Ronsard - Textes Choisis

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    BIBLIOTHQUE FRANAISEDIRIGE PAR

    FORTUNAT STROWSKI

    PIERRE DE RONSARD

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    hi'irc tir KiVijarJ .'fntne Ja FcU'.^ ' h-iinti'u , nunl

    PIERRE DE RONSARDPar MaricUc

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    BIBLIOTHQUE FRANAISEXVI- SIECLE

    PIERRE DE RONSARDTEXTES CHOISIS ET C0M3IENTES

    PARPIERRE VILLEYPROFESSEUR A l'UNIVERSIT DE CAEK

    PARISLIBRAIRIE PLONPLON-NOURRIT et C'% IMPRIMEURS-DITEURS8, RUE GARANCIRE 6'

    Tous droUx rservs

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    : PQ

    DISPOSITIONS TYPOGRAPHIQUESADOPTES POUn L.V COLLECTION'

    DANS LE TEXTELes biographies, notices et commentaires sont imprims

    en gros caractres.Les citations et les extraits sont imprims en petits carac-

    tres.Les extraits qui se rapportent un ouvrage important et

    qui forment un tout, sont signals, en haut de la page, parun double trait qui encadre le titre courant.

    DANS LA TABLE DES MATIERESLes titres et les sommaires des chapitres sont imprims

    en italique.Les titres des extraits et des citations sont imprims en

    romain.

    Copyrig-bt 1914 by Plon-.Nuui-ril et C'''.

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    NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

    Nous citons le texte de Ronsard d'aprs l'dition de 1587,celle qui, excute au lendemain de sa mort sur ses manus-crits, selon ses ordi-es, par ses amis Galland et Binet qu'ilavait lui-mme chargs de cette tche, a, la premire,prsent toutes les corrections et tous les remaniementsqu'il a voulu apporter son uvre (l).Les rimpressions modernes de Blanchemain et de

    Marty-Laveaux M. Laumonier l'a bien dmontr sont ingalement mais pareillement dfectueuses. Marty-Laveaux, en adoptant le texte de 1584, comme tant ledernier qui ait t publi du vivant de l'auteVir, nglige lescorrections qu'il a certainement laisses manuscrites etque Binet avait mission de donner au public. Blanchemain,outre qu'il a ml des leons empruntes diverses ditions,en prfrant, pour toutes les uvres postrieures 1560, letexte des ditions princeps, et, pour les u^^es antrieures cette mme date, celui de l'dition de 1560, c'est--dh'e celuide la premire dition des uvres collectives, en mcon-

    (1) Les rfrences renvoient au tome et la page de l'tlition Blan-chemain, l'dition la plus rpandue des uvres de Ronsard

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    II RONSARDnaissant toutes ou peu prs toutes les corrections desditions successives (1567, 1571, 1572, 1578, 1584, 1587),sous prtexte qu' son avis Ronsard gtait son texte(]uand il le modifiait, a fait un choix tout fait arbitraireet qui contrevenait beaucoup plus gravement encore auxintentions du pote.On peut objecter sans doute que les diteurs du seizimesicle avaient moins de scrupules que les rudits du ving-time, que rien ne nous garantit absolument que Binet sesoit trs bien acquitt de sa tche. Personne toutefois n'asrieusement contest que dans l'ensemble les correctionsqu'il a donnes soient effectivement de Ronsard. Tout lemonde avouera que son zle envers son matre et son admi-ration pour lui constituent une forte prsomption en safaveur, que le contrle de Galland, l'ami le plus intime deRonsard, nous est une nouvelle garantie de fidlit, et ily a tout parier que si les diteurs ont failli, c'est plutten omettant qu'en supposant des corrections.Une dition destine des rudits remdierait au doutelger qui peut subsister dans quelques esprits par lesvariantes copieuses dont elle accompagnerait le texte.Dans un livre de lecture courante comme celui-ci, o lesvariantes ne sont pas de mise, o force nous est de choish*,le texte de 1587, qui n'a pas encore t rimprim, s'imposecomme tant celui qui prsente le moins imparfaitementl'tat dernier dans lequel Ronsard a laiss son uvre (1).

    Puisque nous essayons de retracer les transformationsde la manire de Ronsard et que nous examinons ceteffet ses ouvrages selon la srie chronologique, il et tde bonne mthode de citer chacun d'eux sous la formeo il a paru d'abord, d'aprs les ditions princeps. Il ne

    (1) M. Michel, lve de l'cole normale suprieure, a bien voulu secharger de collationner ce texte. Je le prie de trouver ici l'expressionde ma smcre gratitude.

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    NOTE BIBLIOGRAPHIQUE msaurait y avoir do dmonstration qu' ce prix. Mais nousavons pens qu'il ne fallait pas priver le lecteur du bnficedes retouches que Ronsard a jug devoir- faii-e subir sontexte, du moins lorsqu'elles n'en altrent pas profond-ment les caractres essentiels. Ceux qui voudront contrlerde plus prs nos indications feront donc bien, surtout pourles uM'es du dbut de la carrire de Ronsard, de recouriraux textes anciens. Ce n'est que par accident que nousavons cru devoir' citer une dition antrieure 1587 (1),et, dans ce cas, une note en avertit le lecteur.

    Il

    Ronsard a t, ces dernires annes, Tobjet d'tudesnombreuses.

    Il faut mettre part les trois ouvrages de M. Paul Lau-monier, non seulement pour la dette que j'ai contracteenvers eux, mais encore pour la dette que contracteraenvers eux dsormais tout critique qui parlera de Ron-sard. Nous ne lui devons pas seulement une tude trspersonnelle de notre grand lyrique : son dition, trssavamment annote de la Vie de Ronsard, par ClaudeBinet, son Ronsard pote lyrique et son Talleau chrono-logique des uvres de Ronsard, constituent une prcieusemine de renseigTiements trs abondants et commodmentclasss.Le Ronsard que M. Jusserand a publi rcemment dans

    la collection des grands crivains franais est la fois

    (1) .Je ne parle pas, bien entendu, des Pices retranches. Saufindication contraire, elles sont cites d'aprs l'dition Marty-Laveaux.

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    IV RONSARDtrs inform et d'une lectui'e attachante. Sous l'agrmentde sa forme il dissinne une rudition trs avertie. LePierre de Ronsard, que nous devons M. Henri Longnon,nous a apport, ct de quelques informations contes-tables, de fort utiles enseignements.Dans son tude sur le Ptrarquisme en France au sei-

    zime sicle, M. Vianey ne devait consacrer que quelquespages Ronsard. Mais on sait, avec son rudition toujourssi discrte et si neuve, avec sa critique la fois si person-nelle et si pntrante, tout ce que M. Vianey peut apporterde nouveau en quelques pages.

    Ces divers travaux ont fourni M. Bellessort l'occasionde donner un article dvelopp et intressant dans laRevue des Deux Mondes d'octobre 1911.Depuis une quinzaine d'annes, des articles trs nom-

    breux ont t publis sur Ronsard, principalement dans laRevue d'Histoire littraire de la France, dans la Revue de laRenaissance, dans les Annales flcJioises et dans le Bulletinde la Socit archologique du Vendmois. Ils ont prpar lafloraison des grandes tudes d'ensemble dont nous venonsde rappeler les titres.

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    RONSARD

    CHAPITRE PREMIERLA JEUNESSE DE RONSARD. LA VOCATION

    POTTOn:

    LGIE A EMY BELLEAU (1)Je veux, mou cher Belleau, que tu n'ignores point

    D'o, ne (2) qui est celui, que les Muses ont jointD'un nud si ferme toi, afin que des annesA nos neveux futurs les courses retournesNe clent que Belleau et Ronsard n'taient qu'un,Et que tous deux avaient un mme cur commun.

    Or, quant mon anctre, il a tir sa raceD'o le glac Danube est voisin de la Tiu'ace :Plus bas que la Hongrie, en une froide part.Est un seigneur nomm le marquis de Ronsart,Riche d'or et de gens, de villes et de terre.Un de ses fils puns, ai'dent de voir la guerre,Un camp d'autres puns assembla hasardeux,Et quittant son pays, fait capitaine d'eux,Traversa la Hongrie et la basse Allemagne,Traversa la Bourgogne et la grasse Champagne,

    (1) Elgies, xx ; dition Blanchemain, t. IV, p. 296.(2j Ni.

    Ro.NSAP.D. 1

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    RONSARD. GIIAP. I"Et hardi vint h^ervir Philippe de Valois,Qui pour lors avait guerre encontre les Anglois.

    Il s'employa si bien au service de France,Que le roi lui donna des biens suffisanceSur les rives du Loir ; puis du tout (1) oubliantFrres, pre et pays, Franois se mariant,Engendra les aeux dont est sorti le prePar qui premier je vis cette belle lumire.Mon pre de Henri gouverna la maison.Fils du grand roi Franois, lorsqu'il fut en prisonServant de sr otage son pre en Espagne :Faut-il pas qu'un servant son seigneur accompagneFidle sa fortune, et qu'en adversitLui soit autant loyal qu'en la flicit?Du ct maternel j'ai tir mon lignageDe ceux de la Trimouille et de ceux du BouchageEt de ceux de Rouaux et de ceux de ChaudriersQui furent en leur temps si vertueux guerriers,Que leur noble vertu que Mars rend ternelle,Reprit sur les Anglais les murs de la Rochelle,O l'un de mes aeux fut si preux aujourd'huiUne rue son los (2) porte le nom de lui.Mais s'il te plat avoir autant de connaissance(Comme de mes aeux) du jour de ma naissance,Mon Belleau, sans mentir je dirai vritEt de l'an et du jour de ma nativit.L'an que le roi Franois fut pris devant Pavie,Le jour d'un samedi. Dieu me prta la vie.

    L'onzime de septembre, et presque je me viTout aussitt que n de la Parque ravi.

    Je ne fus le premier des enfants de mon pre.Cinq davant ma naissance en enfanta ma mre ;Deux sont morts an berceau, aux trois vivants en rienSemblable je ne suis ni de murs ni de bien.

    Sitt que j'eus neuf ans, an collge on me mne.Je mis ant seulement un demi-an de peineD'apprciudre les leons du rgent de VaillyPuis, sans rien profiter, du collge sailly (?>).

    (1) Entirement.(2) Louange.(3j [Je] sortis.

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    LA JEUNESSE OE ROlNSARl)Je vins en Avignon, o la puissante armeDu roi Franois tait firement animeContre Charles d'Autriche ; et l je fus donnPage au duc d'Orlans ; aprs je fus menSuivant le roi d'Ecosse, en l'cossaise terre,O trente mois je fus, et six en Angleterre.A mon retour ce duc pour page me reprint ;Et gure h l'Ecurie en repos ne me tintQu'il ne me renvoyt en Flandres et Zlande,Et encore en Ecosse, o la tempte grandeAvecques Lassigny cuida (1) faire toucher,Pousse aux Ijords anglais, ma nef (2) contre un i-ochor.

    Plus de trois jours entiers dura cette tempte,D'eau, de grle et d'clairs nous menaant la tte.A la fin arrivs sans nul danger au port,La nef en cent morceaux se rompt contre le bord.Nous laissant sur la rade, et point n'y et de perteSinon celle qui fut des flots sals couverte.Et le bagage pars que le vent secouait,Et ^qui servait flottant aux ondes de jouet.D'Ecosse retourn, je fus mis hors de page,Et peine seize ans avaient born mon ge.Que l'an cinq cent quarante avec Baf je vinsEn la haute Allemagne, o dessous lui j'apprins.Combien peut la vertu : aprs la maladie,Pai" ne sais quel destin, me vint boucher l'oue.Et dure m'accabla d'assommement si lourd,Qu'encors aujourd'hui j'en reste demi-sourd.

    II

    Presque tout ce que nous savons de la jeunesse de notrepote tient dans cette lgie. Binet, le biographe de Ron-sard et son ami, dont pour d'autres priodes de sa vie lesinformations nous sont prcieuses, a pris l peu prs

    (1) Pensa, faillit.(2) Navire.

