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Rencontre entre deux designers
Par Kamel Ben Youssef1
“ Le design se réalise dans l’entreprise et
l'entreprise par le design ”
“Gino Finizio,1991”
Recherche, interdisciplinarité et
éthique : voilà les éléments qui
caractérisent l’entreprise et les
concepteurs du futur : des
hommes et des femmes prêts à
affronter l’urgence/l’émergence et
à empoigner les variables d’un
scénario en changement
perpétuel.
Gino Finizio nous en parle avec
Pietro Camardella.
1 Kamel Ben Youssef est Professeur Certifié d’Économie et Gestion à l'IUT de Ville d'Avray. Il enseigne le Marketing et la Stratégie d’entreprise à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense. Il est également Visiting Professor de Stratégie d’entreprise à la Faculté d’Économie de l’Université de Turin et de Design stratégique à l’École Polytechnique de Milan, à l’ISD de Valenciennes et à l’IAE de Toulouse.
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L’excellence de l’entreprise se réalise
à travers la recherche, le design, la
technologie et la réorganisation du
système existant : une lutte constante
entre tradition et innovation pour la
croissance de l’entreprise et la
cohérence de la marque dans le temps.
Pour atteindre des résultats concrets,
l’élément humain est irremplaçable,
c’est pourquoi les entreprises doivent
s’appuyer sur des hommes
consciencieux, préparés et avides de
connaissance : des créatifs qui
possèdent une capacité innée à lire les
changements en cours et à anticiper –
par une “vision créative” – les produits,
les systèmes et les services qui
intéresseront les consommateurs de
demain.
Pietro Camardella est d’une certaine
manière le manager-type du futur :
capable d’intégrer la pensée et l’action,
le design et le marketing. A la tête du
secteur Automotive Design d’un centre
de recherche d’excellence, grâce à sa
culture multidisciplinaire, il contribue à
perpétuer la mission de l’entreprise par
une recherche constante, l’innovation
d’entreprise, le design, le processus et le
produit.
Le produit se réalise là où l’entreprise a la capacité de saisir les opportunités offertes par le
design : l’originalité et le renouvellement des idées représentent la clef du succès pour
l’entreprise, mais le manque d’organisation et de vision stratégique constituent certainement une
limite à la croissance. C’est précisément pour conjuguer ces deux aspects de façon optimale qu’a
été confié à Pietro Camardella le rôle de Responsable du Centre Design du Centro Ricerche Fiat
d’Orbassano (à proximité de Turin), un endroit où l’entreprise italienne par excellence se
confronte quotidiennement avec la nécessité de créer l’innovation. Pietro Camardella est non
seulement un designer de talent, mais aussi, grâce à l’expérience dont il s’est enrichi au fil des
ans, un guide précieux pour des équipes de conception devant affronter le thème complexe de la
mobilité. Il est chargé de la gestion des choix conceptuels, mis en oeuvre de concert avec les
designers et les techniciens du Centre, afin d’appliquer les efforts créatifs dans une direction
économiquement possible, tout en préservant la valeur du concept de projet auprès de tous les
acteurs qui définissent le produit ; en effet, c’est du concept de projet que découlent l’unicité et la
raison d’être du produit lui-même. Le progrès technologique, dont le CRF est un creuset très
Pietro Camardella et Gino Finizio au département Design
Industriel de l’Université Federico II de Naples ; au premier
plan, certains projets réalisés par les étudiants.
Foto Endstart.
Après avoir accumulé une expérience significative dans la
conception architecturale, en 1984, PIETRO CAMARDELLA
rejoint le Centro Studi e Ricerche Pininfarina où, en qualité
de Senior Designer, il développe des projets novateurs
pour le secteur automobile dont les Ferrari F40, F50, 456GT,
le concept Mythos, la Honda Beat et la Peugeot 306
Cabriolet. En 1993, il devient Chief Designer d’extérieurs
auprès du Centro Stile Lancia et coordonne, entre autres,
le développement du concept Dialogos (Salon de Turin,
1998). Il suit, en tant que Chief Designer Vehicle, le
concept Lancia NEA (Salon de Paris 2000). Actuellement, il
est responsable du Centro Design auprès du CRF et se
consacre également au Corporate Design pour d’autres
secteurs du groupe Fiat (Iveco, New Holland, Fiat
Ferroviaria).
