Upload
andrei-oroban
View
217
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 1/14
Communication et langages
Graphique et philosophiePierre Riffard
Résumé
Comment libérer la pensée philosophique des carcans de la linéarité du discours (qui ignore notre pensée
multidimensionnelle), de la polysémie des mots (qui brouille leur précision), de la barrière des langues (qui bloque la communication)... par un emploi judicieux de la graphique, prétend Pierre Riffard.
Une théorie à faire entendre à la plupart des philosophes... et pour le plus grand bien de leurs lecteurs.
Citer ce document Cite this document :
Riffard Pierre. Graphique et philosophie. In: Communication et langages, n°88, 2ème trimestre 1991. pp. 61-73.
doi : 10.3406/colan.1991.2298
http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1991_num_88_1_2298
Document généré le 15/10/2015
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 2/14
GRAPHIQUE
ET PHILOSOPHIE
par Pierre Riffard
Comment
libérer la pensée philosophique
des
carcans
de
la linéarité
du
discours (qui
Ignore
notre pensée
multidimensionnelle), de
la polysémie
des mots (qui
brouille
leur
précision), de la
barrière
des langues
(qui
bloque la
communication)... par un
emploi
judicieux
de la graphique,
prétend Pierre Riffard.
Une théorie à faire entendre à la plupart
des
philosophes...
et
pour le plus
grand bien de leurs lecteurs.
Les
philosophes
ignorent majoritairement la graphique. On ne voit
pas
un seul graphique dans la quasi-totalité
des
œuvres complètes
des
grands philosophes.
Le
canonique
Vocabulaire
technique
et
critique de la
philosophie comporte une entrée « graphique (méthode
ou
représentation)
»,
mais de
graphique point,
sinon
l arbre
de
Porphyre (voir p.
66).
La philosophie ignore la graphique, moins en ce
qu'elle ne la connaît pas, qu'en ce qu'elle ne la reconnaît
pas. Elle
ne
lui accorde en
général qu'un
rôle accessoire,
celui
d'exposition
pédagogique,
ou
qu'un
rôle limité, celui du symbolisme logico-mathémati-
que.
La
philosophie
se
veut
pensée
et soupçonne
la graphique
de
visualiser,
donc
de retomber dans le
domaine
de la perception,
lieu
par
excellence de
l illusion
; elle
lui reproche
aussi de
simplifier
;
elle
tient
la graphique
pour une technique,
pas
pour une méthode, or une
technique ne cherche
que
l efficacité, tandis que la méthode
vise
la
vérité.
Platon
s'en
prend
vigoureusement
à
tous ceux
qui usent
d'images, de
simulacres,
au
lieu
de contempler les originaux, les Idées (La
République,
VI,
510). Heidegger
se
gausse des
« vastes tableaux,
bien compartimentés,
dans lesquels
le monde entier se trouve
empaqueté,
autant
que faire
se
peut, de force, avec
figures
et flèches
»
(Schelling, Gallimard,
1977, p.
55). La philosophie analytique,
de
son
côté,
se prononce pour la langue naturelle, quotidienne (La philosophie
analytique,
Cahiers
de
Royaumont,
éd.
de
Minuit,
p.
104
sq.,
248
sq.).
Cette attitude
de
défiance envers
la
graphique étonne
pour
trois
raisons au moins. Premièrement,
les
philosophes,
souvent formés
aux
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 3/14
Graphisme
000
.1
8
§
I
3
mathématiques
ou
à
la
sociologie
dite
scientifique, pratiquent
les
diagrammes cartésiens
et
sagittaux,
les courbes
: pourquoi ne
songent-ils
pas
à des graphiques
qualitatifs
pour représenter des
concepts,
des
problèmes,
des
raisonnements ? Deuxièmement,
les
philosophies orientales présentent parfois directement leur conception du
monde sous
forme
graphique :
qu'on
songe aux hexagrammes chinois
du Yi
king,
aux mandata indiens, aux cosmogrammes des penseurs
arabes.
Troisièmement, comment
expliquer
que les
philosophes,
qui
protestent
constamment de leur souci du concret, de
leur
préoccupation
d'être compris,
se limitent,
comme langage,
au seul
discours,
oral
ou
écrit ?
