8/16/2019 Ricoeur, Le Bon Usage Des Blessures de La Mémoire

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  « Le bon usage des blessures de la mémoire »

 A l’occasion des journées d’études organisées les 5 et 6 juillet 2002 par le Sivom Vivarais-Lignon

en collaboration avec la Société d’Histoire de la ontagne! "aul #ic$ur avait adressé au% acteurs

et au% participants ces &uel&ues lignes'

Publié dans : Les résistances sur le "lateau Vivarais-Lignon ()*+,-)*5. / émoins ! témoignageset lieu% de mémoires' Les oubliés de l’1istoire parlent . Editions du Roure 2005

« Chers amis du Plateau VivaraisLignon!Les trois années "ue #e $assais au Coll%ge Cévenol sont "uel"uesunes des $lus heureuses de

ma vie. C&est l' "ue #&é(rivis mes $remiers livres! tout ' la #oie de la )amille et de l&enseignement.Ces travau* $ortent la mar"ue de l&e*$érien(e $artagée autour du (oll%ge! du village et des(ommunautés diverses du Plateau.

Cette mémoirel' n&est $as seulement la mienne! mais (roise la v+tre : ' dé)aut d&avoir (onnudire(tement les années de $lomb! #&en ai re(ueilli la mémoire en(ore )ra,(he! en (et été -/5. Et (&estelle "ue #&évo"ue au#ourd&hui ' travers les (ou(hes su((essives de la longue mémoire d&une longuevie.

Parmi les th%mes "ue vous m&ave $ro$osés! #&ai (hoisi ave( votre a((ord de dire "uel"uesmots sur « le bon usage des blessures de la mémoire ». 1 (et égard! l&histoire du Plateau s&ins(ritdans (elle du milieu du e si%(le! mar"uée $ar tant de destru(tions! d&e*a(tions! d&atro(ités demasse! mais aussi $ar tant d&a(tes d&héro3sme e*tr4me! mais aussi d&héro3sme ordinaire dont lePlateau en $arti(ulier abonde. ais nous ne devons $as man"uer de $rolonger (ette histoire de bruitet de )ureur $ar (elle de la libération! de la $ai* retrouvée! de la re(onstru(tion et de laré(on(iliation euro$éenne.

Les blessures dont il s&agit sont ' la )ois des blessures de la mémoire $ersonnelle! im$rimées

 $ar)ois dans la (hair $ar la $erte d&un 4tre (her! et des blessures de la mémoire (olle(tive! in)ligées $ar la violen(e de l&histoire au sens de la liberté et de la #usti(e. 1 (et égard! il )aut ra$$eler le $arado*e de la mémoire "ui )ait "u&il n&6 a rien de $lus $ersonnel! de $lus intime et de $lus se(ret"ue la mémoire! mais "ue les mémoires des uns et des autres! entre $arents! voisins! étrangers!ré)ugiés et aussi adversaires et ennemis sont in(ro6ablement en(hev4trées les unes dans les autresau $oint $ar)ois de ne $lus distinguer dans nos ré(its (e "ui revient ' (ha(un : les blessures de lamémoire sont ' la )ois solitaires et $artagées.

Le bon usage des blessures de la mémoire (ommen(e $ar l&e*er(i(e du travail de lamémoire. 7on (ara(t%re laborieu*! (omme l&indi"ue le mot! est une lutte sur deu* )ronts. Le $remier obsta(le ' (ombattre est l&oubli 8 non $as (et oubli ine*orable d9 ' l&e))a(ement lent et sournois destra(es de toutes sortes du $assé! dans notre (erveau! notre es$rit! nos ar(hives! nos monuments et

 #us"ue dans les traits de notre $a6sage et de notre environnement 8 mais (et oubli a(ti) (onsistant enun art habile d&éluder l&évo(ation des souvenirs $énibles ou honteu*! en une volonté sournoise de ne $as vouloir savoir! ni de (her(her ' savoir. En (e sens! le travail de mémoire demande du (ourage)a(e au* tentations dun oubli "ui travaille au servi(e de l&e))a(ement )inal. C&est i(i "ue l&;uvremuséogra$hi"ue trouve une de ses #usti)i(ations : sauver les tra(es! les (her(her l' o< elles sont dé#'en)ouies! ou sim$lement re(ouvertes $ar l&inévitable renouvellement de notre .environnement. =l)aut des lieu*! des établissements! des institutions! en (harge de rassembler! $rotéger! a((om$agnerdun dis(ours $édagogi"ue! les vestiges des a(tivités et des sou))ran(es d&autre)ois.