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    4 RONSARD. CHAP. I"iout ce qu'il sait des premires annes de son hros.Mais on ne doit se fier qu'avec rserve l'autobiographie

    d'un pote. Les potes se repaissent de rputation, a-t-ondit, de bon bruit comme l'appelait Ronsard. CommeHugo, auquel tant d'gards il mrite d'tre compar,Ronsard se plaisait se chercher des anctres. Les cri-tiques ont djou ses calculs. Ils nous apprennent que legrand anctre des rives du Danube glac, le marquis deRonsart

    Riche d"or et de gens, de villes et de terre, '

    ([ui reculait dans un lointain mystrieux de l'espace et dutemi)s les origines de sa famille, n'a jamais exist que dansson imagination. Quoi qu'il en dise, le Pindare franaisn'est aucun degr le compatriote du Thracien Orphe.

    J'imagine qu'il coutait d'une oreille complaisante sesamis raconter une autre lgende. Comme on le portait})aptiser... celle qui le portait, traversant un pr, le laissatomber par mgarde sur l'herbe et fleurs qui le reurentplus doucement : et eut encore cet accident une autrerenconti'e, qu'une damoiselle, qui portait un vaisseau {vase)})lein d'eau de roses, pensant aider recueillh' l'enfant, luirenversa sur le chef une ])artie de l'eau de senteur, quifut un prsage des bonnes odeurs dont il devait remplirtoute la France, des fleurs de ses crits (1). Des abeillesn'avaient-elles pas le jour de sa naissance prsag Platonla douceur de son loquence?

    cartons les marquis hongrois et les damoiselles por-teuses d'eau de roses, il reste notre Ronsard une noblesseauthentique et ancienne dont il pouvait fort bien se con-tenter. Sans parler d'un Ronsard qui apparat au onzimesicle tabli dans le Vendmois, le premier anctre certainde Pierre, Andr de Ronsard, est au quatorzime siclesergent fieff de cette fort de Gastine que notre potedevait immortaliser de ses vers. Au sicle suivant, son

    (1) EiXET, Vie de Rumard. Edition Laumonier, p. 4.

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    LA .IFUNESSE DE KONSAIU r,i;r;ind-|jn' Olivier essl t''cli;iiis()ii du roi cl capilaiiic dechteau au service de Louis Xi. La t'aniille niateriielle,la famille des Chaudrier, est de meilleur lieu encore et plusnoblement ap])arente. C'est une des premires famillesdu Poitou.

    Louis de Ronsai'd, le ])re de Pierre, occupait la courde Franois P^" le poste de matre d'htel des enfants d(^France, et quand les fils du roi furent envoys prisonniersen Espagne la place de leur pre pris par l'ennemi labataille de Pavie, il les accompagna dans leur captivit de([uatre annes (1526-1530). Il appartenait cette noblessebiillante qui avait pass les Alpes derrire Charles VITT,Louis XII et Franois I^^et qui avait rapport de ses cam-pagnes d'Italie le got des lettres et des arts. H recons-truisait son chteau de la Poissonnire dans le style de laRenaissance. Il se faisait le patron du pote poitevin,Jean Bouchet. Lui-mme crivait des vers que Pierre rci-tait plus tard ses amis. Il tenait pour l'alternance desrimes masculines et fminines une poque o elle n'taitpoint de rgle.Le got des choses de l'esprit et un certain crdit lacour, voil peu prs tout ce que Pierre devait attendrede son pre. N en 1524 ou en 1525 (1), il tait, en effet, ledernier de la famille. La Poissonnire et les nombreusesdpendances qui l'entouraient, amasses pice pice pai-les anctres et considrablement accrues par Louis, taient

    (1) Ronsard dit qu'il est n le samedi 11 septembre, l'anne de labataille de Pavie. Or, la bataille de Pavie tant du 4 fvrier 1524ancien style, ou du 24 fvrier 1525 nouveau style, et, d'autre part,le 11 septeml^re n'tant tomb un samedi ni en 1524 ni en 1525, ona l^eaucoup discut la date de sa naissance. Un texte de Bertaut allgupar ^I. Longnon prouve tout le moins que ce fervent admirateurde Ronsard ne doutait pas qu'U ft n en 1525 ; et l'on peut croiresans invraisemblance que Ronsard a comiu le jour de sa naissancepar un registre de famille o, trouvant la date ciu 2 septembre crite la manire romaine II, il a lu onze septembre suivant la manirearabe de chiffrer. Pourtant l'hypothse qui fait natre Ronsard enseptembre 1524 n'est gure moins fonde, et le problme paratinsoluble.

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    6 RONSARD. CHAP. 1"en majeure partie pour l'an des survivants, Claude. Lecadet, Charles, se faisait d'glise pour recueillir les bn-fices ecclsiastiques de la famille. La prudence conseillait Pierre, venu trop tard, d'tudier pour porter la robe.Et peut-tre sa premire instruction fut-elle particulire-ment soigne dans ce dessein.

    Mais, aprs les leons sous le toit paternel, vint lecollge de Navarre. Pierre n'y put tenir plus de six mois.Les sductions de la vie de cour dbauchaient sansdoute son imagination. On dut donc profiter des rela-tions du pre pour procurer au fils un emploi de page.Sa sur Louise tait dj depuis quelques annes auservice de la reine. On l'attacha, lui, la personne de cedauphin que son' pre avait accompagn au del desPyrnes.

    Il avait moins de onze ans quand il partit le rejoindre.La cour alors tait dans la valle du Rhne d'oii elle sur-veillait l'arme de Charles-Quint dbarque en Provence.Trois jom's aprs son arrive, Tournon, il assistait lamort foudroyante de son matre. Dans la suite, il vit peut-tre de ses yeux carteler Montecuculli, l'chanson suspectde magie qu'on accusait d'avo* empoisonn le jeune prince.Entre temps, lui-mme tait pass au service de Charlesd'Orlans, troisime fils du roi, g de quatorze ans. A sasuite, il assista aux ftes iDiillantes dont fut accompagnle mariage de Madeleine de France, la fille de Franois I^^,dj consume de phtisie, avec Jacques Stuart, roi d'Ecosse(1er janvier 1537).

    Puis s'ouvre une priode de voyages qui n'interromprontpour lui que passagrement la vie de cour, qui en varierontplutt les aspects. Donn par Charles d'Orlans sa sur,le beau page s'embarque avec elle pour son nouveauroyaume (dbut de mai 1537). Aussitt arrive sous ceciel humide, la malade est moribonde : il l'entend rpteravec mlancolie : Hlas, j'ai voulu tre reine ; et, deuxmois aprs son entre sur ses terres, il la voit mourir. Maisle jeune veuf conserve longtemps encore la petite troupede Franais qui lui rappelle sa chre princesse. Il l'blouit

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    LA JEUNKSSE DE RONSARD 7mme, un an plus tard, des ftes splendides qu'il donne l'occasion de son remariage. Puis Ronsard fera un secondsjour en Ecosse o il aura pass deux ans et demi ; ilreviendra par l'Angleterre qu'il mettra six mois visiter ;il traversera la Flandre et la Zlande en compagnie deClaude d'Humires qui tait charg d'une mission diplo-matique (1). Puis, en 1540, du mois de mai au mois d'aot,nous le trouvons de nouveau hors de France encore dansune mission diplomatique, cette fois en Allemagne, Ha-guenau, o il suit son parent, Lazare de Baf. Auprs delui, cependant, il entend parler de littrature et d'rudi-tion plus encore peut-tre que de politique.On se plat d'ordmaire faii'e valou* combien ces cr-monies brillantes de cours diverses et ces tragdies lugubresdment frapper son miagination encore tendre, combientous ces voyages dm-ent lui meubler l'esprit. Il est possible.La vrit, un peu dcevante, est pom'tant que, mme quandil crira plus tard aux reines d'Ecosse et d'Angleterre, nousne retrouverons presque rien dans son uvre qui rvleune impression directe, un souvenu" encore vif. Pas un motpeut-tre, en dehors de son autobiographie, ne laisse devi-.ner cette tempte terrible qu'il essuya dans une de sestraverses. Les langues cossaise, anglaise et allemande,quoi cpi'il en ait dit et cpioi qu'on en ait dit, ne lui furentsans cloute que fort mal connues, et d'ailleurs, les et-ilbien sues, il n'en et rien th'. Quant la Flandre, quidevait si fort le frapper, il est probable qu'il la traversatrop jeune, et surtout trop vite, pour en garder une em-preinte profonde.Nous retiendrons seulement qu'il a beaucoup vu, c^u'ila praticju les hommes avairt de s'ensevelu* dans les livres,que la couche profonde d'impressions que nous trouvonsen lui a t dpose l par l'apprentissage non des mots,

    (1) La cluonologie de ces voyages est fort obscure. Il est vrai-semblable, suivant l'hypothse de M. Longnou, que Ronsard revint l'automne de 1638 pour reparth- presque aussitt avec Lassignypour la Flandi'e et l'Ecosse, et qu'il faut additionner ses deux sjoursdans ce pays pour obtenir le total de trente mois dont il a parle.

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    8 RONSARD. GHAP I"mais de raction. Et cela est capital. Si, tandis que souintime ami Baf, plong ds le berceau dans Truditionpar un pre docte entre les doctes, restera toujours commecras sous le faix de sa science, Ronsard s'en dgageraavec une si magnifique aisance et puisera si largement la source vive de la nature, ce sera sans aucun doute pourbeaucoup d'autres raisons encore, mais ce sera peut-treaussi pour celle-l plus que pour les autres.

    III

    Nous arrivons, en effet, un tournant de sa vie. Lesfruits qu'il va rcolter ne sont pas ceux qu'il a sems.A quinze ans, c'tait, nous assure-t-on, un page singu-lirement brillant que Pierre de Ronsard. En tous exer-cices il tait le mieux appris des pages du duc d'Orlans,ft danser, lutter, sauter ou escrimer, ft monter cheval et le manier ou voltiger... Il emportait le prix entous les honntes exercices auxquels la noblesse de Francetait ordinairement adonne... Outre que sa grce et sabeaut le rendaient agrable tout le monde, car il taitd'une stature fort belle, auguste et martiale, avait lesmembres forts et proportionns, le visage noble, libral etvraiment franais, la barbe blondoyante, cheveux chtains,nez aquilin, les yeux ])leins de douce gravit, et le frontfort serehi. Mais surtout sa conversation tait facile etattrayante. Ayant t nourri avec la jeunesse du roi(entendez de Henri, alors dauphin qui devait monter sui'le trne en 1547), et presque de pareil ge, il commenaii tre fort estim prs de lui. Et de fait le roi ne faisaitpartie ou Ronsard ne fut toujours appel de son ct. -^Deux carrires s'ouvraient lui dans lesquelles ces bellesqualits et la faveur du roi pouvaient trouver leur emploi :les ariiu's el la diploiiiatie. C'tait sans doute k la carriredijiloinalique (pie tant de voyages le prparaient.

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    LA JEUNESSE DE RONSARU 9Ju ne prtends pas que, chai'g de missions auprs des

    cours trangres, il n'et point l'ait de vers. H en auraitcompos sans doute, comme son pre et d^autres seigneurs (lu temps, en amatem-. Il n'aurait, certes, pas consacr savie la posie.

    ]\Iais au retour d'xUlemagne il souffrit d'une grave mala-die dont la nature et la dure ne peuvent pas tre dter-mines. On a accus les fatigues des voyages, des excsprcoces, peut-tre aussi des fivres paludennes contrac-tes sur les rives du Loii- (1). Ce furent l peut-tre lescauses occasionnelles. Mais la cause profonde semble devoirtre cherche dans un temprament foncirement arthri-ticiue dont il devait souffrir durant toute sa vie. De lsans doute la demi-surdit dont il fut ds lors afflig et([ui semble bien avoir t dtermine par une otite chro-nique d'origine arthritique.