Les
principes de la graphique
À
partir des
travaux
de J.
Bertin,
qui
en
a
fait une
théorie
organisée
(Sémiologie
graphique, 1967),
LE
graphique est
une
représentation,
dans un
plan,
de relations
(ressemblance,
ordre
ou proportion), entre éléments ou
ensembles, au moyen de
tracés. LA
graphique
se
définît donc comme une
technique
qui, par des lignes menées
sur
la
surface
du
papier,
souvent
des
figures
géométriques,
rend
visïbîes
des
rapports
abstraits,
tels
que l inclusion, fa correspondance,
la
succession. Le
miracle de la
graphique est
là ; montrer
concrètement
une
relation
abstraite.
D'un côté l information, de l autre les
moyens.
L information conv
prend
un invariant et des
composantes ; par exemple,
pour le
cours des
actions
en bourse, l invariant, c'est les
actions,
les
composantes ce sont
le
nombre de francs et la
date*
Les
variables
du système
graphique sont
:
les
deux dimensions du
plan, les six aspects
de la
tache, l'élévation.
a)
Les
deux
dimensions du plan
sont
la hauteur
et
la
largeur
:
en
x,
en abscisse, par colonnes donc, on dispose tes objets (A,B..,), et
en y, en
ordonnée, par
lignes
donc,
on dispose les caractères
(1,2...). Voilà le
schéma de
base.
b)
Les six
variables
de la tache
s'ajoutent
: taille
(hauteur,
surface,
nombre de
signes), valeur
(blanc, gris, noir),
grain
(pointillés, stries,
damiers...), couleurs,
orientation, forme enfin (triangle,
« patate ».,.),
c)
La
variable
élévation,
profondeur,
z,
peut
être
donnée
par
la
taille, la valeur,
le
grain.
D'une
part,
il
y
a
trois
types
d implantation. Autrement
dit,
on
utilise
sur
le plan, pour transcrire les données, soit le point,
soit la ligne, soit la
zone : sur une carte, par exemple, on
marquera
la ville par un point, le
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 4/14
Graphique
et philosophie 63
fleuve
par une
îîgnef
le département
par
une
zone.
D'autre
part,
il
y
a
cinq
types
d imposition, c'est-à-dire façons de disposer les données :
îa
droite, le
cercle,
le semis
(ou nuage), le
semis ordonné,
le
stéréo-
gramme (lequel
donne
une impression de profondeur). On
représentera une inclusion par
deux cercles
concentriques, un planning par une
droite, la
hiérarchie
d'une entreprise par
un
semis
ordonné.
On obtient, en combinant
ces règles,
divers
schémas graphiques
:
colonnes, barres, secteurs, alignements,
courbes, échelles,
cubes,
demi-cercles...
colonne courbe cube secteur
Mais
on
peut classer
ces schémas en
trois
groupes d'imposition»
1)
Premier groupe
de
représentations graphiques :
les
diagrammes.
Le diagramme
établit
des relations entre ensembles
;
il donne les
constructions graphiques
suivantes
: matrices à
l'image
des mots
croisés), alignements parallèles, histogrammes (série
de
rectangles),
«
camemberts
»
(diagrammes
à
secteurs),
chroniques
(barres
hérissées de
points correspondant à
des dates).
,. .
2) Deuxième groupe :
les
réseaux. Le réseau,
lui,
établit
des
relations entre
éléments
d'un
même ensemble ;
les
différentes
constructions
de
réseaux
sont la
matrice
de
type
A.B
/ A.B
(et
non plus
A,B/1,2, l'alignement
rectilîgne, l'organigramme, l arbre, l'inclusion,
te flux (qui visualise
un
processus avec début et fin).
3) Troisième groupe enfin :
les
topographies.
Une
topographie
doit
respecter
les
composantes
spatiales,
car elle calque
l'objet
matériel
;
c'est
donc
un
réseau
ordonné
qui
a
pour
construction
la
carte,
fe plan,
la
coupe, l'élévation; le schéma, l'épure... Soit le
cas
de
l'arbre généalogique:
il
prend
la
ligne
comme implantation, le
semis ordonné
comme imposition, le
réseau
comme
construction,
l'arbre
plus
précisément
comme
représentation.
