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DANSE / THéâTRE SAMEDI DÉTENTE DOROTHéE MUNYANEZA DURéE : 1H15 à PARTIR DE LA 2 DE CATéGORIE B Contact secteur éducatif : Maud Cavalca / 03 84 58 67 56 / [email protected] Réservations : 03 84 58 67 67 / [email protected] MERCREDI 18 MAI à 20H AU GRANIT

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danse / ThéâTre

Samedi dÉtentedoroThée munyaneza

durée : 1h15

à parTir de la 2de

caTégorie B

contact secteur éducatif : maud cavalca / 03 84 58 67 56 / [email protected]éservations : 03 84 58 67 67 / [email protected]

mercredi 18 mai à 20hau Granit

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Distribution...................................................................................................................................................... 3

Extrait vidéo du spectacle ............................................................................................................................... 3

Avant-propos ................................................................................................................................................... 4

Présentation .................................................................................................................................................... 5

Extraits ............................................................................................................................................................. 6

Repères biographiques .................................................................................................................................... 9

Dorothée Munyaneza, chanteuse, auteur, chorégraphe ............................................................................ 9

Alain Mahé, compositeur, improvisateur ................................................................................................... 9

Nadia Beugré, danseuse, interprète et chorégraphe ................................................................................ 10

La presse en parle.......................................................................................................................................... 11

Activités préparatoires .................................................................................................................................. 13

Le 6 avril 1994 ........................................................................................................................................... 13

Le Rwanda en quelques dates ................................................................................................................... 14

Pour aller plus loin ......................................................................................................................................... 15

Médias et manipulations ........................................................................................................................... 15

Avant le génocide : l’incitation à la haine ............................................................................................. 16

L’agenda médiatique et la loi de la proximité journalistique ................................................................ 17

Le choix et le poids des mots ................................................................................................................ 18

Le sensationnalisme audiovisuel et l’effet CNN .................................................................................... 19

Pour résumer ......................................................................................................................................... 20

Plus fort, plus vite, moins cher .................................................................................................................. 20

Un champ de production médiatique dominé par la télévision ........................................................... 20

La course au scoop et à l’audience ........................................................................................................ 21

Une profession qui évolue..................................................................................................................... 21

Avec le web, nous sommes tous des reporters ..................................................................................... 22

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Conception, texte, danse et voix Dorothée Munyaneza

Avec Nadia Beugré (danse) en alternance avec Mani Asumani

Mungaï, Alain Mahé (musique et improvisation) en

alternance avec Jean-François Pauvros et Dorothée

Munyaneza

Regard extérieur Mathurin Bolze

Création lumière Christian Dubet

Scénographie Vincent Gadras

Costumes Tifenn Morvan

Régie générale Marion Piry

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Vous pouvez également consulter cet extrait en suivant le lien :

https://vimeo.com/118132513

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Comment raconter l’indicible ?

Comment parler du départ d’un lieu qu’on a aimé ? Des circonstances durant lesquelles on a dû

quitter le nid de l’enfance, un jour, en cachette, sur les routes parsemées de corps, de sang et de

silence ? Comment raconter la chaleur d’un corps sous un tas de couches d’habits, « mugondo »,

qu’on ne pouvait transporter dans des valises car elles auraient été trop lourdes et encombrantes

lors de l’exode ? Comment raconter les journées de marche, de soif et de faim ? Comment raconter

les poux, le sommeil sur une bâche au milieu de la forêt ou le réveil sous une pluie torentielle au

milieu de la nuit en pleine campagne ? Comment raconter la fuite au clair de lune dans les champs de

café ? Comment raconter les rires ? Comment raconter les chansons ? Comment raconter les

psaumes et les danses ? Comment raconter le miel si doux et si rare quand la viande se vendait pour

quelques centimes et la chair pourrissait sous les mille collines ? Comment raconter des mois passés

sans voir sa mère ? Comment raconter à ceux qui se trouvaient là-bas, loin de nous, où les

informations parlaient de manière superficielle du génocide qui disséminait le Rwanda tout entier ?

On a tellement peu parlé de ce génocide. Et quand on en parlait on en parlait mal.

Je voudrais mettre un accent artistique sur un sujet historique dont il reste encore beaucoup à dire.

Voici 19 ans qui ont passé, 19 ans que j’ai vécu loin de mon pays, 19 ans que j’ai eu le temps de

reprendre goût à la vie, de grandir, de réfléchir, et enfin, de pouvoir écrire.

Je suis retournée à plusieurs reprises au Rwanda, j’ai pu voir les membres de ma famille qui sont

encore vivants. J’ai pu vivre le vide laissé par ceux qui sont morts. J’ai pu entendre des témoignages

de mes proches ou de ceux à qui l’on prête une oreille attentive. Je les ai enregistrés. J’ai pu voir les

cicatrices laissées par des machettes, et celles des blessures qu’on ne voit pas à l’œil nu mais que l’on

reconnait quand on rencontre celui ou celle qui a vécu ce que l’on a vécu soi-même.

Je veux parler au travers des yeux qui ont vu. Je veux partager la parole de ceux qui y étaient.

Et je l’appellerai Samedi Détente.

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Au Rwanda, Samedi Détente était une émission immanquable ; c’était le rendez-vous. Une émission

radiophonique pendant laquelle on écoutait des musiques venues d’ailleurs. On dansait, on chantait,

on les apprenait par cœur sans pour autant comprendre le sens des paroles. Le lundi suivant, une

compétition de la meilleure performance était organisée dans la cour de récréation. Un vrai rituel.

Depuis le 6 avril, jour où tout a basculé, je n’ai plus écouté d’émissions de Samedi Détente mais il

m’arrive parfois d’entendre des chansons qui passaient durant cette émission et tout me revient, je

revois mes amis, je revois mon quartier, je revis la musique et mon corps se met à bouger.

Aujourd’hui, la plupart de ces amis ou membres de ma famille avec qui je dansais sont morts.

