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SCIEIÏOE / TECHMQUE / JEUÎ1ESSE Treize à la douzaine, ill. Jacques Pecnard, G.P., 1966. La Médiathèque des enfants, la Média- thèque spécialisée et le Centre de recher- che en histoire des sciences ont organisé à La Villette le 28 avril dernier une conférence intitulée « II était une fois l'histoire, la science et le livre pour enfants ». Nous avons demandé dans un premier temps à Yves Cohen* d'écrire un article à partir de son intervention « Treize à la douzaine, ou le taylorisme dans la famille». Ce regard des chercheurs scientifiques et des historiens des sciences sur le livre pour enfants nous semble tout à fait important pour la réflexion que nous menons sur le livre scientifique pour enfants. TREIZE A LA DOUZAINE ENTRE LE RIRE ET LE GESTE OPTIMISÉ par Yves Cohen T reize à la douzaine (Cheaper by the Dozen) d'Ernestine et Frank Gilbreth est un best-seller. Tiré aux Etats-Unis à plus de cinq cent mille exemplaires, il est traduit en français dès 1949, l'année suivant sa publication, et n'a plus cessé d'être réédité depuis (1). Le livre raconte une enfance, ou plutôt douze puisqu'il s'agit des six garçons et des six filles de Frank et Lillian Gilbreth. Or ce père et cette mère, en l'honneur de qui le livre est écrit, sont des pionniers de l'« organisation scientifique du travail ». Et il faut constater que si ce livre est excessive- ment drôle, il ne le doit sans doute pas seulement à l'art de ses auteurs, mais aussi à la personnalité du père et à son acharne- ment à expérimenter sur sa nombreuse trou- pe enfantine des dispositifs destinés à devenir des règles d'organisation dans les usines, ou à perfectionner sur ses enfants des procédés mis au point sur les chantiers ou dans les ateliers. Ainsi dans Six filles à marier, livre qui fait suite à Treize à la douzaine, les auteurs écrivent-ils : « Papa avait conçu (*) Du Centre de recherche en Histoire des sciences et des techniques, Cité des Sciences et de l'Industrie. (1) Réédité en 1983 chez Gallimard en Folio Junior (voir Fiche Revue n° 91), ainsi qu'en 1987 en Folio Junior Edition spéciale. 92 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

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SCIEIÏŒ / TECHMQUE / JEUÎ1ESSE

Treize à la douzaine,ill. Jacques Pecnard,G.P., 1966.

La Médiathèque des enfants, la Média-thèque spécialisée et le Centre de recher-che en histoire des sciences ont organiséà La Villette le 28 avril dernier uneconférence intitulée « II était une foisl'histoire, la science et le livre pourenfants ».

Nous avons demandé dans un premiertemps à Yves Cohen* d'écrire un articleà partir de son intervention « Treize àla douzaine, ou le taylorisme dans lafamille».

Ce regard des chercheurs scientifiqueset des historiens des sciences sur le livrepour enfants nous semble tout à faitimportant pour la réflexion que nousmenons sur le livre scientifique pourenfants.

TREIZE A LA DOUZAINE

ENTRE LE RIREET LE GESTE

OPTIMISÉpar Yves Cohen

T reize à la douzaine (Cheaper by theDozen) d'Ernestine et Frank Gilbreth

est un best-seller. Tiré aux Etats-Unis à plusde cinq cent mille exemplaires, il est traduiten français dès 1949, l'année suivant sapublication, et n'a plus cessé d'être rééditédepuis (1).

Le livre raconte une enfance, ou plutôt douzepuisqu'il s'agit des six garçons et des sixfilles de Frank et Lillian Gilbreth. Or cepère et cette mère, en l'honneur de quile livre est écrit, sont des pionniers del'« organisation scientifique du travail ». Etil faut constater que si ce livre est excessive-ment drôle, il ne le doit sans doute passeulement à l'art de ses auteurs, mais aussià la personnalité du père et à son acharne-ment à expérimenter sur sa nombreuse trou-pe enfantine des dispositifs destinés à devenirdes règles d'organisation dans les usines, ouà perfectionner sur ses enfants des procédésmis au point sur les chantiers ou dans lesateliers. Ainsi dans Six filles à marier, livrequi fait suite à Treize à la douzaine, lesauteurs écrivent-ils : « Papa avait conçu

(*) Du Centre de recherche en Histoire des sciences et des techniques, Cité des Sciences et del'Industrie.

(1) Réédité en 1983 chez Gallimard en Folio Junior (voir Fiche Revue n° 91), ainsi qu'en 1987 enFolio Junior Edition spéciale.

