Savoir Oui Mais Encore

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Savoir

SAVOIR... OUI MAIS ENCORE ?

Franois-Marie GERARD

Qu'est-ce que (le) savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre le savoir ? Qu'est-ce qu'enseigner le savoir ? Comment structurer le savoir pour permettre un apprentissage le plus fcond et le plus quilibr possible, c'est--dire qui donne l'apprenant le pouvoir de matriser les situations qu'il est ou sera amen rencontrer dans sa vie quotidienne, que celle-ci soit familiale, sociale, professionnelle,... ?

Nous proposons ici une rflexion dont l'objectif est de structurer diffrents concepts relatifs au savoir, largement utiliss tant par les thoriciens que par les praticiens du savoir : savoir-faire, savoir-tre, capacit, comptence, etc. Ce faisant, nous ne cherchons pas distinguer ou opposer des concepts proches en leur donnant des attributs spcifiques qui se fonderaient sur des distinctions subtiles dont la pertinence ne nous apparat pas toujours. Au contraire, notre ambition est de proposer un modle cohrent, qui intgre les diffrents concepts, en montrant en quoi ils s'inscrivent dans un continuum dans lequel ils agissent en constante interaction. Notre rflexion va parfois l'encontre d'un discours commun largement rpandu. Nous ne croyons pas qu'il s'agit l d'opposition vritable, mais plutt d'un largissement des conceptions plus mme - nous semble-t-il - de rendre compte de la ralit, complexe par dfinition.

C'est dessein que nous utilisons le terme savoir . Le savoir , en tant que nom, crit au singulier, dsigne tout ce qu'un individu sait, un moment donn de son existence. Cette dfinition tautologique rappelle que le savoir (nom) est aussi et sans doute avant tout savoir (verbe). De ce fait, savoir est inscrit dans l'action.

On peut dire que savoir , c'est tre capable d'exercer une activit (donner une dfinition, construire, rsumer, citer, ) sur un certain contenu (telle formule, telle dmarche de rsolution, telle activit pratique, tel comportement, ) qui appartient un domaine particulier.

1. Les activits du savoir

Il est possible, en largissant la rflexion notamment de DE KETELE (1986), de distinguer trois types d'activits du savoir.

Les savoir-reproduire consistent pouvoir redire ou refaire un message, un geste, un acte appris ou donn, sans y apporter de transformation significative. La situation dans laquelle s'exerce l'activit est semblable celle dans laquelle s'est ralis l'apprentissage. On distinguera cependant

le savoir-reproduire littral, qui est une rptition parfaitement identique au message initial (par exemple, rpter mot mot la dfinition d'un rectangle, ou encore refaire une gamme au piano en positionnant ses doigts exactement de la manire apprise au cours) ;

le savoir-reproduire transpos qui permet l'apprenant de dire ou de faire la mme chose, en utilisant ses propres termes ou sous une autre forme.

Les savoir-faire ncessitent par contre un travail de transformation d'un message, d'un geste, d'un acte donn ou non donn. La situation dans laquelle ils s'exercent n'est pas structurellement semblable la situation qui a servi leur apprentissage. On trouvera dans cette catgorie des activits telles qu'utiliser correctement la gauche et la droite en situation-miroir , analyser la structure narrative d'un texte, rsoudre une quation du deuxime degr, conduire un dbat ou un entretien,...

Les savoir-tre manifestent quant eux la faon d'apprhender sa propre personne, les autres, les situations et la vie en gnral, dans sa manire de ragir et d'agir. C'est la faon de se comporter face au changement, d'aborder une situation nouvelle. Il s'agit en fait de comportements qui s'installent dans l'habituel. Les savoir-tre regroupent des activits aussi diverses qu'avoir l'habitude de consulter spontanment un dictionnaire pour trouver la signification d'un mot inconnu, que distinguer dans la plupart des situations l'essentiel de l'accessoire, qu'utiliser en toute circonstance son esprit critique, que respecter les rgles de politesse, que rouler frquemment vlo, que comprendre sans difficult les sentiments des autres,... Ces exemples montrent qu'il ne s'agit pas de limiter les savoir-tre - comme le discours pdagogique le fait quotidiennement - aux attitudes d'ordre affectif. Le savoir-tre manifeste ce qu'est fondamentalement la personne, dans toutes ses composantes, dans sa globalit. Et l'homme est tout la fois un tre vivant dou tant de raison que de sentiments ou d'un corps !

