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Sei Shonagon - Notes de Chevet

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Titre

Notesde chevet

par Sei Shônagon

TRADUCTION ET COMMENTAIRESPAR ANDRÉ BEAUJARD

nrf

GALLIMARD/UNESCO

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INTRODUCTION

La traduction que l'on trouvera ci-aprèssuit celle qui fut publiée il y a vingt-six ans parla librairie Gustave-Paul Maisonneuve, et leremercie vivement, ici, M. Max Besson, quidirige maintenant cette maison, pourl'agrément qu'il a bien voulu donner à lanouvelle édition. Celle-ci, presque identiquepour le fond1 à la précédente, en diffèrecependant par quelques traits.

D'abord, afin de rendre la lecture moinsmalaisée, j'ai supprimé les crochets dont jem'étais servi pour isoler, dans un ouvrage enpremier lieu destiné à des spécialistes, les motsajoutés au texte. Quand ils n'ont pas paruvraiment indispensables, ces mots eux-mêmesont été retranchés.

Ensuite, j'ai remanié les notes, j'ai laissé decôté bon nombre de celles qui, par exemple,concernent les titres, les noms de lieux,d'animaux, de plantes, de vêtements... On

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pourra les chercher au bas des pages dansl'édition primitive ; on pourra égalementconsulter un livre consacré à « Sei Shônagon,son temps et son œuvre », qu'a publié il y avingt-six ans aussi la librairie G.-P.Maisonneuve, et qui avait été spécialementécrit pour fournir, à ceux qu'intéressent les «Notes » de Sei et les œuvres de la mêmeépoque, les renseignements propres à enfaciliter la compréhension : sur l'histoire, leslégendes, le gouvernement, les coutumes, lesreligions, les littératures du japon et de laChine ; sur les personnages que nommel'auteur, et en général sur tout ce qui, dans sesmémoires, est étranger au lecteur français.Dans « Sei Shônagon, son temps et son œuvre», d'où j'ai tiré les éléments de la présenteintroduction et la substance de quelques-unesdes notes qui accompagnent ma version, setrouvent en particulier le texte et la traductiond'environ deux cents poésies, pour la plupartextraites des vieilles anthologies nippones (lespoèmes auxquels Sei a pu penser en écrivant

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ses mémoires), ainsi qu'une listebibliographique assez abondante.

Enfin, pour éviter des disparates avec lesvolumes déjà parus dans la même collection,au lieu d'un système de transcription fondé surl'usage français, j'ai employé pour les motsjaponais celui que préconisa la Rômajikwai(Société pour l'adoption de l'alphabet latin). Sion ne veut pas trop les déformer, on tiendradonc compte de ce qui suit :

- e sera lu comme é, u comme ou dans sou(u bref est presque muet dans une syllabe nonaccentuée, surtout après s, ts, z).

- Quand deux voyelles se suivent, on leslira séparément, comme si la seconde portaitun tréma.

- L'accent circonflexe indique qu'unevoyelle est longue.

- m et n, après une voyelle, se font toujoursentendre, comme dans le français éden.

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- g sera lu comme dans gare (même devante, i).

- s comme f (même entre deux voyelles).

- sh comme ch dans chat.

- ch comme tch.

- w comme ou dans oui (après g et k, w estmuet dans la prononciation de Tôkyô, etbeaucoup d'auteurs, en cette position, nel'écrivent pas).

Pour les autres langues, notons seulementque la lettre u représente dans les motschinois le même son qu'en français, alors qu'onla lira comme ou dans les mots sanscrits.

Les changements de transcription signalésci-dessus n'ont pas manqué de compliquer letravail de M. Edmond Veau, qui a pris la peine,pour cette nouvelle édition, de recopier montexte à la machine, et que j'ai grand plaisir àremercier.

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Remarques :

I. En japonais comme en chinois, le nompersonnel suit le nom de la famille ou dit clan.Fujiwara no Michitaka, ou plus simplement Fujiwara Michitaka, est le nom du seigneurMichitaka, qui appartenait à la familleFujiwara; le poète chinois Li Chang-yin faisaitpartie de la famille Li.

II. L'année, dans l'ancien Japon,commençait plus tard que la nôtre, le retardvariant de dix-sept à quarante-six jours.C'était une année lunaire, de douze et parfoistreize mois. Certains des noms qu'on donnait àceux-ci rappellent curieusement notrecalendrier républicain; mais pour les plusnombreux la traduction est peu sûre. C'estpourquoi, suivant l'usage moderne, j'ai désignésimplement les mois par leur numéro d'ordre.Le plus souvent, j'ai fait de même pour lesjours. On doit savoir pourtant que les anciensNippons, imitant les Chinois, comptaientparfois les jours au moyen de deux séries, l'une

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de dix termes, ou « troncs », l'autre de douzetermes, ou « rameaux ».

Les « troncs » étaient le « frère aîné », le «frère cadet dit Bois » le « frère ainé », le « frèrecadet du Feu » ; ceux de la Terre, ceux ditMétal et ceux de l'Eau. Les « rameaux »étaient le Rat, le Bœuf, le Tigre, le Lièvre, leDragon, le Serpent, le Cheval, le Mouton, leSinge, l'Oiseau, le Chien et le Sanglier.

En appliquant aux jours les noms des «troncs » ou des « rameaux », on avait parexemple le jour du « frère aîné du Bois », ou lejour du Tigre. Pour préciser, on disait « lepremier ou le deuxième jour du frère aîné duBois, de tel mois », et le même jour pouvaitêtre par exemple, dans ce mois, le premier jourdu Tigre. On disait souvent aussi « le jour dufrère aîné du Bois, et du Tigre » ; mais ainsi onfixait seulement sa position dans une périodede soixante jours. (Tous les soixante jours sereproduisait une pareille combinaison.)

Le jour était partagé, de minuit à minuit, en

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douze « heures » valant chacune deux desnôtres, et désignées par les noms des «rameaux2 », l'heure du Rat s'étendant entreminuit et deux heures du matin, l'heure duBœuf entre deux et quatre heures, et ainsi desuite. Au palais impérial, ces « heures » étaientannoncées par un nombre de coups de gongdécroissant de neuf à quatre pour les sixpremières, et, de nouveau, de neuf à quatrepour les six dernières3 .

Les « Notes de chevet » furent écrites par

une dame d'honneur appartenant à la courimpériale du japon, dans les premières annéesdu XIe siècle, c'est-à-dire vers le milieu de lapériode à laquelle les historiens ont donné lenom de Heian, qui autrefois désigna Kyôto :Heiankyô, « Capitale de la paix ».

Les Nippons font commencer la périodedont il s'agit en 794, quand l'empereurKwammu établit sa résidence et songouvernement dans cette ville nouvellementfondée, et bâtie, comme Nara, la première

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métropole fixe du pays, à l'image de Tchang-ngan, la capitale chinoise. On admetgénéralement qu'elle finit en 1183. Cetteannée-là, Edo, qui plus tard devait s'appelerTôkyô, devint le siège du pouvoir réel, passéaux mains d'un gouverneur militaire, leshôgun.

C'est au temps de Heian, et plusprécisément dans les sept ou huit dizainesd'années les plus proches de l'an mille, que seplace l'âge d'or de la littérature nippone, sonépoque classique, bien antérieure à celle quenous connaissons dans notre propre histoire.

Alors, au moins théoriquement, ladomination japonaise s'étendait à toutl'archipel, excepté au nord l'île d'Ezo, oùrésistaient les Aïnous. Si des guerres civiles,auxquelles prenaient part même les bonzes,faisaient rage entre les divers clans, l'étenduedes mers, périlleuses pour les bateaux del'époque, assurait à l'empire une paixextérieure qui fut rarement troublée. A peinedoit-on signaler, pour le temps qui nous

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intéresse, une vaine tentative d'incursion pard e s pirates chinois, en 1019, dans l'îleméridionale de Kyûshû.

A la fin du IXe siècle, sur les conseils ducélèbre ministre, et lettré, SugawaraMichizane, le Japon avait cessé d'envoyer desmissions diplomatiques vers la Chine, déchiréepar les désordres qui précédèrent la chute desTang, et quand vint l'an mille, les Nipponsavaient pu tout à loisir adapter à leur génie,comme ils savent si bien le faire, ce qu'ilsavaient repu du continent. L'administration etle système de gouvernement, bien qu'ilseussent été copiés sur ceux de la Chine, setrouvaient animés chez eux p a r un nouvelesprit. Tandis qu'en Chine la carrière s'ouvraitdevant le talent, seuls les enfants del'aristocratie, dans le japon de Heian,pouvaient acquérir quelque instruction.Quatre ministères, sur huit, s'occupaientuniquement du palais impérial, et c'est dansceux-là qu'affluait la jeunesse dorée ;fréquemment, quand ils se voyaient assigner

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des postes en province, les gens bien nés enlaissaient la charge à des subalternes, pourrester eux-mêmes à la capitale, près du soleil.

Au demeurant, le maître qui gouvernaiteffectivement, et de qui tous recherchaient lafaveur, n'était pas le monarque. C'était unkwampaku (un régent ou plus exactement unmaire du palais). Depuis le IXe siècle, leskwampaku se succédaient dans l'illustre familledes Fujiwara, dont la fortune atteignit sonapogée avec Michinaga, qui dirigea les affairesde 995 à 1027. Avant lui, de 990 à 995, avaientgouverné ses frères Michitaka et Michikane, ledernier durant un mois à peine.

Pour les empereurs, on gardait au moins enapparence le respect que l'on devait auxaugustes descendants de la déesse solaire ;mais ils n'avaient aucune autorité. C'étaientdes enfants, ou de tout jeunes hommes, que lesmaires du palais, dont il leur arrivait d'être enmême temps les neveux et les gendres,forçaient à se retirer et à se faire bonzesquand, l'âge venu, et malgré toutes les

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précautions prises pour les enchaîner, cesfantoches laissaient voir quelque velléitéd'indépendance.

Autour de ces empereurs, de leurs épouseset de leurs concubines, s'empressaient unefoule de courtisans et de dames, dans lesdivers pavillons aux noms évocateurs dontl'ensemble, entouré d'une double enceinte,formait le palais de Heian. En dehors de celui-ci, certains grands seigneurs avaient desrésidences particulières, souvent désignées parle nom d'une avenue.

Les dames et les gentilshommes, que leskwampaku voyaient sans déplaisir user leuractivité en des choses étrangères augouvernement, menaient une vie qui, régléepour le dehors par une étiquette sévère etcompliquée, était en réalité fort libre. Pluspréoccupés d'esthétique que de morale, ilsmettaient leur gloire à calligraphier despirituelles missives qu'ils liaient, avant qu'unmessager les prît pour les emporter, à unrameau tout vert ou fleuri, dont la couleur

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s'accordait avec celle du papier ; ou bien, enlangue japonaise pure de tout mot tiré duchinois, ils composaient, souvent impromptu,des « courts-poèmes », ou tantra (cinq vers, entout trente et une syllabes), et se plaisaient à glisser quelque fine allusion littéraire.

Avec adresse, ils savaient employer lesartifices, et placer à propos les « ornements »de la versification japonaise : « mots d'appui »( m a k u r a - k o t o b a ) , sortes d'épithèteshomériques, traditionnellement appliquées àtelle ou telle chose ; « mots connexes » (engo),dont l'un, s'il figure dans une poésie, y appellepour ainsi dire l'autre ; « mots-pivots » (ken-yô-gen, kakekotoba), mots entiers ou non. qui,écrits et lus une seule fois, doivent êtreentendus deux fois, avec deux significations,différentes, mais ayant toutes les deux leurrô le dans la phrase. On trouve, en français,quelque chose d'analogue à ce dernier procédédans des apostrophes plaisantes, dans des «chaînes » où ne brille pas un espritparticulièrement délicat ; mais comme elles

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n'ont, ni les unes ni les autres, aucun sensraisonnable, il ne s'agit pas de véritables «mots-pivots ». Au contraire c'est bien un ken-y ô- gen qu'avaient introduit au siècle dernierles peintres de Barbizon dans un couplet où ilsexprimaient leur regret de ne voir sur leurtable

... pas même un misé- Râble de lièvre en civet.Un amoureux emploierait lui aussi un «

mot-pivot » s'il écrivait à sa belle « j'irai vousattendre, amie », en espérant lui fairecomprendre « j'irai vous attendre, tendre amie».

Après avoir parlé de leur talent poétique, onpourrait dire que le s gens de Heian aimaientles fleurs, la musique... et le vin de riz, dont ilsabusaient parfois ; on évoquerait les banquets,les nombreuses fêtes qui les réunissaient aupalais ou près des temples ; on s'émerveilleraitdevant la richesse et la splendeur de leurscostumes, dont les nuances étaient toujoursappropriées à l'époque de l'année. Avec

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enthousiasme, on décrirait les cérémonies dus hint ô, et surtout celles, beaucoup plussomptueuses, qu'offrait à ces courtisans lebouddhisme ; mais on risquerait de donnerainsi, de la vie au palais de Kyôto, une tropbelle image, si l'on ne montrait égalementl'envers du décor.

La cour ne restait pas indifférente auxrivalités qui mettaient aux prises les membresde la -famille Fujiwara. Quand ils voyaient lapuissance de tel seigneur ou la fortune de telclan s'écrouler en peu de jours, les gens sesentaient gagner par une inquiétudequ'aggravaient les calamités, les incendies sifréquents dans l'ancien japon, lestremblements de terre, les épidémies.

Toutes ces influences agissaient ensemblesur des âmes déjà profondément modifiées parle bouddhisme et par les idées taoïstes que lesouvrages chinois avaient répandues chez lesjaponais de la classe supérieure. Le taoïsmes'accordait en effet avec le bouddhisme pourempreindre dans l'esprit la croyance au

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caractère transitoire, irréel même, del'univers, et le sentiment de la parenté qui unittous les êtres, emportés dans la suite destransmigrations. Ils s'alliaient pour lui donnercette tournure particulière, cette humeurromantique faite de sympathie pour la nature,de pitié pour la tristesse des êtres et deschoses, qu'exprime le mot, si souvent employépar les auteurs japonais, d'aware.

Pourtant, grâce à leur tempéramentnaturellement gai, les Nippons ne laissaientpas de se défendre contre le fatalisme.Certains, qui avaient quitté le monde, yrevenaient plus ou moins secrètement, et laplupart des gens qui vivaient au palais deHeian cherchaient à épuiser la coupe desplaisirs avant de la sentir se briser dans leurmain. Ce désir de volupté semble un des traitsprincipaux de l'esprit japonais à l'époque quinous occupe, et si cette époque est marquéepar le culte du beau plutôt que par celui dubien, c'est assurément à cause de cestendances hédonistes ; elles nous expliquent la

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délic atesse poussée à l'extrême, l'excessifraffinement qu'affectaient les aristocrates.

On s'est demandé quelle place pouvait tenirla femme à la cour de Kyôto, parmi deshommes efféminés; là-dessus les auteursdiffèrent, et la réponse ne saurait être simple :la femme, sans doute, jouait un rôleconsidérable ; mais sa situation n'étaitnullement privilégiée. On ne trouve dansl'ancien Japon rien qui ressemble à l'adorationrespectueuse du chevalier pour sa dame. Lesgens de Heian courtisaient les femmes pourleur beauté ! Ils pouvaient bien, aussi, tâcherde plaire à l'épouse ou à la favorite d'un hautpersonnage, ou à telle autre femme près de ledevenir, avec l'espoir que peut-être ellesagiraient pour eux ; mais ils appréciaientvraiment celles qui brillaient par leurs talents ;ils respectaient ainsi le mérite plutôt qu'uns e x e auquel ils n'accordaient aucunesupériorité. Avec M. Michel Revoit, nousdirons que vers l'an mille, « la cour dIchijô estle royaume des femmes d'esprit », le dernier

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mot ne devant pas manquer d'accompagner leprécédent.

Le caractère général de l'âme japonaise setrouvait alors, bien que cela n'apparût pas auxyeux des contemporains, mieux exprimé chezles femmes que chez les hommes, et il est unechose certaine : la littérature écrite dans lalangue du pays à la fin du Xe siècle et dans lesdeux premiers tiers du XIe est une littératureféminine. Dès le début du Xe siècle, les femmes,comme les hommes, s'exerçaient à écrire enchinois, et prenaient pour modèle, dans cettelangue, le style des essayistes. Pourtant, versla même époque, certains auteursemployèrent leur propre idiome. Ainsi le poèteKi no Tsurayuki rédigea en 922 un véritablemanifeste littéraire pour servir de préface àune anthologie fameuse, le Kokinwakashû4

(Recueil de poésies japonaises anciennes etmodernes). Treize ans plus tard, en leprésentant il est vrai comme l'œuvre d'unefemme, le même écrivain publia son Tosa nikki(journal de Tosa). C'est également à des

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auteurs masculins que seraient dus les contes( m on og a t a r i) rappelant des légendesmerveilleuses, ou rassemblant des anecdoteset des poésies, ou encore fondés sur des traitsde mœurs, des histoires d'amour5 , qui sesuccédèrent dans tout le Xe siècle ; maisbientôt les hommes, absorbés en delaborieuses compositions chinoises, laissèrent,d a ns le domaine de la prose japonaise, lechamp libre à leurs compagnes.

Habiles à profiter des facilités qu'avaitprocurées aux scribes l'élaboration de deuxsyllabaires figurant chacun quarante-septsons simples (le katakana, formé de caractèreschinois tronqués, et surtout le hiragana,représentant des caractères cursifs), lesfemmes se montrèrent pareillement adroites àmanier une langue harmonieuse, fluide, quin'était pas encore, comme on le verrait plustard, fort éloignée de l'idiome employé pour laconversation, et dans laquelle les motsd'origine chinoise restaient peu nombreux.

Elles écrivirent des journaux (nikki) où sont

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rapportés les incidents qui marquèrent leur vied'amante, d'épouse et de mère (« Journald'une libellule6 », Kagerô nikki, fin du Xe siècle,et « journal de. la dame Izumi Shikibu », vers1004) ou les péripéties d'un voyage (« Journalde Sarashina », milieu du XIe siècle). Parfoiselles notèrent, comme nous le voyons surtoutdans le « journal de la dame Murasaki Shikibu» (vers 1009), les événements plus ou moinsgraves de la vie au palais, en attendant quev î n t l'Eigwa monogatari, ou « Récit desplendeur7 », ouvrage historique au moinspour l'essentiel, achevé environ l'an 1200, maisdont la poétesse Akaeome Emon (début duXIe siècle) passe pour avoir écrit la premièrepartie. Si intéressants qu'ils soient, pourtant,ces ouvrages sont loin d'avoir l'importanceque tous les critiques, au Japon et ailleurs,accordent à un roman de cour, le célèbre Genjimonogatari, composé vers l'an mille par ladame d'honneur Murasaki Shikibu, dont lenom vient d'être cité à propos des journaux, etqui servit une épouse de l'empereur Ichijô, la

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princesse Akiko, fille de Michinaga. Murasaki raconte longuement les aventures

amoureuses d'un don Juan nippon, le princeGenji. Elle peint un monde où la morale n'estguère respectée ; mais sa touche est légère,elle le fait avec beaucoup de retenue.

Le « Roman de Genji », pur chef-d'œuvre destyle et de fine psychologie, occupe dans lalittérature classique, et l'on peut dire danstoute la littérature japonaise, une placeéminente. Avec lui, on ne peut mettre enparallèle qu'un seul ouvrage, d'un genre, ausurplus, tout différent : c'est celui qu'écrivit àpeu près en même temps Sei Shônagon, uneautre dame d'honneur, attachée à la princesseSadako, laquelle, fille de Michitaka, fut avantsa cousine Akiko la principale épouse dIchijô.

Comme ceux que nous employons pourMurasaki Shikibu, pour Akazome Emon, pourIzumi Shikibu, le nom qui désigne SeiShônagon est seulement un surnom, tel qu'enportaient, à Kyôto les dames du palais. Laseconde partie du sien est à proprement parler

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le nom d' une fonction. Le mot shônagonpourrait se traduire par « troisième sous-secrétaire d'État », mais il n'a ici qu'une valeurdécorativ e , ou peut-être rappelle-t-il qu'unparent de notre auteur avait eu cette dignité.Quant à la première partie, Sei, c'est la lecturechinoise, ou plus précisément la lecture imitéedu chinois, d'un caractère exprimant l'idée depureté, que rend en japonais la racine kiyo ;nous retrouvons cette racine quand nouslisons le nom de la famille Kiyowara(littéralement « Lande pure »), dans laquellefut élevée Sei Shônagon.

Les Kiyowara descendaient du princeimpérial Toneri, célèbre pour avoir été, audébut du VIIIe siècle, le principal compilateurd u Nihongi (Annales du japon), un recueil dechroniques écrites en chinois. Un Kiyowara,Natsuno, avait pris part à la rédaction d'unimportant commentaire s u r les lois (Ryô nogige, 833) ; un autre, Fukayabu, figurehonorablement parmi les poètes duKokinwakashû, et c'est également comme

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poète que nous est connu son petit-filsM o t o s u k e (9o 8- 99o ) . Ce dernier, dontplusieurs anthologies ont recueilli les vers, futl'un des cinq lettrés que !'empereur Murakami,les ayant réunis au Palais du jardin despoiriers (Nashitsubo) en un « bureau de poésiejaponaise » (wakadokoro), chargea de fixer lalecture du Man.yôshû (« Recueil des dix millefeuilles » une anthologie poétique achevée vers820), et de rassembler les poésies qui devaientformer le Gosenshû (« Recueil choisipostérieur », 921).

D'après certains, qui s'appuient sur un écritde son contemporain Fujîwara Yukinari, Seieut pour père Akitada, un seigneurcontemporain de l a famille Fujiwara, quigouverna les provinces de Shimotsuke et deShimosa ; Motosuke l'aurait adoptée. Akitada,cependant, avait au moins soixante-sept ansquand elle naquit, et la plupart des auteurspensent que Motosuke, plus jeune que lui dedix ans, fut le véritable père de Sei. Quelquesmots, dans les « Notes de chevet », semblent

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confirmer cette opinion, et quoi qu'il en soit,l'influence de Motosuke sur la formationlittéraire de Sei dut être grande ; instruitedans une famille où l'érudition et la poésieétaient en grand honneur, elle put tirer bonparti de ses dons, qu'elle les eût, ou non,hérités des Kiyowara.

Mal renseignés sur l'origine de Sei, nous nele sommes pas beaucoup mieux sur sa vie. Lesrares indications que nous fournissent lesanciens auteurs sont fort vagues, etcontradictoires; c'est à peu près exclusivementpar des raisonnements fondés sur son ouvragemême que nous obtenons quelque lumière.Nous voyons ainsi qu'elle naquit en 965, ou unpeu plus tard; mais nous ne savons rien de sonenfance ni de sa jeunesse. Sans doute suivit-elle alors Motosuke dans ses déplacements. Ilfut en effet, comme Akitada, gouverneur dediverses provinces, et cela expliquerait l'intérêtque montre Sei, dans ses «Notes », pour la viedes fonctionnaires éloignés de la capitale.

Elle dut arriver au palais impérial, où le

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crédit des Kiyowara l'avait fait admettre, audébut de 990. Là, elle entra au service deSadako, jolie princesse de quinze ans qui à lamême époque devint l'épouse (ny ôgo) del'empereur Ichijô (lui-même â g é de dix ansseulement), avant d'accéder quelques moisplus tard au rang d'impératrice (chûgû).

Sei servit sa maîtresse avec dévouement, etSadako, lorsqu'elle eut à se plaindre deMichinaga, ne retira pas sa confiance à ladame d'honneur, qui pourtant, pensait-elle,avait pour lui de la sympathie. Quand il eutpris le pouvoir, et qu'il eut fait accorder à safille Akiko le rang de nyôgo puis celui de chûgû,Sei resta fidèle à la princesse dont l'étoilepâlissait, et qui, bien qu'elle reçût au troisièmemois de l'an mille le titre de kôgô (impératricesouveraine), se voyait délaissée par tous ceuxqu'attirait le nouvel astre.

Nous ne savons guère ce que devint Seiaprès la mort de Sadako, survenue audouzième mois de l'an mille, et nous ignoronsla date de sa propre fin. Suivant un auteur du

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XIVe siècle, elle serait morte dans l'île deShikoku. D'autres, qui écrivirent deux ou troissiècles plus tard, la peignent, âgée, sous lestraits d'une pauvresse misérable, maistoujours prompte à la repartie, ou bien ilsdisent qu'elle se fit nonne, ou qu'elle épousa ungouverneur de Settsu. Tout cela ne repose surrien ; nous pouvons seulement avancer queSei demeura probablement au palais, oit toutau moins garda quelques relations avec lacour, jusqu'en 1013 : un passage de ses «Notes » paraît bien concerner un événementqui eut lieu cette année-là, deux ans après lamort d'Ichijô8 . Peut-être avait-elle trouvédans la famille de sa maîtresse une nouvelleprotectrice.

Dans les anciens textes, l'ouvrage qu'ellenous a laissé est appelé simplement SeiShônagon no ki, « Le livre de Sei Shônagon ».Le titre que l'on emploie aujourd'hui, et que.Sei n'avait probablement pas choisi, estMakura no Sôshi. On en découvre l'explicationvers la fin de ses mémoires, où elle raconte

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comment, à l'impératrice qui lui montrait unegrosse liasse de papier en demandant ce qu'ilfaudrait écrire là dessus, elle répondit qu'elleen ferait un makura ; d'habitude on traduit cemot par « oreiller » ; mais à vrai dire il désigneun support, une pièce de bois plus ou moinsrembourrée à la partie supérieure, et qui,soutenant la nuque, peut permettre auxélégantes de ne pas trop gâter, pendant leursommeil, la belle ordonnance de leur coiffure :quelque chose, on le voit, qui est assezdifférent de notre oreiller. Aussi bien, lecontexte prouve que la d a m e d'honneur,prenant le papier qu'on apportait, pensaitl'employer à noter ses impressions, le soir,dans le silence de sa chambre. En donnant auxesquisses de Sei le titre qu'elles ont gardé, lesjaponais ont sans doute été heureux de mettreà profit la ressemblance du mot makura avecun autre, makkura, qui signifie « très sombre», et qui rappelle justement le début duchapitre. Ainsi entendu, le titre convient fortbien à un ouvrage qui a grand besoin d'être

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éclairé. Il est souvent traduit par « Notes del'oreiller » ; pourtant j'ai préféré, me fondantsur ce qui précède, le rendre par « Notes dechevet ». Cette traduction, qui paraît moinslittérale, me semble plus expressive et plusproche de la vérité ; mais elle n'est, je dois ledire, pas tout à fait exacte, car le mot sôshi,remplacé faute de mieux par « notes »,s'applique en réalité à un genre littéraire biendéfini, dont Sei a donné le premier et le plusparfait exemple, et qui fut représenté àdifférentes époques par des ouvrages devaleur tels que le Hôjôki, « Livre d'une hutte dedix pieds de côté » (1212), dît à l'ermite KamoChômei, et le Tsurezure-gusa ( Variétés desmoments d'ennui), écrit par l e bonze Kenkôvers 13359 .