    Cette demi-surdit devait passer par des ^cissitudes !diverses, tantt plus accuse et tantt moms ; elle nedevait pas le quitter. Il ne lui tait plus possible dsormais (de penser la diplomatie et au service des grands. Le 'beau page si ft dut renoncer ses rves brillants. Il sedcida se fake tonsurer (6 mars 1543), non sans doute})Our mener la ^de ecclsiastique, car rien n'tait moinsson affane, mais afin de se mettre en mesure de recevoh-de belles prbendes ; et il chercha un refuge dans le cultedes muses.Mme pour leur ser\ce, et bien qu'elles fussent moinsexigeantes que les gi'anclg, sa sant dlabre devait trepour lui une lourde gne. Jamais sa surdit ne l'empcha,semble-t-il, de goter la musique qui alors tait l'accom-pgnennt ncessane des vers lyriques il en tait pas-sionn mais il se plaignait d'insomnies frquentes, dedyspepsie ; il avait des accs de fivre tierce qui l'aiT-taient parfois longuement. Et pom'tant, comme il tait de

    (1) Ses adversaii'es protestants affirmeront plus tard qu'il a con-tract le mal implacable dont les ravages taient si terribles au seizimesicle. Une pareille accusation est absolument dpourvue d'autoiit.C'tait une injure attendue dans toutes les polmiques du temps.

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    10 RONSARD. CHAP. I"ceux que la gloire appelle et qu'une vigoureuse nergiesoutient, il eut tt fait de tisser de nouveaux rves poursubstituer ceux qu'avait fauchs l'inexorable destine.

    IV

    Le grand pote en ce temps-l c'tait Marot. La courtait folle de lui. Aprs ses ptres, ses madiigaux, ces jolisriens qu'on s'tait rpt en souriant, il venait de mettrele couronnement sa gloire avec sa traduction des Psaumesde David. Cette traduction que nous ne lisons plus, estd'une importance historique considrable. Elle marquechez nous la renaissance du lyrisme que les grands rhto-riqueurs avaient touff sous leurs jongleries littraires, etles merveilleuses richesses de rythme alors inconnues queMarot y dploya enchantrent ds l'abord. Les courtisans,sans attendre qu'on et mis les Psaumes en musique, lesfredonnaient sur des ah's de fantaisie, ordinah'ement surdes ans de vaudeville : Chacun des princes et courtisansen prit un pour soi. Le roi Henri second aimait et prit pourle sien le psaume. Ainsi qu'on vit le cerf bruire, lequel ilchantait la chasse. Mme de Valentinois qu'il aimait pritpour elle. Du fond de ma pense, qu'elle chantait en volte.La reine avait choisi, Ne veuillez pas Sire, avec un airsur le chant des bouffons. Le roi de Navarre Antoine prit,Revange-moi, prends la querelle, qu'il chantait en branle duPoitou. Ainsi des autres (1). 11 y avait bien l de quoitenter la jeune ambition de Ronsard. Et de quelle fortunen'aurait pas t capable un Marot si charmant et si souple,si tant de facUit il n'avait joint une aussi messantedsinvolture, si, prcisment dans le mme temps, il ne

    (1) Bayle, d'aprs Florimond de Raymond. De 1539 1550, datede l'appar.tion des Odes de Ronsard, on n'a pas compt moins de27 diiions des Psaumes.

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    LA JEUNESSE DE HONSAKD Ms'tait condamn reprendre une fois encore le chemin deTcxil? Non seulement Ronsard avait t le tmoin de cet Senivrant succs, mais il avait connu le matre ; il l'avait |rencontr diverses reprises la cour. Lui, du moins,ne serait entrav dans sa carrire ni par des complai-sances pour les rforms, ni par une excessive indpen-dance.

    Outre Clment Marot, il avait lu le Roman de la Rose etd'autres uvi'es franaises, celles surtout de Lemaire deBelges, qui plus que tous les autres avait rchauff son versau soleil tout paen de la Renaissance, et qui lui indiquaitla route suivre. Surtout il avait t initi la posielatine, et peut-tre aussi la posie italienne, par un de sescompagnons, le Pimontais Paul Duc. Ce jeune gentil-homme, frre de Philippine Duc, la matresse du dauphin,faisait comme lui partie de la suite de Charles d'Orlans,et avec lui aussi probablement passa en Ecosse. Paul Ducfit goter Ronsard Horace et Virgile, qui resteront tou-jours ses principaux matres. Au retour de la triste Ecosse,dans les. longs repos solitah-es que la maladie l'obligea sansdoute de prendi'e alors, il sentit plus intimement qu'iln'avait pu le fake dans sa premire enfance le charmedlicat de son pays vendmois qu'il chantera avec tantd'motion. Horace et Virgile lui en rvlaient la myst-rieuse caresse. Les campagnes de Tibur et de Mantouen'offraient-elles pas prcisment des paysages tout ana-loo'ues ceux des envh'ons de Couture ? C'tait la mmenature moyenne, avec ses coteaux bas, ses vallons intimes,ses frais ombrages. Son petit Loir aux eaux lentes se parade toute la posie du Mineio. La fontaine de Bellerie ne sedistingua plus de la fontaine de Bandusie. Bientt lesnymphes, les diyades et les faunes envahirent et peu-plrent toute la campagne.

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    d2 ROXSA un. cil A p. 1"

    VRonsard se sentait pote. Paul Duc crivait des vers

    latins ; il s'essaya lui aussi dire enjatin ce qu'il prouvait, rivaliser en leur langue avec ses potes favoris. La gloirede Salmon Macrin, la grande clbrit de Loudun, ne han-tait peut-tre pas moins son imagination que la gloire deMarot. Il choua. Ses tudes avaient t trop dcousueset il ne maniait pas avec assez d'aisance la langue d'Ho-race. Sans doute, c'est le dpit de cette tentative infruc-tueuse, tout autant que son patriotisme, qui lui fera con-damner plus tard avec tant d'intransigeance les essais deposie latine.

    Puisqu'il ne pouvait imiter Horace en sa langue, ilrsolut de l'imiter dans la langue de Marot. Il ferait gdter ses compatriotes le charme des odes d'Horace. Personneencore n'avait tent cette voie. De la sorte il ferait ce cpiefaisait Marot, mais il le ferait mieux que Marot. Qu'est-cedonc que les courtisans gotaient dans les Psaumes? Avanttout la varit des rythmes habilement diversifis par letraducteur, qui taient une perptuelle surprise pourl'oreille et qui se mariaient si heureusement avec la musique.Horace offrait une infinit de combmaisons strophiquesqu'il serait facile d'acclimater.Quant au fond, les Psaumes, excellents pour les prches,n'taient pas l'affa-e de la cour. Franois 1^^' ne s'tait-ilpas prononc contre l'hrsie, par suite contre toute traduction des textes bibliques en langue vulgau-e? De tem-prament sensuel, lev ds sa onzime anne dans une .cour picurienne, Ronsard n'tait pas chrtien. L'idalchrtien, qui commandait de contraindre ses penchants,lui tait antipathique. L'picurien Horace, au contraire,l'enchantait. Avec Horace il dirait les forces de la nature,

    ' la joie dQ vi"\Te, la fuite des heures brves, la douceur des

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    LA JEUNESSE DE RONSARD 13amours faciles, les libres propos aprs boii'e. Il dirait lafolie des passions torturantes et To-alit de tous devant lamort. Il lui emjirunterait les belles lgendes de la mytho-logie. Et toute cette socit de cour, avide de plaisirs, quidemandait ses peintres, ses sculpteurs, ses architectesde donner- sa vie un dcor tout mythologique ne pourraitqu'applaudir.Marot n'avait-il pas eu la tmrit de prtendre qu'aucun

    pote lyrique ne pouvait rivaliser avec Da\dd? Il s'en taitpris nommment Horace :

    Pas ne faut donc qu'auprs de lui HoraceSe mette en jeu s'il ne veut perdre grce.Car par sus lui vole notre poteComme ferait l'aigle sur l'alouette,Soit crire en beaux lyriques vers,Soit toucher la lyre en sons divers.

    Ronsard releva le dfi. Encore trs jeune, peut-treds le .mois de mars 1543, c'est-c-du-e dix-sept ou dix-huit ans, il mettait Jacques Peletier au courant de sesdesseins et lui montrait ses premires odes horaciennes.Il avait bien choisi son confident. Peletier est le plus cons-cient des prcursem'S de la Pliade. De huit ans plus gque lui, certainement il encouragea l'adolescent dans son(entreprise, l'assura que lui-mme rvait une magnifiquefloi'aison pour la posie franaise si les crivains se mettaient l'cole de l'antiquit ; par-dessus tout il insista sur lancessit d'crke en franais, non plus en latin. LeuralHance ds ce jour fut scelle. C'est dans les uvres po-

    ' tiques de Jacques Peletier, en 1547, que pour la premirefois une ode horacienne de Ronsard sera donne au public.A l'poque o nous sommes, Ronsard a ^Taiment le sen-timent de sa mission. Il est sur le chemin qui doit le con-dune la gio'e. Son but est d'imiter Marot, mais en ledpassant. Il ne s'imagine pas, conme il le fera plus tard,qu'il est le premier composer des odes en franais : ilsait fort bien que Marot lui en a offert les modles sous lesnoms de chansons et de psaumes ; mais U se propose de

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    14 RONSARD. CHAP. Vrehausser notre posie lyrique, en y transplantant les plusbelles fleurs de la posie ancienne cueillies dans le jardind'Horace. Altiste infiniment plus que son devancier,enthousiaste et laborieux la fois, sensuel et dou d'uneprestigieuse imagination, bien mieux que Marot il taitapte cette tche.Pour s'en acquitter, toutefois, pour jouer le rle de potesavant, une chose lui manquait essentiellement : le savon*.Il le sentait. Il se dfiait de lui-mme, et c'est pour celasans doute qu'il a tant attendu avant de rien publier. Il adonc l'nergie de se remettre l'tude. Un contact plusintime et prolong avec les potes anciens va le mettre entat non seulement de raliser son programme de jeunesse,mais de l'tendre considrablement. En revanche il va ledvoyer pour un temps, enfler son cur et sa voix, substi-tuer passagrement de beaux projets de pote de chim-riques ambitions de mandarin.

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    CHAPITRE IIA l'cole de daurat

    Un jeune gentilhomme limousin, trs rudit, Daurat-fut alors le matre de Ronsard. Il a laiss la rputation d'unphilologue trs savant, en ce temps-l o il y avait tant dephilologues, et d'un habile versificateur en grec comme enlatin.Nous savons que Ronsard fut son disciple d'abord, partir de 1544, au domicile particulier de Lazare de Bafo on l'admit profiter des leons faites pour le jeuneJean-Antoine de Baf, ensuite au collge de Coqueret dontDaurat devint le principal. Nous voudrions tre instruitsde la date laquelle le matre et les disciples se transpor-trent dans la studieuse retraite de Coqueret, car chezBaf les leons semblent avok t assez peu rgulires.Nous aimerions encore savoir avec prcision combien detemps se prolongea un enseignement qui devait tre sifcond. On ne peut rpondre ces questions que par desconjectures. Sur le second point, en particulier, Binet etRonsard lui-mme parlent tantt de cinq ans et tantt desept.