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pour la maison une organisation comparableà celle d'une usine en ce qu'elle visait àobtenir le meilleur rendement possible. Ilétait en effet persuadé que tout systèmeayant fait ses preuves dans l'industrie étaitapplicable à l'économie domestique et inver-sement, surtout si la maison en cause abritaitune famille de douze enfants. » Frank etLillian Gilbreth ont contribué à former lemonde taylorisé dans lequel nous vivons. Etil n'est pas absolument certain que le livrede leurs enfants ne poursuive pas leur œuvre.

Frank Gilbreth (père) est né en 1868. Frede-rick Taylor, couramment désigné comme le« père » de l'organisation scientifique dutravail, est né douze ans avant. Gilbreth estmort en 1924, et Taylor en 1915. LillianMoller, épouse Gilbreth, est née en 1878.Le mariage a eu lieu vers 1905 et Ernestine(19081 et Frank junior (1911), auteurs deTreize à la douzaine, sont parmi les aînés.Treize à la douzaine rapporte les débuts deGilbreth. Le récit est exact dans ses grandeslignes mais il est troussé d'une manière unpeu trop « enfance d'un chef ». II voudraitainsi que le tout jeune Gilbreth, après avoirrefusé d'être pour ses études à la charge desa mère veuve, ait, dès le premier instantde son emploi comme poseur de briques,indiqué au contremaître combien les métho-des employées étaient désuètes et non pro-ductives et proposé les améliorations révolu-tionnaires qui allaient faire de lui un grandinnovateur en matière d'organisation. Certes,Gilbreth débute comme maçon, mais ce n'estpas avant l'âge de quarante ans qu'il publieses premiers ouvrages, spécialisés dans letravail du bâtiment : Concrète System en1908, Bricklaying System en 1909. Il s'élèveauparavant à tous les niveaux hiérarchiquespuis crée sa propre entreprise. Il devient unconstructeur prospère dans les années 1890et en vient à piloter de très grands chantiersde travaux publics et de construction d'usi-nes. Déjà, il se fait remarquer comme promo-teur brillant et technicien inventif.

En 1911-1912 (il a déjà au moins quatresinon cinq enfants), il s'installe commeingénieur-conseil expert en management. Ilpublie dès lors des livres où le travail deconstruction n'est plus dominant : MotionStudy en 1911 (traduit en 1919 sous le titreEtude des mouvements), Primer of ScientificManagement en 1912 et, en 1917, en collabo-ration cette fois avec Lillian, Applied MotionStudy (Etude des mouvements appliquée,1921). Lillian, de son côté, psychologue deformation, écrit seule, en 1913, Psychologyof Scientific Management.

Dès avant la Première Guerre mondiale,Gilbreth est célèbre. Il le sera plus encoreaprès, grâce à sa très imaginative politiquede communication où — le livre le montre— sa famille nombreuse n'a pas la dernièreplace ! Mais c'est Taylor qui, au début dusiècle, occupe le devant de la scène de cequ'il convient d'appeler une révolution dansl'organisation du travail. Taylor et Gilbrethsont les deux grandes figures de ce mouve-ment qui ne se réduit pas à eux seuls. Taylora précédé Gilbreth par de nombreux écrits :Notes on Belting (1893, Notes sur l'emploides courroies, traduit en 1907), A Pièce RateSystem (1895), Shop Management (1903, Ladirection des ateliers, traduit en 1907), ATreatise on Concrète Plain and Reinforced(1905), On the Art of Cutting Metals (1906,La taille des métaux, traduit en 1907), etc.De plus, Gilbreth n'intervient que sur unpoint : l'étude des mouvements. Il le considè-re comme central, comme le seul domainepropre à augmenter de manière décisive lerendement de toute entreprise. Pour l'organi-sation générale des usines, il reprend sansmodification les principes de Taylor, auquelil voue une grande admiration.

Les relations entre les deux maîtres de lanouvelle discipline ne sont pas toujours aubeau fixe. Elles connaissent des phases decollaboration : des ingénieurs proches de

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Taylor travaillent avec Gilbreth sur seschantiers, Taylor intègre les travaux deGilbreth dans son livre de vulgarisationpublié en 1911, Principles of Scientific Ma-nagement (traduit en 1912 sous le titrePrincipes d'organisation scientifique des usi-nes) et lui demande de répondre au courrierque cet ouvrage provoque, ce qui fournit àGilbreth la matière de son livre de 1912.Mais aussi des phases de méfiance, sinond'hostilité. Taylor aurait-il refusé de com-prendre l'importance des travaux de Gilbrethsur le mouvement, comme ce dernier s'enplaint dans ses notes ? Gilbreth au contrairese serait-il conduit dans sa vie professionnellecomme le bluffeur époustouflant qu'il estdans la vie familiale, truquant les devis,falsifiant les calculs des gains de productivitéqu'il est censé réaliser, abandonnant enchemin les tâches de réorganisation qu'onlui confie, comme semble en faire foi lacorrespondance de Taylor avec ses collabora-teurs ? Les historiens spécialisés en discutentencore.L'apport de Gilbreth et de sa femme (quipoursuit seule après 1924) peut se résumeren quatre composantes : l'étude cinéma-tographique des mouvements, leur décompo-sition en éléments codifiés et universels,l'extension de ces études hors de la sphèreindustrielle et l'apprentissage des méthodesnouvelles.Dans le but d'épurer et surtout de simplifierles gestes professionnels, Gilbreth élabore desméthodes qui permettent la micro-analyse deséries de mouvements. Une caméra filme lesgestes à travers une trame décimétrique alorsqu'un chronomètre au 1/100 de minute (etparfois au 1/1000) est visible dans le champ.Pour enregistrer un cycle sur une seuleimage, Gilbreth met au point le « chrono-cyclegraphe » : des ampoules sont fixées surles points des membres dont on veut étudierles mouvements dans l'espace ; les duréessont données par un interrupteur cycliquerythmé sur une fraction de seconde, quitransforme la ligne lumineuse en succession

