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Rio Verde, la ville qui résiste
Capitale de l'agrobusiness de l'État de Goias, au centre du Brésil, Rio Verde a décidé de limiter à 1 0 % la surface de ses terres cultivables pour la culture de la canne à sucre. Pour s'opposer à un modèle économique indésirable et préserver une économie locale florissante, basée sur la diversité agricole.
P aulo Roberto Cunha, le maire de Rio Verde, se souvient parfaitement de la première réunion qui a suivi la publication de la loi limitant à 10 % - soit 50 000 hec-
tares - la surface des terres de la commune réservée à la production de la canne à sucre. • L'amphithéâtre était plein. Il y avait une centaine de personnes : des agriculteurs et des représentants des pouvoirs publics de l'État de Goias, des organisations syndicales... ,. Quelques minutes avant le début de la réunion, un homme s'est levé. • Il était assez nerveux, m'a regardé et a commencé à se battre la poitrine avec son poing. Puis, montrant la photocopie du texte de loi, il a crié que lUI vwant personne ne rempêcherait de planter ce qu'il voulait sur ses terres. Y compris de la canne à sucre. » Après trois ou
quatre interventions similaires, quand le ma 1re a voulu prendre la
parole, on ne l'a pas laissé exoliau·er le sens de sa déci
• Aujourd'hui, sourit-il, se calant confortablement
dans son fauteuil , certains d'entre eux viennent me remercier d'avoir fait cette loi ! •
Bienvenue à Rio Verde, capitale de l'agrobusiness de Goias, un État situé au centre du Brésil, considéré comme l'un des • greniers ~ du pays. À l'entrée de la ville, un monument sur lequel figurent différentes scènes de la vie rurale célèbre la richesse et la diversité d'un monde agricole qui enrichit depuis plusieurs générations des propriétaires aux allures de
businessmen. Et l'on comprend vite pourquoi, lorsque l'on sort des quartiers périphériques où les seuls signes de pauvreté se résument à l'absence d'asphalte devant des rangées de maisons sobres, mais viables. Les étendues vallonnées qui entourent cette ville de près de 160 000 habitants se déclinent en une mosaïque verte et ocre sur fond de terre rouge. " Ici tout pousse facilement, confirme Jaïr l~ Leas Junior, secrétaire chargé de l'Agriculture. Soja, maïs, blé, tournesol. .. la
terre est fertile. Il y a également de l'éle- Pers, adé que la biodNerSité est une nchesse, le maire de vage de bétail et de cochons. • Sans R10 verde s'oppose à la monoculture de la canne à sucre. oublier • Perdigao », l'un des leaders de la production de poulets, gros consommateur de grains avec ses 420 000 têtes par jour pour la seule usine de Rio Verde. Bref, un éden. Du moins jusqu'en 2004, lorsque les cours du soja et du maïs ont commencé à s'effondrer et que des producteurs ont voulu remplacer ces cultures par la canne à sucre ... dont les cours, eux, étaient à la hausse.
Un modèle économique agricole totalement inacceptable
• Ils ont eu l'impression que ce serait un bon moyen de s'enrichir, explique Avelar de Morais Macedo, le secrétaire de l'Industrie et du commerce de la ville, farouche défenseur de la loi. Maïs c'est une erreur, car pour pouvoir fournir les usmes de transformation, les agriculteurs doivent s'engager sur des cycles moyens de six ans - souvent deux cycles consécutifs - et deviennent ainsi dépendants.
Sans compter que la canne appauvrit consi· dérablement la terre. car il n'y a pas de rota tion des cultures possible. Et 1e ne parle pas des dommages causés à l'environnement par /es fertilisants et par la nécessité de brûler la paille avant la récolte ! • Ma1s pour Paulo Roberto Cunha,le plus grave est ailleurs. " C'est /e modèle économique de cette agriculture que nous n'acceptons pas. Car la production de la canne à sucre pour l'éthanol est entre /es mains d'une poignée de grands groupes extérieurs qui ne réinves tissent pas dans l'économie locale. ,. Et les milliers de créations d'emplois annoncées par le secteur ? • Mais de quels emplOIS parle-t-on ? De boulots sous-qualifiés pour des migrants qui sont le plus souvent exploi· tés ? • Et le maire de préciser que • si l'on remplaçait les cultures actuelles par la canne à sucre, ça fournirait du travail à quinze ingé nieurs agronomes. Aujourd'hui, ils sont
DM._2.32 1 .I!I!N-.•UILLET 2008
:~ dl:dlant d'11nmenses surfaces de terre à la canne à sucre aux dépens des CUltures vivrièfes,
l'> Brésil pourra•! compromettre sa sowera111eté ahmenta•re et pnver d'accès à la terre
des millions de travailleurs ruraux.
