il faudrait le ranimer ; il ne saura ni les instruire, ni

les dresser à propos ; il ne croira jamais devoir compter sur les

lumières, la valeur & l'habileté des officiers qui lui sont soumis, les

officiers eux-mêmes ne sauront à quoi s'en tenir ; il fera faire mille

fausses démarches à ses troupes, qu'il voudra disposer tantôt d'une

façon & tantôt d'une autre, sans suivre aucun système, sans aucune

méthode ; il hésitera sur tout, il ne se décidera sur rien, partout il ne

verra que des sujets de crainte ; alors le désordre, & un désordre

général, règnera dans son armée.

Si un général ignore le fort & le faible de l'ennemi contre lequel il a à

combattre, s'il n'est pas instruit à fond, tant des lieux qu'il occupe

actuellement, que de ceux qu'il peut occuper suivant les différents

événements, il lui arrivera d'opposer à ce qu'il y a de plus fort dans

l'armée ennemie ce qu'il y a de plus faible dans la sienne, à envoyer

ses troupes lestes & aguerries contre les troupes pesantes, ou contre

celles qui n'ont aucune considération chez l'ennemi, à faire attaquer par

où il ne faudrait pas le faire, à laisser périr, faute de p.123 secours, ceux

des siens qui se trouveraient hors d'état de résister, à se défendre mal

à propos dans un mauvais poste, à céder légèrement un poste de la

dernière importance ; dans ces sortes d'occasions il comptera sur

quelque avantage imaginaire qui ne sera qu'un effet de la politique de

l'ennemi, ou bien il perdra courage après un échec qui ne devrait être

compté pour rien. Il se verra poursuivi sans s'y être attendu, il se

trouvera enveloppé, on le combattra vivement ; heureux alors s'il peut

trouver son salut dans la suite : c'est pourquoi, pour en revenir au sujet

qui fait la matière de cet article, un bon général doit connaître tous les

Page 109: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

109

lieux qui sont ou qui peuvent être le théâtre de la guerre, aussi

distinctement qu'il connaît tous les coins & les recoins des cours &

jardins de sa propre maison.

J'ai dit dans une autre occasion que l'amour pour les hommes en

général, que la justice & le talent de distribuer à propos les châtiments

& les récompenses étaient les fondements sur lesquels on devait bâtir

tout système sur l'art militaire ; mais j'ajoute dans cet article qu'une

connaissance exacte du terrain est ce qu'il y a de plus essentiel parmi

les matériaux qu'on peut employer pour un édifice aussi important à la

tranquillité & à la gloire de l'État. Ainsi un homme que la naissance ou

les événements semblent destiner à la dignité de général, doit

employer tous ses soins & faire tous ses efforts pour se rendre habile

dans cette partie de l'art des guerriers.

Avec une connaissance exacte du terrain, un général peut se tirer

d'affaire dans les circonstances les plus critiques ; il peut se procurer

les secours qui lui manquent, il peut empêcher ceux qu'on envoie à

l'ennemi ; il peut avancer, reculer & régler toutes ses démarches

comme il le jugera à propos ; il peut disposer des marches de son

ennemi faire à son gré qu'il avance ou qu'il recule ; il peut le harceler

sans p.124 crainte d'être surpris lui-même ; il peut l'incommoder de mille

manières, & parer de son côté à tous les dommages qu'on voudrait lui

causer ; il peut enfin finir ou prolonger la campagne, selon qu'il le

jugera plus expédient pour sa gloire ou pour ses intérêts.

Vous pouvez compter sur une victoire certaine si vous connaissez

tous les tours & tous les détours, tous les hauts & les bas, tous les

allants & les aboutissants de tous les lieux que les deux armées

peuvent occuper, depuis les plus près jusqu'à ceux qui sont les plus

éloignés, parce qu'avec cette connaissance vous saurez 1 quelle forme il

sera plus à propos de donner aux différents corps de vos troupes, vous

saurez surement quand il sera à propos de combattre ou lorsqu'il

faudra différer la bataille, vous saurez interpréter la volonté du

1 Je parlerai des différentes formes des armées chinoises en expliquant les figures qui

sont à la fin de l'ouvrage.

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Art militaire des Chinois

110

souverain suivant les circonstances 1, quels que puissent être les ordres

que vous en aurez reçus ; vous le servirez véritablement en suivant vos

lumières présentes, vous ne contracterez aucune tache qui puisse

souiller votre réputation, vous ne serez point exposé à périr

ignominieusement pour avoir obéi 2 . Servir votre prince, faire

l'avantage de l'État p.125 & le bonheur des peuples, c'est ce que vous

devez avoir en vue ; remplissez ce triple objet, vous avez atteint le but.

Dans quelque espèce de terrain que vous soyez, vous devez

regarder vos troupes comme des enfants qui ignorent tout & qui ne

sauraient faire un pas ; il faut qu'elles soient conduites ; vous devez les

regarder, dis-je, comme vos propres enfants ; il faut les conduire vous-

même, il faut les aimer ; ainsi s'il s'agit d'affronter les hasards, que vos

gens ne les affrontent pas seuls, qu'ils ne les affrontent qu'à votre

suite ; s'il s'agit de mourir, qu'ils meurent ; mais mourez avec eux.

Je dis que vous devez aimer tous ceux qui sont sous votre conduite

comme vous aimeriez vos propres enfants ; il ne faut pas cependant en

faire des enfants gâtés ; ils seraient tels, si vous ne les corrigiez pas

lorsqu'ils méritent de l'être, si, quoique plein d'attention, d'égards & de

tendresse pour eux, vous ne pouviez pas les gouverner, ni vous en

servir dans le besoin, comme vous souhaiteriez pouvoir le faire.

Dans quelque espèce de terrain que vous soyez, si vous êtes au fait

de tout ce qui le concerne, si vous savez même par quel endroit il faut

attaquer l'ennemi, mais si vous ignorez s'il est actuellement en état de

défense ou non, s'il s'est disposé à vous bien recevoir, : s'il a fait les

1 A traduire le texte à la lettre, il faudrait dire : Si vous croyez ne pas devoir risquer le

combat, ne combattez point, quelque précis que puissent être les ordres que vous

aurez reçus de livrer bataille. Si vous voyez au contraire qu'une bataille vous serait très avantageuse, livrez-la hardiment, quoique votre souverain vous ait ordonné de ne le

pas faire. Votre vie & votre réputation ne courent aucun risque, & vous n'aurez aucun

crime devant celui dont vous enfreindrez ainsi les ordres, &c.... J'ai déjà dit ailleurs que la campagne étant une fois commencée, l'autorité du général était sans borne. 2 J'ai dit quelque part que dans les principes du Gouvernement chinois, un général

malheureux est toujours un général coupable. Ainsi, s'il perdait la bataille pour avoir obéi aux ordres que son maître lui a donnés avant son départ, on le ferait périr,

quelques bonnes raisons qu'il pût alléguer. On ne dirait pas qu'il n'a fait que se

conformer à ce qu'on lui avait prescrit, on dirait qu'il est un lâche ou un étourdi ; on dirait qu'il aurait dû interpréter la volonté de celui qui l'avait mis à la tête de ses

troupes, on dirait qu'il ne sait pas son métier, &c.... Car ici, plus que partout ailleurs, le

souverain n'a jamais tort. On a même pour maxime qu'il ne saurait se tromper, &c.

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Art militaire des Chinois

111

préparatifs p.126 nécessaires à tout évènement, vous ne sauriez vaincre

qu'à demi.

Quoique vous ayez une pleine connaissance de tous les lieux, que

vous sachiez même que les ennemis peuvent être attaqués, & par quel

côté ils doivent l'être, si vous n'avez pas des indices certains que vos

propres troupes peuvent attaquer avec avantage, j'ose vous le dire,

vous ne sauriez vaincre qu'à demi.

Si vous êtes au fait de l'état actuel des deux armées, si vous savez

en même temps que vos troupes sont en état d'attaquer avec

avantage, & que celles de l'ennemi leur sont inférieures en force & en

nombre, mais si vous ne connaissez pas tous les coins & recoins des

lieux circonvoisins, vous vaincrez peut-être ; mais, je vous l'assure,

vous ne sauriez vaincre qu'à demi.

Ceux qui sont véritablement habiles dans l'art militaire font toutes

leurs marches sans désavantage, tous leurs mouvements sans

désordre, toutes leurs attaques à coup sûr, toutes leurs défenses sans

surprise, leurs campements avec choix, leurs retraites par système &

avec méthode ; ils connaissent leurs propres forces, ils savent quelles

sont celles de l'ennemi, ils sont instruits de tout ce qui concerne les

lieux.

@

117

Page 112: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

112

Article XI

Des neuf sortes de terrains 1

@

p.127 Sun-tse dit : Il y a neuf sortes de lieux qui peuvent être à

l'avantage ou au détriment de l'une ou de l'autre armée. 1° Des lieux

de division ou de dispersion. 2° Des lieux légers. 3° Des lieux qui

peuvent être disputés. 4° Des lieux de réunion. 5° Des lieux pleins &

unis. 6° Des lieux à plusieurs issues. 7° Des lieux graves & importants.

8° Des lieux gâtés ou détruits. 9° Des lieux de mort.

I. J'appelle lieux de division ou de dispersion ceux qui sont près des

frontières dans nos possessions. Des troupes qui se tiendraient

longtemps sans nécessité au voisinage de leurs foyers sont composées

d'hommes qui ont plus d'envie de perpétuer leur race que de s'exposer

à la mort. A la première nouvelle qui se répandra de l'approche des

ennemis, ou de quelque prochaine bataille, chacun d'eux fera de tristes

réflexions ; la facilité du retour en tentera plusieurs, ils succomberont,

leur exemple ne sera que trop funeste pour la multitude. Ils auront

d'abord des panégyristes, & ensuite p.128 des imitateurs : l'armée ne

sera plus un seul même corps ; elle se divisera en plusieurs bandes, qui

ne reconnaîtront chacune que les ordres particuliers de ceux qui les

avaient d'abord conduites ; elles seront sourdes à la voix du général,

bientôt elles l'abandonneront entièrement sous divers prétextes. Les

plus constants, je veux dire ceux qui n'auront pas quitté encore le gros

de l'armée, seront tous d'avis différent, ils seront sans cesse divisés ; le

général ne sachant plus quel parti prendre, ni à quoi se déterminer,

1 Il y a, dit le commentateur, neuf sortes de terrains où une armée peut se trouver ; il

y a par conséquent neuf sortes de lieux sur lesquels elle peut combattre ; par conséquent encore il y a neuf manières différentes d'employer les troupes, neuf

manières de vaincre l'ennemi, neuf manières de tirer parti de ses avantages, & neuf

manières de profiter de ses pertes mêmes. C'est pour mieux faire sentir la nécessité de bien connaître le terrain, que Sun-tse revient plus d'une fois au même sujet, & qu'il

place cet article immédiatement après celui où il traite expressément de la

connaissance du terrain.

Page 113: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

113

tout ce grand appareil militaire se dissipera & s'évanouira comme un

nuage poussé par les vents 1.

II. J'appelle lieux légers ou de légèreté ceux qui sont près des

frontières, mais sur les terres des ennemis. Ces sortes de lieux n'ont

rien qui puisse fixer. On peut regarder sans cesse derrière soi, le retour

étant trop aisé, il fait naître l'envie de l'entreprendre à la première

occasion ; l'inconstance & le caprice trouvent infailliblement de quoi se

contenter.

III. Les lieux qui sont à la bienséance des deux armées, où l'ennemi

peut trouver son avantage aussi bien que nous pouvons trouver le

nôtre, où l'on peut faire un campement dont la position,

indépendamment de son utilité propre, peut p.129 nuire au parti opposé,

traverser quelques-unes de ses vues ; ces sortes de lieux peuvent être

disputés, ils doivent même l'être.

IV. Par les lieux de réunion, j'entends ceux où nous ne pouvons

guère manquer de nous rendre, dans lesquels l'ennemi ne saurait

presque manquer de se rendre aussi, ceux encore où l'ennemi, aussi à

portée de ses frontières que vous l'êtes des vôtres, trouverait, ainsi que

vous, sa sûreté en cas de malheur, ou les occasions de suivre sa bonne

fortune, s'il avait d'abord du dessus.

V. Les lieux que j'appelle simplement lieux pleins & unis, sont ceux

qui, étant larges & spacieux, peuvent suffire également pour le

campement des deux armées, mais où il n'est pas à propos, pour

d'autres raisons, que vous livriez un combat général, à moins que la

nécessité ne vous y contraigne ou que vous n'y soyez forcé par

l'ennemi, qui ne vous laisserait aucun moyen de pouvoir l'éviter.

1 L'auteur parle ici en particulier des troupes qui étaient fournies ou soudoyées par les

petits souverains des différentes provinces qui composent aujourd'hui l'empire, & qui

étaient eux mêmes feudataires de l'empire. Ces princes étaient obligés de fournir à l'empereur des troupes toutes les fois qu'ils en étaient requis ; mais ces troupes avaient

leurs officiers particuliers dont elles dépendaient entièrement & absolument, hors des

cas d'une bataille, d'un siège, d'un campement, & de toute autre opération militaire qui regarde le total de l'armée. Outre ces troupes, il y avait encore des espèces de

volontaires qui pouvaient se retirer sous le moindre prétexte, après néanmoins en avoir

demandé au général un agrément qu'il ne leur refusait presque jamais.

Page 114: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

114

VI. Les lieux à plusieurs issues dont je veux parler ici, sont ceux en

particulier qui peuvent faciliter les différents secours, & par où les

princes voisins peuvent aider celui des deux partis qu'il leur plaira de

favoriser.

VII. Les lieux que je nomme graves & importants, sont ceux qui,

placés dans les États ennemis, présentent de tous côtés des villes, des

forteresses, des montagnes, des défilés, des eaux, des ponts à passer,

des campagnes arides à traverser, ou telle autre chose de cette nature.

VIII. Les lieux où tout serait à l'étroit, où une partie de l'armée ne

serait pas à portée de voir l'autre ni de la secourir, où il y aurait des

lacs, des marais, des torrents, ou quelque mauvaise rivière, où l'on ne

saurait marcher qu'avec de grandes fatigues & beaucoup d'embarras,

où l'on ne pourrait aller que par pelotons, sont ceux que j'appelle gâtés

ou détruits. p.130

IX. Enfin par des lieux de mort, j'entends tous ceux où l'on se trouve

tellement réduit, que, quelque parti que l'on prenne, on est toujours en

danger ; j'entends des lieux dans lesquels, si l'on combat, on court

évidemment risque d'être battu, dans lesquels, si l'on reste tranquille,

on se voit sur le point de périr de faim, de misère ou de maladie ; des

lieux en un mot, où l'on ne saurait rester & d'où l'on ne peut sortir que

très difficilement.

Telles sont les neuf sortes de terrains dont j'avais à vous parler ;

apprenez à les connaître, pour vous en défier, ou pour en tirer parti.

Lorsque vous ne serez encore que dans des lieux de division,

contenez bien vos troupes ; mais surtout ne livrez jamais de bataille,

quelque favorables que les circonstances puissent vous paraître. La vue

de la patrie & la facilité du retour occasionneraient bien des lâchetés :

bientôt les campagnes seraient couvertes de fuyards.

Si vous êtes dans des lieux légers, n'y établissez point votre camp ;

votre armée ne s'étant point encore saisie d'aucune ville, d'aucune

forteresse ni d'aucun poste important dans les possessions des

ennemis, n'ayant derrière soi aucune digue qui puisse l'arrêter, voyant

Page 115: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

115

des difficultés, des peines & des embarras pour aller plus avant, il n'est

pas douteux qu'elle ne soit tentée de préférer ce qui lui paraît le plus

aisé à ce qui lui semblera difficile & plein de dangers.

Si vous avez reconnu de ces sortes de lieux qui vous paraissent

devoir être disputés, commencez, par vous en emparer : ne donnez pas

à l'ennemi le temps de se reconnaître, employez toute votre diligence,

faites tous vos efforts pour vous en mettre dans une entière

possession ; mais ne livrez point de combat pour en chasser l'ennemi.

S'il vous a prévenu, usez de finesse pour l'en déloger ; mais si vous y

êtes une fois n'en délogez pas.

p.131 Pour ce qui est des lieux de réunion, tâchez de vous y rendre

avant l'ennemi ; faites en sorte que vous ayez une communication libre

de tous les cotés ; que vos chevaux, vos chariots & tout votre bagage

puissent aller & venir sans danger ; n'oubliez rien de tout ce qui est en

votre pouvoir pour vous assurer de la bonne volonté des peuples

voisins, recherchez-la, demandez-la, achetez-la, obtenez-la à quelque

prix que ce soit, elle vous est nécessaire ; & ce n'est guère que par ce

moyen que votre armée peut avoir tout ce dont elle aura besoin. Si tout

abonde de votre côté, il y a grande apparence que la disette régnera du

côté de l'ennemi.

Dans les lieux pleins & unis étendez-vous à l'aise, donnez-vous du

large, faites des retranchements pour vous mettra à couvert de toute

surprise, & attendez tranquillement que le temps & les circonstances

vous ouvrent les voies pour faire quelque grande action.

Si vous êtes à portée de ces sortes de lieux qui ont plusieurs issues,

où l'on peut se rendre par plusieurs chemins, commencez par les bien

connaître ; que rien n'échappe à vos recherches ; emparez-vous de

toutes les avenues, n'en négligez aucune, quelque peu importante

qu'elle vous paraisse, & gardez-les toutes très soigneusement.

Si vous vous trouvez dans des lieux graves & importants, rendez-

vous maître de tout ce qui vous environne, ne laissez rien derrière

vous, le plus petit poste doit être emporté ; sans cette précaution vous

Page 116: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

116

courriez risque de manquer des vivres nécessaires à l'entretien de votre

armée, ou de vous voir l'ennemi sur les bras lorsque vous y penseriez

le moins, & d'être attaqué par plusieurs côtés à la fois.

Si vous êtes dans des lieux gâtés ou détruits, n'allez pas plus avant,

retournez sur vos pas, fuyez le plus promptement qu'il vous sera

possible... p.132 Si vous êtes dans des lieux de mort, n'hésitez point à

combattre, allez droit à l'ennemi, le plus tôt est le meilleur.

Telle est la conduite que tenaient nos anciens guerriers. Ces grands

hommes, habiles & expérimentés dans leur art, avaient pour principe

que la manière d'attaquer & de se défendre ne devait pas être

invariablement la même, qu'elle devait être prise de la nature du

terrain que l'on occupait, & de la position où l'on se trouvait : ils

disaient encore que la tête & la queue d'une armée ne devaient pas

être commandées de la même façon 1 ; que la multitude & le petit

nombre ne pouvaient pas être longtemps d'accord ; que les forts & les

faibles, lorsqu'ils étaient ensemble, ne tardaient guère à se désunir ;

que les hauts & les bas ne pouvaient être également utiles ; que les

troupes étroitement unies pouvaient aisément se diviser mais que

celles qui étaient une fois divisées ne se réunissaient que très

difficilement ; ils répétaient sans cesse qu'une armée ne devait jamais

se mettre en mouvement qu'elle ne fût sûre de se tenir tranquille &

garder le camp.

Pour rassembler sous un même point de vue la plupart des choses

qui ont été dites dans ce dernier article & dans ceux qui l'ont précédé,

je vous dirai que toute votre conduite militaire doit être réglée suivant

les circonstances ; que vous devez attaquer ou vous défendre selon que

le théâtre de la guerre sera chez vous ou chez l'ennemi.

p.133 Si la guerre se fait dans votre propre pays si, l'ennemi, sans

vous avoir donné le temps de faire tous vos préparatifs, vient avec

1 Le commentateur dit : Les anciens avaient pour maxime de ne pas attaquer la tête & la queue d'une armée avec les mêmes desseins & même vigueur ; ils disaient qu'il

fallait combattre la tête & enfoncer la queue, &c. Je crois que le commentateur ne

prend pas ici le vrai sens de l'auteur.

Page 117: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

117

toutes ses forces pour l'envahir ou le démembrer, ou y faire des

dégâts, ramassez promptement le plus de troupes que vous pourrez,

envoyez demander du secours chez les voisins & chez les alliés,

emparez-vous des lieux qui peuvent être utiles à l'ennemi, qui sont le

plus à sa bienséance, ou sur lesquels vous jugiez qu'il ait des vues,

mettez-les en état de défense, ne fût-ce que pour l'amuser & pour vous

donner le temps de faire les autres préparatifs ; mettez une partie de

vos soins à empêcher que l'armée ennemie ne puisse recevoir des

vivres, barrez-lui tous les chemins, ou du moins faites qu'elle n'en

puisse trouver aucun sans embuscades, ou sans qu'elle soit obligée de

l'emporter de vive force. Les villageois, les gens de la campagne

peuvent en cela vous être d'un grand secours & vous servir beaucoup

plus utilement que ne feraient des troupes réglées : faites-leur

entendre seulement qu'ils doivent empêcher que d'injustes ravisseurs

ne viennent s'emparer de toutes leurs possessions & ne leur enlèvent

leurs pères, leurs mères, leurs femmes & leurs enfants. Ne vous tenez

pas seulement sur la défensive, envoyez des partis pour enlever des

convois, harcelez, fatiguez, attaquez tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ;

forcez votre injuste agresseur à se repentir de sa témérité ;

contraignez-le de retourner sur ses pas n'emportant pour tout butin

que la honte de n'avoir pu vous endommager.

Si vous faites la guerre dans le pays ennemi, ne divisez vos troupes

que très rarement, ou mieux encore, ne les divisez jamais ; qu'elles

soient toujours réunies & en état de se secourir mutuellement ; ayez

soin qu'elles ne soient jamais que dans des lieux fertiles & abondants.

Si elles venaient à souffrir de la faim, la misère & les maladies feraient

bientôt p.134 plus de ravage parmi elles que ne pourrait faire dans

plusieurs années le fer de l'ennemi. Procurez-vous pacifiquement tous

les secours dont vous aurez besoin ; n'employez la force que lorsque

les autres voies auront été inutiles ; faites en sorte que les habitants

des villages & de la campagne puissent trouver leurs intérêts à venir

d'eux-mêmes vous offrir leurs denrées ; mais, je le répète, que vos

troupes ne soient jamais divisées. Tout le reste étant égal, on est plus

Page 118: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

118

fort de moitié lorsqu'on combat chez soi. Si vous combattez chez

l'ennemi, ayez égard à cette maxime, surtout si vous êtes un peu avant

dans ses États : conduisez alors votre armée entière ; faites toutes vos

opérations militaires dans le plus grand secret, je veux dire qu'il faut

empêcher qu'aucun ne puisse pénétrer vos desseins : il suffit qu'on

sache ce que vous voulez faire quand le temps de l'exécuter sera

arrivé.

Il peut arriver que vous soyez réduit quelquefois à ne savoir où

aller, ni de quel côté vous tourner ; dans ce cas ne précipitez rien,

attendez tout du temps & des circonstances, soyez inébranlable dans le

lieu où vous êtes. Il peut arriver encore que vous vous trouviez engagé

mal à propos ; gardez-vous bien alors de prendre une honteuse fuite,

elle causerait votre perte ; périssez plutôt que de reculer, vous périrez

au moins glorieusement ; cependant faites bonne contenance. Votre

armée accoutumée à ignorer vos desseins, ignorera pareillement le

péril qui la menace ; elle croira que vous avez eu vos raisons, &

combattra avec autant d'ordre & de valeur que si vous l'aviez disposée

depuis longtemps à la bataille. Si dans ces sortes d'occasions vous

n'avez pas du dessous, vos soldats redoubleront de force, de courage &

de valeur, votre réputation deviendra très brillante, & votre armée se

croira invincible sous un chef tel que vous.

Quelque critiques que puissent être la situation & les p.135

circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c'est dans

les occasions où tout est à craindre, qu'il ne faut rien craindre ; c'est

lorsqu'on est environné de tous les dangers, qu'il n'en faut redouter

aucun ; c'est lorsqu'on est sans aucune ressource, qu'il faut compter

sur toutes ; c'est lorsqu'on est surpris, qu'il faut surprendre l'ennemi

lui-même. Instruisez tellement vos troupes qu'elles puissent se trouver

prêtes sans préparatifs, qu'elles trouvent de grands avantages là où

elles n'en ont cherché aucun, que sans aucun ordre particulier de votre

part elles soient toujours dans l'ordre, que sans défense expresse elles

s'interdisent d'elles-mêmes tout ce qui est contre la discipline.

Page 119: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

119

Veillez en particulier avec une extrême attention à ce qu'on ne sème

pas de faux bruits, coupez racine aux plaintes, aux murmures, ne

permettez pas qu'on tire des augures sinistres de tout ce qui peut

arriver d'extraordinaire 1 ; aimez vos troupes, procurez-leur tous les

secours, tous les avantages, toutes les commodités dont elles peuvent

avoir besoin. Si elles essuient de rudes fatigues, ce n'est pas qu'elles

s'y plaisent ; si elles endurent la faim, ce n'est pas qu'elles ne se

soucient pas de manger ; si elles s'exposent à la mort, ce n'est point

qu'elles n'aiment pas la vie. Faites en vous-même de sérieuses

réflexions sur tout cela.

Lorsque vous aurez tout disposé dans votre armée & que p.136 tous

vos ordres auront été donnés, s'il arrive que vos troupes

nonchalamment assises donnent des marques de douleur, si elles vont

jusqu'à verser des larmes, tirez-les promptement de cet état

d'assoupissement & de léthargie, donnez-leur des festins, faites-leur

entendre le bruit du tambour & des autres instruments militaires,

exercez-les, faites-leur faire des évolutions, faites leur changer de

place, menez-les même dans des lieux un peu difficiles où elles aient à

travailler & à souffrir. Imitez la conduite de Tchouan tchou & de Tsao-

kouei 2, vous changerez le cœur de vos soldats, vous les accoutumerez

au travail, ils s'endurciront, rien ne leur coûtera dans la suite. Les

quadrupèdes regimbent quand on les charge trop, ils deviennent

inutiles quand ils sont forcés. Les oiseaux au contraire veulent être

forcés pour être d'un bon usage. Les hommes tiennent un milieu entre

1 Un des commentateurs rend le sens de l'auteur de la manière suivante : Si les devins

ou les astrologues de l'armée ont prédit le bonheur, tenez-vous-en à leur décision ; s'ils parlent avec obscurité, interprétez en bien ; s'ils hésitent ou qu'ils ne disent pas des

choses avantageuses, ne les écoutez pas, faites-les taire. Un autre commentateur

explique en moins de mots, mais d'une manière plus énergique, ce qu'il croit être la pensée de Sun-tse : Dans le cas de quelque phénomène, ordonnez aux astrologues &

aux devins de prédire le bonheur. 2 Tchouan-tchou & Tsao-kouei étaient deux personnages qui ne sont guère recommandables que par leurs ruses & leur cruauté, dont il est cité quelque trait dans

l'histoire. Le premier était du royaume de Ou, dans le Tché-kiang, & le second du

royaume de Lou, dans le Chan- tong. Je ne vois pas comment Sun-tse ose proposer aux généraux qu'il veut former, de pareils hommes pour leur servir de modèle. Il peut

se faire qu'il y ait quelques traits de leur vie auxquels seuls il veut faire allusion, quand

il recommanda aux généraux d'imiter leur conduite.

Page 120: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

120

les uns & les autres, il faut les charger, mais non pas jusqu'à les

accabler ; il faut même les forcer, mais avec discrétion & mesure.

Si vous voulez tirer un bon parti de votre armée, si vous voulez

qu'elle soit invincible, faites qu'elle ressemble au Chouai-jen. Le

Chouai-jen est une espèce de gros serpent qui se trouve dans la

montagne de Tchang-chan 1 . Si l'on frappe sur la p.137 tête de ce

serpent, à l'instant sa queue va au secours, & se recourbe jusqu'à la

tête : qu'on le frappe sur la queue, la tête s'y trouve dans le moment

pour la défendre : qu'on le frappe sur le milieu ou sur quelque autre

partie de son corps, sa tête & sa queue s'y trouvent d'abord réunies.

Mais cela peut-il être pratiqué par une armée, dira peut-être

quelqu'un ? Oui, cela se peut ; cela se doit, il le faut.

Quelques soldats du royaume de Ou se trouvèrent un jour à passer

une rivière en même temps que d'autres soldats du royaume de Yue 2

la passaient aussi ; un vent impétueux souffla, les barques furent

renversées & les hommes seraient tous péris, s'ils ne se fussent aidés

mutuellement : ils ne pensèrent pas alors qu'ils étaient ennemis, ils se

rendirent au contraire tous les offices qu'on pouvait attendre d'une

amitié tendre & sincère. Je vous rappelle ce trait d'histoire pour vous

faire entendre que non seulement les différents corps de votre armée

doivent se secourir mutuellement, mais encore qu'il faut que vous

secouriez vos alliés, que vous donniez même du secours aux peuples

vaincus qui en ont besoin ; car s'ils vous sont soumis, c'est qu'ils n'ont

pu faire autrement ; si leur souverain vous a déclaré la guerre, ce n'est

pas leur faute. Rendez-leur des services, ils auront leur tour pour vous

en rendre aussi.

En quelque pays que vous soyez, quel que soit le lieu que vous

occupiez, si dans votre armée il y a des étrangers, ou si, parmi les

peuples vaincus, vous avez choisi des soldats pour grossir le nombre de

vos troupes, ne souffrez jamais que dans les corps qu'ils composent, ils

1 Tchang-chan est un fameuse montagne dans le Chan-tong, c'est celle dont on veut

parler ici ; car il y en a dans d'autres provinces qui portent le même nom. 2 Le royaume de Yue occupait une partie du Tché-kiang, une partie du Fou-kien & une

partie du Koang-si. J'ai parlé plus haut du royaume de Ou.

Page 121: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

121

soient ou les plus forts, p.138 ou en plus grand nombre que vos propres

gens. Quand on attache plusieurs chevaux à un même pieu, on se

garde bien de mettre ceux qui sont indomptés, ou tous ensemble, ou

avec d'autres en moindre nombre qu'eux, ils mettraient tout en

désordre ; mais lorsqu'ils sont domptés, ils suivent aisément la

multitude.

Dans quelque position que vous puissiez être, si votre armée est

inférieure à celle des ennemis, votre seule conduite, si elle est bonne,

peut la rendre victorieuse. A quoi vous servirait d'être placé

avantageusement, si vous ne saviez pas tirer parti de votre position ? A

quoi servent la bravoure sans la prudence, la valeur sans la ruse ? Un

bon général tire parti de tout, il n'est en état de tirer parti de tout que

parce qu'il fait toutes ses opérations avec le plus grand secret, qu'il sait

conserver son sang froid, qu'il gouverne avec droiture, de telle sorte

néanmoins que son armée a sans cesse les oreilles trompées & les yeux

fascinés : il fait si bien que ses troupes ne savent jamais ce qu'elles

doivent faire, ni ce qu'on doit leur commander. Si les événements

changent, il change de conduite ; si ses méthodes, ses systèmes ont

des inconvénients, il les corrige toutes les fois qu'il le veut, & comme il

le veut. Si ses propres gens ignorent ses desseins, comment les

ennemis pourraient-ils les pénétrer ?

Un habile général sait d'avance tout ce qu'il doit faire ; tout autre

que lui doit l'ignorer absolument. Telle était la pratique de ceux de nos

anciens guerriers qui se sont le plus distingués dans l'art sublime du

gouvernement. Voulaient-ils prendre une ville d'assaut, ils n'en

parlaient que lorsqu'ils étaient aux pieds des murs. Ils montaient les

premiers, tout le monde les suivait ; & lorsqu'on était logé sur la

muraille, ils faisaient rompre toutes les échelles. Étaient-ils bien avant

dans les terres des alliés, ils redoublaient d'attention & de p.139 secret.

Partout ils conduisaient leurs armées comme un berger conduit un

troupeau ; ils les faisaient aller où bon leur semblait ; ils les faisaient

revenir sur leurs pas, ils les faisaient retourner, tout cela sans

murmure, sans résistance de la part d'un seul.

Page 122: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

122

La principale science d'un général consiste à bien connaître les neuf

sortes de terrains, afin de pouvoir faire à propos les neuf changements.

Elle consiste à savoir étendre & replier ses troupes suivant les lieux &

les circonstances, à travailler efficacement à cacher ses propres

intentions & à découvrir celles de l'ennemi, à avoir pour maxime

certaine que les troupes sont très unies entr'elles, lorsqu'elles sont bien

avant dans les terres des ennemis ; qu'elles se divisent au contraire &

se dispersent très aisément, lorsqu'on ne se tient qu'aux frontières ;

qu'elles ont déjà la moitié de la victoire, lorsqu'elles se sont emparées

de tous les allants & les aboutissants, tant de l'endroit où elles doivent

camper que des environs du camp de l'ennemi ; que c'est un

commencement de succès que d'avoir pu camper dans un terrain vaste,

spacieux, & ouvert de tous les côtés ; mais que c'est presque avoir

vaincu, lorsqu'étant dans les possessions ennemies, elles se sont

emparées de tous les petits postes, de tous les chemins, de tous les

villages qui sont au loin des quatre côtés, & que par leurs bonnes

manières, elles ont gagné l'affection de ceux qu'elles veulent vaincre,

ou qu'elles ont déjà vaincus.

Instruit par l'expérience & par mes propres réflexions, j'ai tâché,

lorsque je commandais les armées, de réduire en pratique tout ce que

je vous rappelle ici. Quand j'étais dans des lieux de division, je

travaillais à l'union des cœurs & à l'uniformité des sentiments : lorsque

j'étais dans des lieux légers, je rassemblais mon monde, & je l'occupais

utilement ; lorsqu'il s'agissait des lieux qu'on peut disputer, je m'en

emparais p.140 le premier, quand je le pouvais ; si l'ennemi m'avait

prévenu, j'allais après lui, j'usais d'artifices pour l'en déloger ; lorsqu'il

était question des lieux de réunion, j'observais tout avec une extrême

diligence, & je voyais venir l'ennemi ; dans un terrain plein & uni, je

m'étendais à l'aise & j'empêchais l'ennemi de s'étendre ; dans des lieux

à plusieurs issues, quand il m'était impossible de les occuper tous,

j'étais sur mes gardes, j'observais l'ennemi de près, je ne le perdais

pas de vue ; dans des lieux graves & importants, je nourrissais bien le

soldat, je l'accablais de caresses ; dans des lieux gâtés ou détruits, je

Page 123: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

123

tâchais de me tirer d'embarras, tantôt en faisant des détours & tantôt

en remplissant les vides ; enfin dans des lieux de mort, je faisais voir à

l'ennemi que je ne cherchais pas à vivre. Les troupes bien disciplinées

ne se laissent jamais envelopper ; elles redoublent d'efforts dans les

extrémités, elles affrontent les dangers sans crainte, elles se défendent

avec vigueur, elles poursuivent l'ennemi sans désordre. Si celles que

vous commandez ne sont pas telles, c'est votre faute ; vous ne méritez

pas d'être à leur tête.

Si vous ne savez pas en quel nombre sont les ennemis contre

lesquels vous devez combattre, si vous ne connaissez pas leur fort &

leur faible, vous ne ferez jamais les préparatifs ni les dispositions

nécessaires pour la conduite de votre armée ; vous ne méritez pas de

commander.

Si vous ignorez où il y a des montagnes & des collines, des lieux

secs ou humides, des lieux escarpés ou pleins de défilés, des lieux

marécageux ou pleins de périls, vous ne sauriez donner des ordres

convenables, vous ne sauriez conduire votre armée ; vous êtes indigne

de commander.

Si vous ne connaissez pas tous les chemins, si vous n'avez pas soin

de vous munir de guides sûrs & fidèles pour vous conduire par les

routes que vous ignorerez, vous ne p.141 parviendrez pas au terme que

vous vous proposez, vous serez dupe des ennemis ; vous ne méritez

pas de commander.

Si vous ne savez pas combiner quatre & cinq tout à la fois 1, vos

troupes ne sauraient aller de pair avec celles des pa & des ouang 2.

Lorsque les pa & les ouang avaient à faire la guerre contre quelque

grand prince, ils s'unissaient entr'eux, ils tâchaient de troubler tout

1 Un des commentateurs dit : Si vous ne savez pas combiner quatre & cinq tout à la

fois c'est-à-dire, si vous ne savez pas tirer avantage des différentes positions où vous

pouvez vous trouver, &c. 2 Les mots de pa & ouang étaient des titres qu'on donnait aux petits souverains

feudataires de l'empire. Le mot ti était le titre qu'on donnait à l'empereur seulement.

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Art militaire des Chinois

124

l'univers 1, ils mettaient dans leur parti le plus de monde qu'il leur était

possible, ils recherchaient surtout l'amitié de leurs voisins, ils

l'achetaient même bien cher, s'il le fallait : ils ne donnaient pas à

l'ennemi le temps de se reconnaître, encore moins celui d'avoir recours

à ses alliés & de rassembler toutes ses forces, ils l'attaquaient lorsqu'il

n'était pas encore en état de défense ; aussi, s'ils faisaient le siège

d'une ville, ils s'en rendaient maîtres à coup sûr. S'ils voulaient

conquérir une province, elle était à eux ; quelque grands avantages

qu'ils se fussent d'abord procurés, ils ne s'endormaient pas, ils ne

laissaient jamais leur armée s'amollir par l'oisiveté ou la débauche, ils

entretenaient une exacte discipline, ils punissaient sévèrement, quand

les cas l'exigeaient, ils donnaient libéralement des récompenses,

lorsque les occasions le demandaient. Outre les lois ordinaires de la

guerre, ils en faisaient de particulières, suivant les circonstances des

temps & des lieux. Voulez-vous réussir ? prenez pour modèle p.142 de

votre conduite celle que je viens de vous tracer ; regardez votre armée

comme un seul homme que vous seriez chargé de conduire, ne lui

motivez jamais votre manière d'agir ; faites-lui savoir exactement tous

vos avantages, mais cachez-lui avec grand soin jusqu'à la moindre de

vos pertes ; faites toutes vos démarches dans le plus grand secret ;

éclairez toutes celles de l'ennemi, ne manquez pas de prendre les

mesures les plus efficaces pour pouvoir vous assurer de la personne de

leur général ; tâchez de l'avoir vif ou mort 2 ; ne divisez jamais vos

forces ; ne vous laissez jamais abattre à la vue d'un danger, quelque

grand qu'il puisse être ; soyez vainqueur, ou mourez glorieusement.

1 Ils tâchaient de troubler tout l'univers c'est-à-dire tout l'empire car les Chinois appellent leur empire Tien-hia, l'univers ; ou ce qui est sous le Ciel. 2 Le texte dit expressément, Faites tuer leur général ; mais les commentateurs

adoucissent un peu l'expression ; du reste cette maxime est encore en grand crédit aujourd'hui chez les Tartares-Chinois. Dès le commencement de la campagne, ils

tendent à se rendre maîtres des chefs du parti ennemi, & à les avoir morts ou vifs, ou

par force ou par artifice. La raison qu'ils apportent pour excuser cette coutume, c'est, disent-ils, que nous ne combattons jamais que contre des rebelles. C'est de ce nom

qu'ils appellent tous ceux de leurs voisins qui ne veulent pas reconnaître l'empereur

pour leur légitime souverain.

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Art militaire des Chinois

125

Dès que votre armée sera hors des frontières, faites en fermer les

avenues, déchirez la partie du sceau qui est entre vos mains 1, ne

souffrez pas qu'on écrive ou qu'on reçoive p.143 des nouvelles 2 ;

assemblez votre conseil dans le lieu destiné p.144 à honorer les

ancêtres 3, & là, en présence de tout le monde, protestez-leur que vous

1 Les généraux avaient entre les mains la moitié d'un des sceaux de l'empire, dont

l'autre moitié restait entre les mains du souverain ou de ses ministres ; & quand ils

recevaient des ordres, ces ordres n'étaient scellés que une moitié de sceau, laquelle ils joignaient avec la leur, pour s'assurer qu'ils n'étaient pas trompés ; mais quand une

fois cette moitié de sceau était déchirée ou rompue, ils n'avaient plus d'ordres à

recevoir. Les inconvénients qui étaient arrivés par des ordres souvent contraires aux intérêts de l'État & aux véritables intentions du souverain, obligèrent à cette coutume.

Ils pensent qu'un général choisi par un prince éclairé, est un homme sur lequel on a

droit de compter. Il est à présumer, disent-ils, qu'il fera tout ce qui dépendra de lui pour venir à bout de ses fins. Il est sur les lieux, il voit tout, il sait tout ou par lui-même

ou par ses émissaires : on peut donc croire raisonnablement qu'il est beaucoup mieux

en état de juger sainement des choses que ne peut l'être un ministre qui n'est peut-être jamais sorti de la sphère de la cour, qui a souvent des intérêts différents de ceux

de son souverain & de l'État. Tel est le raisonnement que font les Chinois. 2 Une autre maxime que la politique chinoise regarde comme d'une extrême importance, c'est celle par laquelle il est défendu à ceux qui sont à l'armée d'écrire rien

de ce qui se passe sous leurs yeux à leurs parents & à leurs amis. Par là les officiers

généraux sont les maîtres d'écrire au souverain tout ce qu'ils veulent, de la manière dont ils le jugent à propos, ils ne courent point risque de voir leur réputation entamée

par des relations déguisées ou fausses faites souvent sans connaissance de cause par

des officiers subalternes qui leur prêtent des intentions qu'ils n'ont jamais eues, des desseins mal concertés auxquels ils n'ont jamais pensé, & un total de conduite qui n'a

de réalité que dans leur imagination.

Tous les officiers généraux ont droit de s'adresser immédiatement à l'empereur ; il y a même des temps de circonstances où ils doivent le faire par obligation. Quand ils ont

quelque fait à annoncer, ou à faire passer quelque nouvelle jusqu'à la cour, ils

conviennent auparavant entre eux de la manière dont ils doivent s'y prendre pour ne pas taire ce qu'il est à propos de dire, ou pour ne pas dire ce qu'il faudrait cacher. Il est

difficile qu'ils puissent tous s'accorder à tromper leur maître dans une chose de

conséquence ; ainsi l'on peut penser raisonnablement que l'empereur est à peu près au fait du vrai : mais comme il n'y a que lui qui le sache hors de l'armée, il n'en fait passer

au public que ce qu'il juge à propos. Il fait composer des nouvelles plus ou moins

favorables, suivant les circonstances ; il se fait féliciter par les princes, les grands & les principaux mandarins de l'empire, sur des succès chimériques dont il s'applaudit aux

yeux de ses sujets ; on les insère dans les fastes pour servir un jour de matériaux à

l'histoire de son règne. Si les armées, après plusieurs campagnes, sont enfin victorieuses, tous les succès annoncés en détail passent pour constants ; il fait la paix ;

ou comme ils disent ici, il pardonne aux peuples vaincus, leur fait des dons pour se les

attacher, leur fait promettre une soumission inviolable & éternelle. Si au contraire ses troupes ont été vaincues, il en est quitte pour faire couper quelques têtes, en disant

qu'on l'a trompé. Il envoie de nouveaux généraux avec des sommes considérables pour

réparer les pertes passées, &, après une campagne, tout est soumis, tout est rentré dans l'ordre. Le secret de tout cela n'est su que de quelques grands du conseil secret

de Sa Majesté, & le reste de l'empire est toujours persuadé que le grand maître qui

gouverne la Chine n'a qu'à vouloir pour dompter le reste de l'univers. Les officiers & les soldats se trouvent récompensés à leur retour, on les vante comme des héros, il ne leur

vient pas même en pensée de contredire leurs panégyristes. Telle est la politique que

les Chinois mettent en pratique aujourd'hui. En était-il de même autrefois ? il y a

grande apparence ; c'est cependant ce que je n'oserais garantir. 3 L'usage des Chinois, tant anciens que modernes, a toujours été d'avoir chacun chez

soi un lieu destiné à honorer les ancêtres. Chez les princes, les grands, les mandarins,

Page 126: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

126

êtes disposé à ne rien faire dont la honte puisse rejaillir sur eux ; après

cela allez à l'ennemi.

Avant que la campagne soit commencée, soyez comme une jeune

fille qui ne sort pas de la maison ; elle s'occupe des p.145 affaires du

ménage, elle a soin de tout préparer, elle voit tout, elle entend tout,

elle fait tout, elle ne se mêle d'aucune affaire en apparence. La

campagne une fois commencée, vous devez avoir la promptitude d'un

lièvre qui, se trouvant poursuivi par des chasseurs, tâcherait, par mille

détours, de trouver enfin son gîte, pour s'y réfugier en sureté.

@

& tous ceux qui sont à leur aise & qui ont un grand nombre d'appartements, c'est une espèce de chapelle domestique dans laquelle sont les portraits ou les tablettes de tous

leurs aïeux, depuis celui qu'ils comptent pour le chef de la famille jusqu'au dernier

mort, ou seulement le portrait ou la tablette du chef, comme représentant tous les autres. Cette chapelle ou salle n'a absolument point d'autre usage. Toute la famille s'y

trouve dans des temps déterminés pour y faire les cérémonies d'usage : elle s'y

transporte encore toutes les fois qu'il s'agit de quelque entreprise de conséquence, de quelque faveur reçue, de quelque malheur essuyé, en un mot, pour avertir les ancêtres

& leur faire part des biens & des maux qui sont arrivés.

Ceux qui sont à l'étroit & qui n'ont que les appartements nécessaires pour loger les vivants, se contentent de placer dans un des fonds de leur chambre intérieure, s'ils en

ont plusieurs, la simple tablette qui est censée représenter les aïeux, à laquelle ils

rendent leurs hommages & devant laquelle ils font toutes les cérémonies dont je viens de parler. Dans les camps & armées des anciens Chinois, le général avait dans sa tente,

ou près de sa tente, un lieu destiné pour la tablette des ancêtres. Il s'y transportait, à

la tête des officiers généraux, 1° en commençant la campagne ; 2° lorsqu'il commençait le siège de quelque place ; 3° à la veille d'une bataille, enfin, toutes les

fois qu'il y avait apparence de quelque grande action. Là, après les prosternations & les

autres cérémonies, il avertissait ou donnait avis de ce qui était sur le point d'arriver. Il protestait à haute voix que dans toute sa conduite il ne ferait rien de contraire à

l'honneur, à la gloire & à l'intérêt de l'État, qu'il n'oublierait rien pour se montrer digne

descendant de ceux dont il tenait la vie. Chaque chef de corps en faisait de même à la tête de ceux qu'il commandait, dans son propre quartier. C'est peut-être à cette

cérémonie que les Chinois ont donné le nom de serment militaire : j'aurai occasion d'en

parler dans la suite.

Page 127: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

127

Article XII

Précis de la manière de combattre par le feu

@

p.146 Sun-tse dit : Les différentes manières de combattre par le feu

se réduisent à cinq. La première consiste à brûler les hommes ; la

seconde, à brûler les provisions ; la troisième à brûler les bagages ; la

quatrième, à brûler les magasins ; & la cinquième, à brûler l'attirail 1.

Avant que d'entreprendre ce genre de combat il faut avoir tout

prévu, il faut avoir reconnu la position des ennemis, il faut s'être mis au

fait de tous les chemins par où il pourrait s'échapper ou recevoir du

secours, il faut s'être muni des choses nécessaires pour l'exécution du

projet, il faut que le temps les circonstances soient favorables»

Préparez d'abord toutes les matières combustibles 2 dont p.147 vous

voulez faire usage ; dès qu'une fois vous aurez mis le feu, faites

attention à la fumée. Il y a le temps de mettre le feu, il y a le jour de le

faire éclater : n'allez pas confondre ces deux choses. Le temps de

mettre le feu est celui où tout est tranquille sous le Ciel, où la sérénité

paraît devoir être de durée. Le jour de le faire éclater est celui où la

lune se trouve sous quelqu'une de ces quatre constellations, Ki, Pi, Y,

Tchen 3. Il est rare que le vent ne souffle point alors, & il arrive très

souvent qu'il souffle avec force.

1 Les commentateurs expliquent ainsi les cinq manières de combattre par le feu. La

première consiste, disent-ils, à mettre le feu dans tous les lieux où sont les ennemis,

tels que le camp, les villages, les campagnes, généralement tous les lieux dont ils pourraient tirer du secours. La seconde consiste à brûler les provisions, c'est-à-dire, les

herbages, les légumes, les autres choses semblables qui servent à la nourriture des

hommes, & les fourrages, grains, &c. dont on nourrit les chevaux & les autres bêtes de somme. La troisième consiste à brûler les bagages, c'est-à-dire, les chariots, l'argent,

les ustensiles, &c. La quatrième consiste à brûler les magasins, c'est-à-dire, tous les

amas de grains. La cinquième consiste à brûler l'attirail, c'est-à-dire, les chevaux, les

mulets, les armes, les étendards, &c. 2 Ces matières combustibles, disent les commentateurs, sont la poudre à canon, les

huiles, les graisses, les herbes sèches, telles que l'armoise, les joncs, autres

semblables. 3 La constellation chinoise Ki est composée de quatre étoiles, dont la première est celle

du pied du Sagittaire, deux autres sont e k d de son arc, & la quatrième est y à la

Page 128: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

128

Les cinq manières de combattre par le feu demandent de votre part

une conduite qui varie suivant les circonstances : ces variations se

réduisent à cinq. Je vais les indiquer, afin que vous puissiez les

employer dans les occasions.

1° Dès que vous aurez mis le feu, si, après quelque temps, il n'y a

aucune rumeur dans le camp des ennemis, si tout est tranquille chez

eux, restez vous-même tranquille, n'entreprenez rien ; attaquer

imprudemment, c'est chercher à se faire battre. Vous savez que le feu

a pris, cela doit vous suffire ; en attendant vous devez supposer qu'il

agit sourdement ; ses effets n'en seront que plus funestes. Il est au-

dedans ; attendez qu'il p.148 éclate & que vous en voyez des étincelles

au-dehors, vous pourrez aller recevoir ceux qui ne chercheront qu'à se

sauver.

2° Si peu de temps après avoir mis le feu, vous voyez qu'il s'élève

par tourbillons, ne donnez pas aux ennemis le temps de l'éteindre,

envoyez des gens pour l'attiser, disposez promptement toutes choses,

& courez au combat.

3° Si malgré toutes vos mesures & tous les artifices que vous aurez

pu employer, il n'a pas été possible à vos gens de pénétrer dans

l'intérieur, & si vous êtes forcé à ne pouvoir mettre le feu que par

dehors, observez de quel coté vient le vent ; c'est de ce côté que doit

commencer l'incendie ; c'est par le même côté que vous devez

attaquer. Dans ces sortes d'occasions, qu'il ne vous arrive jamais de

combattre sous le vent.

4° Si pendant le jour le vent a soufflé sans discontinuer, regardez

comme une chose sûre que pendant la nuit il y aura un temps où il

cessera : prenez là-dessus vos précautions & vos arrangements.

pointe australe de sa flèche. La constellation Pi est composée de deux principales

étoiles, dont l'une est à la tète d'Andromède, & l'autre à l'extrémité de l'aile australe de Pégase. La constellation Y est composée de vingt-deux étoiles, tant de la Coupe que de

l'Hydre. La constellation Tchen est composée de quatre étoiles, dont l'une est à l'aile

australe, la seconde à la patte, la troisième au bec, la quatrième au devant de l'aile boréale du Corbeau.

Il y a toujours du vent, disent les commentateurs de Sun-tse, lorsque la lune est sous

quelqu'une de ces constellations : cela peut être vrai pour le pays où ils écrivent.

Page 129: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

129

5° Un général qui, pour combattre ses ennemis, fait employer le feu

toujours à propos, est un homme véritablement éclairé : un général qui

fait se servir de l'eau pour la même fin, est un excellent homme 1.

Cependant il ne faut employer l'eau qu'avec discrétion. Servez-vous-en,

à la bonne heure ; mais que ce ne soit que pour gâter les chemins par

où les ennemis pourraient s'échapper ou recevoir du secours.

p.149 Les différentes manières de combattre par le feu, telles que je

viens de les indiquer, sont ordinairement suivies d'une pleine victoire,

dont il faut que vous sachiez recueillir les fruits. Le plus considérable de

tous, & celui sans lequel vous auriez perdu vos soins & vos peines, est

de connaître le mérite de tous ceux qui se seront distingués, c'est de

les récompenser en proportion de ce qu'ils auront fait pour la réussite

de l'entreprise. Les hommes se conduisent ordinairement par

l'intérêt 2 ; si vos troupes ne trouvent dans le service que des peines &

des travaux, vous ne les emploierez pas deux fois avec avantage.

Faire la guerre est en général quelque chose de mauvais en soi. La

nécessité seule doit la faire entreprendre. Les combats, de quelque

nature qu'ils soient, ont toujours quelque chose de funeste pour les

vainqueurs eux-mêmes ; il ne faut les livrer que lorsqu'on ne saurait

faire la guerre autrement.

Lorsqu'un souverain est animé par la colère ou par la vengeance,

qu'il ne lui arrive jamais de lever des troupes ; lorsqu'un général trouve

qu'il a dans le cœur les mêmes sentiments, qu'il ne livre jamais de

combats. Pour l'un & pour l'autre ce sont des temps nébuleux : qu'ils

attendent les jours de sérénité pour se déterminer & pour

entreprendre.

1 Je ne vois pas trop à quel propos Sun-tse parle ici de l'eau. Les commentateurs, au

lieu d'éclaircir sa pensée, ne sont que l'embrouiller. Ils disent, par exemple, qu'il ne

faut point inonder les provisions des ennemis, qu'il ne faut pas inonder les ennemis eux-mêmes, & citent là-dessus plusieurs exemples, & en particulier celui d'une

inondation faite par un de leurs généraux, laquelle fit seule périr plus de monde qu'il

n'en aurait péri dans plusieurs batailles rangées. 2 Cette maxime est vraie dans toute son étendue pour le pays où vivait l'auteur. Je pense qu'il n'en est pas tout à fait de même pour l'Europe. Le seul amour de la gloire

formerait à peine là un médiocre guerrier : chez nous il forme les héros.

Page 130: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

130

S'il y a quelque profit à espérer en vous mettant en mouvement,

faites marcher votre armée ; si vous ne prévoyez aucun avantage,

tenez-vous en repos : eussiez-vous les sujets les plus légitimes d'être

irrité, vous eût-on provoqué, insulté même, attendez, pour prendre

votre parti, que le feu de la p.150 colère se soit dissipé, & que les

sentiments pacifiques s'élèvent en foule dans votre cœur : n'oubliez

jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de procurer à

l'État la gloire, la splendeur & la paix, non pas d'y mettre le trouble, le

désordre & la confusion. Ce sont les intérêts de la nation & non pas vos

intérêts personnels que vous défendez. Vos vertus & vos vices, vos

belles qualités & vos défauts rejaillissent également sur ceux que vous

représentez. Vos moindres fautes sont toujours de conséquence ; les

grandes sont souvent irréparables, & toujours très funestes. Il est

difficile de soutenir un royaume que vous aurez mis sur le penchant de

sa ruine ; il est impossible de le relever, s'il est une fois détruit 1 : on

ne ressuscite pas un mort. De même qu'un prince sage & éclairé met

tous ses soins à bien gouverner, ainsi un général habile n'oublie rien

pour former de bonnes troupes, pour les employer à la gloire, à

l'avantage & au bonheur de l'État.

@

1 L'auteur parle ici des dynasties, lesquelles une fois détruites, ne remontent plus sur le trône, parce que, pour l'ordinaire, le nouveau conquérant éteint toute la race de celui

qu'il vient de détrôner.

Page 131: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

131

Article XIII

De la manière d'employer les dissensions & de mettre la discorde 1

@

p.151 Sun-tse dit : Si ayant sur pied une armée de cent mille

hommes, vous devez la conduire jusqu'à la distance de mille li (cent

lieues), il faut compter qu'au dehors, comme au dedans 2, tout sera en

mouvement & en rumeur. Les villes & les villages dont vous aurez tiré

les hommes qui composent vos troupes ; les hameaux & les campagnes

dont vous aurez tiré vos provisions & tout l'attirail de ceux qui doivent

les conduire ; les chemins remplis de gens qui vont & viennent, tout

cela ne saurait arriver qu'il n'y ait bien des familles dans la désolation,

bien des terres incultes, & bien des dépenses pour l'État.

Sept cent mille familles dépourvues de leurs chefs ou de leurs

soutiens, se trouvent tout à coup hors d'état de vaquer à leurs travaux

ordinaires 3 ; les terres privées d'un pareil p.152 nombre de ceux qui les

faisaient valoir, diminuent, en proportion des soins qu'on leur refuse, la

quantité comme la qualité de leurs productions. Les appointements de

tant d'officiers, la paie journalière de tant de soldats & l'entretien de

tout le monde creusent peu à peu les greniers & les coffres du prince

comme ceux du peuple, & ne sauraient manquer de les épuiser bientôt.

1 Un des commentateurs, voulant expliquer ce titre, dit : Pour faire la guerre avec avantage, il faut nécessairement se servir des dissensions & de la discorde : il faut

savoir les faire naître ; il faut en profiter habilement. C'est l'art le plus utile, mais il est

plein de difficultés ; il n'y en a point de pareil dans le métier de la guerre ; il n'y en a point auquel un général doive plus d'attention. Quelques-uns des commentateurs ont

intitulé cet article, De la manière d'employer les espions, prétendant que, dans l'art

militaire, savoir tirer parti des espions, est ce qu'il y a de plus utile pour un général. 2 Au dedans, comme au dehors, c'est-à-dire dans les villes comme dans les campagnes. 3 Anciennement, dit le commentateur qui explique ce calcul de Sun-tse, on divisait le peuple de huit en huit familles. Dans chaque huitaine de famille, il y en avait une qui

était inscrite pour la guerre ; les sept autres lui fournissaient tout ce qui lui était

nécessaire tant en hommes qu'en équipages.

Page 132: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

132

Être plusieurs années à observer ses ennemis, ou à faire la guerre,

c'est ne point aimer le peuple, c'est être l'ennemi de l'État ; toutes les

dépenses, toutes les peines, tous les travaux & toutes les fatigues de

plusieurs années n'aboutissent le plus souvent, pour les vainqueurs

eux-mêmes, qu'à une journée de triomphe & de gloire, celle où ils ont

vaincu. N'employer pour vaincre que la voie des sièges & des batailles,

c'est ignorer également & les devoirs de souverain & ceux de général ;

c'est ne pas savoir gouverner ; c'est ne pas savoir servir l'État.

Ainsi, le dessein de faire la guerre une fois formé, les troupes étant

déjà sur pied & en état de tout entreprendre, ne dédaignez pas

d'employer les artifices. Commencez par vous mettre au fait de tout ce

qui concerne les ennemis ; sachez exactement tous les rapports qu'ils

peuvent avoir, leurs liaisons & leurs intérêts réciproques ; n'épargnez

pas les grandes sommes d'argent ; n'ayez pas plus de regret à celui

que vous ferez passer chez l'étranger, soit pour vous faire des

créatures, soit pour vous procurer des connaissances exactes, qu'à

celui que vous emploierez pour la paie de ceux qui sont enrôlés sous

vos étendards : plus vous dépenserez, p.153 plus vous gagnerez ; c'est

un argent que vous placez, pour en retirer un gros intérêt. Ayez des

espions partout, soyez instruit de tout, ne négligez rien de ce que vous

pourrez apprendre ; mais quand vous aurez appris quelque chose, ne la

confiez pas indiscrètement à tous ceux qui vous approchent. Quand il

s'agira d'employer quelque ruse, comptez beaucoup plus sur les

mesures que vous aurez prises pour la faire réussir, que sur le secours

des esprits que vous aurez invoqués 1.

Quand un habile général se met en mouvement, l'ennemi est déjà

vaincu : quand il combat il doit faire lui seul plus que toute son armée

1 Les commentateurs ne sont pas d'accord sur le sens de cette dernière phrase. Les

uns l'expliquent comme je l'ai expliquée ; les autres disent qu'elle doit s'entendre de la

manière suivante, & l'expliquent ainsi : Quand il s'agit d'employer quelque ruse, cachez tellement vos desseins & les mesures que vous aurez prises pour les faire réussir que

les esprits eux-mêmes ne puissent pas les pénétrer, &c. Une troisième interprétation

dit : Lorsque vous emploierez quelque artifice, ce n'est pas en invoquant les esprits ni en prévoyant à peu près ce qui doit ou peut arriver que vous le ferez réussir ; c'est

uniquement en sachant sûrement, par le rapport fidèle de ceux dont vous vous

servirez, la disposition des ennemis, eu égard à ce que vous voulez qu'ils fassent, &c.

Page 133: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

133

ensemble ; non pas toutefois par la force de son bras, mais par sa

prudence, par sa manière de commander, surtout par ses ruses. Il faut

qu'au premier signal une partie de l'armée ennemie se range de son

côté pour combattre sous ses étendards : il faut qu'il soit toujours le

maître d'accorder la paix & de l'accorder aux conditions qu'il jugera à

propos. Le grand secret de venir à bout de tout consiste dans l'art de

savoir mettre la division à propos ; division dans les villes & les villages,

division dans le dedans, division entre les inférieurs & les supérieurs,

division de mort, p.154 division de vie. Ces cinq sortes de divisions ne

sont que les branches d'un même tronc. Celui qui sait les mettre en

usage est un homme véritablement digne de commander ; c'est le

trésor de son souverain & le soutien de l'empire.