Les sôshi, comme les nikki, sont des écritsintimes; mais, à la différence des journaux, ilsne respectent pas d'ordre chronologique ni,d'une manière générale, aucun plan. Le motzuihitsu, qui sert également à les désigner,signifie littéralement « au courant du pinceau

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» ; il s'agit en effet d'esquisses dont l'auteur ajeté sur le papier, « en laissant aller sonpinceau », toutes les idées, les images, lesréflexions qui lui sont venues en l'esprit, et c'estbien ainsi, d'après Sei elle-même, qu'elle écrivitses « Notes ».

Des copistes ont pu remanier son ouvrage ;mais sans même en tenir compte, on ne serapas surpris de voir, dans les « Notes de chevet», les sujets les plus divers se succéderimmédiatement. On ne s'étonnera point detrouver des passages qui se répètent etd'autres qui se contredisent,- on ne s'attarderapas à chercher pourquoi l'auteur parle en telendroit de ceci ou de cela, encore que l'onpuisse deviner parfois comment se lient sesidées : un mot, dans l'une de ces énumérationsauxquelles Sei accorde tant de place, luirappelle une anecdote qu'elle prend dans sessouvenirs personnels ou dans ses lectures ; oubien, au contraire, en faisant un récit ellepense à telle chose ou à telle personne, et dansson esprit elle en rapproche d'autres, dont elle

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donne la liste. Elle arrive ainsi à parler à peu près de tout ;

elle énumère les as t re s , les phénomènesmétéorologiques, les époques de l'année, leslieux et les paysages connus, les arbres, lesplantes, les oiseaux, les insectes, et l'on ne voitpas pourquoi elle néglige les mammifères,alors que le cerf, notamment, joue un grandrôle dans la poésie japonaise, où il est associé àcertaines fleurs comme la valériane, et qu'enoutre le blaireau, le renard et le chat sont leshéros de contes merveilleux.

Sei rassemble aussi les fonctions et lesrangs des hommes ; les divinités dubouddhisme et du shintoïsme, et les templesqui leur sont dédiés ; les choses fabriquées(maisons, meubles, vêtements, instruments demusique) et les productions de l'esprit (poésies,chansons, tentes sacrés, prières) ; les qualitésphysiques, esthétiques et morales, ainsi que lespersonnes qui possèdent les unes ou les autres,et les choses qui éveillent tel ou tel sentiment.

On a supposé que Sei Shônagon avait

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trouvé l'idée de ces « séries » dans un ouvrageattribué au poète chinois Li Chang-yin (nom lupar les Japonais Ri Shôin ; nom littéraire Li Yi-chan, jap. Ri Gisan ; 813 à 858). Cet ouvrage,intitule Tsa- t s 'ouan (jap. Z a s s a n) , ou «Collection mélangée », est compris dans lesT'ang tai ts'ong chou (Écrits secondaires de ladynastie T'ang) ; mais on ne saurait affirmer qu'il fût connu au Japon à l'époque de Sei, etque celle-ci pût l'imiter. M. GeorgesBonmarchand, auteur d'une savante étudepubliée en 1955 par la Maison francojaponaise de Tôkyô, ne le pense pas. Aprèsavoir soigneusement comparé le Tsa-ts'ouan,dont il donne la traduction, aux « Notes dechevet », il conclut à l'entière originalité de cesdernières.

Plutôt que Li Chang yin, l'auteur chinois quiput avoir sur Sei quelque influence est lecélèbre Po Kyu-yi (jap. Hakit Kyoi ; nomlittéraire Po Lo-t'ien, jap. Haku Rakuten ; 772-846), fortement imprégné par les idéestaoïstes, bien qu'il s'en défendît, et dont

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l'auteur des « Notes », et ses contemporains,aiment à citer les vers. C'est par l'atmosphèrequi les baigne, par leur « climat », que lesmémoires de Sei rappellent l'œuvre du poète ;mais en notant cette ressemblance, il fautpenser qu'il en est une autre, par laquelle onpourrait, au moins en partie, expliquer lapremière : le milieu où se développa le talentde Sei n'était pas sans analogie avec celui oùPo Kyu-yi avait puisé son inspiration. Si lasplendeur de la cour japonaise renouvelait lefaste de Tchang-ngan, l'adversité qui avait sidurement frappé les Tang et leur entouragen'épargnait pas les gens qui habitaient le palaisde Heian. Cette mélancolie qu'exprime Po Kyu-yi dans le « Poème des longs regrets », où ildéplore la tragique destinée de la belle YangKouei-fei, la favorite de l'empereur HivanTsong10 , Sei trouvait dans les malheurs quiaffligeaient la famille de sa maîtresse bien desmotifs pour la ressentir.

Après les énumérations, nous pouvonschercher dans les « Notes de chevet » des

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descriptions et des tableaux : Sei s'amuse àdessiner en quelques traits un véritable décorde paravent, elle évoque ainsi les paysanscoupant des roseaux au bord de la rivière. Ellese plaît aussi à peindre l'aspect d'un jardin sousla rosée matinale, ou bien la nuit, quand lesrayons de la lune allongent sur le sol lesombres des arbres. Ailleurs la toile est pluslarge, elle nous montre toute la campagne quis'étend à perte de vue, aussi blanche sous lafroide clarté lunaire que si elle était couvertede glace ; ou l'Océan avec, là-bas à l'Horizon,les barques qui semblent de petites feuilles debambou éparpillées sur les flots. Et puis voicique le cadre de nouveau se rétrécit, et c'est leport, le soir, à l'heure où les lumières desbateaux brillent comme les étoiles.

Souvent les tableaux que nous présententles « Notes de chevet » sont animés. Sei nousfait voir des hommes qui vont le dos courbésous la neige, des courtisans qui passent endérobant leur visage près du palais où sont lesdames d'honneur. des enfants qui jouent le

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soir. Ici elle brosse une vaste composition : lecortège de l'empereur, celui de l'impératrice,les processions, les cérémonies, les fêtes deK a m o et d'Iwashimizu. Là elle traite enquelques touches rapides un agréable tableaude genre, où figurent les joueurs de trictrac, lesjoueurs de dames, le messager qui se hâte, lafemme qui lit un billet doux à la lueur d'unebraise ardente, le chat, si joli, qui tire sur sacorde, o u encore le moineau qu'un appel faitaccourir.

Parfois, c'est de vraies scènes que Sei nousrégale, ou touchantes, o u gracieuses. Qu'ilssont drôles, les gamins qui cueillent desrameaux de pêcher ! Comme on enviel'enfantine gaieté des dames qui se divertissentà l'aube, dans le jardin noyé de brume, ou quimontent à la « tour de l'heure » ! Sans doute, ilest amusant de voir ce qui survient le matin,après le départ d'un galant ; mais la tristessedu jardin ravagé par la tempête de la nuit n'apas moins de charme.

Et aussi que de scènes curieuses ! Les

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compagnes de Sei soignant leur toilette avantla cérémonie des Offrandes au templeShakuzenji ; o u l'exorciste endormant lafemme qui l'assiste, et s'évertuant pour fairepasser en elle, à force d'incantations, l'espritmauvais qui tourmente une malade.

A l'occasion, ce n'est plus aux yeux, mais àl'oreille que Sei veut plaire. Elle nous fait alorsentendre le bruit, pareil à celui de la pluie, desfeuilles qui tombent à l'automne, la plainte duvent qui passe dans la chevelure des prèles, levacarme nocturne des corbeaux, l a voixenrouée des coqs, ou le son d'une clochelointaine, à l'aurore.

D'autres fois, même, c'est avec des parfumsque Sei nous captive ; c'est avec l'agrestesenteur de l'armoise qu'une roue a brisée, avecl ' a r ô m e de l'acore desséché, avecl'imperceptible odeur d'encens qu'ont gardée,après bien longtemps, des vêtements serrésdans un coffre. La fumée des torches a uneodeur qui suffit pour ravir Sei ; elle avouequ'elle aime à sentir flotter dans l'air du soir,

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après le passage d'une voiture, celle qu'ontlaissée les harnais des bœufs. Il est vrai qu'ellese raille elle-même bien vite, en ajoutantqu'une telle pensée est absurde.

Sei trace habilement les portraits ; elle nousdonne ce que l'on pourrait appeler desportraits « moraux » : ceux de personnagesq u i lui sont sympathiques ou pour qui elleéprouve de l'aversion. Il peut s'agir aussi deportraits « physiques », accompagnés pourl'o rdina ire de longues et minutieusesdescriptions de costumes, ou même remplacéspar ces descriptions : portraits d'hommes etsurtout de femmes. Parmi ces derniers, celuide l'impératrice, « merveilleusement belle »,nous est plusieurs fois présenté.

Souvent, il arrive que les figures ne portentpoint de nom. Sei nous montre ainsi lesdemoiselles d'honneur bien jolies avec leursvestes à longue traîne et leurs vêtements verttendre. Elle ne dit pas grand-chose de sescompagnes, et se critique elle-même sansindulgence.

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Si nous essayons de classer un peu lespersonnages cités dans les « Notes », noustrouvons d'abord des types généraux, qui sontnombreux et divers. Ils comprennent nonseulement des hommes, mais encore desanimaux et même des végétaux, dont Sei parleainsi qu'elle ferait d'êtres humains; parexemple quand elle s'apitoie sur le sort d'uneplante dont l'hiver a blanchi la tête, ou surcelui de l'herbe qui pousse au bord des toits.

Mais Sei, comme il est naturel, nousentretient plus fréquemment de sessemblables. De même qu'un chapitre du Genjimérite d'être intitulé « La critique des femmes», un passage des « Notes » pourrait s'appeler« La critique des hommes ». Sei exerceégalement sa verve aux dépens des femmes etdes religieux, des prédicateurs et desexorcistes. Elle trouve des accents attendrispour parler des tout-petits, du bambin qui setraîne aussi vite qu'il peut, et ramasse quelquebabiole, ou du gamin qui lit, et dont elle entendla voix juvénile. Pourtant elle n'aime guère les

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enfants mal élevés ; il lui déplaît qu'une femmedépourvue de charme ait beaucoup demarmots. Sei nous dépeint les jeunesseigneurs, un peu fous et d'une piété plutôttiède, qui passent le temps, pendant lesretraites dans les temples, à rôder autour deschambres où sont les dames. Elle blâme lesvieillards désagréables, ceux qui ne se gênentpoint pour faire la sieste quand on peut lesvoir, ceux qui n'ont aucune retenue et ceux quine soignent pas leurs manières pendant qu'ilsse chauffent au brasier.

Les époux et surtout les épouses, jalouses,boudeuses, prétentieuses, autoritaires, lesgendres et les beaux-parents, s'offrent souventaux critiques de Sei. Elle met encore en scèneles amants dont elle raille les querelles, lesséducteurs et les inconstants, les visiteursimportuns, les ivrognes et les étourdis. Lespersonnages qui l'intéressent sont de toutes lesconditions, depuis l'empereur lui-même, petit-fils des dieux, jusqu'au forgeron qui peine surson enclume, et jusqu'aux plus humbles

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serviteurs. En parcourant ses mémoires, nouscroyons rencontrer, mêlés au hasard, lespréfets et les courtisans, les officiers et lesgardes, les bonzes et les docteurs enlittérature, les paysans, les dames d'honneur,les nourrices et les servantes.

Nombre de ses contemporains sontmentionnés dans l'ouvrage de Sei Shônagon.Comme nous l'avons vu, c'est sa maîtresse,l'impératrice Sadako, qu'elle nomme le plussouvent. Parmi les autres personnages, deuxsurtout méritent l'attention ; ce sont deuxcourtisans, Fujiwara Tadanobu et FujiwaraYukinari, dont on a dit qu'ils avaient été lesamants de Sei. Nous savons seulement, là-dessus, ce que nous apprennent les « Notes dechevet » ; si, peut-être, elles donnent à penser,on n'y découvre rien qui permette d'affirmer.

Elles nous offrent, en revanche, maintesréflexions, maintes pensées, dans lesquellesnous entendons avec un agréable étonnementl'annonce de celles que noteront, quelquessiècles plus tard, nos Sévigné, nos La Bruyère,

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nos Montesquieu. Sei est perspicace, ne selaisse pas facilement abuser ; au besoin, elle necraint pas de revenir sur son opinion.

Dans son ouvrage, on trouve enfin deshistoriettes et des récits. Certains sontconsacrés à des choses dont elle a entenduparler, à des légendes; ailleurs, Sei raconte desévénements qu'elle-même a vus. Pourquelques-uns il est possible d'indiquer unedate, au moins approximative. Pour d'autres,nous ignorons absolument en quel temps ilsont eu lieu. Il faut remarquer, du reste, que les« Notes de chevet » seraient d'un faiblesecours à l'historien qui s'occuperait desaffaires importantes. A peine y trouverait-ilune allusion voilée aux compétitions quidivisèrent, après la mort de Michitaka, lafamille Fujiwara et toute la cour. Sei ne parlepas de l'exil où furent réduits les frères de samaîtresse ; elle se tait sur la rivalité de cettedernière avec la deuxième épouse dusouverain, la princesse Akiko.

Là encore, comme sur sa vie sentimentale,Sei dit seulement ce qui n'est point dangereux,et le silence qu'elle garde sur autre chose

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paraît un silence prudent. Cela nous montreque la liberté de son pinceau avait des limites,et nous conduit à examiner brièvement lesconditions dans lesquelles fut écrit sonouvrage. Deux fois, Sei assure qu'elle nepensait pas le montrer, qu'elle regrette de levoir mis au jour ; mais elle dit aussi que lesgens lui ont recommandé de ne rien omettre.Donc ils connaissaient l'existence de ses «Notes », et comment aurait-elle pu longtempsles leur cacher?

D'après le dernier chapitre, qui d'ailleurssemble apocryphe, Minamoto Tsunefusaaurait dérobé le cahier de Sei alors qu'il étaitgouverneur d'Ise. Nous savons qu'il occupa ceposte en 996 ; comme bien des événementspostérieurs sont rapportés dans les « Notes »,nous devrions donc croire qu'il s'emparaseulement d'un texte incomplet. C'est peut-êtreà la suite de ce larcin qu'elle laissa voir sesesquisses.

Quoi qu'il en soit, si elle n'écrivit pastoujours pour elle seule, Sei le fit pour ceux qui

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l'entouraient. La manière dont elle cite lesnoms de lieux, ou dont elle désigne lespersonnages par leurs titres, prouve qu'elles'adresse à des gens pour qui elle peut laisserbien des choses sous-entendues, parce qu'il lesconnaissent. Cela ne facilite guère l'intelligencede son texte, dont la plus grande partie, si onl'abordait sans préparation, serait aujourd'huiincompréhensible, même pour un japonaiscultivé.

Sei avait peut-être fait plusieurs brouillons,et les « Notes de chevet » furent souventtranscrites avant d'être imprimées pour lapremière fois, au XVIIe siècle, c'est-à-dire plusde six cents ans après leur apparition. Oncomprend donc qu'il existe d'innombrablesvariantes, et que la façon dont l'ouvrage estpartagé en chapitres ne soit pas la même danstoutes les éditions. Des commentateurs, depuisbien longtemps, se sont efforcés de corriger leserreurs des copistes, de pénétrer le sens desphrases, et d'éclaircir les idées après les mots.

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Le plus connu est Kitamura Kigin, qui fitparaître en 1674 le Shunshoshô, dont le titre,qui se lit aussi à la japonaise Haru no akebonoshô, signifie « Choix de remarques sur l'auroredu printemps », et, rappelant la première lignedes « Notes », donne à entendre que lecommentaire, pareil au soleil du matin, va lesilluminer. On cite également le livre,postérieur, de Katô Banzai.

Ces études ont été reprises à notre époquepar des érudits japonais comme MM.Mizoguchi et Kaneko, dont les ouvrages m'ontbeaucoup servi. Rien, pour moi, n'aurait puremplacer les savantes notes jointes par cesdeux auteurs, par le second surtout, aux textesdu Makura no sôshi qu'ils ont établis et publiésavec d'excellentes traductions dans la langued'aujourd'hui11 . Ces versions elles-mêmesm'ont très utilement guidé. J'ai cependanttoujours veillé à fonder la mienne

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exclusivement sur le texte ancien, et je puisfaire remarquer ici que tout en étant fortdifférente de la langue classique, cellequ'emploient à présent les Nippons garde avecelle un trait commun : extrêmement vagues,toutes deux laissent à imaginer beaucoup plusqu'elles n'expriment. En face d'une phraseobscure, l'auteur moderne peut en écrire uneautre qui ne l'est pas moins, et qui, justementpour cette raison, la rendra le mieux possible.Le français a plus de rigueur : où le japonais sepasse de pronom, il en veut toujours un; exigeque le genre et le nombre soient indiqués ; il nesouffre guère, contrairement à certaineslangues européennes, qu'on emploiesubstantivement les infinitifs. Le traducteurdoit donc pourvoir le verbe d'un sujet, qu'il asouvent bien de la peine à découvrir.

Exposer ces difficultés, c'est montrer qu'entraduisant du japonais, et particulièrementquand il s'agit du Makura no sôshi, on est àtout moment forcé de paraphraser. Presquetoujours, en s'appuyant sur le contexte, sur

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tels ou tels renseignements, l'interprète doitc h o i s i r pour chaque phrase une destraductions possibles ; il n'est jamais sûr derencontrer la pensée de l'auteur, et, dans le casle plus favorable, il regrettera de ne pouvoir endonner qu'un aspect : de la pierre qu'il tiententre ses doigts, seule une facette ne s'éteindrapas.

Le traducteur de japonais trouverait là,sans doute, une raison suffisante pour resterhumble ; mais une autre, plus forte, luiapparaît quand l'original a des beautés qu'il nesaurait se flatter de rendre. Telles sontassurément les « Notes de chevet », dont lestyle est un des meilleurs que l'on puisseapprécier dans toute la littérature japonaise, àla fois par sa souplesse et par sa couleur.Parfois une peu rude, et même vert, il est leplus souvent délicat, orné d'images e t aussi,suivant le goût oriental, de calembours.

L'auteur se sert habilement des procédésdont j'ai parlé à p r o p o s des poèmesqu'aimaient à composer les courtisans de

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Heian. Quelques-unes de ces poésies, dues àSei ou à d'autres personnages, sont inséréesdans les « Notes de chevet ». A part deux outrois (ceux, peut-être, où les flocons de neigesont assimilés à des pétales), les vers qu'ellereproduit sont pour nous ce qu'il y a de moinspoétique dans son ouvrage ; mais nous devonsprendre garde que leurs auteurs se sontseulement proposé de montrer leur érudition,leur finesse et leur présence d'esprit.

C'est par cette dernière qualité que Sei brillesurtout, plutôt que par son savoir, dont ontrouve sans difficulté l'équivalent sans quitterle cercle, assez étroit, de ses compagnes et deses amis. En même temps que ce trait, il en estd'autres, marquant sa personnalité, quiapparaîtront aux lecteurs des « Notes ». Pourson physique, ils estimeront que La Fontaineaurait pu lui appliquer le vers fameux où ilcélèbre « la grâce, plus belle encore que labeauté ». Sa nature morale leur semblerasingulièrement complexe : parfois ingrate etparfois reconnaissante, ici peu obligeante et

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ailleurs charitable, elle n'abandonna pas samaîtresse malheureuse. Animée d'une foibouddhique réelle, sinon très vive, et sachantestimer les vertus d'un saint prêtre, elle n'étaitpoint bigote.

Elle appréciait un peu trop le plaisir depiquer les gens, qui ne le méritaient pastoujours, et comme elle aimait à se faire valoir,elle fut sévèrement jugée par MurasakiShikibu ; celle-ci, à l'égard de son émule,n'était peut-être, au demeurant, pas tout à faitéquitable! Sans doute Sei craignait-elle plusd'avoir l'air suranné, ou provincial, que dedonner prise à la critique par la liberté de sesallures et de sa vie privée ; en cela elle n'étaitpas différente de ses contemporains, au milieudesquels, de ce point de vue, Murasaki sembleune exception. Les Japonais aiment àcomparer l'auteur du G e nji à la fleur duprunier, toute blanche, immaculée. Aprèsavoir feuilleté les « Notes » de Sei, on serad'accord avec eux, je l'espère, pour penserqu'elle est pareille à la fleur du cerisier, dont la

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teinte rosée, moins pure, a plus d'attrait. Je laisse à chacun le soin ou, je veux croire,

le plaisir de chercher, parmi les figuresféminines qui ornèrent notre ancienne cour,celles que peut lui rappeler Sei, et j'achève enadressant une prière à tous ceux qui,d'aventure, parcourront cette version duMakura no sôshi. ,Que de temps à autre,fermant le livre, ils laissent errer leur regardou seulement leur pensée sur l'un de cese m a k i- m on o r i c h e m e n t enluminés, quimontrent, en des salles que l'artiste paraîtavoir vues au travers du toit, les seigneurs etles dames dont les vêtements s'étalent commedes corolles ou comme les ailes des papillons,ou bien ces mêmes personnages près demonter dans les chars que des bœufs,lentement, vont tirer. Peut-être alors, oubliantla forme de ma traduction, mais gardant enl'esprit le souvenir des choses qu'elle évoque,pourront-ils goûter un peu du charme quiretient les lecteurs du texte japonais.

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A. B.Paris, décembre 196o.

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LES NOTES DE CHEVET

1. Au printemps, c'est l'aurore...

Au printemps, c'est l'aurore que je préfère.La cime des monts devient peu à peu distincteet s'éclaire faiblement. Des nuages violacéss'allongent en minces traînées. En été, c'est lanuit. J'admire, naturellement, le clair de lune ;mais j'aime aussi l'obscurité où volent en secroisant les lucioles. Même s'il pleut, la nuitd'été me charme. En automne, c'est le soir. Lesoleil couchant darde ses brillants rayons ets'approche de la crête des montagnes12 . Alorsles corbeaux s'en vont dormir, et en les voyantpasser, par trois, par quatre, par deux, on sesent délicieusement triste. Et quand les longuesfiles d'oies sauvages paraissent toutes petites !c'est encore plus joli. Puis, après que le soleil adisparu, le bruit du vent et la musique desinsectes ont une mélancolie qui me ravit. Enhiver, j'aime le matin, de très bonne heure. Il

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n'est pas besoin de dire le charme de la neige ;mais je goûte également l'extrême pureté de lagelée blanche ou, tout simplement, un trèsgrand froid ; bien vite, on allume le feu, onapporte le charbon de bois incandescent ; voilàqui convient à la saison. Cependant, àl'approche de midi, le froid se relâche, il estdéplaisant que le feu des brasiers carrés ouronds se couvre de cendres blanches.

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2. Les époques13

Parmi les époques, j'aime le premier mois, letroisième mois, les quatrième et cinquièmemois, le septième mois, les huitième etneuvième mois, le douzième mois ; tous ont leurcharme dans le cours des saisons. Toute l'annéeest jolie.

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3. Le premier jour de l'an Le premier jour de l'année, surtout, me plaît.

Le ciel pur s e voile d'une merveilleuse brume.Tous les hommes soignent particulièrementleur figure et leur tenue, ils présentent leurssouhaits au Prince et aussi à eux-mêmes. C'estvraiment ravissant.

Le septième jour, on va cueillir les « jeunes

plantes14 », vertes dans les endroits où la neigea fondu. Quelle agitation parmi les dames,charmées de trouver ces plantes si près duPalais, où l'on n'est pas habitué à les voir !

Ce jour-là, les gens qui demeurent en dehors

du Palais y viennent dans des voituresmagnifiquement ornées, pour admirer les «chevaux blancs15 ». Au moment où le véhiculepasse le seuil de la porte centrale16 , la secoussefait rouler et se heurter les têtes des dames ;leurs peignes tombent, et si l'on n'y prendgarde, ils sont brisés sous les pieds ; il est

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amusant d'entendre alors les rires. Une fois que j'étais venue, ainsi, voir la

procession des « chevaux blancs », denombreux courtisans, se tenant près du posteoù veille la garde du Palais, de gauche17 ,prirent les arcs des hommes d'escorte ; enriant, ils s'en servirent pour effrayer leschevaux. De notre voiture, nous pouvions àpeine les regarder par une des portes du Palaisintérieur ; nous aperçûmes cependant desécrans de jardin, près desquels on voyait alleret venir des femmes de l'office domestique18 etdes dames employées au Palais. C'était bien joli.Comme je m'émerveillais, en me demandantquelles gens pouvaient être ainsi habitués àvivre à l'intérieur des « Neuf Enceintes19 », leshommes d'escorte, dans la procession,passèrent à côté de nous, si près que nousvoyions distinctement le plus petit grain sur lapeau de leur visage. Leur fard n'avait pointt e nu partout, et leur figure faisait en véritépenser à un jardin couvert de neige, où celle-ci

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a fondu irrégulièrement, et laisse apercevoir çàet là le sol noir. C'était fort laid. Cependant, letumulte des chevaux qui se dressaientm'effraya ; je me retirai en arrière, dans lavoiture, et je ne vis plus rien.

Le huitième jour20 , grande agitation : touscourent faire leurs compliments, et, ce jour-làsurtout, le bruit des voitures est plus fort quede coutume ; c'est bien amusant.

Le quinzième jour, pleine lune21 ; c'est la fête

de la bouillie22 . Dans chaque maison, les damesjeunes ou plus âgées s'épient mutuellement.Chacune cache derrière elle une baguette ayantservi à remuer la farine délayée, il est plaisantde les voir sans cesse se retourner avecinquiétude en prenant bien garde d'êtrebattues. Tout à coup, on ne sait comment, l'unee s t atteinte ; la joie est extrême et les rireséclatent. C'est splendide ; mais celle que l'on afrappée peut vraiment en ressentir du dépit.

