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Michel Roblin Le culte de saint Martin dans la région de Senlis In: Journal des savants. 1965, N° pp. 543-563. Citer ce document / Cite this document : Roblin Michel. Le culte de saint Martin dans la région de Senlis. In: Journal des savants. 1965, N° pp. 543-563. doi : 10.3406/jds.1965.1112 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1965_num_3_1_1112

Roblin Michel. Le culte de saint Martin dans la région de Senlis. 1965

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Michel Roblin

Le culte de saint Martin dans la région de SenlisIn: Journal des savants. 1965, N° pp. 543-563.

Citer ce document / Cite this document :

Roblin Michel. Le culte de saint Martin dans la région de Senlis. In: Journal des savants. 1965, N° pp. 543-563.

doi : 10.3406/jds.1965.1112

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1965_num_3_1_1112

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LE CULTE DE SAINT MARTIN DANS LA RÉGION DE SENLIS

Contribution à l'histoire du peuplement dans la civitas des Silvanectes

Au même titre que l'archéologie et la toponymie, l'étude des patronages des lieux saints, des titulatures des églises et des chapelles, peut nous aider à préciser les origines du peuplement et du défrichement. Les documents écrits gallo-romains, mérovingiens et carolingiens sont en effet trop rares pour nous permettre de dresser un tableau de l'état démographique et économique au cours du premier millénaire de notre ère. En ce qui concerne la région de Senlis, ils ne deviennent nombreux qu'à partir du XIIe siècle, et jusque là pour combler dans une certaine mesure les lacunes de notre documentation nous devons faire appel aux sciences auxiliaires de l'histoire, notamment à l'examen des sources les plus anciennes de la vie religieuse du diocèse, parmi lesquelles les vocables paroissiaux figurent au premier rang \

Leur répartition, apparemment désordonnée, telle qu'elle nous est fournie par la carte, n'est jamais le fruit du hasard, mais il est toujours assez délicat d'en déterminer les mobiles et, en même temps, d'en fixer la chronologie. Certaines dévotions ont été plus favorisées, elles recouvrent l'étendue des temps chrétiens dans leur ensemble, car leur début se perd dans la nuit des premiers siècles de l'évangélisation, tandis que la ferveur ecclésiastique ou populaire ne les a pas encore délaissées. L'historien tirera peu de profit de leur étude et les utilisera, à l'aide d'autres disciplines, afin d'atténuer leur imprécision. D'autres titulatures, au contraire, semblent avoir sollicité moins longtemps la piété des fidèles ; elles peuvent dans ce cas fournir quelques maillons susceptibles de relier le passé au présent. Ces fossiles hagiographiques varient considérablement à l'intérieur du monde chrétien : la Gaule, diffère déjà de l'Italie, de l'Espagne ou de l'Allemagne ; les provinces même offrent de grandes discordances et des diocèses voisins ont suivi des voies sensiblement divergentes.

Saint Martin a été choisi pour illustrer cette méthode en raison de la fréquence de son culte dans le diocèse de Senlis, où le quart des églises est

1. L'essentiel de cette étude a fait, en 1963, l'objet d'une communication à la Société nationale des Antiquaires de France.

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Fig. 1. — Les églises titrées de saint Martin dans le diocèse de Senlis

demeuré sous son invocation 2. Il est en effet indispensable de disposer d'exemples nombreux, capables d'appuyer les suggestions d'une enquête approfondie. Il apparaît aussi que la dévotion, à Senlis comme dans le reste de la France, s'est assez rapidement cristallisée, pour rester cantonnée dans des paroisses érigées au cours du premier millénaire. Sans doute, la fréquence du patronyme Martin, avec ses dérivés, comme Martinet ou Martineau, et ses formes locales, comme Marty ou Marzin, est-elle une preuve de la vitalité du prénom, à la fin du moyen âge ; il est cependant très rare de relever des fondations martiniennes à l'époque capétienne et nous n'en avons aucun exemple pour la région de Senlis. Entre le Ve et le XIe siècle, la marge reste suffisante pour justifier une étude plus détaillée, facilitée par les dimensions

2. Le diocèse de Senlis, supprimé à la Révolution, était d'une superficie très inférieure à celle de l'arrondissement actuel. Sur les rapports entre les limites du diocèse, du pagus et de

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modestes du diocèse et vraisemblablement du pagus et de la civitas dont il a hérité.

Le premier pouillé est trop tardif pour être utile à notre recherche ; constatons seulement avec lui l'existence de toutes les églises de ce titre à la fin du xive siècle et essayons de remonter plus haut.

Les voyages de l'évêque de Tours à travers la France, tels qu'ils sont rapportés par son biographe Sulpice Sévère, ne concernent pas Senlis, mais il est possible que le treizième apôtre y soit passé pour aller de Paris, où il guérit un lépreux, à Amiens, où il partagea sa cappa. A ce moment, les églises sont encore uniformément placées sous la protection du Seigneur et il faut attendre la mort de saint Martin et les débuts du Ve siècle pour les voir désignées par des titres divers, en fonction du culte des martyrs et de la dévotion croissante portée aux reliques, dont la diffusion rapide permet de constater l'unité qui régnait alors dans toute l'étendue de la Romania.

Sulpice Sévère a développé l'idée que Martin, sans avoir enduré les supplices, a souffert un martyre non sanglant, et ceci explique la popularité de sa relique la plus insigne, sa cappa, son manteau, conservée dans la basilique de Tours et protectrice de nos dynasties royales.

Dès le Ve siècle, la renommée du grand thaumaturge franchit les frontières de la Gaule, et Ravenne, dernière possession byzantine, rivalise dans sa piété avec notre pays et lui consacre un somptueux édifice. Grégoire de Tours nous apprend qu'il y avait à cette époque à Paris un oratoire titré de saint Martin, dans l'île, près du Grand Pont, à l'endroit même du miracle ; il est donc normal de considérer le vie siècle comme une date initiale pour la civitas des Silvanectes 2.

Nous connaissons toutefois le lent processus de l'organisation ecclésiastique, de la fin de l'empire romain aux premières années de notre millénaire. La cathédrale fut pendant longtemps la seule église du diocèse 3 ; les vici les plus importants, les castra, furent ensuite pourvus d'édifices cultuels, à l'époque des petits-fils de Clovis et devinrent à leur tour des paroisses ; quant

la civitas, on pourra consulter Michel ROBLIN, Les limites de la civitas des Silvanectes, dans journal des Savants, avril-juin 1963, p. 65-86.