Ces trois catgories d'activits peuvent se reprsenter de la manire suivante :

Ce schma montre que les savoir-tre incluent les savoir-faire qui eux-mmes comprennent les savoir-reproduire. Si ceux-ci sont des savoirs priphriques, en ce sens qu'ils ne touchent pas l'tre humain dans son essence mme, cela ne signifie pas pour autant que ces savoir-reproduire sont moins importants que les savoir-faire et les savoir-tre. En effet, c'est sur eux que se fondent les autres types de savoirs : pour pouvoir dire spontanment merci quelqu'un (savoir-tre), il m'a fallu apprendre distinguer les situations o il faut dire merci (savoir-faire) et encore avant apprendre simplement dire merci lorsque mes parents me le demandaient (savoir-reproduire). Il en va ainsi de la plupart des savoir-tre qui ne sont que l'intriorisation de savoir-faire et de savoir-reproduire.

2. Les domaines du savoir

Ces trois types d'activits vont pouvoir s'exercer dans trois domaines diffrents, qui ont t dfinis depuis longtemps par de nombreux auteurs.

Le domaine cognitif concerne toutes les activits d'ordre essentiellement mental ou intellectuel : souligner les mtaphores dans un texte, noncer une formule chimique, formuler des hypothses, Ce domaine du savoir a fait l'objet de quelques taxonomies, dont celles de BLOOM (1956) ou de D'HAINAUT (1983).

Le domaine psychomoteur concerne toutes les activits d'ordre essentiellement gestuel, ncessitant un contrle kinesthsique : monter des blancs dufs en neige , casser une noix entre ses doigts, dceler l'oreille que le ralenti d'une voiture est bien ou mal rgl, Il a galement fait l'objet de quelques taxonomies, dont celles de SIMPSON (1966) ou de HARROW (1972).

Le domaine socioaffectif, enfin, concerne toutes les activits d'ordre essentiellement affectif, se traduisant par des attitudes, des valeurs, : accepter de travailler avec n'importe quel collgue, changer d'avis lorsque les faits vous montrent que vous vous tes tromp, tre attentif chacun quand on anime un dbat, Il a bien sr aussi fait l'objet de quelques taxonomies, notamment par KRATHWOHL (1964) ou encore par D'HAINAUT (1983).

Ces trois domaines ne permettent pas de dterminer des catgories de savoir mutuellement exclusives : un savoir n'est jamais uniquement du domaine socio-affectif, cognitif ou psychomoteur. Par exemple, savoir rouler vlo n'implique pas seulement des capacits psychomotrices. Cela ncessite galement des capacits cognitives, ne ft-ce que celle - fondamentale - d'analyser une situation et de tirer de cette analyse les conclusions appropries ; et aussi des capacits affectives dont la moindre n'est pas celle d'oser atteindre un certain degr d'autonomie qui permet de se lancer seul, en quilibre sur deux roues. Il est donc plus correct de parler d'un savoir dominante psychomotrice (GERARD & ROEGIERS, 1993, pp. 43-44).

Les domaines de savoir peuvent tre reprsents de la manire suivante qui montre bien que cette catgorisation n'est nullement hirarchique. Il s'agit seulement de catgories complmentaires d'une mme ralit.

3. Les activits et les domaines du savoir

Les trois catgories d'activits du savoir - savoir-reproduire, savoir-faire et savoir-tre - peuvent tre combines aux trois domaines du savoir - cognitif, socio-affectif et psychomoteur -, comme le montre le schma suivant :

Neuf catgories de savoirs peuvent ds lors tre dfinies, comme l'illustre ce tableau :

Domaine cognitifDomaine psychomoteurDomaine socio-affectif

Savoir-reproduireDonner la traduction franaise d'un mot anglaisRpter un phonme propre la langue anglaiseReproduire le geste de tendre la main quelqu'un pour dire bonjour

Savoir-faireFormuler des phrases en anglais en respectant une structure donneDistinguer la prononciation correcte d'un mot parmi 3 propositions oralesUtiliser, dans un exercice, les techniques de l'coute active