J'appelle division dans les villes & les villages, ou simplement

division au dehors, celle par laquelle on trouve le moyen de détacher du

parti ennemi les habitants des villes & des villages qui sont de sa

domination, & de se les attacher de manière à pouvoir s'en servir

sûrement dans le besoin. J'appelle division dans le dedans celle par

laquelle on trouve le moyen d'avoir à son service les officiers qui

servent actuellement dans l'armée ennemie. Par la division entre les

inférieurs & les supérieurs j'entends celle qui nous met en état de

profiter de la mésintelligence que nous aurons su mettre entre les

différents corps qui composent l'armée que nous aurons à combattre.

La division de mort est celle par laquelle, après avoir fait donner de

faux avis sur l'état où nous nous trouvons, nous faisons courir des

bruits injurieux à l'ennemi, lesquels nous faisons passer jusqu'à la cour

de son souverain, qui, les croyant vrais, se conduit en conséquence

envers ses généraux & tous les officiers qui sont actuellement à son

service. La division de vie est celle par laquelle on répand l'argent à

pleines mains envers tous ceux qui ayant quitté le service de leur

légitime maître, ont passé de votre côté, ou pour combattre sous vos

étendards, ou pour vous rendre d'autres services non moins essentiels.

Si vous avez su vous faire des créatures dans les villes & les villages

des ennemis, vous ne manquerez pas d'y avoir bientôt quantité de gens

Page 134: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

134

qui vous seront entièrement dévoués : vous saurez par leur moyen les

dispositions du grand nombre des leurs à votre égard : ils vous

suggèreront la manière & les moyens que vous devez employer pour

gagner ceux de leurs p.155 compatriotes dont vous aurez le plus à

craindre ; & quand le temps de faire des sièges sera venu, vous pourrez

faire des conquêtes, sans être obligé de monter à l'assaut, sans coup

férir, sans même tirer l'épée.

Si les ennemis qui sont actuellement occupés à vous faire la guerre,

ont à leur service des officiers qui ne soient pas d'accord entr'eux : si de

mutuels soupçons, de petites jalousies, des intérêts personnels les

tiennent divisés, vous trouverez aisément les moyens d'en détacher une

partie ; car quelque vertueux qu'ils puissent être d'ailleurs, quelque

dévoués qu'ils soient à leur souverain, l'appât de la vengeance, celui des

richesses ou des postes éminents que vous leur promettrez, suffiront de

reste pour les gagner ; & quand une fois ces passions seront allumées

dans leur cœur, il n'est rien qu'ils ne tentent pour les satisfaire.

Si les différents corps qui composent l'armée des ennemis ne se

soutiennent pas entr'eux, s'ils sont occupés à s'observer mutuellement,

s'ils cherchent réciproquement à se nuire, il vous sera aisé d'entretenir

leur mésintelligence, de fomenter leurs divisions ; vous les détruirez

peu à peu les uns par les autres, sans qu'il soit besoin qu'aucun d'eux

se déclare ouvertement pour votre parti ; tous vous serviront sans le

vouloir, même sans le savoir.

Si vous avez fait courir des bruits, tant pour persuader ce que vous

voulez qu'on croie de vous, que sur les fausses démarches que vous

supposerez avoir été faites par les généraux ennemis ; si vous avez fait

passer de faux avis jusqu'à la cour & au conseil même du prince contre

les intérêts duquel vous avez à combattre ; si vous avez su faire douter

des bonnes intentions de ceux même dont la fidélité à leur prince vous

sera le plus connue, bientôt vous verrez que chez les ennemis les

soupçons ont pris la place de la confiance, que les récompenses ont été

p.156 substituées aux châtiments & les châtiments aux récompenses, que

les plus légers indices tiendront lieu des preuves les plus convaincantes

Page 135: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

135

pour faire périr quiconque sera soupçonné. Alors leurs meilleurs officiers,

leurs ministres les plus éclairés se dégoûteront, leur zèle se ralentira ; &

se voyant sans espérance d'un meilleur sort, ils se réfugieront chez vous,

pour se délivrer des justes craintes dont ils étaient perpétuellement

agités, & pour mettre leurs jours à couvert. Leurs parents, leurs alliés ou

leurs amis seront accusés, recherchés, mis à mort. Les brigues se

formeront, l'ambition se réveillera, ce ne seront plus que perfidies, que

cruelles exécutions, que désordres, que révoltes de tous côtés. Que vous

restera-t-il à faire pour vous rendre maître d'un pays dont les peuples

voudraient déjà vous voir en possession 1 ?

Si vous récompensez ceux qui se seront donnés à vous pour se

délivrer des justes craintes dont ils étaient perpétuellement agités, pour

mettre leurs jours à couvert ; si vous leur donnez de l'emploi, leurs

parents, leurs alliés, leurs amis seront autant de sujets que vous

acquerrez à votre prince. Si p.157 vous répandez l'argent à pleines

mains, si vous traitez bien tout le monde, si vous empêchez que vos

soldats ne fassent le moindre dégât dans les endroits par où ils

passeront, si les peuples vaincus ne souffrent aucun dommage,

assurez-vous qu'ils sont déjà gagnés, que le bien qu'ils diront de vous

attirera plus de sujets à votre maître & plus de villes sous sa

domination, que les plus brillantes victoires.

Soyez vigilant & éclairé ; mais montrez à l'extérieur beaucoup de

sécurité, de simplicité & même d'indifférence ; soyez toujours sur vos

gardes, quoique vous paraissiez ne penser à rien ; défiez-vous de tout,

quoique vous paraissiez sans défiance ; soyez extrêmement secret,

quoiqu'il paraisse que vous ne fassiez rien qu'à découvert ; ayez des

1 Les avantages qu'on assure devoir être la suite & les effets des artifices qu'on

suggère ici sont réels ; on pourrait le prouver par une foule d'exemples tirés de l'histoire chinoise, mais ils ne concluent rien, ce me semble, pour les autres parties du

monde, où chaque royaume semble faire une nation à part. La plupart des guerres que

les Chinois ont faites, ont été contre d'autres Chinois ; c'était une partie de la nation qui combattait contre l'autre : en conséquence, il paraissait souvent assez indifférent pour

le corps entier de cette même nation, que la victoire se déclarât pour tel ou tel parti. La

cessation de la guerre & des maux qu'elle entraîne nécessairement était l'objet de ses vœux, & il reconnaissait pour maître celui dont il avait lieu d'attendre de meilleurs

traitements, après l'extinction entière de ceux auxquels le trône pouvait revenir par

droit de succession ; ainsi, les malheureux & les vaincus étaient traités de rebelles.

Page 136: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

136

espions partout ; au lieu de paroles, servez-vous de signaux ; voyez par

la bouche, parlez par les yeux : cela n'est pas aisé ; cela est très difficile.

On est quelquefois trompé lorsqu'on croit tromper les autres. Il n'y a

qu'un homme d'une prudence consommée, qu'un homme extrêmement

éclairé, qu'un sage du premier ordre qui puisse employer à propos &

avec succès l'artifice des divisions. Si vous n'êtes point tel, vous devez y

renoncer ; l'usage que vous en feriez ne tournerait qu'à votre détriment.

Après avoir enfanté quelque projet, si vous apprenez que votre

secret a transpiré, faites mourir sans rémission, tant ceux qui l'auront

divulgué que ceux à la connaissance desquels il sera parvenu. Ceux-ci

ne sont point coupables encore à la vérité, mais ils pourraient le

devenir. Leur mort sauvera la vie à quelques milliers d'hommes, &

assurera la fidélité d'un plus grand nombre encore.

Punissez sévèrement, récompensez avec largesse : multipliez les

espions, ayez-en par tout, dans le propre palais du prince ennemi, dans

l'hôtel de ses ministres, sous les tentes de ses généraux ; ayez une

liste des principaux officiers qui p.158 sont à son service ; sachez leurs

noms, leurs surnoms, le nombre de leurs enfants, de leurs parents, de

leurs amis, de leurs domestiques ; que rien ne se passe chez eux que

vous n'en soyez instruit.

Vous aurez vos espions partout : vous devez supposer que l'ennemi

aura aussi les siens. Si vous venez à les découvrir, gardez-vous bien de

les faire mettre à mort ; leurs jours doivent vous être infiniment précieux.

Les espions des ennemis vous serviront efficacement, si vous mesurez

tellement vos démarches, vos paroles & toutes vos actions, qu'ils ne

puissent jamais donner que de faux avis à ceux qui les ont envoyés.

Enfin un bon général doit tirer parti de tout ; il ne doit être surpris de

rien, quoi que ce soit qui puisse arriver. Mais par-dessus tout,

préférablement à tout, il doit mettre en pratique les cinq sortes de

divisions. S'il a le véritable art de s'en servir, j'ose l'assurer, il n'est rien

qu'il ne puisse. Défendre les États de son souverain, les agrandir, faire

chaque jour de nouvelles conquêtes, exterminer les ennemis, fonder

même de nouvelles dynasties, tout cela peut n'être que l'effet des artifices

Page 137: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

137

employés à propos. Le grand Y-yn 1 ne p.159 vivait-il pas du temps des

Hia ? c'est par lui cependant que s'établit la dynastie Yn. Le célébré Lu-

ya 2 n'était-il pas sujet des Yn, lorsque, par son moyen, la dynastie

Tcheou monta sur le trône ? Quel est celui de nos livres qui ne fasse

l'éloge de ces deux grands hommes ? L'histoire leur a-t-elle jamais donné

les noms de traîtres à leur patrie, ou de rebelles à leurs souverains ? Bien

loin de là, elle en parle toujours avec le plus grand respect. Ce sont, dit-

elle, des héros, des princes vertueux, de saints personnages 3.

Voilà tout ce qu'on peut dire en substance sur la manière d'employer

les divisions, & c'est par où je finis mes réflexions sur l'art des guerriers.

@

1 Y-yn, qu'on appelait aussi Y-tche, était ministre du dernier des empereurs de la dynastie Hia. Cet empereur était l'objet de l'exécration de tous ses sujets. Le sage Y-yn

l'avait exhorté souvent à changer de conduite, mais toujours inutilement. Rebuté de

voir que malgré tous ses soins & tout son zèle, tant pour le bien public, que pour l'honneur & la gloire de son prince, l'empire allait toujours en décadence, il se retira de

la cour, pour ne mener désormais qu'une vie privée. Il passait ses jours à la campagne,

où il cultivait la terre de ses propres mains. Ce fut dans cette solitude que Tcheng-tang, prince du pays de Chang, lui fit savoir ses intentions pour le bien de l'empire, &

l'engagea à retourner à la cour, où il travailla efficacement à la fondation d'une nouvelle

dynastie, qui est celle de Chang, du nom de la Principauté où régnait Tcheng-tang. Cette révolution arriva l'an 1770 avant Jésus-Christ. 2 Lu-ya, plus connu sous le nom de Tai-koung, était un des principaux officiers de

l'empire sous Tcheou, dernier empereur de la dynastie Yn, laquelle fut entièrement éteinte vers l'an 1112 avant Jésus-Christ. C'est aux conseils à la prudence, à la sagesse

& aux vertus de ce Tai-koung que Ou-ouang doit la gloire qu'il eut d'avoir réuni en sa

faveur tous les cœurs des sujets de la dynastie qu'il éteignit. 3 Un des commentateurs explique cette phrase de la manière suivante : Que les noms

de fourbe, de traître ou de rebelle ne vous épouvantent point ; tout dépend de vos

succès. Quelque bonnes que soient vos intentions, si vous avez du dessous & que vos desseins échouent, vous serez en horreur à la postérité, vous passerez pour un

ambitieux, pour un perturbateur du repos public, & pour quelque chose de pis encore,

pour un rebelle ; mais au contraire si vous réussissez, on vous préconisera comme un sage, comme le père du peuple, comme le restaurateur des lois & le soutien de

l'empire ; Y-yn & Lu-ya en sont une preuve. Mais, à l'exemple de ces grands hommes,

n'ayez que des intentions droites, n'entreprenez rien que de conforme à la justice, &, comme eux, vous vous ferez une réputation qui ne mourra jamais, &c. La plupart des

maximes qui sont répandues dans cet article des divisions, sont condamnables, comme

contraires à la probité & aux autres vertus morales dont les Chinois eux-mêmes sont profession ; mais ces mêmes Chinois se croient tout permis, quand il s'agit d'opprimer

des ennemis qu'ils regardent comme des rebelles. Cependant ils ne sont pas tous du

même avis à cet égard.

Page 138: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

138

LES SIX ARTICLES

SUR

L'ART MILITAIRE

ouvrage composé en chinois sur les mémoires d'

Ou-tse, général d'armée dans le royaume d'Ouei,

& mis en tartare-mantchou par les ordres de l'empereur Kang-hi, l'année Keng-yn, 27e du cycle de 60, c'est-à-dire, l'année 1710.

Page 139: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

139

Préface

@

p.163 Les commentateurs des six articles sur l'art militaire

commencent par donner une idée de l'auteur avant que d'entreprendre

d'expliquer son ouvrage. Voici à peu près ce qu'ils en disent.

Ou-tse ayant mis des habits de lettré 1, alla se présenter à Ouen-

heou, roi d'Ouei 2, dans le dessein de lui offrir quelques mémoires qu'il

avait composés sur l'art militaire. Le roi d'Ouei feignit d'abord de ne

vouloir p.164 pas accepter l'hommage du prétendu lettré.

— Que me présentez-vous, lui dit-il ? je n'aime point la

guerre, ni rien de tout ce qui peut avoir quelque rapport avec

elle.

Ou-tse, sans se déconcerter, répliqua hardiment :

— J'ai ramassé 3, avec des peines & des soins infinis, le détail

des plus belles actions des grands hommes ; je les ai suivis

1 Les Chinois apportent deux raisons sur le déguisement d'Ou-tse en lettré. Les uns

disent que ce grand capitaine était véritablement un des plus fameux lettrés de son

temps ; du moins paraît-il, par son ouvrage, qu'il était fort versé dans l'histoire ancienne & moderne : ils ajoutent que l'ouvrage qu'il avait composé était le fruit de ses

lectures & de ses profondes réflexions, plutôt que de son expérience. Les autres disent

qu'il se présenta en habit de lettré, parce que dans le temps où il vivait, c'était l'habillement sous lequel on pouvait paraître avec plus de décence, en faveur duquel on

avait un accès libre partout, avec lequel on pouvait parler hardiment en présence des

souverains, qui étaient eux-mêmes pleins de respect pour les personnes de cette profession. L'habillement des lettrés était majestueux, surtout dans les jours de

cérémonie ou lorsqu'ils se montraient en public. D'ailleurs Ouen heou était amateur des

lettres, & il suffisait de les cultiver pour être bien venu auprès de lui. 2 Ouen-heou, roi d'Ouei, était de la famille Impériale de Tcheou : on l'appelle aussi

Ouen-kong. Il gouvernait son royaume ou sa principauté d'Ouei dans le temps qu'Ouei

lié-ouang était sur le trône impérial, c'est- à-dire, vers l'an 425 avant J. C. qu'on compte pour la première année de Ouei lié-ouang.

Le royaume d'Ouei était dans le Ho-nan, près de Kai-fong-fou. Ouei- che, père d'Ouen-

kong, sur le fondateur de cette principauté. Quoique Ouei-che ne fût d'abord qu'un rebelle, Ouei-lié-ouang, pour s'accommoder aux temps & aux circonstances, le confirma

dans sa possession, & le déclara prince d'Ouei. Ce nouveau prince ne jouit pas

longtemps de sa dignité, car il mourut la même année, & eut pour successeur Ouen-kong, autrement dit Ouen-heou, du nom de sa dignité de Heou. Ce prince était

recommandable par sa vertu, sa valeur, & en particulier par sa bonne foi & par son

exactitude à tenir la parole qu'il avait une fois donnée. 3 Il ne paraît pas que les mémoires que Ou-tse voulait présenter au roi d'Ouei subsistent encore. Celui de ses ouvrages qui est intitulé, Les six articles sur l'art

militaire, n'est probablement qu'un assemblage des préceptes de ce grand général,

Page 140: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

140

eux-mêmes dans toute leur conduite ; j'ai tâché de pénétrer

jusqu'aux principes qui les faisaient agir : ce travail pénible,

rebutant même, je ne l'ai entrepris que dans l'espérance qu'il

pourrait vous être de quelque utilité ; vous voudriez, prince,

me priver du fruit que je m'étais promis ! Vous voudriez vous-

même vous priver de tous les avantages qui pourraient vous

revenir des profondes réflexions que les exemples des siècles

passés pourraient faire naître dans votre esprit ! Non, vos

p.165 paroles ne sont pas pour cette fois les interprètes de vos

sentiments.

Vous n'aimez rien, dites-vous, de tout ce qui a quelque

rapport à la guerre ; cependant il n'est aucun temps de

l'année où l'on n'égorge par vos ordres une grande quantité

d'animaux de différentes espèces ; on en prépare les cuirs, on

les teint en rouge ; pourquoi cela ? Vous-même, prince, n'en

avez-vous pas à votre usage, lesquels, chamarrés de

différentes couleurs, représentent en particulier des figures de

rhinocéros 1 ? C'est de ces sortes d'habillements qu'on vous

voit ordinairement revêtu. Vous les portez en hiver, vous les

portez en été ; ce sont vos habits de toutes les saisons. En

hiver ils ne vous garantissent pas du froid, en été ils ne

sauraient vous mettre à couvert de la chaleur. Vous ne

sauriez précisément les porter par amour de la propreté,

encore moins par délicatesse : à quel usage les destineriez-

vous donc ?

Vous avez des étendards & des drapeaux, dont les uns ont

deux toises quatre pieds de long & les autres une p.166 toise

accommodé par quelque lettré postérieur. Quoi qu'il en soit, c'est un ouvrage fort

estimé, qui a l'approbation générale, non seulement des Chinois, mais des Mantchous

eux-mêmes, qui l'étudient, l'expliquent & le commentent en leur langue. 1 Les bêtes féroces sont en général le symbole de la guerre ; mais le rhinocéros l'est

encore plus particulièrement. Il est de plus le symbole de la valeur, en ce qu'étant

beaucoup plus petit que l'éléphant, il vient à bout cependant de le vaincre & de le tuer, non par la force, disent les Chinois, car l'éléphant est plus fort que lui, mais par la

valeur & la ruse. En cela, ajoutent-ils, il est le vrai modèle d'un hon guerrier, qui doit

réunir toutes ces qualités.

Page 141: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

141

deux pieds 1. Vos chariots sont lourds & pesants ; les roues

qui les traînent ne sont point ornées de rayons ; elles ne sont

qu'un massif énorme destiné à soutenir les plus grands poids.

Votre équipage n'est ni leste ni propre ; rien de tout ce qui le

compose ne saurait flatter agréablement la vue ; au contraire,

tout en est désagréable, tout tient un peu de la férocité.

Ce n'est point pour les exercices de la chasse que vous

disposez ainsi toutes ces choses ; elles ne pourraient que

vous incommoder. Quels sont donc les usages auxquels vous

les destinez ? Commenceriez-vous quelque campagne sans

avoir fait de tels préparatifs, au risque de revenir sur vos

pas ? Non, prince, vous feriez auparavant tout ce que vous

faites, vous chercheriez dans votre royaume, ce que peut-être

vous ne faites pas aujourd'hui avec assez d'attention, vous

chercheriez, dis-je, dans votre royaume des personnes en

état de se servir avec avantage de votre autorité & de tout ce

que vous daigneriez leur confier.

C'est, prince, à ce dernier article en particulier que vous

devez tous vos soins. Si vous entreprenez la guerre, si vous

n'employez pas ceux qui l'entendent & qui sont habiles dans

cet art, vous vous trouverez vis-à-vis de p.167 l'ennemi comme

une poule devant un castor ou comme une chienne vis-à-vis

d'un tigre. Quelques efforts que puissent faire la poule & la

chienne en combattant contre de tels adversaires, elles seront

mises en pièces dans le premier assaut.

Dans le royaume de Tcheng-sang 2 régnait autrefois un prince

vertueux & vrai philosophe, il crut n'avoir pas besoin

d'entretenir continuellement des troupes, il licencia celles qu'il

1 La toise chinoise qu'on appelle tchang, était composée alors, comme aujourd'hui, de

dix pieds ; mais le pied d'alors pouvait être plus court que notre pied de roi d'environ

un pouce & quelques lignes. 2 Le royaume de Tcheng sang était dans le Chen-si ; sa capitale était où est aujourd'hui

Ngao hou hien.

Page 142: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

142

avait sur pied ; il perdit la couronne pour lui & pour ses

descendants.

Le roi de Yeou avait au contraire un grand nombre de gens à

sa solde. Ses sujets étaient presque tous soldats, il était lui-

même très habile dans tous les exercices militaires ; mais il

négligea l'étude de son propre cœur, il ne se mit point en

peine d'acquérir les connaissances qui ornent &

perfectionnent l'esprit. Après avoir essuyé bien des malheurs,

il périt misérablement avec ces mêmes troupes, sur lesquelles

seules il croyait devoir s'appuyer.

Un prince éclairé sait mettre à profit ces exemples. Il évite les

deux excès : au dedans il travaille à perfectionner son cœur &

à enrichir son esprit ; il s'applique au dehors à former des

guerriers & à se rendre expérimenté p.168 lui-même dans tout

ce qui concerne l'art de la guerre. Alors un tel souverain est

toujours en état d'attaquer ou de se défendre, & l'on ne

saurait le prendre au dépourvu. Il profite de l'occasion quand

elle se présente ; & ce qu'il est nécessaire qu'il fasse dans un

temps, il ne le diffère point à un autre. Il sait que ne pas aller

à la rencontre de l'ennemi, lorsque les circonstances l'exigent,

est une aussi grande faute que de ne pas se trouver en état

de défense lorsqu'on est attaqué. Dans l'un & l'autre de ces

cas on court risque d'être perdu sans ressource, pour peu

qu'on se néglige : en vain redoublera-t-on dans la suite

d'attention & d'efforts ; en vain usera-t-on de tous les

stratagèmes, on ne saurait réparer une faute qui de sa nature

est irréparable. Il est rare qu'une bonne occasion se présente

deux fois ; il en est telle qui ne se représente jamais.

Appliquer les plus excellents remèdes à quelqu'un dont la

mort aurait déjà fermé les yeux, c'est lui témoigner une

tendresse hors de saison.

Le roi qui avait écouté jusqu'alors avec une extrême attention le

discours du militaire éloquent, se lève tout à coup, prend le carreau sur

Page 143: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

143

lequel il avait coutume de s'asseoir, le porte de sa propre main dans la

salle destinée à honorer ses ancêtres ; il ordonne à la reine d'aller elle-

même remplir une coupe de vin & de la lui p.169 apporter. Il offre cette

coupe, en verse la liqueur, déclare Ou-tse grand général de ses

troupes.

Le nouveau général ne fut pas longtemps sans se faire connaitre, &

son nom répandit partout la terreur. Soixante & seize fois il fut obligé

de combattre, soixante & quatre fois il fut pleinement victorieux, &

douze fois seulement il ne fut ni vainqueur ni vaincu ; la plus célèbre de

ses victoires fut celle qu'il remporta près du fleuve Si-ho. Il étendit les

limites des États de son maître jusqu'à la distance de mille li. Ce n'est

qu'à la valeur & à la bonne conduite de ce grand homme que Ouen-

heou fut redevable de tous ses succès.

@

Page 144: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

144

LES SIX ARTICLES D'OU-TSE

Article premier

Du gouvernement de l'État par rapport aux troupes

@

p.170 Ou-tse dit : Anciennement ceux qui avaient le gouvernement de

l'État, regardaient l'instruction du peuple comme la première & la plus

essentielle de toutes leurs obligations. Ils n'oubliaient rien pour rendre

leurs sujets doux & polis. Ils s'appliquaient surtout à empêcher qu'il n'y

eût aucune dissension parmi eux ; mais si, malgré leur extrême

vigilance & tous leurs soins, le feu de la discorde s'allumait dans l'État,

ils réglaient leur conduite suivant les quatre circonstances dans

lesquelles cela pouvait arriver principalement.

En premier lieu, s'il y avait quelques semences de troubles avant

qu'on eût levé des troupes, on avait pour maxime invariable de n'en

point mettre sur pied.

Secondement, si, lorsque les troupes étaient déjà sur pied, p.171 il y

avait quelques commencements de division, on ne voulait pas qu'on

commençât la campagne.

En troisième lieu, si la campagne étant déjà commencée, la discorde

commençait aussi, on prétendait qu'il ne fallait pas tenter le sort d'un

combat.

Quatrièmement, enfin si dans le temps même du combat il arrivait

qu'il y eût quelque mésintelligence ou parmi les généraux, ou parmi les

Page 145: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

145

différentes troupes qui composaient l'armée, on tenait pour principe

certain qu'il ne fallait pas remporter une entière victoire 1.

Telles sont les règles que nos anciens se prescrivaient, telles sont

celles qu'un prince éclairé doit suivre. Qu'il instruise le peuple, qu'il

entretienne l'esprit de concorde & d'union, il peut après cela

commencer la grande affaire 2. Qu'il se garde bien de prêter jamais

l'oreille aux basses paroles de la flatterie, aux discours des hommes

peu éclairés ou peu vertueux. S'il doit entreprendre la grande affaire, il

se transportera d'abord dans la salle p.172 destinée à honorer ses

ancêtres 3, comme pour les avertir de ce qu'il doit faire, il consultera les

sorts 4 , il cherchera dans les révolutions célestes s'il trouve du

favorable & du désavantageux ; si tout est de bon augure, il

entreprendra hardiment.

Un roi qui veut bien gouverner, doit aimer tendrement ses peuples ;

ce n'est pas assez, il doit faire en sorte que jusqu'au moindre de ses

sujets, tous soient persuadés de sa tendresse pour eux ; alors, quelque

chose qu'il puisse leur commander, il sera toujours sûr d'être obéi, sans

répugnance de la part d'un seul ; leur fit-il affronter les plus grands

périls, ils y courront avec joie ; les fatigues, les peines, la mort même

n'auront rien de rebutant, rien d'effrayant pour eux : ils ne craindront

point de perdre la vie, quand ils l'exposeront pour le bien de l'État ; &

1 J'ai déjà remarqué ailleurs que les armées chinoises étaient anciennement composées

des troupes que fournissaient en partie les différents princes feudataires de l'empire. Il n'est pas étonnant que dans le temps même du combat, il pût s'élever quelques

troubles & quelques sujets de division ou parmi les généraux, ou parmi les soldats. La

maxime qu'ils avaient de ne pas remporter une victoire entière est fondée apparemment sur la juste crainte où ils devaient être de la défection de quelques-uns

des corps qui composaient l'armée, & qu'au lieu de combattre de concert l'ennemi

commun, ils ne tournassent leurs armes les uns contre les autres. L'ennemi n'étant pas entièrement vaincu, on avait toujours à craindre de sa part, on devait être par

conséquent sur ses gardes ; ce qui donnait le temps de tout pacifier. 2 Par la grande affaire, il faut entendre la guerre ; c'est de ce nom qu'on l'appelle communément dans la plupart des livres qui traitent de l'art militaire, & en particulier

dans celui d'Ou-tse. 3 Une coutume très ancienne parmi les Chinois, est celle d'avertir les ancêtres de ce qu'on doit entreprendre d'un peu considérable, pour implorer leur protection & les

remercier ensuite des succès que l'on a reçus. 4 Il consultera les sorts. Par les sorts, ils entendent les koua ou figures mystérieuses de Fou-hi ; ils entendent aussi l'inspection de la tortue. Il y a dans le texte : Il consultera

la grande tortue ; cette espèce d'animal est la base d'une foule de superstitions

chinoises ; il serait trop long de les détailler ici.

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Art militaire des Chinois

146

le peuple regardera comme indigne de vivre celui qui, par faiblesse ou

par lâcheté, aurait pris la fuite devant l'ennemi.

Ou-tse dit : La doctrine fait rapporter les choses à leurs principes,

elle connaît la liaison qu'elles ont entr'elles, & voit comment il faut faire

pour agir conséquemment. La vertu influe sur les actions, elle les rend

dignes d'éloges & de récompenses ; la prévoyance rejette le mauvais

pour lui substituer le bon, elle tire parti de tout : la nécessité fait naitre

les ressources ; c'est à la nécessité que l'agriculture & les arts doivent

leur origine.

p.173 Celui donc les actions ne sont ni réglées par la doctrine, ni

soutenues par la prévoyance, ni soumises à la nécessité, ni conduites

par la vertu, attirera infailliblement sur soi toutes sortes de disgrâces &

de malheurs, & mettra le désordre dans l'État, s'il est du nombre de

ceux qui le gouvernent, ou s'il y occupe quelque poste éminent.

Le sage suit la doctrine, se dirige par la prévoyance, se règle par la

vertu, obéit à la nécessité. Il se plaît dans tout ce qui peut fomenter en

lui l'amour des autres hommes ; il ne s'écarte en rien de ce que

prescrivent les usages & les bonnes mœurs : avec ces qualités

fondamentales on s'élève ; sans elles on se détruit. Lorsque Tcheng-

tang 1 voulut entreprendre la perte de Kie 2, il fut encouragé dans son

projet, sollicité, pressé même & aidé par les grands & par les peuples

qui étaient soumis aux Hia 3. Lorsque Ou-ouang p.174 entreprit la perte

1 Tcheng-tang était descendant, à la treizième génération, d'un des ministres de Chun

qui s'appelait Sie, lequel à cause de ses vertus & de sa bonne conduite, obtint le pays de Chang à titre de principauté. Tous ses descendants gouvernèrent successivement ce

petit État jusqu'à Tcheng-tang, que la voix unanime des grands & du peuple plaça à la

tête de tout l'empire. Tcheng-tang est connu sous plusieurs noms ; on l'appelle quelquefois Tien-y, d'autre fois Ly, le plus souvent Tang-ouang. C'est sous ce dernier

nom qu'il est célébré dans la plupart des livres. C'est un des plus grands personnages

qu'il y ait eu à la Chine. Il est recommandable surtout par sa vertu. Il est fondateur de la seconde dynastie. 2 Kie a été le dernier empereur de la dynastie Hia, laquelle avait eu le grand Yu pour

fondateur. Ce Kie était un monstre de cruautés & de débauches ; c'est le Néron de la Chine. Il perdit l'empire avec la vie, à Nan-tchao, dans le Ho-nan, où Tcheng-tang

l'avait poursuivi. Ce fut l'an mil sept cent soixante six avant Jésus-Christ qu'arriva cet

événement remarquable dans l'histoire chinoise. 3 Hia est la première des dynasties qui ait transmis l'empire par voie de succession. Elle a commencé par le grand Yu, deux mille deux cents sept ans avant Jésus-Christ, & a

fini à Kie, l'an mil sept cent soixante & six avant l'ère chrétienne : ainsi elle a régné

Page 147: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

147

de Tcheou-ouang 1, les sujets mêmes des Yn le comblèrent d'éloges,

l'aidèrent de leurs conseils & le secoururent, en lui présentant la force

de leurs bras 2. Tcheng-tang & Ou-ouang réussirent l'un & l'autre dans

leurs projets, parce que leurs vertus & leur bonne conduite les avaient

rendus les favoris du Ciel & les délices des hommes.

Ou-tse dit : Pour affermir un royaume & le rendre inébranlable dans

les constitutions fondamentales de son gouvernement, il faut avoir de

bonnes troupes ; pour avoir de bonnes troupes, il faut les former à la

discipline, à la vertu, aux manières & aux bonnes mœurs : il faut leur

apprendre à rougir ; car quiconque sait rougir, ne fait jamais rien qui

puisse le couvrir de honte aux yeux des hommes ; il évite même

jusqu'à l'ombre du mal. Parmi les troupes ainsi formées, il faut choisir,

tant officiers que soldats, ceux qui auront le plus de talents & qui vous

paraîtront plus propres aux p.175 exercices militaires ; ce sont les seuls

que vous devez envoyer contre l'ennemi ; ils combattront avec

honneur, & ne reviendront que pour vous offrir leurs succès. Les plus

faibles doivent rester pour la garde du royaume & de tous les postes

qui en dépendent : ils pourront en même temps vaquer aux exercices

de la vie civile, & augmenter le nombre des bons citoyens.

Il est aisé de vaincre lorsqu'on livre des batailles : l'on ne remporte

point de victoire si l'on se contente de garder. Cependant, quelque

royaume du monde que ce soit, je n'en excepte aucun, s'il est en

guerre, & qu'il ait gagné jusqu'à cinq grandes batailles, il est

nécessairement dans le désordre ; si quatre fois seulement il a été

l'espace de quatre cent quarante-un ans, pendant lesquels elle a donné dix-sept

empereurs. 1 Tcheou-ouang est le dernier des empereurs de la seconde dynastie nommée Chang

ou Yn. Ce prince se rendit l'esclave des volontés d'une femme qui était un monstre en

cruautés. Tous ses sujets l'eurent en horreur, & le jour qui devait décider par une bataille du sort de l'empire, ses propres soldats se tournèrent contre ceux qui lui

restaient encore fidèles, passèrent ensuite du côté de Ou-ouang, qui dès lors fut

proclamé empereur, &c. 2 La dynastie Yn est la même que la dynastie Chang. Elle a commencé l'an mil sept

cent soixante & six avant Jésus-Christ ; après avoir donné vingt-huit empereurs dans

l'espace de six cent quarante-quatre ans elle a fini par Tcheou-ouang. Elle porta le nom de Chang depuis Tcheng-tang jusqu'à Pan-keng, dix-septième empereur de cette

famille. Elle prie celui d'Yn à l'occasion du changement de la cour qui fut transportée à

Po-tcheou.

Page 148: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

148

victorieux, il est sûrement en mauvais état ; si trois fois il a triomphé

de ses ennemis, le souverain qui le gouverne n'ira de pair qu'avec les

pa 1 ; il égalera les ouang si deux fois seulement il a été victorieux.

Mais si, après la première victoire, tous ses ennemis sont soumis, il

mérite le titre de ti ; il peut gouverner l'univers. Parmi ceux qui ont

remporté un grand nombre de victoires, il s'en trouve fort peu qui

soient parvenus à être les maîtres du monde ; on en trouve beaucoup

qui ont perdu leur empire & la vie même.

Ou-tse dit : Dans le gouvernement des troupes il y a cinq choses

auxquelles il faut faire une extrême attention, parce qu'il y cinq raisons

principales pour lesquelles on se détermine ordinairement à faire la

guerre.

La première est l'amour de la gloire & le désir de se faire un nom. La

seconde est l'envie de se procurer certains p.176 avantages, sans

lesquels on se persuade qu'on ne saurait vivre tranquillement & avec

honneur. La troisième est lorsqu'on a changé de bien en mal. La

quatrième, lorsqu'il y a quelques dissensions intestines ou des troubles

dans l'intérieur du royaume ; & la cinquième, lorsqu'on se trouve réduit

aux dernières extrémités. Les troupes qu'on lève pour quelqu'une de

ces raisons, peuvent être appelées chacune d'un nom particulier.

J'appelle les premières, les troupes qui doivent avoir la vertu pour

guide. J'appelle les secondes, les troupes qui doivent être bien

disciplinées ; j'appelle les troisièmes, les troupes téméraires ; j'appelle

les quatrièmes des troupes cruelles ; j'appelle les cinquièmes, des

troupes opiniâtres.

Des troupes qui, dociles aux corrections qu'on leur fait, ne

retombent plus dans les fautes qu'on leur a reprochées, sont sûrement

des troupes vertueuses.

1 Le titre de Pa revient à celui de Marquis ou de Comte. Le titre de Ouang revient à celui de prince. Le titre de Ti n'est donné qu'aux empereurs de la Chine ; il signifie

empereur suprême.

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Art militaire des Chinois

149

Des troupes dont un général punit hardiment les fautes, quelles

qu'elles puissent être, & quel que soit le rang qu'occupent ceux qui les

ont commises, & qui, même en punissant, a l'approbation du plus grand

nombre, sont sans contredit des troupes bien disciplinées.

Des troupes qu'on aura assemblées dans des mouvements de

colère, d'indignation ou de vengeance, sont des troupes téméraires.

Des troupes qui, sans aucune raison légitime & par l'appât

seulement de quelque vil intérêt, s'assemblent pour combattre &

mettent le trouble dans l'État, sont des troupes véritablement cruelles.

Des troupes enfin qui, dans le temps où le peuple gémit sous la

tyrannie de ceux qui le gouvernent, où les vivres n'abondent nulle part

& où le royaume est sur le penchant de sa ruine, achèvent de le

détruire en mettant en mouvement le gros de la nation, sont des

troupes plus qu'opiniâtres.

p.177 Ces cinq sortes de troupes doivent être gouvernées d'une

manière particulière à chacune.

Il faut éclairer, par de sages instructions, les troupes qui ont la vertu

en recommandation ; il faut leur apprendre les manières & les leur faire

observer 1.

Il faut empêcher que les troupes bien disciplinées n'aient une trop

haute opinion d'elles-mêmes ; il faut les humilier.

Il faut parler aux troupes téméraires ; il ne faut pas cesser de les

exhorter, qu'on ne leur ait inspiré de la docilité.

Il faut employer toutes sortes de stratagèmes pour adoucir les

troupes cruelles ; il faut les gagner par artifices.

Il faut employer l'autorité & toute la rigueur des lois avec les troupes

opiniâtres : il ne faut rien oublier pour les exterminer, si l'on ne peut

pas les ramener à leur devoir par d'autres voies.

1 L'expression chinoise Ly, que j'ai rendue par celle de manière, a un sens beaucoup plus étendu. On pourrait l'expliquer par urbanité, politesse, attention à remplir tous les

devoirs de son état, &c.

Page 150: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

150

Ou-heou 1 dit un jour à Ou-tse :

— Je serais bien aise d'apprendre de vous trois choses de la

dernière importance pour moi. La première, comment il faut

employer les troupes ; la seconde, comment on doit

gouverner les hommes en général ; la troisième, par quels

moyens on peut parvenir à affermir un royaume d'une

manière inébranlable.

— Je vais vous satisfaire, répondit Ou-tse.

Les grands rois, ceux qui se sont le plus distingués dans les anciens

temps, mettaient tous leurs soins à cultiver la vertu ; vertueux eux-

mêmes, ils voulaient que les grands & tous ceux qui les approchaient le

fussent aussi : ils n'oubliaient rien pour les rendre tels. Ils établirent

d'abord d'excellentes lois de subordination, & se firent p.178 un devoir

capital de les observer. Ils assignèrent aux magistrats leurs obligations

envers le peuple, & aux peuples, ce qu'ils devaient aux magistrats. Ils

firent d'excellents établissements en tous genres, & ils eurent toujours

égard aux circonstances. Ils disposaient tellement les choses, qu'ils

étaient toujours prêts à tout événement, & à couvert de toute surprise.

Hoan-koung, roi de Tsi 2 , imita leur exemple ; il avait

continuellement sur pied cinquante mille hommes de troupes réglées,

tous gens choisis, tous gens intrépides, qui ne demandaient qu'à aller à

l'ennemi, & auxquels il n'arriva jamais de reculer. Il fut craint &

respecté de ses voisins, & fut le premier des rois de son temps.

Ouen koung, roi de Tchin, avait quarante mille hommes sous les

armes ; c'était l'élite de ses sujets : ils étaient toujours disposés aux

1 Ou-heou était le fils de Ouen-heou, roi de Ouei. 2 Ce Hoan-koung, roi de Tsi, s'est rendu recommandable par son bon gouvernement, par les victoires qu'il remporta sur les Tartares & par la prise de Y-koung, prince de

Ouei, qui s'était révolté contre Hoei-ouang, dix-septième empereur de la dynastie des

Tcheou. Après s'être rendu l'arbitre & presque le maître de la plupart des petits souverains de son temps, il mourut sur la fin de la neuvième année de Siang ouang,

c'est- à-dire, six cent quarante-deux ans avant Jésus Christ, après avoir régné

glorieusement l'espace de quarante-trois ans.

Page 151: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

151

plus grandes entreprises. Aussi, ni l'inquiétude ni les chagrins

n'approchèrent jamais du trône de cet excellent prince 1.

Mou-koung, roi de Tsin, n'eut jamais que trente mille p.179 hommes

sur pied ; mais comme il eut soin de les former à tous les exercices de

la guerre, il les rendit robustes, vaillants & intrépides. Il fut respecté, il

fut craint, & vainquit plus d'une fois ses ennemis 2.

Voilà, prince, quels sont les modèles sur lesquels vous devez vous

former ; réfléchissez sur leur conduite, vous y trouverez une excellente

réponse à la question que vous m'avez faite. Cependant je vous dirai en

général qu'un roi qui est maître d'un grand État, doit faire consister le

principal de ses soins à bien gouverner ses peuples, en faisant de bons

règlements pour tout ce qui regarde le civil. Dès qu'une fois le corps du

peuple est bien réglé, & peut vivre tranquillement à l'abri des lois, il est

temps de tourner ses vues du côté des troupes ; & voici, à mon avis,

comment on peut y procéder.

Les hommes qui composent une nation n'ont pas tous le même

génie, la même industrie, les mêmes talents ni les mêmes inclinations.

Il s'en trouve parmi eux qui ont de l'audace, du courage, de l'ardeur, de

la force, de la magnanimité, de la valeur, & autres qualités semblables

qui les distinguent du reste du peuple ; ce sont ceux qu'on doit choisir

pour en composer le corps général de la milice. Ce n'est pas tout, il y a

un autre choix à faire, qui n'est pas d'une moindre importance ; le

voici :

Outre ceux qui ont été reconnus capables de porter les armes, il faut

encore avoir un autre corps de troupes divisé en cinq classes.

1 Ouen-koung fut regardé comme un des plus grands princes de son temps ; il sauva Siang-ouang, qui, sans lui, aurait perdu l'empire l'an six cent trente-six avant Jésus-

Christ. Il était recommandable surtout par sa prévoyance ; il savait si bien prendre ses

mesures, que lorsqu'il entreprenait quelque chose, il était presque sûr de la conduire toujours avec succès. 2 Mou-koung a rendu son nom illustre par les victoires qu'il remporta sur les Tartares

occidentaux, auxquels il enleva douze villes considérables, dont les dépendances augmentèrent de plus de mille li la principauté de Tsin. Ce grand homme mourut la

trentième année du règne de Siang-ouang, c'est-à-dire, six cent vingt-un ans avant

Jésus-Christ.

Page 152: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

152

p.180 La première sera composée de ceux qui ont de la force, de la

valeur, & qui, faciles à s'enflammer, sont capables des plus hautes

entreprises.

La seconde contiendra ceux qui savent faire usage de la force qu'ils

peuvent avoir, quelle qu'elle soit, qui ne l'emploient qu'avec succès, qui

aiment le métier de la guerre, & qui ne respirent que les combats.

La troisième classe renfermera tous ceux qui, doués d'une agilité

naturelle & d'une extrême souplesse de corps, peuvent se transporter

d'un lieu à un autre dans un très court espace de temps, peuvent

grimper sur les montagnes, descendre dans les précipices, lasser même

les chevaux à la course, supporter toutes sortes de fatigues, sans en

être incommodés, sans avoir même besoin de chercher dans le repos à

réparer leurs forces.

La quatrième classe sera de ceux qui, ayant possédé autrefois des

charges, soit dans la magistrature, soit ailleurs, les ont perdues par leur

mauvaise conduite, ou en ont été ignominieusement dépouillés en

punition de leurs fautes : des gens de cette espèce voudront à coup sur

se rendre recommandables par quelque fait extraordinaire ; ils

voudront s'attirer la bienveillance du prince, désarmer sa colère & se

frayer de nouveaux sentiers vers les honneurs qu'ils ont perdus.

La cinquième classe ne doit être composée que de ceux qui, ayant

eu à défendre quelque ville ou quelques postes importants, les ont

perdus, soit en les défendant mal, soit en les cédant à l'ennemi, sans y

être contraints par la nécessité : revenus de leur crainte, honteux de

leur lâcheté, ils feront tous leurs efforts pour effacer, par des actions de

bravoure, la tache ignominieuse dont ils s'étaient eux-mêmes souillés.

Les cinq classes que je viens d'assigner doivent être composées

chacune de trois mille hommes ; ce nombre suffit pour rendre une

armée invincible. S'agit-il de combattre ? c'est eux p.181 qu'il faut

d'abord opposer à l'ennemi. Faut-il faire le siège de quelque ville ?

S'agit-il d'enlever quelque poste ? c'est eux encore qui doivent faire les

premières tentatives ; il faut leur céder l'honneur des premiers exploits.

Page 153: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

153

— Voilà donc, dit Ou-heou, comment il faut composer le corps

de la milice ; mais apprenez-moi, je vous prie, quels sont les

moyens qu'il faut employer pour faire en sorte que de telles

troupes ne soient sujettes à aucun changement, ni à des

vicissitudes fâcheuses. Je voudrais savoir aussi s'il y a

quelque moyen d'être toujours victorieux de ses ennemis,

d'empêcher qu'ils ne viennent jamais inquiéter notre

royaume. Pouvez-vous me satisfaire sur toutes ces

demandes ?

— Oui, prince, répondit Ou-tse ; vous viendrez à bout de tout

cela, si vous voulez suivre exactement ce que je vais vous

enseigner.

Un roi doit commencer par acquérir la sagesse : s'il a la sagesse en

partage, il choisira parmi ceux de ses sujets qui exercent la profession

des armes ce qu'il y a de plus vertueux pour les placer à la tête des

autres. Ceux qui n'ont qu'une vertu commune, ou qui n'en ont point du

tout, ne doivent jamais exercer des emplois qui leur donneraient

quelque autorité ; c'est bien assez pour eux qu'ils servent l'État en

obéissant à ceux qui doivent les commander. Faites-en de même, votre

armée ne se démentira point, vos troupes ne sortiront jamais de cet

état de vigueur qu'elles auront de leur nature, si elles sont telles que je

vous les ai désignées.

En second lieu, si vous faites en sorte que le peuple travaille avec

joie, qu'il soit toujours content, qu'il soit plein de soumission &

d'obéissance pour les magistrats, qu'il puisse les envisager comme

autant de pères, soyez sûr que vous conserverez vos États, qu'ils

seront florissants, & que l'ennemi n'en approchera jamais, surtout si

vous vous conduisez de telle p.182 sorte que vos sujets louent toutes vos

actions, qu'ils ne voient rien au-dessus de ce qui s'observe dans votre

royaume, qu'ils blâment au contraire les différents usages des

royaumes voisins ou ennemis. Si lorsque vous avez entrepris quelque

chose d'extraordinaire, il ne s'est point répandu de faux bruits parmi le

Page 154: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

154

peuple, si l'on interprete en bien toutes vos actions, soyez sûr que vous

ne serez jamais vaincu.

Un jour que Ouen-heou avait assemblé son conseil, pour délibérer

sur une affaire de grande importance, il arriva qu'on n'y pût rien

déterminer, par le peu de décision ou le défaut de lumières de ceux qui

le composaient. Le prince, de retour dans son appartement, ne donna

aucune marque qu'il fût peu satisfait ; il avait au contraire un air serein

& riant plus que de coutume ; Ou-tse s'en aperçut, & ne pouvant

dissimuler ses sentiments, il lui dit, d'un ton qui sentait le reproche :

— Prince, il faut que je vous rappelle un trait d'histoire qui

vient de se présenter tout à coup à mon esprit.

Tchoang-ouang, roi de Tchou, assembla un jour les États de son

royaume, pour des affaires de la dernière importance ; il lui arriva

précisément ce qui vient d'arriver à Votre Majesté, & l'on ne se

détermina à rien. Le roi, après avoir quitté l'assemblée, avait le visage

comme enflammé de colère. Chen koung, un de ceux qui approchaient

le plus près de sa personne, qui lui parlait avec liberté, lui témoigna sa

surprise de le voir ainsi altéré.

« Il est indigne d'un grand prince, lui dit-il, de se montrer ainsi

fâché. Quel si grand sujet a pu faire disparaître ainsi votre sérénité

ordinaire ?

« Ce que je viens de voir, ce que je viens d'entendre, répondit le roi.

J'ai toujours ouï dire que les sages ne manquèrent jamais dans le

monde, que, quelque mal gouverné que soit un royaume, il y a toujours

quelques hommes habiles, quelques personnages vertueux, quelques

hommes éclairs & de bon conseil ; p.183 qu'on m'amène celui qui

pourrait être leur maître, sur-le-champ je le fais prince du titre de

ouang ; qu'on m'indique seulement quelqu'un qui soit digne d'être leur

ami, & je le décorerai du titre de pa. Je n'ai pas le talent de bien

gouverner, j'en suis convaincu ; ceux qui composent mon conseil & les

grands de mes États n'ont pas les lumières suffisantes pour m'éclairer :

hélas ! que va devenir le royaume de Tchou ?

Page 155: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

155

— Voilà ; prince, poursuivit Ou-tse, ce qui fit naître une juste

indignation dans le cœur de Tchoang-ouang. Pour vous, vous

n'êtes pas de même : on dirait que la joie règne dans votre

cœur : vous paraissez bien aise ; moi je suis pénétré de la

crainte la plus vive.

A ces mots Ouen-heou changea de couleur.

@

Page 156: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

156

Article II

Combien il est important de bien connaître ses ennemis

@

Ou-heou, inquiet sur l'état présent de ses affaires, s'ouvrit un jour à

Ou-tse, & lui dépeignit son embarras en ces termes :

— Les choses en sont aujourd'hui à un tel point, que je ne

sais quel parti je dois prendre : mes États sont tellement

situés, que parmi les princes mes voisins il n'en est aucun qui

ne me cause de justes alarmes.

J'ai à l'occident le royaume de Tsin, dont je me trouve fort

incommodé ; au midi, j'ai le roi de Tchou, qui me traverse

dans tous mes desseins ; le roi de Tsi me menace du côté de

l'orient ; il fait continuellement des incursions sur mes États ;

par derrière, je suis barré par le roi d'Yen ; le roi de Han

m'empêche de faire un seul pas en avant ; celui de Tchao me

resserre du côté du nord ; enfin je suis sans cesse p.184

obsédé par quelqu'un de ces six royaumes 1, dont les troupes

peuvent attaquer mes États, qu'elles observent sans cesse

des quatre côtés. A en juger par les apparences, je ne suis

pas trop en sûreté ; & je vous avoue que je commence à

craindre quelque funeste revers. Ne pourriez-vous pas trouver

le moyen de me mettre à l'abri de toute insulte, de me tirer

d'affaire avec honneur, supposé qu'ils viennent à m'attaquer

tous à la fois ?

— Il est une crainte, dit Ou-tse, qui est la source du repos &

de la tranquillité d'un État : or, Prince, puisque vous craignez,

je regarde tous ceux qui auraient la témérité de vous attaquer

comme s'ils étaient déjà vaincus, & votre royaume me paraît

1 Tous ces royaumes voisins de celui d'Ouei ne sont autres que les différentes

provinces qui environnent le Ho-nan.

Page 157: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

157

aussi en sûreté que dans le temps de la plus profonde paix.

Cependant, puisque vous voulez une réponse de moi, je vous

dirai deux mots sur chacun de vos voisins, moins pour vous

apprendre à les vaincre, que pour vous les faire connaître :

Un ennemi connu est plus qu'a demi vaincu.

Le royaume de Tsi 1 est grand, il est puissant ; mais sa grandeur &

sa puissance ne sont point stables, elles manquent par les fondements,

& un rien peut les faire écrouler ; d'ailleurs ses troupes sont plus

lourdes que fortes, plus pesantes que vigoureuses.

Le royaume de Tsin 2 a un grand nombre de soldats sur pied ; mais

tous ses soldats ne sauraient composer une véritable armée ; ce sont

pour l'ordinaire de petits corps en grand nombre à la vérité, mais si fort

dispersés qu'on ne peut les réunir lorsqu'il en est besoin. Il est aisé de

les battre en détail. p.185

Le royaume de Tchou 3 est précisément le contraire de celui de

Tsin ; ses troupes ne sont ensemble qu'un seul & même corps ; elles se

tiennent toujours réunies, elles ne savent ce que c'est que de se diviser

pour faire diversion ; aussi gardent-elles difficilement une exacte

discipline.

Le royaume de Yen 4 n'a des troupes sur pied que pour garder ses

propres États. Il se tient sur la défensive, & ne se met en mouvement

que lorsqu'il est attaqué.

Les trois Tsin 5 ont de fort bonnes troupes, on ne saurait en

disconvenir ; mais ils ne pensent nullement à remuer ; les embarras de

la guerre ne sont pas de leur goût.

1 Le royaume de Tsi était dans le Chan-tong. 2 Le royaume de Tsin était dans le Chen-si. 3 Le royaume de Tchou était dans le Hou-kouang. 4 Le royaume de Yen était dans la province de Pé-tché-ly. Le royaume de Tchao était

partie dans le Chan-tong & partie dans le Pé-tché-ly. Le royaume de Han était dans le

Chan-si. 5 Par les trois Tsin, il entend sans doute le royaume de Tchao, de Han & les autres qui

composaient alors la Chine proprement dite.

Page 158: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

158

Ceux qui composent le royaume de Tsi sont opiniâtres & de mauvais

naturel ; ils sont riches & opulents, mais leurs richesses sont mal

partagées. Les grands, à l'exemple de leur roi, sont indolents, mous,

fastueux & superbes ; le peuple foulé ne cherche que l'occasion de

secouer le joug sous lequel il gémit. Ce royaume est étendu, le

gouvernement est partagé entre beaucoup de personnes ; mais comme

les récompenses leur sont mal distribuées, que leurs appointements

sont mal payés, qu'on n'y a nul égard au mérite, il y règne une

mésintelligence générale & une si grande désunion, qu'une même

personne n'est souvent pas d'accord avec elle-même. Par devant ils

sont pesants, par derrière c'est la légèreté même, & dans leur plus

grande pesanteur, ils n'ont pas la p.186 moindre solidité 1 ; en un mot, il

n'y a rien qui soit fixe chez eux, rien n'y est de durée.

Vous n'aurez pas de peine à les vaincre, si, partageant votre armée

en trois corps, vous allez hardiment au combat. N'employez d'abord

que les deux tiers de vos troupes, dont une partie tombera sur leur

gauche tandis que l'autre donnera sur leur droite ; de ce qui vous

restera, vous en ferez une espèce de camp de réserve pour vous en

servir au besoin.

Ceux de Tsin ne paraissent pas d'abord pouvoir être domptés

aisément : ils sont naturellement forts & robustes. Leur pays est

entrecoupé par un grand nombre de montagnes & de rivières, leur

gouvernement est exact & sévère, les récompenses & les châtiments y

sont distribués à propos, il n'est aucun d'eux qui ne soit porté

d'affection aux exercices militaires ; souvent même on les voit se

partager en plusieurs corps d'armée, & aller porter la guerre de

différents côtés ; du reste ils sont opiniâtres & ne savent ce que c'est

que de se céder mutuellement. Voulez-vous les vaincre ? présentez-leur

l'appât de quelque gain ou de quelque rapine avantageuse, ils s'y

laisseront prendre, ils y courront avec avidité, ils auront promptement

1 Je crois qu'on pourrait rendre ces dernières lignes de la manière suivante : A l'extérieur ils sont graves ; mais au fond c'est l'inconstance même, &c. Je ne sais ce

qu'il peut entendre par cette pesanteur & cette légèreté.

Page 159: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

159

des troupes sur pied, ils commenceront la campagne mais ils ne la

tiendront pas longtemps. Chacun d'eux n'ayant en vue qu'un intérêt

propre, à peine auront-ils mis quelque village à contribution, à peine se

seront-ils emparés de quelques troupeaux, ou de telle autre chose

semblable que vous aurez voulu leur livrer, qu'ils penseront à s'en

retourner p.187 chez eux. En vain leurs généraux voudront leur donner

des ordres, ils ne seront plus écoutés ; ce ne sera plus une véritable

armée, ce seront différents partis, ce seront plusieurs petits corps qui,

n'écoutant plus la voix de la raison ni celle de l'équité, ne se conduiront

plus que par les lois du caprice ou d'un petit intérêt présent. Voilà leur

manière de faire la guerre.

Dès que vous les saurez ainsi divisés, faites aller contre eux celles

de vos troupes que vous aurez mises en embuscade ; ne vous amusez

pas à vouloir tailler en pièces ceux des ennemis qui pourront se

rencontrer sous vos pas : allez droit à leur camp, vous y surprendrez

leurs généraux & la plupart de leurs officiers, qui, se trouvant comme

abandonnés & hors d'état de défense, se rendront à vous presque

aussitôt ; les chefs une fois pris, il n'y a pas à craindre que le reste

puisse se rallier aisément ; vous pouvez les regarder comme s'ils

étaient déjà vos prisonniers & vos vassaux 1.

Ceux du royaume de Tchou sont naturellement faibles ; leur pays

est large, leur manière de gouverner est pleine de minuties ; ils ont un

nombre prodigieux de lois ; ce qui rend le peuple triste & craintif. Les

troupes qu'ils ont actuellement sur pied sont toutes réunies ; mais cela

ne saurait durer. Commencez par les harceler ; allez les attaquer chez

eux ; affaiblissez leur puissance le plus que vous pourrez ; emparez-

vous de leurs villages & de celles de leurs villes qui sont sans défense ;

mais ne faites aucun mal à ceux qui les habitent. Après quelques

légères contributions, affranchissez-les de toutes ces lois minutieuses

qui les gênent ; bientôt ils seront vos amis, & vous en procureront

d'autres, par les éloges qu'ils feront de leurs vainqueurs. Quand vous

1 Je ne vois pas trop comment ce que l'auteur dit ici de ceux de Tsin s'accorde avec un

gouvernement exact & sévère, tel qu'il le leur donne.

Page 160: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

160

irez contre eux, p.188 n'emportez rien avec vous qui puisse vous

embarrasser : allez & revenez sur vos pas ; retournez & revenez

encore. Il n'est pas nécessaire que vous livriez un seul combat ; vous

viendrez à bout de les vaincre & de vous les soumettre en les harcelant.

Ceux qui composent le royaume de Yen sont bons & sincères : ils

sont pour la plupart doux & attentifs à remplir leurs devoirs ; ils aiment

la vertu & estiment la valeur ; mais ils n'ont pas d'industrie, & leurs

lumières sont courtes. Ils ne forment aucun projet ni pour

l'agrandissement de leur royaume ni pour toute autre chose : ils se

contentent de garder leurs possessions, sans penser à envahir celles de

leurs voisins. Observez-les, agacez-les, serrez-les de près, faites-les

mouvoir, engagez-les dans de petites actions, bientôt vous les aurez

réduits. Leurs généraux sont indéterminés, leurs soldats sont craintifs ;

au seul aspect de vos chars armés en guerre & de votre cavalerie, la

peur les saisira, vous les vaincrez sans difficulté.

Les trois Tsin, qu'on appelle autrement le royaume du milieu (ou la

Chine), ne sauraient vous nuire en aucune façon. Ceux qui l'habitent ne

respirent que la paix ; leur gouvernement est fort uni ; le peuple n'est

point propre à la guerre ; le seul bruit des armes leur resserre le cœur

& les fait trembler. Ils n'ont pas de bons généraux : ceux qui sont

destinés pour le commandement de leurs armées sont tous sans

expérience ; d'ailleurs on en fait peu de cas & leurs appointements sont

très modiques ; leurs troupes savent assez bien la théorie de la

guerre ; mais comme elles ne sont pas d'humeur à exposer leur vie,

vous n'avez pas à craindre de grandes actions de leur part. La manière

de les combattre avec succès n'est pas difficile : après avoir rangé

votre armée en bataille, soyez prêt à combattre ; mais ne commencez

pas, laissez à l'ennemi le soin de faire les premières tentatives. Si vous

voyez qu'il soit en trop grand nombre pour oser l'attaquer, p.189 reculez

un peu ; mais en bon ordre. S'il vous poursuit, attendez qu'il ait rompu

les rangs ; alors vous vous tournerez tout à coup contre lui. Si, après

qu'il vous aura poursuivi quelque temps, il se désiste & retourne sur ses

Page 161: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

161

pas, poursuivez-le à votre tour, & ne le quittez point que vous ne l'ayez

entièrement défait.

Parmi les troupes dont une armée est composée, il y a toujours

quelques braves, quelques hommes plus forts & plus robustes que les

autres ; il y a toujours quelques hommes agiles & d'une légèreté plus

qu'ordinaire, il y a toujours quelques hommes d'une intrépidité à toute

épreuve. Ces hommes distingués des autres par quelqu'une des

qualités que je viens de nommer doivent l'être aussi par les bons

traitements & les récompenses : ils sont l'âme d'une armée, c'est d'eux

en partie que dépendent tous les succès ; ainsi il faut qu'un roi, il faut

qu'un général sache les employer suivant leurs talents.

Les braves doivent rester dans les rangs : par leur contenance &

leur manière d'agir ou de combattre, ils inspireront du courage & de la

valeur aux plus lâches même.

Ceux qui ont de la force & qui sont robustes, doivent avoir leur place

parmi les travailleurs ; faudra-t-il creuser des canaux, des puits ou des

fossés ? faudra-t-il planter ou arracher des pieux ? faudra-t-il abattre

des portes ou des murs ? ce sont eux qu'il faut commander ; ils se

feront obéir par la multitude & viendront à bout de tout ce qu'ils

entreprendront.

Ceux qui sont agiles & légers à la course, doivent sans cesse courir ;

ils doivent harceler les ennemis, les provoquer, les insulter, & leur

enlever sans cesse quelques provisions ou quelques partis.