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Le matin d'une de ces fêtes, les damesattendaient avec impatience le départ pour lePalais d'un nouveau gendre, qui, depuis l'annéeprécédente, venait voir une fille de la maison23

. Rassemblées au fond de la salle, ellesregardaient furtivement, et chacune espérait lebattre ; mais, en avant, se trouvait une autrepersonne, et cette dernière, les observant etcomprenant leur intention, se mit à rire. Sescompagnes l'avertirent, par signes, qu'ellefaisait trop de bruit ; cependant, le seigneurgendre restait là très digne, et semblait ne sedouter de rien. Alors, une des dames s'approchaen disant qu'elle voulait prendre quelque objetprès de lui ; en courant, elle lui donna un coupde sa baguette, et s'enfuit. Tout le monde rit. Leseigneur lui-même n'eut aucune paroledésagréable, il sourit gracieusement, sans êtrebeaucoup effrayé; son visage se teintaseulement d'un rose léger. C'était charmant.

Quand les dames se battent ainsi, l'unel'autre, il arrive que les hommes se mettent dela partie. Que peuvent-elles alors penser ? Elles

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pleurent, s'emportent, maudissent ceux qui lesont frappées, en parlent avec aversion. Quec'est amusant ! La confusion est partout auPalais et, ce jour-là, même pour les hautspersonnages, il n'est plus d'étiquette.

Quel curieux spectacle on voit partout, au

Palais Impérial, à l'époque où sont nommés lespréfets24 ! Malgré la neige ou le verglas, lescandidats vont et viennent, portant leursplacets. Les fonctionnaires des quatrième etcinquième rangs qui sont jeunes et gaissemblent pleins de confiance. Ceux dont l'âge ablanchi la tête recherchent toutes lesprotections ; ils viennent jusque dans leschambres où sont les dames du Palais, ets'évertuent pour exposer leurs propresmérites. Comment donc sauraient-ils qu'aprèsleur départ, les jeunes personnes rient en lescontrefaisant ? « Ayez la bonté de dire ceci àl'Empereur, à l'Impératrice », vont-ils répétant.S'ils obtiennent la place qu'ils désiraient, c'estbien ; mais s'ils échouent, que leur sort est à

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plaindre ! Le troisième jour du troisième mois25 ,

j'aime que le soleil brille dans un ciel pur etcalme. Les pêchers commencent à fleurir et,pour sûr, les saules sont aussi très jolis. Leursbourgeons sont encore enveloppés d'ouate, etc'est ravissant ainsi : quand elles sont ouvertes,les feuilles de saule sont laides. Au reste, dèsque les fleurs sont tombées, tous les arbres meparaissent sans charme.

Lorsqu'on a cueilli une longue branche decerisier, gracieusement fleurie, et qu'on l'a misedans un grand vase à fleurs, c'est vraimentdélicieux, surtout s'il se trouve là quelquevisiteur en manteau de cour, couleur decerisier, dont les manches laissent voir levêtement de dessous ; ou même l'un des jeunesseigneurs, frères aînés de l'Impératrice. Ons'assied alors tout près de ce vase fleuri, oncause de toutes choses. C'est très agréable ; etc'est encore plus charmant si, alentour, vientvoler quelque oiseau ou quelque papillon aux

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couleurs éclatantes. A l'époque où l'on célèbre la fête de Kamo26 ,

tout parait extraordinairement joli. Les arbresont de jeunes feuilles d'un vert tendre ; maisaucun n'en est encore abondamment garni.Sans avoir pensé d'avance à l'admirer, on estcharmé par la beauté du ciel, qui n'est caché nipar la brume ni par le brouillard ; mais queldoux émoi on ressent quand, vers le soir, alorsque le ciel s'est couvert de quelques nuages, oubien dans la nuit, on entend le chant d'uncoucou qui se cache, si lointain, si indistinct, quel'on doute de ses oreilles !

Quand la fête est proche, il est amusant devoir aller et venir les serviteurs, portant despièces d'étoffe « vert et feuille-morte » ouviolette, pliées, qu'ils ont enveloppées dans dupapier, à la hâte, et mises dans les couverclesde « longues boites ». Vers ce temps, les tissusde nuances dégradées ou mélangées, ceux quel'on a teints après les avoir roulés, puis tordus,semblent plus jolis que de coutume.

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Les jeunes filles qui doivent suivre le cortègeont eu leurs cheveux lavés et peignés ; maistoutes portent encore leurs vêtementsordinaires, fanés et décousus ; il en est mêmedont les habits sont en désordre. Cependant,quelle confusion lorsqu'on leur ordonne d'enfilerles cordons de leurs sandales ou de leurssouliers, et de battre la doublure de leurschaussures ! J'aime à les voir courir pourtromper leur impatience, avant le jour attendu ;mais quand elles ont revêtu le costumed'apparat, il est curieux, aussi, de les regarder :elles qui d'habitude marchent en sautantdrôlement, elles vont lentement de-ci, de-là,avec l'extrême gravité du bonze qui précèdeune procession. J'aime encore à voir les mères,les jeunes tantes, les sœurs aînées, chacuneparée suivant son rang, qui accompagnent lesjeunes filles, dont elles corrigent la mise tout enmarchant.

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4. Choses particulières Langage de bonze. Langage d'homme et

langage de femme27 . Langage des gensvulgaires : leurs mots ne manquent pas d'avoirune syllabe de trop.

Il est vraiment pitoyable que des gens qui

sans doute aiment leurs enfants puissent enfaire des bonzes. Assurément, c'est un état quipromet beaucoup28 ; mais le monde l'estimeaussi peu qu'un méchant morceau de bois29 , etvoilà qui est regrettable. Les bonzes font demauvais repas d'abstinence, et dorment mal ;ils n'en ont pas moins, quand ils sont jeunes, lesenthousiasmes de leur âge, et comment neregarderaient-ils pas, sans en avoir l'air, du côtéoù sont les femmes ? La foule y trouvecependant à redire ! Le sort d'un exorciste30

e s t encore plus pénible. Tandis qu'il marche,qu'il va en pèlerinage à Mitake, à Kumano31 , àtoutes les saintes montagnes, sans en omettre

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une seule, il doit subir de terribles épreuves.Lorsque ses prières sont efficaces et que sarenommée commence à se répandre, onl'appelle de toutes parts, et plus il est à la mode,moins il a de tranquillité. Parfois, quandl'exorciste est auprès d'une personnegravement malade, il a beaucoup de peine àdompter l'esprit mauvais, il tombe de fatigue etde sommeil ; alors les gens le blâment en disantqu'il ne fait que dormir. Quel embarras pour lui! et que peut-il penser ? Mais tout cela, c'est ceque l'on voyait jadis. Les bonzes semblent avoir,aujourd'hui, une vie plus facile.

Quand l'Impératrice32 se rendit33 à la

maison de l'Intendant Narimasa, son palanquinentra par la porte de l'est, établie pour lacirconstance sur quatre piliers. Les damesd'honneur voulurent faire passer leur voiturepar la porte du nord, près de laquelle il n'y avaitpoint de poste de gardes. Celles dont la coiffureétait défaite n'avaient pas pris le soin de laremettre en ordre, pensant avec dédain que,

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seuls, les domestiques qui feraient approcher levéhicule de la maison34 nous pourraient voir.Cependant, comme la porte que nous avionschois ie était trop étroite, notre voiture,couverte de palmes, n'y put passer et restaprise. On étendit sur le sol, ainsi qu'on acoutume, des nattes pour nous préparer unchemin, et nous descendîmes. Nous étionsfurieuses ; mais qu'aurions-nous pu faire ?Nous eûmes même le désagrément d'être vuespar des courtisans et des gens de rang inférieurqui se tenaient près du poste des gardes.Arrivées devant l'Impératrice, nous luicontâmes ce qui était advenu ; elle dit en riant :« N'y a-t-il donc pas, ici également, des gens quipeuvent vous regarder ? Pourquoi avez-vousété si négligentes ? — Sans doute, répondis-je ;mais comme tout le monde, dans cette maison,a l'habitude de nous voir, si notre toilettemontrait trop de recherche, certains s'enétonneraient. Et puis, est-il possible qu'unpareil palais ait une porte trop étroite pour unevoiture ? Je rirai bien quand je verrai

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l'Intendant ! » Juste à ce moment, il entra,portant une écritoire qu'il me pria de donner àl'Impératrice. « Voilà, lui dis-je, qui est bienmal, pourquoi habitez-vous une maison dont ona fait les portes si étroites ? — Ma maison,répondit-il en souriant, est appropriée à macondition. — Pourtant, j'ai entendu parler dequelqu'un qui avait fait bâtir une porte trèshaute, autant qu'il avait été possible! — C'esteffrayant! s'écria-t-il, surpris, vous voulezparler d'U Teikoku35 . J'aurais cru que l'on nepouvait connaître ces choses-là si l'on n'était unvieux savant. C'est seulement parce que je mesuis moi-même hasardé dans cette voied'études que j'ai pu comprendre votre allusion.— Votre voie, répliquai-je, ne semble guèreremarquable. On a étendu un chemin de nattesqui a fait tomber tout le monde, et c'était unbeau désordre! — Il pleuvait, dit-il, et sansdoute était-ce en vérité comme vous l'assurez ;mais laissons cela, je ne sais ce que vouspourriez ajouter encore ; je vous quitte. » Et ils'en alla. « Qu'y avait-il ? demanda

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l'Impératrice. Narimasa semblait toutdécontenancé. — Ce n'est rien, répondis-je alors; je lui disais comment notre voiture n'avait puentrer » ; puis je me retirai dans ma chambre.

Plusieurs jeunes personnes y logeaient avecmoi. Nous étions toutes si fatiguées que nousnous endormîmes sans nous occuper de rien.Nous logions dans l'aile de l'est, et il n'y avaitpas de verrou à la porte à coulisse, située aunord, qui ouvrait sur la salle abritée sousl'appentis de l'ouest ; mais nous ne nous étionspas même renseignées là-dessus. Narimasa, quiconnaissait bien les aîtres, puisque la maison luiappar t e nait , vint à notre chambre ;entrebâillant la porte, il demanda plusieurs fois,d'une voix étrange, rauque « Que diriez-vous sij'entrais ? » Comme je m'éveillais et regardais,surprise, la lumière d'une lampe placée derrièrel'écran36 me le fit voir distinctement. Il parlaiten ouvrant la porte d'environ cinq pouces.C'était fort drôle. J'avais aussi beaucoup deplaisir à penser qu'à l'ordinaire, cet homme

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n'aurait probablement jamais fait, même enrêve, une chose aussi déraisonnable. S'il avaitainsi agi à sa fantaisie, c'était, pour sûr, parceq u ' i l avait supposé, après l'arrivée del'Impératrice dans sa maison, qu'un pareilhonneur lui donnait tous les droits. J'éveillai ladame qui dormait à côté de moi, et luimurmurai : « Regardez cela ; vous n'avez, jecrois, jamais rien vu de pareil. » Toutes lesdames, levant la tête, regardèrent et se mirentà rire en apercevant Narimasa. « Qui est là ?demandai-je, montrez-vous franchement. — Iln'y a rien d'important, répondit-il. Le maître dela maison veut seulement discuter quelquepoint avec la dame qui gouverne la chambre. —Je vous avais parlé, répliquai-je, de l'entrée devotre cour ; mais vous avais-je dit d'ouvrircette porte à coulisse ? — C'est justement àpr opos de ma porte que je voulais vousentretenir ; vraiment, ne puis-je entrer uninstant ? » Les dames rirent en déclarant : «C'est trop désagréable. Non, il ne faut pas qu'ilentre. » « Ah ! s'écria l'Intendant; il y a là de

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jeunes dames ! » Après avoir fermé la porte, ils'en alla. Les rires redoublèrent quand il futparti. Puisqu'il était venu dans l'intentiond'ouvrir cette porte, il aurait mieux fait d'entrerd'abord, sans rien demander ; mais si quelqu'uns'annonce comme Narimasa avait fait, qui donclui répondra que c'est bien, et qu'il peut entrer? C'était vraiment amusant, et le lendemainmatin, quand je fus près de l'Impératrice, je luiracontai les événements de la nuit ; elle merépondit en riant : « Je n'ai jamais entendu direu ne pareille chose de Narimasa ; sans douteest-il allé vous voir parce que votre allusiond'hier soir l'avait charmé. Il me fait pitié, je suisdésolée que vous lui ayez parlé si vilainement !»

Un jour, l'Impératrice expliquait à Narimasa

comment on devait faire les costumes d'apparatdestinés aux jeunes filles appartenant à la suitede la Princesse Impériale37 . « Et le vêtementqu'elles mettront par-dessus le gilet38

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demanda-t-il, de quelle couleur doit-il être ? »Les rires que l'on entendit étaient justifiés,cette fois encore. Narimasa dit peu après : « Sil'on présente à la Princesse de la vaisselleordinaire, ce sera laid ; il faudrait, ce mesemble, un « peutit39 » plat et un « peutit »plateau. — Il faudrait aussi, lui dis-je, qu'elle eûtauprès d'elle des jeunes filles portant levêtement que l'on met par-dessus ! » Maisl'Impératrice me tança : « Ne le raillez pas ainsi,comme font les gens ordinaires. C'est un sibrave homme ! J'ai pitié de lui. »

La réprimande même me fut agréable. Alors que j'étais occupée, ne me souciant pas

de recevoir des visites, on vint m'avertir quel'Intendant était là et désirait me parler.L'impératrice, ayant entendu, me demanda : «Que va-t-il encore dire pour se rendre ridicule? » ce qui m'amusa fort. Comme ellem'ordonnait d'aller voir, je sortis tout exprès, etNarimasa me dit : « J'ai raconté au Deuxièmesous-secrétaire d'État40 l'histoire de ma porte,

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de l'autre soir, et il a beaucoup admiré votreesprit. Aussi veut-il absolument avoir, aupremier moment favorable, un entretien avecvous pour discuter la question. » L'Intendantn'ajouta rien. je me demandais, le cœur battant,s'il allait me parler de ce qui s'était passécertaine nuit ; mais il me dit seulement, enprenant congé : « Un de ces jours, j'irai vousvoir dans votre chambre, et nous pourronscauser à loisir » ; puis il s'éloigna. Quand je fusrevenue près de l'Impératrice, elle voulutsavoir de quoi il s'agissait. Je lui répétaifidèlement ce que Narimasa m'avait dit, etj'ajoutai en riant : « La chose n'était pastellement urgente qu'il eût besoin de se faireannoncer pour cela, et de me prier de sortiralors que j'étais de service ; il pourrait bienvenir me parler, tout simplement, quand je suistranquille dans ma chambre. — Il aura pensé,répondit l'Impératrice, que des louanges faitespar une personne dont il estime lui-même lasagesse vous seraient agréables, il aura vouluvous en informer bien vite. » Qu'elle était belle

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en me parlant ainsi ! L'Empereur41 avait accordé le cinquième

rang42 à l'auguste chatte du Palais. Elle senommait Myôbu no Omoto, et, comme elle étaitfort jolie, Sa Majesté voulait qu'on veillât surelle. Un jour43 , cependant, elle était sortie etse tenait sur la véranda, près du bord ; Uma noMyôbu, la dame qui avait charge de la soigner,l'appela : « Allons, mal élevée ; rentrez, s'il vousplaît ! » Mais la chatte ne l'écouta pas, elles'étira au soleil, ensuite elle s'endormit. Pourl'effrayer, la dame parla du chien, et cria «Okinamaro, où es-tu ? Viens mordre Myôbu noOmoto » Le sot entendit et crut qu'elle disaitcela sérieusement ; il s'élança sur la chatte, quise réveilla, épouvantée, puis se réfugia derrièrele store, dans la salle à manger de l'Empereur,où Sa Majesté se trouvait justement.L'Empereur, en voyant la chatte accourir, futtrès étonné ; il la mit sur sa poitrine, sous sonvêtement, et appela les courtisans. Lechambellan Tadataka vint, et l'Empereur

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ordonna : « Que l'on châtie comme il fautOkinamaro, et qu'on l'envoie à l'île des chiens !Sans délai! » Tous les domestiques se lancèrent,en désordre, à la poursuite du coupable.L'Empereur réprimanda aussi Uma no Myôbu,et déclara qu'il lui retirait sa charge, car on nepouvait avoir aucune confiance en elle. Ladame, s'inclinant respectueusement, sortit et nereparut pas devant Sa Majesté. Quant au chien,il fut chassé du Palais et poursuivi par desgardes appartenant au service des chambellans.Nous disions, désolées : « Hélas ! pauvre chien.Lui qui marchait avec tant de fierté ! Letroisième jour du troisième mois44 , alors que leCenseur sous-chef des chambellans45 lepromenait, couronné d'une guirlande de feuillesde saule, avec des fleurs de pêcher sur la tête etdes fleurs de cerisier sur le dos, aurait-on penséqu'il dût avoir un sort pareil ? Au moment desrepas il ne manquait jamais de venir près denous. Quelle tristesse ! »

Trois ou quatre jours s'étaient ainsi écoulésquand, vers midi, nous entendîmes des

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aboiements répétés. Nous nous demandionsquelle bête pouvait crier si longtemps ; et tousles chiens se précipitèrent en tumulte pour allervoir. Une femme employée au balayage descabinets accourut en disant : « Ah ! c'estaffreux, il y a là deux chambellans qui battentun pauvre chien. Sûrement il va mourir ; on lepunit parce qu'il est revenu après avoir étéchassé ! » Quelle triste chose ! Il devait s'agird'Okinamaro. La femme ajouta que c'étaitTadataka et Sanefusa qui battaient ce chien, etj e venais d'envoyer une servante les prier des'arrêter, quand, à la fin, les aboiementscessèrent. La servante, à son retour, nousapprit que le chien était mort, et qu'on l'avaitjeté par une des portes de l'enceinte. Vers lesoir. comme nous déplorions le sort de lapauvre bête, un chien horriblement enflé, quiparaissait pitoyable, s'approcha de nous entremblant. « Serait-ce Okinamaro ?demandions-nous. Quelqu'un a-t-il pu voir, cestemps derniers, un chien comme celui-ci ? »Nous appelions : « Okinamaro ! » Mais il n'avait

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pas l'air de comprendre, et nous n'étions pasd'accord, les unes affirmant que c'était notrec h ie n , les autres soutenant le contraire.L'Impératrice dit alors : « Ukon46 le connaîtbien, appelez-la donc. » Ukon se trouvait danssa chambre ; on alla aussitôt la chercher en luiassurant qu'il s'agissait d'une chose urgente, etdès qu'elle fut arrivée, l'Impératrice luidemanda si cet animal était Okinamaro. Ukonrépondit qu'il lui ressemblait, mais qu'il étaittrop dégoûtant. « Et puis, poursuivit-elle,quand j'appelais Okinamaro par son nom, ilaccourait joyeusement ; j'ai beau appeler celui-ci, il ne vient pas ; ce n'est pas lui ; du reste, onm'a dit qu'on avait tué Okinamaro à force decoups et qu'on l'avait jeté dehors ; commentpourrait-il être encore vivant, après avoir étébattu par deux hommes de cette force ? »L'Impératrice en fut tout attristée. Le soirétant venu, on donna quelque chose au chien ;mais il ne mangea pas, et nous finîmes parconclure que ce n'était pas le nôtre.

Le lendemain matin, j'allai auprès de

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l'Impératrice pour la coiffer. Je lui présentail'eau pour les mains, puis elle m'ordonna detenir son miroir. Pendant que je faisais commeelle m'avait dit, j'aperçus le chien de la veille quiétait humblement couché au pied d'un pilier. «Hélas ! murmurai-je, qu'il est triste de penserqu'hier on a battu si cruellement Okinamaro, etqu'il doit être mort ! Dans quel corps aura-t-ilpu renaître cette fois ? Comme il a dû souffrir !» Le chien qui était couché là, entendant cesparoles, se mit à trembler et à verser deslarmes et encore des larmes. Nous restionsstupéfaites. « C'était bien Okinamaro, ajoutai-je; mais hier soir, il n'a pas osé se fairereconnaître. » Il n'est pas de mots pour direcombien nous nous sentions émues etcharmées. Je posai le miroir, et j'appelai : «Alors ! Okinamaro ! » Le chien s'étira tout àplat sur le sol, il aboya joyeusement.L'Impératrice souriait en l'entendant ; toutesles dames se rassemblèrent, et Sa Majestémanda de nouveau Ukon, la fille d'honneur ; ellelui raconta ce qui s'était passé, ce qui fit rire et

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s'exclamer tout le monde. L'Empereur,apprenant la chose, vint et dit avec un sourire :« C'est surprenant. Penser qu'un chien a uncœur pareil ! » Les dames d'honneur del'Empereur accoururent aussi en foule, et cettefois› quand on l'appela, le chien se leva et fitquelques mouvements. Sa face, cependant,était encore gonflée. « Il faudrait lui donner àmanger », dis-je ; et l'Impératrice, toutejoyeuse, se mit à rire en déclarant : « A la fin, ila bien fallu qu'il se dénonçât. » Tadataka,arrivant de l'office, s'écria : « Vraiment, c'est lui? Je ne croirai rien avant de l'avoir vu » ; maisje répondis : « Hélas ! c'est affreux, ce n'est paslui ! — De toute façon, répliqua-t-il, je finirai parvoir ce chien ; vous ne sauriez le cacher assezbien pour que je ne puisse l'apercevoir ! »Bientôt, l'ordre impérial d'expulsion fut annulé,Okinamaro retrouva son bonheur passé. Encoremaintenant, je me souviens, avec -une émotionsans égale au monde, du moment où, tandis quenous le plaignions, il s'approcha tremblant etpleurant mes larmes coulent lorsqu'on m'en

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parle. Le premier jour de l'an47 et le troisième du

troisième mois, il convient que le ciel soit trèsclair. Le cinquième jour du cinquième mois, ilvaut mieux qu'il reste couvert toute la Journée.Le septième jour du septième mois, j'aime quele ciel soit d'abord nuageux et qu'il s'éclaircissevers le soir. Il faut que la lune y resplendisse, etqu'on puisse voir la forme des constellations. Leneuvième jour du neuvième mois, si dès l'aubeil tombe un peu de pluie, les chrysanthèmessont mouillés d'une abondante rosée, le duvetde soie dont on les a couverts est tout humide.On célèbre alors le parfum qui l'a pénétré ; si, lapluie ayant cessé de bonne heure, le ciel restesombre et le temps menaçant, c'est délicieuxencore.

Qu'il est amusant de voir les fonctionnaires

nouv ellement promus quand ils viennent,respectueusement, remercier l'Empereur et leféliciter. Derrière eux, un serviteur a relevé la

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traîne de leur vêtement, ils ont à la main leurtablette, et ils se tiennent en face de sa Majesté.Ils se prosternent et se trémoussent avecanimation.

A la partie orientale du Palais actuel48 , on a

donné le nom de « poste du nord ». Il s'y dresseun chêne si haut que l'on se demande toujours,en le voyant, combien il a de brasses. Le Vice-capitaine de la garde du corps49 dit une fois : «O n devrait le couper au pied et en faire unéventail pour l'Évêque50 Jôshô51 » Or, il arrivaque cet évêque fut nommé intendant du templede Yamashina52 , et vint présenter seshommages à l'Empereur. Le Vice-capitaine, ensa qualité d'officier appartenant à la garde ducorps, se trouvait là, et comme l'Évêque avaitmis de hautes chaussures, il était d'une tailleeffrayante. Après son départ, je demandai auVice-capitaine : « Pourquoi cela ? Vous ne luiavez pas donné son éventail Vous n'oubliez rien! » — me répondit-il en riant.

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5. Montagnes53

La montagne d'Ogura, le mont Mikasa54 , la

montagne de Konokure, celle de Wasure, lamontagne d'Iritachi, la montagne de Kase, lamontagne de Hiwa. La montagne de Katasari55

; vraiment, il est bien amusant de se demanderdevant qui elle a été si réservée !

La montagne d'Itsuwata, la montagne deNochise, la montagne de Kasatori, la montagnede Hira. Au sujet de la montagne de Toko56 , ilest charmant de se rappeler la poésie qu'unempereur aurait, composée : « Ne divulgue pasmon nom. »

La montagne d'Ibuki57 . A propos de lamontagne d'Asakura58 , il est très amusant depenser que, sans doute, les amis d'autrefois sesont revus ailleurs ! La montagne d'Iwata. Lamontagne d'Ôhire59 me plaît aussi : son nom nemanque pas de me faire songer aux envoyésimpériaux à la fête spéciale d'Iwashimizu.

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La montagne de Tamuke. La montagne deMiwa60 me charme.

La montagne d'Otowa. Les montagnes deMachikane, de Tamasaka, de Miminashi, deSue-no-matsu, de Katsuragi61 . L'augustemontagne de Mino. La montagne de Hahaso.Les montagnes de Kurai, de Kibi-no-naka,d'Arashi, de Sarashina, d'Obasute62 , d'Oshio,d'Asama, de Katatame, de Kaeru, d'Imose.

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6. Pics

Les pics de Yuzuruwa, d'Amida, d'Iyataka.

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7. Plaines Les plaines de Takawara, de Mika, d'Ashita,

de Sonowara, de Hagiwara, d'Awazu, de Nashi,d'Unaiko, d'Abe, de Shino.

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8. Marchés63

Le marché de Tatsu. Parmi tous les marchés

du Yamato, celui de Tsuba mérite une attentionparticulière, car les pèlerins qui vont au templede Hase ne manquent pas de s'y arrêter peut-être a-t-il avec Kwannon64 une affinité spéciale?

Les marchés d'Ofusa, de Shikama, d'Asuka.

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9. Gouffres Le gouffre de Kashikofuchi65 . Il est très

amusant de se demander quel profond esprit ona pu lui trouver pour lui donner ce nom ! Legouffre de Nairiso66 . A qui cet avis était-ildestiné, par qui peut-il avoir été donné ?

Le gouffre d'Aoiro67 me charme aussibeaucoup : on en aurait pu faire le costume deschambellans.

Les gouffres d'Inabuchi, de Kakure, deNozoki, de Tama.

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10. Mers Le lac Biwa68 . Les mers de Yosa, de

Kawaguchi, d'Ise.

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11. Bacs

Les bacs de Shikasuga, de Mitsuwashi, de

Korizuma.

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12. Tombes Impériales Les tombeaux de l'Uguisu69 , de

Kashiwabara, d'Arne.