Savoir-treLire couramment une langue trangreParler l'anglais avec un accent correctcouter spontanment quelqu'un de manire active

Si les domaines du savoir ne permettent pas de dfinir des catgories parfaitement dlimites, cela est particulirement le cas au niveau des savoir-tre. Ceux-ci ncessitent une telle intriorisation que les frontires entre ce qui est de l'ordre du cognitif, du psychomoteur ou du socio-affectif s'estompent. Ainsi, l'exemple parler l'anglais avec un accent correct se fonde bien sr sur une composante psychomotrice (l'accent correct), mais aussi cognitive (parler l'anglais) et socio-affective (parler pour communiquer). C'est en cela que l'on peut ventuellement parler propos des savoir-tre d'attitudes, parce qu'ils traduisent notre manire d' tre , mais sans se limiter pour autant au domaine socio-affectif.

Ce modle se diffrencie donc du sens commun pdagogique qui se fonde sur une distinction originelle entre connaissances, habilets et attitudes . Selon cette approche, il s'agirait de distinguer des connaissances (ou savoirs) qui couvriraient le domaine cognitif, des habilets (ou savoir-faire) qui concerneraient la fois les domaines cognitif et psychomoteur, et enfin des attitudes (ou savoir-tre) qui ne s'inscriraient que dans la seule sphre socio-affective.

Cette distinction classique, et - rptons-le - largement rpandue, nous semble prsenter diffrentes lacunes, lies principalement au fait que l'on y considre des systmes spars dans lesquels n'existe aucun lien entre les connaissances et les habilets, ou encore entre les habilets et les attitudes.

Notre modle intgratif montre au contraire que les savoir-tre englobent les savoir-faire et les savoir-reproduire, ou encore que les savoir-reproduire sont inclus dans les savoir-faire et les savoir-tre. Il ne s'agit pas l d'une approche purement conceptuelle, car les rpercussions pratiques au niveau de la manire d'apprendre (et d'enseigner/duquer, ou encore d'valuer) sont importantes. En effet, selon notre approche, travailler sur les savoir-reproduire permet de mettre en place et de dvelopper les savoir-faire et savoir-tre. Il n'y a pas opposition entre les diffrents types de savoir, mais intriorisation progressive. Ainsi, je peux rciter un texte btement appris par cur , exerant ainsi un savoir-reproduire. Mais je peux aussi le rciter avec une expression qui m'est propre (savoir-faire) ou encore le faire vivre en faisant passer dans mon expression toute ma personnalit, extriorisant de la sorte un vritable savoir-tre.

La distinction classique entre ces diffrents types de savoir nous semble ainsi se fonder sur divers oublis :

on oublie la plupart du temps que les savoir-tre ne se limitent pas au domaine socio-affectif, mais touchent toutes les sphres d'activit humaine, puisqu'ils rvlent l'individu dans toute sa globalit ;

on oublie par contre trop souvent que les savoir-faire concernent aussi le domaine socio-affectif, et que celui-ci peut faire l'objet d'une relle ducation, y compris en termes d' entranement , comme cela se fait pour les autres domaines, cognitif et psychomoteur ;

on oublie enfin que les savoir-reproduire touchent non seulement le domaine cognitif (on parle dans ce cas de savoir-redire), mais aussi les domaines socio-affectif et psychomoteur. nouveau, cela signifie que ces domaines peuvent (doivent) tre dvelopps galement par des activits du type savoir-reproduire , ce qui donne l'ducateur un champ d'action beaucoup plus oprationnel que le travail classique sur, par exemple, le dveloppement des attitudes , champ trop vaguement dfini.4. Le cne du savoir

La reprsentation du savoir telle qu'elle a t dcrite ci-dessus prend en compte le fait que les diffrents savoirs - en termes d'activits s'exerant sur des contenus divers propres diffrents domaines - s'intriorisent de plus en plus pour atteindre un niveau tel qu'ils constituent ce qu'un individu est rellement, en tant que produit de son apprentissage.

