26
UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE FACULTÉ DE DROIT, ÉCONOMIE, GESTION ET AES ANNÉE UNIVERSITAIRE 2015-2016 TRAVAUX DIRIGÉS D’INTRODUCTION AU DROIT Licence 1 ère année DROIT Cours de MME LEPRINCE SÉANCE N O 6 – LES SOURCES DU DROIT (3/3) LA JURISPRUDENCE DOCUMENTS : Pour étudier la jurisprudence, il convient de s’attacher d’abord à définir la notion. Document 1 : M.-CL. RONDEAU-RIVIER, « La jurisprudence expliquée aux apprentis juristes », RTD civ. 1993, p. 89. Une fois défini, le phénomène jurisprudentiel interroge quant à sa nature. La jurisprudence est- elle une source du droit ? Les juges ont-ils un rôle créateur de la règle de droit ? Cette question a toujours suscité des débats doctrinaux. Certes, des arguments dans les deux sens peuvent être avancés. Mais quelle que soit la position retenue, il faut admettre que la jurisprudence joue incontestablement un rôle important, notamment lorsqu’elle opère un revirement. Il faut donc savoir interpréter les décisions. Document 2 : A. PERDRIAU, « La portée doctrinale des arrêts civils de la Cour de cassation », JCP éd. G 1990, I, 3468. Document 3 : Ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, Bull. civ. Ass. plén., n o 1 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, LGDJ 2001, n° 218, p. 347, obs. LEQUETTE (note reproduite). Néanmoins, la jurisprudence présente une singularité qui tient au caractère par principe rétroactif de ses revirements. Document 4 : Cass. 1 ère civ., 9 octobre 2001, n o 00-14.564, Bull. civ. I, n o 249. Face aux critiques issues de l’exigence de sécurité juridique, la question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence a été posée et a fait l’objet d’un rapport remis au Premier Président de la Cour de cassation en 2004 afin de proposer certains remèdes. La jurisprudence se montre depuis quelque peu divisée et la Cour européenne s’est prononcée. Document 5 : Rapport sur les revirements de jurisprudence, remis à M. le Premier Président Guy Canivet, le 30 novembre 2004, par le groupe de travail présidé par M. Nicolas Molfessis. Extrait. Document 6 : Cass. Soc., 17 décembre 2004, n o 03-40.008, Bull. civ. V, n o 346. Document 7 : Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006, n o 00-20.493, Bull. AP, n o 15.

S O 6 – L (3/3) LA JURISPRUDENCEalouette.stfrancois.free.fr/conf_saint_jacques/Fiche TD 6.pdf · 2°) rédiger la fiche de l’arrêt suivant : Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006

  • Upload
    lyliem

  • View
    215

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE FACULTÉ DE DROIT, ÉCONOMIE, GESTION ET AES

ANNÉE UNIVERSITAIRE 2015-2016

TRAVAUX DIRIGÉS D’INTRODUCTION AU DROIT

Licence 1ère année DROIT Cours de MME LEPRINCE

SÉANCE NO 6 – LES SOURCES DU DROIT (3/3)

LA JURISPRUDENCE

DOCUMENTS : Pour étudier la jurisprudence, il convient de s’attacher d’abord à définir la notion.

• Document 1 : M.-CL. RONDEAU-RIVIER, « La jurisprudence expliquée aux apprentis juristes », RTD civ. 1993, p. 89.

Une fois défini, le phénomène jurisprudentiel interroge quant à sa nature. La jurisprudence est-elle une source du droit ? Les juges ont-ils un rôle créateur de la règle de droit ? Cette question a toujours suscité des débats doctrinaux. Certes, des arguments dans les deux sens peuvent être avancés. Mais quelle que soit la position retenue, il faut admettre que la jurisprudence joue incontestablement un rôle important, notamment lorsqu’elle opère un revirement. Il faut donc savoir interpréter les décisions.

• Document 2 : A. PERDRIAU, « La portée doctrinale des arrêts civils de la Cour de cassation », JCP éd. G 1990, I, 3468.

• Document 3 : Ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, Bull. civ. Ass. plén., no 1 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, LGDJ 2001, n° 218, p. 347, obs. LEQUETTE (note reproduite).

Néanmoins, la jurisprudence présente une singularité qui tient au caractère par principe rétroactif de ses revirements.

• Document 4 : Cass. 1ère civ., 9 octobre 2001, no 00-14.564, Bull. civ. I, no 249. Face aux critiques issues de l’exigence de sécurité juridique, la question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence a été posée et a fait l’objet d’un rapport remis au Premier Président de la Cour de cassation en 2004 afin de proposer certains remèdes. La jurisprudence se montre depuis quelque peu divisée et la Cour européenne s’est prononcée.

• Document 5 : Rapport sur les revirements de jurisprudence, remis à M. le Premier Président Guy Canivet, le 30 novembre 2004, par le groupe de travail présidé par M. Nicolas Molfessis. Extrait.

• Document 6 : Cass. Soc., 17 décembre 2004, no 03-40.008, Bull. civ. V, no 346. • Document 7 : Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006, no 00-20.493, Bull. AP, no 15.

• Document 8 : Cass. 1ère civ., 11 juin 2009 (1ère espèce), no 07-14.932, Bull. civ. I, no 124. • Document 9 : Cass. Com., 26 octobre 2010, no 09-68.928, Bull. civ. IV, no 159. • Document 10 : C.E.D.H, 26 mai 2011, Af. Legrand c/ France, req. no 23228/08

(extraits) ; A. MARAIS, « Modulation dans le temps des revirements de jurisprudence. Requiem en six bémols », JCP G 2011, 742 (note non reproduite).

• Document 11 : Méthodologie : Premières réflexions sur un arrêt en vue de la réalisation d’un commentaire.

EXERCICES : Après avoir lu attentivement l’ensemble des documents, veuillez : 1°) rédiger la fiche de l’arrêt suivant : Cass. Ass. plén., 29 mars 1991 (document 4) ; puis

tenter de répondre, en quelques lignes, à la question suivante : la Cour de cassation s’est-elle cantonnée ici à un rôle d’interprète du droit ou a-t-elle fait œuvre créatrice ?

2°) rédiger la fiche de l’arrêt suivant : Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006 (document 7) ; puis, en prenant appui sur la méthode du document 11, réaliser une première ébauche d’analyse de cet arrêt.