3. Imbart DE La Tour, Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, Paris, 1900, constate l'existence de paroisses rurales dans toute la Gaule, dès le début du VIe siècle, mais le concile d'Arles, en 314, est le premier document à les mentionner. L'auteur étudie simplement les paroisses extérieures à la cité épiscopale et l'adjectif rural désigne de ce fait des agglomérations militaires ou commerçantes auxquelles il semble mal adapté. Il souligne la diversité des origines : dans un ticus ou un castrum par l'évêque et les habitants, dans Yager ecclesiae par l'évêque, dans un domaine, vicus ou villa, par un grand propriétaire, clerc ou laïque, dans des loca déserta, par un reclus ou des moines. Il signale aussi qu'elles furent souvent établies sur l'emplacement de temples païens.

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aux villages agricoles, établis sur les domaines privés ou fiscaux, ils durent attendre parfois le vine ou le IXe siècle pour accéder à l'autonomie religieuse4. Restent toutefois les simples lieux de prière, les oratoires, élevés dans les agglomérations ou en pleine campagne, comme celui qui est signalé à Paris par Grégoire de Tours et qui disparut avant d'avoir été promu au rang d'église paroissiale. Les recherches de Lecoy de La Marche ont montré l'apogée du pèlerinage à Tours sous la dynastie mérovingienne, coïncidant avec les mentions les plus anciennes des églises martiniennes ; d'après cet auteur, le vie et le vne siècle pourraient être considérés comme la période de fondation de la très grande majorité d'entre elles. Il insiste également sur la fréquence de ces édifices le long des voies antiques, qu'il s'agisse de vici commerçants ou de lieux saints du paganisme, et surtout près de fontaines, d'arbres ou de pierres sacrés, christianisés par saint Martin lui-même ou par les évêques, qui, dans chaque diocèse, assurèrent le triomphe définitif de l'Évangile sur les cultes populaires gaulois et romains, au début de la conquête franque5.

Avant de procéder à l'étude de chaque habitat placé sous la protection de Martin, certaines remarques générales nous permettront déjà d'éclaircir le problème.

La toponymie confirme le caractère ancien du nom de ces villages, fixé au cours du premier millénaire de notre ère. Ces toponymes peuvent toutefois se répartir entre diverses catégories :

Borest et Ognon, d'origine prélatine, sans doute gauloise, celtique ; Néry, Plailly, Versigny, typiques des temps gallo-romains et mérovingiens,

bien que d'une interprétation très délicate ; Bouillant, Feigneux, Fresnoy, Noel, Ormoy, d'une explication plus facile

et empruntés à des appellatifs divers souvent passés en français moderne ; et où, comme à Thiers, Tert'mm, Tiers, il n'est pas toujours aisé de séparer l'antiquité du moyen âge, le romain du roman et les considérations linguistiques des incidences historiques ;

Ermenonville et Survilliers seuls, sont caractéristiques d'une époque postérieure au Bas-Empire.

4. Imbart DE La Tour remarque la complexité du problème : les castra et les vici gallo- romains ont été, en général, à l'époque mérovingienne, le siège d'églises administrées par un archiprêtre et pourvues d'un baptistère, tandis que les villae n'ont que des oratoires. Les paroisses peuvent provenir d'une seule villa, d'un groupement de plusieurs villae ou d'un démembrement d'une seule villa; jusqu'à l'époque carolingienne, la seconde solution semble prévaloir et la paroisse est souvent plus étendue que le domaine. Les études plus récentes ont sans doute apporté de nombreux correctifs à ce tableau sommaire, qui reste cependant valable dans ses grandes lignes.

5. Albert LECOY DE La MARCHE, Saint Martin. Tours, Marne, 1881.

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La présentation à la cure ne nous fournit pas davantage de fil conducteur, puisque nous avons le chapitre cathedral à Fresnoy, Ognon, Néry, Ormoy, Borest et Ermenonville, le chapitre de Saint-Frambourg à Plailly, le prieur de Saint- Arnoult de Crépy à Feigneux, celui de Saint-Martin des Champs à Survil- liers et l'évêque lui-même à Versigny et à Bouillant. Cet état médiéval n'offre d'ailleurs pas des conditions d'ancienneté suffisantes ; il permet toutefois d'établir que l'unité du patronage martinien est antérieure à la diversité des présentations, ce qui nous ramène toujours à l'époque préféodale.

La répartition géographique est déjà plus instructive. Sur treize paroisses, neuf sont situées à la périphérie du diocèse : Survilliers et Plailly du côté de Paris, Ermenonville, Versigny et Ormoy du côté de Meaux, Bouillant, Feigneux et Néry, de Soissons et Noel, de Beauvais. Cette distribution ne saurait être accidentelle ; on voit mal cependant les motifs qui auraient conduit les évêques à ériger des autels en ces lieux frontaliers ; on connaît fort bien au contraire le caractère sacré des limites territoriales dans les religions antiques et dans ce cas l'hypothèse de la christianisation de lieux saints du paganisme vient naturellement à l'esprit. L'enquête permettra de la transformer souvent en certitude, tout en ajoutant d'autres éléments aux raisons mystiques des temps celtiques et romains.

Néry, Neriacus. qui apparaît probablement dès le vine siècle 6, à la frontière des Silvanectes et des Suessions, est situé sur la Chaussée Brunehaut, voie antique bien identifiée, conduisant de Senlis à Soissons par Champlieu. Le village est à l'écart de la route qui intéresse davantage la ferme de Feu, habitat cité au XIIe siècle. L'église elle-même est à l'écart du village, elle lui semble étrangère, et répondre à un choix indépendant de considérations paroissiales et sociales. Le site en est caractéristique : le rebord très abrupt d'un profond ravin où sourd la plus grosse fontaine de la région. Le nom de cette source, la Douye, est une simple variante orthographique d'un appel- latif, aujourd'hui cristallisé en hydronymie, douix, réservé aux fontaines à gros débit et notamment aux résurgences des pays calcaires. Saint-Martin est situé exactement en face de la Douye et là non plus le hasard ne doit être invoqué. Néry, en effet, Neriacus, ne se laisse expliquer par aucun nom per-

6. Marcel BAUDOT, Localisation et datation de la première victoire remportée par Charles Martel contre les Musulmans, dans Recueil de travaux offert à M. Clovis Brunei, 1955, p. 93- 105, a supposé que la notule pucna in Nirac du calendrier de saint Willibrord, concernait une victoire de Charles Martel contre Chilpéric II à Néry en 719 et non la célèbre bataille dite de Poitiers, de 732 ou 733. Néry apparaît ensuite au XIIe siècle, notamment en 1186, décima de Neriaco {Recueil des actes de Philippe Auguste, n° 185). (Renseignements communiqués par M. L. Carolus-Barré).

