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possibles Volume 36. Numéro 1. Hiver 2012 Ressources - Mines

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possiblesVolume 36. Numéro 1. Hiver 2012

Ressources - Mines

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DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, C.P. 6128, SUCCURSALE CENTRE-VILLE, MONTRÉAL (QUÉBEC), H3C 3J7TÉLÉPHONE : 514-274-979SITE WEB : www.redtac.org/possibles

COMITÉ DE RÉDACTIONChristine Archambault, Hugo Beauregard-Langelier, Jasmine BĂ©langer-Gullick, StĂ©fanie Bergeron, RaphaĂ«l Canet, Dominique Caouette, Anthony Cote, Pascale Dufour, Efe Can Gurcan, Anne-CĂ©cile Gallet, Gabriel Gagnon, Pierre Hamel, Mathieu Hamelin, Kheira Issaoui-Mansouri, Nadine Jamal, Maud Emmanuelle Labesse, Marie-JosĂ©e Massicotte, †Gaston Miron, Francis Paquette, Caroline Patsias, †Marcel Rioux, Raymonde Savard, AndrĂ© Thibault, Hoai-Ai Tran et Ouanessa Younsi.

La revue souhaite aussi donner la parole à l’ensemble des cybercitoyens par le biais de son blogue à l’adresse suivante, http://redtac.org/possibles/a-propos/ .

RÉVISION DES TEXTESAnne-CĂ©cile Gallet et StĂ©phanie Martel

CONCEPTION GRAPHIQUE ET MISE EN PAGE :Timothé Feodoroff, François Fortin et Hoai-Ai Tran COUVERTUREFrançois Fortin

RESPONSABLE DU NUMÉRO

Alain Deneault

La revue Possibles est membre de la SODEP et ses articles sont répertoriés dans RepÚre.Les textes présentés à la revue ne sont pas retournés.

Ce numĂ©ro : 13$ La revue ne perçoit pas la TPS ni la TVQ.

Production et impression : Le CaĂŻus du livre dĂ©pĂŽt lĂ©gal BibliothĂšque nationale du QuĂ©bec : D775 027DĂ©pĂŽt lĂ©gal BibliothĂšque nationale du Canada : ISSN : 0707-7139© 2010 Revue Possibles, MontrĂ©al

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TABLE DES MATIÈRES

ÉDITORIAL

Les « ressources » au vu des idéologies ............................................. 5Alain Deneault

SECTION I : BLOC THÉMATIQUE

Flou artistique et mystification autour des diamants camerounais 13Jean Marc Soboth

Investissements agricoles Ă©trangers et enjeux fonciers en Afrique subsaharienne ............................................................................... 28Pascal ValliĂšres

Mongolie : derriĂšre le boum minier .............................................. 52 Arthur Floret

RĂ©trospective d’une annĂ©e de rĂ©sistance Ă  l’exploitation miniĂšre : entre espoirs et atermoiements ...................................................... 73Annie Pelletier

«L’identité» comme ressource ........................................................ 79EkĂ©di Kotto Maka

La redéfinition des réfugiés comme ressource ................................ 90 Hiba Zerrougui

Le saphir malgache, une ressource pour la Grand-Ăźle ou pour les Ă©trangers? .................................................................................... 104 Naina Rakoto

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SECTION II : POÉSIE ET FICTION

Poémoire ......................................................................................113Lisa Carducci

Toi, mon Infinitude Quand prendra fin ma marche? À toiLa raison de ma marche La premiùre neige ........................................................................ 117Yves Patrick Augustin

J’ai parcouru une route provinciale
.......................................... 121Pedro Carbajal

SECTION III : DOCUMENTS

Métamorphose du paysage idéologique....................................... 125André Thibault

DĂ©mocratie sans État LaĂŻc? Le Dilemme des « Printemps Arabes».....129Nadia Fahmy-Eid

Souveraineté alimentaire ............................................................. 133Arielle Desforges

The Ghost Writer – Les dessous sordides de la rĂ©alitĂ© politique .. 146Paul Beaucage

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ÉDITORIAL 5

Les « ressources » au vu des idéologies

Par ALAIN DENEAULT

C‘est le fruit de rencontres sur plusieurs mois entre des Ă©tudiant·e·s, des chercheur·e·s et d’autres intervenant·e·s examinant le bien-fondĂ© d’une notion souvent trop vite entendue, les «  ressources  ». Cette

livraison de Possibles marque donc le moment d’une halte thĂ©orique : faire un arrĂȘt sur image critique sur ce terme ressources plutĂŽt que de feindre qu’il irradie l’évidence. Plus encore, jauger sa sourde acception idĂ©ologique. L’enjeu  : comprendre de la langue courante ses expressions donnĂ©es et ses locutions toutes faites Ă  la maniĂšre d’abstraits concepts comportant sourdement la charge idĂ©ologique, voire impĂ©riale, d’un temps. Prendre la mesure de la responsabilitĂ© politique qu’engage l’assertion : ceci est du coltan et le coltan reprĂ©sente dĂ©sormais une ressource. Ne plus en rester Ă  ce que l’on place sous cette expression de « ressources Â», mais s’enquĂ©rir de ses sujets : qui, dans l’ordre Ă©conomique et politique constituĂ©, attribue Ă  telle chose l’appellation de « ressource Â». Qui est le sujet actif de cette appellation ? Ce faisant, qui se trouve-t-il Ă  assujettir ? Enfin, Ă  quel ordre du discours s’en remet la dĂ©notation sĂ»re dont il fera preuve Ă  tel moment de l’histoire ? Qu’est-ce qu’une ressource, certes, mais plus encore : quelle instance qualifiera Ă  un certain stade historique du dĂ©veloppement telle chose « ressources Â», et au nom de quoi ? Dans une discrĂšte optique de lĂ©gitimation, qu’est-ce que cette notion infĂ©rera pour les uns au titre de l’exploitation, du dĂ©veloppement et de la valorisation, et qu’infĂ©rera-t-elle donc pour les autres, le plus souvent, en termes de pillage, de spoliation et de dĂ©stabilisation ?

Donc, ne plus tabler sur l’illusion d’une existence apriorique de « ressources Â» en propre, cesser de s’appuyer sur « elles Â» comme sur une nĂ©cessaire pierre de touche appelant de consĂ©quents questionnements idĂ©ologiques quant, par exemple, au « dĂ©veloppement Â», aux « investissements internationaux Â»

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et autres programmes d’encadrement autour de la « bonne gouvernance Â». PlutĂŽt, retourner aux (res)sources, revenir Ă  ce qui les dĂ©finit, Ă  l’ordre qui les dĂ©finit. RenaĂźtre soi-mĂȘme Ă  la question premiĂšre de la « ressource Â» comme fait de construction politique. À qui revient la prĂ©rogative de dĂ©signer telle une chose Ă  laquelle la nature ne confĂšre d’emblĂ©e aucun statut de cet ordre ?

Notre questionnement quant aux « ressources Â» durant ces mois de travail de l’hiver 2010  : Que reconnaĂźt-on en tant que ressources  ? Qui les convoite ? Qui se les approprie ? Qui s’en voit Ă©cartĂ© ? Selon quel systĂšme qualifie-t-on des choses selon ce terme, les Ă©value-t-on, les comptabilise-t-on ? Qui les cĂšde ? Qui les sĂ©curise ? Qui les exploite ? Qui les traite et les sous-traite ? Qui les transporte ? Qui les distribue ? Qui les vend ? À qui  ? Quels sont les intermĂ©diaires  ? Qui en tire profit  ? Quels sont les dommages collatĂ©raux relatifs Ă  ce que telle chose soit un jour appelĂ©e «  ressource  » et traitĂ©e comme telle dans un environnement, quant Ă  l’immigration, l’économie locale, la santĂ© publique, l’environnement, la sĂ©curitĂ© et la dĂ©mographie ?

Notre surprise initiale  : que ces questions d’apparence triviale soient systĂ©matiquement escamotĂ©es dans la couverture publique des grands conflits internationaux. Les pipelines de l’Afghanistan, l’eau du Proche-Orient ou le cacao de la CĂŽte d’Ivoire ressortent peu du traitement que l’on fait de ces enjeux, abstraitement hissĂ©s au rang de la « gĂ©opolitique Â». Que ce soit dans une rare rubrique radiophonique que l’on puisse mesurer l’importance des ressources dans la politique internationale1 est davantage de nature Ă  inquiĂ©ter qu’à rassurer.

Surprenante omission s’il en est, puisque l’approche comptable des ressources a tout Ă  fait contaminĂ© la dĂ©finition occidentale que nous avons adoptĂ©e de la « richesse Â». On peut repĂ©rer dans l’Ɠuvre Ă©conomique de Thomas Malthus le moment gĂ©nĂ©alogique de cette « perversion Â», ainsi que Dominique MĂ©da le relĂšve. Selon un classement anthropologique trĂšs sommaire, Malthus concevra au moment d’établir une dĂ©finition fondamentale de la richesse en Ă©conomie, que l’art de la conversation et la culture, d’une part, de mĂȘme que la facultĂ© d’entretenir un commerce avec des instances sacrĂ©es, d’autre part, constituent une richesse. Il est parfaitement Ă©vident que la danse, la musique ou la morale sont des ressources. Mais parce que ces valeurs se laissent mal comptabiliser, et qu’en cela elles compliquent le travail de formatage paramĂ©trĂ© des

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donnĂ©es scientifiques auquel les sciences Ă©conomiques s’essaient dans une visĂ©e positiviste, Malthus suggĂ©rait tout simplement que soit exclues de la dĂ©finition Ă©conomique toutes ces modalitĂ©s de vie. À cet aveu d’échec Ă©pistĂ©mologique s’ajoutait une prĂ©occupation idĂ©ologique  : hisser la discipline comptable au sommet de la hiĂ©rarchie des discours. Ne rien considĂ©rer, donc, qui puisse nuire Ă  son dĂ©ploiement. Le raisonnement : une population ne doit se dire riche que de ce qui est comptabilisable. Ce serait une erreur pour elle de se penser riche de ce qu’elle entretient Ă  titre de valeurs non comptabilisables si d’aventure les paramĂštres de la production chiffrĂ©e indiquaient des rĂ©sultats Ă  la baisse. Par le fait mĂȘme, les tenants particuliers d’une logique chiffrĂ©e peuvent imposer leur lecture de la valeur comme la seule qui vaille. La question de la « ressource Â» s’est idĂ©ologiquement trouvĂ©e soumise Ă  cette seule Ă©valuation Ă©conomĂ©trique. « Malthus soutient donc ici que, d’une certaine maniĂšre, la vraie richesse, ce sont les ressources matĂ©rielles du pays. Il prĂȘte Ă©galement cette idĂ©e au sens commun, et c’est elle qui sous-tend toutes les Ă©tapes de son raisonnement en jouant le rĂŽle d’un vĂ©ritable prĂ©jugĂ© (d’un jugement formĂ© avant mĂȘme la procĂ©dure de jugement) : la richesse, ce ne sont pas ces choses intangibles et plaisantes, ou mĂȘme les croyances, les lois, la libertĂ© civile, les arts, la morale
 Ce sont bel et bien les ressources matĂ©rielles Â»2.

Il s’entend que la position centrale de la «  ressource  » comme Ă©lĂ©ment exploitable au titre de la conception de la richesse dĂ©pend prĂ©cisĂ©ment de la dĂ©finition qui la fait advenir Ă  cette position centrale. Force est de s’en apercevoir en suivant la pensĂ©e de Samir Amin sur le dĂ©veloppement Ă©conomique de l’Afrique de l’Ouest. Amin distribue dans sa table des matiĂšres les ressources en fonction des pays oĂč elles se trouvent (exploitĂ©es)  : L’arachide du SĂ©nĂ©gal, le Cacao de la CĂŽte d’Ivoire, les phosphates du Togo. Mais on ne lit pas lĂ  un ouvrage de vulgarisation nous introduisant platement Ă  la cartographie des ressources africaines. C’est en accompagnant toujours cette description des modalitĂ©s d’exploitation d’inspiration coloniale des ressources qu’Amin repĂšre ce qui confĂšre effectivement Ă  la ressource son statut occurrent dans l’histoire. C’est l’économie coloniale dans sa forme et ses visĂ©es et non la relation qu’on peut avoir aux denrĂ©es Ă  l’échelle locale qui dĂ©finit la ressource et le lien qu’on entretiendra avec elle.

Le constat se confirme Ă  la lecture d’un livre d’histoire percutant sur les pays non-alignĂ©s ayant marquĂ© les deux premiers tiers du XXe siĂšcle, Les nations obscures de Vijay Prashad. Le thĂšme de la ressource est transversal.

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ÉDITORIAL8

La visĂ©e du mouvement tiers-mondiste, Ă  l’époque oĂč il est synonyme d’un renouveau en puissance plutĂŽt que de l’objet d’assistanat international en quoi on l’a caricaturĂ©, ne consiste pas tant Ă  recouvrer le contrĂŽle des ressources que de dĂ©finir celles qui en seront et ce qu’elles seront Ă  ce titre. «  Le FLN [Front de libĂ©ration nationale en AlgĂ©rie] hĂ©rita d’une terre dessĂ©chĂ©e, toujours riche de ressources et de possibilitĂ©s, mais drainĂ©e en surface. Le premier monde avait dĂ©tournĂ© les richesses de l’AlgĂ©rie pour n’en laisser que des miettes. Bien peu d’usines, d’écoles ou d’hĂŽpitaux, emblĂšmes de la modernitĂ©, avaient Ă©tĂ© construits, suivant l’idĂ©e coloniale de prĂ©server la tradition. Dans ce dĂ©nuement, le tiers-monde dut bĂątir ses espoirs Â»3.

Nombre d’ouvrages nous indiquent aujourd’hui combien la colonisation de l’Afrique s’est poursuivie par le biais de l’exploitation souterraine de ses ressources4. Tandis que les discrĂštes multinationales du pĂ©trole et des mines Ă©puisent les ressources avec le concours d’une Ă©lite corrompue, de discrĂštes occupations du marchĂ© ont cours dans des domaines moins en vue. L’ingĂ©nieur agronome Bernard Njonga a Ă©tĂ© l’un de ces acteurs de l’ombre dans les annĂ©es 2000, en constatant que des morceaux de poulet congelĂ©s et, qui plus est, Ă©taient nĂ©fastes, produits par des sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes subventionnĂ©es, faisaient illĂ©galement leur entrĂ©e sur le marchĂ© camerounais au point de pousser Ă  la faillite les Ă©leveurs locaux5. La question : qui et en vertu de quoi dĂ©finit-on tout Ă  coup que le bon poulet camerounais ne sera plus une ressource, mais qu’une production lointaine, soutenue de maniĂšre factice le deviendra?

Qu’est-ce qu’une ressource ? Et selon qui ?

Il ressort de ce travail d’équipe une ingĂ©niositĂ© dans l’observation de ce que l’on dĂ©finit en tant que ressource. Il Ă©tonne que soit considĂ©rĂ©e comme telle la diaspora indienne au vu des investisseurs miniers du pays, les rĂ©fugiĂ©s politiques entassĂ©s dans des camps dans des pays qui ne savent quel statut leur confĂ©rer ou encore les sites vierges devenus en Afrique les lieux d’enfouissement que l’on ne saurait imaginer dans les pays du Nord.

Parmi ces rĂ©flexions qui ont donnĂ© lieu Ă  des articles, Delphine Desnoiseux s’intĂ©resse Ă  la façon dont les Ă©tats du Sud voient en les sites d’enfouissement de pays mal gĂ©rĂ©s du Sud des ressources pour les Ă©conomies du Nord  : les dĂ©chets deviennent ainsi une ressource pour des chefs d’État peu scrupuleux au regard des questions environnementales. Hiba Zerrougui a

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dĂ©fini pour sa part les rĂ©fugiĂ©s politiques comme une ressource officielle pour des autoritĂ©s dĂ©cidĂ©es Ă  recourir Ă  cette prĂ©sence sur son territoire. EkĂ©di Kotto Maka se penche pour sa part sur l’identitĂ© en tant que ressource en relisant l’Ɠuvre de Joseph Ki-Zerbo. Arielle Desforges et Pascal ValliĂšres se sont penchĂ©s sur la dispute mondiale dont le contrĂŽle des terres agricoles fait l’objet. Enfin, Naina Rakoto s’intĂ©resse au saphir malgache tandis que Jean-Marc Sobboth s’est enquis des vicissitudes autour de l’exploitation des diamants au Cameroun. Dans des billets plus courts, Annie Pelletier fait le point sur la question miniĂšre au Guatemala.

1 Jean-Pierre Boris, Commerce inĂ©quitable, Le roman noir des matiĂšres premiĂšres, Paris, Hachette et Radio-France internationale, 2005.2 Dominique MĂ©da, Qu’est-ce que la richesse, Paris, Aubier, 1999, p. 27.3 Vijay Prashad, Les nations obscures, Une histoire populaire du tiers monde, MontrĂ©al, ÉcosociĂ©tĂ©, 2009, p. 163.4 Xavier Harel, Afrique Pillage Ă  huis clos, Comment une poignĂ©e d’initiĂ©s siphonne le pĂ©trole africain, Paris, Fayard, 2006, et François-Xavier Verschave, Noir Silence, Qui arrĂȘtera la Françafrique, Paris, les arĂšnes, 2000.5 Bernard Njonga, Le poulet de la discorde, YaoundĂ©, Éditions ClĂ©, 2008.

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RESOURCES & MINES

Flou artistique et mystification autour des diamants camerounais

Par Jean Marc Soboth

DĂ©couvert rĂ©cemment par le gĂ©ologue-dĂ©couvreur le plus cĂ©lĂšbre de CorĂ©e du Sud, le premier gisement de diamants a fait l’objet d’un

spectacle bureaucratique typique du systĂšme au pouvoir.

Introduction

Unique en son genre, l’une des plus hautes, des plus variĂ©es et des plus luxuriantes au monde, l’altiĂšre flore Ă©quatoriale du sud-est camerounais se classe au troisiĂšme rang des plus grands massifs forestiers de la planĂšte, aprĂšs celle d’Amazonie au BrĂ©sil et le massif du Congo-Kinshasa. Il s’agit d’un des rĂ©servoirs d’oxygĂšne essentiels Ă  l’humanitĂ©. Mais ceux qui l’exploitent semblent depuis des lustres n’en avoir cure.

Les rapports français de la campagne antiallemande de 1914-1916 la prĂ©sentent pourtant comme Ă©tant sans intĂ©rĂȘt, « d’autant moins accueillant pour l’EuropĂ©en qu’on descend vers le Sud Â»1
 Ce n’est en fait qu’une vue de l’esprit.

PillĂ©e sans relĂąche par des multinationales de coupe des essences depuis deux-tiers de siĂšcle, cette forĂȘt se trouve cette fois convoitĂ©e pour les immenses ressources miniĂšres dont elle regorge. Des chercheurs corĂ©ens y ont dĂ©couvert un gisement important de diamants en 2008, en plus de l’or, du fer, du nickel, du cobalt et de l’uranium dont on savait dĂ©jĂ  qu’elle Ă©tait riche.

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C’est en analysant le fonctionnement historique de l’appareil d’État camerounais qu’on en vient Ă  comprendre les raisons de l’exploitation contre-productive des ressources naturelles dans cette sous-rĂ©gion. Il convient donc d’examiner ici, successivement : 1) le contexte gĂ©opolitique, environnemental et historique du systĂšme camerounais; 2) le dĂ©bat diplomatique autour du gisement de diamant de Mobilong/Limokoali; 3) en particulier les premiers conflits dans la bureaucratie et in situ ; 4) un panorama des autres ressources miniĂšres objet de processus d’exploitation dans la rĂ©gion, ainsi que 5) des contenus textuels destinĂ©s thĂ©oriquement Ă  favoriser le dĂ©veloppement.

1. Enjeux environnementaux, géopolitiques et historiques du systÚme camerounais

Le rapport occidental Ă  la rĂ©gion est l’histoire d’un mĂ©pris.

Conduit par la mĂ©connaissance des lieux, et surtout par la nĂ©cessitĂ© de dĂ©nigrer systĂ©matiquement le bilan allemand au Cameroun Ă  la fin de la premiĂšre guerre mondiale, le colonel français Jean Charbonneau peint une image peu reluisante de cette forĂȘt; « le climat insalubre et chaud dans toutes les rĂ©gions du Cameroun, Ă©crit-il, devient de plus en plus dĂ©bilitant dans la zone forestiĂšre, et les populations qu’on y rencontre, trĂšs clairsemĂ©es, puisque leur densitĂ© ne dĂ©passe pas un habitant au km2, prĂ©sentent de tels caractĂšres de dĂ©gĂ©nĂ©rescence qu’on les considĂšre comme les plus arriĂ©rĂ©s du globe
 (sic). Â» 2

Cet hinterland, auquel l’Allemagne renonce en vertu du TraitĂ© de Versailles du 28 juin 1919, est partagĂ© le mois suivant entre la France et la Grande-Bretagne sous l’égide de la SociĂ©tĂ© des Nations (SDN). Mais la rĂ©gion vit, des suites de ce transfert, un dĂ©structurant aggiornamento. Lesdites populations « dĂ©gĂ©nĂ©rescentes Â», partie intĂ©grante du patrimoine foncier retransmis aux nouveaux maĂźtres des lieux, seront rĂ©duites au rĂŽle de muets et impuissants spectateurs d’une mĂ©ga-exploitation de leur environnement, qui dure maintenant depuis plus d’un demi-siĂšcle.

PrivĂ©s progressivement de l’essentiel de leur terre nourriciĂšre par la multiplication des UnitĂ©s ForestiĂšres d’AmĂ©nagement (UFA)3, les bantous, voisins des peuplades pygmĂ©es Baka (premiĂšres nations4 de la forĂȘt) sont maintenus dans la pauvretĂ© et l’indigence complĂštes. Convertis Ă  une modernitĂ© de prĂ©caritĂ© matĂ©rielle et de dĂ©nuement, sans revenu aucun,

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ces ruraux analphabĂštes Ă  mi-chemin entre deux cultures antinomiques sont restĂ©s sans infrastructures sociales, sanitaires ou pĂ©dagogiques crĂ©dibles. Ils sont rĂ©duits soit Ă  quĂ©mander des dĂ©chets d’usine destinĂ©s au feu, dĂ©sormais difficiles d’accĂšs par simple maraudage; soit Ă  tel lopin de broussaille dans l’espace ancestral pour une culture vivriĂšre de subsistance ou pour la chasse au gibier – rarĂ©fiĂ© par un braconnage innommable « importĂ© Â» par le pillage industriel des Ă©cosystĂšme. Ils doivent mendier de rares emplois de manƓuvres, d’ouvriers ou de tĂącherons payĂ©s Ă  moins de 25 000 francs Cfa/mois (50$ CAD), le Smic local, emplois qu’on leur refuse sans scrupule « parce qu’ils ne sont pas qualifiĂ©s Â».

Les indĂ©pendances politiques intervenues dans les annĂ©es 60 dans cette sous-rĂ©gion des ex-colonies françaises n’ont pas changĂ© grand-chose Ă  la donne. Elles ont gĂ©nĂ©rĂ© un nouveau type de contrĂŽle stratĂ©gique des ressources par la mĂ©tropole. L’ancienne puissance tutĂ©laire – qui, Ă  son tour, a rognĂ© de plus du tiers le territoire « utile Â» hĂ©ritĂ© de l’Allemagne pour arrondir la superficie de ses colonies voisines d’Afrique Équatoriale Française (AEF)5 - y perpĂ©tue sa mainmise. Elle veille scrupuleusement Ă  imposer sur l’échiquier des multinationales en situations monopolistiques ou de prĂ©emption sous le couvert d’un prĂ©sidentialisme aux ordres6. Cette France-lĂ  a concĂ©dĂ© accords de dĂ©fense, pactes secrets, amabilitĂ©s et protection internationale pour la pĂ©rennitĂ© des rĂ©gimes locaux.

La France y a surtout maintenu le levier de contrĂŽle suprĂȘme7 : la politique de l’émission de la monnaie. La devise officielle du giron, le franc des Colonies françaises d’Afrique (Cfa), crĂ©Ă© en 1945 par l’État français suite Ă  la ratification des accords de Bretton-Woods, y a Ă  juste titre acquis le patronyme de franc de la CommunautĂ© française d’Afrique en 1958. Puis, de l’indĂ©pendance Ă  nos jours, il est devenu le franc de la CommunautĂ© financiĂšre africaine, avec un mĂ©canisme d’émission qui n’a toutefois jamais changĂ©.

C’est dans ce paysage, historiquement marquĂ© par l’annihilation de toute volontĂ© citoyenne locale depuis les dĂ©portations massives obligatoires de populations pour les travaux forcĂ©s coloniaux et, prĂ©cĂ©demment, du fait de la traque-ponction esclavagiste multisĂ©culaire8, que des permis de piller la nature sont offerts Ă  tour de bras par le rĂ©gime en place. Ce systĂšme permet une dĂ©finition particuliĂšre de ce qu’est une ressource, au profit d’exploitants Ă©trangers et au dĂ©triment des populations locales.

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SECTION I : RESSOURCES & MINES16

La ressource (naturelle) est ici l’élĂ©ment central d’un systĂšme dans lequel les populations font tout au plus partie de l’achalandage. L’État n’a toujours pas intĂ©grĂ© l’idĂ©e postcoloniale de populations pouvant ĂȘtre bĂ©nĂ©ficiaires automatiques de l’exploitation. Pendant des dĂ©cennies, l’élite politique locale a menĂ© le combat de la reconnaissance des riverains comme ayants-droit directs. Cette idĂ©e a, tout juste, fini par transparaĂźtre dans les discours politiques, d’autant que l’idĂ©e des Ă©cosystĂšmes comme propriĂ©tĂ© exclusive de l’État gouverne depuis toujours la philosophie du pillage de la forĂȘt.

La plupart du temps, les transactions administratives sur la forĂȘt se font Ă  l’insu des riverains, et Ă  l’exclusion de toute contrepartie en termes de dĂ©veloppement local, le tout se rĂ©duisant Ă  des libĂ©ralitĂ©s politiciennes. La technique est celle de petits compromis au sommet dans une gĂ©ostratĂ©gie de la conservation du pouvoir de l’État par la satrapie9 rĂ©gnant depuis l’indĂ©pendance, question d’assouvir son allergie aux incertitudes du suffrage universel, et ce, avec l’appui inconditionnel de l’ancienne puissance coloniale.

C’est donc dans ce type de contexte que l’on dĂ©couvre en 2008 la gracieuse cristalline et autres joyaux miniers du sud-est camerounais - s’ajoutant en matiĂšre d’envergure au gisement septentrional de bauxite de Minim-Martap, d’une capacitĂ© de 1,2 milliards de tonnes, jamais exploitĂ© depuis l’indĂ©pendance par la seule volontĂ© d’un groupe français producteur d’aluminium qui tenait Ă  Ă©viter toute concurrence avec sa filiale de GuinĂ©e Conakry.

2. Les diamants de Mobilong/Limokoali : la découverte10, la diplomatie et les premiers conflits in situ

L’annonce par le quotidien corĂ©en Korea Times11 en fĂ©vrier 2008 de la dĂ©couverte du gisement de diamants d’un potentiel de 736 millions de carats dans la Boumba-et-Ngoko eĂ»t pu ĂȘtre une belle nouvelle. Pour les observateurs, elle a confĂ©rĂ© une dimension internationale au potentiel minier national dont la contribution au Produit IntĂ©rieur Brut (PIB) demeure nĂ©gligeable – 6,5 %.

MalgrĂ© la conjoncture alors jugĂ©e dĂ©favorable12, cette dĂ©couverte, qu’essayait de dissimuler le rĂ©gime (apeurĂ© par l’idĂ©e que «  le diamant apporte la guerre ! Â») a accru de maniĂšre substantielle l’intĂ©rĂȘt d’exploitants mondiaux du minerai, en l’occurrence la CorĂ©e du Sud. En octobre

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2009, SĂ©oul a signĂ© l’augmentation de sa mise Ă  la Banque Africaine de DĂ©veloppement (BAD) Ă  hauteur de 306,1 millions de dollars US. Et il y a eu une offensive diplomatique : un ballet Ă  YaoundĂ© et la rĂ©ouverture annoncĂ©e de l’ambassade de CorĂ©e du Sud au Cameroun, fermĂ©e il y a quelques annĂ©es faute d’intĂ©rĂȘt13.

En annonçant officiellement la dĂ©couverte aux Camerounais au cours d’un gala organisĂ© Ă  SĂ©oul en mars 2008 par le prĂ©sident de la firme C&K Mining Inc., M. Oh Duk-kyun, les CorĂ©ens ont tenu Ă  indiquer qu’elle fut l’Ɠuvre du cĂ©lĂšbre gĂ©ologue Kim Won-sa, professeur Ă  l’universitĂ© de Chungnam, qui honorait Ă©galement les convives de sa prĂ©sence. Chercheur de renom en CorĂ©e oĂč il a Ă©tĂ© engagĂ© par la firme corĂ©enne Ă  cet effet, le Pr. Kim Won-sa, 57 ans, n’est pas n’importe qui. Il est citĂ© dans les universitĂ©s occidentales parmi les dĂ©couvreurs les plus compĂ©tents du siĂšcle.

Le chercheur a une notoriĂ©tĂ© Ă©tablie dans son pays. À la tĂȘte d’une Ă©quipe d’éminents gĂ©ologues de l’universitĂ© nationale de Chungnam, le Pr. Kim Won-sa avait dĂ©couvert en 1997 «  le plus grand gisement de titane du monde Â»14 (50 millions de tonnes) dans les comtĂ©s de Hadong et Sanchung dans la province du South-Gyeongsang, dans le sud-est corĂ©en, au bord de la mer du Japon.

Cependant, en ce qui concerne le Cameroun, le quotidien Korea Times se montre dĂ©jĂ  prudent. Le processus d’exploitation n’avance pas comme souhaitĂ©. En sus des complications bureaucratiques Ă  YaoundĂ©, le Pr. Kim n’arrive toujours pas Ă  rencontrer le chef de l’État camerounais, M. Paul Biya, pour « un entretien sur les capacitĂ©s miniĂšres du pays Â». « L’homme-lion Â» reçoit fort peu, quelle que soit la nature du sujet. Il y a plus  : il est soupçonnĂ© de brainstorming avec quelque parrain sur le contrĂŽle du gisement15.

En tout Ă©tat de cause, la C&K Mining Inc. a attendu jusqu’au 16 dĂ©cembre 2010 que le chef de l’Etat camerounais signe enfin un permis d’exploitation pour dĂ©marrer officiellement les exportations de diamants vers la CorĂ©e16. D’aprĂšs le Code minier, « le permis d’exploitation est accordĂ© par dĂ©cret du prĂ©sident de la RĂ©publique » (Article 45). D’aprĂšs l’AFP, une concession miniĂšre d’une durĂ©e de 25 ans renouvelables a Ă©tĂ© concĂ©dĂ©e aux CorĂ©ens selon un partenariat 65/35. DĂšs 2035, la concession fera l’objet d’une prolongation par 10 ans, tandis que la production atteindra trĂšs vite les 6 millions de carats annuellement.

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Des spĂ©cialistes, optimistes, affirment dĂ©jĂ  que si le potentiel diamantifĂšre de la Boumba-et-Ngoko est mis en exploitation, le Cameroun se verra propulsĂ©, avec ses 2 millions de carats annuels prĂ©vus, dans le happy-few des grands producteurs mondiaux parmi lesquels on compte  : la Russie (38 millions de carats), le Botswana (31,  890), l’Australie (30,  678), la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (27,  000), l’Afrique du Sud ( 15, 775), le Canada (12, 300), l’Angola (10, 000), la Namibie (1,902), la Chine (1,190), le Ghana (1,065).

Mais le systĂšme mafieux et vĂ©nal au pouvoir permettra-t-il seulement que tout se dĂ©roule selon l’orthodoxie ? Qui Ă©valuera vraiment les ravages environnementaux, culturels ou simplement humains  de l’exploitation en la matiĂšre ? Le rĂ©gime au pouvoir, honni17, est-il est Ă  la hauteur des attentes ? Rien n’est moins sĂ»r.

L’intellectuel camerounais Achille Mbembe rĂ©sume ainsi, telle une galĂ©jade, les « Ă©tats de service Â» de ce systĂšme. « Il y aura bientĂŽt trente ans, Ă©crit-il, une Ă©lite libidineuse s’est incrustĂ©e Ă  la tĂȘte de l’État. En collusion avec la plupart des forces locales, elle a transformĂ© le pays en l’une des satrapies les plus vĂ©nales de tout le continent. AprĂšs avoir procĂ©dĂ© Ă  une destruction systĂ©matique de l’infrastructure morale et Ă©thique de notre sociĂ©tĂ©, elle a Ă©rigĂ© le vol, la perversitĂ© et la transgression en nouvelles normes et coutumes partagĂ©es aussi bien par les dirigeants que par leurs sujets. (
). Au point oĂč aujourd’hui, la sĂ©nilitĂ© aidant, l’ensauvagement s’est transformĂ© en culture, en conscience collective et en mode de vie Â»18.

La pratique procĂšde malheureusement de ce scĂ©nario-catastrophe. Dans les bureaux Ă  YaoundĂ©, nul n’est prĂȘt Ă  parler clairement du gisement de diamants. On mystifie malignement. On ment. On feint de banaliser l’affaire. On fait diversion ! Les riverains demeurent sans rĂ©elle information ou explication sur ce qui se passe. On leur a parlĂ© vaguement du diamant, d’éventuelles retombĂ©es burlesques, comme des points d’adduction d’eau dans les villages, d’un danger environnemental bĂ©nin. Ils ne savent donc pas s’il faut dĂ©jĂ  se remettre Ă  rĂȘver de sortie de la pauvretĂ© de cette rĂ©gion, la plus indigente! En mĂȘme temps, ils ne se font pas d’illusion. IllettrĂ©s pour la plupart, les bantous de la forĂȘt Ă©quatoriale n’ont jamais su s’ils avaient quelque droit ou emprise sur les Ă©vĂ©nements qui transforment leur environnement, en dehors d’emplois particuliĂšrement prĂ©caires auxquels ils pourraient avoir accĂšs - les meilleures positions Ă©tant destinĂ©es « aux Ă©trangers  », nationaux diplĂŽmĂ©s et plus Ă©clairĂ©s en provenance d’autres

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rĂ©gions du pays oĂč se dĂ©roulent les recrutements.

La loi portant Code minier19 prĂ©tend certes «  encourager la recherche et l’exploitation des ressources minĂ©rales nĂ©cessaires au dĂ©veloppement Ă©conomique et social du pays ainsi que la lutte contre la pauvretĂ© Â», mais des Ă©noncĂ©s similaires existent dans la plupart des textes. Cette rĂ©gion n’en est pas moins demeurĂ©e la maudite, avec ses milliers de kilomĂštres de pistes de boue au milieu du dĂ©solant spectacle du pillage tous azimuts.

Selon l’administration des forĂȘts et les organismes spĂ©cialisĂ©s qui affichent une liste des espĂšces menacĂ©es que nul ne consulte, de nombreuses espĂšces de faune et de flore disparaissent progressivement. C’est le cas entre autres du Moabi, vĂ©ritable symbole de cette rĂ©gion productrice d’huile de karitĂ© Ă  l’état sauvage. Ces Ă©lĂ©ments identitaires cruciaux sont dĂ©cimĂ©s. L’afflux des braconniers qui s’engouffrent dans les pistes creusĂ©es par les engins lourds a Ă©galement induit l’extermination programmĂ©e de la faune en voie de disparition. Les animaux sauvages cherchent en vain un habitat dans leur forĂȘt assiĂ©gĂ©e par la hargne des tronçonneuses et des canons.

Cette occurrence a poussĂ© les peuplades pygmĂ©es Baka, avec leurs moyens de chasse rudimentaires comparĂ©s Ă  l’arsenal impressionnant des braconniers, Ă  abandonner massivement la forĂȘt pour s’essayer Ă  une vie sĂ©dentaire « moderne Â» - mais ĂŽ combien misĂ©rable! - dans le voisinage des villages bantous. Ils y mĂšnent une petite vie pitoyable de tĂącherons ivrognes payĂ©s trĂšs souvent de quelques joints de cannabis.

3. Flou artistique, mafias et mĂ©sententes rendant plus Ă©pais le mystĂšre des perspectives d’exploitation

Un flou indescriptible rĂšgne donc dans la conduite du processus final de recherche du fait de fonctionnaires corrompus20, profondĂ©ment divisĂ©s sur des questions s’apparentant Ă  des stratĂ©gies d’appels du pied Ă  prĂ©bendes21.  Cela se passe entre intermĂ©diaires institutionnels du business minier – au Cameroun, l’infrastructure Ă©thique et le sens de la res publica se sont considĂ©rablement dĂ©litĂ©s dans l’administration22.

Aussi les missions de dĂ©tonnage des conglomĂ©rats commencĂ©es en aoĂ»t 2009 sur le site diamantifĂšre par la firme C&K Mining Inc. â€“ coordonnĂ©es sur le terrain par le gĂ©ophysicien Emmanuel Kouokam (BEIG3) â€“ sont autant de spectacles conflictuels  : opposition entre les CorĂ©ens et les

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fonctionnaires Ă©cartĂ©s du business d’une part, entre les riverains/l’élite politique locale et la sociĂ©tĂ© exploitante d’autre part, sans parler enfin des bisbilles entre les ex-associĂ©s corĂ©ens.

Ainsi se dessine le front des conflits :

‱ DiffĂ©rends entre gĂ©ologues. Les opĂ©rations de brouillage des roches (explosion des roches Ă  l’aide de la dynamite) ont rĂ©vĂ©lĂ© de nombreuses oppositions de vues entre gĂ©ologues camerounais « de mauvaise foi Â» (sic) et corĂ©ens sur la nature des conglomĂ©rats. Sous l’influence d’un groupuscule de technocrates du dĂ©partement des Mines - Ă  l’instar du sous-directeur des ressources miniĂšres, M. Guillaume Mananga -, des fonctionnaires, peu au fait des nouvelles technologies du reste, rĂ©cusent avec vĂ©hĂ©mence les donnĂ©es techniques, notamment la dimension du gisement telle que dĂ©clarĂ©e par les CorĂ©ens20 Les fonctionnaires rĂ©futent par ailleurs l’idĂ©e selon laquelle la dĂ©couverte est exclusivement corĂ©enne.

Pour un autre camp, il s’agirait simplement de nuire au chef de dĂ©partement en fonction, Badel Ndanga Ndinga, un politique mĂ©diocre dĂ©jĂ  accusĂ© de se sucrer dans cette affaire sans partage. « Il ne sait mĂȘme pas grand-chose de cette affaire ! Â», dĂ©clare un de ses proches. D’autres enfin estiment que la bouderie de la bureaucratie est nĂ©e du fait que les CorĂ©ens n’offrent pas de vĂ©ritable transparence sur leur activitĂ©23.

En rĂ©alitĂ©, « la vraie dĂ©couverte corĂ©enne est celle des roches-mĂšres Â» : il s’agirait de la gĂ©nitrice de ces kimberlites diamantifĂšres qui, altĂ©rĂ©es et dĂ©membrĂ©es par l’érosion mĂ©tĂ©orique, ont Ă©tĂ© transportĂ©es par les riviĂšres et ruisseaux de la rĂ©gion pour former quelques dĂ©pĂŽts alluvionnaires24, au point de susciter une razzia des ressortissants voisins centrafricains dĂšs les annĂ©es 1980, d’aprĂšs le rapport de C&K Mining.

‱ Des populations locales marginalisĂ©es. Dans les tribus riveraines du gisement (Mbimou, Mvomvong, Kounabembe, etc.), Ă  un millier de kilomĂštres de piste de la bureaucratie24, les rĂ©centes explosions de dynamite dans la forĂȘt ont provoquĂ© un tel Ă©moi que la citĂ© mĂ©tropolitaine Yokadouma a failli essuyer un soulĂšvement populaire. Les riverains qui ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  quelques palabres sommaires dans le cadre de l’impact environnemental avaient cru, du fait des dĂ©tonations, que l’exploitation du diamant avait dĂ©marrĂ© sans qu’ils n’en soient avisĂ©s. Comme d’habitude.Le site a immĂ©diatement fait l’objet, fin aoĂ»t 2009, de mesures de

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sĂ©curisation spĂ©ciales instaurĂ©es par le Premier ministre. Des zĂ©lateurs sont allĂ©s promettre des reprĂ©sailles aux villageois, leur rappelant que la C&K (dont les employĂ©s corĂ©ens du site ne s’expriment ni en français, ni en anglais, langues officielles au Cameroun) procĂ©dait encore Ă  des opĂ©rations de recherche. Et surtout qu’elle bĂ©nĂ©ficiait de la protection des forces de l’ordre, Ă©tant donnĂ© que « la forĂȘt appartient Ă  l’État et non aux riverains Â»25.

‱ Un parlement maintenu dans l’ignorance. Pour percer le mystĂšre - dĂ©cidĂ©ment opaque ! - du diamant que l’on se trouve Ă  cacher mĂȘme au Parlement, des Ă©lus, conduits par le dĂ©putĂ© Gervais Bangaoui26, courageux riverain Mbimou, ont Ă©tĂ© mis en mission sur le site (dĂ©but juillet 2009) par le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, Cavaye YĂ©guiĂ© Djibril. D’aprĂšs l’élu de la Boumba-et-Ngoko (que nous avons rencontrĂ© Ă  YaoundĂ©), « le but de la mission fut de faire la lumiĂšre sur l’état de l’exploration/recherche corĂ©enne, cela Ă©tant donnĂ© nombre d’activitĂ©s jugĂ©es suspectes ».

Avec la complicitĂ© de fonctionnaires, des exportations illĂ©gales de minerais, recueillis sous le sceau du secret de la recherche, auraient Ă©tĂ© signalĂ©es – ce serait lĂ  l’un des principaux moyens d’enrichissement desdits fonctionnaires. La mission parlementaire s’est butĂ©e Ă  une hostilitĂ© rare de la C&K qui, Ă©voquant Ă  nouveau le fameux secret de la recherche, a refusĂ© l’accĂšs au site. Les CorĂ©ens ont dĂ» cĂ©der face Ă  la dĂ©termination des parlementaires, qui ont bravĂ© la rĂ©ticence du ministre des Mines appelĂ© Ă  la rescousse par tĂ©lĂ©phone.

Le prĂ©texte pour mener ces activitĂ©s secrĂštes est en bĂ©ton. D’aprĂšs le Code minier (article 42), le titulaire d’un permis de recherche est tenu d’adresser des rapports uniquement au ministre. De mĂȘme (alinĂ©a 1), « Pendant la durĂ©e de validitĂ© du permis de recherche ou, le cas Ă©chĂ©ant, du permis d’exploitation en rĂ©sultant, tout rapport (
) ne peut ĂȘtre mis Ă  la disposition d’une personne Ă©trangĂšre Ă  l’Administration chargĂ©e des Mines Â». Et « son contenu ne peut ĂȘtre divulguĂ©, sauf dans la mesure oĂč les Ă©lĂ©ments sont nĂ©cessaires Ă  la publication des informations statistiques sur la gĂ©ologie et les ressources minĂ©rales de la nation Â». Or justement, on a rarement vu des donnĂ©es statistiques domestiques de ce pays, en dehors de celles des organismes internationaux.

‱ Des exploitants corĂ©ens eux-mĂȘmes divisĂ©s. La C&K Mining Inc., joint-venture crĂ©Ă©e en mars 2006 â€“ et ayant fait l’objet d’un permis par dĂ©cret du

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26 avril 2006 â€“ a engendrĂ© sa propre dissidence, rĂ©sultant manifestement d’une mise Ă  l’écart de la juteuse dĂ©couverte. La Kocam Mining (Korea & Cameroon Mining) est nĂ©e, avec de nouvelles structures, en employant une partie de l’ancien personnel corĂ©en de C&K Mining (Cameroon and Korea). La formation mutine poursuit la recherche, extrait et exporte l’or de Colomines dans la Kadey, la circonscription voisine de la Boumba-et-Ngoko diamantifĂšre.

Pour l’instant, toute l’information sur l’activitĂ© diamantifĂšre et aurifĂšre, artisanale ou industrielle, est dĂ©tenue en exclusivitĂ© par un certain Ntep Gweth, ingĂ©nieur et coordonnateur du Capam (Cadre d’appui Ă  la promotion de l’activitĂ© miniĂšre), principal interlocuteur des CorĂ©ens avec lesquels il a signĂ© un accord en 2006. Selon des informations crĂ©dibles, ce Cadre, qui n’emploie qu’un entourage tribal et dont la proximitĂ© avec le dĂ©partement des Mines n’offre pas plus de clartĂ©, est plutĂŽt soupçonnĂ© de complicitĂ© dans le business corĂ©en lui-mĂȘme conclu dans un partenariat dĂ©sĂ©quilibrĂ© – 80/20 (au dĂ©triment des Camerounais).

Cette rĂ©gion riche (pour combien de temps encore?) compte Ă©galement en son sein une vaste rĂ©gion aurifĂšre n’ayant jamais fait l’objet de recherches sĂ©rieuses. Elle compte d’autres exploitations miniĂšres qui, les unes et les autres, fonctionnent depuis des annĂ©es selon un schĂ©ma nĂ©buleux de non-activitĂ© officielle.

4. ConsĂ©quences environnementales : les suspects atermoiements de l’exploitation des minerais de fer et de nickel-cobalt


Un gisement de nickel-cobalt Ă  Nkamouna dans le Haut-Nyong, Ă  une centaine de kilomĂštres Ă  vol d’oiseau du site diamantifĂšre de Mobilong, a dĂ©jĂ  fait l’objet de permis d’exploitation. Personne ne savait jusqu’à lors quand l’exploitation effective allait dĂ©marrer. L’affaire est rapidement devenue un feuilleton Ă  rebondissements avec des soulĂšvements sporadiques des riverains contre l’exploitante, la firme amĂ©ricaine Geovic. Pour ceux-ci, l’exploitation passe dĂ©jĂ  par des sacrifices. À cĂŽtĂ© du nĂ©potisme dans les recrutements du personnel, le projet inquiĂšte par la teneur en uranium du sous-sol Ă  proximitĂ© des habitations.

La mine d’une superficie de plusieurs hectares est situĂ©e dans une zone

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abritant vĂ©gĂ©tation et faune. Un projet de rĂ©gĂ©nĂ©ration a Ă©tĂ© promis aprĂšs l’extraction, le procĂ©dĂ© subsĂ©quent usant de l’acide. « Rien ne semble prĂ©vu dans la pratique Â», d’aprĂšs l’élite qui suit le dossier. L’extraction impose par ailleurs l’utilisation de mĂ©thodes Ă  ciel ouvert. L’exploitation de chaque puits, de 400m de long et 150m de large, durera 180 jours. Environ 30 hectares de forĂȘt seront perturbĂ©s chaque annĂ©e pour une production de 7 000 tonnes sĂšches de minerai par jour alors qu’en contrepartie la rĂ©gion n’en obtiendra aucun avantage probant.