Les intrépides doivent être employés aux choses extraordinaires :

qu'ils aillent enlever les étendards des ennemis jusqu'au milieu de leurs

rangs, jusqu'au centre de leur armée ; qu'ils p.190 portent la terreur & la

mort sous la tente même de leurs généraux. De tels hommes doivent

vous être chers : il faut que vous leur témoigniez votre attachement &

votre tendresse en les flattant, en leur donnant des éloges, en leur

faisant des dons, en les avançant dans les grades militaires ; il faut que

vos bienfaits s'étendent sur toutes leurs familles ; il faut que leurs

pères & mères, que leurs femmes & leurs enfants ne puissent jamais

Page 162: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

162

regretter leur présence ; il faut quelquefois leur aplanir le chemin du

retour, en leur accordant une honnête retraite ; il faut que, rendus à

leur famille, ils puissent briller encore parmi leurs concitoyens, & se

distinguer dans les charges ou dignités civiles comme ils l'ont fait dans

les emplois militaires. Les sujets d'un royaume où le mérite sera ainsi

récompensé, travailleront tous à se rendre dignes des bienfaits du sage

roi qui les gouverne. Le peuple sera un composé de vertueux & de

sages, & l'armée sera une assemblée de héros.

Cependant comme l'espérance des récompenses & des honneurs

peut engager à faire le bien, il faut que la crainte des châtiments & de

l'ignominie puisse empêcher de faire le mal : c'est pourquoi un bon

général doit être instruit jusques dans le plus petit détail, de tout ce qui

concerne ceux de ses officiers ou de ses soldats qui se sont distingués

des autres par quelqu'une des qualités dont je viens de parler ; il faut

qu'il sache tout leur bon & tout leur mauvais, & qu'il ait sans cesse l'œil

sur eux, afin que s'ils viennent à s'égarer, il puisse les reprendre ou les

punir, suivant la qualité de leurs fautes. Voilà, prince, la réponse à la

question que vous m'avez faite.

— Cela est très bien, dit Ouen-heou.

Ou-tse dit : Abstraction faite de tout le reste, il y a huit manières de

combattre l'ennemi, en considérant la situation où il peut se trouver

lorsque vous l'attaquerez, & où vous pourrez vous trouver vous-même.

p.191 Premièrement : pendant les rigueurs d'un froid très piquant, ou

bien lorsqu'il souffle quelque vent impétueux, soyez toute la nuit sur

pied, travaillez de toutes vos forces, rompez les glaces, passez les

rivières, qu'aucune difficulté ne vous arrête ; faites en sorte de pouvoir

attaquer dès le grand matin. Les ennemis qui vous croiront encore bien

loin, ne seront point sur leurs gardes : uniquement occupés à se

garantir des injures de l'air, ils ne penseront à rien moins qu'à

combattre. Le désordre où ils se trouveront à votre arrivée ne leur

permettra pas même de se mettre en état de défense ; vous les

enfoncerez, vous les battrez, vous les aurez à discrétion.

Page 163: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

163

Secondement : pendant les plus grandes chaleurs de l'été, lorsque

le soleil semble devoir tout embraser, mettez-vous en marche dès le

soir, ne vous arrêtez pas de toute la nuit, ne prenez ni repas ni repos ;

précipitez vos pas jusqu'au terme que vous vous êtes proposé.

En troisième lieu : après que les armées auront été longtemps à

s'observer, si les vivres commencent à vous manquer, si les troupes

sont menacées de quelque grand malheur, & si vous ne voyez aucune

issue pour vous tirer d'embarras, allez au combat.

Quatrièmement : si les provisions sont épuisées au point qu'on en

soit venu jusqu'à manger les chevaux ; si au défaut de riz on n'a pas

même des herbages, que de plus un ciel constamment couvert annonce

des pluies qui doivent durer quelque temps, hâtez-vous d'aller au

combat.

En cinquième lieu : si vos troupes, en moindre nombre que celles

des ennemis, sont outre cela campées en des lieux peu avantageux ; si

les maladies règnent parmi les hommes ou parmi les chevaux ; si,

pressé de toutes parts, vous n'avez p.192 raisonnablement aucun

secours à attendre, il faut absolument en venir aux mains ; risquez le

sort d'une bataille.

Sixièmement : quoique le soleil soit déjà prêt à se coucher, si tout à

coup il vous vient des avis certains que l'ennemi n'est pas loin, qu'il a

fait un long trajet, que son intention est de se trouver le lendemain en

présence, & de vous attaquer ; ne perdez pas un moment ; allez le

surprendre lorsqu'il est sans armes & sans boucliers & qu'il ne pense

qu'à se délasser de ses fatigues, à préparer son repas ou à se livrer au

sommeil.

En septième lieu : si chez les ennemis il y a des généraux dont ils ne

fassent pas grand cas ; si leurs officiers ne sont pas estimés, qu'en

conséquence les soldats n'osent pas se produire, allez au combat.

Huitièmement enfin : avant que les ennemis aient rangé leur armée

en bataille, avant même qu'ils aient campé, lorsqu'ils auront passé en

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Art militaire des Chinois

164

partie par quelque défilé ou par des endroits escarpés, attendez-les au

passage, combattez-les.

Telles sont les occasions & les circonstances ou vous ne devez point

hésiter d'en venir aux mains & d'attaquer le premier ; j'ose vous

répondre d'un heureux succès.

Un bon général ne doit pas se contenter de savoir quand il doit

attaquer, il faut qu'il sache aussi quand comment il doit battre en

retraire & éviter tout combat. Il y a six sortes de circonstances où il

faut bien se donner de garde de vouloir se mesurer avec l'ennemi.

La première : si vos ennemis sont maîtres d'un pays vaste & bien

peuplé ; si malgré la multitude des hommes qui l'habitent, la plupart y

vivent à leur aise ou dans l'abondance, & si leurs armées sont

nombreuses & bien entretenues, le meilleur parti que vous ayez à

prendre, est d'éviter tout combat, & de ne pas même entreprendre la

guerre. p.193

La seconde : si vos ennemis sont gouvernés par un bon roi, par un roi

qui gagne le cœur de ses sujets en les comblant de bienfaits, vous ne

gagneriez rien en combattant ; vos victoires mêmes vous deviendraient

funestes : le plus sûr & le meilleur pour vous est de vous retirer.

La troisième : des ennemis chez qui la vertu est récompensée & le

vice puni, sans aucune distinction, sont des ennemis que vous devez

redouter : ils ne se contentent pas d'aimer la justice en toutes choses,

ils pratiquent ce qu'elle enseigne. Qu'obtiendrez-vous par les armes que

vous ne puissiez obtenir par la négociation ?

La quatrième : si vos ennemis sont tels qu'ils mettent à la tête des

autres ceux qui se sont rendu recommandables par quelque belle action,

qu'ils donnent les emplois importants aux sages qu'ils peuvent avoir parmi

eux, qu'ils choisissent pour les expéditions ceux qui ont une capacité

reconnue ; évitez leur rencontre, n'ayez rien à démêler avec eux.

La cinquième : en général, ne combattez jamais avec des ennemis

plus nombreux & mieux armés que vous.

Page 165: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

165

La sixième : si vos ennemis peuvent recevoir du secours de

quelques-uns de leurs voisins, s'ils sont sous la protection de quelque

grand prince, s'ils ont beaucoup d'alliés, n'hésitez pas à prendre le parti

de la retraite ou à faire la paix ; c'est le parti le plus sûr & le plus

glorieux pour vous. Pour tout dire en deux mots, connaissez

parfaitement toutes les difficultés que vous auriez à vaincre, n'ignorez

aucun des risques que vous pourriez courir d'être vaincu : c'est sur ces

connaissances que vous devez prendre votre parti.

Ou-heou dit :

— En voyant les dehors de l'ennemi, je voudrais pouvoir

connaître ce qu'il a déterminé dans le secret de son conseil ;

lorsqu'il vient à nous pour nous attaquer ou pour s'emparer

de quelques-unes de nos possessions, je voudrais p.194 savoir

au juste quelles sont les véritables raisons qui l'ont

déterminé, quelles sont les mesures qu'il a prises, & ce que je

dois faire pour rompre ses desseins : pourriez-vous

m'apprendre le moyen d'en venir à bout ?

— Je vais tâcher de vous satisfaire, répondit Ou-tse.

Si les ennemis s'avancent tranquillement de votre coté, & avec

nonchalance ; s'il paraît qu'ils ne sont en garde sur rien ; si vous voyez

leurs drapeaux & leurs étendards flotter, sans ordre & sans distinction,

tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; si leurs cavaliers & leurs fantassins

semblent s'entretenir en chemin, ne cherchez pas à pénétrer leurs

desseins, ils n'en ont aucun ; un seul des vôtres peut en battre dix des

leurs. S'ils entrent dans vos possessions avant l'arrivée des

gouverneurs de province qui doivent leur amener des troupes ; si leurs

généraux ne se sont point abouchés ensemble pour concerter un

dessein général d'attaque ; si leur roi n'est pas d'accord avec ses

grands ; s'il y a de la mésintelligence dans leur conseil ; s'ils

entreprennent quelque chose avant que de s'être fortifiés dans leur

camp ; si avant que d'avoir fait les circonvallations & dressé les

palissades, le grand nombre de leurs soldats témoigne de la crainte,

Page 166: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

166

que vous importe d'en savoir davantage ? combattez hardiment, vous

ne sauriez être vaincu.

Ou-heou dit à Ou-tse :

— Je veux savoir de vous quelles sont en général les

circonstances les plus propres pour combattre l'ennemi.

— Il est aisé de vous satisfaire, répondit Ou-tse.

Pour combattre l'ennemi avec avantage, il faut commencer par le bien

connaître ; je veux dire qu'il faut que vous sachiez en quoi il peut

manquer dans la conduite des troupes, & que vous soyez au fait de tous

les embarras où il peut se trouver, afin de pouvoir en profiter pour

l'exécution de vos desseins. Ainsi p.195 lorsque l'ennemi viendra de loin,

dans le temps que ses troupes sont le plus fatiguées, avant qu'il ait

rangé son armée en bataille, attaquez-le. Vous pouvez l'attaquer encore

un peu avant le temps du repos, pendant qu'il se dispose à prendre ses

repas : il faut l'attaquer lorsque vous le saurez dans un état de misère

ou d'extrême fatigue, lorsqu'il n'aura pas pour lui l'avantage du terrain,

lorsqu'il aura laissé passer le temps favorable pour lui, qu'il s'obstinera à

poursuivre des projets qu'il devrait abandonner ; lorsqu'ayant à passer

par des endroits peu spacieux, la tête de son armée ne saurait être

secourue par le reste de ses troupes ; lorsqu'ayant eu une rivière à

passer, il n'y a que la moitié de son armée qui soit en-deçà, tandis que le

reste cherche encore un passage de l'autre coté ; lorsque leurs drapeaux

& leurs étendards sont pêle-mêle & sans distinction ; lorsqu'ils changent

la disposition où ils étaient auparavant ; lorsqu'il y a de la

mésintelligence entre les généraux & les troupes qu'ils commandent.

Dans toutes ces circonstances, allez avec intrépidité contre des ennemis

qui ne sauraient vous résister ; ne perdez pas un moment de temps ; il

n'y a pas à délibérer ; leur situation, l'état présent où ils se trouvent,

tout vous promet un heureux succès.

@

Page 167: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

167

Article III

Du gouvernement des troupes

@

p.196 Ou-heou dit à Ou-tse :

— Dites-moi, je vous prie, par où il faut commencer, & ce

qu'il faut faire pour bien gouverner les troupes.

Ou-tse répondit :

— Pour bien gouverner les troupes, il faut avant toutes choses

savoir clairement ce que c'est que les quatre sortes de

légèretés, les deux sortes de gravités, & l'unique & véritable

force.

— Qu'entendez-vous par là, reprit Ou-heou ? donnez-m'en

une explication claire.

— Je vais tâcher de vous satisfaire, répondit Ou-tse.

Légèreté des chevaux sur la surface de la terre, légèreté des chars sur

les chevaux, légèreté des hommes dans les chars, légèreté des soldats

dans le combat ; telles sont les quatre sortes de légèretés qu'il faut

connaître & se procurer.

Savoir quels sont les lieux difficiles & scabreux, pour les éviter ;

connaître les chemins pleins & unis, pour les suivre, c'est rendre la

terre aisée sous les pieds des chevaux.

Avoir un grand soin des chevaux, ne manquer jamais de leur donner

la paille & les grains dans les temps convenables, c'est rendre les chars

légers sur leurs corps ; graisser à propos les roues, c'est rendre le poids

des hommes moins pesant sur les chars.

Les armes bien affilées, les cuirasses à l'épreuve de tous les traits,

rendent le soldat léger dans le combat. Récompenser à propos le

mérite, punir les fautes, & les punir suivant leur grièveté, & sans

Page 168: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

168

acception de personne, voilà les deux sortes de gravités. Vous les

posséderez au point qu'il faut, si les p.197 récompenses sont données

avec libéralité, si les châtiments sont distribués avec rigueur. Être

ferme & inébranlable quand il s'agit de faire observer la discipline, voilà

l'unique & véritable force. Si vous avez toutes ces qualités, vous serez à

la tête d'une armée invincible.

— Que faut-il faire encore, dit Ou-heou, pour s'assurer de la

victoire ?

— Gouvernez bien vos troupes, répondit Ou-tse, & vous

vaincrez.

— Quoi ! reprit le prince, ne faut-il pas outre cela avoir une

bonne armée ? Ne faut-il pas avoir un grand nombre de gens

de guerre, ou tout au moins en avoir autant que les ennemis

peuvent en avoir eux-mêmes ?

— Cela n'est pas nécessaire, répondit Ou-tse ; eussiez-vous

une armée composée d'un million d'hommes, si vous ne savez

pas distinguer & récompenser le mérite, si vous n'employez

pas les châtiments, si lorsque vous faites battre sur les

bassins, vos troupes ne s'arrêtent pas, si elles n'avancent pas

au signal que leur en donneront les tambours, ne comptez pas

sur elles, vous n'avez rien à en espérer, vous serez vaincu.

Bien gouverner les troupes, c'est pouvoir les mettre en mouvement,

ou les tenir dans l'inaction toutes les fois qu'on le veut ; c'est savoir &

pouvoir les faire marcher sans obstacles, les faire reculer sans danger &,

soit qu'elles avancent ou qu'elles reculent, les contenir de façon qu'elles

gardent toujours leurs rangs ; c'est savoir mettre les différents corps qui

composent votre armée dans une telle disposition qu'ils puissent tous,

sans en excepter aucun, obéir aux signaux d'un même étendard toutes

les fois que vous le jugerez à propos ; c'est, dans un cas de déroute,

savoir rallier promptement ceux qui seraient débandés, ou qui auraient

fui ; c'est savoir faire rentrer dans le devoir ceux qui s'en seraient

écartés ; c'est savoir maintenir les soldats dans la joie, sans p.198

Page 169: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

169

pourtant autoriser le désordre ; c'est savoir leur inspirer la crainte en

même temps que la confiance ; c'est savoir les occuper continuellement

sans les fatiguer ; c'est faire en sorte de mériter le glorieux titre de leur

père, & de leur inspirer les tendres sentiments de fils.

Ou-tse dit : Tout homme de guerre doit regarder le champ de

bataille comme le lieu où il doit finir ses jours : s'il cherche à vivre, il

périra ; si au contraire il ne craint pas de mourir, sa vie est en sûreté.

Des guerriers prêts à combattre peuvent se comparer à des nautoniers

qui seraient dans un vaisseau percé, ou à des gens qui se trouveraient

dans une maison que le feu serait sur le point de réduire en cendres,

s'ils ne se donnent toutes sortes de mouvements pour éteindre

l'incendie. Ceux qui sont dans l'un ou l'autre de ces cas, n'attendent

pas & ne perdent pas le temps à délibérer sur ce qu'il faudrait faire ; ils

agissent, ils travaillent de toutes leurs forces, ils n'espèrent pas qu'il

leur vienne des secours extraordinaires pour les tirer d'embarras ; ce

n'est que dans leur courage, dans leur adresse & dans leur activité

qu'ils espèrent trouver leur salut. Tels doivent être les guerriers au

moment du combat ; en attendant l'ennemi il faut tout prévoir ; quand

on est en présence il faut faire usage de ce qu'on a prévu, il faut

vaincre ou mourir.

Ou-tse dit : Un guerrier sans aucun talent pour son art est un

homme mort ; un guerrier sans expérience est un homme vaincu ; c'est

pourquoi, instruire les soldats, les exercer souvent, sont les deux points

essentiels du gouvernement des troupes. Ayez un homme qui soit

parfaitement instruit de tout ce qui concerne l'art militaire, il peut en

peu de temps en rendre dix autres aussi habiles que lui ; dix peuvent

en former cent ; cent en formeront mille ; mille peuvent facilement en

former dix mille. Si dans votre armée il y a dix mille p.199 hommes de

bonnes troupes, il ne tiendra qu'à vous de la rendre telle qu'elle ne soit

composée que d'excellents guerriers, quelque nombreuse qu'elle puisse

être. Rapprocher les objets éloignés, & les envisager comme s'ils

étaient présents ; dans le temps de l'abondance prévoir celui de la

disette & s'y préparer ; faire prendre promptement & sans embarras

Page 170: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

170

une forme circulaire à des troupes qui seraient rangées en carré ;

savoir les faire arrêter tout à coup lorsqu'elles sont dans le plus fort de

l'action ; pouvoir les faire mettre en mouvement avec diligence & sans

confusion, dans le temps même qu'elles ne respirent que le repos ; les

faire passer quand on le veut & comme on le veut de la droite à la

gauche & de la gauche à la droite ; pouvoir changer dans un moment la

disposition totale de son armée, sans le moindre désordre, c'est être en

état de commander. Ce n'est qu'à ces conditions qu'on peut se flatter

d'avoir des soldats bien instruits & bien exercés dans l'art qu'ils

professent, & d'avoir d'excellents guerriers.

Ou-tse dit : Tous les hommes dont une armée est composée ne

peuvent pas être employés indifféremment à tout : il y a un choix à

faire, un général doit y avoir égard. Voici à mon avis, ce qu'il est à

propos d'observer.

Les hommes de petite taille peuvent se servir avec avantage de la

pertuisane & de la lance : ce sont les armes qui leur conviennent. Les

flèches & les javelots doivent être destinés à ceux qui sont d'une taille

avantageuse. Ceux qui ont du courage doivent être chargés des

drapeaux & des étendards. Ceux qui ne sont susceptibles d'aucune

crainte doivent porter les tambours & les bassins. Le soin des chevaux

& de tout ce qui les concerne doit être confié à ceux qui sont de

complexion faible, ou qui n'ont aucune force de corps ; il faut les

envoyer au fourrage & à la découverte des lieux. Ceux qui ont des

lumières & un jugement sain doivent être consultés dans tout ce qu'on

entreprend, ils doivent traiter les p.200 affaires. Outre ce que je viens de

dire, il faut encore que vous vous conduisiez de telle façon que tous les

habitants des villages qui sont voisins des lieux où vous avez établi

votre camp, que tous les paysans des campagnes d'alentour soient

dans vos intérêts ; ils peuvent vous être d'un grand secours, ou vous

porter un préjudice considérable, par les avis faux ou vrais, par les

instructions bonnes ou mauvaises qu'ils sont en état de vous donner. Il

faut que votre armée soit tellement rangée que tous les corps qui la

composent puissent mutuellement se défendre & se secourir au premier

Page 171: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

171

besoin. Il faut que tout le monde soit attentif au son des tambours &

des bassins, & obéisse promptement à tous les signaux qui seront

donnés.

Les signaux ordinaires du tambour seront, le premier pour ordonner

les préparatifs, le second pour obliger chaque corps à se placer dans le

quartier qu'on lui aura assigné, le troisième pour inviter au repas, le

quatrième pour obliger à endosser la cuirasse & à se revêtir de ses

armes ; lorsqu'on entendra le cinquième, on formera les rangs & l'on se

tiendra prêt à marcher ; & au sixième on déploiera les étendards, on se

mettra en marche, ou on commencera l'action.

Ou-heou demanda à Ou-tse :

— Peut-on savoir sûrement quand il est à propos de faire

avancer les troupes & quand il faut les arrêter ?

Ou-tse lui répondit :

— Ne couvrez jamais le foyer du ciel : ne vous élevez point

jusques sur la tête du dragon. J'appelle foyer du ciel les

vallées profondes ou les gorges qui sont entre des

montagnes ; gardez-vous bien d'y conduire jamais votre

armée. J'appelle tête du dragon le haut de ces montagnes

escarpées dont la cime va se perdre dans les nues ;

n'entreprenez point d'y faire monter vos troupes.

Il faut absolument que les dragons noirs soient à la gauche, & les

tigres blancs à la droite. Les oiseaux rouges doivent être p.201 placés à

la tête, & les esprits qui président aux armes à la queue ; le centre est

la place des sept étoiles 1 ; par leur influence & par leur arrangement,

elles mettront en mouvement tout ce qui les environne. Il faut qu'en les

voyant tous les corps de l'armée sachent ce qu'ils doivent faire.

1 Tout ce qui est dit dans cette phrase ne regarde que les drapeaux ou étendards sur

lesquels étaient peints les dragons noirs, les tigres blancs, les oiseaux rouges, les esprits qui président aux armes & les sept étoiles. Ceux qui avaient sur leurs

habillements ou sur leurs boucliers les mêmes symboles étaient rangés sous les

étendards dont ils portaient les marques, & aux signaux desquels ils obéissaient.

Page 172: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

172

Si, lorsqu'on est sur le point de combattre, le vent souffle du côté

qui vous est opposé, ne sortez pas de vos lignes ; ou si vous en êtes

déjà sorti, tâchez d'y rentrer pour attendre que le vent ait cessé ou qu'il

vous soit devenu favorable. Le vent contraire est un ennemi beaucoup

plus dangereux que celui qui est armé de flèches & de dards.

Ou-heou demanda à Ou-tse :

— Comment faut-il pourvoir à la nourriture des hommes &

des chevaux, lorsqu'on est en campagne ?

Ou-tse répondit :

— Je vais vous apprendre comment il faut faire pour avoir de

bons chevaux : je satisferai dans un autre temps au reste de

la demande que vous me faites.

Les chevaux, pour être bons, doivent être entretenus proprement. Il

faut qu'ils soient dans des lieux où il y a de bons pâturages. En hiver, il

faut les tenir à l'abri des grands froids, & en été ils ne doivent pas être

exposés aux excessives chaleurs. En tout temps leur nourriture ne doit

être que suffisante. S'il y a du trop, ils deviennent paresseux &

indociles ; s'il y a du trop peu, ils deviennent faibles & languissants ;

dans l'un ou l'autre de ces deux excès, ils sont également inutiles. Il

p.202 faut qu'il y ait un temps réglé pour les faire paître, un temps fixe

pour les abreuver. Il ne faut laisser passer aucun jour sans les

bouchonner & les étriller. Il faut surtout que leur crinière & leur queue

soient toujours en bon état. La propreté sert beaucoup à empêcher

qu'ils ne contractent des maladies ; elle les entretient frais & dispos, &

les rend propres à tout. Il faut accoutumer leurs oreilles à toute sorte

de bruit, & leurs yeux à toute sorte d'objets. Des chevaux indociles &

ombrageux causent quelquefois la perte de toute une armée. Ne les

faites pas courir hors de propos : donnez-leur un pas qui tienne le

milieu entre le trot & le galop ; qu'ils soient formés à prendre tous les

mouvements que vous voudrez leur donner : qu'ils puissent avancer ou

reculer, tourner à droite ou à gauche selon que vous le leur indiquerez.

Il faut que les hommes soient accoutumés aux chevaux, & que les

Page 173: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

173

chevaux connaissent les hommes ; qu'un même cheval ait toujours une

même bride, une même selle, un même mords. Ne changez aucune de

ces choses sans nécessité ; qu'elles soient toujours propres, en bon

état & bien assorties. S'il arrive quelquefois que, le jour étant sur son

déclin vous vous trouviez encore éloigné du gîte, ne pressez pas pour

cela vos chevaux. Il vaut mieux que les hommes souffrent quelque

chose, que les chevaux soient harassés. Il est même à propos, dans ces

sortes d'occasions, que tout le monde mette pied à terre, & qu'on mène

les chevaux par la bride 1 ; car plus vous les ménagerez, mieux ils vous

p.203 serviront, quand il s'agira de combattre l'ennemi. Si vous observez

ce que je viens de dire, les mêmes chevaux pourront vous suffire à

traverser le monde entier, s'il est nécessaire.

@

1 C'est une coutume à la Chine de délasser les bêtes de somme, chevaux, mulets &

autres, en les faisant aller & venir à pas comptés pendant environ une demi-heure de temps, surtout si c'est après une course un peu longue. Si on n'usait pas de cette

précaution, les bêtes seraient bientôt hors de service.

Les Chinois de même que les Tartares ne ferrent pas leurs chevaux.

Page 174: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

174

Article IV

Du général d'armée

@

Ou-tse dit : Pour être en état de commander les armées, il ne faut

pas être moins habile dans les lettres que dans les armes ; il faut savoir

tirer parti du faible comme du fort. Il n'est personne qui ne se croie en

état de donner des avis aux généraux ; il n'est personne qui ne parle

des qualités qu'il doit avoir ; mais la plupart le sont sans connaissance

de cause, & regardent la valeur comme ce qu'il y a de plus essentiel

pour celui qui est à la tête des troupes.

Qu'un général ait de la valeur, à la bonne heure ; mais s'il n'a que

cette qualité, je ne crains pas de le dire, il n'est point digne de

commander. La valeur seule n'est pas assez prévoyante, elle va toujours

en avant, & ne considère pas assez ses véritables intérêts ; elle présume

trop d'elle-même, & se met trop aisément au-dessus de toute espèce de

crainte ; elle n'est pas assez attentive, & croirait se dégrader si elle

prenait de certaines précautions, fussent-elles guidées par la sagesse elle-

même. Cependant il y a cinq articles auxquels un général doit toute son

attention. Le premier consiste dans la manière de gouverner en général ;

le second, dans la manière de faire les dispositions & les préparatifs

nécessaires ; le troisième dans la diligence à exécuter ce qu'on

entreprend ; le quatrième, dans l'exactitude à employer tous les moyens

& à garder tous les usages ; & le cinquième, dans la manière de prendre

son parti dans les différentes occasions qui peuvent se présenter. p.204

La manière de gouverner doit être telle qu'on puisse donner ses

ordres, les faire exécuter par l'armée entière avec la même facilité qu'on

trouverait à ne commander que quelques personnes. Les préparatifs

seront tels qu'ils doivent être, si dès le premier jour de votre marche

jusqu'à celui qui finira la campagne, vous ne cessez jamais d'être en état

de faire face à l'ennemi, de le combattre, quelque part que vous puissiez

le rencontrer & dans quelque circonstance que ce puisse être.

Page 175: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

175

Les projets une fois concertés, les mesures une fois prises, il ne faut

aucun délai dans l'exécution ; rien ne doit plus arrêter ; on ne doit plus

craindre ni les fatigues, ni les peines ni les dangers, ni la mort même.

Par l'exactitude à employer tous les moyens & à garder tous les

usages, je n'entends autre chose ici, si ce n'est qu'il faut toujours faire

observer exactement la discipline militaire ; qu'il ne faut jamais

s'endormir à l'abri de ses prospérités ; qu'après la victoire même la

plus complète, il faut être prêt à se mesurer avec de nouveaux ennemis

& à recommencer le combat.

La manière de prendre son parti dans les différentes occasions ne

saurait se déterminer. C'est aux lumières & à la prudence du général

qu'il faut s'en rapporter. Que les châtiments & les récompenses soient

fixes ; que les fautes restent rarement impunies ; mais qu'une belle

action soit toujours récompensée. Dès qu'un général a reçu de son

souverain l'ordre de se mettre à la tête de ses troupes, il ne doit rentrer

chez lui qu'après la défaite entière des ennemis. Il n'a plus de maison,

il n'a plus ni parents ni amis ; le camp, ses soldats doivent lui tenir lieu

de tout. S'il meurt à la tête de ses troupes, le jour de sa mort sera un

jour de triomphe pour lui & pour tous ceux qui lui appartiennent.

p.205 Ou-tse dit : Il y a quatre sortes d'attentions à faire pour celui

qui est à la tête d'une armée. La première regarde le temps, la seconde

le lieu, la troisième les circonstances, & la quatrième l'état où les

troupes se trouvent actuellement.

Dix mille officiers, cent mille soldats, toute une armée, de quelque

nombre qu'elle soit composée, se trouvent à la disposition d'un seul

homme ; ce seul homme, c'est le général. Quel temps plus favorable

pour montrer ses vertus, pour faire paraître au grand jour ses belles

qualités, pour illustrer sa patrie, pour immortaliser son nom & celui de

son roi ? C'est le temps de se surpasser lui-même, &, si j'ose le dire, de

se mettre au-dessus de l'humanité.

Les chemins ne sont pas toujours unis, les routes ne sont pas

toujours sûres ; il y a des plaines & des montagnes, des lieux scabreux

Page 176: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

176

& des terrains aisés ; il y a des précipices & des défilés, des lieux arides

& des lieux marécageux : un général doit les connaître, pour en tirer

tout le parti qui lui paraîtra le plus convenable & le plus avantageux.

Rien ne doit lui échapper.

Les circonstances ne doivent point être l'effet du hasard ; un habile

général sait les faire naître à point nommé. Il sait l'art de commander &

de se faire obéir ; il sait se faire aimer & craindre en même temps ; &

comme il a l'estime des siens, on lui suppose les vues les plus

profondes dans tout ce qu'il entreprend, n'y eût-il de sa part aucun

dessein prémédité ; il sait l'art d'en imposer à l'ennemi, de semer la

discorde parmi les officiers généraux tant de l'armée qu'il doit

combattre que des villes qu'il veut conquérir, celui de faire en sorte que

les subalternes les méprisent, de mettre la division entre leurs soldats,

&, en un mot, celui de disposer d'eux tous à son gré.

Un général peut raisonnablement se flatter des plus heureux succès,

s'il a fait en sorte que ses troupes soient bien exercées p.206 & propres à

toutes les évolutions, s'il les a rendu ennemies de l'oisiveté & du repos,

s'il les a rendu capables de souffrir la faim, la soif & la plus extrême

fatigue sans se décourager ; si les chars, tant ceux qui sont armés que

ceux qui sont pour le bagage, sont toujours en bon état ; s'ils ont, par

exemple, de bonnes roues, de solides ferrements, & si tout ce qui les

compose est assez fort pour résister aux secousses des chemins les

plus mauvais ; si les barques, tant celles qui sont pour le transport des

vivres & des munitions, que celles qui sont pour combattre, ont de bons

avirons & de bons gouvernails, si elles sont fortes & bien lestées, si

elles peuvent servir pour les différentes évolutions ; si les chevaux

peuvent être d'un bon service, c'est-à-dire, s'ils sont bien dressés, s'ils

sont dociles au frein, & s'ils prennent tous les mouvements qu'on

voudra leur donner. Celui qui sait avoir toutes ces attentions, & qui

entre dans tous ces détails, comme pour se délasser, a quelques-unes

des qualités qui constituent un bon général. Mais il ne les a pas toutes

encore : il faut de plus qu'il ait de la majesté, de la bravoure, de la

vertu & de l'humanité ; s'il est tel, il sera obéi, respecté, estimé, aimé

Page 177: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

177

des siens ; il sera craint & redouté des ennemis ; ses moindres volontés

seront des ordres ; tous ses combats seront des victoires ; il sera le

soutien de son prince, la gloire de son règne, l'auteur de la tranquillité

publique, & la terreur de ses ennemis.

Ou-tse dit : Les bassins & les tambours doivent parler aux oreilles, les

drapeaux & les étendards doivent parler aux yeux, les récompenses & les

châtiments doivent parler aux cœurs. Si le son des bassins & des

tambours ne désigne pas clairement quels sont les ordres de celui à qui

tout doit obéir, si les couleurs & les différents arrangements des drapeaux

& des étendards n'instruisent pas suffisamment ceux dont ils doivent être

suivis, si les châtiments & les récompenses n'ont p.207 rien qui puisse

piquer l'émulation ou inspirer la crainte, quelque puissant que soit un

royaume, quelque nombreuse que soit une armée, on ne doit s'attendre

qu'à des défaites & à des malheurs. Un bon général doit donner ses ordres

d'une manière claire & précise sans ambiguïté ni confusion : instruite de

ses volontés, l'armée entière doit s'ébranler au premier de ses signaux ;

tous ceux qui la composent doivent être disposés à toutes sortes de

marches & d'évolutions, ils doivent être prêts à affronter la mort & à la

recevoir avec joie pour l'honneur de la patrie & la gloire du souverain.

Ou-tse dit : Un des points les plus essentiels pour le bon

gouvernement des troupes, lorsqu'elles sont à la veille de quelque

grande action, ou lorsqu'elles sont simplement en campagne, est de

connaître à fond ceux contre lesquels on doit combattre. Il faut qu'un

général soit au fait de toutes les qualités, bonnes ou mauvaises, de son

adversaire ; il faut qu'il ait une attention continuelle à observer toutes

ses démarches, car c'est sur elles qu'il doit régler sa propre conduite ; il

faut qu'il sache mettre à profit la moindre de ses fautes, la plus petite

de ses inadvertances.

Si le général ennemi est d'un tempérament qui le porte à la

présomption & à l'étourderie, il faut lui tendre des pièges, il faut sans

cesse lui donner le change ; s'il est avare, & qu'il préfère les richesses à

l'honneur, les petits avantages à la gloire de se faire un nom, il faut le

Page 178: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

178

séduire par les promesses & le corrompre par l'argent ; s'il est sans

prévoyance, & que son camp ne soit pas abondamment pourvu de tout,

il ne faut point en venir aux mains avec lui, il faut le laisser se morfondre

& le réduire aux abois ; s'il souffre que les officiers généraux soient

orgueilleux & dans l'abondance, tandis que les subalternes gémissent

sous le poids de la misère & manquent presque de tout, s'il laisse

murmurer impunément & qu'il p.208 souffre les dissensions & les inimitiés

qui pourraient naître parmi eux, il faut achever de les diviser ; si,

lorsqu'il s'agit d'avancer ou de reculer, il est comme en suspens, sans

savoir à quoi se déterminer, il faut lui fournir de nouveaux sujets de

crainte & l'engager par là à de fausses démarches ; s'il n'est pas aimé

des troupes, s'il n'a pas leur confiance, qu'à peine il en soit obéi &

respecté, il faut faciliter les moyens de désertion à tous ceux qui

pourraient avoir envie de l'abandonner, faire naître cette envie dans le

cœur même de ses plus fidèles soldats. S'il est campé dans des lieux

unis, tâchez de l'en faire sortir, & conduisez-le, pour ainsi dire, dans des

lieux scabreux ; quand vous l'y verrez engagé, donnez sur lui avec

toutes vos forces, & ôtez-lui tous les moyens de pouvoir retourner sur

ses pas ; s'il est campé dans des lieux bas, d'où l'eau n'ait aucune issue

pour pouvoir s'écouler, & qu'il vienne quelque pluie abondante, achevez

de l'inonder ; s'il est campé dans de fertiles campagnes où il ait à souhait

grains & fourrage, profitez du premier vent pour tout consumer par le

feu ; enfin s'il est campé depuis longtemps dans un même lieu, que ce

soit la paresse ou la crainte qui l'y retienne, allez le prendre au

dépourvu, vous l'enfoncerez sans peine.

— C'est fort bien, dit Ou-heou ; mais si je ne sais point dans

quel état sont les ennemis, si j'ignore entièrement quelles sont

les qualités bonnes ou mauvaises de leurs généraux, que dois-je

faire pour m'en instruire ? Je suppose que les deux armées sont

déjà en présence & qu'elles s'observent mutuellement.

— Voici, répondit Ou-tse, comment vous pourrez en venir à

bout.

Page 179: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

179

Parmi ceux qui ne sont pas entièrement de l'ordre inférieur, il faut

choisir ceux qui auront le plus de courage, le plus d'ardeur, & qui sont

prêts à tout entreprendre pour se faire un nom ou pour avancer leur

fortune : composez-en un petit corps p.209 & envoyez-le contre les

ennemis, non dans le dessein de les vaincre par le moyen de ce petit

nombre de braves que vous leur opposerez, mais seulement pour les

connaître & pour les essayer. De votre coté soyez continuellement sur vos

gardes, ayez l'œil à tout, que rien ne vous échappe : il faut que votre petit

corps d'élite avance, recule, attaque, se défende & fasse généralement

toutes les évolutions nécessaires pour faire développer tous les talents des

ennemis, ou pour les mettre dans l'occasion de montrer leur peu

d'habileté ; vous pourrez alors faire les observations suivantes.

Si, à la première alarme que vous leur ferez donner, les ennemis ne

font pas un bruit tumultueux dans leur camp ; s'ils ne sortent pas de

leurs lignes ou de leurs retranchements, s'ils se donnent le temps de

pouvoir tout considérer à loisir ; si, lorsque vous leur donnez l'appât de

quelque avantage, ils font semblant de ne pas s'en apercevoir ; si

lorsqu'ils sont sortis de leurs lignes vous voyez qu'ils marchent en

silence & en bon ordre, que leurs rangs sont bien formés & serrés à

propos, & que loin de se laisser prendre aux pièges qu'on pourrait leur

tendre ils en dressent eux-mêmes pour attirer l'ennemi, soyez sûr que

ce sont de bonnes troupes qui ont à leur tête d'excellents généraux : ne

vous pressez pas de les attaquer ; vous courriez risque d'avoir du

dessous. Si au contraire, dès que vos gens auront paru, les ennemis

sont surpris de votre petit nombre, & courent à vous pour tenter de

vous vaincre ou de vous enlever ; s'ils ne gardent aucun ordre dans

leur marche ; s'ils vont avec une entière sécurité & sans prendre les

précautions que la prudence exige, n'hésitez point sur ce que vous avez

à faire ; un pareil ennemi ne peut être que vaincu ; eût-il à sa

disposition les armées les plus nombreuses, il ne saurait vous résister.

@

Page 180: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

180

Article V

De la manière de prendre son parti dans les différents changements qui peuvent arriver

@

p.210 Ou-heou dit :

— Si une armée dans laquelle il n'y aurait que de bons chars,

d'excellents chevaux, des généraux habiles & des troupes

bien aguerries, rencontrant tout à coup l'ennemi, est mise en

déroute, & se trouve dans un désordre affreux, sans presque

s'en être aperçue ; que faut-il faire dans un cas pareil ?

Ou-tse répondit :

— Il faut distinguer les différents temps où ce malheur peut

arriver. Si c'est pendant la nuit que les ennemis soient venus

vous surprendre, il faut recourir promptement aux tambours,

aux trompettes & aux bassins ; si c'est en plein jour, il n'y a

pas à délibérer, c'est aux drapeaux, aux étendards & aux

pavillons que vous devez mettre le premier de vos soins ;

tous ces instruments doivent vous servir pour donner vos

ordres ; il faut par conséquent qu'ils soient à portée d'être

vus ou entendus de tout le monde ; il faut qu'ils soient, pour

ainsi dire, à vos cotés. Faites donner les différents signaux

auxquels vos troupes doivent être accoutumées, ralliez-les

promptement ; & s'il se trouve quelqu'un qui montre de la

négligence à obéir, qu'il soit mis à mort sur-le-champ : dans

une telle circonstance, vous ne devez votre salut qu'à votre

sévérité ; l'indulgence à laquelle vous pouvez être porté dans

d'autres occasions, causerait ici votre perte. Votre armée une

fois ralliée, combattez en bon ordre.

— Je comprends, dit Ou-heou. Mais si, lorsque je m'y

attendrai le moins, je vois tout à coup venir contre moi une

Page 181: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

181

armée très nombreuse, que faut-il que je fasse pour n'en être

pas accablé ? p.211

Ou-tse répondit :

— Il faut distinguer les lieux où vous vous trouverez alors : si

vous êtes dans des lieux vastes & spacieux, il faut vous retirer

à petit bruit, & aller camper ailleurs : si vous êtes dans des

lieux étroits, il faut vous retrancher & attendre que l'ennemi

vienne pour vous forcer ; en ce cas, dix contre un combattent

à armes égales. En général, ce n'est que dans des lieux

étroits, scabreux & de difficile accès, qu'une petite armée

peut se mesurer avec une armée nombreuse, & que dix mille

hommes peuvent combattre contre cent mille.

— Je suis au fait, reprit Ou-heou. Je me suppose à présent

dans une position toute singulière ; la voici : je suis à la tête

d'une nombreuse armée, composée d'excellentes troupes ;

mais je suis campé de façon que derrière moi sont des

montagnes escarpées ; à gauche, je ne vois que des

précipices ; à droite, j'ai des fleuves & des rivières, & je n'ai

devant moi que des lieux profonds & marécageux, pleins de

dangers. Les ennemis ont élevé de fortes redoutes de

distance en distance, ils sont bien armés & bien retranchés. Si

je veux retourner sur mes pas, c'est comme si je voulais

transporter des montagnes : si je veux avancer, c'est comme

si je courais à ma perte. Les vivres ne me manquent point

encore, mais enfin je ne saurais demeurer longtemps dans

une pareille situation sans m'exposer à me voir réduit à ce

qu'il y a de plus affreux. Dites-moi, je vous prie, ce qu'il

faudrait que je fasse en pareil cas.

Ou-tse dit :

— Il n'est pas aisé, prince, de satisfaire à la question que

vous me faites. Vous vous supposez dans les plus terribles

embarras où un général puisse jamais se trouver : cependant

Page 182: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

182

comme ce que vous venez de dire peut arriver, voici comment

vous pourriez vous tirer de ce mauvais pas, si vous aviez le

malheur ou l'imprudence de vous y engager.

p.212 Il faudrait commencer par faire une revue générale de vos

troupes ; vous les partageriez ensuite en cinq corps, qui seraient

comme autant de petites armées qu'il faudrait faire défiler en même

temps par autant de chemins particuliers. Il est vraisemblable que les

ennemis ne sauraient alors à quoi s'en tenir, ni quel parti prendre : ils

vous supposeraient des vues que vous n'auriez peut-être pas ; ils

craindraient d'être attaqués, & chercheraient à deviner par quel côté ;

ils n'oseraient vous attaquer les premiers, parce qu'ils ignoreraient vos

desseins ; vous poursuivriez ainsi tranquillement votre route, soit pour

aller au combat, soit pour battre en retraite, & vous tirer d'un lieu où

vous pourriez si facilement périr vous & toute votre armée.

Dans ces circonstances, si vous croyez pouvoir vous battre avec

succès, n'engagez aucun combat sans avoir fait les réflexions

suivantes. Si vous devez vaincre, ce ne sera ni par la bonté de votre

cavalerie, ni par la valeur de vos troupes ; votre bonne conduite, votre

prudence, votre habileté peuvent seules vous donner la victoire ; ainsi,

si les ennemis sont continuellement sur leurs gardes, s'ils connaissent

toute l'importance des postes qu'ils occupent, s'ils maintiennent une

exacte discipline parmi les soldats, contentez-vous d'abord de leur

envoyer quelques détachements pour les harceler & les engager par là

à vous montrer ce qu'ils peuvent entreprendre. A cette ruse ajoutez-en

une autre ; envoyez-leur des députés, écrivez-leur des lettres pour les

amuser par la voie des négociations : s'ils se laissent prendre à cet

artifice, allez les combattre lorsqu'ils s'y attendront le moins : si au

contraire ils sont dans de justes défiances, s'ils refusent d'entrer en

pourparler, s'ils ne veulent pas recevoir les lettres que vous leur aurez

écrites, s'ils les brûlent sans vouloir même les lire auparavant ; si

voyant que les gens que vous leur aurez p.213 envoyés ne sont que des

espions, ils les traitent comme tels & les font mourir en conséquence ;

n'allez pas témérairement contre de tels ennemis, ne précipitez rien,

Page 183: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

183

donnez-vous le temps de tout prévoir & de pourvoir à tout. Si le hasard

ayant fait naître l'occasion de quelque action particulière, il se trouve

que vos gens aient eu du dessous, gardez-vous bien d'en venir à une

action générale, évitez même avec un grand soin jusqu'au plus petit

combat, jusqu'à l'escarmouche ; si au contraire vos troupes ont été

victorieuses, faites aussitôt battre la retraite, empêchez-les d'aller à la

poursuite des fuyards : si les ennemis font semblant de prendre la

fuite, ou cherchent par d'autres voies à vous attirer au combat, allez à

eux en ordre de bataille, mais au petit pas. S'ils viennent à vous dans

l'intention de vous forcer au combat, préparez-vous à les bien

recevoir ; disposez tellement votre armée, que tous les corps qui la

composent puissent se soutenir mutuellement ; alors vous pourrez vous

battre en toute sûreté & vous tirer avec honneur du mauvais pas où

vous vous trouverez engagé.

— C'est fort bien, reprit Ou-heou : mais voici une autre

supposition que je fais. Mon armée se trouve vis-à-vis de celle

de l'ennemi qui veut me forcer à un combat que j'ai dessein

d'éviter ; la terreur s'est emparée du cœur de mes soldats ;

je voudrais me retirer & je ne trouve aucun chemin ;

comment sortir de cet embarras ?

— C'est, répondit Ou-tse, en usant de stratagèmes, que vous

pouvez, en pareil cas, vous sauver. Les circonstances, votre

situation, votre crainte même pourront vous les suggérer ;

cependant il faut avoir égard au nombre de vos troupes. Si

elles sont supérieures à celles des ennemis, tâchez de vous

ouvrir un passage au travers de leurs bataillons ; si au

contraire elles sont moins nombreuses, retranchez-vous le

mieux que vous p.214 pourrez ; usez d'artifices, donnez le

change, attendez le reste du temps & des occasions.

— Me voici, dit Ou-heou, dans une situation encore plus

fâcheuse. Je me trouve engagé dans mille périls ; je ne vois

autour de moi que précipices, que montagnes escarpées, que

Page 184: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

184

vallées profondes, que gorges, que défilés ; & par surcroît de

malheur une armée beaucoup plus nombreuse que la mienne

se montre tout à coup aux environs : que dois-je faire ?

— Ne perdez pas un moment de temps, répondit Ou-tse :

précipitez vos pas, soit que vous vouliez atteindre ou éviter

l'ennemi. Si la rencontre des deux armées s'est faite

subitement, & qu'il faille en venir aux mains, sans qu'il soit

possible de l'éviter, faites pousser de grands cris à vos

soldats : que le bruit des tambours, des trompettes & de tous

les instruments de guerre se joigne aux hennissements des

chevaux pour effrayer ou pour faire illusion à l'ennemi ;

envoyez vos tireurs de flèches légères & vos arbalétriers pour

faire les premières décharges ; soutenez-les, renouvelez-les,

ayez sans cesse des gens aux aguets qui observent tout, &

qui vous rendent compte de tout ; envoyez-en d'autres pour

enlever des vivres & des bagages : faites en sorte que

l'ennemi puisse se persuader qu'il y a plusieurs armées à ses

trousses ; en l'attaquant de plusieurs côtés à la fois, vous le

déconcerterez entièrement.

— Mais, reprit Ou-heou, si mon armée se trouve entre deux

montagnes fort élevées & dans un chemin fort étroit, que

dois-je faire ?

— Il faut, répondit Ou-tse, que vos meilleures troupes soient

à la tête des autres, que votre cavalerie & vos chars armés

soient placés séparément & en état de faire face à tout en cas

d'attaque, que vos pavillons & vos étendards soient déployés,

mais sans être élevés. Dans cette disposition, attendez de

pied ferme que l'ennemi veuille entreprendre quelque p.215

chose. S'il n'ose avancer & que vous ayez lieu de croire qu'il

ne sait à quoi se déterminer, faites marcher promptement

l'élite de vos troupes, ne lui donnez pas le temps de se

reconnaître ; poussez-le au-delà des montagnes ; alors faites

Page 185: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

185

agir votre cavalerie & vos chars pour lui inspirer la crainte &

le mettre entièrement en déroute.

— Voilà, dit Ou-heou, la manière de se tirer d'affaire lorsqu'on

est engagé dans des défilés. Mais si, me trouvant avec mon

armée dans des lieux humides, entrecoupés par des ravines &

des ruisseaux, dans des lieux pleins de marais, de vase ou de

boue ; si mes chevaux & mes chars sont tellement embourbés

qu'ils ne puissent m'être d'aucun secours ; & si, par surcroît

de malheur, n'ayant ni bateaux ni radeaux ni autres choses

semblables, j'apprends tout à coup que l'ennemi vient à moi,

dans la disposition de me combattre ; quel parti dois-je

prendre pour me tirer d'embarras ?

— Prince, répondit Ou-tse, laissez alors vos chevaux & vos

chars se tirer tranquillement d'affaire du mieux qu'ils le

pourront. Pour vous, à la tête de ce que vous aurez de

troupes légères, avancez promptement du côté où vous

découvrirez quelque hauteur. Si vous n'en apercevez aucune,

faites attention au courant des ruisseaux, remontez vers leur

source, vous ne tarderez pas à voir quelques coteaux ou

quelques lieux plus élevés que les autres ; rendez-vous-y le

plus tôt qu'il vous sera possible ; & quand vous y serez arrivé,

portez votre vue aussi loin qu'elle pourra s'étendre ;

examinez la contenance des ennemis ; donnez les signaux

nécessaires à vos troupes, tant à celles qui vous auront suivi,

qu'à celles qui seront encore dans l'embarras. Si vous voyez

que les ennemis s'engagent dans des lieux semblables à ceux

que vous venez de quitter, attendez que la moitié de leur

armée se soit mise hors p.216 d'état de pouvoir secourir

l'autre ; alors allez tailler en pièces celle qui sera le plus à

votre portée.

Ou-heou dit :

— Si le ciel constamment couvert se décharge par une si

grande abondance de pluie qu'il soit impossible de faire agir

Page 186: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

186

les chevaux & les chars, que, dans ces circonstances, l'ennemi

venant des quatre côtés, la terreur & la consternation se

répandent dans mon armée, quel est le parti que je dois

prendre ?

— Il ne faut pas attendre, répondit Ou-tse, que vous soyez

inondé pour penser à faire agir les chevaux & les chars : dès

les premières pluies mettez les uns & les autres dans une

position avantageuse ; faites-leur occuper les lieux élevés. Si

vous avez manqué à cette précaution, à une première faute

n'en ajoutez pas une seconde, en voulant tirer parti de ce qui

ne peut que vous nuire ou vous incommoder ; mettez tous

vos soins à dégager vos chevaux & vos chars, & par le moyen

des plus forts aidez les plus faibles, afin que tous ensemble

vous puissiez gagner les hauteurs ; quand vous y serez

parvenu, attendez sans inquiétude jusqu'à ce que ceux que

vous aurez envoyés à la découverte des chemins viennent

vous rendre compte de leur commission ; alors ou vous irez

attaquer l'ennemi, ou vous vous tiendrez simplement sur la

défensive, suivant que la prudence vous le suggérera. Si

l'ennemi décampe le premier suivez-le pas à pas jusqu'à ce

que vous ayez trouvé une occasion favorable pour le

combattre avec succès.

— Je n'ai plus qu'une question à vous faire, dit Ou-heou. Ce

n'est plus contre une armée entière que je dois combattre,

c'est contre une infinité de petits partis ; ce n'est plus contre

des troupes aguerries qui m'attaquent à découvert, c'est

contre différentes bandes de voleurs qui m'enlèvent tantôt

des bestiaux, tantôt des équipages, tantôt des provisions, &

toujours p.217 quelque chose : comment venir à bout de

pareils brigands ?

— Le parti le plus sûr que vous puissiez prendre, répondit Ou-

tse, c'est d'être continuellement sur vos gardes ; il faut de

plus que vos bestiaux ne s'écartent pas trop loin hors du

Page 187: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

187

camp ; il faut que les équipages soient toujours sous les yeux

de l'armée entière ; il faut que ceux que vous enverrez au

fourrage soient toujours bien soutenus, & que ceux qui les

soutiennent soient toujours prêts à tout évènement ; il faut

outre cela mettre des troupes en embuscade avec ordre de

n'attaquer les partis ennemis que lorsque ceux-ci, chargés de

butin, prendront à la débandade le chemin du retour ; vous

les mettrez aisément en pièces dans un temps où ils

penseront à peine à se défendre, & où ils se trouveront entre

deux feux.

Ou-tse dit :

— Après que vous vous serez rendu maître de quelque ville,

voici comment vous devez vous conduire. Assemblez les

principaux officiers de votre armée, mettez-vous à leur tête,

& rendez-vous dans le lieu où s'assemblent les magistrats

pour traiter les affaires ou juger les citoyens. Là, avec un air

de bonté & d'affabilité propre à gagner les cœurs, donnez vos

ordres en présence des chefs & des principaux du lieu ; faites-

leur voir que le premier de vos soins est d'empêcher que les

soldats ne se livrent au penchant qu'ils ont à commettre les

crimes qu'ils se croient comme permis dans ces sortes

d'occasions ; défendez sous de rigoureuses peines qu'on ne

fasse aucun dégât, qu'on n'enlève rien de force ; que les

maisons des citoyens soient comme sacrées, qu'on ne tue pas

même leurs animaux domestiques, qu'on n'arrache aucun

arbre, qu'on ne détruise aucun bâtiment, qu'on ne brûle

aucun magasin. Faites assigner, par les magistrats mêmes du

lieu, des logements pour vos troupes ; tenez-vous-en d'abord

à ce qu'ils auront déterminé, sauf à vous de faire ensuite les

p.218 changements qui vous paraîtront nécessaires lorsque

vous serez un peu mieux instruit. Dans la distribution des

emplois & des grâces, n'oubliez pas entièrement les gens du

Page 188: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

188

pays ; en un mot, que les vaincus puissent se féliciter en

quelque sorte de vous avoir pour vainqueur 1.

@

1 Quoique les différentes questions de Ou-heou & les réponses du général aient été

faites en différents temps, j'ai cru pouvoir les lier comme si elles avaient été faites dans

une même conversation. Il y a simplement dans le texte, Ou-heou dit, Ou-tse dit, &c. Du reste je n'ai rien ajouté aux idées de l'auteur, je les ai expliquées comme l'ont fait

ceux des commentateurs que j'ai constamment suivis dans tout le cours de cet

ouvrage.

Page 189: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

189

Article VI

Des véritables moyens d'avoir de bonnes troupes

@

Ou-heou demanda :

— Suffit-il pour avoir de bonnes troupes, de faire observer

une exacte discipline, de punir sévèrement, de récompenser

avec libéralité ?

— Prince, répondit Ou-tse, je n'entreprendrai pas de faire

l'énumération de tous les cas & de toutes les circonstances où

les récompenses doivent avoir lieu, ni de ceux où vous devez

employer les châtiments. Faire usage à propos des uns & des

autres est un article très important, auquel vous devez toute

votre attention.

Cependant ce n'est pas sur cela seulement que vous devez

vous appuyer ; il y a trois points essentiels d'où dépendent

également la bonté de vos troupes & tous vos succès.

Le premier : c'est de faire de si bonnes lois que, dès qu'elles

seront promulguées, tous ceux qu'elles regardent s'y

soumettent avec plaisir.

Le second : c'est de faire en sorte que dès qu'il y aura la p.219

moindre apparence de guerre, vos soldats ne soupirent

qu'après le moment du départ, & que dès qu'ils seront

rassemblés en corps d'armée, ils soient dans la plus grande

joie quand ils se croiront à la veille d'un combat.

La troisième enfin : c'est de disposer tellement le cœur de vos

guerriers, que ni leur éloignement au-delà des frontières, ni

leur séjour dans les lieux où ils pourront manquer de tout, ne

puissent leur faire perdre courage ou ralentir leur ardeur, &

qu'ils n'envisagent jamais la mort, de quelque part ou de

Page 190: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

190

quelque façon qu'elle leur vienne, que comme un sujet de joie

& de triomphe pour le prince, pour la patrie, pour le général,

pour eux-mêmes & pour tout ce qui leur appartient.

Ou-heou ne répliqua pas ; mais après avoir quitté Ou-tse, il fit

donner ordre à tous les gens de guerre qui étaient dans ses États,

d'avoir à se rendre dans un certain temps dans le lieu qu'il leur

détermina. Il fut obéi ; & quand l'assemblée fut formée, il s'y rendit en

personne, & la fit partager en trois classes. La première était de ceux

qui s'étaient rendu recommandables par quelque belle action, ou par

leur habileté dans l'art militaire. La seconde était composée seulement

de ceux qui avaient montré de la bonne volonté, & qui, sans s'être

distingués par aucun trait particulier de bravoure ou de capacité,

avaient cependant toujours été très assidus à remplir leurs devoir, &

n'avaient jamais commis de faute contre le service. La troisième

renfermait tous ceux qui n'avaient encore donné aucune preuve de ce

qu'ils pouvaient ou savaient faire dans l'exercice de leur profession 1.

p.220 On servit un repas magnifique, auquel le roi ne dédaigna pas

d'assister avec toute la cour. Tout y était somptueux, tout y était

délicat, tout y inspirait la joie. Il y avait cependant une grande

différence dans la manière dont les convives furent placés & servis.

Ceux de la première classe étaient aux tables supérieures, lesquelles

dressées sur une estrade fort élevée, & ornées avec beaucoup d'art &

de goût, offraient un spectacle des plus brillants : les mets qu'on y

servit étaient variés, abondants & délicatement apprêtés.

Au bas de ces premières tables, sur une estrade moins élevée,

étaient ceux de la seconde classe. Il s'en fallait bien que leurs tables

fussent aussi propres & aussi bien servies que celles de leurs voisins,

mais rien ne leur manquait de ce qui pouvait satisfaire leur appétit.

1 Il est à présumer que l'assemblée dont il s'agit ici, n'était composée que des guerriers de l'ordre supérieur, c'est-à-dire, des officiers. Il ne paraît pas probable que le roi

voulût donner un festin à tous ceux qui avaient porté les armes. Quoi qu'il en soit, on

conçoit quelle est l'idée de l'auteur, cela suffit.

Page 191: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

191

Au bas de ces deux rangs de tables, on avait dressé quelques ais

assez mal rangés, où ceux de la troisième classe eurent ordre de se

placer. Il n'y avait rien que de très commun dans les mets qu'on leur

servit & encore n'y en avait-il pas abondamment.

Pendant tout le temps du festin, le roi allait de table en table,

excitant les uns à manger, les autres à boire, disant des paroles

obligeantes à tous ceux en particulier qui avaient fait quelques belles

actions ; il les leur rappelait agréablement ; il leur demandait des

éclaircissements sur leurs familles, sur le nombre de leurs enfants, sur

leurs talents, &c. & après leur avoir fait espérer qu'il allait penser

sérieusement à leur fortune, il leur fit distribuer, en attendant ces

récompenses, de quoi se réjouir avec leurs parents & leurs amis, & leur

fit à tous quelques petits présents. Avant que de les renvoyer, il voulut

savoir de leurs propres bouches si, depuis qu'ils étaient au service, ils

n'avaient pas été oubliés dans la p.221 distribution des grâces, s'il n'était

jamais arrivé que quelqu'une de leurs belles actions eût été sans

récompense. Ceux qui se trouvèrent dans le cas furent sur-le-champ

dédommagés avec usure, & tous se retirèrent pénétrés de joie, de

satisfaction & de reconnaissance.

La fête n'aurait pas été complète, si les femmes de tous ces braves

avaient été oubliées. Le roi y avait pourvu, en ordonnant pour elles un

festin particulier, après lequel on leur fit de sa part de petits présents

conformes à leur état & à leur sexe.

L'attention de ce grand prince ne se borna pas à honorer les illustres

guerriers vivants ; il voulut encore que ceux qui n'étaient plus, eussent

ainsi quelque part à ses bienfaits : il se fit donner une liste de tous ceux

qui étaient morts au service depuis qu'il était monté sur le trône ; il en

fit extraire les noms de ceux en particulier qui avaient perdu la vie ou

en défendant la patrie, ou en combattant contre l'ennemi, ou seulement

à l'armée, dans le simple exercice de leur emploi ; il voulut avoir une

connaissance détaillée de tout ce qui concernait les pères, mères,

frères, fils & parents de tous ces braves militaires ; & proportionnément

au genre de mérite & à la nature des services rendus, il assigna des

Page 192: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

192

titres & des pensions annuelles, non moins utiles à tous ceux qui

devaient en jouir, que glorieuses à la mémoire de ceux qui en étaient

l'occasion.

Après cette cérémonie & ces beaux règlements, trois années

s'étaient à peine écoulées que le roi de Tsin pensa à la guerre : il

envoya une armée formidable pour passer la rivière Si ho & attaquer

les États de Ouei, qui étaient gouvernés avec tant de sagesse par Ou

heou.

Dès que la nouvelle s'en fut répandue, il y eut un empressement

général & une joie universelle dans tous les ordres de p.222 l'État. Les

grands, le peuple, les femmes même, tout était en mouvement, tout

était en action ; les uns aiguisaient leurs épées & leurs dards, les autres

nettoyaient leurs casques & leurs boucliers, les mères exhortaient leurs

enfants, les femmes leurs maris, l'artisan travaillait aux machines & aux

instruments ; le simple citoyen préparait les denrées & les provisions ;

dans la seule capitale dix mille hommes se trouvèrent en état d'entrer

en campagne avant même que le roi eut donné les ordres pour

assembler les troupes.

Charmé d'une telle conduite & d'un empressement si universel de la

part de ses sujets, Ou-heou fit appeler Ou-tse, & lui dit :

— Général, j'ai profité de vos instructions ; jugez-en par

l'ardeur qu'on témoigne partout pour mon service ; mettez-

vous promptement à la tête de mes troupes, elles seront de

cinquante mille hommes effectifs ; allez combattre les Tsin, &

faites-les repentir de leur témérité.