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13. Édifices La Porte de la garde du corps. Le Palais de la

Deux ième avenue et celui de la Premièreavenue sont beaux aussi.

Les Palais de Somedono, de Seka, deSugawara, de Renzei, de Suzaku. Le Palais oùrésida l'empereur qui avait abdiqué7 0 . LesPalais d'Onu, de Kôbai, d'Agata-no-ido ; lePalais de la Troisième avenue orientale, le PetitPalais de la Sixième avenue, le Petit Palais de laPremière avenue.

Sur l'écran dressé devant la baie ouverte au

nord de la salle qui occupe l'angle du nord-est,au Palais pur et frais7 1 , on voyait représentél'Océan déchaîné, avec lei êtres horribles quil'habitent : des monstres aux longs bras, auxjambes démesurées. Quand la porte de lachambre où se tenait l'Impératrice étaitouverte, nous voyions constamment cesaffreuses peintures, et nous avions accoutumé

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d'en rire avec répugnance. Un jour7 2 , nousnous divertissions ainsi ; près de la balustrade,on avait placé de grands vases de porcelaineverte, et on y avait mis quantité de branches decerisier, longues d'environ cinq pieds, dont lesfleurs ravissantes débordaient jusqu'à cettebalustrade. Vers midi, arriva le Seigneurpremier sous-secrétaire d'État7 3 . Il portait unmanteau de cour, couleur de cerisier, à peineassoupli, et un pantalon à lacets, d'un violetsombre. Son blanc vêtement de dessousdépassait un peu et laissait voir un joli dessincramoisi foncé. Comme l'Empereur se trouvaitauprès de son Épouse, le Sous-secrétaire vint,pour parler au Souverain, s'asseoir sur leplancher, dans l'étroit espace devant la porte.Derrière le store étaient les dames d'honneur,avec leurs amples manteaux chinois, couleur decerisier, qu'elles laissaient retomber sur leursépaules, leurs costumes couleurs de glycine, dekerrie7 4 de toutes les nuances aimées, dontbeaucoup débordaient sous le store7 5 qui

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pendait, jusqu'à mi-hauteur, devant l'entrée dela galerie du nord. A ce moment, on servit ledîner dans les appartements impériaux. Il y eutun grand bruit de pas, et nous entendîmesdistinctement quelqu'un ordonner : « Faitesplace, faites place ! » L'aspect du ciel pur etserein était merveilleux, et quand leschambellans eurent apporté les derniers plats,le dîner fut annoncé; l'Empereur sortit par laporte du milieu, accompagné par le Sous-secrétaire, qui revint ensuite près des fleurs.L'Impératrice écarta son écran, et s'avança surle seuil7 6 . Tout, en cet instant, charmait lesyeux, et les dames, ravies, sentaient s'évanouirdans leur esprit le souvenir de toutes choses.Alors, le Sous-secrétaire, lentement, récita lavieille poésie

« Les mois et les joursSe succèdent ; mais Le mont MimoroDemeure à jamais77 ! »

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Je trouvai cela très joli, et vraiment, j'auraisdésiré que cette splendeur durât mille années.

Avant même que les dames qui servaienteussent appelé les gens pour leur faireemporter les tables, l'Empereur passa dansl'appartement clé notre maîtresse. Il m'ordonnade frotter le bâton d'encre de l'écritoire et,pendant qu'il me parlait, j'avais les yeux au ciel.Je ne pensais qu'à le contempler ; j'aurais voulule regarder ainsi encore plus longtemps que,tout à l'heure, l'Impératrice. Il plia une feuilled'élégant papier blanc, et nous dit : « Quechacune écrive là-dessus une ancienne poésie,la première dont il lui souviendra. » « Commentfaire ? » demandai-je au Sous-secrétaire d'État,qui se tenait au-dehors, devant le store; mais ilme répondit : « Dépêchez-vous d'écrire et deprésenter à Sa Majesté ce que vous aurez fait,les hommes ne doivent se mêler de rien. » Puis,prenant l'écritoire de l'Empereur, il nous pressaen répétant : « Vite, vite, sans réfléchir, mêmeNaniwazu7 8 , n'importe quoi : ce qui pourrav ou s venir à l'esprit ! » je ne sais ce qui

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m'intimida tellement ; mais un rouge me montaau visage, et je me sentis toute troublée. Ens'étonnant de mon émoi, les demoiselles noblesécrivirent deux ou trois poèmes, sur leprintemps, sur l'âme des fleurs... ; puis elles medirent que c'était mon tour, et j'écrivis alors lapoésie :

« Les années ont passé,J'ai vieilli.Cependant,Quand je regarde les fleurs,Je n'ai plus de soucis79 . » Je remplaçai toutefois l'avant-dernier vers

par celui-ci« Quand je regarde le Prince. ». L'Empereur

dit, après avoir lu : « Si je vous ai interrogées,c'est tout simplement que je voulais mettrevotre esprit à l'épreuve. »

Puis il nous raconta une anecdote du tempsde l'empereur En.yû80 . Ce dernier ordonna unjour aux courtisans qui étaient auprès de luid'écrire, dans un cahier, chacun une poésie.

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Certains s'excusèrent en disant qu'ils écrivaienttrès mal ; mais l'empereur En.yû leur répondit :« Que l'écriture soit laide ou jolie, je ne m'ensoucie point. Peu m'importe même si la poésien'est pas appropriée à la saison » ; et tousdurent obéir, malgré leur inquiétude. Parmieux se trouvait notre Maire du palais81 , quiportait alors le titre de capitaine, dignitaire dutroisième rang. Il se rappela le poème

« Comme la mer Sur le rivage d'Izumo,Quand monte la marée,Moi, mon amour pour vousEst toujours, toujours plus profond82 . » Mais il en modifia un vers, et il écrivit « ma

dévotion pour mon Prince », ce dont l'empereurEn.yû fut charmé. Pendant que l'Empereurnous disait cela, j'étais si émue que je mesentais, malgré moi, mouillée de sueur83 . Jeme demande si de jeunes personnes auraientpu écrire seulement comme j'avais fait. Dans un

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cas pareil, même celles qui d'ordinaire écriventtrès bien sont toutes malencontreusementglacées de respect ; il arrive que certaines setrompent en formant les caractères.

Après cela, l'Impératrice mit devant elle lesvolumes du « Recueil ancien et moderne84 »,et, lisant le début de chaque poésie, elle nousdemanda quelle en était la fin. Parmi cespoèmes, il s'en trouvait que nous avions sanscesse à l'esprit, le nuit et le jour. Pourquoi donc,en vérité, ne nous les rappelions-nous pas bien,et restions-nous muettes ? La dame Saishô ensavait seulement dix, et encore... les savait-elle? Bien pis, certaines n'en connaissaient que cinqou six. Elles auraient mieux fait d'avouer àl'Impératrice qu'elles ne se souvenaient plus ;mais elles se désolaient : « Est-il possible quenous puissions aussi vilainement accueillir lesquestions de Votre Majesté ? » Il était amusantde les entendre. Quand aucune des damesn'avait dit qu'elle connaissait la fin de la poésie,l'Impératrice la lisait jusqu'au bout; elles se

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lamentaient : Ah ! ce sont des vers que noussavions toutes, comment pouvons-nousmanquer ainsi de mémoire ? » L'Impératricenous dit alors : « Celles d'entre vous qui ontcopié bien des fois le « Recueil ancien etmoderne » auraient dû se souvenir de toutesces poésies » ; puis elle nous raconta cettehistoire : « Au temps de l'empereurMurakami85 , vivait une princesse86 qu'onappelait l'épouse impériale du Palais del'universel éclat ; elle était fille du ministre degauche qui résidait au Petit Palais de laPremière avenue, et, pour sûr, vous en aveztoutes entendu parler. Au temps où elle étaitencore une jeune princesse, son père, leministre, lui disait en l'instruisant : « Étudiezd'abord l'écriture ; pensez ensuite qu'il vousfaut, n'importe comment, arriver à jouer de laharpe à sept cordes mieux que personne ; enfin,appliquez-vous à l'étude de façon à avoirtoujours présentes à la mémoire toutes lespoésies que contiennent les vingt volumes du"Recueil ancien et moderne ". » L'empereur

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Murakami, à qui on avait raconté la chose, s'ensouvenait ; un jour d'abstinence87 , il vint chezson épouse en cachant le « Recueil ».Contrairement à l'habitude, il tiracomplètement l'écran derrière lui ; la princessetrouvait cela étrange mais l'Empereur ouvrit lelivre, et commença de l'interroger

Quelle est la poésie composée par tel auteuren telle année et en tel mois, et à quelleoccasion a-t-elle été écrite ? » La princessecomprit de quoi il s'agissait ; mais bien que cef û t seulement d'une plaisanterie, elle devaitêtre terriblement émue en pensant que si samémoire la trompait ou lui faisait absolumentdéfaut, elle en aurait une honte extrême.L'Empereur fit venir deux ou trois dames,savantes en ces sortes de choses ; il leurordonna de marquer le nombre des mauvaisesréponses avec les jetons de jeu de dames88 , etil recommença d'interroger la princesse. Quellescène splendide et amusante ce devait être ! Eny songeant, on envie les personnes qui se

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t r ouv a ie nt là, autour de Sa Majesté.L'Empereur pressait la dame de questions ;mais avant même qu'il eût fini de parler,toujours elle répondait avec sagacité, sans fairela plus petite erreur. L'Empereur se disait qu'ill'arrêterait dès qu'il apercevrait dans sesréponses la moindre faute ou seulement lamoindre incertitude, et il se sentait mêmejaloux de tant de savoir. Ils parcoururent ainsidix volumes ; l'Empereur déclara qu'il était toutà fait inutile de continuer ; il mit le signet dansl e livre, et se retira dans son appartement.C'était, pour l'épouse impériale, un succèsmagnifique.

« Cependant l'Empereur, ayant dormi trèslongtemps, pensa, dès son réveil, qu'il étaitmauvais de cesser ainsi les questions sans faireun examen complet ; il réfléchit que s'ilattendait au lendemain pour les reprendre, laprincesse pourrait avant cela revoir les dixderniers volumes, et il voulut en avoir le cœurnet, le soir même. Il fit donc approcher la lampe

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qui éclairait la chambre, et poursuivit sesquestions jusqu'à une heure avancée ; maisquand il atteignit la fin du « Recueil », la damen'avait pas eu, même une fois, à s'avouerbattue. Après le départ de l'Empereur, les gensallèrent raconter au seigneur, père de laprincesse, ce qui était advenu. Il en futbouleversé, Il envoya des serviteurs dans tousles temples pour y faire réciter les SaintesÉcritures89 ; puis, se tournant vers le Palais, ilpassa des heures en prières. Voilà, n'est-il pasvrai, un enthousiasme pour la poésie vraimentémouvant ! »

L'Empereur, qui écoutait aussi ce récit,s'écria, charmé : « Comment donc l'empereurMurakami put-il lire tant de poésies ? Pourmoi, je ne puis seulement parcourir jusqu'à lafin trois ou quatre volumes ! — Autrefois, ditquelqu'un, même les gens de la basse classeavaient tous des goûts artistiques raffinés. Jene crois guère qu'on entende parler aujourd'huid'une chose pareille.. » Pendant que les damesformant la suite de l'Impératrice, et les dames

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d'honneur de l'Empereur admises auprès d'elle,bavardaient toutes ensemble, j'étais ravie ; envérité, il me semblait que tous mes soucisavaient disparu90 . Avec peine, je me figuraisdédaigneusement les pensées des femmes sansavenir qui veillent fidèlement sur le médiocrebonheur d'un foyer. J'aurais souhaité introduireparmi nous ces filles qui, après tout, eussent étéd'un rang convenable, et leur montrer lasplendeur du monde ; j'aurais voulu pouvoir lesfaire vivre quelque temps au Palais, au besoin,même, comme « troisièmes filles d'honneur »de l'Empereur.

Je trouve haïssables les hommes quiregardent les dames ayant quelque emploi auPalais comme des personnes frivoles etmauvaises. En réalité, pourtant, il y a du vraidans ce qu'ils s'imaginent ! En commençant parLeurs Majestés très respectées, si j'ose parlerd'Elles ; en continuant par les hauts dignitaires,l e s courtisans admis devant l'Empereur, lesgens des quatrième, cinquième et sixièmerangs, sans parler naturellement des autres

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dames, il y a peu de personnes qu'une dame duPalais ne voie pas. Les suivantes des dames, lespersonnes qui arrivent de leur province, lesservantes en chef, les domestiques quinettoient les cabinets, celles même qui sonta u s s i insignifiantes qu'un petit caillou, unfragment de tuile, se sont-elles jamais cachéesde honte devant ces nobles personnages ? Pourles jeunes seigneurs, il n'en est sans doute pasdu tout ainsi, sauf peut-être pour quelques-unsd'entre eux. Lorsque des dames ayant servi auPalais sont mariées, on leur dit « madame », onles traite avec le plus grand respect ; mais onpense peut-être qu'elles manquent de charme,parce que tout le monde les connaît, et l'on araison. N'est-il pas, cependant, glorieux pourelles d'être appelées « deuxième fille d'honneur», de venir en toutes occasions au Palais, etd'aller comme envoyées de l'Empereur à la fêtede Kamo ? Celles d'entre elles qui restent dansleur foyer sont de très bonnes épouses, et sielles viennent au Palais à l'époque où les préfetsy envoient leurs filles pour danser à la

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Cinquième fête91 , elles n'auront, malgré tout,pas l'air trop provincial, elles ne questionnerontpas les gens sur les choses qui leur serontinconnues92 . Je trouve cela charmant.

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14. Choses désolantes

Un chien qui aboie pendant le jour.Une nasse à poissons au printemps93 .Un vêtement couleur de prunier rouge94 , au

troisième ou au quatrième mois. Une chambre d'accouchement où le bébé est

mort.Un brasier sans feu.Un conducteur qui déteste son bœuf.Un savant docteur à qui naissent

continuellement des filles.Une maison où l'on n'offre pas de festin à

celui qui a fait un long détour95 pour éviter demarcher dans une direction néfaste. Auchangement de saison96 , c'est encore plusdésolant !

Dans une lettre que l'on m'envoie de laprovince, il n'y a rien. Pour une lettre reçue dela capitale, on pourrait penser d e même ;pourtant, comme on y trouve, avec une foule de

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choses amusantes, des nouvelles de la société,tout va bien.

On a envoyé chez quelqu'un une lettre quel'on avait particulièrement soignée, on voudraitdéjà lire la réponse. Celle-ci tarde. On attend,on pense que le messager aurait dû revenirbien vite, et que ce retard est étrange ; maiscette lettre que l'on avait si soigneusementnouée ou tordue97 revient salie et froissée, letrait d'encre qui en assure le secret tout effacé.La messager la rapporte en disant : « Lapersonne n'était pas là », Ou bien : « On arépondu que c'était jour de retraite, et l'on n'apas voulu prendre ce billet. » C'est tout à faittriste et désolant !

On encore : on attend ; à quelqu'un quidevait sûrement venir, on a envoyé unevoiture. Quand au retour elle fait tapage, tout lemonde s'écrie : « C'est lui ! » et sort pour voir ;mais le véhicule entre dans la remise, on entendle bruit des brancards qui tombentbrusquement ; lorsqu'on lui demande ce quecela veut dire, le conducteur répond qu'il n'y

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avait personne aujourd'hui, que l'on ne vientpas ; puis il s'en va, n'ayant fait sortir de lavoiture que le bœuf !

Ou encore : le gendre98 que l'on avait adoptéavec grand remue-ménage, un beau jour nerevient plus. C'est tout à fait lamentable. On l'alaissé aller chez une personne d'un bon rang,ayant un emploi au Palais. C'est bien àcontrecœur que l'on se demande quand donc ilreviendra.

La nourrice d'un bébé est partie en affirmant: « C'est seulement pour un instant. » L'enfantla réclame, on tâche de le faire jouer, de leconsoler ; on envoie dire : « Revenez vite » ;mais la nourrice répond qu'elle ne pourrarentrer le soir. Ce n'est pas seulement désolant,c'est follement haïssable. A plus forte raison quedoit penser, s'il attend en vain, l'homme quiavait demandé à son amie de venir ?

A la porte d'une maison où une personne estdans l'attente, très tard, on frappediscrètement. Son cœur bat un peu, elle faitdemander qui est là ; mais ce n'est pas celui

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dont elle espérait la venue ; c'est un autre,absolument étranger, qui se nomme.L'exorciste déclare qu'il va dompter l'espritmalin, il a l'air tout à fait sûr de lui, et faitapporter sa masse et son chapelet99 ; il s'assied,puis se met à lire d'une voix de fausset.Cependant, rien n'indique que le démon veuilles'en aller, la protection divine ne se fait passentir. Les hommes, les femmes, tous lesparents du malade, assemblés, qui étaient enprière, commencent à avoir des doutes.L'exorciste se fatigue à lire durant plus d'une «heure100 », puis il dit à son aide que l'influencecéleste n'agit pas du tout, et qu'on peut se lever; il lui reprend son chapelet, il avoue que sesefforts restent vains. Alors il fourrage dans sescheveux, du front au sommet de la tête; il bâilleet s'étend pour dormir.

La maison de celui qui n'obtient pas decharge quand sont nommés les gouverneurs deprovince. On a dit que tel gentilhomme seraitsûrement désigné cette année, les gens qui

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appartenaient autrefois à sa maison et habitentmaintenant au loin, à la campagne, accourenttous en foule. On ne cesse d'avoir devant lesyeux les brancards des voitures qui entrent etsortent. Chacun veut accompagner le maîtredans ses visites aux temples. On mange, on boitdu vin de riz, on braille ; mais voici la fin despromotions, l'aurore du dernier jour arrive sansque personne soit jamais venu frapper à laporte. On s'étonne et l'on dresse l'oreille ; onentend crier les avant-coureurs du cortège ; leshauts dignitaires sortent tous du Palais. Lesserviteurs que l'on avait envoyés aux nouvelles,et qui, depuis la veille au soir, attendaient engrelottant, reviennent lentement, comme àregret. Les gens qui étaient restés à la maisonn'osent pas même les questionner ; seuls lesprovinciaux demandent quel est le nouveautitre du seigneur. On ne manque pas de leurrépondre ironiquement. « Il est ex-gouverneurde telle province ! » et ceux qui comptaientvraiment sur la nomination de leur maîtrepensent que c'est lamentable. Le lendemain

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matin, tous ces gens qui ne laissaient aucuneplace libre dans la maison s'en vont à lasourdine, par un, par deux. Ceux qui ont vieilliau service du maître et ne peuvent le quitterainsi se promènent en secouant la tête, enénumérant sur leurs doigts les provinces qu'ilfaudra pourvoir l'an prochain. Quelle pitié !Quelle désolation !

On a fait porter chez-quelqu'un une poésieque l'on croyait passable ; il ne vous envoie passeulement de « poème en réplique ».

Si l'on reçoit un billet doux, quelle conduitetenir ? Même dans ce cas, ne pas répondre, aumoins, que la saison est belle, ou quelque chosede ce genre, c'est laisser croire qu'on manquede goût.

Autre chose . à quelqu'un qui vit dans unemaison bruyante, à la mode, une personnesurannée envoie une poésie en vieux style, sansbeauté particulière, qu'elle a composée parcequ'elle avait du temps à perdre et s'ennuyait.

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On attache une grande importance auxéventails pour une fête, et l'on s'adresse à unartiste que l'on croit fort habile. Cependant,quand le jour arrive, on reçoit un éventail dontle dessin est d'une laideur dépassant tout ceque l'on aurait pu prévoir.

Au messager qui apporte un cadeau àl'occasion d'une naissance ou d'un départ, on nedonne aucune récompense. Même aux gens quiapportent une « boule contre les maladies101 »ou un « marteau porte-chance102 » de peu devaleur, il ne faut pas manquer de donnerquelque chose. Le messager doit être charméde recevoir un pourboire alors qu'il ne s'yattendait pas. Au contraire, un domestiquearrive, l'air important ; son cœur bat dansl'espoir d'une bonne récompense, mais il s'enretourne déçu. En vérité, c'est désolant !

Une maison où le maître adopta un gendre, ily a quatre ou cinq ans, et dans laquelle on n'apas encore vu la confusion qui règne où l'onprépare une chambre d'accouchement.

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Un vieux couple, qui a sans doute denombreux enfants arrivés à l'âge d'homme etpeut-être bien aussi des petits-enfants qui setraînent sur le sol, fait la sieste. Même si lesenfants des deux vieillards sont les seuls qui lesvoient, c'est pour eux un spectacle forcémentpénible.

Un bain chaud pris au réveil : impressionirritante.

Une longue pluie au dernier jour del'année103 .

Sans doute peut-on dire aussi que c'estdésolant quand, pendant une longue période dujeûne, on a omis, un seul jou r , de faireabstinence.

Un costume blanc au huitième mois.Une nourrice qui vient à manquer de lait.

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15. Choses dont on néglige souvent la fin Les devoirs d'un jour d'abstinence.Les affaires qui durent plusieurs jours.Une longue retraite au temple.

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16. Choses que l'on méprise Une maison dont la façade est au nord.Une personne dont les gens connaissent la

trop grande bonté. Un vieillard trop âgé. Une femme frivole.Un mur de terre écroulé.

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17. Choses détestables Un visiteur qui parle longtemps alors qu'on

est pressé. Si c'est quelqu'un de peud'importance, on peut le congédier en lui disant: « Plus tard ! » mais si c'est un homme avec quil'on doit se gêner, la chose est très détestable.

En frottant le bâton d'encre de Chine sur lapierre de l'écritoire, on rencontre un cheveu quis'y est introduit. Ou encore, un petit caillouétait caché dans ce bâton d'encre, et il grince «gishi-gishi104 ».

Soudainement quelqu'un tombe malade, onva chercher l'exorciste ; mais il n'est pas oùd'ordinaire on le trouve ; on le cherche partout.On attend impatiemment et un long tempss'écoule. Enfin, au moment où tous sentent queleur patience est à bout, il arrive ; on l'inviteavec joie à faire ses prières. Hélas ! peut-êtres'est-il fatigué à dompter les démons, ces joursderniers ? A peine a-t-il pris place que déjà savoix endormie n'est plus qu'un murmure. C'esttrès détestable.

Un homme sans talent, qui parle beaucoup, àtort et à travers, comme s'il savait touteschoses.

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Quelqu'un qui, se chauffant au brasier rondou carré, expose au feu la paume de ses mains,dont les rides se tendent. Quand donc a-t-on vules jeunes gens agir ainsi ? Mais il y a desvieillards déplaisants qui mettent même le piedsur le bord du brasier rond, et l'y frottent touten causant. Des gens de cette sorte, quand ilsarrivent chez quelqu'un, balaient d'abord, avecleur éventail, la poussière de l'endroit où ilsvont s'asseoir ; puis ils ne se tiennent pastranquilles à leur place, ils s'étalent, prennentleurs aises, et ramènent sous leurs genoux ledevant de leur vêtement de chasse. On pourraitcroire que de telles manières se rencontrentseulement chez des personnes négligeables ;mais j'ai connu des gens d'une assez bonnecondition, comme un « troisième fonctionnaire» du Protocole dignitaire du cinquième rang, unancien gouverneur de Suruga, qui seconduisaient pareillement. De même, c'est unspectacle extrêmement détestable que celui degens qui, après avoir bu du vin de riz, crientfort, s'essuient la bouche d'une main hésitante,

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caressent leur barbe s'ils en ont une, et passentleur coupe à d'autres. Sans doutes'encouragent-ils mutuellement à boire ? Ilsfrissonnent, branlent la tête, font la moue, etchantent des chansons comme celle de « Lajeune fille qui vint aux bureaux del'administration provinciale ». Tout cela, je l'aivu chez des gens très bien, et je trouve quec'est répugnant.

Envier le sort des autres, geindre sur sacondition, médire des gens, se passionner pourles choses les plus insignifiantes, vouloir toutsavoir, montrer du dépit contre ceux qui nevous ont pas dit ceci ou cela, et les vilipender,ou bien, alors qu'on n'a fait qu'entendreincidemment quelque nouvelle, en parler avecforce détails à un autre comme d'une chose quel'on connaîtrait soi-même depuis l'origine ; toutcela est très détestable.

Un bébé qui crie juste au moment où l'onvoudrait écouter quelque chose.

Des corbeaux qui s'assemblent et croassenten se croisant dans leur vol.

Un chien qui, lorsqu'un homme vient vousvoir à la sourdine, l'aperçoit et aboie contre lui.

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On voudrait tuer ce chien ! On a eu la folie de faire coucher secrètement

un homme dans un endroit où il n'aurait jamaisdû venir, et voilà qu'il ronfle.

Ou encore : un ami qui vous rend visite engrand mystère est coiffé d'un long bonnet laqué; au moment où il s'en va, troublé par la crainted'être vu, il accroche quelque objet qui résonneen faisant « soyoro ». C'est très détestable.C'est encore extrêmement déplaisant quand ilsoulève, en sortant, le store d'Iyo105 suspendu,comme s'il voulait le mettre sur ses épaules, etle fait vibrer : « sara-sara ». Si c'est un store àtête106 , à plus forte raison; comme il est plusrigide, le vacarme qu'il provoque en tombantfrappe les oreilles. Pourtant, même un pareilstore ne fait pas le moindre bruit quand on lesoulève doucement pour entrer ou sortir. Il esttrès détestable aussi d'ouvrir violemment laporte à coulisse. Résonne-t-elle jamais quand,en la poussant, on prend le soin de la souleverun peu ? Mais si on ouvre maladroitement,même un châssis recouvert de papier joue etrésonne.

On a bien envie de dormir, et l'on se couche ;mais un moustique s'en vient voler tout près de

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votre figure, en se nommant107 d'une voixgrêle. Le vent même qu'il fait avec ses ailes estbien fort pour sa petitesse. C'est extrêmementdésagréable !

Il est très détestable aussi de se dire que,peut-être, les gens qui vont dans une voituregrinçante ont des oreilles qui n'entendent point.Si c'est la voiture dans laquelle je suis moi-même qui grince, c'est son propriétaire que j'aien horreur.

Pendant qu'on raconte une histoire, un autreprend la parole et cherche à montrer, lui-même, son esprit. Quand ils se mettent enavant, tous, enfants ou grandes personnes, sonttout à fait détestables.