    Ronsard fut certainement conquis. Au dbut il avaitconserv son emploi d'cuyer d'curie la cour. Malgrla bienveillance que lui tmoignait le dauphin au serviceduquel il tait pass, il y renona bientt, poiu' ne plus tre

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    16 RONSARD. GlIAP. IIdistrait de ses travaux. Il s'enferma comme pensionuaiieau collge de Coqueret o il partageait la chambre de sonami Baf. Il se plongea dans les livres avec cette aviditde savoir qui nous tonne chez les hommes de la Renais-sance. Un jour Daurat lui lit le Promthe d'Eschyle : Etquoi, mon matre, s'crie le jeune homme enthousiasm,m'avez-vous cach si longtemps ces richesses? Baf qui,ds le dnouement de sa lan^^ue, avait t nourri d'huma-nisme par son pre, qui avait eu pour matres les CharlesEstienne, Ange Vergce, Toussaint, bien qu'il ft de septans plus jeune, remj)ortait de beaucoup en savoir sur soncompagnon. Il l'aidait de sa science et le stimulait par sonexemjjfe.On conoit que sur de tels disci])les l'influence de Dauratait t profonde. Ronsard et Baf professeront qu'ils luidoivent ce qu'ils sont. On l'appelle la source qui a abreuvtous n-os potes des eaux piriennes . Le premier qui adtoup la fontaine des muses par les outils des Grecs etle rveil des sciences mortes. C'est que son enseignementa rvl Ronsard et plusieurs de ses compagnons lesmodles imiter. Ainsi s'explique qu'un pote qui a presquetoujours crit en latin et en grec, qui s'est const.muentinsurg contre la premire des rgles de la Brigade et de laPliade, ait toujours tenu auprs de la Brigade et auprs dela Pliade un rang tout fait considrable.

    Quel usage, en ce qui concerne Ronsard, a-t-il fait decette influence?

    II

    Il lui a donn d'abord une culture grco-latine trs ten-due, l'a initi l'tude d'auteurs trs divers et particuli-rement la lecture de nombreux potes. Kous qui savonsce qu'il devait tirer d'inspirations aussi varies, nous pou-vons mesurer l'importance du service qu'U lui a rendu par L.

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    A L'ECOLK IJE DAURAT 17Hellniste bien plus que latiniste, c'est la dcouverte

    des Grecs principalement qu'il l'a conduit. Ronsard saitsi bien le grec quand il quitte Coqueret qu'il est capablede lire VIliade en trois jours, qu'il tudie Csar dans latraduction grecque qu'avait donne Strozzi des Commen-iaiirs. qu'en 1567 il sera appel en compagnie de Baf etde Hellcau faire partie d'un jury qui devait examiner uncandidat la chaire de grec du Collge royal. Aussi Ron-sard se proposera-t-il particulirement l'imitation desGrecs. Chez eux, et chez Platon ce pote en prose, il a])uis une notion trs leve de la posie qui tait abso- /lument liouvelle pom* des oreilles franaises. Ds, lui ont;;'enseign que le pote est im envoy des dieux, qu'il estinspir par eux, qu'il a une mission remplir', qu'il est untre sacr. On ne peut rien imaginer de moins marotique.Marot ne songeait qu' amuser. Ronsard sans doute nerenonce pas dh'e qu'en composant des vers U veut avanttout s'battre ; mais toutes les poques de sa vie aussiil rptera qu'en crivant il s'acquitte d'un vritable sacer-doce. Attitude ou conviction, une pareille ide tait unlevier prcieux pour un pote de cour que les ncessitsdu mtier ramenaient sans cesse au compliment banal etau pome de circonstances.Mais aussi la posie des Grecs est, au moins en certainesde ses parties, moins assimilable que la posie des Latins.

    Elle ressemble ces plantes qui ne fleurissent que sur leurterroir, qui, transpoi-tes dans d'autres sols, perdentjusqu' leur parfum. L'erreur de Daurat semble avo* tde guider ses disciples de prfrence prcisment laconqute de ces parties-l. Il s'attaqua d'emble Pindare.La posie pindarique tient par toutes ses fibres la reli-gion, aux crmonies, aux institutions de la Grce ancienne.Horace s'tait dfendu d'imiter Pindare, jugeant l'entre-prise folle. Plus hardi qu'Horace, Daurat fit des odes pin-dariques en latin, tandis que Ronsard en composait enfranais. Que Ronsard ait donn l'exemple, je le veux bien,et je le crois volontiers d'une nature aussi fougueuse ; dumoins Dam'at ne l'a pas retenu, il l'a mme encourag

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    J8 RONSARD. CllAP IIdans un si beau dessein dont ,1a gloii'e rejaillirait sur lui-mme et sur le collge de Coqueret.Et puis Daurat parat bien avoir* manqu de got. Entreles crivains de la grande poque et les imitateurs alexan-di'ins, on est en doute s'il a su distinguer. Tous parlaientgrec, tous avaient droit son admiration. Daurat taitun barbare. Il n'tait que philologue, et cette jeunesseardente rclamait une direction littraire. Callimaque,Mcandre, Tztzs mme ne furent pas oublis. Les ana-grammes de Lycophron, ces puriles jeux de mots, jouis-saient d'une faveur toute particulire. Ne nous tonnonspoint si Ronsard regarde parfois les grandes uvi-es del'antiquit par leurs petits cts, s'il s'attache trop souventaux procds du mtier plus qu'aux beauts vritables. Afrquenter les Alexandrins on se tachait l'esprit de leursdfauts. C'tait l un dfaut de l'alexandrinisme.

    L'abus de l'rudition en tait un autre. On adnm-aitchez eux la multitude des allusions savantes. On s'engouaitde leur obscurit mme parce qu'elle tait le rsultat d'une rare et antique rudition . Comme il a t finementremarqu, on apprciait la valeur d'une uvre non plus sa beaut, mais la peine qu'on avait d prendre pourla goter. On se reprsente volontiers Ronsard emplissantsa pense, h la manire d'Eschyle et de Sophocle, des belleslgendes de la mythologie, en grisant son imagination.C'tait se prparer son rle de pote paen. Mais il nes'en est pas tenu l. A l'cole de Daurat il est curieux mmedes moindi'es particularits de la lgende, des fables lesplus dnues de posie, des dtails minnes qu'un ruditseul consent ne pas ignorer. Il sait la gnalogie des dieuxles plus obscurs. Il fait la chasse aux textes les plus ignorset les plus arides qui les concernent. Relevez les allusionsqui emplissent ses premires uvres ; vous crouiez qu'la manire d'un bndictin il a patiemment amoncel desfiches pour composer un trs savant dictionnake mytho-logique. De l sans doute ce mpris arrogant du public queRonsard et ses amis talaient si outrageusement. Poui"tre grand pote il fallait drouter le vulgaire. Ce que le

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    A L'KCOLE DE DAUUAI' 19populaire gotait, ce qu'il comprenait mme, ne pouvaittre que mdiocre et bas. On recherchait l'obscurit depropos dlibr, l'obscurit par l'rudition qui classait un -pote parmi les hommes doctes.

    Certes que le pote ne ravale pas ses sentiments et ses])enses au niveau des mes communes, rien de mieux.Nous avons dit que Daurat a rendu Ronsard un grandservice en lui rvlant une posie qui se tenait de si loinau-dessus des bagatelles dont trop longtemps Marot s'taitcontent. Jusque-l il tait infiniment souhaitable que laposie franaise se ft aristocratique. Mais que, affectantun caractre d'sotrisme seule fin de rebuter le vulgaire,elle aspirt imiter l'inimitable Pindare, devenu* uvrede convention et d'artifice, se hrisser comme par plaisirde pdantisme et s'envelopper d'obscurit, cpi'il falltmme aux gens fort instruits un commentaire explicatif

    ,

    pour l'entendre, voil qui n'tait nullement dsirable. Leserreurs des premires uvres de Ronsard sont l en germe,et aussi son mpris si injuste pour les potes marotiquesavec les abus auxquels il doit l'entraner. Et de tous cesexcs, Daurat, le chef, le matre cout et admh, semblebien porter sa large part de responsabilit.

    III

    Baf, le compagnon de chambre de Ronsard Coqueret,n'avait rien de ce qu'il et fallu pour retenir son ami surla pente dangereuse o il s'engageait. Il n'tait encorecpi'un enfant. Et puis, tout bard de grec comme nous leconnaissons, bien certainement il et pouss Ronsard dansl'abme de l'rudition plutt que de l'en arracher. Soninfluence, s'il avait quelque influence, renforait, doublaitcelle de Dam'at.Une action salutake aurait pu, semble-t-il, venir d'unautre de ses camarades, qu'il s'adjoignit probablement

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    l>() RONSARD. CIIAP. IIvers 1547. On sait comment, d'aprs Binet, au retour d'unvoyage, Ronsard aurait rencontr Du Bellay dans unehlellerie, comment ils auraient l fait connaissance,comment, entre l'omelette et le rti, ils auraient changleurs vues sur l'avenii' de la posie franaise, et, dans desrves communs de gioii'e et de patriotisme, se seraientunis d'une amiti cjue la mort seule devait rompre. Ladate que Binet assigne cette rencontre est certainementerrone : il la fixe 1549, or la publication de la Dfenseest des premiers mois de 1549. L'anecdote prsente d'ail-leurs tous les caractres d'une lgende. H y a gros parierque Ronsard connaissait de longue date Du Bellay, qui,comme Baf, tait un peu son parent, et cpi'avant cettepoque ils avaient dj parl littrature. Mais il est par-faitement possible, il est probable mme, que vers 1547ils se soient rapprochs pour travailler en commun. A dfautd'entretiens antrieurs avec Ronsard,, les conseils de Pele-tier auraient jnjiar Du Bellay ce rapprochement.Peletier, probablement l'anne prcdente Poitiers oDu Bellay suivait les cours de l'Universit, avait conseillau jeune homme de cultiver l'ode et le sonnet en franais.Il l'avait entretenu sans doute des projets de Ronsard etdes es))rances qu'Us partageaient.Du Bellay tait donc d'avance gagn aux ides de Ron-sard. Mais, mdiocrement studieux, le moins savant des])otes de la Brigade et surtout le moins hellniste, d'unenature trs sensitive, avec cela l'an de Ronsard de deux outrois ans, on pourrait supposer qu'il devait ragir contreles excs auxquels l'abus de l'rudition entranait soncompagnon. H n'en fut rien : trop indolent pour opposerdoctrine doctrine, peut-tre mme pour prendre uneconscience clake de la doctrine littrake qu'il portait dansle sang, d'accord au reste avec Ronsard sur le point essen-tiel, l'imTtation en langue moderne, c'est lui qui subitl'ascendant du fougueux colier. H vint lui aussi s'enfermerau collge de Coqueret sous la discipline de Daurat. IJn'en devint pas beaucoup plus hellniste, semble-t-il, et lepremier il sera dgris ; mais pour l'instant du moins il est

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    A L'ECOLE l)K DAURAT 21absorb, ses foices vi(Mineiit se confondre dans le grandcourant o se prparc la rvolution potique de 1550.

    Il a mme sans doute enhardi Ronsard en lui faisantmieux connatre l'exemple si encourageant que donnaient nos novateurs les crivains italiens. Car notre petite /troupe a les yeux fixs sur Tltalie. Fait notable, bienqu'aucun de ces jeunes gens ne semble avoir sjourn enItalie (car je ne compte point que Baf y soit n puisqu'ilrepassait les Alpes deux ans), tous semblent savoir"l'italien. Ils reoivent des liwes de Venise. Est-ce Dauratici encore qui leur sert d'initiateur? Peut-tre. Pourtant,bien qu'il ait lou en vers latins Ptrarque, Dante etl'Arioste, il semble avou- peu connu la littrature toscane.11 est possible que Lazare de Baf ait t ici le guide deson fils et des amis de son fils. Du sjour qu'il fit Venisecomme ambassadeur de Franois I^^, il semble avoh" rap-port une certaine connaissance des lettres italiennes. Iltait rest en relation avec des libraii'es et avec des hommesde lettres vnitiens. Il tait ami de Bembo, le promoteurde la renaissance ptrarquiste dans l'Italie du seizimesicle, et il avait rencontr probablement plusieurs despotes qui la suite de Bembo travaillrent cette renais-sance, car ils appartenaient pom' la plupart Venise. Or \prcisment c'est Bembo et aux bembistes que Du Bellay,Ronsard et mme Baf demandrent les modles de nombrede leurs sonnets publis au dbut de leur carrire. Ils ont >pi-olong au del des Alpes l'cole de Bembo. Quoi qu'il en /soit de cette hypothse, l'Italie occupait si fort alors les 'esprits cultivs que nos quatre amis pouvaient fort bien .sans le conseil de Lazare de Baf aller elle, et il sembleque de beaucoup Du Bellay fut, l'poque qui nous occupe,le plus italianisant des quatre. Par son canal surtout lepetit groupe s'imprgna des enseignements de l'Italie.A Coqueret Du Bellay se pntre de VOrlando Furioso,dont il dcoupe en sonnets les discours amoureux. H litavec admiration aussi et il met au pUlage un recueil devers publi par les bembistes Venise en 1545 et en 1547,les Rime di diversi. II connat encore Ptrarque, Sannazar,

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    22 UONSARI). CHAP. Ilqu'il exploite, certains ouvrages en prose, et peut-trec'est lui qui les fait goter Ronsard, dont les empruntsaux ouvrages italiens seront toujours plus discrets.