Pour dĂ©montrer le peu d’intĂ©rĂȘt du sujet, de hauts responsables du MinistĂšre interrogĂ©s Ă  cet effet prĂ©fĂšrent Ă©voquer la mauvaise conjoncture des minerais sur le marchĂ© international. Les rĂ©serves prouvĂ©es de cobalt permettraient pourtant d’assurer le fonctionnement des industries pendant 172 ans. La firme amĂ©ricaine Geovic dĂ©tient un permis sur un potentiel de 52,7 millions de tonnes de cobalt, nickel et manganĂšse, exploitables pendant 25 ans sur un massif minĂ©ralisĂ© de 300 km2. L’entrĂ©e en exploitation de la mine Ă©tait initialement envisagĂ©e Ă  l’échĂ©ance 2009.

Et dĂ©jĂ , alors que la firme prend pour prĂ©texte la crise financiĂšre – intervenue longtemps aprĂšs - pour retarder le lancement officiel de ses activitĂ©s, les riverains l’accusent d’exporter illĂ©galement des cargaisons de minerais pendant les atermoiements... avec la complicitĂ© du ministĂšre. La firme avait annoncĂ© son installation dĂ©finitive en janvier 2010 « sous rĂ©serve de l’amĂ©lioration de sa situation financiĂšre Â». La sociĂ©tĂ© s’enorgueillit toutefois « d’importantes rĂ©alisations sociales Â»: don d’une petite ambulance et de mĂ©dicaments dans le village ; pĂ©piniĂšre de banane-plantain et minuscule Ă©levage d’aulacaudes; construction de deux salles de classes rudimentaires et prise en charge d’un instituteur Ă  l’école d’un village.

Le gisement de fer de Mbalam, plus rĂ©cent dans la forĂȘt, n’échappe pas Ă  cette typologie de l’opacitĂ©. La firme australienne Sundance Resources Limited, Ă  travers sa filiale Cameroon Iron S.A. (voisine de Geovic), a pu dĂ©terminer la quantitĂ© et la teneur du gisement de fer suite Ă  un accord signĂ© en 2006 avec le gouvernement. Le potentiel prouvĂ© en juin 2010 est de 175 millions de tonnes de minerais riches (environ 70% de fer) et 2,2 milliards de tonnes de minerais moyens (40% de fer).

La firme, qui a aussi excipĂ© de la crise financiĂšre pour geler ses activitĂ©s, avait promis 600 millions de francs Cfa (plus d’un million de dollars CAD) en vue de la construction d’un tronçon en terre de 73 km menant au site

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d’exploitation, avec une dizaine de pontons. Cette route Ă©tait censĂ©e entrer en activitĂ© au cours de l’annĂ©e 2007 pour permettre Ă  la firme australienne de transporter sur le terrain des Ă©quipements de forage. Pour l’instant, les travaux subsĂ©quents n’ont pas dĂ©butĂ©.

Conclusion

Bien que brouillĂ©s par une mafia de fonctionnaires autour de stratĂ©gies de prĂ©bendiers, mais aussi par «  l’ensauvagement Â» administratif, le flou artistique gĂ©nĂ©ral et le mĂ©pris de l’environnement local, les diamants camerounais pourraient constituer, Ă  eux seuls, l’élĂ©ment indispensable Ă  l’essor de l’industrie miniĂšre. Mais on sait dĂ©jĂ  qu’il est impossible de tirer une rationalitĂ© Ă©conomique du redoutable embrouillamini bureaucratique et politique qui accompagne le processus d’exploitation, du moins en l’état actuel du systĂšme.

Il en est d’ailleurs de mĂȘme de la transparence dans la gestion des revenus d’une exploitation effective desdites ressources.

C’est sans doute ici le lieu d’évoquer l’espoir passĂ© quasi-inaperçu de la rĂ©forme de Wall Street, dite « Dodd-Frank Â», adoptĂ©e le 15 juillet 2010 par le SĂ©nat amĂ©ricain. Pour la premiĂšre fois, les entreprises du secteur extractif cotĂ©es Ă  Wall Street sont appelĂ©es Ă  dĂ©clarer les versements qu’elles effectuent au gouvernement de chaque pays dans lequel elles opĂšrent. DorĂ©navant, les riverains organisĂ©s pourront peut-ĂȘtre demander des comptes au gouvernement quant Ă  l’utilisation des revenus issus des mines.

Il faudrait pouvoir rĂ©aliser l’extension d’une telle mesure qui est une victoire importante de la campagne internationale « Publiez ce que vous payez Â», soutenue Ă  travers le monde par plus de 600 associations qui plaident depuis 2002 en faveur de la transparence dans le domaine extractif. Les citoyens disposeraient d’un outil essentiel pour contrĂŽler le niveau des recettes publiques et veiller Ă  leur affectation en faveur du dĂ©veloppement Ă©conomique, agricole et des services essentiels, Ă©tant donnĂ© que 80% des grosses entreprises opĂ©rant dans le secteur minier sont cotĂ©es Ă  la bourse amĂ©ricaine27.

On n’en est pas lĂ  au Cameroun, pour l’instant. On en est encore aux tours de passe-passe. Et ce n’est pas une mince affaire !«  Tous, on le sait, renchĂ©rit Achille MbembĂ©. Et tous, nous sommes

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impuissants Ă  y remĂ©dier. Le Cameroun de 2010 ressemble aux Ă©curies d’Augias - en attente d’un nettoyage radical et d’une rupture nette et sans concession. Car, tant que ce rĂ©gime de la licence absolue et de la dĂ©bauche permanente dĂ©terminera notre destin, il n’y aura rien Ă  attendre de l’avenir Â»28.

Jean Marc Soboth est journaliste, ancien membre du Comité Exécutif de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), ancien membre du Comité Directeur de la Fédération des Journalistes Africains (FAJ), Président-Fondateur du Syndicat National des Journalistes du Cameroun (SNJC).

Notes1 Colonel Jean Charbonneau, On se bat sous l’Équateur... La ConquĂȘte des Colonies allemandes d’Afrique et les ProblĂšmes qu’elle pose, Lavauzelle et Paris, 1933, p. 16.2 Ibid.3 L’UFA est le parchemin administratif qui confĂšre une certaine propriĂ©tĂ© de la forĂȘt aux pilleurs mais qui, contrairement Ă  l’apparence n’induit aucun amĂ©nagement subsĂ©quent de l’espace.4 Les Baka sont les PremiĂšres Nations, c’est-Ă -dire premiers habitants de la forĂȘt africaine, PremiĂšres Nations d’aprĂšs une nomenclature terminologique empruntĂ©e Ă  l’AmĂ©rique du Nord.5 F. Etoga Eily, Sur les chemins du dĂ©veloppement : essai d’histoire des faits Ă©conomiques du Cameroun, Cepmae YaoundĂ©, 1971, p. 326.6 Officiellement indĂ©pendante de sa tutelle française depuis le 1er janvier 1960, la « RĂ©publique du Cameroun » s’est rĂ©unifiĂ©e Ă  la partie sud du territoire sous administration britannique (Southern Cameroons) en septembre 1961 suite Ă  un rĂ©fĂ©rendum organisĂ© le 11 fĂ©vrier 1961 par l’Organisation des Nations Unies (Onu). Le pays est dirigĂ© depuis le 06 novembre 1982 par M. Paul Biya, deuxiĂšme prĂ©sident depuis l’indĂ©pendance; il est « poulain Â» de la France et ancien Premier ministre de son prĂ©dĂ©cesseur Ahmadou Ahidjo.‱ SituĂ© au centre de l’Afrique dans le golfe de GuinĂ©e, juste en dessous de l’équateur, le Cameroun dont il s’agit ici du systĂšme a pour capitale politique YaoundĂ©, ville fondĂ©e Ă  l’origine par l’administration allemande pour la douceur de son climat. C’est un Etat de dix provinces dĂ©concentrĂ©es, dotĂ© d’une population de 19,4 millions d’habitants, Ă©tablis sur une superficie de 475 442 km2 – contre 750 000 et plus sous le protectorat allemand. Soumis Ă  un rĂ©gime prĂ©sidentialiste de type africain, l’ancien protectorat de Berlin a adoptĂ© comme langues officielles l’anglais et le français, qui coiffent plus de 200 ethnies indigĂšnes...7 Audrey Nang Obame et Julien Nkolo Reteno, Le franc Cfa, entre arnaque

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et imposture !, Attac Gabon, mai, 2010. Une excellente dĂ©monstration qu’ « Aujourd’hui, le maintien du franc Cfa est une servitude acceptĂ©e Â» par les leaders des ex colonies françaises.8 La cĂŽte camerounaise a subi les affres de la traite nĂ©griĂšre transatlantique ; F. Etoga Eily en restitue une idĂ©e dans son ouvrage citĂ© supra.9 Le terme est d’Achille MbembĂ© (in Africultures, newsletter de l’Unesco, 29.06.2919). M. Mbembe est un universitaire camerounais respectĂ©, qui a notamment enseignĂ© Ă  l’universitĂ© Columbia de New-York et qui est actuellement membre de l’équipe du Wits Institute for Social & Economic Research (WISER) de l’UniversitĂ© du Witerwatersand de Johannesburg en Afrique du Sud.10 Shim Jae-yun, « Geologist discovers diamond deposits Â», Korea Times, 18 mars 2008.11 Edition citee supra – 18 mars 2008.12 Andrew E. Kramer, «  Russia Stockpiles Diamond, awaiting the Return of Demand Â», New-York Times, May 11, 2009/Reuters, 25 juin 2009.13 Les activitĂ©s consulaires ont alors Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©es Ă  Abuja au Nigeria.14 D’aprĂšs l’agence chinoise Xinhua News Agency dans une dĂ©pĂȘche datĂ©e du 26 novembre 1996.15 La dĂ©pendance du rĂ©gime est Ă  un point tel que pour choisir un sĂ©lectionneur national pour l’équipe nationale de football du Cameroun engagĂ©e Ă  la coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, M. Paul Biya s’en est rĂ©fĂ©rĂ© au chef du gouvernement français François Fillon d’aprĂšs L’Internationalmagazine.com du 7 septembre 2009.16 Agence France Presse. Le Ministre des Affaire Ă©trangĂšres de CorĂ©e du Sud a annoncĂ©, le vendredi 17, la signature, la veille, par le gouvernement camerounais d’un permis d’exploitation des mines de diamants de Yokadouma.17 “In many respects, Cameroon is a classic fragile state. On all measures, its institutions are weak
” in Cameroon: Fragile State? International Crisis Group (ICG), Africa Report num 160 – 25 Mai 2010.18 Achille Mbembe, analysant la dĂ©bĂącle de l’équipe nationale du Cameroun Ă  la FIFA World Cup 2010 sud-africaine, in Le Messager quotidien du 22 juin 2010.19 La philosophie de la Loi numĂ©ro 001-2001 du 16 Avril 2001 portant code minier a consistĂ©, sous la fĂ©rule des instituons de Bretton-Woods, Ă  mettre sur pied une politique visant Ă  attirer des investissements pour la recherche/exploration dans le domaine minier national; dans la pratique, le code ne favorise que des bradages et n’a pas attirĂ© de fonds du fait d’un marketing mĂ©diocre.20 En 1997 et 1998, le Cameroun est arrivĂ© en tĂȘte des pays les plus corrompus du Monde de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de l’ONG Transparency International.21 Sources  : entretiens. D’aprĂšs des cadres des Mines, la stratĂ©gie d’appel Ă 

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prĂ©bendes consiste pour les fonctionnaires chargĂ©s de certains dossiers dĂ©licats Ă  compliquer le traitement administratif desdits dossiers, provoquant notamment des retards incomprĂ©hensibles pour faire comprendre aux interlocuteurs qu’il faille « mettre la main dans la poche Â».22 Achille Mbembe, analysant la dĂ©bĂącle de l’équipe nationale du Cameroun Ă  la FIFA World Cup 2010 sud-africaine, in Le Messager quotidien du 22 juin 2010.23 Source: entretiens.24 Depuis la dĂ©couverte du gisement camerounais, seule une minoritĂ© de personnes proches du Ministre des Mines, gravitant trĂšs souvent en marge de la hiĂ©rarchie interne visĂ©e du DĂ©partement des Mines, a accĂšs aux documents sur le gisement. Telle est en fait la stratĂ©gie qui permet au Ministre de rĂ©duire les moyens de contempteurs dĂ©clarĂ©s..25 In « Yokadouma Diamond Project in Cameroon Â», C&K Mining Inc., 2008, Document de base explicatif du projet adressĂ© par l’exploitant au Gouvernement camerounais.26 OĂč nous nous sommes rendus par le moyen de transport le plus couru du coin : le porte-bagage de motos chinoises.27 C’est une vieille rengaine des autoritĂ©s administratives lorsqu’elles sont souvent appelĂ©es Ă  trancher les rares diffĂ©rends fonciers qui naissent entre les exploitants et les populations. Elle ponctue souvent un discours complexe et inintelligible sur les lois et rĂšglements rĂ©gissant la gestion de la forĂȘt, discours n’ayant qu’une perspective mystificatrice.28 Entretien avec le dĂ©putĂ© Gervais Bangaoui Batandjomo et avec l’élite Mbimou.29 Le CCFD-Terre Solidaire, le Secours catholique, Oxfam France et la plateforme française « Publiez ce que vous payez Â» ont saluĂ© le 19 juillet 2010 « une Ă©tape dĂ©cisive vers la transparence du secteur extractif et une victoire de la sociĂ©tĂ© civile amĂ©ricaine Â». La loi amĂ©ricaine a par cet acte repris l’esprit du projet de loi « Energy Security through Transparency Act  » (S. 1700) dĂ©posĂ© par un groupe bipartisan de sĂ©nateurs dirigĂ©s par le DĂ©mocrate Benjamin Cardin et le RĂ©publicain Richard Lugar au dĂ©but de l’annĂ©e. Le sĂ©nateur dĂ©mocrate Patrick Leahy a proposĂ© un amendement Ă  la loi de rĂ©forme de Wall Street, qui a donc reçu un soutien dĂ©cisif, notamment, des dĂ©mocrates Christopher Dodd et Barney Frank qui menaient les nĂ©gociations. 30 Ibid, 17.

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RESOURCES & MINES

Investissements agricoles Ă©trangers et enjeux fonciers en Afrique Subsaharienne

Par Pascal ValliĂšres

Depuis 2008, l’annonce d’acquisitions de vastes terres agricoles africaines par des capitaux Ă©trangers a retenu l’attention de

nombreux mĂ©dias internationaux (Le Monde, 2009; La Presse, 2009; Business Week, 2009; The Financial Times, 2009; Jeune Afrique, 2010). Connu sous l’expression anglaise « land grab », ce phĂ©nomĂšne est venu rĂ©veiller le spectre d’une recolonisation de l’Afrique, rappelant la premiĂšre ruĂ©e qu’avait connue le continent au XIXe siĂšcle.

Toutefois, les ex-puissances coloniales europĂ©ennes se voient maintenant concurrencĂ©es par les pays Ă©mergents tels que la Chine, la CorĂ©e du Sud et l’Inde, de mĂȘme que par les monarchies pĂ©troliĂšres du Golfe Persique, dĂ©montrant une fois de plus l’attrait que suscitent les ressources naturelles du continent africain. On observe un nouvel Ă©lĂ©ment Ă  ce problĂšme  : on n’acquiert plus seulement des concessions miniĂšres ou forestiĂšres, tel que par le passĂ©, mais bien des terres agricoles permettant de produire des cultures cĂ©rĂ©aliĂšres et/ou des agrocarburants, dans la plupart des cas destinĂ©es Ă  l’exportation.

La question qui nous préoccupe maintenant consiste à savoir comment les pays africains peuvent répondre à cette demande étrangÚre sans compromettre les droits fonciers des communautés locales et leur sécurité alimentaire (UA/FAO/BAD, 2009: 26-27).

Cet article vise Ă  expliquer ce phĂ©nomĂšne, en prĂ©sentant tout d’abord quelques-uns des cas emblĂ©matiques rapportĂ©s par la presse et les rapports

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qui ont Ă©tudiĂ© cette question. Nous chercherons ensuite Ă  prĂ©senter les causes conjoncturelles de ce phĂ©nomĂšne Ă  l’échelle globale et leurs implications au niveau local. Nous analyserons ainsi les perspectives des diffĂ©rents acteurs sociaux, tels les communautĂ©s locales, les ONG, les États africains et les investisseurs Ă©trangers. Nous verrons finalement quels sont les enjeux fonciers soulevĂ©s par ces modĂšles d’investissement et quels sont les dĂ©fis auxquels font face les gouvernements africains afin de sĂ©curiser les droits fonciers des communautĂ©s locales.

Quelques cas emblématiques

Les cas prĂ©sentĂ©s ici illustrent la diversitĂ© des situations rencontrĂ©es tout en mettant en Ă©vidence la tendance qui s’installe. Commençons tout d’abord par le cas du Soudan. En 2009, Jarch Capital, une compagnie d’investissement amĂ©ricaine enregistrĂ©e dans le paradis fiscal des Îles Vierges, a pu y nĂ©gocier un bail sur une terre de 400000 ha. Cette opĂ©ration a Ă©tĂ© rendue possible par l’acquisition de 70% des parts de la compagnie sud-soudanaise LEAC for Agriculture and Investment Co Ltd. Celle-ci est dirigĂ©e par le fils de Paulino Matip, commandant de l’ArmĂ©e populaire de libĂ©ration du Soudan (SPLA) qui a longtemps combattu le gouvernement central de Khartoum avant de prendre le contrĂŽle du sud du pays. Refusant de rĂ©vĂ©ler les termes du contrat, l’acquĂ©reur a tout simplement rĂ©pondu aux journalistes trop curieux : « You have to go to the guns: this is Africa » (Blas et Wallis, 2009; Silver-Greenberg, 2009).

Au Mozambique, le gouvernement de l’üle Maurice a, par l’intermĂ©diaire du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, obtenu un bail Ă  long terme pour 20 000 ha de terres agricoles. DĂšs la conclusion de l’entente, en aoĂ»t 2009, le ministĂšre mauricien de l’agro-industrie s’est empressĂ© de sous-louer la terre Ă  deux grandes entreprises. La premiĂšre, Vitagrain de Singapour, qui est sous contrĂŽle de la sociĂ©tĂ© de capital de risque Intrasia Capital, doit cultiver du riz hybride destinĂ© au marchĂ© africain. La deuxiĂšme, Nin Group du Swaziland, est spĂ©cialisĂ©e dans l’élevage du bĂ©tail et la culture des agrocarburants (GRAIN, 2009a; Vitagrain, 2009).

En ce qui concerne le Mali, 100 000 ha de l’Office du Niger ont Ă©tĂ© octroyĂ©s Ă  Libya Africa Investment Portfolio, un fonds souverain du gouvernement libyen, par l’intermĂ©diaire de sa filiale locale Malibya. Ces superficies seront vouĂ©es Ă  la production Ă  grande Ă©chelle et mĂ©canisĂ©e de riz hybride, destinĂ© principalement Ă  l’exportation. La Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) et la section locale de Via

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Campesina prĂ©voient des effets nĂ©gatifs sur les communautĂ©s locales du cercle de Macina. Ces organisations soulignent que les besoins d’irrigation du projet entreront en compĂ©tition avec ceux des paysans et que ceux-ci risquent d’ĂȘtre expulsĂ©s de leurs terres. Des craintes sont Ă©galement exprimĂ©es selon lesquelles l’introduction de semences hybrides pourrait menacer la diversitĂ© des semences de riz locales (Clavreul, 2009; Coulibaly et Monjane, 2009; KonĂ©, 2009).

Du cĂŽtĂ© de la Tanzanie, le gouvernement a allouĂ© Ă  la compagnie britannique Sunbiofuels 8 000 ha afin d’y produire des agrocarburants dans le cadre d’un projet qui doit Ă  terme s’étendre sur une superficie de 40 000 ha. Sur le site Internet de la compagnie, on apprend que ces terres, soi-disant dĂ©gradĂ©es, sont situĂ©es Ă  70 km au nord-ouest de la capitale, « an ideal location », et qu’un bail de 99 ans a pu permettre de sĂ©curiser l’investissement. La compagnie tient Ă  nous assurer qu’aucune culture vivriĂšre, ni bĂątiment communautaire n’ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s et qu’aucune communautĂ© n’a dĂ» ĂȘtre expropriĂ©e (Sunbiofuels, 2009). Des informations contradictoires indiquent toutefois que des agriculteurs auraient Ă©tĂ© Ă©vincĂ©s aprĂšs avoir reçu une maigre compensation. À l’heure actuelle, 11 millions d’hectares, prĂšs d’un huitiĂšme du pays, auraient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© allouĂ©s Ă  des compagnies internationales afin d’y produire des agrocarburants destinĂ©s Ă  l’exportation (Debailleul, 2009).

Le Ghana a Ă©galement misĂ© sur les agrocarburants, ouvrant ses portes Ă  des investisseurs israĂ©liens (100 000 ha), indiens (50 000 ha), italiens (10 000 ha), norvĂ©giens (10 000 ha), brĂ©siliens, chinois, hollandais et allemands, tous attirĂ©s par la possibilitĂ© d’y cultiver du jatropha Ă  des coĂ»ts trĂšs compĂ©titifs. Dans la majoritĂ© des cas, les terres sont allouĂ©es par le Ghana Investment Promotion Council. Toutefois, un vif dĂ©bat a Ă©tĂ© soulevĂ© par les ONG locales, accusant la firme-conseil Rural Consult, spĂ©cialisĂ©e dans les agrocarburants, de favoriser l’accaparement des terres du pays par des compagnies Ă©trangĂšres (Dogbevi, 2009).

Le rĂ©cent rapport de Cotula, Vermeulen, Leonard et Keeley (2009), intitulĂ© Land grab or development opportunity? Agricultural investment and international land deal in Africa, dresse un portrait de la situation actuelle en analysant de plus prĂšs les cas de l’Éthiopie, du Mali, du Soudan, de Madagascar, du Ghana, du Mozambique et de la Tanzanie. Nous nous rĂ©fĂ©rerons Ă  ce rapport tout au long de ce travail, car il rassemble des informations tant qualitatives que quantitatives, permettant d’obtenir un

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portrait plus clair de la tendance qui se dessine sur le continent.

MalgrĂ© la difficultĂ© d’obtenir des donnĂ©es Ă  jour et complĂštes, l’analyse quantitative des inventaires nationaux de cinq pays1 fait Ă©tat d’attributions de l’ordre de 2,5 millions d’hectares durant la pĂ©riode de 2004 Ă  2009 et ce, en excluant les allocations de moins de 1 000 ha. Le Madagascar et l’Éthiopie enregistrent les allocations de terres les plus importantes, soit plus de 800 000 ha et 600 000 ha chacun. Ces chiffres correspondent respectivement Ă  2,29% et 1,39% des terres propres Ă  l’agriculture pluviale dans ces deux pays. Ce sont toutefois le Soudan et le Mali qui ont connu les plus importants investissements Ă©trangers, totalisant prĂšs de 440 millions $US pour le premier et prĂšs de 292 millions $US pour le deuxiĂšme (Cotula et al, 2009 : 41-42). D’aprĂšs les auteurs du rapport, ces donnĂ©es doivent toutefois ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme conservatrices puisqu’elles n’incluent pas les demandes d’attribution en cours.

Causes conjoncturelles

DiffĂ©rents facteurs permettent de mieux expliquer cet engouement pour les terres agricoles africaines. La hausse des cours du pĂ©trole en 2007 et les sĂ©cheresses qu’ont connues l’Europe de l’Est et l’Australie sont les Ă©lĂ©ments auxquels on attribue le plus souvent la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. Toutefois, il ne faudrait pas oublier l’effet combinĂ© des spĂ©culations sur les produits agricoles ainsi que l’accaparement des terres pour la culture d’agrocarburants. En synergie avec la crise alimentaire, la crise financiĂšre est venue exacerber la demande pour les « investissements alternatifs », tels les infrastructures ou les terres agricoles. Ces derniĂšres constituent un placement stratĂ©gique puisque leur valeur ne suit pas les variations des autres actifs comme l’or ou les devises (GRAIN, 2009: 2). Tout rĂ©cemment, Michel Juvet, membre de la direction de la banque Bordier Ă  GenĂšve, recommandait « l’Afrique aux investisseurs patients », affirmant qu’il s’agissait du nouveau marchĂ© Ă©mergent (Le Temps, 2010).

Ainsi, avec la libĂ©ralisation Ă©conomique, la globalisation du transport et des communications et l’augmentation de la demande alimentaire et Ă©nergĂ©tique mondiale, de nombreux acteurs Ă©conomiques, tels que les compagnies internationales d’agrobusiness, les banques d’investissement, les fonds alternatifs, les fonds souverains (sovereign wealth funds), les

1Les analyses quantitatives contenues dans ce rapport portent sur l’Éthiopie, le Mali, le Soudan, Madagascar et le Ghana.

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nĂ©gociants en matiĂšres premiĂšres, les fonds de pension, les fondations et autres investisseurs privĂ©s se sont tournĂ©s vers les terres agricoles des pays africains. Les destinations phares de ces investissements sont aujourd’hui majoritairement des pays cĂŽtiers comme le Kenya, la Tanzanie, le Mozambique, le Madagascar, l’Angola, la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, le Cameroun, le NigĂ©ria, le Ghana, la Sierra Leone et le SĂ©nĂ©gal, mais aussi des pays enclavĂ©s tels le Malawi, la Zambie, le Zimbabwe, l’Ouganda, le Mali et l’Éthiopie (ChĂątel, 2010; Cotula et al., 2009: 25; GRAIN, 2007a; Ho, 2010).

Le puissant lobby qui se met en place aujourd’hui cherche Ă  obtenir des conditions favorables pour faciliter et protĂ©ger les investissements agricoles des grandes entreprises. Pour ces personnes, l’objectifs est « [
] de se dĂ©barrasser de ces lois fonciĂšres gĂȘnantes qui ferment les possibilitĂ©s de propriĂ©tĂ© aux Ă©trangers, d’annuler les restrictions sur les exportations alimentaires en vigueur dans les pays hĂŽtes et de contourner toutes les rĂ©glementations concernant les organismes gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s » (GRAIN, 2009: 3). Pour ce faire, les investisseurs ont pu bĂ©nĂ©ficier de l’implication de la SociĂ©tĂ© financiĂšre internationale et du Foreign Investment Advisory Service, organisations membres du Groupe de la Banque Mondiale, qui fournissent une assistance technique et des services-conseils aux gouvernements des pays les moins avancĂ©s et des pays en dĂ©veloppement. ChargĂ©es des opĂ©rations avec le secteur privĂ©, ces organisations ont contribuĂ© Ă  implanter dans ces pays des politiques et des procĂ©dures permettant d’acquĂ©rir et de sĂ©curiser les droits fonciers des investisseurs, allant jusqu’à participer Ă  la rĂ©Ă©criture des lois rĂ©gissant l’investissement (Daniel et Mittal, 2010: 13-20).

Question de prix et de conditions

Les gouvernements africains, dont plusieurs sont bĂ©nĂ©ficiaires de l’aide alimentaire internationale, acceptent de concĂ©der une partie de leur souverainetĂ© territoriale pour des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques. Comme l’exprimait encore une fois Michel Juvet avec sa logique comptable, « le fait de donner Ă  un pays Ă©tranger une partie de son propre territoire n’est pas nĂ©cessairement nĂ©faste. C’est surtout une question de prix et de conditions » (Le Temps, 2010). Regardons donc de plus prĂšs les prix et les conditions qui s’appliquent dans ces attributions de terres arables.

Les gouvernements hĂŽtes ont tendance Ă  jouer un rĂŽle clĂ© dans l’affectation des baux fonciers, notamment parce qu’ils possĂšdent formellement

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l’entiĂšretĂ© ou la majeure partie des terres dans de nombreux pays africains. Les baux emphytĂ©otiques, plus que les achats, constituent la norme et leur durĂ©e oscille entre 50 (contrats renouvelables dans les cas observĂ©s au Mali, en Éthiopie et au Mozambique) et 99 ans, comme cela est pratiquĂ© en Tanzanie. Les gouvernements africains tendent Ă  charger aux investisseurs Ă©trangers des coĂ»ts de location excessivement bas ou Ă  des taux nominaux. Les investisseurs peuvent Ă©galement se voir accorder une exemption de taxe fonciĂšre pour une pĂ©riode donnĂ©e, correspondant Ă  des Ă©conomies de plusieurs millions de dollars. Les rĂ©percussions Ă©conomiques de ces investissements sont perçues comme Ă©tant les principaux bĂ©nĂ©fices (Cotula et al., 2009: 76-79).

De plus, soulignons que les gouvernements de certains pays africains ont Ă©laborĂ© des processus administratifs visant Ă  faciliter les investissements Ă©trangers. Par exemple, au Mali, au Mozambique et au Ghana, des agences nationales pour la promotion des investissements ont Ă©tĂ© mises en place afin de faciliter l’acquisition des permis et des autorisations nĂ©cessaires. Des banques de terres sont Ă©galement constituĂ©es, comme celle de la Tanzania’s investment promotion agency, qui a identifiĂ© 2,5 millions d’hectares de terres disponibles pour des projets d’investissement (Cotula et al., 2009: 67).

Les rĂ©sultats pour l’Éthiopie, le Ghana, le Mali et Madagascar indiquent que les terres sont le plus souvent allouĂ©es Ă  des compagnies privĂ©es plutĂŽt qu’à des entitĂ©s Ă©tatiques, mĂȘme si la diplomatie intergouvernementale facilite les accords (Cotula et al., 2009 : 47). Les rĂ©flexions de Coquery-Vidrovitch, concernant l’époque des grandes compagnies concessionnaires en Afrique Équatoriale Française, pourraient s’appliquer Ă  la situation actuelle. Elle soutient qu’un État qui recourt Ă  l’initiative privĂ©e pour mettre en valeur ses ressources, Ă©vitant ainsi de faire lui-mĂȘme les investissements nĂ©cessaires au dĂ©veloppement du pays,  se soustrait Ă  ses obligations. Cette orientation constitue en quelque sorte une « dĂ©mission de l’État » (Coquery-Vidrovitch, 2001: 25).

Les raisons les plus souvent Ă©voquĂ©es par les pays hĂŽtes sont la stimulation de l’économie locale, la crĂ©ation d’emplois, le dĂ©veloppement des infrastructures, l’introduction de nouvelles technologies, l’accĂšs Ă  de nouveaux marchĂ©s et l’amĂ©lioration de la compĂ©titivitĂ©. Toutefois, il ne faudrait pas oublier les effets pervers de ces investissements, tels que la dĂ©gradation environnementale, la croissance des inĂ©galitĂ©s socio-

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Ă©conomiques et le manque d’intĂ©gration de ces projets dans l’économie locale (Ward, 2008: 1), autant d’élĂ©ments sur lesquels nous reviendrons plus en dĂ©tail.

Des terres vraiment vacantes?

Des donnĂ©es issues de l’imagerie satellitaire datant de 1995-1996 indiquent qu’il y aurait environ 800 millions d’hectares de terres cultivables sur le continent africain, dont prĂšs de 200 millions dĂ©jĂ  utilisĂ©es (Fisher et al., 2002). Toutefois, ces chiffres semblent sous-estimer l’usage actuel des terres africaines en ne tenant pas compte de la rotation des cultures et des terres en jachĂšre. En Ă©tablissant un ratio d’une parcelle en culture pour cinq parcelles en jachĂšre, le total dĂ©passe largement celui des rĂ©serves annoncĂ©es (Cotula et al, 2008: 20). MalgrĂ© tout, les gouvernements africains entretiennent le mythe de l’abondance des terres cultivables afin d’attirer l’attention des investisseurs intĂ©ressĂ©s Ă  profiter de la croissance de la demande mondiale en nourriture et en carburant et des pays Ă©trangers soucieux de sĂ©curiser leur approvisionnement alimentaire et Ă©nergĂ©tique.

Des termes tels « terres vacantes Â», « terres neuves Â», « terres inoccupĂ©es Â» et « terres incultes Â» sont utilisĂ©s afin de justifier les gĂ©nĂ©reuses allocations faites Ă  des investisseurs, exprimant de la part des États hĂŽtes une perspective axĂ©e sur la productivitĂ© et la rentabilitĂ©. Toutefois, dans la majeure partie des cas, les terres ainsi dĂ©crites sont cultivĂ©es et habitĂ©es par des populations locales qui n’en dĂ©tiennent pas les titres de propriĂ©tĂ©. Lorsque ces terres sont visĂ©es par des investissements, elles risquent d’ĂȘtre Ă©ventuellement rĂ©clamĂ©es par des paysans, des Ă©leveurs ou des chasseurs, sur la base d’un usage prĂ©sent, saisonnier ou futur, crĂ©ant ainsi des situations conflictuelles (Cotula et al., 2009; Daniel et Mittal, 2010).

Mais les États hĂŽtes et les investisseurs (qu’ils soient corporatifs ou gouvernementaux) disposent d’une panoplie d’outils lĂ©gaux, financiers et politiques auxquels les paysans pauvres n’ont pas ou peu accĂšs (GRAIN, 2009). Ces derniers apprennent bien souvent trop tard que la terre de laquelle ils tiraient leur subsistance appartient dĂ©sormais Ă  ces nouveaux venus. L’accaparement de terres agricoles africaines est tel qu’il peut reprĂ©senter une menace directe Ă  l’agriculture vivriĂšre traditionnellement pratiquĂ©e par les paysans africains et, par le fait mĂȘme, Ă  leur mode de vie et Ă  leur subsistance : « land allocations on the scale documented in this study do have the potential to result in loss of land for large numbers of people. As much of the rural population in Africa crucially depend on

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land for their livelihoods and food security, loss of land is likely to have major negative impacts on local people » (Cotula et al., 2009: 90).

Le cas de l’Éthiopie, par exemple, est symptomatique du fait qu’une importante partie des terres attribuĂ©es par le gouvernement se concentre dans les zones les plus favorables Ă  l’agriculture et/ou les plus prĂšs des marchĂ©s. Selon Nyikaw Ochalla, directeur de l’Organisation pour la survie des Anuak, le gouvernement Ă©thiopien « trompe toutes ces entreprises Ă©trangĂšres en prĂ©tendant que les vastes terres fertiles qui leur sont louĂ©es ne sont que des « terres Ă  l’abandon » et que les transactions n’ont donc aucun impact socio-Ă©conomique ni environnemental sur la vie et les moyens de subsistance des populations indigĂšnes de la rĂ©gion » (Ochalla, 2010). Rappelons que cette nouvelle pression sur les terres agricoles s’ajoute Ă  la forte densitĂ© dĂ©mographique, qui est de 1 000 habitants par km2 de terre cultivable, faisant de l’Éthiopie la montagne la plus peuplĂ©e du monde (Gascon, 1995  : 365). Les populations Ă©thiopiennes, qui ont connu depuis 1958 des dĂ©placements forcĂ©s Ă  rĂ©pĂ©tition et des dĂ©portations vers les basses terres infestĂ©es de moustiques et de mouches tsĂ©-tsĂ©, risquent encore une fois de se voir privĂ©es des terres les plus productives (Lacey, 2004).

L’un des importants problĂšmes Ă  cet Ă©gard tient au fait que les gouvernements hĂŽtes, dĂ©tenant un monopole foncier, peuvent contractuellement s’engager Ă  fournir des terres avant mĂȘme de consulter leurs utilisateurs locaux: « Evidence of pre-existing land use and claims in areas allocated to investors was [
] provided by the qualitative studies in Tanzania and Mozambique » (Cotula et al, 2009; Nhantumbo et Salomao, 2010; Sulle et Nelson, 2009).

Lorsque des lĂ©gislations ou des politiques existent afin de garantir la consultation des communautĂ©s Ă  travers le processus de transfert des terres, comme c’est le cas au Ghana et au Mozambique, l’implantation de ces politiques demeure incomplĂšte, les conditions de partage des bĂ©nĂ©fices avec les communautĂ©s restent vagues et les femmes et les minoritĂ©s continuent d’ĂȘtre exclues des dĂ©cisions. « Les concertations se font entre parties aux pouvoirs de nĂ©gociation totalement asymĂ©triques », souligne Michael Taylor de la Coalition internationale pour l’accĂšs Ă  la terre (Cirad, 2009). Dans certains cas, comme en Tanzanie, les paysans Ă©vacuĂ©s des terres nationales (considĂ©rĂ©es comme « general land Â», par opposition Ă  « village land Â») ne sont Ă©ligibles Ă  aucune compensation (Cotula et al.,

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2009  : 71-73). En outre, le manque de transparence et de contrepoids dans les nĂ©gociations contractuelles favorise la corruption et tend Ă  restituer les bĂ©nĂ©fices aux riches et aux puissants. Il apparaĂźt clairement que les prioritĂ©s Ă©conomiques nationales font en sorte que les intĂ©rĂȘts des investisseurs priment sur les droits des populations locales.

Agrocarburants et menaces à la sécurité alimentaire

Dans le domaine Ă©nergĂ©tique, l’acquisition de terres cultivables sur le continent africain demeure stratĂ©gique dans la mesure oĂč la production d’agrocarburants est encouragĂ©e par les politiques d’approvisionnement europĂ©enne et Ă©tats-unienne. La perspective de vente de crĂ©dits-carbone constitue un autre incitatif Ă©conomique. Toutefois, ces intĂ©rĂȘts entrent directement en conflit avec les objectifs de sĂ©curitĂ© alimentaire des pays hĂŽtes, lesquels voient leur biodiversitĂ© menacĂ©e et leurs forĂȘts, sols et ressources hydriques soumis Ă  d’immenses pressions.

Les Ă©tudes, telles que celle menĂ©e par l’International Institute for Applied Systems Analysis et l’OPEC Fund for International Development, dĂ©montrent que la croissance de la production d’agrocarburants dĂ©tourne les terres, l’eau et les autres ressources nĂ©cessaires Ă  la production vivriĂšre, exacerbant ainsi l’insĂ©curitĂ© alimentaire.

Ainsi, l’expansion des agrocarburants de premiĂšre gĂ©nĂ©ration2 aura des effets considĂ©rables sur les prix alimentaires Ă  l’échelle mondiale : « For example in 2020, a production level of first-generation biofuels contributing a 2, 4 or 6 percent share in total transport fuels results in world cereal price increases of the order of 5, 20 and 34 percent respectively. Such increases will cause a serious deterioration of food security in many developing countries with limited domestic food production and lack of foreign exchange earnings to finance essential food imports » (Fischer et al., 2009: 181). L’adoption incontrĂŽlĂ©e des agrocarburants risque Ă©galement d’entraĂźner « la substitution des systĂšmes autochtones de culture, de pacage et de pĂąturage, basĂ©s sur la biodiversitĂ©, par de la monoculture et des cultures d’agrocarburants gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s » (GRAIN,

2 Les agrocarburants dits de premiÚre génération résultent principalement de deux filiÚres: la filiÚre oléagineuse, à partir de colza, de palme, de tournesol, de jatropha curcas, et la filiÚre éthanol, à partir de la fermentation de sucres de bette-rave, de blé, de canne à sucre, de maïs et de manioc.

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2007b). Jacques Diouf, directeur gĂ©nĂ©ral de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, soulignait Ă©galement le bilan environnemental nĂ©gatif de la production d’agrocarburants (FAO, 2008). S’ajoutent Ă  cela les questions Ă©thiques que suscite l’accaparement des terres agricoles par l’industrie des agrocarburants, alors que de nombreux pays africains font face Ă  des besoins alimentaires croissants (Pimentel, 2009).

MalgrĂ© l’appel Ă  un moratoire sur les nouveaux dĂ©veloppements d’agrocarburant par les membres d’organisations de la sociĂ©tĂ© civile africaine, une trentaine de pays africains se sont dĂ©jĂ  lancĂ©s dans la course aux agrocarburants depuis la mise sur pied, en 2006, de l’Association des pays africains non producteurs de pĂ©trole (GRAIN, 2007b; KĂ©fi, 2010). Plusieurs pays de la sous-rĂ©gion ouest-africaine, tels que le SĂ©nĂ©gal, le Mali, le Ghana et le NigĂ©ria, ont Ă©laborĂ© des politiques et stratĂ©gies nationales en matiĂšre d’agrocarburant. Celles-ci visent Ă  mettre sur pied des comitĂ©s techniques chargĂ©s de « dĂ©finir les politiques Ă  mettre en Ɠuvre dans ce secteur, de crĂ©er un cadre lĂ©gislatif et rĂ©glementaire incitatif pour la production et l’utilisation des biocarburants et de dĂ©velopper  Ă  court et moyen termes, des filiĂšres » Ă©thanol et olĂ©agineuse (Gandonou, 2007).  Alors que la CĂŽte d’Ivoire et le NigĂ©ria optent pour la production d’éthanol Ă  partir du manioc, de la canne Ă  sucre et du maĂŻs, des pays comme le Ghana, le SĂ©nĂ©gal et le Mali se tournent davantage vers le jatropha curcas, une plante olĂ©agineuse non comestible dont l’exploitation industrielle sur des terres Ă  vocation vivriĂšre prĂ©sente toutefois le risque de conflits d’usage. La deuxiĂšme ConfĂ©rence internationale sur les biocarburants, tenue du 10 au 12 novembre 2009 Ă  Ouagadougou, regroupait diffĂ©rents acteurs sociaux sous le thĂšme « Les biocarburants : facteur d’insĂ©curitĂ© ou moteur de dĂ©veloppement? »1. MalgrĂ© des objectifs visant Ă  se questionner sur la responsabilitĂ© des agrocarburants dans la crise alimentaire et leurs impacts sur l’environnement, l’économie et les dynamiques sociales, les informations disponibles sur le site Internet de la confĂ©rence font Ă©tat d’une surreprĂ©sentation des acteurs de la filiĂšre des agrocarburants et, consĂ©quemment, d’une faible participation de la sociĂ©tĂ© civile et des organisations paysannes. L’utilisation du terme « biocarburants » dans l’intitulĂ© de la confĂ©rence n’est sĂ»rement pas anodine. Elle consiste Ă  reverdir l’image d’une industrie gourmande en engrais et en pesticides en lui accolant un prĂ©fixe Ă  connotation positive. La tenue conjointe d’un forum de rencontres sur le financement de projets constitue le programme

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cachĂ© de cette confĂ©rence : permettre aux bailleurs de fonds (dont la transnationale Total, « partenaire » de l’évĂ©nement) de dĂ©velopper des liens avec les porteurs de projets. Cet Ă©vĂ©nement parallĂšle laisse sous-entendre un plus grand intĂ©rĂȘt pour le dĂ©veloppement Ă©conomique de cette industrie plutĂŽt qu’une profonde remise en question de celle-ci.

Toutefois, la volontĂ© des gouvernements africains d’accĂ©lĂ©rer les investissements se heurte dans certains cas Ă  une levĂ©e de boucliers de la part des populations locales. Ainsi, des soulĂšvements populaires en lien avec des projets industriels d’agrocarburants ont Ă©clatĂ© dans des pays tels que l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Ghana. Du cĂŽtĂ© de Madagascar, les Ă©meutes d’Antananarivo en janvier 2009 ont contraint le gouvernement Ă  annuler la signature d’un contrat lĂ©onin avec la sociĂ©tĂ© sud-corĂ©enne Daewoo Logistics, lequel octroyait 1,3 million d’hectares de terres arables Ă  la culture industrielle du maĂŻs et du palmier Ă  huile pour la production d’agrocarburants. « L’affaire Daewoo a eu d’autant plus de rĂ©sonance dans un pays oĂč 70% de la population est rurale qu’elle met en lumiĂšre une contradiction entre la redistribution des terres aux paysans prĂ©vue par une rĂ©forme majeure entamĂ©e en 2005 et l’ouverture de ce marchĂ© aux sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres » (AFP, 2009).

Effets pervers de l’agribusiness

Alors que les pays hĂŽtes s’attendent Ă  voir se dĂ©velopper les infrastructures, les techniques modernes d’agriculture ainsi que le marchĂ© de l’emploi national, ces attributions de terres s’accompagnent d’effets pervers qui s’ajoutent Ă  l’insĂ©curitĂ© fonciĂšre. Ainsi, l’introduction d’une agriculture industrielle associĂ©e aux contrats d’agribusiness s’accompagne le plus souvent de fertilisants, d’herbicides et de pesticides, dont certains sont interdits dans les pays occidentaux. L’expĂ©rimentation et l’utilisation de semences hybrides sur de grandes superficies risquent Ă©galement d’entraĂźner la pollution gĂ©nĂ©tique de semences paysannes traditionnelles, pavant ainsi la voie Ă  l’industrie biotechnologique et ses brevets, avec les consĂ©quences nĂ©fastes que cela comporte pour les droits des paysans et la souverainetĂ© alimentaire des peuples africains (CNOP/BEDE/IIED, 2008).

La construction de barrages pour l’irrigation des grandes cultures menace de causer des inondations sur les terres avoisinantes, lĂ  oĂč les paysans locaux pratiquent une agriculture traditionnelle, tel que cela a Ă©tĂ© observĂ© au Kenya (Silver-Greenberg, 2009). Les pratiques culturales industrielles contribuent

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Ă©galement Ă  la pollution des nappes phrĂ©atiques et Ă  l’épuisement des sols. Ces atteintes Ă  l’environnement ne sont toutefois pas sanctionnĂ©es, Ă©tant donnĂ© la faible effectivitĂ© du droit de l’environnement dans la plupart des pays africains (Granier, 2008). Ici, les questions de responsabilitĂ© sociale et environnementale sont tout simplement Ă©vacuĂ©es. De plus, comme les gouvernements africains sont plus soucieux d’attirer l’investissement direct Ă©tranger que de promouvoir l’entreprenariat local, les paysans africains se trouvent exclus des contrats gouvernementaux en raison du fait qu’ils ne rencontrent pas les standards imposĂ©s en termes de taille de l’exploitation, de capital financier, de technologies et de certification (Cotula, Dyer et Vermeulen, 2008: 18).

Les vastes Ă©tendues de terres cultivĂ©es demandent une augmentation de la mĂ©canisation, rĂ©duisant considĂ©rablement le nombre d’emplois espĂ©rĂ©. La maigre main-d’oeuvre que ces projets embauchent est souvent payĂ©e Ă  des salaires misĂ©rables. Par exemple, les ouvriers travaillant dans les plantations de canne Ă  sucre d’Addax Bioenergy Switzerland, en Sierra Leone, sont payĂ©s l’équivalent de 2,50 $US par jour (Daniel et Mittal, 2010: 24). Dans le cas des projets chinois, les investisseurs prĂ©fĂšrent employer leurs compatriotes comme ouvriers agricoles, d’oĂč la supposĂ©e Ă©mergence de villages « Baoding »2 dans prĂšs d’une vingtaine de pays africains, dont le Kenya, le NigĂ©ria, l’Ouganda, le Soudan et la Zambie, lesquels abriteraient de 400 Ă  2 000 ouvriers agricoles chinois (Perrot et Malaquais, 2009; Coonan, 2008).