Il ne faut
pas
oublier l identification externe
:
titre,
légende
(liste des
signes conventionnels),
échelle,
source.
diagramme à secteurs réseau en
arbre
topographie en coupe
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 5/14
Graphisme
§8
I2
La
philosophie
prend
comme
forme
idéale
le
système,
or
la
graphique constitue
un système,
et
un
système de. représentation.
Comme tout
système L
von
Bertalanffy,
Théorie. générale
des
systèmes,
1968), la graphique
présente des éléments en
interaction.
On
retrouve icî
les grands
concepts
de la systémique
ou
étude
des
systèmes ;
-
complexité : il y a
pluralité
et
diversité des éléments (dimensions
du
plan,
figures
géométriques, etc.) ;
-
totalité
: un graphique forme
un tout
structuré où
l'ensemble est
émergent par rapport aux
parties, subordonnées
aux
lois de
composition
;
- relations :
les
étéments entrent
îes
uns avec
les
autres
en
rapport
(d'opposition» gradation, succession, appartenance,
correspondance»
intersection,
subordination.;.) ;
- autoréglage : les relations forment
un
ensemble dynamique où
les
éléments sont
en
interaction :
les relations
ont des
effets de
*
retour
;
- finalité
: il
y
a
totalité
parce
que
l'ensemble
vise
un
but
(l'information
en
général
et
-
selon le cas - la comparaison, la
division,
révolution
ou
autre),
La graphique s'impose
comme règle de
ré-écriture.
On
obtient
de
fa sorte une
philosophie
explicite, qui
se trouve
acculée au
fameux
critère
d intelligibilité
: peut-on le dire autrement ?
Ou
plutôt : peut-
on
l exprimer autrement ? Car
il
s'agira
d'énoncer une pensée
non
pas simplement avec
des
mots (ou un
ordre) différents
mais dans
un
langage différent, visuel, spatial,
monosémique, géométrique.
On dispose
ici
de
tous
les constituants qui
permettent
une
philosophie moins bavarde et
plus
fogique, logiciste
môme.
C'est bien
ainsi que
la linguistique a
pris un
nouvel
essor : en présentant, en
grammaire
generative (Chomski),
la
phrase
sous
forme
d'un
arbre,
en
offrant
en
analyse componentielle
(Nida)
un tableau
de
présence,
etc.
phrase
syntagmjlnominal
déterminant
i I
e chien
voit
4 le chat
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 6/14
Graphique et philosophie
65
DE
THALES
DE
MILET
A
LEVI-STRAUSS
Les
historiens
de
la philosophie
s'accordent
à considérer
Thaïes de
Milet (585 av. J.-C.) comme le premier
philosophe
occidental.
Or
il fut
aussi
« le
premier
(...) à avoir inscrit
dans un
cercle
le
triangle
rectangle » (Diogène Laôrce, I, 24). Cela suppose,
non
une
construction
graphique,
mais
déjà
une figure géométrique, donc un tracé
visible
pour
représenter
un espace
abstrait.
Anaximandre
(vers 547
av. J.-C.) est
un
novateur en bien
des
points.
En
philosophie, en particulier, il fut « le premier à user du
terme
de
principe » (A9). Il est aussi le père de la graphique. « Anaximandre,
de
Milet,
élève de
Thaïes,
eut
le
premier
l'audace
de
dessiner
sur
une
planche
la partie habitée
de la
terre »
(Agathémère, Géographie, I, I)
(A6).
Avec Pythagore (vers 532
av.
J.-C), la
graphique
fait partie
intégrante
de la
philosophie.
La
représentation graphique
n'est pas une
illustration
mais une
démonstration.
Elle
ne
rend
pas visible,
elle découvre
et
elle prouve.
Elle
fait œuvre de
vérité.