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Fig. 2. — Néry : l'église, la fontaine et la route.

sonnel latin ou celtique ; c'est également un hydronyme 7 que l'on retrouve dans un certain nombre de localités installées à proximité de fontaines souvent salutaires, avec les variations dialectales habituelles 8.

7. L'aspect purement linguistique de la question a été l'objet d'une communication au Congrès international d'onomastique d'Amsterdam, en 1963 : Michel ROBLIN, Les hydronymes de la région de Senlis, qui doit incessamment paraître dans les Actes de ce congrès.

8. Nous avons relevé un certain nombre de toponymes pouvant se rattacher à cette série et vérifié la présence de la fontaine : à Neyrieux, hameau de Virigneux (Loire), la fontaine du

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Nérac (Lot-et-Garonne) n'est pas une station thermale, mais les quatre fontaines des Poupettes, de la Fontindelle, Saint- Jean et du Dauphin constituent son plus bel ornement ; elles expliquent non seulement des constructions comme le pavillon des bains du roi de Navarre, mais les ruines romaines, mises au jour en 1832, de bains et peut-être d'un temple, avec une superbe mosaïque.

Neyrac-les-Bains, hameau de Meyras (Ardèche) , possède des sources thermales bicarbonatées ferrugineuses, utilisées contre la lèpre au moyen âge et connues dans l'antiquité, ainsi qu'en témoignent quelques rares vestiges architecturaux.

Néret (Indre) ne nous offre qu'une simple source9, alimentant le lavoir et aussi la grande fontaine publique, surmontée de la statue de saint Martin, également patron de l'église paroissiale. Sur le ban communal a été trouvée la sculpture antique dite la sphinge de Néret, et l'importance archéologique de la commune voisine de Châteaumeillant, mediolanum celtique, justifie suffisamment le rôle mystique des eaux de ce Neriacus biturige.

Dans la même civitas, Néris-les-Bains, Neriensis, est issu d'une forme adjectivale du toponyme Aquae Nerii. Ici, le thermalisme est toujours présent et des inscriptions antiques découvertes au milieu des ruines des bains romains nous donnent même, avec la dédicace Deo Nerio, l'aspect religieux de la ferveur manifestée pour les eaux salutaires. Il n'est pas certain que la dédicace prouve la dévotion des Gallo-Romains à un dieu nommé Nerius, protecteur des eaux thérapeutiques ; un dieu véritable se passerait de l'épithète deus et les autres localités sont parfois simplement fontainières ; il peut s'agir seulement de la déification de la source, sous son nom celtique originel ou même de la localité, cette dernière désignée par l'hydronyme Nerius. De toute façon, tous les habitats pourvus de noms apparentés de cette série sont situés à proximité de sources assez individualisées pour leur avoir donné leur nom celtique, appellatif ou nom divin, et dans un cas comme dans l'autre, l'hypothèse d'un culte se présente à l'esprit : ce n'est donc pas par hasard que nous constatons le patronage de saint Martin à Néry, à Néret et à Néris 10. Aucun

Lion et la fontaine Bugiron ; à Néré (Charente-Maritime), la source abondante de la Nie. Il est possible que le même radical, avec un suffixe différent, se retrouve à Nérigny (Cher), où se trouve la source captée par les Romains pour alimenter Bourges, à Nérondes (Cher), à Néron (Eure-et- Loir), etc..

9. A Néret, signalé à notre attention par M. Jean Hubert, les formes anciennes, XIIIe s. Nierec, 1327 de Nereto, XVIe s. Nérez, Néretz, ne garantissent pas une terminaison en -iacus, mais ne s'y opposent pas catégoriquement.

10. Ibique aedificato oratorio ac sancti Martini reliquiis consecrato, nous apprend Grégoire de Tours, dans la Vie de saint Patrocle.

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témoignage archéologique n'a été signalé dans les parages de la Douye et l'exiguïté du vallon en est peut-être la cause ; il conviendrait de faire des recherches autour de l'église et dans la petite conque latérale où se trouve un lieu-dit curieux, la Chambre Dorée, avec des pentes gazonnées parsemées de blocs de maçonnerie.

La Douye n'a pas été christanisée ; il n'en est pas de même dans la localité voisine de Saintines, dont le ban paroissial, très exigu, apparaît sur la carte comme un démembrement ancien de Néry. L'église, consacrée à saint Denis, est construite sur la fontaine qui sourd à son flanc septentrional. Dédiée à saint Jean-Baptiste, elle passait pour guérir de l'épilepsie et donna lieu au XVIIe siècle à des désordres tels que l'évêque dut intervenir ; il n'y eut jamais une ferveur comparable pour ses voisines, la fontaine Saint-Denis, la fontaine Sainte-Geneviève et la fontaine Saint-Martin. Cette dernière, sur le chemin qui conduit à Néry, ne guérissait que la fièvre, et le treizième apôtre y aurait abreuvé son cheval. Même si la christianisation des sources de Saintines est

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Fig. 3. — Le site d'Ognon.

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très postérieure à 1' evangelisation du pagus, elle prouve le maintien tardif de leur caractère salutaire et religieux, origine de l'importance mystique du site aux premiers siècles de notre ère et du toponyme Saintines, Sanctinae, les saintes, les fontaines saintes du paganisme.