Ainsi, ni l’adoption de ces nouvelles techniques agricoles ni la venue de ces investissements Ă©trangers ne sauraient garantir un dĂ©veloppement socialement Ă©quitable (Vall et Alary, 2006: 279). Ces Ă©lĂ©ments illustrent les dĂ©fis auxquels la paysannerie et l’agriculture africaine sont confrontĂ©es dans « le contexte de la mondialisation, au sein de laquelle l’accĂšs aux marchĂ©s, tant locaux que mondiaux, se trouve Ăąprement disputĂ© » (IIED/NRI/RAS, 2005: 7-8).

Tout rĂ©cemment, le gouvernement français affichait des inquiĂ©tudes par rapport Ă  ces investissements Ă©trangers, redoutant qu’ils puissent ĂȘtre « mal prĂ©parĂ©s et mal conduits » ou qu’ils relĂšvent « d’une simple logique de rentabilitĂ© financiĂšre court-termiste » risquant de causer « de graves dommages sociaux et environnementaux ». La France s’inquiĂšte Ă©galement du fait que, dans les pays hĂŽtes, « les politiques et les modes de gouvernance du foncier ne sont pas propices Ă  la sĂ©curisation effective et durable du

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domaine foncier pour les occupants sans titre comme pour les investisseurs » (Chùtel, 2010).

Du droit coutumier à la propriété privée

L’équation fondamentale proposĂ©e par Le Roy permet d’envisager le foncier comme un « rapport social ayant la terre ou le territoire comme assise et enjeu et oĂč les variables Ă©conomiques, juridiques et les techniques d’amĂ©nagement de la nature sont pondĂ©rĂ©es par le facteur politique aux diffĂ©rentes Ă©chelles locale, nationale et internationale  » (Le Roy, 1995  : 455). Dans la situation actuelle, le rapport social Ă  la terre est marquĂ© par les intĂ©rĂȘts contradictoires et conflictuels des paysans, Ă©leveurs, pouvoirs locaux, États, dĂ©veloppeurs, Ă©lites citadines, institutions internationales et sociĂ©tĂ©s multinationales s’affrontant sur un mĂȘme terrain (Blanc-Pamard et CambrĂ©zy, 1995 : 8).

Les terres sollicitĂ©es par les investisseurs risquent d’ĂȘtre Ă©ventuellement rĂ©clamĂ©es par des groupes de filiation (lignages, clans, tribus), des autoritĂ©s traditionnelles, des mĂ©nages ou des individus sur la base du droit coutumier, alors que, dans la pratique, les rĂšgles de tenure fonciĂšre ont connu de nombreuses transformations Ă  travers les interactions culturelles, l’augmentation dĂ©mographique et les changements socio-Ă©conomiques et politiques qui se sont opĂ©rĂ©s au cours de l’histoire (Cotula et al., 2009: 90). Il convient de souligner que la « propriĂ©tĂ© privĂ©e ou individuelle est longtemps restĂ©e inconnue dans les rĂ©gions les moins denses oĂč le sol ne constitue pas un capital, mais permet la survie. La terre non occupĂ©e est une rĂ©serve Ă  l’instar de la jachĂšre. Quand les conditions sont remplies, on les occupe Ă  nouveau » (Ndembou, 2006: 297).

La vision occidentale du foncier, associant systĂ©matiquement sĂ©curitĂ© et propriĂ©tĂ© privĂ©e, reste inadĂ©quate dans les situations de « marchandisation imparfaite de la terre Â» telles que celles prĂ©valant en Afrique. Quoi qu’il en soit, le dogme de la propriĂ©tĂ© privĂ©e tend Ă  vouloir s’imposer par les pressions externes qui s’exercent sur les États africains (Le Roy, 1995 : 461). Ainsi, Ă  partir du dĂ©but des annĂ©es 1990, les politiques Ă©conomiques plus libĂ©rales, impulsĂ©es par les plans d’ajustement structurel, ont contribuĂ© Ă  la rĂ©vision des lĂ©gislations sur la terre et sur les ressources naturelles dans plusieurs pays.

Du cĂŽtĂ© de la Banque Mondiale, on estime qu’à travers toute l’Afrique,

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seulement de 2 Ă  10% des terres seraient dĂ©tenues Ă  travers un rĂ©gime foncier formel. Ces derniĂšres seraient majoritairement situĂ©es en milieu urbain (Deininger, 2003). Dans certains pays, les droits coutumiers sont protĂ©gĂ©s, Ă  condition que les terres soient mises en valeur, ce qui rĂ©duit considĂ©rablement la possibilitĂ© de voir ces droits respectĂ©s. Par exemple, dans le cas du Mali, les articles 45 et 47 du Code domanial et foncier de 2000, reconnaissent les droits coutumiers individuels «  quand ils comportent emprise Ă©vidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur rĂ©guliĂšre » (RĂ©publique du Mali, 2000). Toutefois, une modification, ratifiĂ©e par la loi en 2002, est venue fragiliser la sĂ©curitĂ© fonciĂšre des paysans, faisant du titre foncier l’unique preuve du droit de propriĂ©tĂ© fonciĂšre et d’immatriculation. Ainsi, « le coĂ»t relativement Ă©levĂ© des diffĂ©rentes procĂ©dures combinĂ© Ă  l’ignorance des paysans sur les procĂ©dures lĂ©gales entraĂźne leur exclusion de la propriĂ©tĂ© fonciĂšre lĂ©gale  » (DjirĂ©, 2007  : 12). Les ruraux demeurent donc dans une inexistence juridique qui se traduit en insĂ©curitĂ© effective. Dans ces conditions, seule la bourgeoisie urbaine, bureaucratique et commerçante rĂ©ussit Ă  sĂ©curiser ses acquisitions fonciĂšres, dĂ©veloppant des opportunitĂ©s  d’affaires  en tant qu’intermĂ©diaire  pour  les  investisseurs  Ă©trangers avides de terres arables (Cotula et al, 2009; DjirĂ©, 2007). 

En dissociant le contrĂŽle du sol de l’usage des ressources qui y sont attachĂ©es, les politiques fonciĂšres ont contribuĂ© Ă  prĂ©cariser les droits fonciers des paysans africains, portant atteinte aux modes de gestion sociale de l’espace et aux rĂšgles d’accĂšs et d’usage aux ressources (Blanc-Pamard et CambrĂ©zy, 1995 : 9). Face au phĂ©nomĂšne actuel d’accaparement des terres, plusieurs pays africains ne disposent pas de mĂ©canismes de protection des droits et intĂ©rĂȘts des paysans locaux (Cotula, 2009: 7).

SĂ©curisation des droits fonciers

Si la tenure fonciĂšre rĂ©fĂšre aux autoritĂ©s, aux institutions, aux rĂšgles et aux normes qui gouvernent l’accĂšs Ă  la terre par les personnes, la sĂ©curisation des droits fonciers se rapporte Ă  la possibilitĂ© pour ces personnes de faire appel Ă  ces diverses sources de lĂ©gitimation et de pouvoir permettant d’utiliser, de contrĂŽler et de gĂ©rer la terre dans une perspective Ă  long terme. Il s’agit donc d’un processus qui valide et garantit les droits existants, leur procurant une reconnaissance lĂ©gale. Il est reconnu que la sĂ©curisation fonciĂšre et l’accĂšs Ă©quitable Ă  la terre et aux ressources naturelles sont essentiels dans un processus de rĂ©duction de la pauvretĂ© et

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de développement. Toutefois, leur intégration dans les décisions politiques et économiques des pays africains, quoique fondamentale, a été souvent négligée (International Land Coalition, 2008; UA/FAO/BAD, 2009).

Alors que plusieurs pays africains cherchent depuis ces derniĂšres annĂ©es Ă  concevoir une politique fonciĂšre pĂ©renne, il convient de souligner que la difficultĂ© majeure rĂ©side dans la diversitĂ© spatiale et temporelle des systĂšmes fonciers locaux, dans leurs dimensions gĂ©opolitique, historique, agroĂ©conomique et sociodĂ©mographique (Jacquemot, 2000). Un dualisme prĂ©vaut entre les rĂšgles formelles et informelles qui caractĂ©risent respectivement les institutions Ă©tatiques et les systĂšmes fonciers locaux, lesquels reposent sur des logiques, des discours et des pratiques incompatibles. Alors que la conception endogĂšne et traditionnelle africaine envisage l’espace comme un moyen d’assurer la reproduction du groupe dans ses dimensions matĂ©rielles, sociales et idĂ©ologiques, la conception europĂ©enne apprĂ©hende plutĂŽt l’espace comme un capital Ă  exploiter et Ă  rentabiliser (Le Bris et al.,1991). ConcrĂštement, cela se traduit par des institutions locales dont les rĂšgles, les procĂ©dures et ceux qui les mettent en Ɠuvre sont soit ignorĂ©s ou au mieux tolĂ©rĂ©s par la loi. Ces Ă©lĂ©ments, qui constituent encore aujourd’hui le fondement des pratiques fonciĂšres, sont parfois mĂȘme encouragĂ©s par les agents de l’administration, en contradiction avec les lĂ©gislations nationales, parce que celles-ci ne leur permettent pas de rĂ©pondre aux demandes de rĂšglement de leurs administrĂ©s (Lavigne Delville et al, 2001).

Soulignons Ă©galement que les dynamiques des systĂšmes fonciers locaux sont influencĂ©es par des facteurs liĂ©s Ă  la classe, au genre, Ă  la rĂ©gion, Ă  la culture, Ă  l’ethnicitĂ©, Ă  la nationalitĂ© et aux clivages gĂ©nĂ©rationnels. Ces Ă©lĂ©ments, prĂ©dominants dans l’accĂšs, le contrĂŽle et l’utilisation de la terre, engendrent un ensemble complexe de rĂ©clamations et de conflits en lien avec les ressources fonciĂšres, dont la rĂ©solution est d’autant plus difficile que les normes et les institutions sont multiples et confuses. À cela s’ajoutent les pressions des institutions internationales, pour lesquelles « la solution passe par la privatisation des terres, censĂ©e clarifier et sĂ©curiser les droits, permettre l’accĂšs au crĂ©dit et stimuler l’investissement dans l’agriculture » (Lavigne Delville et al, 2000: 15).

Si la consolidation de la notion de propriĂ©tĂ© privĂ©e peut permettre de satisfaire les exigences croissantes des transnationales, elle risque toutefois d’exacerber les tensions qui dĂ©coulent de la concurrence exercĂ©e sur

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cette prĂ©cieuse ressource qu’est la terre. Ainsi, plutĂŽt que de favoriser le remplacement des systĂšmes fonciers locaux par le systĂšme moderne de l’immatriculation et du titre foncier, une tendance en faveur de la reconnaissance des droits locaux s’est exprimĂ©e par la voix de diffĂ©rents acteurs et observateurs, notamment celle de l’Union africaine.

En l’absence d’une coordination et d’une harmonisation panafricaine en matiĂšre de politique fonciĂšre, la commission de l’Union africaine a mis en oeuvre en 2006 le dĂ©veloppement d’un cadre de rĂ©fĂ©rence et de lignes directrices dont l’objectif principal visait Ă  la fois la sĂ©curisation des droits fonciers des populations du continent et l’amĂ©lioration de la productivitĂ© agricole, permettant ainsi de relever les dĂ©fis de la mondialisation. AdoptĂ©es trois ans plus tard par l’assemblĂ©e des chefs d’États et des gouvernements africains, ces recommandations devaient amorcer une meilleure gouvernance du foncier et des ressources naturelles, permettant la consolidation d’un processus de paix et de dĂ©veloppement Ă©conomique favorable Ă  la stabilitĂ© de l’ensemble du continent. La reconnaissance de la souverainetĂ© de chacun des États membres laisse toutefois l’application de ces principes Ă  la discrĂ©tion de ces derniers, limitant grandement la portĂ©e de ces propositions.

Pour les États africains, le dĂ©fi rĂ©side autant dans la reconnaissance de la lĂ©gitimitĂ© des systĂšmes fonciers locaux et de leur capacitĂ© d’adaptation aux changements de contexte que dans l’amĂ©lioration de leur rĂŽle et la mise en place d’une interface reliant organisations locales et systĂšmes d’administration Ă©tatiques. L’Union Africaine reconnaĂźt que des mesures doivent ĂȘtre mises en place afin d’éviter que les populations vulnĂ©rables ne soient marginalisĂ©es par les politiques fonciĂšres orientĂ©es vers le dĂ©veloppement des marchĂ©s, entraĂźnant la spĂ©culation et des coĂ»ts Ă©levĂ©s de transferts de droits fonciers (UA/FAO/BAD, 2009: 31-32).

La notion de gouvernance fonciĂšre apparaĂźt dans les discours des chefs d’États africains, depuis que le mot d’ordre de « bonne gouvernance » a Ă©tĂ© lancĂ© par les institutions telles que la Banque Mondiale et le Fonds MonĂ©taire International. Cette notion rĂ©fĂšre au processus par lequel les dĂ©cisions regardant l’accĂšs et l’usage de la terre sont prises, la maniĂšre dont elles sont implantĂ©es ainsi que la façon dont les conflits d’intĂ©rĂȘts sont rĂ©solus (UA/FAO/BAD, 2009: 40). MalgrĂ© cette bienveillance apparente, la gouvernance fonciĂšre constitue un dispositif technolĂ©gal, procĂ©dural et politique par lequel les États africains inflĂ©chissent leurs politiques

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fonciĂšres dans le sens de l’instauration d’environnements institutionnels favorables Ă  leur ouverture aux marchĂ©s financiers globalisĂ©s. De plus, une multiplicitĂ© d’acteurs intervenant Ă  l’intĂ©rieur des formes contemporaines de gouvernance fonciĂšre interagissent «  dans des relations complexes de compĂ©tition et d’alliances, Ă©troitement articulĂ©es avec les processus locaux de recomposition sociopolitique.  » Ces dynamiques fonciĂšres sont caractĂ©risĂ©es «  par un pluralisme juridique, une prolifĂ©ration institutionnelle, voire une forte politisation de la question fonciĂšre » (Chauveau et al., 2006: 3).

Il est clairement mentionnĂ©, dans le document Land policy in Africa: A Framework to strengthen land rights, enhance productivity and secure livelihoods, que la crĂ©ation d’un environnement favorable au transfert et Ă  l’échange des droits fonciers «  will expand opportunities for the acquisition of land resources for many agricultural users engaged in large or small scale, formal or informal operations » (UA/FAO/BAD, 2009: 33-34). Comme la gouvernance fonciĂšre entraĂźne un contrĂŽle sur les droits fonciers, dans plusieurs pays africains, elle permet d’accumuler et de dispenser des pouvoirs politiques et Ă©conomiques ainsi que des privilĂšges, laissant place au patronage, au nĂ©potisme et Ă  la corruption. Ainsi, il est Ă  craindre que cette politique favorise davantage une certaine vision de la croissance Ă©conomique, Ă  travers l’accueil d’investisseurs et d’exploitations de grande envergure, plutĂŽt qu’un dĂ©veloppement humain, durable et Ă©quitable.

Il est reconnu que l’accĂšs Ă©quitable au foncier est l’un des Ă©lĂ©ments au cƓur de la dĂ©mocratie et du dĂ©veloppement durable. Ainsi, les gouvernements africains doivent ĂȘtre Ă  l’avant-garde de la politique et de la rĂ©forme fonciĂšre, puisque des intĂ©rĂȘts politiques sont en jeu (IIED, 2005: 3). L’histoire des colonisations, des conquĂȘtes et de l’ouverture du marchĂ© foncier en Afrique doit permettre d’apprĂ©hender le contexte actuel et d’identifier les avenues Ă  emprunter pour poursuivre les rĂ©formes. Pour ce, l’État doit corriger « l’amnĂ©sie structurelle » qui caractĂ©rise ses interventions dans l’espace local, « comme si celui-ci Ă©tait vierge de l’histoire des interventions antĂ©rieures Â» (Chauveau et al, 2006: 60). Car les paysans africains, eux, ont la mĂ©moire longue...

Ainsi, la promotion et le dĂ©veloppement d’une rĂ©forme du systĂšme foncier doivent se faire Ă  travers un processus d’implantation et d’évaluation le plus inclusif et participatif possible, afin de favoriser l’adhĂ©sion

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des diffĂ©rents acteurs locaux et d’amĂ©liorer l’accĂšs Ă  la terre pour les populations vulnĂ©rables. Les revendications et les dolĂ©ances en provenance des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, trop souvent ignorĂ©es, doivent ĂȘtre prises en considĂ©ration dans la formulation des politiques fonciĂšres (UA/FAO/BAD, 2009: 42-45).

Conclusion

Étant donnĂ© la longue durĂ©e d’attribution et l’importante superficie de la plupart des rĂ©centes acquisitions de terres, les gouvernements africains devraient saisir ces opportunitĂ©s pour faire de l’investissement agricole un des pilliers du dĂ©veloppement rural Ă  long terme et promouvoir des modĂšles Ă©conomiques plus Ă©quitables et plus inclusifs. Ainsi, un rĂ©cent rapport, intitulĂ© Making the most of agricultural investment: A survey of business models that provide opportunities for smallholders, a explorĂ© des modĂšles d’investissement prĂ©sentant des alternatives aux acquisitions massives de terres. Des modĂšles de transactions plus collaboratifs sont prĂ©sentĂ©s, dĂ©montrant comment ces partenariats peuvent apporter des bĂ©nĂ©fices aux agriculteurs et protĂ©ger leurs droits fonciers, tout en garantissant la rentabilitĂ© des investissements. Ainsi, il semble exister divers types de participation dont les gros investisseurs et les petits paysans peuvent tirer des avantages rĂ©ciproques, tels que l’agriculture sous contrat, les contrats de gestion, le fermage et le mĂ©tayage, les joint ventures et les coopĂ©ratives fermiĂšres (Vermeulen et Cotula, 2010).

Pour ce faire, le pouvoir de nĂ©gociation des petits agriculteurs locaux doit ĂȘtre renforcĂ© et les relations qu’ils dĂ©veloppement avec les investisseurs doivent ĂȘtre appuyĂ©es par le gouvernement. La sĂ©curisation des droits fonciers est Ă©galement une condition fondamentale pour que les communautĂ©s puissent dĂ©velopper avec l’industrie agricole des modĂšles d’investissement durables et Ă©quitables, permettant d’assurer une meilleure sĂ©curitĂ© alimentaire pour les diffĂ©rentes parties prenantes. Des normes doivent ĂȘtre nĂ©gociĂ©es et appliquĂ©es afin de maintenir certaines exigences en termes de crĂ©ation d’emploi, de dĂ©veloppement d’infrastructures, de bĂ©nĂ©fices pour les communautĂ©s, de retombĂ©es fiscales pour le gouvernement et de protection environnementale (Cotula et al., 2009).

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RESOURCES & MINES

Mongolie : derriĂšre le boum minier

Par Arthur Floretavec une mention spéciale de remerciements à Stéphanie Martel pour son aide précieuse.

La Mongolie est en passe de devenir une des Ă©conomies les plus dynamiques de l’Asie. Entre 2000 et 2010, les investissements directs

Ă©trangers y ont Ă©tĂ© multipliĂ©s par 16, pour atteindre prĂšs de 900 millions de dollars, et le marchĂ© boursier local a affichĂ© les rendements les plus Ă©levĂ©s du monde, avec une hausse de 10  000%. Assis sur des taux de croissance Ă  deux chiffres, on estime en outre que son produit intĂ©rieur brut (PIB) pourrait tripler, voire quadrupler, dans les dix prochaines annĂ©es seulement, avec les rentrĂ©es fiscales que l’on imagine.

EmmenĂ© par un secteur minier en plein boum, ce pays, que certains qualifient dĂ©jĂ  de futur Qatar, dispose d’un sous-sol regorgeant de richesses naturelles et idĂ©alement placĂ© pour satisfaire une proportion croissante des immenses besoins en matiĂšres premiĂšres de la Chine. Le Canada l’a d’ailleurs bien compris, puisqu’il y est le second investisseur Ă©tranger, grĂące, entre autres, Ă  la signature, en octobre 2009, d’un accord entre les autoritĂ©s d’Oulan-Bator et une entreprise de Vancouver portant sur un projet d’exploitation miniĂšre dans le dĂ©sert de Gobi. Le site visĂ© est l’une des plus importantes rĂ©serves de cuivre et d’or de la planĂšte.

Il semble donc loin le temps oĂč les agences des Nations-unies prĂ©sentes sur place s’alarmaient du «  sous-dĂ©veloppement  » qu’entraĂźnait la «  thĂ©rapie de choc  » du gouvernement au lendemain de l’effondrement du Bloc soviĂ©tique. La Mongolie socialiste, aprĂšs 70 ans passĂ©s dans l’orbite de Moscou, faisait alors le double apprentissage de la dĂ©mocratie parlementaire et du capitalisme, en une confusion de privatisations bĂąclĂ©es, de tarissement des recettes, d’explosion de la corruption, et de dĂ©pendance Ă  l’aide internationale.

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Cependant, avec un tiers de ses habitants vivant chroniquement sous le seuil de pauvretĂ©, de nombreuses industries dĂ©vastĂ©es, une agriculture chancelante, des infrastructures urbaines obsolĂštes, et une Ă©migration massive, les dĂ©fis auxquels s’attaquer avec la nouvelle manne miniĂšre restent lĂ©gion pour le pays. On peut par consĂ©quent se demander si la conjoncture favorable qu’il traverse rĂ©sulte vraiment d’une mise Ă  niveau de ses fondamentaux susceptible d’offrir les conditions d’une Ă©mergence pĂ©renne, ou, au contraire, s’inscrit dans la continuitĂ© de dysfonctionnements latents qui risquent d’ĂȘtre amplifiĂ©s Ă  l’avenir.

C’est dans ce contexte qu’il faut se pencher sur l’apparition, au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, qui a Ă©tĂ© marquĂ©e par une croissance Ă©conomique soutenue, d’une population de plus de 100 000 mineurs artisanaux, des hommes, des femmes et des enfants poussĂ©s par la pauvretĂ© Ă  l’assaut des steppes pour recycler les mĂ©taux encore contenus dans les rejets des opĂ©rateurs privĂ©s choyĂ©s par le gouvernement. En effet, l’existence d’un groupe aussi substantiel au sein d’une nation d’à peine trois millions d’ñmes vient illustrer les nombreuses lignes de fracture qui traversent la Mongolie contemporaine : villes vs campagnes, travail formel vs informel, souverainetĂ© nationale vs flux transnationaux, etc.

Au cƓur de ces dichotomies se trouve l’État, dont la construction chaotique est Ă  l’origine de cette dynamique Ă  tendance schizophrĂšne qui met quelques dizaines d’entreprises anglo-saxonnes, russes, ou chinoises et des milliers de familles locales dans une relation Ă  la fois de concurrence et de complĂ©mentaritĂ©. Or, si des phĂ©nomĂšnes similaires sont certes Ă  l’Ɠuvre dans d’autres parties de l’Asie, ou en Afrique et en AmĂ©rique, la donne est inĂ©dite ici par l’étendue et la rapiditĂ© du changement qu’elle entraĂźne sous nos yeux, puisque c’est toute la physionomie de la vieille civilisation nomade qui est en voie de recomposition.

Du fĂ©odalisme au socialisme, la naissance au forceps d’un État populaire urbain et industriel

À la fin du XIXe siĂšcle, la Mongolie dite « extĂ©rieure Â» est une possession de la dynastie mandchoue des Qing, depuis que les sĂ©dentaires ont su opposer l’artillerie Ă  la prodigieuse mobilitĂ© des nomades, 200 ans auparavant. Jadis le centre du plus vaste empire continental que l’humanitĂ© ait connu, elle fait figure, en outre, de portion congrue d’un territoire « national Â» dont les parties les plus intĂ©ressantes, respectivement la Bouriatie et la Mongolie-

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Intérieure, ont été amputées et directement intégrées à ses voisins russe et chinois.

PĂ©kin s’appuie localement sur un rĂ©gime thĂ©ocratique fĂ©odal, dirigĂ© par le chef de l’Église mongole du bouddhisme tibĂ©tain, le Bogd Khan, qui articule le pouvoir temporel d’une vieille aristocratie se rĂ©clamant de Genghis Khan et le pouvoir spirituel d’un clergĂ© plĂ©thorique de 100 000 moines, sur une population totalisant 600  000 personnes. La colonie bĂ©nĂ©ficie d’un statut de relative autonomie, voire d’indiffĂ©rence, ce qui lui vaut, notamment, d’échapper aux plus gros mouvements d’immigration en provenance du sud et aux politiques de modernisation qui ont pour objectif — quoique tardivement â€” Ă  contrecarrer l’influence croissante des EuropĂ©ens et des Japonais en Chine.

Le peuple mongol est presque exclusivement composĂ© de pasteurs nomades, qui perpĂ©tuent un mode de vie et des traditions dont la source remonte au Moyen-Âge. Le reste de l’économie, c’est-Ă -dire les secteurs du commerce et de l’agriculture cĂ©rĂ©aliĂšre et vivriĂšre, est du ressort des Chinois. Une petite ruĂ©e vers l’or a bien lieu Ă  partir de 1896, mais ce n’est pas assez pour dĂ©marrer une industrie Ă  proprement parler, et la plupart des mineurs sont importĂ©s Ă  grands frais de l’étranger, Ă  cause de la rĂ©ticence culturelle des Mongols Ă  « blesser Â» la terre.

Le tournant du siĂšcle voit la pression monter sur PĂ©kin, qui paye les consĂ©quences d’une accumulation de graves troubles internes et des prĂ©tentions de plus en plus contradictoires des Russes et des Japonais sur la Mandchourie, qui dĂ©bouchent sur une guerre les opposant en 1904-1905. La Mongolie-ExtĂ©rieure commence Ă  apparaĂźtre comme une zone tampon entre trois empires concurrents. Les Qing jugent alors nĂ©cessaire de rĂ©viser le statut d’autonomie de celle-ci et de mettre en Ɠuvre un programme volontariste de dĂ©veloppement. Or, avant de pouvoir passer aux actes, la RĂ©publique de Chine est proclamĂ©e le 1er janvier 1912, et l’abdication du dernier empereur, Pu Yi, suit de prĂšs.

Les dirigeants mongols, voyant l’opportunitĂ© de s’affranchir d’une tutelle devenue pesante — entre autres Ă  cause des menaces que font peser sur leur autoritĂ© les nouveaux plans de leurs suzerains, se sentant par ailleurs libĂ©rĂ©s de leur serment d’allĂ©geance Ă  l’égard de ces derniers, allĂ©chĂ©s par la perspective de se dĂ©barrasser de leurs dettes auprĂšs des Chinois, et faisant temporairement face Ă  peu de troupes d’occupation â€”, optent

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pour l’indĂ©pendance. Ils demandent pour ce faire protection Ă  la Russie tsariste. Le Kremlin avance ses pions pour protĂ©ger ses intĂ©rĂȘts dans la rĂ©gion, mais leur impose de fait un protectorat. La pĂ©riode qui s’ouvre va, pour la premiĂšre fois, permettre d’introduire des Ă©lĂ©ments de modernitĂ© en Mongolie, mais de façon encore timide.

Sont ouverts, par exemple, une premiĂšre mine de charbon pour alimenter les besoins d’Ourga (la future Oulan-Bator), deux Ă©coles primaires ainsi qu’une Ă©cole militaire, trois petites maisons d’édition, un atelier de conditionnement de feuilles de thĂ©, et une centrale Ă©lectrique. On inaugure aussi un service de tĂ©lĂ©phone, et le premier pĂ©riodique d’informations est lancĂ©. L’administration est rationalisĂ©e par la mise en place de dĂ©partements spĂ©cialisĂ©s, et une monnaie nationale est crĂ©Ă©e. De surcroĂźt, grĂące Ă  des expĂ©ditions scientifiques russes en archĂ©ologie et en anthropologie, les Mongols peuvent prĂ©ciser les contours de leur communautĂ© avec de nouveaux outils intellectuels.

Le mouvement n’atteint toutefois pas la masse de la population, qui est rurale, et l’embryon de prolĂ©tariat qui fait son apparition reste surtout chinois. Il permet nĂ©anmoins Ă  une minoritĂ© urbaine de se frotter Ă  des idĂ©es et Ă  des pratiques en vogue en Occident, dans un cadre qui sort du bouddhisme. Le Bogd Khan conserve cependant ses prĂ©rogatives et sa lĂ©gitimitĂ© au sein d’un peuple analphabĂšte qui ne connaĂźt que lui comme figure publique.

La RĂ©volution bolchevique de 1917 vient tout bouleverser, puisque c’est au tour du Tsar de perdre son trĂŽne. Les Ă©lites aristocratiques et religieuses mongoles se retrouvent alors face Ă  un dilemme, qui va les poursuivre jusqu’à leur Ă©radication finale, dans les annĂ©es 1930  : puisqu’elles n’ont plus d’équivalent mandchou ou russe, vers qui se tourner pour se maintenir en place ? Les Ă©vĂšnements leur laisseront peu de choix, et ce sera le baiser de la mort pour elles.

À PĂ©kin, les gĂ©nĂ©raux au pouvoir dĂ©cident de mettre la colonie rĂ©tive au pas, et la reconquĂȘte est particuliĂšrement brutale. Sans surprise, en novembre 1919, le Bogd est forcĂ© de signer un dĂ©cret annulant l’indĂ©pendance. Dans la foulĂ©e, l’arrivĂ©e, Ă  Ourga, d’un baron balte et de sa garde prĂ©torienne de 800 hommes, Ă  un moment oĂč la SibĂ©rie est Ă  feu et Ă  sang, dĂ©chirĂ©e entre « Russes rouges  » et « Russes blancs  », ajoute Ă  la complexitĂ© des Ă©vĂšnements en cours. Il chasse les troupes chinoises et commence Ă 

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massacrer les communistes et les Juifs, forçant ainsi Moscou à intervenir.

L’ArmĂ©e rouge entre dans la capitale le 5 juillet 1921. Le 11 juillet, un gouvernement « populaire Â» prend les rĂȘnes du pouvoir, dix jours seulement aprĂšs la crĂ©ation du Parti communiste chinois. LĂ©nine comprend bien la nouvelle importance stratĂ©gique de la Mongolie en Asie  : il amende la thĂ©orie marxiste du passage au socialisme en dĂ©clinant les conditions sous lesquelles il est possible de sauter le stade capitaliste pour les pays fĂ©odaux. Dans cette optique, les institutions de surveillance, de contrĂŽle et de rĂ©pression jouent un rĂŽle central pour mettre au pas des campagnes perçues comme arriĂ©rĂ©es par nature.

Dans un premier temps, les SoviĂ©tiques, pragmatiques, s’accommodent de la prĂ©sence du Bogd, de maniĂšre Ă  se concilier le clergĂ© et les nobles, en mettant sur pied une monarchie constitutionnelle. Puis, dans les annĂ©es suivantes, de nombreux dĂ©crets limitent petit Ă  petit les privilĂšges de ces derniers, jusqu’à l’adoption d’une Constitution rĂ©publicaine en 1924, aprĂšs la mort du souverain. La vocation du pays Ă©tant maintenant explicitement de servir de tĂȘte de pont Ă  la progression du communisme en Chine — pour finalement ĂȘtre rĂ©trocĂ©dĂ© Ă  cette derniĂšre une fois la victoire acquise â€”, peu d’investissements sont entrepris, et les changements sociaux qui ont lieu sont limitĂ©s.

Évidemment, les Ă©lites mongoles se trouvent de plus en plus insatisfaites de cette situation. Des relations sont donc Ă©tablies avec le dernier empire dynastique susceptible de les aider Ă  s’affranchir des Russes  : le Japon. Celui-ci, dans sa politique d’influence en Chine, cherche Ă  instrumentaliser les diffĂ©rentes factions militaires qui s’y disputent le pouvoir, mais il fait indirectement face aux nationalistes et aux communistes, soutenus par Moscou qui les alimente en armes via Oulan-Bator. En promettant aux Mongols de les aider Ă  devenir indĂ©pendants, Tokyo espĂšre briser ce front commun et s’implanter plus solidement dans le nord-est de l’Asie.

Le massacre des partisans de Mao TsĂ©-Toung par ceux de Tchang KaĂŻ-chek Ă  ShanghaĂŻ en 1927 Ă©loigne d’un coup la perspective de rĂ©unifier la Chine et de contrecarrer les plans nippons. Staline, dĂ©sormais maĂźtre du Kremlin, veut conserver Ă  tout prix la SibĂ©rie. La Mongolie est pour lui un espace vital Ă  la protection du mince «  corridor trans-BaĂŻkal  » dont dĂ©pend la prĂ©sence russe dans la rĂ©gion, et il n’est plus question de compromis avec les fĂ©odaux ni de rĂ©trocession Ă  court terme : un « rideau de fer Â» tombe

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sur le pays.

À partir de ce moment, les dirigeants mongols, souvent au prix de leur propre vie, vont devoir reproduire chez eux les prioritĂ©s stratĂ©giques de leurs parrains soviĂ©tiques. La premiĂšre de ces prioritĂ©s consiste Ă  asseoir l’autoritĂ© d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration « de gauche Â» sur un Parti Populaire RĂ©volutionnaire (PPRM) qualifiĂ© de « conservateur Â», puisqu’il est encore largement composĂ© de notables de l’ancien rĂ©gime. Dans un second temps, il s’agit de supprimer l’Église, qui reste au cƓur de la vie Ă©conomique, sociale et culturelle de la nation. L’étape finale est de transformer l’éleveur nomade en fer de lance de cette rĂ©volution marxiste qui nĂ©cessite un prolĂ©tariat industriel urbain. En somme, il faut faire table rase sur le passĂ©.

En interne, les Ă©ventuelles vellĂ©itĂ©s d’émancipation des Mongols sont de plus en plus restreintes par le maillage de canaux de communication et d’influence que tisse la Russie  : gouvernement, PPRM, Internationale communiste, Jeunesses communistes, police secrĂšte, ministĂšres, provinces, institutions scientifiques, entreprises Ă  capitaux partagĂ©s, etc. À l’extĂ©rieur, tout contact — ou contact attribuĂ© â€” avec les Japonais signe un blanc seing Ă  un procĂšs pour trahison. C’est de cette maniĂšre que le PPRM est purgĂ© par vagues successives de ses Ă©lĂ©ments les moins dociles, qui sont remplacĂ©s par des jeunes repĂ©rĂ©s tĂŽt et formĂ©s dans la plus pure orthodoxie de l’autre cĂŽtĂ© de la frontiĂšre.

Une premiĂšre campagne de collectivisation des ressources, qui se traduit concrĂštement par une conquĂȘte des steppes par la ville, a lieu entre 1928 et 1932 dans le but de priver le clergĂ© de son patrimoine et de rĂ©former les unitĂ©s productrices traditionnelles. Elle se solde cependant par un dĂ©sastre Ă©conomique et une situation insurrectionnelle gĂ©nĂ©ralisĂ©e, ainsi que par la fuite de 30 000 nobles, religieux et nomades « ordinaires Â».

QualifiĂ©e aprĂšs coup de « dĂ©viation  », elle est suivie d’une attaque plus frontale, de 1937 Ă  1939, destinĂ©e Ă  porter le coup de grĂące Ă  l’Église, au moment oĂč les tensions avec le Japon atteignent leur paroxysme. 30 000 personnes sont cette fois-ci condamnĂ©es Ă  mort publiquement, dont une majoritĂ© de lamas, et 80% des temples et monastĂšres sont rĂ©duits en cendres. Les Chinois, qui dominent toujours le commerce au dĂ©but des annĂ©es 1930, sont expulsĂ©s. Fait unique dans son histoire, la Mongolie se retrouve sous la coupe d’élites entiĂšrement nouvelles.

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L’État, par exemple, qui n’a plus la concurrence des Ă©coles religieuses dans ce domaine, peut investir massivement en Ă©ducation  : le taux d’alphabĂ©tisation passe de 6% en 1935 Ă  20% en 1940, puis bondit Ă  60% en 1950 — l’armĂ©e, avec la conscription obligatoire, ayant un impact significatif en la matiĂšre. Sous les ordres de Staline, toutes les minoritĂ©s de l’URSS adoptent l’alphabet latin, puis le cyrillique, ce qui facilite l’accĂšs Ă  la langue russe, qui devient le vĂ©hicule de la nouvelle idĂ©ologie et des nouvelles formes d’ascension sociale. Des modes d’expression artistique inĂ©dits, comme le thĂ©Ăątre, le ballet, le cirque, le cinĂ©ma, la littĂ©rature, ainsi que des sports inconnus jusqu’alors, comme l’athlĂ©tisme ou le cyclisme, font aussi leur apparition.

Ces changements n’affectent toutefois pas fondamentalement la formidable capacitĂ© de rĂ©silience du pastoralisme nomade, qui reste la clef du contrĂŽle de l’immense territoire mongol, avec son ariditĂ© hors normes et ses amplitudes thermales pouvant aller jusqu’à 100°C. L’échec de la collectivisation des troupeaux n’a en effet pas rĂ©glĂ© le problĂšme, pour le gouvernement, d’un monde rural opposĂ© en tous points Ă  une Ă©conomie moderne, avec sa faible densitĂ© de population, son ubiquitĂ©, sa sensibilitĂ© aux variations climatiques, et sa crĂ©ation de richesse minimale.

À la veille de la Seconde guerre mondiale, le prolĂ©tariat industriel ne compte que 10 000 ouvriers — plus 10 000 autres si l’on compte les coopĂ©ratives semi-artisanales. Le secteur extractif, quant Ă  lui, ne se limite qu’à la mine de charbon de NalaĂŻkh, construite pendant le protectorat tsariste. L’emploi en usine n’attire de fait pas les Mongols, qui y restent souvent le temps d’une saison avant de s’évanouir dans les steppes, et les dizaines de milliers de lamas ayant Ă©chappĂ© aux massacres ne peuvent trouver refuge que dans l’élevage. En 1953, 97% du bĂ©tail appartiennent ainsi toujours Ă  des particuliers. Bref, Ă  cette date, la structure de l’économie reste relativement inchangĂ©e.

C’est encore un Ă©vĂ©nement extĂ©rieur qui va inflĂ©chir le destin de la Mongolie  : il s’agit de la victoire des communistes sur les nationalistes en Chine en 1949, qui vient de surcroĂźt s’ajouter Ă  la dĂ©faite du Japon quatre ans auparavant. L’horizon se dĂ©gage donc a priori pour le pays, qui a Ă©tĂ© tour Ă  tour zone de projection et zone tampon entre les grandes puissances de la rĂ©gion. En outre, Staline, s’il a certes forcĂ© la main de Tchang KaĂŻ-chek puis de Mao TsĂ©-Toung, a obtenu la reconnaissance de

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l’indĂ©pendance de jure (et non plus de facto) d’Oulan-Bator1.

La dĂ©cennie de paix qui s’ouvre permet Ă  la Mongolie de rĂ©aliser, finalement, la collectivisation du cheptel. Sa proportion sous propriĂ©tĂ© privĂ©e tombe Ă  25% en 1959, l’État privilĂ©giant de nombreux incitatifs pour parvenir Ă  ses fins sans rĂ©pĂ©ter la catastrophe de 1928-1932. Le secteur primaire commence Ă  se diversifier, avec l’ouverture de « nouvelles terres  ». Les services Ă©ducatifs, sociaux, sanitaires et culturels sont en mesure d’atteindre les Ă©leveurs et les agriculteurs, et ce, mĂȘme dans les steppes les plus reculĂ©es, Ă  partir d’une multitude de petits centres urbains relayĂ©s par des coopĂ©ratives. De nombreuses autres infrastructures sont par ailleurs mises sur pied Ă  la faveur de l’émulation entre PĂ©kin et Moscou.

Mais c’est le divorce entre ces derniers, en 1959, sur fond de course au leadership dans le monde communiste, qui fait entrer la Mongolie pour de bon dans la modernitĂ©. La Chine, parfaitement consciente du fait que cette rupture arrive Ă  un moment oĂč son ancienne colonie peut capitaliser sur les synergies potentielles avec le tissu industriel sibĂ©rien, considĂ©rablement renforcĂ© pendant la guerre pour protĂ©ger la force de production soviĂ©tique des Allemands, met cartes sur table en 1960.

Elle propose une main d’Ɠuvre de 300 000 ouvriers accompagnĂ©e de la fourniture clefs en main d’un centre sidĂ©rurgique Ă  Darkhan, en plein dans le «  cordon ombilical  » qui relie Oulan-Bator Ă  la frontiĂšre russe. L’URSS rĂ©plique en aoĂ»t 1961 en rĂ©cupĂ©rant en partie l’idĂ©e, mais afin de promouvoir l’agro-alimentaire, puis lance directement de massifs travaux en octobre, Ă  tel point que Darkhan, ville nouvelle, est dĂšs les annĂ©es 1970 la plus grande agglomĂ©ration aprĂšs la capitale.

La cadence s’accĂ©lĂšre Ă  partir de 1966, quand Moscou et Oulan-Bator signent un nouveau traitĂ© d’amitiĂ© et d’assistance mutuelle, qui jette les bases d’une refonte de l’économie locale, et autorise le stationnement en Mongolie de la 39Ăšme armĂ©e soviĂ©tique2.

1 La RĂ©publique de Chine (TaĂŻwan), oĂč les nationalistes de Tchang KaĂŻ-chek se retrancheront, dĂ©noncera par la suite cet accord et contestera l’indĂ©pendance de la Mongolie jusqu’en 2002.2 Cette derniĂšre atteindra un pic de 100 000 hommes, Ă  une Ă©poque oĂč l’URSS et la Chine en viennent effectivement aux coups au sujet d’un diffĂ©rend frontalier (incident Damansky/Zhenbao en 1969).

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Dans le cadre de cette politique, ce sont surtout de grands projets miniers, entrepris dans la mĂȘme zone, qui vont assurer que la Mongolie ne change pas de camp et serve effectivement de bouclier au corridor trans-BaĂŻkal.

La colossale mine de cuivre et de molybdĂšne d’Erdenet, situĂ©e Ă  180 kilomĂštres de Darkhan et pour laquelle on Ă©rige ex-nihilo la troisiĂšme ville du pays, reprĂ©sentera ainsi dĂšs son ouverture en 1978, et ce jusqu’à nos jours, la premiĂšre source de revenus et de devises Ă©trangĂšres du gouvernement. Mongolrostsvetmet, qui se lance pour sa part dans l’exploitation de la fluorine aprĂšs l’effondrement des livraisons chinoises, devient l’autre grande entreprise publique binationale. Mais on trouve aussi de l’uranium, et des pays comme la TchĂ©coslovaquie, l’Allemagne de l’Est et la Bulgarie investissent sur place dans la production d’étain et d’or.

Ceci dit, le paradigme qui se dessine est clair : on passe petit Ă  petit d’un mode de dĂ©veloppement relativement « durable Â», basĂ© sur l’occupation de tout le territoire et trĂšs demandant en capital humain, Ă  un mode de dĂ©veloppement dĂ©pendant de ressources limitĂ©es, privilĂ©giant des poches gĂ©ographiques, et largement automatisĂ©. Tous les minerais sont destinĂ©s Ă  ĂȘtre exportĂ©s tels quels, sans transformation prĂ©alable, et les technologies employĂ©es pour les extraire sont assez rudimentaires.

Pour l’heure, toutefois, le visage de la sociĂ©tĂ© mongole est radicalement transformĂ©, au cours d’une pĂ©riode qu’il faut bien qualifier de « Trente glorieuses  » socialistes, entre 1955 et 1985 environ. Sur le seul plan dĂ©mographique, la population triple presque, grĂące Ă  des progrĂšs spectaculaires en matiĂšre de santĂ©, en passant de 845 500 Ă  deux millions d’habitants, et les urbains deviennent majoritaires Ă  57%, contre 21,5% auparavant.

L’industrie, qui reprĂ©sente seulement 7% du produit matĂ©riel net (PMN) au dĂ©but de cette pĂ©riode, en compte pour 35% Ă  la fin, et a un effet d’entraĂźnement sur le commerce, qui passe de 10% Ă  26%.3 Par consĂ©quent, l’agriculture — 68% du PMN en 1950 â€” dĂ©cline jusqu’à 20% en 1985 et n’occupe plus cette annĂ©e-lĂ  que 33% des actifs, Ă  telle enseigne que le Politburo du PPRM Ă©voque la possibilitĂ© de sĂ©dentariser la population nomade une fois pour toutes.

3 Le produit matĂ©riel net Ă©tait l’indicateur comptable de rĂ©fĂ©rence du Bloc so-viĂ©tique.

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Les femmes, catĂ©gorie vulnĂ©rable par excellence, sont bien intĂ©grĂ©es au marchĂ© du travail, et elles reprĂ©sentent 43% des diplĂŽmĂ©s des Ă©tablissements d’enseignement supĂ©rieur. L’administration offre mĂȘme Ă  celles qui vivent Ă  la campagne un accĂšs Ă  des maternitĂ©s gratuites, un congĂ© prĂ© et post-natal, et des crĂšches. Leur taux d’alphabĂ©tisation explose pour atteindre 95%, et celui des hommes 98%, et toute une gamme de services est financĂ©e pour permettre aux enfants d’éleveurs de poursuivre des Ă©tudes, au premier rang desquels la pension complĂšte et la gratuitĂ© scolaire. Une Ă©lite compĂ©tente dans les principaux corps de mĂ©tiers est formĂ©e en URSS et en Europe de l’Est. Certes symbolique, on compte mĂȘme, pour la petite histoire, un cosmonaute mongol dans la course aux Ă©toiles.

Tous ces changements sont nĂ©anmoins portĂ©s Ă  bout de bras par un État omniprĂ©sent, qui est le point d’articulation de prioritĂ©s qui sont dĂ©terminĂ©es par et pour le Kremlin. En outre, quoique bĂ©nĂ©ficiant d’une relative pĂ©riode de grĂące puisqu’elle commence tout juste Ă  s’industrialiser, la Mongolie n’a aucune marge de manƓuvre pour Ă©viter la crise d’usure qui frappe de plein fouet la vieille Russie socialiste Ă  partir des annĂ©es 1980 : 95% de ses Ă©changes sont rĂ©alisĂ©s avec le Bloc soviĂ©tique, 90% de ses besoins sont couverts par les importations, et un tiers de son PIB repose sur l’aide financiĂšre et technique des pays « frĂšres Â».

Pour redynamiser son vaste empire, Gorbatchev entame un programme d’ouverture Ă©conomique (PerestroĂŻka) et de transparence bureaucratique (Glasnost) qui va trouver un Ă©cho favorable au sein des jeunes Mongols les plus Ă©duquĂ©s. Batmönkh, un universitaire qui prend le fauteuil de Tsedenbal, le Brejnev local, Ă©vincĂ© en 1984, est spĂ©cifiquement chargĂ© de mettre en place ces orientations Ă  partir de 1986-1987. Il ne s’aventure cependant guĂšre plus loin qu’une lĂ©gĂšre inflexion politique, autorisant la prĂ©sence de quelques mĂ©dias occidentaux, ou mettant sur pied une commission chargĂ©e de faire la lumiĂšre sur les purges des annĂ©es 1930.