ais le travail de mémoire (onna,t un se(ond )ront : le danger de la ré$étition 8 (ette )a>onde ressasser les humiliations mais aussi les a(tions héro3"ues a "uel"ue (hose de $athologi"ue!"ui em$4(he le véritable travail de la mémoire "ui ne se limite $as ' la (hasse au* )aits! mais

s&em$loie ' e*$li"uer! ' (om$rendre dans "uels engrenages tout (ela s&est trouvé $ris! en)in ' $urgerson (;ur de la haine! de la vindi(te! (omme aussi de la vaine gloire. Com$rendre n&em$4(he $as de(ondamner et de louer! mais lib%re les $assions de leur hantise! "ui (ondamne la mémoire ' un

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 $iétinement sur $la(e. C&est sur (e travail de mémoire "ue se gre))e le devoir de mémoire dont #eveu* $arler du $oint de vue des blessures de la mémoire.

ais #e voudrais inter(aler entre le travail de mémoire et le devoir de mémoire unintermédiaire! la (onsidération et la $rise en (harge du )utur. En e))et la mémoire! $rolongée $arl&histoire é(rite! est essentiellement tournée vers le $assé : elle est rétros$e(tive. ?r le travail demémoire serait vain s&il n&aidait $as ' vivre au $résent ' se $ro#eter dans l&avenir. 1 (et égard la

mémoire ne (ontribue "ue $our moitié ' notre identité : #e mettrai (ette moitié sous le signe de l&«identité narrative » 8 (e "ue nous sommes n&est $as un blo( immuable 8 il est le $roduit d&unehistoire de vie! ellem4me en(hev4trée dans (elle des autres 8 ainsi notre identité est )aite $our une

 $art de (e "ue nous sommes (a$ables de ra(onter de nousm4mes dans un ré(it de vie ' la )oisintelligible $our notre raison et a((e$table $our notre (;ur. ais il 6 a l&autre moitié de notreidentité et de (e "ui la )ait : #e la mettrai sous le signe de la « $romesse »! (ette volonté de tenir la

 $arole "ui nous engage en avant de nousm4mes et ainsi nous maintient ' la hauteur de nosmeilleurs $ro#ets de vie $ersonnelle et (olle(tive. C&est $ré(isément gr@(e ' la $romesse "ue letravail de mémoire est arra(hé ' la ré$étition stérile! ' la nostalgie et au ressentiment! (omme ' lavaine gloire.

Le devoir de mémoire! dont on $arle tant au#ourd&hui! n&est $as une obligation "u&on devait

o$$oser au travail de mémoire. =l le (ouronne. Ae "uelle )a>on B A&abord il l&en(ourage sous la)orme d&une e*hortation ' (ontinuer ' ra(onter! en(ore et tou#ours 8 (e n&est $as un im$érati) visant 'intimider les modestes et ' dénon(er les )u6ards. ne e*hortation ' )aire le travail de mémoire 'l&en(ontre ' la )ois de l&oubli et de la ré$étition nostalgi"ue. Le bon usage des blessures de lamémoire se résume dans la )idélité ' (ette e*hortation. En outre le devoir de mémoire (on)%re unedimension morale et $oliti"ue au devoir de mémoire sous le signe de la #usti(e. Rendre #usti(e '(eu* d&autre)ois! (onnus! in(onnus ou mé(onnus. Le sens de la #usti(e ne vise $as ' établir uneé(helle des mérites! mais ' aider (ha(un ' trouver sa #uste $la(e et sa #uste distan(e ' l&égard des

 $rotagonistes "ue notre histoire nous a )ait (roiser dans des r+les divers. ais surtout le sens de la #usti(e nous ra$$elle deu* (hoses : "ue (&est d&abord au* vi(times "ue #usti(e est due! mais "u&entoute (ir(onstan(e une vie en vaut une autre : au(une n&est $lus im$ortante "u&une autre.

e $ermettevous en(ore une remar"ue "ui nous ram%ne au (;ur de la mémoire des blessures $assées B Di le travail de mémoire! ni le devoir de mémoire ne $euvent 4tre (onduits sansun autre travail! le travail du deuil. Le deuil est autre (hose "ue la dé$loration. C&est une a((e$tationde la $erte des 4tres (hers et de tout de (e "ui ne nous sera #amais rendu. =l nous )aut a((e$ter "u&il 6ait de l&irré$arable dans nos $ossessions! de l&irré(on(iliable dans nos (on)lits! de l&indé(hi))rabledans nos destinées. n deuil réussi est la (ondition d&une mémoire $a(i)iée et! dans (ette mesure!heureuse.

Paul Ri(;ur