— Prince, répondit Ou-tse, il en est des hommes comme de

l'air que nous respirons ; rien n'est plus sujet aux

changements & aux vicissitudes, rien ne demande davantage

d'être connu & éprouvé. L'air est quelquefois pur & léger,

quelquefois pesant & malsain ; il est tantôt froid & tantôt

chaud, suivant les saisons & les vents qui soufflent. Les

hommes sont pleins d'ardeur, de courage & de bonne volonté

Page 193: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

193

dans un temps ; ils sont paresseux, timides & indolents dans

un autre. Un feu subit qui paraît d'abord devoir briller

longtemps, s'éteint quelquefois bien vite & ne laisse pour tout

vestige qu'une fumée obscure. S'habiller d'une même manière

dans toutes les saisons, aller & venir, voyager ou se tenir

tranquille chez soi, indifféremment en hiver comme en été,

sans avoir égard au temps ni aux circonstances, c'est ce que

les personnes sensées ne font jamais : vouloir mener à

l'ennemi, sans faire aucun choix, tous ceux qui montrent de la

bonne volonté, c'est être p.223 imprudent, c'est être téméraire.

Voudriez-vous, prince, que votre général se rendît la fable du

royaume de Ouei, qu'il devînt l'objet des railleries de vos

ennemis, qu'il se perdît de réputation à la face de tout

l'univers, qu'il exposât vos États à devenir la proie de ceux

qui n'ont rien tant à cœur que de les envahir ? Non ; ce n'est

certainement pas ce que vous prétendez. Attendons une autre

occasion pour mettre à l'épreuve la bonne volonté de ceux de

vos sujets qui n'ont point encore porté les armes ; attendons

que nous ayons le temps de les former dans l'exercice de

plusieurs campagnes, dans l'attaque ou la défense de quelque

ville, ou dans l'enceinte d'un camp. Il faut aujourd'hui tout

brusquer : les ennemis entrent dans vos États ; ne leur

donnez pas le temps de faire des conquêtes : ce n'est point

avec cette multitude d'hommes sans expérience, dont la

plupart ignorent peut-être encore les premiers éléments de la

discipline militaire & de l'art des guerriers, que vous pourrez

en venir à bout. S'ils veulent me suivre, j'y consens ; mais

qu'il me soit permis d'emmener encore avec eux quelques

corps de vieux soldats accoutumés à braver les dangers & la

mort : un seul d'entre eux en vaut cent des autres, il peut

devenir formidable à un millier d'ennemis ; & l'exemple de ce

petit nombre peut vous former autant de héros que vous

aurez de soldats.

Page 194: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

194

Ou-heou fit attention à ce discours du général, & lui permit de faire

tout ce qu'il jugerait à propos.

Ou-tse se contenta d'ajouter aux troupes que le roi avait déjà

désignées, & qui étaient actuellement sur pied, cinq cents chars bien

armés, & trois mille hommes de cavalerie ; il se met à la tête de

l'armée, part, atteint l'ennemi, le combat & remporte sur lui une

victoire complète. Son armée n'était que de cinquante & quelques mille

hommes, tandis que celle des Tsin, ses ennemis, était de cinq cent

mille. De p.224 pareils succès, avec des forces si disproportionnées, ne

sont dus qu'à l'art sublime de savoir gagner les cœurs.

Avant le combat Ou-tse harangua son armée en ces termes :

— Officiers, soldats, vous tous qui êtes rangés sous mes

étendards, écoutez-moi. Vous allez vaincre, mais pour vaincre

suivez l'ordre que je vais vous prescrire. Vous qui combattez

dans les chars, ne vous attaquez qu'aux chars des ennemis,

pour les briser ou pour les enlever. Cavaliers, ne taillez en

pièces d'autres corps ennemis que ceux qui seront à cheval.

Fantassins, n'enfoncez d'autres bataillons que ceux qui

combattront comme vous à pied. Si vous renversez cet ordre,

nulle gloire particulière à attendre, nul avantage à espérer.

Ou-tse fut obéi, la victoire qu'il remporta fut célébrée dans tout

l'univers 1, qui en parle encore aujourd'hui avec admiration.

@

1 Par l'Univers, on entend la Chine entière, alors divisée en plusieurs royaumes qui

avaient leurs souverains particuliers.

Page 195: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

195

LES CINQ ARTICLES DU SE-MA-FA

OU

PRINCIPES DE SE-MA SUR

L'ART MILITAIRE

ouvrage composé en chinois par

Se-ma, général d'armée,

& mis en tartare-mantchou par les ordres de l'empereur Kang-hi, l'année Keng-yn, 27e du cycle de 60, c'est-à-dire, l'année 1710.

Page 196: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

196

Préface

@

p.227 En lisant le Se-ma-fa, j'y ai trouvé des choses qui m'ont paru

intéressantes : c'est ce qui ma déterminé à traduire ce livre. Il ne

contient rien de plus que les deux autres ; mais le sujet y est traité

d'une manière différente.

On ne doit pas s'attendre à y trouver des idées neuves, une

méthode exacte & suivie, des descriptions curieuses de campements &

de batailles, ni aucun de ces détails dont ceux qui ont écrit sur la

tactique des Grecs & des Romains ont embelli leurs ouvrages. Ici c'est

un ancien Chinois qui parle, & c'est à des Chinois qu'il parle. Son ton,

sa manière, tout est dans le goût de ceux de sa nation ; aussi jouit-il

d'une estime universelle. Il ne m'appartient point d'apprécier son

mérite, la matière qu'il traite n'est pas de mon ressort. Je prie le lecteur

français de ne pas le juger à la rigueur, & de rejeter sur moi tout ce qui

pourrait se trouver dans cet ouvrage de peu conforme aux principes de

l'art. Quoique j'aie fait tous mes efforts pour rendre les pensées de

l'auteur, il est probable qu'il y en avait plusieurs que je n'aurai pas

exactement rendues. C'est l'inconvénient qui arrive à tous ceux qui

écrivent sur des matières qu'ils n'entendent pas. Cela étant, me dira-t-

on, pourquoi avez-vous écrit sur la guerre ? C'est répondrai-je, parce

que des p.228 personnes respectables, dont les prières sont pour moi des

ordres, l'ont voulu.

La doctrine militaire du grand Se-ma, exposée dans son ouvrage,

disent les commentateurs, est suffisante pour former d'excellents

guerriers. Ceux qui servent dans les armées, & ceux qui les

commandent, peuvent également en tirer leur profit. C'est un puits tout

creusé ; il n'y a qu'à savoir y puiser : c'est un fourneau où sont déjà les

matières combustibles ; il n'y a plus qu'à y mettre le feu & à s'en

servir ; c'est un vaisseau mis à flot & déjà tout préparé : il ne faut plus

que le diriger & le conduire, &c.

Page 197: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

197

Se-ma, ajoutent les mêmes commentateurs, a écrit cinq articles sur

l'art militaire ; ils sont si clairement énoncés & d'une pratique si utile,

qu'en les étudiant, on s'instruit de tout ce qu'il y a de plus essentiel, &

qu'en suivant ce qu'il indique on est aisément vainqueur de tous ses

ennemis.

Un jour que Se-ma donna commission à Tchouang-kia, un des

officiers généraux de son armée, de se trouver devant Yen-tsin, cet

officier, par négligence ou par quelque autre motif qui n'était pas

légitime, n'exécuta pas à point nommé l'ordre qu'il avait reçu ; il arriva

plus tard qu'il ne devait. Se-ma le fit venir en sa présence, & le fit mettre

à mort à la tête de l'armée, sans égard à la qualité dont le coupable était

revêtu, ni à ses parents, p.229 qui étaient en crédit & en faveur, ni aux

sollicitations de tout ce qu'il y avait de distingué dans ses troupes. Cet

exemple de sévérité fut la cause primitive de toutes ses victoires car il

n'y eut aucun des siens qui osât dans la suite enfreindre les règles de la

discipline, & son seul nom devint la terreur des ennemis.

Le nom de Se-ma est celui de la dignité dont ce général était revêtu.

Ainsi on l'appelle communément Se-ma, comme qui dirait le général

par excellence. Son vrai nom est Jang-kiu, & Se-ma-fa est le titre de

son ouvrage.

@

Page 198: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

198

LES CINQ ARTICLES DE SE-MA

Article premier

De l'humanité, &c.

@

p.230 Les anciens sages, les premiers législateurs, regardèrent

l'humanité comme le principe universel qui devait faire agir les

hommes ; ils fondèrent sur la justice l'art sublime du gouvernement ;

ils établirent l'ordre, pour diriger la justice ; ils donnèrent des règles de

prudence pour fixer l'ordre ; ils consacrèrent la droiture, pour servir de

mesure à tout 1. Pour ranimer p.231 l'humanité qui s'éteignait peu à peu

dans le cœur des hommes, pour faire régner la justice dont on violait

les immuables lois, pour rétablir l'ordre, que les passions fougueuses

troublaient sous les plus légers prétextes, pour faire valoir la prudence

dont on méprisait les règles, pour soutenir la droiture qu'on affectait de

méconnaître, ils furent contraints d'établir l'autorité ; & pour assurer &

affermir l'autorité, pour la venger & la défendre, ils eurent recours à la

guerre. Ils avaient de l'humanité, ils étaient justes, ils aimaient l'ordre,

ils avaient de la prudence de la droiture, & ils firent la guerre. On peut

donc faire la guerre, on peut combattre, on peut envahir des villes, des

provinces & des royaumes. Vu l'état où sont actuellement les hommes,

il n'y a plus de doutes à former à cet égard. Mais avant que d'en venir à

ces extrémités, il faut être bien assuré qu'on a l'humanité pour

principe, la justice pour objet, la droiture pour règle. On ne doit se

1 Les cinq vertus que les Chinois regardent comme capitales, & qui sont la base sur

laquelle ils appuient leur morale, leur politique & leur gouvernement, sont ce qu'ils

appellent jen, y, ly, tche, sin ; c'est-à-dire, jen l'humanité ; y la justice ; tche la prudence, ou le sage discernement réduit en pratique ; ly, que j'ai rendu par ordre,

signifie aussi coutumes, mœurs, usages consacrés, politesse, cérémonies, &c. ; sin, que

j'ai rendu par droiture, signifie aussi confiance, bonne foi, fidélité, &c.

Page 199: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

199

déterminer à attenter à la vie de quelques hommes, que pour conserver

la vie d'un plus grand nombre : on ne doit vouloir troubler le repos de

quelques particuliers, que pour assurer la tranquillité publique ; on ne

doit nuire à certains individus, que pour faire du bien à l'espèce ; on ne

doit vouloir que ce qui est légitimement dû, ne le vouloir que parce qu'il

est dû, & ne l'exiger que comme il est dû. Il résulte de là que la

nécessité seule doit nous mettre les armes à la main. Or, si l'on ne fait

la guerre que par nécessité, avec les conditions que je viens d'indiquer,

on aimera ceux même contre qui l'on combat, on saura s'arrêter au

milieu des plus brillantes conquêtes, on sacrifiera la valeur à la vertu,

on oubliera ses propres intérêts pour rendre aux peuples, tant

vainqueurs que vaincus, leur première tranquillité & le repos dont ils

jouissaient auparavant.

Quand on a l'humanité pour principe, on n'entreprend pas la guerre

hors de saison, on ne l'entreprend pas sans de p.232 légitimes raisons.

On l'entreprendrait hors de saison si l'on faisait marcher les troupes

pendant le temps des semailles ou de la récolte, pendant les grandes

chaleurs de l'été, ou pendant les rigueurs de l'hiver, pendant le temps

du grand deuil 1 , ou pendant celui de quelque calamité publique,

comme lorsque des maladies contagieuses sont de grands ravages

parmi le peuple, ou lorsque, par l'intempérie de l'air ou le dérangement

des saisons, la terre, soit de votre côté, soit du côté de l'ennemi

seulement, refuse aux hommes ses dons les plus ordinaires. La guerre

se ferait sans de légitimes raisons, si on l'entreprenait avant que d'avoir

fait tous ses efforts pour obtenir par des voies pacifiques ce qu'on veut

se procurer par la force des armes ; si, sous divers prétextes, qui ne

peuvent être que frivoles, on refusait opiniâtrement toute médiation ; si

enfin on ne prenait conseil que de soi-même, pour suivre les impulsions

de quelque passion secrète, de vengeance, de colère ou d'ambition.

1 Par le grand deuil on entend ici les trois années pendant lesquelles toutes les affaires

sont interdites à celui auquel la mort a enlevé son père ou sa mère. Comme ce terme est un peu long, on l'a restreint à cent jours sous la dynastie présente. Ainsi, si le roi de

l'un des deux partis se trouve dans les circonstances du grand deuil, ce serait, suivant

la doctrine chinoise, une très grande indécence que de faire la guerre.

Page 200: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

200

La guerre est par rapport au peuple ce qu'une violente maladie est

par rapport au corps. L'une demande autant de précautions que

l'autre : dans les maladies, il y a le moment d'appliquer les remèdes, le

temps de les laisser agir, & celui ou ils doivent produire leurs effets.

Dans la guerre, il y a le temps de la commencer, le temps de la

pousser, & celui de la suspendre ou de la terminer. Ne pas faire ces

distinctions, ou, si on les fait, n'y avoir pas les égards nécessaires, p.233

c'est n'avoir aucun objet réel, c'est vouloir tout perdre, c'est n'avoir

point d'humanité.

Si vous avez de l'humanité, vous saurez, vous sentirez que tout

affligé est respectable ; vous n'ajouterez pas affliction sur affliction,

douleur sur douleur, infortune sur infortune. Dans ces sortes

d'occasions, vous ne devez point avoir d'ennemis : quels sentiments

devez-vous donc avoir pour vos propres gens, pour vos amis mêmes ?

Si vous avez de l'humanité, loin de vous refuser à tout

accommodement raisonnable, vous vous prêterez, sans aucune

difficulté, à tous ceux qui ne seront pas évidemment contraires à la

gloire de votre règne, ou aux intérêts réels de votre peuple ; vous

n'oublierez rien pour les faciliter, vous en chercherez les occasions,

vous les ferez naître.

Anciennement on ne poursuivait pas les fuyards au-delà de cent

pas ; on n'infligeait aucune peine à ceux qui, par maladie ou par

faiblesse, se rendaient plus tard que les autres dans les lieux désignés.

Dans les marches ordinaires on n'allait pas de suite au-delà de trois

jours, chaque journée ne surpassait pas le nombre de 90 li (neuf

lieues). Lorsqu'on était arrivé au terme, que le corps d'armée était

formé, on publiait les lois de la discipline, on inculquait à chacun les

devoirs particuliers qu'il devait remplir ; on instruisait, on exerçait, on

animait à bien faire ; on n'oubliait rien pour se faire écouter & obéir.

Pénétrés des tendres sentiments qu'inspire l'humanité, les chefs

mettaient toute leur attention à préserver le soldat des maladies, à le

mettre à couvert de la disette & des autres incommodités, à lui ôter

tout sujet légitime de mécontentement & de murmure. N'ayant que la

Page 201: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

201

justice pour règle, ils punissaient les fautes ; mais ils les punissaient

sans cruauté, sans emportement, sans colère. Pleins d'amour pour

l'ordre, ils le gardaient scrupuleusement, p.234 jusques dans les plus

petites choses, & faisaient en sorte que la multitude n'eût pas de

satisfaction plus grande que celle de pouvoir les imiter. Après que

l'armée était rangée en bataille au premier coup de tambour, au

premier signal, tout était prêt pour l'attaque. Les généraux & les

subalternes, les officiers & les soldats, remplis d'estime les uns pour les

autres, fruits de leur droiture réciproque, se croyaient mutuellement

invincibles ; &, de l'accord des cinq vertus capitales, l'humanité, la

justice, l'ordre, la prudence & la sincérité ou la confiance mutuelle,

résultait une sixième, la vertu propre aux gens de guerre, la valeur.

Ceux qui les premiers s'érigèrent en souverains, prirent le Ciel & la

Terre pour modèles de leur gouvernement. Le Ciel domine sur la Terre,

il la couvre, il l'éclaire, il l'embellit, il la fertilise. La Terre reçoit du Ciel

sa force & la vertu qu'elle a de faire valoir ses propriétés & de les

mettre en œuvre pour la production de toutes choses. C'est elle qui leur

distribue, avec une économie merveilleuse, les différents sucs dont

elles ont besoin pour se former, se nourrir & parvenir à leur point de

perfection : elle n'est jamais oisive ; elle travaille insensiblement, mais

sans discontinuer ; elle travaille lentement, mais avec fruit.

Les anciens sages rassemblèrent les hommes qui ne vivaient point

encore en société, les mirent à couvert, les instruisirent, leur firent

connaître leurs devoirs réciproques, firent naître les talents, les

développèrent, en déterminèrent l'application ; ils fixèrent des usages,

préposèrent des magistrats & des officiers pour les faire observer, se

mirent à la tête d'eux tous, eurent des sujets, & furent rois. Dès lors les

règles de subordination, les récompenses & les châtiments furent

établis. Il fallait mettre un frein aux passions, il fallait animer la vertu &

détourner du vice. On détermina divers genres de supplices & de

punitions, p.235 on assigna des prééminences, on imagina des dignités &

des honneurs. On créa une nouvelle espèce de biens & de richesses par

l'idée & la valeur qu'on attacha à certains métaux ; biens de

Page 202: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

202

convention, richesses idéales, au moyen desquels on pouvait se

procurer les biens solides, les véritables richesses, tout ce qui était

nécessaire à la vie & à l'entretien. On établit des titres pour servir de

distinction entre les différents genres de mérite, & entre les différents

degrés dans chaque genre : dès lors il y eut des princes, des grands,

des mandarins & des officiers de tous les ordres : dès lors il y eut des

provinces entières données à titre de souveraineté à ceux qui, par la

qualité & l'importance de leurs services, avaient concouru d'une

manière extraordinaire au bien de la société. Comme tous ces

établissements étaient à l'avantage de l'humanité, il fallait, par principe

même d'humanité, empêcher qu'ils ne dégénérassent ; il ne fallait rien

oublier pour les maintenir dans leur pureté primitive ; il fallut par

conséquent corriger les infracteurs ; il fallut punir les réfractaires : de là

les dégradations & les humiliations, les privations des dignités & des

revenus, les notes d'infamie & les proscriptions ; de là enfin les

guerres.

Les guerres ne sont donc venues au secours des hommes que

comme un remède à de plus grands maux, que comme un remède

inévitable. Mais dans les premiers temps, que de précautions ne

prenait-on pas avant que de les entreprendre ! Dès qu'un ouang, un

heou, un po, ou tel autre petit souverain feudataire de l'empire, de

quelque titre qu'il fût décoré, s'était rendu coupable de quelque crime,

on le déférait au ty (à l'empereur), comme au maître absolu, qui avait

droit de le corriger, de le châtier, de le déposséder, & même de le

mettre à mort, si le cas le requérait. L'empereur de son côté, pour

n'être pas trompé par de hardis p.236 calomniateurs, & pour ne pas agir

témérairement, en s'en rapportant à des délateurs passionnés ou

indiscrets, envoyait secrètement des commissaires pour s'informer de

la vérité. Si après toutes les informations & les recherches les plus

exactes, il était prouvé que l'accusé était véritablement coupable, alors

il l'avertissait, & l'exhortait à réparer ses fautes & à changer de

conduite : il ne souffrait pas qu'on fît en son honneur les chansons

ordinaires, pendant le temps des assemblées générales ; il en faisait

Page 203: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

203

chanter au contraire de propres à le faire rentrer en lui-même, & dans

lesquelles, sous le nom de quelque prince supposé on blâmait tous les

écarts dont on prétendait le corriger.

Une conduite si douce de la part du souverain, envers des vassaux

qu'il pouvait châtier rigoureusement, engageait plusieurs à se

reconnaître & à rentrer de bonne foi dans les devoirs dont ils s'étaient

écartés : alors ils rentraient en possession de leurs États. Ceux au

contraire qui persistaient opiniâtrement dans le mal, étaient

dépossédés & punis proportionnément à ce dont ils s'étaient rendus

coupables. Rien n'était plus humain, rien n'était plus équitable que la

manière dont on se comportait dans ces sortes d'occasions ; tout s'y

passait avec ordre, tout s'y faisait avec prudence, & la droiture la plus

exacte réunissait tous les cœurs. Le souverain appelait à la cour celui

qu'il voulait châtier : s'il obéissait exactement & sans délai, & si sa

faute n'était pas du nombre de celles qui ne méritent aucun pardon,

après quelque légère punition, on le retenait pour l'employer, sans

distinction, à tout ce qu'on jugeait à propos, en ne lui donnant d'autre

titre que celui de courtisan apprentif de ses devoirs 1. Il p.237 demeurait

ainsi sans grade & sans emploi fixe, jusqu'à ce qu'il eût donné des

preuves suffisantes de repentir, jusqu'à ce que, par de nouveaux

mérites, il eût effacé les taches dont il s'était souillé, jusqu'à ce qu'enfin

il se fût rendu digne de recevoir de nouveaux bienfaits. S'il n'obéissait

pas, ou si, sous divers prétextes, il cherchait à éluder les ordres qu'on

lui avait donnés, l'empereur le déclarait rebelle ; mais cette déclaration

se faisait avec tant d'appareil & de lenteur, que le coupable avait

encore tout le temps de rentrer dans le devoir.

On indiquait une assemblée générale, on assignait le jour où tout le

monde devait être rendu ; &, ce jour arrivé, l'empereur, à la tête de ses

1 J'ai rendu les mots chinois hiao li par ceux d'apprentif de ses devoirs. Hiao veut dire

apprendre, & li signifie, cérémonies, usages, mœurs, devoirs, &c. La punition dont on parle ici est de temps immémorial, elle est encore en usage aujourd'hui à l'égard des

mandarins que l'empereur ne veut pas perdre entièrement. On les casse de leur emploi,

& on les laisse dans quelque tribunal, ou sous la direction de quelque grand, qui s'en sert comme bon lui semble pour le service de Sa Majesté. Des mandarins ainsi punis ne

manquent pas d'être bientôt rétablis ; mais il faut pour cela que ceux à qui ils ont été

confiés rendent un bon témoignage de leur conduite.

Page 204: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

204

vassaux, des princes, des grands de tous les Ordres, & des cent

principaux mandarins de l'empire, se rendait au lieu déterminé pour

cette cérémonie. Là il détaillait les fautes de celui contre lequel on allait

procéder. Il disait :

« Le prince, ouang heou ou po de tel endroit, a désobéi à mes

ordres, il a manqué à ses principaux devoirs, à telle ou telle

de ses obligations envers moi ou envers le peuple qui lui est

confié ; il a abandonné la vertu pour se livrer au vice ; il a

renversé l'ordre établi par le Ciel ; il a donné, sans raison

légitime, des sujets de chagrin à ceux qui, par leurs vertus ou

par leurs talents, ne méritaient que des récompenses, ou tout

au moins que des p.238 éloges ou des encouragements & telles

autres choses semblables, après lesquelles il ajoutait : Au

surplus, il n'a écouté ni mes avis ni mes menaces, il persiste

dans ses crimes comme dans sa désobéissance. Je vous en

avertis, vous qui, en vertu des dignités & des charges donc

vous êtes honorés, devez concourir avec moi au maintien des

lois & au bon ordre de l'empire, afin que nous prenions de

concert les mesures les plus efficaces pour remédier au mal.

Après que l'empereur avait ainsi parlé, cette auguste assemblée

concluait unanimement à la mort du rebelle, & au châtiment de tous

ceux qui lui étaient dévoués, s'ils n'abandonnaient promptement son

parti. On adressait en commun une courte prière au suprême empereur

du Ciel, aux esprits du soleil, de la lune, des étoiles, à tous les esprits

de la terre en général, & à ceux qui président aux générations en

particulier. On s'adressait aussi aux ancêtres de tous les rois, des

princes, des grands & des mandarins, pour les avertir de ce qu'on allait

faire, & on disait :

« Ce n'est que malgré nous que nous nous déterminons à

renverser, à détruire & à verser du sang ; que la faute en soit

sur celui qui nous met dans cette triste nécessité ; nous

sommes certains de ses crimes & de son obstination ; sa

rébellion est manifeste ; nous devons au Ciel, aux esprits, à

Page 205: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

205

vous-mêmes & à tout l'empire de détruire ce qui mérite si peu

d'être conservé, & de mettre à mort celui qui est si peu digne

de vivre.

Ce discours fini, l'empereur nommait les généraux ; il choisissait

parmi ses vassaux ceux qui devaient aller en personne contre le

rebelle ; il déterminait le nombre & la qualité des troupes que chacun

devait fournir ; il assignait le temps précis où la campagne devait

commencer ; & avant que de congédier l'assemblée, il leur donnait à

tous les instructions suivantes. p.239

« Vous êtes devenus les instruments des vengeances du Ciel :

n'allez pas vous-mêmes, par vos propres crimes, encourir la

disgrâce de ce même Ciel que vous devez venger. Combattez

avec courage, mais avec discrétion ; combattez de toutes vos

forces, mais sans cruauté ; en un mot, épargnez le sang, le

plus qu'il vous sera possible, sans nuire à votre dessein. Voici

en particulier ce que je vous recommande, & ce que vous

devez prescrire à tous ceux qui seront sous vos ordres, afin

qu'ils l'observent dans l'occasion. Quand vous serez entrés

dans les terres qui sont sous la domination du rebelle, pleins

de respect pour les esprits qui y président, vous ne ferez rien

qui puisse les déshonorer ou les attrister. S'il se trouve des

représentations de quelqu'un d'eux, vous ne les briserez

point : vous ne marcherez point à travers les terres où il y a

du riz, ni sur celles qui produisent les autres choses

nécessaires à la vie : vous ne dégraderez pas les forêts, vous

n'abattrez pas les arbres qui portent du fruit, vous ne foulerez

pas les plantes & les herbes utiles. Vous ne nuirez point aux

six sortes d'animaux domestiques 1 ; vous n'emploierez pas la

force pour vous en procurer l'usage, encore moins pour vous

les approprier : vous n'enlèverez point les instruments du

labourage, les ustensiles, ni rien de ce qui est nécessaire à un

1 Les Chinois comptent six sortes d'animaux domestiques : 1° le cheval, l'âne, le mulet toute bête de somme ; 2° le bœuf, &c. ; 3° le mouton, &c. ; 4° le chien, le chat, &c. ;

5° la poule, l'oie, tous les oiseaux de basse-cour ; 6° le cochon.

Page 206: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

206

ménage. Quand vous aurez pris quelque ville, vous n'en

détruirez pas les murailles, vous veillerez à la conservation de

toutes les choses qui sont faites avec art, & au salut du

citoyen. Quelque part que vous vous rencontriez, vous ne

mettrez p.240 jamais le feu pour consumer les campagnes ou

les maisons ; vous donnerez du secours aux vieillards & aux

enfants ; vous n'attaquerez point ceux qui sont hors d'état de

se défendre. Après un combat, vous aurez un soin particulier

des blessés, vous les ferez panser exactement, & vous leur

procurerez tous les autres soulagements qui dépendront de

vous. Ceux des ennemis que vous trouverez avec des

blessures, doivent éprouver les mêmes attentions de votre

part, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à une parfaite

guérison ; alors vous les renverrez chez eux, en leur donnant

libéralement de quoi vivre pendant la route, afin qu'ils servent

de consolation à leurs parents, & qu'ils soient auprès de leurs

compatriotes des preuves non équivoques de votre humanité.

Si vous rencontrez quelque parti ennemi, vous ne le

combattrez pas, vous favoriserez même sa fuite, pour peu

qu'il soit disposé à la prendre. Votre principal objet est d'aller

droit au rebelle : atteignez-le le plus tôt que vous le pourrez ;

combattez-le de toutes vos forces ; prenez-le mort ou vif ;

dès qu'il sera en votre puissance, que tout acte d'hostilité

cesse, & qu'on me donne promptement avis de tout.

Voilà comment on se comportait autrefois avant que d'entreprendre

la guerre. Dans la manière dont on procédait pour la conclure, pour la

déclarer, pour s'y préparer, pour la commencer, pour la finir, il n'y avait

rien qui se ressentît de la passion ; tout, au contraire, y respirait

l'humanité. Ce n'était qu'après avoir épuisé toutes les autres ressources

qu'on en venait à cette dure nécessité ; ce n'était que pour maintenir

l'ordre, que pour faire observer les lois & fleurir la vertu ; ce n'était que

pour délivrer le peuple de toute vexation, pour lui faciliter l'usage

légitime des commodités de la vie, & pour lui procurer cette douce

Page 207: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

207

tranquillité qui favorise p.241 l'industrie & le travail & qui fait que chacun

est content de son sort ; ce n'était enfin que parce qu'on y était obligé, &

qu'il n'y avait aucun moyen de s'en dispenser ; aussi dès que celui qui en

était l'occasion avait été pris ou mis à mort, dès que les principaux

coupables avaient été punis, la paix était rendue à l'univers, & le peuple

vaincu se faisait un devoir & un plaisir de se soumettre aveuglément à

un vainqueur dont il était sûr qu'il ne recevrait que de bons traitements

& des bienfaits : tout rentrait alors dans l'ordre. On nommait un nouveau

prince pour remplacer celui qu'on venait de détrôner, l'on travaillait

efficacement à réformer tous les abus ; on obviait, autant qu'il était

possible, aux inconvénients, aux prétextes & à tout ce qui pouvait

donner occasion à de nouveaux troubles ; on déterminait des cérémonies

& une musique : on assignait au nouveau souverain le rang qu'il devait

tenir dans l'empire ; en lui désignant les neuf sortes de crimes dont il

devait avoir grand soin de purger ses États, les neuf espèces de

châtiments qu'il devait employer pour les punir, on lui faisait entendre

que s'il se trouvait lui-même coupable, on le traiterait, sans rémission,

de la même manière dont on voulait qu'il traitât les autres, puisque

c'était la loi générale de l'empire. Sur cela on publiait de nouveau les

articles suivants, dont on donnait une nouvelle copie authentique à

chacun des princes qui avaient des terres à titre de souveraineté.

1° Quiconque, fier de sa puissance, de son autorité ou de sa force,

opprimera les innocents, ou exercera quelque injustice envers les

faibles ; qu'il soit privé de tout emploi & dépouillé ignominieusement de

tout ce dont il n'a pas eu honte d'abuser.

2° On châtiera irrémissiblement par des supplices proportionnés

tous ceux qui troubleront la tranquillité publique ou qui causeront

quelques dommages aux citoyens qui vivent selon les lois. p.242

3° C'est dans le Tan 1 & sur l'autel qu'on doit décider du sort de

ceux qui, durs & injustes chez eux, étendent leur dureté & leur injustice

1 Le Tan, dit un commentateur, était un autel dressé dans le lieu où se tenaient les assemblées des princes vassaux de l'empire. Sur cela je crois que c'était à l'assemblée

générale à décider du sort de ceux, &c.

Page 208: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

208

jusques chez leurs voisins, soit en empiétant sur leurs terres, soit en

molestant leurs sujets.

4° Qu'on soit exact à nettoyer les campagnes & les grands chemins

de tous ceux qui peuvent y faire du dégât, ou les infester par leurs

brigandages.

5° Entrez à main armée dans les terres de tous ceux qui se croyant

assez forts pour résister, ont refusé d'obéir aux ordres supérieurs.

6° On doit faire rentrer en lui-même un prince qui aurait fait mourir

quelqu'un de ses proches & exiger de lui les réparations convenables.

7° On doit exterminer celui qui de quelque manière que ce puisse

être aurait procuré la mort à son légitime maître.

8° On doit rompre toute communication avec ceux qui ne suivront

pas les usages établis, qui enfreindront les lois, ou qui mettront

quelque obstacle pour empêcher que le gouvernement n'ait son cours

ordinaire.

9° On éteindra toute la race de ceux qui, ne suivant aucune règle,

se conduisent, au-dehors & au-dedans, en brutes plutôt qu'en

hommes 1.

p.243 Ainsi finissait la cérémonie, après laquelle chacun se retirait,

pour se disposer à l'exécution de ce qui avait été résolu d'un commun

consentement.

@

1 Par ceux qui se conduisent en brutes plutôt qu'en hommes, il faut entendre, dit un

commentateur, tous ceux qui, sans être envoyés par aucune autorité légitime,

s'assemblent par troupes & se répandent dans les campagnes & dans les villages pour y piller, détruire & commettre toutes sortes de crimes ; ceux encore qui détruisent les

sépultures, qui entrant dans les maisons y renversent les lieux destinés à honorer les

ancêtres, & consacrés aux esprits qui président aux générations, &c. J'ai souligné les neuf espèces de punitions assignées aux neuf différentes sortes de crimes, afin qu'on y

fît attention. Je crois que ces lois particulières n'étaient données aux vassaux de

l'empire, à toutes les déclarations de guerre qui se faisaient, que pour les engager à se tenir sur leurs gardes, & pour leur donner le droit de punir par eux-mêmes, sans qu'il

fût besoin de recourir à l'empereur, ceux de leur sujets ou de leurs voisins qui se

trouveraient dans le cas.

Page 209: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

209

Article II

Précis des devoirs particuliers du Fils du Ciel 1

@

Ce n'est point par flatterie que, d'un commun consentement, on a

donné au chef souverain de toute la nation le nom sublime de Fils du

Ciel : on a voulu faire entendre que de même que le Ciel travaille, sans

discontinuer, à fournir à la Terre tout ce qui lui est nécessaire pour

concourir à la production de toutes les choses dont elle renferme le

principe dans son sein, ainsi celui qui est chargé de gouverner l'empire,

doit être occupé sans cesse à lui procurer tout ce qui peut contribuer à

le maintenir dans l'ordre & dans la splendeur. Le Ciel & la Terre

conservent entre eux un accord admirable ; il en doit être de même de

l'empereur & de ses sujets. Le Ciel répand ses influences sur la Terre ;

la Terre les p.244 reçoit & en profite : l'empereur doit éclairer par ses

instructions & exciter par ses exemples ; les sujets doivent écouter

avec docilité & suivre avec exactitude. Le Ciel ne se montre pas le

même à tous les lieux de la terre indifféremment ; il répand ses

bienfaits sur les uns, en même temps qu'il fait sentir ses rigueurs sur

les autres. Le souverain doit mettre une juste différence entre ceux de

ses sujets qui se conduisent différemment. Il en est qui sont dignes de

récompense ; il en est aussi qui ne méritent que des châtiments. Qu'il

n'épargne pas ceux- ci ; qu'il soit libéral envers les autres.

Tout Fils du Ciel qu'il est, l'empereur a lui-même ses instructions à

suivre & ses exemples à imiter. Ses instructions sont dans les maximes

établies par les sages qui l'ont précédé ; il trouvera ses exemples dans

la conduite de ces mêmes sages qui ont gouverné avec tant de succès

l'empire qu'ils lui ont transmis. Si l'empereur se conforme à ses

modèles, les sujets se conformeront aux leurs. Si le souverain ne

1 Il ne s'agit dans cet article que des devoirs particuliers de l'empereur à l'égard des gens de guerre, qui sont appelés du nom général de sujets. Autrefois, comme je l'ai dit

dans une autre occasion, tous les sujets étaient tenus, de sept en sept familles, de

fournir, suivant l'accord fait entre elles, hommes, chevaux, chariots, &c.

Page 210: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

210

manque pas à ses prédécesseurs, les sujets ne manqueront point à leur

souverain. Tous les devoirs réciproquement observés, voilà le terme.

L'instruction & les exemples de la part du souverain ; la docilité &

l'exactitude de la part des sujets, voilà les chemins qui y conduisent.

Les lois de la subordination sont celles que les anciens sages

inculquèrent avec le plus de soin. Pour les faire observer & en rendre la

pratique d'éternelle durée, ils les établirent sur les fondements les plus

solides, c'est-à-dire, sur la vertu, sur l'intérêt propre, sur la nécessité.

La vertu les fit estimer, l'intérêt propre les fit accepter, la nécessité les

fit suivre. La même chaîne qui lie les sujets à leur souverain, lie le

souverain à ses sujets : elle tient au même objet par ses deux bouts, le

commandement & l'obéissance. Le commandement doit être absolu,

mais éclairé ; il doit avoir de l'humanité, mais avec discrétion ; p.245 il

doit être plein de douceur, mais d'une fermeté à toute épreuve.

L'obéissance doit être spontanée avec affection, prompte avec

exactitude, fidèle avec confiance. Un souverain & des sujets qui

manqueraient de ces qualités respectives, manqueraient également leur

but.

Chez nos anciens le commandement n'était jamais au-dessus des

forces de l'obéissance, & l'obéissance se prêtait volontiers à toute

sortes de commandement ; la vertu ne mettait point obstacle à la

justice, & la justice ne nuisait pas à la vertu ; la simple capacité ne

portait point envie à l'industrie, l'industrie honorait la capacité ; la

valeur ne méprisait pas la force, & la force n'opprimait pas la valeur ;

toutes les vertus, tous les talents, toutes les qualités étaient de

concert, s'entr'aidaient mutuellement pour parvenir ensemble à la

même fin.

On ne donnait des ordres que pour pourvoir au bien commun, on ne

les donnait qu'à propos, on les faisait exécuter avec règle ; l'obéissance

répondait au commandement ; on n'envoyait pas de troupes contre un

royaume où les lois étaient en vigueur ; & quand on faisait la guerre,

on ne s'enrichissait pas aux dépens des vaincus : la vertu était d'accord

avec la justice. Loin d'opprimer ses sujets, le souverain distinguait leurs

Page 211: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

211

différents genres de mérites, il les employait, il les honorait, il les

récompensait à proportion ; l'envie ne pouvait avoir lieu, l'industrie & la

capacité s'aidaient l'une & l'autre, & brillaient chacune d'un double

éclat. Les magistrats, dans l'enceinte des villes & des villages, les

généraux à l'armée & dans le camp, punissaient les fautes, sans

distinction des coupables. Les vertus civiles florissaient au-dedans, les

qualités guerrières brillaient au-dehors ; le bon ordre régnait partout, la

valeur & la force concouraient à le faire observer.

Éclairés par les instructions du souverain, animés par ses p.246

exemples, les sujets de tous les ordres se portaient d'eux-mêmes à

pratiquer la vertu, à suivre les lois, à se conformer aux usages, à

contribuer de tout leur pouvoir à l'avantage & au bonheur de la société.

Les magistrats, les officiers, tous ceux à qui le souverain confiait

quelque portion de son autorité, n'étaient pas des hommes que le

hasard ou la faveur eussent élevés ; c'étaient des hommes connus, des

hommes éprouvés, des hommes longtemps exercés, des hommes enfin

proposés par des sages qui déterminaient en quelque sorte le choix

qu'on en faisait. Comme c'est d'un tel choix qu'on faisait dépendre la

gloire & le bonheur de l'État, le prince y donnait toute son attention, &

n'oubliait rien de ce qu'il fallait pour le faire avec succès. Ainsi, soit en

paix, soit en guerre, tout prospérait dans l'empire ; suite naturelle du

bon gouvernement.

Lorsque la nécessité faisait recourir aux armes, qu'il fallait ou

combattre des ennemis ou punir des rebelles, on mettait tous ses soins

à ce que la guerre ne fût pas de longue durée. On la terminait en peu

de temps, parce que personne n'avait intérêt à en prolonger le cours ;

on combattait sans animosité, parce qu'on ne combattait que pour

venger les lois & le bon ordre ; on se dispensait même de combattre,

quelques préparatifs qu'on eût faits & quelque favorable que fût

l'occasion, si, par artifice, ou autrement, on pouvait engager les

ennemis ou les rebelles à rentrer dans le devoir ; & cette victoire était

réputée la plus glorieuse, parce qu'elle était la victoire propre de la

justice, & le triomphe de l'humanité.

Page 212: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

212

Du temps du grand Yu 1 tout se concluait dans l'enceinte p.247 même

du palais. C'est là que les chefs faisaient le serment de venger le Ciel &

les ancêtres ; & quoique le commun des sujets ignorât ce qui se

passait, il n'était aucun d'eux qui ne se prêtât à tout ce qu'on exigeait,

parce qu'il n'était aucun d'eux qui ne fût persuadé de l'amour paternel

dont l'empereur était pénétré pour eux tous.

Les empereurs de la dynastie Hia, successeurs du grand Yu, après

avoir délibéré dans le conseil sur ce qu'ils avaient à faire, donnaient

leurs ordres en conséquence, disposaient tout pour la guerre ; & après

que les préparatifs en étaient achevés, alors seulement on avertissait

les gens de guerre d'avoir à se tenir prêts, & on exigeait d'eux le

serment ordinaire. Mais comme il n'était personne qui ne fût convaincu

de la tendre affection de ces grands princes pour les peuples qui leur

étaient soumis, & de la droiture de leurs intentions dans tout ce qu'ils

entreprenaient, il n'était personne aussi qui voulût en savoir plus qu'on

ne voulait lui en dire. L'unique sollicitude de chacun était dans

l'attention extrême qu'il avait, & dans les soins qu'il se donnait afin de

ne manquer à rien de tout ce qu'il fallait pour exécuter avec succès les

ordres qui émanaient de l'autorité suprême.

p.248 Sous la dynastie des Yn, les empereurs donnaient leurs ordres

comme ils le jugeaient à propos : ils mettaient des armées sur pied,

quand ils les croyaient nécessaires ; ils les faisaient entrer en

campagne dans le temps qu'ils déterminaient eux-mêmes ; & après que

le camp avait été tracé, les troupes, avant que de s'y enfermer,

prêtaient le serment ordinaire, en dehors de la porte, à mesure qu'elles

1 Pour épargner au lecteur la peine d'aller chercher ailleurs, je répéterai ici ce que j'ai

dit peut-être plus d'une fois. Le grand Yu est le fondateur de la première dynastie

chinoise connue sous le nom de Hia. Il monta sur le trône l'an 2207 avant J. C. Il a eu dix-sept successeurs de sa race, laquelle perdit l'empire l'an 1766 avant J. C. Les

Chang succédèrent aux Hia l'an 1766 avant J. C. & ce fut le fameux Tcheng tang qui fut

le premier empereur de cette seconde dynastie, que l'on connaît également sous le nom de Yn, & qui fut éteinte par les Tcheou, l'an 1122 avant J. C. Ou-ouang est le

premier de cette troisième dynastie qui fut reconnu empereur. Lorsqu'on parle en

général des trois premières dynasties, on entend principalement ceux qui en ont été les fondateurs, & ceux de leurs descendants qui les ont imités dans la manière de

gouverner l'empire ; car dans chacune de ces trois dynasties il y a eu de méchants

princes, qu'on ne prétend pas certainement donner pour modèles, &c.

Page 213: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

213

se présentaient pour entrer. Mais comme on était persuadé dans tout

l'empire que le souverain n'avait d'autre but, dans tout ce qu'il faisait,

que le bien réel de ses sujets, on était également satisfait de tout ce

qu'on lui voyait entreprendre, & l'on se portait à tout avec un plaisir

égal, dès qu'il s'agissait de lui obéir.

Pendant que les Tcheou gouvernaient l'empire, il n'y avait que les

généraux qui fissent le serment. Ils le faisaient à la tête de l'armée,

immédiatement avant le combat ; ils le faisaient sur le tranchant de

leurs épées, & ils le faisaient comme des victimes qui se dévouaient

sans retour pour le salut public. Leur intrépidité passait jusques dans le

cœur du moindre soldat ; & le peuple, sous cette dynastie, fut un

peuple de guerriers.

Les serments, de quelque nature qu'ils puissent être, ne doivent

avoir lieu que pour les choses du premier ordre & de la dernière

importance. On en exigeait anciennement des gens de guerre non pas

tant pour s'assurer de leur fidélité, que pour les convaincre qu'il n'y

avait rien au-dessus de ce à quoi on allait les employer. On voulait les

engager à se porter à cette grande affaire avec toute l'attention, tous

les soins, toute l'ardeur & tous les égards qu'elle mérite, puisque c'est

d'elle que dépendent également le bonheur & le malheur de l'humanité.

Avant que de l'entreprendre, les souverains, les généraux, les officiers,

les soldats, le peuple même, tous doivent p.249 y voir de la justice & de

la nécessité, afin que, de quelque manière qu'elle se termine, les

générations qui suivront ne puissent pas leur imputer à crime le sang

qui va couler, ni les larmes qu'on va faire répandre.

Tels étaient les usages que l'on observait sous les trois premières

dynasties. La fin qu'on se proposait était la même, mais on y arrivait

par différentes voies. Sous les Hia, la vertu était parvenue à son plus

haut point de perfection : l'humanité & l'amour de l'ordre étaient gravés

dans tous les cœurs, les tribunaux n'étaient occupés que du soin de

distribuer des récompenses. Sous les Yn, on fut obligé d'employer la

rigueur ; on fit fleurir les lois en châtiant ceux qui les transgressaient ;

les exécutions des criminels ne se firent que dans les marchés publics ;

Page 214: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

214

la justice fut exacte & inflexible. Les récompenses & les châtiments

eurent également lieu sous les Tcheou : on distribuait les dons dans

l'enceinte des tribunaux, en présence des grands & des principaux

mandarins ; on infligeait les peines à la vue de la multitude, au milieu

des places publiques ; la vertu, le mérite, les belles actions avaient

leurs récompenses ; les vices, de quelque nature qu'ils fussent, avaient

leurs châtiments. Les Hia gouvernèrent en pères tendres ; les Yn, en

juges sévères ; les Tcheou, en souverains équitables. Le but des uns &

des autres était de faire pratiquer le devoir ; ils prirent différents

moyens pour y parvenir. Un empereur éclairé peut & doit trouver son

modèle dans quelqu'un des grands princes de ces trois premières

dynasties : les circonstances le détermineront pour le choix.

Avoir trop de troupes sur pied est un désavantage égal à celui d'en

avoir trop peu : un sage souverain sait prendre un juste milieu. Il faut

qu'il y en ait assez en tout temps pour faire aisément le service & pour

la garde des principales villes. Dans les cas imprévus ce nombre suffira

en attendant, pour p.250 repousser ou pour amuser un injuste

agresseur. Les soldats ne doivent être armés ni trop à la légère ni trop

pesamment ; leurs armes ne doivent être ni trop longues ni trop

courtes. La longueur des armes en rend le maniement difficile ; leur

brièveté en borne trop l'usage. Si elles sont trop longues, elles

deviennent préjudiciables par l'embarras qu'elles causent ; si elles sont

trop courtes, elles deviennent inutiles. Des soldats trop pesamment

armés n'ont plus de force pour combattre ; elle est employée toute à

soutenir le poids dont ils sont chargés ; des soldats qui sont armés trop

à la légère, ne peuvent ni enfoncer l'ennemi, ni lui résister ; ils sont

bientôt renversés ou mis en fuite. La manière la plus avantageuse

d'être armé, est celle qui nous met en état d'attaquer l'ennemi en

même temps que nous pouvons nous garantir des coups qu'il nous

porte. Les armes doivent avoir un poids fixe & une mesure déterminée.

Ce poids & cette mesure doivent être proportionnés à la taille & aux

forces du commun des hommes.

Page 215: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

215

Les chars ne doivent pas être partout ni toujours de même ; il doit y

en avoir de différentes formes suivant les différents usages auxquels on

les destine. Sous les trois premières dynasties, il y avait les chars à

crochets, les chars à tête de tigre, les chars précurseurs, les chars

accouplés, & les chars à tête de dragon. Chaque espèce de char avait,

outre cela, des marques distinctives particulières déterminées par le

souverain lui-même. Sous les Hia c'était une figure d'homme noir qu'on

représentait sur les étendards : sous les Yn ce furent des nuages, sous

les Tcheou on y peignait des portions d'une terre jaune. Les Hia furent

bienfaisants comme l'astre qui nous éclaire ; les Yn furent redoutables

comme le tigre, & les Tcheou furent actifs comme le dragon. Le

discernement, l'application à leurs devoirs, & les circonstances les

rendirent tels. Les uns & les autres travaillaient de toutes leurs forces à

former de bons guerriers ; p.251 mais ils ne leur donnaient pas pour cela

la préférence sur les autres membres de l'État. Ils savaient que lorsque

les gens de guerre sont en nombre suffisant, dociles, bien choisis,

robustes & bien disciplinés, l'empire est à coup sûr dans un état de

vigueur & de force propre à tout entreprendre, que le peuple peut jouir

tranquillement de tous les avantages de la paix ; mais ils savaient aussi

que s'il y a un grand nombre de troupes, qu'elles soient sans talents,

sans valeur, vicieuses & mal disciplinées, alors le peuple s'épuise,

devient pauvre, hors d'état de remplir ses principales obligations,

vicieux même, & quelquefois rebelle. C'est pourquoi ils avaient un

grand soin d'instruire ceux qui suivaient le parti des armes, de leur

inspirer la vertu & de les former à la discipline, d'empêcher qu'ils ne

fussent à charge aux citoyens, qu'ils ne nuisissent au peuple, qu'ils

n'épuisassent inutilement les provisions, qu'ils ne dépeuplassent les

campagnes, qu'ils n'employassent les bêtes de somme dans les temps

où elles sont nécessaires pour la culture des terres ; en un mot, ils

savaient éviter les deux extrémités, ils ne voulaient ni trop ni trop peu

de troupes, ils n'en voulaient point d'inutiles, ils n'en voulaient que

parce qu'ils ne pouvaient pas ne pas en avoir. Ils avaient pour maxime

que l'ordre est la base de tout, & ils le faisaient observer. Ils avaient

des règles déterminées, au moyen desquelles les gens de guerre se

Page 216: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

216

préparaient à marcher sans confusion, à combattre sans désordre, à

vaincre sans cruauté, à triompher sans orgueil, & ils les faisaient

garder ; ils mettaient une juste différence entre les différents corps de

troupes qu'ils avaient sur pied, ils leur donnaient un arrangement

convenable ; ils faisaient en sorte que lorsqu'on tenait la campagne, les

fantassins ne fussent pas obligés de marcher jusqu'à se fatiguer, que

les chars ne fussent pas chargés jusqu'à pouvoir être endommagés,

que les chevaux ne travaillassent pas jusqu'à être p.252 harassés. Ils

disposaient tellement les choses, que tout le monde devait être prêt à

obéir sur-le-champ aux ordres qu'on pouvait donner dans les occasions

même les plus imprévues : ils voulaient que les mieux disciplinés

d'entre les soldats fussent toujours à la tête des autres pour leur servir

de modèles ; ils voulaient enfin qu'une armée, en quelque position

qu'elle pût se trouver, fût toujours dans l'abondance des vivres, des

munitions & de toutes les choses nécessaires ; qu'elle fût toujours prête

à faire face à l'ennemi, & à le combattre avec avantage ; que le service

se fit en tout avec l'exactitude la plus scrupuleuse ; que les différents

corps n'eussent entre eux aucune altercation, aucun sujet de jalousie ;

qu'ils fussent tous de concert pour atteindre le même but, & pour

procurer ensemble le bonheur, la gloire & la tranquillité de l'empire.

Ces sages souverains donnèrent toujours aux lettres la préférence

sur les armes. Persuadés que les richesses faisaient disparaître les

qualités guerrières pour leur substituer le luxe, la mollesse & tous les

vices qui en dépendent, ils ne souffraient point de guerriers opulents.

Convaincus que les richesses & l'autorité, lorsqu'elles sont jointes à la

force, peuvent causer les plus grands maux, peuvent ébranler l'empire

jusque dans ses fondements, ils ne donnèrent aux plus distingués

d'entre les guerriers qu'un crédit limité, que des titres purement

honorifiques, qu'une abondance sans superflu.

Ceux qui portent les armes sont sans cesse exposés à s'écarter du

sentier qui conduit à la vertu ; ceux qui professent les lettres doivent

les y diriger : les guerriers négligent souvent les cérémonies, &

s'écartent des usages établis ; les lettrés doivent les y rappeler : les

Page 217: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

217

armes se plaisent dans l'agitation & le tumulte ; les lettres aiment le

repos & la paix ; celles-là portent à la férocité ; celles-ci adoucissent les

mœurs. Tels étaient les principes sur lesquels nos anciens rois réglaient

leur p.253 conduite. Aussi la vertu ne restait jamais cachée ; on la

produisait au grand jour : les talents n'étaient point enfouis ; on tirait

parti de tout ; la valeur & les brillantes qualités qui l'accompagnent,

n'étaient ni orgueilleuses ni téméraires ; la modestie & la prudence les

conduisaient.

Sous le Grand Yu, on n'avait ni récompenses ni châtiments

déterminés ; la vertu était à son plus haut point de perfection, le

peuple s'y portait de lui-même. Sous les Hia ses successeurs, on

détermina des récompenses, on ne fixa rien sur les châtiments ; le

peuple devenu moins simple & plus instruit eut besoin d'être excité ; la

saine doctrine fut entièrement développée & éclaircie dans tous ses

points. On prit une route opposée sous les Yn. On établit des punitions,

on fit pratiquer la vertu & fuir le vice, par la seule crainte des

châtiments ; l'autorité fut respectée, elle profita de tous ses droits. Les

Tcheou imitèrent les uns & les autres ; ils instruisirent, ils

encouragèrent, ils inspirèrent de la crainte, ils donnèrent des

récompenses, ils infligèrent des peines ; & les avantages qu'ils

procurèrent à l'empire égalèrent en peu de temps tous ceux de leurs

sages prédécesseurs.

Ces trois illustres dynasties se soutinrent avec gloire, autant de

temps qu'elles suivirent tout ce que leurs fondateurs leur avaient

transmis de doctrine & de règlements politiques pour le gouvernement

de l'empire ; mais dès qu'une fois, sous des princes faibles, on

commença à s'écarter de ce qui avait été établi, & à négliger tantôt une

coutume & tantôt une autre, les lois allèrent en décadence, les mœurs

se corrompirent ; on forma des brigues, il y eut des complots & des

révoltes, jusqu'à ce qu'enfin une nouvelle race vint s'asseoir sur un

trône qui était si mal occupé, & en exclut pour toujours ceux qui

n'étaient pas dignes de le remplir. Quels exemples pour un souverain

que ceux que nous ont laissé les p.254 fondateurs & les premiers rois de

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Art militaire des Chinois

218

ces trois célèbres dynasties ! Ils sont dignes de tous nos éloges, ils sont

dignes de l'admiration de tous les hommes ; ils doivent être imités par

ceux qui tenant sur la terre la place du Ciel, doivent donner des lois à

l'univers. Sous ces grands princes, la vertu, le mérite & tous les talents

étaient connus, étaient honorés, étaient employés avec toutes les

distinctions qui leur convenaient ; & c'est pour cela que bien loin de

s'éteindre ou de s'affaiblir, ils prenaient chaque jour de nouvelles

forces, chaque jour ils brillaient d'un nouvel éclat. Le peuple n'était ni

paresseux ni contraint ; il travaillait assidument, mais librement & avec

joie. Les gens de guerre n'étaient jamais oisifs ; leurs occupations se

succédaient les unes aux autres avec ordre & sans discontinuer, ils

empêchaient qu'il n'y eût du désordre dans les villes, ils mettaient à

couvert les campagnes, ils veillaient à la sûreté des grands chemins.

Les uns & les autres menaient une vie laborieuse, mais exempte

d'inquiétude & de peines ; les uns & les autres remplissaient leurs

devoirs, parce que ceux qui étaient à leur tête, parce que les

souverains eux-mêmes remplissaient les leurs avec exactitude.

@

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Art militaire des Chinois

219

Article III

Précis des devoirs particuliers de ceux qui commandent 1

@

p.255 L'autorité respective est la base sur laquelle est appuyé tout ce

qui a rapport au gouvernement, & c'est de l'usage qu'on en fait que

dépendent tous les succès quels qu'ils puissent être. Ainsi, régler &

affermir l'autorité, est le premier & le plus important de tous les

devoirs, & ce doit être l'objet des premières attentions d'un général.

Savoir connaître & apprécier une bonne action quelle qu'elle soit ;

distinguer, parmi les fautes que l'on commet, celles qui peuvent avoir

des suites d'avec celles qui ne sont d'aucune conséquence, & faire

réparer à propos les unes & les autres ; avoir une fermeté à toute

épreuve quand il s'agit de faire observer la discipline ; instruire &

exercer, sans aucune exception, tous ceux qui doivent être employés ;

fermer toutes les voies de désertion à ses propres soldats, les ouvrir au

contraire & les faciliter aux soldats ennemis ; recevoir avec bonté tous

ceux du parti opposé, & pouvoir s'en servir comme de ses propres

gens ; profiter des lumières de tous ceux qui sont en état de donner de

bons conseils, & avoir l'art de pénétrer leurs véritables sentiments, lors

même que par quelque motif de crainte, de politique ou d'intérêt, ils

n'oseraient les déclarer p.256 à découvert ; favoriser l'industrie & tous

les talents militaires ; récompenser la valeur, punir la lâcheté, exciter

l'émulation, étouffer les murmures, faire mouvoir tout le monde à son

gré, comme on le veut & quand on le veut, c'est avoir établi l'autorité.

Mais pour en venir à bout, il faut gagner les cœurs, s'attirer l'estime &

se concilier une respectueuse crainte : il faut faire en sorte que tous

1 Cet Article, disent les commentateurs, est très renommé parmi les gens de guerre :

on le donne ici tel qu'il a été composé par Se-ma lui-même. Il est incontestablement de lui ainsi que les deux suivants. Ceux qui embrassent le parti des armes doivent y faire

une attention particulière, & mettre à profit toutes les maximes qui y sont énoncées.

Page 220: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

220

ceux qui composent une armée soient unis de sentiments comme de

conduite, qu'ils se regardant mutuellement comme le soutien les uns

des autres, qu'ils n'aient tous qu'un même objet, qu'ils soient prêts à

tout sacrifier pour obéir au général. Le général lui-même doit obéir aux

lois & à tout ce qu'elles prescrivent ; il doit être éclairé, juste, impartial,

plein de droiture, désintéressé, & il ne doit rien entreprendre que pour

l'avantage commun. Par avantage commun, il faut entendre celui qui

rejaillit, ou sur le corps général de la nation, ou simplement sur le total

de l'armée. Un tel avantage est de tous le plus réel, le plus solide & le

plus glorieux. Il n'est point sujet aux recherches toujours périlleuses

pour ceux qui en sont l'objet, aux traits empoisonnés de l'envie, aux

critiques calomnieuses, aux vicissitudes & aux renversements. Il est

étayé par la multitude, protégé par le souverain, il se soutient par lui-

même.

Un général éclairé est comme un flambeau ardent qui répand au loin

son éclat, & à la lueur duquel les officiers des différents ordres

conduisent sûrement tous ceux qui leur sont soumis. Un général juste &

sans partialité détruit tout sujet de mécontentement & de murmures, il

se fait aimer, lors même qu'il inflige des peines & des châtiments. Un

général plein de droiture sait rougir à propos, ne craint point de

reconnaître ses fautes & n'a pas honte de les avouer ; il travaille

efficacement à les réparer. Un général désintéressé n'épargne ni ses

soins ni ses peines, sacrifie tout au bien de la patrie, n'est p.257 jamais

la dupe des artifices de l'ennemi, n'enfante point des projets

d'ambition, ne cherche point à s'enrichir, ne se laisse pas corrompre

par l'appât des honneurs des richesses ; il est à l'épreuve de tout. Un

général qui réunit dans sa personne toutes ces qualités, est sans

contredit un bon général : il sait que le moindre relâchement dans la

discipline peut avoir des suites très funestes, & il empêche qu'il ne s'y

en introduise : il sait que, malgré toutes ses attentions, il est presque

impossible qu'il ne se glisse quelque abus ; il est en état de les voir & il

ne craint pas de les corriger ; il sait que punir trop sévèrement les

petites fautes, est un aussi grand mal que celui de punir trop

Page 221: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

221

légèrement les grandes ; qu'une attention trop scrupuleuse à les punir

toutes, est un aussi grand inconvénient que celui de n'en punir

aucune ; que laisser dans l'oubli ceux qui se sont distingués par leurs

belles actions, c'est éteindre l'ardeur guerrière, & étouffer en quelque

sorte l'amour de la gloire ; & qu'exalter, faire valoir & payer pour ainsi

dire toute action militaire qui n'a rien qui ne soit du devoir commun,

c'est avilir la valeur & déprimer le vrai mérite. Ces deux excès étant

également préjudiciables, il les évite l'un & l'autre, il prend un juste

milieu ; il punit & récompense à propos.

Sous un ciel favorable les provisions se font aisément, la joie règne

dans tous les cœurs ; sur un terrain avantageux les troupes peuvent se

ranger à l'aise, elles peuvent se garantir de tous les accidents fâcheux.

Quand on est en même temps sous un ciel favorable & sur un terrain

avantageux, on peut tout mettre à profit. La salubrité de l'air, la facilité

des évolutions, l'usage libre des armes, l'abondance & la bonté des

aliments, l'aisance & la commodité, le contentement général, tout cela

dépend des lumières de celui qui commande & de son attention à tirer

parti du ciel & de la terre. Une armée qui se trouverait exposée à une

chaleur brûlante ou à un froid trop p.258 rigoureux, à des vents

impétueux ou à des pluies excessives, qui se verrait resserrée dans des

lieux étroits & de difficile issue, ou qui se trouverait dans des lieux

stériles, malsains & où il y aurait à souffrir la faim, la soif & une disette

de tout, n'est guère réduite à quelqu'une de ces extrémités que par la

faute de son général, qui n'a pas eu du ciel & de la terre 1 toutes les

connaissances qu'il aurait dû se procurer pour remplir dignement son

emploi.