En 2014, pour la 20ème commémoration du génocide rwandais, je vais créer un nouveau Samedi

Détente qui redonnera vie à ceux-là, aux disparus. Le témoignage que je suis en train d’écrire sera

son fil rouge. La parole précédera le geste, la parole suivra le geste, mais la parole ne sera pas le seul

langage d’expression. Au commencement sera un chant. Un chant que je chanterai sous un drap

blanc. Un linceul.

Je travaillerai avec une table et une bâche. Les tables et les bâches sont les objets qui nous servaient

d’abri et de repos. Quand les balles volaient au-dessus de nos têtes, nous nous réfugions sous la

table. Quand nous nous allongions après une journée de marche, la bâche accueillait nos corps

fatigués, chacun ayant une place allouée sur ce petit coin du paradis en plastique bleu ciel. J’aimerais

utiliser ces deux objets comme partie centrale de la scénographie et les sonoriser pour créer un

univers sonore singulier. J’aimerais que la table soit indestructible, en métal, afin que Nadia Beugré

et moi puissions danser dessus, comme sur un dancefloor métallique, un podium, une scène sur une

scène et que nos coups de pieds puissent être diffusés, transformés. Notre danse sera la danse des

corps animés, rescapés, elle donnera vie à ces corps morts, et oubliés.

J’accorde aussi une place fondamentale à l’habit. J’aimerais que le travail de costumes tourne autour

de ces couches qu’on appelait « mugondo ». L’habit jouera un rôle important comme en 94. L’habit

protecteur. L’habit créateur. Mugondo nous distrayait puisque infesté de poux, on passait des heures

à voir qui pouvait tuer le plus grand nombre de poux enfuis dans ses plis en un laps de temps

déterminé. Souvent à ces moments-là, on riait, on oubliait un instant qu’on allait dormir dehors,

parfois le ventre vide. On redevenait les enfants que nous étions. Sur scène, j’aimerais que Nadia

Beugré et moi puissions porter des couches d’habits, cette armure, ce cocon, que nous enlèverions

au fur et à mesure pour révéler l’être charnel, vivant, vibrant.

Alain Mahé sera la troisième personne du dispositif. Ensemble - lui au milieu de ses cailloux sonores

et ordinateurs - nous créerons cette nouvelle émission Samedi Détente avec des sons d’archives, de

dédicaces, de musiques des années 90, et de compositions originales que je suis en train d’écrire.

Dernier Samedi Détente. Il y a 19 ans, le Rwanda sombrait sous les coups de machettes et dans le

sang. En 94, j’allais avoir 12 ans. Je me souviens. Je suis prête à en parler, à y faire face. À l’époque

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personne n’est intervenu, ni les pays occidentaux installés avec des moyens militaires et

diplomatiques, ni les voisins africains pourtant concernés par les massacres à leurs frontières, ni les

autres. Certains ont fermé les yeux et d’autres nous ont tourné le dos.

En invitant Alain Mahé, compositeur, improvisateur, français et Nadia Beugré, danseuse, africaine,

ivoirienne, j’aimerais redonner vie à cette absence en dialoguant avec ceux qui nous ont tourné le

dos.

Je crois autant en l’humour qu’au ton tragique pour parler de ce drame.

Samedi Détente parlera de ces instants de paix avant la guerre, de ces instants de vie avant la mort,

de ces instants de rires avant les larmes, de la mémoire avec laquelle on vit, parfois même heureux,

mais dont le souvenir demeure et parfois refait surface à l’écoute d’une chanson ou à l’évocation

d’un nom de celui ou celle qui n’est plus.

Dorothée Munyaneza, novembre 2013.

Le texte évoluera au fil des répétitions. Il sera plus un matériau. Je livrerai les textes à mon équipe au

fur et à mesure qu’ils évolueront afin qu’ils les lisent, les mâchent, les crachent, et je verrai ce qui

restera une fois que tout sera absorbé, rejeté... C’est un peu ce qu’on faisait avec François Verret,

nous passions beaucoup de temps à lire des livres et des passages des textes sur lesquels nous

travaillions jusqu’à ce qu’un jour il nous dise de ne plus les ouvrir et de travailler avec la mémoire de

ce qui nous restait. J’aimais bien ça. Dorothée Munyaneza

Sur la route à l’aller, ils nous appelaient tous des Tutsis. Tous les enfants, les adultes, mes cousins, et

moi. Mon père leur disait à chaque barrière, « mais ne voyez-vous donc pas mon père, ici même ?

Regardez sa carte d’identité et regardez la mienne. »

Sur la route du retour, les ‘inkotanyi ‘ (les troupes armées du Front Patriotique Rwandais FPR)

demandaient à tante Alphonsine, la petite soeur de mon père, « ariko wowe wacitse ute ? Comment

as-tu survécu ? À cause de son nez étroit. »

« Qu’est-ce que c’est ça ?

Une machine à coudre.

Qu’est-ce que c’est ça ?

Une radio.

Qu’est-ce que c’est ça ?

Des diplômes.

C’est quoi cette langue ?

De l’allemand.

Où est votre femme ?

En Angleterre.

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IKITSO – une espionne, n’est-ce pas ?

Il y avait toujours des blancs chez vous, vous le saviez, vous étiez au courant, c’est pourquoi elle s’est

enfuie !

PARLEZ !

Indangamuntu ! Cartes d’identité ! »

Il faisait très chaud. On marchait très vite. Les poux nous dévoraient. On en avait tellement que dès

qu’on se reposait quelque part, on commençait à en tuer. Il y en avait beaucoup et partout. Dans nos

cheveux et dans tous les plis de nos habits, véritables royaumes des poux. On faisait même des

concours pour voir qui pouvait en tuer le plus possible en moins de temps.

UN, DEUX, TROIS, PARTEZ ! Chaque enfant, roi de ses couches d’habits, s’acharnant sur ces petites

bêtes, et quand on en avait suffisamment tuées on poursuivait le travail en s’attaquant aux couches

d’habits du voisin.