Document 1 : M.-Cl. Rondeau Rivier, “La jurisprudence expliquée aux apprentis juristes”, RTD civ . 1993, p. 89. Cours d'introduction au droit, premier trimestre de première année : dans un amphithéâtre plein à craquer, il s'agit d'aborder le chapitre - incontournable - consacré aux sources du droit. L'exposé du droit légiféré s'opère en général sans trop de problèmes : au prix des simplifications nécessaires pour un auditoire de néophytes, l'univers des textes se déploie, au fil de définitions bien acquises, en une pyramide d'une réconfortante cohérence. Certes, l'analyse de la coutume peut ensuite présenter quelques incertitudes (où sont donc les coutumes contra legem ?), mais les vraies difficultés commencent avec la définition de la jurisprudence. Confrontés à un terme omniprésent dans le discours des juristes, les étudiants traversent une phase, pénible mais inévitable, de profonde perplexité, dès lors que l'enseignant, pour tenter de faire comprendre ce qu'est la jurisprudence, commence par exposer ce qu'elle n'est pas en examinant les définitions courantes. La jurisprudence, c'est l'ensemble des décisions rendues par les tribunaux Invité à se reporter à l'organigramme de l'appareil juridictionnel français, l'apprenti juriste additionne. Sur le versant administratif, les comptes restent raisonnables : un Conseil d'Etat, cinq cours d'appel, trente-trois tribunaux administratifs. Mais, côté judiciaire, les chiffres sont impressionnants : une Cour de cassation, trente-trois cours d'appel, et plus de mille juridictions de première instance, lesquelles, apprend le novice, rendent, bon an mal an, quelque treize millions de décisions en matière civile et pénale. Cet énorme « magma », explique immédiatement l'enseignant, ce n'est pas la jurisprudence, mais le contentieux, produit de l'activité quotidienne des tribunaux, échappant à la connaissance sinon en termes de statistiques. Et les statistiques ne constituent sûrement pas une quelconque source du droit. La « vraie » jurisprudence, c'est l'ensemble des décisions rendues au plus haut niveau, par les cours suprêmes Après un soupir de soulagement devant cette notable restriction du champ, l'apprenti juriste éprouve de nouvelles inquiétudes en découvrant que la Cour de cassation, pour ne citer qu'elle, rend globalement 25 000 arrêts chaque année. Faut-il les connaître tous pour être un bon juriste, et comment ce travail de titan est-il possible ? Ces arrêts, explique l'enseignant, dorment dans la mémoire électronique des banques de données informatisées. Pour bon nombre d'entre eux, ce sommeil sera durable ou définitif, si aucun acteur de la scène juridique - avocat, magistrat, professeur, etc. - ne vient les extirper de la masse, et les utiliser. La jurisprudence, ce sont les arrêts de principe rendus par les cours suprêmes Mais comment faire la différence entre les arrêts de principe et les autres ? Il s'agit, expose l'enseignant, d'une aptitude à la réitération et à la généralisation, car la jurisprudence, ce n'est pas l'arrêt - décision juridictionnelle enfermée dans le cercle des parties à l'instance - mais la solution retenue par l'arrêt. L'explication du passage de la jurisdictio à la jurisprudence, du procès à la règle, est un moment pédagogiquement délicat, mais passionnant. Le processus de transformation est si bien intégré dans les modes de pensée et les pratiques des juristes, qu'il est malaisé de le mettre à jour et de le décomposer pour l'édification du néophyte. Il n'est pas facile d'expliquer les rôles respectifs de l'avocat - qui va proposer une argumentation et convaincre -, du juge - qui, depuis la première instance jusqu'à la juridiction suprême si (et seulement si) les voies de recours sont exercées, va choisir sa décision et sa motivation -, de l'autorité qui décide de la publication, juridiction elle-même (la publication au Bulletin est un indicateur de l'importance de l'arrêt) ou rédaction d'une revue - car la « jurisprudence inédite » est l'Arlésienne du droit -, et enfin de l'universitaire

- qui s'emploie à commenter, dans le cadre d'un exercice qui n'est pas que de style : la note d'arrêt constitue du « prêt-à-penser », et les étudiants le comprennent vite, qui lisent le commentaire avant l'arrêt, si ce n'est le commentaire à la place de l'arrêt ... Certes, il y a des arrêts « grands » dès le berceau : ceux qui sont attendus, énoncés, et immédiatement reconnus comme tels. A titre d'exemple, l'arrêt Desmares était, à l'évidence, de principe et personne ne s'y est trompé. Au-delà, tout dépend de la règle discutée, de la formulation, du retentissement, de l'utilisation. A la rubrique des comparaisons culinaires, la jurisprudence est une mayonnaise qui ne monte pas toujours. Alors, demande l'apprenti juriste - et s'il pose la question, l'enseignant se dit qu'il n'a pas complètement perdu son temps - un arrêt publié ou informatisé « brut de commentaire », est-ce de la jurisprudence ? C'est selon. Selon son objet, sa rédaction, et aussi selon ce que va en faire celui qui l'utilise. La jurisprudence est une création collective. Est-elle une « vraie » source de droit, ou une simple « autorité » ? Ce n'est qu'une question seconde, et que l'auteur de ces lignes estime, à tort ou à raison, parfaitement secondaire. Elle existe, et se construit par le jeu subtil des multiples réseaux de diffusion - fonds de concours auprès de la Cour de cassation, stratégies déployées par les revues spécialisées, « médiatisation » juridique de questions nouvelles, etc. - au sein de la communauté des juristes. Elle se démontre, s'étiole, se combat, se modifie. Elle n'est ni le décalque des textes, ni le reflet du contentieux, mais elle est certainement l'enjeu et le produit des règles disputées. Elle est le droit qui bouge.

 

Document 4 : Cass. 1ère civ., 9 octobre 2001, no 00-14.564, Bull . c iv . I, no 249. Attendu qu’à partir du mois de juin 1974, M. Y..., médecin, a suivi la grossesse de Mme X... ; que, lors de la visite du 8e mois, le 16 décembre 1974, le praticien a suspecté une présentation par le siège et a prescrit une radiographie foetale qui a confirmé cette suspicion ; que, le samedi 11 janvier 1975, M. Y... a été appelé au domicile de Mme X... en raison de douleurs, cette dernière entrant à la clinique A... devenue clinique Z... le lendemain dimanche 12 janvier dans l’après-midi, où une sage-femme lui a donné les premiers soins, M. Y... examinant sa patiente vers 19 heures, c’est-à-dire peu avant la rupture de la poche des eaux, la naissance survenant vers 19 heures 30 ; qu’en raison de la présentation par le siège un relèvement des bras de l’enfant, prénommé Franck, s’est produit, et, lors des manoeuvres obstétricales, est survenue une dystocie de ses épaules entraînant une paralysie bilatérale du plexus brachial, dont M. Franck X... a conservé des séquelles au niveau du membre supérieur droit, son IPP après consolidation étant de 25 % ; qu’après sa majorité, ce dernier a engagé une action contre le médecin et la clinique en invoquant des griefs tirés des fautes commises lors de sa mise au monde et d’une absence d’information de sa mère quant aux risques inhérents à une présentation par le siège lorsque l’accouchement par voie basse était préféré à une césarienne ; que l’arrêt attaqué l’a débouté ; Sur le moyen unique, pris en ses première et cinquième branches : Vu l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que M. Y... a procédé à l’accouchement de Mme X... dans le lit de celle-ci, sur une bassine, lui-même et une sage-femme tenant chacun une jambe de la parturiente ; qu’eu égard à ces conditions de réalisation de l’accouchement, à propos desquelles le rapport d’expertise précisait que les manoeuvres réalisées sur la bassine pour traiter la dystocie " n’en ont certainement pas été facilitées ", M. Franck X... avait fait valoir dans ses conclusions qu’il existait à la clinique une " salle de travail " dotée d’une table d’accouchement et que les raisons de son absence d’utilisation pour un accouchement dangereux par le siège étaient restées inconnues ; qu’en ne répondant pas à ce moyen, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; Et sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen : Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ; Attendu que la cour d’appel a estimé que le grief de défaut d’information sur les risques, en cas de présentation par le siège, d’une césarienne et d’un accouchement par voie basse, ne pouvait être retenu dès lors que le médecin n’était pas en 1974 contractuellement tenu de donner des renseignements complets sur les complications afférentes aux investigations et soins proposés, et ce d’autant moins qu’en l’espèce le risque était exceptionnel ; Attendu, cependant, qu’un médecin ne peut être dispensé de son devoir d’information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu’un risque grave ne se réalise qu’exceptionnellement ; que la responsabilité consécutive à la transgression de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par son enfant, alors même qu’à l’époque des faits la jurisprudence admettait qu’un médecin ne commettait pas de faute s’il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ; qu’en effet, l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée ; d’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 février 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

Document 5 : Extrait du Rapport sur les revirements de jurisprudence, remis à M. le Premier Président Guy Canivet, le 30 novembre 2004, par le groupe de travail présidé par M. N. Molfessis.