Sur le plan extĂ©rieur, le vent tourne par contre plus vite, et annonce la fin d’un long tĂȘte-Ă -tĂȘte forcĂ© avec la Russie. La fonction de zone tampon de la Mongolie perd en effet de son importance depuis que PĂ©kin s’est engagĂ©, en 1978, dans un compromis avec le capitalisme et ne se pose plus en concurrente de Moscou. Les deux gĂ©ants rĂšglent leurs diffĂ©rends frontaliers en 1987, et Batmönkh peut signer plusieurs traitĂ©s bilatĂ©raux avec une Chine qui paraĂźt sans arriĂšres pensĂ©es, en Ă©tendant la dĂ©marche

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aux États-Unis.

Du socialisme au capitalisme, la transition chaotique vers une économie de rente inégalitaire

Le 10 dĂ©cembre 1989, 200 personnes se rassemblent sous les fenĂȘtres du Parlement Ă  Oulan-Bator pour appeler les autoritĂ©s Ă  concrĂ©tiser une fois pour toutes leurs promesses de PerestroĂŻka et de Glasnost. À la surprise gĂ©nĂ©rale, dĂšs le lendemain, le PPRM en accepte le principe. Le 17 dĂ©cembre, ce sont 2 000 manifestants qui reviennent avec une pĂ©tition —  la premiĂšre du genre  —, dans laquelle ils demandent l’organisation d’élections libres l’annĂ©e suivante. Le gouvernement se dit alors prĂȘt Ă  entamer des rĂ©formes, mais seulement dans le cadre d’un programme plus Ă©talĂ© dans le temps.

RassemblĂ© sous la banniĂšre d’une Union dĂ©mocratique mongole (UDM), le mouvement s’étend aux campagnes, et les dolĂ©ances se font plus prĂ©cises. Mais face Ă  l’attentisme des autoritĂ©s, c’est la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme des institutions qui est dĂ©sormais contestĂ©e. Le 8 mars, des violences Ă©clatent et une personne dĂ©cĂšde : l’UDM, apĂŽtre de la non-violence, est dĂ©bordĂ©e. Coup de thĂ©Ăątre le 9 mars : le Politburo du PPRM annonce sa dĂ©mission, et, peu aprĂšs, le Parlement se rĂ©unit pour accepter le multipartisme. Enfin, le 10 mai 1990, aprĂšs de laborieuses discussions, les premiĂšres Ă©lections libres de l’histoire du pays sont fixĂ©es Ă  juillet, et l’agitation publique cesse.

Comment le rĂ©gime a-t-il pu en arriver lĂ  en l’espace de cinq mois seulement ? Plusieurs facteurs Ă©clairent directement l’issue des Ă©vĂšnements. Le noyau originel des manifestants est d’abord composĂ© des enfants des Ă©lites, formĂ©s en URSS ou en Europe de l’Est, sensibles aux idĂ©es de la pĂ©riode Gorbatchev, et qui connaissent tous, outre une langue slave, l’anglais ou l’allemand, ce qui leur donne accĂšs aux mĂ©dias occidentaux disponibles depuis peu. En outre, leurs demandes restent conformes aux rĂšgles politiques en vigueur, bien que leur mĂ©thode soit hors-la-loi. Les autoritĂ©s ont donc deux bonnes raisons de penser parvenir Ă  les maĂźtriser en se pliant initialement Ă  leurs rĂ©clamations. C’est un accĂšs de faiblesse qui ouvre la voie Ă  l’émergence d’une critique plus populaire.

Quand les troubles atteignent leur paroxysme, le 8 mars, avec des dizaines de milliers d’individus de toutes origines sociales, une lutte latente pour le pouvoir fait rage au sein des hautes sphùres de l’État entre les partisans de

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l’écrasement du mouvement et ceux de la nĂ©gociation, Ă  tel point que le ministre de la sĂ©curitĂ© publique n’ose pas envoyer l’armĂ©e de peur qu’elle ne se retourne contre le gouvernement. Le Kremlin a bien fait savoir qu’il ne soutiendrait pas une rĂ©pression musclĂ©e, ne souhaitant pas voir se rĂ©pĂ©ter l’expĂ©rience chinoise de 1989 sur la place Tiananmen dans son prĂ©-carrĂ©. Les orthodoxes sont dĂšs lors Ă©cartĂ©s, et les rĂ©formateurs ont toute latitude pour emmener leurs troupes aux Ă©lections de juillet.

Au sein de l’opposition qui prend forme, une autre dynamique est en cours. Les enfants de la vieille Ă©lite, ceux de dĂ©cembre 1989, attachĂ©s Ă  complĂ©ter les acquis sociaux par des progrĂšs dĂ©mocratiques, se retrouvent vite marginalisĂ©s par des nouveaux venus dans l’arĂšne publique, qui se font pour leur part les champions de l’économie de marchĂ©. CantonnĂ©s aux centres urbains, inexpĂ©rimentĂ©s, tous arrivent en ordre dispersĂ© au scrutin, et ils sont sans surprise dĂ©faits par un PPRM qui augmente au prĂ©alable les allocations, les bourses et les salaires, et peut compter sur sa grande lĂ©gitimitĂ© dans le monde rural — qui est ironiquement non sans rappeler celle du Bogd Ă  une autre Ă©poque.

À partir de ce moment, la transition s’accĂ©lĂšre. La Russie met un terme Ă  son soutien, rĂ©clame le remboursement de ses investissements passĂ©s, exige d’ĂȘtre payĂ©e en dollars, et rechigne Ă  Ă©changer par troc comme le souhaitent les Mongols. À court de liquiditĂ©s, ces derniers se tournent en catastrophe vers les bailleurs de fonds multilatĂ©raux et Washington  : le SecrĂ©taire d’État amĂ©ricain James Baker arrive en aoĂ»t 1990 Ă  Oulan-Bator, au moment oĂč le Fonds monĂ©taire international y effectue sa premiĂšre visite, et la Banque asiatique de dĂ©veloppement suit en mai 1991. Comme entre 1911 et 1927, les dirigeants mongols cherchent en somme, Ă  l’extĂ©rieur, un soutien pour se maintenir en place Ă  travers la tempĂȘte. Or, dorĂ©navant, ils peuvent compter sur l’appui du vainqueur de la Guerre froide, et non de dynasties Ă  l’agonie.

De surcroĂźt, lĂ  oĂč il n’y avait pas d’isomorphisme entre fĂ©odalisme et socialisme, il existe maintenant, entre socialisme et capitalisme, une rationalitĂ© Ă©tatique commune qui autorise les permutations idĂ©ologiques. MaĂźtrisant les rouages d’une administration plĂ©thorique et d’une Ă©conomie urbaine et industrielle centralisĂ©e, les ex-communistes apparaissent en effet aux yeux des Occidentaux comme les techniciens les mieux Ă  mĂȘme, dans un contexte d’incertitude gĂ©nĂ©ralisĂ©e, d’ouvrir le marchĂ© local et d’engager les institutions dans la voie de la dĂ©mocratie.

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Apte Ă  recevoir des prĂȘts et des dons de l’Ouest, le gouvernement du PPRM s’engage ainsi dans un des programmes de privatisation les plus rapides au monde : moins d’un an pour les plus petites entreprises. Chaque citoyen se voit donner des coupons reprĂ©sentant une proportion Ă©gale de l’unitĂ© en jeu, mais peu ont idĂ©e de leur valeur et du fonctionnement de la bourse, si bien que les pasteurs nomades et les citadins fragilisĂ©s par la soudainetĂ© de la crise les vendent Ă  rabais pour acheter des biens de consommation courante.4 Quant aux appartements, ils sont simplement donnĂ©s Ă  leurs occupants.

À la campagne, quelques 26 millions de bĂȘtes ainsi que du matĂ©riel (tracteurs, outils, etc.) sont rĂ©partis par les directeurs de chaque coopĂ©rative en prioritĂ© Ă  leurs familles et Ă  leurs rĂ©seaux personnels, grĂące Ă  quoi, dĂšs 1992, 5% seulement des mĂ©nages ont des troupeaux de 200 tĂȘtes et plus, et 42% de moins de 31 tĂȘtes.5 Les prix sont libĂ©ralisĂ©s, et l’inflation explose : elle atteint alors 325%. L’État sabre en parallĂšle dans ses dĂ©penses, avec pour consĂ©quences, parmi d’autres, une mortalitĂ© des mĂšres en couche qui double dans les trois premiĂšres annĂ©es de la transition, des abandons scolaires de plus en plus nombreux, des milliers d’enfants qui deviennent sans-abris dans les rues de la capitale, et des collections musĂ©ales pillĂ©es.

La corruption devient endĂ©mique dans le jeu de recomposition du patrimoine des Ă©lites, gangrĂ©nant le quotidien des citoyens comme les dĂ©cisions des plus hauts responsables. En 1993, le vice-Premier ministre Purevdorj signe, par exemple, un accord avec la firme amĂ©ricaine Ibex Group, lui octroyant un monopole de 99 ans sur l’extraction des ressources miniĂšres, les tĂ©lĂ©communications, le tourisme et le cachemire. Une fuite in extremis dans la presse fera avorter le projet deux ans plus tard. Les Russes, pour leur part, dĂ©cident de vendre au secteur privĂ© la moitiĂ© de leurs 49% d’Erdenet — qui Ă©vite pourtant Ă  la Mongolie la faillite pure et simple â€” au coĂ»t largement sous-Ă©valuĂ© de 240 000 dollars.

4 En 2003, 0,5% de la population possĂšde plus de 70% des parts des compagnies privatisĂ©es Ă  ce moment-lĂ .5 C’est une inĂ©galitĂ© qui, en 2006, ne s’est pas rĂ©sorbĂ©e, puisque 52% des familles impliquĂ©es dans le secteur ont moins de 100 animaux. Il en faut entre 200 et 300 Ă  une famille de quatre Ă  cinq membres pour vivre dĂ©cemment.

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LassĂ©s, les citoyens votent pour le changement en 1996, en portant au pouvoir l’ancienne UDM, concrĂ©tisant la premiĂšre alternance politique depuis 1921. Soutenue par des organisations amĂ©ricaines et allemandes liant Ă©conomie de marchĂ© et dĂ©mocratie, celle-ci se rĂ©vĂšle pourtant plus dĂ©terminĂ©e encore Ă  mener Ă  bien la thĂ©rapie de choc, allant jusqu’à retirer 103 000 pensionnaires du systĂšme de retraite. L’affairisme reprend de plus belle, et la situation Ă©conomique et sociale reste dramatique.

Au terme d’une dĂ©cennie de « rĂ©ingĂ©nierie Â» Ă©tatique, et malgrĂ© les coĂ»ts de licenciement les plus bas du monde, l’absence de vĂ©ritables taxes sur le commerce, et le cinquiĂšme rang dĂ©tenu par la Mongolie parmi les pays les plus dĂ©pendants Ă  l’aide Ă©trangĂšre, le revenu par habitant est 77% infĂ©rieur Ă  celui de 1989. Le chĂŽmage fait des ravages au sein d’une population sur-Ă©duquĂ©e, qui vient gonfler le nouveau secteur informel, qui reprĂ©sente, dans la capitale seulement, entre 20% et 40% des actifs. Le taux de natalitĂ© chute de 52%, et le nombre de mariages de 40%. Un tiers des Mongols vit sous le seuil de pauvretĂ©, et les inĂ©galitĂ©s ne cessent de croĂźtre.

La situation est totalement inĂ©dite du point de vue des changements structurels. On assiste Ă  un passage «  du DeuxiĂšme au Tiers Monde  », qui se caractĂ©rise par la conjugaison d’une dĂ©sindustrialisation, d’un exode urbain, et d’un retour Ă  un pastoralisme nomade dont la productivitĂ© est en baisse. L’industrie voit en effet sa part dans le PIB s’effondrer de 41% en 1990 Ă  20% en 2003, un processus qui amĂšne des milliers de familles citadines Ă  devoir s’exiler Ă  la campagne pour se lancer dans l’élevage, sans expĂ©rience. Ce mouvement fait reculer le nombre d’urbains Ă  52%, avant un douloureux retour de bĂąton en 1999, qu’Oulan-Bator absorbera au dĂ©triment des autres villes. La proportion du secteur agricole dans l’emploi total passe de 32% en 1989 Ă  49% en 1998, et de 15,5% Ă  37,5% dans le PIB.

Cet afflux dans les steppes survient alors que la majoritĂ© des 35 000 puits ne sont plus entretenus et que la disparition des coopĂ©ratives —  qui aidaient Ă  mettre les animaux sur le marchĂ© et fournissaient les services sociaux  — forcent les Ă©leveurs Ă  rivaliser pour les meilleurs pĂąturages. De 1990 Ă  1999, le cheptel passe ainsi de 26 millions de tĂȘtes Ă  33,5 millions, dĂ©passant la capacitĂ© de renouvellement du milieu. En outre, sa composition change de façon radicale, la recherche de rentabilitĂ© Ă  court terme faisant prĂ©fĂ©rer les chĂšvres, dont on exporte la laine de cachemire en Chine, aux moutons, mais les premiĂšres arrachent les pousses au lieu de

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les couper comme le font les seconds, accélérant une tendance lourde à la désertification.

Ainsi, lorsque une sĂ©rie d’étĂ©s secs suivis d’hivers plus rigoureux qu’à l’habitude s’abat sur la Mongolie en 1999, 2000 et 2001, ses effets vont s’en trouver dĂ©multipliĂ©s par les consĂ©quences de la crise en zone rurale. Ne bĂ©nĂ©ficiant plus d’assez de rĂ©serves de graisse ni de fourrage, les animaux doivent faire face au gel et au dĂ©gel de la neige (dzud), qui forment une croĂ»te difficile Ă  traverser pour atteindre une herbe devenue plus rare. Quelques 11 millions d’entre eux meurent de faim, laissant leurs propriĂ©taires dans le plus grand dĂ©nuement. Le pastoralisme, malgrĂ© toutes les vicissitudes du XXe siĂšcle, vient de perdre, pour le peuple, sa vocation de refuge face Ă  la crise.

Les dĂ©shĂ©ritĂ©s qui ne vont pas (re)venir gonfler brutalement les quartiers pĂ©riphĂ©riques de la capitale envahissent en masse une extension originale de l’économie informelle, dont un embryon commence tout juste Ă  se structurer  : les mines artisanales. Cependant, au mĂȘme moment, dans un Ă©lan que la Banque mondiale qualifie de « sans Ă©quivalent Â» ailleurs, le secteur extractif formel attire, quant Ă  lui, une multitude de firmes Ă©trangĂšres dans le but de profiter des formidables gisements d’or, de cuivre, de fluorine, de fer, de plomb, d’argent, de tungstĂšne, d’uranium, de zinc et autres qui sont dĂ©couverts.

Cette double dynamique prend racine dĂšs les premiers mois de la pĂ©riode capitaliste. Le dĂ©clic a lieu en 1991, dans le village de Bornuur, dans le centre-nord du pays, lorsque quelques dizaines d’individus commencent Ă  recycler les sĂ©diments environnants pour en extraire paillettes et poussiĂšres d’or. Non loin de lĂ , d’autres dĂ©cident de se spĂ©cialiser dans la rĂ©cupĂ©ration du mercure prĂ©sent dans le sol aprĂšs l’explosion en 1956 d’un stock de dix tonnes, afin d’alimenter la demande locale.

En 1993, ce sont des travailleurs de la mine de charbon de NalaĂŻkh qui s’approprient les nombreux tunnels laissĂ©s vacants Ă  sa fermeture. Puis, en 1995-1996, des centaines d’ex-employĂ©s d’autres mines publiques, pour la plupart hautement qualifiĂ©s, assistĂ©s de leurs familles, se lancent Ă  leur compte dans les roches aurifĂšres. Enfin, au cours de la premiĂšre moitiĂ© de 1999, ils sont rejoints par une vague plus importante d’anciens fermiers et d’urbains marginalisĂ©s, Ă  l’issue de laquelle ces « pionniers Â» sont prĂšs de 10 000.

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De son cĂŽtĂ©, le gouvernement entame, en 1992, son programme « Or Â» dans le but d’attirer les investissements Ă©trangers qui font cruellement dĂ©faut Ă  ses finances. En 1994, il franchit une Ă©tape supplĂ©mentaire en ouvrant son trĂšs secret Fonds gĂ©ologique. Mais c’est surtout l’adoption, en 1997, d’une loi sur le sous-sol considĂ©rĂ©e comme un exemple de libĂ©ralisme en la matiĂšre, qui permet d’obtenir le vĂ©ritable aperçu des richesses souterraines. Le dĂ©part d’une course aux licences d’exploration est sonnĂ©, et son succĂšs est tel qu’en 2003, avec prĂšs du quart du territoire national couvert, on en compte prĂšs de 2 600, auxquelles s’ajoutent 78 000 hectares sous licences d’exploitation dĂ©tenues par 141 entreprises.

La majoritĂ© de ces 141 entreprises se concentre dans des zones alluviales aurifĂšres prĂ©sentes un peu partout, et les technologies auxquelles elles ont recours, toujours largement tributaires de l’hĂ©ritage socialiste, entraĂźnent des pertes de 15% Ă  45% de l’or contenu dans le minerai qu’elles traitent. C’est donc ce qu’elles laissent derriĂšre elles qui va stimuler la convergence avec le secteur informel en s’imposant comme la seule alternative immĂ©diate de survie aux individus affectĂ©s par les dzuds. En l’espace de trois ans seulement, et par capillaritĂ© avec les quelques rĂ©seaux dĂ©jĂ  constituĂ©s, le nombre des mineurs artisanaux est multipliĂ© par dix, et en 2003, il dĂ©passe le cap des 100 000.

Il faut dire que le potentiel de recyclage en question est substantiel, puisqu’à ce point prĂ©cis, chaque annĂ©e, ce sont prĂšs de 7,8 tonnes d’or qui sont rejetĂ©es par les industriels, Ă  l’origine de 95% des 7,5 tonnes extraites par les artisans (pour une valeur de 60 millions Ă  100 millions de dollars), en plus de stocks fixes restants estimĂ©s Ă  48 tonnes de mĂ©tal pur. Certains experts n’hĂ©sitent pas, devant ces chiffres, Ă  envisager un ancrage du phĂ©nomĂšne sur plusieurs dĂ©cennies.

Les sĂ©diments, notamment, qui forment le gros de ces dĂ©chets, prĂ©sentent l’avantage d’ĂȘtre relativement simples Ă  exploiter pour des nĂ©ophytes dĂ©pourvus de moyens financiers et matĂ©riels, grĂące Ă  quoi ils attirent la plus grande part des nouveaux arrivants. On compte nĂ©anmoins 20 000 chercheurs d’or spĂ©cialisĂ©s dans les roches, plus difficiles d’accĂšs, et mĂȘme, quoique marginalement, des groupes qui vivent de la fluorine, des gemmes, du sel de montagne, et bien sĂ»r du charbon et du mercure.

La diversitĂ© de cette population ne s’arrĂȘte pas lĂ . Hommes, femmes et enfants tiennent des rĂŽles gĂ©nĂ©ralement diffĂ©rents. Les mĂ©tiers d’origine

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sont aussi variĂ©s que juge ou ouvrier. Les revenus sont susceptibles de passer du simple au dĂ©cuple d’un lieu Ă  l’autre pour la mĂȘme activitĂ©. Et le temps investi peut reprĂ©senter quelques jours ou plusieurs saisons, avec un mode opĂ©ratoire sĂ©dentaire ou nomade, tout cela en fonction du profil et des circonstances de chacun : mineur professionnel, Ă©leveur, Ă©tudiant, retraitĂ©, prestataire de service ; avec des dettes Ă  rembourser, des enfants Ă  charge, etc.

Si la condition sine qua non de leur existence est Ă©videmment la relative inefficacitĂ© de l’industrie, les mineurs artisanaux possĂšdent par rapport Ă  celle-ci, en contrepartie, un avantage technologique avec leurs procĂ©dĂ©s manuels. Plus prĂ©cis et plus rĂ©actifs, ils sont capables de traiter un minerai contenant jusqu’à cinq fois moins de mĂ©tal au mĂštre cube et ils en Ă©valuent la densitĂ© moyenne en continu, alors que les compagnies Ă©tablissent leurs objectifs sur une moyenne de plusieurs jours. En outre, ils ne s’arrĂȘtent pas pendant l’hiver comme ces derniĂšres, qui doivent tenir compte des conditions climatiques rigoureuses pour la machinerie et de leurs besoins importants en eau liquide.

Chaque dĂ©tail de leur occupation est soumis Ă  rĂ©Ă©valuation et adaptation constantes. En tĂ©moignent, notamment, l’importation en 2003 d’«  essoreuses  » Ă  sec californiennes, disponibles en version locale deux ans aprĂšs, et celle, en 2005, de dĂ©tecteurs de mĂ©taux coĂ»tant entre 1 500 dollars et 4 000 dollars. Plus rien ne les retient, Ă  la suite de ces « innovations Â», pour explorer d’autres terrains qui ne sont pas privatisĂ©s, comme l’immense parc naturel du dĂ©sert de Gobi. Bref, le dynamisme de ces artisans est tel qu’ils constituent, peu aprĂšs leur Ă©mergence, la premiĂšre source de revenus et de nouveaux emplois dans le monde rural.

MalgrĂ© tout, leurs communautĂ©s reproduisent les inĂ©galitĂ©s qui caractĂ©risent la sociĂ©tĂ© mongole dans son ensemble. Elles sont les premiĂšres victimes des dĂ©gĂąts environnementaux qu’elles causent, et les heures de travail excessives, les conditions sanitaires dĂ©plorables et la criminalitĂ© Ă©levĂ©e y sont chroniques. Par ailleurs, les villages prĂšs desquels elles s’établissent, dĂ©bordĂ©s par leur nombre et ne disposant pas des infrastructures nĂ©cessaires pour les prendre en charge, rĂ©agissent souvent mal Ă  leur voisinage. Enfin, leur Ă©conomie dĂ©pend, comme celle du reste du pays, de prix volatiles dĂ©terminĂ©s Ă  l’extĂ©rieur, et elle gĂ©nĂšre de l’argent liquide destinĂ© Ă  ĂȘtre consommĂ© largement en produits importĂ©s ou rĂ©investi Ă  Oulan-Bator, par exemple dans l’achat de taxis.

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Exclus du systĂšme de sĂ©curitĂ© sociale, comme prĂšs de 60% des actifs (surtout ruraux), par un gouvernement soucieux de limiter au strict minimum ses dĂ©penses au lendemain de l’effondrement du rĂ©gime socialiste, les mineurs artisanaux sont en outre maintenus dans une illĂ©galitĂ© prolongĂ©e. Cette illĂ©galitĂ© sert de prĂ©texte aux services de sĂ©curitĂ© des dĂ©tenteurs de licences et aux forces de l’ordre pour les rĂ©primer et leur confisquer leur production, parfois violemment, puisqu’ils « volent Â» des ressources ne leur appartenant pas, bien qu’elles soient dĂ©nuĂ©es de valeur commerciale en l’état.

Les autoritĂ©s, responsables en premier et en dernier ressort de cette situation, maintiennent une attitude volontairement attentiste Ă  leur Ă©gard pendant toute la dĂ©cennie 2000. La Banque nationale de Mongolie est en effet la seule au monde Ă  ĂȘtre habilitĂ©e Ă  acheter de l’or brut et Ă  le vendre pour en tirer un bĂ©nĂ©fice ; elle participe Ă  ce titre au circuit de l’orpaillage informel. De plus, la dispersion de ces 100 000 victimes de la thĂ©rapie de choc des annĂ©es 1990 sur un territoire immense Ă©vite l’explosion d’Oulan-Bator, donc une potentielle montĂ©e de la contestation sous les fenĂȘtres du Parlement. C’est aussi, de maniĂšre plus subtile, Ă  un coĂ»t modique pour les finances publiques, un rĂ©servoir d’« entrepreneurs Â» rompus aux pratiques du marchĂ©, pour le jour oĂč la conjoncture en aura besoin.

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’adoption, en 2010-2011, d’une sĂ©rie de mesures lĂ©gislatives visant Ă  encadrer leurs activitĂ©s. Ces mesures stipulent en particulier que les mineurs artisanaux peuvent acquĂ©rir des licences collectivement et signer des contrats avec les entreprises dont ils exploitent les dĂ©chets. Cependant, les conditions en sont si complexes et si restrictives que leur mise en pratique pose dĂ©jĂ  problĂšme sur le terrain et crĂ©e une Ă©niĂšme sĂ©lection entre les « mĂ©ritants Â», qui ont les moyens de rentrer dans le droit, et les autres.

* * *

Nombreux sont ceux, au sein de la galaxie des institutions internationales ayant pignon sur rue Ă  Oulan-Bator et au sein du gouvernement, qui prĂ©disent que les mineurs artisanaux rĂ©intĂ©greront d’eux-mĂȘmes l’économie formelle Ă  mesure qu’une pĂ©riode prolongĂ©e de croissance leur en offrira les opportunitĂ©s. C’est faire abstraction des facteurs structurels que nous venons de passer en revue, ainsi que des tendances lourdes du systĂšme capitaliste Ă  produire de l’exclusion pour maintenir son rythme de

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développement, en particulier dans le cas qui nous intéresse.

Plus grave, peut-ĂȘtre, pour des dĂ©cideurs ancrĂ©s dans le prĂ©sent : l’actualitĂ© leur donne dĂ©jĂ  tort. Le nombre de «  ninjas  », comme les mĂ©dias les surnomment en rĂ©fĂ©rence aux personnages d’un dessin animĂ© auxquels ils sont censĂ©s ressembler avec leur Ă©quipement, est aujourd’hui loin de se rĂ©sorber, notamment aprĂšs un autre dzud en 2009-2010, qui a entraĂźnĂ© Ă  lui seul la mort de huit millions de tĂȘtes de bĂ©tail. Tout l’équilibre des steppes est chamboulĂ©, et les facteurs aggravants sont bien sĂ»r d’origine anthropique. L’industrie extractive, quant Ă  elle, n’est pas en mesure de fournir les emplois nĂ©cessaires, occupant seulement 4% des actifs au plus fort du boum des annĂ©es 2000, alors qu’elle compte pour un tiers du PIB et 70% des exportations.

En outre, les tensions populaires se multiplient autour de l’accĂšs Ă  la rente miniĂšre, comme l’illustrent l’apparition de coalitions citoyennes rĂ©clamant une plus grande prise de participation des autoritĂ©s dans les projets d’exploitation dits «  stratĂ©giques Â». Une nouvelle loi sur le sous-sol leur fait d’ailleurs partiellement Ă©cho depuis 2006. Le PPRM et les hĂ©ritiers de l’UDM se livrent aussi une concurrence de plus en plus fĂ©roce pour gagner le pouvoir de « redistribuer Â», avec des surenchĂšres de promesses de primes et de chĂšques divers aux votants. Cette concurrence explique en partie des affrontements post-Ă©lectoraux ayant fait cinq morts en 2008, des violences inĂ©dites depuis 1990.

La Mongolie n’a finalement fait que troquer une forme de dĂ©pendance pour une autre, et tout y est Ă  reconstruire, en prioritĂ© ses infrastructures urbaines. 60% des habitants de la capitale, par exemple, vivent sous une yourte. Le pays est plus vulnĂ©rable que jamais aux variations des prix des matiĂšres premiĂšres, et sa balance du commerce extĂ©rieur est chroniquement dĂ©ficitaire. Par ailleurs, la Chine, par le seul pouvoir du marchĂ©, a rĂ©ussi Ă  y reconquĂ©rir en sous main sa position prĂ©dominante : elle en est le premier investisseur, le premier client, et bientĂŽt le premier fournisseur.

Ce dernier point a son importance. L’État mongol ne doit en effet son existence qu’à l’équilibre des puissances entre ses grands voisins. Mais sa spĂ©cificitĂ© tient au fait que, jusqu’à la dĂ©couverte du plein potentiel de ses rĂ©serves minĂ©rales dans les annĂ©es 1990, il remplissait seulement une fonction politique, d’oĂč son entrĂ©e tardive — 1950-1960 â€” dans la modernitĂ©. Il est le plus pur produit de l’interventionnisme Ă©tranger, avec

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son lot d’évĂšnements dĂ©clencheurs lointains et de consĂ©quences locales arbitraires. Ses Ă©lites ont rĂ©ussi Ă  traverser indemnes toutes les crises, Ă  l’exception du stalinisme. Jusqu’à quand le pourront-elles, maintenant qu’elles sont assises sur des mines d’or qui aiguisent mĂȘme l’appĂ©tit du placide Canada et que les attentes de la population sont immenses ?

RepĂšres bibliographiques

Pour approfondir le sujet, nous proposons les sources suivantes :

APPEL P. W., 2005, Small-Scale Mining in Mongolia. A Survey Carried out in 2004. Copenhague: GEUS (Geological Survey of Denmark and Greenland).

BANQUE MONDIALE, 2003, Mongolia Mining Sector: Managing the Future. Washington (D.C.), Banque mondiale.

BANQUE MONDIALE, 2007, Mongolia: Building the Skills for the New Economy. Washington (D.C.), Banque mondiale.

BAT-ERDENE (BAABAR) B., 2004 [1996], History of Mongolia. Oulan-Bator, Monsudar.

EVEN M.-D. et S. Clairet, 2008, «  Dossier Ethnopolitique: Mongolie  », Diplomatie 34 (sept./oct.): 101-13.

GRAYSON R., 2007, «  Anatomy of the People’s Gold Rush in Modern Mongolia Â», World Placer Journal 7: 1-66.

GRIFFIN K. (dir.), 2003, Poverty Reduction in Mongolia. Canberra, Asia Pacific Press.

GROUSSET R., 1965 [1938], L’empire des steppes. Attila, Gengis-Khan, Tamerlan. Paris, Payot.

MBDA (Mongolian Business Development Agency), Eco-Minex International Ltd

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et Murray Harrison Ltd, 2003, Ninja Gold Miners of Mongolia. Assistance to Policy Formulation for the Informal Gold Mining Sub-Sector in Mongolia. Final Report. Oulan-Bator, MBDA, Eco-Minex International Ltd et Murray Harrison Ltd.

PNUD (Programme des Nations-unies pour le développement), 2000, Human Development Report Mongolia 2000. Reorienting the State. Oulan-Bator: PNUD.

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ROSSABI M., 2005, Modern Mongolia. From Khans to Commissars to Capitalists. Berkeley, Univerity of California Press.

RUPEN R., 1979, How Mongolia is Really Ruled. A Political History of the Mongolian People’s Republic 1900-1978. Stanford, Hoover Institution Press.

UNFPA (Fonds des Nations-Unies pour la Population), 2007, Socio-Economic Situation of Informal Gold Miners and Their Need for Social Services. Survey Report. Oulan-Bator, UNFPA.

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RESOURCES & MINES

RĂ©trospective d’une annĂ©e de rĂ©sistance Ă  l’exploitation miniĂšre : entre espoirs et atermoiements

Par Annie Pelletier

Dure annĂ©e que la derniĂšre, pour le Guatemala! Si plusieurs d’entre nous connaissent bien la triste chanson de la violence et des

violations des droits humains dans ce pays, mĂȘme les plus avertis auront encore eu de quoi s’étonner en 2009, tant les rebondissements politiques et sociaux auront Ă©tĂ© Ă  la fois vifs, tĂ©lĂ© romanesques1 et prĂ©occupants, parce que symptomatiques d’un pays en crise.

Pourtant, en marge des Ă©pisodes d’ingouvernabilitĂ©, de la corruption, du contrĂŽle exercĂ© par le crime organisĂ©, du climat de violence et de rĂ©pression2, de la justice historiquement dĂ©faillante et de la pauvretĂ© croissante, la sociĂ©tĂ© civile ne s’est peut-ĂȘtre jamais autant affirmĂ©e que ces derniers mois. En fait foi la mobilisation pour la dĂ©fense des ressources naturelles, alors qu’elle a contraint le gouvernement Ă  reconnaĂźtre enfin le dĂ©ficit dĂ©mocratique sur la question, Ă  ouvrir des espaces d’expression publique et Ă  tenter de rĂ©pondre aux pressions grandissantes d’un front commun qui demande Ă  ĂȘtre pris en considĂ©ration et qui rĂ©clame, notamment, une rĂ©forme complĂšte de la loi rĂ©gissant les activitĂ©s miniĂšres au pays3. C’est tout un processus d’organisation citoyenne, lent et fragmentĂ©, mais combien important, qui est en train de se dĂ©rouler au sud.

Premiers signes d’une rĂ©sistance sociale

A partir de 2001 dĂ©jĂ , des poches de protestations sociales avaient commencĂ© Ă  surgir4, preuve de la rĂ©appropriation d’une libertĂ© d’expression longtemps refoulĂ©e par les armes. Mais ce n’est que plus tard qu’on a vu se crĂ©er et s’activer des mouvements organisĂ©s en opposition aux

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mĂ©gaprojets de barrages hydroĂ©lectriques, ou aux concessions octroyĂ©es Ă  des entreprises d’extraction de pĂ©trole et de minerais, la plupart Ă©trangĂšres. LĂ  oĂč la prospection allait bon train, l’inquiĂ©tude des populations locales augmentait, donnant Ă  voir les prĂ©misses d’une conflictualitĂ© sociale exacerbĂ©e par cette

« nouvelle colonisation ». En 2004, Ă  la veille de l’autorisation d’une licence d’exploitation pour la premiĂšre mine d’or Ă  ciel ouvert dans le dĂ©partement de San Marcos, des organisations environnementales5 sonnent l’alarme sur le grand laxisme de la loi miniĂšre : de trop minces redevances des entreprises Ă  l’état (1%), une absence de contrĂŽles externes, et le manque d’engagement pour la rĂ©habilitation complĂšte des sites d’exploitation favorisent nettement l’industrie extractive au dĂ©triment des droits des GuatĂ©maltĂšques et des peuples autochtones.

La compagnie canadienne Montana Exploradora de Guatemala6 se fait alors rassurante, offrant de plein grĂ© des garanties pour dĂ©montrer que le projet Marlin en est un responsable face Ă  l’environnement et aux communautĂ©s, mais la rĂ©ponse demeure peu satisfaisante pour les habitants de Sipakapa et de San Miguel IxtahuacĂĄn qui craignent de voir leur milieu de vie contaminĂ© par les opĂ©rations miniĂšres et leur santĂ© en ĂȘtre affectĂ©e. L’avenir leur donnera malheureusement raison.

En attendant, un vaste processus de consultations communautaires se dĂ©ploie dans le nord-ouest du pays et provoque des rĂ©actions en chaĂźne, lĂ  oĂč les gouvernements successifs de la « paix » ont dĂ©coupĂ© le territoire en centaine de concessions, sans prendre la peine d’interroger et d’informer prĂ©alablement les populations potentiellement affectĂ©es par ce type de dĂ©veloppement. Depuis 2005, l’organisation de plus d’une trentaine de consultations communautaires par les autoritĂ©s et les leaders locaux rendent visibles le rejet massif de plus de 500 000 personnes face Ă  l’exploitation miniĂšre sur leur territoire. Surtout, elles permettent l’émergence d’une vaste coordination d’organisations et de mouvements autochtones, non autochtones et intersectoriels, peu

Amplification des luttes sociales et esquisses de réponses politiques

En fĂ©vrier 2009, la lutte s’intensifie, alors que plusieurs organisations du mouvement social et environnemental joignent leurs efforts pour exiger

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la rĂ©forme de la loi miniĂšre, mĂȘme s’ils ne s’entendent pas nĂ©cessairement sur les revendications. Certains proposent une hausse des redevances des entreprises de l’ordre de 50%, alors que d’autres rejettent d’emblĂ©e l’emphase mise sur cette question qui cache, selon eux, le vĂ©ritable dĂ©bat : la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme des mĂ©gaprojets d’exploitation miniĂšre en l’absence de consultation prĂ©alable et de consensus social.

En juillet, alors que plusieurs centaines d’habitants de San Juan SacatepĂ©quez7 bloquent depuis trois jours les grandes artĂšres de la capitale, le gouvernement cĂšde enfin en autorisant la crĂ©ation d’une Commission pour la transparence8, chargĂ©e d’analyser le conflit entourant l’octroi des licences d’exploitation Ă  l’entreprise nationale Cementos Progreso et Ă  la transnationale Goldcorp, et de produire des recommandations pour trouver des solutions Ă  l’impasse.

C’est la premiĂšre fois que le gouvernement nomme une telle instance pour entendre le point de vue de toutes les parties en conflit, et l’exercice suscite un vif d’intĂ©rĂȘt. Le rapport de la Commission de Transparence sera publiĂ© le 14 novembre, non sans crĂ©er une certaine dĂ©ception chez les militants de la premiĂšre ligne : la Commission se refuse Ă  recommander la suspension des licences d’exploitation en vigueur, son mandat lĂ©gal ne lui donnant pas un tel pouvoir d’interfĂ©rence. En revanche, elle s’ajoute aux voix qui clament que l’État du Guatemala viole la convention 169 de l’O.I.T., tout comme sa propre constitution, en n’ayant toujours pas crĂ©Ă© de mĂ©canismes juridiques, normatifs et administratifs pour mettre de l’avant des consultations avec les peuples autochtones avant d’autoriser tout projet de dĂ©veloppement minier sur leur territoire, ou pour donner force de loi aux rĂ©fĂ©rendums dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©s. Le rapport souligne abondamment la nĂ©cessitĂ© de se doter d’une loi miniĂšre assurant de meilleurs contrĂŽles environnementaux et la perception de redevances plus justes (de 5 Ă  9%) pour l’État, mais surtout pour les municipalitĂ©s affectĂ©es.

Des dommages prévisibles qui ne passent pas inaperçus

Le 24 dĂ©cembre 2009 se produit Ă  San Miguel IxtahuacĂĄn ce que plusieurs craignent dans la rĂ©gion: le bris d’un conduit menant vers la digue de rĂ©tention des eaux usĂ©es de la mine Marlin provoque l’écoulement de 83m3 de dĂ©chets industriels vers le ruisseau Quivichil, un point d’eau vital pour les communautĂ©s des environs. Montana Exploradora fait le point sur les travaux de nettoyage et nie les possibilitĂ©s de contamination,

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promettant qu’aucun autre accident ne se reproduira9.

Et voilĂ  que quelque chose auquel personne n’avait Ă©tĂ© habituĂ© se produit : le Ministre de l’environnement LuĂ­s FerratĂ© ne se contente pas des rĂ©ponses donnĂ©es par l’entreprise, et dĂ©pose une plainte10 contre Montana, exigeant que des enquĂȘtes indĂ©pendantes et des examens de la faune et de la flore soient menĂ©s pour dĂ©terminer si le liquide industriel qui s’est Ă©chappĂ© aurait pu contenir des mĂ©taux lourds potentiellement toxiques. Gageons que la tenue de la commission y est pour quelque chose. Pour Yuri Melini, cet incident dĂ©montre clairement que la sĂ©curitĂ© industrielle de la mine n’est pas au point.

Des avancées significatives?

La bonne nouvelle, c’est que les choses pourraient ĂȘtre appelĂ©es Ă  changer. GrĂące Ă  un rĂ©cent jugement de la Cour SuprĂȘme du Canada11, les compagnies canadiennes opĂ©rant Ă  l’étranger seront dĂ©sormais tenues de prĂ©senter des Ă©tudes d’impacts environnementaux et sociaux plus complĂštes – mesurant tous les impacts possibles sur le projet minier dans son ensemble – et rĂ©digĂ©es de maniĂšre Ă  faciliter la comprĂ©hension et la consultation publique. Le jugement canadien donne aussi des armes solides aux organisations Ă©cologistes et au MinistĂšre de l’environnement12 pour exiger toutes les ressources nĂ©cessaires Ă  de meilleurs contrĂŽles Ă©thiques et environnementaux pour les entreprises extractives. Une rĂ©volution? Peut-ĂȘtre pas : l’avancĂ©e juridique est salutaire, mais sa mise en pratique sera sans doute laborieuse, si on se fie aux intĂ©rĂȘts Ă©conomiques en jeu et Ă  la mollesse d’une classe politique et diplomatique sans cesse courtisĂ©e par le lobbysme minier qui crie dĂ©jĂ  Ă  la manipulation. En pĂ©riode de crise Ă©conomique et de besoins pressants de liquiditĂ©s, rien n’autorise Ă  croire que le Guatemala aura vraiment les moyens de sa souverainetĂ© sur son territoire et ses ressources naturelles. Mais l’annĂ©e 2009 Ă  San Marcos, aussi accablante qu’elle ait Ă©tĂ©, nous a aussi rĂ©servĂ© quelques bonnes surprises : 2010 pourrait ĂȘtre une annĂ©e dĂ©cisive, si le mouvement social continue Ă  prendre en ampleur et que la communautĂ© internationale maintient sa vigilance et son engagement.

Par Annie Pelletier, Ancienne coordonnatrice du PAQG au Guatemala et PrĂ©sidente du Conseil d’administration du PAQG.

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Notes1 L’enlĂšvement de Gladys Monterroso (l’épouse du Procureur des Droits Humains) la saga de l’accĂšs public aux archives militaires du conflit armĂ©, ou encore l’affaire Rosenberg, pour ne nommer que ceux-ci.2 Depuis le 22 dĂ©cembre 2010, un Ă©tat d’urgence (signifiant la militarisation et la suspension de plusieurs garanties constitutionnelles) a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© dans la rĂ©gion de San Marcos, Ă  la suite de plusieurs blocages de route. Les manifes- tants y dĂ©nonçaient les abus de la compagnie espagnole Union Fenosa qui dĂ©- tient le monopole de la distribution d’énergie Ă©lectrique au pays. Deux leaders communautaires de la rĂ©gion ont Ă©tĂ© assassinĂ©s dans les trois derniers mois (Victor Galvez, de MalacatĂĄn, et Evelinda RamĂ­rez Reyes, d’OcĂłs, militaient au sein du Front de RĂ©sistance pour la dĂ©fense des ressources naturelles et des droits des peuples – FRENA). 3 La plus rĂ©cente loi « miniĂšre » a Ă©tĂ© votĂ©e en 1997 sous le gouvernement d’Arzu4 Le Centre pour l’action lĂ©gale, environnementale et sociale (CALAS), Colecti- vo Madre Selva et Tropico Verde.5 Le Centre pour l’action lĂ©gale, environnementale et sociale (CALAS), Colecti- vo Madre Selva et Tropico Verde. 6 Actuelle filiale du gĂ©ant canadien Goldcorp Inc. 7 San Juan SacatepĂ©quez vit une situation extrĂȘmement tendue depuis 2007, la rĂ©gion connaissant notamment une remilitarisation inquiĂ©tante dans un contexte oĂč la rĂ©sistance sociale ne cesse d’enfler. Cette derniĂšre a culminĂ© lorsque des rĂ©sidents de 12 communautĂ©s San Juan SacatepĂ©quez ont manifestĂ© en juillet 2009 dans la capitale pour que le gouvernement interdise l’installation de la cimenterie Cementos Progreso sur leurs terres, invoquant entre autre les dom- mages sur leur environnement. 8 La Commission, composĂ©e de deux dĂ©putĂ©s du CongrĂšs, de Yuri Melini, direc- teur de CALAS et d’Alfredo MarroquĂ­n, directeur de AcciĂłn Ciudadana, enten- dra tour Ă  tour les responsables des MinistĂšre de l’environnement et des ressour- ces naturelles, de l’Énergie et des Mines, des membres des communautĂ©s affec- tĂ©es de San Juan SacatĂ©pequez et de San Miguel IxtahuacĂĄn, ainsi que les reprĂ©- sentants de Cementos Progreso ,S.A. et de Montana Exploradora de Guatemala, S.A. Les membres de la Commission effectuent Ă©galement des visites dans les deux rĂ©gions respectives. 9 Alberto RamĂ­rez E. “Denuncian derrame de desechos industriales en mina Marlin”, Prensa Libre, 22 janvier 2010, http://www.prensalibre.com/pl/2010/ enero/22/370238.html 10 Ibid 11 Environnementaliste, directeur de CALAS, dĂ©fenseur des droits humains survivant d’une tentative de meurtre en septembre 2008 et membre de la Com- mission de Transparence. 12 Le 21 janvier dernier,

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la Cour SuprĂȘme canadienne concluait que l’Étude d’impact environnemental de la compagnie Red Chris (pour un projet d’extrac- tion d’or et de cuivre, situĂ© en Colombie-Britannique), a Ă©tĂ© fragmentĂ©e, de sorte qu’il Ă©tait impossible d’identifier correctement les impacts pour l’ensemble du projet. Le jugement donne pour fautives les autoritĂ©s qui ont Ă©valuĂ© ledit projet et qui ont empĂȘchĂ© la participation publique active dans cette Ă©valuation envi- ronnementale. Voir : http://csc.lexum.umontreal.ca/ fr/2010/2010csc2/2010csc2.pdf10 Ibid 11 Environnementaliste, directeur de CALAS, dĂ©fenseur des droits humains survivant d’une tentative de meurtre en septembre 2008 et membre de la Com- mission de Transparence. 12 Le 21 janvier dernier, la Cour SuprĂȘme canadienne concluait que l’Étude d’impact environnemental de la compagnie Red Chris (pour un projet d’extrac- tion d’or et de cuivre, situĂ© en Colombie-Britannique), a Ă©tĂ© fragmentĂ©e, de sorte qu’il Ă©tait impossible d’identifier correctement les impacts pour l’ensemble du projet. Le jugement donne pour fautives les autoritĂ©s qui ont Ă©valuĂ© ledit projet et qui ont empĂȘchĂ© la participation publique active dans cette Ă©valuation envi- ronnementale. Voir : http://csc.lexum.umontreal.ca/ fr/2010/2010csc2/2010csc2.pdf.

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« L’identitĂ© » comme ressource

Par Ekédo Kotto Maka

À la fois un mot et un concept Ă  facettes multiples; difficile Ă  apprĂ©hender, Ă  dĂ©finir ou Ă  expliquer. Une question plus complexe

qu’on ne le pense : l’identitĂ©. Elle nous permet de nous dĂ©finir par rapport aux autres ; « ce que je suis et ce que je ne suis pas Â». Elle peut aussi Ă©voluer et changer. Au-delĂ  des individus, cette dynamique s’applique Ă©galement aux peuples, aux nations, aux États et aux Unions. Il est intĂ©ressant d’observer cette dualitĂ© entre la perception que l’on a de soi et celle que l’on dĂ©sire projeter aux autres. Il s’agit lĂ  d’un phĂ©nomĂšne perpĂ©tuel.

