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Sam et Feryel, retour dans l’île de la cité Tome 1 Fanny Girard-Pupin

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Sam et Feryel, retour dans l’île de la citéTome 1

Fanny Girard-Pupin

15.3 593102

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 190 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 15.3 ----------------------------------------------------------------------------

Sam et Feryel, retour dans l’île de la cité (tome 1)

Fanny Girard-Pupin

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Niveau 1 Le puits

Lorsque Feryel se pencha au dessus de la margelle en granit pour tenter d’apercevoir le fond du puits où venait de se jeter une grenouille imprudente, elle n’aperçut qu’une bouche béante, obscure, sans fond et sans fin. Mais curieusement, cette immensité froide et silencieuse l’hypnotisait.

Elle ôta une bague en argent de sa main droite et la jeta dans le vide, juste pour voir. Elle tendit l’oreille et patienta quelques instants.

Rien.

C’était impossible. Toute chute au fond d’une cavité remplie d’eau, aussi profonde soit-elle, est immanquablement ponctuée par un « plouf », un « ploc » ou bien un « splatch » qui confirme l’impact et cela, Feryel était bien placée pour le savoir…

La jeune fille se baissa, ramassa l’un des gros

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cailloux qui traînaient au pied des cornouillers alentour puis elle retenta l’expérience en comptant les secondes pour avoir une idée de la profondeur.

Toujours rien.

C’était de plus en plus mystérieux. Fascinée, elle s’arc-bouta encore un peu plus au dessus du précipice pour essayer de percer le secret des ténèbres et contracta la sangle abdominale jusqu’à s’en couper le souffle afin de résister à la douleur infligée par la pierre. Désormais, sa tête et son buste étaient entièrement immergés dans le conduit et plus sa curiosité augmentait, plus son corps basculait à l’intérieur de ce dernier.

Millimètre par millimètre, tout son être s’enfonçait dans cet espace clos mais peut-être insondable, exigu et sans doute infini…

C’était comme un songe : un songe éveillé, doux et rassérénant qui allait l’emporter, l’aspirer, abréger ses souffrances et mettre un terme définitif à cette douloureuse aventure que l’on nommait « la vie ».

Parfaitement horizontales, ses jambes tendues comme une corde dessinaient à présent une ligne perpendiculaire à la bouche du puits et c’était chose

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curieuse que de voir la moitié d’une très jeune fille en suspension au dessus du vide.

Ça y est, se disait-elle, je vais passer de l’autre côté, franchir le Rubicon. Encore un peu, un tout petit peu…

Sur ses jambes, elle sentait le Zonda, ce vent de sable acide et brûlant, celui d’un énième été caniculaire ; à ses oreilles parvenaient encore les clameurs vagues et diffuses de la ville ainsi que les hurlements lointains des sirènes de police qui allaient et venaient à travers le dédale de rues somnolentes pour finir en écho le long des parois du gouffre qui était en train de la dévorer.

Feryel fut subitement arrachée à ce dangereux voyage. C’était une paire de bras, masculine, vigoureuse, déterminée et… d’obédience publique.

– Police. Mains en l’air ! Pas une seconde à perdre, pensa-t-elle. L’individu

était gigantesque, les épaules carrées, le front bas et le regard buté (ils étaient tous fabriqués sur le même modèle) et il lui braquait une lampe torche dans les yeux. De la race de ceux qui ne seraient sensibles à aucune explication. Elle les connaissait par cœur : toute tentative pour inspirer la pitié ou l’empathie serait vaine.

Derrière lui se trouvait bien entendu le fourgon, autrement dit, la bête noire de tous ceux qui ne respectent pas le couvre-feu. Une fois à l’intérieur, on

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ne savait jamais sur qui l’on tombait et où ILS allaient vous emmener.

Elle devait jouer d’un effet de surprise. Ne pas entrer là-dedans, coûte que coûte.

Elle décocha un sourire au molosse, fit mine de se rendre et en une fraction de seconde, elle prit appui sur son pied droit pour lui envoyer violemment le gauche entre les jambes. Lorsque le bout coqué de sa chaussure atteignit sa cible, ce dernier poussa un cri de douleur et elle le vit se recroqueviller sur lui-même. Touché !

Feryel en profita pour filer en direction d’un pont qui enjambait le fleuve. Si elle avait le temps de l’atteindre, elle pourrait se jeter à l’eau et se laisser dériver jusqu’à la prochaine écluse. Elle avait déjà réalisé cette prouesse à plusieurs reprises. ILS ne plongent jamais pour vous suivre, les eaux du Grand Canal sont bien trop polluées et le courant bien trop fort pour qu’un policier, même téméraire, y risque sa peau.