quatre cents à travailler et à vivre avec leurs familles sur la commune. • Pour Rodolfo Olveira Chavaglia, producteur entre autres de canne à sucre : « Cette loi n'a pas eu de répercussions sur /es productions locales [Ndlr: la loi n'a pas d'effet rétroactif]. Elle n'a pas susctté trop de remous, car elle est entrée en vigueur en 2006, juste avant que les cours du soja et du mais ne remontent. • Aujourd'hui, le cours de la canne est plus bas que celui des céréales, ce qui clôt les débats. Du moins pour l'instant. • Car si ces cours s'effondraient, les agriculteurs se montreraient sans doute plus offenstfs pour combattre la lot •. commente un autre exploitant qui rappelle que les élections municipales sont proches [Ndlr: en octobre].
Cette loi a permis d'entamer le débat au Brésil
Que fera alors le successeur du maire actuel ? • Mot, Je ne pourrai plus rien falfe, admet Paulo Roberto Cunha. Mais j'entends demander aux candidats de prendre position pendant la campagne. Quoi qu'il arrive, je suis saûsfait que cette loi ait permis d'entamer le débat, ici, comme dans le reste du Brésil. • En attendant, tout agriculteur souha1tant fa1re pousser de la canne à sucre sur ses terres doit en faire la demande à la mairie. •
Jean-Claude Gerez
La peur d'être remplacé par des machines
"J e m'appelle Geraldo. J'a1 v1ngt-cinq ans. Je suis né dans I'Ëtat de R1o Grande do Norte. Là-bas. il n'y a pas de travail et tous les hommes partent hUit mois par an
couper la canne à sucre dans le sud du pays J'avais seize ans quand le Gato est venu recruter. Mon oncle s'est porté garant pour moi et a dit que j'étals travailleur. Pour le Gato. c'est le plus 1mportant. car il touche un pourcentage sur chaque salaire. Cet homme m'a avancé le prix du billet de bus Il m'a fallu quatre jours pour arriver dans I'Ëtat de Sào Paolo. Sur place, on nous a donné un lit dans le dorto1r, des chaussures, des guêtres pour se protéger les 1ambes, des lunettes et un facao, un coupe-coupe. Le prem1er mat1n, je me suis levé à 4 heures. Le contremaître nous a attribué à chacun une " ligne • (c1nq rangées de canne!. J'ai été surpris par la pouss1ère. J'ai beaucoup toussé, mais mon oncle m'a d1t que c'éta1t normal car, pour couper la canne, il fallait d'abord la brûler. sinon elle est impossible à couper. En plus, il y a plein de serpents et de scorp1ons ! C'est le matin jusqu'à 8-9 heures qu'il faut travailler le plus Après, avec la chaleur, ça dev1ent très dur. Jusqu'à l'an dernier, on s'arrêtait le moins possible, parfois on mangeait debout, en plein soleil . Ma1s cette année. le chef nous a dit que. à cause de la loi, on devait s'arrêter une heure. On mange à l'ombre, sous une tente. C'est bien, mais on perd beaucoup de temps. Et comme on est payé au rendement... À la fin de la journée, le contremaître mesure la surface de canne coupée pour nous payer. Le prem1er jour, j'en avais coupé cinq tonnes. J'étals fier, mais très fatigué, j'ava1s mal partout ! Surtout, j'étais déçu par le salaire : seulement 15 reais (environ 6 euros!. Aujourd'hui, j'arrive à faire jusqu'à quinze tonnes par jour De toute façon, SI tu fais m01ns de huit tonnes, le Gato ne te garde pas. On n'arrête pas de nous dire que si on ne travaille pas plus, on sera remplacé par des machines. Ce qu1 est pénible, c'est le soir quand je rentre du travail et qu'il ne reste plus d'eau dans les réservo1rs pour prendre une douche et laver mon linge. Ma1s le p1re, c"est de vivre lotn de ma famille. Quand j'appelle chez moi. ma femme et ma mère pleurent au téléphone et mon fils de s1x ans me demande quand il va pouvo1r ven1r couper la canne avec moi ! Quand je raccroche, moi aussi. je pleure. La canne, c'est un travail difficile Mais j'espère le garder. c'est le seul moyen de nourrir ma famille. •