    IV

    Or dans l'Italie de Ptrarque, de l'Aiioste et de Bemboil fait voir Ronsard prcisment les deux mmes ten-dances littraires qui se partagent les esprits en France ;d'un ct sont les tenants de la tradition, les marotiques del'Italie si l'on peut dii'e, qui continuent de cultiver entoscan les genres hrits des Ptrarque, des Dante, desBoccace et de leurs successeurs ; en regard sont les lati-niseurs puristes qui tiennent pour l'antique idiome del'Italie, pour celui par lequel Rome s'est acquis une gloii'eimmortelle. Us s'enttent poursu'vre la perfection de laprose cicronienne et du vers vii'gilien, et penser que lesgrands genres littraires de l'antiquit ne peuvent tredignement cultivs que dans les langues qui leur ont donnnaissance. Buonamico, l'ami de Lazare de Baf, n'est-ilpas de ces derniers?

    Mais entre ces deux courants, le courant de la pure tra-dition et le courant de la pure rudition, un troisimes'est fait jour depuis un quart de sicle, un courant deconciliation qui rve d'illustrer la langue toscane en yacclimatant toutes les belles uvi'es des littraturesantiques. Ceux-ci s'allient avec les partisans des modernespour publier pendant tout le seizime sicle, comme djau quinzime, une srie d'apologies de la langue vulgaii'e,destines la dfendre contre les mpris des pdants ; ilss'allient en retour avec les admii-ateurs des anciens pourproclamer l'excellence des genres antiques, leur dignit,et pour rclamer qu'on les transplante dans un sol nou-veau. Ils seront donc les guides de Ronsard, car leurs idesressemblent trangement celles sur lesquelles Peletier

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    A L'ECOLE DE DAURAT 23s'est mis d'accord avec Ronsard et avec Du Bellay.L'exemple de ces classicistes exalte l'imagination de

    Ronsard et de Du Bellay. Eux aussi se dresseront entreles marotiques, qui, faute d'rudition, asservissent notrelangue de bas offices, et les latiniseurs impnitents commeSalmon Macrin qui lui font plus d'injure encore en ladclarant incapable des hautes destines littraii-es. L'uvre entreprendre est ici beaucoup plus ncessaii-e encorequ'en Italie, car la langue franaise n'a pas dans son passdes Dante, des Boccace et des Ptrarque pour la dfendre,et, d'autre part, les pdants ne pourront pas chez nous seretrancher derrire cette excuse dont se parent les Italiens,que le latin est leur langue nationale.

    Les ouvrages qui se publient dans la pninsule sur lesmrites du vulgah-e toscan et sur Tmiitation des anciensfournu'ont des ai'mes dans le combat et une mthode pourl'action. Des exemples prcis stimulent les nergies :Trissino n'a-t-il pas ressuscit la tragdie la mode antiquedans sa Sophonisha? A"'tait-il pas occup terminer sonItalia liberata dai Goti, vritable pope nationale sur let3'-pe de VIliade et de VEnide? Ses ouvi-ages critiquestaient remplis de conseils sur l'acclhnatation des autresgrands genres. L'lgie amoureuse avait reparu avecr Arioste ; et de mme la comdie, la sath'e avaient revu lejour. Il n'tait pas jusqu'aux tmrits de Ronsard queles classicistes italiens ne parussent autoriser : si BernardoTasso l'encourageait dans son dessein d'imiter Horace,Alamanni, qui venait de publier des odes pindariques enitalien, rin\itait imiter Pindare. A l'exemple de ClodioTolomei, on rvait de composer des vers blancs conformes la mtrique ancienne.Les plus nobles passions stimulaient encore la lgitimeambition de nos jeunes gens. Un sentmient patriotiquepuissant leur commandait d'agir. Ils souffraient de voh-la littrature de leur pays si misrable, si universellementmprise, auprs de la florissante littrature italienne. Leseul remde une indigence aussi humiliante, c'taitd'abord, en suivant les traces de l'Italie, de dpouiller

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    U RONSARD. CHAP. IImthodiquement sa manire les littratures anciennes ;c'tait ensuite de dpouiller la littrature italienne elle-mme afin de lui enlever toute supriorit. Il y avait lcomme un devoir patriotique qui s'imposait. A l'exemplede l'Italie, comme des odes on composerait des sonnets;on rformerait l'orthographe de manire la rendre pho-ntique. Aussi le programme n'est plus de fake passer enfranais l'ode horacienne ou l'ode pindarique, mais bien dedonner la France tous les genres littraires illustrs parun glorieux pass, tous ceux que Daurat rvle dans sesleons et que les classicistes italiens ont dj tent de fakeleurs, tous ceux aussi que le commerce des livi'es toscansfait connatre.

    VSans rinfluence itahenne je crois bien que, au moins

    dans ses grandes lignes, le progranmie de la Pliade ett conu au seizime sicle, tant il apparat comme unproduit ncessaire de la Renaissance ; mais l'exemple del'Italie l'amplifia, le prcisa, et surtout il enfivra Ronsard.H a donc dj group quelques combattants autour delui. Outre les quatre amis, Daurat, Ronsard, Baf et DuBellay, la Brigade comptait dj sans doute quelquesautres lves de Dam-at qui n'ont gure produit : Claudede Lignery, Pierre des Mireurs, Julien Pacate, BertrandBergier, d'autres encore. Ds le temps de Coqueret, etavant qu'on et rien publi, il semble bien que Ronsardtait regard comme le chef, celui qui devait conduke l'assaut la petite troupe. Sa fougue juvnile sans doutelui valait cette prminence. C'est de lui qu'on attendaitles deux plus lourdes tches : l'ode pindarique, laquelleil travaillait dj, et l'pope franaise. Le magnifiquetem])rament de pote ({ue l'avenir devait rvler en luijustifie la confiance qu(^ lui tmoignaient alors mme ses

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    A l/i:COLE DE DAURAT 25ans. Apres quil aura enibelli un "eniv, un autre genrele tentera, puis un autre encore, et la merveilleuse richessede sa natnre lui permettra de se prendre tous, de rus-sir dans prescjue tous, d'tonner ses contemporains parson aptitude prestigieuse se renouveler sans cesse. Dansle dfrichement de tel ou tel donuiine, ses seconds le pr-\iendront parfois ; mais, venu aprs eux, prescpie sur tousles points les surpassera. Il va les surpasser aussi d'ail-leurs et c'est la ranon de son gnie dans les excs dela premire heure.

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    CHAPITRE IIILA BATAILLE ET LES EXCS DE JEUNESSE

    LES ODES DE 1550

    Une dconvenue fora nos jeunes gens se mettre encampagne plus tt peut-tre qu'ils ne l'auraient voulu :'au milieu de l'anne 1548 Sbilet publia son Art potique.Le coup tait rude. Un quidam, qui n'avait rien decommun avec leur groupe, exprimait pour son proprecompte les ides qui leur taient chres et dont ils atten-daient la glo-e. Il disait la ncessit d'ennoblir la posiefranaise par un travail d'art jusqu'alors trop nglig. Ilvoulait au rimeur substituer le pote inspii' de quelquedivine afflation )). Il rduisait la portion congi'ue le rude et ignare populaire . Surtout il recommandait avecinsistance la culture des grands genres renouvels de l'an-tiquit ou des Italiens : le sonnet, l'ode, l'pope. C'taitpar voie d'imitation principalement qu'il voulait les accli-mater en notre langue. N'allait-il pas jusqu' conseillerl'imitation de Pindare, cette audace o Ronsard voyaitsa principale originalit? Il leur drobait leur programme.Encore s'il l'avait expos, ce programme, dans l'esprit

    o ils comptaient le faire, on et pu tenter de s'adjoindrecet inconnu. On et pu songer adopter son manifeste.Mais c'tait leur doctrine sans le souffle rvolutionnaire /dont ils la vivifiaient : leurs yeux elle perdait tout son '

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    28 ]{0NSAJ;L). CIIAP. IIIprix. Sans doute Sbilet faisait bon march du lai et duvii'elai, mais il n'y avait cela nul mrite : le lai et le vire-lai taient dlaisss de tous ; sans doute il plaisantait lesrimes concatnes, annexes, couronnes et antres gentil-lesses qu'on avait tant admires jadis : comment et-il prisleur dfense? Malgr Jean Bouchet qui achevait sa longue

    ^ vieillesse dans sa pro\nce, le rgne des grands rhtori-q'ieurs tait bien fini depuis longtemps. En revanche Sbi-let, entre des chapitres sur le sonnet et sur l'ode, consa-crait des chapitres entiers au rondeau, la ballade, auchant royal ; bien plus, dans un mme titre il unissait l'odeau cantique et la chanson : c'tait une intolrable pro-fanation. S'il prconisait l'imitation, il conseillait aussi latraduction parce que Marot l'avait pratique. Comme mo-dles, ct de Pindare et d'Horace, il osait nommer Ma-rot. Marot et son imitateur Saint-Gelais taient les grandsmatres que, presque pour tous les genres, il invitait sondisciple suivre. Il faisait grce la rime quivoqueparce que Marot ne l'avait pas rejete. Ce prtendu nova-teur n'tait donc qu'un fervent marotique. Il montraitque l'cole de Marot s'accommodait parfaitement de l'ided'une rfonne, que pour faire cette rforme elle n'avaitmme qu' poursuivre, en acclrant un peu le pas, lamarche commence, et qu'enfin pour magnifier la posiefranaise par l'imitation des littratures anciennes etitalienne il n'tait pas du tout besoin d'une rupture tapa-geuse avec le pass. Voil surtout qui tait impardonnable.Une pareille manire de vok pouvait bien avoh t cellede Ronsard vers 1543, maintenant elle ne faisait plus dutout son compte.

    Dj Maurice Scve et Antoine Hrot avaient publides uvres trop savantes et trop aristocratiques de tonpour ne pas l'inquiter, trop peu pntres cependant del'esprit antique pour le satisfaire. S'il diffrait encore, ilarriverait trop tard : toute la renomme qu'il escomptaitpour lui et pour ses amis serait fauche par d'autres, et larnovation de la posie franaise ne se ferait point selonleurs ides.