1.4. Justification de la mission 1.4.1. La dénonciation des effets néfastes des revirements de jurisprudence n’est pas récente. En 1959, Pierre Voirin avait observé que les revirements affectaient « des actes que leurs auteurs sur la foi de la jurisprudence, avaient cru réguliers au moment où ils les ont conclu »1. Quelques années plus tard, Jean Rivero devait observer que la jurisprudence nouvelle était, par nature, rétroactive, dès lors que le juge statue par hypothèse sur des faits, des actes ou des situations juridiques qui sont antérieurs à sa décision prétorienne. Il mettait déjà l’accent sur les effets de déstabilisation que les revirements, par leur effet rétroactif, provoquent nécessairement. Mais une prise de conscience plus générale – on pourrait dire une évolution des esprits – s’est faite jour dans une période plus récente, dont il résulte que nul ne se satisfait plus de constater la rétroactivité des revirements. Plusieurs facteurs concourent ainsi à rendre la réflexion indispensable. En premier lieu, la nécessité de porter attention aux revirements de jurisprudence participe d’une dénonciation, plus générale, des méfaits de toute rétroactivité. L’influence croissante du droit européen se manifeste ici, comme en bien d’autres domaines. La Cour européenne des droits de l’homme comme la Cour de justice des communautés européennes entendent encadrer et limiter les hypothèses d’atteintes à la sécurité juridique, à la prévisibilité du droit et à la confiance légitime. Toutes les sources de règles rétroactives, qu’elles soient légales ou jurisprudentielles, sont ici visées. Par ailleurs, les influences extérieures ne se limitent pas au vent européen qui souffle dans cette direction. La sécurité juridique, en général, est l’objet d’une attention croissante2. La jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait à son tour en attester. Divers exemples étrangers jouent également un rôle incitatif certain, de même que la position du Conseil d’État qui vient de connaître un développement très important. En deuxième lieu, le système juridique français a suffisamment évolué pour qu’il puisse être admis sans trop de discussion que la jurisprudence est source de règles, lesquelles appellent un régime et un contrôle jusqu’alors rendus impossibles en raison de la fiction de l’absence de pouvoir créateur du juge en droit français. Longtemps sous l’emprise de la défiance à l’égard du juge que les révolutionnaires manifestèrent il y a plus de deux siècles, les juristes français ne sauraient encore nier le rôle créateur de la jurisprudence. Aussi, un principe de réalisme impose-t-il de réfléchir, aujourd’hui plus que jamais, à la mise en place de règles permettant l’amélioration en même temps que l’encadrement de ce pouvoir. En troisième lieu, il est permis de penser que quelques affaires récentes ont accéléré un processus devenu inéluctable. Le caractère inique que peut revêtir l’application rétroactive de la règle jurisprudentielle s’est en effet manifesté de façon particulièrement caractéristique à travers certains arrêts. Il est, notamment, nécessaire d’évoquer ici l’arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 9 octobre 20013. Très largement commentée et discutée, la décision posait qu’un médecin pouvait être responsable pour avoir, en 1974, manqué à l’obligation d’informer son patient sur les risques exceptionnels qu’il encourait4, alors même qu’une telle obligation n’a été consacrée, par la jurisprudence elle-même, qu’en 19985. La Cour de cassation, fidèle à l’idée que le juge n’est que la bouche d’une loi dont le texte n’avait pas varié, a ainsi considéré qu’est fautif l’acte - ou l’abstention - méconnaissant une obligation qui n’existait pas comme telle à la date à laquelle il a été réalisé. Contre l’évidence de ce qui s’était passé en pratique, elle tentera même - paradoxalement - de justifier sa solution en affirmant que « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés ». Quoi que l’on puisse penser d’une telle assertion et toute question de technique juridique mise de côté, tout un chacun saisit immédiatement à quel point il est difficile de faire comprendre et admettre une telle solution. D’autant que l’arrêt ne s’embarrasse guère de détour, ni ne tente d’échapper à la contradiction, affirmant que le médecin doit

                                                                                                               1 P. Voirin, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences (à propos de l’arrêt du 18 juin 1958) », JCP, 1959, I, 1467, spéc. n° 3. 2 V. parmi d’autres, le numéro spécial des Cahiers du Conseil constitutionnel, « Le principe de sécurité juridique », B. Mathieu dir., n°11, 2001, p. 66 et s. 3 Civ. 1re, 9 octobre 2001, Bull. civ., I, n° 249, p. 157 ; D., 2001, 3470, rapport P. Sargos, note D. Thouvenin ; JCP, 2002, II, 10045, note O. Cachard ; RTDCiv., 2002, 176, obs. R.L. ; Les petites affiches, 13 mars 2002, n° 52, p. 17, note F. Marmoz. 4 Du fait des soins ou d’une intervention : en l’occurrence, il s’agissait des risques, en cas de présentation par le siège, d’une césarienne et d’un accouchement par voie basse 5 Civ. 1re, 7 octobre 1998, Bull. civ., I, n° 291, p. 202 et n° 287, p. 199 ; D., 1999, 145, note Porchy et somm. com., 259, obs. D. Mazeaud ; JCP, 1999, II, 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos ; Les petites affiches, 5 mai 1999, p. 4, note Noiville.

être responsable « alors même qu’à l’époque des faits la jurisprudence admettait qu’un médecin ne commettait pas de faute s’il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels »6. En quatrième lieu, la Cour de cassation elle-même, à travers un important arrêt rendu le 8 juillet 2004 rendu par la deuxième Chambre civile a marqué sa volonté de moduler les effets dans le temps de ses décisions7. Elle a ainsi, dans le même temps, désavoué l’analyse faite par la cour d’appel – « si c’est à tort que la cour d’appel a décidé que le demandeur n’avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l’action engagée… » - et refusé d’appliquer sa propre interprétation de la règle : « …la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’avancée est évidemment déterminante. Le présent rapport ne fait rien d’autre que de se placer dans le même mouvement que celui ayant entraîné la deuxième Chambre civile à refuser l’application de sa solution au cas litigieux. Simplement, il s’agit ici d’en expliquer les ressorts et d’en encadrer la possibilité. 1.4.2. Il y a une dizaine d’années, Christian Mouly avait, dans une série d’articles remarqués, attiré l’attention sur les dangers des revirements de jurisprudence8. Il prônait alors l’application de l’article 2 du Code civil à la règle jurisprudentielle. Innovante, la proposition témoignait de l’attention grandissante portée à la sécurité juridique sous toutes ses formes. Elle manifestait clairement la nécessité de ménager la prévisibilité du droit, en dénonçant l’insécurité juridique que provoquent les revirements de jurisprudence. L’idée d’un «revirement pour l’avenir », conduisant à retarder l’application de la solution jurisprudentielle nouvelle, ne fut pourtant pas relayée. Sous l’influence du droit européen, du droit comparé, du droit administratif, on peut escompter que le temps d’en débattre plus officiellement soit venu. (…)

2.5.- Propositions du groupe de travail 2.5.1. Pour la modulation dans le temps des effets des revirements de jurisprudence (…) 2.5.2. Pour la consécration, par la Cour de cassation elle-même, de la possibilité de moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence Si l’on admet que la modulation dans le temps des décisions de justice constituerait une évolution très importante de notre système juridique – davantage théoriquement que pratiquement, on l’a déjà souligné -, la question se pose de savoir s’il est juridiquement possible et politiquement opportun qu’une telle évolution résulte d’une initiative purement prétorienne. Une intervention du législateur ne serait-elle pas nécessaire, sinon préférable, qui assurerait l’accord de la représentation nationale au principe même de ce changement de cap et garantirait sa maîtrise sur le temps du droit ? Sur le premier point, le Groupe de travail observe que la Cour de cassation a toute latitude pour juger de l’applicabilité d’une interprétation nouvelle au cas qu’elle juge. Il suffit d’ailleurs d’observer qu’elle a déjà pratiqué de la sorte dans l’arrêt, déjà cité, du 8 juillet 2004 rendu par la deuxième Chambre civile [note non reproduite]. Ce faisant, la Cour de cassation ne rendrait pas un arrêt de règlement qui violerait l’article 5 du Code civil. Quant au second point, le groupe de travail a estimé que la voie prétorienne devait être privilégiée. Ø L’absence d’obstacle tiré de l’article 5 du Code civil Une partie de la doctrine considère que l’instauration d’un droit transitoire des revirements de jurisprudence « heurterait de plein fouet » la prohibition des arrêts de règlement [note non reproduite]. Le Groupe de travail, après avoir analysé la notion même « d’arrêt de règlement » et étudié les applications qui étaient faites de la prohibition formulée à l’article 5 du Code civil[note non reproduite], a estimé que la modulation dans le