1 La connaissance du ciel & de la terre, dont il est parlé dans cet article, n'est autre

chose que la connaissance du climat particulier des lieux où le général doit faire camper

son armée. Celui qui commande les troupes doit savoir, dit Se-ma, en quel temps les pluies, les vents, les orages, les frimas, le chaud & le froid sont les plus ordinaires, afin

de ne pas exposer son armée mal à propos. Voilà ce que les Chinois appellent la

connaissance du ciel. Par la connaissance de la terre, ils entendent ce que nous entendons nous mêmes par les mots de géographie, topographie, &c.

Les armes longues courtes dont parle l'auteur, & qui étaient en usage de son temps,

sont de cinq sortes, dont les noms sont mou, y, yeou, kou, tchi.

Page 222: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

222

Un bon général doit avoir reconnu tous les postes importants, s'en

être emparé & les faire garder avec soin : il doit disposer ses troupes

de telle sorte que celles qui ne combattent qu'avec des armes

courtes 1, soient toujours soutenues par celles dont les armes peuvent

atteindre au loin : il doit faire couvrir les unes & les autres par les

arbalétriers, & par tous ceux en général qui peuvent lancer des flèches

ou des javelots ; il doit ranger ses soldats de façon que cinq ne fassent

qu'un, & qu'un seul soit pour ainsi dire quintuple de lui-même ; c'est

ainsi qu'il doit les faire combattre en les faisant circuler, & en les

renouvelant sans cesse, pour avoir sans cesse des hommes toujours

frais. Cinq hommes inséparablement unis, n'ayant qu'une même façon

d'agir & de vivre, qu'un même but, qu'un même intérêt, ne voyant, ne

parlant, n'entendant, ne p.259 sentant qu'en commun, n'étant affectés

que des mêmes objets, & n'ayant, pour ainsi dire, que les mêmes

passions, ne trouveront rien qui soit au-dessus de leur portée ; ils se

soutiendront dans les marches, ils s'animeront dans les combats, ils

s'éclaireront dans les doutes, ils se soulageront dans les peines, ils

s'encourageront dans les craintes, ils se serviront mutuellement de

frein contre les vols, les rapines, les brigandages, & contre toute action

illicite & déshonorante.

Le général a ses idées propres, les officiers & les soldats ont les

leurs qui leur sont propres aussi : si elles diffèrent entre elles, rien ne

réussira ; si elles s'accordent, tout ira bien. Faire préparer des

magasins d'armes & de vivres, disposer des chevaux, des chariots &

des bêtes de somme, assigner les postes & les emplois, ranger les

troupes, les instruire & les exercer, les rendre promptes, lestes &

vaillantes ; envoyer des espions chez les ennemis, en avoir dans son

propre camp pour ne rien ignorer de ce qui s'y passe : tout cela

1 Le mou était fait avec du bois de bambou, un de ses bouts était armé de fer ; il était

long de douze pieds. Le y, autrement dit y-mo, était une espèce de lance ou de pique longue de vingt pieds ou de vingt pieds quatre pouces. Le yeou, ou autrement dit yeou-

mo, était une espèce de demi-pique longue de douze pieds. Le kou était une arme dont

la longueur était de six pieds quatre pouces ; le fer en était plat de la largeur de deux pouces. Le tchi était une arme dont il y avoir deux espèces. Celles de la première

étaient longues de vingt-quatre pieds, & celles de la seconde n'avaient que douze pieds

de longueur.

Page 223: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

223

regarde le général. Mettre la main à l'œuvre, travailler avec ardeur &

sans se rebuter, souffrir sans murmure la faim, la soif & la fatigue ;

exécuter avec fidélité tous les ordres reçus, s'exposer sans crainte à

tous les dangers dès qu'il s'agit d'obéir, remplir avec exactitude p.260

jusqu'au plus petit de ses devoirs, c'est l'affaire des subalternes & des

soldats. Le général & les troupes qu'il commande ne font entre eux tous

qu'un seul & même corps. Une armée est comme un grand arbre, le

général en est le tronc, les officiers & les soldats en sont les branches.

Pour bien conduire une armée, pour la commander dignement, il

faut de toute nécessité employer la vertu, la valeur & l'art ; la vertu,

dans la manière de faire la guerre en général ; la valeur, dans les

batailles les combats ; l'art dans la disposition & l'arrangement des

troupes. Il faut employer les hommes à ce qu'ils aiment d'inclination ; il

faut leur fournir les moyens de déployer leurs talents & de les faire

valoir ; il faut prendre en tout le contrepied de l'ennemi.

Le Ciel, les Avantages, le Bon, sont trois choses auxquelles on doit

une attention particulière. Choisir tellement le jour où l'on doit faire

quelque opération importante, qu'on ne puisse jamais être forcé de le

changer ; faire ses marches de telle manière qu'elles soient toujours

sûres & sans obstacles ; savoir saisir le moment de la victoire, c'est

avoir fait attention au Ciel. Avoir en abondance toutes les provisions

nécessaires en tout temps & en tout lieu, couler soi & les siens des

jours sains, dans un contentement qu'on ne craint point de perdre,

c'est avoir pourvu aux vrais Avantages. Maintenir le gros de l'armée

dans une position toujours favorable & toujours prête à tout

événement, garder toutes les lois d'une exacte discipline, quelque part

& dans quelques circonstances qu'on se trouve, avoir su inspirer un

empressement général à tout faire, à le faire sans crainte & avec soin,

avoir mis toutes choses en état d'aller comme d'elles-mêmes, en

conservant un ordre toujours égal, c'est avoir trouvé le Bon.

On peut dire en général qu'une armée nombreuse est une armée

forte ; mais on peut dire aussi qu'une armée trop p.261 nombreuse est

difficile à entretenir, à ranger, à conduire, à faire mouvoir, & que ce

Page 224: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

224

n'est qu'avec des peines infinies qu'on peut contenir une armée trop

forte dans les bornes étroites de la discipline & du devoir. La principale

force d'une armée consiste moins dans le nombre que dans le choix.

Une armée est toujours assez forte quand elle a des chars légers,

des cavaliers agiles & adroits, des fantassins robustes & expérimentés,

quand tous ceux qui la composent sont dociles & bien exercés, quand

au-dedans elle est toujours en bon ordre, quand au-dehors elle est

toujours en état de faire toutes les évolutions à propos, quand elle peut

aller & venir, s'étendre & se replier comme elle le veut & quand elle le

veut. L'ignorance de bien des choses qu'il faudrait savoir, le

relâchement dans la discipline, un trop grand train, des embarras de

toutes les espèces se trouvent, pour l'ordinaire, dans une armée trop

nombreuse. Que de monde ne faut-il pas pour avoir l'œil à tout, pour

avoir soin de tout ! Quel espace de terrain pour tant d'hommes, pour

tant d'animaux, pour tant de chars, pour tant de provisions, pour tant

de bagages ! Que d'hommes uniquement destinés à garder, à préparer,

à consumer, à vivre, & souvent même à détourner, à intimider, à

débaucher, à nuire de mille façons ! Comment un général peut-il voir

d'un même coup d'œil son armée entière ? Comment peut-il en

disposer à son gré ? Quelle attention peut-il faire à toutes les marques

distinctives des différents corps qui la composent ? Comment dans

deux instants successifs peut-il donner deux ordres différents &

quelquefois contraires, suivant que les circonstances l'exigent ? Il voit

sa faute, il veut la réparer ; il aperçoit le mal, il veut s'en préserver :

cela ne lui est pas possible : la machine est en mouvement il faut

qu'elle aille.

Rien n'est plus funeste pour une armée que lorsque la

désobéissance aux chefs, la désunion entre les membres, les p.262

soupçons, les défiances mutuelles, les craintes mal fondées, la

nonchalance, la paresse, les autres passions se sont emparées de la

plupart des cœurs. Le désordre, & un désordre général, en est la suite ;

les pertes & les échecs continuels en sont les tristes effets. Qu'on

Page 225: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

225

étouffe l'orgueil dans son principe, qu'on éteigne la lâcheté dans sa

source, on aura paré à tout.

L'orgueil s'engendre de la vanité, & la vanité de l'amour-propre : la

lâcheté vient de la crainte, la crainte vient d'une fausse prévoyance

portée à l'excès ; mais l'orgueil & la lâcheté produisent toutes sortes de

vices qui entraînent après eux tous les malheurs. Un général qui a de la

vanité, cherche les applaudissements. Plein de lui-même, il se persuade

qu'il n'y a de bons projets que ceux qu'il a enfantés, de bonnes

mesures que celles qu'il prend, de bons desseins que ceux qu'il conduit,

de bonnes routes que celles qu'il s'est tracées. Qui oserait le

contredire ? Même dans ses plus grands écarts on le flatte, on lui

prodigue les adulations. Les fautes les plus lourdes ne le détromperont

pas, il les ignore. Eh ! comment pourrait-il les connaître ? on les lui

cache avec soin & il se les dissimule à lui-même. Bientôt sa vanité

dégénère en pétulance & en orgueil ; il ne voit plus rien, il n'entend

plus rien, il ne fait plus rien ; il se rend odieux, on le déteste, on le fait

échouer, on le trahit, tout est perdu sans ressource.

Le défaut contraire produit les mêmes effets. Un général qui ne croit

pouvoir compter sur rien, qui n'a point assez bonne opinion de ce que

peuvent les siens, ni de ce qu'il peut lui-même, qui porte une fausse

prévoyance à l'excès, a nécessairement le cœur toujours à l'étroit. Il

croit voir partout de justes sujets de se défier ; il soupçonne sans

fondement, il est minutieux, indécis, craintif, pusillanime ; rien ne lui

échappe, tout lui fait peur ; les arbres des champs lui paraissent des

armées, il voit sous l'herbe rampante des p.263 soldats en embuscade ;

un mot échappé, un simple regard seront pour lui des signaux certains

de trahison ou de révolte.

Que peuvent faire des troupes commandées par un tel homme ? de

quoi sont-elles capables ? Lâches comme lui, elles ne chercheront qu'à

mettre leurs jours en sûreté. A la première occasion, ou par une fuite

précipitée, ou en baissant devant l'ennemi des armes qu'elles devraient

employer à le combattre, sans égard à quoi que ce soit, sans regret &

même sans honte, elles sacrifieront ignominieusement leur propre

Page 226: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

226

honneur, celui de la patrie, de leur prince & de leurs ancêtres. A ces

vices dignes d'un opprobre éternel, je veux dire à l'orgueil & à la

lâcheté, celui qui commande doit opposer les vertus dont il n'emprunte

que trop souvent le masque : la magnanimité & la prudence.

Qu'un général soit magnanime, qu'il soit prudent, il sera hardi sans

témérité, fier sans présomption, ferme sans opiniâtreté, exact sans

petitesse, attentif sans défiance, circonspect sans soupçon ; il connaîtra

le grand & le petit, le fort & le faible, le peu & le beaucoup, le pesant &

le léger, le loin & le près ; il saura ranger sans confusion, & combiner

toujours à propos, suivant les circonstances, le temps & les lieux, les

trois, les cinq & les deux de toutes espèces 1 ; il cherchera la véritable

gloire, il remplira tous ses devoirs sans p.264 ostentation comme sans

crainte ; il sera véritablement digne de commander.

Dans quelque position qu'une armée puisse se trouver, il faut que

celui qui la commande ait toujours des espions qui l'instruisent

fidèlement de ce qui se passe au loin ; il faut qu'il voie par lui-même

tout ce qui est à portée d'être vu ; il faut qu'il se souvienne sans cesse

que s'il a les armes à la main, c'est la justice qui les lui a confiées, que

s'il emploie des hommes pour combattre contre d'autres hommes, c'est

l'humanité qui le lui commande : il doit toujours avoir présent à l'esprit,

que la réussite de ses entreprises & de toutes ses opérations militaires

dépendra de l'attention qu'il aura eue au temps, pour les commencer, &

des mesures qu'il aura prises, suivant ses forces & ses provisions, pour

les conduire à une heureuse fin : il ne doit jamais oublier que pour

vaincre un ennemi, il faut le connaître & qu'on ne le connaît bien que

lorsqu'on sait tout ce dont il peut être capable. Il faut surtout qu'il se

soit mis en état de n'être jamais pris au dépourvu, & de n'avoir à se

défier de qui que ce soit. Avant de vous mettre en campagne, répandez

1 Les mots que j'ai soulignés sont les propres termes chinois traduits à la lettre. J'ai mieux aimé employer une façon de parler barbare, que de m'exposer à ne pas donner

le vrai sens de l'original, car j'avoue que je n'entends guère ce qu'il veut dire par les

trois, les cinq, & les deux de toutes espèces. Les commentateurs se contentent de dire que les soldats, en quelque nombre & quels qu'ils puissent être, seront toujours rangés

comme ils doivent l'être, si le général est tel qu'on vient de le dépeindre. Ces auteurs

s'expliquent les uns par les autres, car ils ont tous les mêmes principes ou à peu près.

Page 227: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

227

les bienfaits à pleines mains, inspirez la confiance publique ; quand

vous serez à l'armée, élargissez le cœur de vos soldats, faites régner

l'abondance ; lorsque vous combattrez, portez la terreur & l'effroi, ne

redoutez rien pour vous-même.

Dans l'enceinte du royaume, soyez débonnaire & ne respirez que

concorde, paix & douceur ; à l'armée, faites observer la discipline & ne

craignez pas de punir ; dans les combats, cherchez à qui porter des

coups, & ne craignez pas d'en recevoir.

A la ville soyez honnête, bon, vertueux & tendre : à l'armée soyez

actif, exact, plein de ressources, vigilant, p.265 industrieux, dissimulé

même, & rusé s'il le faut ; soyez ardent, infatigable, vaillant & intrépide

les armes à la main.

Ce n'est qu'à ce prix que vous serez digne en quelque façon de

commander une armée ; mais vous mériterez le magnifique titre de

grand général, si vous rangez vos troupes avec art, si vous les postez

avec avantage, si vous les faites combattre à propos, si vous les

instruisez en détail, si vous les gouvernez avec fermeté, si vous

récompensez avec éclat, si vous gardez avec vigilance, si vous

supputez avec exactitude.

Vous aurez l'art de bien ranger les troupes, si vous combinez tous

les différents corps dont elles sont composées, de façon qu'ils ne

puissent jamais se nuire les uns aux autres ; si vous les mettez en état

de pouvoir toujours se secourir promptement, se remplacer facilement,

se soutenir mutuellement ; si vous faites en sorte qu'ils puissent agir en

tout temps & se détacher sans inconvénient au premier signal qui leur

sera donné, sans que leurs voisins en souffrent le moindre dommage ;

si vous les mettez à portée & en situation de voir tout ce qu'il faut voir,

d'entendre tout ce qu'il faut entendre & de faire tout ce qu'il faut faire ;

si vous les placez de manière à se servir mutuellement d'aiguillon à

bien faire & de barrière contre la mollesse, les murmures, les cabales,

les désertions, la lâcheté & toute la foule des vices dont les gens de

guerre, à la honte de ceux qui les commandent, ne se souillent que trop

souvent.

Page 228: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

228

Votre armée sera postée avec avantage si elle se trouve dans des

lieux un peu élevés, d'où l'on puisse découvrir au loin, des quatre côtés,

qui soient sains, fertiles, où il y ait de bonne eau & de gras pâturages,

d'où vous puissiez sortir librement & sans craindre aucune embuscade,

& où vous soyez toujours le maître de vous battre ou de refuser le

combat, p.266 sans qu'on puisse jamais vous forcer à prendre un parti

que vous croiriez ne devoir pas tourner à votre profit.

Le temps, l'heure, le moment, quelques petites circonstances,

suffisent souvent pour assurer la victoire ; ainsi, savoir choisir ce

temps, cette heure, ce moment, savoir profiter de ces circonstances

pour engager, continuer & finir le combat, c'est combattre à propos. Je

pourrais entrer ici dans un détail immense, mais votre sagacité

suppléera à ce que je n'oserais dire ; quelques exemples suffiront pour

vous faire comprendre ma pensée. Le matin ou le soir, lorsque le soleil

donne dans les yeux des ennemis, à toute heure de la journée,

lorsqu'un vent impétueux souffle du côté qui leur est opposé, lorsque la

jonction de leurs différents corps d'armée ne s'est point encore faite,

avant qu'ils aient reçu les renforts des troupes qu'ils attendent,

lorsqu'ils ont besoin de repos, lorsqu'ils ne sont point sur leurs gardes,

lorsqu'ils ont souffert de la faim ou de la soif, lorsque quelqu'un de

leurs officiers généraux, dont le mérite vous est connu, est absent ou

malade, attaquez sans hésiter. Qu'une téméraire impétuosité ne vous

fasse point oublier ce que vous vous devez à vous-même, ce que vous

devez à tous ceux que vous commandez ; qu'une ardeur aveugle ne

vous fasse point oublier ce que vous devez à l'humanité. Combattez

vaillamment, mais avec mesure ; ne réduisez pas au désespoir un

ennemi qui peut encore vous nuire, contentez-vous d'un avantage

médiocre, pourvu qu'il soit sûr, sans en chercher de plus considérable,

qui serait douteux. Faites sonner la retraite avant la nuit : ne permettez

pas qu'on poursuive les fuyards par bandes détachées ou par pelotons,

au-delà du terme que vous aurez assigné, & ce terme doit être court.

Après le combat, donnez à vos soldats le repos dont ils ont besoin, mais

ne les laissez pas dans une entière sécurité ; p.267 faites que tout soit

Page 229: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

229

disposé, comme si le lendemain vous deviez combattre encore. Quand

vous saurez que les ennemis sont bien loin de vous, vous ferez alors ce

qui est d'usage en pareille occasion.

Instruire en détail les troupes, c'est leur dire cent fois, c'est leur

répéter sans cesse ce qu'elles doivent faire & ce qu'elles doivent éviter,

c'est les exercer à toutes les évolutions militaires, c'est les endurcir au

travail, à la fatigue & aux peines de toutes espèces ; c'est, en deux

mots, les mettre en état de n'ignorer aucun de leurs devoirs, & de se

faire une douce habitude de les remplir.

Gouverner avec fermeté, c'est employer toutes sortes de moyens

légitimes pour maintenir le bon ordre ; c'est sacrifier ses intérêts

personnels, sa vie même, s'il le faut, pour faire garder la loi ; c'est par

conséquent gouverner sans crainte, sans respect humain, sans

passion ; c'est exiger de chacun l'accomplissement de ses devoirs, mais

l'exiger avec les égards que demandent la justice, la prudence &

l'humanité, c'est-à-dire sans dureté, sans caprice, sans opiniâtreté,

sans acception de personne.

Un général ainsi ferme trouvera d'abord bien des difficultés à

surmonter, on lui opposera bien des obstacles, on blâmera sa conduite,

on le calomniera, on l'accusera même, on tâchera de le noircir dans

l'esprit du souverain ou de ses ministres, on lui fera des crimes de ce

qui n'est en lui que vertu & pur zèle pour le bien de son maître & de la

patrie. Mais qu'il ne s'effraie point, qu'il ne se laisse point abattre, qu'il

soit toujours le même, simple dans son exactitude, inébranlable dans

son uniformité. Bientôt il surmontera tout, tout lui deviendra facile, tout

pliera sous les moindres signes de sa volonté, & ceux même qui lui

étaient le plus contraires, qui l'avaient le plus décrié, qui l'avaient pris

pour l'objet p.268 ordinaire de leurs médisances ou de leurs railleries,

dociles comme les autres, se prêteront à tout, se soumettront à tout,

lui donneront, comme les autres, les justes éloges qu'il mérite.

Récompenser avec éclat, c'est reconnaître le mérite, les talents, les

belles actions ; c'est les faire valoir, c'est les relever, c'est flatter

Page 230: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

230

l'homme par son endroit sensible, c'est l'animer à bien faire, c'est

l'encourager.

La valeur des récompenses dépend de l'idée qu'on s'en forme.

Attachez des distinctions aux choses les plus simples, elles deviendront

l'objet des recherches des plus grands hommes : n'accordez ces

distinctions qu'à ceux qui les ont méritées, elles seront d'un prix

inestimable, il n'est rien qu'on ne fasse pour les obtenir. Lors donc que

quelqu'un de vos gens se sera distingué par quelque haut fait, ou par

quelque action extraordinaire, ne vous contentez pas de lui donner de

stériles louanges, de le proclamer dans l'enceinte du camp, de lui faire

assigner quelque modique pension, ou de l'élever à quelque grade

supérieur à celui qu'il occupait ; il ne faut pas effleurer simplement son

cœur, il faut le pénétrer. Il faut qu'il puisse se flatter que la gloire qu'il

acquiert n'est point une gloire éphémère que le même jour voit, pour

ainsi dire, naître & mourir : il faut qu'il ait la consolation de la voir

rejaillir sur ses ancêtres, & l'espérance qu'elle se perpétuera dans ses

descendants.

Pour cela, voici à peu près ce que vous pouvez faire. Dans les lettres

que vous écrivez au souverain, pour l'avertir juridiquement, & lui

rendre compte de ce qui se passe 1, dites lui : p.269

1 Ce que l'auteur suggère ici est fondé sur un usage très ancien dans l'empire, & qu'on

a établi par un raffinement de politique, pour mettre l'honneur du général & de ceux

qu'il commande au jugement du seul souverain, & celui du souverain à la discrétion du souverain lui-même, & pour empêcher que le public ne soit trompé par une foule de

relations indiscrètes dont les auteurs, ou par ignorance, ou par prévention, ou par

mauvaise volonté, sont presque toujours hors d'état de connaître le vrai. Cet usage consiste à empêcher que dès qu'une fois l'armée est en campagne, aucun de ceux qui

la composent ne puisse écrire des lettres particulières à qui que ce soit. Le général &

ceux de son conseil ont seuls le privilège de faire passer des nouvelles, & encore ne peuvent-ils les faire passer qu'à l'empereur, ou au tribunal de la guerre, pour rendre

compte de leur conduite, & de tout ce qui est arrivé d'un peu intéressant. Ils écrivent

pour l'ordinaire une lettre commune, laquelle est livrée ensuite au tribunal qui préside à l'histoire pour être insérée tout au long dans les fastes de l'empire ; c'est pourquoi ils

n'écrivent rien qu'ils ne l'aient auparavant bien pesé & bien discuté entre eux. Il est

difficile que tant de têtes s'accordent pour déguiser un fait particulier, surtout s'il est de quelque importance. S'il arrive que quelqu'un pense différemment des autres, il a le

droit d'écrire secrètement à Sa Majesté pour l'informer de ce qu'il croit nécessaire. Celui

qui en vient là doit être extrêmement sur ses gardes, car il risque le tout pour le tout. Si ces informations sont exactes, ceux qui en ont donné de fausses seront très

certainement châtiés ; mais si dans son procédé l'on découvre de l'étourderie, de la

mauvaise foi, ou quelque passion secrète, il est perdu lui-même sans ressource.

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Art militaire des Chinois

231

Un tel..., fils d'un tel... de telle province... de telle ville... de tel

village..., commandant tel corps... officier de telle garde, ou

simple soldat, a fait telle chose..., de telle & telle manière...,

malgré tels & tels obstacles qu'il a surmontés, &c. Pour le

récompenser, je lui ai donné telle prérogative, telle marque de

distinction..., je l'ai élevé à telle place qui est la seule vacante

que j'ai trouvé digne de lui, &c. J'en avertis Votre Majesté afin

que par la plénitude de sa puissance elle fasse en grand ce que

je n'ai pu faire qu'en petit & en attendant, &c.

Rien n'est impossible à des guerriers qui s'attendront à être ainsi

récompensés, surtout si le prince ajoute aux bienfaits qui sont de

coutume en pareille occasion, celui de donner de sa propre p.270 main

quelqu'une de ces inscriptions honorables 1 qui sont l'ornement d'une

maison & la gloire de toute une famille.

1 J'ai traduit le mot de pien par ceux d'inscriptions honorables. On en pourra substituer

de plus propres, quand on saura ce que c'est que pien. Le pien consiste en trois, quatre,

cinq ou six lettres chinoises, qui caractérisent directement la personne qu'on veut louer, ou qui expriment allégoriquement les qualités, les vertus ou belles actions de celui qui en

est l'objet. L'empereur écrit de sa propre main ces lettres ou caractères, en gros cadeau ;

on les grave sur le bois ou sur l'airain, on les encadre suivant les facultés de celui qui en fait les frais, c'est-à-dire le plus magnifiquement qu'il est possible. On détermine un jour

pour la cérémonie de la translation du pien. Ce jour arrivé, des mandarins, suivis d'un

nombreux cortège, vont, au son des instruments, le porter jusqu'à la maison de celui qui a été jugé digne de cette faveur ; là ils sont attendus par d'autres mandarins, sur

lesquels ils se déchargent, en arrivant, de ce précieux dépôt, & ceux-ci le placent avec

beaucoup de respect dans l'endroit propre de sa destination, lequel est pour l'ordinaire le plus apparent de la maison. Voici un exemple qui fera connaître quel est le goût de ces

pien. Je prends celui que j'ai continuellement sous les yeux, je veux dire celui dont

l'empereur Kang-hi honora le P. Parennin. Il ne consiste qu'en trois lettres qui sont ho-loung-koang ; ce qui signifie foyer où se réunissent les rayons de lumière qui partent du

dragon. Le dragon est chez les Chinois un animal mystérieux auquel ils attribuent les plus

grandes merveilles ; il est aussi le symbole de l'empereur. Ainsi, ce court éloge ho-loung-koang, peut signifier que celui pour qui il a été composé brillait de la lumière même du

dragon, c'est-à-dire qu'il avait une pénétration, une sagacité, un brillant, & une manière

totale d'esprit qui le distinguaient du commun des hommes ; il peut signifier aussi que l'empereur, représenté par le dragon, l'honorait de sa familiarité la plus entière, & avait

répandu sur lui les bienfaits à pleines mains ; bienfaits de la première espèce, puisqu'ils

sont représentés par les rayons du dragon, qui représentent eux-mêmes tout ce qu'on peut imaginer de plus sublime. Ces trois caractères ho-loung-koang qui forment le pien

sont écrits de suite, à côté l'un de l'autre, non pas l'un sous l'autre. Dans le même cadre,

au côté droit du pien, mais un peu au-dessous, est écrit en petits caractères le nom chinois du P. Parennin, & au coté gauche sont écrits les années du règne, mois & jour

auxquels cette distinction a été accordée. Au bas on a imprimé le sceau de Sa Majesté.

Rien n'inspire plus de respect que ces sortes d'inscriptions, surtout si elles ont des toui-tse faits par quelque prince ou par quelque ministre, ou simplement par quelque habile

lettré. Ces toui-tse ne sont autre chose que l'explication du pien. Ils sont écrits en long,

un caractère sous l'autre, encadrés à peu près comme le pien, dont ils sont les pendants.

Page 232: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

232

Garder avec vigilance, c'est avoir pourvu de son mieux à tous les

postes, importants ou non, sans vous fier trop à l'apparence ; c'est les

maintenir à l'abri des insultes de l'ennemi, en vous ménageant la

facilité de les secourir à la première attaque qu'on voudrait en faire ;

c'est avoir distribué des espions, en aussi grand nombre & en autant de

lieux qu'il faut, pour être averti de tout, toujours à temps & toujours à

propos ; c'est être toujours prêt à tout ; c'est être dans une attention

continuelle, c'est veiller, pour ainsi dire, lors même qu'on dort.

Supputer avec exactitude, c'est savoir jour par jour tout ce qui peut

se consumer & ce qui se consume réellement de p.271 munitions de

guerre & de bouche, & de provisions de toutes les espèces ; c'est les

avoir tellement préparées, combinées & disposées, que, dans quelque

circonstance qu'on se trouve, on n'en puisse jamais manquer, on en ait

toujours en abondance ; c'est savoir le temps précis, l'heure, le

moment où les ennemis doivent recevoir des secours d'hommes,

d'argent ou de munitions, pour y mettre obstacle, & les lui enlever

même, suivant que les circonstances le permettront ; c'est savoir en

combien de temps on emportera tel ou tel poste, on arrivera dans tel

ou tel endroit, on pourra faire telle ou telle opération, on rencontrera

l'ennemi dans tel ou tel embarras, dans telle ou telle fâcheuse

circonstance ; c'est enfin p.272 avoir si bien pris ses mesures, que tout

arrive précisément comme on l'a prévu, & dans le temps qu'on l'a

prévu.

La durée d'une chose, d'une affaire, d'un usage & de tout en

général, est la mesure la plus juste de sa bonté. Tout ce qui n'est pas

bon ne saurait durer longtemps ; tout ce qui n'est pas juste ne peut

manquer d'être bientôt détruit ; ainsi, dans le militaire comme dans le

civil, nous devons regarder comme sacré tout ce que nous tenons

encore de nos anciens ; son existence est une preuve de sa justice, sa

durée nous garantit sa bonté. Il ne faut donc jamais faire d'innovation,

il faut suivre les routes battues, à moins qu'un changement total dans

les mœurs & dans la constitution des choses ne vous contraigne de

Page 233: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

233

changer aussi : dans ce cas ne faites rien de vous-même, ne faites rien

sans un mûr examen, sans de longues & de fréquentes délibérations.

La connaissance anticipée de tous les dangers auxquels on est

exposé, en est comme le préservatif ; l'attente où l'on a été des peines

qu'on souffre, en adoucit les rigueurs ; les dispositions où l'on a tâché

de se mettre pour surmonter toutes sortes de fatigues & de travaux,

relèvent le courage, donnent des forces, & font qu'on ne se laisse point

abattre. Il faut donc, avant que d'exiger le serment de vos troupes, les

prévenir sur tout, les instruire clairement de tout, & ne leur laisser rien

ignorer de tout ce à quoi leur profession les engage. Leur patience &

leur courage seront par là à l'épreuve de tout ; elles ne se démentiront

point dans l'occasion, elles seront toujours les mêmes.

Les bons présages inspirent la joie & la confiance ; la joie & la

confiance doivent régner dans votre camp, dans le cœur de chacun de

vos soldats ; il faut donc interpréter favorablement tout ce qui peut

arriver d'extraordinaire ; il faut empêcher p.273 qu'on ne tire des

augures sinistres, tant des accidents qui sont l'effet visible de quelque

cause naturelle, que de ceux dont on ignore la cause. Les meilleurs de

tous les présages, les plus sûrs sans contredit, d'un avenir heureux,

sont la justice de votre cause, les mesures que vous aurez prises, la

droiture de vos intentions, votre habileté, l'expérience & la valeur de

vos capitaines, la docilité & l'exactitude de vos soldats, & l'union intime

de tous ceux qui composent votre armée.

L'uniformité du gouvernement maintient toutes choses dans leur

état naturel ; elle est la base du bon ordre & la source des heureux

succès. Il faut donc que votre manière de gouverner soit toujours la

même, qu'elle ne soit sujette à aucun changement, que vous soyez sûr

d'être approuvé par le grand nombre toutes les fois que vous voudrez

la mettre en pratique, dans quelque circonstance que ce puisse être.

N'admettez donc rien qui soit hors de la portée du commun des

hommes, rien d'injuste, rien de rebutant, rien de trop difficile. Soyez

diligent à instruire, clair & précis dans les ordres que vous donnez,

constant à exiger, exact & inflexible à faire exécuter. N'ayez jamais

Page 234: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

234

d'humeur, jamais de caprice, jamais de vue d'intérêt propre. Soyez

toujours affable, toujours bienfaisant, toujours plein de cette tendresse

effective que personne ne peut révoquer en doute.

L'homme... l'homme : la droiture... la droiture : l'interruption...

l'interruption ; la vigilance... la vigilance : que ces quatre mots ne

sortent jamais de votre mémoire 1. p.274

Quand vous serez sur le point de commencer le combat, tâchez

d'émouvoir vos gens par les motifs qui vous paraissent les plus propres

à faire impression sur eux ; étudiez leur cœur, connaissez ce qu'ils

aiment, afin de pouvoir les conduire uniformément ; déterminez

l'espace de terrain que chaque corps doit occuper, la manière dont il

peut s'étendre & celle dont il peut se resserrer ; assignez un terme au-

delà duquel il ne soit plus permis d'avancer & un autre jusqu'où l'on

puisse reculer, pour revenir ensuite sur ses pas. Donnez le change à

l'ennemi par des signaux trompeurs, ou par des situations simulées ;

allez vous-même de rang en rang, pour voir si tout est dans l'ordre :

ces précautions vous mettront en état de lire jusques dans le fond du

cœur de tous vos soldats. Si vous jugez qu'ils souhaitent avec ardeur

d'en venir aux mains, ne perdez pas un moment de temps, faites

donner le dernier signal, & combattez. Si au contraire vous apercevez

de la crainte, de la langueur ou de l'indifférence, saisissez le premier

prétexte plausible, & demeurez dans l'inaction jusqu'à un temps plus

favorable.

Naturellement l'homme cherche à imiter ; s'il voit faire le bien, il se

porte de lui même à le faire ; s'il voit faire le mal, il s'y livre & le fait

comme ses modèles. Il n'est personne qui ne souhaite de jouir d'une

bonne réputation ; il n'est personne qui ne souhaite de se faire un nom.

Si vous voulez que vos gens trouvent du plaisir à se bien conduire,

menez vous-même une conduite irréprochable : si vous voulez qu'ils

travaillent de toutes leurs forces à s'acquérir une réputation honorable,

1 Je n'ai rien trouvé dans les commentateurs qui donnât l'explication de ces quatre termes répétés. Ils se contentent de dire que si l'on en fait usage à propos, après en

avoir bien compris le sens, il n'est rien qu'on ne puisse faire réussir, comme au

contraire que tout est perdu sans ressource, si l'on vient à en abuser.

Page 235: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

235

à se faire un nom du côté de la valeur & des autres vertus guerrières,

donnez-leur-en vous-même l'exemple ; faites des actions

extraordinaires, surpassez-vous, pour ainsi dire, dans tout ce qui est de

votre devoir, dans tout ce qui peut faire l'admiration des hommes. Dans

tout ce que vous p.275 ferez, soit en bien, soit en mal, soyez convaincu

que vous aurez toujours une foule d'imitateurs, qui ne tarderont pas de

devenir eux-mêmes des modèles.

Quelque attentif que soit un général, quelque bien qu'il se conduise,

il arrive quelquefois que le désordre se met parmi les troupes qu'il

commande : pour y remédier, il n'y a pas de moyens plus sûrs & plus

efficaces que ceux que je vais vous suggérer. Ils sont au nombre de

sept ; je ne fais que les indiquer ; vos propres réflexions vous

apprendront assez l'usage que vous devez en faire. 1° l'humanité, 2° la

fermeté, 3° la droiture, 4° l'uniformité, 5° la justice, 6° les

changements, 7° l'application. L'humanité, pour abattre tous les

mouvements d'indignation, de colère & de vengeance qui s'élèvent,

dans ces sortes d'occasions, dans le cœur d'un général, & pour

empêcher qu'il ne porte la rigueur jusqu'à une sévérité outrée, ou

même jusqu'à la cruauté. La fermeté, pour ne pas se laisser abattre par

la crainte ou par les difficultés, quelles qu'elles puissent être, pour ne

pas se laisser vaincre par les sollicitations & les intrigues des

protecteurs. La droiture, pour se mettre au-dessus des préjugés & pour

ne pas prendre le change dans l'appréciation des fautes, & dans la

perquisition de ceux qui les ont commises. L'uniformité, pour qu'on

sache à quoi s'en tenir par rapport à vous, pour pouvoir agir sûrement

& efficacement, pour ôter tout prétexte aux soupçons, aux artifices, aux

dissimulations, aux craintes mal fondées. La justice, pour attribuer à

chacun ce qui lui est dû, le crime au coupable, l'innocence à l'innocent,

les châtiments aux faux délateurs, les récompenses à ceux qui donnent

de bons avis. Les changements, pour couper la trame des cabales & des

complots, pour mettre des murs de division entre les coupables, pour

préserver de la contagion ceux qui pourraient s'en laisser infecter, pour

donner aux p.276 complices l'occasion de se déceler les uns les autres,

Page 236: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

236

par la crainte mutuelle d'être prévenus. L'application, pour ne pas se

laisser endormir ou surprendre, pour prendre toutes les mesures

nécessaires & ne rien omettre de tout ce qui peut contribuer à éteindre

des étincelles qui pourraient causer le plus furieux embrasement si elles

étaient négligées, ou pour étouffer l'incendie, s'il est déjà commencé.

Ce que je viens de dire suffit de reste pour vous mettre en état

d'examiner vous-même & d'appliquer à propos les sept moyens de

remédier aux troubles, aux révoltes, aux murmures, aux cabales, aux

dissensions intestines & à toutes sortes de désordres, de quelque

nature qu'ils soient.

Outre les règles générales de discipline qui sont communes à tous

les gens de guerre, un bon général peut & doit quelquefois en établir de

particulières qui soient proportionnées à la nature des troupes qu'il

commande, à leur nombre, au temps, au lieu & aux circonstances :

elles doivent être claires, en petit nombre, évidemment avantageuses &

de facile exécution ; elles doivent avoir le bon ordre & le bien commun

pour objet ; elles doivent regarder indistinctement tout le monde : il

faut qu'il y ait des peines exemplaires & irrévocables pour les

infracteurs, quel que soit le rang qu'ils occupent. L'observation ou

l'infraction de ces règles dépendent également du général : si ceux qui

composent son armée sont convaincus de son humanité, de sa justice,

de sa capacité, de son exactitude à observer les lois & à remplir tous

ses devoirs particuliers, de sa droiture, de sa bonne foi, de son

impartialité & de toutes ces précieuses qualités qui font qu'un même

homme est tout à la fois bon citoyen & grand homme de guerre, pleins

de confiance & de respect, ils n'auront pas de plus doux plaisir que celui

de lui obéir en tout ce qu'il jugera à propos de leur commander. Mais si,

au contraire, ils p.277 jugent avec fondement que celui qui est à leur tête

est un homme sans vertu, sans probité, sans mœurs, ou un homme

vain, fastueux & superbe, qui, plein d'estime pour lui-même, ne daigne

pas même consulter les sages dont il aurait honte de suivre les avis, ou

un homme colère, emporté, vindicatif, cruel, à qui rien ne plaît, que

tout irrite, qui pour le moindre prétexte se porte aux plus violents

Page 237: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

237

excès, ou un homme peu attentif, négligent, avide d'un petit intérêt

particulier, qu'il cherchera dans toutes les occasions, au détriment

même de l'intérêt commun, ils lui obéiront, parce qu'il a l'autorité en

main ; mais ce sera d'une obéissance forcée dont ils chercheront à

secouer le joug le plus tôt qu'il leur sera possible ; ou si, par un

malheur encore plus grand, ils aiment à obéir à un tel chef, c'est une

preuve qu'ils lui ressemblent. Dans ce cas je regarde l'État à deux

doigts de sa perte ; il ne saurait manquer d'y avoir bientôt une

révolution. C'est à vous, qui commandez les armées, à empêcher, par

votre bonne conduite, que la postérité ne puisse jamais vous faire

l'odieux reproche d'avoir contribué au bouleversement de votre patrie :

c'est de vous que le souverain & les peuples qui lui sont confiés ont

droit d'attendre, celui-là une partie de la gloire de son règne, & ceux-ci

une partie de leur félicité.

@

Page 238: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

238

Article IV

De la majesté des troupes 1

@

p.278 La majesté dans les troupes est une certaine manière de se

montrer & d'agir, qui leur concilie le respect & la confiance de tous ceux

qui se sont déchargés sur elles du soin de les protéger & de les

défendre, en même temps qu'elle imprime la terreur & la crainte dans

l'esprit de tous ceux qu'elles doivent dompter ou combattre, Ainsi, pour

qu'une armée ait cette majesté si nécessaire aux vues qu'elle se

propose, il faut de la fierté dans la contenance, de la fermeté dans le

gouvernement, de la proportion dans les forces, de la modération dans

la conduite, de l'uniformité dans les sentiments.

Par fierté dans la contenance, il ne faut point entendre cet extérieur

dédaigneux & méprisant, ce maintien fastueux & superbe, ce ton de

voix brusque & élevée, ces manières insultantes, ce total en un mot

plus propre à révolter qu'à imposer, plus propre à se faire mépriser

qu'à se faire craindre, plus propre à se rendre l'objet des plus

sanglantes railleries qu'à se concilier le respect & l'estime. Une telle

fierté ne se trouve guère que dans le faux brave, ou le fanfaron. Celle

dont je parle est d'une toute autre nature : c'est une fierté noble, qui,

sans mépriser personne, sans vouloir se mettre au-dessus de qui que

ce soit, jouit néanmoins de cette supériorité & de cette prééminence

qu'on ne refusa jamais au vrai mérite & qui sont l'effet nécessaire d'une

conduite tracée par la gravité, par la décence, par les bonnes mœurs, &

par l'amour de la véritable gloire & de l'austère devoir.

A la fierté de la contenance, telle que je viens de la p.279 désigner, il

faut joindre la fermeté dans le gouvernement. Par fermeté dans le

gouvernement, je n'entends point une sévérité outrée, qui ne fait grâce

à personne, qui ne distingue rien, qui érige les plus petites fautes en

1 Les commentateurs disent que cet article regarde en particulier les fantassins.

Page 239: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

239

crimes capitaux, les plus légers manquements en fautes grièves, les

oublis involontaires en manquements prémédités. Une telle fermeté,

loin de concourir à affermir le gouvernement ou à le décorer, n'est

propre qu'à l'avilir ou à le détruire. Elle est un vice dans celui qui

commande ; j'exige de lui une vertu. Faire observer la discipline en la

rendant aimable & de facile exécution ; faire remplir tous les devoirs en

les faisant respecter jusques dans les moindres choses ; ne rien

permettre qui puisse être contraire à l'ordre établi ; punir sans

rémission les coupables, mais les punir de manière qu'ils ne puissent

attribuer qu'à la loi, & nullement à vous, le châtiment qu'ils éprouvent,

de manière même qu'en ne les épargnant pas ils puissent vous savoir

gré d'une punition méritée : voilà ce que je veux dire par fermeté dans

le gouvernement.

Il y aura une juste proportion dans les forces, s'il n'est aucune sorte

de combat que l'armée ne puisse livrer, s'il n'est aucune sorte d'armes

avec lesquelles elle ne puisse attaquer ou se défendre, s'il n'est aucun

corps chez l'ennemi auquel elle ne puisse opposer un autre corps de

même nature, si le nombre des soldats est suffisant pour l'exécution de

ce qu'on médite, si la quantité d'officiers tant généraux que subalternes

n'est ni en excès ni en défaut, si les différents corps sont tellement

composés, sont tellement exercés, sont tellement distribués, sont en tel

nombre & tellement pourvus, qu'ils fassent un total bien assorti & en

état de tout entreprendre & de tout exécuter dans les occasions où il

faudra les employer.

La modération dans la conduite est une vertu qui prend sa source

dans la tranquillité de l'âme. Qu'on réprime la fougue p.280 des passions,

qu'on s'accoutume à envisager de sang-froid tous les accidents de la

vie, qu'on se tienne toujours en garde contre toute impression

fâcheuse, qu'on se défie sans cesse des premières impulsions d'une

colère aveugle, qu'on se donne le loisir de tout peser, de tout balancer,

l'on jouira de cette tranquillité d'âme dont la modération en toutes

choses sera le fruit.

Page 240: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

240

L'uniformité dans les sentiments naît de l'estime réciproque des

officiers qui sont persuadés de la capacité de leur général, des soldats

qui ont confiance dans les talents de leurs officiers : un général qui

croit pouvoir compter sur les uns & sur les autres forme une armée

dans laquelle règnent de concert la tranquillité, le bon ordre, la

confiance & l'unanimité.

La science de la guerre se réduit à certains principes, ces principes à

certaines règles, & ces règles à certains usages déterminés. La science

fait connaître les principes, apprend l'art de les appliquer : de

l'application & de la connaissance des principes, se forment les lois

militaires, les règles de la discipline : les lois militaires, & les règles de

la discipline qui peuvent se varier à l'infini, sont fixées à certains usages

dont la pratique a paru renfermer plus de convenance & d'utilité. Il faut

donc connaître les principes afin de pouvoir en faire l'application ; il faut

savoir les lois militaires & les règles de la discipline afin de pouvoir les

observer ; il faut être au fait des usages consacrés afin de pouvoir s'y

conformer sans réserve.

La manière de s'assembler, de former les rangs, de se tenir droit ou

assis, de se courber, de se relever, d'avancer, de reculer, d'attaquer &

de se défendre, doit être le principal objet de l'attention, tant de ceux

qui commandent que de ceux qui obéissent ; de ceux qui commandent,

afin qu'ils aient égard au temps, au lieu & aux différentes

circonstances, afin de ne donner jamais leurs ordres hors de propos ;

de ceux qui p.281 obéissent, afin qu'ils puissent exécuter promptement &

avec intelligence tout ce qui leur sera commandé.

Après que les différents corps seront chacun au poste qu'il doit

occuper, & que les rangs seront formés, on ne doit plus entendre

aucune sorte de bruit. Tout le monde doit être attentif, se tenir

gravement debout, & être tellement disposé, qu'au premier mouvement

qu'il faudra faire, qu'à la première évolution qu'on commandera, on

puisse obéir promptement, avec aisance & sans confusion. S'il s'agit

d'avancer vers l'ennemi, il faut que le signal désigne clairement par

quel côté la marche doit se faire. On doit marcher avec gravité, mais

Page 241: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

241

sans pesanteur, délibérément, mais sans précipitation : on ne doit faire

qu'un nombre de pas déterminés, après lesquels il faut s'arrêter &

fléchir les genoux comme si on voulait s'asseoir ; en s'accroupissant

dans cette posture, on attendra de nouveaux signaux.

Si les ennemis commencent à s'ébranler, il faut rester immobiles &

se donner le temps de les voir venir. Le courage & la crainte entrent

également par les yeux : il faut que la vue ait le loisir de reconnaître

ceux qu'elle doit choisir pour victimes, qu'elle puisse saisir leur image

pour la dépouiller de tout ce qui paraît en elle de redoutable. Des

troupes qui sont sans terreur à l'aspect de ceux qu'elles doivent

combattre, sont des troupes qui ne reculeront pas ; des troupes qui

sans se troubler voient avancer l'ennemi & ne font aucun mouvement

pour le prévenir ou se mettre en défense, sont des troupes qui

combattront avec ordre.

Les troupes de la gauche & celles de la droite doivent être au corps

de l'armée ce que les ailes sont aux oiseaux. C'est par le moyen de

leurs ailes que ceux-ci ont la facilité de se transporter rapidement d'un

lieu à un autre, & de prendre, en fendant les airs, toutes les directions

& toutes les routes p.282 qu'ils jugent à propos : c'est par le moyen des

troupes qui sont à la droite, de celles qui sont à la gauche, qu'une

armée doit être susceptible de prendre sur-le-champ telle combinaison

qu'il plaira au général de lui assigner. L'agilité & la force des oiseaux

sont ordinairement en proportion avec la grandeur & la force de leurs

ailes ; il en doit être de même d'une armée ; on doit former ses deux

ailes avec les troupes les plus lestes, les plus aguerries & les mieux

disciplinées. Les troupes pesantes, celles, par exemple, qui sont

cuirassées, doivent former le corps, & la cavalerie doit environner le

tout.

Lorsqu'il sera temps de commencer le combat, le général

haranguera en peu de mots, & donnera ses ordres. Les troupes

avanceront à pas comptés, tant pour ne pas perdre haleine, que pour

conserver leur sang-froid ; & la cavalerie fera retentir les airs par le

bruit de ses instruments, & par ses cris, auxquels se joindront les

Page 242: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

242

hennissements des chevaux. Alors ceux qui sont armés pesamment,

s'ébranlent & portent les premiers coups. Le général doit être très

attentif à cette première charge. La contenance des siens, celle des

ennemis lui diront s'il y a quelque changement à faire dans la

disposition de son armée. Sans rien changer au corps, il fera prendre

aux ailes telle forme qu'il jugera nécessaire, & pourra disposer d'une

partie de la cavalerie, pour soutenir ceux qui pourraient avoir besoin

d'un prompt secours, pour n'être pas contraints à plier sous les efforts

des ennemis. De quelque manière & en quelque temps que les troupes,

en présence de l'ennemi, s'avancent pour le combattre, ou attendent

qu'il leur porte les premiers coups, elles ne doivent jamais se tenir

directement en face, ni dans une position qui soit tout à fait droite ;

mais tournées en demi-quart, la tête baissée & le corps un peu penché,

elles feront promptement mais sans p.283 précipitation, gravement, mais

sans pesanteur, les différentes évolutions qui leur seront commandées.

Le casque & la cuirasse ne doivent être ni trop étroits ni trop

pesants. S'ils serrent trop la tête & le corps, ou s'ils surchargent l'un &

l'autre d'un poids inutile, de l'homme le plus agile, ils en font un

homme lourd, & diminuent à coup sûr, dans tous ceux qui sont ainsi

gênés, les forces, l'adresse & la valeur. Un soldat dont la tête & le corps

ne sont pas à l'aise, & qui est affecté de quelque douleur sourde, n'est

pas la moitié de lui-même, il ne saurait combattre avec avantage.

Pour faire avancer vers l'ennemi, on frappera sur le tambour un

nombre de coups déterminé, à quelque intervalle l'un de l'autre ; pour

engager le combat, on frappera sur le tambour, mais précipitamment &

à coups redoublés ; pour arrêter la marche ou faire cesser le combat,

on frappera sur le lo ; s'il s'agit de revenir sur ses pas, c'est le tambour

qui en donnera le signal ; & l'intervalle qu'on mettra entre les différents

coups sera la mesure du nombre de pas que l'on doit faire & que le

général aura déterminé. Il n'y a pas de meilleur moyen ni qui soit plus

simple pour maintenir l'ordre & empêcher qu'une retraite qui n'a rien

que de très honorable, n'ait l'air d'une fuite, & n'en acquière

quelquefois la réalité, par la confusion où l'on doit être nécessairement

Page 243: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

243

dans une marche inégale ou trop précipitée, ou par les attaques

imprévues des ennemis, qui, persuadés que vous fuyez, voudront par

des efforts redoublés achever entièrement votre défaite.

S'il arrive que pendant la nuit on veuille faire quelque coup de main

que les circonstances auront déterminé, ou s'il est à propos d'aller

surprendre l'ennemi dans son camp, pour l'attaquer lorsqu'il sera le

moins en état de défense, il faut que les hommes mettent dans leur

bouche le bâillon qui est destiné à cet usage, & qu'ils portent toujours

pendu à leur cou pour p.284 s'en servir dans l'occasion ; il faut aussi

qu'on mette à celle des chevaux le frein qui les empêche de hennir.

Si pendant les marches forcées il arrive que les troupes aient besoin

de se rafraîchir ou de prendre quelque nourriture, on doit le leur

permettre : mais qu'elles le fassent sans s'arrêter, si cela se peut ; ou

s'il faut nécessairement qu'on s'arrête, que ce ne soit que pour un très

court espace de temps.

Si ceux qui sont à la tête ont quelques avis nécessaires à donner à

ceux qui les suivent, ou quelque chose à faire savoir au général, qu'ils

disent ce qu'ils ont à dire, mais à voix basse, à ceux du premier rang ;

ceux du premier rang le diront sur le même ton à ceux du second, ceux

du second à ceux du troisième, & ainsi de suite, jusqu'à ce que l'avis

soit parvenu, & que le général soit instruit.

Personne ne doit tourner la tête pour voir ce qui se passe derrière

soi : ce point, qui est de la dernière importance, & dont l'infraction

serait sujette aux plus terribles inconvénients, doit être observé très

rigoureusement, surtout pendant le temps du combat. Porter les coups

de la mort ou les recevoir, vaincre ou mourir, c'est là l'alternative pour

laquelle il n'y a plus de choix à faire. Ainsi toute l'attention, tous les

efforts ne doivent être dirigés que vers ce grand objet ; & l'on ne doit

discontinuer d'aller toujours en avant qu'après qu'un signal contraire

l'aura ordonné.

Dans quelque circonstance que ce puisse être, même pendant la

plus grande ardeur du combat, on doit toujours accorder la vie à ceux

Page 244: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

244

qui la demanderont en s'avouant vaincus. On doit également recevoir

au nombre des siens quiconque se sera rendu volontairement, ou aura

été pris, ou aura déserté de chez l'ennemi. Un bon général peut tirer un

excellent parti de ces sortes de gens en les incorporant dans ses

propres troupes, conformément à leurs talents & au rang p.285 qu'ils

occupaient quand ils étaient dans leur propre pays, ou quand ils

combattaient sous les étendards de leur prince.

Quand le général donne ses instructions pour l'ordre de bataille, il

doit le faire clairement, sans la moindre ambiguïté, absolument, en peu

de mots & dans l'instant qui précède celui où doit commencer le

combat. Il est essentiel que rien de ce qui doit se passer chez vous ne

puisse transpirer chez l'ennemi. Votre plan une fois donné, agissez

conformément & ne le changez que lorsque vous verrez évidemment

qu'il y aurait du danger à le suivre. Si, après avoir tout disposé & avoir

donné les derniers ordres, il arrive que la bataille soit différée, il faut

changer tout les arrangements projetés & en faire de nouveaux, dont

on n'instruira les troupes que lorsqu'on sera sur le point d'en venir aux

mains.

Les soldats ne doivent jamais prendre le repas immédiatement

avant de se battre ; il ne faut pas non plus qu'il y ait un intervalle de

temps trop considérable entre la bataille & le repas. Le premier de ces

deux excès rendrait vos guerriers pesants, paresseux, indolents &

comme engourdis ; & le second les affaiblirait, & diminuerait leur

courage en proportion de la diminution de leurs forces. Voici comment

on peut éviter l'un & l'autre inconvénient le jour de la bataille. Cinq ou

six heures avant qu'elle commence, il faut que tout le monde prenne sa

réfection. Généraux, officiers & soldats, tous doivent commencer & finir

en même temps : tous, ce jour-là seulement, doivent avoir les mêmes

mets & la même boisson, puisque tous vont courir les mêmes risques &

essuyer les mêmes fatigues.

Il ne faut jamais que les troupes soient dans la perplexité. Si vous

avez des raisons pour croire que l'ennemi pense à vous attaquer ou se

dispose à le faire, & des raisons qui paraissent prouver qu'il ne pense

Page 245: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

245

point à en venir aux mains, ne restez p.286 pas dans le doute ;

déterminez-vous à livrer la bataille, & attaquez le plus promptement

qu'il vous fera possible : vous combattrez avec plus d'avantage que

l'ennemi, parce que vous aurez pris des précautions qu'il n'aura pas le

temps de se procurer. Lorsqu'il vous verra fondre sur lui, il ne pensera

qu'à se défendre, & il le fera d'abord avec confusion ; votre premier

soin alors sera de vous emparer de tous les postes importants & de le

chasser de tous ceux dont il pourrait se servir à votre détriment.

Tout doit être bien réglé dans une armée, tout doit y être bon, tout

doit y être fort : ainsi des soldats bien nourris, bien disciplinés,

récompensés, & punis à propos, excités par le bon exemple des

officiers, pleins de confiance dans leurs généraux, n'ayant qu'un même

cœur, qu'une même volonté, & ne tendant qu'à un même but, feront

des hommes robustes, vaillants & intrépides, contents de leur sort,

prêts à tout entreprendre & toujours en état d'exécuter avec succès ce

qu'il y a de plus difficile & de plus périlleux. Des chevaux qu'on ne

nourrira que de bons pâturages, qu'on n'abreuvera que d'une eau bien

douce & bien claire, qui ne pâtureront jamais qu'aux mêmes heures &

en quantité toujours égale, qu'on ne fatiguera jamais hors de propos,

qu'on soignera toujours avec les mêmes attentions, auxquels on fera

faire chaque jour des courses modérées, ou qu'on assujettira à quelque

travail constant, seront des chevaux vigoureux, dont on pourra tirer,

dans l'occasion, les services les plus essentiels. Les chars & en général

toutes les machines qu'on emploie, tant pour le combat, que pour le

transport des vivres, des munitions & de tout ce qui est nécessaire à

une armée, auront toute la solidité nécessaire pour les usages auxquels

ils sont destinés, & ils vous procureront tous les avantages que vous

pouvez en attendre, s'ils sont faits avec du bois qui n'ait jamais servi,

p.287 & qui ait l'épaisseur & les autres dimensions requises dans chacune

de ses pièces, si les ferrements sont solides & nouvellement forgés, si

les clous en sont neufs, d'une grosseur & d'une longueur

proportionnées à ce qu'ils doivent consolider. Qu'on ne s'y trompe

point, c'est par les petites attentions qu'on vient à bout des plus

Page 246: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

246

grandes choses. Un général & des officiers qui les négligent, échouent

souvent dans leurs entreprises, quoique très bien concertées d'ailleurs,

& quoiqu'ils aient fait en apparence tout ce qu'il fallait pour les voir

couronnées des plus heureux succès.

Ce qui touche de plus près les hommes doit être fait avec encore

plus de soin. Les habits, les armes, les casques, les cuirasses, les

boucliers doivent être tels, que, sans embarrasser ceux qui les portent,

ils puissent les mettre en état de parer les coups de l'ennemi, & leur

donner la facilité de lui en porter. Des armes bien aiguisées, des

cuirasses & des casques assez forts pour résister au fer, inspirent la

confiance, augmentent le courage & servent comme de supplément aux

forces ordinaires. Que l'esprit d'une épargne sordide ne vous suggère

jamais de ces mauvaises raisons, qui, présentées sous un certain jour,

sont quelquefois assez plausibles pour en imposer aux plus

désintéressés, comme aux mieux intentionnés. Sous l'apparence de

quelques avantages présents, sont cachées les pertes les plus funestes.

L'homme, quel qu'il soit, n'est jamais bien aise de mourir lorsqu'il

peut sans ignominie conserver encore des jours qui ne lui sont point à

charge. La vertu, la valeur, l'amour du devoir, de la gloire & de la

patrie, peuvent bien lui faire affronter les périls & la mort ; mais il

gardera toujours dans le fond de son cœur cette répugnance naturelle,

qui le fait trembler comme malgré lui lorsqu'il voit de près le moment

fatal qui peut lui arracher la vie. J'en appelle à l'expérience p.288 des

plus intrépides ; ils ne me démentiront pas, s'ils sont sincères. On ne

doit donc rien négliger pour rassurer les soldats & leur inspirer une

espèce de sécurité contre tout ce qui peut trancher le fil de leurs jours :

ils l'auront, cette confiance & cette espèce de sécurité, s'ils sont armés

de manière à porter & à parer les plus terribles coups, & s'ils sont assez

bien défendus pour rendre inutiles la plupart de ceux qu'on leur

portera.

Quand les troupes sont en marche ou font leurs évolutions, elles

doivent être légères comme les oiseaux ; quand elles gardent, elles

doivent être comme clouées dans les postes qu'on leur a assignés ;

Page 247: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

247

quand elles se battent, elles doivent se soutenir & se succéder

mutuellement comme les rayons & tout ce qui compose une même

roue. Les hommes qui ne sont pas au nombre des combattants, ainsi

que les bêtes de somme, les chariots & tout le bagage, doivent être à la

queue de l'armée, & dans un tel arrangement, que, sans les faire

mouvoir, ils puissent tout à coup se trouver à la tête ou aux ailes,

suivant que le général l'ordonnera. C'est ainsi qu'on peut tirer avantage

de ce qui paraît être le plus inutile ; avantage des plus importants,

puisqu'il peut être un rempart contre les efforts de l'ennemi, & une

barrière contre la lâcheté des fuyards 1.

p.289 Pour savoir si votre armée a véritablement le désir de vaincre, il

faut tâcher de pénétrer les sentiments de tous ceux qui la composent.

Pour pouvoir conclure, ou, tout au moins, augurer avec fondement si

vous serez vainqueur, il faut examiner la contenance de vos gens vis-à-

vis de l'ennemi, & celle des ennemis vis-à-vis de vos gens. L'ardeur de

vaincre, mais une ardeur modérée, soumise aux lois de la discipline ; la

crainte d'être vaincu, mais une crainte raisonnable, qui, n'ôtant rien au

courage, ne suggère que de légitimes précautions, sont des avant-

coureurs de la victoire. Un général ne doit rien oublier pour inspirer à

ses troupes ces deux sortes de sentiments ; il doit faire son possible

pour les détruire dans les troupes ennemies, s'il s'aperçoit qu'elles les

ont. Les moyens d'y réussir ne lui manqueront pas, s'il connaît le cœur

humain, & s'il fait faire la guerre.

1 On explique comment tout cela peut être en même temps un rempart contre les

efforts de l'ennemi, & une barrière contre la lâcheté des fuyards, en disant que

l'arrangement « en doit être à peu près tel que celui qu'on remarque dans une ville bien percée. Il doit y avoir des murailles, des places, des rues, des écuries, des magasins,

&c. Les charrettes doivent être disposées de telle sorte que de distance en distance des

quatre côtés, il y ait des espaces vides, assez grands pour que cinq hommes puissent passer de front avec aisance. Après cinq rangs ainsi espacés, on laissera des vides plus

grands pour laisser passage à cinq cavaliers qui marcheraient de front. Tous ces

espaces, tant les grands que ceux qui sont moindres seront fermés & ne s'ouvriront qu'aux ordres du seul général. On comprend que lorsque l'armée a du dessous, on peut

tout à coup la faire passer à travers tous ces bagages, pour avoir le temps de la rallier,

& que ce qui se fera avec facilité dans un bon ordre par les propres troupes, ne pourra être fait qu'avec beaucoup de confusion & de crainte par les troupes ennemies, qui

soupçonneront toujours quelque stratagème ou quelques embûches. D'ailleurs, ceux

qui, ayant pris mal à propos la peur, voudraient prendre la fuite, en seront empêchés, & auront le temps de se rassurer quand ils se verront en quelque sorte à couvert des

poursuites de l'ennemi. Le général pourra donner ses ordres avec plus de facilité, & on

l'écoutera avec plus de sang-froid, &c.