Feryel est petite et menue mais elle est également athlétique. De ses années passées dehors, avec les autres enfants, elle a gardé une foulée et des réflexes hors du commun, deux aptitudes qui lui ont permis de se tirer d’affaire maintes et maintes fois.

Une vingtaine d’enjambées plus tard, la voilà tout près des barrières de protection qui séparent les passants du tumulte des flots. A chaque expiration,

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elle émet une sorte de râle pour mieux expurger l’air de sa cage thoracique, ce qui ne l’a pas empêché d’entendre le claquement de l’autre portière du Fourgon, celle située côté conducteur.

Le deuxième élément du binôme vient d’entrer en action. Normalement, il ne sort jamais du véhicule, sauf en cas d’urgence. Et tandis que la jeune fille se rue vers le pont, à bout de souffle, l’autre agent s’est brièvement penché au-dessus de son malheureux acolyte pour lui glisser un, ça va ? mais il n’a pas attendu la réponse car il vient de se lancer à ses trousses.

Elle le sait, elle le sent, il court diablement vite – peut-être un ancien gosse des rues lui aussi ? – il y en a un certain nombre chez les flics. En tous cas, il va la rattraper et la ceinturer si elle ne prend pas une décision immédiate.

Feryel fait soudain volte-face et elle s’immobilise. Durant quelques secondes, ils se défient du regard

comme deux fauves apeurés, ne sachant lequel d’entre eux va porter la première estocade puis l’homme finit par rompre le silence :

– Ne fait pas de bêtises, pas-de-bêtises, d’accord ? Tout va bien… lui répète-t-il d’une voix douce et basse en prenant soin de garder ses yeux rivés dans ceux de sa proie et en gardant ostensiblement la main sur la crosse de son arme de service.

Elle, est à quelques centimètres seulement de la rampe de sécurité qui surplombe le torrent et elle peut

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sentir le métal froid au bout de ses phalanges. Une petite pirouette de rien du tout la sépare de sa planche de salut ; s’il pouvait cesser, ne serait-ce qu’un instant, de me dévisager, je pourrais tenter ma chance… Allez, regarde ailleurs, s’il-te-plaît, regarde ailleurs…

Mais l’homme poursuit, imperturbable : – Tu vas me suivre, OK ? On ne te fera pas de

mal, OK ? Celui-là, il n’a pas l’air méchant. La jeune fille tourne une dernière fois le visage

vers les remous, y cherchant désespérément la trace d’une apparition ou d’un miracle, de quelque chose de magique qui pourrait en surgir et venir bouleverser le cours des événements.

Comme quand elle était petite. Finalement, elle pousse un long soupir et tend les

bras au devant d’elle en signe de soumission. Et alors qu’il lui passe les menottes, elle l’entend marmonner :

– Allez, c’est bien… Peu après, elle se retrouve, et pour la première

fois de sa jeune existence, à l’orée du ventre du Fourgon. Il s’entrouvre. Elle s’y engouffre et lance un coup d’œil timide. Évidemment, elle n’est pas seule. Le véhicule a déjà récolté sa moisson de parias. Posté à l’intérieur, un nouvel agent lui ordonne de s’asseoir au fond de la cage ambulante. Il lui attache ensuite les mains dans le dos à l’aide d’une sangle et les amarre solidement à une barre chromée. Les portes blindées du véhicule se referment et l’ascension jusqu’à la

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centrale, tout au sud de la Cité et juste au pied du mont Nikaru, peut commencer.

En face d’elle, six autres prisonniers l’observent de leurs yeux creux et fatigués mais passé l’effet de surprise, le bourdonnement sourd et régulier du moteur électrique agit sur eux comme une berceuse sur des nourrissons et leur tête retombe lourdement sur leur poitrine. A sa droite, un vieillard somnole lui aussi.

Silence de plomb. Debout près de la porte, les bras et les jambes

croisés, dans une attitude nonchalante et fière du devoir accompli qui semble dire « C’est l’heure ! Le quota de crève-misère est atteint pour ce soir, on rentre à la maison », le fonctionnaire de police contemple fixement un morceau de voûte céleste qui se découpe à travers un oculus du toit. Puis subitement, et comme saisi par une irrésistible bouffée de nostalgie, il se met à fredonner une ancienne comptine pour enfants tout en gardant les doigts fermement serrés sur la poignée en caoutchouc de son tonfa électrique :

Flocons, pa-pi-llons, la fenê-tre la fenê-ê-tre, flocons, pa-pi-llons, la fenêtre est en coton…

Vision à la fois absurde et jubilatoire. Si le prochain arrêt n’était pas la centrale, Feryel aurait trouvé ça très drôle.