                                                                                                               6 Nombre d’autres décisions imposeront une application rétroactive de l’obligation d’information. Mais le médecin n’ayant pas critiqué la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, les solutions condamnant le praticien passeront, sous cet aspect, inaperçues. Ainsi des arrêts qui ont consacré, en 1998, l’obligation d’information : v. les remarques, sur ce point, de P. Sargos, dans son rapport sur l’arrêt du 9 octobre 2001. V. également, le 9 octobre 2001, d’autres décisions rendues par la première chambre civile, l’une condamnant pour une intervention qui datait de 1993 (Bull. civ., I, n° 252, p. 159), l’autre de 1990 (décision inédite, pourvoi n°00-11.525). 7 Civ. 2e, 8 juillet 2004, pourvoi n° D 01-10.426. Les lettres qui marquent l’arrêt caractérisent son importance : FS-P+B+R+I. 8 Ch. Mouly, « Les revirements de jurisprudence », in L’image doctrinale de la Cour de cassation, La Documentation française, 1994, p. 123 ; « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n° 33 ; « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ? », Les petites affiches, 4 mai 1994, n° 53 ; « Le revirement pour l’avenir », JCP, 1996, I, 3776.

temps des décisions de justice par la Cour de cassation elle-même et sans habilitation législative ne contrevenait pas à l’article 5. o En effet, l’article 5 prohibe l’exercice, par le juge, d’un pouvoir législatif. A ce titre, il interdit au juge de prendre une décision qui s’imposerait, par sa force propre, au-delà des seules parties dont il doit trancher le litige. Ce qui est interdit, c’est de transformer une décision en loi. Ce que Henri Batiffol, dans sa note sur les revirements de jurisprudence, put souligner en ces termes : la conséquence de la prohibition des arrêts de règlement « est bien plutôt qu’une décision ne saurait être cassée au seul motif de la violation d’un "règlement" de la Cour suprême ; elle n’empêche cependant pas cette dernière de casser en répétant la formule précédemment donnée, ce qui confère finalement à ces formules une efficacité de même ordre qu’à celles de la loi dès que leur netteté, leur bien-fondé et l’assurance que leurs auteurs ne se déjugeront pas enlève tout espoir à l’utilité d’une résistance »[note non reproduite]. Le caractère réglementaire d’une décision serait ainsi patent si elle prétendait posséder en elle-même un effet contraignant au-delà des parties. A fortiori si la décision entendait lier les juges dans les autres affaires qu’ils pourraient avoir à juger, juges du fond ou, à nouveau, juges de cassation. Portalis, dans son explication de l’article 5 du Code civil, n’exprimait rien d’autre, lorsqu’il stigmatisait précisément ces deux hypothèses dans lesquelles la décision de justice devient règlement [note non reproduite] : « Un juge est associé à l’esprit de législation ; mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de souveraineté ; une décision n’est qu’un acte de juridiction ou de magistrature. Or, le juge deviendrait législateur, s’il pouvait par des règlements, statuer sur les questions qui s’offrent à son tribunal. Un jugement ne lie que les parties entre lesquelles il intervient : un règlement lierait tous les justiciables et le tribunal lui-même ». Or le Groupe de travail entend souligner qu’aucun justiciable « extérieur » à l’arrêt de revirement n’est immédiatement contraint par ce dernier, qu’il s’agisse de ce qui est jugé au fond – c’est-à-dire de la décision novatrice – ou de l’éventuelle inapplication de la solution nouvelle au litige en cours. De même, ni les juges du fond ni la Cour de cassation elle-même ne seraient contraints pour l’avenir si la Cour de cassation décidait de moduler les effets dans le temps de sa décision. La Cour de cassation reste en effet parfaitement libre de ses jugements à venir au point de pouvoir revenir sur la solution retenue – un nouveau revirement – ou de décider autrement de l’application de la solution nouvelle à l’espèce. Pas plus que le revirement lui-même [note non reproduite], la modulation dans le temps, dès lors qu’elle ne vaut de façon obligatoire que dans le cadre du litige qui en est l’occasion, ne possède de caractère réglementaire. Au demeurant, il convient de souligner que la question de la modulation dans le temps de la décision de revirement se posera logiquement à l’occasion des instances postérieures à celle ayant donné lieu au revirement : tous les justiciables dont le comportement pourrait être apprécié à l’aune de la règle dont l’interprétation est nouvelle, parce qu’issue du revirement, auront intérêt à solliciter le report dans le temps de ladite interprétation. La question sera ainsi examinée à chaque fois qu’elle sera posée. o Certes, le Groupe de travail a rappelé en préalable que la modulation dans le temps des décisions de justice n’était nécessaire que parce que la jurisprudence est créatrice de règles. Une telle modulation présuppose reconnu le pouvoir créateur de la jurisprudence. Pour autant, il n’y a dans cette affirmation, dans la réalité qui la sous-tend comme dans les conséquences que l’on en déduit sur l’aménagement temporel de la décision, aucune violation de l’article 5 du Code civil. Il convient en effet de ne pas oublier que la reconnaissance de la jurisprudence comme source de droit ne tient pas au caractère réglementaire de ses décisions mais à des mécanismes autrement plus complexes, parmi lesquels il faut compter avec la réception de l’arrêt nouveau par les justiciables [note non reproduite]. En toute hypothèse, que la Cour de cassation crée des règles impose l’aménagement dans le temps de certaines de ses décisions ; ce n’est pas cet aménagement qui lui confère la capacité de créer du droit. L’ordre des causalités ne saurait être inversé. Ø Le caractère injustifié d’une intervention législative

(…)  

Document 6 : Soc., 17 décembre 2004, no 03-40.008, Bull . c iv . V, n° 346.

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche : Attendu que l’arrêt confirmatif attaqué (Chambéry, 5 novembre 2002) a annulé, en raison de l’absence de contrepartie financière, la clause de non-concurrence convenue le 4 mars 1996 entre la société SAMSE et M. X... dans le cadre d’une relation de travail liant les parties depuis le 1er août 1990 ; Attendu que la société SAMSE reproche à la cour d’appel d’avoir ainsi statué , alors, selon le moyen, qu’en application des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lesquelles toute personne a droit à un procès équitable, il est interdit au juge d’appliquer rétroactivement un revirement de jurisprudence ; qu’en l’espèce, la société SAMSE qui avait conclu le 4 mars 1996 avec M. X... une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, s’était alors conformée à la jurisprudence en vigueur de la Cour de Cassation ne soumettant nullement la validité des clauses de non-concurrence à l’exigence d’une contrepartie financière ; que ce n’est que le 10 juillet 2002 que la Cour de Cassation a modifié sa jurisprudence en exigeant à peine de nullité de la clause de non-concurrence une contrepartie financière ; qu’en faisant rétroactivement application de cette jurisprudence inaugurée en juillet 2002 à un acte conclu en 1996, la cour d’appel a sanctionné les parties pour avoir ignoré une règle dont elles ne pouvaient avoir connaissance, violant ainsi les articles 1, 2 et 1134 du Code civil, ainsi que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ; Mais attendu que l’exigence d’une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l’impérieuse nécessité d’assurer la sauvegarde et l’effectivité de la liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle ; que, loin de violer les textes visés par le moyen et notamment l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel en a au contraire fait une exacte application en décidant que cette exigence était d’application immédiate ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi : REJETTE le pourvoi ; (…) Document 7 : Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006, no 00-20.493, Bull . AP, no 15. LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2000), que le journal Le Provençal a publié le 14 février 1996 un article intitulé “ils maltraitaient leur bébé - Digne : le couple tortionnaire écroué” ; que, s’estimant mise en cause par cet article dans des conditions attentatoires à la présomption d’innocence, Mme X... a assigné la société éditrice du journal et le directeur de la publication en réparation de son préjudice devant un tribunal de grande instance ; Sur le premier moyen : Attendu que la société La Provence et le directeur de la publication du journal font grief à l’arrêt d’avoir écarté le moyen tiré de la prescription de l’action, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 que les actions fondées sur une atteinte à la présomption d’innocence commises par l’un des moyens visés à l’article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité ; que la société La Provence faisait valoir la prescription de l’action dès lors que la déclaration d’appel étant du 17 mars 1998, Mme X... n’avait fait aucun acte susceptible d’interrompre le cours de la prescription, laquelle était acquise le 17 juin 1998 ; qu’en décidant que le moyen tiré de la prescription doit être écarté aux motifs que la prescription édictée par l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 n’est pas la