Des jeux.

Des massacres.

J’allais avoir 12 ans.

Enfant et adulte en même temps.

Je n’ai pas connu la crise de l’adolescence.

Je m’occupais de David et du miel.

À notre retour à Kigali, il y avait des chiens partout. De gros chiens. Bien en chair. Des vautours aussi.

Plus que rassasiés. Dans les rues désertes de Gikondo étaient éparpillées des photos parfois en

couleur et d’autres en noir et blanc. Une sorte d’installation de corps en décomposition et de clichés

de vies figées et anéanties du jour au lendemain ».

Avant 94, on passait notre temps à jouer dehors dans les rues poussiéreuses de Gikondo. On se

croyait dans les studios d’Hollywood. On jouait à Rambo, Commando, Arnold Schwarzenegger et

Chuck Norris. Même les chutes au ralenti, on les reproduisait. On rampait, on sautait, on grimpait, on

riait, on pleurait, on criait. Takatakatakatakataka. Les balles. Takatakatakatakataka. On ne savait pas,

on ne savait rien. Parfois les grands nous disaient que nos jeux étaient un mauvais présage, « Bana

murakungura ».

Au début j’ai cru que c’était des étoiles, mais mon père nous a dit de bien les observer. « Les étoiles

ne bougent pas », avait-t-il dit. Ce sont des satellites artificiels. Il faisait presque nuit. Nous étions

allongés sur une bâche sur une terre ocre. Dehors. Toute la nuit je les ai regardés. J’espérais que ma

mère nous voie. J’espérais que le monde entier nous voie.

« Et je pense à toi le jour,

Et je rêve de toi la nuit

Me reviendras-tu un jour mon amour

Je t’aime à l’infini. »

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Cette chanson passait souvent pendant l’émission Samedi Détente et mon ami Pierrot me la chantait

souvent sous la table, alors que dehors, les balles volaient. À la radio on annonçait d’aller trouver où

se cachaient les inyenzi, les cafards. Un jour je me souviens m’être dirigée vers le placard. Pourquoi

disaient-ils d’utiliser des machettes alors qu’un coup de balai suffisait ? Une balle ou une machette ?

C’est simple, au début, il fallait payer pour être tué par balles. Un coup de machette quant à lui était

gratuit. Mourir coûtait cher parfois.

On se lavait derrière la maison, au soleil, j’aimais bien regarder ma cousine se savonner, se rincer, se

sécher, s’étaler de la crème hydratante et s’habiller. Je me disais qu’un jour si nous survivions, je

ferais pareil et je lui ressemblerais, elle avait un corps de femme, de belles cuisses et jambes. Je la

contemplais au soleil, je me rêvais femme, moi qui n’avais même pas de seins naissants !

Puis un jour on nous dit que nous devions nous laver en fin de journée car les gens nous observaient.

On nous observait. On disait qu’on cachait des inyenzi.

RWANDA RWACU

RWANDA GIHUGU CYAMBYAYE

NDAKURATANA ISHYAKA N’UBUTWARI…

« Notre Rwanda,

pays qui nous a donné naissance,

je parlerai de toi avec zèle et courage ».

Le reste de l’hymne est enfoui, il s’est enfui en 94.

« Dans le couloir, VITE !

Pourquoi ? »

Les enfants, toujours à demander pourquoi. L’avion du président Habyarimana avait été abattu. Je

pensai à nos jeux des semaines précédentes et ce que les vieux nous disaient. On n’était pas dans

Delta Force, il n’y avait pas d’Arnold Schwarzenegger. Plus d’Américains, plus d’Anglais, plus de

Français, plus de Belges, plus de Suisses, plus de ressortissants étrangers. Ils sont tous partis, et nous

ont laissés seuls dans la merde et dans le sang.

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Originaire du Rwanda où elle a passé son enfance, aujourd’hui de nationalité britannique et vivant à

Marseille, Dorothée Munyaneza est une jeune chanteuse danseuse qui s’accomplit au travers de

projets musicaux personnels et de participations régulières dans des spectacles de danse

contemporaine.

Elle chante depuis son enfance, mais c’est en Angleterre, à la Jonas Foundation à Londres, puis à

Canterbury où elle étudiait la musique et les sciences sociales, qu’elle a acquis la certitude que la

musique serait aussi son métier. Ses premières réalisations professionnelles ont été la participation à

l’album Anatomic (AfroCelt Sound System) et la composition et interprétation de la bande originale

du film Hotel Rwanda. En 2010, elle sort son premier album solo enregistré avec Martin Russell, le

producteur d’AfroCelt Sound System, et collabore au projet du compositeur anglais James Brett, dont

l’album intitulé Earth Songs, est sorti sur itunes en décembre 2012.

Sa rencontre avec François Verret en 2006 lui permet d’entrer sur la scène de la danse

contemporaine. Sa volonté est de faire dialoguer la musique avec les autres modes d’expression. Elle

participe ainsi à la création de quatre spectacles de François Verret (Sans Retour, Ice, Cabaret et Do

You Remember, no I don’t), ainsi que de Noctiluque de Kaori Ito.

Aujourd’hui, Dorothée Munyaneza travaille avec d’autres artistes et chorégraphes comme Nan

Goldin, Mark-Tompkins, Robyn Orlin, Alain Buffard et Rachid Ouramdane, mêle musique afro-folk,

danse et textes de Woody Guthrie avec Seb Martel et s’aventure entre danse, poésie et musique

expérimentale avec Alain Mahé, Jean-François Pauvros et le chorégraphe Ko Murobushi.

En 2013, Dorothée Munyaneza crée la Compagnie Kadidi pour produire ses propres pièces. Samedi

Détente est la première pièce qu’elle signe en tant que chorégraphe. Elle mène par ailleurs des

ateliers, notamment dans l’école de cirque sociale Zip Zap Circus School en Afrique du Sud.