Le
symbole
même
du
pythago-
risme
est
un graphique
:
la
tetraktys.
représentée comme un
triangle
constitué de dix points, le sommet en haut, un point au centre.
tetraktys
Aetius
rappelle que « pour Pythagore la nature du nombre est la
décade,
... le principe
du
nombre dix est renfermé
dans
le nombre
quatre et dans la
tétrade »
(Opinions, I,
3,
8).
or
cela devient
fort clair
si
l on
dispose
d'un
graphique. D'autre part, Pythagore a fait une
théorie
du gnomon géométrique
et arithmétique,
qui,
selon
Stobée
(Florilège, I,
préf. 3), «
rend corporelles
»
les choses. Le
gnomon est
représenté par
un
angle droit
avec
à l intérieur soit
un
point, soit deux
points ; si
l on ajoute des
points
en
nombre impair à
la première figure
on obtient toujours
un
carré, si
l on
ajoute
des
points en nombre pair à
la seconde
figure
on
obtient toujours
un rectangle. Le
gnomon permet
de
comprendre
les séries.
O-O— Q
O—
O--O--O
O--O
6 O--O--O
6
gnomons
1
I
o
o o
o
o
o
o
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 7/14
Graphisme
•g
En
bref,
le
concept
central,
chez
Pythagore,
est celui
de
nombre,
et
ce concept n'acquiert
de sens que figuré,
comme graphique, ce qui
établit
un isomorphisme entre géométrie
et
arithmétique : le trois
forme
triangle,
le quatre prend
la figure du
carré.
Au dire d Aristote (Physique,
II,
7), Hippodamos, philosophe vivant
vers 450 av.
J.-C,
s'intéressait
à l'urbanisme,
et il
« inventa
la
division
des villes en
damier ».
Chose remarquable, le plus illustre des
philosophes, Platon, fait
précéder le plus
illustre
de ses
textes,
l'allégorie de la caverne, d'un
discours
fondé
sur la
représentation graphique
(La République, VI,
509
d).
«
Prends, par
exemple, une
ligne
sectionnée
en deux
parties,
qui sont deux segments inégaux, sectionne à nouveau, selon les
mômes
rapports, chacun des
deux segments, celui
du
genre
visible
comme celui
du
genre
invisible.
» Platon
reprend le
concept
pythagoricien de proportion
et
la méthode
pythagoricienne
de
représentation graphique.
Mais
au lieu d'établir des correspondances (quatre /
carré), il
fonde
des analogies
(court /
visible).
a d B
E
c
i i i î
Par
la suite,
la graphique sera~sirrtout utilisée en
logique.
La théorie de
la subordination
des
concepts chez Porphyre
(Isagoge)
n'est
pas
pensable
autrement
que représentée sous forme d'un arbre
-
l'arbre
de
Porphyre :
la substance
se
divise en incorporelle
et corporelle, la
corporelle à
son tour
en inanimée
et animée...
Quand on parle de la
théorie d'Apulée (De
la
philosophie rationnelle) sur
les
rapports entre
les quatre
propositions,
on
se
la représente comme le carré logique
où figurent contraires, subalternes, subcontraires
et
contradictoires.
substance
co corporelle Incorporelle
S corps
co
I I
> animé inanimé
ivant
Arbre
de porphyre
I
sensible non sensible
^ animal
I I
raisonnable non raisonnable
omme
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 8/14
Graphique
et
philosophie
67
Raymond
Lulle
utilise
la
graphique
dès
son
premier
livre
de
logique,
L'art
abreujada d'atrobar ver/ïaf (1274) (cf. Carreras y Artau, Historia
de la filosofia
espafiola, Madrid,
1939,
1.
1, p. 368). Son
problème
est
le
suivant
: comment,
un sujet
étant donné, trouver tous
les
prédicats
possibles,
ou bien, un prédicat
étant
donné, comment trouver tous les
sujets
possibles ?
Lulle a
l'idée d utiliser une
lettre
de
l'alphabet
pour
chaque
terme ou notion (A =
Dieu,
V =
vertu), de
se
servir
des
couleurs (bleu
=
vertu, rouge
=
vice) ; ensuite
il trace des
figures
géométriques : cercles
concentriques,
triangles..., et il construit des
tables
avec
colonnes.