même que celle prévue par l’article 65 pour les infractions prévues par cette loi et qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner la question de l’inaction de Mme X... depuis l’appel de la société La Provence, l’action ayant été valablement introduite devant le tribunal dans le délai prévu par l’article 65-1, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Mais attendu que les dispositions de l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; que ces dispositions, d’ordre public, imposent au demandeur, non seulement d’introduire l’instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d’accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l’adversaire son intention de poursuivre l’instance ; que si c’est à tort que la cour d’appel a écarté le moyen de prescription alors qu’elle constatait que Mme X... n’avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d’appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Document 8 : Cass. 1ère civ., 11 juin 2009 (1ère espèce), no 07-14.932, Bull . c iv . I, no 124. Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Attendu qu’imputant sa contamination par le virus de l’hépatite C, au traitement de ses varices, réalisé en 1986 par injection d’un liquide sclérosant, Mme X... a recherché la responsabilité de M. Y..., son médecin; Attendu que M. Y... fait grief à l’arrêt (Bordeaux, 15 mars 2007) de l’avoir déclaré responsable de la contamination de Mme X... par le virus de l’hépatite C et de l’avoir condamné à verser une certaine somme à titre de provision, alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu’en conséquence, une partie à un procès ne peut se voir opposer une règle de droit issue d’un revirement de jurisprudence lorsque la mise en oeuvre de celle-ci aboutirait à la priver d’un procès équitable ; qu’en 1986, la jurisprudence mettait à la charge du médecin, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de moyens et n’a mis à sa charge une obligation de sécurité de résultat qu’à compter du 29 juin 1999 ; que l’application du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 à la responsabilité des médecins pour des actes commis avant cette date a pour conséquence de priver le médecin d’un procès équitable, dès lors qu’il lui est reproché d’avoir manqué à une obligation qui, à la date des faits qui lui sont reprochés, n’était pas à sa charge ; qu’en décidant néanmoins que M. Y... était tenu d’une obligation de sécurité de résultat en raison des actes qu’il avait pratiqués sur Mme X... en 1986, bien que ceux-ci eussent été réalisés avant le revirement de jurisprudence ayant consacré l’existence d’une obligation de sécurité de résultat, la cour d’appel a privé M. Y... du droit à un procès équitable, en violation des articles 1147 du code civil et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Mais attendu que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge ; que le moyen n’est pas fondé en sa première branche ; Et attendu qu’aucun des griefs du moyen unique, pris en ses autres branches, ne serait de nature à permettre l’admission du pourvoi ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Document 9 : Cass. Com., 26 octobre 2010, no 09-68.928, Bull . c iv . IV, no 159. Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2009, rectifié le 12 novembre 2009), que par acte notarié du 3 août 1989, la SCI Bethovena (la société Bethovena) dont sont associés M. Jean-Pierre X..., Mme Josiane, devenue Diane Z..., épouse X..., MM. Vincent et Thomas X... et Mme Anabel A...-X... (les consorts X...), a acquis de la société Mabidel des biens immobiliers, dont le prix a été financé par un apport personnel, un crédit souscrit auprès du Crédit lyonnais, le solde étant stipulé remboursable par mensualités ; que par jugement du 15 octobre 1998, le tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société Bethovena et que la créance de la société Mabidel a été admise à titre définitif et privilégié pour une certaine somme, par ordonnance du 18 septembre 2000 ; qu’après paiement de plusieurs sommes à la société Mabidel, le liquidateur judiciaire de la SCI a, le 26 octobre 2006, déclaré le solde irrecouvrable ; qu’en conséquence, la société Mabidel a, par plusieurs actes des 1er, 6, 11 et 13 décembre 2006, fait assigner les consorts X..., en leur qualité d’associés de la société Bethovena, aux fins de les voir condamner à lui payer ce solde ; Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée par eux de la prescription et de les avoir condamnés, en leur qualité d’associés de la société Bethovena, à payer diverses sommes à la société Mabidel, alors, selon le moyen : 1°/ que la publication du jugement de liquidation judiciaire d’une société civile constitue le point de départ de la prescription quinquennale visée par l’article 1859 du code civil contre les associés non-liquidateurs ; qu’en jugeant que l’action exercée par la société Mabidel contre les consorts X... en leur qualité d’associés de la société Bethovena n’était pas prescrite, tout en relevant que cette action avait été exercée plus de cinq années après la publication du jugement de liquidation de cette société, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations et ainsi violé l’article 1859 du code civil; 2°/ que le délai dans lequel les créanciers d’une société civile doivent agir contre les associés est distinct des conditions d’exercice de cette action, notamment de celle relative à l’exercice de préalables et vaines poursuites contre la société ; qu’en relevant, pour écarter la prescription de l’action exercée par la société Mabidel, que la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007 ne pouvait être appliquée rétroactivement, quand cette décision s’était prononcée sur les conditions d’exercice de cette action, et non sur son délai de mise en oeuvre, la cour d’appel a violé les articles 1858 du code civil, par fausse application, et 1859 du même code, par refus d’application ; 3°/ qu’en toute hypothèse, seule la privation de l’accès au juge peut permettre d’écarter une disposition légale ; qu’en relevant, pour écarter l’application de l’article 1859 du code civil, qu’avant l’arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007, les solutions dégagées par la jurisprudence ne permettaient pas au créancier d’agir dans le délai légal, quand la jurisprudence antérieure ménageait déjà au créancier la faculté d’agir avant la clôture des opérations de liquidation judiciaire, la cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ; Mais attendu qu’après avoir rappelé que la prescription de cinq ans à compter de la mise en liquidation d’une société civile pour agir contre les associés ne court pas lorsque ceux-ci se sont trouvés dans l’impossibilité d’agir contre la société avant d’engager les poursuites contre les associés, ainsi que le leur impose l’article 1858 du code civil, l’arrêt retient à bon droit que le revirement de jurisprudence opéré par la chambre mixte de la Cour de cassation par un arrêt du 18 mai 2007, qui a retenu que la simple déclaration de créance à la liquidation de la société civile constitue la preuve de vaines poursuites par le créancier, ne peut recevoir application à l’instance en cours au moment de son prononcé, sans priver la créancière d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, celle-ci se trouvant, eu égard à la jurisprudence antérieure, dans l’impossibilité d’éviter de laisser prescrire sa créance ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi

!"#$"!""