Alain Mahé développe des musiques électroacoustiques et électroniques. Il crée le groupe Bohème

de chic et joue ou compose par ailleurs avec Jean-François Pauvros, Carlos Zingaro, Carol Robinson,

Kamal Hamadache, Thierry Madiot, Pascal Battus, Emmanuelle Tat, Patrick Molard, Keyvan

Chemirani, Dorothée Munyaneza, Hélène Breshant, Bao Luo... Il réalise des pièces radiophoniques :

Chien de feu, La marée fait flotter les villes, (pour un) Paso Doble (sonore) avec Kaye Mortley. Alain

Mahé compose également musiques et créations sonores pour le spectacle vivant. Il travaille avec les

metteurs en scène François Tanguy et les chorégraphes Carlotta Ikeda, Ko Murobushi, François

Verret, le peintre Miquel Barcelò et Josef Nadj sur Paso doble, Nan Goldin sur Soeurs saintes &

Sybilles et Scopophilia. Il collabore aux spectacles de Pierre Meunier depuis 1999 : Le Chant du

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ressort, Le Tas, Les Egarés... Il participe à la naissance du projet collectif Ultimo Round, compose et

joue avec le plasticien Michel Caron et le dessinateur Vincent Fortemps.

Nadia Beugré fait ses premiers pas dans la danse au sein du Dante Théâtre où elle explore les danses

traditionnelles de Côte d’Ivoire. Elle accompagne Béatrice Kombé dans la création de la compagnie

Tché Tché en 1997. Récompensée de plusieurs prix, la compagnie se produit et donne des ateliers

dans les différents pays où elle est invitée.

Elle crée ensuite le solo Un espace vide : Moi présenté en Angleterre, en France, au Burkina Faso, en

Tunisie, aux Etats-Unis. Elle passe par la formation « Outillages Chorégraphiques » (Ecole des Sables

de Germaine Acogny, Sénégal) puis intègre en 2009 la formation artistique Ex.e.r.ce « Danse et

Image » (direction artistique de Mathilde Monnier) au Centre Chorégraphique de Montpellier, où elle

commence à travailler sur son solo Quartiers Libres. Cette création sera présentée ensuite au Théâtre

de la Cité Internationale à Paris et est actuellement en tournée internationale. Régulièrement, Nadia

Beugré collabore auprès de différents chorégraphes, comme Seydou Boro, Alain Buffard, Mathilde

Monnier...

En mars 2015, elle présentera sa nouvelle pièce Legacy au Centre Chorégraphique National de

Roubaix.

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La date du 6 avril 1994 marque le début du génocide rwandais. Demander aux élèves de faire une

recherche sur cette date.

Le 6 avril 1994, le président rwandais, au pouvoir depuis 1973, rentre d'un sommet régional en

Tanzanie. À ses côtés, dans l’avion (à l’équipage français), le président hutu burundais Cyprien

Ntaryamira, qui ne sera resté au pouvoir que deux mois. Leur avion explose tout près de l’aéroport

de Kigali.

L’attentat met le feu aux poudres. La mort de Juvenal Habyarimana est le prétexte au déclenchement

de massacres orchestrés dès le lendemain par des extrémistes hutus dans la capitale rwandaise et

dans tout le pays. Ces hommes armés, issus de l’ancien parti unique du président Habyarimana et

des Forces armées rwandaises, sont organisés en milices depuis 1992.

Les miliciens, appelés interahamwe («les solidaires»), traquent dès lors ceux qu’ils appellent les

«cancrelats», autrement dit les Tutsis. Sans oublier les Hutus modérés de l’opposition.

Un génocide planifié.

Les tueries planifiées durant les mois, voire les années qui précèdent, sont rendues possibles grâce à

l’armée rwandaise qui entraîne les miliciens. Avec la bénédiction des autorités. D’ailleurs, il n’est pas

rare de voir des policiers ou des membres du gouvernement participer ensuite aux expéditions

punitives. La station de radio des Mille Collines relaie elle aussi les appels à la haine. Depuis

l'automne 1993, elle distille une campagne de propagande haineuse contre les Tutsis et les membres

des partis politiques démocrates.

La pauvreté comme terreau de la violence.

Avant ces événements, le Rwanda connaissait une période de grande pauvreté due à la dégradation

de l’environnement dans un contexte d’accroissement de la population et de tensions liées à la

survie au quotidien.

Déjà en proie à des violences intercommunautaires, le pays vit au rythme des flux migratoires.

L’arrivée massive de réfugiés dans les camps autour de Kigali où une jeunesse désœuvrée est en

quête de sens (les milices y recrutent le gros de leurs troupes)… sont autant d’éléments qui font le lit

des génocidaires.

Dans un Rwanda, régit par une économie de guerre, les Tutsis deviennent tout naturellement les

boucs-émissaires d'une situation de crise.

Les Tutsis et Hutus appartiennent à la même tribu. Mais les premiers sont éleveurs et font partie de

la noblesse (14% des Rwandais), donc de l'élite, les seconds sont agriculteurs (85%).

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Des massacres de Tutsis alertent l’opinion internationale dès 1991-1992. En 1993, un rapport de la

FIDH emploie déjà le mot de «génocide» et dénonce «des perspectives graves» pour le pays. Les

autorités sont montrées du doigt. Le 27 mars 1992, l'ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johan

Swinnen, décrit Pascal Simbikangwa (renvoyé en avril 2013 devant les assises de Paris

pour «complicité de génocide»), comme le membre «d'un état-major secret chargé de

l'extermination des Tutsis du Rwanda afin de résoudre définitivement à leur manière, le problème

ethnique au Rwanda et d'écraser l'opposition hutue intérieure»…

En cent jours, d’avril à juillet 1994, les tueries font plus de 800.000 victimes (90% des Tutsis du

Rwanda sont tués). 1,2 million de personnes fuient au Kivu, dans l'est du Zaïre (devenue la RDC).

La guérilla tutsie entre en lice.