«
II
convient
de
présenter
des
figures sensibles
avec
lesquelles
il
[le
lecteur]
sache
montrer
les
figures
intellectuelles.
Et par ce moyen on
pourra
ouvrir
et
diriger
son
entendement » (Livre
de
la
contemplation,
chap. 364).
La logique moderne a aussi recours à la
graphique,
qui devient
idéographie. Leibniz écrit
un
De
formae logicae
comprobatione
per
linearum ductu (in Opuscules
et
fragments inédits
de
Leibniz, 1903,
p. 292)
;
il trace des
droites soit
continues
soit
verticales
soit
horizonta le s,
formant
des
rectangles.
Dès 1761, le
mathématicien Euler a
l'idée de donner aux
figures
du syllogisme une représentation par des
cercles (Lettres à une princesse d'Allemagne, 1768
-
1789).
cercles
d Euler
inclusion
réunion
Le
calcul des
classes devenait construction
graph que.
«
Ces
figures
rondes, ou plutôt
ces
espaces (car il n importe quelle figure nous
leur
donnerons) sont
très
propres à faciliter
nos
réflexions
sur
cette
matière
et
à
nous
découvrir
tous
les
mystères
dont
on
se
vante
dans
la
logique » (lettre
35).
Le syllogisme en
Barbara (terme
mnémotechnique de la philosophie scolastique pour l un
des
quatre modes de
la
première figure du syllogisme) s'énonce : tout M est P, or tout S est
M,
donc tout S est P,
et
Euler le
figure
par
trois
cercles
concentriques, le
P
étant à
l extérieur, le
M au
milieu,
le S au
centre. J. Venn
en
1881
(Symbolic Logic) a perfectionné
ce procédé.
Frege
va jusqu'à
affirmer
que la
science justifie le recours à l'idéographie » (Écrits
logiques). La Logique
sans peine 6e Lewis
Carroll (1896)
propose divers
diagrammes,
carrés.
„ , , Disjonction
ftout
C
est
B
BARBARA <
or
tout
D
est C
Ldonc tout D
est B
idéographie
leibnizienne
idéographie
f regienne
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 9/14
Graphisme
Outre
la logique,
le
second
domaine
de
la
philosophie
le
plus
intéressé par la
graphique
est la sémiotique. On
sait
l'usage
fait
par
Saussure, dans
son Cours
de linguistique générale, de
flèches, schémas,
tableaux; chacun connaît le schéma
cybernétique
de Shannon
(Théorie
mathématique de
la
communication) ;
Greimas
a rendu
célèbre
le
schéma narratologique
(Sémantique structurale), qui
explique
de
façon structurale
la forme générale d'un
conte.
Les
philosophes
commencent à explorer
ce
champ.
Source
d'information Emetteur Récepteur
Destination
Message
Signal
émis
HH
Ht Signal
F reçu
Source
de
bruit
Message
Schéma d un
système général
de communication
(Shannon)
Bachelard, dans La philosophie
de « profil épistémologique »,
connaissance particulière », par
des
mythes par
Lévi-Strauss
ne
tableaux
(Mythologiques : le cru
sa philosophie
sur
un
graphique
du non (1940), a
présenté
la notion
« spectre
notionnel
complet d'une
un
graphique.
L'analyse
structurale
serait
pas possible
sans l'usage de
et le cuit). Raymond Abellio a fondé
qu'il
appelle «
structure
absolue ».
CO
1
A QUELLE CONDITIONS LA GRAPHIQUEEUT-ELLE INTÉRESSER LA PHILOSOPHIE ?n est tenté de répondre qu'un graphique rompt la monotonie de laage
imprimée
en offrant une image plus ou moins esthétique
et
noninéaire. Mais
alors un
graphique
pourrait être remplacé par tout autre
oyen
d illustrer, comme la photographie,
et
il engendrerait uneistraction plus qu'une concentration, comme dans
ces manuels
de
ittérature
où les
dessins
détournent du poème ou dénaturent
le
oème.n revanche, on peut tenir un
graphique
même en
philosophie
omme un excellent argument, s il est donné pour
lui-même,
en place d'unéveloppement. Il ne répète
pas
le discours,
il
donne
en langage
isuel
un condensé de langage discursif.