Ognon nous suggère les mêmes remarques que Néry. La Chaussée Bru- nehaut est proche, mais étrangère à l'habitat ; la source, également très abondante, est ici christianisée sous la protection du patron paroissial. La fontaine Saint-Martin est assez éloignée du village ; par contre l'église est située en son milieu. Le nom d'Ognon est une variante de celui u de la rivière, l'Onette, aujourd'hui l'Aunette, un hydronyme apparenté à l'abondante série Orne et Ornain. La plus grosse source de l'Aunette 12, peut-être captée par les Romains, jaillit dans la paroisse voisine de Bray, consacrée à saint Georges, fréquemment associé lui aussi à la lutte contre le paganisme, très proche de saint Martin en iconographie et qui a finalement pris sa place à Néris. Si un culte rendu aux matres de l'Aunette est possible à Bray et à Ognon, cette dernière paroisse contient sur son territoire un élément cultuel enigmatique et d'une importance majeure, le temple gallo-romain où furent trouvés les ex-votos conservés au musée de Senlis. Le site de la fouille était approximativement connu de quelques archéologues, mais confondu par les cartes avec un emplacement voisin où subsistent les vestiges d'une construction difficilement datable. Contrairement à certaines localisations imprécises, le sanctuaire n'est pas situé sur le ban de Villers Saint-Frambourg, mais sur celui d'Ognon ; sans doute ces limites ont-elles pu varier au cours des siècles, d'autant plus qu'il s'agit de cantons boisés depuis au moins mille ans et possédés par le roi, il n'empêche qu'aucun lien ne semble unir le temple avec Villers et surtout avec le tertre du Chatillon et les fontaines du mont Pagnotte, distants de plusieurs kilomètres 13. Il est au contraire à quelques centaines de mètres de la frontière des Bellovaques, fixée au pied du mont Saint-Christophe, sur la Chaussée de

11. Ognon a également été analysé du point de vue toponymique dans l'article consacré aux hydronymes de la région de Senlis.

12. Ces fontaines ont -ies débits variant entie 80 et 120 litres. 13- Les fouilles eurent lieu en 1872 ; le compte-rendu d'Amédte de Caix de Saint- Aymour

parut seulement en 1903 {Congrès archéologique de France). Sur le plan cadastral d'Ognon, le site du Temple correspond à une parcelle D14 du lieu-dit Les Grueries, qui renferme également 1'extrtmité, encore bornée, du bois seigneurial d'Ognon. Sur la carte établie au XIXe siècle par le service des Eaux et Forêts, le site appartient à la série dite de la Mare Lirandon de la forêt domaniale d'Halatte. La mare Lirandon est à cinq cents mètres du temple et ne saurait être sa justification ; elle est déjà mentionnée sur les cartes du XVIIIe siècle et son nom est enigmatique. Les Grueries sont une allusion à la gruerie de Villers, des bois concédés sous certaines conditions par le roi aux chanoines de Saint-Frambourg de Senlis et récupérés en 1638. Le temple était donc situé dans un canton, boisé au moins depuis le XIe siècle, initialement royal et tombé peu à peu en des mains laïques et ecclésiastiques.

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Fig. 4. — Le site du temple gallo-romain de la forêt d'Halatte.

Pontpoint, voie antique conduisant de Senlis à Pont Sainte-Maxence. Le dieu anonyme était guérisseur et cependant aucune source, aucune mare, n'existe actuellement dans ses environs immédiats. Il est placé sur une sente unissant Chamant à Villers par le hameau disparu de Malgenet et dont le caractère « anhistorique » n'est nullement une preuve d'ancienneté. Il n'est pas en liaison directe avec le village d'Ognon dont le site est toutefois assez rapproché. Des fouilles méthodiques permettraient seules de sortir du domaine des conjectures ; on peut cependant relever le synchronisme entre la destruction du sanctuaire, à la fin du IVe siècle, les missions de saint Martin et le culte rendu à cet évêque dans le sanctuaire chrétien le plus voisin.

Bouillant est un site fontainier analogue à Saintines. Il est caractérisé, non pas par de grosses sources, comme à Néry, à Bray et à Ognon, mais par de faibles bouillons qui sourdent au creux d'un vallon marécageux. C'est là l'origine du toponyme, d'époque romane ou romaine, et qui contient la même

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allusion que l'hydronyme celtique Bourbon à des fontaines dont le bouillonnement s'oppose simplement au jaillissement, sans être forcément provoqué par la chaleur. L'une des sources de Bouillant, dont l'eau passe encore pour un excellent fébrifuge, est connue sous le nom de fontaine Saint-Martin, elle bouillonne au pied même de l'église, construite ainsi sur la nappe aquifère, comme le village. L'ancienneté de l'habitat et son importance dans l'organisation ecclésiastique s'appuient sur la présence à Bouillant d'une résidence secondaire de l'évêque, utilisée dans ses tournées dans le Valois, tandis que l'église du village était alors promue au rang de capella episcopalis domus 14. Le caractère salutaire des eaux, communiqué au site, puis aux édifices sacrés, s'est finalement concrétisé, au début du xixe siècle, dans une dévotion à un obscur martyr, saint Guinefort, sur la statue duquel, dans l'église, les fiévreux frottaient leurs linges. Les superstitions du paganisme, à en croire Carlier, en général bien informé des choses de son temps, auraient toujours été spécialement ancrées dans la mentalité populaire, ce qui peut nous sembler parfai- fement explicable par le contexte hydrologique, mais pouvait étonner dans une paroisse directement soumise à l'évêque15.

Noël Saint-Martin apparaît en 913, Nauta, à propos d'une confirmation16 par Charles le Simple des biens de Saint-Corneille de Compiègne qui y possédait trois manses et demi. Le village est qualifié de villa et situé avec précision in pago Silvanectensi. Le même acte signale également la localité limitrophe homonyme de Noël Saint-Rémy, Nauta, pourvue seulement d'une capella, et appartenant en totalité à l'abbaye, avec le titre de villula et située in pago Belvacensi. Les frontières entre les trois civitates des Silvanectes, des Suessions et des Bellovaques, qui convergent du côté de Noel et de Villeneuve- sur- Verberie, étaient fort imprécises et quelques années plus tôt un litige entre les évêques de Beauvais et de Soissons avait nécessité l'intervention de Charles le Chauve. L'identité toponymique permet d'établir l'unité primitive d'une villa silvanecte dont le nom est une allusion aux prairies marécageuses, à la noue, nauda, des sources de la Rouanne. Elle est fractionnée au profit d'une

14. Curatus de Bouillant... quae ecclesia de Bouillant capella episcopalis domus esse dignos- citur (Gallia Christiana, X, Instrumenta, 466). Une déclaration des fiefs de l'évêché de Senlis au XVIe siècle (Archives départementales de l'Oise, G 636) mentionne : à Bouillant et Géresme, hotel seigneurial, justice, depuis plus de huit cents ans. Ceci nous reporte aux temps mérovingiens ; sans doute convient-il de ne pas prendre ces affirmations au pied de la lettre, mais on remarquera toutefois que le même document ne donne que six cents ans aux droits épiscopaux à Chaînant, quatre cents à Aumont, cinq cents à Baron.