Page 248: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

248

Il faut savoir discerner ce qui est important d'avec ce qui n'est

d'aucune conséquence, ce qui est indifférent d'avec ce qui peut avoir

des suites. Quand vous serez chez l'ennemi, vous emploierez

fréquemment les troupes légères ; quand vous serez chez vous, vous

ferez usage des troupes pesamment armées. Les premières sont plus

propres à provoquer, à attaquer & p.290 à faire du dégât, & les autres

sont plus propres à conserver & à se défendre.

Ne tirez jamais en longueur ce qui doit être fait avec célérité ; ne

faites jamais précipitamment ce qui demande des réflexions & des

préparatifs. N'entrez jamais trop avant dans les terres ennemies : vous

devez prévoir la difficulté du retour en cas de malheur ; vous devez

craindre la disette des vivres, les embûches, les trahisons, les perfidies,

l'inconstance de ceux qui se seront soumis volontairement, l'esprit de

révolte dans ceux que vous aurez forcés, l'affaiblissement de vos

propres troupes, qui peut être suivi de la ruine entière de votre armée,

&, au défaut de tous ces inconvénients, la honte d'être obligé de revenir

sur vos pas, sans avoir fait autre chose que perdre inutilement du

temps & des hommes.

Dans les marches, on doit s'exercer aux évolutions qu'on doit faire

avant, pendant & après le combat ; dans les haltes, on doit imiter les

campements ; dans les unes & dans les autres, il faut garder la

discipline & être attentif à tout. Quand on attaque ou quand on se

défend, il faut suivre en tout les ordres reçus & être toujours sur ses

gardes, se soutenir mutuellement, & ne jamais s'oublier soi-même.

Des généraux ombrageux, tristes ou vétilleurs, ne sauraient inspirer

la grandeur d'âme, la sécurité ni la joie ; des officiers qui obéissent

avec peine ou négligemment, ne sauraient obtenir qu'une obéissance

tronquée ou désagréable ; des capitaines lents & indécis ne sauraient

avoir des soldats actifs & déterminés. Les chefs impriment la force,

donnent le mouvement ; les membres se prêtent à tout.

Si les chefs sont unis entre eux, si les chariots sont forts, les

chevaux vigoureux & les provisions abondantes, quelque peu

nombreuse que soit une armée, je la regarde comme invincible ; au

Page 249: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

249

contraire je regarde comme une armée déjà vaincue, p.291 celle dont les

chefs seraient jaloux les uns des autres, auraient mutuellement de la

défiance, seraient toujours d'avis différent. Si les généraux ont des

prédilections marquées pour tels & tels corps, ils ne seront que

médiocrement secondés par la multitude : s'ils sont entêtés de leurs

propres idées, ils feront tuer beaucoup de monde ; s'ils craignent de

mourir, ils n'ont point de valeur ; s'ils s'exposent témérairement à la

mort, ils ont du courage à la vérité, mais ils manquent de tête.

Il n'y a que cinq motifs légitimes pour lesquels tout guerrier peut se

faire tuer ; l'amour de la gloire & l'espérance de rendre son nom

recommandable à la postérité : une juste colère, comme lorsqu'on est

accusé ou soupçonné sans fondement de manquer de courage, ou

lorsqu'on est provoqué avec insulte par des ennemis qu'on méprise ou

dont on est méprisé ; la crainte d'être puni suivant toute la rigueur des

lois, si l'on venait à manquer à ses devoirs ou à les enfreindre,

d'encourir la disgrâce du souverain ou des généraux, de devenir l'objet

de la raillerie de ses semblables, de déshonorer ses ancêtres, ses

descendants & toute sa famille ; la justice, parce qu'on se doit à son

prince & à l'État plus encore qu'à soi-même ; enfin l'amour paternel,

pour laisser à ses enfants un nom qui les fera valoir, & les récompenses

que l'État a coutume d'accorder à la famille de quiconque est mort

glorieusement pour le service de la patrie 1.

p.292 Le Ciel ne concourt pas moins que l'homme au gain ou à la

perte d'une bataille. Le Ciel aurait beau être favorable, si l'homme ne le

1 Dès que la guerre était terminée, l'empereur se faisait lire la liste de tous ceux qui s'y

étaient distingués, & leur assignait des récompenses proportionnées au genre & au

nombre de leurs belles actions. Il donnait aux morts des titres honorables, qui passaient à leurs enfants, auxquels il assignait, outre cela, une subsistance honnête,

jusqu'à ce qu'ils fussent en état de pouvoir être employés ou dans la magistrature, ou

dans le militaire, &c. L'empereur aujourd'hui régnant a poussé jusqu'au scrupule l'attention sur cet article. Après sa glorieuse conquête du royaume des Eleuths, & de

toutes les hordes de Tartares jusqu'à Badakchan inclusivement, il créa plus de cinq

cents dignités, charges ou emplois, pour être donnés à perpétuité aux descendants de ceux qui avaient fait leur devoir d'une manière un peu au dessus de l'ordinaire & afin de

n'oublier personne dans la distribution des grâces, il a fait publier plusieurs fois dans les

gazettes que tout le monde peut lire, un ordre par lequel il était enjoint à tous ceux qui croiraient avoir quelques prétentions, de mettre par écrit leurs noms, leurs titres, les

raisons qu'ils pourraient avoir d'espérer des récompenses, de mettre le tout entre les

mains du commissaire nommé à cet effet, &c.

Page 250: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

250

seconde pas, tout est perdu. Quoi que l'homme puisse faire, tout est

perdu encore, si le Ciel s'oppose à ses desseins. Pour réussir, il faut le

concours de l'un & de l'autre ; mais pour échouer, il suffit que l'un des

deux manque. Il suit de là que, quelques soins qu'on se soit donnés,

quelques mesures que l'on ait prises, quelque habile que soit un

général, quelque expérimentés que soient des officiers, quelque

aguerris que soient des soldats, on peut éprouver les revers les plus

funestes pour peu que le Ciel ne favorise pas l'homme, ou que l'homme

ne seconde pas le Ciel. C'est dans ce cas que les sinistres événements

s'appellent des malheurs ; malheurs cependant dont un grand général

peut encore tirer parti.

Si l'on a des instructions à donner, des réprimandes à faire, des

ordres ou des défenses à publier, il faut faire les attentions suivantes,

pour que ce qu'on se propose ait à coup sûr son effet. Si l'on a en vue

le corps entier de l'armée, il faut qu'entre la bataille, les instructions,

les réprimandes, les ordres ou défenses, il n'y ait pas au-delà de trois

jours d'intervalle. Si l'on n'en veut qu'à quelques corps seulement

l'intervalle de quelques p.293 heures suffit : mais si l'on ne doit

s'adresser qu'à un seul homme, il faut le faire sur-le-champ : dans le

moment même du combat. Ne faites jamais languir ceux à qui vous

aurez à parler ; dites-leur promptement ce que vous aurez à leur dire.

La perfection dans l'art de la guerre consiste à se soutenir, du

commencement à la fin, de telle sorte qu'on ne puisse se reprocher

aucune faute : pour cela, il faut avoir tout calculé & tout prévu avant

que de l'entreprendre ; il faut que tout soit prêt, que tout soit bien

disposé quand on la commence ; il faut savoir mettre tout à profit

quand une fois on l'a commencée ; il faut se procurer un avantage réel

en la terminant.

La victoire que remporte une armée est la victoire de chacun des

particuliers qui la composent : il n'en est aucun qui ne puisse, à juste

titre, s'appeler victorieux, quel que soit le poste qu'il ait occupé, pourvu

qu'il ait fait son devoir. Les sept sortes de tambours, les étendards de

toutes les couleurs & de toutes les formes sont les directeurs & les

Page 251: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

251

guides d'une armée bien disciplinée : il n'est personne dans une armée

qui ne leur doive toute son attention, afin de pouvoir faire, à point

nommé, les évolutions commandées. Les tambours & les étendards

doivent être connus des corps particuliers auxquels ils appartiennent. Il

y a les tambours porte-étendards, les tambours des chars, les

tambours de la cavalerie, les tambours des fantassins, les tambours

communs, les tambours de la tête & les tambours de la queue. Tous

ces tambours doivent être dans un même lieu, lorsqu'on doit

commencer la bataille, c'est à eux que le général s'adresse pour donner

ses ordres. Dès que tous les tambours sont rendus au lieu désigné, le

général leur ordonne de battre la charge ; alors la cavalerie & les chars

se placent à la tête de l'armée, l'infanterie s'avance à petit pas jusqu'à

la portée du trait, pour commencer le combat dans l'ordre qui aura déjà

été déterminé ou qui sera p.294 indiqué sur-le-champ. Les chars

s'ouvrent, la cavalerie revient par les côtés, & les fantassins avancent

toujours & combattent, en avançant, jusqu'à ce qu'ils aient enfoncé les

ennemis.

Une armée qui est forte & bien disciplinée, ne doit pas perdre le

temps en délibérations ou en escarmouches, ou en de petits combats

qui ne peuvent aboutir à rien de décisif. Il faut que, le plus tôt qu'il sera

possible, elle en vienne à une bataille générale. En commençant la

bataille, il ne faut pas que tous les corps donnent à la fois ; la confusion

& le désordre y règneraient infailliblement, & la déroute pourrait suivre

de près le désordre & la confusion.

Ranger une armée en bataille n'est pas une chose difficile ; ce qu'il y

a de difficile, c'est de combattre sans s'écarter de l'arrangement qui a

été déterminé. Il est aisé de donner de bons ordres & de les donner à

propos ; mais il est très difficile de les faire exécuter, & d'obtenir leur

entier accomplissement. Placer des soldats à tels ou tels postes qui sont

essentiels, c'est ce que tout le monde peut faire ; mais les placer à

propos, mais ne placer que ceux qui sont en état de les garder & de les

défendre, c'est ce qui n'est pas aisé. Bien des personnes sont en état

de donner de bons conseils ; mais on en trouvera peu qui soient

Page 252: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

252

disposées à les suivre. Tout le monde peut bien parler ; mais tout le

monde ne peut pas bien faire.

Les hommes ne sont pas partout les mêmes ; & il y a autant de

différence entre le naturel des uns & des autres, entre leurs mœurs,

leurs inclinations, leurs usages, leurs talents, leur éducation, leurs

forces, leurs bonnes ou mauvaises qualités, qu'il y en a entre les

différents pays qui les ont vu naître. Les habitants des villes diffèrent

des villageois, ceux-ci des simples campagnards. Il ferait absurde de

prétendre p.295 qu'ils fussent également propres à tout & qu'on pût les

employer indifféremment à tout.

Il est essentiel que le commun des troupes ne sache jamais l'état

bon ou mauvais de l'armée ; il faut que les simples soldats & les

officiers subalternes ne soient jamais assez instruits de la supériorité de

leurs forces sur celles des ennemis, pour se livrer à une présomptueuse

sécurité ; il faut également qu'ils ignorent leur propre faiblesse, afin

qu'une lâche crainte ne s'empare pas de leurs cœurs.

Après la bataille, si l'on est victorieux, il faut partager gaiement les

fruits & les honneurs de la victoire. Il ne faut pas que tels & tels corps

veuillent s'attribuer exclusivement aux autres une gloire qui doit être

commune à tous ; car tous ont vaincu, si tous ont fait leur devoir : ce

qui n'empêchera pas néanmoins les distinctions & les récompenses que

méritent les actions personnelles. Il ne s'agit ici que de ce qui regarde

la victoire en général.

Si, après la bataille gagnée, le général veut livrer un nouveau

combat & pousser à bout ou réduire au désespoir des ennemis qui

peuvent encore avoir des ressources, qu'il prenne bien toutes ses

mesures, qu'il n'agisse qu'à coup sûr ; car s'il vient à être vaincu, toute

la honte de la défaite ne retombera que sur lui. A la tête de ses troupes

il doit alors combattre en simple soldat, pour trouver les succès ou la

mort.

Lorsque l'armée est en campagne, quand elle est dans l'enceinte

d'un camp, dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les

Page 253: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

253

circonstances, elle doit se conduire de telle sorte que le peuple ait

toujours lieu de croire que si elle a les armes à la main, ce n'est que

pour le défendre ; que si elle consume des denrées, ce n'est que pour

mettre à couvert ses moissons & ses récoltes ; que si elle détruit, ce

n'est que pour conserver ; que si elle cause quelques désordres

particuliers, p.296 ce n'est que pour assurer l'ordre général ; que si elle

fait la guerre, ce n'est que pour avoir la paix ; que si elle lui cause

certains préjudices passagers, ce n'est que pour lui procurer les solides

avantages qui doivent faire son bonheur. Le peuple en sera convaincu,

si l'humanité, la justice, la décence, la gravité, les bonnes mœurs

règnent parmi les officiers & les soldats ; & ce peuple une fois

convaincu, il n'est rien à quoi il ne se porte, il n'est rien qu'il ne fasse

pour entretenir de tels guerriers. Il se privera avec plaisir d'une partie

même du nécessaire, pour leur procurer l'abondance ; il prodiguera ses

forces, sa santé, sa vie même, pour concourir à des succès dont il

croira devoir partager le fruit.

Il est de la dignité d'une armée de ne jamais se compromettre : la

gloire ou l'ignominie de la nation, l'honneur ou le déshonneur du

souverain, la perte ou le salut de l'empire dépendent de la manière

dont elle se conduira. Elle ne doit donc jamais s'exposer mal à propos ;

elle ne doit faire aucune fausse démarche, aucun faux pas ; elle ne doit

livrer des batailles, donner des combats, faire des escarmouches,

avancer ou reculer, sans que de dix parties il y en ait huit pour croire

que ce qu'elle fait est bien, & mérite l'applaudissement général. Elle

doit donc être toujours sur ses gardes, pour ne pas donner dans les

pièges de l'ennemi ; elle ne doit rien oublier pour parer, autant qu'il est

possible, à tous les inconvénients. Telles ont été les maximes de nos

anciens : c'est d'après eux que je les propose ; c'est d'après mon

expérience que je les garantis.

@

Page 254: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

254

Article V

Idée générale de la manière dont il faut employer les troupes

@

p.297 De quelque nombre qu'une armée soit composée, il y a des

règles générales, suivant lesquelles on ne saurait se dispenser de la

conduire ; & il y en a de particulières, dont on ne doit faire usage que

suivant le temps, le lieu & les circonstances. Les premières sont

toujours les mêmes ; elles doivent être invariables ; tous ceux qui sont

destinés à commander les troupes doivent les savoir & les observer. Les

secondes sont de pur choix ; mais il n'est pas donné à tout le monde de

savoir bien choisir. Je vais établir quelques principes généraux, sur

lesquels les militaires éclairés pourront exercer leur génie, en les

développant & en en fixant l'application.

1° Si l'armée est peu nombreuse, il faut en fortifier chaque rang le

plus qu'il fera possible, il faut lui faire occuper un petit espace de

terrain ; si l'armée est nombreuse, il faut l'étendre, il faut en multiplier

les rangs, il faut la gouverner dans toute la rigueur des lois. Une petite

armée ne peut se procurer que de petits avantages ; mais ces petits

avantages multipliés la font parvenir à son but. Une grande armée peut

tout d'un coup parvenir à son but ; mais tout d'un coup aussi elle peut

manquer son objet.

2° Une armée nombreuse doit être ferme & comme immobile dans

son camp ; elle n'en doit jamais changer le lieu, à moins qu'une

nécessité absolue ne l'y oblige ; elle n'en doit sortir que pour

combattre. Une petite armée ne doit avoir aucun lieu fixe ; elle doit

toujours être en action & en marche. p.298

3° Quand une armée nombreuse est en présence de l'ennemi elle

doit s'arrêter, ou pour commencer elle-même le combat, ou pour

attendre que l'ennemi le commence. Il n'en doit pas être ainsi d'une

Page 255: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

255

armée peu nombreuse ; elle doit sans cesse aller & revenir sur ses pas,

afin de pouvoir fatiguer l'ennemi & le combattre en détail.

4° Autant qu'il sera possible, il faut que le grand nombre attaque le

moindre ; il faut que le fort attaque le faible ; il faut opposer des

troupes fraîches à celles qui seront déjà fatiguées ou qui auront

souffert.

5° Il faut donner du repos aux troupes avant que d'engager le

combat ; il ne faut pas que les mêmes combattent trop longtemps de

suite ; il faut les soutenir en tout temps & les relever à propos.

6° Si le gros de l'armée paraît en suspens, ou douter de la victoire,

ou craindre d'être vaincu, il ne faut pas laisser à la perplexité ou à la

crainte le temps de se fortifier ; le général doit prendre alors ses

arrangements, ou pour différer la bataille, ou pour en changer l'ordre,

ou pour aller camper ailleurs.

7° Quand il y aura quelque coup de main à faire, soit pour piller des

magasins ou pour enlever quelque parti, il faut agir avec tout le secret,

toute la prudence, toute la sûreté possibles, & sans bruit. Aucun

étendard ne doit être déployé, aucun instrument ne doit se faire

entendre, aucune parole ne doit sortir de la bouche de qui que ce soit.

Il faut outre cela que quelques corps considérables accompagnent d'un

peu loin ceux qui seront commandés pour le pillage, afin de les secourir

au cas qu'ils soient les moins forts, de les soutenir au cas qu'ils soient

repoussés, de leur servir d'asile, au cas qu'ils soient mis en fuite, & de

mettre à couvert le butin, pour être porté en sûreté jusqu'au gros de

l'armée. p.299

8° Si l'on s'aperçoit que le nombre des ennemis est diminué

considérablement, qu'en conséquence la crainte se soit emparée de

ceux qui restent, il faut soi-même faire semblant d'avoir peur ; il faut

faire semblant de vouloir décamper pour éviter le combat. Vous leur

inspirerez de la présomption, ils ne seront pas sur leurs gardes, & vous

les attaquerez lorsqu'ils s'y attendront le moins.

Page 256: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

256

9° Dans quelque bataille, combat ou action que ce puisse être, il

faut toujours tourner le dos au vent ; il faut toujours voir devant soi

quelque lieu élevé dont on puisse s'emparer, pour s'y fortifier en cas de

défaite ; il faut qu'à gauche & à droite il y ait quelque montagne ou

quelque défilé dont vous soyez le maître.

10° Ne vous engagez jamais dans des lieux marécageux ; ne

combattez jamais sur un terrain qui aurait la figure d'une tortue

renversée vous pouvez cependant y camper, mais pour peu de temps

seulement.

11° Quand tout sera disposé pour le combat, ne vous pressez pas

de le commencer ; soyez attentif à tout ce que fera l'ennemi. S'il vient

à vous, attendez-le de pied ferme, examinez par où & comment il

débutera ; ne faites d'abord que vous défendre, pour juger, par sa

manière, de tout ce dont il est capable ; & quand vous aurez connu son

fort & son faible, vous pourrez donner des preuves de votre capacité en

le combattant avec avantage, jusqu'à ce que vous ayez emporté sur lui

une victoire complète. Si l'ennemi, aussi attentif & aussi rusé que vous,

prend de son côté les mêmes mesures que vous prenez du vôtre,

gardez-vous bien de tomber dans ses pièges ; vous seriez bientôt la

victime de votre impatience ou de votre ardeur immodérée. Il faut alors

rentrer dans votre camp, vous y fortifier & y demeurer jusqu'à ce p.300

que des circonstances favorables vous obligent à en sortir pour courir à

la victoire.

12° Ne vous réglez jamais sur les paroles vagues qui pourront vous

venir de la part ou du côté des ennemis ; ne vous réglez que sur leur

conduite ; ne vous fiez pas à ce qu'on pourra vous dire ; voyez par

vous-même.

13° Soyez attentif à tout ce que fera l'ennemi ; suivez-le dans

toutes ses opérations ; s'il se met en mouvement, mettez-vous en

mouvement aussi ; s'il fait un pas, sachez ou il le dirige, suivez-le ; s'il

est en suspens, soyez en suspens aussi, ou faites semblant d'y être ;

s'il délibère, délibérez de votre côté : opposez la force à la force,

l'artifice à l'artifice, la ruse à la ruse : imprimez-lui toutes les craintes,

Page 257: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

257

mais ne souffrez pas qu'il vous en imprime aucune ; ou si vous en avez

qui soient bien fondées, ne les montrez pas au-dehors ; faites en sorte

qu'on ne puisse pas même les soupçonner.

14° Si l'ennemi est vaincu, qu'il veuille prendre la fuite, ne l'en

empêchez pas ; suivez-le d'un peu loin, & toujours en bon ordre. Vos

troupes auront le temps de se reposer ; celles de l'ennemi, celui

d'augmenter leur crainte ; s'il faut en venir à un nouveau combat, vous

y acquerrez une nouvelle gloire.

15° Ce qui paraît fuite de la part de l'ennemi, ne l'est pas toujours :

c'est quelquefois une prudente retraite ; c'est souvent un artifice pour

attirer ceux contre lesquels il doit combattre, dans les pièges qu'il leur a

dressés. C'est pour cette raison qu'il ne faut jamais se presser d'aller à

sa poursuite.

Soyez toujours en défiance ; sachez quels sont les chemins par où il

peut aller, & ceux par où vous pourrez revenir sur vos pas, en cas de

nécessité : cette attention devient indispensable, si vous vous trouvez

dans le voisinage de quelque ville p.301 dont les habitants ne soient pas

sujets du prince que vous servez.

16° Toute expédition militaire a ses dangers, ses pertes, ses

inconvénients : la plus glorieuse, la plus utile est celle qui en a le

moins. Quelque forte que soit une armée, quelque bien qu'on la

conduise, quelques mesures que l'on ait prises, il y aura toujours

quelque chose à souffrir, quelque funeste événement qu'on n'aura pas

prévu, quelque échec auquel on n'avait pas lieu de s'attendre ; on fera

toujours quelque faute ; on manquera toujours à quelque chose ; il faut

alors faire usage de toute la force d'âme dont on peut être doué, ne pas

se décourager, & réparer sans inquiétude tout ce qui peut être réparé.

17° L'homme est ce qu'il y a de plus précieux sous le ciel : il faut

épargner son sang, il faut abréger ses peines ; par conséquent il ne

faut pas faire durer la guerre ; il faut la terminer le plus tôt qu'il se

pourra, dût-on céder quelque chose de ses intérêts particuliers ; dût-on

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Art militaire des Chinois

258

l'acheter à prix d'argent, pourvu que la gloire de l'État & l'intérêt des

peuples le demandent ainsi.

18° Tout guerrier qui est à l'armée ne doit plus avoir d'intérêt

propre, plus d'affaires particulières, plus de désirs inquiétants, plus de

parents, plus d'amis ; les affaires de l'État, l'intérêt de l'État, le désir

d'augmenter la gloire de l'État en le servant de tout son pouvoir, sont

les seules choses qui doivent l'occuper. Ses parents, ses amis, sa

femme, ses enfants, toute sa famille, sont l'État ; l'État doit lui tenir

lieu de tout ; hors de l'État, rien ne doit plus être pour lui.

19° Une armée composée de guerriers ainsi disposés sera une

armée propre à tout, une armée forte, une armée invincible : elle ne

comptera les sièges que par les prises des villes, p.302 & les combats

que par ses victoires.

Tout ce que je viens de dire n'est qu'un précis de la doctrine & des

usages des grands hommes qui ont illustré notre empire, depuis les

temps les plus reculés jusqu'à celui où nous vivons. Puissions-nous

laisser à nos descendants les mêmes exemples que nos ancêtres nous

ont transmis !

@

Page 259: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

259

Extrait du livre intitulé

LOU-TAO

sur l'art militaire

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Art militaire des Chinois

260

Préface

@

p.305 Ce qu'il y a d'essentiel dans la tactique chinoise est renfermé

dans les ouvrages des trois auteurs célèbres que j'ai taché d'expliquer

d'après les commentateurs chinois & tartares, & avec le secours de

quelques officiers, & de plusieurs habiles lettrés. Quand on aura lu Sun-

tse, Ou-tse & Se-ma, on saura sur quels principes les anciens Chinois

faisaient la guerre, & les différentes manières dont ils la faisaient. Tout

ce qu'on trouve d'important dans les Dialogues entre Li-che-min (dit

autrement Tai-tsoung) & Tching-yao-che (appelé aussi Ouei-koung),

n'est qu'une amplification ou une explication détaillée des treize articles

de Sun-tse & des six articles de Ou-tse. Les vingt-quatre articles que

Yu-leao-tse a donnés sur l'art militaire contiennent à peu près les

mêmes choses, quant à l'essentiel, que celles qu'on lit dans les auteurs

que je viens de nommer ; & tout ce qui est rapporté dans le Lou-tao

n'est guère différent de ce qui se trouve dans l'ouvrage de Sun-tse en

particulier ; car ce grand guerrier en a fait la base de son système & la

règle de sa conduite dans les différentes opérations militaires.

Le Lou-tao est divisé en soixante articles, qui sont autant de

dialogues entre Ouen-ouang & Tai-koung, entre Ou-ouang & le même

Tai-koung. p.306

Je n'oserais garantir, dit un critique chinois, que cet ouvrage

ait réellement pour auteur Tai-koung, comme quelques-uns

l'ont prétendu ; tout ce que j'ose assurer, c'est que les

soixante dialogues qui composent le Lou-tao sont un précis de

la doctrine militaire des fondateurs de notre monarchie depuis

Hoang-ti jusqu'à Ou-ouang, dont Tai-koung fut l'instituteur.

Je crois, ajoute-t-il, que quelque habile homme, amateur de

l'antiquité, a extrait de tous les livres qui parlent de nos

premiers empereurs, & de ce qui s'est fait sous leur règne,

tout ce qu'il a trouvé qui avait rapport à la guerre, & qu'il a

donné au résultat de ses recherches la forme que nous lui

Page 261: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

261

voyons. Au reste, c'est un excellent ouvrage, qui peut faciliter

beaucoup l'intelligence de celui de Sun-tse.

Je ne dirai donc rien de plus sur l'art militaire des Chinois, puisque

tout ce qui le concerne est renfermé dans les ouvrages dont j'ai donné

la traduction ; j'ajouterai seulement ici ce que je croirai mériter quelque

attention parmi les choses qui n'ont point été dites : je le tire du Lou-

tao.

@

Page 262: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

262

Extrait du livre intitulé LOU-TAO sur l'art militaire

I

De la manière dont on faisait anciennement les généraux

@

p.307 — Dites-moi, je vous prie, dit Ou-ouang à Tai-koung, comment

je dois élever quelqu'un à la dignité de général d'armée.

— Prince, lui répondit Tai-koung, la dignité de général d'armée est

une des plus importantes de l'empire : il faut que celui que vous

voudrez en décorer en soit digne ; il faut qu'il en connaisse toutes les

obligations, qu'il soit en état de les remplir.

— Ce n'est pas ce que je demande pour le présent, interrompit p.308

Ou-ouang ; je veux seulement que vous m'indiquiez quelques

cérémonies, au moyen desquelles je puisse inspirer du respect pour un

emploi qu'on ne saurait trop respecter, & qui soient capables de

pénétrer ceux que j'élèverai, de l'importance de leurs obligations, & de

la crainte salutaire de les enfreindre.

— Je vous entends, reprit Tai-koung ; je vais vous satisfaire. Après

que le souverain, de l'avis de son conseil, a résolu de faire la guerre, il

doit convoquer une assemblée générale des grands de sa cour, parmi

lesquels se trouvera celui sur qui il a jeté les yeux pour commander ses

troupes. L'assemblée étant formée, & tout le monde ayant pris sa

place, le roi prendra la parole & dira :

— J'ai fait choix d'un tel pour mettre à la tête de mes

armées : qu'il se montre.

Page 263: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

263

Le général désigné s'avancera jusques près du trône, où il se tiendra

debout pour écouter les ordres qui lui seront donnés ; & le roi

continuera :

— La gloire ou l'ignominie d'une nation, le bonheur ou le

malheur d'un État, la tranquillité ou les inquiétudes d'un

souverain sont à la disposition d'un général. Vous, que j'ai

choisi pour remplir ce poste important voulez-vous

l'accepter ? Êtes-vous résolu d'en remplir exactement toutes

les obligations ?

Le désigné répondra :

— Je ferai tous mes efforts pour ne pas me rendre indigne des

bontés de mon souverain.

— Je l'espère, dira le roi, & dès à présent je vous élève à

cette sublime dignité : allez vous préparer à recevoir mes

derniers ordres. Qu'on inscrive son nom dans les registres.

Après ces mots le roi rentrera dans son appartement & tout le monde

se retirera. Le général nommé se purifiera pendant trois jours, jeûnera,

& s'abstiendra de tout ce qui pourrait le souiller. Au commencement du

quatrième jour, il se rendra au palais : on l'introduira dans la salle des

ancêtres, où le roi & toute sa cour se transporteront aussi. Quand tout

le monde sera arrivé à la porte de la salle, le roi, précédé de ceux qui

portent la grande & la petite p.309 hache 1 , entrera le premier, &

tournant la face du côté de l'occident, il se tiendra debout. Le général

nommé entrera de suite, & tournant la face vers le côté par où il est

entré, il se tiendra également debout. Alors le roi prenant entre ses

mains la petite hache, en séparera le fer d'avec le manche, & remettra

le manche au général, en lui disant :

— D'ici bas jusqu'au Ciel donnez des ordres & faites-les

exécuter.

1 La petite hache, que les Chinois appellent fou-tse, est à peu près comme nos haches ordinaires. La grande hache, ou la hache d'armes est beaucoup plus grosse ; elle a le

fer arrondi en demi-cercle & le manche fort long.

Page 264: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

264

Il prendra alors la grande hache, en séparera également le manche

d'avec le fer, remettra le fer entre les mains du général, en lui

disant :

— Du lieu que vous foulez aux pieds, jusqu'au centre de la

terre, donnez des ordres, & faites-les exécuter. Général,

combattez les ennemis quand vous pourrez le faire avec

avantage ; ne les combattez point quand vous n'aurez pas

d'heureux succès à espérer. Ne dites jamais : Les troupes que

j'ai sous mes ordres sont en grand nombre, celles de l'ennemi

sont peu nombreuses ; les troupes de l'ennemi sont fortes &

aguerries, celles que je conduis sont faibles & hors d'état de

leur résister. Ne vous estimez jamais trop vous-même, ne

méprisez jamais l'ennemi, ne faites jamais cas de votre

sentiment plus que du sentiment des autres, ayez de la

déférence pour les avis de tous, n'envisagez pas d'un même

œil les choses importantes & celles qui ne le sont point, ne

trouvez rien de difficile dans tout ce qui peut regarder le

service ; soyez le modèle sur lequel tout le monde puisse se

former, donnez l'exemple à tous. S'il faut s'exposer, ne le

faites jamais que vos troupes ne le fassent en même temps :

s'il faut prendre les repas, ne les prenez qu'aux heures qui

sont réglées pour tout le monde. Souffrez le froid & le chaud

comme le moindre de vos soldats. Quand p.310 vous vous

comporterez comme je viens de le dire, il n'est rien dont vous

ne puissiez venir à bout.

Le roi ayant cessé de parler, le général se mettra à genoux, répondra

en ces termes :

— J'ai toujours ouï dire que, pour maintenir un royaume

dans un état florissant, il fallait de braves guerriers au

dehors, & de sages ministres au dedans ; que les uns & les

autres ne devaient former entre eux tous qu'un même cœur

& une même volonté, & qu'il ne fallait pas que ceux du

dedans voulussent gouverner ceux du dehors, ni que ceux

Page 265: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

265

du dehors voulussent gouverner ceux du dedans. On sert le

prince & la patrie au dehors comme au dedans ; tout doit

être égal pour de bons sujets : ainsi point de jalousie ni de

soupçons parmi eux, point d'accusations réciproques. Pour

moi sur qui Votre Majesté vient de se décharger d'une

partie de son autorité, qui ai reçu de ses mains l'une &

l'autre hache, comment oserais-je ne pas remplir mes

devoirs jusqu'à la mort ? comment oserais-je revenir en vie

si je n'ai dompté vos ennemis ? Donnez-moi, seigneur, vos

derniers ordres, donnez-moi les marques de ma dignité, &

je pars...

Après avoir reçu le sceau, il continuera ainsi :

— Désormais les troupes n'ont plus d'ordre à recevoir que de

moi ; c'est moi seul qui serai l'organe qui leur transmettra vos

volontés ; à moi seul appartiendra le droit de les punir & de

les récompenser. Tant que nous serons en corps d'armée,

plus de ciel au dessus de notre tête, plus de terre sous nos

pieds, plus d'ennemis devant nous, plus de souverain derrière

nous, plus rien à craindre : la mort ou la victoire 1.

Voilà, continua Tai-koung, ce que vous pouvez établir pour parvenir à la

fin que vous vous proposez : il me semble p.311 qu'après que vous aurez

fait un général avec de pareilles cérémonies, vous pouvez vous

dispenser de donner des ordres pour qu'on le respecte.

— Cela est très bien, répondit Ou-ouang ; mais avant que de quitter

cet article, j'ai encore quelques demandes à vous faire. Je voudrais

savoir un expédient court & facile, au moyen duquel un général fût

toujours sûr du respect, de l'estime & de l'obéissance des troupes dans

tout ce qu'il leur commande.

1 Je crois que tout ce qu'on fait dire au général, après qu'il a reçu le sceau & les autres

marques de sa dignité, est le serment qu'on faisait anciennement dans la salle des

ancêtres : il ne faut pas en prendre les termes à la lettre. Par le ciel, il faut entendre les vents, la pluie, les frimas, &c. Par la terre, il faut entendre les mauvais chemins, les

hauts, les bas, les précipices, &c. Plus d'ennemis devant nous, c'est-à-dire, avec autant

d'assurance de tranquillité que s'il n'y avait aucun obstacle de la part des ennemis, &c.

Page 266: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

266

— Rien de si aisé, rien de si sûr que ce que je vais vous proposer,

répondit Tai-koung. Qu'un général punisse de mort un homme d'un

rang distingué, s'il a manqué à son devoir, & on le respectera ; qu'il

traite bien ceux d'un rang inférieur, & on l'estimera ; qu'il garde

inviolablement toute les règles de la discipline militaire, & on lui

obéira.

— Je suis au fait, reprit Ou-ouang, &c.

@

Page 267: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

267

II

De la manière dont le souverain & le général se communiquaient leurs secrets

@

p.312 Ou-ouang s'entretenant un jour avec Tai-koung, lui dit :

— Il y a longtemps que je cherche en moi-même quelque moyen

facile & sûr pour instruire de mes intentions un général de mes armées

qui serait déjà bien avant dans le pays ennemi, cela, sans qu'il fût

possible à tout autre, qui n'aurait pas mon secret, de savoir ou de

pouvoir pénétrer ce que je veux dire. J'ai déjà imaginé bien des

manières, mais toutes souffrent des difficultés & sont sujettes à des

inconvénients ; c'est pour cette raison que je n'oserais les mettre en

pratique ; voyez vous-même si vous ne trouveriez pas quelque

expédient pour faire ce que je propose. Je voudrais aussi que le général

pût m'instruire à son tour, sans que ni ceux de l'armée, ni les ennemis

ni les grands de ma cour, ni les ministres, pussent pénétrer son secret.

— Je comprends ce que vous voulez, répondit Tai-koung : je vais

vous suggérer deux moyens qui me paraissent bons ; vous vous en

servirez si vous les trouvez tels. Le premier sera pour les affaires qui

n'exigeront pas de détails ni de grandes explications pour être

comprises, le second pour celles où les détails & les explications sont

nécessaires,

Premier moyen. Quelques jours avant que votre général parte pour

se rendre à l'armée, il faut lui donner une audience particulière, de telle

sorte qu'il n'y ait que vous & lui, & que personne au monde ne puisse

entendre ni deviner ce qui fe passera dans cet entretien secret. Vous

vous serez muni p.313 de huit petites planches, d'un bois ordinaire, sur

lesquelles vous écrirez vous-même, ou vous ferez écrire par votre

général, des caractères quelconques du haut en bas de chacune. Vous

fendrez ensuite les morceaux de bois de façon que les caractères se

Page 268: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

268

trouvent partagés dans leur longueur, comme le hasard le déterminera,

sans y chercher aucun art, ni aucune symétrie. Vous garderez pour

vous les huit premières moitiés & vous donnerez les huit autres à votre

général, afin qu'en les rapprochant, dans les occasions ou vous vous en

servirez, vous soyez mutuellement sûrs que vous vous parlez l'un à

l'autre, & que vous n'êtes entendus que de vous seuls. Vous ferez

ensuite vos conventions secrètes, que vous écrirez, chacun à part, sur

vos moitiés de planches à peu près de la manière suivante, sur la

première, qui sera de la longueur de dix pouces, victoire complète ; &

dans la lettre qui sera écrite de l'armée, il n'y aura que ces mots, la

tablette de dix pouces. Sur la seconde planche vous écrirez, défaite des

ennemis, prise du général ; dans la lettre qui viendra de l'armée, on

désignera seulement la longueur de la seconde tablette, qui sera de

neuf pouces, en disant : la tablette de neuf pouces. Si l'on veut

annoncer la prise de quelque ville on écrira ces mots, la tablette de huit

pouces, qui est la longueur de la troisième planche. Pour faire savoir

que les ennemis sont décampés & se sont retirés au loin, on désignera

la longueur de la quatrième planche qui doit être de sept pouces. Si le

général veut apprendre à son souverain qu'il n'ose risquer aucune

bataille, qu'il se contente d'observer l'ennemi & de se tenir sur la

défensive, jusqu'à ce que les troupes qu'il commande aient repris un

peu courage, il désignera la planche de six pouces. S'il a besoin de

renfort ; s'il veut apprendre que les vivres commencent à lui manquer,

il désignera la planche de cinq pouces. S'il veut annoncer qu'il a été

blessé, que son p.314 armée a été vaincue, il désignera la planche de

quatre pouces. S'il veut faire savoir que ses convois ont été enlevés,

que ses provisions ont été gâtées, &c. il désignera la planche de trois

pouces.

Cependant, comme on peut changer ou contrefaire les lettres, il

vaudrait encore mieux ne point écrire, se contenter d'envoyer les

moitiés de planche dont on aurait besoin pour indiquer ce qu'on veut ;

mais alors il ne faudrait point que les conventions entre le souverain &

Page 269: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

269

le général fussent écrites dessus : il suffirait d'y mettre des lettres ou

caractères qui ne serviraient que pour la confrontation.

Si vous apercevez que votre secret est divulgué, ou que les porteurs

des planches les ont communiquées pour qu'on pût en deviner le sens,

faites mourir les traîtres, les curieux, & tous ceux qui ont voulu

s'instruire de ce qu'il ne leur appartenait pas de savoir.

Voilà, seigneur, continua Tai-koung, le premier des expédients que

vous pouvez employer pour vous entretenir secrètement avec votre

général. Vous pouvez augmenter ou diminuer le nombre des planches ;

vous pouvez leur faire dire beaucoup plus de choses que je n'en ai dit

dans les exemples que j'ai apportés ; vous pouvez en un mot leur

donner telle signification qu'il vous plaira.

— L'expédient est très bon, répondit Ou-ouang, quand il n'est

question que de faire savoir en général ce qu'on souhaite ; mais quand

il est nécessaire d'entrer dans des détails, les planches ne sauraient

suffire.

— Vous dites fort bien, reprit Tai-koung. Le second expédient que je

vais vous indiquer vous tirera d'embarras dans ces sortes d'occasions.

Je suppose que votre armée est déjà bien avant dans les terres des

ennemis & que celui qui la commande a des choses essentielles à vous

communiquer ; je suppose qu'il est nécessaire p.315 qu'il entre avec

vous dans des détails qu'il veut cacher à tout autre ; je suppose encore

que tout est perdu pour lui, si son secret vient à transpirer : voici

comment il doit s'y prendre. Il faut qu'il vous écrive trois lettres, dont la

première sera pour vous saluer, pour s'informer de l'état de votre

santé ; la seconde ne contiendra qu'un détail vrai ou feint de ce qui se

passe à l'armée, la troisième renfermera les choses secrètes qu'il veut

vous dire : ces trois lettres étant achevées, il les placera l'une à côté de

l'autre, pour les transcrire sur une même feuille, de la manière

suivante. Le premier caractère qu'il écrira sera le premier de la

première lettre, le second sera le premier de la seconde lettre, & le

troisième le premier de la troisième lettre ; le quatrième sera le second

Page 270: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

270

de la première lettre, le cinquième le second de la seconde lettre & le

sixième le second de la troisième lettre, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il

ait tout dit ; il prendra ensuite cette lettre, il la partagera en trois

parties égales, & vous les enverra chacune par un courrier différent,

qu'il fera partir en différents temps. Suivant la convention que vous

aurez faite avec votre général, il vous sera aisé de lire sa lettre en n'en

prenant qu'un caractère de trois en trois. Qu'un des courriers soit pris,

qu'un autre soit un traître, quoi qu'il en puisse arriver, je défie à

quiconque ne sera pas un esprit, de pénétrer votre secret.

— L'artifice est bon, répondit Ou-ouang, je m'en servirai dans la

suite.

@

Page 271: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

271

INSTRUCTION

SUR

L'EXERCICE MILITAIRE

Page 272: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

272

Préface

@

p.319 J'ai cru devoir joindre à ces anciens traités sur l'art de la

guerre, quelques-unes, ou pour mieux dire la plus grande partie des

évolutions militaires des armées chinoises. J'ai ramassé par le moyen

de quelques officiers de ma connaissance, tout ce que j'ai pu trouver en

ce genre. Les gens du métier sauront apprécier le tout beaucoup mieux

que je ne pourrais le faire. La seule inspection des figures leur dira

peut-être plus que toute mon explication.

Je commence par les exercices de ceux qui n'ont pour armes que le

sabre & le bouclier ; je ferai connaître ensuite l'exercice général, je

terminerai cet ouvrage par la description des armes, des habillements &

de tous les autres instruments qui sont à l'usage des gens de guerre.

comme dans l'explication de ces figures il est souvent parlé de

poids, de mesures & de prix, il est nécessaire d'entrer dans quelque

détail sur ce sujet. Telle est la division des poids usités chez les Chinois.

La livre, qu'ils appellent kin.

L'once, qu'ils appellent leang.

La dixième partie d'une once, qu'ils appellent tsien.

La centième partie d'une once, qu'ils appellent fen.

La millième partie d'une once, qu'ils appellent li. p.320

La dix-millième partie d'une once, qu'ils appellent hao, &c.

Ainsi une once contient 10.000 hao.

L'once chinoise est plus forte que l'once de France d'un gros, c'est-

à-dire que l'once chinoise pèse neuf gros, tandis que l'once de France

n'en pèse que huit.

Les mesures chinoises sont toutes décimales de quelque

dénominateur ; ainsi un pied est la décimale d'un tchang parce qu'un

tchang contient dix pieds ; un pouce est la décimale d'un pied ; un fen

ou une ligne est la décimale d'un pouce ; un li est la décimale d'un fen,

ou la dixième partie d'une ligne ; un hao est la décimale d'un li, ou la

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Art militaire des Chinois

273

centième partie d'une ligne ; un se est la décimale d'un hao, ou la

millième partie d'une ligne, &c. Le pied chinois ordinaire est un peu plus

court que notre pied de roi ; il est à ce dernier comme 264 est à 266 1.

Pour ce qui est des différents prix ou valeurs des choses, l'once

d'argent est le dénominateur général auquel tout se rapporte : ainsi on

dit, 2 onces d'argent, 15 onces, 16 onces, mille onces, &c.

L'once chinoise que j'ai évaluée plus haut, est appelée par les

Chinois leang. Il a plu aux Européens de p.321 l'appeler taël : je lui ai

donné moi-même ce nom, parce qu'il est consacré par un long usage.

L'once chinoise, ou le taël, est divisée en dix tsien,

Le tsien en dix fen,

Le fen en dix li,

Le li en dix hao, &c.

Un taël d'argent vaut sept livres dix sols de notre monnaie. Ainsi

Le tsien vaut 15 f.

Le fen vaut 1 f. 6 d.

Le li vaut 1 d. 4/5

Le hao vaut 9/50 de denier.

Je suis entré dans un détail de minuties sur les habillements, les

armes, &c. que j'aurais peut-être bien fait de supprimer. Mais j'ai cru

que dire trop était un moindre inconvénient que de ne pas dire assez :

d'ailleurs je n'ai d'autre prétention, en donnant cet ouvrage, que celle

de fournir des Mémoires à ceux qui voudront savoir ce que les Chinois

ont de commun avec les anciennes nations, ou de particulier à la leur,

dans leur manière de faire la guerre.

@

1 Il y a encore une autre espèce de pied, qu'on appelle pied de tailleur ; on s'en sert pour mesurer les soieries, draps, toiles, &c. Il est plus grand de sept lignes chinoises

que le pied ordinaire.

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Art militaire des Chinois

274

EXERCICE

de ceux qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier

@

p.322 Quand les troupes sont assemblées, il est absolument

nécessaire que tout le monde garde un profond silence. Le général seul

a droit de parler, afin de pouvoir donner ses ordres.

Chacun doit être à son rang, s'y tenir debout, dans une contenance

grave, toujours attentif.

Cent hommes suffisent pour former quatre rangs ; ainsi avec deux

cents hommes on aura huit rangs, avec trois cents hommes douze

rangs, avec quatre cents hommes seize rangs, & ainsi de suite jusqu'à ce

qu'on ait employé le nombre entier des troupes que l'on peut avoir. Ce

qui est dit ici ne regarde pas seulement ceux qui n'ont pour armes que le

sabre & le bouclier, mais en général toutes les troupes de quelque ordre

& de quelque espèce qu'elles soient. Voyez planches I* & II* de celles

qui représentent ceux qui sont armés du sabre & du bouclier.

Les tambours & les autres instruments militaires tiennent lieu de la

voix du général ; ainsi toute l'attention doit être p.323 portée de ce côté-

là, & une obéissance prompte & exacte doit en être le fruit. Au premier

coup de tambour on redoublera d'attention, on se tiendra prêt à tout.

Après ce premier coup de tambour, on sonnera de la trompette à trois

reprises différentes, d'un seul ton chacune, mais d'un ton tenu &

prolongé. L'intervalle entre chaque reprise ne doit être que d'un

mouvement de respiration ; ce temps suffit pour laisser aux moins

expéditifs le loisir de se préparer.

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Art militaire des Chinois

275

Planche I*.

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Art militaire des Chinois

276

Planche II*.

Dès que les trompettes auront cessé, on entendra de nouveau le

son du tambour ; alors les troupes se partageront à droite & à gauche,

autant d'un côté que de l'autre : on les alignera au moyen d'un

cordeau, afin qu'elles fassent deux lignes exactement droites &

parallèles. Voyez la planche III*.

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Art militaire des Chinois

277

Planche III*.

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Art militaire des Chinois

278

Premier exercice de ceux qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier

@

1. On frappe un coup sur le lo 1 : à ce son chaque soldat se couvrira

de son bouclier & se baissera jusqu'à s'accroupir : on se tiendra dans

cette attitude jusqu'à ce qu'on entende le tambour.

2. On frappe à coups redoublés & assez légèrement sur les bords du

tambour ; pendant ce temps-là les soldats accroupis se lèvent & font

quelques évolutions avec leurs sabres & leurs boucliers. p.324

3. On donne un son de trompette, immédiatement après on frappe

un coup sur le tambour : à l'instant les soldats discontinuent leurs

évolutions : ils restent debout en bonne contenance, tenant le sabre &

le bouclier au-dessus de leurs têtes dans la disposition d'attaquer ou de

se défendre, tous ensemble poussent un grand cri.

4. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats tournent le sabre

du côté gauche frappent comme s'ils voulaient s'ouvrir un passage de

ce côté, & poussent un grand cri.

5. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats tournent le sabre

du côté droit, comme s'ils voulaient s'ouvrir un passage de ce côté,

poussent un grand cri.

6. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats se remettent, &

poussent un grand cri.

7. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats lèvent le sabre &

le bouclier, se tiennent en défense, font un pas en avant, poussent un

grand cri.

8. On frappe deux coups sur le tambour ; les soldats se tournent à

gauche & fixent la vue sur les étendards qui sont déployés.

1 Le lo est un instrument d'airain d'environ deux pieds de diamètre : je parle du lo principal ; car il y en a de plus petits : ils sont tous de figure ronde. J'en donnerai la

description en parlant des instruments militaires. J'en ai déjà parlé dans cet ouvrage.

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Art militaire des Chinois

279

9. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font des évolutions

avec le sabre & le bouclier, ils se courbent un peu comme s'ils voulaient

se cacher ; ils mettent le sabre en long sur le dos (la poignée près du

cou), & poussent un grand cri.

10. On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats font des

évolutions avec le sabre & le bouclier autour de leurs corps, & se

baissent tout de suite jusqu'à terre, où ils se tiennent accroupis.

11. On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats accroupis font

des évolutions avec le sabre & le bouclier autour de leurs corps, & tout

de suite font trois pas en avant, restant toujours courbés. p.325

12. On frappe cinq coups sur le tambour ; chaque soldat ayant le corps

ramassé sous son bouclier, dont il est entièrement couvert, fait un pas en

avant en se roulant sur ce même bouclier, qui lui sert de point d'appui,

comme il ferait sur une roue, & après le tour entier il se relève tout de

suite, & se trouve debout dans la disposition d'attaquer 1.

13. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font un pas en

avant, font agir le sabre de droite à gauche & de gauche à droite, &

poussent un grand cri.

14. On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats font autour de

leurs corps quelques évolutions avec le sabre & le bouclier, &

s'accroupissent tout de suite ; ainsi accroupis, ils font trois évolutions

avec le sabre, comme s'ils voulaient frapper trois coups, ils poussent un

grand cri à chaque coup qu'ils portent ; après avoir frappé les trois

coups, ils font autour de leurs corps trois évolutions avec le sabre & le

bouclier, comme pour attaquer & se défendre en même temps.

15. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

de droite à gauche, & poussent un grand cri.

16. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

de gauche à droite, & poussent un grand cri.

1 Cet exercice, fait à propos, a fait remporter, du temps des Soung, une victoire

complète sur les Tartares. Je parlerai ailleurs de ce point d'histoire.

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Art militaire des Chinois

280

17. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats se remettent, ils

se tiennent debout en bonne contenance, & poussent un grand cri.

Ainsi finit le premier exercice de ceux qui n'ont pour armes que le

sabre & le bouclier. p.326

Exercice II de ceux qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier

@

1. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce temps-

là, les soldats se partagent de cinq en cinq, & se tiennent prêts.

Planche IV*.

2. On frappe un coup sur le lo ; les soldats se mettent sur le bouclier

l'un de l'autre, comme on le voit dans la planche IV* : on appelle les

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Art militaire des Chinois

281

soldats ainsi rangés, les cinq tigres prêts à sortir de la forêt pour se

jeter sur leur proie.

3. On donne un son de trompette ; on frappe ensuite un coup sur le

lo, après lequel on frappe sur le tambour à coups redoublés ; alors les

cinq tigres prêts à sortir de la forêt changent promptement de

contenance, forment de cinq en cinq une figure telle qu'on la voit dans

la planche V* : on appelle les soldats ainsi rangés les cinq fleurs de

Mei-hoa jonchant la terre.

Planche V*.

4. On donne deux sons de trompette ; on frappe ensuite deux coups

sur le lo, après lesquels on frappe sur le tambour à coups redoublés ;

alors les cinq fleurs de Mei-hoa changent promptement de contenance

& se joignent de dix en dix hommes, lesquels, montés sur le bouclier

l'un de l'autre, forment une figure telle qu'on la voit dans la planche

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Art militaire des Chinois

282

VI* : on appelle les soldats ainsi rangés, la face des dix représentée par

les boucliers qui les cachent.

5. On donne trois sons de trompette, ou, ce qui est de même, on

sonne de la trompette à trois reprises, d'un seul ton chacune ; on

frappe trois coups sur le lo, après lesquels on frappe sur le tambour à

coups redoublés : pendant ce temps-là p.327 la face des dix représentée

par les boucliers qui les cachent, change promptement de contenance &

Planche VI*.

forme un bataillon carré ; chaque soldat tient le sabre & le bouclier

levés, en attitude de bataille, comme on le voit dans la planche VII*.

Page 283: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

283

Planche VII*.

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Art militaire des Chinois

284

6. On frappe un coup sur le lo ; à ce signal tous les soldats se

baissent promptement, uniment & sans confusion.

7. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce temps-

là les soldats font des évolutions avec leurs sabres & leurs boucliers.

8. On donne un son de trompette, immédiatement après on frappe

un coup sur le tambour ; les soldats se relèvent tout à coup ayant le

sabre & le bouclier levés, poussent un grand cri.

9. On frappe un coup sur le tambour ; à ce signal les soldats font

agir le sabre de droite à gauche, & poussent un grand cri.

10. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

de gauche à droite, & poussent un grand cri.

11. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

à droite & à gauche, & poussent un grand cri.

12. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats tout à coup

discontinuent leurs évolutions avec le sabre & le bouclier, se baissent

perpendiculairement, comme s'ils voulaient s'asseoir, & poussent un

grand cri.

13. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats, ainsi baissés,

font un pas en avant, tenant le sabre & le bouclier en état de défense,

& poussent un grand cri.

14. On frappe deux coups sur le tambour ; les soldats font agir le

sabre, comme s'ils voulaient frapper de droite à gauche.

15. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats p.328 allongent le

corps en avant, ayant le sabre le long de leur dos, & poussent un grand

cri.

On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats se tournent tout à

coup & se courbent jusqu'à terre.

17. On frappe trois coups sur le bord du tambour ; les soldats font

des évolutions avec le sabre & le bouclier, & font trois pas en avant.

Page 285: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

285

18. On frappe cinq coups sur le tambour ; les soldats font un pas en

avant, en se roulant sur leurs boucliers, c'est-à-dire que chaque soldat

s'appuyant sur son bouclier, le fait tourner comme une roue, se tourne

avec lui : c'est le même que celui dont on a parlé au n° 12 du premier

exercice.

19. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats plongent le corps

en avant, déchargent un coup de sabre, & poussent un grand cri.

20. On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats se tournent

tout à coup, font un pas comme s'ils voulaient retourner, se parent le

dos avec le bouclier, & font agir le sabre par derrière autour de leur

corps.

21. On frappe trois coups sur le tambour ; les soldats font des

évolutions avec le sabre & le bouclier, & se courbent jusqu'à terre.

22. On frappe trois coups sur le bord du tambour ; les soldats

poussent trois grands cris. On frappe une seconde fois sur le bord du

tambour ; les soldats poussent une seconde fois trois grands cris. On

frappe une troisième fois trois coups sur le bord du tambour ; les

soldats poussent une troisième fois trois grands cris, & se relèvent

brusquement.

23. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

de droite à gauche, & poussent un grand cri ; tout de suite ils font agir

le sabre de gauche à droite, & poussent un grand cri. p.329

24. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats font agir le sabre

en avant, se baissent tout de suite comme s'ils voulaient s'asseoir, &

poussent un grand cri.

25. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce

temps-là les soldats, qui étaient auparavant rangés en bataillon carré

forment un grand cercle. Voyez la planche VIII*. la plan

26. On frappe un coup sur le bord du lo ; à ce signal tous les soldats

se baissent promptement jusqu'à terre, se couvrent tout le corps avec

le sabre & le bouclier, & ne laissent à découvert que la partie supérieure

du visage. Voyez la même planche VIII*.

Page 286: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

286

Planche VIII*.

Page 287: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

287

27. On donne un son de trompette, on frappe un coup sur le lo ; les

soldats cachent sous le bouclier la partie même du visage qu'ils avaient

laissée à découvert immédiatement auparavant.

28. On donne un son de trompette, on frappe sur le lo ; les soldats

découvrent la partie supérieure du visage, comme s'ils voulaient voir ce

qui se passe auprès d'eux.

Ces dernières évolutions, n° 27 & 28 se répètent jusqu'à trois fois,

après lesquelles,

29. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats se lèvent tout à

coup, font quelques espèces de sauts en frappant fortement du pied

contre terre, & poussent un grand cri.

30. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats présentent le

bouclier en avant, autant que le bras peut s'étendre, se mettent en

disposition de faire agir le sabre en portant en arrière la main qui en est

armée, & poussent un grand cri.

31. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats allongent un

coup de sabre, retirent en même temps le bouclier jusques vers

l'estomac, & poussent un grand cri. p.330

32. On frappe un coup sur le lo ; les soldats se baissent tout à coup

& se cachent entièrement sous leurs boucliers.

33. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce

temps-là les troupes changent de contenance & se partagent en

cinq tourbillons, qui font chacun un cercle parfait.

Voyez la planche IX*.

Page 288: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

288

Planche IX*.

34. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats plient un genou,

sans cependant le poser jusqu'à terre.

35. On donne un son de trompette, immédiatement après, on frappe

un coup sur le tambour ; les soldats, qui avaient un genou plié, se

redressent entièrement, se tiennent debout, lèvent le sabre & le

bouclier par-dessus leurs têtes, & poussent un grand cri.

36. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats portent le sabre

& le bouclier vers le côté gauche, & poussent un grand cri.

37. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats portent le sabre

& le bouclier vers le côté droit, & poussent un grand cri.

Page 289: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

289

Planche X*.

38. On frappe un coup sur le tambour ; les soldats portent le sabre

& le bouclier en devant, comme pour parer la poitrine, se baissent tout

de suite à demi-corps, avancent les armes & poussent un grand cri.

39. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce temps-là

les soldats changent de contenance ou de position ; les cinq tourbillons

(pl. IX) se transforment en la figure des deux Y & des huit Koua, ainsi

qu'on le voit dans la pl. X*. Les deux Y, selon les Chinois, sont le Ciel la

Terre, & les huit Koua sont ces figures mystérieuses inventées par Fou-hi,

au moyen desquelles on peut trouver tout ce qui est possible.

40. On frappe un coup sur le tambour ; chaque soldat se p.331 cache

entièrement sous son bouclier, de façon qu'on ne puisse voir ni lui ni

son sabre, & se tient tranquille sans faire aucun mouvement.

Page 290: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

290

Planche XI*.

41. On donne un son de trompette ; tous ensemble poussent alors

un grand cri. On donne un second son de trompette ; tous les soldats

poussent une seconde fois un grand cri. On donne un troisième son de

trompette ; tous les soldats poussent une troisième fois un grand cri.

42. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; les soldats

pendant ce temps-là changent de contenance : les deux Y & les huit

Koua se transforment en quatre figures entrelacées (se-sian-glien-

hoan). Voyez la planche XI*.

Page 291: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

291

Planche XII*.

Page 292: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

292

43. On donne trois sons de trompette, après lesquels on frappe trois

coups sur le tambour ; tout le monde se rend attentif & attend en

silence le premier signal.

44. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; pendant ce

temps-là les soldats forment un bataillon carré, tel qu'on le voit dans la

planche XII*.

45. On frappe un coup sur le lo ; les soldats s'accroupissent & se

couvrent de leurs boucliers.

46. On frappe sur le tambour à coups redoublés, mais sur le bord de

l'instrument, & d'une manière assez légère ; les soldats accroupis se

lèvent & font quelques évolutions avec leurs sabres & leurs boucliers.

47. On donne un son de trompette, on frappe un coup sur le

tambour : les soldats cessent alors de faire des évolutions ; ils se

tiennent debout, ayant une contenance fière, tenant le sabre & le

bouclier levés au-dessus de leurs têtes, dans la disposition d'attaquer

ou de se défendre, & poussent tous ensemble un grand cri, &c. Tout le

reste se fait comme ci-devant, depuis le n° 3 du premier exercice

jusqu'au n° 17, qui est la fin de ce premier exercice.

p.332 Après la fin du second exercice, qui finit comme le premier,

ainsi que je viens de le dire, les soldats entonnent le cantique de

victoire, après lequel toutes les troupes défilent par ordre, chacun

suivant son rang, de la manière que cela se pratique dans l'exercice

général. Voyez ci-après l'instruction sur l'exercice général.

@

Page 293: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

293

INSTRUCTION

Sur la manière dont on doit faire l'exercice général

@

p.333 Les troupes qu'on emploie pour l'exercice général ne vont jamais

au-delà de quarante compagnies, composées de vingt-cinq hommes

chacune : ce nombre a paru suffisant pour représenter une armée

entière & pour faire pratiquer sans désordre la plupart des évolutions

particulières aux différents corps qui la composent. Les quarante

compagnies dont je viens de parler sont prises de tous les différents

corps qui composent la milice chinoise ; savoir, la cavalerie, le corps des

arbalétriers, celui des pertuisaniers, le corps de ceux qui sont armés du

sabre & du bouclier, celui des fusiliers, & enfin celui des canonniers.

Outre ces quarante compagnies, il y a cinquante piquiers, ou

cinquante hommes armés de piques, qui sont placés à la suite de ceux

qui n'ont pour armes que le sabre & le bouclier.