Dans le même temps, à partir d'avril 1994, la guérilla tutsie du Front patriotique rwandais, formée

dans les années 80 par des exilés rwandais en Ouganda, intervient. Elle était entrée de force au

Rwanda au début des années 90 après l’échec de négociations sur le retour des exilés au pays.

Ses bases arrières se trouvent en Ouganda. Les rebelles, avec à leur tête l’actuel président

rwandais Paul Kagame, sont soutenus par le président ougandais Yoweri Museveni.

Le 4 juillet, après trois mois de combats, ils entrent dans Kigali et renversent le régime hutu. Le reste

du pays tombe. Cette fois, ce sont des milliers de Hutus qui fuient dans les pays voisins.

Le 17 juillet, un gouvernement d'unité nationale, consacrant la victoire politique du Front patriotique

rwandais, est mis en place. Pasteur Bizimungu, un Hutu modéré, devient président, et le Tutsi Paul

Kagamé, vice-président. Une assemblée nationale de transition entre en fonction le 24 juillet. C'est la

fin des tueries.

http://geopolis.francetvinfo.fr/les-100-jours-du-genocide-rwandais-14565

1959— Des Tutsis sont massacrés. La moitié de la population tutsie du pays s’exile.

1962— Indépendance du Rwanda. Les Hutus vont rester au pouvoir jusqu’en 1994.

1963— Offensive d’exilés tutsis contre le Rwanda à partir du Burundi. Les représailles font 10 000

morts parmi les Tutsis.

1973— Coup d’Etat militaire : le Hutu Juvénal Habyarimana prend le pouvoir.

1990— Les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) pénètrent sur le territoire rwandais à

partir de l’Ouganda, qui les soutient. Le Congo, la Belgique et la France apportent un appui militaire

(opération Noroît) au président Habyarimana.

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6 avril 1994— L’avion du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, est abattu. Les extrémistes hutus

au pouvoir accusent les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais. Le lendemain, c’est le début du

massacre. Pendant plusieurs semaines, les Tutsis seront exterminés à coups de machette, brûlés vifs

ou mitraillés.

7 avril 1994— Déclenchement du génocide de la minorité tutsie et de l’opposition hutue modérée

par les extrémistes hutus, qui dure jusqu’en juillet : 800 000 victimes environ.

23 juin 1994— Début de l’intervention militaire et humanitaire française baptisée opération

Turquoise. Elle n’arrête pas le massacre. Au contraire, les Français sont soupçonnés de parti pris.

4 juillet 1994— Le Front patriotique rwandais entre dans la capitale. Près de 1 million de Tutsis ont

été massacrés. Quelque 1,2 million de Rwandais hutus fuient vers les pays voisins, notamment vers le

Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans la foulée un gouvernement

d’union nationale est mis en place. Paul Kagame, chef de la rébellion, devient vice-président

omnipotent et ministre de la Défense.

17 avril 2000— Kagame est élu président par le Parlement.

http://www.courrierinternational.com/article/2014/04/15/le-rwanda-en-quelques-dates

Extrait du dossier pédagogique réalisé pour le film Des cendres dans la tête de Patrick Severin qui

retrace l’histoire du réalisateur belge et son cousin Sylvain, enfant rwandais adopté. Ensemble, ils

vont partir au Rwanda, à la recherche de l’histoire de Sylvain. Le film est en téléchargement libre sur

https://vimeo.com/44063489

Croyez-vous qu’il soit possible que près d’un million de personnes soient supprimées de la surface de

la Terre en 100 jours sans qu’on ne sache grand-chose sur les réels motifs de leur massacre ? Cela

paraît improbable et c’est pourtant arrivé en 1994.

Souvent décrits comme un quatrième pouvoir qui se tiendrait face aux trois piliers traditionnels de

l’État (législatif, exécutif et judiciaire), les médias joueraient un rôle de contre-pouvoir protégeant

l'intérêt général en informant le public et en lui permettant de s’exprimer. Cependant, l’information

que nous livrent ces médias n’est jamais neutre, ce n’est pas une « copie conforme » de la réalité

mais le résultat d’une sélection de faits, interprétés selon les schémas de pensée du journaliste ou de

sa rédaction. Dès lors, la vision que nous avons du monde à travers les médias ne correspond pas

nécessairement à la réalité mais seulement à ce qu’ils nous en disent.

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Dans la majorité des cas, ce façonnage de l’opinion publique n’est pas le fruit d’une action délibérée

de la part des médias. C’est plutôt le résultat de leurs conditions de travail. Mais il peut tout de

même arriver que ceux-ci usent de cette position de pouvoir pour orienter, voire manipuler les

foules.

Utilisés à des fins partisanes, les médias peuvent conditionner la population et l’amener à adhérer à

une idéologie ou à une prise de position. Ce sont de véritables outils qui peuvent être récupérés ou

intentionnellement créés par diverses entités et utilisés pour influencer l’opinion publique dans sa

perception d’un conflit ou d’une crise.

Certains analystes avancent même que chaque déclaration de guerre ou intervention dans un État

tiers non consentant est toujours précédée d’un média mensonge, visant à faire adhérer l’opinion

publique à ces velléités bellicistes, les vrais motifs de ces attaques étant souvent peu avouables.

[…]

Au Rwanda, les extrémistes hutus au pouvoir ont créé, dès le début des années 1990, un certain

nombre d’organes de presse, appelés aujourd’hui les « médias de la haine ». Ils furent des éléments

déterminants dans le dispositif qui a permis la planification et l’exécution du génocide des Tutsis. Ces

médias ont tout d’abord été utilisés pour diffuser divers stéréotypes raciaux et des appels à la haine

à l’encontre des Tutsi puis ont ensuite été transformés en véritables « machines à faire tuer » dès le

déclenchement des premiers massacres en avril 1994.

Kangura, journal de propagande qui n'hésite pas à donner le ton :

machette à la Une.