Marcel
Mauss disait : «
Des
lans,
des
graphiques,
des statistiques pourront remplacer
vantageusement
plusieurs
pages
de texte » (Manuel d'ethnographie, p. 10).l faut
bien voir
ceci
: le graphique
montre ce que
l écriture
démontre,ci le
graphique démontre
en montrant, il n'est
pas
un
objet
exhibé
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 10/14
Graphique et philosophie
69
comme
preuve
devant
un tribunal
mais une
figure
construite,
un
argument
visualisé.
Les philosophes
(Aristote, Leibniz) distinguent exposition
et
invention.
On peut opposer
les
graphiques
expressifs
aux graphiques
heuristiques. Le graphique n'a pas simplement une valeur
de
visualisation, il
a aussi
une
valeur
de
découverte.
Il ne permet pas
seulement
de voir
ce que l on pense ou
de voir
mieux, il
permet encore
de
penser,
de
produire
une idée.
On peut s interroger
longuement
sur
le
rationalisme d'un auteur
;
la
représentation graphique
sera plus exigeante : il
faudra donner un nombre
fini
de traits
déterminant
le rationalisme
;
ensuite
il
conviendra
de
construire
une table
de
présence.
D'une façon
générale, le langage graphique, comme le
langage
symbolique (au sens du logicien), a cet immense avantage d'être
monosémique.
Il ne supporte pas
l ambiguïté.
Or une saine philosophie
fait
d'abord la chasse
aux polysémies, aux équivoques.
Deuxièmement, le langage
graphique,
comme le langage géométrique,
est
universel. Il
peut
briser
les barrières
des
langues nationales, tout
en
exprimant aussi bien la quantité (par des secteurs) que la qualité (par
des
alignements).
Troisièmement, le langage
graphique,
comme
le
langage
artistique, est esthétique.
Il
s'adresse
d'abord
aux
sens. Il
déploie
dans
le
plan
une
pensée
qui
aura
souvent une
forme
agréable
à
l œil.
Le graphique est
donc
esthétique au sens ancien en ce
qu'il
s'adresse à
la
sensibilité,
et
esthétique au sens moderne en
ce
qu'il
offre une forme
originale.
La philosophie en bandes dessinées n'est
plus
de
la philosophie, tandis
que la
philosophie avec
des graphiques
reste
de la
philosophie. Bien entendu, s il existe une géographie
faite
de
graphiques,
il ne saurait exister
une philosophie faite
de
graphiques. La description d'un sentiment passe par l écriture.
Mais
on rêve
de diagrammes expliquant les hypostases de
Plotin
ou les corps chez
Paracelse.
LES UTILISATIONS LES PLUS PERTINENTES
EN
PHILOSOPHIE
On peut distinguer graphiques qualitatifs
et graphiques
quantitatifs.
Ces
derniers conviennent
surtout
aux sciences
exactes
ou aux
sciences
humaines, friandes de
données chiffrées.
La
philosophie,
elle,
s'exprime mieux par les graphiques
qualitatifs
:
arbres,
inclusions,
stéréogrammes, organigrammes, alignements, coupes, schémas,
matrices et ainsi de
suite. On peut faire
alors des
opérations plus
diverses
et
subtiles
que
la
simple
mesure ou la comparaison de nombres.
La
classification
se prête
bien
à
la
représentation
graphique,
en
particulier
pour les
sciences
et les arts. Et.
Souriau
(La
correspondance
des arts, 1 947) a même
pensé
sa classification
des arts
à partir
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 11/14
Graphisme
I
s
i
d'un
graphique,
un
diagramme à trois
cercles
concentriques divisén sept secteurs. La classification
des
sciences par Guye (Archives dehilosophie, .1919), elle
aussi,
prend
son
sens
quand
on
la
présente
ous forme
d'une construction
matricielle à six entrées, car on voit
lors
sur un tableau les catégories présentes ou absentes danshaque science (cf. Foulquié, Logique, p. 369) ; seule la psychologie,ernière
née des
sciences, utilise
nombre,
espace, temps, matière,
ie
et pensée.