Propos recueillis par Jean-Claude Gerez
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Des études setenlifiques aH1rment qu'en brûlant la canne, on libère du gaz carbonique et 005 3Ubslanœs chargées en Ollrogene et en soufre QUI seraient responsables de pluies acides
FDM : Quel regard portez-vous sur le développement des agrocarburants au Brésil ? J. P. Stedile : Face aux pressions du prix du pétrole et à l'inquiétude de l'op1n1on publique concernant le réchauffement de la planète, les constructeurs automobiles et les entreprises pétrolières, désireux de maintenir le volume actuel des transports, se sont associés aux multinationales de l'agroalimentaire pour produ1re les • agrocarburants •. En amvant au Brésil, ces entreprises ont coopté le gouvernement de Lula pour que le pays destine une partie de ses terres à la production d'éthanol. Résultat, la surface réservée à la canne devra1t doubler dans les années qui viennent et SOixante-dix-sept usmes de transformation vont être construites. Tout cela sera
un désastre pour l'agriculture brésilienne qui va devenir une économie agro-exportatrice de matières premières.
Quels sont /es impacts de la production d'éthanol sur l'agriculture brésilienne et sur l'alimentation ? Cette augmentation des prix est directement liée à la crise financière internationale. Avec des taux d'intérêt bas, de nombreux capitaux ont été réinvestis pour spéculer sur les secteurs agroalimentaires et miniers, y compris le marché du pétrole. D'où une montée en flèche des pnx. Avec comme 1mpacts au Brésil, une montée des prix des produits agricoles et un démembrement des terres pour favoriser la culture de la canne à sucre.
E 0 M 2 3 2 1 .1 U 1 N- J Ull 1 ET 2 0 0 8
·ésilienne J Pedro Stedile condamne 11entales de l'avancée Jlture créatrice d'emplois.
Avec quelles conséquences sur la concentration des terres et sur l'environnement ? Nous sentons déjà une énorme concentration des terres. Chaque fois que les profits augmentent dans l'agJiculture, comme c'est le cas pour l'éthanol, le prix des terres et la concentration suivent la même tendance. Par ailleurs, nous observons que de nombreux fonds d'investissements étrangers achètent des terres. Cette concentration va aussi entraîner un véritable désastre pour l'environnement Tous ces faits auront sans doute des effets négatifs, y compris sur le réchauffement, ici au Brésil. D'ailleurs, des études ont déjà démontré des incidences de ce type dans les régions où prédomine la monoculture de la canne à sucre.
Quelles sont /es actions du MST pour lutter contre l'avancée des agrocombustibles ? Nous proposons une solution particulière : produire des biocarburants, mais dans de petites usines, avec des surfaces maximum de deux hectares par paysan. Ainsi, chaque paysan pourrait disposer d'un minimum de terres pour répondre à la demande, sans affecter la nature et la production d'aliments. !:énergie produite permettrait de répondre essentiellement à des besoins locaux. Nous devons revenir au principe de la souveraineté alimentaire. Les terres et la nature doivent servir à produire des aliments. Mais pas sous n'importe quelle forme ! Nous devons cultiver, sur de petites unités, avec une diversité de produits qui préservent la nature - sans usage d'agrotoxiques. Une agJiculture qui crée des emplois et permette aux populations de demeurer en milieu rural. •
Jean-Claude Gerez
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__f.Q..M.23 2 1 .Jill N-.J Il 1 LI fI 2008 Les rai son.s__c::f_u.o__cri se 23
-~.._ SŒUR OZANIA
Au côté des coupeurs de canne à sucre Responsable de la Pastorale des migrants,sœur Ozan1a aide les coupeurs de canne à sucre, venus d'autres régions, à faJre respecter leurs droits.