!"#$%&'() *+),) -./.!.01) 23)%45) 2+**1) 67.) 8&9:4';) #<) =:4'#&1) :&>.) '?) 2@22A<+A)B&C(:45(DE.)"%%&""'(")*+%,"(,"'-"./*%01*/)(23("%2,(*2(0"1(*,%2(2,0""6.))8&):&F5:&%&'();&)G$:5DH:$;&'#&)&')#4$D&)!"##$%#&'()*('+'*,#-./%-0#%))-'1%2-0##4&"" "5"6"789:;"<;=>?<@;":9AB"C>"=D=;"E"FG;"C>"<;=>?<;":9AB"H9?<@;":GI"C>"=D=;"7>G:;"E"FG;"C>"<;=>?<;":9AB";?BI;"C;:"=D=;:"J>IBA;:K";B"H9I=@;"J>I";CC;:";B"79?BI;";CC;:";?"C>"=D=;"FG>CAB@&"L"3"##$0(#%445+(#&6#7#86',#!99:#0+#&6#3!#8%,;'04#3<<7##M&"" 9"$N!#N&#O4K"=6--"##$$PK"-::&"1C@?&K"?9"

FG;:BA9?" <;" C>" I@>CAB@" ;B" <;" C>" Q>CA<AB@" <G" 79?:;?B;=;?B" <;:" J>IBA;:K" ?;" :>GI>AB" H>AI;" 9R:B>7C;" S""

#$&"")>?:"C>"79?BA?GAB@"<;"7;B">IIDBK"C>"JI;=ATI;"78>=RI;"7AQAC;">"I;?<G"C;"N#"U>?QA;I"NVVW"G?">IIDB"XJ9GIQ9A" ?9" VV!#O&4M#K"=6--"# NVVWK" %K" ?9"

I;:J9?:>RACAB@"<@CA7BG;CC;"FG;"C;:"<;=>?<;GI:">Q>A;?B"H9I=@"<;:"JI@B;?BA9?:"<9?B"AC"C;:"<@R9GB>ABK">" @7>IB@" C>" HA?"<;"?9?!>7BG;CC;:"JI@B;?BA9?:"<G"<;=>?<;GI"@B>A;?B" H9?<@;:" :GI" C>" I;:J9?:>RACAB@" 79?BI>7BG;CC;" UG:FG;" CS";Y7CG;"<;:"<@R>B:&"7"## 864'()46&0,10#>#)%4+'4#&0#3<<:#NV&""1>I" G?" >IIDB" <G" P"=>I:" NVVP" XJ9GIQ9A" ?9"VN!#N&#P#K" =6--"# NVVPK" %%K" ?9"MPZK" C>" <;GYAT=;"

G?;"JI97@<GI;">?B@IA;GI;"79==;"<>?:"7;CC;"J;?<>?B;"<;Q>?B";CC;K"G?;"J>IBA;";?B;?<>AB"9RB;?AI"C;"I;=R9GI:;=;?B" <;" :9==;:" JIDB@;:" ;B" FG;" :>" <;=>?<;" >Q>AB" @B@" I;U;B@;" J>I" G?;" JI@7@<;?B;"<@7A:A9?K">"I;B;?G"S"R9?"<I9AB"FG;"7;BB;"J>IBA;K"FGA"A?Q9FG>AB"<>?:"C>":;79?<;"A?:B>?7;"C;"=>?<>BK"

"J;I:9??;CC;K"C;"7>GBA9??;=;?BK"C;"J>7B;"<;"79?:BABGBK"C>"I@J@BABA9?"

I;"@B>AB" I;B;?G;"J>I" C>"=D=;"78>=RI;"<>?:"G?">IIDB"<G"NW":;JB;=RI;"NVVP" XJ9GIQ9A"?9"VN!#$&MMNK"=6--"#NVVPK"%%K"?9"P#WZ&"'>"JI;=ATI;"78>=RI;"7AQAC;"<;"C>"39GI"<;"7>::>BA9?"UG[;>"S":9?"B9GIK"<>?:"G?">IIDB"<G"M"=>I:"NVVO"XJ9GIQ9A"?9"VN!#\&#$4K"=6--"#NVVOK"%K"?9"

>BB>78@;"S"C>"JI;=ATI;"H>AB"9R:B>7C;"S"C>"I;7;Q>RACAB@"<;"C>":;79?<;&":"##$0#40;'40?0,+#&0#864'()46&0,10#&6#@#86'--0+#3<<A#N#&""';"4" 9"VP!#V&\4NK"=6--"#NVV\K"-::&"1C@?&K"?9"MZ"<>?:"C;FG;C";CC;"UG[;"5"

6"X&&&Z">]>?B"79?:B>B@"FG;K"79==;"C>"<;=>?<;"9IA[A?>AI;K"C>"<;=>?<;"<9?B";CC;"@B>AB":>A:A;K"H9I=@;"

C>"<;=>?<;":;"8;GIB>AB"S"C>"789:;"JI@7@<;==;?B"UG[@;"I;C>BAQ;=;?B"S"C>"=D=;"79?B;:B>BA9?&"L"))))

!"#$"!""

!"## $%&'()&%*+,-+###%""&'(&')" *+',-&'+.)/0)" "*+,11)2" #$$3" 4&(+'5(,"/("$6!6$%3#78"!"##$"#$$38"/("9:;<8")11)"="*+>?"@+)"A"

B" !6" .)" 1=" 1(," .+" #C" *+,11)2" 6::68" 1)-" =02,(/-" 0,5,1)-" D(/.?)-" -+'" +/)" =22),/2)" =+"')-&)02".)"1="&'?-(E&2,(/"

0(+'2"F"/(+5)=+"F"0(E&2)'".)"0G=@+)"=02)",/2)''+&2,D".)"1="&')-0',&2,(/"=H'?>?)"&'?5+)"&='"0)"2)I2)"J"

"

K(/5)/2,(/")+'(&?)// "L%"#9%"".,-&(-,2,(/8" 1)"#6".?0)EH')"#$$7".=/-"+/"=''M2" ')/.+"&='" 1="K(+'".)"0=--=2,(/")/"-=" D('E=2,(/"

("$$!#$%3C98"!"##$"#$$78"N--%"O1?/%8"/("6P<")/"&'?0,-=/2"@+)"A"B"

=02)",/2)''+&2,D".)"&')-0',&2,(/".=/-"1)-"2'(,-"

"L""

QR"STUVW"V%""XYT"ZN"[VUZNWVUR"NZZ\]Y\Q"S "^"6"SQ"ZN"KUR[QRWVUR"#3%""

"7"^"6".)"1="K(/5)/2,(/" "A"B"W(+2)"&)'-(//)"=".'(,2"F"0)"@+)"-="0=+-)"-(,2")/2)/.+)"?@+,2=H1)E)/2"4%%%<"&='"+/"2',H+/=1"4%%%<8"@+,".?0,.)'="4%%%<".)-"0(/2)-2=2,(/-"-+'"-)-".'(,2-")2"(H1,>=2,(/-".)"0='=02_')"0,5,1"4%%%<"L"#."##/01(+(#*+(#)2&3'+(#%$&&'()&*(+",*-./)&#P%""0=--=2,(/8" )-2,E)/2" )/" ')5=/0G)" =5(,'" ?2?" &',5?-" .)" 1)+'" .'(,2" F" +/" &'(0_-" ?@+,2=H1)8" )2" &1+-"

"+/"2',H+/=1%"#7%""V1-"0(/-,._')/2"@+)" 1)" ')5,')E)/2".)" *+',-&'+.)/0)".(/2"="'?-+12?" 1="D,/".)"/(/!')0)5(,'"@+,"

=&&)1"&(+'"-=,-,'"1)"*+>)"0,5,18"E=,-"EME)")/-+,2)%"N"0)2"?>='.8"&(+'")+I8"1)-"=''M2-".)"1="K(+'".)"

-+'"+ "#;%"" ')5,')E)/2" .)"*+',-&'+.)/0)" ,/2)'5)/+")/"#$$7"="&('2?"=22),/2)".)"E=/,_')"0)'2=,/)"F" 1)+'-".'(,2-%"V1-")-2,E)/2"@+)8"-,"0)22)"D,/".)"/(/!0)'2=,/)8"0(E&2)"2)/+".)-"'_>1)-"=&&1,0=H1)-")/"E=2,_')".)"')-&(/-=H,1,2?"E?.,0=1)"=+"E(E)/2".)-"D=,2-8" (H2)/,'" '?&='=2,(/" .)" 1)+'" &'?*+.,0)" -+'"

*+',-&'+.)/0)%"#:%""Q/D,/8"1)-"')@+?'=/2-8"@+,")-2,E)/2"=5(,'"=>,")/"2(+2)"1(`=+2?"&'(0?.+'=1)")/"-=,-,--=/2"1)"*+>)"/=2+')11)E)/2"0(E&?2)/2")/"E=2,_')".)"')-&(/-=H,1,2?"0(/2'=02+)11)8")-2,E)/2"@+)"1="D,/".)"/(/!