En matiĂšre de dĂ©veloppement, le post-colonialisme Ă©chafaude de nouvelles conceptions de modes d’analyses et de critiques relativement aux rĂ©flexions Ă©tablies par le passĂ© (prĂ©-colonialisme-colonialisme) en science sociale1. Il s’intĂ©resse aussi Ă  repenser l’identitĂ© dans un contexte mondialisĂ©. Et les rĂ©flexions sur la question identitaire sont multiples.

L’identitĂ© nationale est conçue par certains auteurs Ă  l’instar de d’Alexander Wendt comme une construction Ă©chafaudĂ©e sur la base d’un ensemble de valeurs consensuelles partagĂ©es au sein d’une sociĂ©tĂ©, d’un ensemble de conceptions relatives Ă  ce que doit reprĂ©senter un État  – Ă  la fois pour ses citoyens et pour la communautĂ© internationale  – et finalement sur la conception qu’ont les acteurs (dĂ©cideurs) politiques de leurs rĂŽles au sein de la structure internationale.2 Dans un mĂȘme ordre d’idĂ©e Benedict Anderson nous expose «  la nation Â» ou le « nationalisme Â» comme une construction rĂ©cente ayant eu pour principal objectif d’unifier les multiples groupes culturels et sociaux.3 Une conception qui rapidement Ă  l’aube du colonialisme fut exportĂ©e sur plusieurs territoires qu’ils soient en AmĂ©rique latine, aujourd’hui, en Asie ou en Afrique.

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« La quasi-totalitĂ© des crĂ©oles Ă©tait institutionnellement attachĂ©e (via les Ă©coles, les mĂ©dias imprimĂ©s, les pratiques administrative, etc.) Ă  des langues europĂ©ennes, plutĂŽt qu’à des langues amĂ©ricaines indigĂšnes. (
) des lignages linguistiques menaçait prĂ©cisĂ©ment de brouiller cette «mĂ©moire de l’indĂ©pendance» (nationalisme) qu’il Ă©tait  essentiel de conserver »4.

En Afrique plusieurs penseurs, historiens et philosophes entendent promouvoir depuis le dĂ©but des indĂ©pendances (1960) l’idĂ©e d’un renouvellement de l’identitĂ© « continentale Â» de l’Afrique. Ce combat pour une Afrique, autonome, prospĂšre et puissante en est un de tout temps. Cela fait plus d’un siĂšcle que le continent africain se voit observĂ© et orientĂ© par des institutions financiĂšres internationales. La majeure partie du contient africain est Ă©galement habitĂ© par la tourmente suscitĂ©e par des Ă©vĂ©nements empreints de tensions sociales et de guerres inter- et intra-Ă©tatiques. Cela fait plus d’un siĂšcle que ce continent est Ă©galement le thĂ©Ăątre d’une destruction « des croyances anciennes et (d’) adoption de rĂ©fĂ©rences allogĂšnes (
) Â»5, le domaine d’un dĂ©veloppement Ă©conomique et social le plus souvent dĂ©stabilisĂ© par un systĂšme Ă©conomique (capitaliste) qui ne participe qu’a rendre compte Ă  des Ă©lites (locales et internationales) â€“ Ă  qui profitent ce systĂšme â€“ et l’arĂšne des  «  compagnies internationales prĂ©datrices Â»6.

Comment envisager un renouveau pour l’ensemble du continent africain ? Pourquoi ne pas envisager  – bien qu’incommensurable  –, «  l’identitĂ© nationale  » â€“ qui, transportĂ© au niveau continentale devient «  l’identitĂ© continentale Â» â€“ comme une ressource indispensable susceptible de garantir l’autonomie, la prospĂ©ritĂ© et la puissance de l’Afrique?L’article suivant a pour objectif de mettre en lumiĂšre cet enjeu identitaire en particulier, qui en soit doit ĂȘtre rĂ©glĂ© pour enfin pouvoir parler ou espĂ©rer qu’un nouveau chantier en Afrique puisse voir le jour et proposer une toute nouvelle perspective pour cette derniĂšre. Dans un premier ordre d’idĂ©e, il s’agit d’un dĂ©veloppement sur l’identitĂ© de l’Afrique  – une ressource nĂ©cessaire pour dĂ©finir qui sont les africains aujourd’hui et quelle sera leur direction future selon Joseph Ki-Zerbo â€“. Dans un deuxiĂšme ordre d’idĂ©e il s’agira d’identifier l’impact d’une telle dĂ©marche intellectuelle.

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Mise en contexte

Joseph Ki-zerbo- À quand l’Afrique ? Entretien avec RenĂ© Holenstien

C’est dans la plus grande luciditĂ© que Joseph Ki-Zerbo nous expose les Ă©lĂ©ments et enjeux qui rĂ©gissent le destin du continent africain. Selon l’auteur, ce continent a grand besoin de se dĂ©tacher des cadres imposĂ©s autrefois, et toujours favorisĂ©s de nos jours par les anciens pays colonisateurs. L’ensemble des États africains devraient selon lui, s’unir dans leur effort et se distancier par rapport Ă  la trajectoire prĂ©dĂ©finie par l’extĂ©rieur. L’objectif du continent africain au XXIe siĂšcle serait Ă  cet effet de s’assumer en dĂ©finissant lui mĂȘme sa trajectoire tant au niveau politique, qu’au niveau social, ainsi qu’au niveau culturel-identitaire.

Le spectre des administrations coloniales hante ce continent, mais dans son ensemble celui-ci ne se donnerait pas les moyens pour s’en sortir. À ce propos, J. Ki-Zerbo suggĂšre instamment de s’en remettre Ă  l’identitĂ© premiĂšre de l’Afrique (cultures et traditions) pour se redĂ©finir en tant « qu’elle mĂȘme Â». Sans cet exercice, pĂ©rilleux tout de mĂȘme, celle-ci ne pourra jamais prĂ©tendre ĂȘtre en position d’indĂ©pendance et de partenaire autonome. Aujourd’hui, comme hier, l’ensemble du continent africain s’inscrit dans le concert des nations comme un subalterne, un outil Ă  la disposition de ses « anciennes Â» mĂ©tropoles.

À l’heure oĂč Europe et AmĂ©rique s’unissent pour former des Unions fortes et puissantes ainsi qu’un nouveau cadre identitaire sur la scĂšne internationale, J. Ki-Zerbo, se demande pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas faire de mĂȘme. L’auteur, veut renverser  la matrice que subit le continent africain. Il propose de la redĂ©finir pour qu’elle soit au service de celui-ci.

L’identitĂ© continentale comme ressource

Joseph Kizerbo nous expose donc une situation dans laquelle il faut penser Ă  entretenir des solutions visant Ă  favoriser l’émancipation du continent africain et son auto-dĂ©veloppement, en prioritĂ©. Il faudrait changer les cadres psychologique et matĂ©riel pour ne plus souffrir et se nuire7.

«Un homme ouvert Ă  l’altĂ©rité». L’ensemble du continent africain pourrait selon J. Ki-Zerbo marquĂ© une grande avancĂ©e dans le dĂ©veloppement de

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la conscience humaine en redĂ©finissant son identitĂ© de subalterne et de troisiĂšme joueur sur la scĂšne internationale. C’est en se permettant et en ayant confiance en sa capacitĂ© d’aller puiser, au sein des diffĂ©rentes cultures et communautĂ©s qui l’habitent, Cet «  Esprit de libertĂ© et d’égalité» qui participait au bon fonctionnement du continent autrefois, que le continent africain rĂ©ussira Ă  se sortir de ses troubles socio-Ă©conomiques et politiques. Il s’agit pour J. Ki-Zerbo de pousser les diffĂ©rents États Africains Ă  se concerter dans le but de prendre des mesures administratives («  biens Ă©conomiques, lieux sociaux, relations humaines services»8 etc.) et d’unir les diffĂ©rentes populations des diffĂ©rents États africains, dans un effort de revalorisation des valeurs dĂ©jĂ  connues au seins des couches sociales africaines  : « morale (exemple  : «  communautĂ© prise en charge par des familles Â»9), psychologique idĂ©ologique et religieuses»10 avec pour objectif de faire naĂźtre un «Homme nouveau»11 ; un Homme guidĂ© par sa conscience. L’objectif Ă©tant de dĂ©cliner le penchant nĂ©olibĂ©ral – inadĂ©quat en Afrique selon lui  – vers une tangente favorisant Ă  la fois l’idĂ©e «de solidaritĂ©, de convivialitĂ©, d’altĂ©ritĂ©, de compassion, de contrĂŽle de soi»12 et Ă  la fois l’idĂ©e de «pitié» et de «l’équilibre inspirĂ© de MaĂąt Pharaonique»13.

Enjeux Africains- Ce qui explique en partie la réflexion de Joseph Ki-Zerbo

Dans la donne actuelle, l’ensemble des États africains est aux prises avec un problĂšme de dĂ©pendance accrue. Qu’ils soient liĂ©s Ă  une dĂ©pendance aux institutions financiĂšres ou Ă  celle des produits manufacturĂ©s venus de pays occidentaux, Ă  partir desquels des maisons et des routes sont construites ou encore des produits manufacturĂ©s tels que les tĂ©lĂ©viseurs commercialisĂ©s
 Les États africains sont unis dans l’effort, qu’est l’exportation de matiĂšre premiĂšres telles que le « (
) coton, le cafĂ© ou le cacao brut. Autrement dit, on nous confine dans des zones oĂč nous produisons et gagnons le moins possible Â»14. Dans l’ensemble cette situation ne fait que condamner l’Afrique Ă  rester «spectateur» de la culture des autres acteurs mondiaux. Joseph Ki-Zerbo suggĂšre «  l’échange culturel Ă©quitable  »15 et du mĂȘme souffle, le devoir pour l’ensemble des États africains et de se constituer des structures visant Ă  produire des biens matĂ©riels et culturels de maniĂšre Ă  faire de l’Afrique un acteur de diffusion tout aussi efficace que l’ensemble des pays de la communautĂ© internationale16.

Un autre argument proposĂ© par J. Ki-Zerbo est la dĂ©formation culturelle et historique qu’il a, enfant, subit en raison du systĂšme d’éducation importĂ© de France. Cette dĂ©formation historique et culturelle est venue

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le dĂ©tourner de sa propre histoire. Rien dans ses manuels scolaires, jusqu’à son arrivĂ© au cycle supĂ©rieur- universitaire-, ne faisait mention de son origine  ; de ses racines. D’autre auteurs et scientifiques exposent ce problĂšme de dĂ©culturation qui existe toujours, mais qui se transforme au fil du temps. En prenant le cas du continent africain soulignons que l’ensemble des États africains sont liĂ©s Ă  des systĂšmes scolaires et Ă©ducatifs « calquĂ© sur l’Occident»17. Une programmation conçu, pensĂ©e et adaptĂ©e « dans (et Ă ) l’Esprit du Centre»18. Le problĂšme ne s’arrĂȘte pas lĂ . Qu’il s’agisse, d’information internationale, d’émissions de variĂ©tĂ©s de ou de divertissement (cinĂ©ma-musique-publicitĂ©), l’ensemble de ces produits sont, dans leur majoritĂ©s « soit directement importĂ©s du Centre, soit produit ou diffusĂ©s par des groupes du Centre»19 (Occident). Les populations des diffĂ©rents États africains sont plaquĂ©es devant des «images» qui ne leur ressemblent pas forcĂ©ment et qui ne coĂŻncide pas non plus avec leur quotidien. Ce type d’exposition que subissent alors ces populations rĂ©sidant dans les pays du Tiers Monde, ne fait que dĂ©velopper un Ă©tat d’aliĂ©nation. Les mĂ©dias, qu’il s’agisse d’émissions culturelles ou politiques ou de fictions, commencent seulement Ă  Ă©merger dans certains États africains, mais ne prĂ©sentent pas toujours une qualitĂ© - du moins une esthĂ©tique - comparable Ă  celles venues « d’ailleurs Â».

Impacts d’une telle dĂ©marche intellectuelle

Bouleversement des schémas acquis depuis le XIVe siÚcle- Effet cognitif

L’essentiel du problĂšme de l’émergence du contient africain se trouverait « au niveau imaginaire»20. Serge Latouche nous propose d’observer la « maniĂšre dont les sociĂ©tĂ©s du Tiers Monde se reprĂ©sente elle- mĂȘme»21. Notons que le principe de modernisation (inspirĂ©e de la «pensĂ©e scientifique et la philosophie positiviste»22) sauvagement dressĂ©e et imposĂ©e dans les diffĂ©rents États africains s’est inventĂ© un rĂŽle d’agent «rĂ©vĂ©lateur» sans considĂ©rer les connaissances acquises et favorables au bon dĂ©veloppement des diffĂ©rentes populations sur le contient africain.

Joseph Ki-Zerbo lui, nous rappelle que pendant la pĂ©riode prĂ©coloniale, «  les Africains se distinguaient par la polyculture (
) entre les zones Ă©cologique et climatiques africains existait les bases d’une trĂšs grande complĂ©mentaritĂ©  »23. Serge Latouche, explique qu’au moment de la colonisation et mĂȘme aprĂšs, l’économie politique ou l’idĂ©ologie capitaliste, entretenait des discours et comportements visant Ă  affirmer le principe

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selon lequel seule l’économie politique â€“ culture Ă©conomique du Nord (de l’Occident) â€“ pouvait « apporter des solutions aux problĂšmes de sociĂ©tĂ© diffĂ©rentes jugĂ©es Ă©conomiquement infĂ©rieures Â». Une conception erronĂ©e selon l’ethnologue Pierre Clastres. Ce dernier dĂ©fend l’idĂ©e qu’on ne peut pas sous la seule assertion, que des populations ne partageant pas les mĂȘmes techniques de communication et de transmission (Ă©ducation et valeur), ne «nous» (Occidentaux) permet pas de les percevoir comme infĂ©rieurs et «  incapable de rĂ©flĂ©chir Ă  leur propres expĂ©riences et d’inventer Ă  leur propres problĂšmes leur propres solutions  »24. Certains ethnologues manifestaient mĂȘme alors leur admiration pour le savoir faire traditionnel.

Qu’à cela ne tienne, Ă  l’heure actuelle, Ă  la lumiĂšre de tous ces Ă©lĂ©ments, l’exercice que propose J. Ki-Zerbo est de se dĂ©faire de la relation mĂ©canique que l’on Ă©tablit lorsqu’on accuse la dynamique Nord-Sud d’ĂȘtre  seule responsable de la situation actuelle de l’Afrique. Toutefois il inconcevable de l’ignorer
 Il rappelle qu’avant le XVIe siĂšcle (Traite des noirs), le continent africain jouait un rĂŽle Ă©conomique important - plus particuliĂšrement l’Égypte et la Libye - (commerce de l’or). C’est aprĂšs le XVIe siĂšcle que l’Afrique a connu son dĂ©clin - en raison d’activitĂ©s auxquelles certains groupes sociaux africains ont participĂ© dans l’objectif d’exploiter le continent25. Il note Ă©galement que la question du dĂ©veloppement en Afrique est une affaire «  d’auto-dĂ©veloppement Â»26 pour les pays du Nord, « en conformitĂ© avec les rĂ©alitĂ©s, les intĂ©rĂȘts et les valeurs de ces pays Â»28 ; raison pour laquelle les États africains ne se dĂ©veloppent pas. En rĂ©alitĂ© ce qui se passe est que certains États se dĂ©veloppent certes, mais ils ne s’auto dĂ©veloppe pas en raison du fait qu’à l’heure actuelle, ce ne sont pas leurs rĂ©alitĂ©s, leurs intĂ©rĂȘts et leurs valeurs qui sont motivĂ©s par leur actions commerciales ou industrielles, ce sont ceux des pays hors Afrique. Aussi, en Afrique le message est  : «  le dĂ©veloppement toujours, viser le dĂ©veloppement  ». Mais ce dĂ©veloppement n’a pas pour objectif de favoriser l’auto-dĂ©veloppement de l’Afrique comme en ont la chance certains pays Ă©trangers. Ki-Zerbo suggĂšre donc qu’en Afrique, « au lieu de la croissance arithmĂ©tique et statistique seulement, il faudrait un processus de progrĂšs auto-entretenu Â»27.

AprĂšs l’ùre coloniale, une Afrique autonome doit voir le jour
 Joseph Ki-Zerbo pense que la « libĂ©ralisation de l’Afrique sera panafricaine Â»28 ; mais dans le cas contraire, elle ne verra jamais le jour. Suite Ă  cette libĂ©ralisation, l’Afrique pourra alors aspirer Ă  se classer comme un acteur dĂ©cisif sur la scĂšne internationale. Ki-Zerbo croit qu’en tout Ă©tat de cause,

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les «modalisateurs» n’ont pas rĂ©ellement intĂ©rĂȘt Ă  voir le continent africain enclencher un processus de rĂ©gionalisation « (
) ils n’ont pas davantage intĂ©rĂȘt Ă  laisser les systĂšmes micro nationaux en place tout en organisant un espace panafricain Ă  leur guise, selon leurs intĂ©rĂȘts et leurs valeurs. Â»29

Projet panafricaniste

La ConfĂ©rence panafricaine de 1900, qui se tenait alors Ă  Londres, 30 portait en elle le projet panafricaniste qui consistait en l’unification du continent africain dans le but favoriser l’obtention d’une puissance plus importante et une voix davantage considĂ©rĂ©e aux tables de concertations internationales. Il s’agit d’ «(
) un mouvement rĂ©formiste limitĂ©, fondĂ© sur les forts de discrimination raciale et de domination coloniale»31. L’idĂ©e de « continentalisme Â» survient Ă  l’aube des premiĂšre indĂ©pendances africaines (1956, Maroc et Tunisie- 1957 Gold Coast)32. Les États-Unis d’Afrique ou indĂ©pendants d’Afrique sont le mot d’ordre du PrĂ©sident KwamĂ© Nkruma lors de la confĂ©rence qu’il institue le 4 mars 1957; une «  confĂ©rence intergouvernementale des États indĂ©pendant d’Afrique  »33. L’objectif Ă  atteindre selon K. Nrumah, impliquait d’établir un gouvernement continental pan africain constituĂ© d’une autoritĂ© supranationale, ayant pour mandat de rĂ©gir des projets politiques et Ă©conomiques et militaires Ă  l’échelle du contient pour assurer aux États Africains la possibilitĂ© de se constituer un agenda politique propre Ă  leur besoins et intĂ©rĂȘts sociopolitiques et Ă©conomiques. L’idĂ©e Ă©tant de mĂ©nager les dirigeants et administrateurs des États africains, de sorte Ă  les convaincre d’adopter un comportement responsable Ă  l’occasion de conflits interĂ©tatiques et rĂ©gionaux. C’est aussi la possibilitĂ© pour les États africains de ne plus ĂȘtre assujettis aux États pays europĂ©ens dans des situations de dĂ©saccords partagĂ©s entre un État africain et un autre.

Absence de consensus global

En l’état actuel des choses, rĂ©alisons d’hors et dĂ©jĂ  que le systĂšme dans lequel l’ensemble des citoyens de ce monde Ă©voluent, Ă  savoir le systĂšme capitaliste et nĂ©olibĂ©ral, ne permet pas l’élĂ©vation de la conscience humaine. À cet effet, «conception virale nĂ©olibĂ©raliste» oblige, la place de l’individualisme prime dans de multiples domaines de l’activitĂ© humaine ; ce qui tend Ă  pousser frĂ©nĂ©tiquement les individus Ă  atteindre des sommets inĂ©galĂ©s dans leurs champs de compĂ©tence respectifs - quitte Ă  ce qu’ils meurent d’épuisement.

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Joseph Ki-Zerbo, dit vrai lorsqu’il dĂ©nonce ce systĂšme en exposant le fait que celui-ci aurait atteint ses limites. Mais, tel qu’il le constate, son projet de « rĂ©orientation Â» identitaire, « un virage Ă  180Âș Â», n’est pas viable s’il s’inscrit uniquement dans une opĂ©ration panafricaine. Un consensus international doit naĂźtre. Il faudrait un changement gĂ©nĂ©ralisĂ© pour qu’il soit viable. À l’instar du projet communiste pensĂ© par Marx dans les annĂ©es 1840, celui-ci ne peut ĂȘtre viable que si l’ensemble de la communautĂ© internationale le soutient.

Afin de changer l’ensemble de cette dynamique, c’est l’ensemble du systĂšme Ă©ducatif qu’il faudrait changer. Joseph Ki-Zerbo nous le fait entendre. Mais y a t-il assez de courage parmi les Hommes qui nous gouvernent pour instituer une nouvelle logique et une nouvelle matrice au sein de leurs populations respective ? Dans le cas du continent africain, une transformation de son identitĂ© nĂ©cessiterait Ă©galement le courage des dĂ©cideurs politiques et des entreprises locales, de bien vouloir risquer de n’avoir qu’à compter sur leurs États voisins et des États favorables Ă  l’autonomisation de l’Afrique. RedĂ©finir son identitĂ©, tel que le propose Joseph Ki-Zerbo, c’est aussi dire au revoir, aux multinationales, et aux compagnies internationales qui s’investissent en Afrique de maniĂšre Ă  assurer la survie et la sĂ©curitĂ© des États Ă©trangers. Une identitĂ© continentale revisitĂ©e exige de la population et des États africains ainsi que de leurs dirigeants d’avancer vers l’inconnu. Peu de gens en sont capables


Conclusion

En somme Joseph Ki-Zerbo, propose en partie dans son ouvrage, de redĂ©finir la matrice instituĂ©e suite Ă  une influence importante des pays autrefois colonisateur ainsi que les États Unis, afin de la mettre au service des États africains. L’Afrique du XXIe siĂšcle doit Ă©galement mettre en place des stratĂ©gies visant Ă  prioriser l’auto-dĂ©veloppement du continent africain. Pour sortir l’Afrique des «limbes», une rĂ©volution culturelle est nĂ©cessaire. Et cette rĂ©volution prendra le passage obligĂ© qu’est l’éducation. Il n’y a pas de place pour la pensĂ©e magique. On ne fait pas porter des fruits aux arbres. On les laisse pousser. Pour espĂ©rer atteindre le degrĂ© de conscience que J. Ki-Zerbo aspirait voir naĂźtre en Afrique, c’est tout un exercice de dĂ©programmation et de dĂ©culturation qu’il faudrait entreprendre dans les esprits et les mƓurs des populations visĂ©es, ainsi qu’une rĂ©elle appropriation du droit Ă  faire aussi partie de l’histoire en tant

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que « soi Â»35-Africain-. DĂšs la petite enfance, via le cadre scolaire, nous sommes amenĂ©s Ă  Ă©voluer de maniĂšre Ă  dĂ©velopper des aptitudes visant Ă  nous adapter et Ă  nous identifier Ă  une logique de compĂ©tition oĂč certains doivent Ă©chouer oĂč ĂȘtre disqualifiĂ©. Cette logique entraĂźne mĂȘme dans de nombreux cas des surmenages, tout domaine confondu, dans le seul but d’ĂȘtre toujours plus performants...

Il n’y a que l’éducation pour changer le monde. Et ça prendra deux ou trois gĂ©nĂ©rations si tous les efforts convergent dans le mĂȘme sens pour changer positivement l’Afrique. Cela prendra une tempĂȘte parfaite.

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dĂ©veloppement (sous la direction de LĂȘ ThĂ nh KhĂŽi)». Tiers-Monde. 25, 97 : pp. 56.18 Ibid.19 Ibid.20 Serge Latouche.1984. «DĂ©culturation ou sous-dĂ©veloppement-Culture et dĂ©veloppement (sous la direction de LĂȘ ThĂ nh KhĂŽi)». Tiers-Monde. 25, 97 :pp. 45.21 Ibid.22 Ibid., pp.5123 Joseph Ki-Zerbo. 2004. «A quand l’Afrique ? Entretien avec RenĂ© Holenstien». France : Edition de l’aube- Ă©ditions d’en bas pp.176-17724 Serge Latouche.1984. «DĂ©culturation ou sous-dĂ©veloppement-Culture et dĂ©veloppement (sous la direction de LĂȘ ThĂ nh KhĂŽi)». Tiers-Monde. 25, 97 : pp. 4925 Joseph Ki-Zerbo. 2004. «A quand l’Afrique ? Entretien avec RenĂ© Holenstien». France : Edition de l’aube- Ă©ditions d’en bas. pp.15226 Joseph Ki-Zerbo. 2004. «A quand l’Afrique ? Entretien avec RenĂ© Holenstien». France : Edition de l’aube- Ă©ditions d’en bas. pp152.27 Ibid., pp.15328 Ibid., pp.152-15329 Joseph Ki-Zerbo. 2004. «A quand l’Afrique ? Entretien avec RenĂ© Holenstien». France : Edition de l’aube- Ă©ditions d’en bas. pp.3730 Ibid.31 Orouno D. Lara. 2000. «La naissance du Panafricanisme  : Les racines caraĂŻbes, amĂ©ricaines et africaines du mouvement aux XIXe siĂšcle». Paris  : Edition Maisonneuve& Larose. pp. 12 ; 21132Boutros Boutros-Ghali. 1971. «Les difficultĂ©s institutionnelles di panafricanisme». Collection «  ConfĂ©rences  ». Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales GenĂšve. pp.833 Ibid., pp.1134 Ibid., pp 11-1235 Orouno D. Lara. 2000. «La naissance du Panafricanisme : Les racines caraĂŻbes, amĂ©ricaines et africaines du mouvement aux XIXe siĂšcle». Paris : Edition Maisonneuve & Larose. pp. 12 ; 211

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RESOURCES & MINES

La redéfinition des réfugiées comme ressource

Par Hiba Zerrougui

Introduction

Comme rĂ©fugiĂ©es, les Africaines se dĂ©couvrent en tant que « ressources Â». Depuis les annĂ©es 1960, le Haut Commissariat pour les RĂ©fugiĂ©Es (HCR) a mis en Ɠuvre des programmes liant l’aide qui leur Ă©tait destinĂ©e Ă  celle

au dĂ©veloppement des pays hĂŽtes. Ces politiques, rĂ©visĂ©es au fil du temps, prĂ©servent le postulat reconnaissant les rĂ©fugiĂ©es, particuliĂšrement ceux dont la situation se « prolonge Â» au-delĂ  de cinq annĂ©es1, de ressource, d’« agent de dĂ©veloppement Â», plutĂŽt que de fardeau. Cette approche semble tomber sous le sens car elle permettrait une meilleure protection des droits des rĂ©fugiĂ©Es en leur faisant espĂ©rer es opportunitĂ©s Ă©conomiques et un avenir meilleur.

Qu’en est-il rĂ©ellement  ? Contrairement aux observations de la plupart des auteurs s’étant intĂ©ressĂ©s Ă  cette question, l’objet de cette analyse ne sera pas de dĂ©terminer les conditions propices Ă  la mise en application de ce genre de politiques, ni de prĂ©ciser leurs effets sur les communautĂ©s ou États hĂŽtes. Nous questionnerons plutĂŽt ce postulat qui leur est sous-jacent  : considĂ©rer les rĂ©fugiĂ©Es comme ressource permet-il de mieux protĂ©ger leurs droits et libertĂ©s? Nous tenterons de dĂ©montrer que malgrĂ© la prĂ©pondĂ©rance du discours sĂ©curitaire quant Ă  leur gestion, leur identification Ă  une ressource n’implique pas nĂ©cessairement une amĂ©lioration de leur qualitĂ© de vie. Au contraire, cette identification renforce davantage les intĂ©rĂȘts Ă©tatiques que ceux des rĂ©fugiĂ©Es.

Nous procĂ©derons en deux temps : nous ferons d’abord une analyse critique du contexte international dans lequel ce discours est apparu. Nous prendrons ensuite comme cas d’école la situation de l’Ouganda, dont les politiques Ă  l’égard des rĂ©fugiĂ©Es soudanaisEs sont prĂ©sentĂ©es par le HCR comme un modĂšle d’intĂ©gration de l’approche dĂ©veloppementale qu’il prĂ©conise quant Ă 

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la prestation de l’aide aux rĂ©fugiĂ©Es (Betts 2009, 8; Smith 2004, 49; Fielden 2008, 11)..

Les rĂ©fugiĂ©s comme une ressource : origines et motifs d’un discours

Le discours identifiant les rĂ©fugiĂ©es Ă  une ressource est au centre des politiques visant Ă  inscrire dans une perspective dĂ©veloppementale la question de leur assistance. Il prĂ©tend s’opposer Ă  celui qui les prĂ©sente comme un fardeau. Comment s’articule un tel discours ?

Les réfugiéEs perçus comme un fardeau

Les rĂ©fugiĂ©Es n’ont pas toujours Ă©tĂ© perçues nĂ©gativement par les pays hĂŽtes. Le prĂ©jugĂ© dĂ©favorable dont ils ont fait souvent l’objet fut le rĂ©sultat de politiques Ă  leur Ă©gard â€“ principalement la crĂ©ation des camps – qui se pĂ©rennisĂšrent en raison du contexte politique dĂ©favorable, soit l’éclatement de guerres civiles et la fin de l’interventionnisme des grandes puissances caractĂ©risant la pĂ©riode de la guerre froide. En s’inspirant du rĂ©gime international de protection des rĂ©fugiĂ©Es (Convention et Protocole sur le statut des rĂ©fugiĂ©Es), les pays membres du HCR, dans les annĂ©es 1950, ont Ă©laborĂ© trois solutions dites « durables Â» : le retour volontaire dans le pays d’origine, l’intĂ©gration locale au sein du pays hĂŽte et l’installation dans un pays tiers (Feldman 2007, 51). En attendant la rĂ©alisation de ces solutions, le HCR Ă©labora un modĂšle de gestion temporaire des rĂ©fugiĂ©Es, soit les camps – dont la crĂ©ation n’était pas prĂ©vue par le rĂ©gime international (Smith 2004, 39 ; Feldman 2007, 49). Leur crĂ©ation, dans les annĂ©es 1960, s’inspirait d’un modĂšle de dĂ©veloppement contemporain vĂ©hiculĂ© tant par les institutions internationales que par les grandes puissances. L’école de la modernisation prĂŽnait alors la rĂ©organisation du territoire et des populations selon une approche  top-down (Smith 2004, 43-44). Cette approche donnait Ă  l’État le rĂŽle principal en matiĂšre d’élaboration, d’organisation et de mise en application des programmes sociaux, politiques et Ă©conomiques. Les organisations privĂ©es et les individus y avaient peu d’influence, notamment dans la dĂ©finition de leurs besoins. Ce modĂšle de gestion temporaire des rĂ©fugiĂ©Es s’est progressivement gĂ©nĂ©ralisĂ© et perpĂ©tuĂ© pour devenir leur mode d’organisation principal. Du fait des restrictions Ă©conomiques, civiles et politiques2 qui Ă©taient imposĂ©es par le systĂšme des camps, ce mode d’organisation rendit les populations rĂ©fugiĂ©es dĂ©pendantes de l’aide internationale (Werker 2007; Feldman 2007, 49).

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Si la gĂ©nĂ©ralisation de ce mode de gestion a fait des rĂ©fugiĂ©Es un fardeau pour les États Ă  l’époque des indĂ©pendances (Smith 2004), ceux-ci n’en attiraient pas moins la sympathie, surtout du cĂŽtĂ© des pays «  en dĂ©veloppement  », constituant la majoritĂ© des pays hĂŽtes. De plus, ces derniers entretenaient souvent l’idĂ©e que les guerres expliquant la prĂ©sence de rĂ©fugiĂ©Es seraient courtes et permettraient aux intĂ©ressĂ©s de rĂ©intĂ©grer leur pays d’origine dans un court dĂ©lai. ConsĂ©quemment, les politiques Ă  leur Ă©gard Ă©taient relativement ouvertes, notamment en comprenant l’intĂ©gration Ă©conomique locale temporaire en vue de faciliter le retour dans leur pays d’origine (Smith 2004; Stein 1986, 265). En consĂ©quence, depuis les annĂ©es 1960, avec l’éclatement des guerres d’indĂ©pendance, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne assumĂšrent une large part des responsabilitĂ©s afin de protĂ©ger les rĂ©fugiĂ©Es dans leur territoire, sans support financier significatif de la communautĂ© internationale (Betts 2009, 7).

La perception Ă  l’égard de ces personnes devient nĂ©gative vers la fin des annĂ©es 1970 alors que le contexte politique international change. À cette Ă©poque, les flux de rĂ©fugiĂ©Es ne sont plus associĂ©s Ă  des mouvements de libĂ©ration nationale, mais Ă  l’éclatement de guerres civiles qui perdurent au point de rendre presque impossible leur retour Ă  court terme. Leur nombre doubla en Afrique entre 1970 et 1980 (Smith 2004, 43-44), dans un contexte oĂč plusieurs pays africains Ă©taient dĂ©jĂ  aux prises avec une sĂ©rie de problĂšmes Ă©conomiques structurels (Stein 1986, 266). S’observait au mĂȘme moment une rĂ©duction de l’aide internationale en lien avec la fin de la guerre froide (Crisp 2001, 175). En consĂ©quence, les gouvernements furent plus hĂ©sitants Ă  prendre en charge ces exilĂ©Es sur leur territoire. Cette attitude fut renforcĂ©e par la peur que ces flux migratoires soient un facteur dĂ©stabilisant pour les États hĂŽtes (compĂ©tition pour les ressources, terrorisme international, etc.) (Bolesta 2005; Smith 2004, 44-45; Dryden-Peterson et Hovil 2007, 26).

En consĂ©quence, ces États et les principaux pays donateurs adoptĂšrent une approche sĂ©curitaire et restrictive Ă  l’égard des rĂ©fugiĂ©es (Feldman 2007, 49). On observa une hiĂ©rarchisation des solutions « durables Â» par le HCR : le retour volontaire devint la prioritĂ©, ensuite les options de l’accueil ou de la dĂ©localisation dans un État tiers (Stein 1986, 277). Cette dĂ©cision fut le produit de deux phĂ©nomĂšnes parallĂšles. D’une part, les États industrialisĂ©s limitĂšrent le processus de rĂ©installation dans un tiers pays (Bolesta 2005, 147-48) en le considĂ©rant comme la solution la plus « coĂ»teuse Â» et la moins dĂ©sirable, du fait qu’elle crĂ©e un « fardeau Â» important pour eux (Stein 1986, 278). D’autre part, les États hĂŽtes, principalement des pays du Sud, refusĂšrent la solution de l’intĂ©gration locale de peur que celle-ci encourage l’arrivĂ©e de rĂ©fugiĂ©Es en plus

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grand nombre (Betts 2009, 1; HCR 2009a, 2). Étant donnĂ© que la solution de leur retour volontaire Ă©tait difficilement applicable en raison de la pĂ©rennitĂ© de l’instabilitĂ© rĂ©gionale, ils furent isolĂ©s dans des camps, ou installations apparentĂ©es, caractĂ©risĂ©s par une restriction de leur libertĂ© de mouvement, des limitations quant Ă  leurs opportunitĂ©s Ă©conomiques et une gestion de type top-down (Smith 2004). Ce changement d’orientation se vĂ©rifia aussi au niveau du financement des programmes du HCR durant cette pĂ©riode. Les investissements dans la recherche de solutions durables furent considĂ©rablement rĂ©duits  : en 1970, 83% du budget y Ă©tait consacrĂ© contre 26% en 1981, le reste Ă©tant consacrĂ© aux prestations Ă  l’aide humanitaire (Stein 1986, 266). Le systĂšme de gestion temporaire des rĂ©fugiĂ©Es, autour du modĂšle centrĂ© sur les camps, fut donc adoptĂ© Ă  long terme en raison de l’incapacitĂ© du HCR Ă  renouveler ses approches et politiques en matiĂšre de recherche de solutions durables dans un contexte politique et Ă©conomique mondial qui n’a plus rien Ă  voir avec celui de sa crĂ©ation (Smith 2004). Ce systĂšme de gestion centrĂ© sur les camps est appelĂ© warehousing3 (Smith 2004).

Aujourd’hui encore, cette impasse persiste au niveau de la recherche de mesures permanentes. La rĂ©installation dans un pays tiers, principalement dans un pays industrialisĂ© (Australie, Canada, États-Unis, etc.), fut la rĂ©alitĂ© de moins d’un pour cent des rĂ©fugiĂ©Es en 2008 (HCR 2009a, 10). Quant au processus d’intĂ©gration locale, il n’existe pas de donnĂ©es fiables, car il subsiste encore beaucoup d’États hĂŽtes qui n’ont toujours pas de lĂ©gislation sur la naturalisation des rĂ©fugiĂ©es ni de politiques claires quant Ă  l’attribution de ce statut (HCR 2009a, 10). De plus, le financement pour l’intĂ©gration locale est trĂšs limitĂ© en plus d’ĂȘtre orientĂ© vers les pays europĂ©ens et amĂ©ricains, contrairement au financement des installations de type warehousing qui se concentre sur l’Asie et l’Afrique (Smith 2004, 48). ParallĂšlement, la proportion de ceux qui retournent dans leur pays d’origine est trĂšs faible (HCR 2009a, 10), mettant en lumiĂšre l’échec du paradigme sĂ©curitaire. En 2003, on estimait que le temps moyen qu’une rĂ©fugiĂ©e passait dans les camps ou dans une installation similaire Ă©tait de 17 ans (HCRa 2006)! De plus, dans son dernier rapport, le HCR fait observer qu’il existait, en 2006, 27 foyers pour rĂ©fugiĂ©Es Ă  situation prolongĂ©e dans le monde, dont la majoritĂ©, soit 17, Ă©tait rĂ©pertoriĂ©e en Afrique subsaharienne (HCRb 2006, 109). Les expatriĂ©Es ont fini par faire l’objet d’une perception nĂ©gative, passant pour un «  fardeau  » dans les pays hĂŽtes et aux yeux de la « communautĂ© internationale Â», en raison de l’incapacitĂ© du HCR Ă  trouver une solution digne de ce nom.

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Les rĂ©fugiĂ©Es comme ressource : une rĂ©ponse Â«  idĂ©ale Â» au paradigme sĂ©curitaire?

ParallĂšlement au paradigme sĂ©curitaire, le HCR et ses partenaires, en liant soudainement l’aide au dĂ©veloppement Ă  celle des rĂ©fugiĂ©Es, prĂ©tendent ainsi mieux rĂ©pondre aux besoins de ces derniers, alors qu’ils les adaptent aux intĂ©rĂȘts des pays donateurs et hĂŽtes. On se trouve alors en pleine situation contradictoire : les acteurs qui appliquaient les politiques de type dĂ©veloppemental Ă©taient aussi ceux-lĂ  mĂȘmes qui promouvaient le systĂšme de warehousing, soit une gestion de type sĂ©curitaire et contraignant. Le discours sur les rĂ©fugiĂ©s comme ressource est-il vraiment une rĂ©ponse au paradigme sĂ©curitaire?

Les dĂ©fendeurs de cette approche considĂšrent les exilĂ©Es comme une main-d’Ɠuvre dont les compĂ©tences et aptitudes peuvent bĂ©nĂ©ficier aux rĂ©gions qui les accueillent. C’est une façon pour un État hĂŽte de chercher Ă  jouir d’une bonne rĂ©putation en tant que dĂ©fenseur des droits humains tout en attirant vers lui l’aide internationale. Ainsi, les rĂ©fugiĂ©Es seraient une ressource pour le dĂ©veloppement de l’État hĂŽte, en mĂȘme temps qu’un motif de prestige politique et une source de financement international.Ces politiques ne sont pas rĂ©centes. Elles remontent aux annĂ©es 1960, c’est-Ă -dire lorsque le HCR a reconnu que les pays hĂŽtes Ă©taient en majoritĂ© des pays en dĂ©veloppement (Crisp 2001, 168). L’application de ce modĂšle par le HCR n’a pas permis une amĂ©lioration sensible de la protection des rĂ©fugiĂ©Es et ce, sans mĂȘme bĂ©nĂ©ficier aux communautĂ©s hĂŽtes. MalgrĂ© l’intention affirmĂ©e du HCR d’amĂ©liorer les programmes en fonction des leçons du passĂ©, ces nouvelles mesures Ă©taient tout aussi limitĂ©es, car elles se trouvaient appliquĂ©es dans un systĂšme international qui soumet ce type de flux migratoire au paradigme sĂ©curitaire. ConsĂ©quemment, une telle approche a gĂ©nĂ©rĂ© une augmentation des opportunitĂ©s Ă©conomiques sans nĂ©cessairement que ceux-ci soient rĂ©ellement intĂ©grĂ©s au marchĂ© Ă©conomique local; les rĂ©fugiĂ©Es se voyaient de ce fait dans l’impossibilitĂ© de se fondre Ă  leur communautĂ© d’accueil. Elle n’a eu pour effet que de conforter le sentiment de compĂ©tition entre eux et les communautĂ©s hĂŽtes et a engendrĂ© le dĂ©veloppement d’un systĂšme de prestations de services parallĂšle aux structures Ă©tatiques (Smith 2004, 51; Feldman 2007, 57).

Par exemple, dans les annĂ©es 1980, les États africains, les États donateurs et le HCR organisĂšrent deux ConfĂ©rences internationales sur la situation des rĂ©fugiĂ©Es en Afrique (en 1981 et 1984). Dans le cadre de celles-ci, ils dĂ©veloppĂšrent la stratĂ©gie d’autonomisation (self-reliance strategy) des rĂ©fugiĂ©Es. ThĂ©oriquement, cette mesure libĂ©rale consistait en une assistance intĂ©grĂ©e pour le dĂ©veloppement des rĂ©gions les accueillant en Ă©change de l’élaboration par

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les pays hĂŽtes de solutions qui s’apparentent Ă  celle de l’intĂ©gration locale (Betts 2009, 7; Feldman 2007,55-56). ConcrĂštement, ce type de programme rendit acceptable la situation d’absence de solution durable pour les rĂ©fugiĂ©Es, car les pays donateurs n’imposĂšrent aucune condition quant Ă  l’impact des projets sur leur sort (Smith 2004, 44-45).

Ces politiques visaient aussi Ă  rationaliser l’aide octroyĂ©e par les pays donateurs et hĂŽtes (Stein 1986, 280). Ceux-ci s’intĂ©ressĂšrent essentiellement Ă  rendre la gestion des camps et des autres types d’installations les plus « autosuffisantes Â» possible afin de rĂ©duire leurs coĂ»ts. Durant les ConfĂ©rences de 1981 et de 1984, Betts (2009, 7) dĂ©plora le fait que les pays africains recherchaient essentiellement une compensation pour l’accueil d’une quantitĂ© de plus en plus nombreuse de rĂ©fugiĂ©Es, rendant le partage Ă©quitable du « fardeau Â» plus important que l’amĂ©lioration de la situation de ces populations vulnĂ©rables par la recherche de solutions durables. Du cĂŽtĂ© des États donateurs, on souligne que l’un des problĂšmes rĂ©currents pour la mise en Ɠuvre de l’approche dĂ©veloppementale fut qu’elle souffrait de sous-financement. On observa d’ailleurs l’échec de plusieurs tentatives de renouer et de renforcer les politiques dĂ©veloppementales, telles que le processus de Brooking et la Convention Plus du HCR, en raison du manque d’engagement des pays souscripteurs (Crisp 2001, 185; Betts 2009, 8). Quant au HCR, il considĂšre que l’indicateur le plus pertinent en matiĂšre de capacitĂ© de prise en charge des rĂ©fugiĂ©es est la vigueur de l’économie de l’État hĂŽte, mesurĂ©e selon son Produit intĂ©rieur brut (PIB) (HCR 2009a, 10). L’accent est donc mis sur les coĂ»ts liĂ©s Ă  l’accueil de ces populations pour les États. Or, si cet indicateur permet de mesurer l’efficacitĂ© des politiques d’aide sur l’économie de l’État hĂŽte, il ne peut pas nĂ©cessairement Ă©valuer si ce dĂ©veloppement a vraiment contribuĂ© Ă  amĂ©liorer les conditions de vie des principaux intĂ©ressĂ©s.

Cette perspective dĂ©veloppementale est une solution plutĂŽt dĂ©cevante pour les rĂ©fugiĂ©Es car elle est surtout axĂ©e sur des considĂ©rations de rentabilitĂ© de l’aide qui leur est accordĂ©e (Stein 1986, 280). Si les deux discours Ă  l’étude semblent s’opposer, ils se confortent en rĂ©alitĂ©. Les rĂ©fugiĂ©Es sont toujours perçues comme un fardeau pour les États, et les motivations des politiques d’aide visent encore la protection des intĂ©rĂȘts des États, plutĂŽt que de subvenir Ă  leurs besoins. L’approche dĂ©veloppementale, donc la prĂ©sentation des rĂ©fugiĂ©Es comme une ressource pour le dĂ©veloppement des pays hĂŽtes, ne consisterait-elle pas alors en une tentative de dĂ©guiser l’échec du paradigme sĂ©curitaire en une rĂ©ussite? Dans tous les cas, il est difficile de croire qu’un changement de « paradigme Â», selon les termes de Feldman (2007, 63), soit en train de s’opĂ©rer au sein du rĂ©gime international pour la protection des rĂ©fugiĂ©Es car ceux-ci continuent Ă 

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ĂȘtre perçus comme une menace Ă  laquelle parer. Bien qu’on ne puisse vraiment douter des motifs humanitaires liĂ©s aux programmes dĂ©veloppementaux du HCR, on ne peut tout de mĂȘme nier que les motivations semblent convenir davantage aux intĂ©rĂȘts des États hĂŽtes et donateurs que ceux des rĂ©fugiĂ©Es, dont l’opinion ne fut que trĂšs rarement sollicitĂ©e (Smith 2004, 44-45). Or, cette approche dĂ©veloppementale persiste dans les politiques du HCR et culmina par l’élaboration du concept de « dĂ©veloppement intĂ©grĂ© Â» (Betts 2009, 2). Les programmes qui lui sont associĂ©s sont prĂ©sentĂ©s comme une mise en application des leçons apprises par le passĂ© et la rĂ©alisation d’un compromis entre les pays du Nord et du Sud Ă  travers l’harmonisation de leurs intĂ©rĂȘts (Betts 2009, 1-2). Cependant, cette approche tient pour acquis que l’utilisation de rĂ©fugiĂ©Es comme ressource permet l’amĂ©lioration de leurs conditions de vie et facilite la recherche de solutions durables pour ceux-ci. Qu’en est-il rĂ©ellement?

Étude de cas : les rĂ©fugiĂ©es soudanaises en Ouganda

Si la configuration des projets dĂ©veloppementaux pour les rĂ©fugiĂ©Es est motivĂ©e d’abord par des considĂ©rations d’ordres sĂ©curitaire et Ă©conomique, ont-ils nĂ©anmoins un impact positif sur le sort des rĂ©fugiĂ©Es? C’est ce que nous dĂ©terminerons Ă  travers une analyse de l’impact des programmes dĂ©veloppementaux en Ouganda.