'' M a sœur, votre place est dans une église. Pas à l'entrée de l'usine, avec des coupeurs de canne
en grève. - Sergent, ma place est auprès de ceux qui souffrent et sont exploités. Ces hommes méritent d'être traités comme des etres humains. • La scène se passe en août 2007. Devant l'usine de production d'éthanol • CRV Açucar e Alcool • située à Carmo do Rio tlerde, une bourgade plantée au cœur de 'État de Go1as, une centame d'hommes ont nstallé un piquet de grève et bloquent l'en-
ée du site, malgré la menace des forces de )lice. La plupart viennent du Nordeste, la gion la plus pauvre du Brésil. ~ponsable de la Pastorale des migrants, eur Ozania les connaît presque tous. Elle ur a rendu visite dans les logements de forne mis à leur disposition par l'usine. • Cette ève n'était pas la première, se souvient la ligieuse. Et les revendications étaient tou;rs les mêmes : un meilleur salaire, des
conditions de logement décentes, une nourriture correcte, de reau en quantité suffisante et la fourniture d'un coupe-coupe toutes les semaines et non tous les quinze jours, pour ne pas s'épuiser à la tâche. • Missionnaire de Saint Char1es depuis quinze ans, elle est arrivée dans l'État de G01as en 1999, en provenance de l'État de Rondonia situé à la frontière bolivienne. • Là-bas, je travaillais avec les employés des mines de charbon qw vivaient dans des conditions souvent dégradantes. • Dès son arrivée, elle est frappée par le nombre élevé de travailleurs venus d'autres États pour couper la canne. « Ces
hommes laissent femmes et enfants pendant des mois. Ils se retrouvent souvent dans des conditions de vie misérables, sans per sonne pour les accuetllir et répondre à leurs problèmes. • C'est de ce constat qu'est née l'idée de créer ici une Pastorale des migrants. • Au début, ça n'a pas été facile. Les seules volontaires étaient des femmes assez âgées, sount-elle, qui n'osaient même pas entrer dans les logements des cou peurs de canne ! Et eux étaient souvent honteux de montrer les
conditions misérables dans lesquelles ils vivaient. • Mais la gêne mutuelle a fini par disparaître, les portes se sont ouvertes et sœur Ozania a découvert un monde de souffrances. Deux cents hommes dormant dans des salles de classe, des lits parfois dépourvus de matelas. Après une journée de travail épuisante, une citerne comme source d'eau pour se doucher et laver les vêtements souillés par la sueur et les cendres ... • Certains coupeurs
de canne éta1ent malades et n'avaient même pas de médicaments pour se soigner, se rappelle la religieuse. Inutile de réclamer quoi que ce so1t : à la moindre revendication, c'était la menace de renvoi. • À cela, il fallait ajouter les soucis de famil le, les problèmes admimstratifs ... Les prières ont souvent été remplacées par des réunions où sœur Ozania se livrait à une explication de texte de la convention collective des coupeurs de canne à sucre, un document réactualisé chaque année, mais jamais vraiment appliqué. Les séances étaient largement suivies, y compris par des Évangélistes. • Évidemment, je me suis demandé si, lors de cette grève, je n'allais pas trop loin en m'installant face aux patrons, à la table des négociations. Mais comme le syndicat local ne prenait pas suffisamment en compte les intérêts des coupeurs migrants, je me suis dit que je devais défendre ces êtres souvent méprisés. •
Une VICtoire frag1le
Avec succès, puisque les grévistes ont obtenu à cette époque de substantielles avancées sur tous les points. Une victoire fêtée ensemble : coupeurs de canne, Pastorale des migrants et... représentants syndicaux. Avec, en tête, une menace de la direction : le projet de mécanisation d'une partie de la récolte, synonyme de nombreux emplOIS supprimés. • Cette mesure a déjà été partiellement mise à exécution cette année, explique-t-elle. Et plus des deux tiers des hommes n'ont pas été embauchés. • Des difficultés auxquelles sœur Ozania tente de répondre. •
J.-C. G.
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B CAMPAGNE SUR LES AGROCARBURANTS
Un autre modèle est possible '
1 A A
1 La campagne, qui sera lancée en septembre par le CCFD-Terre solidaire, •~ intervient alors que le soutien européen à ces filières est vivement
ccFo ! contesté. Face aux menaces sur l'alimentation et le développement des populations du Sud. ces ambitions doivent être revues à la baisse et des critères sociaux et environnementaux doivent être ex1gés pour les importations.