La classification
des
sciences de
Kedroff
(Actes
du
1e congrès de
philosophie
scientifique,
1954) offre un
réseau en
useau
très significatif en
ce
qu'il
met à jour
des
subordinations
à partir
es
sciences naturelles (cf. Piaget, Logique et connaissancecientifique, p. 1 167). On peut toujours
disposer
une
classification
en arbre.
Graphique
de
Souriau
La définition est une sorte de classification, on
comprend
donc qu'elle
admette aisément le traitement graphique.
Une
définition par
étymo-
logie
derivative
peut se présenter sous forme d'arbre, agglutinant les
éléments
lexicaux
:
«
réorganisation
» = préfixe (ré-) + radical (organ
s)
+
suffixe
(-tion).
Une
définition
intrinsèque,
déterminant
le
genre
prochain
et
la
différence spécifique
(Aristote, Seconds
analytiques) prend la
figure de
cercles, comme dans le syllogisme, car ici
encore
on fixe
compréhension
et
extension ;
le
concept
de
« pragmatisme » est l'intersection
de deux
cercles,
celui d'« empirisme »,
celui
d'« utilitarisme », car
il
prend à
l'empirisme
sa théorie de la connaissance et
à
l utilitarisme sa
théorie
de
l'action.
La graphique se révèle particulièrement éclairante
pour exposer
des
processus,
par
exemple
le
matérialisme historique
avec
ses
couches
(forces productives, rapports de production, formes juridiques,
idéologie)
et ses
relations
(déterminations et interactions). Autre
exemple :
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 12/14
Graphique et philosophie
71
la méthode
expérimentale,
avec
ses
moments
(observation,
hypothèse,
contrôle) et sa
circularité («
de
cette expérience résultent
de
nouveaux phénomènes
qu'il
faut observer » : Claude
Bernard).
La philosophie contemporaine recherche souvent
les
isomorphismes.
Là encore
la
graphique peut rendre
de
grands services. Des
alignements
parallèles permettent
de mettre en correspondance les
éléments
d'un
système avec les éléments
d'un
autre système, par
exemple les
traits
de la philosophie scolastique
et
ceux de
l'architecture gothique
(Panofski).
Des réseaux
visualisent
l identité du type
de
relations
combinatoires
entre
deux
ordres
aussi
distincts
que
l ordinateur et le
cerveau.
La loi
de
croissance exponentielle s'applique autant au
développement
des cellules bactériennes qu'au
progrès de
la recherche
scientifique (Bertalanfy) :
un
graphique l établit aussitôt.
D'autres
domaines
se
prêtent au traitement
graphique. Citons
les
tables
de comparaison,
dont
parlait
déjà Francis Bacon
(Novum or-
ganum, II, 11). Cette fois, on peut sur des matrices
établir
des
présences, des absences, des degrés et
donc,
en
second lieu,
comparer,
définir, etc. Pour la seule histoire de
la philosophie, il
serait
intéressant de
voir
les corrélations entre concepts ou doctrines
:
le
concept
d'ordre
est-il
présent
chez
tous
les rationalistes ? Est-il
vraiment
absent chez les anarchistes ou chez les empiristes ?
Platoniciens
Aristotéliciens
Stoïciens
Épicuriens
seule
i
>7 -
f r
-7j
vide continue
i
i
1
i
i
nn
1
i i
éternelle
WÊÊÊÊiï Èï-
La matière
dans
la philosophie grecque
La
succession
des philosophies suppose
qu'on ait
une idée claire
de
la
chronologie
et des
emprunts : Leibniz vient après Descartes
et
Spinoza
mais n'a
subi aucune
influence
de ce
dernier.
Le tableau
chronologique est là-dessus éclairant.
Descartes
Spinoza Malebranche Leibniz
Wolf
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 13/14
Graphisme
Toujours
dans
le
cadre
de
l histoire
des
philosophies, la
barre
avec
repères indique les vides ou les groupements dans le
temps.
D'Hé-
raclite
à Aristote
il
y a pléthore, d Aristote à
Plotin
pénurie
de
métaphysiciens.