15. En 1877, des cercueils en pierre furent exhumés à Bouillant: l'un contenait une fibule en bronze d'un art assez archaïque.

16. Recueil des actes de Charles le Simple, éd. G. Tessier, n° LXXV.

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villula, rattachée au diocèse de Beauvais et échappe finalement à Senlis pour être annexée au diocèse de Soissons 1T.

Si en 913 la chapelle de la villula est citée, alors que l'église de la villa est passée sous silence, c'est que la première appartenait aux moines de Saint-Corneille, tandis que la seconde leur échappait avec la majeure partie du terroir de Noël-Saint-Martin. Cette église, entourée de son cimetière, se dresse sur un mamelon constituant la dernière avancée du plateau limoneux cultivé en céréales ; le village est au contraire établi dans le vallon, dans la noue éponyme, à la source de la Rouanne, et la nomenclature cadastrale, avec des noms archaïques de lieux habités, à l'origine du moins, comme ha Rue Rosée et La Rue Heurtée, indique sa permanence. Le culte aurait pu correspondre à une christianisation de la source de la Rouanne, mais on s'étonnerait dans ce cas qu'il n'ait pas retenu cet hydronyme, sans doute gaulois malgré son apparition tardive dans les textes, pour adopter un appellatif plus imprécis comme nauda. Sans rejeter complètement l'influence de cet élément, il convient donc de rechercher le rôle d'autres facteurs, qui tiennent compte justement de la position excentrique de l'église. L'éperon non fortifié matérialise nettement la triple frontière commune aux Silvanectes, aux Bello- vaques et aux Suessions, sur un chemin encore très fréquenté au moyen âge, unissant la Champagne aux Flandres. Or, le plan cadastral indique clairement, avec la désignation chemin de Flandre, le tracé de cette voie sur laquelle se dresse l'église Saint-Martin. Comme à Néry, c'est à une conjonction de la route, de la frontière et de la source que nous devrions le caractère religieux du site ; seul différerait l'ordre d'importance de ces éléments.

Le caractère sacré d'un site préchrétien semblerait exclu à Ermenonville. La toponymie est ici spécialement imperative et le nom personnel Irmino, même si nous devons toujours ignorer l'identité de son détenteur, ne saurait être antérieur au vie siècle et à la mode des anthroponymes germaniques : aucune allusion possible à un habitat celtique ou gallo-romain. Remarquons cependant que, comme à Néry et à Noel, l'église est dans une position excentrique, sur le rebord d'un plateau abrupt dominant la vallée marécageuse de la Launette où était installé le château 18, tandis que le village a choisi les pentes

17. Il n'est possible de rattacher Noël Saint-Martin au diocèse de Senlis qu'en y adjoignant également Villeneuve et Noël Saint-Rémy.

18. M. Charles SAMARAN, Paysages littéraires du Valois. De Rousseau à Nerval. Paris, Klinck- sieck, 1964, a montré que le site du château et celui de l'église d'Ermenonville n'avaient pas varié au cours du moyen âge. Il remarque les inconvénients dus aux marais près desquels s'élevait le manoir. Tous les historiens insistent depuis un siècle au moins sur le caractère insalubre de la vallée de la Launette et il serait curieux que l'habitat primitif n'ait pas été situé sur le plateau.

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M G A/ TL-C 6-7\/O iV

Fig. 5. — Ermenonville et le bois de Perthe.

inférieures de la côte. Cette dualité est déjà signalée au XIIe siècle, lors de la confirmation épiscopale des biens du chapitre cathedral. Alors que les églises des villages sont simplement désignées du nom de ces derniers, sans indication de titulature, une précision insolite mentionne ecclesiam Sanctï

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Martini de Ermenoldi villa. Les environs cultivés de l'église constituent, sui le plan cadastral, le Fonds du Bois de Perthe, et le bois de Perthe recouvre une centaine d'hectares sur la commune voisine de Fontaine-Chaalis. Ce bois apparaît dès le xme siècle, nemus de Perta, au moment de son entrée dans le domaine de Chaalis par suite d'échanges avec les Bouteillers de Senlis, seigneurs d'Ermenonville 19. Il est délicat de savoir si le toponyme a désigné originellement la forêt ou un habitat disparu. La seconde hypothèse est plus vraisemblable, car les noms des lieux habités permettent plus souvent un archaïsme comme celui-ci. Perta est en effet un toponyme celtique, qui apparaît dans une inscription antique de la région nîmoise, Pertae ex voto 20, et se retrouve une dizaine de fois sur notre sol national. L'inscription établit que le nom de lieu est aussi un nom de divinité et le problème se trouve de nouveau posé, comme pour Nerius : dieu abstrait ou simple divinisation d'un élément naturel ou d'un groupement humain ? Le lieu de la découverte de la dédicace, le lit du Vistre, près de la fontaine du Peirou, avait suggéré l'idée d'une divinité protectrice des ruisseaux ou des sources, mais cette hypothèse ne semble guère justifiée par le site de la plupart des localités homonymes, et on a avancé également celle de la divinisation d'un élément végétal, les bosquets et les halliers21. Le site du bois de Perthe et de Saint-Martin d'Ermenonville donnerait davantage de poids à la seconde hypothèse : les sources sont éloignées et surtout abondantes dans le vallon, alors que le toponyme semble circonscrit aux dernières avancées du plateau calcaire. De toute façon nous sommes toujours en présence des mêmes données historiques, malgré les variations locales : la frontière, la route et la divinité.

Plailly, dont le terroir est limitrophe de la civitas des Parisii, est un village attesté dès l'époque mérovingienne, et des monnaies, frappées Plaitiliaco. témoignent de son importance sous les rois francs. La voie antique de Paris à Senlis passait sur le ban paroissial, mais assez loin du village où Saint- Martin occupe une place centrale. Le nom, obscur, ne fournit aucun indice valable ; il en va différemment avec celui du hameau 22 de Montmélian, dépendant de la paroisse de Mortefontaine, distraite de Plailly en 1276. La butte

19- En 1273, Jean de Tilly échange la forêt de Perthe avec Chaalis contre des bois du côté de Commelles ; il tenait cette forêt de l'héritage de sa femme Jeanne, de la famille des Bouteillers.