'' Si ta production de denrées alimentaires est entravée, ou si ta forêt troptcate est abattue, ça ne fonctionne pas du tout. Nous devrions
y regarder à deux fois avant de miser sur tes biocarburants de manière inconditionnelle •, déclarait le 17 mai dernier, le vice-président de la Commission européenne, Günter~~. Ces réserves émanant d'un haut responsable sont révélatrices du flot de critiques SUSCitées par l'ambitieuse politique de l'Union européenne
moins de 2 % d'agrocarburants et ne pounrait en fournir que 5 % sans entamer son patrimoine alimentaire. Passé ce seuil, il faudra envisager une importation d'éthanol brésilien, de biodiesel africain ou indonésien. Trois facteurs sont directement préjudiciables pour ces populations. Tout d'abord, les agrocarburants encouragent la hausse des prix alimentaires (le FMI estime que la demande compte pour 35 % dans cette hausse des prix) et l'augmentation considérable de cette demande ne peut être compensée par l'offre avant
l l En Europe, la. consommation énergétique des transports augmente chaque année de 1,5 %.
burants à des générateurs électriques ou de la petite mécanisation. Ma1s la réalité est souvent tout autre. Ainsi, en mai dernier, le gouvernement ghanéen a présenté un mégaprojet de 30 000 hectares de canne à sucre sur des terres vierges au centre du pays. Encouragés par les gouvernements, les projets d'investissements étrangers se multJplient dans la plupart des pays d'Afrique. loin de bénéficier des produits fims exportés, les populatJons n'y gagneront que des salaires de m1sère.
Les populations du Sud doivent-elles payer la. facture ? n
longtemps. Deuxièmement, la concurrence sur ces marchés d'exportation encourage le modèle agroindustriel, caracténsé par une concentration des
Commerce mondial, modèles agricoles, choix énergétiques et de consommation ... les agrocarburants posent des questions de fond, qui seront au cœur du nouveau thème d'animation sur le • Sens du développement • du CCFD pour les quatre prochaines années. En Europe, la consommation énergétique des transports augmente chaque année de 1,5 %, ce qui est une des justifications de la Commission européenne. Mais les populations du Sud doivent-elles payer la facture ? • Ne nous voi· tons pas ta face, avertit Olivier De Schutter, nouveau rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, il faut consommer moins d'énergie, utiliser moins d'automobiles, et ne pas se faire d'illusion sur ta capacité des nouvelles technologies à nous permettre de poursUivre notre mode de vie occtdentat. • •
en faveur des agrocarburants. la Directive sur les énergies renouvelables (ORE) du 23 janvier pose comme objectif contraignant aux Étatsmembres l'incorporation de 10 % d'agrocarburants dans leur consommation de carburants pour les transports d'ici 2020. le CCFD-Terre solidaire, qui défend le droit à l'alimentation et au développement des populations du Sud, face à l'expansion de ces filières à l'échelle mondiale, est particulièrement concerné par les politiques et les objectifs des autorités européennes et française. la campagne menée à partir de septembre prochain avec Oxfam France • Agir ici et les Amis de la terre, au moment où la France occupera la présidence de l'Union européenne, portera sur la réorientation nécessaire des objectifs de développement des agrocarburants. Au-delà du débat sur la pertinence des agrocarburants en termes de bilan énergétique (1) ou de lutte contre le changement climatique (2), la menace est directe sur l'alimentation des populations les plus vulnérables du Sud. !.:agriculture européenne produit aujourd'hui
terres et le recours aux monocultures intensives peu créatrices d'emplois. les a0icultures familiales sont particulièrement touchées dans le conflit sur l'accès à la terre et aux ressources naturelles, et les modes de VJe des communautés locales sont bousculés. Enfin, le recours accru aux en~is et aux produits chimiques de cette production à 1t<3nde échelle provoque une pollution des eaux, des sols, de l'air, et un épuisement des ressources naturelles. Pour autant, la Comm1ss1on européenne se refuse toujours à remettre en cause cet objectif. les cntères environnementaux et sociaux sur la production et les importations qu'elle propose pour désamorcer les critiques sont largement insuffisants. Et comment les vérifier, puisqu'il n'ex1ste aucun outil ni organisme de surveillance et de sanction. Pourtant, les filières locales pourraient représenter une alternative. Au Mali, au Cambodge, des projets encouragent les producteurs à associer dans leurs cultures certaines plantes à vocation énergétiques - tel le jatropha -transformées localement pour servir de car-
Ambroise Mazal Chargé de plaidoyer sur la souverameté
alimentaire.
(1) Rapport entre l'énergie globalement consommée pour prodwre une unité d'agrocart>urant, et l'énergie que cet agrocart>urant va dégager.