Vous racontez une histoire du temps passé.Quelqu'un, à propos d'un détail qu'il connaît,vous interrompt brusquement, et vous rabaisseen démentant vos dires. C'est très détestable.

Une souris qui court partout estextrêmement désagréable.

Des fillettes, des enfants, viennent chez vouset restent là un moment. Vous les cajolez ; pourqu'ils s'amusent, vous leur donnez quelques

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babioles. Mais ils deviennent si familiersqu'ensuite ils entrent à chaque instant etdispersent tout. C'est très détestable !

Soit chez vous, soit au Palais où vous avez unemploi, quelqu'un vient vous voir, que voussouhaitiez ne pas rencontrer. Vous feignez dedormir ; mais les gens qui vivent près de vousaccourent pour vous réveiller, ils vous tirent etv ous secouent en semblant penser que vousaimez trop le sommeil. C'est très détestable !

Un nouveau venu, dépassant les plusanciens, prend l'air de tout savoir, parle enpédagogue, et se mêle d'aider les autres. Il estodieux !

Un homme, avec lequel on est en relation, semet à louer une femme qu'il a connue autrefois.Bien que le temps ait passé, ce n'en est pasmoins détestable ; à plus forte raison s'il s'agitd'une intrigue qui dure encore, on peut alorss'imaginer... Cependant, il arrive que ce ne soitpas tellement déplaisant.

Celui qui murmure une prière après avoiréternué. En général, à part le maître de la

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maison, tous ceux qui éternuent très fort sontextrêmement désagréables.

Les puces aussi sont tout à fait détestables.Lorsqu'elles dansent sous les vêtements, ondirait qu'elles les soulèvent.

Des chiens qui hurlent longtemps,longtemps, à l'unisson, s u r un ton montant.C'est sinistre et détestable.

Le mari d'une nourrice est le plus détestable.Si l'enfant est une fille, passe encore, car il n'enapproche pas. Mais si c'est un garçon, il en faitsa chose, il est toujours à côté de lui, dirige tout,et le surveille comme ferait un tuteur. Ilcalomnie auprès du maître quiconque s'oppose,si peu que ce soit, aux augustes volontés del'enfant ; il considère les autres serviteurscomme des animaux. Cependant, malgrél'étrangeté de sa conduite, personne n'oseprendre sur soi de l'accuser ; il a l'airtriomphant, il décide de tout.

Quand on parle, à présent, du Petit Palais dela Première avenue108 , on l'appelle le « PalaisImpérial actuel ». Du pavillon où demeure

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l'Empereur, on a fait un « Palais pur et frais »provisoire109 et l'Impératrice habite lebâtiment qui se trouve au nord de celui-ci. Al'est comme à l'ouest, entre les deux pavillons,court une galerie ; à l'occasion, l'Empereur vientchez l'Impératrice ; mais d'ordinaire, c'est ellequi se rend près de lui.

Devant le pavillon du Nord, on voit un petitjardin, avec des plantes et des arbres, entouréd'une haie ; c'est très joli.

Le dixième jour du deuxième mois110 , lesoleil brillait splendidement dans un ciel pur etcalme. L'Empereur jouait de la flûte dans lachambre située sous l'appentis, près de lagale r ie de l'ouest. Le Sous-gouverneur deKyûshû, Takatô, qui est habile flûtiste, se tenaità ses côtés. Ils exécutèrent plusieurs fois, àdeux instruments, l'air de Takasago111 , et leurmusique avait un charme que ne peuventexprimer de banales paroles. Takatô, faisant leprofesseur de flûte, indiquait à Sa Majestécomment il fallait jouer. C'était vraiment

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superbe. Les autres dames et moi, nous vînmesen foule près du store, et, pendant que nous lesregardions, il me semblait n'avoir jamais cueillide persil112 . L'Empereur joua la chanson deSuketada.

Suketada, le « troisième fonctionnaire » duservice de la charpente, a obtenu le poste dechambellan. Mais comme il est extrêmementbrutal, les courtisans et les dames d'honneurl'ont surnommé « le violent crocodile », et ontcomposé cette chanson :

« C'est un maître qui n'a pas son pareil113 C'est bien le rejetonDes gens d'Owari. » En effet, sa mère était Fille d'un certain

Kanetoki, de la province d'Owari.L'Empereur joua donc cette chanson sur la

flûte ; mais comme Takatô, à côté de lui, lepriait de souffler plus fort, en assurant queSuketada n'entendrait pas, l'Empereur répondit: « Comment cela ? il pourrait bien entendre,même si je jouais de cette façon ! » et il se

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contenta de jouer sans faire de bruit. Pourtant,après un moment, il alla voir du côté du palaisoù demeurait l'Impératrice, et revint en disant :« Il n'est pas là, je peux jouer maintenant » ;puis il se mit à souffler. Que c'était joli !

Les gens qui, dans leurs lettres, emploient

des termes montrant leur manque d'éducationsont vraiment haïssables. Ah ! que leur style estdétestable lorsqu'ils négligent grossièrement lesdistinctions mondaines. D'ailleurs, il est envérité fort mauvais de se montrer troprespectueux envers des gens auxquels on nedoit pas tant d'égards. Naturellement, ont r ouv e détestables des lettres de ce genrequand, soi-même, on les reçoit ; mais on lesjuge encore telles lorsqu'elles sont adressées àd'autres.

La plupart des gens, quand ils sont en face devous, manquent de correction ; on se demandecomment ils peuvent s'exprimer ainsi, c'estinsupportable. A plus forte raison est-onsurpris en entendant ceux qui parlent, de la

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sorte, aux personnes de qualité ! De telles genssont stupides et tout à fait détestables. Lesserviteurs qui parlent sans respect de leursmaîtres sont abominables. Ceux qui, lorsqu'ils'agit de leurs propres domestiques, usentd'expressions comme « daigner être, daignerdire114 » sont très détestables. On entend, ilm e semble, bien des gens assurer que lesmaîtres doivent, pour eux-mêmes, employer laforme « être humblement115 » !

Quand une personne qui n'a point de charmese sert de termes recherchés, ceux avec qui elles'entretient, et tous ceux qui l'entendent, enrient. Sans doute s'exprime-t-elle ainsi parcequ'elle croit bien faire ; mais les gens quiparlent d'une manière si peu naturelle qu'ilsprovoquent la raillerie doivent avoir tort.

Il est tout à fait inconvenant, lorsqu'ons'adresse à des courtisans ou à des conseillersd'État, de dire leur nom propre, sans le moindrerespect ; mais, à la vérité, personne ne le fait. Sil'on parle aux femmes de chambre qui serventles dames du Palais en les appelant par

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exemple « Cette noble proximité116 », « Cettenoble dame », elles sont surprises et ravies,elles louent extrêmement celui qui a dit cela. Ens'adressant, hors de la présence de LeursMajestés, à des courtisans ou à de noblesseigneurs, on emploie le nom de leur fonction.Autre chose : comment les grands personnages,quand ils parlent entre eux, devant l'Empereur,qui les entend sans doute, peuvent-ils dire «moi » ? Si l'on n'observe pas ces règles enparlant, c'est détestable ; et se pourrait-il qu'il yeût quelque inconvénient à les respecter ?

Un homme sans aucun charme particulier

qui prend une voix apprêtée, qui fait l'élégant,est détestable.

Un encrier sur lequel le bâton d'encre glissesans laisser de parcelles délayées.

Les dames d'honneur qui trouvent toutadmirable.

Une personne qui vous était déjàcomplètement antipathique, alors qu'elle n'avaitrien fait pour cela, et qui se rend coupable d'une

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chose qui vous déplaît. Un homme qui, tout seul dans une voiture,

va voir quelque spectacle. Quelle sorted'homme cela peut-il être ? Je ne sais ; maismême si ce n'est pas une personne de qualité, ilaurait dû emmener quelques jeunes genscurieux de tout voir comme il y en a tant. Hélas! à travers les stores de la voiture, on l'aperçoitseul, l'air prétentieux, qui regarde fixements a n s pouvoir échanger ses pensées avecpersonne.

Un homme, près de quitter son amie, àl'aube, se met en devoir de chercher sonéventail, ou son cahier de notes, qu'il a poséquelque part la veille au soir. Comme il faitencore sombre, le galant tâtonne en se cognantpartout dans la chambre, et en marmottant : «C'est étrange ! » Enfin, il trouve ce qu'ilcherchait ; si c'est un cahier, il le fourre dansson sein avec un bruit de pages froissées : «soyo-soyo », ou bien, si c'est un éventail, ill'ouvre tout grand et avant de prendre congé, ilen frappe l'air : « fusa-fusa ». Il serait banal de

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dire qu'une telle conduite est détestable ; ellemanque tout à fait de grâce.

De même, celui qui s'en va quand la nuit estprofonde n'a nul besoin de nouer solidement lecordon de son bonnet laqué. Ce cordon ne doitpas être fixé si fermement, et même, s'il leglisse doucement, sans le nouer, sous sacoiffure, est-ce une chose que l'on puissereprendre ? Même encore, si ses vêtementssont complètement en désordre, et mal ajustés,si son manteau de cour, ou son habit de chasse,est de travers, qui donc, en le voyant à cetteheure, pourrait en rire et le blâmer ?

Un homme, en pareille occasion, doit avoir, àl'aurore, de galantes manières. Je l'imagine : ilsemble se lever à regret, avec une peineexcessive. Son amie le presse en disant : « Ilfait grand jour, voyons, c'est inconvenant ! » Ilsoupire, on sent qu'il n'a pas trouvé la nuit assezlongue, et qu'il est tout triste de s'en aller. Il nese hâte pas de mettre son pantalon à lacets117

dès qu'il est assis sur sa couche ; il vient d'abordtout près de la dame, et murmure à son oreille

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la fin de ce qu'il lui a conté pendant la nuit. Il nefait rien d'autre, mais on dirait qu'il boucle saceinture. Puis il lève la fenêtre de treillis, etbientôt ils vont ensemble à la porte à deuxbattants. Il lui répète encore combien la longuejournée qu'il va passer loin d'elle l'inquiète,enfin il s'éloigne furtivement. Elle l'accompagnedu regard, et le souvenir même de ces précieuxinstants doit la charmer. C'est le moment de laséparation qui restera dans la mémoire de cettefemme.

Qu'il est détestable, l'homme qui se lève d'unbond, va et vient, effaré, dans la chambre, seserre la taille avec le cordon de son pantalon àlacets, retrousse les manches de son manteaude cour, de son vêtement de dessus ou de sonhabit de chasse, fourre vivement dans son seintout ce qui lui appartient, et noue solidement saceinture !

Celui qui, en sortant, ne referme pas la portequ'il vient d'ouvrir est très détestable.

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18. Choses qui font battre le cœur Des moineaux qui nourrissent leurs petits.Passer devant un endroit où l'on fait jouer de

petits enfants. Se coucher seule dans unechambre délicieusement parfumée d'encens.

S'apercevoir que son miroir de Chine est unpeu terni.

Un bel homme, arrêtant sa voiture, ditquelques mots pour annoncer sa visite118 .

Se laver les cheveux, faire sa toilette, etmettre des habits tout embaumés de parfum.Même quand personne ne vous voit, on se sentheureuse, au fond du cœur.

Une nuit où l'on attend quelqu'un. Tout àcoup, on est surpris par le bruit de l'averse quele vent jette contre la maison.

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19. Choses qui font naître un doux souvenirdu passé

Les roses trémières desséchées119 .Les objets qui servirent à la fête des

poupées.Un petit morceau d'étoffe violette ou couleur

de vigne120 , qui vous rappelle la confectiond'un costume, et que l'on découvre dans unlivre où il était resté, pressé.

Un jour de pluie, où l'on s'ennuie, on retrouveles lettres d'un homme jadis aimé.

Un éventail chauve-souris121 de l'an passé.Une nuit où la lune est claire122 .

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2o. Choses qui égayent le cœur

Beaucoup d'images de femmes, habilement

dessinées, avec de jolies légendes. Au retour de quelque fête, les voitures sont

pleines ; on en voit déborder les vêtements desdames. De nombreux serviteurs lesescortent123 , les conducteurs guident bien lesbœufs et font courir les équipages.

Une lettre écrite sur du papier deMichinoku124 blanc et joli, avec un pinceau sifin qu'il semblerait ne pouvoir tracer même leplus mince trait.

L'aspect d'un bateau qui descend la rivière.Des dents bien noircies125 .A « égal ou inégal », jouer souvent « égal ».Une étoffe de soie très souple, tissue de jolis

fils chinés.Les pratiques magiques de purification,

destinées à empêcher les effets des mauvaissorts, exécutées au bord d'une rivière, par undevin qui parle bien126 .

De l'eau qu'on boit quand on se réveille la

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nuit.A un moment où l'on s'ennuie, arrive un

visiteur qui n'est ni trop intime ni trop étranger; il fait la chronique de la société, il raconte cequi s'est passé dernièrement, choses plaisantes,détestables ou curieuses, touchant ceci ou cela,affaires publiques et privées ; il parle sansambiguïté, mais dit tout juste ce que l'on peutentendre. Cela charme le cœur.

Lorsqu'on visite un temple shintoïste oubouddhique, et qu'on fait dire des prières, onest heureux d'entendre les bonzes, si c'est dansun temple bouddhique, ou les prêtresinférieurs, si c'est dans un temple shintoïste,réciter d'une voix agréable, sans arrêt, mieuxmême qu'on ne l'avait espéré.

Une voiture de cérémonie, couverte depalmes, qui avance avec une sereine lenteur. Sielle va vite, cela semble inconsidéré, sansdignité. C'est la voiture treillissée que leconducteur doit faire courir. A peine a-t-onaperçu celle-ci qui sort d'une porte ! Elle estdéjà passée, on ne voit plus que les hommes

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d'escorte qui la suivent en courant. Il estcharmant de se demander qui ce peut être.Mais si cette voiture va lentement, si on l'a troplongtemps devant les yeux, cela ne convientplus du tout.

Les bœufs doivent avoir le front très petit,tacheté de blanc il est bien qu'ils aient ledessous du ventre et le bas des jambes blancs,ainsi que l'extrémité de la queue. Les chevauxdoivent être pie alezan, ou gris, ou très noirsavec des balzanes et des taches blanches auxépaules ; ou encore aubères avec la crinière etles jambes très claires. Il faut qu'on dise en lesvoyant - « Pour vrai, c'est une crinière faiteavec le fil que donne l'écorce du mûrier ! »

Le conducteur d'une voiture à bœufs doitêtre grand, avoir des cheveux décolorés par lesoleil et une face bronzée. Il sied qu'il ait l'airintelligent.

Les valets de pied, les hommes d'escortedoivent être sveltes. Au reste, j'aime aussi àvoir tels, au moins tant qu'ils sont jeunes, leshommes de qualité. Les gens trop gras me

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paraissent toujours avoir envie de dormir. Les pages doivent être petits, avoir de beaux

cheveux dont l'extrémité vienne frôlerdoucement leur cou. Il faut qu'ils aient une jolievoix, et parlent très respectueusement. C'estalors parfait.

J'aime qu'un chat ait le dos noir, et tout lereste blanc.

Un prédicateur doit avoir la figure agréable.Lorsqu'on tient les yeux fixés sur son visage, onsent mieux la sainteté de ce qu'il explique.Quand on regarde ailleurs, sans qu'on le veuilleon oublie d'écouter ; ainsi, quand le prédicateurest laid, on craint toujours de mériter lapunition du Ciel. Il me faut quitter ce sujet. Simon âge s'y prêtait un peu mieux, j'aurais puécrire là-dessus, au risque d'encourir lechâtiment céleste ; mais, maintenant, la peineserait trop effrayante. Il y a des gens qui,entendant parler d'un prêtre particulièrementvénérable et pieux, se précipitent pour arriverles premiers à l'endroit où l'on dit qu'il prêche.Il me semble que s'ils agissent de la sorte,

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justement dans le même esprit de péché quemoi, ils feraient mieux de rester chez eux.

Les anciens chambellans, autrefois, nechevauchaient plus à l'avant-garde du cortège,lors des sorties de l'Empereur, et à plus forteraison, l'année de leur départ, on ne voyait passeulement leur ombre dans l'enceinte du Palais.A présent, les choses ne semblent pas allerjusque-là; on donne de l'occupation à ces gensdu cinquième rang, anciens chambellans.Néanmoins, il doit y avoir des moments où,dans le fond de leur cœur, ils souffrent de leurdésœuvrement, lorsqu'ils s'ennuient et serappellent leur vie agitée de naguère. Ils vontalors, bien vite, une fois ou deux, dans lesendroits où se font les sermons. Ilscommencent à écouter, puis sentent le désird'aller continuellement aux temples. Mêmedans les jours les plus chauds de l'été, ils sont là,portant des vêtements de dessous, en toile, decouleurs vives, et étalant des pantalons à lacets,violet clair ou gris bleuâtre. On en voit qui ont,fix é e à leur bonnet laqué, une « étiquette

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d'abstinence127 ». Ce jour devrait être poureux un jour de retraite. Mais sans doutepensent-ils que cela ne les empêche pas desortir quand il s'agit de faire une actionméritoire. Les anciens chambellans arrivent enhâte, parlent au saint homme qui va prêcher,tout en regardant les voitures des dames, quel'on installe128 , et ils ont l'air de s'intéresser àtout ce qui se passe. Des gens qui ne s'étaientpas vus depuis longtemps se rencontrent parhasard au temple ; ils s'étonnent, vont s'asseoirl'un près de l'autre, bavardent, approuvent dela tête, se racontent d'amusantes histoires,ouvrent largement leur éventail devant leurbouche, pour rire à leur aise. Ils jouentmachinalement avec leur élégant rosaire, ouregardent d'un côté, puis de l'autre, louant oucritiquant les qualités, les défauts des voituresarrêtées. Ils comparent les sermons, soit les «Huit Instructions129 », soit l' « Offrande desSaintes Écritures », que tels prêtres ont faits enquelque endroit ; et pendant tout ce temps, ils

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n'accordent pas la moindre attention audiscours qu'ils sont venus écouter. Mais qu'y a-t-il là d'étonnant ? Ils sont habitués àl'entendre, leur oreille y est accoutumée; il n'y aplus rien, dans ces paroles, qui les émerveille.

On voit aussi des gens qui, sans avoir cesfaçons, arrivent alors que le prédicateur estdéjà là depuis un moment. Ils arrêtent leurvoiture, devant laquelle les valets font un peuécarter la foule, et ils descendent. Ce sont deuxou trois jeunes hommes à la taille élancée, vêtusd'un manteau de cour plus léger même quel'aile de la cigale, d'un pantalon à lacets, d'unvêtement de soie raide, non doublé, à moinsqu'ils ne soient en habit de chasse. Ils entrentdans le temple, suivis d'autant de serviteurs, etles gens, même ceux qui étaient assis depuis ledébut de la cérémonie, se dérangent pour leurfaire place. Ils vont se mettre au pied d'unpilier, tout près, au bas de la chaire, et trèsnaturellement, ils manient leur chapelet, seprosternent. En les voyant, le prédicateur doitse sentir glorieux. Il commence son sermon, il

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soigne son discours de manière que l'on nemanque pas d'en parler dans le monde. Lesauditeurs s'empressent de se lever, et lesrévérences ne sont pas commencées que, déjà,ils songent à partir au bon moment, etregardent vers les voitures des dames.J'imagine ce que peuvent alors se dire deuxamis.

De certaine personne que l'on connaît, onpense qu'elle est élégante ; à propos d'une autreque l'on ne connaît pas on se demande qui c'est: peut-être celle-ci, peut-être celle-là ! En laconsidérant, on fait toutes sortes desuppositions, et c'est bien amusant.

Si quelqu'un raconte : « En un tel lieu, unsermon a été prononcé ; ici on a fait les HuitInstructions », l'on ne manque pas d'entendredire : « Cette personne était-elle là ? —Comment donc ! » C'est excessif. Pourquoi lesdames de qualité ne pourraient-elles seulementregarder à la dérobée les endroits où l'onprêche, alors que même des femmes de la basseclasse entendent, parait-il, les sermons avec

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beaucoup de ferveur ? Cependant, quand oncommença d'aller écouter les sermons, on nevoyait pas de femme y venir à pied, ou si, parhasard, quelques-unes y venaient ainsi, ellesétaient convenablement, élégamment vêtues en« costume de jarre130 ». Dans le mêmecostume, les femmes se rendaient en pèlerinageaux temples. Quant aux sermons, elles n'yallaient pas souvent à pied ; les exemples d'unetelle conduite que j'ai entendu citer ne sont pasparticulièrement nombreux. Si les gens qui ontc o n n u cette époque avaient vécu assezlongtemps pour voir le temps présent, combienils pourraient critiquer et blâmer !

Alors que j'étais retirée au temple deBôdai131 , où l'on faisait les « Huit Instructionsde la Profession bouddhique132 », onm'apporta ce message de la part d'une amie : «Revenez bien vite, s'il vous plaît ; je suis, sansvous, toute désolée. » Sur un pétale de lotus133

, j'écrivis ces quelques vers :

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« Même si l'on vient me chercher,Comment, abandonnant la roséeDe pareils lotus,Retournerai-jeDans le monde changeant et frivole134 ? » et j'envoyai ce pétale. Vraiment j'étais

pénétrée en admirant la grandeur et la saintetédes cérémonies, et il me semblait que j'allaisrester là, toujours. Ainsi, autrefois, Sô Chû135

devait oublier l'impatience de ceux quil'attendaient à la maison.

Le palais appelé Koshirokawa est habité par

le Seigneur commandant du Petit Palais de laPremière avenue136 . Quand les « HuitInstructions de la Profession » y furentfaites137 sous les auspices des hauts dignitaires,il y eut une cérémonie superbe. Tout le mondevint, en foule, écouter ces sermons. Comme onavait dit que les voitures qui arriveraient troptard ne pourraient pas approcher, nous nousétions levées bien vite, en même temps que se

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posait la rosée138 . Au vrai, il ne restait aucunespace libre ; les voitures furent serrées,chacune étant appuyée sur les brancards decelle qui se trouvait derrière. Ainsi devait-onpouvoir entendre quelque chose du sermonjusqu'au troisième rang des voitures. On étaitau sixième mois, un peu après le dix, et lachaleur devint extraordinaire. Seuls ceux quiregardaient les lotus de l'étang pouvaient croirequ'ils goûtaient un peu de fraîcheur. A part lesministres de gauche139 et de droite140 , personne ne manquait parmi les hautsdignitaires. Ceux-ci portaient des pantalons àlacets, des manteaux de cour violets souslesquels on distinguait la couleur jaune clair desvêtements de dessous, en toile. Ceux quisortaient à peine de l'adolescence avaient despantalons à lacets gris bleuâtre ou despantalons blancs d'un aspect frais. Le Conseillerd'État Yasuchika, lui-même, était habillécomme un jeune homme, ce qui ne s'accordaitguère avec le caractère sacré de la cérémonie.Quel curieux spectacle ! On avait, en les

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roulant, relevé bien haut les stores de la sallea b r i t é e par l'appentis, et, dessous, lesdignitaires se tenaient assis en longues rangéestransversales, la face tournée vers le fond de lapièce. Plus bas, les courtisans et les jeunesseigneurs, très élégants avec leur habit dechasse ou leur manteau de cour, n'avaient paspris place, et marchaient çà et là en badinant.C'était très joli.

Le Capitaine de la garde impériale Sanekataet le Gentilhomme de la chambre Nagaakira,tous deux de la maison, entraient et sortaientencore un peu plus souvent que les autres. Il yavait là, aussi, de jeunes seigneurs, encore desenfants, absolument ravissants.

Comme le soleil allait atteindre le milieu desa course, arriva le Capitaine du troisième rang; c'est ainsi qu'on appelait alors notre Maire dupalais141 . Il entra, vêtu d'un gilet d'été taillédans un léger tissu « clou-de-girofle », d'unmanteau de cour violet, d'un pantalon à lacetsde même couleur passé pardessus un pantalonrouge foncé, d'un vêtement bien empesé, sans

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doublure, éclatant de blancheur. Ainsi, aumilieu des autres seigneurs aux costumeslégers, d'un aspect frais, il aurait pu semblertrop chaudement habillé ; cependant il étaitd'une merveilleuse élégance.

Tous les seigneurs agitaient des éventailsdont les minces baguettes laquées différaient decouleur, mais qui brillaient, uniformémenttendus de papier rouge. Cela ressemblait tout àfait à un parterre d'œillets superbement fleuris.

Le prédicateur n'étant pas encore monté enchaire, on plaça de petites tables devant leshauts dignitaires, pour leur servir je ne saisquoi.

Le Deuxième sous-secrétaire d'ÉtatYoshichika paraissait encore plus charmant quede coutume ; il avait, en vérité, une grâceinfinie. Je ne devrais pas écrire ici les noms depersonnages aussi élevés que les hautsdignitaires ; mais si je ne le faisais pas,comment saurais-je, après un peu de temps,qui était telle ou telle personne dont j'auraisparlé ?

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Les nuances des costumes, se rehaussantl'une l'autre, formaient un tableau splendide,d'un merveilleux éclat. Au milieu de tous cesseigneurs, parmi lesquels on n'eût su dire quisemblait le plus beau, Yoshichika portait ungilet d'été ; mais, vraiment, on aurait cru qu'ilavait seulement un manteau de cour142 .

Il regardait sans cesse vers les voitures desdames, et leur envoyait des messages. Il n'estpersonne qui n'ait trouvé cela for t amusant.Comme il ne restait plus de place contre lepalais, les voitures arrivées les dernièresavaient été rangées près de l'étang. Voyantcela, Yoshichika dit au seigneur Sanekata :« Appelez-moi un homme qui paraisse capablede transmettre convenablement quelques mots! » Quand Sanekata, ayant choisi je ne sais quelmessager, l'eut amené au Deuxième sous-secrétaire, seules les personnes qui étaient àcôté d'eux discutèrent pour savoir ce que l'onenverrait dire, et je ne pus rien entendre.