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actif, voit enfin dans le design un instrument indispensable pour rendre compréhensible et
accessible son langage au marché. Le design et les designers jouent donc un rôle extrêmement
important pour encourager l’innovation, notamment dans le secteur automobile, secteur qui
connaît actuellement une période de transformation intense, en quête de nouvelles typologies de
transport plus sûres pour l’homme et l’environnement.
Qu’est-ce qui vous a amené à prendre la tête du Centro Design de l’un des plus importants
centres de Recherche & Développement européens ?
Pietro Camardella : C’est ma curiosité à l’égard de tous les domaines, même les plus difficiles
pour mon esprit, et ma conscience critique qui a fait que je ne me suis jamais contenté de ce que
je faisais, qui m’a poussé à m’améliorer et à me renouveler constamment. Je n’éprouve aucun
plaisir à répéter toujours la même formule, même si elle a eu du succès. Il est clair que j’arrive à
m’exprimer davantage dans les projets où les marges de proposition sont supérieures, et c’est le
cas des concepts. Pour les projets de production, j’essaie de faire le maximum du moins dans la
phase initiale de recherche, où je propose toujours une solution alternative, plus détachée du
briefing : parfois l’opération réussit et le client perçoit les potentialités de l’idée et mise dessus ;
d’habitude les quelques aspects intéressants prévus dans la définition se réduisent aussi, par
crainte de trop “oser” au regard des
investissements.
Au sein d’un scénario en évolution
perpétuelle tel que le scénario actuel,
quelles sont les règles permettant
d’innover et de différencier le produit ?
Il n’existe qu’une seule règle : ne jamais canaliser le flux créatif dans un processus mécanique
répétitif.
Dessins de Pietro Camardella pour le projet 512tr
restyling Ferrari Testa Rossa.
Quelques-uns des projets développés par Pietro
Camardella au Centre Etudes et Recherches
Pinifarina : Ferrari F40, F50, 456GT, concept Mythos.
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Des myriades de produits qui ratent leur objectif de vente continuent à le prouver
quotidiennement, mais le marketing a intérêt à souligner de manière pressante les quelques
exemples de produit, qui ont réussi par hasard.
« L’innovation fait partie de ce merveilleux processus de la création, qui consiste à atteindre un
point, tu ne sais pas lequel, tu ne sais pas pourquoi, mais comme par magie, tu sais que c’est le
bon »
Le design est donc une expression artistique ?
Etre un bon designer signifie approcher dans une optique novatrice le projet, en ne se basant pas
uniquement sur le talent. Je crois fermement que, tout en étant une expression créative, le design
n’est pas un art. Le design est la forme de la technologie, l’art est la forme de l’esprit.
Quel rapport y a-t-il entre architecture et
mobilité ?
Il faut dire avant tout que l’esthétique des
machines, notamment des voitures, a eu un impact
immense sur le processus de formation du design,
et avec ses suggestions dynamiques et futuristes, il
a fortement conditionné l’aspect de nombreux
objets d’emploi quotidien.
Par contre, en raison de la crise du marché,
l’automobile n’a que récemment commencé à
pencher sur les thèmes d’habitabilité et d’impact
environnemental. La présence envahissante des
automobiles a par ailleurs radicalement modifié le
développement architectural des centres urbains,
sans jamais parvenir à s’intégrer complètement
avec ceux-ci.
Quels seront les matériaux de l’automobile du futur ?
J’adore le plastique et la propreté formelle qu’il autorise, je crois que les potentialités expressivo-
formelles de ce matériau n’ont pas encore été toutes exploitées. Bien au contraire, on assiste à
une régression par rapport aux décennies passées : désormais, la plupart du temps, il est destiné à
remplacer d’autres matériaux et sa qualité superficielle est trop souvent niée : la peinture, la soft
touch, le film et le reste continuent à l’envisager comme un ersatz du métal et d’autre matériaux
jusqu’aux applications les plus kitsch, qui dénaturent son essence. En revanche, dans le domaine
technologique, les techno-polymères sont en train de s’affirmer radicalement et je crois qu’ils
auront de plus en plus d’espace à l’intérieur des automobiles.
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Vous avez collaboré à la réalisation de nombreuses automobiles dont les Ferrari F40, F50,
456GT : qu’est-ce qu’une auto
de sport ?
Pour le car designer, c’est l’aspect
le plus émotionnel du “métier”.