Dans l’excitation de l’ouverture vers une démocratie multipartite

enclenchée au début des années 1990, la presse rwandaise

connut une certaine libéralisation qui donna naissance à plusieurs

nouvelles publications. Mais bien vite, les journaux engagés qui

dénonçaient les abus du pouvoir en place ont été évincés et

remplacés par une presse loyale au pouvoir mais incendiaire à

l’égard des Tutsis.

À travers des articles provocants et des dessins humoristiques

pervers, ces journaux vont s’attacher d’une part à diaboliser et

déshumaniser les Tutsis et d’autre part à créer un sentiment de peur et d’insécurité chez les Hutus,

opérant chez eux un véritable lavage de cerveaux.

Parmi ces journaux, le plus virulent et vindicatif fut le journal Kangura. En décembre 1990, c’est lui

qui publia les fameux «Dix commandements des Bahutu». Ce brûlot est un appel à la ségrégation des

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Tutsis et à la séparation totale et définitive des deux ethnies. Tout Hutu qui aurait un quelconque

rapport avec un Tutsis serait considéré comme un traître. Les Hutus sont également appelés à s’unir

et à rester vigilants contre leur ennemi commun. Cet écrit tient particulièrement à mettre les Hutus

en garde contre le danger de côtoyer les femmes tutsies.

Régulièrement dépeintes par les « médias de la haine » comme des créatures diaboliques travaillant

à la solde de leur ethnie en usant de leurs charmes physiques, ces dernières feront plusieurs fois

l’objet d’articles insultants et de caricatures obscènes. Des représentations qui expliquent en partie

les inimaginables sévices sexuels que subiront nombre d’entre elles pendant le génocide.

En 1993, un dernier acteur et non des moindres vient s’ajouter à ce dispositif propagandiste. Créée

et financée par les membres de l’Akazu, la Radio Télévision libre des Mille Collines (RTLM), radio

jeune et branchée, attire immédiatement un large public grâce à son style impertinent et sa

programmation musicale. Entre des émissions de divertissement, ses animateurs vont entretenir la

tension au plus haut en excitant les sentiments les plus extrêmes et les plus haineux.

Questions pour les élèves : Avez-vous déjà eu l’impression qu’un média ne vous disait pas la vérité

sur un évènement ?

Sans aller jusqu’à parler nécessairement de désinformation, on peut dire que l’information que nous

livrent les médias est loin d’être une reproduction brute de la réalité. Que l’on parle d’évènements

internationaux ou de faits de société, cette information n’est jamais totalement objective. Elle est

toujours le résultat d’une interprétation par les médias qui la diffusent.

En effet, la construction de l’information est conditionnée par un certain nombre de facteurs.

Il y a, tout d’abord, les conditions de production de l’information, qui incitent notamment une

rédaction à sélectionner parmi une multitude de faits ceux qui lui paraissent susceptibles d’intéresser

son public cible. D’autre part, le journaliste est également influencé par un certain nombre de

catégories de jugement acquises en tant que membre d’une société dans laquelle il a grandi. Ce n’est

qu’à travers son regard qu’un fait prend du sens et devient une info. Enfin, cette construction

dépend aussi des choix opérés par un média dans la mise en forme de son discours (angle, genre,

rubrique,…)

Un des principaux critères intervenant dans la sélection d’un fait est la « loi de la proximité

journalistique ». D’après ce principe, un événement ne serait susceptible d’intéresser le public que

dans la mesure où il se déroule dans un contexte géographiquement ou émotionnellement proche de

lui. On parle aussi de la loi du « mort au kilomètre ». C’est-à-dire qu’un décès dans le village d’à côté

sera souvent plus vendeur qu’un massacre de masse à l’autre bout du monde.

Avant le génocide, le Rwanda, petit pays du fin fond de l’Afrique, était fort peu connu des médias

occidentaux et de leur public. Ceci explique pourquoi, dans les premiers jours des massacres, il n’a

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pas été très présent dans l’actualité internationale, à l’exception des médias français et belges dont

les États étaient profondément impliqués dans les évènements. Obéissant à cette « loi », c’est donc

tout d’abord à travers une perspective nationale que les médias de ces deux pays ont abordé le

génocide des Tutsi du Rwanda.

La couverture du génocide par les médias occidentaux a fait l’objet de plusieurs analyses,

notamment de la part de Sophie Pontzeele, chercheure en sciences sociales, qui y a consacré une

thèse de doctorat.

Se concentrant sur l’étude de la couverture proposée par les quotidiens belges et français, elle

montre que deux épisodes précis du génocide ont été privilégiés par ces journaux qui en ont fait des

évènements médiatiques. Pour la Belgique, il s’agit de la mort des dix Casques bleus, survenue début

avril, aussitôt suivie par le retrait des troupes belges du Rwanda. Pour la presse française, c’est le

lancement de l’Opération turquoise vers la fin du mois de juin.

Par ailleurs, la position de la Belgique en tant qu’ancienne puissance coloniale au Rwanda explique

un plus grand intérêt manifesté à l’égard de cette actualité et une meilleure connaissance du pays de

la part des journalistes « spécialistes de l’Afrique » qui leur a permis de comprendre plus tôt que

leurs collègues le caractère génocidaire des massacres qui s’y déroulaient.

Cependant, malgré cette familiarité avec le contexte de la crise rwandaise, dans la presse belge, la

mort des dix Casques bleus et le retrait des troupes belges ont été traités essentiellement sur un

mode émotionnel et subjectif, sans trop s’attarder sur l’analyse des conséquences de la décision

prise par le gouvernement belge de retirer ses troupes du Rwanda. Ce mode de traitement a pu

faciliter l’acceptation quasi unanime de cette décision auprès de l’opinion publique belge, même si

elle s’est avérée désastreuse pour les Rwandais.

[…] Dans le traitement de la crise rwandaise, dans les premiers jours qui ont suivi l’attentat du 6 avril

1994, la plupart des quotidiens belges et français ont publié des articles où les massacres

apparaissaient comme une nouvelle manifestation d’un vieil antagonisme « ethnique » ou « tribal ».