Les gens avaient, à demi, envie de rire envoyant le messager faire l'important, et aller

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près des voitures des dames. Il s'approcha, par-derrière, de l'une de ces voitures, et il semblaparler. Comme il restait longtemps, on disait enriant : « La dame compose peut-être un poème.Capitaine de la garde impériale143 , préparezune « poésie en réplique » ! On se demandaitquand viendrait la réponse de la dame, et, tous,même les hauts dignitaires d'un âgeraisonnable, avaient les yeux tournés vers lesvoitures. Il était vraiment plaisant de voir toutle monde, jusqu'aux gens qui se trouvaient endehors du palais, regarder dans cette direction.Le messager (lui avait-on répondu ?) fitquelques pas pour revenir ; mais la dame,sortant son éventail de la voiture, l'arrêta ; jeme disais : « Si elle le rappelle, ce ne peut êtreque parce qu'elle s'avise de quelque erreur dansun mot de sa poésie. Est-ce une choseadmissible, alors qu'il lui a fallu tant de tempspour composer ces vers ? Elle ne devrait,maintenant, plus rien corriger ! » Enfin, lemessager revint, et quand il fut près du palais,tous, impatients, le questionnèrent : « Quoi ?

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Quoi ? » mais il garda le silence. Le Vice-deuxième sous-secrétaire144 lui ayant ordonnéd'approcher, il obéit en se donnant des airs, puisil commença de parler. « Dites vite, intima leCapitaine du troisième rang, ne cherchez pasvos mots, et ne vous trompez pas ! » J'entendisseulement que le messager répondait : « Je disla chose comme elle est, mais une erreur nechangerait rien. » Le Premier sous-secrétaired'État de la famille Fujiwara145 montrait encoreplus de curiosité que les autres et avançait latête pour voir; il me parut qu'il demandait cequ'avait dit la dame, et le Capitaine dutroisième rang répliqua : « En voulant courber,de force, l'arbre qui a poussé tout droit, on lebrise146 . » Le Premier sous-secrétaire d'Étatse mit à rire, et tous ceux qui se trouvaient là,en l'entendant, l'imitèrent soudain sans tropsavoir pourquoi. Peut-être le bruit qu'ils firentparvint-il à la dame, dans sa voiture ? LeDeuxième sous-secrétaire interrogea lemessager : « Mais, avant de vous rappeler, que

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vous avait-elle dit ? Nous rapportez-vous làune réponse corrigée ? » L'homme repartit : «J'attendais depuis longtemps et la dame ne medonnait rien. Je déclarai que je m'en allais, et jerevenais ici, quand elle m'a fait signe. »

Yoshichika voulut savoir à qui appartenaitcette voiture, et si le messager connaissait ladame ; cependant, le prédicateur monta enchaire, et tous se tinrent tranquillement assis.

Tandis que tout le monde regardait du côtéoù était le prêtre, la voiture disparut, ce futcomme si on l'avait effacée. Les rideauxintérieurs de cette voiture paraissaient avoirété mis ce jour-là pour la première fois, et ladame portait plusieurs vêtements sansdoublure superposés, violet foncé, un habit detissu violet, un vêtement de dessus rouge foncé,avec une jupe d'apparat ornée de dessinsimprimés, qu'elle avait, en l'étalant,négligemment accrochée à l'arrière de lavoiture. Qui cela pouvait-il être ? Y avait-ildonc, dans sa réponse, quelque chose que l'onpût critiquer ? J'ai entendu dire qu'en vérité, ilvalait mieux se taire que risquer de faire une

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réponse imparfaite ; il me semble en effet,contrairement à ce que l'on pourrait penser,que c'est mieux ainsi.

A la cérémonie du matin, le prédicateur étaitSeihan147 . Il paraissait tout glorieux en chaire,il avait une extraordinaire majesté.

La chaleur était effrayante, et pour venir à lacérémonie, nous avions abandonné différentesbesognes que nous ne pouvions laisserinachevées ou remettre à plus tard. Nouspensions donc entendre seulement une petitepartie de l'office, et repartir ensuite ; mais lesvoitures avaient afflué, comme des vaguesininterrompues, après la nôtre et il n'y avaitplus moyen de s'en aller. Nous envoyâmes direaux gens qui se trouvaient derrière nous qu'ilnous fallait partir, d'une manière ou d'uneautre, dès que le sermon du matin serait fini ;tous déplacèrent bien vite leurs voitures, etnous laissèrent le chemin libre. Peut-êtreétaient-ils charmés de pouvoir se rapprocherun peu du prédicateur ?

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Tous les seigneurs, en nous regardantpasser, se mirent à plaisanter, et ce fut un beautumulte. Nous dûmes essuyer même les rires etles lazzi des hauts dignitaires d'âge raisonnable ;mais nous n'y prêtâmes pas l'oreille, et nous n'yrépondîmes point. Tandis que nous nousfrayions à grand-peine une voie parmi la fouledes voitures, le Vice-deuxième sous-secrétaired'État me cria en riant splendidement : « A lab o n n e heure, vous faites bien de vousretirer148 ! » Sur le moment, je ne pris pasgarde à ses paroles, et la chaleurm'incommodait tellement que je sortis de lafoule, l'esprit perdu dans un rêve ; mais ensuitej'envoyai quelqu'un lui dire : « Parmi cinq millepersonnes, vous entrerez sans aucun doute149 !» et nous repartîmes.

Depuis le début des « Huit Instructions »jusqu'au dernier jour, il y eut une voiture dedame qui vint sans jamais manquer ; mais je nevis pas une seule personne s'en approcher pourparler à celle qui l'occupait. J'étais étonnée, au

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plus haut point, de voir cette voiture bougeraussi peu, durant tout le temps du sermon,qu'un véhicule représenté dans un tableau, et jetrouvais cela tout à la fois merveilleux, superbeet charmant. « Quelle personne est-ce donc ?demandai-je ; comment le savoir ? » mais lePremier sous-secrétaire d'État de la familleFujiwara, entendant mes questions, me dit : «Que voyez-vous là de magnifique ? C'est trèsdétestable ! Pour sûr, c'est une femme tout àfait déplaisante qui ne veut pas se montrer. » Ilétait bien amusant de l'entendre ; mais quelletristesse lorsque, peu après le vingt du mêmemois, le Deuxième sous-secrétaire d'État se fitbonze ! Que les fleurs du cerisier s'éparpillentau vent, c'est, après tout, chose ordinaire en cemonde ; mais, vraiment, Yoshichika neparaissait pas d'un âge tel que l'on pût mêmedire : « Il est à la veille de la vieillesse ! »

Au septième mois, la chaleur est extrême ;

on laisse tout ouvert, la nuit comme le jour, etl'on tarde à se coucher ; mais c'est ravissant,

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quand on s'éveille par un beau clair de lune, etqu'on regarde au-dehors. Même la nuit sombreme plaît ; il est bien inutile de vanter le charmede la lune pâle, à l'aurore. Tout près du bord,sur le plancher bien poli de la véranda, onétend, pour un moment, une jolie natte. Il nefaut pas pousser l'écran de trois pieds au fondde la pièce, mais le dresser au bord de la galerieextérieure ; autrement, cela semblerait bienmystérieux.

Quittant son amie150 , le galant vient sans

doute de partir. La dame a rabattu sur sa têteun vêtement violet clair, avec une doublure trèsfoncée. A l'endroit, la nuance du tissu n'est pasdu tout pâlie, et le lustre du damas qui le doublen'est pas beaucoup fané non plus. Elle paraîtdormir, elle a un « vêtement simple », couleurde clou de girofle, une jupe de soie raide,écarlate foncé, dont les cordons de ceinturesortent, très longs, de dessous son vêtement etsemblent encore dénoués. Ses cheveuxs'amoncellent à son côté, on se dit qu'ils doivent

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être bien longs quand ils ondoient librement.Mais voici qu'un homme arrive, venu on ne saitd'où, alors que le paysage d'aurore est toutcouvert d'une épaisse brume. Il a un pantalon àlacets violet, une jaquette de chasse couleur degirofle, mais si claire qu'on pourrait sedemander si elle est teinte, un vêtement blancsans doublure, de soie raide, et un habit de soiefoulée très brillante, écarlate.

Le brouillard a mouillé ses vêtements, qu'illaisse négligemment pendre. Les cheveux deses tempes sont un peu en désordre ; il a l'air deles avoir, sans soin, fourrés sous son bonnetlaqué. Avant que la rosée des liserons fûttombée, il quitté son amie ; il pensait à la lettrequ'il doit écrire151 , mais le chemin lui semblelong, il fredonne : « Les jeunes tiges dechanvre152 . »

Il allait à son poste au Palais ; pourtant,comme la fenêtre de treillis n'est pas baissée, ildéplace légèrement le store, d'un côté, puisregarde à l'intérieur de la chambre. Il se dit,amusé, que sans doute, ici, tout à l'heure, un

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homme s'est levé pour partir. Peut-être celui-cisongeait-il, comme lui, au charme de la rosée ?Après un moment, il voit près de l'oreiller153 unéventail étalé, fait de papier violet-pourpretendu sur du bois de magnolia. Au pied del'écran sont éparpillées des feuilles, étroites etlongues, d'épais papier de Michinoku, les unesbleu foncé, les autres écarlates, et quelques-unes dont la nuance est un peu pâlie. La damese doute qu'il y a là quelqu'un, elle regarde dedessous son vêtement, et l'aperçoit, souriant,appuyé sur le bord de la fenêtre. Ce n'est pasun homme avec qui elle doive se gêner ; maiscomme elle n'a pas l'intention d'entrer enrelation avec lui, elle regrette qu'il l'ait vue. «Oh ! quel long sommeil, ce matin, après laséparation ! » s'écrie-t-il, entrant jusqu'à mi-corps en dedans du store. « Assurément,répond-elle, vous dites cela parce que vous êtesfâché d'avoir laissé votre amie alors qu'il n'yavait pas encore de rosée154 . » Peut-être est-ilsuperflu de noter spécialement ces jolies choses,et pourtant on ne saurait, sans en être charmé,

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les voir ainsi converser tous les deux. L'homme se penche et, avec son éventail, il

amène à lui celui qui est contre l'oreiller ; maiselle se demande s'il ne vient pas trop prèsd'elle; le cœur battant, elle se retire un peu enarrière. Alors il prend l'éventail, le regarde, etmurmure avec un soupçon de dépit : « Voilàbien de la froideur ! » Cependant le plein jourest venu, et l'on entend de nombreuses voix.

Tout à l'heure, il se hâtait, pour écrire à sonamie avant que l'on pût voir se dissiper labrume, et maintenant on s'inquiète en pensantqu'il ne semble guère pressé.

L'homme qui, ce matin, a quitté cettemaison-ci, a écrit une lettre (on se demande encombien de temps155 ) et il l'a envoyée,attachée à un rameau de lespédèze156 encoretout humide de rosée. Pourtant, comme il y aquelqu'un avec la dame, le messager ne peut luiremettre sa missive. Le parfum d'encens dontelle est tout imprégnée parait délicieux.

Lorsqu'il deviendrait trop inconvenant pour

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lui de rester, le visiteur s'en va. Il est sansdoute amusant de se dire que, peut-être, unepareille scène s'est passée dans la maison d'où ilvenait lui-même !

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21. Fleurs des arbres

J'aime la fleur du prunier, qu'elle soit foncéeou claire ; mais la plus jolie, c'est celle duprunier rouge. J'aime aussi un fin rameau fleuride cerisier, avec ses corolles aux larges pétales,et ses feuilles rouge foncé.

Les fleurs de glycine, tombant en longuesgrappes, aux belles nuances, sont vraimentsuperbes.

Pour la fleur de la deutzie157 , elle est d'unrang inférieur, et n'a rien qu'on puisse vanter.Cependant, la deutzie fleurit à une époqueagréable ; on la trouve charmante quand onpense que, peut-être, un coucou158 se cachedans son ombre. Au retour de la fête deKamo159 , dans les environs de la lande deMurasaki, que c'est joli lorsqu'on voit, autourdes pauvres chaumières, les haies hirsutes,toutes blanches de ces fleurs. On dirait desvêtements blancs mis sur d'autres, verts, et

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aux endroits où il n'y a pas de fleurs, celaressemble à une étoffe de couleur « feuille verteet feuille morte ». C'est ravissant.

Vers la fin du quatrième mois et le début ducinquième, les orangers, au feuillage vert foncé,sont couverts de fleurs blanches, et quand onles admire, mouillés par la pluie, de grandmatin, il semble qu'ici-bas rien n'ait un pareilcharme. Si parmi les fleurs on peut découvrir,se détachant très nettement, des fruits mûrsqui paraissent des boules d'or, alors le tableaune le cède pas même à celui des cerisiershumides, le matin, de rosée. Au reste, il n'estpas besoin de dire le charme de l'oranger, peut-être parce qu'on pense qu'il a une affinitéparticulière avec le coucou160 .

La fleur du poirier est la chose la plusvulgaire et la plus déplaisante qui soit aumonde. On ne la garde pas volontiers près desyeux, et l'on ne se sert pas d'un rameau depoirier pour y attacher même un futile billet.

Quand on voit le visage d'une femme quimanque d'attrait, c'est à la fleur du poirier

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qu'on l'assimile, et, en vérité, à cause de sacouleur, cette fleur parait sans agrément.Pourtant, en Chine, on lui trouve une grâceinfinie, on la chante dans les poèmes. Si, lajugeant laide, on réfléchit que quelque chosedoit expliquer ce goût des Chinois, et si on laregarde attentivement, on croit distinguer aubord des pétales une jolie nuance rose, si faiblequ'on n'est pas sûr de ses yeux. On a comparéla fleur du poirier au visage de Yô Ki-hi161 ,lorsqu'elle vint en pleurant vers l'envoyé del'Empereur, et l'on a dit : « Le rameau fleuri dupoirier est couvert des gouttes qu'y a laissées lapluie printanière162 . » Aussi bien, quand jesonge qu'il ne s'agit pas là d'un éloge médiocre,je me dis qu'aucune autre fleur n'est, sansdoute, si merveilleusement belle.

La fleur violet-pourpre du paulownia estaussi très jolie. Je n'aime pas la forme de seslarges feuilles étalées ; cependant, je n'en puisparler comme je ferais d'un autre arbre. Quandje pense que c'est dans celui-ci qu'habiterait

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l'oiseau fameux en Chine163 , je ressens uneimpression singulière. A plus forte raison,lorsque avec son bois, on a fabriqué une guitare,et qu'on en tire toutes sortes de jolis sons, lesmots ordinaires suffisent-ils pour vanter lecharme du paulownia ? C'est un arbre vraimentsuperbe !

Bien que le mélia164 ne soit pas un bel arbre,sa fleur est fort jolie. Chaque année, on nemanque pas de le voir, quand vient la fête ducinquième jour, au cinquième mois, avec sesfleurs déformées par la sécheresse. C'estcharmant aussi.

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22. Étangs

L'étang de Katsumata, celui d'Iware. L'étang

de Niheno. Il est bien amusant, quand on va autemple de Hase, d'y voir les oiseaux aquatiquess'envoler sans cesse avec bruit.

L'étang de Mizunashi165 . Comme jedemandais un jour pourquoi on l'avait ainsinommé, on me répondit que, même quand ilpleut beaucoup, au cinquième mois et toutel'année, on n'y aperçoit pas d'eau. Mais onajouta que certaines années où le soleil brillesplendidement, l'eau y coule en abondance audébut du printemps. « Ce n'est pas sans raison,aurais-je voulu répondre, qu'on lui a donné sonnom, s'il est desséché ; pourtant, comme il y aaussi des moments où l'eau y coule, il mesemble qu'on n'a guère réfléchi. »

L'étang de Sarusawa. Un empereur, ayantentendu dire qu'une « demoiselle de la Cour»166 s'y était jetée, serait allé, à ce que l'onraconte, voir cet étang. Cela me charme, et il

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est inutile de dire combien je suis émue queHitomaro, ait chanté les cheveux dénouésflottant sur l'eau167 .

L'étang d'Omae168 . Il est curieux de sedemander à quoi ont pensé ceux qui lui ontattribué ce nom.

L'étang de Kagami. L'étang de Sayama.Peut-être trouve-t-on celui-ci joli parce que l'onse rappelle, charmé, la poésie sur la bardaned'eau169 .

L'étang de Koinuma. Celui de Hara. Il estcharmant qu'autrefois on ait dit à propos de lui :« Ne coupez pas les sargasses17 0 ! »

L'étang de Masuda.

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23. Fêtes Rien n'égale en beauté la fête du cinquième

mois17 1 . Les parfums de l'acore et de l'armoisese mêlent, et c'est d'un charme singulier. Depuisl'intérieur des « Neuf Enceintes » jusqu'auxdemeures des gens du peuple les plus indignesd'être nommés, chacun pose ces feuilles entravers de son toit, et veut couvrir le sienmieux que les autres. C'est merveilleux aussi,et en quelle autre occasion voit-on pareillechose17 2 ?

Ce jour-là, le ciel était couvert de nuages. Au

Palais de l'Impératrice, on avait apporté, duservice de la couture, des « boules contre lesmaladies » avec toutes sortes de fils tressés quipendaient ; on les avait fixées à gauche et àdroite du pilier de l'appartement central, où estdressé l'écran. On remplaça ainsi les « boulescontre les maladies » qu'on avait préparées, leneuvième jour du neuvième mois, enenveloppant des chrysanthèmes dans de la soie

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raide ou damassée, et qui étaient restées fixéesà ce pilier durant des mois, puis on les jeta. Demême les boules que l'on suspend le cinquièmejour du cinquième mois devraient peut-êtredemeurer jusqu'à la fête des chrysanthèmes ;mais comme tout le monde, pour attachern'importe quoi, en arrache des fils, après peu detemps il n'en reste rien.

On offre les présents de la fête, les jeunespersonnes fichent des acores dans leurscheveux, elles cousent à leurs manches des «billets de retraite »17 3 , elles fixent, d'unemanière ou d'une autre, avec une tresse auxcouleurs dégradées, à leur manteau chinois ou àleur veste, de longues racines d'acore ou de jolisrameaux. On ne peut dire que ce soitmerveilleux, mais c'est bien joli ; d'ailleurs, y a-t-il personne qui songe aux cerisiers sansenthousiasme parce qu'ils fleurissent chaqueprintemps ?

Les fillettes qui vont et viennent auxcarrefours ont attaché à leurs vêtements lesmêmes choses que les dames, mais en les

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proportionnant à leur taille ; elles se disentqu'elles ont fait là quelque chose d'admirable,elles considèrent sans cesse leurs manches enles comparant à celles de leurs compagnes. Jetrouve à tout cela un charme que je ne puisrendre ; mais il est plaisant aussi d'entendrecrier ces fillettes quand les pages, qui jouentfamilièrement avec elles, leur prennent leursracines d'acore ou leurs rameaux.

C'est également gracieux lorsqu'onenveloppe des fleurs de méfia dans du papierviolet, ou qu'on fait, en mettant des feuillesd'acore dans du papier vert, des rouleauxminces qu'on lie, ou encore lorsqu'on attache dupapier blanc aux racines. Les dames qui ontreçu des lettres dans lesquelles on avaitenveloppé de très longues racines d'acoreveulent, pour répondre, écrire de bien jolieschoses, et se consultent entre amies. Il estamusant de les voir se montrer mutuellementles réponses qu'elles préparent.

Les gens qui ont envoyé une lettre à la fillede quelque noble, à une personne d'un haut

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rang, sont en ce jour d'une humeurparticulièrement agréable, et charment par leurgrâce. jusqu'au chant du coucou qui dit sonnom17 4 vers le soir, tout est délicieux etm'émeut à l'extrême.

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24. Arbres Le cassier17 5 , le pin à cinq aiguilles, le saule,

l 'or a nge r . L'aubépine de Chine semblevulgaire17 6 . Cependant, quand tous les arbresont perdu leurs fleurs, et sont tout verts, lesfeuilles rouge foncé de l'aubépine, sans prendregarde à la saison17 7 , brillent et attirent l'œil aumilieu des feuilles vertes. auxquelles on ne faitplus attention. C'est merveilleux.

Du fusain, je ne dirai rien. — Bien qu'on nepuisse le donner à aucun, le nom d' « arbreparasite » me peine.

La cleyère17 8 est très jolie, au moment de ladanse sacrée, aux fêtes spéciales17 9 . Il y a biendes arbres dans le monde, et il estparticulièrement agréable de penser qu'àl'origine, on l'a trouvée digne de paraître en laDivine Présence.

Le camphrier reste à part, il ne croit pasdans les endroits où il se confondrait au milieude nombreux arbres. Sa vue inspire des

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pensées effrayantes180 , on y songe avecéloignement. Cependant, comme il se partageen mille branches, on en a fait l'exemple desamants181 . Il est amusant de se demander quiaura bien pu savoir le nombre de ses rameaux,et dire une pareille chose le premier !

Le thuya n'est pas en faveur parmi leshommes182 mais on construit, avec son bois, dejolis palais à trois ou quatre faîtes. Je trouveravissant, aussi, qu'au cinquième mois, ilsemble imiter le bruit de la pluie183 .

L'érable est petit ; mais ses jeunes feuilles,sortant des bourgeons, à l'extrémité desbranches, sont teintées de rouge. Ses feuilless'étalent, uniformément orientées. Ses fleursmêmes, toutes misérables qu'elles sont, ont l'aird'insectes desséchés ; je leur trouve du charme.

Le « thuya du lendemain184 » ne se voit passouvent auprès des habitations, et l'on ne parleguère de cet arbre. Il paraît que les pèlerins,revenant de Mitake, en rapportent desrameaux. Ses branches sont désagréables au

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toucher, car elles sont très raboteuses, et si onlui a néanmoins donné (je ne sais à quoi l'on apensé) ce nom de « demain ce sera un thuya »,c'est là une vaine promesse. Je me demande àqui on a pu faire espérer une tellemétamorphose. Je voudrais bien le savoir, etma propre curiosité m'amuse.

Le troène n'a pas une forme qui puissepasser pour commune mais ses feuillesétrangement fines et petites sont ce qu'il a deplus joli.

Le mélia, le poirier sauvage.Le chêne à fruits comestibles. Bien que tous

les arbres toujours verts aient la mêmepropriété, il est curieux que ce soit justementcelui-là qui est regardé comme le type desarbres dont les feuilles ne tombent pas.

L'arbre qu'on appelle le chêne blanc est unde ceux qui croissent le plus loin des hommes,au plus profond des montagnes, et l'on n'en voitguère que les feuilles, à l'époque où l'on teint lesvêtements de dessus que porteront lesdignitaires des troisième et deuxième rangs. Ce

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n'est pas un arbre que l'on puisse citerparticulièrement comme une chose superbe oujolie ; mais, en toutes saisons, il semble couvertde neige, et l'on est ému à l'extrême quand onlit la poésie que Hitomaro a composée en rêvantau séjour de Susa-no-0-no-Mikoto enIzumo185 . Lorsqu'on a entendu certaine chosequi se répète d'ordinaire dans le monde ou qui aété dite en quelque occasion, et qu'on l'a gardéedans sa mémoire en pensant que tel point enétait émouvant, et tel autre curieux, on n'y peuts ong e r avec indifférence, qu'il s'agisse deplantes, d'arbres, d'oiseaux ou d'insectes.

Les feuilles du daphniphylle186 sontextrêmement abondantes et lustrées, toutesvertes et pures ; mais on est surpris de voir queles pétioles ne leur ressemblent aucunement,qu'ils sont rouges et paraissent scintiller. Bienque l'effet produit par ce contraste soit surtoutcapable de charmer le vulgaire, il faut avouerqu'il est joli. Pendant les mois ordinaires, on n'yaccorde pas la moindre attention ; mais, ledernier jour de l'année, cet arbre est en

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honneur : on étale ses feuilles, je crois, sous lesaliments que l'on offre aux défunts187 . Il esttriste d'y songer ; mais on assure qu'il sert aussià présenter le « raffermissement des dents188

», qui allonge la vie. Comment est-ce possible ?On a parlé autrefois « du temps où rougirontses feuilles189 », et voilà qui est plein depromesses !

Le chêne dentelé semble très joli. On lerévère en pensant que le dieu qui protège lesfeuilles190 y habite, dit-on. Il est amusant aussique l'on donne ce nom de « chêne dentelé » auxcapitaines et aux lieutenants de la gardeimpériale191 .

Le palmier-chanvre n'a pas une formeagréable, mais il est dans le goût chinois ; et cen'est pas un arbre que l'on puisse s'attendre àvoir chez les gens de peu.

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25. Oiseaux

J'aime beaucoup le perroquet, bien que ce

soit un oiseau des pays étrangers. Tout ce queles gens disent, il l'imite. J'aime le coucou, lerâle d'eau, la bécasse, l'étourneau, le tarin, legobe-mouches.

Quand le faisan cuivré chante en regrettantsa compagne, il se console, dit-on, si on luiprésente un miroir. Cela m'émeut, je songe aveccompassion à la peine que doivent éprouver lesdeux oiseaux, par exemple lorsqu'un ravin lessépare !

De la grue192 , j'aurais trop à dire.Cependant, il est vraiment splendide que savoix monte par-delà les nuages, et cela, je nepuis le taire.

Le moineau à tête rouge, le mâle du gros-bec, l'oiseau habile193 .

Le héron est très désagréable à voir ; à causede leur expression, je n'aime pas à regarder sesyeux. Il n'a vraiment rien qui charme.

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Néanmoins, une chose m'amuse : on a puprétendre que le héron ne dormirait pas seuldans le bois aux arbres agités par le vent194 , etdisputer là-dessus.

L'oiseau-boite195 .Parmi les oiseaux d'eau, c'est la canard

mandarin qui m'émeut le plus. Avecravissement, je me rappelle ce que l'on a dit del'amour réciproque du mâle et de la femelle :chacun, après l'autre, balaierait la gelée blanchequi couvre les ailes de son compagnon196 .

La mouette197 .Ah ! songer que le pluvier de rivière ferait

égarer son ami198 ! La voix de l'oie sauvage est d'une mélancolie

délicieuse quand on l'entend dans le lointain. Le canard sauvage me charme quand je

pense qu'il balaie, à ce que l'on dit, la geléeblanche sur ses plumes199 .