(2) La mise en culture de surfaces supplémentaires rejette du C02, tandiS que la déforeStabOn diminue le captage de c~. Certa1ns gaz rejetés lors de la combustJon (comme le N~) seraient fortement noofs pour la couche d'ozone.
____ED.M_232 1 J U I N -J lJ IL tE .~...r_c.2:..uo"'-Lo.c..s ______ ___ __._L_e"-s ..caisons d'une crtse 25
Paroles de partenaires Face à la progression de la production d'agrocarburants, les critiques se multiplient, mettant en avant la menace que constituent ces cultures pour les droits de l'homme, l'environnement, la souveraineté alimentaire. et pointant leur rôle dans la crise alimentaire actuelle De nombreux partenaires du CCFDTerre sollda1re sont témoins des conséquences néfastes de ces exploitations.
• !!Institut de DayakologJe en Indonésie La culture du palm1er à huile est largement développée en Indonésie depuis la fin des années 1980. Utilisés jusqu'ici pour la cos· métique ou à des fins alimentaires, les pal· m1ers à huile sont désormais en grande par· tie destinés à la production d'agrocarburants. Mais leurs exploitations requièrent des larges surfaces, qui ont peu à peu gngnoté la forêt : • 7,3 militons d'hectares ont déjà été abattus •, estime l'Institut de Dayakologie. John Bamba, le directeur de l'Institut s'inquiète des consé· quences de leur développement sur les Dayaks, la population ind1gène locale. • Les Dayaks sont devenus dépendants, en tant que pay-
terre •. L:agrîculture v1vrière traditionnelle est peu à peu forcée de laisser la place aux @'andes monocultures de palmier à huile, et les populations doivent quitter leurs villages. Selon les Nations umes, 60 millions de personnes seront déplacées en raison des agrocarburants, dont 5 millions uniquement pour l'Indonésie.
• La Commission Justice et paix en Colombie En Colombie, le 2 pays au monde pour le nombre de déplacés, la population voit elle aussi ses droits menacés par la présence de ces entreprises. Un développement soutenu par le gouvernement qui s'est fixé comme objectif la plantation de • 3,5 millions d'hec-
Arxès avoir abandonné les cultures VMièfes au proht du coton, les j)(lpWilons ru nord du Benin QUI subvenall!llt autrefOIS à leurs besoins. dépendent auJOUrd'llJI du Programme abmenta•re mondial.
sans et consommateurs [ ... ) La pression des entreprises et du gouvernement est telle que de nombreux petits exploitants perdent leur
tares d'huile de palme • pour la production d'éthanol. La Commission Justice et paix travaille avec les petits exploitants chassés de
leurs terres par des groupes paramilitaires pour permettre l'installation des entreposes. "Les cultures destinées à la production cfagrocarburants ont déjà généré des déplacements forcés de populatiOn, des menaces d'assassinat, et des mécanismes de dépos· session des terres, comme c'est /e cas dans Je Curvarado •, dénonce la Commission. Elle appelle à s'attaquer aux rac1nes du problème, c'est-à-dire • le modèle de développement imposé et promu » depuis plusieurs années.
• Synergie paysanne Bénin La production des a~rburants est récente en Afrique. Cependant, de nombreux investisseurs etrangers sont d'ores et déjà à pied d'œuvre et de nouveaux proJets ne cessent d'être annon· cés. Le Bénin est particulièrement touché. ~ans cette compétition entre agriculture vivrière et agrobusiness, • l'agriculteur n'a pas vraiment le choix, explique Synergie paysanne. Le système lui laisse peu de liberté pour d ·eider de ce qu'il veut planter et quand il veut le faire •. Par ailleurs, • l'affectation des t rres fertiles aux cultures énergétiques pourrait entraver la soweraineté alimentaire dans 1 s pays déjà confrontés au problème d'insuffisance alimentaire avec des denrées de plus en plus chères [ ... } Dans le nord du Bénin, les agriculteurs ont abandonné les cultures alimentaires au profit du coton et des arachides. La population qui subvenait auparavant à ses besoins dépend aujourd'hui db Programme alimentaire mondial (Pam). • Le constat de Synergie paysanne est sans appel : " Ce marché mondial naissant des agrocarburants constitue un véritable coup de poignard dans le dos des pays en développement. • •
Jeanne-Maureen Jorand stagiaire plaidoyer