Récemment je me suis à nouveau
mesuré avec le thème de la voiture
de sport, en coordonnant la
réalisation du concept
expérimental “Sportiva Latina”,
qui a remporté le prix spécial pour
l’innovation de l’association
technique de l’auto espagnole au
Salon de l’Auto de Barcelone
2005.
Quand nous avons décidé de
participer au concours organisé
par la STA, les contenus et la concurrence entre Italiens et Espagnols m’ont suggéré la formule et
le nom “Sportiva Latina”. Cela a été un labeur intense “habiller la technologie” et trouver la
solution qui harmonisait la division entre l’habitacle et la plate-forme en en faisant un motif
caractéristique au niveau esthétique, vu qu’on avait opté pour un châssis “split frame” : au lieu de
dissimuler la division, celle-ci constituait le fil conducteur de la composition.
L’habitacle du concept, qui est maintenant exposé au du Musée de l’automobile de Turin,
incorpore le compartiment bagages, en prenant la forme d’une comète enroulée dans son flux,
représenté par la plate-forme constituée du châssis-moteur.
Le choix au niveau composition a entraîné une articulation de volumes qui caractérise le dessin
sans inutiles graphismes bidimensionnels, décors et clinquants superflus, typiques du langage
“stylistique”. Les éléments d’éclairage et d’interface télématique (led, capteurs, radars) sont
regroupés dans un seul élément « en forme de ruban », qui entoure la voiture, plongeant et
émergeant de la carrosserie là où c’est nécessaire, en reliant idéalement habitacle et plate-forme.
L’architecture d’intérieurs est caractérisée par l’adoption du drive by wire et par les exigences de
déplacement du groupe de direction, pour permettre le positionnement de direction « œil centre ».
Ces éléments m’ont suggéré de récupérer de manière plus achevée le concept de spatialité,
exprimé la première fois avec les concept Lancia “Dialogos” et “Nea”, en éliminant le tableau
pour faire place à un groupe de direction suspendu à un élément HI TECH central, qui évoque
davantage un ordinateur domestique qu’une console automobile. J’aime définir ce processus de
composition ainsi : la résultante est déterminée par les “composants du tout qui donnent forme au
tout”. Certes le résultat global est à contre-courant à une époque à la tendance “néo-classique”,
mais avec Sportiva Latina on a voulu rappeler avec cohérence la grande tradition de la
“granturismo italiana”, tout en adoptant uniquement sa typologie architecturale, sans proposer
tels quels les éléments du passé. Un passé qui, on l’oublie souvent, était caractérisé par de grands
ferments d’innovation, qui ont permis de consolider ses résultats et de les élever au rang de
“classiques”, alors qu’à leurs débuts, il s’agissait de voitures modernes et innovatrices.
Cette rencontre avec Pietro Camardella souligne encore plus un phénomène : le design est un
facteur stratégique de l’entreprise et est présent de façon éclatante dans toutes les entreprises
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excellentes, de la recherche au projet de forme, matériaux, processus, représentation et diffusion
du produit.
Si l’idée initiale est authentique, vraie, nouvelle, elle est en mesure de gagner du terrain. L’idée
est réellement innovatrice quand elle fournit un avantage concurrentiel influençant le marché et
les consommateurs, Si l’idée initiale se lit dans le produit fini, elle devient typique et est
facilement repérable, c’est un nouveau genre qui donne une identité au produit et à l’entreprise.
C’est le design qui fait la différence et c’est le designer qui la détermine.
Gino Finizio exerce une activité de conception industrielle et design
stratégique pour des entreprises multinationales. Il est Professeur de design Management à la Faculté d’Architecture de l’Université La Sapienza de Rome et à l’Université de
Naples et Directeur Scientifique du Master Transportation Design à la Domus Academy de Milan(Italie). Gino Finizio est auteur de l’ouvrage Design & Marketing : Gérer l’idée,
publié par Eska, juin 2006 (www.eska.fr ) (Version française sous la direction Kamel Ben Youssef (IUT Ville d’Avray, Université Paris Ouest Nanterre La
Défense) et Stéphane Magne, IAE de Toulouse.
Pietro Camardella et Kamel Ben Youssef durant la journée d’étude sur le design italien (IAE de Toulouse, Octobre 2006)
Pietro Camardella et Kamel Ben Youssef (Mirafiori Village, Torino, Mars 2007)