Il nei-ge doux, il nei-ge doux, tout près du feu resserrons-nous,

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Elle jette un regard ahuri sur l’équipage. A bord, tout est calme. Le monde entier semble s’être assoupi. Serait-ce l’effet produit par la chansonnette ? Va-t-elle elle aussi sombrer dans un profond sommeil ?

Il nei-ge doux, il nei-ge doux, la terre est noi-re par dessous,

Elle sursaute et étouffe un cri. Une paire d’yeux bruns, sévères et inquisiteurs, ceux de son voisin d’infortune, un vieil homme aux rides antédiluviennes, vient de s’écraser sur elle :

Tu as trouvé le passage ? murmure-t-il. Quoi ?????? répond-elle, ahurie. Tu as très bien entendu… Cheveux longs, sortes de fillasses blanches à

l’hygiène douteuse et barbe toute aussi ragoûtante d’une centaine d’année au moins. Bouche édentée. Ample tunique de couleur ivoire, sandales ibériques de missionnaire aux pieds et surtout, chapeau bleu interminable et conique, flanqué d’étoiles filantes dorées qui ne sont pas sans rappeler celles de…

Et toi, t’as perdu ta baguette Merlin ? rétorque Feryel qui ne croit plus aux contes de fées ni aux légendes depuis très longtemps.

Il nei-ge froid il nei-ge froid, mettez vos capuchons tout droits,

Alors, tu l’as trouvé, oui ou non ? reprend-t-il, agacé par l’arrogance de cette gamine maigrichonne dont la longue chevelure brune, le teint d’albâtre et les

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lèvres rouge sang ne sont pas sans lui rappeler les attraits d’une célèbre beauté endormie.

Quel passage ? poursuit-elle, goguenarde. Taratata ! Tu SAIS de quoi je parle. Tu as failli

tomber dedans il y a quelques minutes à peine… Vous êtes qui vous d’abord ? s’exclame-t-elle d’un

ton plus ferme, et pourquoi est-ce que tout le monde dort ici ?

Ce n’est pas ton affaire. Écoute-moi bien. Lorsque tu t’es penchée au-dessus de ce puits, est-ce que tu as aperçu ou entendu quelque chose ?

Ben, non… Rien du tout. Tu en es sûre ? insiste-t-il. Sûre ! Dommage… conclut-il, mystérieux.

Il nei-ge froid il nei-ge froid, la tortue s’est ca-chée je crois…

Et il mène où votre passage ? surenchérit-elle, intriguée.

L’intéressé se redresse et pousse un long soupir. S’il avait les mains libres, il se serait lissé la barbe. Chez les mages, c’est un signe de réflexion intense.

Cela mon petit, nul ne le sait. Les passages apparaissent subitement, de façon imprévue et aléatoire puis ils disparaissent au bout de quelques secondes. Leur apparence et leurs dimensions ne sont jamais identiques : un jour ce sera derrière les battants d’une porte, un autre jour, sous une

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bouche d’égout, sous une trappe qui mène à la cave, sous les franges d’un tapis, ou encore, tout au fond d’une cabine d’essayage…

Avant de poursuivre son récit, le vieillard tourne la tête vers le garde-chiourme afin de vérifier qu’il est toujours dans un état proche du rêve éveillé, donc complètement inoffensif, puis il reprend d’une voix énigmatique :

A ce jour, seuls quelques individus, tous au plus une dizaine, ont eu la chance de les emprunter.

Ah bon ? Et comment est-ce que MÔsieur est au courant ? coasse Feryel, narquoise.

Il nei-ge blanc il nei-ge blanc, ne tombez pas en repartant,

Bon sang ! Tu n’as jamais rencontré d’enchanteur avant moi ?!

Des maîtres-chanteurs, des arnaqueurs, des voleurs, des tueurs, oui… mais des zenchanteurs… non !

Mine défaite et exaspérée de l’étrange personnage qui reprend bientôt du poil de la bête :

Bon… enfin… passons… Grâce à mes dons exceptionnels, j’ai connaissance de faits et de phénomènes que vos esprits étroits et votre perception matérialiste du monde ne peuvent embrasser… Donc, ces passages existent, ils existent bel et bien et tu es entrée en contact avec l’un deux.