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de traits courts : les directions des mouve-ments sont repérées grâce à la forme pointuede ces traits, obtenue par un jeu sur la

Etude des mouvements appliquée,fig. 17 : image cyclegraphiqued'un geste de positionnement.

tension et la puissance ainsi que sur l'épais-seur du filament. La prise de vue peut mêmeêtre stéréoscopique ! Treize à la douzainerapporte à coup sûr fidèlement quelquesexpériences faites ainsi avec les enfants Gil-breth. Si Gilbreth connaît, puisqu'il les cite,les expériences chrono-photographiques etaussi « cyclegraphiques » pionnières du phy-siologiste Jules Marey, il est moins probablequ'il en soit de même des recherches compa-rables et postérieures (1894-1895) de l'ingé-nieur Charles Frémont sur le travail duforgeron.

Mais Gilbreth va plus loin et théorise : ilpense que tout geste, de quelque ordre qu'ilsoit, peut être analysé grâce à un nombrefixe et limité d'éléments de compositionqu'on retrouve universellement même si,selon le geste considéré, ils peuvent se succé-der dans un ordre variable. Ces éléments,Gilbreth les nomme « therbligs », exactelecture inverse de son propre nom. Il s'ensert comme fondement de toute analyse demouvement en vue de sa simplification oucomme base pour inventer des dispositifsréduisant la durée des micro-mouvementsnécessaires. Ainsi les apprend-il à ses enfantspour « faire les lits, balayer, laver la vaissel-le, épousseter ». Parmi les dix-sept therbligs,

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on trouve : rechercher des yeux, trouver,choisir, saisir, mettre en place, utiliser,transporter, se reposer, etc., et même...penser.Tout ceci montre combien une telle approchedu travail ne pouvait en rester à la sphèreindustrielle et devait comme naturellements'étendre aux pratiques du travail de bureau,du commerce, du travail domestique, del'agriculture ou même de la chirurgie : undes morceaux de bravoure de Treize à ladouzaine, qui en regorge, est le récit del'ablation en série des amygdales de six desenfants à la seule fin de filmer les gestes duchirurgien, et d'obtenir ainsi un corpusd'analyse sérieux du travail opératoire dontla médecine installée, effrayée par ces métho-des iconoclastes, refusait à Gilbreth la consti-tution ! Avant les Gilbreth, pourtant, desfemmes disciples de Taylor avaient déjàpublié des traités de rationalisation de la viedomestique, mais Frank et Lillian ont laparticularité de ne pas permettre à l'analysele moindre repos pour aucun des gestes duquotidien.

Leurs méthodes d'enseignement marquentaussi leur originalité. Le livre en est encorerempli d'exemples, depuis la frappe à lamachine (Gilbreth est l'inventeur du systèmecourant aujourd'hui du clavier appris parcœur et dissimulé sous des caches de cou-leurs, une étant réservée à chaque doigt)jusqu'au calcul mental ou à l'alphabetmorse...

L'œuvre des Gilbreth et celle de Taylorcorrespondent à une époque sociale et indus-

trielle précise : celle où dominent dans laproduction les travaux dépourvus de toutequalification. Les gestes peuvent d'autantmieux être criblés par l'analyse qu'ils ne sontpas gouvernés selon une réflexion nourrie parune exigence créatrice. Mais les Gilbreth etTaylor n'ont pas reçu le même accueil : lessyndicats ont été plus tolérants pour lespremiers qui ne visaient pas l'éliminationobligatoire des ouvriers incapables de suivreles nouveaux rythmes, qui acceptaient ledébat sur les salaires, dont les études desimplification des tâches paraissaient plusproches d'une ergonomie, alors en formation,que d'une extorsion sauvage de toute la forcedes ouvriers que laissait craindre Taylor.En France, par exemple, Emile Pouget,dirigeant syndicaliste révolutionnaire, opposeTaylor à Gilbreth, en ce sens favorable àGilbreth, dans son pamphlet anti-taylorienpublié en 1914, L'organisation du surmena-ge. Mais on peut se demander s'il a raisonsur la longue durée. Les diaboliques « TablesMTM » (Methods Time Measurement), quisont après la Seconde Guerre mondiale levade-mecum des bureaux d'organisation dutravail dans le monde entier, prennent pourbase une dizaine d'éléments gestuels standar-disés dont les therbligs ont fourni la premièreesquisse. Mais très vite, en fait, dans lesmanuels les plus courants d'organisationscientifique du travail, l'apport des Gilbrethne sera plus clairement distingué de celui deTaylor.