Du rossignol200 les poètes ont parlé commed'un oiseau ravissant. Sa voix, d'abord, puis sesmanières et sa forme, tout en lui est élégant et

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gracieux. Il est d'autant plus regrettable que lerossignol ne chante pas à l'intérieur des « NeufEnceintes ». je l'avais entendu dire ; mais jecroyais qu'on exagérait. Cependant, depuis dixannées que je suis en service au Palais, je l'aiattendu en vain, il n'a jamais fait le moindrebruit. Et pourtant, tout près du Palais pur etfrais, il y a des bambous, des pruniers rouges ;le rossignol devrait y venir à son aise. Quand onquitte le Palais, on peut l'entendre chanterd'une voix splendide, dans les pruniers, qui nemér it ent pas un regard, d'une misérablechaumière. La nuit, toujours il garde le silence .il aime le sommeil ; mais que pourrait-on fairemaintenant pour corriger son naturel ? En été,jusqu'à la fin de l'automne, sa voix est rauque ;les gens du commun changent son nom, etl'appellent, par exemple, « l'oiseau mangeurd'insectes ». Cela me fait une impressionpénible et lugubre. On ne penserait pas ainsi àpropos d'un oiseau ordinaire tel que le moineau.C'est, pour sûr, parce-que le rossignol chante auprintemps que, dans les poésies et les

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compositions littéraires, on a célébré le retourde l'année comme une jolie chose201 . Etencore, s'il se taisait le reste du temps, combience serait plus agréable ! Mais pourquois'indigner ? Même quand il s'agit d'unepersonne, perd-on son temps à médire dequelqu'un qui n'a plus l'apparence humaine, etque l'opinion des gens commence à mépriser ?

Pour ce qui est du milan, du corbeau oud'autres oiseaux de cette sorte, personne aumonde ne les regarde, et jamais on ne lesécoute attentivement. Aussi bien, quand jesonge que si le rossignol est critiqué, c'estjustement parce qu'on en a fait un oiseaumerveilleux, je me sens désagréablementémue.

Un jour, nous voulions voir le retour de laprocession202 , après la fête de Kamo, et nousavions dit d'arrêter nos voitures devant lesTemples Urin-in et Chisoku-in203 . Le coucous e faisait entendre (peut-être ne voulait-il pasrester caché en un tel jour), et le rossignol

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l'imitait très bien. Contrairement à ce que l'onpourrait croire, c'était vraiment joli, alors qu'ilschantaient ensemble dans les grands arbres.

Je ne saurais dire non plus le charme ducoucou quand vient la saison. A un moment ou àl'autre, on entend sa voix triomphante. On levoit, dans les poésies, qui s'abrite parmi lesfleurs de la deutzie, dans les orangers ; s'il s'ycache à demi, c'est qu'il est d'humeurboudeuse.

On s'éveille, pendant les courtes nuits ducinquième mois, au moment des pluies, et l'onattend, dans l'espoir d'entendre le coucou avanttout le monde. Tout à coup, dans la nuitsombre, son chant résonne, superbe et plein decharme. Sans qu'on puisse s'en défendre, on a lecœur tout ensorcelé ; mais quand le sixièmemois est arrivé, le coucou reste muet.Vraiment, il est superflu de dire combien j'aimele coucou !

En général, tout ce qui chante la nuit estcharmant. Il n'y a guère que les bébés pourlesquels il n'en soit pourtant pas ainsi.

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26. Choses élégantes Sur un gilet violet clair, une veste blanche.Les petits des canards204 .Dans un bol de métal neuf, on a mis du sirop

de liane205 , avec de la glace pilée. Un rosaire en cristal de roche.De la neige tombée sur les fleurs des glycines

et des pruniers.Un très joli bébé qui mange des fraises.

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27. Insectes206

Le criquet à sonnettes, le criquet des pins, la

sauterelle tisserande, le grillon, le papillon, lacaprelle207 , la libellule, la luciole.

La teigne à manteau208 me fait pitié. C'estun diable qui l'a engendrée ; sa mère, craignantqu'elle ne ressemblât à son père et n'eût,comme lui, un caractère effrayant, lui a mis unmauvais vêtement, puis lui a dit : « Jereviendrai bientôt, quand soufflera le ventd'automne ; attends-moi ! » Et la pauvrebestiole ne s'est pas même aperçue que sa mères'était enfuie en l'abandonnant. Elle reconnaît lebruit que fait la bise d'automne, et quand vientle huitième mois, elle crie désespérément : « Dulait, du lait209 ! » Cela me fend le cœur.

La cigale du soir.Le « scarabée qui salue210 » m'émeut, lui

aussi. On assure qu'il fait ainsi la révérence,tout en marchant, parce que, dans son cœurd'insecte, est née la foi bouddhique. Il est

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amusant encore de l'entendre frapper à petitscoups répétés, dans quelque endroit sombre,alors qu'on ne s'y attend pas.

Pour la mouche, j'aurais bien dû la citerparmi les choses détestables, et je ne puisparler de cet insecte odieux, qui n'a aucunegrâce, comme j'ai fait des personnes ; maispuisqu'il est ici question des insectes, je dois lanommer. Elle va se poser n'importe où, puisvient sur notre figure, avec ses pattes mouillées! Il est vraiment déplaisant que l'on ait donnéson nom à quelqu'un211 .

La phalène est très jolie et charmante.Lorsqu'on approche la lampe tout près, pourlire quelque roman, qu'elle est gracieuse quandelle passe, en volant, devant le livre !

La fourmi est laide, mais elle est si légèrequ'il est bien joli de la voir marcher, rapide, surla surface de l'eau.

Au septième mois, le vent souffle très fort,

les averses font rage, et comme les journéessont en général très fraîches, on oublie même

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son éventail, inutile. Mais il est bien agréable defaire la sieste en tirant sur sa tête un légervêtement qui garde une faible odeur de sueur.

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28. Choses qui ne s'accordent pas Une personne qui a de vilains cheveux porte

un vêtement de damas blanc. Des roses trémières fichées dans des

cheveux crépus.Une mauvaise écriture sur du papier rouge.La neige tombée sur la maison de pauvres

gens. C'est encore plus pénible à voir quand lalumière de la lune y pénètre.

Par un beau clair de lune, rencontrer uneinélégante voiture découverte212 . Ou encore,un bœuf châtain clair213 attelé à un pareilvéhicule.

Une femme déjà vieille, qui est enceinte etmarche en s'essoufflant.

Ou bien une femme d'un certain âge, dont lemari est jeune, et qui, malgré sa laideur214 , estjalouse et lui reproche d'aller voir une autrefemme.

L'effarement d'un homme âgé qui s'éveille,ayant trop dormi. Ou encore un pareil homme,dont la barbe envahit la face, qui a cueilli et

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mange des glands. Une femme qui n'a plus de dents mange des

prunes, et fait une grimace montrant qu'ellessont sures.

Une femme d'un rang inférieur qui porte unejupe écarlate. On ne voit guère que cela cestemps-ci !

Le capitaine porte-carquois215 , lorsqu'il faitune ronde de nuit, en jaquette de chasse, a l'airtout à fait vulgaire. Ou encore, quand il a mis,mal à propos, le vêtement de dessus redouté,pour rôder çà et là du côté des appartements oùlogent les femmes. Si les gens le voient, ils leméprisent. « Y a-t-il par ici quelque individususpect ? » demande-t-on par plaisanterie en leblâmant.

On considère le chambellan du sixième rangqui est officier de police, admis au Palais,comme un personnage d'une splendeur sanspareille. Les campagnards et les gens du peuplene le prennent pas même pour un être de cemonde ; ils tremblent de frayeur devant lui, etcraindraient, en le regardant, de rencontrer ses

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yeux. Vraiment il sied bien mal à un tel hommede se couler par un étroit corridor du Palaispour aller jusqu'à la chambre de quelque dame,où il entre et se couche sans bruit !

A un écran parfumé d'encens, on a suspenduun pantalon qui semble lourd. C'est d'unmauvais goût, et je présume qu'il en seraitencore de même si ce pantalon était blanc etscintillait à la lumière.

Les hommes qui, portant, comme vêtementde dessus, un habit fendu sur les côtés, leroulent aussi fin qu'une queue de rat, etl'accrochent au paravent, ne conviennent paspour la garde de nuit. On souhaiterait les voir,au moins tant qu'ils sont de service, prendrepatience et cesser leurs visites dans leschambres des dames.

On peut en dire autant pour les chambellansdu cinquième rang216 .

Un jour, j'étais, avec de nombreuses autresdames, dans un couloir du Palais. Parmi les

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gens qui passaient, nous appelions, pour leurdire un mot, ceux dont l'air nous donnait àpenser. Des serviteurs de bonne mine, dejeunes pages, transportaient des vêtementsqu'ils avaient mis dans de jolies enveloppes depapier ou dans des sacs d'étoffe d'où l'on voyaitsortir les cordons de ceinture des pantalons àlacets. A ceux qui portaient, dans des sacs, unarc, des flèches, un bouclier, une hallebarde ouun sabre, nous demandions à qui appartenaientces armes. Les uns répondaient avec unegénuflexion : « C'est à tel seigneur », puis s'enallaient. C'était très joli mais d'autrescomposaient leur visage, se troublaient, puisdisaient qu'ils ne savaient pas, ou biens'éloignaient sans répondre. Ces derniers mesemblaient détestables.

Une voiture découverte passe au clair de

lune.Un bel homme a une femme laide. Un

homme déjà sur l'âge, auquel sa barbe noiredonne un aspect déplaisant, joue avec le bébé

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d'une personne qui lui parle. Les femmes de l'office domestique sont

assurément d'agréables personnes ; maiscomme elles appartiennent à une classeinférieure, leur condition n'est pas tellementdigne d'envie... Je voudrais voir leur emploidonné à des femmes d'un rang passable, et toutirait bien ; à plus forte raison, si celles-ci étaientjeunes, avenantes, toujours joliment habillées.L e s femmes d'un certain âge, qui connaissentles usages, et s'acquittent de leurs fonctionssans nul embarras, conviennent très bien aussi,et l'on a du plaisir à les voir. Je pense qu'ilfaudrait choisir, parmi les femmes de l'officedomestique, celles qui ont une gracieuse figure,et leur faire porter des vêtements appropriés àla saison, des manteaux chinois dans le goûtmoderne.

Les hommes doivent avoir des gens

d'escorte. Même de jeunes seigneurs, trèsélégants et jolis, ne m'intéressent aucunement

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s'ils n'en ont pas. J'ai toujours pensé que lesce nse ur s avaient une belle et honorablefonction ; mais ce qui est très fâcheux, c'est quela traîne de leur vêtement de dessous soit sicourte, et qu'ils aillent sans suite.

Une fois, je vis le Censeur sous-chef des

chambellans217 qui causait très longuementavec une dame, près d'un écran extérieur,devant la face occidentale du palais où sont lesbureaux des fonctionnaires qui gouvernent laMaison de l'Impératrice. Quand il l'eut quittée,j'allai le questionner, pour savoir qui était cettepersonne. Il me répondit que c'était la dameBen no Naishi. « Que lui contiez-vous donc,pour bavarder avec elle aussi longtemps ? luidemandai-je encore ; si le Grand censeur vousavait vus, elle vous aurait sans douteabandonné bien vite ! — Qui a pu vous parlerd'une pareille chose, répliqua-t-il en riant : je luidisais justement qu'elle ne devait pas mequitter ainsi ! »

Yukinari a beaucoup de charme, il ne fait

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montre d'aucun talent, il ne laisse voir, de sonesprit, que ce qui apparaît naturellement, et lesgens n'en savent pas davantage. Mais j'ai puapprécier le fond de son cœur, et j'assure àl'Impératrice que ce n'est pas quelqu'und'ordinaire. Au reste, elle-même le sait bien.Quand nous discutons, il me répète toujours : «O n a dit que la femme ornait son visage pourcelui qui trouvait sa joie en elle, et que leguerrier mourait pour son maître218 . » Nousnous promettons mutuellement une amitiéaussi vivace que le saule de la plage, enTôtômi219 . Cependant, les jeunes personnes ledétestent de tout leur cœur, et disent de lui,sans ménagement, les choses les plusdésagréables. « Ce seigneur, répètent cesmauvaises langues, est d'une laideur excessive.Il ne récite pas les Saintes Écritures, il nechante pas comme font les autres. Quel espritdéplaisant ! » Le Censeur ne parle jamais àaucune d'elles. Il affirme souvent : « Même siu n e femme avait les yeux en long dans levisage, des sourcils lui couvrant tout le front, et

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un nez écarté en travers, je pense qu'onpourrait l'aimer si elle avait la bouche bien faite,le dessous du menton et le cou jolis, et si ellen'avait pas une vilaine voix. Mais, tout en disantcela, je crois qu'un visage trop laid est quelquechose de triste ! » Ces seules paroles ont faitque toutes celles qui pouvaient avoir le mentonétroit, ou manquer de charme, sont devenues, àplus forte raison, ses aveugles adversaires. Ellesosent même, quand elles sont auprès del'Impératrice, parler de lui de façondésavantageuse à Sa Majesté.

Lorsqu'il veut faire dire quelque chose à mamaîtresse, il s'adresse à moi, qui ai, dès ledébut, transmis ses messages. Quand je suisdans l'appartement des dames, il me faitappeler au Palais, ou bien il vient me parlerdans la chambre. Quand je suis à la campagne, ilm'écrit, ou vient lui-même, et il me demande :« Si vous tardez à rentrer au Palais, veuillezenvoyer quelqu'un répéter ce que je vous ai dit.» J'ai beau lui répondre qu'une telle personneest de service et pourrait se charger du

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message, il ne se rend pas à mes raisons. Un jour, je pris un ton de pédagogue pour lui

déclarer qu'il était bon de se conformer auxcirconstances220 , et d'accepter ce qui seprésentait, sans s'arrêter d'avance à une choseplutôt qu'à une autre ; mais il répliquaseulement qu'il avait toujours senti le besoin derégler sa conduite, et qu'on ne pouvait serefaire. je m'étonnai : « On a dit, cependant,qu'il ne fallait pas hésiter à se corriger221 ;Qu'a-t-on voulu faire entendre par là ? » Touten riant, il me répondit : « En nous voyant sibien ensemble, les gens ont dû beaucoup parler; mais même si nous étions aussi intimes qu'onle croit, qu'y aurait-il là de honteux ? Vouspourriez bien me laisser voir votre visage222 ! -Comme je suis très laide, répliquai-je, je n'osepas vous le montrer, car vous m'avez assuréque vous ne sauriez aimer une pareille femme.— Se pourrait-il vraiment, dit Yukinari, quevous fussiez laide ? S'il en est ainsi, continuez àme cacher votre figure ! » Depuis ce jour, même

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dans les occasions où il aurait pu, toutnaturellement, me voir, il se couvrit le visageet, de fait, il ne me regarda pas. Je pensai qu'ilavait parlé franchement, et qu'il ne m'avait pasmenti ; mais que pouvais-je faire ?

A la fin du troisième mois, le manteau de

cour, doublé, d'hiver doit être désagréable àporter. On voit même des gens en tenue pour lagarde de nuit au Palais qui ont seulement levêtement de dessus.

Un matin nous avions, Shikibu no Omoto et

moi, dormi jusqu'au lever du soleil, dans la sallesituée sous l'appentis, quand l'Empereur etl'Impératrice ouvrirent la porte à coulisse, aufond de la chambre, et entrèrent. Ils riaient debon cœur en voyant que nous étions toutesperplexes et restions sans savoir si nousdevions nous lever. Nous mîmes rapidementnos manteaux chinois, sans prendre le temps deretirer nos cheveux de dessous. Nous avionsrejeté en désordre nos effets de nuit, avectoutes les couvertures sous lesquelles nous

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étions ensevelies, et Leurs Majestés marchaientdessus. Elles regardaient les gens qui sortaientdu poste de garde ou y entraient. Quelquescourtisans, qui ne se doutaient pas de leurprésence, s'approchèrent pour nous parler ;mais l'Empereur nous dit en souriant : « Neleur faites pas voir que nous sommes là. »

Quand Leurs Majestés s'en allèrent,l'Impératrice nous ordonna de les accompagner,l'une et l'autre ; nous répondîmes cependantqu'il nous fallait d'abord nous farder le visage,et nous ne les suivîmes pas. Elles étaientrentrées dans l'appartement central, et nousparlions encore, toutes deux, du charme de leurvisite, quand, le support de l'écran étant placé àcôté de la porte à coulisse qui se trouve au sud,nous aperçûmes, par une petite ouverture qu'ilavait faite dans le rideau qui gênait, un hommeà la face basanée. Nous pensâmes que ce devaitêtre Noritaka, et sans y faire attention nouscontinuâmes à causer ; pourtant, comme ilavançait son visage tout souriant, nous dimes :« C'est sans doute Noritaka, voyons cela ! » et

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nous regardâmes : c'était une autre figure !Confuses, nous nous empressâmes, en riant, deremettre l'écran à sa place, et de nous cacher.T r op tard ! c'était le Censeur sous-chef deschambellans, et il avait eu le loisir dem'observer. Je me désolais, pensant que j'avaistout fait pour qu'il ne pût me voir. Et, comme ladame qui était avec moi me faisait face, iln'avait pas même aperçu son visage ! Ensortant de sa cachette, il me dit : « J'ai vuabsolument toute votre figure. — Nouscroyions, lui répondis-je, que c'était Noritaka, etnous ne prenions pas garde mais pourquoi doncm'avez-vous considérée si attentivement vousm'aviez dit que vous ne me regarderiez pas ! —O n m'avait affirmé, répliqua Yukinari, que levisage d'une femme semblait particulièrementjoli quand elle s'éveillait ; j'étais venu, songeantque je pourrais peut-être m'en assurer enregardant, par quelque fente, dans une deschambres des dames. J'étais déjà là pendantque l'Empereur vous parlait ; longtemps aprèsson départ, vous ne vous doutiez encore de rien

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! » Depuis ce temps, il est entré, ce semble,

derrière le store de ma chambre. L'appel des gentilshommes, au Palais223 , est

vraiment une jolie chose ; et il est agréableaussi de voir les officiers qui vérifient laprésence, à leur place, des gens qui sont deservice auprès de l'Empereur. Les autresarrivent en désordre à l'appel, leurs pas fonttapage.

Quand nous sommes à la face orientale deschambres que nous occupons dans lesappartements de l'Impératrice, au Palais, nousécoutons parfois, en prêtant l'oreille ; le nomd ' u n homme qu'elle connaît, entendu parhasard, peut faire battre le cœur d'une desdames. Et puis, bien qu'il y en ait là fortsouvent, que ne pense-t-on pas en entendantappeler, en cette occasion, des gens dont on necomprend pas bien les noms, parce qu'ils sontinconnus dans l'entourage de l'Impératrice ?

Les dames décident qu'un tel répond bien ou

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mal, ou qu'il e s t agréable à écouter. C'estamusant !

Au moment où l'on entend dire que l'appeldes courtisans est terminé, les gardes envoyéspar le service des chambellans font résonner lacorde de leur arc224 et sortent de leur posteavec un grand bruit de souliers. Cependant, auPalais, un chambellan va, d'un pas pesant etsonore, se placer près de la balustrade, au coindu nord-est, où il prend la position que l'onnomme, je crois, le « haut agenouillement ». Ile s t amusant de le voir, la face tournée versl'Empereur, demander aux gardes qui sontderrière lui : « Celui-ci est-il présent, et celui-là? » Les uns articulent leur nom d'une voix faible; les autres, d'une voix forte. Lorsqu'il manqueun certain nombre d'hommes, l'appel n'a paslieu, le chef des gardes en rend compte àl'Empereur par l'intermédiaire du chambellan,et quand le chambellan lui en demande lesraisons, il lui dit alors quelles choses ontempêché de faire l'appel. Après l'avoir entendu,le chambellan se retire. Quand c'est Masahiro,

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comme les jeunes seigneurs lui ont reproché dene pas écouter le chef des gardes, et l'ont avertide ce qu'il devait faire, il prend maintenant unair furieux, il discourt sur la faute quecommettent les manquants, et les gardes eux-mêmes en rient.

Un jour, Masahiro avait laissé ses souliers

dans l'Office Impérial, sur la planche où l'onpose les mets. Tous s'exclamèrent et direntqu'il fallait débarrasser la place d'objets aussirépugnants.

Les gens du service domestique, d'autresencore, ayant pitié de lui, répétaient : « A quipeuvent appartenir ces souliers, impossible dele savoir ! » Mais quel tumulte quand l'étourdivint lui-même les chercher en déclarant : « Cesobjets malpropres sont à moi, Masahiro ! »

C'est très détestable lorsqu'un jeune homme

bien né appelle une personne d'un ranginférieur en disant le nom de cette femmecomme une chose dont il a l'habitude.

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Même s'il connaît ce nom, il convient qu'il leprononce comme s'il avait oublié, par mégarde,la moitié des syllabes. Quand on vient la nuitprès des chambres qu'occupent les dames enservice au Palais ou dans quelque maison noble,il serait mal d'appeler ainsi, indistinctement ;mais ce qu'il faut, c'est emmener un homme duservice domestique, ou, si l'on est ailleurs qu'auPalais, un valet ou quelqu'un des gens deserv ice, et faire appeler par cet homme lapersonne que l'on désire voir. Si l'on appelle soi-même, tout le monde reconnaît votre voix.Cependant, on peut le faire quand il s'agit d'uneservante inférieure ou d'une toute jeunesuivante.

Il est bon que les jeunes gens et les enfants

soient gras. J'aime bien, aussi, voir del'embonpoint aux gouverneurs de province etaux fonctionnaires de cette sorte, qui sont deshommes faits et des personnages imposants.S'ils sont trop maigres et desséchés, on supposequ'ils ont l'esprit maussade.

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La chose la plus inconvenante, c'est biend'avoir des conducteurs de bœufs qui soient malhabillés. Si les autres serviteurs sont aussi peuélégants, on s'en accommode, car, après tout, ilsrestent derrière la voiture. Mais on ressent unetriste impression lorsque des gens qui sont enavant, et que l'on a toujours sous les yeux, ontl'air malpropres.

Au reste, c'est très laid aussi quand on faitsuivre la voiture par des serviteurs n'ayant rienqui plaise à l'œil. Quand des laquais à la taillesvelte, qui semblent faits pour être deshommes d'escorte, mais dont les pantalons salisont pris l'aspect des étoffes de nuancedégradée, ou dont les vêtements de chassesemblent tous par trop usagés, vont, sansparaître se hâter, à côté de la voiture qui court,ils n'ont pas l'air d'appartenir à la personne quiest dans cette voiture.

En général, il est mauvais d'avoir à sonservice des gens mal vêtus.

Il arrive parfois que les domestiquesdéchirent leurs habits mais s'il s'agit de

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vêtements qui ont déjà été portés un certaintemps, le mal n'est pas grand, et l'on doit passerlà-dessus. Quand, dans un palais où il y a denombreux serviteurs225 , on voit de jeunesservantes qui paraissent malpropres, on penseque cela ne devrait pas être.

Quand un seigneur reçoit la visite d'unenvoyé du Souverain, ou celle d'un ami, les gensmême qui vivent chez lui sont heureux de voirun grand nombre de jolis pages, en service dansla maison.

Un jour, passant en voiture devant la

résidence de quelque seigneur, j'aperçus unhomme qui semblait un serviteur, et quiétendait des nattes sur le sol226 . Je vis aussiun jeune garçon d'une dizaine d'années ayant dejolis cheveux très longs, bien peignés, quiflottaient librement ; et encore un enfant decinq ou six ans dont la chevelure s'entassaitsous le collet de son habit, et dont les jouesétaient toutes roses et pleines. Il tenait à lamain un curieux petit arc et une sorte de bâton.

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Ces deux enfants étaient ravissants ; j'auraisvoulu faire arrêter la voiture pour les prendredans mes bras.

Je continuai mon chemin ; plus loin, l'air étaitparfumé d'une délicieuse odeur d'encens qui mecharma.

Comme je passais devant une maison noble,la porte centrale était ouverte, et je vis unevoiture couverte de palmes, toute neuve etjolie, avec des rideaux intérieurs, orangés, d'unenuance ravissante. Elle semblait superbe, avecses brancards appuyés sur le tréteau. Quelquesfonctionnaires des cinquième et sixième rangs,qui avaient passé la traîne de leur vêtement dedessous dans leur ceinture, et tenaient leurtablette, toute blanche, appuyée contre leurépaule, se croisaient en allant vers un but ou unautre. Il y avait aussi des hommes d'escorte, engrande tenue, portant au dos le carquois enforme de cruche, qui entraient ou sortaient :tout à fait ce qui convenait en un pareil lieu.Une fille de cuisine, très joliment habillée, sortitpour demander - « Les gens du seigneur Un Tel

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sont-ils là ? » C'était ravissant.

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29. Cascades La cascade d'Otonashi.A propos de la cascade de Furu, on a

vraiment du plaisir à penser qu'un empereur,après avoir abdiqué, serait allé la voir227 .

Les cascades de Nachi sont en Kumano, etj'ai, quand j'y songe, le cœur charmé228 .

La cascade de Todoroki229 . Comme elle estbruyante et terrible !

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3o. Rivières Qu'il est triste de penser combien, dans la

rivière d'Asuka230 , les gouffres et les bancs desable sont changeants et éphémères ! La rivièred'Ôi ; celles d'Izumi, de Minase.

La rivière de Mimito231 . Il est amusant, dureste, de se demander quelle chose elle a puentendre avec une telle subtilité !

La rivière d'Otonashi232 est curieuse, àcause de son nom inattendu.

Les rivières de Hosotani, de Tamahoshi, deNuki.

La rivière de Sawada233 . En la nommant, onest forcé de songer à l'air populaire d'autrefois.

La rivière de Nanoriso.La rivière de Natori234 . Je voudrais bien

que l'on me dît quelle sorte de renommée elle apu acquérir.

La rivière de Yoshino.En ce bas monde, il y a aussi une rivière

céleste235 , et ce qui est encore plus joli, c'estque Narihira l'ait chantée dans ces vers : « A la

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Tisserande, j'emprunterai un logis236 . »

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31. Ponts Les ponts d'Asamutsu, de Nagara,

d'Amabiko, de Hamana237 ; Hitotsubashi238 . Le pont de bateaux, à Sano.Les ponts d'Utajime, de Todoroki, d'Ogawa ;

Kakebashi239 les ponts de Seta, de Kisoji, deHorie, de Kasasagi240 ,, de Yukiai241 ; le pontflottant d'Ono ; le pont du Yamasuge242 .

Le pont de planches, qui n'a qu'une seulearche. Comme ce pont a l'esprit étroit, il estamusant d'entendre son nom243 .

Le pont d'Utatane.

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32. Villages

Les villages d'Ausaka244 , de Nagame,

d'Isame, de Hitozuma, de Tanome, d'Asakaze,de Yûhi, de Tôchi, de Fushimi, de Nagai.