20. ESPÉRANDIEU, Inscriptions latines de la Narbonnaise, n° 519. 21. PAULY-WlSSOWA donne la bibliographie de la question. Le Dictionnaire étymologique

des noms des communes de Dauzat et Rostaing admet la seconde hypothèse, émise par Mars- trander en 1928. Il conviendrait d'enquêter dans toutes les localités homonymes, de la Marne, de l'Aube, des Ardennes et de Seine-et-Marne et d'y rattacher peut-être le nom du Perche, Perticus.

22. Il y avait à Montmélian une chapelle, dédiée à la Vierge et signalée tardivement.

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de Montmélian, au relief nettement individualisé, a sa place dans le folklore de la région, avec celles de Montépilloy et d'Aumont, et il est possible de considérer favorablement pour la seconde partie du nom l'hypothèse d'un Mediolanum celtique, comme dans toutes les localités homonymes. Ce sanctuaire serait-il celui où saint Rieul aurait détruit une statue de Mercure ? La Vita, carolingienne23, la situe cependant à Louvres, au creux du vallon voisin, dont l'église est justement titrée de l'évêque de Senlis, mais ce n'est pas une raison suffisante.

Borest apparaît avec précision au XIe siècle, Borretum 24, à propos de la voirie de la villa, abandonnée aux génovéfains, seigneurs de la localité, par le comte d'Anjou, Geoffroy Martel. Le fait attire l'attention sur l'importance commerciale du site où trois ponts permettent de franchir la Nonette, le pont de Corne, le pont Saint-Martin et le pont de la Bultée, en assurant notamment le passage d'un chemin unissant Dammartin à Verberie. Au XIIIe siècle déjà les Génovéfains attribuaient leurs droits à une générosité du roi Clovis et dans ce cas la titulature martinienne remonterait peut-être à une période légèrement antérieure. L'église, comme à Néry et Ermenonville, semble étrangère au village, elle se dresse sur un mamelon dominant les bords du ruisseau où l'habitat s'est concentré. Au xine siècle, les villageois avaient obtenu des religieux l'autorisation d'assister aux offices dans leur propre chapelle, plus centrale. Le toponyme, inexpliqué, est sûrement prélatin. L'archéologie enrichit le dossier avec le plu? beau mégalithe de la région, un menhir de grès de trois mètres de hauteur, la Pierre de Borest ou la Oueusse de Gargantua, dont le maintien, depuis trois millénaires au moins, ne s'explique que par la vénération des habitants.

C'est également une pierre25 qui attire notre attention à Ormoy, à la frontière des Meldes, loin de tout chemin d'intérêt général. Il ne s'agit pas d'un mégalithe, mais d'une pierre sculptée par les agents naturels. La Pierre Coq est un énorme bloc de grès de sept mètres de haut, de treize mètres de large à la base, rétréci en son milieu, en sorte que la partie supérieure figure une tête gigantesque. Elle se dresse dans les bois de pins et de bouleaux

23. Dans la plus favorable des hypothèses, puisque le plus ancien texte est un manuscrit du XIe siècle qui mentionne une fille de Charles le Chauve.

24. De villa ipsorum, quae in Silvanectensmm sita comitatu, Borretumque tocabulum, viariam totam ad integrum et de piano et de sylva (Gallia Christiana, VII, Instrumenta, col. 222). R. GlARD, Notes sur le village de Borest, dans Revue des questions historiques, LXX, 518-523, signale l'acte précédent et surtout le cellerier de Sainte-Geneviève, qui précise l'exploitation du village au XIIIe siècle.

25. Louis GRAVES, Notice archéologique sur le département de l'Oise, Beauvais, 1856, donne une description précise de toutes les pierres remarquables de la région.

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au sud-est du village, sur la pente d'un coteau sablonneux couvert de rochers aux formes étranges ; le paysage a conservé un aspect insolite propre à frapper l'imagination. Dans le voisinage, sur la paroisse de Rouville, on peut admirer la Pierre Sortière, où l'on signait jadis les contrats de mariage, et surtout la Pierre Foucart, où la nature et l'homme ont uni leurs efforts dans un assemblage de sept blocs dessinant un cercle de quinze mètres de diamètre. Ormoy, dont le nom ne suggère rien d'autre qu'un défrichement d'époque imprécise au milieu d'un bois d'ormeaux, fut probablement habité cependant dès l'époque romaine, si l'on en juge d'après un trésor de cinq cents monnaies, découvert en 1840 dans les fondations d'une maison du village.

Sur les frontières des Suessions, Feigneux a attiré également sur son site la sollicitude des dieux antiques. L'association d'un culte à saint Michel, à une époque plus tardive, détermine l'origine probable du caractère mystique, un haut lieu dominant le vallon ramifié, affluent de l'Automne. Le nom, malgré son apparition ancienne, Fenit ou Fenil en 920 26, n'est pas d'une explication aisée ; il peut aussi bien être une allusion au marais, aux fagnes du vallon, à une grange à foin, un fenil, ou à tout autre élément susceptible d'être philo- logiquement acceptable. L'habitat est attesté à l'époque antique par quelques trouvailles monétaires, et nous pouvons même remonter jusqu'à l'âge de la pierre polie avec la plus belle grotte sépulcrale de la région, trente-cinq squelettes, découverts en 1887 au lieu-dit Le Larris Barré, au-dessous du Saut du Prêtre qui marque le rebord du plateau 27. Il est possible que le destin de ce haut lieu soit un héritage préceltique, mais il nous manque, pour appuyer cette conjecture, des témoignages gaulois et gallo-romains et l'Archange assure la garde des seuls cimetières chrétiens.

Dans neuf paroisses martiniennes, il a donc été relativement aisé de déceler un substrat religieux préchrétien, d'origines diverses et associé fréquemment au trafic routier et au voisinage de la frontière.