L’Ouganda est parmi les pays hĂŽtes ayant le plus grand nombre de rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©s (HCRb 2006,107). Celui-ci a consenti Ă  mettre en application l’approche dĂ©veloppementale dans sa gestion des rĂ©fugiĂ©es soudanaiEs au nord de son territoire avec la coopĂ©ration d’États et d’organisations donateurs, notamment le Danemark, le HCR et des ONG locales et internationales (Betts 2009, 8; Hunter 2009, 17). Est-ce que les politiques dĂ©veloppementales en Ouganda ont permis une amĂ©lioration de prospectives d’avenir pour ces rĂ©fugiĂ©es? Nous dĂ©montrons dans cette section que ce n’est pas le cas et ce, pour quatre raisons.

Les « rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©s Â» soudanaises en Ouganda sont-ils tous considĂ©rĂ©s comme une ressource?

Il faut souligner que les projets de dĂ©veloppement pour les rĂ©fugiĂ©es soudanaises ne s’adressent pas Ă  l’ensemble, car une grande partie d’entre eux sont considĂ©rĂ©s avoir des capacitĂ©s limitĂ©es Ă  agir en tant que ressources ou sont simplement ignorĂ©s par le gouvernement ougandais Ils vivent des rĂ©alitĂ©s diverses, impliquant qu’ils n’ont pas tous les mĂȘmes besoins : 56% de la population des rĂ©fugiĂ©Es

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soudanaisEs en Ouganda ont moins de 18 ans (HCR 2009b) tandis qu’on retrouve par ailleurs plusieurs personnes ĂągĂ©es ou malades (Crisp 2005, 24-25). De plus, ces catĂ©gories d’individus sont rĂ©putĂ©s avoir des besoins spĂ©cifiques et demeurent par consĂ©quent dĂ©pendante de l’aide humanitaire. Les programmes dĂ©veloppementaux ne changent rien Ă  l’affaire (Hunter 2009, 18), d’autant plus qu’ils ne s’appliquent qu’à ceux qui vivent dans les installations reconnues par le gouvernement. Ainsi, les quelque 50 000 rĂ©fugiĂ©es soudanaises qui se sont installĂ©s spontanĂ©ment dans le territoire ougandais n’en bĂ©nĂ©ficient pas (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29). Le discours dĂ©veloppemental crĂ©e donc une illusion d’homogĂ©nĂ©itĂ©, mais en rĂ©alitĂ© il concerne principalement les rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©es qui sont les moins vulnĂ©rables.

L’approche dĂ©veloppementale et les solutions durables : quelle harmonisation?

Identifier les rĂ©fugiĂ©es comme une ressource et analyser leurs moyens de survie sous cet aspect consiste Ă  les rĂ©duire Ă  leur « capacitĂ© de productivitĂ© Â» et Ă  leur contribution au dĂ©veloppement des rĂ©gions dans lesquelles ils vivent (Cavaglieri 2005). Mais les programmes dĂ©veloppementaux semblent n’avoir pour seule finalitĂ© que leur retour dans le pays d’origine, constituant alors une atteinte Ă  leurs droits: ils servent de paravent Ă  une manƓuvre de refoulement par l’État hĂŽte, un procĂ©dĂ© interdit par le rĂ©gime international de protection des rĂ©fugiĂ©es (Crisp 2005, 27-29; Smith 2004, 38).

L’Ouganda considĂšre par ailleurs que le retour «  volontaire  » est la solution durable Ă  prioriser et Ă©carte l’intĂ©gration locale permanente comme une alternative (Stein 1986, 276). Ainsi, aux vues du gouvernement ougandais, l’efficacitĂ© des programmes dĂ©veloppementaux se mesure Ă  la probabilitĂ© que ces rĂ©fugiĂ©Es retournent volontairement dans leur pays d’origine. Le but est donc d’augmenter leur bien-ĂȘtre matĂ©riel et physique de sorte qu’ils puissent entreprendre leur retour chez eux. Cette perspective sous-entend que le principal facteur expliquant la situation prolongĂ©e des rĂ©fugiĂ©Es est Ă©conomique et rĂ©duit leur choix en matiĂšre de solutions durables Ă  celle du retour « volontaire Â». Or, selon les statistiques du HCR, l’Ouganda est l’un des pays oĂč il y a le plus de cas de retour: la question est de savoir dans quelle mesure ceux-ci sont volontaires


L’une des raisons pour lesquelles les rĂ©fugiĂ©es demeurent pour une longue pĂ©riode dans le pays d’asile est qu’ils s’identifient ou se sentent plus en sĂ©curitĂ© dans celui-ci que dans le pays d’origine. En effet, une proportion importante des rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©es est nĂ©e dans les camps : dans quatre camps soudanais en Ouganda, en moyenne 20% de la population totale avait moins de cinq ans

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(Hunter 2009, 19). Dans quelle mesure alors peut-on affirmer que le Soudan est leur pays d’origine? D’autres refusent de retourner dans leur pays, car ils ont peur des risques de persĂ©cution Ă  leur retour en raison de leur origine ethnique, de leurs opinions politiques, etc. (Crisp 2005, 21). Ainsi, la seule amĂ©lioration des conditions de vie matĂ©rielle au moyen de projets de dĂ©veloppement ne correspond que trĂšs imparfaitement aux besoins des SoudanaisEs en Ouganda, si le retour volontaire de ces rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©es est rĂ©ellement l’objectif de l’État hĂŽte. Dans ces conditions, comment qualifier le retour dans le pays d’origine comme une solution durable pour ces communautĂ©s?

Environnement économique et politique: quel avenir dans la périphérie?

Si ces politiques ne permettent pas d’accĂ©der Ă  l’une des solutions durables du HCR, elles constitueraient une « solution pratique Â» pour les rĂ©fugiĂ©Es, selon les affirmations de Dorothy Jobolingo, conseillĂšre en Ă©ducation pour le HCR en Ouganda (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29- 30). Or, des chercheurs ont maintes fois soulignĂ© que les approches dĂ©veloppementales, et donc l’identification des rĂ©fugiĂ©es comme ressource, ne constituent pas une solution Ă  tous leurs problĂšmes, car ils vivent pour la plupart dans des zones pĂ©riphĂ©riques.

Les installations des rĂ©fugiĂ©es soudanaises en Ouganda sont situĂ©es prĂšs des frontiĂšres du Soudan, une rĂ©gion oĂč existent d’importants problĂšmes d’instabilitĂ© et d’insĂ©curitĂ© (Crisp 2005, 22; Smith 2004, 38; HCRb 2006, 113-114). En fait, ils vivent en plein milieu d’un champ de bataille : cette rĂ©gion est le territoire d’affrontements entre l’armĂ©e ougandaise et quelques mouvements rebelles, dont le Lord Resistance Army (HCR 2009b). Ils furent souvent victimes d’insĂ©curitĂ© physique, soit d’attaques, d’agression sexuelles, de vols, etc. (Crisp 2005, 27-29; Smith 2004, 39; HCR 2006b, 114-115). En consĂ©quence, le conflit au nord de l’Ouganda entre le gouvernement et les rebelles a fait obstacle Ă  leur capacitĂ© Ă  s’investir dans des activitĂ©s de type dĂ©veloppemental (Hunter 2009, 18). Par ailleurs, ces programmes ne permirent pas vraiment de mettre fin Ă  la militarisation des camps soudanais entraĂźnant leur attaque par les mouvements paramilitaires (Smith 2004, 41; Crisp 2005, 22). En fait, ce que l’on observe, c’est une instrumentalisation des programmes de dĂ©veloppement dans les rĂ©gions frontaliĂšres par l’État ougandais afin de consolider son contrĂŽle des frontiĂšres et d’attirer l’attention de la communautĂ© internationale sur les actes violents des mouvements rebelles Ă  l’endroit de la population locale (Kaiser 2005, 63).

Les réfugiéEs soudanaisEs sont aussi localiséEs dans une région caractérisée

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par un climat rigoureux. Le nord de l’Ouganda est une rĂ©gion ayant vĂ©cu une histoire de sous-dĂ©veloppement en raison de l’isolation du marchĂ© local (Crisp 2005, 22). Le HCR et ses ONG partenaires sont les principaux employeurs et investisseurs locaux: l’économie et les communautĂ©s locales dĂ©pendent du systĂšme humanitaire qui s’y est dĂ©ployĂ© depuis la fin des annĂ©es 1980 avec l’arrivĂ©e des flux migratoires en provenance du Soudan (Smith 2004, 49; Fielden 2008, 11). Dans quelle mesure des projets de petite envergure, comme ceux proposĂ©s par les ONG et le HCR, peuvent-ils permettre aux rĂ©fugiĂ©Es de dĂ©passer ces dĂ©fis structurels d’ordre Ă©conomique, politique et sĂ©curitaire?

En fait, identifier les rĂ©fugiĂ©es Ă  une ressource revient pour l’État hĂŽte Ă  balayer du revers de la main les responsabilitĂ©s qu’il a toujours Ă  leur endroit. Les considĂ©rer comme une ressource risque Ă©galement de se rĂ©vĂ©ler un procĂ©dĂ© de transfert des responsabilitĂ©s de la communautĂ© internationale et de l’État hĂŽte en matiĂšre de consolidation de la paix et de dĂ©veloppement vers celles des rĂ©fugiĂ©Es prolongĂ©Es (Isotalo 2009, 72). Dans ce cas-ci, l’État ougandais leur impose des programmes de dĂ©veloppement autoritaires, car ils ne sont pas contrebalancĂ©s par un systĂšme adĂ©quat de protection de leurs droits et libertĂ©s (Kaiser 2005, 365). Si cette solution est pratique, elle l’est principalement pour l’État ougandais, non pour les rĂ©fugiĂ©es soudanaises.

Un rĂ©gime Ă©tatique contradictoire avec l’approche dĂ©veloppementale

On observe qu’il existe d’importantes contradictions entre la lĂ©gislation locale et les objectifs affichĂ©s des programmes dĂ©veloppementaux, mettant en lumiĂšre le manque de volontĂ© politique de l’État ougandais en matiĂšre d’amĂ©lioration des conditions de vie des rĂ©fugiĂ©es soudanaises sur son territoire.

Tel qu’énoncĂ© prĂ©cĂ©demment, une importante proportion d’entre eux en Ouganda (environ 50 000) vit Ă  l’extĂ©rieur des camps et installations reconnus par le gouvernement. Ils se sont installĂ©s spontanĂ©ment au sein de communautĂ©s locales et intĂ©grĂ©s de facto Ă  celles-ci (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29). Bien que considĂ©rĂ©s comme une possible menace Ă  la sĂ©curitĂ© nationale par l’État, ils affichaient plutĂŽt des caractĂ©ristiques de citoyen modĂšle : « [they] are integrated into their host community, pay graduated taxes, contribute to the local economy and even run in local council election» (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29). Cependant, leur statut lĂ©gal est devenu ambigu, en 2007, en raison de la redĂ©finition du statut de rĂ©fugiĂ© par le gouvernement ougandais dans le cadre de la mise en vigueur du « Refugee Act Â» (Hunter 2009, 19-20). Depuis, l’Ouganda accorde le statut de rĂ©fugiĂ©Es, et donc toutes les protections lĂ©gales qui en dĂ©coulent, aux

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seuls individus qui reçoivent une assistance (programmes dĂ©veloppementaux ou aide humanitaire) et qui demeurent dans des installations reconnues par le gouvernement. En consĂ©quence, cette limitation de la dĂ©finition de rĂ©fugiĂ©Es favorise ceux qui sont en situation de dĂ©pendance par rapport au gouvernement ougandais et les organisations internationales; ceux qui se sont spontanĂ©ment installĂ©s dans des communautĂ©s locales Ă©tant menacĂ©s d’ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des immigrants illĂ©gaux (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29). La lĂ©gislation du gouvernement ougandais rend donc volontairement ces groupes plus vulnĂ©rables, dĂ©cision politique symptomatique du paradigme sĂ©curitaire.

La lĂ©gislation locale limite aussi les droits civils des rĂ©fugiĂ©es soudanaises (Crisp 2005, 27-29). En matiĂšre de libertĂ© de mouvement, le gouvernement ougandais affiche une position qui porte Ă  confusion  : «  the freedom of movement for refugees within Uganda should be as broad as possible, altought a reasonable system of control should not be rejected out of end», peut-on lire dans les documents officiels du Bureau du Premier ministre ougandais (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 30). En rĂ©alitĂ©, la libertĂ© de mouvement des rĂ©fugiĂ©Es est entravĂ©e par diverses rĂ©glementations au niveau local afin de faire perdurer le systĂšme des camps (warehouse) qui permet un contrĂŽle de ces derniers. Dans le cadre de son programme d’autonomisation des rĂ©fugiĂ©Es (Self-reliance strategy), le gouvernement ougandais imposa Ă  ceux qui souhaitaient sortir des installations locales l’acquisition d’un permis spĂ©cial auprĂšs de l’autoritĂ© locale dĂ©signĂ©e. Plusieurs Ă©tudes mettent en lumiĂšre l’entrave sĂ©rieuse Ă  leurs activitĂ©s Ă©conomiques causĂ©e par les dĂ©lais et les coĂ»ts de ce permis qui limite leur accĂšs au marchĂ© local (Dryden-Peterson et Hovil 2007, 29; Smith 2004, 51; Werker 2007, 4). À cela s’ajoutent les problĂšmes liĂ©s Ă  la discrimination dont ils sont l’objet quant Ă  l’octroi des terres agricoles, souvent celles de moindre qualitĂ© (Smith 2004, 51). Enfin, il est Ă  noter que ceux qui souhaitent s’investir dans les activitĂ©s Ă©conomiques locales doivent payer des taxes Ă  l’autoritĂ© responsable de l’installation dans laquelle ils vivent. Il existe trois types de taxes en Ouganda, qui les concerne: pour le droit de production agricole, le droit de tenir une affaire (compagnie) et l’accĂšs au marchĂ© local (Werker 2007, 6-7). Smith (2004, 51) conclut que les coĂ»ts pour l’ensemble des frais qu’un rĂ©fugiĂ© doit prendre en considĂ©ration au moment de se lancer en affaires peuvent dĂ©passer la valeur d’une rĂ©colte agricole d’une saison complĂšte. Ainsi, si le gouvernement affirmait d’un cĂŽtĂ© vouloir faciliter l’accĂšs Ă  l’emploi et au commerce pour les rĂ©fugiĂ©es en intĂ©grant les politiques dĂ©veloppementales les concernant dans son programme national de rĂ©duction de la pauvretĂ© (Fielden 2008, 11; Betts 2009, 8; Feldman 2007, 59); d’un autre cĂŽtĂ©, il leur met de sĂ©rieux bĂątons dans les roues.

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Enfin, les rĂ©fugiĂ©es doivent souvent faire face Ă  une limitation importante de leurs droits politiques  du fait de la gestion autoritaire des installations dans lesquelles ils vivent (Crisp 2005, 27-29). Le discours du gouvernement ougandais sur les rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©Es en est imprĂ©gnĂ©. Selon lui, ils sont sur son territoire par « choix Â» car d’autres vivant parmi eux ont adoptĂ© l’option du retour. Ainsi, s’ils demeurent sur leur territoire, ils doivent se soumettre aux politiques Ă©tatiques (Kaiser 2005, 357). Ils sont donc pris en Ă©tau par le gouvernement ougandais, l’intimidation constituant le revers de la mĂ©daille des politiques de dĂ©veloppement. (Kaiser 2005, 361). On observe d’ailleurs une faible participation politique des rĂ©fugiĂ©es soudanaises dans les camps et installations locales en raison justement de cette atmosphĂšre d’intimidation et des relations de dĂ©pendance qui y sont crĂ©Ă©es. Ces dernieres se plaignent des entraves Ă  leur libertĂ© d’association et d’expression et considĂšrent que les autoritĂ©s locales les traitent comme des « enfants Â» (Kaiser 2005, 361). À la lumiĂšre de ces faits, il est difficile d’affirmer que les politiques dĂ©veloppementales d’aide permettent une amĂ©lioration de leur prospectives d’avenir.

Conclusion

Dans le cadre de cette analyse, nous nous sommes intĂ©ressĂ©e Ă  la question suivante : jusqu’à quel point considĂ©rer les rĂ©fugiĂ©es comme ressource peut-il leur permettre d’amĂ©liorer leur condition de vie? Nous avons dĂ©montrĂ©, Ă  la lumiĂšre d’une analyse historique des deux discours Ă  leur sujet ainsi que par une analyse critique du cas ougandais, que tant que le paradigme sĂ©curitaire sera prĂ©pondĂ©rant au sein de la communautĂ© internationale, le discours sur l’identification des rĂ©fugiĂ©es comme ressource ne les favorisera pas pour accĂ©der Ă  une solution durable. Au contraire, les politiques qui en dĂ©coulent sont instrumentalisĂ©es et aboutissent, du cĂŽtĂ© des rĂ©fugiĂ©Es, Ă  un dĂ©veloppement autoritaire, sĂ©grĂ©gationniste et limitĂ©. Nous ne remettons pas en question nĂ©anmoins l’intĂ©rĂȘt de ce discours, nous nous inquiĂ©tons plutĂŽt de son instrumentalisation par les pays hĂŽtes et donateurs afin de servir leurs intĂ©rĂȘts politiques, militaires et Ă©conomiques. L’identification des rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©s comme ressource au centre du discours dĂ©veloppemental du HCR est en ce sens contradictoire, car il se juxtapose Ă  une perspective sĂ©curitaire qui dĂ©finit les rĂ©fugiĂ©es prolongĂ©es comme objet des Ă©tudes de sĂ©curitĂ©, c’est-Ă -dire une possible menace, plutĂŽt qu’un sujet, comme le voudrait le rĂ©gime international de protection des rĂ©fugiĂ©es. Or, comment protĂ©ger un groupe que l’on perçoit aussi comme une menace? Comment responsabiliser un groupe que l’on tente du mĂȘme coup de contrĂŽler, voire de s’en dĂ©barrasser? Bien des contradictions demeurent.

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Fielden, Alexandra. 2008. Local integration: an under-reported solution to protracted refugee situations. En ligne: http://www.unhcr.org/486cc99f2.html (page consultée le 24 avril 2010).

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Werker, Eric. 2007. « Refugee Camp Economy». Journal of Refugee Studies 20 n°3 : 1-20.

Notes1 On qualifie de prolongĂ©Es les rĂ©fugiĂ©Es ayant vĂ©cu en exil plus de cinq ans dans un camp ou dans une installation similaire. Leur qualitĂ© de vie est limitĂ©e par leur environnement politique et Ă©conomique, mais surtout du fait qu’ils n’ont pas accĂšs Ă  l’une des trois solutions qualifiĂ©es de durables par le HCR (Crisp 2005, 17; Smith 2004, 38; HCR 2006, 106).2 DĂ©crites et analysĂ©es par Werker (2007) dans son article sur le systĂšme Ă©conomique des camps de refugies. 3 Entreposage (traduction libre).

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RESOURCES & MINES

Le saphir malgache, une ressource pour la Grand-Ăźle ou pour les Ă©trangers?

Par Naina Rakoto

VoilĂ  maintenant 22 ans que le saphir a Ă©tĂ© dĂ©couvert Ă  Madagascar, et plus prĂ©cisĂ©ment aux alentours d’une localitĂ© connue sous le nom de

«Ilakaka», situĂ©e au Sud de la capital. Au fil des annĂ©es, d’autres localitĂ©s se sont fait connaĂźtre dans cette filiĂšre et la ruĂ©e vers cette pierre prĂ©cieuse s’est progressivement intensifiĂ©e.

La prĂ©sence de saphir n’a malheureusement pas fait que des heureux, et suscite de nombreuses questions liĂ©es notamment Ă  la gestion et Ă  la gouvernance. Ce rapport rend compte des diffĂ©rentes recherches faites dans le but d’apprĂ©hender la rĂ©alitĂ© de cette pierre, en commençant par un aperçu de la situation de Madagascar en terme de ressources naturelles. L’objectif n’est en aucun cas de dĂ©noncer les mauvaises pratiques liĂ©es Ă  cette filiĂšre, mais de relater les faits qui y sont liĂ©s.

Une ßle gorgée de ressources

En dĂ©pit de son retard sur le plan socio-Ă©conomique, Madagascar, comme bon nombre de pays dits «en voie de dĂ©veloppement», possĂšde de nombreuses ressources :

De par sa faune et sa flore, cette Ăźle de l’OcĂ©an Indien est considĂ©rĂ©e comme une des plus riches du monde. Aussi bien des touristes que des scientifiques s’y dĂ©placent pour dĂ©couvrir ces patrimoines rares voire uniques Ă  l’échelle mondiale tels que les lĂ©muriens, les camĂ©lĂ©ons, les baobabs et les ravenalas).

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Par ailleurs, le sol malgache regorge de ressources miniĂšres d’une qualitĂ© et quantitĂ© importantes (or, platine, argent 
) qui, normalement, doivent lui permettre de concurrencer avec d’autres pays Ă  l’échelle rĂ©gionale comme le Congo, le Botswana
 .

Le saphir

Officialisation du statut de ressource

En octobre 2006, le saphir fait partie des ressources miniĂšres dont le MinistĂšre malgache des Mines et de l’Énergie a dressĂ© et publiĂ© l’inventaire. Avec l’aide de l’Institut de Recherche pour le DĂ©veloppement, Centre National de Recherche Scientifique et de l’universitĂ© d’Antananarivo (la capitale), cette institution a identifiĂ© la prĂ©sence importante de cette pierre dans le sous-sol malgache. «Il y en a tellement que Madagascar pourrait en ĂȘtre le premier producteur mondial», selon Michel RAKOTONDRAZAFY un enseignant Ă  l’UniversitĂ©. Madagascar peut donc s’en orgueuillir car, cette pierre est trĂšs recherchĂ©e sur le marchĂ© mondial dans la mesure oĂč elle reprĂ©sente une matiĂšre premiĂšre indispensable pour la fabrication des produits comme les bijoux et les aiguilles de lecture des Ă©lectrophones. Par ailleurs, compte-tenu de la situation socio-Ă©conomique qui prĂ©vaut dans l’üle, l’exportation de cette ressource contribuera, certainement, Ă  sortir le pays de la pauvretĂ©.

Une réalité différente

Cependant, entre la théorie et la réalité, il y a un gros écart. La réalité est, en effet, tout autre si on en croit les informations révélées par les médias locaux.

Rîle de l’État

Le rĂŽle que joue l’État malgache dans la filiĂšre saphir a toujours Ă©tĂ© d’ambigu. En effet, bien qu’il ait intĂ©grĂ© le saphir parmi les ressources nationales, aucune information ne nous permet pas d’attester que l’état veuille exploiter cette ressource pour le profit de la nation. Au contraire, l’État n’a jamais su lĂ©gifĂ©rer sur cette filiĂšre, d’oĂč les impacts nĂ©gatifs Ă  bien des Ă©gards, constatĂ©s depuis la ruĂ©e vers cette prĂ©cieuse. Pour preuve, y ayant laissĂ©, dĂšs le dĂ©part, libre accĂšs Ă  toute personne toutes nationalitĂ©s confondues, l’État s’est trouvĂ© confrontĂ© Ă  des problĂšmes de diffĂ©rentes

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natures :

Sociale :InsĂ©curitĂ© progressive dans les endroits d’extraction (corruption, trafic humain
)Forte migration vers les zones de saphir Prostitution de mineurs et proxĂ©nĂ©tisme Dysfonctionnement des Ă©coles qui ne fonctionnent pas comme il faut car enseignant devenant chercheur de saphir
).

Économique :Manque de personnel dans les administrations, suite Ă  la conversion de bon nombre de fonctionnaires en exploitants.Abandon des activitĂ©s agricoles par les paysans.

Environnementale :Risque d’augmentation de la pollution du fait de l’émanation de polluants durant l’extractionExposition des mains d’Ɠuvre aux risques d’accident du travailDestruction des habitats naturelsTous ceux-ci sont des exemples d’impacts de l’absence de lĂ©gislation et de prise de responsabilitĂ© par l’État.

Par ailleurs, le changement de rĂ©gime en 2002 n’a pas eu d’incidence sur ce rĂŽle de l’État dans la mesure oĂč le nouveau Code minier, adoptĂ© plus tard, a comme principes la libĂ©ralisation et le dĂ©sengagement de l’État. (2007). Le code minier prĂ©cĂ©dant n’avait jamais Ă©tĂ© appliquĂ© du fait de l’absence d’organe de contrĂŽle, ou encore d’insuffisance d’équipement du cotĂ© des forces de l’ordre pour le contrĂŽle, d’oĂč corruption et exploration / exploitation et exportation illĂ©gale de minerai.

Un manque Ă  gagner important

Pour conclure le paragraphe prĂ©cĂ©dent, on peut dire que  : compte tenu des annĂ©es de passivitĂ© de l’État malgache, le manque Ă  gagner pour les revenus de celui-ci dans la filiĂšre saphir est certainement Ă©levĂ©. Cette pierre Ă©tait sensĂ© constituĂ© un atout dans la lutte contre la pauvretĂ© nationale, or, la rĂ©alitĂ© nous rĂ©vĂšle qu’elle a Ă©tĂ© et continue Ă  ĂȘtre fortement nĂ©gligĂ©e en tant que produit d’exportation. Une autre idĂ©e, malheureusement Ă©cartĂ©e par l’État, est celle de s’investir dans l’implantation d’entreprises

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de transformation de cette pierre, au niveau local. Ce qui profite Ă  d’autres pays tels que le Sri-Lanka et la Thaillande qui maĂźtrisent les techniques de chauffage et de taille. Bref, que des occasions ratĂ©es. «la source de revenus que pourrait reprĂ©senter ce corindon de Madagascar nous Ă©chappe complĂštement», dit Monsieur RAKOTONDRAZAFY Michel Ă  ce propos.

Un autre paradoxe

Comme dit prĂ©cĂ©demment, la dĂ©couverte du saphir a provoquĂ© une ruĂ©e vers les endroits concernĂ©s, Ă  commencer par Ilakaka. Les gens, venant des quatre coins de l’üle, affluent vers cette localitĂ© dans l’espoir de trouver une source de revenus meilleure. Mais, malheureusement, peu d’entre eux ont rĂ©ellement profitĂ© de cette prĂ©cieuse pour les raisons suivantes, que nous allons dĂ©tailler plus loin :Type de ressource employĂ© lors de l’extraction Terrain d’extractionLe coĂ»t sur place du saphir (concurrence)L’insĂ©curitĂ©

Type de moyen employĂ© lors de l’extraction

Souvent, la difficultĂ© rencontrĂ©e par les exploitants locaux se situe au niveau du recrutement des employĂ©s. En effet, Ă  dĂ©faut de moyens financiers pour employer des mains-d’Ɠuvre locales, ces exploitants ont peu de chance de s’approprier du saphir et de les commercialiser pour obtenir du bĂ©nĂ©fice.

Terrain d’extraction

La possibilitĂ© d’obtenir un terrain d’extraction dĂ©pend de la rapiditĂ© de l’exploitant. Autrement dit, celui-ci doit y arriver parmi les premiers. Celle-ci est l’unique condition pour avoir un terrain d’extraction, Ă©tant donnĂ© l’absence de lĂ©gislation sur la propriĂ©tĂ© des terres (titrisation) dans la zone.

Le coût sur place du saphir

A diffĂ©rence des thaĂŻlandais et des sri-lankais, les malgaches n’ont pas les moyens pour acheter les saphirs vendus par ceux qui travaillent dans les carriĂšres. ConsĂ©quence : la plus part des saphirs extraits sont acquis par ces clients asiatiques dont, rappelons-le, les pays sont dĂ©jĂ  les destinations de

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ces pierres pour leurs travaux.

L’insĂ©curitĂ©

Il a Ă©tĂ© souvent signalĂ© que les exploitants malgaches sont victimes d’abus par la police et les gendarmes routiers, ceux-ci sachant qu’ils gagnent de l’argent grĂące au saphir. Par ailleurs, les communautĂ©s locales leur exercent un racket pouvant se terminer par une Ă©limination physique. A cela s’ajoute la prĂ©sence de bandes organisĂ©es dans les environs des zones d’extraction, qui se dĂ©veloppent facilement.

La corruption liée au saphir

Les problĂšmes liĂ©s Ă  la prĂ©sence et Ă  la ruĂ©e vers le saphir ne s’identifient pas uniquement au niveau des zones d’extraction mais, Ă©galement au niveau du pouvoir central. Tel Ă©tait le constat fait par un certain nombre de mĂ©dias, Ă  la suite de l’arrestation d’un ressortissant africain, accusĂ© de fabrication de faux visas sur le sol malgache. Ces visas favorisent l’entrĂ©e sur le territoire de trafiquant en tout genre. La corruption concerne aussi comme dit ci-dessus la relation entre force de l’ordre sur place et les divers acteurs de l’exploitation.

Lien entre la fabrication de faux visas et le saphir

Les africains, comme les asiatiques, sont des clients potentiels de ceux qui travaillent dans les carriĂšres. En effet, ils achĂštent cette pierre Ă  l’état brut Ă  un prix beaucoup plus Ă©levĂ© que celui proposĂ© par un client malgache. Cependant, Ă©tant considĂ©rĂ© comme des Ă©trangers, ces africains doivent renouveler rĂ©guliĂšrement leur permis de sĂ©jour sur le territoire national. La lĂ©gislation malgache Ă©tant strict sur l’octroi de sĂ©jour aux Ă©trangers, notamment, depuis le second mandat du prĂ©sident RAVALOMANANA, les africains voient leur chance de rester Ă  Madagascar s’amenuiser. Sachant que le milieu administratif malgache est extrĂȘmement corrompu, certains d’entre eux nĂ©gocient secrĂštement avec des hauts cadres malgaches afin d’avoir la possibilitĂ© de rester sur le territoire en troquant le saphir contre le visa. De leur cotĂ©, ces hauts cadres verront leur revenu augmenter car, outre leur salaire, la vente des saphirs leur permettra de gagner beaucoup d’argents.

Résumé du constat

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Au lieu de reprĂ©sentĂ© un atout Ă©conomique, le saphir malgache est visiblement source de problĂšme de diffĂ©rentes natures. Le dysfonctionnement au niveau des administrations, l’absence d’emprise de l’État dans la filiĂšre et la pauvretĂ© sociale en sont parmi les causes identifiĂ©es. On peut qualifier cette situation de paradoxe dans la mesure oĂč on a, d’une part, un État qui considĂšre le saphir comme une ressource nationale, et d’une autre, une exploitation de cette pierre qui ne profite aucunement Ă  la nation. Ce qui nous amĂšne Ă  conclure qu’une ressource n’est pas forcement bĂ©nĂ©fique pour le pays dĂ©tenteur sans une bonne gestion, un organisme de contrĂŽle Ă©quipĂ© et efficace, et sans un secteur justice probe et intĂšgre. Beaucoup d’efforts doivent ĂȘtre entrepris pour que la thĂ©orie coĂŻncide avec la rĂ©alitĂ©. Dans le cas de Madagascar, signalons que l’État s’est engagĂ© Ă  dĂ©velopper durablement la Grande-Ăźle lors du sommet de Johannesburg. Cet engagement suppose une action d’envergure dans chaque domaine concernĂ© par le concept de dĂ©veloppement durable. Pour le cas du saphir, la gouvernance, le social, ainsi que l’environnement sont les domaines les plus touchĂ©s. Par ailleurs, gouvernants et gouvernĂ©s doivent unir leur force s’ils veulent vraiment que le saphir soit un atout pour la rĂ©ussite Ă©conomique du pays, et un garanti pour les gĂ©nĂ©rations futures.

Pour terminer, force est de dire que l’exportation de saphir devrait reprĂ©senter une source de recette important pour l’État malgache, Ă©tant donnĂ© l’importance de sa prĂ©sence dans le sous-sol et la convoitise qu’il suscite. La nationalisation de cette filiĂšre pourra ĂȘtre une stratĂ©gie de contrĂŽle de cette ressource par l’État et une maniĂšre d’en tirer un bĂ©nĂ©fice qui va Ă©galement profiter Ă  la population.

Repùres bibliographiquesLe saphir → une ressource non renouvelable (Madagascar)

http://www.sciencesetavenir.fr/magazine/decouvertes/092472/madagascar-la-ruee-vers-le-saphir.html

http://pagesperso-orange.fr/madagascar/voyage_madagascar/madagascar_sud/tulear/saphirs-ilakaka.html

http://www.tv5.org/TV5Site/enseigner-apprendre-francais/fiche-704-Madagascar_et_la_fievre_du_saphir.html

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SECTION I : RESSOURCES & MINES110

Problématique et enjeux du saphir (Madagascar)

http://217.174.196.174/expressmada/index.php?p=display&id=1344

http://www.madagascar-tribune.com/Exploitation-du-saphir-le-debut-de,743.html

http://www.malango-actualite.fr/article/madagascar__l_octroi_des_titres_d_exploitation_miniere_encore_suspendu-6578.html

http://mywedtrip.blogspot.com/2010/04/quels-impacts-environnementaux-des.html

Autorisation à l’exploitation

http://razafimahazo.free.fr/Descendants/ReporterMdvv_Arch2008_2/Arcmdvv031008.html

http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PNADH318.pdf

http://www.memoireonline.com/08/08/1509/l-espace-monde-approche-geopolitique-et-geoeconomique.html

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SECTION II : POÉSIE

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POÉSIE

POÉMOIREil est une poĂ©sie mĂ©moirerĂ©miniscence des passĂ©s enfuisqu’on essaie de retenir

souvenirs cicatrices avortĂ©esvĂȘtements d’autrefois pliĂ©sdans du papier de soiecortĂšge de cercueilsqu’on porte en terreavec Ă©pitaphe pour garder la trace malsainede ce qui est disparuet qu’on retienttoujours mal grĂ© malgrĂ© que le passĂ©doive rester derriĂšre

on le dĂ©nature l’empĂȘche d’ĂȘtre

passĂ© de pics conquis de failles enjambĂ©es d’errances de chutes

passĂ©s qui fluent et refluenten stĂšles innombrablesplaies que l’on s’amuse Ă  rouvrir

vestiges en berne

retrouver lieux sons lumiĂšres ĂȘtresĂ  travers les lignesentre les lettres

langue de silences

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SECTION II : POÉSIE114

oĂč toute parole est soupiril y a loin entre le mĂ»rier et la soiemieux vaut se taire

(je ne t’ai jamais demandĂ© si elle Ă©tait mariĂ©e)

toutes ces amputations de tendressetoutes ces mémoires tranquilles mémoires ouragans mémoires déchiréestous ces excisés de mythes ces interdits de légÚreté

on voudrait rĂ©pĂ©ter n’y arrive pasle dĂ©sir s’estompe avant le rappelpĂšlerinage dans les charniers de l’ñmesĂ©quence obsessionnelle de mĂ©moire butĂ©eles souvenirs comme les coquillagesĂ©chouĂ©s sur le sable toujours vides

***

il est une poĂ©sie naissance qui crĂ©eles mots en marchevenus de l’instant d’avantqui enfouit les arĂŽmes dans les parfumspour en fixer la volatilitĂ©un lac nouvellement gelĂ© oĂč l’on ose

hĂ©sitation devant trop de certitudemots qui Ă©chappent parfois qu’on rattrape triture tortureest-il possible de revenirle coton se rappelle

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POSSIBLES, HIVER 2012 115

qu’il fut fleur

mots enfin libérésles premiers

dialogues aprĂšs absence

(lorsque j’ai enfin trouvĂ© les mots justes tu Ă©tais parti)

poĂ©sie de sables mirages turbulentsterre crevassĂ©e en attente d’eauoĂč se rĂ©vĂšle l’invisible convoitĂ©poĂ©sie temps poĂ©sie mouvance poĂ©sie naufragĂ©e

tout devient possiblerobinets par oĂč la mĂ©moire fuit

croire profondĂ©ment en quelque chose quelqu’unpuis tout Ă  coup dĂ©crocherchagrin brume de l’ñmetemporaire je saisle soleil je saiss’apercevoir que le marbre s’érode

***

car la poĂ©sie est prophĂšteantichambre empreinte de peu d’espoirun vol de quinze vingt pies voleuses criardesjamais vu autant

y a-t-il une gare au bout de l’horizonoĂč s’arrĂȘtent ces rails qui s’enfuient

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SECTION II : POÉSIE116

projectiontout n’est que projectionon joue Ă  jeter des piĂšces de monnaiedans la bouche d’une cloche les tintements gelĂ©s les avenirs glacĂ©sseule la poĂ©sie peut percevoir stabiliser les images enchaĂźner l’impatience

la laine du mouton bĂȘle encore

discours de points d’exclamation d’interrogationil suffit d’ĂȘtre vivant

(je ne te demanderai jamais si tu m’as oubliĂ©e)

envie de mordre dans le rĂȘve pour voir

s’il en jaillira du rĂ©elĂ©lever des saulespour nos besoins d’ombre

poésie matrice de lendemainspoésie magie image cavalcade

bonheur entre parenthĂšses

choisir ses ailleurs est-il nécessaire de mourir contredire audacieusement le destin choisir de tout recommencer ignorer le compte à rebours.

Lisa Carducci

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POÉSIE

TOI, MON INFINITUDEJ’enfonce mes regards dans tes yeux de faĂŻence,Je tire les cordages de l’ombre jusqu’à ceindre le rĂȘve Pour dĂ©couvrir le temps, Le temps qu’il fait en toi.Je connais le contour de tes lĂšvres : C’est ma route de clartĂ© dans les profondeurs de la nuit,Celle qui dĂ©bouche sur ton cri;Je connais le relief de tes songes
Mais le temps, ma quĂȘte obsĂ©dante se dĂ©robe Ă  ma soif.

Ce que je cherche en toi,Je le dessine avec ma langue sur ta silhouetteEn rĂȘvant de tes bras qui ceinturent ma solitude,Qui tombent sur mon dĂ©lire en ailes endormies.Ce que je cherche en toi,Je le file en mĂ©taphores sur la trajectoire des Ă©toiles.

Cette bouche qui s’arque en lune,Cette lumiĂšre sur mon Ă©paule,Ce silence dans mon poĂšme,Ce parfum dans ma blessureCette prĂ©sence dans mon nĂ©ant
Femme secrĂšte de mes pĂŽles cĂ©lestes,Ma promise, ma dĂ©raison,Ma fleur sacrĂ©e des antipodesC’est toi!Pourquoi chercher en toi le temps qui passeQuand tu es mon commencement et ma fin,Toi, mon Infinitude?

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POÉSIE

QUAND PRENDRA FIN MA MARCHE? Je marche sur les routes dĂ©foncĂ©es du rĂȘve,Les yeux perdus dans le territoire de mes mots
Il y a longtemps que je n’ai pas vu mon ombreErrer dans la maison qui pleure ton absence,Ton absence,Il y a longtemps que je n’ai pas vu mon ombreFrĂŽler les premiĂšres pousses de tes roses. Je salue la mer qui dĂ©roule le silence entre tes lĂšvres,Je salue chaque chose qui me ramĂšne Ă  toi,Chaque chose comme le temps dans ton rire,La houle de ton souffle et le couchant de tes regards Qui m’obsĂšde, me dĂ©vore.Rien n’a changĂ© dans le paysage de tes yeuxOĂč je lis mon destin comme le chagrin dans la nuit De mes amour de larmes, d’errance et de corps renversĂ©s.Quand prendra fin ma marcheSur les trottoirs brisĂ©s de cette terre De dĂ©lire, de folie, d’orgasme et de malheurQui vibre sous mes pas?

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POÉSIE

À TOISur mes lĂšvres, tu as laissĂ© un goĂ»t d’humus et d’argileUn goĂ»t de sirĂšne au seuil du dĂ©sir,Un goĂ»t de baisers, de larmes et d’amertume. Le vent qui souffle dans mon langage dĂ©prime le silence,Ces nuages gris qui se perdent dans la solitudeDe minuit ont le goĂ»t de ton insupportable absence.Ma femme de terre nouvelle et de tourmente,Ma langue qui dit les aubes de cristal et les soirs de solitude,Ma chienne d’errance perdue dans les ruesPoursuivie Ă  tous les carrefours sombres de mes villes dĂ©sertĂ©es,TraquĂ©e Ă  chaque halte,OĂč es-tu? Je ne veux pas mourir comme la ville de mon enfanceOu cette femme brisĂ©e dans mon Ă©criture,Qui se nomme NaĂŻma, Je ne veux pas mourir avant le dernier clin d’Ɠil d’une Ă©toileDans l’obscuritĂ© de la nuit.Je veux simplement mettre en musique tes mots Qui roucoulent dans mon silence,Chanter la fulgurance des mĂ©tĂ©ores dans tes yeux de jeune filleEt la mĂ©lancolie de l’automne qui dĂ©pouille les arbres Et les cƓurs et les rĂȘvesAvant de m’endormir dans tes bras.

LA RAISON DE MA MARCHE Le temps est en lĂ©vitation. Moi, je m’échappe de toi pour me confondre Ă  ton essence. Je suis une part de toi, un fragment de ton ĂȘtre, Un ĂȘtre nĂ© de ton ombre, Plus seul que le pin solitaire sur la colline de l’ennuiQuand tu t’éloignes de moi,

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POÉSIE

Une terre fĂȘlĂ©e
Je suis l’homme de toutes les rues dĂ©laissĂ©es,Ta doublure aux yeux d’amandes meurtries, Au corps pĂ©tri de souffrance,Le rĂȘveur devant les portes closes de ton cƓurQuand il ne rĂ©pond plus Ă  ma dĂ©mence et Ă  ma soif. Je ne veux pas passer ma vie Ă  errer sur la corde de ton Ăąme Avec l’automne dans mes yeux et la mĂ©moire Ă  fond de puits. Je veux Ă©tendre ma poĂ©sie sur la margelle de ton corps.Car mon amour de janvier, Ma femme bas-relief miraculĂ©e de la pierre, Tu es la raison de ma marche dans le dĂ©sert du monde.

LA PREMIÈRE NEIGE La premiĂšre neige qui tombe est un flocon de lumiĂšreDans tes yeux qui ne fondent jamais quand brille la tendresse.Tu me regardes ainsi que la mer qui se dĂ©fait du silence des vaguesTu me regardes avec le monde fragmentĂ© dans tes prunelles
Ah, que la vie est douce dans l’imagerie de tes regards!Les oiseaux tristes ont dĂ©laissĂ© mes rĂȘves,Les voix contraires de la folie, mes cauchemars
Je suis, par la magie de tes regards, le verso de la douleur,L’autre versant du moi. Ô mon amour, laisse-moi m’abriter sous l’ombrelle de tes paupiĂšresToute une Ă©ternitĂ©. Le paysage de tes yeux est cette neige qui tombe En flocon de lumiĂšre, Plus pure que l’innocence de tes baisers, Plus lĂ©gĂšre que l’évasion du songe dans la mĂ©moire.

Yves Patrick Augustin, PassionnĂ© dĂšs le jeune Ăąge par les arts et les lettres, Yves Patrick Augustin poursuit une double carriĂšre de graphiste et de poĂšte.  Auteur de quatre recueils de poĂ©sie,  il est membre de la SociĂ©tĂ© des PoĂštes Français, de la SociĂ©tĂ© littĂ©raire de Laval et de la revue Carquois.

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POÉSIE

J’AI PARCOURU UNE ROUTE PROVINCIALE
J’ai parcouru une route provinciale,Qui m’a amenĂ© prĂšs d’un endroit lointain.Comme un vent Ă©tranger, je suis parti.

Je me suis cachĂ© dans un hĂŽtel d’un quart d’étoile.Il y a un faux nom dans le registre,Personne ne sait que je suis ici.

J’amĂšne avec moi la guitare qu’un jour Je voudrais apprendre Ă  jouer.Dans la chambre d’à cotĂ©, quelqu’un s’est penduIl a mis sur sa porte «PriĂšre de ne pas dĂ©ranger».

Dans le couloir j’entends le mondeParler de moi et de mon attitude,Des verres qui se cassent, des bagarres,Des fourchettes qui se rangent avec promptitude.

J’ai, sur la chaise en fer, le restant de mon cafĂ©, La moitiĂ© d’un sandwich aux Ɠufs et une cigarette mouillĂ©e,Il ne reste rien dans mes poches,Et c’est la solitude qui est venu m’accompagner.

Ne me cherchez pas, je suis Ă  l’écartComme un loup qui a perdu sa mĂšre.Comme les justes devant l’enfer.

Je me suis cachĂ© dans un hĂŽtel d’un quart d’étoile.Comme Paris Hilton quand elle veut manger.Comme un taxi dans le dĂ©sert.

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SECTION II : POÉSIE122

Je ne sais pas si je vais revenir te voir.C’est de mettre du sel sur la blessure.C’est de prolonger les cris et la vaisselle filante,Les menottes, les hiatus et les voisins qui parlent.

Je n’ai rien Ă  perdre, rien Ă  gagner,Comme un itinĂ©rant avec son chien,Sauf que je garde dans l’étui les photos interditesD’une relation maudite qui n’a pas fini hier.

Je veux du silence, jusqu’à ce que ça devienne agressant.C’est pour ça que je me suis cachĂ© dans un hĂŽtel D’un quart d’étoile.

Pedro Carbajal est nĂ© en Uruguay, a vĂ©cu en Argentine pendant vingt ans et habite prĂ©sentement Ă  QuĂ©bec, oĂč il  fut diplĂŽmĂ© comme bachelier es Ars  Ă  l’UniversitĂ© Laval en 2010. Il est scĂ©nariste, dramaturge et poĂšte. Ce poĂšme est devenu une chanson que Fred Boucher chante dans ses spectacles.

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SECTION III : DOCUMENTS

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DOCUMENTS

MÉTAMORPHOSES DU PAYSAGE IDÉOLOGIQUE

Par ANDRÉ THIBAULT

Chez nous mais pas seulement chez nous, on ne peut pas ne pas constater le pouvoir de mobilisation dĂ©clinant des grandes catĂ©gories idĂ©ologiques naguĂšre solidement instituĂ©es. Bien sĂ»r, les tĂ©nors de la droite classique continuent leurs Ă©lucubrations pontifiantes (prospĂ©ritĂ© pour tous grĂące aux plus riches pour la droite Ă©conomique — ordre et sĂ©curitĂ© pour la droite politico-religieuse, les deux Ă©tant fortement reprĂ©sentĂ©es dans le gouvernement Harper). Et la gauche classique, amĂšre des dĂ©confitures qu’ont connues les expĂ©riences gouvernementales communistes et socio-dĂ©mocrates, persiste Ă  vitupĂ©rer contre la toute-puissance malĂ©fique du capitalisme et/ou de l’empire Ă©tats-unien en tant qu’uniques causes premiĂšres de toutes les injustices et toutes les pollutions.

Mais il n’est que trop Ă©vident que ces discours incantatoires se heurtent Ă  une indiffĂ©rence croissante, qui me paraĂźt accentuĂ©e dans les plus jeunes gĂ©nĂ©rations. Des esprits chagrins y voient et y dĂ©noncent une vague de dĂ©politisation, voire de dĂ©sengagement. Le succĂšs d’image de politiciens qui se prĂ©tendent libres de toute identification idĂ©ologique, François Legault au premier chef, semblerait leur donner raison.