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    LA lATAILLE ET LES EXCS DE JEUNESSE 29

    II

    Du Bellay fut charg de la riposte, il tait l'an. De i)lusil avait des vers presque prts pour la publication tandis

    '. que les Odes de Ronsard n'taient pas point. Il pouvait,en le lui ddiant, mettre son libelle, et du mme coup tonte

    / la nouvelle cole, sous le patronage considrable de soncousin le cardinal Du Bellay. Enfin il tait mme de trouverdes armes de combat en Italie. Mais si Du Bellay tint laplume, les ides qu'il exprima taient celles de tout leuioupe, celles de Ronsard en particulier, et mme lestermes de la rplique furent probablement arrts encommun.La Dfense et Illustration de la langue franaise est uneuvre mdiocre quant sa forme et peu originale en sonfgnd.Du Bellay commence par dfendi'e la langue franaisecontre les latiuiseurs qui la dclarent incapable d'ex-primer les hautes conceptions de la posie et de la philo-sophie, et cela est naturel car, avant d'indiquer les moyens

    / d'illustrer une langue, on pent estimer ncessaire de dmon-trer (prelle est susceptible d'tre illustre. Mais cettedfense de la langue franaise est, en majeure partie,traduite textuellement d'un dialogue italien cpie SperoneSperoni avait publi Venise quelques annes auparavant.'Qu'on ne s'tonne donc plus de n'y pas trouver une connais-sance plus approfondie du pass de notre langue et de sesressources. ]N^os auteurs ne s'taient pas mis en frais.Disons mieux : ces ides, qu'ils empruntaient d'un autenritalien, sm' l'galit native des langues et snr la possibilitd'lever notre vulgaii'e la dignit de langue littraire,taient, non seulement en Italie, mais mme chez nous,dj vulgarises.Quant l'Illustration de la langue, outre quelques pr-

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    30 RONSARD. CHAP. IIIceptes de versification et de style que Ronsard devait pr-ciser plus tard, elle comprenait principalement l'annonce la France d'une posie sublime, la fois artiste et ins-pii'e, qui devait galer notre idiome aux langues anciennes,et pour raliser cette posie, le plan d'imitation des genresanciens et italiens que nous avons vu Ronsard et ses amislaborer dans la retraite ; c'tait, en somme, le programmede Sbilet, mais considrablement affermi et largi par lesleon de Daurat et de l'Italie, rendu plus intransigeantpar l'exclusion de tous les modles franais, vivifi de toutl'enthousiasme de la jeune cole, diminu pourtant danssa nouveaut depuis qu'un partisan de Marot l'avaitoffert au public.Au reste, nombre de termes et de propositions, oii setrahissait le pdantisme foncier de ces coliers, pouvaientdonner des inquitudes : toute leur faveur allait aux genresles moins accessibles ; ils affichaient leur admh'ation pourun auteur comme Lycophron, et pour un jeu d'espritcomme l'anagramme ; ils prtendaient bourrer leur posielyrique de rare et antique rudition et la voulaient avanttout loigne du vulgaii'e ; ils faisaient un constant appelau jugement des doctes ; Us insistaient d'une maniretroublante, au moins dans certaines parties du libelle, sur lancessit d'emprunter beaucoup de mots et des tours destyle aux anciens. Tant de savoir ne tuerait-il pas, avecle naturel et la vrit, la posie elle-mme?On avait craindre surtout l'orgueil et le mpris desmarotiques que cette rudition leur insph'ait. De l cetesprit d'aveugle raction qui devait les conduire de sifcheux excs. Ce qui a frapp principalement dans lelibelle de Du Bellay, c'est le ton rvolutionnaire de sonauteur, son arrogance hautaine, venue, elle aussi, du col-lge de Coqueret et des excitations itahennes. C'est par Lqu'U a fait date. On devait tre choqu ou ravi par la bru-talit avec laquelle tous les genres traditionnels sans dis-tinction, pour cela seul qu'ils appartenaient la tradition,taient traits d' piceries et renvoys aux jeux florauxde Toulouse , par tant de jugements impertinents ports

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    LA i;ataillk kt ij:s kxcks dk j i

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    3l> JiONSARD. CH.VP. IIIjjrmiccs de la grande uvre de Ronsard, quelques mo-dles du genre. Mais coutons maintenant le jeune matre :

    AU LECTEURSi les hommes, tant des sicles passs que du ntre, ont

    mrit quelque louange pour avoir piqu diligentement aprsles traces de ceux qui, courant par la carrii'e de leurs inventions,ont de bien loin franchi la borne, combien davantage doit-onvanter le coureur qui, galopant librement par les campagnesattiques et romaines, osa tracer un sentier inconnu pour aller rimmortalit? Non que je sois, lecteur, si gourmand de gloire,ou tant tourment d'ambitieuse prsomption, que je te veuilleforcer de me bailler ce que le temps peut-tre me donnera(tant s'en faut que c'est la moindre affection que j'aie de me voirpour si peu de frivoles jeunesses estim) ; mais, quand tu m'ap-pelleras le premier auteur lyrique franais et celui qui a guidles autres au chemin de si honnte {JionoraUe) labeur, lors tu merendras ce que tu me dois, et je m'efforcerai te faire apprendrequ'en vain je ne l'aurai reu. Bien que la jeunesse soit toujoursloigne de toute studieuse occupation pour les plaisirs volon-taires qui la matrisent, si est-ce que {nanmoins) ds monenfance j'ai toujours estim l'tude des bonnes lettres l'heu-reuse fhcit de la vie, et sans laquelle on doit dsesprer depouvoir jamais atteindre au comble du parfait contentement.Donc, dsirant par elle ra'approprier quelque louange encorenon eomnnnie, ni attrape par mes devanciers, et ne voyant ennos potes franais chose qui fut suffisante d'inhter, j'allai voirles trangers, et me rendis familier d'Horace, contrefaisant sanave douceur, ds le mme temps que Clment Marot (seulelumire en ses ans de la vulgaii'e posie) se travaillait lapoursuite de son psautier, et osai le premier des ntres enri-chir ma langue de ce nom. Ode, comme l'on peut voir par letitre d'une imprime sous mon nom dedans le Hvre de JacquesPelelier du Mans (1), l'un des plus excellents potes de notrege, afin que nul ne s'attribue ce que la vrit commande tre

    (1) AUusion au recueil de posies de Peletier paru en 1547, et quicontenait une ode de Ronsard, l'ode Des ieauts qu'il voudrait ens'amie.

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    LA MATAILLE ET LES EXCES DE JEUNESSE 33;'i moi. Il est certain (|iie telle Ode est imparfaite [xair n'tremesure ne propre h lyre, ainsi que Iode le recpiiert, commesont encoie douze ou treize cpu\i"ai mises en mon Bocaijc^^imsautre nom que d'odes, pour cette mme raison, servant dernuiignaiie par ce vice leur antiquit. Depuis, ayant fait(|uel(|ues-uns de mes amis participant de telles nouvelles inven-tions, approuvant mon entreprise, se sont dilis't'nts de faireapparatre combien notre France est hardie et pleiue de toutvertueux labeur : laquelle chose m'est agrable, pour voir parmon nu)yen les vieux lyriques si heureusement ressuscites. Tujugeras incontinent, lecteur, que je suis un vanteur et gloutonde louange ; mais, si tu veux entendi'e le vrai, je m'assure tantde ton accoutume honntet que non seulement tu me favori-seras, mais aussi, quand tu liras cpielques traits de mes vers(pli se pourraient trouver dans les uvres d'autrui, inconsid-rment tu ne me diras imitateur de leurs crits ; car Fimitationdes ntresm'est tant odieuse (d'autant que la langue est encoreen son enfance) que pour cette raison je me suis loign d'eux,prenant style part, sens part, uvi'e part ne dsirantavoir rien de comnmn avec une si monstrueuse erreur. Donc,m'acheminant par un sentier inconnu, et montrant le moyen desuivre Pindare et Horace, je puis bien dire (et certes sans van-terie) ce que lui-mme modestement tmoigne de lui :

    Libra per vacuum posui vestigia princeps,Non alina meo pressi pede.

    Je fus maintes fois, avec prires, admonest de mes amisfaire imprimer ce mien petit labeur, et maintes fois l'ai refus,apprenant la sentence de mon sentencieux auteur,

    Nonumque prernatur in annum;et mmement [particulirement) sollicit par Joachim du Bellay,duquel le jugement, l'tude pareille, la longue frquentation etr_a.rdent dsir de rveiller la posie franaise, avant nous faibleet languissante (j"'excepte toujours Hrot et Scve et Saint-Gelais), nous a rendus presque semblables d'esprit, d'inventionset de labeur. Je ne te dirai prsent que signifie strophe, antis-trophe, pode (laquelle est toujours diffrente du strophe etantistrophe de nombre ou de rime) ; ne quelle tait la lyre, sescoudes ou ses cornes : aussi peu si Mercure la souponna, de

    Ronsard. 2

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    34 RONSARD, CHAP. IIIl'caill d'une tortue, ou Polyphme des cornes d'un cerf, lecreux de la tie servant de concavit rsonnante ; en quelhonneur taient jadis les potes IjTiques. comme ils accordaientles guerres nuies {suscites) entre les rois, et quelle sommed'argent ils prenaient pour louer les hommes. Je tairai conmiePindare faisait chanter les hymnes crits la louange des vain-queurs olympiens, pythiens, nmans, isthmiens. Je rserve toutce discours un meilleur loisir ; si je vois que telles choses m-ritent quelque brve exposition, ce ne me sera labeur de te lesfaire entendre, mais plaisir, c'assurant que je m'estimerai for-tun ayant fait diligence qui te soit agrable. Je ne fais point dedoute que'ma posie tant varie ne semble fcheuse aux oreillesde nos rimeurs, et principalement des courtisans, qui n'admirentqu'un petit sonnet ptrarquis, ou quelque mignardise d'amour,qui continue toujours en son propos ; pour le moins, je m'assurequ'ils ne me sauraient accuser sans condamner premirementPindare auteur de telle copieuse diversit, et outre qUe c'est lasauce laquelle on doit goter l'ode...

    Trois affirmations prcises se dgagent de ce vaniteuxpangyrique : c'est Ronsard qui a invent l'ode franaise ;c'est Ronsard qui a imagin le nom d'ode ; avant Ronsardla posie franaise tait Marot et de Saint-Gelais est chose frivole et qui ne saui'ait

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    LA IIATAILLE ET LES EXCS DE JEUNESSE 3o[)iteiidro la dignit de Tode, nous poumons lui rpondreque plus tard lui-mme, Ronsard, il en a compos de sem-blables auxquelles il a bel et bien donn le titre d'odes ; etpuis nous riposterions en outre que Marot a encore tra-duit ces Psaumes de David qu'il connat fort bien. Je crois(pu> l'objection tire des Psaumes est de celles qui le ta-(juinent, et j'imagine que c'est avec le vague dsir deFcarter qu'il a pris soin de nous assurer que ses premiresodes lui datent de la mme poque. En tout cas, ceux-lavaient raison contre Ronsard, les Aneau, les Des Autels,((ui, dans leurs libelles, dtendirent les droits de Marot,(le Despriers et des autres, et qui protestrent que lachanson tait une manire d'ode, et que, si l'on devaitcpielque chose Ronsard, c'tait non la chose, mais lemot.

    Ils auraient pu ajouter qu'on ne lui devait pas le mot,plus que la chose. C'tait ^Taiment un mdiocre titre degloire (du moins nous en jugeons ainsi) c{ue d'avoh* trans-port en franais ce mot d'oda qui tait absolument cou-lant alors sous la plume des potes latiniseurs. Mais enfinattachons cette innovation tout le mrite que le seizimesicle y attachait. Encore n'en ferons-nous pas honneur Ronsard. Lemake de Belges, notamment, dont Ronsarda tant tudi les uviTs, en faisait usage ds l'anne 1511dans son Temple de Vnus.

    Accorderons-nous du moins Ronsard que son uvremarquait une vritable rvolution potique? En partieseulement, et nous allons prcisment maintenant voh-dans quelle mesure, en tudiant les odes auxcj[uelles cettetapageuse dclaration servait de prface. Historiquement,nous constaterons qu'il n'y a pas eu solution de continuitentre Marot et Ronsard, il y a eu seidement raction decelui-ci contre celui-l, parce que toute cole s'affirmeet dfinit son programme en ragissant contre l'cole quil'a prcde. S'il apportait son uvre lyrique un soucid'art beaucoup plus gi'and que ses devanciers, s'il s'atta-chait davantage la varit des rythmes et la structuredes strophes, surtout s'il faisait une place grande au paga-

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    36 RONSARI. CHAP. IIIiiisnie et rrudition, il n'y avait pourtant, tous cespoints de vue, entre eux et lui qu'une diffrence de degr,non une diffrence de nature. Depuis une po(|ue trsl'ecule, nuiis depuis un demi-sicle surtout, les lmentsanciens pntraient peu peu notre posie nationale.S'il a fait faire dans cette voie un pas considrable, iln'a pas chang l'orientation de notre littrature.