Dans Nous autres, roman d'anticipationqui fut l'inspirateur du Meilleur des mondeset de 1984, l'ingénieur russe Eugène Zamiati-

E. Muybridge : le saut, planche 263 de Animal locomotion

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ne écrit en 1923 : « Certes, ce Taylor étaitle plus génial des anciens. Il est vrai, malgrétout, qu 'il n a pas su penser son idée jusqu aubout et étendre son système à toute la vie, àchaque pas, à chaque mouvement ; il n'apas su intégrer dans son système les vingt-quatre heures de la journée. » Sans douteZamiatine ne connaissait-il pas les Gilbrethqui avaient, eux, entrepris ce travail derationalisation du geste de la vie quotidienne.Et peut-être aujourd'hui ne célébrons-nousla mort du taylorisme que parce qu'en finde compte Gilbreth et Taylor ont gagné,qu'ils ont pénétré nos actes comme ils sesont inscrits dans ceux des robots program-més ? On peut se demander si le livre desdeux enfants Gilbreth n'a pas eu sa partdans cette victoire, inspiré qu'il est de lasuppression des frontières entre vie quoti-dienne et vie professionnelle d'un des artisansde ce monde : « Papa mettait toujours enpratique ce qu 'il prêchait, et il était impossi-ble de délimiter où finissait en lui l'hommede science et où commençait le père defamille. »

Puis-je alors proposer qu'aucun lecteur decet article ne fasse l'économie de la lecture(ou de la relecture) de Treize à la douzaineet inviter les enfants à sa découverte ? Jesuis convaincu que personne n'y perdra.Chacun y gagnera au moins de rire et sansdoute, de surcroît, de s'interroger sur ce quiconstitue ce siècle. Evidemment, c'est unrisque : Treize à la douzaine n'aurait-il pascontribué, par le comique même auquel ildoit son succès, à l'accélération de nos gestesquotidiens et de nos activités de tous ordres,

et est-il alors judicieux de le proposer auxenfants ? Ou bien, au contraire, ce comiquemême n'a-t-il pas pour effet de tourner enridicule l'acharnement mis à augmenter lerendement de toute action ? Ou bien encore,ces deux aspects opposés d'attraction fascinéepour l'optimisation de chaque geste et dedégoût pour une telle obsession necohabitent-ils pas en nous fort harmonieuse-ment ? Treize à la douzaine est un récitlittéraire avant toute chose et ne se proposeaucune tâche de vulgarisation de l'œuvredes Gilbreth. Mais n'a-t-il pas, même nonrecherché, un effet didactique ?Quelle qu'ait été et quelle que soit encore,par exemple, l'horreur du travail à la chaîne,un des points noirs de l'époque que nousvivons, rendu possible par des travaux pion-niers comme ceux des Gilbreth, ce livreserait assez propre à nous tranquilliser :l'aptitude à la farce de Gilbreth père oumême son recours dans sa gestion de lafamille à des recettes antiques comme laconcession de travaux domestiques à l'enfantqui en propose le prix le moins élevé,montreraient assez que la rationalisationproclamée la plus scientifique rencontre deslimites ; ou aussi, alors que le livre entierest fondé sur le nombre douze, les auteursne mettent en fait en scène que onze enfantset ne parlent jamais de Mary, la secondefille, ni ne disent qu'ils n'en parlent jamais(comme le signale astucieusement le dossierpédagogique de la dernière édition, en FolioJunior Edition spéciale). Ce défaut de larationalité de l'ouvrage n'est-il pas l'imagedes trous de toute rationalité qui se voudraittotale ?

BIBLIOGRAPHIE(entièrement en anglais, malheureusement!

Milton J. Nadworny : « Frederick Taylor and Frank Gilbreth : Compétition in Scientific Management »,Business History Review, XXXI /1 , 1957, p. 23-34.Daniel Nelson : Frederick W. Taylor and the Rise of Scientific Management, Madison : TheUniversity of Wisconsin Press, 1980, XII-259 p.Edna Yost : Frank and Lillian Gilbreth, Partners for Life, New Brunswick : Rutgers UniversityPress, 1 9 4 9 , v X II -372p .

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