Pourquoi moi ? Le vieil homme lève les yeux au ciel, ou tout du

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moins jusqu’aux tôles en blindage bleu-acier qui en font office puis il les redescend, plein de condescendance, sur la créature malingre et effrontée que le destin a placé à côté de lui, ou plutôt, en travers de son chemin.

Choix on ne peut plus contestable, je te le concède, mais nul ne peut s’opposer aux mystérieux desseins de la Volonté qui régit toute chose ici bas. Malheureusement, devrais-je ajouter.

Ouais, ouais, c’est ça…

Ce sorcier de seconde zone ferait mieux d’utiliser ses pouvoirs magiques pour nous sortir d’ici, fulmine-telle en son for intérieur, tout en espérant qu’en plus de sa capacité à faire chantonner les forces de l’ordre ou à apercevoir des passages là où les autres ne voient que de simples nids de poule dans la chaussée, il ne possède pas, en plus, le don de lire dans les pensées d’autrui.

Mais comme elle n’est encore qu’une enfant, ce qu’elle désire avant tout, c’est connaître la suite de l’histoire, même s’il faut supporter les bavardages de ce vieux mythomane.

Bon alors, ce passage… Il a failli t’expédier vers un univers parallèle ! Un univers parallèle ??? Oh là là, monsieur

Merlin, vous avez bu trop de potion.

Il nei-ge blanc il nei-ge blanc, il neige un peu pour les en-fants,

Cesse immédiatement de m’appeler Merlin.

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D’accord monsieur Merlin. Toi tu as de la veine d’avoir été choisie pour

faire le grand voyage sinon… Sinon quoi ? Tu subirais sur le champ les foudres de mon ire. Quelle lyre ? Tais-toi et ouvre grand tes oreilles car bientôt

nous seront arrivés et tu devras te débrouiller seule. Ce puits ou ce trou, appelle-le comme tu veux, a voulu te happer. Il s’agit en fait d’un concentré spatio-temporel qui te conduira à un autre endroit et à un autre moment… D’ailleurs, peut-être as-tu déjà emprunté l’un de ces passages.

Pffffffffffffff… Et je ne m’en souviendrais pas ? Probablement pas… Tout dépend de ton âge

lorsque cela s’est produit pour la première fois ; les enfants n’ont guère de mémoire vive avant leur troisième année.

Comme vous êtes savant Merlin, ajoute-telle avec une pointe d’ironie encore plus acérée dans dans la voix, quolibet qu’il choisit délibérément d’ignorer.

En effet, je sais et je vois une multitude de choses mais je n’ai pas la réponse à toutes les questions qu’elles soulèvent.

Pratique… ne peut s’empêcher d’ajouter la jeune fille. En tous cas, s’il y avait un concours planétaire de ramassis de clichés je miserais tout sur votre dos.

En d’autres temps et en d’autres lieux, il l’aurait

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volontiers transformée en triton alpestre pour lui couper le sifflet mais le temps pressait car les hautes silhouettes des premières tours de guet de la centrale se découpaient déjà au loin. Il reprit la parole :

En revanche, ce que je peux t’affirmer avec certitude, c’est que le passage va se présenter à nouveau et cette fois, il ne s’agira pas de le rater. Si tu veux quitter définitivement ta pauvre existence de traîne-bitume ce sera ta dernière chance…

Ma-pauvr-exis-tence de quoi ? s’insurge Feryel, non mais tu t’es vu, espèce de face de pastèque ? Ça fait des siècles que le moindre fakir pour touristes s’échappe de coffres-forts jetés dans une piscine et toi, t’es même pas foutu de nous sortir d’ici ? La HONTE ! T’es vraiment cuit !

… Pour survivre dans les artères crasses et

surpeuplées des bas-fonds de la Cité, il ne fallait pas seulement apprendre à courir vite, à se battre ou à chaparder, il fallait aussi développer le sens de la répartie et ceux qui en étaient capables jouissaient d’un statut très particulier qui pouvait par ailleurs compenser tous leurs handicaps. Avec ceux qui savaient lire, écrire ou encore, parlementer avec les adultes, ils bénéficiaient de la protection des plus forts car ils étaient très utiles à la tribu.

… Il neige-ra, il neige-ra puis un jour le printemps

viendra,

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A cet instant, le Fourgon stoppa net et les portes s’ouvrirent sur une cour gigantesque, encerclée par de puissants projecteurs.

Allez ! Finie la p’tite balade, on est arrivés, tout le monde descend ! aboya le cerbère à l’attention des passagers qui venaient tous de rouvrir les yeux, comme par enchantement.