!"#$"!""

"!"##$%#&'()%*+%,%+-##%&"" '()*'(+(,-".(" /0'*12'0.(,3("(1-"24'",4-0'("'5-'643-*7"(-"26'-(8".91" :6'18".4,1"0,("3('-4*,("+(10'(8"4--(*,-("40"2'*,3*2(".("1530'*-5" /0'*.*;0(&"<60'" 40-4,-8" :("=60)(',(+(,-" 160:*>,(" ;0(" :(1" '()*'(+(,-1" .(" /0'*12'0.(,3(" 16,-" *,?5'(,-1" @"

/0'*12'0.(,3("36,1-4,-(&" A:"2'53*1(";0(8".4,1"3(1"36,.*-*6,18" :4"+6.0:4-*6,".4,1" :(" -(+21".(1" '()*'(+(,-1".("/0'*12'0.(,3(".6*-"'(1-('"(B3(2-*6,,(::("(-"76,.5("10'".(1"3*'36,1-4,3(1"-'91"24'-*30:*9'(18"3(";0*"741(:6," :("=60)(',(+(,-8"@"36,75'('"40" /0>("0,"260)6*'" '5>:(+(,-4*'("36,-'4*'("40B".*1261*-*6,1".0" .'6*-" 7'4,C4*1&" D(" =60)(',(+(,-" 6E1(')(" 24'" 4*::(0'1" ;0(" :(" 341" .(1" '()*'(+(,-1" .("/0'*12'0.(,3("1(".*1-*,>0(".("3(:0*".(1":6*1".(")4:*.4-*6,8":(1;0(::(1"36,1-*-0(,-"0,("*,>5'(,3(".0"

"FG&""D("=60)(',(+(,-" 477*'+(";0(8" .4,1" 3(1" 36,.*-*6,18" '()*'(+(,-".("/0'*12'0.(,3(" "$" .(" :4"

'()*'(+(,-"

,4:8" ,*" (,10*-(" .("'()*'(+(,-";0*"5-4*-"4,-5'*(0'"40"260')6*"(,"'()*'(+(,-"5-4*-":5>*-*+("H"(::("'526,.4*-"@"0,"

*+25'4-*7" .(" E6,,(" 4.+*,*1-'4-*6," .(" :4" /01-*3(8" @" :4" 76*1" (," -('+(1" .(" 1530'*-5" /0'*.*;0(8" (,".6,,4,-"0,(".57*,*-*6,"0,*7*5(".(":4",6-*6,".("I"3401("J8"(-"(,"-('+(1".(":6K40-5"2'635.0'4:(8"(,"

'()*'(+(,-" :0*!4+6'35".(20*1"#GGL&"F$&"" 1"(,"/(0"4"5-5"'(12(3-58"(-";0("

+4,*7(1-(+(,-"+4:"76,.5&"!"#!!$%&!'(!&)*)+(,-'-./!F#&""

"!0#!!122&/*-(.-34!5)!'(!03%&!FF&"" -40B" .(" :4" 2'55+*,(,3(" .0" .'6*-8" @" :4"

"M"$8" (1-" :("2'*,3*2(".(":4"1530'*-5".(1"'4226'-1"/0'*.*;0(1&"N("2'*,3*2("*+2:*;0(8"(,-'("40-'(18";0(":4"16:0-*6,".6,,5(" .(" +4,*9'(" .57*,*-*)(" @" -60-" :*-*>(" 24'" :(1" -'*E0,40B" ,(" 16*-" 2:01" '(+*1(" (," 3401("O "P=NQ8",6"#RFL#S%T8"M"U$8"NVWX"$%%%!YAAZ&"FL&"" /0'*12'0.(,3("4110'(,-".5:4*1" .(" '(360'1" (-" .(" 2'(13'*2-*6," O.%#&%'(//*%# 0%# 12# 3*20%11%# 4"#5*2+4%8" $U".53(+E'("$%%#8" M"FF8"15'*("[",6"#TF!\8"6%11%-#4"#5*2+4%8"L".53(+E'("$%%T8"M"F]8"15'*("[",6"FFF!\8"(-" 8"2'53*-58"M"UTZ&"FT&"" 72*489#4"#6%1:;<(%"O$F"/0*,"$%]%8"M"TR8"15'*("[",6"F$Z8";0(":("2'*,3*2(".("1530'*-5" /0'*.*;0(8",53(114*'(+(,-"*,?5'(,-"40".'6*-".(":4"N6,)(,-*6,"36++("40".'6*-" 36++0,

'=;-%*#0;4-(,"(,"'526,1("@"

!"##"!""

$%"&'"()*+"$',-".%//%"'00'1+%"2!"#$%&'&(')*+"&,3",)"#45678493":";73"5<"$=.%>?+%"#44<@A"7BA""C)*+" '*/',/3" &'" ()*+" '" =D'&%>%,/" %-/1>=" E*%" &%-" %F1D%,.%-" $%" &'" -=.*+1/=" G*+1$1E*%" %/" $%"H+)/%./1)," $%" &'" .),01',.%" &=D1/1>%" $%-" G*-/1.1'?&%-" ,%" .),-'.+%,/" H'-" $%" $+)1/" '.E*1-" I" *,%"G*+1-H+*$%,.%".),-/',/%"2!"#$%&3"H+=.1/=3":"+%J1+%>%,/"

!"#$%&3"H+=.1/=3"::";6"%/";<@A"7;A"" G*+1-H+*$%,.%"

)&*/1J%"%>HK.L%+'1/" /)*/" .L',D%>%,/" )*" '>=&1)+'/1)," 2-.+"+/01/2%' &('3' 45#6789%:7,' ;07<0/9+1,' $,'=+&#$0%",'>3",)"7B<568473":"7<3"59"G',J1%+"#454@A"7<A"" =+*&2?+'HH%&=-"H'+"&'"()*+"$%"M*-/1.%"$%-"()>>*,'*/=-"%*+)H=%,,%-"N"O"&%-".),-=E*%,.%-"H+'/1E*%-"$%"/)*/%" $=.1-1)," G*+1$1./1),,%&&%" $)1J%,/" K/+%" H%-=%-" 'J%." -)1,"P3" >'1-" O")," ,%" -'*+'1/" 2AAA@" '&&%+"

)," 0*/*+%" %," +'1-)," $%-""P"2H+=.1/=3":"6<@A"

7QA""

'$J%+-'1+%"I"&%-"1,$%>,1-%+"=/'1/3"%,"/)*/"=/'/"$%".'*-%3"-*-.%H/1?&%"$%"+%.)*+-"-%&),"&%-"0)+>%-"%/"$=&'1-"H+=J*-"H'+"&%"$+)1/"1,/%+,%A"94A"" )>>%" 1&" %," 'J'1/"

+%J1+%>%,/" $%" G*+1-H+*$%,.%" $%" &'" ()*+" $%" .'--'/1),3"1,/%+J%,*"$',-"*,"'*/+%" &1/1D%"%/"$',-"*,"-%,-"E*1" &*1"=/'1/"0'J)+'?&%A"R+" &%",)*J%&"=/'/"$*"$+)1/"1,/+)$*1/"H'+".%" +%J1+%>%,/3" 1,/%+J%,*"%,"'--%>?&=%"H&=,1S+%3" 0)+>'/1)," &'"H&*-" -)&%,,%&&%"$%" &'"()*+" $%" .'--'/1),3" I" &'" -*1/%" $%" $1J%+D%,.%-" 'HH'+*%-" $S-" #449" %,/+%" H&*-1%*+-" .L'>?+%-" $%" &'"G*+1$1./1)," 2J)1+" O"&%" $+)1/" 1,/%+,%" H%+/1,%,/"P" .1!$%--*-@3" =/'1/" H'+0'1/%>%,/" .),,*" $%" /)*/%-" &%-"H'+/1%-" & @7.+.%/'@7.+"$%/3"!"#$%&3" H+=.1/=3" :";6@A"TS-" &)+-3" '*F"

-/'/*="2!"#$%&3"H+=.1/=3":";<@A"95A"" " -)&*/1)," +%/%,*%" H'+" &'" ()*+" $%" .'--'/1),3" -1" &'" ()*+" H+%,$" %,".),-1$=+'/1),"&%-"1>H=+'/10-3"'J',.=-"H'+"&%"U)*J%+,%>%,/3"$%"?),,%"'$>1,1-/+'/1),"$%"&'"G*-/1.%3"

1/="

>1-"%,".'*-%"&%*+"-'1-1,%"1,1/1'&%"$*"G*D%"!