Nanmoins, une dimension importante n'est pas prise en compte : mme si l'intriorisation des savoirs estompe - au niveau des savoir-tre - les frontires entre les diffrents domaines, elle n'entrane pas ncessairement une intgration des diffrents savoirs entre eux. On pourrait, dans le modle tel qu'il a t prsent jusqu' prsent, imaginer des savoirs simplement juxtaposs l'un ct de l'autre, sans qu'il y ait la moindre relation entre eux. C'est le principal reproche que certains ont pu adresser la pdagogie par objectifs : force de dcomposer tous les apprentissages en de multiples objectifs, constituant chacun une activit clairement dlimite exerce sur un certain contenu tout aussi prcisment dfini, on risque d'en arriver des savoirs certes bien installs mais ne constituant en aucune sorte un savoir unifi permettant l'individu d'aborder une multitude de situations diffrentes. C'est ce que d'aucuns ont appel, non sans humour, le saucissonnage (DE KETELE, CHASTRETTE, CROS, METTELIN & THOMAS (1988, pp. 99-100).

Il est donc important d'introduire dans notre rflexion une troisime dimension, comme le montre la figure suivante :

Par cette reprsentation, sans doute imparfaite, de ce que nous appelons le cne du savoir, nous voulons montrer la ncessit de concevoir un apprentissage qui se droule par intgrations successives d'objectifs de plus en plus complexes. Un objectif plus intgr contient et consolide des objectifs moins complexes, en mme temps qu'il assure leur intgration. (DE KETELE et al. 1988, pp. 99-100).

Mis en interrelation constante, les diffrents savoirs gagnent non seulement en profondeur, mais aussi s'affinent de plus en plus. Petit petit, les frontires entre les diffrents types de savoir - savoir-reproduire, savoir-faire, savoir-tre - s'estompent leur tour pour ne plus former qu'un seul et unique savoir intgr, qui - la pointe du cne - n'est d'ailleurs plus constitu que de savoir-tre. Le savoir intgr est un savoir pointu , qui matrise tous les aspects du domaine concern.

L'exemple de la lecture peut nous aider mieux comprendre ce processus d'intgration. Si on dfinit celle-ci comme tant l'opration permettant de donner du sens de l'crit, on peut dire d'une personne qu'elle lit si elle ralise cette opration de manire spontane, c'est--dire si elle a acquis un savoir-tre. Pour cela, elle devra faire appel une srie d'activits, appartenant aux diffrents domaines : le domaine cognitif (tre capable de reconnatre les mots, tre capable d'anticiper,), le domaine psychomoteur (tre capable de fixer son regard et de le dplacer de manire prcise et rapide,) et le domaine socio-affectif (tre capable de s'identifier un autre, tre capable de se laisser questionner par un autre, tre capable d'imaginer). Un individu ne lit que dans l'exercice conjoint de toutes ces activits. Mais encore faut-il que ces activits s'intgrent non seulement les unes aux autres, mais aussi toutes sortes d'autres savoirs afin de lui permettre d'une part de donner sens sa lecture, et d'autre part de pouvoir l'utiliser pour matriser certaines situations (que celles-ci soient de l'ordre du problme ou du simple plaisir !).

Une telle approche est, entre autres, dfendue par GOUGH et TUNMER (1986) qui sont amens dfinir la lecture sous la forme d'une quation : L = D x C , o D correspond l'activit de dcoder un message crit et C l'activit linguistique de comprhension, c'est--dire la possibilit de donner du sens une information lexicale, des phrases et un discours. Cette quation met en vidence le fait que la lecture - comme tous les autres savoirs fondamentaux - ncessite l'intgration de diffrentes activits - reprsente par l'opration de multiplication - et non pas simplement la juxtaposition de ces activits - qui serait traduite par une addition : L = D + C. Les auteurs montrent que, dans cette optique, si D ou C = 0, alors L = 0 : pour lire, il faut tre la fois capable de dcoder et capable de donner du sens.

Cet exemple de la lecture met en vidence la ncessit d'adjoindre au modle une dernire dimension fondamentale : le savoir-lire ne s'exerce jamais qu'au sein d'une situation, et les situations de lecture peuvent tre de plus en plus varies au fur et mesure que l'intgration devient plus importante. Il convient donc d'introduire ces situations, sous la forme d'un cylindre permettant d'englober, en grande partie, le cne du savoir.