Feryel qui était de loin la plus jeune eu le privilège de sortir en première position et une fois dehors, un uniforme qui avait dû autrefois contenir un être humain lui indiqua un autre uniforme bardé d’une arme de type 4 ou 5 qui l’invita à le suivre.

Direction le quartier des mineurs.

Elle en avait beaucoup entendu parler. Les pires rumeurs couraient sur cet endroit qui servait à vider la Cité de son trop-plein d’enfants abandonnés. Des sanglots lui montèrent à la gorge. Avant de se mettre en route vers les sinistres baraquements, elle jeta un ultime regard à la file des détenus crachée par le fourgon. Aucune trace du mage, il avait disparu et personne ne semblait remarquer son absence.

Ça alors, finalement, il est plus fortiche que je ne le pensais…

Et sur les branches il neige-ra des fleurs de pomme et du li-las… fredonna une dernière fois le vigile en la fixant du regard, un sourire rêveur et légèrement espiègle aux lèvres.

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Niveau 2 La centrale

Au bout de plusieurs centaines de mètres accomplis sous bonne escorte, Feryel était parvenue au seuil de ce qui allait devenir sa nouvelle demeure pour un temps indéterminé. Derrière l’œilleton qui ornait l’imposante porte d’entrée, elle-même flanquée de nombreuses caméras de surveillance, quelqu’un l’attendait déjà.

Elle leva la tête : une muraille noire percée de multiples alvéoles, encore plus ténébreuses que cette dernière, s’étendait à perte de vue… On aurait dit une ruche géante et carrée.

Atterrée, elle fit un pas supplémentaire en direction de la geôle et un détecteur de présence déclencha l’ouverture d’un sas. Une femme, sans âge et sans visage tant elle lui parut inexpressive, se tenait devant elle et lui intima de se déshabiller avant de franchir le portique de sécurité.

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C’est donc entièrement nue que Feryel fit son entrée dans les quartiers de la centrale réservés aux hors-la-loi de moins de quinze ans. Les bras serrés contre sa poitrine, elle emprunta un couloir à la suite de la gardienne ; une traversée qui ne prit que quelques secondes mais qui lui parut interminable. La jeune fille était transie de froid et l’humiliation d’avoir à exhiber son corps pâle et maigre allongeait sans cesse la distance qui la séparait de la salle des douches.

Après la fouille et un jet d’eau tiède, on lui apporta des vêtements puis elle dut franchir un nouveau corridor pour se rendre à l’infirmerie. Là-bas, un homme, un médecin lui dit-on, l’attendrait. C’était bien le cas. Assis à un burordinateur, le regard rivé sur son écran, il ne jeta même pas un œil sur elle lorsqu’elle pénétra dans la pièce.

– Assise, s’il-vous-plaît lui ordonna-t-il. Feryel s’exécuta. Plusieurs minutes s’écoulèrent

sans qu’ils n’échangeassent un seul mot. Elle le regardait tapoter furieusement sur son clavier.

– Quel âge ? demanda-t-il ? Quoi ? – Je vous demande votre âge, enfin, celui que

vous pensez avoir. Feryel réfléchit, elle devait avoir sept ou huit ans

lorsque ses parents étaient morts, ce qui devait aujourd’hui lui faire dans les quinze ou seize ans.

– Levez-vous lui intima-t-il. Elle s’exécuta et il fit de même, jetant un regard à

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la fois sceptique et inquisiteur sur la silhouette qui lui faisait face puis il se rassit et reprit sa série de clics frénétiques.

– Nom, prénom. Feryel. – Feryel comment ? Ben, je sais plus… – Très bien, alors nous vous donnerons un

patronyme libre de droits, l’état-civil piochera dans la base ceux qui sont encore disponibles.

– Pas de domicile non plus je suppose ? Ben, non… – Des grossesses ? Non. – Ici c’est contraceptif obligatoire et celles qui

dérogent à la règle sont très sévèrement sanctionnées, si-vous-voyez-ce-que-je-veux-dire, lança-t-il de son ton mécanique.

Non. – Vous subiriez une ablation de l’utérus. D’accord… s’exclama-t-elle sans savoir de quoi il

était réellement question.

L’interrogatoire se prolongea, il était question de maladies, de vaccins, d’opérations et d’accidents. Tantôt l’homme parlait à son écran, tantôt il conversait avec un interlocuteur invisible grâce à un microphone fixé près de sa bouche. Feryel répondait aux questions de façon machinale sans vraiment les entendre. Elle était torturée par la faim. Quelle heure pouvait-il bien être ?