    IV

    En achevant cette im})ertinente prface, le k^cteurde 1550 tait en droit de se persuader que hi ])osie deRonsard ne connaissait que le style de Pindare. Il n'avaitcpi' tourner quelques ])ages pour se dtromper. Sansdoute les odes pindariques envahissaient tout le premierlivre et formaient Touvrage un imposant frontispice,mais plus loin venaient des pices d'une tout autre inspi-ration.

    11 nous serait j)rcieux de savoir l'ordre dans lequel outt conq)Oses ces cent sept od(^s. Nous pourrions suivi'cpas |)as, travers sept ou huit annes de ttonnements,r\ olution et sans doute les oscillations de la manire deRonsard, depuis ses premiers essais jusqu'au jour de la])ublication. M. Laumonier s'est efforc de dresser cettechronologie. N'allons pas, sous prtexte qu'il ne s'est pasdfendu suffisamment peut-tre des conjectures trop fra-giles, contester l'opportunit de son entreprise. A ngligerles hypothses caduques, ne retenu* que les dates solides,celles qui re])osent sur des allusions ])rcises ou sur desdclarations de Ronsard, nous en th-ons encore d'utili^sinformations. J'en retiens trois enseignements principaux :

    1 Que Ronsard a bien commenc, ainsi que nousl'avions conjectur, par tre un imitateur d'Horace et unmule de Marot ;

    2" Que l'imitation de Pindare, qui devait entraner le

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    LA BATAILLE F,T LES EXCES DE .lETINESSE 37mpris de Marot. n'est venue que plus tard, en 1545* ditM. Laumonier. (jui date de cette anne VOde sur lu victoirelie Crisoles; je dirais j)lus volontiers en 1547, car VOdemr la victoire de Crisoles me jiarat tre postrieure aumois de fvrier 1546 et ne pou\oir tre assigne aucunedate dtermine, et parce que VOde sur la victoire de Guyde Chahot, seigneur de Jarnac (seconde moiti de 1547)me semble tre la |)remire que Ton })uisse dater aveccertitude ;3 Que, dans le temps o il imitait Pindare, Ronsardrestait fidle Horace et que durant les annes 1548et 1549, Tapoge de son enthousiasme pour Pindare, ils'inspirait de ses deux modles la fois.

    Voici quelques odes parmi les plus anciennes qu'aitcrites Ronsard. Lui-mme a dclar que, n'tant pasmesures la lyre, elles donnaient par l tmoignage deleur antiquit . Elles nous montreront ce que j'appelleraile Ronsard premire manire. '

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    PREMIRES ODES

    A GASPAKD D'AUVERGNEODE NON MESURE (1)

    Soyons constants, et ne prenons souciQuel jour suivant poussera celui-ci ;Jetons au vent, mon Gaspard,' tout Taffaire (2)Dont nous n'avons C[ue faire.Pourquoi m'irais-je enquerre (3) des TartaresEt des pays tranges (4) et barbares.Quand grand^peine ai-je la connaissance

    Du lieu de ma naissance?A propos, FignorantVa toujours discourantLe ciel, plus haut que lui.Las ! malheur sur les hommes !Ns certes nous ne sommesQue pour nous faire ennui.

    C'est se mocjuer de gner (5) et de poindre (6)Le lias esprit des hommes, cpii est moindre(1) BL, Odes retranches, t. II, p. 398. Texte de 1550.(2) Affaire tait alors masculin aussi bien et plus souvent que fminin.(3) Enqurir.(4) trangers.(5) Mettre la torture.(6 Piquer.

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    PHKMKllES ODES = .1!)Que les conseils de Dieu, ou de penser

    Sa volont passer.Toujours eu lui mettons notre esprance,Et en son lils notre ferme assurance.Quant la reste, allons avec le tempsHeureusement contents.A l'homme qui est nPeu de temps est donn

    Pour se rire et s'battre.Nous l'avons ; cependantQue vas-tu attendant?Un bon jour en vaut quatre.Soit que le ciel de foudres nous dpite.Ou que la terre en bas se prcipite ;Soit que la nuit devienne jour qui luit,

    Et le jour soit la nuit.Je n'en aurai jamais frayeur, ne crainte,Comme assur que la pense sainteDe l'ternel gouverne en quitCe monde limit.Le Seigneur de l-hautConnat ce qu'il nous fautMieux que nous tous ensemble.Sans nul gard d'aucun,Il dpart (1) chacunTout ce que bon lui semble.

    Je t'apprendrai, si tu veux m'couter,Comment l'ennui mordant se peut ter.Et tout ce qu'a la tristesse avec elleD'importune squelle.

    Tu ne seras convoiteux d'amasserCela de quoi tu te peux bien passer,Comme trsors, honneurs et avarices.Ecoles de tous vices ;Car c'est plus de refraindre (2)Son dsir que de joindre

    (1) Disir'.bue.(2) Rfrner.

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    40== RONSARD. CIIAP. H =L'ourse au midi ardent,Ou l'Auvergne pierreuseA TArabie heureuse,Ou l'Inde rOccident.

    Tu dois encor viter, ce nie semble,Faveurs des rois et des peuples ensemble ;De ces mignons toujours quelque tempte

    Vient foudroyer la tte.Ce n'est pas tout : avecques providence (1)Fais un ami, dont l'heureuse prudenceTe servira de secours ncessaire

    Contre l'heure adversaire.Ton cur bien pr})ar,De force rempar,En la fortune adverse,Patience prendra :En la bonne, craindraQue l'heur ne le renverse.

    Api's l'hiver, la. saison variablePousse en avant le printemps amiable.Si aujourd'hui nous sommes soucieux.Demain nous serons mieux.Toujours de l'arc Tir (2) Phebus ne tirePour envoyer aux Grecs peste et martyre ;Aucune fois, tout jiaisible, rveilleLa harpe, qui sommeille.En orage outrageuxTu seras courageux :

    Puis, si bon vent te sort,Tes voiles trop enfles,De la faveur souffles.Conduiras, sage, au port.

    Aprs avoir pri, dvotieux,Les deux jumeaux qui dcorent les cieux.Desquels le feu flamboiera sur sa tte

    Vainqueur de l;i ttMiipte,

    (1 ) Frvoyancc.(2) Eu c-.Jre.

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    I'|{KMIKKES (inKS = 41l>"iiii ("scrimour en \cis tu ilcriras,L'aiitic dompiciii- de {-hevaux tu diras,Uu pour leur sur le combat merveilleux

    Des deux Rois orgueilleux.

    AU MEMEODE NON MESURE (i)

    Puis([ue la Mort ne doit tarderQue ])j'ompte vers nous ne parvienne,Trop huiuain suis pour me garder (2)Qu'pouvant ne m"en souvienne,Et qu'en mmoire ne me vienneLe com's des heures incertaines,(iaspar, (pii, aux bords de Vienne (3),As rebti Rome et Athnes.En vain l'on fuit la mer (}ui sonneContre les gouffres, ou la guerre,Ou les vents malsains de Vautomne,Qui soufflent la jK'ste en la terre,Puisque la Mort, (pii nous enterre,Jeunes nous tue, et nous coiuluitAvant le teiups au lac qui errePar le royaume de la nuit.L'avaricieuse NatureEt les trois surs filant la vieSe dnient (4) (puind la cratureDure longtemps, portant envieA la fleur, qu'elles ont i)oursuivie,La crant rose du printemps,A qui la naissance est: ravieEt la gi'ce tout pu mi temps.

    Il) Bl.. Odes reiranrhrcs. t. II, p. lut. Texte de 1560.(2) Empcher.(3) Peut-tre Ivijiiuges.(A) S'attristent.

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    Ji^y ^^=r== UONSARI. CHAP. III - - " =l/iiu devient aveugle, ou thique ;L'autre n'attend que le cyprs,l*]t celui ((ui fut hydropiqueRegagne le> fivres aprs.Nous sommes humains tout exprsPour avoir le cur outrag (1)D'un aigle, qui le voit d'auprsNatre afin qu'il soit remang.Bientt sous les omlires, (iaspar,La mort nous guidera subite.Ne sceptre, ne triomphant charNe font que l'homme ressuscite.Diane son cher HippolyteN'en tire hors, ains (2) gt parmiLa troupe o Thse s'inciteVa\ vain de ravoir son ami.L'homme ne peut fuir le mondeSon inconnue destine.Le marinier craint la fire (3) onde.Le soldat la guerre obstine.Et n'ont peur de voir termineLeur vie sinon en tels lieux ;Mais une mort inopineLeur a toujours ferm les yeux.De quoi sert donc la mdecineEt tout le gaac (4) tranger.User d'onguents ou de racine.Boire bolus (5) ou d'air changer,Quand cela ne peut allongerNos jours compts? O cours-tu. Muse,Reprends ton style plus lgerEt h ce grave ne t'anuise (6).

    (1) Bless.(2) Mais plutt.(3) Cruelle.(4) Le bois de gaac jouissait d'une trs haute rputation pour lagurlson des rhumatismes et des maladies scrofuleuses.(5) Mdicament alors en usage.(B) Ne perds pas ton temps.

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    PUEMIKUES 01) H S ===== i3A JACQUES PELETIER DU MANS

    DES BEAUTS QU'IL VOUDRAIT EN S'AMIE (1)ODE XON MESURE

    Quand je serai si lieureux de choisirMatresse selon mon dsir,Mon Peletier, je te veux direLaquelle je voudrais lirePour la servir, constant son plaisir.

    L'ge non nnu", mais verdelet encore,Est l'ge seul qui me dvoreLe cur d'impatience atteint ;Noir je veux l'il et brun le teint,

    Bien que l'il vert toute la France adore.J'aime la bouche imitante la roseAu lent soleil de mai dclose (2)...La taille di'oite la beaut pareille.Et dessous la coiffe une oreille

    Qui toute se montre dehors ;En cent faons les cheveux tors (3) ;La joue gale l'aurore vermeille ;L'estomac plein : la jaml)e de bon tour.

    Pleine de chair tout l'entour,Que volontiers on tterait ;Un sein qui les dieux tenterait.Le flanc hauss, la cuisse faite au tour ;

    (1) B)., Odes retranches, t. II, p. 402. On trouvera le texte orisi-nal de cette pice dans l'ouvrage de M. Laumoxier, Ronsard, pactelyrique, p. 26. Les corrections souvent trs heureuses que Ronsardlui a fait subir l'ont amlior sans en changer sensiblement le carac-tre. J'avertis le lecteur qu'il trouve ici le texte remani d'aprsl'dition I\Iartv-Laveaux.

    (2) Ouverte.(3) Tordus,

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    MONSARI). CHAP, 111I.a (leiil d'ivoire, odorante l'haleine.

    A qui s'galerait peineLes doux parfums de la Sabe,Ou toute l'odeur drobeQue l'Arabie lieureusemeut amne:L'esprit ua'f, et na'ive la grce :La main lascive, ou qu'elle embrasse

    L'ami en son giron couch,Ou que son luth en soit touch.Et une voix qui mme son luth passe (1);

    Le pied petit, la main longuette et belle,Domptant tout cur dur et rebelle.En un ris qui, en dcouvrantMaint diamant, allt ouvrantLe beau sjour d'une grce nouvelle ;

    Qu'eir st ])ar cur tout cela qu'a chantPtrarque, en amour tant vant.Ou la Rose (2) si bien crite.Et contre les femmes dpite.Par qui je fus ds enfance enchant ;

    Quant au maintien, inconstant et volage,Foltre et digne de tel ge.Le regard errant et l ;I^n naturel avec cela

    Qui plus que l'art misrable soulage..le ne voudrais avoii' en ma puissanceA tous coups (Felle jouissance ;Souvent le nier (3) un petit (4)En anu)ur donne l'apptit.Et fait durer la lonoue obissance.

    fl) Surpasse.(2) Le Roman Oc la Rose, de Jean de Meung et de Guillaume deLORRIS.(3) D're nr:n, refuser.(4) Un peu.