Cet élément est également relevé par l’analyse de Sophie Pontzeele qui cite notamment un article du

Figaro du 8 avril 1994, titré : « L’attentat qui a tué deux présidents libère les haines tribales ». Il n’y a

même pas de tribu au Rwanda ! Mais le schéma de pensée qui lit l’Afrique en tant qu’agrégat de

tribus est l’un des plus répandus en Occident.

Elle évoque aussi un article de La Libre Belgique, paru également le 8 avril, décrivant la « méfiance

séculaire » qui règne entre Hutu et Tutsi et évoquant le risque que la mort des présidents rwandais

et burundais « ne relance, une fois encore, de cruelles guerres ethniques » dans ces pays.

Ces exemples montrent la tendance suivie par la plupart des articles publiés par les quotidiens des

deux pays où peu de papiers proposèrent une analyse profonde des causes de la crise et replaçant

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les massacres dans leur contexte historique et politique. Raccourcis, simplifications trompeuses ou

autres idées reçues ont parsemé le discours de ces journaux.

Cette étude souligne également que même les envoyés spéciaux qui ont décrit correctement le

fonctionnement de la « machine à exterminer » mise en œuvre par le pouvoir, ont eu recours

presque systématiquement à la dénomination des belligérants par leur seule « identité ethnique »,

renvoyant alors implicitement à une simple analyse « ethniste » des évènements.

Ce dernier point montre l’importance du langage choisi. Il y a plusieurs façons de nommer les gens et

les choses et ce choix participe à donner du sens au fait reporté. Utiliser un mot plutôt qu’un autre

pour désigner une personne ou choisir tel adjectif à la place d’un autre pour qualifier un fait est loin

d’être insignifiant, il oriente toujours la perception du message. Par exemple, le journaliste parle-t-il

de tueries, de massacres ethniques, d’actes de génocide ou de génocide ? La différence peut paraître

anodine. Elle influencera pourtant considérablement la façon dont le public et les autorités

s’intéresseront à ce fait. Faire l’exercice de trouver quel est le mot juste pour parler de quelqu’un, de

quelque chose ou d’un évènement demande au journaliste d’être capable de dépasser les schémas

de perception qu’il a intériorisé.

La mise en forme dans laquelle s’intègre une information constitue un autre critère pesant sur la

construction d’une information. Le sens que prendra une info dépend de l’angle de traitement choisi,

le genre adopté (reportage, témoignage, analyse, investigation, …) ou encore son classement dans

une rubrique (faits divers, politique, société, people, …).

Si on prend encore l’exemple de la crise rwandaise, à ses débuts elle n’a pas suscité beaucoup

d’intérêt au sein des médias occidentaux, à l’exception, on l’a vu, de la Belgique et de la France. Un

évènement va pourtant propulser le Rwanda à l’agenda de la presse internationale, et notamment

intéresser les chaînes de télévision qui, jusque-là, n’avaient guère montré d’intérêt pour la question.

Il date pourtant d’après le génocide : c’est l’épidémie de choléra qui

va, dès la deuxième moitié du mois de juillet, toucher des milliers de

Hutu, réfugiés dans des camps de fortune dans l’Est du Zaïre

(actuellement RD Congo). Entassés, sans latrines suffisantes, sans eau

potable et sans médicaments, les réfugiés vont mourir au rythme de

plusieurs centaines par jour.

Le spectacle de ce cauchemar va tout d’un coup faire de la crise

rwandaise une actualité internationale. Jusque-là, les téléspectateurs

du monde entier savaient à peine qu’un génocide et une guerre

avaient eu lieu.

Victimes du choléra dans les camps de réfugiés au Kivu en 1994.

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Ces reportages ne parlent ni du génocide ni de la guerre, si ce n’est pour expliquer les souffrances de

ces réfugiés. En effet, peu de ces journalistes audiovisuels possèdent une connaissance suffisante de

la situation rwandaise et les analyses historico-politiques ne sont pas vraiment prisées dans ce genre

de reportages sensationnalistes. Les récits proposés donneront dans la surenchère de contenu choc,

un flux continu d’images apocalyptiques montrant des réfugiés qui tombent comme des mouches

tués par la faim et le choléra.

Les choix opérés par les médias dans le traitement d’une information ne sont jamais innocents. Ils

déterminent, en partie, ce que nous savons de la réalité du monde mais ils influencent également

l’attitude que nous décidons d’adopter face à cette réalité.

Il est clair que si un conflit est présenté comme une manifestation, malheureusement récurrente,

d’une haine séculaire opposant deux tribus au fond de l’Afrique, même un public empathique ne

pourra ressentir qu’un triste sentiment de fatalité. « Que voulez-vous faire ? On est bien obligé de les

laisser à leur triste sort ». Et c’est ce qu’il s’est passé en 1994.

Par contre, si on bombarde ce même public d’images atroces mettant en scène la souffrance

d’innocentes victimes, la réaction sera bien différente.

Pour finir, si le caractère génocidaire des massacres de Tutsis du Rwanda en 1994 avait été

clairement expliqué à temps par les médias du monde entier, la communauté internationale aurait

été mise face à l’obligation d’intervenir pour arrêter les massacres. Malheureusement, cela ne fut

pas le cas.

Questions pour les élèves : Qu’est-ce que les médias vous disent de votre monde ? Estimez-vous

parfois qu’il y a une différence entre ce que les médias disent de votre monde et ce que vous en

connaissez par la « vraie vie » ? Pensez-vous qu’un journaliste puisse être complètement objectif ?

Diffusion de propagandes extrémistes, abus de stéréotypes, préférence pour une information

simplifiée ou excès de sensationnalisme, les médias se voient souvent reprocher un certain nombre

de dérives qui conduisent à la désinformation et à la « malinformation » du public.

Si quelques-unes de ces dérives sont imputables aux entités politiques qui usent des médias pour

manipuler l’opinion publique, la plupart sont inhérentes aux conditions de production de

l’information.