Je voudrais proposer une tout autre lecture, que je trouve exprimĂ©e de façons diverses chez plusieurs autres observateurs et analystes. D’abord, la passion pour diverses causes sociales , prises Ă  la piĂšce, demeure bien vivante et connaĂźt mĂȘme un possible regain. Le phĂ©nomĂšne se heurte cependant Ă  une critique qui y voit une juxtaposition d’enjeux sectoriels plus ou moins communautaristes ou corporatistes, peu compatible avec une vision partagĂ©e du Bien Commun.

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SECTION III : DOCUMENTS126

Les majuscules qui prĂ©cĂšdent ne rĂ©sultent pas d’une faute de grammaire. Gauche et Droite, Ă©pistĂ©mologiquement plus proches qu’elles ne le voudraient, hĂ©ritent d’un mode de pensĂ©e mĂ©taphysique dans leur vision du Bien et du Mal. «Bonum ex integra causa, malum ex quolibet defectu», ont appris les joyeux survivants du cours classiques... pour les quelques-uns un peu moins familiers avec le latin, traduisons que seule est bonne la perfection totale alors que la moindre dĂ©ficience nous plonge dans les tĂ©nĂšbres du mal.

Alors, pour une des traditions, la sociĂ©tĂ© bonne doit conjuguer le maximum de justice sociale, de libertĂ© d’opinion, de conscience et de mƓurs, d’ouverture interculturelle (mais cent pour cent laĂŻque), de justice rĂ©paratrice et rĂ©Ă©ducatrice, d’équitĂ© des rapports nord-sud, de dĂ©mocratie et de dĂ©sarmement. Aux yeux de l’autre, la perfection sociale de peut venir que de la libre concurrence entre des entrepreneurs industrieux et compĂ©tents, dont les employĂ©s se lĂšvent tĂŽt le matin, travaillent avec ardeur et savent pratiquer la modĂ©ration salariale tout en soutenant l’économie par leur consommation, protĂ©gĂ©s par des corps policiers qui osent rĂ©primer le crime avec vigueur, Ă  condition que l’État s’abstienne de perturber les Ă©changes Ă©conomiques et que tout ce beau monde se conforme aux rĂŽles familiaux traditionnels.

Il s’agit dans les deux cas d’une forme de pensĂ©e essentiellement idĂ©aliste concevant la sociĂ©tĂ© comme un systĂšme qui tend naturellement Ă  l’ordre et Ă  une intĂ©gration harmonieuse, Ă  laquelle l’ensemble des acteurs se doit de contribuer sous l’égide de l’État honnĂȘte et dĂ©sintĂ©ressĂ© pour les uns, des leaders de l’économie ou des Églises pour les autres. Aussi, l’adhĂ©sion Ă  une idĂ©ologie doit avoir les caractĂ©ristiques d’un acte de foi sans rĂ©serve et les partisans de l’idĂ©ologie adverse sont des obstacles Ă  l’avĂšnement de la sociĂ©tĂ© bonne. À ma connaissance, les gens de la gĂ©nĂ©ration de mes Ă©tudiants sont Ă©bahis, voire incrĂ©dules, face Ă  ces structures de pensĂ©e. Ce qui ne veut absolument pas dire absence d’aspirations sociales et politiques.

Cet idĂ©alisme qui fut alimentĂ© par les philosophies scholastiques mais aussi par une croyance dĂ©vote Ă  la dĂ©esse Raison Ă  l’époque des LumiĂšres et l’essentialisation de l’État-Nation Ă  l’époque romantique, est quelque peu bizarre tant elle Ă©lude l’expĂ©rience universelle du chaos qui porta les Sceptiques grecs Ă  prĂ©coniser la dĂ©mocratie pour que les divergences citoyennes Ă©vitent les dĂ©rapages inhĂ©rents Ă  toutes les certitudes ( je confesse volontiers que la lecture de Castoriadis a profondĂ©ment inspirĂ©

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les présentes réflexions).

Alors, supposer qu’un et un seul courant idĂ©ologique, portĂ© par un et un seul mouvement ou parti soit en mesure de livrer un ensemble cohĂ©rent de solutions Ă  toutes les aspirations humaines face aux malheurs et dysfonctionnements de la sociĂ©tĂ© rĂ©elle, c’est rĂȘver en couleur et trop de rĂȘves en couleur ont dĂ©jĂ  donnĂ© trop d’amĂšres dĂ©ceptions pour que les slogans habituels continuent Ă  sĂ©duire Ă  grande Ă©chelle. Dans cette optique, reprocher aux forums sociaux ou aux campements d’indignĂ©s de s’éparpiller dans toutes les directions au lieu d’engendrer un Grand Projet rassembleur, c’est vouloir fuir le caractĂšre tragique et conflictuel de ce dĂ©fi titanesque que constitue le vivre ensemble quand rien ni personne ne sont faits sur mesure pour produire naturellement de la justice et de la convialitĂ©.

Complexité et pluralité

L’altermondialisme reprĂ©sente probablement l’exemple le plus typique des configurations idĂ©ologiques Ă©mergentes. À l’intĂ©rieur mĂȘme du courant, «les dĂ©bats (sont) d’autant plus compliquĂ©s que les interlocuteurs sont nombreux» (Alain Gresh commentant Une stratĂ©gie alternative de Gustave Messiah, La DÉCOUVERTE 2011, «diplomatie de connivence et ordre international», Le Monde Diplomatique, octobre 2001, p.24). Il ne s’agit pas pour autant de cacophonie. Ce que nous partageons dans cette famille (trĂšs) Ă©largie, c’est un ensemble commun clair et prĂ©cis de questions — donc une problĂ©matique — et non une dogmatique Ă©tablie qui dicterait un programme stratĂ©gique dĂ©jĂ  instituĂ©. Gresh mentionne «sur la violence, sur le pouvoir, sur la place de l’État». On pourrait ajouter : dĂ©passer ou rĂ©guler le capitalisme — dĂ©croissance ou dĂ©veloppement soutenable — dĂ©mondialisation ou refondation des institutions internationales — initiatives dĂ©centralisĂ©es ou nouvelles instances de coordination. Ajoutons a cela que l’afflux de jeunes universitaires rodĂ©s Ă  l’implacable rigueur du jugement par les pairs impose des rĂšgles d’argumentation exigeantes qui n’interdisent pas les Ă©lans de l’imagination et du cƓur mais les forcent Ă  prendre forme dans des dĂ©monstrations mĂ©ticuleuses.

Les exigences dĂ©mocratiques ne se limitent donc plus Ă  la confrontation avec des idĂ©ologies adverses (pas d’inquiĂ©tude, elles ont encore un riche avenir), mais s’étendent aussi aux discussions internes, dans un perpĂ©tuel work in progress. Au lieu donc d’un affrontement entre des corpus

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idĂ©ologiques complets et fermĂ©s qui se disputent l’adhĂ©sion de l’électorat ou de l’opinion publique, on est face Ă  une patiente crĂ©ation collective bribe par bribe, essayant de concilier des objectifs Ă©galement louables mais difficiles Ă  ajuster (par exemple Ă©galitĂ© entre les cultures vs entre les sexes, engagement citoyen vs qualitĂ© des rapports quotidiens de proximitĂ©). Les traditions militantes comportaient un certain folklore fait de manifestes, de slogans, de grandes dĂ©monstrations publiques, de moments forts lors des campagnes Ă©lectorales. Les dĂ©bats sur internet, les dossiers statistiques, les forums Ă  participation restreinte, n’ont pas le mĂȘme charme et s’accompagnent d’un constat permanent d’inachĂšvement. Cela donne une capacitĂ© de mobilisation moins Ă©vidente. «Et pourtant, elle tourne», nonobstant le choc culturel infligĂ© aux vieux routiers des luttes sociales.

Il faut croire que la maturation dĂ©mocratique, l’intĂ©gration progressive d’un savoir-discuter mutuellement respectueux, constitue dĂ©jĂ  une rĂ©volution politique au sein de la communautĂ© citoyenne dĂ©montrant cruellement par contraste le caractĂšre archaĂŻque ridicule des mƓurs parlementaires, pour ne pas parler de celles des instances dirigeantes de l’économie.

Les thĂ©ories sociologiques ont dĂ» au cours des rĂ©centes dĂ©cennies introduire l’acteur et sa subjectivitĂ© (Castoriadis dirait son imagination) face Ă  la contrainte aveugle exercĂ©e par les grandes structures et les modĂšles culturels. Or autant d’acteurs, autant d’angles de vision possibles d’une rĂ©alitĂ© aux facettes inĂ©puisables, sans cohĂ©rence a priori. Cela pourrait rĂ©sulter en une infinitĂ© de soliloques aux rares connexions fortuites. Mais le fait de partaqer un ensemble commun d’inquiĂ©tudes et de questionnements, comme dans le mouvement altermondialiste, permet que des familles idĂ©ologiques dynamisent l’évolution sociale et politique par leurs mises en question et leurs espĂ©rances, dont l’inachĂšvement mĂȘme aiguillonne la continuitĂ©.

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DOCUMENTS

DÉMOCRATIE SANS ÉTAT LAÏC? LE DILEMME DES « PRINTEMPS ARABES »

Par NADIA FAHMY-EID

Au lendemain de ce qu’on a dĂ©signĂ© comme « les printemps arabes Â» et Ă  la veille de voir installer de nouveaux modĂšles de gouvernance censĂ©s rĂ©pondre aux aspirations des hommes et des femmes qui ont fait advenir ces « printemps Â», l’espoir n’est plus vraiment au rendez-vous. Pourtant, ces militants rĂ©volutionnaires, qui ne partageaient pas au dĂ©part les mĂȘmes appartenances sociales et religieuses, ont acceptĂ© de prendre tous les risques en descendant dans la rue pour faire ensemble la rĂ©volution. Ils ont mis en commun leurs efforts, leurs sacrifices et surtout la volontĂ© de changement qui les habitait, pour remplacer les dictatures qui les avaient opprimĂ©s jusque-lĂ  par la sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique dont ils rĂȘvaient. Ils ont d’ailleurs pris tellement de risques que plusieurs d’entre eux ont payĂ© de leur vie leur dĂ©sir de libertĂ© et de dĂ©mocratie.

Mais voilĂ  qu’au lendemain d’un processus Ă©lectoral qui devait concrĂ©tiser leur projet rĂ©volutionnaire, ces militants commencent Ă  se rendre compte aujourd’hui qu’ils font face Ă  un danger rĂ©el de voir confisquer leur rĂ©volution et, du coup, de voir s’envoler leur rĂȘve d’un avenir meilleur.

C’est qu’en Tunisie, comme au Maroc, et peut-ĂȘtre mĂȘme demain en Égypte, les groupes qui dominent dĂ©sormais la scĂšne politique cherchent Ă  convaincre les citoyens progressistes de leurs pays, qu’ils et elles ont tout intĂ©rĂȘt Ă  voter des Constitutions qui confirmeront le caractĂšre religieux islamique de l’État. Cependant, ces mĂȘmes groupes et les partis qui les reprĂ©sentent s’empressent, du mĂȘme souffle, d’affirmer sur toutes les tribunes leur adhĂ©sion solennelle aux principes fondamentaux de la dĂ©mocratie. Mais afin de conjuguer sans problĂšme, affirment-ils, dĂ©mocratie et État confessionnel ils suffira d’exercer le pouvoir dans la perspective et le cadre d’un État religieux « modĂ©rĂ© Â» soit, en l’occurrence, un « islam  modĂ©rĂ© Â». On rĂ©ussirait ainsi Ă  prouver au monde entier qu’un

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État dĂ©mocratique moderne n’a pas besoin de fonctionner dans un cadre laĂŻque, c’est-Ă -dire religieusement neutre.

C’est bien dans ce sens qu’iront les dĂ©clarations du chef du parti religieux conservateur Ennahda au lendemain des Ă©lections tunisiennes. En effet, aprĂšs avoir annoncĂ©, dans un premier temps, la volontĂ© de son parti de mettre en place un État islamique, M. Ghannouchi se ravisera ensuite en se hĂątant de prĂ©ciser qu’il s’agira dans les faits d’un « islam modĂ©rĂ© Â». Une modulation destinĂ©e Ă  rassurer Ă  la fois les groupes de citoyens, et surtout de citoyennes, qui avaient mal rĂ©agi Ă  sa premiĂšre dĂ©claration, et destinĂ©e aussi Ă  apaiser les apprĂ©hensions de plusieurs nations Ă©trangĂšres qui s’étaient montrĂ©es inquiĂštes face Ă  une prise de position jugĂ©e incompatible avec des visĂ©es dĂ©mocratiques.

À cette Ă©tape, il nous apparaĂźt impĂ©ratif de se poser collectivement une question cruciale qui pourrait ĂȘtre formulĂ©e en ces termes : est-il possible, en toute logique, d’affirmer qu’on peut arriver,  en l’absence d’un État laĂŻque, non confessionnel, Ă  mettre en place une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique ? Il s’agit bien, rappelons-le, d’une sociĂ©tĂ© basĂ©e fondamentalement sur l’affirmation de droits Ă©gaux entre tous les citoyens, y compris entre les hommes et les femmes, et d’une sociĂ©tĂ© basĂ©e Ă©galement sur l’affirmation du droit de tous Ă  la libertĂ© d’expression et Ă  la libertĂ© de conscience. Il apparaĂźt Ă©vident qu’une telle question appelle nĂ©cessairement une rĂ©ponse nĂ©gative.

Pourtant une rĂ©ponse positive aurait eu l’avantage de paraĂźtre politiquement plus conciliante et socialement plus rassembleuse, mais cela ne l’empĂȘcherait pas, pour autant, d’aller Ă  l’encontre de toute logique .Comment, en effet, peut-on concilier le principe fondamental de l’égalitĂ© des droits et des libertĂ©s garanti Ă  tous les citoyens dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, avec la lĂ©gitimation au niveau constitutionnel d’une seule religion qui, de ce fait, sera privilĂ©giĂ©e par rapport Ă  toutes celles auxquelles adhĂšrent l’ensemble des autres citoyens, et qui risque Ă©galement d’exercer une contrainte indue sur les incroyants? Cette religion sera dĂ©sormais la seule Ă  voir confĂ©rer une reconnaissance lĂ©gale Ă  l’ensemble de ses codes, de ses lois et de ses pratiques; et elle pourrait mĂȘme ĂȘtre en mesure de les imposer Ă©ventuellement Ă  l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

Certes, on pourrait toujours invoquer le fait qu’il s’agit le plus souvent de la religion majoritaire, ce qui d’ailleurs n’est pas toujours le cas , mais surtout

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cela ne change rien au principe selon lequel, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, la majoritĂ© ne dĂ©tient pas plus de droits que la ou les minoritĂ©s qui se partagent l’espace social. En plus, dans le cadre d’un État confessionnel, le droit Ă  la libertĂ© d’expression risque d’ĂȘtre compromis dans la mesure oĂč la religion d’État jouit d’une lĂ©gitimitĂ© telle qu’il pourrait ĂȘtre difficile, sinon dangereux, de formuler des critiques Ă  son endroit , ou encore Ă  l’endroit des pouvoirs religieux qui la reprĂ©sentent, que ces critiques soient justifiĂ©es ou non. Les citoyens, et encore plus les citoyennes qui s’y risqueraient, pourraient faire face Ă  l’exclusion sociale et , pire encore , comme dans le cas des sociĂ©tĂ©s iranienne et saoudienne, s’exposer Ă  des sanctions bien plus sĂ©vĂšres liĂ©es Ă  des accusations formelles de discours sacrilĂšges, de blasphĂšmes ou mĂȘme d’apostasie. Bref, on est encore une fois bien loin d’une forme quelconque de sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.

En somme, le modĂšle de sociĂ©tĂ© issu d’une Constitution qui comporte une adhĂ©sion formelle Ă  une religion particuliĂšre, mĂȘme si cette adhĂ©sion dĂ©clare se situer dans une perspective «  modĂ©rĂ©e  », reste un modĂšle qui correspond bien plus Ă  une sociĂ©tĂ© thĂ©ocratique qu’à une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Et le qualificatif de « modĂ©rĂ© Â» qui lui est accolĂ©, n’y change malheureusement pas grand chose.

Qu’il soit bien clair cependant qu’il ne s’agit nullement de faire ici le procĂšs d’une religion particuliĂšre, pas plus que des religions dans leur ensemble. Les religions sont des Ă©lĂ©ments constitutifs importants de notre univers mental et affectif. Elles rĂ©pondent , pour la plupart, Ă  des besoins d’ordre spirituel ou moral et fournissent souvent des rĂ©ponses, le plus souvent rassurantes, Ă  des questionnements relatifs aux raisons d’ĂȘtre ou aux fondements mĂȘme de notre existence ici-bas, ainsi que sur son prolongement possible dans l’au-delĂ . On sait Ă©galement Ă  quel point les religions reprĂ©sentent pour beaucoup d’individus et de groupes sociaux une rĂ©fĂ©rence identitaire importante et comment elles agissent, Ă  ce titre, comme des agents puissants de cohĂ©sion sociale.

Toutefois, et l’histoire des guerres de religions qui ont marquĂ© l’Occident est lĂ  pour nous le rappeler, les religions ne cohabitent pas facilement et spontanĂ©ment ensemble, mais ont plutĂŽt tendance Ă  entrer en concurrence les unes avec les autres. Ceci est vrai aussi bien lorsqu’elles prennent racine dans des espaces territoriaux et nationaux diffĂ©rents que lorsqu’elles partagent le mĂȘme espace territorial et la mĂȘme appartenance nationale. Surtout si le rapport de force qui les concerne se situe, comme on a pu

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le constater Ă  travers l’actualitĂ© rĂ©cente, dans le cadre d’un rapport de pouvoir inĂ©gal entre le groupe religieux majoritaire et le groupe religieux minoritaire, comme c’est le cas actuellement pour les Coptes chrĂ©tiens d’Égypte vis-Ă -vis de la majoritĂ© musulmane. C’est d’ailleurs le mĂȘme type de rapport de force qu’on voit Ă©galement Ă  l’Ɠuvre, mais qui joue cette fois en faveur du groupe religieux minoritaire au pouvoir, comme c’est le cas des musulmans Alaouites en Syrie ou des musulmans Sunnites dans l’émirat du BahreĂŻn.

Ainsi, pour l’ensemble des citoyens, la protection de leurs droits, aussi bien comme individus que comme groupes, passe nĂ©cessairement par la mise en place de sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques et laĂŻques, oĂč le caractĂšre non confessionnel de l’État lui permet d’assumer avec plus de crĂ©dibilitĂ© son rĂŽle d’arbitre neutre et impartial entre les individus et les groupes religieux en prĂ©sence. Les femmes en particulier ont tout Ă  gagner de l’intervention d’un État laĂŻque lorsque des conflits les opposent aux pouvoirs religieux en place. Il faut se rappeler qu’il s’agit le plus souvent de pouvoirs exclusivement masculins qui, tout au long de l’histoire, ont non seulement exclu les femmes de leurs rangs mais ont eu tendance, le plus souvent, Ă  interprĂ©ter les textes fondateurs en leur dĂ©faveur. Ce qui leur a permis, entre autres, de tirer de ces textes toute une sĂ©rie de prescriptions et de dogmes religieux qui ont eu pour effet de creuser et de maintenir longtemps un Ă©cart important entre les droits des femmes et ceux des homme (il faut lire, Ă  cet Ă©gard, l’Avis, admirablement argumentĂ© et documentĂ©, publiĂ© en mars 2011 par le Conseil du statut de la femme et intitulĂ© : Affirmer la laĂŻcitĂ©, un pas de plus vers l’égalitĂ© rĂ©elle entre les hommes et les femmes). En tenant compte des constats et des analyses qui prĂ©cĂšdent, on est en droit de conclure que la dĂ©mocratie ne peut se concevoir en dehors du cadre de la laĂŻcitĂ© de l’État et que, de ce fait, dĂ©mocratie et État laĂŻque constituent vĂ©ritablement un tandem indissociable. On ne peut donc parler d’un État religieux de type modĂ©rĂ© – qu’il soit musulman, juif, chrĂ©tien ou autre - sans que cette affirmation ne renvoie du mĂȘme coup Ă  un projet de dĂ©mocratie Ă©galement modĂ©rĂ©e, ce qui signifierait une Ă©galitĂ© de droits modĂ©rĂ©e entre tous les citoyens dont, en particulier, le droit Ă  une libertĂ© d’expression modĂ©rĂ©e. On comprend qu’il s’agirait, dĂšs lors, d’un simulacre de dĂ©mocratie qui, vidĂ©e de sa substance, aboutirait Ă  la nĂ©gation mĂȘme de l’idĂ©e de dĂ©mocratie.

Nadia Fahmy-Eid, Historienne et Professeure retraitĂ©e de l’UqĂ m.

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DOCUMENTS

SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE

Par ARIELLE DESFORGES

Pour survivre, l’homme a besoin d’eau et de nourriture. VoilĂ  un fait que personne n’osera rĂ©futer.  En effet  : «  L’alimentation est l’action ou la maniĂšre de fournir aux ĂȘtres vivants la nourriture dont ils ont besoin pour leur croissance, leur dĂ©veloppement, leur entretien. Cette acception fonctionnelle souligne une Ă©vidence : l’alimentation assure le cycle de la vie d’un individu et la persistance de l’espĂšce Ă  laquelle il appartient. Â»1 L’homme a besoin de manger pour survivre.

Les ressources alimentaires reprĂ©sentent donc un enjeu primordial. Elles sont l’objet d’une quĂȘte constante, d’une convoitise non liĂ©e Ă  une envie, mais Ă  un besoin vital. Elles sont un des Ă©lĂ©ments sine qua non Ă  la perpĂ©tuation de l’espĂšce humaine, et de tout animal en gĂ©nĂ©ral. On pourrait parler ici d’instinct primaire. L’homme doit manger; c’est pour cette raison qu’il a Ă©tĂ© au fil des siĂšcles en constante recherche de vivres et de moyens de les exploiter selon ses besoins,de maniĂšre toujours plus productive. Une ressource comme celle-ci suscite les convoitises  : pour les consommateurs, les raisons sont Ă©videntes. Puisque que nous mangeons tous, nous essayons tous de nous procurer de quoi satisfaire ce besoin. En haut de la chaĂźne, se trouve le producteur. Bien qu’étant lui aussi consommateur, il retire davantage de ces ressources naturelles. Puisque c’est lui qui les cultive, il peut se permettre ensuite de les Ă©changer contre d’autres biens, ou plus frĂ©quemment dans nos sociĂ©tĂ©s dites modernes, un outil de transaction tel que l’argent. Ces deux agents de l’échange sont-ils les seuls Ă  bĂ©nĂ©ficier des ressources alimentaires? On peut bien sĂ»r trouver diffĂ©rents intermĂ©diaires dans l’échange, mais ce ne sont pas ces acteurs lĂ  qui nous intĂ©ressent. Autres que ces individus qui bĂ©nĂ©ficient des ressources alimentaires et de leur commerce? Comment en profitent-ils? Quel droit ont-ils dessus? Ce sont lĂ  des questions complexes auxquelles nous essaierons de trouver des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse.

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Revenons d’abord un instant aux producteurs. Les ressources alimentaires leur permettent d’accumuler un certain pĂ©cule qui leur offrira une monnaie d’échange pour acheter d’autres vivres. Ils sont en un certain sens des individus indispensables puisqu’ils subviennent Ă  un besoin fondamental de l’homme. D’ailleurs les agriculteurs ont occupĂ© pendant longtemps une place de premier ordre dans la sociĂ©tĂ©. Au Moyen Âge, possĂ©der et cultiver la terre portaient en eux une certaine noblesse  : les juifs, qui Ă©taient alors considĂ©rĂ©s comme des citoyens de seconde classe n’y avaient pas accĂšs. Ils ne pouvaient se tourner que vers les mĂ©tiers alors interdits aux chrĂ©tiens, mĂ©tiers essentiellement liĂ©s au commerce. Pour Quesnay, et les physiocrates plus gĂ©nĂ©ralement, seule l’agriculture est rĂ©ellement productive. De statut. La classe des agriculteurs est donc la seule Ă  crĂ©er de la richesse2. Cependant, durant les siĂšcles passĂ©s, le statut de la classe paysanne a bien changĂ©, et ce pour diverses raisons (urbanisation, industrialisation
). Sans vouloir faire l’apologie de l’agriculture, on peut quand mĂȘme parfois dĂ©plorer ici le peu de considĂ©ration accordĂ©e aux agriculteurs. Comme on peut le voir dans certaines rĂ©gions, ces derniers sont considĂ©rĂ©s comme des citoyens de second ordre3. Ils ne sont plus qu’une classe dĂ©chue et exploitable, sans que cela ne remette en cause le caractĂšre indispensable des ressources agricoles.

Les ressources issues de l’agriculture ont toujours Ă©tĂ© de plus en plus convoitĂ©es. Malthus Ă©voquait mĂȘme les limites de l’agriculture4, et de sa productivitĂ©. Les terres les plus fertiles Ă©taient exploitĂ©es en premier. Ensuite, on se tournait vers des terres de moins en moins fertiles. Le coĂ»t de production augmentait quand la fertilitĂ© baissait. Cela entrainait une hausse de prix de toute la production, puisque le coĂ»t pris en compte Ă©tait celui de la terre la moins fertile. Mais un autre problĂšme se posait : les terres sont une ressource limitĂ©e. Arriverait donc, selon lui, un moment oĂč la production ne pourrait plus augmentait (les coĂ»ts seraient de toutes maniĂšres supĂ©rieurs au prix que les consommateurs seraient prĂȘts Ă  payer). Il en venait Ă  la conclusion que la population ne devait pas continuer de croĂźtre au rythme de l’époque. MĂȘme s’il ne prĂ©voyait pas tous les progrĂšs techniques qui allaient survenir, on voit ici une crainte profonde qui est celle du manque de nourriture pour subvenir aux besoins de la population. Le caractĂšre indispensable de l’alimentation ressort. Le problĂšme qui se pose aujourd’hui n’est pas en premier lieu un problĂšme de manque absolu de denrĂ©es. La production serait en effet suffisante pour nourrir la planĂšte. C’est la rĂ©partition qui est Ă  remettre en cause, mais lĂ  est un autre aspect de notre sujet auquel nous reviendrons plus tard.

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On voit donc la place qu’occupent les ressources alimentaires au sein d’une population. Elles permettent de nourrir cette derniĂšre, et procure une monnaie d’échange aux producteurs, Ă©leveurs, chasseurs, etc. Cela Ă©tant dit, il faut aller voir plus loin. Les acteurs citĂ©s plus haut ne sont pas les seuls intĂ©ressĂ©s. Les ressources alimentaires ne sont plus seulement des ressources pour les consommateurs et les producteurs. Elles sont devenues des ressources pour des personnes tierces. Le caractĂšre indispensable de ces ressources confĂšre un certain pouvoir Ă  ceux qui ont la main mise sur ces derniĂšres. Mais on ne parle ici des agriculteurs. Cela fait bien longtemps qu’ils ont perdu la place de premier ordre qu’ils avaient pu occuper autrefois dans la sociĂ©tĂ©. Ils demeurent certes indispensables, mais n’en fait pas Ă  l’heure actuelle les acteurs principaux. L’ordre hiĂ©rarchique Ă©tabli par Quesnay n’a plus cours. Ce sont au contraire ceux qui ne produisent rien qui sont au pouvoir. Nous ne prĂŽnons pas ici un retour Ă  une sociĂ©tĂ© oĂč la terre serait symbole de puissance et de noblesse. Loin de nous cette idĂ©e. Nous essayons simplement de prĂ©senter des faits de maniĂšre impartiale. Et le fait est que les producteurs de ressources alimentaires, bien qu’indispensables Ă  la survie de l’homme, ne sont pas pour autant les personnes qui ont le plus grand pouvoir au sein des sociĂ©tĂ©s « modernes Â».

Faisons ici une simplification un peu rapide  : on a les agriculteurs qui produisent des Ă©lĂ©ments concrets, solides. C’est ce «  concret  » qui est indispensable Ă  la survie de l’homme, cette nourriture qui leur fournira l’énergie requise au bon fonctionnement de leur organisme. Mais ceux qui produisent ces matiĂšres premiĂšres ne sont pas nĂ©cessairement aux commandes. En effet, Ă  l’heure actuelle, dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s, ce sont d’autres individus qui maitrisent les ressources naturelles, ou qui du moins, en tirent profit sans les produire et sans les consommer. Cela peut paraĂźtre relativement abscond; je vais donc Ă©claircir mes propos. Certains individus arrivent Ă  avoir une certaine emprise sur les ressources alimentaires de sorte qu’ils ont alors un pouvoir rĂ©el sur une ou des populations. En effet, qu’y a-t-il de mieux pour contrĂŽler une population que de se poser en maĂźtre des ressources qui la font vivre? Les ressources alimentaires Ă©tant indispensables Ă  la survie de l’homme, affamer une population est une solution pour arriver Ă  ses fins. Tout cela peut se rĂ©sumer ainsi  : « ContrĂŽlez le pĂ©trole et vous contrĂŽlerez les nations, contrĂŽlez la nourriture et vous contrĂŽlerez la population », Henry Kissinger

Au jour d’aujourd’hui, on peut voir que les ressources alimentaires dĂ©pendent en partie des politiques. Sans dire que cela bĂ©nĂ©ficie directement

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Ă  des individus en particulier, on peut voir que les politiques agricoles mises en place influencent grandement la production et la ventes des produits agricoles. On peut notamment Ă©voquer le rĂŽle que jouent les diffĂ©rentes taxes. Les taxes peuvent permettent d’enrichir un gouvernement, mais il est nĂ©cessaire qu’il y ait redistribution, ce qui n’est pourtant pas toujours le cas. C’est Ă  ce moment lĂ  que l’on peut voir que certains politiques tirent profit des ressources agricoles.

Les ressources alimentaires sont aussi des ressources pour des individus qui n’ont pourtant rien Ă  voir avec la production de ces derniĂšres. En effet, depuis plusieurs dĂ©cennies maintenant, les produits agricoles sont entĂ©s dans l’engrenage boursier. C’est donc Ă  la bourse que le prix des denrĂ©es alimentaires est fixĂ©, et ce au niveau mondial. Du riz produit en Afrique verra son prix fixĂ© Ă  des milliers de kilomĂštres, par des personnes qui ne connaissent rien Ă  la rĂ©alitĂ© agricole. Il n’est pas question ici de remettre en cause le systĂšme boursier dans son ensemble, mais il faut souligner tout de mĂȘme que la spĂ©culation qui se retrouve sur certains marchĂ©s boursiers a un impact sur le prix des ressources alimentaires, ce qui en bout de course a un impact sur des populations. C’est Ă  ce niveau lĂ  qu’un problĂšme peut se poser. Lorsque la spĂ©culation devient trop forte, des personnes en souffrent. Elles n’ont en effet plus les moyens de suivre les hausses de prix qui s’imposent Ă  elles sans qu’elles ne puissent rien y faire. Ce sont des personnes Ă  des milliers de kilomĂštres qui dĂ©cident du prix de ce qui finira dans leur assiette. Mais pour les spĂ©culateurs, ces ressources ne reprĂ©sentent qu’une source de profit supplĂ©mentaire, sans nĂ©cessairement avoir conscience de l’enjeu qu’il y a derriĂšre. Le seul enjeu vu est le profit que peut apporter un investissement dans telle ou telle ressource.

DerniĂšrement, les denrĂ©es alimentaires se sont avĂ©rĂ©es une source de profit intĂ©ressante5. Divers fonds d’investissements ont donc investi massivement. Si le prix des ressources augmente, les profits augmentent. Et si les profits augmentent, cela permet de rĂ©investir encore plus dans les ressources alimentaires. On peut y voir un cercle vicieux/vertueux, selon le point de vue que l’on souhaite adopter. Le fait est que des sommes encore plus importantes se sont retrouvĂ©es sur les marchĂ©s boursiers des denrĂ©es alimentaires.

Comment expliquer Ă  une population que si le prix du blĂ© augmente, c’est Ă  cause d’une spĂ©culation qui a cours Ă  des milliers de kilomĂštres d’eux, que cette spĂ©culation est orchestrĂ©e par des gens qui ne portent guĂšre

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attention Ă  leur rĂ©alitĂ©. C’est ici un problĂšme crucial. Deux rĂ©alitĂ©s se font face, mais les forces sont inĂ©gales. La classe des producteurs n’est plus considĂ©rĂ©e comme la classe « premiĂšre Â». Sans dire qu’ils soient considĂ©rĂ©s comme des citoyens de second ordre, il faut admettre que la noblesse de la tĂąche ne passe plus par la culture de la terre. Les sociĂ©tĂ©s modernes ont adoptĂ© d’autres valeurs; ĂȘtre en contact avec de l’argent, vu comme sale il y a quelques siĂšcles de cela, a supplantĂ© l’agriculture. Cette domination a lieu Ă©galement dans la confrontation de nos deux rĂ©alitĂ©s. En effet, les agriculteurs/consommateurs doivent bien souvent se plier aux dures lois des marchĂ©s financiers. Ce qui est Ă  dĂ©plorer, c’est que des individus manipulent des chiffres derriĂšre lesquels se cache une rĂ©alitĂ© tangible. Ils n’en ont pas pour autant conscience. Ces chiffres ne reprĂ©sentent pas pour eux du blĂ© concret. Ces chiffres reprĂ©sentent des profits associĂ©s au blĂ©. Le terme blĂ© n’est sans doute ici qu’un moyen de classer les profits et les investissements car le blĂ© de la bourse n’est peut ĂȘtre pas le mĂȘme que le blĂ© dont les populations se nourrissent. Mais ces chiffres que des individus manipulent, ces quantitĂ©s de denrĂ©es que l’on achĂšte, que l’on vend, sur lesquelles on investit et on dĂ©sinvestit ont un impact direct sur le prix de nos aliments. Ce que nous avons dans notre assiette dĂ©pendra de l’action d’individus qui n’ont pas conscience de la rĂ©alitĂ© sur laquelle ils jouent. La distance qui sĂ©pare ces deux mondes est regrettable. Ces spĂ©culateurs ne connaitront pas nĂ©cessairement le retour de bĂąton. Le prix des denrĂ©es ne les affectera pas autant qu’une population en besoin. Ils en pĂątiront peu, en bĂ©nĂ©ficieront beaucoup, et rien ne changera jusqu’à la prochaine bulle spĂ©culative. Nous venons de voir que les consommateurs et les producteurs ne sont pas les seuls intĂ©ressĂ©s dans le commerce des ressources alimentaires. Ce dernier inclus en effet d’autres partis, comme le gouvernement qui Ă©tablit la politique agricole, les marchĂ©s boursiers, les investisseurs, les spĂ©culateurs
 Cela peut mener Ă  certaines distorsions, Ă  certains effets pervers qui auront impact sur la population. Afin d’illustrer notre propos, nous allons voir un exemple rĂ©cent, qui est celui du SĂ©nĂ©gal.

Le SĂ©nĂ©gal a Ă©tĂ© victime d’une inflation importante sur le prix les denrĂ©es alimentaires6. Les denrĂ©es Ă  la base de l’alimentation de la population sĂ©nĂ©galaise ont Ă©tĂ© fortement touchĂ©es. Entre 2008 et 2009, le prix du lait, du riz et du maĂŻs ont augmentĂ©. Les dĂ©penses des mĂ©nages ont augmentĂ© de 28%. On peut noter qu’entre 2000 et 2007, mĂȘme si le prix

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annuel de gros du riz Ă  l’import est restĂ© sensiblement le mĂȘme, le prix Ă  la consommation a lui augmentĂ©. Que dire alors lorsqu’en 2008, le prix du riz Ă  l’internationale a connu une hausse fulgurante? Le prix du gros de riz a bien Ă©videmment augmentĂ©, de 64.8%, ce qui a entrainĂ© une baisse de la consommation (car rĂ©percussion sur le prix Ă  la consommation). La population a donc pĂąti de cette flambĂ©e des prix. Il faut souligner que l’État avait une marge maximale de 22 francs par kilo. Cependant, malgrĂ© la hausse du prix du gros et la baisse de la consommation, les vendeurs ont rĂ©ussi Ă  maintenir une marge relativement importante, tout du moins supĂ©rieure Ă  celle fixĂ©e par le gouvernement. En effet, la marge sur le riz a diminuĂ© de moitiĂ©, mais sachant qu’elle Ă©tait Ă  la base de 70 francs, elle est passĂ©e Ă  37.5 francs le kilo, ce qui est plus d’une fois et demi la marge Ă©tablie. On peut se demander si les vendeurs n’ont pas fait de la rĂ©tention de riz pour alimenter la spĂ©culation et garder des marges importantes.

Les villes et les campagnes ont toutes Ă©taient affectĂ©es. En effet, le prix du riz brisĂ© qui est Ă  la base de l’alimentation dans les rĂ©gions urbaines a doublĂ© entre 2007 et 2008. On imagine bien les consĂ©quences d’une telle augmentation. La demande Ă©tant relativement inĂ©lastique (c’est-Ă -dire que quelque soit le prix, la demande restera sensiblement la mĂȘme. Cela se produit avec des produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, des produits dont on peut se passer et dont il n’existe pas de substitut proche ou plus Ă©conomique), les mĂ©nages ont du consacrer une part plus importante de leur revenu dans le riz brisĂ©. Mais il faut noter aussi que mĂȘme si une demande est relativement inĂ©lastique, il existe souvent un point au-delĂ  duquel la demande va baisser car le prix sera trop Ă©levĂ©. Les habitudes de consommation vont donc changer petit Ă  petit, et les consommateurs vont essayer de trouver un autre bien qui comblera le besoin en question. On peut donc penser que la consommation de riz brisĂ© a diminuĂ© Ă  cause de la hausse de prix. Nous ne pouvons pas Ă©tablir ici si la population s’est tournĂ©e vers une autre ressource, et si oui, laquelle. Mais une chose est sĂ»re, la population urbaine a souffert de cette hausse de prix de la base de son alimentation. Dans les campagnes, les rĂ©percussions ont Ă©tĂ© certes diffĂ©rentes, mais il demeure que la population rurale a aussi pĂąti de cette hausse de prix. Une grande partie de la population dans les zones rurales vit de l’agriculture (57%, mais cela monte Ă  70% en Casamance et au SĂ©nĂ©gal Oriental). Cette population s’est vue amputĂ©e d’une partie de son revenu. En effet, le revenu a baissĂ© puisque la quantitĂ© produite a elle aussi baissĂ© (car baisse de

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la consommation). Mais pour pallier Ă  cette baisse liĂ©e aux quantitĂ©s, le prix a augmentĂ©. Mais le prix ayant augmentĂ©, la consommation a, elle aussi, baissĂ©. Ce qui a eu un nouvel impact sur les quantitĂ©s etc. On se trouve donc devant un cercle vicieux; l’effet prix ne pouvant pas compenser l’effet quantitĂ© (c’est-Ă -dire qu’une hausse du prix ne va pas annihiler une baisse de la quantitĂ© produite, bien au contraire. Une hausse du prix va entrainer une baisse de la quantitĂ© demandĂ©e, que l’offre devra suivre).

La population sĂ©nĂ©galaise a donc faire face Ă  cette situation complexe. Le revenu consacrĂ© Ă  l’alimentation a augmentĂ©, et le pouvoir d’achat a diminuĂ©. Pour survivre, certains ont du diminuer le nombre de repas pris, ou au moins les quantitĂ©s consommĂ©es, des enfants ont Ă©tĂ© retirĂ©s de l’école, etc
 cela Ă  cause d’un manque de ressources alimentaires.

D’oĂč vient cette inflation si importante et si lourde de consĂ©quences? Il faut noter que dans le reste de la zone UEMOA, l’inflation n’a pas Ă©tĂ© aussi importante. Il y a eu inflation, certes; mais au SĂ©nĂ©gal, le taux d’inflation des prix Ă  la consommation reprĂ©sentait plus que le double de celui dans les autres pays de l’UEMOA. Comment expliquer de telles disparitĂ©s? Il y a certes les habitudes alimentaires qui ne sont pas les mĂȘmes au SĂ©nĂ©gal, mais cela ne suffit pas. Une partie de l’inflation est imputable Ă  la politique agricole mise en place depuis 2000 par le rĂ©gime libĂ©ral. Depuis 2000, la production agricole ne cessa de baisser. L’offre Ă©tant devenue infĂ©rieur Ă  la demande, le prix a augmentĂ© pour arriver Ă  un nouvel Ă©quilibre. C’est une loi Ă©conomique de base, la loi de l’offre et de la demande, illustrĂ©e par le graphique ci-dessous. Cette loi permet d’expliquer en partie, et en partie seulement l’inflation sĂ©nĂ©galaise. D’autres facteurs, que nous verrons plus tard, rentrent en ligne de compte.

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Cela implique que la couverture des besoins alimentaires est passĂ©e au SĂ©nĂ©gal Ă  48% environ. Il a donc fallu avoir recours aux importations pour nourrir la population, or les importations ont eu pour effet de faire encore augmentĂ© les prix. En effet, le prix sur les marchĂ©s internationaux Ă©tait supĂ©rieur au prix intĂ©rieur, ce qui a menĂ© Ă  un prix de vente supĂ©rieur au prix intĂ©rieur. Vu qu’il ne peut y avoir qu’un seul et mĂȘme prix d’équilibre, il y a eu alignement sur le pris le plus Ă©levĂ©, i.e. sur le prix Ă  l’international ici. Il faut souligner que le SĂ©nĂ©gal est le seul pays de l’UEMOA qui a eu recours aux importations, tout du moins dans cette quantitĂ©. Cela n’est pas Ă  l’origine de la politique agricole menĂ©e par le gouvernement sĂ©nĂ©galais, mais en est plutĂŽt le rĂ©sultat. Les agriculteurs se voient dĂ©couragĂ©s, et moins incitĂ©s Ă  produire, ce qui a bien Ă©videmment entrainĂ© une baisse de l’offre intĂ©rieure, et une hausse du prix. On peut citer ici le cas des bons impayĂ©sïżœ.

Par ailleurs, les marges sont fixĂ©es par les producteurs eux-mĂȘmes. Il y a certes une marge imposĂ©e pas l’État, mais cette derniĂšre n’est guĂšre respectĂ©e. Ainsi, les producteurs en profitent pour obtenir des marges importantes, comme dĂ©jĂ  soulignĂ©s prĂ©cĂ©demment. Il y a aussi les taxes. Bien que les taxes puissent ĂȘtre imposĂ©es lĂ©galement aux producteurs, les consommateurs peuvent cependant se retrouver Ă  assumer la taxe. En effet, ce n’est pas nĂ©cessairement l’agent lĂ©galement taxable qui assume le coĂ»t de la taxe. Cela va dĂ©pendre de l’élasticitĂ© de l’offre et de la demande. Si l’offre est plus Ă©lastique que la demande, c’est le consommateur qui va en bout de course, payer la taxe. Dans le cas des ressources alimentaires, l’offre est plus Ă©lastique que la demande (cf. ci-dessus, demande inĂ©lastique). C’est donc la population sĂ©nĂ©galaise qui se retrouve Ă  assumer la taxe, en payant un prix plus Ă©levĂ© qu’auparavant, mĂȘme si cette taxe est imposĂ©e aux producteurs ou aux vendeurs. Dans le mĂȘme temps, la baisse des subventions liĂ©e Ă  la consommation de riz brisĂ© a contribuĂ© Ă  la hausse de prix. En effet, une subvention agit d’une maniĂšre comparable Ă  la taxe. Ici, sachant qu’il n’y a plus de subvention, ce sont encore une fois les consommateurs qui vont devoir assumer le coĂ»t additionnel, supportĂ© auparavant par la subvention. Avec des taxes plus importantes et des subventions moindres, les recettes fiscales ont augmentĂ©. Il n’est pas fonciĂšrement mauvais d’augmenter les recettes fiscales, mais sachant qu’il n’y a pas eu de redistribution efficace et rĂ©elle, cela n’a servi qu’à enrichir le gouvernement, sans que la population ne puisse en profiter.

On ne peut s’arrĂȘter pour expliquer ce qui s’est passĂ© au SĂ©nĂ©gal. En

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effet, il faut Ă©galement prendre en compte un certains nombres d’autres Ă©lĂ©ments extĂ©rieurs. Les Fonds d’investissements ne sont pas les seuls Ă  avoir perturbĂ© le marchĂ© des denrĂ©es alimentaires. Ils ne sont pas les seuls facteurs explicatifs de la hausse des prix des produits agricoles. Voyons donc de plus prĂšs ces causes, situĂ©es cette fois ci Ă  un niveau mondial. La demande de ressources alimentaires a augmentĂ© ces derniĂšres annĂ©es. Il est vrai que la Chine et l’Indes consomment de plus en plus. Ce sont deux pays en voie de dĂ©veloppement, avec un poids dĂ©mographique non nĂ©gligeable (ces deux pays reprĂ©sentent Ă  eux seuls un tiers de la population mondiale). Leur consommation, notamment de denrĂ©es alimentaires, ne cesse d’augmenter. Mais dans ce cas ci, les denrĂ©es alimentaires sont vues comme une ressource alimentaire, dans le sens oĂč elles gardent leur utilitĂ© premiĂšre, c’est-Ă -dire nourrir des individus.