5. Le cylindre des situations

Le cylindre des situations reprsente toutes les situations auxquelles un individu peut tre confront dans sa vie quotidienne, familiale, sociale, scolaire, professionnelle. L'individu peut matriser ces nombreuses situations grce son savoir. Plus son savoir - que celui-ci soit dominante cognitive, socio-affective ou psychomotrice - est intgr, plus l'individu est mme d'affronter une diversit de situations de tous genres et de toutes circonstances.

la limite, un savoir totalement intgr - qui se situe la pointe du cne du savoir -devrait permettre de rsoudre toutes les situations possibles et imaginables - reprsentes par la grande surface du cylindre des situations -, alors qu'un savoir en cours d'intgration ne permet le traitement que d'un nombre limit de situations.

Prenons le cas du savoir conduire une voiture . Un conducteur ordinaire peut avoir acquis les savoirs ncessaires (changer de vitesse, freiner, valuer une distance,) pour matriser une situation en conduite normale, mais ne pas avoir suffisamment intgr ces savoirs que pour affronter des situations extrmes, telles que par exemple la conduite par temps de verglas, ou encore avec un vhicule exagrment charg.

La prise en compte des situations dans leurs relations avec le savoir permet de reprciser le sens et la porte de trois notions qui sont trs utilises dans le discours sur l'apprentissage.

Les connaissances sont des savoirs qui existent, de manire juxtapose, en dehors de toute situation. Ce sont des choses que l'on sait sans jamais les utiliser rellement. Par exemple, je sais que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515, mais moi qui n'ai rien d'un historien, je suis incapable d'utiliser cette connaissance. Je ne sais mme pas quelles taient les forces en prsence, ni l'enjeu de la bataille, ni mme o se trouve Marignan. Il existe ainsi toutes sortes de choses que je connais, mais sans pouvoir en faire le moindre usage. Il s'agit pour l'essentiel de savoir-reproduire, mais les connaissances peuvent aussi concerner des savoir-faire, parfois mme complexes. Ainsi, je sais rsoudre une quation du deuxime degr une inconnue, mais - en ce qui me concerne - je ne vois vraiment pas dans quelle situation je devrais faire appel ce qui n'est ds lors qu'une connaissance. Les connaissances savoir-tre doivent tre trs rares, et il serait sans doute plus correct de reprsenter le cne du savoir avec une base concave.

Les connaissances, dont certains jeux tlviss font grand usage, ne sont pas pour autant des savoirs totalement inutiles. Ils forment une partie de ce qu'on appelle la culture gnrale, mais surtout constituent une banque de donnes au sein de laquelle on peut tre amen un jour, confront une certaine situation, venir chercher une connaissance que l'on ractive au service d'une capacit. De plus, une bonne partie de ces connaissances sont ce que ROEGIERS (1996) appelle des savoirs mthodologiques. Ce sont des savoirs qui ne servent pas dans des situations courantes, mais qui sont utiles pour d'autres apprentissages qui eux permettent d'approcher des situations de vie et qu'on peut nommer savoirs finaliss. Par exemple, reconnatre le genre d'un nom n'est pas directement utile (c'est un savoir mthodologique), mais cela servira pouvoir accorder un adjectif avec le nom auquel il se rapporte lors de l'criture d'une lettre.

Les capacits constituent la plus grande partie du cne du savoir et occupent donc une place importante, tant quantitativement que qualitativement, dans le savoir d'un individu. Elles s'exercent, la plupart du temps, de manire juxtapose, au sein de situations limites, plus ou moins artificielles, voire scolaires. Une capacit est l'actualisation d'un savoir-reproduire, d'un savoir-faire ou d'un savoir-tre qui permet la ralisation de performances (GERARD & ROEGIERS, 1993, p.66). Celles-ci sont, dans le contexte de l'apprentissage, la plupart du temps des performances scolaires. Pour raliser l'intgration progressive de ces capacits, on proposera l'lve des situations d'intgration, c'est--dire des situations complexes qui se rapprochent le plus possible d'une situation naturelle, qui contiennent de l'information essentielle et de l'information non pertinente et qui mettent en jeu les apprentissages antrieurs (DE KETELE et al., 1988, pp. 99-100). Mais il faut bien constater que ces situations, si elles sont proches de la vie, sont cependant rarement relles. C'est ce qui diffrencie fondamentalement une capacit d'une comptence. Il est ainsi excessivement rare que cette dernire s'exerce en milieu scolaire. L'cole prpare la matrise des comptences, mais elle ne permet gure de les mobiliser, et encore moins de les valuer. L'cole, par essence, reste le lieu par excellence de prparation "la vie", sans jamais tre "la vie" (GERARD & ROEGIERS, 1997).