$*" /+1?*,'&" .)++%./1

H)+/=%"'*"+%D'+$"$%-"1>H=+'/10-"H+=.1/=-A"9#A"""V'"()*+"$=$*1/"$%".%"E*1"H+=.S$%"

"97A"" ":"5"$%"&'"(),J%,/1),A""CWX"(YZ"[R\]^Z3"VW"(R_X3"`" "5A""A#&9+*," ":"5"$%"&'"(),J%,/1),"%/"1++%.%J'?&%"H)*+"&%"-*+H&*-"a"#A""A%." ":"5"$%"&'"(),J%,/1),A"""

Document 11 : Premières réflexions sur un arrêt en vue d’un commentaire Questions à vous poser avant même de réfléchir à l’arrêt pour le commentaire :

Que dit l’arrêt ? = solution des juges. Pourquoi il le dit ? = arguments, fondements juridiques.

Puis 3 directions, 3 questions à se poser : le sens, la valeur et la portée de la décision. 1/ Confrontation de la décision avec le droit positif : (= le sens)

Est-ce que la décision est dans la lignée du droit positif ? Montrer si la solution retenue est conforme au droit positif compte tenu de la législation, des principes et de l’évolution jurisprudentielle, ou si, au contraire, elle innove.

o Que disaient les juges auparavant face à la même difficulté juridique ? = état de la jurisprudence antérieure.

o Disent-ils la même chose dans l’arrêt à commenter ? = confirmation / précisions / tempérament / revirement…

Plusieurs hypothèses sont envisageables :

- Lorsque la solution s’inscrit dans la lignée du droit positif antérieur (c'est-à-dire qu’elle suit une jurisprudence déjà bien établie), c’est le droit positif qu’il va falloir commenter. Dans ce cas, le devoir peut prendre une tournure plus théorique, puisque l’étude et la réflexion porteront sur les règles en vigueur. Avant d’affirmer qu’une décision n’apporte rien de nouveau, il faut s’assurer qu’elle est fondée sur les mêmes motifs et le même raisonnement que les décisions précédentes, et s’assurer qu’elle ne règle pas une situation voisine, quelque peu différente. - Si la solution retenue n’est pas conforme au droit positif, il faut préciser l’apport de l’arrêt, montrer son originalité, avant d’en faire la critique et en évaluer les conséquences (= portée de la décision). - S’il n’y avait pas encore de jurisprudence sur la question, l’arrêt apporte une solution nouvelle qui doit être déterminée, expliquée et appréciée soigneusement. - Si l’arrêt vient trancher un point controversé, non fixé en jurisprudence et discuté en doctrine, et qu’il émane de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat ou du Tribunal des conflits, il fixera probablement la jurisprudence. Si la décision émane des juridictions inférieures, on peut s’interroger sur la suite du procès : elle sera peut-être réformée ou cassée, à moins qu’elle prépare une évolution. - L’arrêt peut effectuer un revirement de jurisprudence dont il faudra expliquer les termes. Il faut être prudent car les revirements sont rares et connus. Il s’agir alors d’un arrêt des plus hautes juridictions, cassant plutôt que rejetant, et contenant dans un attendu de principe clairement énoncé une prise de position juridique radicalement différente de celle des arrêts antérieurs. Il faut alors expliquer soigneusement la différence entre la position ancienne et la nouvelle. - Il se peut enfin que la solution apparaisse erronée, c'est-à-dire issue d’une erreur de raisonnement ou d’une fausse qualification. Avant de l’affirmer, il faut être prudent et nuancé. Il faut montrer exactement où réside l’erreur et comment elle a mené à une solution illogique ou contraire aux principes. Il faut être mesuré dans l’expression, mais net dans la critique (évaluation de l’esprit critique).

2/ Discussions critiques (= la valeur de l’arrêt) :

o Le raisonnement des juges est-il cohérent ? o Le fondement juridique retenu est-il le bon ? la règle de droit a-t-elle été bien choisie ?

bien interprétée ? violée ? le cas échéant, pourquoi ? o La solution mérite-t-elle d’être approuvée ou critiquée ? pour quelles raisons ?

La valeur de l’arrêt peut être appréciée au regard de différents critères : - la logique : elle s’apprécie dans le raisonnement suivi et formulé par les juges par rapport à la question de droit (éventuelles contradictions, déductions hasardeuses…). - le droit : la valeur proprement juridique de la décision s’apprécie au regard de la solution elle-même : sa cohérence, sa justesse, son opportunité, les intérêts qu’elle met en cause ou favorise. Le juge a-t-il appliqué aux faits de l’espèce la règle de droit qui avait vocation à les régir ? La règle a-t-elle été bien interprétée ? - les critères économiques et sociaux : la valeur de l’arrêt peut être appréciée en fonction de ses répercussions possibles sur l’emploi, la sécurité des transactions, sur l’inflation, sur les intérêts des salariés, sur le rôle des pouvoirs publics, sur l’initiative privée… - les impératifs moraux : il est possible de donner une appréciation d’ordre moral, sur l’éthique médicale et le progrès de la science, la dignité de la personne humaine, le respect de la vie privée, la protection des liens familiaux, la défense de la morale sexuelle… 3/ Recherche des incidences juridiques ou extra juridiques ultérieures (= la portée de l’arrêt) C’est l’étape la plus difficile. Il importe de prendre garde à la date de l’arrêt proposé. Attention : il faut commenter la décision à la lumière du droit actuel, et non celle du droit en vigueur au moment où la décision a été rendue. - S’il s’agit d’un arrêt ancien : il faut exposer l’impact qu’il a eu, les mérites qui lui sont reconnus, le rôle qu’il a joué dans l’évolution du droit positif. Il faut alors faire état de la jurisprudence postérieure sur la question, en indiquant si la solution a ou non été maintenue, par la jurisprudence ou la législation. - S’il s’agit d’un arrêt récent : il faut alors apprécier les conséquences que la décision peut avoir et le rôle qu’elle peut être amenée à jouer, en fonction : du contexte législatif (en cas de production normative en cours ou en cas de vide législatif) et jurisprudentiel (si la jurisprudence est jusque là incertaine), du domaine concerné, de la juridiction qui a rendu la décision et de son autorité. Pour évaluer la portée d’un arrêt, quelle que soit sa date, il faut se demander :

o si la solution est appelée à s’appliquer souvent, à régir de nombreux cas, o si elle entraîne des conséquences juridiques importantes, o si la solution a été étendue à des situations voisines ou si elle est susceptible de l’être, o si la solution est toujours en vigueur ; si non, si elle s’est maintenue longtemps, o quel est le sens de l’évolution postérieure ou de l’évolution prévisible, o si la solution a été ou est sur le point d’être consacrée par des dispositions légales, o si la solution a influencé d’autres législations étrangères.

La portée d’une décision dépend de plusieurs éléments :

- de son origine : quelle juridiction ? - de sa valeur : est-elle cohérente, utile, opportune ? - de son genre : est-elle novatrice ou d’application ?

S’il s’agit d’un arrêt de principe ou de revirement, l’étude de la portée de l’arrêt doit occuper une place importante du commentaire. Il faut tenter de voir les incidences et conséquences juridiques de la nouvelle solution. Dans tous les cas, il faut essayer de montrer l’intérêt de l’arrêt qui diffère au moins par les faits d’un autre arrêt, même voisin, son originalité dans l’appréciation des faits et son importance dans le maintien et la stabilité de la jurisprudence.