Mais allons voir un peu plus loin. Si la demande de ressources alimentaires au niveau mondiale a autant augmentĂ©, c’est notamment Ă  cause de la hausse de la production des biocarburants, et de politiques mises en place pas les États-Unis et l’Union EuropĂ©enne. Regardons tout d’abord du cĂŽtĂ© des biocarburants. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, le prix du baril du pĂ©trole a augmentĂ© pour atteindre des sommets dans le courant de l’annĂ©e 2008ïżœ. Cela a poussĂ© certains pays Ă  investir dans des ressources autres que le pĂ©trole, des ressources qui paraissaient alors moins coĂ»teuses, mais aussi plus Ă©cologiques. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, la production de biocarburants est devenue un rĂ©el business. L’Union EuropĂ©enne importe de gigantesques quantitĂ©s de cĂ©rĂ©ales et d’olĂ©agineux, en partie pour produire des biocarburants. En ce qui concerne les cĂ©rĂ©ales, elle en importe mĂȘme plus que la Chine ou l’Inde. Les États-Unis produisent eux aussi des biocarburants de maniĂšre non nĂ©gligeable. Ici un premier problĂšme se pose : ces ressources lĂ  ne sont pas utiliser Ă  ce qu’on pourrait appeler leur utilitĂ© premiĂšre, c’est-Ă -dire nourrir la population. Elles ne sont plus des ressources pour les consommateurs qui cherchent Ă  s’alimenter, mais des ressources pour des consommateurs qui cherchent Ă  par exemple faire rouler leur vĂ©hicule. Il y a donc un transfert de consommation. Les consommateurs finaux ne sont plus les mĂȘmes, ou tout du moins la consommation finale de ces ressources diffĂšrent de la consommation premiĂšre. En plus de ces nouveaux consommateurs, il faut Ă©galement prendre en considĂ©ration un certain nombre d’intermĂ©diaires qui tirent profit de ces ressources lorsqu’elles vont ĂȘtre changĂ©es en biocarburant. En effet, rentrent alors en scĂšne de nouveaux protagonistes. Les denrĂ©es alimentaires sont pour eux une ressource, mais pas au mĂȘme titre que

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de simples consommateurs. Ces ressources ne comblent pas les mĂȘmes besoins. Ces intermĂ©diaires tirent un profit strictement monĂ©taire dans cet Ă©change de denrĂ©es alimentaires. Et lors de cet Ă©change, il est important de souligner que jamais les denrĂ©es alimentaires de seront considĂ©rĂ©es comme des ressources alimentaires. Ce sont certes des ressources, mais des ressources Ă©nergĂ©tiques ou des instruments de profit. Cela ne serait pas un problĂšme si la hausse de la consommation de biocarburants n’entrainait pas un manque dans l’offre de ressources alimentaires, destinĂ©es Ă  nourrir une population. En effet, il faut reconnaĂźtre qu’il existe un certain conflit entre la production de ressources alimentaires et la production de ressources vĂ©gĂ©tales destinĂ©es Ă  devenir des biocarburants, et ce conflit est prĂ©sent trĂšs tĂŽt dans la production : on le trouve dĂ©jĂ  au niveau du partage des terres. MĂȘme l’on n’est pas du mĂȘme que Malthus (cf plus haut), on peut tout de mĂȘme reconnaĂźtre que les terres exploitables sont limitĂ©es. Prenant en compte cette donnĂ©e, on comprend bien vite l’apparition du conflit  : considĂ©rons qu’au dĂ©part, tourtes les terres soient consacrĂ©es Ă  la production de biens agricoles. À partir du moment oĂč la production de cĂ©rĂ©ales destinĂ©es Ă  ĂȘtre transformĂ©es en biocarburants apparaĂźt, il faut nĂ©cessairement que la production de biens agricoles diminue. Dans ce cas ci, les denrĂ©es alimentaires destinĂ©es Ă  la consommation deviennent plus rares, et cet effet de raretĂ© entraine une hausse de prix. Sachant que le prix des cĂ©rĂ©ales au niveau mondial est basĂ© sur le prix des cĂ©rĂ©ales aux États-Unis et que ces derniers produisent une quantitĂ© importante de biocarburants, on voit mieux pourquoi il y a eu une forte hausse de prix des ressources alimentaires ces derniĂšres annĂ©es. Cela a eu des rĂ©percussions mondiales, et donc des rĂ©percussions sur le SĂ©nĂ©gal.

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On peut se demander si Ă©tant donnĂ© la hausse de prix, il n’est tout de mĂȘme pas plus lucratif de revenir Ă  la production de denrĂ©es alimentaires. La rĂ©ponse est simple : les biocarburants rapportent trop pour qu’on puisse considĂ©rer un instant de baisser leur production. Selon Jacques Berthelot, il y a eu une augmentation de 48% du revenu net agricole aux États-Unis en 2007, ce qui est en grande partie du aux biocarburants. Comment rivaliser face Ă  une telle industrie, face Ă  une telle machine Ă  profits? Parce que les ressources alimentaires rapportent plus lorsqu’elles sont transformĂ©es en biocarburant, une partie des terres leur est consacrĂ©e, mĂȘme si les consĂ©quences entrainent une faim dans le monde plus importante. Au delĂ  des biocarburants, il peut ĂȘtre pertinent de citer les politiques menĂ©es par les États-Unis et par l’Union EuropĂ©enne en termes de subventions, ou de dumping. L’agriculture reste un sujet tabou. MĂȘme si le libĂ©ralisme semble avoir gagnĂ© du terrain une peu partout dans le monde, il reste un Ăźlot protĂ©gĂ© que mĂȘme les pays les plus dĂ©veloppĂ©s ne veulent pas lĂącher : l’agriculture. Le dumping est censĂ© ĂȘtre interdit. Mais pourtant, des puissances telles que les États-Unis ou l’Union EuropĂ©enne y ont sans cesse recours (tout e blĂąmant les pays en voix de dĂ©veloppement ou les pays pauvres s’ils daignent montrer une once de protectionnisme au niveau agricole). L’agriculture de ces deux puissances est une agriculture « soutenue Â». Les exploitants reçoivent des subventions consĂ©quentes qui leur permettent ensuite de vendre leurs produits Ăš un prix moindre. Sur le marchĂ©, ces produits sont donc compĂ©titifs, et pour pouvoir espĂ©rer rivaliser, les autres pays doivent s’aligner sur les prix imposĂ©s. Cela entraine donc une diminution du profit des agriculteurs qui ne reçoivent pas de subvention. D’un cĂŽtĂ© on trouve des denrĂ©es Ă  un prix trop Ă©levĂ© pour les consommateurs, et de l’autre cĂŽtĂ© on trouve des agriculteurs qui font un profit trop faible. Si on ajoute Ă  cela le dĂ©mantĂšlement barriĂšres douaniĂšres (dĂ©rĂ©gulation), on comprend pourquoi les pays en voie de dĂ©veloppement se sont trouvĂ©s fragilisĂ©s. L’OMC exige en effet une diminution des droits de douaneïżœ. Des marchĂ©s qui ont pu ĂȘtre relativement fermĂ©s doivent faire face Ă  une concurrence extĂ©rieure plus grande, et ils se trouvent donc dĂ©stabilisĂ©s, ce qui fut notamment le cas du SĂ©nĂ©gal. L’économie des pays concernĂ©s devient une Ă©conomie davantage ouverte; elle suit donc les fluctuations des prix au niveau mondial. Dans ce cas ci, les denrĂ©es alimentaires sont considĂ©rĂ©es comme un bien Ă©conomique comme les autres. C’est un bien soumis Ă  l’échange, happĂ© par le libre Ă©changisme. Ceci n’est pas propre aux denrĂ©es alimentaires, mais l’agriculture reste un domaine Ă  part car mĂȘme si la baisse des taxes douaniĂšre ne l’a pas

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Ă©pargnĂ©e elle reste tout de mĂȘme un secteur relativement protĂ©gĂ©. Les denrĂ©es alimentaires ne sont donc des ressources qui comme beaucoup d’autres peuvent ĂȘtre Ă©changĂ©es, et qui permettent de retirer un certain profit. Mais elles ont cette particularitĂ© de faire partie d’un secteur protĂ©gĂ©. Es ressources alimentaires sont plus que de simples moyens de survivre, ce sont aussi des relais emprunts de pouvoir. Il nous faut dĂ©sormais conclure, mais la tĂąche n’est pas simple. Comme nous venons de le voir, les ressources alimentaires ont su susciter les convoitises au fil de l’histoire. Ce ne sont plus uniquement des denrĂ©es qui permettent aux hommes de survivre, ou aux producteurs de gagner leur vie. Les ressources alimentaires ont pris une dimension tout autre. Elles sont des ressources pour des acteurs pourtant bien Ă©loignĂ©s : des traders Ă  Chicago, des investisseurs venant de partout dans le monde, des hommes politiques, d,entreprises de toute sorte
etc. Face Ă  tant de nouveaux protagonistes, comment peuvent lutter les consommateurs dĂ©sorganisĂ©s et dĂ©pourvus de moyens de pression efficaces? Comment le peuple sĂ©nĂ©galais peut combattre toutes ces personnes impliquĂ©es dans le commerce des ressources alimentaires? Ce n’est pourtant pas un cas isolĂ©. De nombreuses personnes ont souffert de la crise alimentaire de 2008. Nous n’avons pas de solutions Ă  proposer ici, et ce la n’est d’ailleurs pas notre sujet, mais nous avons pu au moins prĂ©senter un certain nombre d’acteurs liĂ©s aux ressources alimentaires auxquels on ne pense pas au premier abord, ou qui restent dans l’ombre, ainsi que les nombreuses facettes qui se cachent derriĂšre le mot ressource  : ressources pour qui? Ressources comment  : Ă©conomie, alimentation, pouvoir
 Tous ces Ă©lĂ©ments entremĂȘlĂ©s en font une ressource complexe.

Sans doute qu’une note positive aurait Ă©tĂ© apprĂ©ciable, mais c’est ainsi que se terminera ce dĂ©veloppement : « l’homme est un loup pour l’homme Â».

Notes Encyclopaedia Universalis, http://proxy2.hec.ca:2246/encyclopedie/alimentation/#, par Daniel NAIRAUD, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Conseil national de l’alimentation, inspecteur de la santĂ© publique vĂ©tĂ©rinaire http://www.universalis.fr/encyclopedie/francois-quesnay/ http://www.un.org/ecosocdev/geninfo/afrec/vol17no1/171food2.htm An Essay on the Principle of Population, as it Affects the Future

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Improvement of Society with Remarks on the Speculations of Mr. Godwin, M. Condorcet, and Other Writers London, printed for J. Johnson, in St. Paul’s Church-Yard, Ă©dition anonyme de 1798http://www.guardian.co.uk/business/2010/jul/19/speculators-commodities-food-price-riseshttp://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=8834http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article839http://www.socialisme-republiquesn.org/crimes-economiques/la-crise-alimentaire-au-senegal-que-cache-la-hausse-des-prix-des-denrees-alimentaires-au-senegal.html http://aps.sn/spip.php?article10738http://prixdubaril.com/ http://www.wto.org/french/res_f/booksp_f/agrmntseries3_ag_2008_f.pdf

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DOCUMENTS

THE GHOST WRITER : Les dessous sordides de la réalité politique

Par PAUL BEAUCAGE

Compte tenu que, depuis quelque temps, Roman Polanski dĂ©fraie beaucoup plus la chronique des faits divers que l’actualitĂ© cinĂ©matographique, on ne savait guĂšre Ă  quoi s’attendre en allant visionner The Ghost Writer, une adaptation d’un roman Ă  succĂšs de l’ancien journaliste Robert Harris. D’autant plus que Polanski en a supervisĂ© le montage dans des conditions fort difficiles, Ă©tant dĂ©tenu en Suisse alĂ©manique avant d’avoir rĂ©ussi Ă  achever son film. Or, il nous apparaĂźt indĂ©niable que le rĂ©alisateur de Rosemary’s Baby (1968) jouit d’une rĂ©putation assez surfaite en raison de l’espĂšce de culte que lui vouent encore de nombreux cinĂ©philes inconditionnels ainsi qu’une certaine presse soi-disant moderniste. Cela dit, on ne saurait affirmer sĂ©rieusement que les derniĂšres oeuvres polanskiennes ont impressionnĂ© une critique exempte de complaisance ou des observateurs soucieux de remarquer autre chose, au sein d’une crĂ©ation cinĂ©matographique, que des audaces stylistiques propres Ă  un metteur en scĂšne. Ainsi, The Pianist (2002) - malgrĂ© l’interprĂ©tation exceptionnelle d’Adrien Brody de mĂȘme que la rĂ©colte de moult rĂ©compenses artistiques - et Oliver Twist (2005) - malgrĂ© le savoir-faire du rĂ©alisateur - ne tĂ©moignaient pas d’une vision du monde transcendante de la part de Polanski. Au demeurant, le cinĂ©aste n’est pas parvenu, Ă  travers ces films, Ă  s’éloigner des sentiers battus que d’autres – tels Andrzej Munk, Alain Resnais, David Lean et mĂȘme Carol Reed - avaient su Ă©viter avant lui. De maniĂšre honnĂȘte, on peut affirmer qu’en dĂ©pit de certains succĂšs commerciaux qu’il a remportĂ©s au fil du temps (Chinatown [1974], Tess [1979]), Roman Polanski n’est jamais devenu le cinĂ©aste que plusieurs pressentaient en lui aprĂšs la rĂ©alisation de son chef-d’oeuvre : Le couteau dans l’eau (1961). N’empĂȘche qu’il peut encore nous surprendre...

Comme le suggĂšre son titre, le film de Roman Polanski relate l’histoire d’un nĂšgre ou Ă©crivain anonyme, qui se voit offrir un extraordinaire montant d’argent pour rĂ©crire les mĂ©moires d’Adam Lang, l’ancien premier ministre

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de Grande-Bretagne, un homme tombĂ© en disgrĂące suite aux ratĂ©s relatifs Ă  la guerre amĂ©ricano-britannique en Irak. Cependant, pour s’acquitter de cette tĂąche, l’écrivain fantĂŽme doit se rendre aux États-Unis afin de mettre la main sur le manuscrit original desdits mĂ©moires et rencontrer l’ancien chef d’état. Ce dernier, qui apparaĂźt comme un homme imbu de lui-mĂȘme et nullement portĂ© sur l’autocritique, espĂšre vivement que la rĂ©daction d’un tel ouvrage lui permettra de redorer son blason. Mais l’entreprise dans laquelle se lance l’écrivain fantĂŽme n’engendrera pas les rĂ©sultats escomptĂ©s par les deux hommes.

Un film de politique-fiction

MalgrĂ© quelques concessions faites au profit d’un certain cinĂ©ma commercial avec lequel le rĂ©alisateur a constamment flirtĂ© au fil des ans, The Ghost Writer se rĂ©vĂšle sans doute le meilleur film de Polanski depuis la lointaine rĂ©ussite, dans un tout autre registre, du surrĂ©aliste Le locataire ([1976] d’aprĂšs Le locataire chimĂ©rique [1964] de Roland Topor). MĂȘlant constamment l’esprit satirique et l’humour noir Ă  une intrigue dramatique, l’absurde au sĂ©rieux, le cinĂ©aste parvient dans le cas prĂ©sent Ă  tracer un portrait particuliĂšrement corrosif du monde politique occidental et de ses principaux reprĂ©sentants. Curieusement, plusieurs observateurs ont considĂ©rĂ© le film de Polanski comme un simple drame policier ou un thriller – dans la lignĂ©e des dĂ©cevants Frantic (1988) et The Ninth Gate (1999). Or, Ă  notre avis, il s’agit-lĂ  d’une regrettable mĂ©prise : le long mĂ©trage de Polanski s’inscrit bien plus dans le domaine du rĂ©cit de politique-fiction, aux accents fantastiques, que dans celui du polar, lequel lui est subordonnĂ©.

À nos yeux, la narration de l’oeuvre met continuellement en relief des composantes sociopolitiques, traduisant les rapports de force qui existent dans le monde contemporain tout en admettant la dimension imaginaire, fictionnelle d’une telle dĂ©marche. Les questions d’actualitĂ© relatives Ă  la gouvernance des diffĂ©rents pays se situent donc au coeur du drame. Évidemment, la manipulation mĂ©diatique constitue une des armes les plus efficaces dont peuvent disposer les figures importantes de l’univers. Aussi assiste-t-on Ă  une tentative de sĂ©duction, voire de prise de contrĂŽle de l’opinion publique par l’ancien premier ministre britannique Lang. Toutefois, une partie significative de celle-ci s’est polarisĂ©e contre lui, ce qui explique les rassemblements de manifestants, qui protestent contre sa prĂ©sence aux États-Unis, attendu qu’il aurait explicitement autorisĂ©

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des membres de l’armĂ©e britannique Ă  commettre des exactions durant la guerre en Irakïżœ. Ainsi, Adam Lang ne trouve pas la paix en s’exilant aux États-Unis, mĂȘme s’il s’est rĂ©fugiĂ© dans une maison fortifiĂ©e sur l’üle de Martha’s Vineyard : son passĂ© le hante. Le dĂ©goĂ»t que de nombreux occidentaux Ă©prouvent pour la guerre que le prĂ©sident amĂ©ricain et son homologue Lang ont initiĂ©e contre l’Irak fait en sorte que l’un et l’autre paraissent condamnĂ©s Ă  perdre le combat destinĂ© Ă  s’assurer les faveurs de la majoritĂ© silencieuse...

Un récit à clefs

Sur le plan symbolique, Roman Polanski et son coscĂ©nariste Robert Harris ont eu l’heureuse idĂ©e de construire un rĂ©cit Ă  clefs plutĂŽt que de crĂ©er une intrigue comportant des ĂȘtres ayant un rapport Ă©loignĂ© Ă  la rĂ©alitĂ©. Certes, les diffĂ©rents symboles du film n’apparaissent pas comme ayant un haut niveau d’abstraction, mais elles permettent au spectateur politisĂ© de tracer les liens qui s’imposent entre les diffĂ©rents personnages, voire entre les figures et l’action. Dans cette optique, on l’aura devinĂ©, le personnage d’Adam Lang symbolise un avatar de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair, Ruth Lang reprĂ©sente le personnage de Sherry Blair, l’écrivain fantĂŽme reprĂ©sente le citoyen ordinaire qui n’est guĂšre fĂ©ru d’interrogations politiques et souhaite surtout assurer son bien-ĂȘtre matĂ©riel. Pour sa part, l’opposant politique John Maddox symbolise George Galloway, un ancien dĂ©putĂ© travailliste qui a dĂ©noncĂ© vivement les politiques pro-amĂ©ricaines et nĂ©olibĂ©rales du gouvernement de Tony Blair. On assiste mĂȘme briĂšvement Ă  l’apparition tĂ©lĂ©visuelle d’un (stĂ©rĂ©o)type reprĂ©sentant l’ancienne secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale des États-Unis Condoleeza Rice, qui prend caricaturalement la dĂ©fense d’Adam Lang, lorsque le Tribunal international de La Haye dĂ©cide d’instituer une enquĂȘte par rapport aux allĂ©gations selon lesquelles Adam Lang aurait explicitement ordonnĂ© que l’on torture des citoyens britanniques, dans le cadre de la guerre en Irak. Avouons-le : dans ce cas, la caricature se confond presque avec le personnage rĂ©el !

Évidemment, le cinĂ©aste prend un certain recul par rapport Ă  la rĂ©alitĂ© dans la mesure oĂč l’on sait que, contrairement Ă  Adam Lang, Tony Blair ne subira jamais une enquĂȘte du Tribunal pĂ©nal international de La Haye concernant le rĂŽle qu’il a jouĂ© par rapport Ă  la Guerre en Irak. De mĂȘme, il apparaĂźt clair que le personnage de Ruth Lang est autrement plus intelligent et plus rusĂ© que ne l’est Sherry Blair. Toutefois, le cinĂ©aste Ă©vite

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de trop s’éloigner d’une nĂ©cessaire vĂ©ritĂ© politique, qui sert de rĂ©fĂ©rent au spectateur et Ă  lui-mĂȘme... Faits Ă  signaler : il y a deux grands absents, physiquement parlant, dans le rĂ©cit de Polanski : l’ancien prĂ©sident des États-Unis, qui reprĂ©sente le trĂšs impopulaire George W. Bush, et Macara, qui reprĂ©sente David Christopher Kelly, un ancien scientifique ayant travaillĂ© pour le gouvernement britannique (au MinistĂšre de la dĂ©fense), que l’on a retrouvĂ© mort au sein d’un bocage, dans des circonstances troublantes. Pour ce qui est de George W. Bush, le cinĂ©aste lui rĂšgle pĂ©remptoirement son compte en nous faisant entendre un quidam, qui se rĂ©fĂšre Ă  lui en Ă©voquant le cas «du crĂ©tin de la Maison blanche», par rapport auquel les gens n’entretenaient aucune attente en raison de sa mĂ©diocritĂ© manifeste. Cela s’oppose au mystĂšre qui entoure les agissements d’Adam Lang, alias Tony Blair, lequel paraissait avoir autrement plus d’envergure que son homologue Ă©tats-unien. Quant au personnage de Macara, qui a assumĂ© le premier la fonction d’écrivain fantĂŽme, il habite l’intrigue du dĂ©but Ă  la fin en vertu de son ascendant moral ainsi que du sort tragique qu’il a connu. D’une certaine façon, il s’impose comme le guide spirituel du protagoniste du film et le double de celui-lĂ  puisqu’à travers l’enquĂȘte du jeune homme, le disparu revit. Cependant, cette «rĂ©surrection» entraĂźnera des consĂ©quences accablantes pour le nouveau prĂ©tendu scribe de Lang - d’une certaine façon, Macara le vampirise. On ne saurait dĂ©couvrir des secrets d’état et menacer les responsables de ceux-ci sans mettre sa propre vie en danger !

La quĂȘte de la vĂ©ritĂ© et les mystĂšres diaboliques

Dans ces circonstances, on ne s’étonnera pas de constater que Roman Polanski renoue avec certains de ses thĂšmes caractĂ©ristiques, tels la thĂ©orie du complot et le satanisme. Assez tĂŽt, dans le film, l’hypothĂšse d’une conspiration fomentĂ©e par quelque organisme occulte est soulevĂ©e par le nĂšgre lorsque des voleurs le dĂ©pouillent d’un manuscrit anonyme que lui avait confiĂ© un reprĂ©sentant de la maison d’édition, qui l’a mis sous contrat pour rĂ©crire les mĂ©moires d’Adam Lang. Cette mĂ©saventure pousse mĂȘme l’écrivain fantĂŽme Ă  remettre trĂšs briĂšvement en question sa collaboration avec Lang. En outre, le culte du secret qui entoure le contenu du manuscrit original rĂ©digĂ© par Macara renforce cette hypothĂšse, poussant le nĂšgre Ă  mener sa propre enquĂȘte afin de dĂ©couvrir les mystĂšres qui se rattachent Ă  la gouvernance de Lang. La saisie inopinĂ©e d’une sĂ©rie d’indices lui facilitera la tĂąche, mais il se trouvera rapidement dĂ©passĂ© par la tournure des Ă©vĂ©nements... N’empĂȘche que la curiositĂ© qu’il Ă©prouve

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par rapport Ă  la signification politique des gestes d’Adam Lang traduit sa volontĂ© de dĂ©mystifier une histoire Ă©minemment Ă©nigmatique. Un peu comme le protagoniste du magnifique Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey, l’écrivain fantĂŽme dĂ©laisse toute forme de prudence pour tenter d’éclairer le mystĂšre dont il a subitement pris conscience et qui dĂ©passe son cheminement individuel. D’une certaine maniĂšre, il cherche Ă  devenir le maĂźtre d’un rĂ©cit autrement plus palpitant et profond que celui qu’il doit Ă©crire... Le poĂšte Charles Baudelaire a dĂ©jĂ  Ă©crit qu’une des principales ruses du diable consistait Ă  nous faire croire Ă  nous, pauvres humains, qu’il n’existait pas. Or, dans The Ghost Writer, Polanski n’hĂ©site pas Ă  reprĂ©senter des personnages ayant signĂ© un pacte avec le diable sans avoir pris rĂ©ellement conscience de ce phĂ©nomĂšne. Dans cette perspective, on dĂ©couvrira peu Ă  peu qu’Adam Lang a agi d’une maniĂšre machiavĂ©lique pour s’assurer de garder le pouvoir durant plusieurs annĂ©es. Évidemment, le rĂ©cit monotone d’Adam Lang ne comporte en lui-mĂȘme aucune rĂ©vĂ©lation Ă©clairante Ă  ce sujet. Toutefois, comme le nĂšgre Macara a procĂ©dĂ© Ă  une premiĂšre rĂ©Ă©criture du manuscrit avant de mourir, l’actuel Ă©crivain fantĂŽme et d’autres personnages du film entretiennent la conviction que Macara a fait de cette mouture un document Ă  clefs, un ouvrage contenant des informations encodĂ©es, lesquelles traduiraient les manoeuvres illicites et immorales de Lang. En d’autres termes, Polanski, Ă  la maniĂšre d’un Alain Robbe-Grillet dans Un bruit qui rend fou (corĂ©alisateur, Dimitri de Clercq, 1995), met en boĂźte «un rĂ©cit Ă  clefs dans le rĂ©cit Ă  clefs» et fait coĂŻncider l’élucidation du mystĂšre du film avec celle de l’énigme du manuscrit de Macara, le premier Ă©crivain fantĂŽme. Mais la quĂȘte de vĂ©ritĂ© du jeune nĂšgre dĂ©bouchera sur une constatation funeste : l’homme sort toujours perdant de ses pactes diaboliques. Est-ce Ă  dire qu’il s’en tirerait mieux en se montrant fidĂšle aux enseignements divins ? Nullement, puisque l’oeuvre de Polanski nous rĂ©vĂšle qu’il n’y a pas de justice sur terre et qu’il n’existe rien de plus hypothĂ©tique que la croyance en la notion de providence.

Une esthétique opportune et révélatrice

La mise en scĂšne de Roman Polanski est trĂšs adroite puisqu’elle ne tombe jamais dans les piĂšges que le cinĂ©aste dĂ©nonce. Ainsi, il a recours Ă  une esthĂ©tique beaucoup plus sobre, nettement moins flamboyante que par le passĂ© (Ă  l’opposite des racoleurs Pirates [1986] et Frantic, notamment). Pourtant, cela ne signifie aucunement que Polanski a bĂąclĂ© sa rĂ©alisation,

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loin de lĂ . Ses plans sont fort bien composĂ©s et on reconnaĂźt la griffe singuliĂšre du rĂ©alisateur dans la plupart d’entre eux. Comme le film met en relief de nombreux faces-Ă -faces et comporte de multiples ramifications dramatiques, le rĂ©alisateur n’abuse pas de la continuitĂ© de certaines sĂ©quences, ayant volontiers recours au procĂ©dĂ© Ă©prouvĂ© du champ-contre-champ. Cependant, il sait Ă©viter toute forme de banalitĂ© en donnant Ă  cette figure un relief saisissant. La photographie de Pawel Edelman, qui avait dĂ©jĂ  collaborĂ© aux rĂ©alisations de The Pianist et Oliver Twist, apprĂ©hende avec fermetĂ© les personnages du film et le dĂ©cor dans lequel ils Ă©voluent. Au niveau de la lumiĂšre filmique, Edelman et Polanski privilĂ©gient des Ă©clairages assez ternes et des couleurs froides pour souligner le caractĂšre inhumain du monde politique. Sachant entretenir un certain suspense, Polanski se sert trĂšs finement des coupes franches ainsi que du montage rapide afin de traduire concrĂštement les angoisses ressenties par son protagoniste. Une des sĂ©quences qui tĂ©moignent le mieux de l’habiletĂ© du metteur en scĂšne et de son directeur de la photographie, voire de leur brillante complicitĂ©, demeure celle de l’exĂ©cution d’Adam Lang – passage qui n’est pas sans Ă©voquer le tristement cĂ©lĂšbre assassinat du prĂ©sident amĂ©ricain John F. Kennedy. Utilisant habilement des cadrages serrĂ©s, insolites et des images signifiantes, Polanski et Edelman nous montrent deux meurtres avec une prĂ©cision quasi documentaire. Cette sĂ©quence est Ă  ce point maĂźtrisĂ©e qu’on a un instant l’impression d’assister Ă  un double attentat en direct. N’empĂȘche que la concision des plans est telle que l’on saisit avec aisance l’évolution du drame. Du reste, Polanski rĂ©ussit Ă  Ă©viter de filmer cette scĂšne de maniĂšre sensationnaliste, s’écartant de la voie de la facilitĂ© dans laquelle se complaisent dĂ©plorablement tant de camĂ©ramans oeuvrant pour des grands rĂ©seaux de tĂ©lĂ©vision mondiaux. La multiplicitĂ© de points de vue qu’il traduit favorise l’assimilation de l’action ou la perception synthĂ©tique du spectateur. De maniĂšre indirecte, le cinĂ©aste procĂšde aussi Ă  une dĂ©nonciation du voyeurisme mĂ©diatique.

Un esprit ludique

En ce qui a trait Ă  la bande sonore du film, elle se rĂ©vĂšle clairement moins Ă©laborĂ©e que celles des plus belles rĂ©ussites de Polanski (Le couteau dans l’eau, Repulsion [1965] et Cul-de-sac [1966]). Cependant, la qualitĂ© du dialogue du film, alliĂ©e Ă  la ponctuation ironique de la musique d’Alexandre Desplat, permet au cinĂ©aste de crĂ©er un espace sonore qui se situe au diapason de la bande-image et de la narration. Desplat – qui a rĂ©cemment signĂ© des partitions sirupeuses (notamment celles de Largo Winch de

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JĂ©rĂŽme Salle, Coco avant Chanel [2009] d’Anne Fontaine) - renoue avec la veine ludique, subversive qui Ă©merge de ses superbes collaborations avec le cinĂ©aste franc-tireur Karl ZĂ©ro (corĂ©alisateur, Bernard Faroux, Le tronc [1993]) et le fort perspicace Jacques Audiard (Un prophĂšte [2009]). Du reste, le cinĂ©phile quelque peu mĂ©lomane ne manquera pas de se rĂ©jouir du fait qu’Alexandre Desplat n’a rien perdu de son habiletĂ© en participant Ă  des entreprises de pur divertissement. Il faut toutefois souhaiter que cet artiste douĂ© ne dissipe pas ses capacitĂ©s en tombant dans les rets des sirĂšnes du cinĂ©ma commercial.

Par ailleurs, il importe de souligner que le rĂ©alisateur a le mĂ©rite de ne pas prendre son intrigue trop au sĂ©rieux. À l’instar d’un Raoul Ruiz dans Trois vies et une seule mort (1996), il assume pleinement les rebondissements rocambolesques de la narration, sachant les investir d’un sens prĂ©cis et d’un humour libĂ©rateur. Selon Roman Polanski, il n’apparaĂźt pas vraiment important que la fiction cinĂ©matographique soit tout Ă  fait conforme Ă  la rĂ©alitĂ© ou qu’elle imite la nature : le rĂ©alisateur est surtout dĂ©sireux qu’elle corresponde Ă  une certaine idĂ©e que l’on se fait du monde politique qui nous entoure, voire qu’elle rĂ©ponde Ă  des questions prĂ©pondĂ©rantes. Ainsi, Polanski n’hĂ©site pas Ă  verser dans le cynisme le plus draconien pour dĂ©noncer les magouilles des politiciens ou ex-politiciens, des personnages mĂ©diatiques ou des organismes puissants, qui dĂ©terminent l’ordre du monde. Mais peut-on lui donner tort d’entretenir un tel point de vue dans un contexte sociopolitique oĂč l’ex-premier ministre de la Grande-Bretagne, Tony Blair, et l’ancien adjoint du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des États-Unis, Paul Wolfowicz, ont publiquement reconnu avoir utilisĂ© un prĂ©texte afin de tromper le monde entier et de dĂ©clencher une guerre amĂ©ricano-britannique contre l’Irak ? AssurĂ©ment pas. Cela dit, en Ă©vitant de tracer des analogies trop appuyĂ©es entre la rĂ©alitĂ© quotidienne et sa singuliĂšre intrigue, Roman Polanski empĂȘche son oeuvre de sombrer dans le rĂ©ductionnisme du film Ă  thĂšse. Le rĂ©alisateur privilĂ©gie plutĂŽt la cohĂ©rence interne de son propre univers, ce qui renforce beaucoup la portĂ©e de son allĂ©gorie.

Une direction d’acteurs impeccable

MalgrĂ© les nombreux alĂ©as de la carriĂšre cinĂ©matographique de Polanski, ce dernier se rĂ©vĂšle encore aujourd’hui un directeur d’acteurs de premier plan. Cela explique que le jeune Ewan McGregor offre ici une performance adĂ©quate, une des plus significatives de sa carriĂšre, pour camper le personnage de l’écrivain fantĂŽme. Son absence de cabotinage,

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l’intĂ©riorisation de ses Ă©motions le rapprochent considĂ©rablement du citoyen ordinaire, lequel peut aisĂ©ment s’identifier Ă  lui. En ce qui concerne le mĂ©sestimĂ© et polyvalent Pierce Brosnan, qui interprĂšte le rĂŽle d’Adam Lang, il sait jouer de son charisme, de son image de beau garçon veillissant pour dĂ©voiler au spectateur averti les limites propres aux mĂ©canismes de la sĂ©duction. De cette façon, il tourne volontiers le dos aux personnages de James Bond (The World Is Not Enough de Michael Apted [1999] et Die Another Day [2002] de Lee Tamahori) et de Remington Steel (Remington Steel de Robert Butler et Michael Gleason, sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e [1982-1987]), lesquels lui ont pour un temps valu les feux de la rampe. En outre, sa composition Ă©voque avec Ă -propos les difficultĂ©s inhĂ©rentes aux lendemains de l’adulation et du vedettariat pour tout ĂȘtre humain. Cependant, McGregor et Brosnan se font indubitablement voler la vedette par une interprĂšte tout Ă  fait exceptionnelle, dont il faudra suivre le cheminement cinĂ©matographique avec un vif intĂ©rĂȘt : elle se nomme Olivia Williams et elle incarne le personnage de Ruth Lang. Cette actrice de solide formation thĂ©Ăątrale – qui a rehaussĂ©, par son Ă©clatante prĂ©sence, des films aussi quelconques que The Postman (1997) de Kevin Costner et X Men : the Last Stand (2006) de Brett Ratner – rĂ©ussit Ă  nous offrir une des plus remarquables prestations qu’il nous ait Ă©tĂ© donnĂ© de voir au cours des derniĂšres annĂ©es. Son jeu maĂźtrisĂ©, souple, nuancĂ© – s’inscrivant dans la lignĂ©e d’interprĂštes aussi talentueuses que Vivian Leigh, Maggie Smith et Vanessa Redgrave - lui permet de camper un personnage complexe, ambigu, qui se situe Ă  des annĂ©es-lumiĂšre de l’image de la potiche accompagnant trop souvent le politicien de prestige. Le plus grand mĂ©rite de la composition de l’actrice consiste Ă  ne pas laisser entrevoir trop rapidement la part de machiavĂ©lisme que comporte son personnage. A priori, Ruth Lang semble reprĂ©senter une femme de tĂȘte qui s’est sacrifiĂ©e pour assurer la rĂ©ussite sociale de son mari. Toutefois, a posteriori, on dĂ©couvre qu’elle constitue l’élĂ©ment dominant de la relation de couple qui l’unit Ă  Adam Lang. D’oĂč la rĂ©vĂ©lation, pour le hĂ©ros et le spectateur, du cĂŽtĂ© sombre de sa personnalitĂ©.

En ce qui a trait aux seconds rĂŽles du film, on aurait tort de minimiser les contributions des populaires Kim Cattrall (une des vedettes de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Sex and The City de Darren Star, 1998-2004) et James Belushi (Wag the Dog de Barry Levinson, 1997) qui, s’ils ne s’écartent jamais beaucoup de leurs performances habituelles, ne dĂ©tonnent jamais par rapport Ă  l’esprit gĂ©nĂ©ral de la narration. Cattrall campe avec un aplomb suprenant le personnage d’Amelia Bly, la maĂźtresse-intendante d’Adam

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Lang, laquelle donne un vernis de respectabilitĂ© Ă  sa fonction officielle et dissimule avec adresse sa fonction officieuse. NĂ©anmoins, l’écrivain fantĂŽme ne manquera pas d’ĂȘtre informer de la nature profonde de la relation qui unit Amelia Ă  Adam Lang... En ce qui a trait Ă  Belushi, il insuffle Ă  John Maddox une conviction et une force tranquille qui siĂ©ent parfaitement Ă  un tel personnage. Cela dit, il importe encore davantage de souligner la contribution hors pair du vĂ©tĂ©ran comĂ©dien Tom Wilkinson, qui campe avec une sobriĂ©tĂ© exemplaire le personnage de Paul Emmett, un respectĂ© professeur d’universitĂ© dissimulant avec maladresse son identitĂ© d’agent de la CIA. Cet acteur aguerri, que l’on avait remarquĂ© dans Girl With a Pearl Earring (2003) de Peter Webber et Cassandra’s Dream (2008) de Woody Allen, donne une indispensable Ă©toffe Ă  un personnage particuliĂšrement trouble. Enfin, mentionnons la prĂ©sence en camĂ©o du trĂšs chevronnĂ© Eli Wallach, qui campe avec conviction le rĂŽle d’un habitant anonyme de l’üle de Martha’s Vineyard. Le refus de toute ostentation qui caractĂ©rise l’acteur nonagĂ©naire, dans la brĂšve sĂ©quence oĂč il se manifeste, traduit avec Ă©loquence le haut degrĂ© d’implication des diffĂ©rents interprĂštes dans l’entreprise de Roman Polanski. VoilĂ  qui contraste heureusement avec le laisser-aller que l’on dĂ©plorait au niveau de la distribution et de l’interprĂ©tation d’une oeuvre comme Bitter Moon (1992), par exemple.

Quelques faiblesses narratives

Parmi les rares lacunes qui caractĂ©risent The Ghost Writer, il importe d’en souligner deux auxquelles nous n’avons pas Ă©tĂ© insensibles. D’une part, Roman Polanski ne rend pas toujours probante la quĂȘte de vĂ©ritĂ© Ă  laquelle prend part l’écrivain fantĂŽme et d’autre part, il ne crĂ©e pas un espace fantastique aussi dĂ©mystificateur qu’on aurait pu le souhaiter. Sur le plan individuel, on voit le protagoniste du film, un jeune homme sans prĂ©disposition particuliĂšre pour l’aventure ou les enjeux planĂ©taires - d’un naturel plutĂŽt ordinaire - se lancer dans une quĂȘte effrĂ©nĂ©e de vĂ©ritĂ© humaine et politique, qui met rapidement en pĂ©ril sa propre existence. Toutefois, on n’est jamais tĂ©moins des doutes qu’il pourrait entretenir par rapport Ă  la progression de son enquĂȘte, ni envers les risques qu’il encourt. Or, on aurait aimĂ© que le personnage du nĂšgre balance davantage entre le vrai et le faux, entre le goĂ»t du risque et la nĂ©cessitĂ© de la prudence. Malheureusement, depuis l’époque rĂ©volue du Couteau dans l’eau et de Repulsion, Roman Polanski ne s’intĂ©resse guĂšre Ă  la psychĂ© de ses personnages au-delĂ  d’un certain seuil. Il prĂ©fĂšre jouer sur leur typologie et crĂ©er une relation dialectique entre eux, de maniĂšre Ă  engendrer diffĂ©rents

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concepts ou impressions dans l’esprit du spectateur. En l’occurrence, le corollaire de ce choix consiste Ă  nous montrer un espace surrĂ©el nettement trop limitĂ© pour ĂȘtre significatif. Conscients des considĂ©rations sociopolitiques propres au rĂ©cit de Polanski, nous ne nous attendions pas Ă  ce qu’il orchestre une rĂ©prĂ©sentation onirique aussi extravagante1 que celle de The Fearless Vampire Killers2 (1967). NĂ©anmoins, dans le cas prĂ©sent, les brĂšves incursions qu’il fait dans le monde surnaturel ne nous permettent pas de mieux apprĂ©hender la rĂ©alitĂ©, ni de dĂ©couvrir de grandes vĂ©ritĂ©s philosophiques. Cependant, il importe de se montrer Ă©quitable envers le metteur en scĂšne : ces quelques faiblesses sont bien nĂ©gligeables par rapport aux fort apprĂ©ciables qualitĂ©s esthĂ©tiques et dramatiques du film. Au demeurant, le cheminement du protagoniste rejoint tellement les prĂ©occupations Ă©thico-politiques de chacun d’entre nous qu’il serait prĂ©judiciable de s’en dĂ©sintĂ©resser.

Une conclusion saisissante

Certains observateurs ont dĂ©plorĂ© que Roman Polanski n’ait pas recours Ă  un dĂ©nouement narratif plus rĂ©aliste que celui qui caractĂ©rise The Ghost Writer. Pourtant, selon nous, cette alternative se rĂ©vĂšle des plus cohĂ©rentes, dans la mesure oĂč Polanski n’hĂ©site pas Ă  s’affranchir des rĂšgles du rĂ©alisme ou du naturalisme pour suggĂ©rer l’existence d’un monde fondamental, situĂ© au-delĂ  des apparences. Le cas Ă©chĂ©ant, il parvient Ă  crĂ©er un truculent crescendo dramatique, qui permet au spectateur de devenir le complice de la conclusion de l’enquĂȘte policiĂšre que mĂšne le nĂšgre. Sur le plan stylistique, on ne manquera de goĂ»ter les mouvements de camĂ©ra et les ruptures de ton audacieux du rĂ©alisateur, qui procĂšde Ă  une dĂ©nonciation en rĂšgle des mises en scĂšne et de l’hypocrisie propres au monde politique. Celui-ci affiche d’ailleurs sans pudeur une façade de respectabilitĂ© afin de dissimuler les comportements les plus vils. Évidemment, cette reprĂ©sentation ironique du clinquant social contraste radicalement avec la sobriĂ©tĂ© esthĂ©tique dont Roman Polanski avait fait preuve jusque-lĂ . Toutefois, elle n’altĂšre en rien l’homogĂ©nĂ©itĂ© du propos et insuffle une touche de surrĂ©alisme, de baroque pertinente au film de politique-fiction.

1 Dans l’univers de Roman Polanski, ce terme n’a rien de pĂ©joratif.2 Ce film particuliĂšrement parodique s’intitule aussi : Pardon me, but your teeth are in my neck.

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Refusant de s’effacer pour donner le champ libre Ă  la version officielle des faits, l’écrivain fantĂŽme profite du lancement posthume des mĂ©moires de Lang (dans un hĂŽtel de luxe) pour laisser savoir aux responsables des mensonges et des meurtres politiques dont il a connaissance qu’il n’est pas dupe de leurs machinations. Il va sans dire que cette rĂ©vĂ©lation le rend particuliĂšrement dangereux aux yeux de l’établissement politico-policier amĂ©ricano-britannique, qui juge fort urgent de l’éliminer, ce qui se produira dans la derniĂšre sĂ©quence du film. On remarquera que Polanski situe la scĂšne de l’assassinat du nĂšgre – qu’il a frĂ©quemment annoncĂ©e Ă  travers son intrigue - dans le domaine du hors-champ du film. Pourquoi ? Simplement pour rĂ©vĂ©ler au spectateur que les Ă©lites policiĂšres agissent dans l’ombre afin de cacher (une fois de plus !) la vĂ©ritĂ© au grand public. De maniĂšre prĂ©cise, on assiste au dĂ©part de l’hĂŽtel de l’écrivain fantĂŽme, puis on voit une voiture non-identifiĂ©e se diriger prĂ©cipitamment vers lui et on l’entend heurter le jeune homme de plein fouet : le protagoniste n’échappera pas Ă  son destin. Les derniĂšres images du long mĂ©trage nous montrent l’action inexorable du vent, qui disperse avec violence les pages du manuscrit de Macara : elles cessent progressivement d’exister comme Ă©lĂ©ment de preuve incriminant par rapport Ă  l’organisme opaque, tentaculaire que constitue la CIA, ainsi qu’à ses agents Ruth Lang et Paul Emmett. L’épilogue abrupt de la narration donne au titre de l’oeuvre tout son sens puisqu’on constate que l’écrivain fantĂŽme, en plus d’ĂȘtre une figure non-reconnue, devient un auteur qui n’a pas d’existence rĂ©elle, un ĂȘtre (du passĂ©) qui hante notre conscience de spectateur sans que l’on soit en mesure de lui venir en aide... Cette dĂ©duction dĂ©capante, iconoclaste et satirique Ă©voque, Ă  travers le prisme du cinĂ©phile - dans la mesure oĂč l’humour reprĂ©sente un rempart contre le dĂ©sespoir - les dĂ©nouements de films comme Wag the Dog de Barry Levinson et Le couperet (2005) de Costa-Gavras, lesquels dĂ©noncent avec virulence le systĂšme de valeurs des sociĂ©tĂ©s capitalistes occidentales, avec ses «gagnants» et ses «perdants». NĂ©anmoins, Roman Polanski est un metteur en scĂšne plus talentueux que ses homologues : aussi parvient-il Ă  offrir au spectateur une reprĂ©sentation du monde politique plus maĂźtrisĂ©e et plus polysĂ©mique que celles de ces deux rĂ©alisateurs contestataires.

Tout bien considĂ©rĂ©, il faut souhaiter que Roman Polanski renoue avec le film de politique-fiction dans un avenir rapprochĂ© puisqu’il paraĂźt s’ĂȘtre dĂ©parti pour de bon des lamentables facilitĂ©s qui sabotaient les Ă©lans de The Death and the Maiden (1994), une adaptation malhabile, voire poussive d’une piĂšce surestimĂ©e d’Ariel Dorfman... À n’en point douter,

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l’univers proposĂ© par Robert Harris lui est beaucoup plus propice, sur le plan crĂ©atif, que ses collaborations relativement rĂ©centes avec les scĂ©naristes GĂ©rard Brach (Pirates, Bitter Moon) et John Harwood (The Pianist, Oliver Twist), lesquelles ne favorisaient pas vraiment le renouvellement de la vision du monde du rĂ©alisateur d’origine polonaise. Dans le meilleur des cas, elles lui permettaient d’effectuer des incursions dans des univers auxquels il s’adaptait sans jamais les transfigurer vraiment. Au contraire, Polanski s’est pleinement investi dans The Ghost Writer lequel, au-delĂ  du simple divertissement, facilite notre comprĂ©hension d’un monde politique que nous avons tendance Ă  mĂ©connaĂźtre et alimente notre mĂ©ditation sur la nature humaine. Cela dit, il semble que les conditions de travail, les moyens financiers, techniques, que lui ont procurĂ©s les rĂ©putĂ©s producteurs Robert Benmussa et Alain Sarde lui ont convenu au plus haut point3. Puisqu’il a recouvrĂ© sa libertĂ© de mouvement depuis un certain temps, il n’en tient donc qu’à Roman Polanski de prouver qu’il ressent suffisamment de passion envers son mĂ©tier pour crĂ©er une autre oeuvre d’un tel niveau !

3 PrĂ©cisons que ces deux producteurs ont dĂ©jĂ  proposĂ©, en 2007, un budget de 130 millions de dollars Ă  Roman Polanski pour rĂ©aliser le film-catastrophe Pompeii, d’aprĂšs un autre roman de Robert Harris. Toutefois, le projet a avortĂ© en raison de la grĂšve des scĂ©naristes de Hollywood.

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AUTRE NUMÉRO

possiblesPour une société québécoise solidaire,

créative et émancipée

Au‐delĂ  de la crise: la souverainetĂ© alimentairePossibles, volume 34, numĂ©ro 1-2, Ă©tĂ© 2010

L’idĂ©e d’une souverainetĂ© alimentaire en tant que moyen de se sortir de la crise alimentaire et d’éviter Ă  nouveau semblable tragĂ©die est au coeur de ce numĂ©ro double de Possibles. Il se veut Ă  la fois une introduction au concept de souverainetĂ© alimentaire et une rĂ©flexion exhaustive et riche sur l’agroalimentaire, les communautĂ©s rurales du monde, mais aussi sur ce que nous mangeons (ou ne mangeons pas). Ainsi, nous souhaitons contri-buer Ă  soutenir le dĂ©bat public sur l’avenir de l’agroalimentaire.

Section 1: Comprendre la crise agricole et la souveraineté alimentaireSection 2 : Perspectives citoyennes et solidaires sur la souveraineté alimentaire et ses politiquesSection 3 : Débattre des enjeux de la souveraineté alimentaireSection 4 : Poésie et fictionSection 5 : Documents

15$

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