Les exemples qui vont suivre ne négligeront pas cet aspect du problème, mais permettront de constater son caractère différent. Alors que jusqu'à présent le culte est provoqué souvent par des phénomènes naturels et qu'il précède dans le temps le groupement humain installé à ses abords, nous constaterons ici la priorité de l'habitat. Point de sanctuaires voisins de la fontaine,

26. Recueil des actes de Charles le Simple, n" CV. Feigneux est alors une dépendance du fisc de Fresnoy-la-Rivière.

27. L. GlRAUX, La grotte sépulcrale de Thiverny, dans la Revue anthropologique, 1924, p. 254- 271, d'après To PINARD, La grotte néolithique de Feigneux, dans le Bulletin de la Société d'anthropologie, 1887, p. 527-547.

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Fig. 6. — Les voies anciennes et le passage de la Thève.

de la pierre ou de la butte tutélaires, mais des postes routiers, des vici, des agglomérations commerçantes où le temple constitue un simple rouage de la vie collective. On sait toutefois l'importance des bourgades commerçantes dans la diffusion de l'Évangile, le rôle joué par les colonies orientales, grecques et italiennes, plus perméables aux doctrines philosophiques nouvelles que la paysannerie inculte des villae, pour apprécier à leur valeur ces dernières preuves de la superposition en un même lieu des manifestations successives de la vie cultuelle.

Thiers, Tertimn, est aujourd'hui une calme bourgade rurale, à trois kilomètres de la route qui franchit, depuis des siècles, la Thève à Pontarmé. Cette voie sort du castrum de Senlis par la porte méridionale, l'une des deux portes indiscutablement primitives de l'enceinte du 111e siècle, et entre les deux sites, la rectitude du tracé et les allusions médiévales permettent d'attribuer

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sa création, ou du moins son essor, aux dernières années de la domination romaine. La route utilisée au Haut-Empire n'était pas forcément identique, d'autant plus que le repliement de Senlis sur son mamelon occidental eut pour conséquence normale un déplacement dans cette direction de voies convergeant plus tôt vers le secteur oriental, resté en dehors des murs, et franchissant la Nonette sur ce qui sera appelé le pont Jumel au moyen âge 28. Thiers est précisément situé sur ce tracé oriental, la chauciée de Thiers en 1343, cependant qu'une communication directe avec la porte sud du castrum tend à affirmer que le poste routier a survécu au déplacement urbain et qu'il s'était adapté à la nouvelle situation. La Thève était franchie à cet endroit, distant de trois lieues gauloises, environ sept kilomètres, et il est plausible de voir là l'origine du toponyme Tertium, ad tertium lapidem, le troisième milliaire sur le chemin de Paris r9.

C'est un peu avant Louvres que ce tracé 30 antique était rejoint par le nouvel itinéraire, après avoir desservi le village de Survilliers. Ici, le substrat préchrétien peut également avoir bénéficié de la proximité de la frontière. On remarquera aussi l'aspect tardif du toponyme qui indiquerait une exploitation agricole d'époque franque. La paroisse, dans ces conditions, pourrait provenir d'une distraction de l'église voisine de Plailly, dont elle aurait conservé la titulature.

Parmi les paroisses de la ville de Senlis, il n'est pas étonnant d'en découvrir une, supprimée depuis longtemps, consacrée à saint Martin31. L'église, démolie, était située sur une butte insubmersible sur la rive gauche de la Nonette, en dehors non seulement du châtel, le castrum du Bas-Empire, mais aussi de l'enceinte médiévale. C'est là que la route de Paris, sortie de la porte méridionale gallo-romaine, passait la rivière. Ce tracé, dont nous avons déjà vu l'origine tardive en ce qui concerne les relations entre Lutèce et Augustomagus, emprunte au début la direction d'une autre voie, orientée vers l'Oise et le pont antique de Bernes ; et le site du faubourg Saint-Martin s'accomoderait par conséquent d'un habitat antérieur à la route médiévale de Paris et contemporain de la voie de Bernes. Entre la Nonette et l'Oise, il fallait également franchir la Thève, comme à Thiers, et le hasard n'explique

28. Le problème a fait l'objet d'une communication à la Société nationale des Antiquaires de France, en avril 1964 et d'un article, Cités ou citadelles ? dans la Revue des Études anciennes.

29- La première notation conservée, 1040 apud Tertiam tenant, est au féminin, Tertium apparaît en 1200 et dès lors le toponyme ne varie pas dans les textes. (Emile LAMBERT, Toponymie du département de l'Oise! n° 529).

30. GRAVES, op. cit., p. 235. Cet auteur lui fait franchir la Thève, près du château de Thiers. 31. L'étude des paroisses urbaines de Senlis est également l'objet de notre article précité.

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sûrement pas pourquoi l'église de Coye, située dans le pagus Bellovacensis, et où avait lieu le passage, est titrée de saint Martin. Saint-Martin de Senlis, comme toutes les paroisses de la ville, à l'exception de la cathédrale et de Saint- Rieul, n'est citée qu'au XIIe siècle 32, mais ce fait n'empêche nullement une ancienneté bien plus reculée et l'apparition dans les textes ne signifie pas la date récente de la création. En tant que paroisse secondaire d'une ville épiscopale où la cathédrale resta longtemps la seule église, Saint-Martin de Senlis est certainement d'une érection postérieure à celles des autres églises martiniennes relevées dans le reste du diocèse ; mais ces érections ont rarement lieu ex nïhilo et presque toujours le titre de paroisse, d'ecclesta parochialis, est conféré à des fondations religieuses antérieurement désignées par des termes comme capella ou oratorium, parfaitement explicites. A Senlis même, Saint-Etienne est devenu église au xnie siècle par simple promotion d'une chapelle ; à Mortefontaine, Saint-Barthélémy est devenu indépendant de Saint- Martin de Plailly au xine siècle dans les mêmes conditions. Il faut esquisser ainsi le processus ecclésiastique à Senlis : fondation mérovingienne d'un oratoire dédié à saint Martin dans un vicus assez éloigné, sur une voie antique, à l'entrée de la ville, près du pont ; transformation de cet édifice modeste, de cette chapelle, en église de plein exercice beaucoup plus tard, peut-être seulement à la fin du premier millénaire.

Les deux derniers exemples de Versigny et de Fresnoy-le-Luat sont les plus difficiles à analyser.