Les comptences, enfin, sont l'aboutissement du savoir. Elles s'exercent, de manire intgre, en situations relles. Une comptence est un ensemble intgr de capacits qui permet - de manire spontane - d'apprhender une situation et d'y rpondre de la manire la plus adquate possible (GERARD & ROEGIERS, 1993, p.66).

Les comptences s'exercent pour l'essentiel dans la vie professionnelle ou sociale, ou encore dans les loisirs. On dira de quelqu'un qu'il est comptent dans un champ d'activits lorsqu'il est capable de grer toutes les situations qui se rapportent ce champ. La comptence totale n'existe sans doute que trs rarement, mme dans des professions aussi exigeantes en termes de comptence que celles de pilote d'avion ou encore de chirurgien.

Les frontires que nous tablissons entre connaissances, capacits et comptences sont - de toute vidence - floues. Elles sont essentiellement lies quelque chose qui leur est extrinsque, savoir les situations dans lesquelles elles s'appliquent. Nous ne pensons pas en effet, en accord par exemple avec FOUREZ (1999) et la suite d'un prcdent article quelque peu narquois (GERARD, 1997), que les arguments avancs pour une distinction pistmologique entre ces diffrents concepts soient convaincants, car tout ce qui est prsent comme spcifique aux comptences s'applique aux capacits et vice versa. Demander aux enseignants de tenir compte d'une telle distinction amnera plutt leur compliquer sans raison la vision et la vie. (FOUREZ, 1999).

Par contre, il nous semble pertinent d'tablir une distinction entre ces diffrents niveaux de savoir en fonction des situations, ou classes de situations, dans lesquelles elles s'appliquent, ou plutt s'activent. Cette approche conduit au bout du compte distinguer des champs d'activation : de manire grossire, on pourrait dire que les capacits s'activent pour l'essentiel dans un champ d'apprentissage, que celui-ci soit scolaire ou mme professionnel. Les comptences, elles, prennent place au contraire dans un champ que l'on pourrait qualifier d'activit , voulant par l dire qu'elles s'inscrivent dans l'action, de quelque type que soit celle-ci, professionnel, familial, social, ou autre. Mais l'essentiel nous semble tre que lorsqu'on parle de comptences, on ne se situe plus dans un cadre strictement d'apprentissage. En ce sens, on peut dvelopper des capacits , alors que l'on exerce ou fait preuve de(s) comptences dans l'un ou l'autre domaine. De ce point de vue, le dbat entre capacits/comptences disciplinaires ou transversales n'a gure de sens. Il est vident que certaines capacits/comptences peuvent s'exercer dans des champs divers, et donc transversaux. Mais il est d'autre part tout aussi vident que certaines capacits/comptences se rfrent de manire explicite certaines disciplines, et qu'elles sont en ce sens disciplinaires. Ce dbat ne nous semble pas porteur de sens, que ce soit d'un point de vue thorique ou pratique. De ce dernier point de vue, l'important consiste, par exemple, pour un professeur de physique, de dvelopper chez ses lves tant des capacits d'analyser de manire systmatique une situation et d'en rendre compte de manire rigoureuse (aspect transversal) que d'en retirer les lments spcifiques la physique qui constitueront autant de savoir-reproduire, savoir-faire ou savoir-tre propres ce champ (aspect disciplinaire).

Au bout du compte, il nous semble surtout pertinent de dcloisonner les concepts relatifs au savoir. Celui-ci ne peut faire l'objet d'une rduction sous prtexte de clarification. Tout est dans tout . Cette formulation, elle-mme trop rductrice, contient pourtant sa part de vrit. Face un individu en situation d'apprentissage, c'est--dire de conqute du savoir, on ne peut l'enfermer dans des classifications. Au contraire, il s'agit de lui ouvrir des horizons, qui prennent en compte toutes les dimensions du savoir. En sachant que chaque pas, de quelque ordre qu'il soit, fait en faveur du dveloppement de celui-ci est un pas gagn vers plus de comptence.

Bibliographie

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