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    PRKMIKKES ODES = 45D'elle le temps ne |)(tiiii;iil iiitraiiiicr (1),

    N' autre amour, ni lor tranger,Ni tout le bien c|ui arriveDe l'Orient notre rive.le lie voudrais ma brunette ehanger,Lorsque sa bouche me baiser tendrait,Ou qu'approcher ne le voudiait

    Feignant la cruelle fche,Ou, quand en cjuelque coin cache,

    , Sans raviser (2] prendre au col me viendrait.Nous avons reconnu au passage bien des thmes chers

    Horace, sans cesse repris dans ses odes : jouissance duprsent sans souci du lendemain. iiH''pris des passions quirongent le cur, modration dans la bonne fortune,constance dans l nuiuvaise, soudainet de la moit, saloi gale ])our tous, etc. 11 serait facile daccuuuder lesrapprochenu'uts. de citer des vers d'Horace presque enregard de chacune de ces stroj)hes. Mais cet Horace-ln'aurait auctmement dconcert Marot ou Saint-Gelais.Cette morale est ]3aienne assurment, mais point ti'0|)

    ' pour eux, et ce sont l des sentinuMits leur taille. Les sou-venirs mythologiques ne sont pas trop drus et ce n'estque par accident que quelqu'un d'eux leur paraitraitobscur. Ronsard, d'ailleurs, dans la manire de traiter cesthmes, n'affiche aucune tmrit : s'il fait sien l'picu-risme d'Horace, il en cherche l'expression de prfrencedans des pices o il s'allie l'ide de Providence, o.pour des lecteurs chrtiens, il semble se temprer par lmme et chercher se faire absoudre. N'y mle-t-il pasjusqu' la ])ense du Fils de Dieu ? Si sa lyre parfoiss'lve l'expression d'ides un peu ambitieuses. Ronsardsemble s'en tonner lui-mme.

    O cours-tu Muse?Reprends ton style plus lgerEt ce grave ne t'amuse.

    (l'j Aliner.(2) Sans Taviser, suas que je l'aperoive.

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    46 RONSARD. CHAP. IIIEt je sais bien qu'ici encore il imite Horace qui avaittermin ainsi deux de ses odes, je croirais volontierspourtant que cette timidit est sincre. De fait, l'poqueo nous sommes, dans l'ode morale l'artiste n'est pas encore l'aise : l'ide est dlaye, l'expression est embarrasseet sans vigueur. Marot dans les Psaumes est souvent plusnerveux. Au point de vue rythmique, on peut mme direqu'ici Ronsard retarde sur Marot, car les Psaumes sontexactement mesurs la lyre . En somme, rien en toutcela n'est au-dessus des forces de Marot. S'il et pris pourmodle Horace au lieu de David, il pouvait faire aussi bienque Ronsard, et l'imitateur de la premire glogue de Vir-gile, du Passereau de Catulle, de Martial en tant de ses pi-grannnes, d'autres encore, et ]ni fort bien choisir Horaceconnue modle au lieu de David. A plus forte raison l'aven-ture pouvait-elle tenter Saint-Gelais dont l'uvre est beau-coup plus que celle de Marot teinte de souvenii's antiques.La jolie ode Des heauts qu'il voudrait en s''amie est trspaiticulirement instructive. Les deux dernires strophesen sont directement imites d'Horace. On y a relev enoutre des rminiscences d'Ovide, de Tibulle, de Properce,de TArioste. Et cependant l'inspiration de la pice esttoute marotique. En crivant, Ronsard avait certainementprsent l'esprit ce gracieux huitain de son devancier :

    Un doux ncnni avec un doux sourireEst tout honnte ! Il le vous faut apprendre.Quant est d'oui, si veniez le dire,D'avoir trop dit je voudrais vous reprendre.Non que je sois ennuy d'entreprendreD'avoir le fruit dont le dsir me point (1) ;Mais je voudrais qu'en me le laissant prendre.Vous me disiez : Non, vous ne l'aurez point.

    Bien mieux, l'ode entire est comme une rplique unechanson de Marot que voici :

    Quand vous voudrez faire une amie,Prenez-la de belle grandeur,

    (1) Pique, aigiiiUomic

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    LA BATAILLE ET LES EXCS DE JEUNESSE 47En son esprit non ondonnio.En son ttin bonne lundcMir :DouceurEn Qoeur,Langage

    Bien sageDansant, chantant par bons accords,Et ferme de cur et de corps.

    Si vous la prenez trop jeunette,Vous en aurez peu d'entretien :Pour durer prenez-la brunette,En bon point, d'assur maintien.Tel bienVaut bienQu'on fasseLa chasse

    Du plaisant gibier amoureux :Qui prend telle proie est heureux.L'ode Des heauts qu'il voudrait en s'amie est une chanson

    marotique enrichie de perles empruntes aux anciens.Elle tait bien sa place dans le recueil de Pcletier, voi-sinant avec des blasons qu'on et dits de Marot.

    VEn tout cela, nous n'avons de^^n aucune formule d'art

    nouvelle, rien qui brise avec la tradition. Ronsard, dansde pareilles pices, semblait bien plutt la continuer. Or,la frcpientation assidue d'Horace va avoir une doubleconsquence : d'une part, la nature et le travail aidant,Ronsard s'approchera peu peu de la perfection de la formecpii l'avait d'abord sduit chez son modle. 11 vitera ledlayage, il fera la chasse aux pithtes expressives, ils'enhardira chanter des senthnents inconnus de nos

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    18 UONSAUD. CHAI. IIIpotes; pour le lythme, trs soucieux de varier sans cesseses mtres et de les adaijter aux sentiments ([u'il exprime,aussi li])re et plus lilire qu'Horace dans la structure de lastrophe initiale, il s'astreindra l'pter le dessin de celle-ci travers toute la pice, donnant aux vers qui se corres-pondent exactement la mme mesure, assignant toujouisles mmes places dans la strophe aux rimes masculines etfminines, de manire obtenir un jiarfait accord de l'airavec les paroles. D'autre jjart, comme les inspirations les ])lusdiverses se rencontrent chez Horace, dejniis l'ode bachiqueha ])lus lgre jusqu' l'ode moralisante ou l'ode encomias-tique la j)lus grave, Ronsard s'essayera toutes, et il setrouvera ainsi conduit comme par la main jusqu' l'ode])indarique, qui lui apparatra comme la phis belle parceque la plus loigne de la ]3osie vulgaire, la plus drou-tante pour les (( indoctes . Horace, en effet, a beaucouj)imit Pindare. Quand il s'en dfend, il fait le modeste, etil veut dire aussi c[u'il a laiss Pindare ce qui, dans laposie ])indarique, ne lui semblait pas assimilable, latriade, les digressions cheveles, par exemple. Mais lereste, les beaux mythes, les figures, les pithtes so-nores, il a cherch tout faire passer en latin. Il a ainsifamiliaris Ronsard avec tous ces lments potiques etil l'a pr])ar les goter chez Pindare. L'enseigne-ment de Daurat et l'exemple d'Alamanni ont fait lereste.Une chronologie prcise des odes ne nous ferait certespas assister une marche rgulire vers ce double terme :la jierfection de la forme et l'inspiration pindarique. Desemblables progrs se font toujours suivant une ligneca])ricieuse aux sinuosits multipk^s. L n'en est pas moinsle fil historique qui relie l'inspiration marotique l'imi-tation de Pindare. C'est Horace qui l'a fourni grce lagrande varit de son uvre lyrique. D'ailleurs ceci n'a]ias tu cela : jusqu'au bout, Horace a propos des mo-dles dans les deux genres extrmes et fait entendre toutesles notes intermdiaires. Et, jusqu'au bout, toutes ontsduit Ronsard. Dans une pice o il se vante d'tre le

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    LA IJATAIIJJ' KT IJ- S KXCKS l>K J K li .\ ESS K 49Itrciiiicr en l^'i'aiicc (|iii n\i piiidaris. il itc laisse pasd'crire :

    La divine gi'ceDes beaux veis d'HoraceMe plat bien eiicdre.

    L'Horace gracieux qu'il gote alors, c'est toujoursr Horace lger qui s'oppose Pindare. Et c'est ainsi que,juscpren 1550, parmi la floraison des grandes u^Tesd'ap])arat, des (puvres ])indariques, ])crsiste, dissimulepar elle, mais non pas touffe, une floraison de petitespices qui restent beaucoup plus prs de la tradition maro-tique. Elles la perfectionnent sans doute infiniment del'art si conscient non seulement d'un Horace, mais de Tibulle,de Catulle, de Properce, de tant de potes latins et no-latins dont les uvres ont faonn l'imagination de Ron-sard, et dont les rminiscences, coulant comme de source,se mlent et se fondent incessamment dans ses odes (1) ;mais enfin elles ne correspondent absolument pas aux tapa-geuses vanteries de la prface. Nous en trouverons desexemples dans les pices que voici, pices dont la datede composition pour la plupart est inconnue, mais dontbeaucou]) certainement doivent tre rapportes aux annesqui ont immdiatement prcd la publication. J'ai runicette gerbe avec le dessein de rendre manifeste, dans lesodes de 1550, cette diversit d'inspiration que, par la fautede Ronsard d'ailleurs, on oublie trop d'ordinaii'e pourconsidrer exclusivement les odes pindariques.

    (1) Sur la grande varit des modles dont Ronsard a nourri sonimagination, on peut voir, ( utre le Ronsard pote lyrique de j\I, PaulLaumonier l'analyse trs suggestive d'une ode de Ronsard : DeTleetion de son spulcre . que ^I. Lanson a donne dans la RevueVniversitmre du 15 janvier 1906.

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    ODES DIVERSES DE 1550A SA MAITRESSE (1)

    Ma Dame ne donne pasDes baisers, mais des appasQui seuls nourrissent mon me,Les biens dont les dieux sont fous,Du nectar, du sucre doux.De la cannelle et du bme (2),Du thym, du lis, de la roseEntre ses lvres close.Fleurante en toutes saisons.Et du miel qu'en HymetteLa drobe-fleur avette (3)Remplit ses douces maisons.

    dieux ! que j'ai de plaisirQuand je sens mon col saisirDe ses bras en mainte sorte !Sur moi se laissant courber.D'yeux clos je la vois tomberSur mon sein demi morte...

    (1) Bl. II, VII ; t. II, p. 145.(2) Baume.(3) Abeille.

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    ODES DIVERSES DK 1530= 51D'un baiser migiiard et longMe ressuce Fnie adonc (1),Puis en soufflant la repousse,La ressuce encore un coup,La ressouffle tout coupAvec son haleine douce.Tout ainsi les colonibelles,Trmoussant un peu des ailes,Havenient (2) se vont baisant,Aprs que l'oiseuse (3) glaceA {putt (4) la froide placeAu printemps doux et })laisant.Hlas ! mais temj)re un peuLes biens dont je suis repeu (5),Tempre un peu ina liesse :Tu me ferais immortel.H! je ne veux tre telSi tu n"es aussi desse.

    A UNE FILLE (6) Ma petite nymphe Mace,Plus blanche quvoire taill,Plus blanche que neige amasse,Plus blanche que le lait caill.Ton beau teint ressemble les lisAveccjue les roses cueillis.Dcouvre-moi ton beau chef-d'uvre,Tes cheveux o le ciel donneurDes grces richement dcuvre (7)Tous ses biens pour leur faire honneur.Dcuvre ton beau 'ont aussi,Heure