Au reste, tout ce que j'ai déjà dit & tout ce que je dirai dans la suite

ne regarde que les troupes purement chinoises. Celles des Tartares

Mantchous, qui sont aujourd'hui les principales & presque les seules

troupes de l'empire, ont leurs exercices à part.

Les noms que j'ai donnés aux différents corps qui composent les

troupes chinoises ne sont peut-être pas ceux qui leur conviennent. On

peut les changer si l'on veut, en traduisant p.334 les mots chinois

autrement que j'ai fait. Les voici de suite avec l'explication littérale à côté.

Tchang-tsiang, c'est-à-dire, longue pique ou lance, &c.,

Tchang-tao, longue épée, ou long sabre, ou pertuisane,

Niao-tsiang, fusil ou arme à tuer les oiseaux,

Ta-pao, gros canon,

Teng-pai, bouclier de rotin ; & pour abréger ils disent

seulement pai,

Koung-tsien, l'arc & la flèche,

Page 294: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

294

Ma-ping, soldats à cheval.

Après chaque nom d'arme on sous-entend celui de ping qui signifie

soldat, homme de guerre ; ainsi pour dire piquier on ajoute aux deux

mots tchang-tsiang celui de ping, & alors tchang-tsiang-ping signifiera

homme armé d'une longue pique, & ainsi des autres

Toutes les troupes chinoises, comme je l'ai dit plus haut, sont

représentées par quarante compagnies, dont six sont de cavalerie, huit

d'arbalétriers, cinq de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier,

lesquels j'ai désignés quelquefois par le mot scutati, faute d'un mot

français aussi court qui signifiât la même chose ; cinq de pertuisaniers ;

douze de fusiliers, & quatre seulement de canonniers. Tous ces corps

de troupes sont rangés sous des étendards de six couleurs différentes,

qui sont le jaune, le blanc, le vert, le bleu, le rouge & le noir. Chacune

des six compagnies de cavalerie est rangée sous les étendards d'une

des couleurs que je viens d'indiquer. Parmi les arbalétriers, il y en a

trois sous les étendards jaunes, une sous les étendards blancs ; deux

sous les étendards bleus, une sous les étendards rouges, & une sous

les étendards noirs. Les cinq compagnies de ceux qui n'ont pour armes

que le sabre & le bouclier sont, une sous les étendards jaunes, une p.335

sous les étendards bleus, une sous les étendards rouges, une sous les

étendards blancs, une sous les étendards noirs. Les cinq compagnies de

pertuisaniers sont dans le même ordre & sous les mêmes couleurs que

ceux qui sont armés du sabre & du bouclier. Les douze compagnies de

fusiliers sont rangées, trois sous les étendards jaunes, trois sous les

étendards bleus, trois sous les étendards verts, une sous les étendards

rouges, une sous les étendards blancs & une sous les étendards noirs.

Les quatre compagnies de canonniers sont rangées, une sous les

étendards bleus, une sous les étendards blancs, une sous les étendards

rouges & une sous les étendards noirs.

Ce qui est appelé tente du général est un pavillon dans lequel

s'assemblent les officiers généraux qui doivent être témoins de

l'exercice, & d'où ils voient défiler les troupes.

Page 295: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

295

La tour des signaux est placée à côté de la tente du général, assez

élevée pour être vue de toute l'armée. Il y a dans cette tour, outre

l'étendard général, des étendards particuliers semblables aux étendards

des différents corps. Il y a aussi des trompettes, des tambours, des lo,

des musiciens & une ou plusieurs pièces de canon. Quand le général a

quelques ordres à donner, il envoie un officier à la tour des signaux,

afin que de là on montre, par exemple, l'étendard du corps qui doit

faire quelque évolution, ou que l'on donne les autres signaux qui

indiquent ce qu'il faut faire. Ce que j'ai nommé porte du camp est un

massif placé au midi, vis-à-vis du pavillon ou de la tente du général, qui

est au nord. Ce massif représente la principale porte du camp ; l'espace

qui est entre le massif & le pavillon représente le camp.

Partout ou l'on a peint un petit étendard, il faut supposer cinq

hommes ; le grand étendard est celui de la compagnie entière, c'est-à-

dire de vingt-cinq hommes.

Il est nécessaire d'observer que toutes les fois que je dis : p.336 on

donne un son de trompette, on frappe un coup sur le tambour, on

frappe deux coups sur le lo, ou que je parle d'autres signaux

semblables, il faut entendre que ces différents coups ou ces différents

signaux ne se donnent jamais que l'un après l'autre. C'est comme si je

disais, on donne un son de trompette, puis on bat un coup sur le

tambour, ensuite l'on fait tel autre signal, &c. Quand je dis on frappe

sur le bord du tambour, sur le bord du lo, je veux dire qu'au lieu de

frapper sur le centre de l'instrument, pour en tirer des sons pleins, on

ne frappe que vers l'extrémité, pour n'en tirer que des sons sourds &

sans harmonie. Ces sortes de sons sont employés assez fréquemment

par les Chinois, même dans leurs plus brillantes musiques.

Le jour déterminé pour l'exercice, tout le monde se rend avant

l'aurore au lieu où il doit se faire : on se range d'abord sur deux lignes

parallèles ; on garde un profond silence, & on attend l'arrivée du

général, ou de celui qui doit commander. Le général doit être rendu

avant le lever du soleil, ou tout au plus tard quand le soleil se lève.

Page 296: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

296

1. A la première nouvelle qu'on a que le général est près d'arriver,

du haut de la tour des signaux on élève le grand étendard, ou, pour

mieux dire l'étendard principal ; tout le monde redouble alors

d'attention, & se tient dans une contenance grave, sans faire aucun

mouvement.

2. On donne trois sons de trompette ; chaque corps de troupes

prend alors son rang.

3. On frappe un coup sur le bord du lo ; on cesse tout mouvement &

l'on se rend attentif.

4. On frappe un coup sur le bord du lo ; les cavaliers prennent de la

main gauche la bride & se mettent en attitude de monter à cheval ;

chaque corps de troupes prend ses armes & se dispose suivant son

usage. p.337

5. On frappe un coup sur le lo ; les cavaliers montent à cheval, &

toutes les troupes déploient leurs étendards.

6. On sonne de la trompette, on bat sur le tambour à coups

redoublés ; pendant ce temps les troupes se rangent de la manière

qu'on le voit sur la planche I.

7. On frappe un coup sur le lo ; à ce signal les trompettes & les

tambours cessent, tout le monde se tient dans une contenance grave,

sans faire aucun mouvement, dans un profond silence.

8. Dès qu'on sait que le général est arrivé auprès de la porte du

camp en dehors, on sonne de la trompette, on tire trois coups de

canon, & on joue des instruments de musique ; pendant ce temps les

cavaliers mettent pied à terre, & tout le monde se met à genoux. Le

général entre par la porte du camp, ou, pour mieux dire, par un des

côtés du massif qui représente la porte du camp & va en droite ligne

dans le pavillon qui est vis-à-vis & qui tient lieu de tente, c'est-à-dire

depuis a jusqu'à b de la même planche I. A mesure qu'il passe, les

troupes qu'il laisse derrière lui se relèvent immédiatement après qu'il a

passé, de façon que tout le monde se trouve debout quand le général

entre dans sa tente.

Page 297: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

297

Planche I.

Page 298: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

298

9. Après que le général est entré, qu'il est supposé tenir son conseil

avec les officiers généraux qui l'accompagnent, toutes les troupes se

rangent sur deux lignes parallèles, dans l'ordre suivant. Voyez planche II.

I. Les six compagnies de cavalerie, dont les trois qui sont sous les

pavillons bleus, rouges & noirs, sont à droite de la tente ; & les trois qui

sont sous les pavillons jaunes, blancs & verts, sont à gauche.

II. Les huit compagnies d'arbalétriers, dont les deux qui sont sous les

étendards bleus, une qui est sous les étendards rouges, une qui est sous

les étendards noirs, sont à droite ; p.338 les trois qui sont sous les

étendards jaunes & celle qui est sous les étendards blancs, sont à gauche.

III. Viennent ensuite ceux qui sont armés du sabre & du bouclier

(scutati) & les pertuisaniers, lesquels forment en tout dix compagnies,

dont cinq sont de pertuisaniers & cinq de ceux qui sont armés du sabre

& du bouclier. Ces dix compagnies sont rangées dans l'ordre suivant :

une compagnie de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier, sous les

étendards jaunes ; une compagnie de pertuisaniers, sous les étendards

bleus ; une compagnie de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier,

sous les étendards bleus ; une compagnie de pertuisaniers, sous les

étendards rouges ; & une compagnie de ceux qui sont armés du sabre

& du bouclier, sous les étendards rouges : ces cinq compagnies sont à

droite. Les cinq autres compagnies, savoir, une de pertuisaniers, sous

les étendards jaunes, une de ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier, sous les étendards blancs ; une de pertuisaniers, sous les

étendards blancs ; une de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier,

sous les étendards noirs ; & une de pertuisaniers, sous les étendards

noirs, sont à gauche.

IV. Après ces deux corps de troupes, vient celui des fusiliers, divisé

en douze compagnies, dont trois sous les étendards bleus, une sous les

étendards rouges, une sous les étendards noirs & une sous les

étendards verts, sont à droite ; trois sous les étendards jaunes, une

sous les étendards blancs, & deux sous les étendards verts, sont à

gauche.

Page 299: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

299

Planche II.

Page 300: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

300

V. Les quatre compagnies de canonniers sont placées

immédiatement après les fusiliers. La compagnie qui est sous les

étendards rouges, & celle qui est sous les étendards noirs, sont à

droite ; la compagnie qui est sous les étendards bleus, & celle qui est

sous les étendards blancs sont à gauche de la tente du général, comme

on le voit sur la planche II.

10. Après que les troupes rangées sur deux lignes parallèles, p.339

comme on vient de le voir, ont pris le rang assigné pour chacun des

corps qui les composent, du haut de la tour des signaux on frappe un

coup sur le lo ; à ce signal les cavaliers mettent pied à terre, & chaque

corps baisse ses pavillons. Pendant ce temps-là le général, assis dans

sa tente, donne ses ordres aux officiers généraux & aux principaux de

ceux qui sont chargés des étendards ; ces derniers écoutent à genoux

tout ce que le général veut leur dire, après quoi le guidon général

s'avance (j'appelle guidon général celui qui est à la tête de tous les

porte-étendards & qui commande l'exercice pour la partie des signaux

qui le concernent) ; le guidon général s'avance, se met à genoux, &

prie le général de vouloir bien lui confier son étendard, c'est-à-dire

l'étendard sous lequel toute l'armée est rangée & auquel tous les autres

doivent se conformer. Le général prend lui-même l'étendard à deux

mains, & le lui livre ; le guidon général le reçoit avec respect, se relève,

va jusqu'à la porte de la tente ou du pavillon, où son lieutenant l'attend

à genoux sur une des marches de l'escalier ; il lui met entre les mains

l'étendard dans le même état qu'il l'a reçu ; & celui-ci le porte alors

fièrement à la tour des signaux ; là il le déploie, le fait voltiger de côté

& d'autre, & fait plusieurs évolutions, après lesquelles il le laisse exposé

à la vue de toute l'armée, de la manière qu'on le voit dans la tour des

signaux qui est représentée sur les deux premières planches. Les

guidons particuliers des étendards des différentes couleurs qui sont

dans la tour des signaux, font aussi voltiger les leurs, & les montrent à

l'armée, de la même manière que l'a fait le guidon général.

11. Après que chacun des étendards a fait ses évolutions, on frappe

un coup sur le bord du lo ; à ce signal tout le monde se rend attentif.

Page 301: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

301

12. On frappe un second coup sur le bord du lo ; alors les p.340

cavaliers prennent la bride de la main gauche, & se mettent en attitude

de monter à cheval.

13. On frappe un coup sur le lo ; les cavaliers montent à cheval. Alors

le guidon général, qui est resté dans la tente comme on l'a vu plus haut,

se met à genoux aux pieds du général & le prie de vouloir bien être

témoin de tout l'exercice qu'on va faire en son nom & sous son autorité.

Le général, environné des officiers généraux qui l'accompagnent & qui

sont censés former son conseil, se place sur le devant de la tente ou du

pavillon en dedans, & permet qu'on commence.

14. Du haut de la tour des signaux on donne deux sons de

trompette pleins & unis, c'est-à-dire ni hauts ni bas, après lesquels on

donne un son aigu, & l'on tire trois coups de canon : ces canons, dans

le lieu de l'exercice, je veux dire dans la tour des signaux, ne sont que

de simples boîtes de fer, mais dont le bruit imite assez celui du canon.

Je ne me servirai que du mot de canon.

15. Au premier coup de canon, tous les enseignes des troupes qui

sont sous les armes déploient leurs étendards.

16. Au second coup toutes les troupes tournent la face du côté de la

tente du général.

17. Au troisième coup la musique commence, & les troupes se

disposent à la marche, qui se fait dans l'ordre suivant. Voyez planche III.

18. On bat sur le tambour ; chaque capitaine se met à la tête de sa

troupe ; les cavaliers les plus près de la tente du général défilent les

premiers ; la compagnie qui est à droite défile en dehors par la droite,

& est suivie des autres corps qui se remplacent successivement ; la

compagnie qui est à gauche défile en dehors par la gauche, & est suivie

par les autres corps qui sont sur la même ligne. p.341

Les deux premières compagnies de cavalerie de la droite & de la

gauche arrivent en même temps aux deux côtés du massif que j'ai

inscrit porte du camp, une par la droite & l'autre par la gauche, &

s'avancent uniformément suivies de tous les autres corps jusqu'à ce que

Page 302: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

302

Planche III.

Page 303: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

303

que tout le monde soit rangé comme on le voit sur la même planche

III. C'est ici que commence la revue.

Planche IV.

La première compagnie de cavalerie qui est à la droite, vient passer

sous les yeux du général, s'avance par la gauche pour aller à l'autre

extrémité du camp. La première compagnie de cavalerie qui est à la

gauche vient passer sous les yeux du général, s'avance par la droite,

pour aller à l'autre extrémité du camp. Chaque corps en fait de même &

se range en arrivant comme on le voit dans la planche IV.

19. Après que tous les corps ont passé, on frappe trois coups sur le

lo ; à ce signal tout le monde se tient immobile & se rend attentif. Ici

commence l'ordre général de bataille.

20. Du haut de la tour des signaux on élève l'étendard rouge, on le

fait flotter de côté & d'autre pour qu'il soit vu de toute l'armée.

Page 304: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

304

21. On donne trois sons de trompette, on frappe un coup sur le bord

du lo ; alors les fusiliers se partagent de cinq en cinq, de telle sorte

qu'entre chaque troupe de cinq il y ait un pied d'intervalle.

22. On frappe un second coup sur le bord du lo ; les fusiliers

mettent encore un pas d'intervalle entre chaque troupe de cinq.

23. On frappe à coups redoublés sur le bord du lo ; à ce signal les

cavaliers, les arbalétriers, les pertuisaniers & ceux qui sont armés du

sabre & du bouclier se partagent de cinq en cinq, & font la même

manœuvre qu'on vient de voir faire aux fusiliers ; pendant ce temps-là

les canonniers disposent leurs canons. p.342

24. On frappe un coup plein sur le lo ; les fusiliers se partagent à

droite & à gauche & forment trois rangs de chaque côté sur une même

ligne ; les trois rangs formés, tout le monde se tient immobile & se

rend attentif.

25. On frappe à coups redoublés sur le bord du tambour ; les

troupes frappent la terre alternativement des deux pieds & s'agitent

comme pour témoigner l'impatience où elles sont d'aller contre

l'ennemi.

26. On frappe un coup plein sur le lo ; tous les mouvements &

battements de pied cessent.

27. On donne sur la trompette un son uni ; à ce signal les fusiliers

baissent leurs arme & mettent de la poudre dans le bassinet.

28. On donne sur la trompette un second son uni ; les fusiliers

disposent la mèche.

29. On donne sur la trompette un son aigu ; les fusiliers lèvent leurs

fusils.

30. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; les fusiliers font

trois pas en avant ; ceux du premier rang se mettent sur la même ligne

& au niveau de ceux qui portent les petits étendards, & visent du côté

de l'ennemi.

Page 305: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

305

31. Du haut de la tour des signaux on baisse l'étendard rouge ; à

l'instant les fusiliers du premier rang font leurs décharges, après laquelle

ils rebroussent tout de suite, & vont se placer à la queue des fusiliers ; par

cette manœuvre le second rang des fusiliers prend la place du premier

rang, le troisième rang prendra place du second, & celui qui était le

premier se place où était le troisième, & charge promptement le fusil.

32. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; le second rang de

fusiliers, qui se trouve actuellement au premier rang, ainsi que je viens

de le dire, fait la même manœuvre que je p.343 viens de décrire pour le

rang qui l'a précédé ; & après avoir fait sa décharge, il passe

promptement à la queue pour charger le fusil.

33. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; le troisième rang

des fusiliers, qui se trouve actuellement au premier rang, fait comme

les deux qui l'ont précédé ; après qu'il a fait sa décharge, il passe à la

queue, où il reprend son rang, & charge le fusil.

34. Du haut de la tour des signaux on donne un son de trompette

uni, tout de suite on donne un son aigu ; on fait flotter de côté &

d'autre l'étendard rouge pour le montrer à toute l'armée.

35. On frappe sur le tambour à coups redoublés, on donne sur la

trompette des sons réitérés ; alors les fusiliers redoublent d'activité,

font leurs décharges avec précipitation, & les canonniers les secondent

avec la grosse artillerie.

36. Pendant que se font ces décharges, la cavalerie avance des deux

côtés & environne l'armée, comme on le voit dans la planche V.

L'attaque qui vient d'être décrite est celle que les Chinois appellent

teou-ti-lien-hoan-tchen, comme qui dirait attaque où les combattants

se succèdent. On ne peut guère traduire à la lettre ces mots chinois, ni

leur donner un sens passable en notre langue, car teou signifie

attaquer, provoquer, &c. ti signifie le fond, le centre de quelque chose,

empêcher, retenir, &c. lien signifie contigu, lié, qui est de suite &c.

hoan veut dire circuit, environner, anneau, &c. & tchen signifie

disposition, ordre de bataille, &c.

Page 306: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

306

On peut donner à ce premier exercice, ou, pour mieux dire, à ce

commencement de bataille tel autre nom qui lui soit plus analogue. p.344

Planche V.

37. On frappe trois coups sur le lo ; les fusiliers & les canonniers

cessent tout à coup leurs décharges.

38. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, à ce signal les pertuisaniers disposent leurs armes.

35. Immédiatement après on donne sur la trompette un son aigu ;

du haut de la tour des signaux, on élève l'étendard noir, on tire un coup

de canon & l'on frappe sur le tambour à coups redoublés ; alors ceux

qui sont armés du sabre & du bouclier, les pertuisaniers & les

arbalétriers poussent en même temps un grand cri, & tout de suite

passent au travers des fusiliers, par les intervalles qu'il y a entre

Page 307: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

307

chaque troupe de cinq, & se trouvent par cette manœuvre à la tête de

l'armée, laissant les fusiliers derrière eux.

40. On frappe un coup sur le lo ; tout le monde se rend immobile &

se tient attentif.

41. On frappe sur le bord du tambour à coups redoublés ; alors ceux

qui sont armés du sabre & du bouclier, les pertuisaniers & les

arbalétriers vont à l'attaque en se soutenant mutuellement, comme on

le voit dans la planche VI.

Planche VI.

42. On frappe un coup sur le lo ; ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier, les pertuisaniers & les arbalétriers cessent de se battre.

43. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, immédiatement après on frappe sur le bord du tambour à

coups redoublés ; les trois corps de troupes qu'on vient de nommer se

Page 308: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

308

retirent dans le même ordre qu'ils ont gardé lorsqu'ils se sont avancés,

c'est-à-dire au travers des fusiliers par les intervalles qu'il y a entre

chaque peloton de cinq.

44. On frappe un coup sur le lo ; tout le monde s'arrête & se rend

attentif, les fusiliers baissent leurs armes. p.345

L'attaque qui vient d'être décrite s'appelle en chinois san-tie-

tchoung-cha-tchen, comme qui dirait combat de trois ou par trois se

soutenant l'un l'autre. Voyez la même planche VI.

45. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, on élève l'étendard rouge, on le fait flotter de côté &

d'autre pour le montrer à l'armée, on tire un coup de canon ; tout de

suite on donne sur la trompette plusieurs sons précipités, on frappe sur

le tambour à coups redoublés ; alors les fusiliers font leurs décharges

avec précipitation, & se succèdent les uns aux autres de la même

manière qu'on l'a dit plus haut en parlant de la première attaque.

46. On frappe trois coups sur le lo ; à ce signal les fusiliers cessent

de tirer.

47. On donne sur la trompette un son plein & uni, tout de suite on

donne un son aigu ; du haut de la tour des signaux on élève l'étendard

bleu, on le fait flotter de côté & d'autre pour le montrer à l'armée, on

tire un coup de canon ; à ce signal les arbalétriers s'avancent par

pelotons de cinq, traversent les fusiliers qu'ils laissent derrière eux, &

se trouvent ainsi à la tête de l'armée.

48. On frappe un coup sur le lo ; les arbalétriers se mettent en ligne

droite, serrent leurs rangs, s'avancent jusqu'au dessus de la ligne de

leurs officiers qu'ils laissent derrière eux, comme on le voit sur la

planche VII.

49. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; les arbalétriers

font leurs décharges.

50. On frappe un coup sur le lo ; les arbalétriers cessent de lancer

leurs traits.

Page 309: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

309

51. On donne sur la trompette trois sons pleins & unis ; les

arbalétriers retournent à la place d'où ils étaient venus & dans le même

ordre qu'ils étaient venus, c'est-à-dire en p.346 traversant les fusiliers

par les espaces qu'il y a entre chaque peloton de cinq.

52. On frappe un coup sur le lo ; tout le monde se tient immobile &

se rend attentif.

L'attaque qui vient d'être décrite est appelée en chinois koung-tsien-

tchoung-cha-tchen, c'est-à-dire combat de ceux qui sont armés de l'arc

& de la flèche. Voyez planche VII.

Planche VII.

53. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, immédiatement après on donne un son aigu, on élève

Page 310: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

310

ensuite le pavillon noir, qu'on fait flotter de côté & d'autre pour le

montrer à toute l'armée, & on tire un coup de canon ; alors ceux qui

ont pour armes le sabre & le bouclier (scutati) traversent les fusiliers de

la manière dont on l'a décrit plus haut, poussent un grand cri, & se

rangent à la tête de l'armée.

54. On frappe un coup sur le lo ; tout le monde se tient immobile &

se rend attentif.

Planche VIII.

Page 311: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

311

55. On donne sur la trompette un son plein & uni ; à ce signal ceux

qui sont chargés des petits étendards s'avancent & se placent

immédiatement devant ceux qui portent les grands étendards, & ceux-

ci demeurent immobiles dans leurs postes ; tout de suite les soldats

s'avancent à leur tour, & se postent devant ceux qui portent les petits

étendards : ils se disposent en forme de colonne, en se mettant l'un

devant l'autre, comme on le voit sur la planche VIII. Cette manœuvre

se fait seulement par ceux qui sont armés du sabre & du bouclier.

56. On frappe un coup sur le lo ; tout le monde se tient immobile &

se rend attentif.

57. On frappe un coup sur le bord du lo ; ceux qui sont armés du

sabre & du bouclier lèvent en même temps leurs sabres & leurs

boucliers au-dessus de leurs têtes. p.347

58. On frappe un second coup sur le bord du lo ; ceux qui sont

armés du sabre & du bouclier font avec précipitation un pas en avant.

59. On frappe un coup plein sur le lo ; ceux qui sont armés du sabre

& du bouclier se mettent en attitude de combat.

60. Du haut de la tour des signaux on frappe sur le tambour à coups

redoublés ; ceux qui sont armés du sabre & du bouclier font leurs

évolutions comme s'ils se battaient.

61. On frappe un coup plein sur le tambour ; les combattants

s'arrêtent.

62. Du haut de la tour des signaux on frappe sur le tambour à coups

redoublés ; pendant ce temps-là ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier quittent la forme de colonne qu'ils avaient auparavant &

prennent celle de fleurs qui jonchent la terre. Les fusiliers se rangent en

colonne derrière chaque fleur ou chaque peloton de ceux qui sont

armés du sabre & du bouclier, ainsi qu'on le voit sur la planche IX.

Page 312: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

312

Planche IX.

63. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, immédiatement après on donne un son aigu ; on élève

l'étendard rouge, qu'on fait flotter de côté & d'autre pour le montrer à

toute l'armée ; on frappe sur le tambour à coups redoublés, on donne

sur la trompette des sons continus ; alors les fusiliers, rangés en

colonne derrière ceux qui sont armés du sabre & du bouclier, font leurs

décharges.

64. On frappe trois coup sur le lo ; alors les fusiliers cessent de

tirer ; ceux qui sont armés du sabre & du bouclier restent immobiles,

tels qu'ils sont, c'est à-dire cachés sous leurs boucliers.

65. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un

son plein & uni, immédiatement après on donne un son aigu, on élève

Page 313: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

313

Planche X.

l'étendard blanc, qu'on fait flotter de p.348 côté & d'autre pour le

montrer à toute l'armée, & l'on tire un coup de canon ; alors les

pertuisaniers s'avancent au travers des fusiliers, poussent un grand cri,

se placent immédiatement devant ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier, comme on le voit sur la planche X.

66. On frappe un coup plein sur le lo ; à ce signal tout le monde se

tient immobile & se rend attentif.

67. On frappe un coup sur le lo ; les fusiliers des deux cotés retournent

à leur poste : les trois rangs de fusiliers qui sont au milieu ne changent

point encore de place ; mais après avoir mis un genou à terre, & s'être

cachés, par cette évolution, derrière ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier, ils font leurs décharges, après laquelle ils demeurent immobiles.

Page 314: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

314

Planche XI.

68. On frappe un coup sur le lo ; les pertuisaniers baissent leurs

armes & se mettent en disposition de se battre.

69. On frappe un second coup sur le lo ; les pertuisaniers lèvent

leurs armes.

70. On frappe sur le tambour à coups redoublés ; les pertuisaniers

font agir leurs armes comme s'ils combattaient.

71. On frappe un coup plein sur le lo ; les pertuisaniers cessent

leurs évolutions.

72. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette des

sons moyens & continus, on frappe sur le tambour à coups redoublés ;

pendant ce temps-là ceux qui sont armés du sabre & du bouclier

Page 315: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

315

changent la forme de fleurs jonchant la terre, qu'ils imitaient

auparavant, en celle qui imite la projection de la lune qui sert comme

de bouclier aux montagnes ; yen-yue-pai-chan-tchen. Voyez la planche

XI. Derrière chacune des montagnes sont vingt fusiliers partagés en

deux colonnes. Ces deux colonnes sont représentées dans la même

planche XI par les deux fusiliers qui sont peints hors de rang au-dessus

des pertuisaniers (a, ceux qui sont armés du sabre p.349 & du bouclier ;

b, pertuisaniers ; c, fusiliers, représentant les deux colonnes). Pendant

que ceux qui sont armés du sabre & du bouclier s'arrangent, les

pertuisaniers qui étaient devant eux en forme de colonne, comme on l'a

vu dans la planche X, retournent à leur rang en se croisant de droite à

gauche, de gauche à droite ; arrivés à leur rang ils se croisent de

nouveau, & viennent se placer d'abord en forme de demi-lune pour

couvrir ceux qui sont armés du sabre & du bouclier.

73. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni, immédiatement après on donne un son aigu & tout de suite

on tire un coup de canon ; alors les fusiliers qui sont placés en forme de

colonne derrière ceux qui sont armés du sabre & du bouclier & les

pertuisaniers, font leurs décharges ; après la première décharge on

frappe trois coups sur le lo, & on fait une seconde décharge. Pour

chaque décharge on frappe trois coups sur le lo.

74. Après que les fusiliers ont fini leurs décharges, les pertuisaniers

qui n'étaient d'abord qu'en demi-lune poussent un grand cri &

environnent entièrement ceux qui sont armés du sabre & du bouclier,

ainsi qu'on le voit dans la planche XI, dans laquelle a, a, a, sont ceux

qui sont armés du sabre & du bouclier, b, b, b, sont les pertuisaniers &

c, c, sont les fusiliers rangés en colonnes.

75. On frappe un coup sur le lo, tout le monde se tient immobile &

se rend attentif.

76. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette

quelques sons pleins & unis, immédiatement après on frappe sur le

bord du lo à coups redoublés ; pendant ce temps-là les fusiliers

retournent à leurs postes, & les pertuisaniers changeant de forme, se

Page 316: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

316

Planche XII.

rangent alternativement avec ceux qui sont armés du sabre & du

bouclier, & forment la colonne comme on le voit sur la planche XII. p.350

77. Après que ces colonnes sont formées, du haut de la tour des

signaux on donne sur la trompette un son aigu, on fait flotter les

étendards des cinq couleurs, c'est-à-dire tous les étendards ; on les agite

de côté & d'autre pour les montrer à toute l'armée ; on tire un coup de

canon : à ce signal ceux qui sont armés du sabre & du bouclier se rangent

alternativement avec les pertuisaniers, en forme de tourbillon, entre deux

colonnes, comme on le voir sur la même planche XII, figure, b.

78. On tire un second coup de canon ; alors les tigres & les dragons font

leurs évolutions ; cet arrangement est appelé en chinois Loung-hou-fou-ti-

tchen, comme qui dirait les dragons & les tigres combattant pour la proie.

Page 317: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

317

79. Du haut de la tour des signaux on frappe un coup sur le lo, alors

toutes les évolutions cessent ; immédiatement après on sonne de la

trompette en signe de retraite : pendant ce temps-là les dragons & les

tigres, c'est-à-dire les pertuisaniers & ceux qui sont armés du sabre &

du bouclier, retournent à leur poste ordinaire, qui est immédiatement

après les fusiliers.

80. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette

plusieurs sons pleins & unis, immédiatement après on fait flotter les

étendards des cinq couleurs, on les élève fort haut des deux côtés pour

les montrer à toute l'armée. A la vue de ces étendards les cavaliers qui

sont aux deux extrémités, s'avancent vers la tente du général, ils

s'arrêtent dès qu'ils en sont assez près & attendent les signaux.

81. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

aigu, on fait de nouveau quelques évolutions avec les étendards des cinq

couleurs, on tire un coup de canon, on donne sur la trompette des sons

redoublés, on frappe sur le tambour à coups redoublés (tous ces signaux

se font l'un après l'autre) ; alors les cavaliers poussent tous ensemble un

grand cri, & défilent vers la tente du général, devant p.351 laquelle ils se

croisent de la manière que je le dirai plus bas ; les autres corps de troupes

répondent par un autre cri, prennent la forme des fleurs de Mei-hoa (c'est

le nom qu'on donne aux fleurs des abricotiers sauvages, ce même nom

sert aussi pour désigner d'autre fleurs). Voyez la planche XIII. Pour

prendre cette forme les troupes défilent dans l'ordre suivant.

I. Le premier & le second rang de la gauche s'avancent en même

temps que le premier & le second rang de la droite, & se croisent en

passant devant la tente du général. II. Le troisième rang de la gauche

& le troisième rang de la droite s'avancent ensuite & font de même que

ceux qui les ont précédés. Les rangs premier & second de la gauche

viennent former le coté à droite de la tente laissant entre les deux

rangs un espace vide, tel qu'il le faudrait pour contenir un autre rang,

ou pour donner passage à un rang entier. Du reste, j'appelle un rang le

nombre de cavaliers qui sont sous un des grands étendards. Les rangs

premier & second de la droite forment en même temps, & de la même

Page 318: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

318

Planche XIII.

Page 319: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

319

manière, le côté à gauche de la tente ; le troisième rang de la gauche

forme le côté à droite de la porte, & le troisième rang de la droite celui

à gauche de la porte ; les uns & les autres ont la face tournée en

dedans. Voyez la même planche XIII.

82. On frappe un coup sur le lo ; tout mouvement cesse & chacun se

rend attentif.

83. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

plein & uni ; à ce signal les fusiliers se séparent par rangs de cinq, de

telle sorte qu'il y ait entre chaque rang un vide tel que l'espace que

peut occuper commodément un homme armé.

84. On donne sur la trompette un son plein & uni ; alors les fusiliers

appuient la crosse de leurs fusils contre terre, les chargent & préparent

les mèches. p.352

85. On donne sur la trompette un son aigu, on fait voltiger

l'étendard rouge, on tire un coup de canon ; alors les canonniers & les

fusiliers font leurs décharges.

86. Du haut de la tour des signaux on frappe trois coups sur le lo ;

au troisième coup l'artillerie cesse de tirer.

87. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette

quelques sons pleins & unis, on fait voltiger les étendards des cinq

couleurs pour les montrer à toute l'armée ; alors les cavaliers qui sont

aux quatre côtés, comme on l'a vu dans la planche XIII, défilent par

rang à la suite l'un de l'autre vers la tente du général ; les trois rangs

qui sont à droite par la droite, les trois rangs qui sont à gauche par la

gauche : quand ils sont réunis assez près de la tente du général, ils

s'arrêtent pour attendre le signal.

88. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette un son

aigu, on fait voltiger les étendards des cinq couleurs pour les montrer à

toute l'armée, on tire cinq coups de canon ; après tous ces signaux,

toute la cavalerie pousse un grand cri, & commence sa marche en bon

ordre. Les rangs qui sont à la gauche s'avancent vers la droite, & ceux

qui sont à la droite s'avancent vers la gauche, en se croisant : quand ils

Page 320: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

320

Planche XIV.

Page 321: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

321

sont vis-à-vis de la tente du général, chaque corps de troupes se met

en marche, chacun suivant son rang ; tout le monde se range comme

on le voit sur la planche XIV. Ceux qui portent les tentes & tout ce qui

sert à les dresser, comme clous, pieux, cordes, &c. suivent

immédiatement les corps auxquels ils sont affectés. J'expliquerai plus

bas comment tout cela se pratique dans les armées chinoises.

89. Quand tout le monde a pris son rang & que tout est dans l'ordre,

on donne sur la trompette un son aigu, on fait voltiger l'étendard rouge

pour le montrer à toute l'armée, on tire un coup de canon ; à ce dernier

signal, les fusiliers qui sont aux p.353 quatre faces du carré, tel qu'on le

voit dans la planche XIV font leurs décharges : pendant ce temps-là on

dresse toutes les tentes, la cavalerie s'avance par les quatre côtés.

90. Du haut de la tour des signaux on frappe un coup sur le lo ; tout

le monde s'arrête ; alors toutes les trompettes du camp se font

entendre ; on tire trois coups de canon, après lesquels la musique

commence.

Pendant la musique qui se fait dans le centre du camp, les cavaliers

qui s'étaient avancés par les quatre côtés, comme je l'ai dit plus haut,

n° 89, défilent de la manière suivante : le premier rang de la droite & le

premier rang de la gauche viennent faire face à la porte du nord ; les

second & troisième rangs de la gauche s'avancent vers l'orient ; les

second & troisième rangs de la droite s'avancent vers l'occident, & tous

ensemble forment un rang, en représentation du Ciel. C'est cette

espèce de campement que les Chinois appellent tien-yuen-ti-kio-tchen,

c'est-à-dire, position des troupes représentant la rondeur du Ciel & les

coins de la terre.

91. Dans l'enceinte du camp on frappe un coup sur le lo ; à ce signal

la musique cesse.

92. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette

plusieurs sons pleins & unis, immédiatement après on frappe sur le

tambour à coups redoublés ; pendant ce temps-là les troupes que les

Chinois appellent yeou-ping, & qui ne sont point désignées sur les

Page 322: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

322

planches, mais qu'on peut appeler, ce me semble, les vagabonds ou les

enfants perdus, sortent à petit bruit, & s'avancent des deux côtés vers

la tente du général, pour tâcher apparemment de surprendre

quelqu'un, ou de donner l'alarme.

93. Du haut de la tour des signaux on donne un coup sur le lo ; les

enfants perdus, ou les vagabonds, ou mieux encore les harceleurs, si je

puis me servir de ce terme, poussent p.354 un grand cri, & viennent avec

rapidité pour attaquer le camp.

94. Dans l'enceinte du camp on frappe un coup sur le lo,

immédiatement après on tire un coup de canon ; à ce signal les fusiliers

qui sont placés au nord, c'est-à-dire du coté où est la tente du général,

font leurs décharges.

95. Dans l'enceinte du camp on donne sur la trompette quelques

sons pleins & unis, tout de suite on frappe sur le tambour à coups

redoublés ; alors les cavaliers qui forment le premier rang de la droite

& ceux qui forment le premier rang de la gauche, poussent un grand cri

& s'avancent précipitamment, mais en bon ordre, pour tâcher de

combattre les harceleurs, ou de les envelopper : ceux-ci prennent la

fuite ; & les cavaliers, après les avoir poursuivis pendant quelque temps

autour du camp reviennent, ceux de la droite par la gauche, & ceux de

la gauche par la droite : à peine ont-ils repris leur premier poste, que

les harceleurs reviennent ; ils donnent l'alarme aux deux côtés du camp

tout à la fois, ils font semblant de vouloir attaquer, & poussent un

grand cri.

96. Dans l'enceinte du camp on tire un coup de canon ; à ce signal

les fusiliers qui sont aux deux faces, celle de l'orient & celle de

l'occident font leurs décharges : tout de suite les cavaliers qui sont

aux deux côtés se mettent en marche. Les deux rangs qui sont à

gauche s'avancent par la porte orientale du camp, & les deux rangs

qui sont à droite sortent par la porte occidentale : le premier des

deux rangs qui sont sortis par la porte orientale s'avance du côté du

nord, & lorsqu'il est arrivé au point du nord-est, tous ceux qui le

composent tournent la face en dehors & se rangent en ordre de

Page 323: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

323

bataille. Le second des deux rangs qui sont sortis par la porte

orientale s'avance du côté du midi, & lorsqu'il est arrivé au point du

sud-est, tous les cavaliers qui le composent tournent la face en

dehors & se p.355 rangent en ordre de bataille. Le premier des deux

rangs qui sont sortis par la porte occidentale du camp, s'avance du

côté du nord, & dès qu'il est arrivé au point du nord-ouest, tous ceux

qui le composent tournent la face en dehors, & se rangent en ordre

de bataille. Le second rang s'avance du côté du midi, & dès qu'il est

arrivé au point du sud-ouest, tous les cavaliers qui le composent

tournent la face en dehors, & se rangent en ordre de bataille. Les

harceleurs se présentent à la porte australe du camp, poussent un

grand cri, & se croisent devant la porte du camp, comme s'ils

voulaient la forcer.

97. Dans l'enceinte du camp on tire un coup de canon ; à ce signal

les fusiliers qui sont à la face du camp qui regarde le midi, s'avancent

pour faire leurs décharges, & les harceleurs se retirent.

98. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette trois

sons moyens ; les fusiliers qui étaient sortis du camp pour faire leurs

décharges à mesure que les harceleurs s'étaient présentés, rentrent

dans l'enceinte du camp par les quatre portes, & prennent les mêmes

postes & le même arrangement qu'ils avaient ci-devant.

99. On frappe un coup sur le bord du lo ; tous les cavaliers, tant du

dehors que du dedans, mettent pied à terre.

100. On frappe un second coup sur le lo ; chaque corps de troupes

se retire dans sa propre tente, les cavaliers s'asseyent par terre à côté

de leurs chevaux & la musique commence. Pendant la musique tout le

monde doit être assis, & garder un profond silence.

101. Après que la musique est finie, on frappe un coup sur le lo ; les

cavaliers se relèvent promptement, & se tiennent debout.

102. On frappe un coup sur le bord du lo ; les cavaliers p.356

prennent la bride & se mettent en attitude de monter à cheval.

Page 324: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

324

103. On frappe un coup sur le lo ; les cavaliers montent à cheval, &

tous les autres corps de troupes sortent de leurs tentes.

104. On frappe sur le bord du lo à coups redoublés ; pendant ce

temps-là toutes les troupes se mettent en marche ; elles sortent en bon

ordre par les quatre portes du camp & elles y rentrent pour se ranger

comme on le voit sur la planche XIV.

105. On frappe un coup sur le lo ; à ce signal tout le monde se tient

immobile se rend attentif.

106. Dans l'enceinte du camp on donne sur la trompette plusieurs

sons pleins & unis ; pendant ce temps-là les cavaliers qui étaient hors

de l'enceinte du camp, y rentrent en bon ordre, chaque rang par la

porte qui lui est affectée, c'est-à-dire le premier rang de la gauche & le

premier rang de la droite, par la porte du nord ; le second rang, celui

qui se trouve à la gauche, entre par la porte orientale ; celui qui est à

la droite, par la porte occidentale ; les autres cavaliers suivent le même

ordre & se rendent à leurs postes.

107. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette trois

sons pleins & unis, immédiatement après on donne un son aigu ; tout

de suite on fait flotter de coté & d'autre les étendards des cinq

couleurs, pour les montrer à toute l'armée, on tire un coup de canon ; à

ce signal on plie toutes les tentes & le bagage avec célérité mais sans

confusion ; & quand tout est fini, on attend en silence de nouveaux

signaux.

108. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette trois

sons pleins & unis ; les troupes se disposent alors suivant le rang

qu'elles doivent occuper.

109. On frappe trois coups sur le lo ; à ce signal p.357 chaque corps

de troupes se range de façon que tous ensemble forment les neuf

koung & les huit koua, c'est-à-dire les neuf appartements & les huit

figures mystérieuses de Fou-hi. Voyez la planche XV.

Page 325: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

325

Planche XV.

Page 326: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

326

110. On frappe un coup sur le lo ; à ce signal tout le monde se tient

immobile & se rend attentif.

111. Du haut de la tour des signaux on donne sur la trompette deux

sons pleins & unis ; immédiatement après on donne un son aigu,

ensuite on tire trois coups de canon, après lesquels la musique

commence ; on chante le cantique, l'on se dispose au départ.

Planche XVI.

112. Le départ des troupes se fait de la manière suivante : tous les

corps se réunissent & se placent dans l'ordre qu'ils doivent observer

pendant la marche : les cavaliers sont à la tête & défilent les premiers ;

les autres corps suivent dans l'ordre qu'on voit sur la planche XVI.

Page 327: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

327

La cavalerie ainsi que les autres troupes se partagent à droite & à

gauche, forment deux lignes droites dès qu'elles sont arrivées près de

la tente du général. Voyez cet arrangement sur la planche II. Mais

avant que chaque corps ait pris son rang,

113. On frappe trois coups sur le lo ; à ce signal la musique cesse :

l'officier conducteur ainsi que l'appellent les Chinois, c'est-à-dire

l'officier qui est chargé du drapeau du général, s'avance seul jusqu'à la

tente du général ; arrivé à la porte, il dit : tout est fini.

Après que les tentes tout le bagage sont pliés, pendant que les

troupes se rangent comme on le voit sur la planche IV, ceux qui sont

pour le service des tentes se placent derrière l'endroit qui est inscrit

porte du camp ; là ils attendent en silence que chaque corps ait pris

son rang.

On frappe plusieurs coups sur le bord du lo ; à ce signal tout p.358

mouvement cesse de la part des soldats : ceux qui ont soin des tentes

les chargent sur leurs épaules, & de cinq en cinq tentes ils se tiennent

derrière la porte du camp, se partagent en deux lignes, dont l'une est à

la droite & l'autre à la gauche de la porte du camp, se placent

immédiatement après la cavalerie, & attendent que les fusiliers aient

fait leurs dernières décharges. Après la décharge des fusiliers, la

cavalerie se range comme on le voit dans la planche V ; alors ceux qui

sont chargés des tentes se mettent à la queue du corps de troupe

auquel ils appartiennent ; les tentes des fusiliers derrière les fusiliers,

les tentes des pertuisaniers à la queue des pertuisaniers, &c. On doit

porter les tentes de façon qu'on ne puisse les apercevoir de l'endroit où

est le général.

Depuis l'exercice de la Ve planche jusqu'à celui de la XIIIe, ceux qui

sont chargés des tentes n'ont rien à faire ; ils se contentent de les

garder dans le lieu qui leur est assigné. Ils doivent toujours être en

silence, & ne point quitter leurs postes. Quand on fait l'exercice indiqué

sur la planche XIII, ils se placent à la queue du corps de troupes auquel

ils appartiennent, attendent que les signaux soient donnés pour se

mettre en devoir de dresser les tentes. Après les signaux ils ne suivent

Page 328: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

328

plus les troupes, mais ils s'arrêtent & mettent bas leur bagage, chacun

dans le lieu qui lui est assigné, & qu'on peut remarquer sur la planche

XIV ; alors ils déploient les tentes, plantent les clous & les pieux,

tendent les cordes, & font tout le reste jusqu'à ce qu'ils aient entendu le

signal : alors toutes les tentes sont dressées en même temps sans

confusion.

Quand on veut plier bagage & décamper, on attend qu'on en ait

donné le signal du haut de la tour ; dès qu'il s'est fait entendre, on

baisse en même temps toutes les tentes, on détend les cordes, on

arrache les clous & les pieux, on plie tout soigneusement, on le charge

sur ses épaules, on se p.359 place immédiatement à la queue du corps

de troupes auquel on appartient, on défile en même temps dans l'ordre

qui se voit sur la planche XVI.

Les troupes, partagées en deux rangs entrent par l'endroit qui est

inscrit porte du camp ; à mesure que les différents corps arrivent, ceux

qui portent leurs tentes, n'entrent point avec eux, mais se retirent en

bon ordre ; les troupes continuent leur marche, viennent passer devant

la tente du général & se retirent.

Le nombre des tentes est fixé à cent cinquante pour le nombre de

soldats qui font l'exercice ; savoir, soixante pour les fusiliers, vingt-cinq

pour les pertuisaniers, vingt-cinq pour ceux qui sont armés du sabre &

du bouclier, & quarante pour les arbalétriers, ce qui fait une tente pour

cinq hommes.

Chaque compagnie ou rang, comme je l'ai appelé, est composée de

vingt-cinq hommes rangés sous un grand étendard ; il y en a cinq

moindres, sous chacun desquels sont cinq hommes.

Les tentes sont tellement disposées qu'il y en a cent vingt qui

forment les quatre faces ou côtés du carré, & quinze à chacune des

demi-lunes qui sont aux deux côtés est & ouest. Voyez la planche XV. Il

y a outre cela deux hommes pour l'entretien & le service de chaque

tente.

Page 329: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

329

DES ARMES, DES HABILLEMENTS

& DES INSTRUMENTS

qui sont à l'usage des gens de guerre

Page 330: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

330

PLANCHE XVII

@

XVII. N° I.

p.360 La figure 1 de ce numero représente un casque avec tous les

ornements : ce casque est à l'usage des cavaliers.

La figure 2 est la partie du casque marquée a, c'est une espèce de

collier ; b sont deux plaques de cuivre pour garantir les oreilles.

La figure 3 est une espèce de panache dont le casque est surmonté.

Ce qui est marqué c est peint en rouge & est un flocon de poil de

vache.

La figure 4 représente le corps du casque d, il est de fer ouvragé, du

poids de dix-huit onces.

Page 331: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

331

XVII. N° II.

La première & principale figure de ce numero représente l'habit

extérieur ou la cuirasse des cavaliers. Les autres figures représentent

les différentes parties de cette cuirasse, qu'on voit par devant dans la

première figure.

La figure 2 représente le corps de la cuirasse vu par derrière.

La figure 3 représente les deux pièces marquées a a, qui couvrent le

dessus de l'épaule & le haut du bras jusqu'au coude.

La figure 4 représente les manches depuis le coude jusqu'au poignet

marqué b b.

Page 332: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

332

p.361 La figure 5 représente les deux pièces qui sont sous les

aisselles & qui sont marquées c c.

La figure 6 représente une espèce de tablier que les cavaliers

portent pour couvrir leurs cuisses & leurs jambes, & qui descend depuis

la ceinture d.

La figure 7 représente la pièce e e, qui est au milieu du tablier.

La figure 8 représente la pièce f, qui est au coin du tablier.

Cet habillement, tel qu'on le voit au numéro II, est à l'usage des

seuls cavaliers ; il est orné de dragons, nuages, montagnes, eaux &

fleurs ; le dehors est de toile violette, ou d'un rouge tirant sur le noir ;

& le dedans, ou la doublure, est de toile blanche ; les bords sont de

toile noire. A la partie supérieure du tablier, figure 6, d d, il y a de la

toile bleue. Pour la cuirasse ou l'habillement extérieur du cavalier il faut

vingt six pieds cinq pouces de toile violette, vingt-huit pieds de toile

blanche, y compris la doublure du tablier, quatre pieds cinq pouces de

toile noire & un pied six pouces de toile bleue. Il y a entre les deux

toiles, c'est-à-dire entre la doublure & l'extérieur de l'habillement, cent

quarante-six pièces, tant grosses que petites, de tôle, & mille cinq cents

clous de cuivre pour attacher ces pièces.

Le prix, tant du casque que de la cuirasse, revient à trois tael, trois

tsien, sept sen, deux li, trois hao (25 livres 5 s. quelques den.).

Si les troupes se trouvaient dans des lieux ou les matériaux fussent

plus chers, on ferait faire ailleurs les casques & les cuirasses, à moins

d'une extrême nécessité.

Page 333: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

333

XVII. N° III.

La figure 1 représente le casque à l'usage des arbalétriers, & toutes

les parties qui le composent. p.362

La figure 2, marquée a, est la partie inférieure du casque qui couvre

le bas de la tête & tout le cou jusqu'aux épaules. Les deux pièces,

marquées b b, sont des plaques de cuivre pour garantir l'une & l'autre

oreille.

La figure 3 est la représentation de l'espèce de panache dont le

casque est surmonté : ce qui est marqué c, est un flocon de poils de

vache.

La figure 4, marquée d, représente le corps du casque : il est de fer

battu ou de tôle, du poids de deux livres deux onces.

Page 334: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

334

XVII. N° IV.

La figure 1 représente la cuirasse ou l'habillement extérieur des

arbalétriers, & les différentes parties qui le composent, vu par devant.

La figure 2 représente le corps de l'habit vu par derrière.

La figure 3 représente les deux pièces a a qui couvrent le dessus de

chaque épaule des bras jusqu'au coude.

La figure 4, marquée b b, représente les manches depuis le coude

jusqu'au poignet.

La figure 5, marquée c c, représente les deux pièces qui sont sous

les aisselles.

La figure 6, marquée d, représente le tablier qui descend depuis la

ceinture jusqu'aux pieds.

Page 335: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

335

La figure 7, marquée e, représente la pièce qui sert à joindre

ensemble & à affermir les deux parties du tablier ; cette pièce n'est

attachée que par la partie supérieure.

La figure 8, marquée f, représente la petite pièce qui est au coin du

tablier.

La cuirasse des arbalétriers est ornée de sept dragons en broderie

d'or. La toile extérieure est de couleur violette, ou, suivant l'expression

chinoise, d'un rouge tirant sur le noir ; il p.363 en faut vingt-trois pieds

huit pouces : la doublure est de toile blanche, il en faut vingt pieds &

huit pieds pour la doublure du tablier. Il entre de plus huit pieds de toile

bleue pour la partie supérieure du tablier, marquée g, & quatre pieds

cinq pouces de toile noire pour la bande qui sert de bordure à tout

l'habillement, & qui tranche sur la couleur du fond entre le blanc & le

bleu, comme on le voit dans la même figure. Le total de la cuirasse

consiste en soixante pièces de fer battu ou de tôle, quatre cents gros

clous & six cents petits, les uns & les autres de cuivre battu. La

dépense, tant pour le casque que pour la cuirasse, est de deux tael sept

tsien trois fen (20 liv. 9 s. 6 den.).

@

Page 336: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

336

XVII. N° V.

La figure 1 représente le casque toutes les parties qui le composent.

Ce casque est à l'usage des fusiliers.

La figure 2 représente la partie a du casque ; c'est ce qui couvre le

bas de la tête le cou. Les deux pièces b b sont des plaques de cuivre,

pour garantir les oreilles.

La figure 3 représente l'espèce de panache dont le casque est

surmonté. Ce qui est marqué c est un flocon de poil.

La figure 4 représente le corps du casque dépouillé de tout.

Le poids total du casque est d'une livre quinze onces, ou de trente-

une onces.

Page 337: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

337

XVII. N° VI.

La figure 1 représente l'habit cuirassé, ou la cuirasse des fusiliers.

La figure 2, marquée a a, représente les manches. p.364

La figure 3, marquée b b, représente les deux pièces qui sont sous

les aisselles.

La figure 4, marquée c, représente le corps de l'habit ou de la

cuirasse.

L'habillement des fusiliers est de toile fourrée de coton & couverte

de clous de cuivre battu ; c'est ce qui forme la cuirasse.

Le dehors est de toile noire, la doublure de toile bleue.

Il faut vingt-un pieds cinq pouces de toile noire, & quatorze pieds

cinq pouces de toile bleue ; deux livres de coton suffisent pour la

fourrure. Le nombre des clous de cuivre battu est fixé à cinq cents

Page 338: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

338

soixante & dix, & pour chaque clou il y a un morceau de cuir derrière la

doublure, sur lequel on rive la pointe du clou. Il faut de plus douze

pouces de toile noire, & onze pouces de toile bleue, tant pour le dehors

que pour la doublure du collier.

Le prix total, tant de la cuirasse que du casque, est d'un tael trois

tsien (9 liv. 15 s.).

@

Page 339: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

339

PLANCHE XVIII

@

XVIII. N° VII.

La figure 1 représente le bonnet d'ordonnance à l'usage des

cavaliers & des arbalétriers. Le flocon a est de fils de soie teints en

rouge, du poids d'une once : le prix est d'un tsien huit fen. La partie

marquée b, ou autrement le bord, est de satin noir doublé de toile

noire : le prix est d'un tsien six fen : le prix du nœud c, est de cinq li,

celui de l'attache d est de sept. Total de ce que coûte le bonnet, trois

tsien cinq fen cinq li (2 liv. 13 s.)

Page 340: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

340

La figure 2 représente le bonnet d'ordonnance à l'usage des

fusiliers.

La figure 3 représente le bonnet d'ordonnance à l'usage de p.365 ceux

qui sont armés du sabre & du bouclier. L'un & l'autre sont de satin noir

doublé de toile noire. Le prix, tant du satin que de la toile, est d'un

tsien trois fen. Le flocon de soie rouge est du poids d'une once, dont le

prix est d'un tsien cinq fen sept li. Le prix de l'attache est de sept li,

celui du nœud est de cinq li ; le total du prix de chaque bonnet est de

deux tsien neuf fen neuf li (9 liv. 4 s. 9 den.).

La figure 4 représente la casaque d'ordonnance à l'usage des

cavaliers, arbalétriers & fusiliers.

Cette casaque est de toile noire doublée de toile blanche ; les

boutons sont d'os & les boutonnières sont faites avec des fils de soie. Il

faut quinze pieds de toile noire, & onze pieds seulement de toile

blanche. Le pied de toile noire coûte un fen sept li ce qui revient à deux

tsen cinq fen cinq li pour les quinze pieds. Le pied de toile blanche

coûte un fen cinq li, ce qui revient à un tsien six fen cinq li pour les

onze pieds. Pour les boutons & la soie des boutonnières il en coûte un

fen, & pour la façon trois fen cinq li. Ainsi le prix de la casaque est de

quatre tsien six fen cinq li. (3 liv. 9 s. 6 den.)

Page 341: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

341

XVIII. N° VIII.

La figure 1 représente la casaque à l'usage de ceux qui sont armés

du sabre & du bouclier.

La figure 2 est la représentation du ceinturon à l'usage des mêmes.

Cette casaque est de toile noire doublée de toile blanche. On

emploie dix-sept pieds de toile noire & onze pieds seulement de toile

blanche ; la toile noire coûte un fen sept li le pied, ce qui revient à deux

tsien huit fen neuf li pour les dix-sept pieds ; la toile blanche coûte un

fen cinq li le pied, ce qui revient à un tsien six fen cinq li pour les onze

pieds.

Le ceinturon est de toile rouge doublée de toile blanche ; p.366 il est

bordé d'une bande de toile noire, & fourré de coton ; il faut quinze

pouces de toile rouge, dix pouces de toile blanche & sept pouces de

toile noire ; le prix de ces trois espèces de toile, est de cinq fen ; le prix

du coton, est de quatre li cinq hao ; pour les boutons, boutonnières &

fils de soie, il en coûte un fen cinq li ; & pour la façon, tant de la

Page 342: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

342

casaque que du ceinturon, cinq fen. Ainsi le prix total de la casaque

d'ordonnance de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier, est de

cinq tsien sept fen trois li cinq hao (4 liv. 5 s. 9 den.).

La figure 3 représente la culotte d'ordonnance à l'usage de ceux qui

sont armés du sabre & du bouclier ; elle est de toile minime ou d'une

couleur tirant sur le noir, doublée de toile blanche. Il faut sept pieds

cinq pouces de chacune des toiles ; chaque pied de toile minime coûte

deux fen, ce qui revient à un tsien cinq fen pour les sept pieds ; chaque

pied de toile blanche coûte un fen, cinq li, ce qui revient, pour les sept

pieds, à un tsien un fen deux li cinq hao : outre cela, il faut pour la

ceinture a, qui est de toile bleue, deux fen quatre li, pour un pied six

pouces de toile. Ainsi l'habillement complet de ceux qui sont armés du

sabre & du bouclier, c'est-à-dire, la casaque, le ceinturon & la culotte, y

compris la façon, coûte huit tsien six fen (6 liv. 9 s.).

@

Page 343: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

343

XVIII. N° IX.

La figure 1 représente le bonnet d'ordonnance, ou l'espèce de

casque en forme de tête de tigre, à l'usage de ceux qui sont armés du

sabre & du bouclier.

La figure 2 représente la partie supérieure marquée a, qui couvre le

dessus de la tête.

La figure 3 représente la partie inférieure marquée b, qui couvre le

bas de la tête & le cou, jusqu'aux épaules.

Le corps du casque est fait avec du cuivre battu : il pèse huit p.367

onces, & coûte un tsien quatre fen. Le prix, tant des couleurs que de la

peinture, est de cinq fen. La partie inférieure de ce casque, ou si l'on

veut, le collier, est faite de toile jaune ; il en faut deux pieds huit

pouces, qui coûtent en tout cinq fen quatre li.

Page 344: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

344

XVIII. N° X.

La figure 1 est la casaque d'ordonnance représentant une peau de

tigre : elle est à l'usage de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier.

La figure 2 représente le ceinturon accompagnant la casaque à

l'usage des mêmes.

La casaque & le ceinturon sont faits de toile jaune, doublée de toile

de couleur bleue, claire fourrée de coton. Il y a pour deux tsien quatre

fen cinq li de toile jaune ; il en faut treize pieds, & chaque pied coûte

un fen huit li cinq hao ; il y a pour deux tsien six fen de toile bleue ; il

en faut également treize pieds, chaque pied coûte deux fen.

Pour les bords, tant de la casaque que du ceinturon, qui sont faits

d'une bande de toile rouge, il en faut deux pieds trois pouces ; chaque

pied coûte deux fen huit li, ce qui fait six fen un li six hao pour les deux

Page 345: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

345

pieds trois pouces. La fourrure de coton coûte cinq li ; pour la soie, les

boutons & les boutonnières, il en coûte deux fen cinq li.

La figure 3 représente la culotte d'ordonnance en façon de peau de

tigre, à l'usage de ceux qui sont armés du sabre & du bouclier ; elle est

faite de toile jaune, dont il faut treize pieds : chaque pied coûte un fen

huit li cinq hao, ce qui fait deux tsien quatre fen cinq hao. La ceinture

de la culotte, marquée a, est faite de toile rouge ; il en faut neuf

pouces : chaque pouce coûte deux li huit hao ce qui fait deux fen cinq li

deux hao. Pour la façon tant de la casaque que du bonnet & de la

culotte, p.368 il faut six fen. Ainsi le total de la dépense pour le bonnet,

la casaque, le ceinturon & la culotte, est d'un tael un tsien cinq fen huit

li deux hao, (8 liv. 13 s. 3 den.)

@

Page 346: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

346

XVIII. N° XI.

La figure 1 représente le sabre à l'usage des arbalétriers.

La figure 2 en représente le fourreau.

Pour forger ce sabre, on emploie quatre livres de fer, & pour

l'acérer, neuf onces d'acier. Le fer coûte un fen sept li la livre ; total, six

fen huit li ; chaque once d'acier coûte cinq li ; total, quatre fen cinq li.

Pour faire rougir le fer & l'acier & le battre, on emploie vingt livres

de charbon de pierre, chaque livre coûte deux li ; total, quatre fen.

Pour la façon du sabre encore brut, quatre fen ; pour le battre à

froid, cinq li ; pour le limer, sept tsen huit li ; pour le polir, quatre li ;

pour le cuivre, tant de la poignée du sabre que pour la garniture du

fourreau, deux tsien quatre fen huit li. Pour le bois du fourreau trois fen

deux li. Pour la peau de l'espèce de poisson appelé en chinois tse-yu,

dont le fourreau est couvert, quatre fen cinq li ; pour vernir le fourreau,

un fen deux li ; pour le bois de la garde du sabre, quatre li ; pour le fil

de soie dont la garde est environnée, trois fen ; pour le cordon ou

l'attache des fils de soie, huit li ; pour le morceau de cuir & la courroie

Page 347: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

347

attenante au fourreau, six li ; ce qui fait pour le total, tant du sabre que

du fourreau, &c. six tsien six fen cinq li (4 liv. 19 s. 6 den.).