Une des contraintes qui pèsent sur le champ de production médiatique, c’est la domination des

médias audiovisuels. Depuis sa montée en puissance dans les années 1960, la télévision n’a cessé de

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prendre des parts de marché sur le reste de la presse, en particulier la presse écrite. Forte des

importants revenus publicitaires qu’elle engrange et de l’étendue de son public, la télévision se

positionne comme le média dominant, celui qui influence les autres. Dans le processus de

construction de l’actualité, c’est elle qui donne le ton, poussant les autres médias à s’aligner.

Cette domination a bien entendu des conséquences sur le traitement de l’information. Si l’info

dominante est télévisuelle, le pouvoir de l’image est considérablement pris en compte. Entre un fait

sans grande valeur informationnelle mais très riche en images spectaculaires et un autre plus

important mais difficile à illustrer, les médias auront tendance à privilégier le premier. Cette

prédominance de l’information imagée s’observe aussi dans la presse écrite et radio quand on fait le

choix d’une description minutieuse des faits au détriment de leur analyse.

La concurrence entre les organes de presse constitue une autre contrainte qui influence la

production de l’information. Les médias, en particulier les médias privés, tirant l’essentiel de leurs

ressources des revenus publicitaires, doivent produire une information qui plaît au plus grand

nombre. Persuadés que le public est demandeur d’un contenu bref et facilement accessible, les

journalistes sont amenés à produire des articles de plus en plus courts et aux titres accrocheurs.

Encore une fois, une telle information ne peut véhiculer qu’une vision réductrice et caricaturale du

monde.

Alors qu'Internet est le lieu par excellence de l'information en temps réel, certains jouent avec succès

la carte de l'investigation et du travail de fond.

Mais il ne suffit pas de séduire un large public, il faut également être le premier à donner

l’information, à sortir le scoop. Les journalistes sont donc poussés à travailler de plus en plus

rapidement et, grâce aux progrès technologiques, les médias peuvent diffuser une information de

plus en plus souvent en « temps réel ». L’information est donc de plus en plus dépouillée et de moins

en moins analysée et vérifiée. Le développement d’Internet a considérablement accentué cette façon

d’informer, même si aujourd’hui, le web est également le théâtre de l’apparition de nouveaux

formats qui reviennent à une conception plus consciencieuse et moins commerciale du métier (voir

Médiapart, par exemple).

La presse est en crise. Les restrictions budgétaires qui touchent les organes de presse ont poussé

beaucoup d’entre eux à réduire leurs effectifs et tenter d’augmenter la rentabilité des équipes

restantes.

Les journalistes sont dès lors poussés à travailler de plus en plus vite, en se basant essentiellement

sur les dépêches d’agence ou les articles de la concurrence, n’ayant plus le temps de mener eux-

mêmes leurs enquêtes. Ils deviennent également des « hommes-orchestres », devant combiner

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plusieurs tâches (écriture, photographie, mise en page,…) qui relevaient auparavant de métiers

différents.

Ces conditions de travail précarisées permettent évidemment une prise de recul moindre et

installent le producteur d’information dans une routine de travail, le nez dans le guidon, propice au

recours aux stéréotypes et aux raccourcis simplificateurs.

Le journalisme 2.0, une version 2 du journalisme.

Ces nouveaux arrivants ont profondément modifié le champ médiatique, l’information n’étant plus

uniquement diffusée verticalement, des médias vers le public, mais aussi de façon horizontale, du

public vers le public.

L’avantage de ces médias sociaux, qui existent en très grand nombre, c’est que chacun peut

littéralement faire son marché en choisissant le canal qui répond le mieux à sa demande. Des blogs

de vulgarisation de savoirs scientifiques ou technologiques aux pages d’échanges sur des

compétences de la vie quotidienne en passant par les sites de divertissement, de sport ou dédiés à la

culture, ces divers médias permettent finalement de traiter ces informations selon l’angle souhaité

par une audience de niche.

S’agissant d’actualité, la possibilité de production de l’information par le public permet également

d’accéder à certains évènements qui auraient été inaccessibles ou laissés de côté par les médias

traditionnels.

Par ailleurs, avec l’avènement des smartphones,

toute personne témoin d’un fait qui l’interpelle

peut, si elle dispose d’un tel appareil, filmer ou

photographier l’évènement et le partager

directement avec le reste du monde. Ceci vaut

pour des faits divers mais également pour des cas

plus dramatiques comme des situations de guerre.

On a pu voir ces usages lors de révoltes en Iran, du

Printemps arabe ou plus récemment en Ukraine.

Si certains professionnels des médias ont vu d’un mauvais œil l’envahissement de leur secteur

d’activité par des non-professionnels, d’autres ont vite réalisé qu’ils pouvaient tirer parti de

l’information fournie par ces producteurs amateurs.

Les possibilités de contribution offertes au public sont diverses : possibilité de commenter les

articles, « chats » avec des experts organisés autour d’un sujet précis, « live » qui permettent de

diffuser un évènement en temps réel en intégrant divers contenus issus des réseaux sociaux…

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Mais la plus considérable et valorisante de ces participations concerne les faits dont le contributeur a

été témoin en l’absence de toute présence d’un média traditionnel. Plusieurs grands médias ont créé

des plateformes destinées à recueillir ces témoignages en vue d’une possible exploitation et il existe

désormais des sites spécialisés dans la récolte et la commercialisation d’images amateurs auprès des

médias traditionnels. Aujourd’hui, nous sommes donc tous devenus reporters. Mais attention, cela

ne fait pas de nous des journalistes pour autant.

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- La stratégie des antilopes de Jean Hatzfelf (Le Seuil, 2007)

- Une saison de machettes de Jean Hatzfelf (Le Seuil, 2003)

- Dans le nu de la vie de Jean Hatzfelf (Le Seuil, 2001), (sous-titre : récits des marais rwandais)

- Émissions radiophoniques « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet à écouter ici http://la-

bas.org/re-ecouter/les-emissions/2003-04/mars-47/rwanda-1-decouverte-de-valentine