Parménide
Platon
Stoïciens
Aristote Plotin
500 400 300 200 100 100 200 300 400 500 600
Certes
une philosophie
demeure
un tout complexe. Cependant, une
représentation schématique peut se révéler extrêmement
utile
pour
simplifier
et
mémoriser,
mais aussi
parce qu'elle
va révéler
l'archi-
tectonique du
système
philosophique :
ses axes,
ses symétries, ses
répétitions.
entendement volonté étendue mouvement
Représentation
schématique
du
dualisme
cartésien
À
ce
point-là,
on
peut opposer deux ou plusieurs représentations
schématiques, comme le fait Caratini (Encyclopédie Bordas, 1 968, t. 3,
p.
13) à propos
des théories de
l'âme
et du corps chez les grands
rationalistes.
Dieu
Dieu
harmonie préétablie
X
00
O
I
S
I
Descartes Spinoza
Malebranche
Leibniz
UN LABYRINTHE
POUR
SE
RETROUVER
La méthode graphique
mériterait l'élaboration d'une nouvelle
théorie
de
l'image. Une représentation graphique est
un labyrinthe
qui sert
non
à
s'égarer
mais
à se
retrouver.
L'imagination a été réhabilitée en
philosophie,
...
grâce
aux
dadaïstes
et
surréalistes.
Il
reste
à
réhabiliter l'image intellectuelle, graphique. La
graphique
peut
jouer
aujourd'hui le rôle qu'avait
autrefois
la rhétorique,
et
doubler
l'argu-
7/25/2019 RIFFARD, Pierre, Graphique Et Philosophie
http://slidepdf.com/reader/full/riffard-pierre-graphique-et-philosophie 14/14
Graphique
et philosophie 73
mentation.
On
peut
fort bien
concevoir
une
philosophie
à
double
voix,
en
partie
discursive, avec mots
et
raisonnements, en
partie
graphique ,
avec diagrammes
et
réseaux.
Mais
les philosophes ne préfèrent-ils pas
secrètement
l'ambiguïté ?
Que resterait-il
de la
phénoménologie
de Merleau-Ponty
si
l on
s'avisait
de la mettre
en système
et de
l'éclairer
de quelque
diagramme ?
Question :
à
quand
l'enseignement
de la graphique pour les
philosophes,
et
pas
seulement
pour les géographes ou les économistes ?
Autre
point : à
côté du langage
discursif, à
côté du langage formel
(logique
ou mathématique), à côté
du langage
graphique, la
philosophie
dispose
aussi
du
langage
typographique, qui
est
le
plus
récent
et
le
moins visible.
La typographie concerne
les caractères
d'imprimerie,
la composition, l'impression. Heidegger écrit Sein biffé,
Derrida
fait imprimer
différance
(avec
un a), Teilhard de
Chardin
use
et abuse des
lettres
capitales,
l'esthétique utilise
les
images, l'alinéa a
chez
Hegel
valeur de moment philosophique, etc. Cela pourrait faire
l'objet d'une prochaine
recherche, intitulée
cette fois :
« Typographie et
philosophie ».
Pierre
Riffard
BIBLIOGRAPHIE
R. Bazin :
La formation par les
méthodes TWI,
OM, SORA,
ESF. 1979
J. Bertin : Sémiologie graphique, éd. Gauthier-Villars/Mouton, 1967. 431 p.
J. Bertin :
La
graphique et le traitement graphique de l'information, éd. Flammarion. 1977,
277 p.
R.
Blanche
:
La logique
et son histoire, éd. A. Colin, 1970, 366 p.
R. Caratini : Bordas encyclopédie, 3 - Philosophies et religions, éd. Bordas, 1968
A.
Cuvillier :
Nouveau
précis de
philosophie,
2
1.,
éd.
A.
Colin. 1963
Ch.
D.
Davenport
:
Methodos,
Milan, 1952, pp. 145-164 : « The
Role
of
Graphie
Methods
in
the
History
of
Logic
»
D. Durand.
La systémique, PUF
«
Que
sais-je
? ». n°
1795. 1979,
128 p.
L. Timbal-Duclaux. L écriture créative, éd.
Retz,
1986, 176 p.