La figure 3 représente l'espèce de fusil en usage parmi les Chinois.

Pour forger le canon de ce fusil on emploie dix sept livres de fer brut,

qu'on fait rougir qu'on bat jusqu'à ce que des dix sept livres il n'en reste

plus que huit livres huit onces, p.369 c'est-à-dire qu'il faut qu'il soit réduit

à la moitié, pour en pouvoir faire le canon. Chaque livre de fer non battu

coûte deux fen, ce qui fait deux tsien quatre fen pour les dix-sept livres.

Il faut trois livres de charbon de pierre ; chaque livre coûte deux fen ;

pour la main-d'œuvre de ceux qui battent le fer, un tsien cinq fen ; pour

la baguette & les différentes pièces de fer qui entrent dans la

construction du fusil, un tsien ; pour percer le canon, le limer & le polir,

un tsien cinq fen ; pour la pièce de cuivre qui couvre la lumière, & pour

quelques autres petites pièces de cuivre qui entrent dans la garniture,

cinq fen ; pour le bois dans lequel on enchâsse le canon, un tsien ; pour

huiler le fusil, quatre li ; pour les couleurs jaune & noire qu'on met dans

l'huile, deux li ; pour le vernis qu'on met par dessus après avoir huilé,

quatre li ; pour le charbon fait avec des racines qui se trouvent au pied

des montagnes, deux li ; pour la main-d'œuvre, sept li. D'où il résulte

que chaque fusil coûte à l'État huit tsien six fen neuf li. (6 liv. 10 s.).

Ce qui dans cette figure est marqué a, est une pièce de fer au bout

de laquelle on met la mèche allumée. Le bout de cette pièce de fer est

porté vers le bassinet b, en pressant la partie c.

Ce qui est marqué d, est une pièce de cuir dans laquelle on conserve

les mèches : ce qui est marqué e, représente le bout des mèches,

sortant de leur étui d ; ce qui est marqué f, sont des pièces de cuivre,

qui servent à lier le bois au canon.

g est une pièce ou anneau de cuivre, où l'on attache la courroie.

h est la courroie ; i pieux de bois à pointes de fer, sur lesquels on

appuie le fusil quand on veut le tirer. Ces pieux se replient contre le

bois au moyen d'une charnière.

k est la baguette de feu pour charger le fusil. p.370

Page 348: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

348

La figure 4 représente la giberne, dans laquelle on met les balles &

ce qu'il faut pour charger un fusil ; elle est faite de toile noire, peinte à

l'huile, de la manière qu'on le voit. C'est l'affaire de chaque soldat de se

la procurer, & de l'entretenir de manière qu'elle soit toujours propre &

en bon état.

La figure 5 représente une espèce de hache à l'usage des fusiliers ;

ils s'en servent à l'armée, après que leurs munitions sont épuisées ;

elle leur sert encore à quantité d'autres usages, lorsqu'ils sont en route

ou dans le camp. On emploie pour la fabrique de cette hache, trois

livres huit onces de fer, avec deux onces d'acier pour l'acérer. La livre

de fer coûte deux fen, ce qui fait sept fen pour les trois livres huit

onces, l'once d'acier coûte un fen, c'est donc deux fen pour les deux

onces. Il faut six livres de charbon de pierre, chaque livre coûte deux li,

c'est donc un fen deux li pour les six livres ; pour le manche a, & l'huile

dont on se sert pour lui donner la couleur, on dépense un fen cinq li ;

pour la façon des ouvriers en fer, on donne cinq fen huit li ; pour l'étui

b, figure 6, deux fen ; pour l'attache c, cinq li. L'étui b est fait de cuir,

l'attache c est de fils de soie ; pour la façon, le cuir, l'huile, les couleurs

& tout ce qui entre dans la construction de la hache, on dépense en

tout deux tsien (1 liv. 10 s.).

La figure 6, marquée b, représente l'étui dans lequel on enferme le

fer de la hache ; cet étui est fait de cuir, comme je viens de le dire.

La figure 7 représente le cornet à mettre la poudre dont on se sert

pour charger le fusil.

La figure 8 représente le cornet à contenir la poudre dont on se sert

pour amorcer. Ces deux sortes de poudre sont différentes & pour la

forme & pour l'effet : chaque soldat la fait lui-même, & cette pratique

n'a été sujette jusqu'ici à aucun inconvénient, à ce qu'on m'a assuré.

p.371 La figure 9 représente le fourreau ou l'étui dans lequel on met

le fusil ; il est fait de toile jaune huilée sur laquelle on peint à l'huile des

figures de dragons, de nuages, &c. Le prix de ce fourreau n'est pas

Page 349: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

349

marqué, parce que c'est le particulier & non l'État qui en fait la

dépense.

La figure 10 représente la partie du bouclier qui est en dehors.

La figure 11 représente la partie du même bouclier qui est en dedans.

Le bouclier est fait de rotin, ou d'une espèce de jonc, dont il faut

quatre livres quatorze onces. Le diamètre est de deux pieds cinq

pouces ; la main-d'œuvre, ou façon du bouclier, coûte cinq tsien deux

fen ; le flocon de poils de vache, qui est au milieu a, coûte deux fen ;

pour les couleurs & la peinture il en coûte quatre fen ; total de ce que

coûte le bouclier, cinq tsien sept fen (4 liv. 5 s. 6 den.).

La figure 12 représente le sabre à l'usage de ceux qui se servent du

bouclier dont nous venons de faire la description. Pour forger ce sabre,

on emploie quatre livres de fer brut & neuf onces d'acier ; la livre de fer

coûte un fen sept li ; & l'once d'acier coûte cinq li. Il faut vingt livres de

charbon de pierre : chaque livre coûte deux li. Pour les forgerons qui

battent le fer à chaud & qui l'acèrent, il en coûte quatre fen ; pour ceux

qui le battent à froid, cinq li ; pour le limer, sept fen huit li ; pour le

polir, quatre li ; pour la nourriture de l'ouvrier, deux fen ; pour le

fourreau & toute la garniture, un tsien ; ainsi, pour chaque sabre il en

coûte à l'État quatre tsien (3 livres).

La figure 13 est le fourreau.

@

Page 350: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

350

PLANCHE XIX

@

XIX. N° XII.

p.372 La figure 1 représente le grand étendard, celui qui est à la tête

de la compagnie composée de vingt-cinq hommes, comme je l'ai dit

ailleurs. Le fond de cet étendard est de satin vert, & les bords sont de

satin rouge. La flamme, ou l'espèce de ruban marqué c c c c, est de

soie brochée d'or. Dans la construction de cet étendard, il entre six

pieds trois pouces de satin vert, huit pieds de satin rouge, deux pieds

deux pouces de soie brochée d'or, avec encore trois pouces de satin

rouge, pour l'extrémité de la flamme marquée c. Le flocon rouge de

poils de vache pèse huit onces.

Page 351: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

351

a, couronnement de cuivre ouvragé,

b, flocon de poil de vache,

c, flamme ou ruban.

d, bordure de l'étendard,

e, bâton de l'étendard,

f, bout de fer.

Figure 2,

g, bout de cuir,

h, courroie.

i, cercles de rotin, pour empêcher que le bâton du grand étendard

ne se fende.

Tout ce qui compose cet étendard, excepté la soie, est verni ou

huilé. Le couronnement de cuivre a pèse deux livres quatorze onces.

@

Page 352: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

352

XIX. N° XIII.

La figure 1 représente le petit étendard qui est à la tête de cinq

hommes seulement. Il y en a cinq dans chaque p.373 compagnie, comme

je l'ai déjà dit. Ces petits étendards sont de satin vert, bordé de satin

rouge, & la flamme est de soie brochée d'or, au bout de laquelle est

une bande de soie rouge.

a, couronnement de cuivre ouvragé.

b, flocon de poils de vache,

c, flamme ou ruban.

d, bordure de l'étendard,

e, bâton,

f, cercles de rotin.

Page 353: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

353

Figure 2,

g, courroie,

h, espèce de cercle de cuir,

i, cuir dans lequel on met le bout de l'étendard pour le soutenir plus

aisément. Il n'entre dans le petit étendard qu'un pied deux pouces deux

lignes de satin vert, & un pied trois pouces de satin rouge : la flamme

est longue de cinq pieds.

@

Page 354: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

354

XIX. N° XIV.

La figure 1 représente le petit étendard qui est à la queue de chaque

compagnie de vingt-cinq hommes. Il est de satin rouge, il en faut deux

pieds un pouce. Le flocon c de poils de vache n'a de longueur que cinq

lignes cinq li. Le trident a qui sert de couronnement, est de fer doré ou

verni. Sa base b est de cuivre doré ou verni, comme le trident. Le

bâton d, comme celui des autres étendards, est un simple bambou dans

lequel il y a une verge de fer.

e, cercle de rotin,

f, bout de l'étendard.

Page 355: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

355

La figure 2 est un tuyau de cuir dans lequel le Porte-étendard fait

entrer le bâton depuis e jusqu'à f, & porte ainsi son étendard attaché

derrière son dos.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire à l'occasion des

étendards, que chaque compagnie en a sept. Le premier p.374 est le plus

grand de tous, c'est celui qui marche à la tête de la compagnie ; le

dernier est le plus petit de tous, & marche à la queue ; il est d'ailleurs

d'une forme différente des autres. Les cinq drapeaux mitoyens

marchent chacun à la tête de cinq hommes. Pour les matériaux & la

façon des sept étendards d'une compagnie, il en coûte à l'État dix taels

sept tsien cinq fen (80 liv. 12 s. 6 den.).

@

Page 356: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

356

XIX. N° XV.

La figure 1 représente l'étendard général de toutes les troupes qui

sont sous la couleur jaune. Il y a cinq étendards généraux, un pour

chaque couleur. Ils sont de satin, dont il faut deux pieds quatre pouces

pour chacun de ces étendards. Un pied de satin coûte deux tsien ; il y

en a douze pieds, ce qui fait deux taels quatre tsien pour le satin des

cinq étendards généraux. Le fourreau dans lequel on met le bâton de

l'étendard, est fait de toile rouge, dont il faut six pieds, à deux fen le

pied. Les attaches sont aussi de toile rouge ; il en faut douze pieds cinq

pouces, qui coûtent en tout deux fen ; pour le tailleur, deux fen cinq li ;

pour la peinture du bâton, pour le fil, la soie, la dorure représentant un

léopard, la main-d'œuvre, un tael deux tsien cinq fen ; pour les cinq

bâtons de bambou, l'huile & les ficelles, neuf fen ; pour les flocons de

poils de vache pesant dix onces chacun, neuf tsien ; pour la façon des

Page 357: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

357

flocons, deux fen cinq li ; pour dix attaches de galon de fil bleu, six

fen ; pour les cinq pièces de cuir dans lesquelles on appuie les bâtons &

leurs couvercles, quatre tsien ; pour le cuivre dont est fait le

couronnement, & dont on emploie six livres, à un tsien huit fen la livre,

un tael huit fen ; pour la façon cinq tsien huit fen, pour le fer neuf fen.

a, couronnement de cuivre,

b, flocon de poils de vache,

c, fourreau, ou étui de toile rouge,

d, cercles de rotin.

Figure 2, p.375

e, pièce de cuir,

f, pièce de cuir,

g, bande de toile bleue, ou galon de fil bleu.

Chaque étendard général coûte à l'État cinq taels six tsien cinq fen

(41 liv. 7 s. 6 den.).

@

Page 358: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

358

XIX. N° XVI.

La figure 1 représente une espèce de canon que les Chinois

appellent pi-chan-pao, comme qui dirait canon à fendre les montagnes.

Le corps de ce canon est long de trente-cinq pouces, son diamètre

intérieur est de vingt-cinq lignes ; il pèse soixante livres. Pour la

construction on emploie cent quatre-vingts livres de fer brut à un fen

sept li la livre ; on y ajoute quatre livres d'acier à un tsien la livre, & on

forge le tout ensemble jusqu'à ce que les cent quatre-vingt-quatre

livres que pèse le total soient réduites à soixante livres. On emploie

trente-six boisseaux de charbon de pierre, chaque boisseau coûte cinq

fen deux li ; plus soixante livres de charbon de bois, chaque livre coûte

quatre li. Il faut quarante journées d'ouvriers, chaque journée est

payée six fen. Pour les garnitures il faut quatorze livres de fer brut, un

boisseau & demi de charbon de pierre. Pour les limures, pour la façon

du pied, pour la culasse d du canon, pour l'huile & le vernis, neuf tsien

neuf fen six li. En un mot, chaque canon coûte à l'État neuf taels un

tsien un fen huit li (68 liv. 7 s. 3 den.). La charge de ce canon est de

trois onces sept tsien de poudre.

a, corps du canon,

b, embouchure,

Page 359: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

359

c, espèce de genou au moyen duquel on fait tourner le canon en

tout sens,

d, culasse de bois,

e, pied sur lequel est appuyé le canon, &c.

La figure 2 représente une autre sorte de canon, ou espèce de fusil

que les Chinois appellent kouo-chan-niao, c'est-à-dire, canon à tirer les

oiseaux au-delà de la montagne, ou bien, qui traverse, qui va au-delà

de la montagne. Il est long de p.376 quatre pieds cinq pouces ; son

diamètre est d'un pouce cinq lignes, & il pèse vingt-huit livres. On

emploie pour la construction du corps du canon ou du fusil quatre-

vingt-dix livres de fer brut, deux livres d'acier, seize boisseaux de

charbon de pierre, vingt-cinq livres de charbon de bois. Les quatre-

vingt-dix livres de fer brut coûtent un tael cinq tsien trois fen, les deux

livres d'acier coûtent deux tsien, les seize boisseaux de charbon de

pierre huit tsien trois fen deux li, les vingt-cinq livres de charbon de

bois un tsien ; pour les quinze journées de forgerons on donne neuf

tsien ; pour les limeurs & polisseurs deux tsien ; pour le bois, la

garniture, l'huile, les couleurs, le vernis, &c. & les ouvriers, un tael trois

fen six li. En un mot, chaque fusil de l'espèce que nous venons de

décrire coûte à l'État quatre taels sept tsien neuf fen huit li (35 liv. 19

s. 3 den.). Pour la charge il faut une once de poudre.

@

Page 360: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

360

PLANCHE XX

@

XX. N° XVII.

La figure 1 de cette planche représente la toile & tout l'attirail de la

tente lorsqu'elle est dressée ; la figure 2 représente le cadre de bois sur

lequel la toile est tendue.

Chaque tente a cinq pieds cinq pouces de hauteur, quatorze pieds

de longueur, & trente-neuf pieds six pouces de pourtour ; l'extérieur est

fait de grosse toile blanche dont il faut cent cinq pieds. Les portes de la

tente, qui se replient des deux côtés comme les deux battants d'une

porte ordinaire, sont de figure triangulaire. Elles sont composées de

plusieurs pièces de différentes longueurs ; la première pièce est longue

Page 361: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

361

de sept pieds, la seconde de six pieds trois pouces, la troisième p.377 de

cinq pieds trois pouces, la quatrième de quatre pieds deux pouces, la

cinquième de trois pieds, la sixième d'un pied six pouces, la septième

de deux pouces seulement.

Pour les bords de la tente, les boutonnières & le reste où l'on emploie

de la toile, il faut, tout compté, deux cent quarante-deux pieds quatre

pouces de grosse toile blanche, ce qui coûte deux taels neuf tsien huit li

huit hao ; & pour la doublure qui est de toile bleue ordinaire, il en faut

cent soixante pieds, ce qui revient à deux taels huit fen ; pour onze

journées de couturier, un tsien trois fen deux li ; pour les cordons tant

bleus que blancs huit fen six li ; pour quatre-vingt-douze morceaux de

cuir qu'on met derrière les boutonnières, entre les deux toiles, pour les

consolider, deux tsien sept fen six li ; pour le bois du cadre de la tente, &

pour l'huile dont on l'enduit, un tsien quatre fen quatre li ; pour les cordes

faites d'écorces d'arbres (elles sont plus fortes que les cordes de

chanvre ; il en faut cinq livres, & chaque livre coûte cinq fen quatre li),

deux tsien sept fen ; pour le fil deux fen ; pour l'ouvrier qui travaille les

morceaux de cuir trois fen ; pour quatre-vingts pieux de bois, tant gros

que petits, deux tsien quatre fen ; pour seize pièces de fer (ce sont des

espèces de boîtes placées au milieu & aux extrémités des pièces qui

composent le cadre, au moyen desquelles on joint les parties de ce

cadre), chaque pièce de fer pèse quatre onces ; pour quatre gros

anneaux de fer, pesant chacun quatorze onces ; pour les deux pièces de

fer marquées a, servant de couronnement, pesant chacune douze onces ;

pour le fer de la hache pesant deux livres, pour le fer de la pelle pesant

une livre neuf onces, pour le fer de la bêche pesant une livre onze onces,

pour le fer du marteau pesant deux livres huit onces, en tout on emploie

dix sept livres de fer à cinq fen quatre li la livre, ce qui fait pour le total

neuf tsien un fen huit li ; p.378 pour les manches de la hache, de la bêche,

de la pelle & du marteau trois fen cinq li deux hao ; pour la marmite de

cuivre, pesant deux livres huit onces, à deux tsien cinq fen la livre, cinq

tsien sept fen cinq li ; en un mot, pour chaque tente & ce qui la concerne,

l'État dépense sept taels sept tsien un fen cinq li (110 liv. 7 s.).

Page 362: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

362

Figure 1.

a, pièce de fer en forme de couronnement,

b, anneau de fer,

c, espèces de boutonnières où tiennent les attaches pour assujettir

la tente aux pieux,

d, pièces de toile qui se replient & qui forment comme les deux

battants d'une porte,

e, espèces de boutonnières où tiennent les attaches qui servent à

fermer l'entrée de la tente,

f, intérieur de la tente.

Figure 2.

g, cadre de bois sur lequel appuie la toile,

h, verge de fer qui entre dans les boîtes marquées i, pour assujettir

les deux parties qui se démontent en ôtant cette verge,

i, boîtes de fer,

k, hache,

l, bêche,

m, marteau,

n, pelle,

o, marmite.

@

Page 363: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

363

XX. N° XVIII.

La figure première représente un instrument de métal appelé Kin-

lo ; c'est une espèce de grand bassin, sur lequel on frappe avec un

marteau de bois, ou simplement avec un bâton ; on s'en sert pour

désigner les différentes veilles de la nuit, ou, pour mieux dire, pour

montrer que ceux qui sont préposés pour les gardes des différents

quartiers du camp ne sont point endormis : il pèse huit livres, & coûte

deux taels (15 liv.).

La seconde figure représente le tambour sur lequel on bat pour

annoncer les différentes veilles de la nuit : il coûte huit tsien de façon

(6 liv.).

La figure 3 représente le tambour dont on se sert pour donner les

signaux : sa construction est la même que celle des autres tambours. Il

Page 364: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

364

pose sur une machine à quatre pieds, & est soutenu par deux anneaux

marqués a : il coûte six tsien de façon (4 liv. 10 s.). p.379

Les figures 4 & 5 représentent les deux sortes de trompettes en

usage parmi les troupes : elles sont à l'octave l'une de l'autre. Celle de

la figure 4 est à peu près à l'unisson de nos cors de chasse, & celle de

la figure 5 est à l'octave en bas de la première ; l'une & l'autre sont de

cuivre battu, & pèsent sept livres chacune ; mais elles diffèrent par leur

figure & leur construction, comme on le voit ; chaque trompette coûte

un tael sept tsien cinq fen (13 liv. 2 s. 6 den.).

@

Page 365: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

365

XX. N° XIX.

La figure première est la représentation d'un bâton à l'usage de

ceux qui font la garde & la ronde, & qui sont chargés d'entretenir la

propreté dans les différents quartiers qu'on leur a assignés : cette

espèce de bâton est appelée en chinois tsi-mei-koun, c'est-à-dire,

bâton qui est au niveau des sourcils ; apparemment qu'on s'en sert

pour faire sur-le-champ une prompte & briève justice.

La seconde figure représente un fanal, ou une lanterne, à l'usage de

chaque tente, de chaque corps-de-garde, &c. Elle est suspendue sur un

trépied qui pose à terre par ses trois pieds, a ; ces trois pieds sont joints

Page 366: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

366

en b & peuvent se replier l'un sur l'autre, pour la facilité du transport. Le

corps de la lanterne est de fil d'archal couvert de papier de la couleur des

drapeaux sous lesquels sont ceux qui s'en servent. Le bâton & la

lanterne coûtent en tout un tsien huit fen sept li (1 liv. 7 s. 9 den.).

Les figures 3, 4 & 5 représentent les outils ou instruments dont les

troupes se servent dans les cas d'incendie, &c.

La figure 3 est une fourche à soutenir des soliveaux ou autres

choses qui tomberaient avec fracas & dommage si on ne les soutenait,

ou si on ne modérait leur chute.

La figure 4 est une espèce de faubert qu'on trempe dans l'eau, & au

moyen duquel on humecte les endroits qu'on veut empêcher de brûler.

p.380 La figure 5 est un crochet de fer à manche de bois qu'on

emploie pour attirer à soi les soliveaux & les autres choses qu'on veut

arracher pour empêcher que le feu n'y prenne, &c.

Le prix du faubert est de neuf fen deux li deux hao (13 s. 9 den.) ;

le prix de la fourche de fer à manche de bois de la figure 3, & du

crochet de la figure 5, est de trois tsien un fen. (2 liv. 6 s. 6 den.).

@

Page 367: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

367

XX. N° XX.

La figure 1 est une scie : elle coûte trois tsien sept fen cinq li (2 liv.

16 s.).

La figure 2 est une hache ou cognée ; elle coûte deux tsien six fen.

(1 liv. 19 s.)

La figure 3 représente un croc de fer armé d'une chaîne aussi de

fer : cet instrument est d'usage pour abattre les maisons où le feu a

pris, & celles qui sont au voisinage, lorsqu'on ne peut arrêter autrement

le progrès de l'incendie. Le croc coûte deux tsien quatre fen ; il y entre

pour douze livres de fer à deux fen la livre. La chaîne est longue de huit

pieds ; elle contient six livres de fer ; outre cela il y a une corde qu'on

attache au dernier des anneaux de la chaîne ; cette corde est du poids

Page 368: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

368

de six livres. Le croc, la chaîne & la corde coûtent en tout neuf tsien

trois fen ( 6 liv. 19 s. 6 den.).

La figure 4 représente les vases de bois dont on se sert pour porter

de l'eau : les vases sont attachés aux deux bouts d'une perche d'un

bois léger & le plus souvent de bambou, & font équilibre : c'est une

manière sûre & commode pour porter les plus grands fardeaux. Chacun

de ces vases ou barils a de hauteur un pied cinq pouces cinq lignes, &

de circonférence, trois pieds ; il est composé de vingt-cinq douves & de

deux cercles de fer.

La figure 5 représente le petit sceau à puiser de l'eau, avec sa corde,

a, perche de bois,

b, cercle de fer,

c, cordes.

Ces trois vases coûtent en tout trois tsien quatre fen huit li (12 liv.

11 s. 9 den.). p.381

@

Page 369: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

369

XX. N° XXI.

Cette planche représente des canons de différentes grosseurs placés

sur leurs affûts.

La pièce de canon représentée par la figure 1, a de longueur trois

pieds neuf pouces ; de circonférence extérieure ou de périphérie du

côté de la bouche, un pied cinq pouces ; du coté de la culasse, deux

pieds trois pouces ; la bouche a deux pouces de diamètre ; depuis le

fond de la culasse jusqu'à l'extrémité de l'ouverture il y a trois pieds

cinq pouces. Cette pièce de canon est du poids de quatre cents livres ;

pour sa charge il faut deux livres de poudre.

La pièce de canon de la figure 2 a de longueur trois pieds quatre

pouces ; de périphérie, du côté de la bouche, un pied deux pouces ; du

côté de la culasse, un pied huit pouces. Son diamètre intérieur est d'un

Page 370: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

370

pouce cinq lignes ; sa longueur, depuis le fond jusqu'à l'extrémité de

l'ouverture, est de trois pieds : son poids est de deux cent soixante dix

livres, & sa charge d'une livre huit onces de poudre.

La pièce de canon représentée par la figure 3 a de longueur trois

pieds deux pouces ; de périphérie, du côté de la bouche, un pied deux

pouces ; du côté de la culasse, un pied huit pouces. Son diamètre

intérieur est de deux pouces ; sa longueur, depuis le fond jusqu'à

l'extrémité de l'ouverture, est de trois pieds. Son poids est de deux

cent cinquante livres, & sa charge d'une livre huit onces de poudre.

Ces trois espèces de canons, ainsi que leurs affûts, ont été

construits la neuvième année de Tchoung-tcheng, dix-septième &

dernier empereur de la dynastie précédente (des Ming). On ne sait pas

ce qu'ils ont coûté, (Cette construction me paraît européenne).

La neuvième année de Tchoung-tcheng, autrement dit Tchoung-li,

répond à l'année 1636 de l'ère chrétienne. p.382

@

Page 371: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

371

XX. N° XXII.

La figure 1 est un bassin de cuivre, ou un instrument que les Chinois

appellent lo ; son usage est à peu près le même que celui du tambour ;

il pèse quatre livres, & coûte deux taels, (15 liv.)

La figure 2 représente un autre instrument sur lequel on frappe avec

deux baguettes a : il est d'un bois sonore, creux en dedans, & a la

figure d'un poisson ; on l'accroche par le moyen de deux anneaux,

comme on le voit. Cet instrument est placé à l'entrée de la tente du

général, des officiers généraux & de tous ceux qui ont quelque

inspection. Lorsqu'on a quelque affaire à leur communiquer, on frappe

sur cet instrument ; on est sûr d'avoir audience sur-le-champ, &c.

Page 372: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

372

L'instrument en forme de poisson a de longueur deux pieds huit

pouces, & de circonférence un pied sept pouces ; il coûte six fen cinq

li : le cadre ou la machine où il est suspendu coûte sept fen ; pour la

main-d'œuvre, l'huile & les couleurs, &c. un tsien trois fen ; pour les

anneaux & les crochets de fer, deux fen cinq li ; en un mot, cet

instrument, avec tout son attirail, coûte trois tsien un fen (2 liv. 6 s. 6

den.).

La figure 3 représente une conque ; on s'en sert pour sonner la

retraite, pour indiquer l'exercice, & pour toute opération à laquelle un

corps entier doit être employé. Il y a une de ces conques dans chaque

quartier de l'armée & une dans chaque corps particulier. Ces conques

tiennent aussi lieu de porte-voix. J'en ait entendu jouer, & je puis

assurer que les sons qu'on en tire sont très mélodieux. Une conque

coûte cinq fen. (7 s. 6 den.). p.383

@

Page 373: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

373

PLANCHE XXI

@

XXI. N° XXIII.

Sous ce numéro est représentée une espèce d'arquebuse avec tout

son attirail. C'est une arme à feu à laquelle on donnera tel nom qu'on

voudra, pour la mieux désigner.

Figure 1, poire à poudre faite de cuir.

Figure 2, marteau dont on se sert pour bourrer & comprimer avec

force la poudre dont on charge la boîte.

Figure 3, poche de cuir à contenir les mèches.

Figure 4, gibecière à contenir des lingots de plomb pour la charge de

l'arme.

Figure 5, sacoche dans laquelle on met les boîtes pour la facilité du

transport.

Figure 6, arquebuse, ou mieux, corps de l'arquebuse.

Page 374: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

374

Figure 7, boîtes qu'on enchâsse dans le corps de l'arquebuse, dans

le vide qu'on voit depuis a jusqu'en b de la figure 6.

Pour chaque arquebuse il faut quatre boîtes cinq hommes pour le

service. A mesure qu'une décharge est faite, on retire promptement la

boîte vide, à laquelle on en substitue une nouvelle ; & pendant que

celle-ci & les deux autres qui la suivent font leurs décharges on

recharge promptement celles qui ont tiré leur coup ; ce qui doit faire un

feu continuel. Cette espèce d'arme n'est pas d'un usage fort ancien : on

s'en est servi pour la première fois la troisième année d'Yong-tcheng,

c'est-à-dire, en 1725 : ce fut le Tsong-tou d'une des provinces de

l'empire, qui en présenta le premier modèle à l'empereur.

L'affût f, g, est de bois, & représente, comme on le voit, la figure

d'un tigre. k est une boîte de fer dans laquelle appuie p.384 le pivot a,

sur lequel, par le moyen de la roulette, on peut faire mouvoir l'arme en

tout sens. i est une chaîne de fer.

La longueur de l'arquebuse, depuis d jusqu'à e, est de trois pieds

huit pouces ; sa circonférence est de huit pouces.

Les quatre boîtes fig. 7 ont chacune de longueur sept pouces ; de

circonférence, cinq pouces six lignes ; de calibre, un pouce ; de

profondeur, six pouces. Pour la charge, il faut trois onces de poudre.

Le poids de cette arme, y compris les quatre boîtes, est de soixante

& dix-neuf livres.

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Page 375: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

375

XXI. N° XXIV.

Les figures 1, 2 & 3 représentent trois espèces de petits canons ou

de pièces de campagne de différentes grandeurs : ce qu'on voit peint

en rouge sont des cercles de fer qui empêchent le canon de se fendre

ou de crever avec éclat de plusieurs de ses parties ; ce qui arriverait

infailliblement sans cette précaution. Ces canons sont appelés en

chinois, ma-ti-pao, comme qui dirait canons à pied de cheval.

Celui de la figure 1 a de longueur deux pieds quatre pouces ; de

circonférence, du côté de la bouche, un pied deux pouces, du côté de la

culasse, un pied trois pouces ; de profondeur deux pieds ; & de calibre,

deux pouces. Il pèse cent quarante livres, & sa charge est d'une livre

deux onces de poudre.

Page 376: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

376

Celui de la figure 2 a de longueur deux pieds un pouce ; de

circonférence, du côté de la bouche, un pied deux pouces, du côté de la

culasse, un pied quatre pouces ; de profondeur un pied neuf pouces ;

de calibre, deux pouces. Il pèse cent trente livres ; sa charge est de

quatorze onces de poudre.

Celui de la figure 3 a de longueur un pied huit pouces, de

circonférence, un pied deux pouces ; de profondeur, un pied cinq

pouces ; & de calibre, deux pouces. Il pèse soixante & douze livres ; sa

charge est de 12 onces de poudre. p.385

Ces canons sont faits depuis longtemps : on ne saurait dire ce qu'ils

ont coûté.

Les figures 4 & 5 représentent aussi deux espèces de canons, que

les Chinois appellent pe-tse-pao, c'est-à-dire, canons à contenir cent

balles, ou simplement, canons de cent balles.

Celui de la figure 4 a de longueur trois pieds deux pouces ; de

circonférence, du côté de la bouche, sept pouces cinq lignes, du côté de

la culasse sept pouces huit lignes ; de profondeur, un pied huit pouces,

& de calibre, un pouce ; il pèse cinquante-deux livres.

Celui de la figure 5 a de longueur deux pieds ; de circonférence, du

côté de la bouche, six pouces, du côté de la culasse, six pouces deux

lignes ; de profondeur, un pied six pouces, & de calibre, un pouce : il

pèse trente-quatre livres.

Ces deux canons sont vieux & tout rouillés : ils ont été trouvés dans

le magasin, avec vingt-sept petits boulets de fer & cent quatre-vingt-

sept balles aussi de fer. On ne saurait dire ce que cela peut valoir.

@

Page 377: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

377

XXI. N° XXV.

Sous ce numéro est représenté l'arc & le carquois garni de ses

flèches. La figure 1 représente l'arc dans son étui, & le carquois garni

de ses flèches, l'un & l'autre suspendus à une ceinture de cuir qu'on

met en forme d'écharpe.

a, arc dans son étui,

b, ceinture de cuir,

c, anneau de cuivre,

d, agrafe ou crochet de cuivre, qu'on passe dans l'anneau c pour

arrêter la ceinture,

e, poche de cuir qui sert d'étui à l'arc,

Page 378: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

378

f, anneaux de cuivre auxquels on attache l'étui de l'arc & le carquois,

g, flèches,

h, carquois fait de cuir & divisé en plusieurs étages ou rangs dans

lesquels on met des flèches de différentes grandeurs.

Le premier rang, i, contient trois flèches des plus grandes qu'on

puisse lancer : elles ont p.386 au lieu de fer, un bâton de bois creux &

percé de plusieurs trous. Les Chinois se servent de cette espèce de

flèche lorsqu'ils font l'exercice. Ils s'en servent aussi à la guerre pour

donner des avis à ceux des ennemis qu'on voudrait attirer à son parti

ou qu'on aurait déjà débauchés ; alors ils mettent un billet dans la

cavité du bouton & on lance la flèche du côté de ceux entre les mains

desquels on veut qu'elle tombe ; on les lance aussi dans un temps de

siège du haut des murs de la ville assiégée dans le camp des

assiégeants & du camp des assiégeants jusques dans la ville. Ceux qui

ont des intelligences secrètes avec les ennemis, ou ceux qui, n'en ayant

pas encore, voudraient s'en former, soit pour se venger de quelque

affront reçu, soit dans l'espérance d'avancer leur fortune, ramassent

ces sortes de flèches, les emportent sans conséquence, & s'instruisent

à loisir de ce qu'ils peuvent faire pour parvenir à leurs fins. Cet artifice,

quoique connu de tout le monde, ne laisse pas d'avoir ses succès ; du

moins c'est ainsi qu'on me l'a dit ; je ne garantis pas le fait.

Le second rang, k, est divisé en trois compartiments, contenant

chacun quatre flèches de moindre grandeur que les premières. Toutes

les flèches de ce second rang sont armées d'un fer de la figure à peu

près de ceux de nos espontons ou de nos piques.

Le troisième rang, l, est divisé en trois compartiments, contenant

chacun une flèche de moindre grandeur que celles du second rang,

mais d'une forme toute différente. Ces flèches sont armées d'un trident

de fer qui les rend très redoutables.

La figure 2 représente l'arc & le carquois dans un étui de toile

huilée, pour les garantir de la pluie & de tout autre accident.

Page 379: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

379

On distingue quatre sortes d'arcs, à l'usage de ceux des gens de

p.387 guerre qui ne se servent pas d'autres armes. Les plus faibles,

disent les Chinois, sont des arcs de soixante dix livres, c'est-à-dire qu'il

faut que celui qui le bande fasse le même effort qu'il ferait pour lever

soixante dix livres de poids. Il y en a de quatre-vingt, de quatre-vingt-

dix & de cent livres. Les arcs qui vont au-delà de cent livres sont de

pure parade, & pour certains hommes rares, qui ont une force plus

qu'ordinaire. Un arc tout simple revient à un tael (7 liv. 10 s.) ; c'est le

prix qu'on en fait payer à l'empereur.

XXI. N° XXVI.

Sous ce numéro est représenté la main droite

pour tirer l'arc : le pouce & l'index agissent seuls.

Le pouce est armé d'un anneau de corne de cerf ou

de quelque pierre précieuse : il est marqué a. Cette main est appelée

par les Chinois main de la flèche.

XXI. N° XXVII.

La main gauche ou la main de l'arc : le pouce &

l'index dirigent l'arc.

@

Page 380: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

380

INDEX

A—D E—H I—O P—S T—Y

@

A

Actions (les petites) doivent être évitées, 93.

Ainés, respect qu'on leur doit, 19, 20, 21, 22. Leur droit sur leurs frères, 20.

Leur devoir envers leurs frères, 25, 26. Responsables des fautes de leurs frères, 26, 27, 37.

Amiot (le P.) ; occasion de son travail 6, 7, 8, 9, 11.

Ancêtres, devoirs envers eux, 41 ; cérémonie aux, 172.

Animaux domestiques, 239.

Annales chinoises ; leur fidélité, 2.

Arbalétriers, 334.

Arcs de différentes espèces, 83, 384.

Armes différentes ; leur destination, 199, 368, 384 ; cinq sortes d'armes 258, 259 ; (port des) défendu, 36 ; (docteurs d'), 4, 5.

Armée chinoise, de quoi composée, 171, 261 ; (danger d'une trop grande),

90 ; d'où dépend sa force, 290. Ne doit point se compromettre, 296.

Manière de la conduire, 297, 298 & suiv., 300 & suiv. Manière de la rallier, 210. Défenses d'écrire des nouvelles qui la concernent, 143,

250, 183.

Armure ; comment elle doit être, 287.

Arquebuse, 383.

Art militaire (fondement de l'), 57 58, 60.

Astronomie ; son utilité, 58, 59.

Avantages qu'il faut se procurer dans les combats, 121 ; petits, utiles, 101.

Augures (défendre les), 135. Défenses d'en tirer de mauvais, 273.

Avis ; comment on les donne, 284.

Autorité ; base du gouvernement, 255.

B

Bachelier d'armes, 5.

Bâillon qu'on met aux troupes, 283.

Bannières (les huit), 27.

Bataille (ordre de), 288, 289, 293, 294.

Bâton pour punir, 379.

Bonnets des cavaliers, 364 ; des arbalétriers, 364 ; des fusiliers, 364 ; des

scutati, 364.

Boucliers, 371.

Bravoure souvent est lâcheté, 105.

Page 381: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

381

Butin doit être également réparti, 96.

C

Campagne ; comment on doit la commencer, 63 ; ne doit pas être trop longue, 65.

Campement, quels ils doivent être, 107, 108, 109, 110. Lieux où l'on doit les

faire, 85.

Canons de différentes espèces, 375, 376, 381, 384.

Canonniers, 334.

Caractères chinois, leurs difficultés, 10.

Carquois, 384 & suiv.

Casaques des cavaliers, 365 ; des arbalétriers, 365 ; des fusiliers, 365 ; des scutati, 367.

Casques des cavaliers, 360, des arbalétriers, 361 ; des fusiliers, 365 ; des

scutati, 367.

Cavalerie, 282.

Cavaliers, 334.

Ceinturon des différentes troupes, 365

Cérémonie du labourage, 28, 29 ; pour faire un général, 168, 169 308, 309,

310 ; pour la distribution des récompenses, 270, 271.

Chang, dynastie, 158, 173.

Changements (les neuf), 99.

Chars, leur description, 71. Leurs marques distinctives, 67. (De guerre), leurs

différentes espèces, 250. Leurs usages, 112. Comment ils doivent être, 286, 287. Pris sur l'ennemi, quel usage on en doit faire, 67.

Chariots de course, 63, de transport, 63. Doivent servir de barrière, 288, 289.

Che, mesure, 66.

Che-king, livre sacré, 17.

Che-tsou, empereur des Tsing, 3.

Chefs, quels ils doivent être, 290, 291.

Chen-koung, ministre, 182.

Chevaux ; manière de les traiter, 201, 202, 285. Ne sont pas ferrés, 202.

Chinois, leur caractère, 1, 2, 5, 43. Difficulté de leur langue, 10. Leur fierté,

16.

Chou-king, livre sacré, 17.

Chouai-jen, espèce de gros serpent, 136.

Chun, empereur, 29.

Chun-tche, empereur des Tsing, 3.

Ciel (ce que l'on entend par le), 58, 60.

Cœur, sources de sa dépravation, 26.

Colère, doit être évitée, 105.

Page 382: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

382

Combat ; quand il faut le livrer, 73, 78, 97, 98, 211, 212, 213, 266. Quand on

doit l'éviter, 192, 193. (Ce qu'il faut observer avant le), 90. N'est pas

toujours nécessaire, 70, Singulier, 97. Défendu, 41.

Combattre (manière de), 88, 89, 132, 190, 191, 192.

Compagnies (comment distinguées), 334.

Compassion (la trop grande) souvent nuisible, 106.

Confucius, son éloge, 5. Ses ouvrages, 14 17.

Conque pour sonner la retraite, 382.

Constellations, 147.

Cornet à poudre, 370.

Couleurs (les cinq), 81.

Crainte (espèce de), source du repos, 184.

Crimes (punition des), 36, 37.

Crocs de fer pour les incendies, 379, 380.

Cuirasse des cavaliers, 360 ; des arbalétriers 362 ; des fusiliers, 363.

Culotte d'ordonnance des scutati, 366.

Culture de la terre, 27, 28.

D

Dangers qu'il faut éviter, 104.

Défensive (nécessité d'être sur la), 76, 77.

Désordre ; moyens d'y remédier, 176.

Deuil (grand), 232.

Dignités établies, 235.

Discipline nécessaire, 57. En quoi elle consiste, 59, 60, 61. (Règles de), 276,

284. Militaire, 228, 229, 251, 252, 286, 290, 322 & suiv.

Discorde ; manière de s'en servir, 151, 153, 154.

Divisions ; manière de s'en servir, 151, 153, 154, 155, 156, 157, 158.

Dix, nombre de comparaison, 73.

Docteurs d'armes, 5,

Doctrine (ce que l'on entend par la), 58, 172.

Drapeaux des différents corps, 200, 201.

Droiture (la), doit tout régler, 230, 231, 234.

E

index — @

Eau ; manière de s'en servir contre les ennemis, 148.

Économie nécessaire aux hommes, 33, 34, 35, 40.

Éducation (nécessité de l'), 25, 26.

Éléments (les cinq), 91.

Page 383: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

383

Éloge des généraux anciens, 104.

Empereur, ses devoirs, 243, 244, 245 suiv, 249, 254. Appelé fils du Ciel ;

pourquoi, 243. Instruit de toutes les affaires, 36. Laboure la terre, 28.

Ennemis, quand on doit les attaquer, 64. Doivent être surpris, 94. Doivent être

connus du général, 207, 209. Manière de les éviter, 212. Doivent être

ménagés, 9. A quoi comparés, 84. Manière de connaître leurs desseins,

194, 195. Importance de les connaître, 183, 184.

Enterrements coûteux, 35.

Espions employés, 152, 153, 157, 158, 264.

Ennemis ; comment traités, 158.

Étendards des différentes compagnies, 334, 339, 372, 373, 374. Leurs usages, 96, 97. Des différentes dynasties, 250.

État (l'intérêt de l') doit tenir lieu de tout, 301.

Exercice des troupes, 30, 31, 32. Manière de le faire, 51, 52. Particulier, 322 &

suiv. 326 & suiv. Général, 333 & suiv.

Évolutions militaires, 32, 58, 280, 281, 282, 322, 332, 333, & suiv., 353.

F

Familles divisées par huit, 151.

Femmes des guerriers participent aux honneurs, 221. Entretenues par l'État pendant la guerre, 31.

Fen, mesure, 319, 320, 321.

Festin militaire donné par le roi, 219.

Feu (manière de combattre par le), 146, 147, 148. Cinq manières de mettre le, 146, 147.

Flèches, 384 & suiv. creuses, ibid. Exercice de la, 30, 31, 32.

Fou-tse, hache, 309.

Fusils, 368.

Fusiliers, 334.

G

Garnisons chinoises ; leur description, 23.

Général (qualité nécessaire au), 82, 83, 84, 102, 103, 255, 256. Ses devoirs, 204, 205, 208, 267 & suiv., 269. Quel il doit être, 59, 60, 61, 62, 206,

207. Ce qu'il doit faire, 264, 265, 266, 270, 272, 273 & suiv.

Connaissances qu'il doit avoir, 120, 123, 139, 141, 257, 258, 260. Doit

être lettré, 203. Sa conduite dans le camp, 96, 116, 142, 274, 275, 285. Ses attentions, 94, 95, 111 & suiv., 116, 200, 204, 205, 287, 289,

290, 292, 293, 295. Son habileté, 87, 90, 91. Répond sur sa tête du

bon & du mauvais succès, 68, 124. Sa conduite envers l'ennemi, 68.

Doit être instruit de tout, 190, 192, 193. Ce qu'il doit entreprendre, , 101, 102. Son secret doit être ignoré, 138. Ce qu'il doit examiner, 102,

106. Défauts qu'il doit éviter, 262, 263, 277. Doit vaincre sans

combats, 72. Est le soutien de l'État, 73, 74. Fautes qu'il peut faire, 74.

Ce qu'il doit faire pour être victorieux, 75, 76. Doit connaître chaque homme de son armée, 80. En quelle occasion il doit se battre lui-même,

295. Est éclairé lorsqu'il fait employer le feu, 148. Est excellent s'il fait

Page 384: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

384

employer l'eau, 148. Sa conduite après la prise d'une ville, 217. Ses

égards pour les vaincus, 157. Doit haranguer les troupes, 282. Ce qui

peut l'empêcher d'être victorieux, 125, 126. Doit tirer parti de ses malheurs, 292. Quelles doivent être ses vues en faisant la guerre, 150,

152. (Idée d'un grand), 263, 264, 265, 276. Cérémonie pour l'établir,

168, 169. (Instructions données au), 239, 240. Doit jeûner & se

purifier, 308. Son serment, 310. Serments qu'il fait aux ancêtres, 144, 145. Son autorité, 54, 56, 95. Lâche (dangers d'un), 122. Incapable

122, 123. (Observation sur le), 203. Ennemi ; combien il faut s'efforcer

de le prendre, 142.

Généraux anciens ; leur éloge, 104. Ancienne manière de les établir, 307, 308, 309, 310. Étendue de leur pouvoir, 309. Leur devoir, 159, 255, 256,

257 & suiv.

Géographie ; son utilité, 58, 59,

Giberne, 370.

Goûts (les cinq), 81.

Gouvernement ; son origine, 234. (Principe de), 177, 178, 179, 181, 182, 243,

244 & suiv. (Idée sur le), 13. Des anciens, 170, 171, 177, 178.

Grades militaires ; comment donnés, 32.

Guerre sa définition, 232. (Science de la), 280. (Symbole de la), 165.

(Réflexions sur la), 149, 167, 168, 170, 171. Cérémonie avant que de

l'entreprendre, 238, 239 & suiv., 243. Ne doit pas durer longtemps,

301. Maux qu'elle cause, 151, 152. (Inconvénients d'une longue), 65, 66. Ne doit être faite que par nécessité, 248, 249. Manière de la faire

chez soi, 133. Chez l'ennemi, 133, 134. Quand il faut l'entreprendre,

76, 77. Temps où l'on ne doit pas la faire, 231, 232. (Raison qui fait

embrasser le parti de la), 175, 176. Pourquoi entreprise, 231, 235, 240, 241. Comment on doit la faire, 231, 232, 239.

Guerriers, 220, 221. Quels ils doivent être, 198, 301. Doivent se secourir

mutuellement, 137. Ce qu'ils ne doivent point perdre de vue, 58, 60.

Leur récompense, 252. Morts récompenses, 221. (Honneurs rendus aux), 220. Cinq raisons pour lesquelles ils cherchent la mort, 291.

Illustres, 3, 4, 5.

H

Habillements des troupes, 360 & suiv., 367.

Haches, 380. Pour installer un général, 309. Des fusiliers, 370.

Han, royaume, 183.

Han sin, général, 3.

Hao, mesure, 220, 321.

Harangue nécessaire, 282.

Hata, gouverneur des Tartares, 15. Cause de sa mort, 11.

Hia, dynastie, 173. Son gouvernement, 247, 249, 250, 253.

Hiuen-yuen, ancien empereur, 109.

Ho-lou, royaume, 47.

Hoan-koung, roi de Tsi, 178.

Page 385: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

385

Hoang-ti, empereur, 109.

Hommes estimés ce qu'il y a de plus précieux, 301. Leurs différents

caractères, 294. Naturellement attachés à la vie, 287, 288. Leurs devoirs réciproques, 22, 23, 24, 25, 26, 42.

Honneurs militaires, 220, 221.

Hou, mesure, 66.

Houng ou, vide Tai-tsou.

Humanité ; sa définition, 233. Principe de tout, 230, 231.

I

index — @

Indices généraux, 111, 112, 113.

Ivrognerie, condamnée, 35, 36 & suiv.

J

Jang-kiu, vide Sema, 229.

Japonais ; idée qu'ils ont de la langue chinoise, 10.

Jen, mesure, 80.

Jeu, condamné, 38, 39, 40, 41.

Jin, vide Jen.

Joueur, à quel point méprisé, 41.

Justice (la) ; sa définition, 230, 231, 233.

K

Kang-hi, empereur des Tsing, 4, 13 ; son éloge, 14.

Kao-ti, empereur des Han, 3.

Kao-tsou, vide Kao-ti.

Keng kan, général, 3.

Ki, constellation, 147.

Kie, empereur, 173.

Kin, livre chinoise, 319.

King, livre sacré, 17.

Kin-lo, instrument, 378.

Kiun, sorte d'habitation, 70.

Kou, arme, 259.

Koua (consulter les), 172.

Koung-tsien, corps de troupes, 334.

Kun, corps de 4.000 hommes, 75, vide Kiun.

L

Lâcheté, source de tous les malheurs, 252.

Lai-hi, général, 3.

Page 386: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

386

Lanterne, 379.

Leang, once chinoise, 319, 320.

Légèretés (les quatre sortes de), 96.

Lettres préférées aux armes, 252. Nécessaires à un général, 203.

Li, mesure itinéraire, 63, 86, 94, 319, 320, 321.

Li, vide Tcheng-tang.

Li-che-min, vide Tai tsoung.

Li-ki, livre sacré, 17.

Liaisons secrètes avec l'ennemi, 103.

Lieux de division, 127, 128, 130, 139. Importants, 127, 129, 131, 140. Qu'il

faut éviter, 99, 100, 101. A plusieurs issues, 127, 129, 131, 140. De réunion, 127, 129, 131, 140. Qui peuvent être disputés, 127, 128, 130,

139. Légers, 127, 128, 130, 139. Qu'il faut éviter, 118. Ceux qu'il faut

choisir, 118. Gâtés, 127, 129, 131, 140. Pleins & unis, 127, 129, 131,

140. De mort, 127, 130, 132, 140.

Livre chinoise, 66 , 319.

Livres sacrés, quels ils sont, 17.

Lo, instrument militaire, 96, 97, 283, 323, 382.

Lois (premières), 230, 231. Établies, 234. De l'empire, 44. Données aux princes vassaux, 241, 242. De subordination, 244, 245. Pénales, 36,

37. Militaires, 54.

Lou, royaume, 47,

Lou, chars, 71.

Lou-tao, livre, 305, 306.

Lu, sorte d'habitation, 70.

Lu-ya, ministre des Tcheou, 159.

Luxe, condamné, 33, 34, 35.

M

Ma-ping, corps de troupes, 334.

Mantchous, leur caractère, 43, 44. Leur bravoure, 3, 24. Traités d'esclaves par

l'empereur, 16, 40. Adoptent les usages chinois, 12.

Marches des troupes, 93, 94.

Matières combustibles, 146.

Maximes anciennes, 26, 35.

Mérite, comment récompensé, 270, 271.

Mesures chinoises, leur valeur, 310.

Meurtriers punis de mort, 44.

Militaires ; examen qu'ils subissent, 4, 5.

Mong-tse, philosophe ; son éloge, 5. Ses ouvrages, 17.

Mort ; raison pour laquelle on doit la chercher, 291.

Page 387: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

387

Mou, arme, 259.

Mou-koung, roi de Tsin, 178.

Musique ; ses différents tons, 81. Usage qu'on en doit faire, 104.

Mutinerie, comment réprimée, 116.

N

Nécessité (définition de la), 172.

Niao-tsiang, corps de troupes, 334.

Ningouta, ville de Tartarie, 15.

O

Officiers généraux, ce qu'ils doivent éviter, 121, 122.

Once chinoise, 319. Sa valeur, 320.

Ordre (l'), pourquoi établi, 230, 231, 233.

Orgueil, source de tous les malheurs, 262.

Ou, royaume, 47, 89, 137.

Ou, sorte d'habitation, 70.

Ou-han, général, 3.

Ou-heou, roi de Ouei, 177, 183.

Ou-ouang, empereur des Tcheou, 2, 159, 173, 247, 305, 306.

Ou-ti, empereur des Han, 3.

Ou-ti, empereur des Tsin, 3.

Ou-tse, général, 45, 170. Son histoire, 163, 164 & suiv. Son ouvrage, 163 &

suiv. Traduit en tartare, 4. Son discours, 183, 224. Ses victoires, 224.

Ses réflexions, 222.

Ouang, dignité, 141, 175.

Ouei, pays, 163.

Ouei-che, roi d'Ouei, 163.

Ouei-koung, auteur, 305.

Ouei-lie-ouang, empereur des Tcheou, 163, 164.

Ouen-heou, roi de Ouei, 163, 182, 183.

Ouen koung. roi de Tchin, 178.

Ouen-kong, vide Ouen-heou.

Ouen-ouang, 365.

Ouen-ti, empereur des Han, 3.

Ouen-ti, empereur des Soung, 3.

P

index — @

Pa, dignité, 141, 175.

Paie des soldats, 27, 30, 31.

Page 388: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

388

Parents (devoirs envers les), 17, 18, 19.

Parti (prendre son), suivant les circonstances 210.

Père ; avantage de l'être, 17. Ses devoirs envers ses enfants, 25. Responsable de leurs fautes, 26, 27, 37.

Pertuisaniers, 334.

Peuples vaincus, doivent être secourus, 137.

Peur, à quoi on la connaît, 115.

Pi, constellation, 147.

Pied chinois, 320 ; marchand, ibid.

Pien, inscription honorable donnée par le Souverain, 270, 271.

Plein ; ce que c'est, 85.

Poids (les), 319.

Point d'honneur mal entendu, 105, 106.

Poisson (instrument en forme de), 382.

Préceptes (les dix), 11, 12, 13.

Prévoyance (définition de la), 172. (Fausse), preuve de lâcheté, 263.

Princes vassaux ; leur installation, 241.

Prisonniers ; comment on doit se conduire à leur égard, 67.

Prudence (règle de), 230, 231, 234. Souvent est crainte, 105.

Punitions établies, 235, 237. (Les neuf), 241, 242. Des soldats, 31. (Lieux

pour les), 249.

R

Récompenses nécessaires, 67, 204. Singulières, 219, 220, 222. Des belles actions, 268, 269, 270, 271. Comment distribuées, 249, 291.

Rebelles ; conduite à leur égard, 225, 236, 237.

Redoutes ; leur description, 72.

Repas (quand on doit prendre les), 285.

Révolution céleste consultée, 172.

Rhinocéros ; symbole de la guerre, 165.

Richesses (définition des), 235.

Rois (établissement des), 234.

Ruses de guerre, 85, 86, 103, 104.

S

Sabres des arbalétriers, 368. Des scutati, 371.

Sage (portrait du), 173.

Salle des ancêtres, 144.

San-kun ; les trois ordres de l'armée, 75.

Page 389: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

389

Sceau de l'empire, 142. Ce qu'il en faut faire, 142.

Seau pour porter de l'eau, 380.

Scie, 380.

Science (la grande), 14.

Scutati, 334.

Se-chou, livre classique, 17.

Se-ma, général ; son ouvrage, 5, 228, 229.

Se ma-fa, livre, 227 & suiv.

Secrets ; manière de se les communiquer, 312, 326.

Sépulture (idées des Chinois sur la), 37.

Serments militaires, 147, 148. Aux ancêtres, 144.

Si-ho, fleuve, 169.

Siège de ville ; quel doit être sa durée, 71.

Signaux, 97. Pour les exercices, 200, 283.

Soldats, d'où on les tirait, 151, 152. Leurs devoirs, 22, 23, 24, 29, 30, 31, 32. Leurs punitions, leurs logements, 23. Leur paie, 30. Leur bravoure,

dépendante du général, 117. Près de livrer bataille, 90. Distribution

qu'il faut leur faire, 115. Danger d'une trop grande abondance, 115.

Leur crainte, d'où elle provient, 115. Leurs congés, 116. Leurs familles entretenues aux dépens de l'État, 64.

Sorts (consulter les), 172.

Souverains (les anciens) ; leur conduite à l'égard des rebelles, 235, 236, 237.

Sujets, leurs devoirs, 243, 244, 245.

Sun-tse, général chinois ; son histoire, 4, 5 & suiv. 50 & suiv. Desgracié, 55.

Rappelé, ibid. Son ouvrage, 4, 5, 7 & suiv. Estime que les Chinois en

font, 4. Traduit en tartare, ibid.

T

index — @

Ta pao, corps de troupes, 334.

Tablette des ancêtres, 145. Pour écrire, 313.

Taël, once chinoise, 321.

Tai-ki, principe supérieur, 58.

Tai-koung, ministre, 159. Général, 305, 306.

Tai tsou, empereur des Tsing, 3.

Tai-tsoung, auteur, 305.

Tambours de différentes espèces, 32, 97, 293, 378. Pour les évolutions, 293.

Tan, Autel, 242.

Tan tao tsi, général, 3.

Tang-ouang, vide Tcheng-tang.

Page 390: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

390

Tartares, leur langue, 10.

Tchang, mesure chinoise, 320.

Tchang-chan, montagne, 136.

Tchang-cheou, général ; son ouvrage, 15, est cause de sa mort, 21.

Tchang-tao, corps de troupes, 334.

Tchang-tsiang, corps de troupes, 334.

Tchao, royaume, 183.

Tche-yeou, roi, 109.

Tcheou, empereur, 174.

Tcheou, dynastie, 147, 159. Son gouvernement, 248, 249, 250, 253.

Tchen, constellation, 147.

Tcheng-sang, pays, 167.

Tcheng-tang, empereur des Chang ; 158, 173, 247.

Tchi, arme, 259,

Tching-yao-che, vide Ouei-koung.

Tchoang-ouang, roi de Tchou, 182.

Tchong, mesure, 66.

Tchou, royaume, 47, 55, 183, 185, 187.

Tchou, sorte de mesure, 79.

Tchouan-tchou, général, 136.

Tchouang-kia, officier général, 228.

Tchouo-lou, pays, 109.

Tchouo-tcheou, 109.

Teng pai, corps de troupes, 334.

Tente pour cinq hommes, 359 ; 376 & suiv. Hommes qui en sont chargés, 359.

Terrain, connaissance qu'on doit en avoir, 117, 140, 141. Nécessaire au

général, 123, 124, 125, 126, 140, 141. (Les neuf sortes de), 127, 139.

Terre (ce que l'on entend par la), 58, 59, 60. Doit être cultivée, 27, 28.

Ti, titre des empereurs, 141, 175.

Tien-y, vide Tcheng-tang.

Toise chinoise, 166.

Tortue (consulter la), 172.

Tou, étendard, 67.

Toui-tse ; ce que c'est, 271.

Tribunaux rendent compte de tout à l'empereur, 36.

Tributs (les différents), 65.

Trompettes, 379.

Page 391: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

391

Troupes (différentes espèces de), 189. (Cinq classes de), 180. (Nom des

différents corps de), 334. (Idée du caractère des différentes espèces

de), 176. Leurs devoirs, 107, 259, 260, 288. Comment elles doivent se conduire à l'égard des peuples, 295, 296. Manière de les employer,

177, 189. Doivent être bien disciplinées, 57. Doivent être instruites, 16,

30, 31, 32, 267. (Gouvernement des), 80, 196, 197, 198, 199.

Conduite qu'on doit tenir à leur égard, 285, 286. (Art de bien ranger les), 265. Comment on doit les choisir, 179. (Quel doit être le nombre

des), 249, 251, 261. Manière de les employer, 30 & suiv., 297, 298 &

suiv. Comment on doit les former, 174, 175. (Moyen d'avoir de

bonnes), 218. (Majesté des), ce que c'est, 278, 279, 280, 281. De leur contenance, 76. Pesamment armées, 282. Doivent être examinées

avant le combat, 274, 289. Manière de les rafraîchir, 284, 285. Se

servent d'un bâillon, 283. Vieilles troupes, nécessaires, 223.

Entretenues aux dépens de l'État, 27, 30, 31. Quand on doit les récompenser, 67. Ne doivent pas être chargées, 93.

Tsao-kouei, général, 136.

Tsi, royaume, 47, 183, 184, 185.

Tsien, mesure, 319, 321.

Tsin, royaume, 183, 184, 185, 186, 188. (Les trois), 188.

V

Valeur (la) ; sa définition, 234 ; ne suffit pas, 203.

Veilles (les différentes), 32.

Vent (le) ; en quoi il est dangereux, 201. En quel temps il souffle, 147.

Vertu (définition de la), 172. (Les cinq), 230.

Victoire ; idée qu'on doit s'en former, 175. La plus à rechercher, 245. (Ce qui

est nécessaire pour remporter la), 292. Elle appartient à tous, 293, 294.

Vin condamné, 35, 36, 37, 38. Fait de grain, nuisible aux hommes, 35.

Vivres ; en quelle quantité doit-on en avoir, 66.

Voleurs ; comment on les connait, 115. Leur punition, 115.

Vuide ; ce que c'est, 85.

Y

Y, constellation, 147.

Y, arme, 259.

Y, sorte de mesure, 79.

Y-king, livre sacré, 17.

Y-tche, vide Y-yn.

Y-yn, ministre des Hia, 158.

Yang, premier principe, 58, 60.

Yen, royaume, 183, 185,188.

Yen-tun, ville, 228.

Yeou, pays, 167.

Page 392: Recueil d'anciens traités sur la guerre

Art militaire des Chinois

392

Yeou, arme, 259.

Yn, premier principe, 58, 60.

Yn, dynastie, 159, 173, 174, 248, 249, 250, 253.

Yo king, livre sacré 17.

Yu, empereur, zi. Son Couver-

Yong-tchen, empereur des Tsing ; son ouvrage, 11, 13. Son avènement au

trône, 21.

Yu, empereur, 246. Son gouvernement, 253.

Yu-leao-tse, auteur, 305.

Yue, royaume, 137.

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