Versigny marque l'entrée de la civitas, du côté des Meldes, sur un chemin 33 bien connu, mais d'une datation délicate, unissant Meaux à Pont-Sainte- Maxence par Baron, Montépilloy, Le Thierry, et le Chatillon de Villers-Saint- Frambourg, et l'importance de Pont, depuis vingt siècles au moins, est une garantie du rôle capital joué par ce chemin. Versigny s'étale sur le versant assez raide baigné par la Nonette naissante et c'est peut-être là l'origine du nom, issu d'un dérivé de versus et qui aurait indiqué le revers, la retombée du plateau. L'église, à l'extrémité du village, est placée sur le rebord d'un chemin venant de Baron, qui, après avoir passé la Nonette, rejoint le chemin de Meaux à Pont, franchissant le ruisseau sur le pont dit Anglais de Baron. Il est aussi commode d'emprunter pour cela le pont de Versigny, et ce fait

32. Gallia Christiana, X, Instrumenta CXXVI. 33 Ce chemin est encore indiqué sur tous les plans cadastraux des communes qu'il traverse.

Les divers problèmes d'habitat suscités par son passage sont étudiés dans une communication au Congrès de Nice des Sociétés savantes, en 1965 : Les habitats disparus dans la région de Senlis.

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augmenterait l'importance commerciale de la localité, située de toute façon sur le chemin de Nanteuil-le-Haudouin 34.

Fresnoy-le-Luat est aujourd'hui un petit village dont l'église fut jadis le centre d'une paroisse démembrée au profit de Saint-Jean l'Evangéliste du Luat et de Saint-Médard d' Auger Saint-Mard. Le lieu-dit Le Vieux Cimetière montre l'emplacement insolite des sépultures et sur le chemin de Chavercy, le lieu-dit La Croix Lisot ou La Croix Lizeau 35 confirme le fait. Il est possible que ce chemin ait été décisif dans le développement de Fresnoy, mais les assertions de Carlier et de Graves ne semblent pas toujours confirmées par la topographie. Comme à Ormoy, la toponymie suggère la priorité de la forêt ou du moins du bosquet éponyme et l'archéologie ne nous donne malheureusement aucun indice sur la date du premier défrichement.

L'examen historique, archéologique, toponymique et géographique des sites où furent élevées au cours du premier millénaire les chapelles et les églises titrées de saint Martin confirme donc les remarques erudites de Lecoy de La Marche. Elles n'ont pas été établies au hasard dans le seul souci du quadrillage ecclésiastique de la civitas, du diocèse, mais en des endroits où pour des raisons diverses, il était nécessaire d'affirmer la présence chrétienne : sources 36, pierres ou buttes consacrées aux divinités païennes, aux bonnes fées du terroir, bourgades routières déjà pénétrées d'influences mystiques favorables à l'Évangile. L'ancienneté du culte à saint Martin en ces lieux n'est nullement synonyme d'ancienneté paroissiale ; et non seulement à Senlis, mais dans tout le pagus, des oratoires ont précédé les églises ; la pénurie des textes mérovingiens et carolingiens explique notre ignorance 37. Ces débuts modestes

34. Il y avait à Versigny un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Martin-aux-Bois, mais cette abbaye fut fondée assez tardivement, au XIe siècle, et le prieuré était d'ailleurs titré de saint Germain. Il ne semble pas non plus que Saint-Martin-des-Champs, patron de l'église de Survilliers, ait eu une importance quelconque sur la titulature de cette paroisse.

35. Dans les diocèses de Beauvais et de Senlis l'appellatif luiseau, avec des variantes nombreuses, désignait les sarcophages.

36. La consécration éventuelle de certaines fontaines à saint Martin, comme à Bouillant et à Ognon, n'est pas une preuve de l'ancienneté du culte, car il est difficile de la dater avec précision et elle peut être assez tardive. Elle permet toutefois de constater la vitalité des croyances préchrétiennes jusqu'à la fin du premier millénaire.

37. C'est la raison pour laquelle les paroisses martiniennes peuvent, le cas échéant, être plus récentes que certaines de leurs voisines, créées en une seule fois dans des localités dépourvues d'oratoires. Par contre, l'étude de la configuration des limites paroissiales confirme souvent les suggestions de l'histoire et de la linguistique et le démembrement d'antiques paroisses consacrées à saint Martin : Saint-Martin de Néry en face de Saint-Denis de Saintines, Saint-Martin de Bouillant et Saint-Denis de Crépy, Saint-Martin d'Ognon et Saint-Médard de Villiers-Saint- Frambourg, Saint-Martin d'Ormoy et Saint-Remy de Villiers emmi les Champs, Saint-Martin de

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nous empêchent de considérer les paroisses martiniennes comme les héritières obligées d'habitats gallo-romains, christianisés à l'époque mérovingienne ; les oratoires ont été souvent installés en des lieux saints, fréquentés sans doute d'une façon régulière, mais pas forcément habités d'une manière permanente. Ne poussons d'ailleurs pas le raisonnement trop loin : l'homme, recherchant la protection de la divinité, s'est rapidement installé dans les parages ; et si le culte a précédé l'habitat, il ne saurait en être vraiment séparé : il ne peut se passer de son voisinage pendant trop longtemps. C'est pourquoi il ne nous a pas été permis de i élever des chapelles isolées au fond des bois qui soient dédiées à l'apôtre des Gaules ; elles ont sans doute existé, mais leur disparition ancienne est le dernier témoignage de la présomption d'archaïsme pour dater celles qui sont parvenues jusqu'à nous, à la faveur d'un habitat qui a permis leur transformation en églises paroissiales38.

L'étude des patronages des lieux saints, comme la toponymie, permet ainsi de jeter quelques lueurs sur l'histoire locale et la géographie humaine au cours des siècles obscurs du premier millénaire de notre ère, pour lesquels la rareté des textes et des trouvailles archéologiques constitue un obstacle qui ne saurait cependant décourager les efforts.

Michel Roblin.

Fresnoy et Saint-Médard d'Auger Saint-Mard, Saint-Martin de Plailly et Saint-Barthélémy de Mortefontaine. La patrocinie confirme pleinement le fait, et les cultes rendus à des saints comme Denis, Barthélémy, Médard et Remy sont, dans la région, nettement postérieurs, pour des raisons diverses, au culte de l'évêque de Tours.

38. La confrontation des éléments fournis par la géographie physique, la toponymie et l'étude des patronages remédie partiellement à la carence de l'archéologie et à l'insuffisance des textes ; elle permet de poser des problèmes et souvent de contribuer à leur solution. Elle ne saurait donc être jamais négligée, sans toutefois nous dispenser des méthodes habituelles de la recherche historique.