Le village de Tsumatori245 . Sa femme aura-t-elle été prise par quelqu'un, ou bien aura-t-ilpris lui-même celle d'un autre ? Que l'onchoisisse la première ou la deuxième de ceshypothèses, l'explication est fort plaisante.

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33. Herbes

L'acore aromatique. L'avoine d'eau.La rose trémière246 me ravit. Il est

vraiment merveilleux de songer que tous enornent leurs cheveux, à l'occasion de la fête deKamo, depuis le temps des dieux. La planteelle-même est très jolie.

Le plantain d'eau247 a lui aussi quelquechose qui me charme. C'est son nom que l'ontrouve curieux lorsqu'on pense que cette plantea pu se montrer hautaine.

La bardane d'eau. Le persil des rivages. Lamousse. Le lierre à pois. L'herbe verte quipousse aux endroits que la neige laissedécouverts.

L'oseille des bois est plus jolie que n'importequoi, en dessins sur la soie damassée.

L' « herbe aventureuse248 » croît, dit-on,sur les falaises en vérité, cela ne donne guèreconfiance, et j'en suis peinée.

La « plante de jusqu'à quand249 » pousse

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sur de vieux murs très fragiles, et j'ai pitiéd'elle, car il semble que ces murs pourraients'écrouler plus facilement encore que lesfalaises. Il me déplaît de penser que cetteplante ne croîtrait sans doute pas sur un vraimur bâti avec de la chaux.

L' « herbe sans tracas250 ». Il est amusantde se dire qu'elle pourrait ne se soucier de rien.Peut-être aussi un malheur qui l'accablait s'enest-il allé ? L'une ou l'autre des deuxexplications est amusante.

L' « herbe qui endure251 » me fait pitié. Lafaçon dont elle croît en abondance, au bord destoits, sur toutes les saillies des édifices, est trèscurieuse.

L'armoise est très jolie.La massette en fleur est aussi très jolie, et les

feuilles du carex qu'on voit sur le rivage sontencore plus belles.

Le jonc des lacs. La lentille d'eau. Lesmassettes poussées çà et là, quand vientl'automne. La liane verte.

La prêle d'hiver. Il est délicieux d'imaginer

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quel bruit le vent doit faire quand il souffle danssa chevelure.

La bourse du pasteur. Le gazon des chênes.Les feuilles flottantes du lotus sont très

élégantes. A la surface d'un étang calme etlimpide, les grandes et les petites s'étalent et sedéplacent à l'aventure. C'est charmant. Si ondétache une de ces feuilles et si on la regardeaprès l'avoir laissée quelque temps presséesous quelque objet, on trouve que c'est la chosela plus gracieuse du monde.

Le houblon octuple. Le carex des montagnes.La renouée des montagnes. Le lycopodecommun. Le lis des rivages. Le roseau.

Quand le souffle du vent retourne les feuillesde la puéraire252 , l'envers en apparaît, toutblanc, et c'est très joli.

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34. Recueils de poésies L'Ancien recueil d'une myriade de feuilles.Le Recueil ancien et moderne.Le Recueil choisi postérieur253 .

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35. Sujets de poésies

La capitale. La puéraire. La bardane d'eau.Le poulain. La grêle. Le bambou nain. Laviolette à feuilles rondes. Le lycopode. L'avoined'eau. La sarcelle. Le canard mandarin. Lesmassettes poussées çà et là, en automne. Legazon. La liane verte. Le poirier. Le jujubier. Le« visage du matin254 ».

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36. Fleurs des herbes L'œillet. Pour l'œillet de Chine, il va sans dire

qu'il est joli ; mais celui du Japon est superbeaussi.

La valériane. La campanule à grandes fleurs.Des fleurs de chrysanthème, dont la nuance,après la gelée, a changé par-ci, par-là. Lesroseaux que l'on moissonne255 .

La gentiane a des rameaux qui m'ennuient ;mais quand toutes les autres fleurs sontcomplètement desséchées par le froid, . elleoffre aux regards ses corolles aux nuanceséclatantes. C'est ravissant.

Bien qu'elle ne soit pas assez jolie pour qu'onpuisse la choisir exprès parmi les autres, et lavanter comme on ferait une personne, la fleurdu « manche de faucille256 » est aimable. Sonnom, au contraire, semble déplaisant.

Le nom que porte la fleur du lychnis257 ,écrit en caractères chinois, rappelle que l'onremarque cette plante quand arrivent les oiessauvages. Bien que la couleur n'en soit pas très

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foncée, elle ressemble tout à fait à la fleur de laglycine. On la voit au printemps et à l'automne,elle est gracieuse.

La violette à feuilles rondes et la violetteordinaire sont des plantes de même genre.Quand elles sont vieilles et fanées, toutes deuxsont pareilles et l'on est en peine, car on ne peutdistinguer l'une de l'autre.

La spirée.Le « visage du soir258 » ressemble au «

visage du matin », on le cite toujours en mêmetemps que lui. Sa fleur est jolie, pour sûr, maisc'est avec déplaisir que l'on voit la laideur de sesgourdes. Pourquoi, du reste, produit-il depareils fruits ? Si seulement les siens étaientcomme ceux des coquerets ou des plantesanalogues ! Quoi qu'il en soit, il me suffit depenser au nom du « visage du soir » pour luidécouvrir encore du charme.

La fleur du roseau n'a véritablement rien deremarquable. Mais quand je songe qu'on a sansdoute eu de bonnes raisons pour la juger digned'être offerte aux dieux259 , je cesse de la

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trouver commune. Le caractère qui sert àécrire son nom n'est pas moins joli que celuiqu'on emploie pour l'érianthe260 ; mais ce quime plait davantage, c'est qu'il pousse au bordde l'eau.

On s'étonnera, probablement, que je n'aiepas encore parlé ici de Périanthe, et pourtant !quand l'œil ravi trouve partout à s'émerveillerdans la lande, en automne, c'est bien lui qui enfait la beauté. Lorsque ses épis rouge foncé,humides du brouillard matinal, s'inclinent augré du vent, y a-t-il autre chose d'aussi joli ? Ala fin de l'automne, l'érianthe a perdu tout soncharme. Après que se sont éparpillées, sans querien n'en demeure, les fleurs aux mille nuancesqui s'étaient épanouies pèle-mêle, il resteencore l'épi de l'étianthe, tout blanc ; on peut levoir jusqu'aux derniers jours de l'hiver. Je nesais s'il tombe alors en enfance ; mais vraiment,quand il se penche comme s'il regrettait sasplendeur passée, sa tête brillante qui vacilleressemble tout à fait à celle d'un vieillard. Si l'oncompare ainsi Périanthe à un homme capable

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de souffrir, on est forcé de le prendre, lui aussi,en pitié.

La fleur de la lespédèze est d'une couleurtrès foncée ; ses rameaux, gracieusementfleuris, s'étalent et se courbent doucementlorsqu'ils sont alourdis par la rosée du matin.O n assure que le cerf la préfère aux autresplantes, et qu'il aime à venir près d'elle261 ; jeressens, quand je pense à ces choses, uneétrange émotion.

Le tournesol n'a pas une beauté remarquable; mais il s'incline, dit-on, en suivant toujours lalumière du soleil. Voilà qui ne rappelle pas lecaractère des plantes et des arbres ordinaires,et qui me ravit. Bien que la fleur du tournesolne soit pas d'une couleur foncée, il ne le cède enrien à la kerrie262 en fleur.

L'azalée, non plus, n'est pas particulièrementbelle. Pourtant, les poètes ont dit que « l'ayantcueillie, on la regarde263 », et, de toute façon,je trouve cela charmant.

Quand on examine la ronce de près, on est

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offensé par ses rameaux ; mais la fleur en estjolie. Lorsque le ciel s'est éclairci après la pluie,au bord de l'eau, près d'un pont264 fait d'arbresauxquels on a laissé leur sombre écorce, que lesfleurs de la ronce, écloses en profusion, sontsplendides, éclairées par le soleil couchant !

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37. Choses peu rassurantes La mère d'un bonze qui est parti, pour douze

ans, vivre en reclus dans la montagne265 .On arrive, à la tombée de la nuit, dans une

maison où l'on n'a pas l'habitude d'aller. Commeon ne se soucie pas de se mettre en évidence,on ne fait pas de lumière ; on va pourtants'asseoir à côté des gens qui sont là, sans lesconnaître.

Alors qu'on ne savait rien de son caractère,on a envoyé chez quelqu'un, en lui confiant desobjets de valeur, un domestique qui vient toutjuste d'entrer à votre service. Et voilà qu'iltarde à revenir !

Un bébé qui ne parle pas encore se renverseen arrière, et crie en se débattant si quelqu'unveut le prendre dans ses bras.

Manger des fraises dans l'obscurité266 .Une fête où l'on ne connaît personne.

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38. Choses que l'on ne peut comparer L'été et l'hiver. La nuit et le jour. La pluie qui

tombe et le soleil qui brille. La jeunesse et lavieillesse. Le rire et la colère. Le noir et le blanc.L'amour et la haine. La renouée et l'arbre àliège267 . La pluie et le brouillard.

On n'aime plus une personne, c'est toujoursla même, et il vous semble cependant que c'estune autre268 .

Dans un jardin planté de nombreux arbrestoujours verts, des corbeaux dormaient, quand,vers le milieu de la nuit, ils s'éveillent entumulte, effrayés et troublés. L'alerte esttransmise d'arbre en arbre, et les corbeauxcroassent, d'une voix altérée par ce brusqueréveil. Tout cela, qui diffère de leur aspectdésagréable du jour, est bien joli.

Pour les rendez-vous secrets, l'été est

charmant. Les nuits sont extrêmement courteset fugitives. Déjà il fait jour et l'on n'a pas dormiun seul instant. Comme les stores sont partout

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restés levés, la fraîcheur pénètre dans leshabitations, et on peut voir au loin, de tous lescôtés. A l'aube, les amants ont encore quelquechose à se dire ; ils sont occupés à causer,quand, juste devant leur chambre, un corbeaus'envole avec un cri sonore. Ils ne doutent pasd'avoir été découverts, et c'est bien amusant !

En hiver, au moment des grands froids, alors

qu'on est couchée à côté, de son ami, et que l'onécoute, enfouie sous les couvertures, il estdélicieux aussi d'entendre le son d'une clochequi vous paraît être au fond d'une fosse. Demême, le premier cri des coqs semble venird'un puits très profond et très éloigné, parcequ'ils chantent le bec enfoncé dans les plumes ;mais à mesure qu'ils se répondent, il estcharmant d'entendre leur chant qui serapproche.

Quand c'est un amant qui vient la voir, il

n'est pas besoin de dire la joie qu'une femmeressent. Elle est heureuse encore, si c'estseulement quelqu'un avec qui elle est en

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relation d'amitié. Mais quel ennui lorsqu'unhomme qui n'est ni votre amant ni votre amivient sans motif particulier vous rendre visite !Il entre dans la chambre, où, derrière le store,de nombreuses dames sont assises etconversent. Il ne paraît pas vouloir s'en allerbien vite, et ses hommes d'escorte, ses pages,pensent que « probablement, même le manchede la cognée va pourrir269 ». Ils bâillentlonguement d'ennui et de découragement, etbien qu'ils les murmurent sans doute encroyant qu'on ne les entend pas, c'est tout à faitdéplaisant lorsque des phrases comme : « Ah !que c'est lamentable ! Quel souci ! quelle peine !Il doit être maintenant minuit passé » vousparviennent à l'oreille. Ces gens disent, aprèstout, cela sans réflexion ; mais il semble auvisiteur que ces paroles détruisent tout leplaisir qu'il avait à regarder et à écouter lesdames. Ou encore, lorsque les domestiques,sans aller jusqu'à parler de la sorte enmanifestant clairement leur pensée, secontentent de très fort : « Ah ! ah ! ah ! » il est

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bien amusant de se rappeler la poésie de « l'eauqui coule sous terre27 0 ». Il est trèsd é t e s t a b l e , cependant, d'entendre lesserviteurs dire, tout près des écrans de jardin,ou de la clôture de bambous : « Le temps est àla pluie », pour que leur maître se hâte.

Les hommes qui escortent les gens dequalité, ceux qui forment la suite des jeunesseigneurs, ne se conduisent pas ainsi ; mais ontrouve cette grossièreté chez les domestiquesdes gens d'un moindre rang. Parmi lesnombreux serviteurs que l'on peut avoir, ondoit choisir, pour s'en faire accompagner, ceuxdont on a éprouvé le caractère.

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39. Choses rares

Un gendre loué par son beau-père.Une bru aimée par sa belle-mère.Une pince à épiler, d'argent, qui arrache

bien27 1 .Un serviteur qui ne médit pas de son maître.Une personne sans la moindre manie, sans

infirmité, supérieure au physique comme aumoral, et qui reste sans défaut, alors qu'elle vitdans le monde.

Des personnes qui habitent ensemblegardent une réserve mutuelle, et je pense quechacune doit s'appliquer, sans la moindrenégligence, à dissimuler son caractère. Il estbien rare qu'on ne finisse pas par le voir.

Ne pas tacher d'encre le livre où l'on copiedes romans, des recueils de poésies, ou d'autreschoses analogues. Quand c'est un beau cahier,on prend le plus grand soin pour écrire, etcependant, il paraît toujours sali.

Quand des hommes et des femmes, ou desbonzes, se sont promis une amitié profonde, il

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est difficile qu'ils restent en bonne harmoniejusqu'à la fin.

Un serviteur agréable à son maître.On a donné au foulon de la soie à lustrer ;

quand il vous la renvoie, elle vous semble sibelle que l'on s'exclame : « Ah qu'elle est jolie !»

Parmi les appartements qu'occupent les

dames au Palais Impérial, ceux que longe lagalerie sont très agréables. Quand on lève lespetites jalousies du haut, le vent pénètre ensoufflant très fort, et il fait bien frais, même enété. En hiver, il arrive que la neige et la grêleentrent en même temps que le vent ; cela,encore, m'amuse beaucoup. Les chambres sontpeu profondes, et comme les pages, même là,non loin des appartements de l'Empereur, ontparfois des manières inconvenantes, nous nouscachons derrière quelque paravent. Noussommes très bien en cet endroit ; on n'y entendpas, comme ailleurs dans le Palais, parler à voixhaute et rire. Même le jour, nous sommes

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constamment sur le qui-vive, et la nuit, à plusforte raison, il n'est pas un moment où nouspuissions relâcher quelque chose de notreattention ; mais cette continuelle inquiétude apour moi du charme.

Toute la nuit, nous entendons marcher,devant les chambres, des gens chaussés desouliers. De temps en temps, les pas s'arrêtent :on frappe à quelque porte, d'un doigtseulement, et il est amusant de se dire quemalgré cela, la dame qui habite cette chambre abien reconnu tout de suite, à sa manière defrapper, celui qui est là.

Parfois, les coups durent très longtemps, etpourtant la dame garde le silence. L'hommepense sans doute qu'elle est endormie. Elle en adu regret ; le bruit d'un corps qui bougequelque peu, le bruissement d'une étoffe fontsav oir au visiteur ce qui en est. La damel'entend distinctement agiter son éventail.

D'autres fois, en hiver, bien qu'elle fasse enles maniant le moins de bruit possible, ilreconnaît le cliquetis des baguettes de métal

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qu'elle remue doucement dans le brasier. Alors,il cogne de plus en plus fort, il appelle à hautevoix, et la dame se glisse furtivement près de laporte, pour écouter.

Parfois aussi, nous entendons une foule degens qui récitent des poèmes chinois, ou disentdes poésies japonaises. Une des dames, sansattendre, ouvre sa porte, bien que personne n'yait frappé ; ceux même qui n'avaient pasl'intention de venir à cette chambre s'arrêtent.Comme ils sont trop nombreux pour entrer, ilspassent la nuit dans le jardin, devant lavéranda, et la scène n'est pas moins agréable.

Le store, tout neuf et tout vert, est superbe ;sous le rideau resplendissant de l'écran, onaperçoit un peu le bas des vêtements que portela dame, débordant l'un sur l'autre.

Cependant, ni les jeunes seigneurs dont lemanteau de cour est toujours décousu par-derrière, ni les chambellans du sixième rang,habillés de vert, ne s'approchent effrontémentde la porte à coulisse. Il est charmant de lesvoir qui se tiennent le dos contre le mur, avec

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leurs manches bien ajustées. Et puis, on doit sans doute admirer du

dehors un délicieux spectacle, lorsqu'un hommeportant un pantalon à lacets d'un violet trèsfoncé, avec un superbe manteau de cour quilaisse apercevoir des vêtements de dessousdont les couleurs diffèrent toutes, entre à demidans la chambre en poussant le store. Qu'ilprenne un élégant encrier, puis se mette àécrire une lettre, ou bien demande un miroir àla dame et se peigne les cheveux des tempes,tout cela est ravissant.

Quand l'écran de trois pieds est dressé, illaisse peu d'espace libre sous le store à tête ; ilest bien amusant de voir comme le store,relevé, vient frôler désagréablement, pendantqu'ils causent, le visage de l'homme qui estdehors et celui de la dame qui est dans lachambre. Qu'en serait-il donc si l'homme étaittrès grand et la dame toute petite ? Je ne sais,mais avec des personnes d'une taille ordinaire,il n'en peut aller autrement.

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Le jour de la répétition musicale27 2 avant lafête spéciale de Kamo, c'est encore plus joli.

Les employés du service domestiquetiennent, haut allumées, de longues torches desapin ; ils marchent en rentrant le cou dansleurs vêtements27 3 , et en heurtant partout lesextrémités de leurs flambeaux. Alorscommence un délicieux concert, la flûterésonne, et l'on est étrangement charmé. Lesjeunes seigneurs, en costume de cour,s'arrêtent près de nous pour bavarder, pendantque les serviteurs des courtisans, à voix basse,brièvement, chacun devant son maître,enjoignent à la foule de s'écarter. Toutes cesvoix se mêlent à la musique. Cela ne ressemblepas à ce que l'on entend d'habitude, et c'estravissant. Comme la nuit est avancée, on attendle retour, à l'aube, des danseurs et desmusiciens, et lorsque les jeunes seigneurschantent « La fleur de l'herbe de riz,nouv ellement poussée », c'est encore plusagréable. Si quelque homme n'ayant pas l'usagedu monde passe tout droit, et s'en va sans

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s'arrêter, les dames rient ; l'une s'écrie : «Attendez un peu, pourquoi perdre le charme decette nuit si courte, et vous dépêcher ainsi ?Restez un moment, puis vous partirez. » Maispeut-être cet homme est-il mal disposé ; ils'éloigne en grande hâte, c'est tout juste s'il netombe pas ; on dirait qu'il craint d'êtrepoursuivi et ramené de force.

C'était au temps où l'Impératrice demeurait

au palais où sont les bureaux de sa Maison27 4 .Là, si peu préparé que fût notre esprit, nousnous trouvions, sans y avoir pris garde,charmées par l'ombre profonde qui s'étendaitsous les vieux arbres du jardin, et par lahauteur de l'édifice. Un jour, quelqu'un ayantdit qu'un démon était caché dans l'appartementcentral, on avait tout employé (paravents,écrans...) pour l'enclore. On avait dressé l'écrande sa Majesté sous l'appentis du sud-est, et lesdames de sa suite se tenaient sous le doubleappentis27 5 .

Nous entendions continuellement les

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serviteurs crier : « Faites place ! » devant leshauts dignitaires et les courtisans qui étaiententrés par la porte de la garde du corps, etpassaient ensuite par celle que surveille lagarde du Palais, de gauche27 6 . Pour lescourtisans, les avertissements étaient plusbrefs que pour les hauts personnages ; enécoutant, nous nous amusions fort à dire : «Celui-ci est un grand ou un petit " faites place ".» Comme nous les avions entendues biensouvent, nous connaissions toutes les voix.Parfois, quand l'une de nous affirmait : « C'esttel ou tel seigneur que l'on annonce », une autrerépondait : « Ce n'est pas lui », et nousenvoyions une servante voir qui venaitd'arriver. Il était amusant d'entendre la damequi avait deviné dire après cela : « J'avais doncraison ! »

Un matin, alors que la lune était encore dans

le ciel, nous étions descendues dans le jardin,tout couvert d'un épais brouillard ;l'Impératrice, nous entendant, s'éveilla. Toutes

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les dames qui se trouvaient auprès d'elledescendirent aussi, et pendant que nous nousdivertissions, le jour vint peu à peu. Comme jepartais en disant que j'allais au poste de lagarde du Palais, de gauche, toutes merattrapèrent en s'écriant : « Moi aussi, moiaussi ! » Mais nous entendîmes de nombreuxcourtisans qui venaient vers le Palais, enrécitant ensemble la poésie : « Ceci ou cela...c'est l'automne qui chante d'une seule voix27 7 .» Les dames rentrèrent alors bien vite dans lePalais27 8 pour causer avec eux. L'un de cesgentilshommes demanda si nous avions admiréla lune, et composa une poésie pour en célébrerle charme.

La nuit comme le jour, jamais les courtisansne cessaient de venir nous voir. En arrivant auPalais comme en partant, les hauts dignitaires,à moins d'avoir quelque affaireextraordinairement urgente, ne manquaientpas non plus de venir.

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40. Choses qu'il ne valait pas la peine defaire

Après avoir elle-même décidé de le postuler,

une femme obtient un emploi au Palais ; maisbientôt elle prend un air ennuyé, trouve sesfonctions fastidieuses. Elle répète sans cessequ'elle doit partir parce qu'on lui a dit je ne saisquoi, parce que le service lui déplaît. Elle s'enva, et voilà qu'elle parle de revenir, attenduqu'elle est en désaccord avec ses parents 1

Un gendre adopté27 9 qui fait mauvais visageà ses beaux-parents.

Après s'être obstiné à prendre pour gendrequelqu'un qui n'y tenait guère, se lamenter endisant qu'il n'est pas tel que l'on pensait.

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41. Choses dont on n'a aucun regret280

On entend louer une poésie que l'on a

composée pour la donner à une amie, et luipermettre de la présenter comme son œuvre.Cela, pourtant, a aussi quelque chosed'agréable.

Un homme, près d'entreprendre un longvoyage, demande des lettres derecommandation pour des gens qui habitentdans les endroits où il va passersuccessivement, et vous fait dire qu'il seraitheureux d'avoir une lettre de vous. Vousécrivez alors négligemment, pour quelqu'une devos connaissances, une lettre que vous envoyezà celui qui va partir. Mais votre ami se fâche enla lisant, et dit que vous ne vous êtes, pour lui,pas mis en frais. Il ne donne pas seulement deréponse au voyageur, il parle de vous enmauvais termes.

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42. Choses qui paraissent agréables Le compliment adressé au Souverain quand

on lui présente la canne du Lièvre281 . Le chef des acteurs qui exécutent la danse

sacrée282 .Les lotus de l'étang arrosés par l'averse.Celui qui dirige les chevaux à la fête de

l'Auguste Esprit283 , ou encore, à cette mêmefête, celui qui porte la bannière, qu'il agite pourfaire des signaux.

Le directeur d'une troupe d'artistesambulants.

A l'époque où sont nommés les gouverneursde province, celui qui obtient le meilleur poste.

Le lendemain284 du jour où fut faite l' «Énumération des noms des Bouddhas285 », onapporta, en traversant le Palais, le paravent surlequel est représenté l'enfer, pour le montrer àl'Impératrice. C'était une peinture tout à faitrepoussante. Sa Majesté me dit de la regarder ;mais je répondis que je ne voulais absolument

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pas la voir. J'étais glacée d'horreur ; pour mesoustraire à tous les yeux, j'allai me coucherdans notre chambre du Palais.

Il pleuvait très fort, et l'Empereur dit qu'ils'ennuyait ; sur son ordre, les courtisansvinrent aux appartements qu'occupaitl'Impératrice au Palais pur et frais ; il y eut unconcert. Le Troisième sous-secrétaire d'ÉtatMichimasa286 jouait très bien de la guitare ; leseigneur Narimasa jouait de la harpe, Yukinaride la flûte, et le Capitaine de la garde du corps,Tsunefusa, de l'orgue à bouche287 . C'étaitravissant, et quand la guitare se tut, à la fin dumorceau, le Seigneur premier sous-secrétaired-État288 récita la poésie : « Le son de laguitare a cessé ; mais l'on tarde à causer289 . »

J'étais couchée tout près, bien cachée ; je melevai, puis me montrai en déclarant : « La peineque j'encours est terrible ; pourtant je ne puisrésister au charme de ces vers ! » ce qui fit riretout le monde. La voix du Premier sous-secrétaire n'était, sans doute, pas remarquable

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; mais vraiment, on aurait pu croire toutpréparé à dessein pour que sa récitation fût àpropos.

Le Capitaine de la garde du corps, sous-chef

des chambellans290 , ayant écouté quelqueracontage à mon sujet, disait de moi les pireschoses : « Comment ai-je pu, s'étonnait-il parexemple, la considérer comme un être humain? » Je fus mortifiée en apprenant par hasardqu'il me calomniait, sans garder de mesure,même au Palais de l'Empereur. Pourtant, jerépondis en riant : « Si j'étais vraiment sidétestable, ce serait un malheur ; mais il aurarectifié de lui-même son jugement après s'êtrerenseigné. » Cependant, quand Tadanobuentendait ma voix, en passant aux environs dela Porte noire291 , il se couvrait le visage avecsa manche, et ne m'accordait pas un coup d'œil.Mais malgré l'aversion qu'il me témoignait, jelaissai le temps s'écouler, sans lui parler, nimême regarder de son côté.

Vers la fin du deuxième mois292 , la pluie

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tomba souvent; le temps me semblait long,quand les dames me racontèrent que Tadanobuétait au Palais, où il prenait part à une retraitede l'Empereur, et qu'il avait dit : « Quoi qu'il ensoit, je me sens tout triste depuis que j'ai rompuavec Sei Shônagon. Je ne sais si je ne devraispas lui envoyer un mot. » Je répondis que je necroyais pas cela possible ; mais je restai toute lajournée dans ma chambre, et quand je merendis près de l'Impératrice, elle s'était déjàretirée dans ses appartements de nuit.

Les dames de sa suite se trouvaientrassemblées dans la salle inférieure ; ellesavaient approché une lampe, et s'amusaient àdeviner des caractères chinois dont la moitiéétait cachée. En m'apercevant, toutess'écrièrent : « Quel bonheur ! Enfin vous voici !Accourez vite ! » Mais je me désolais d'êtrearrivée après le départ de ma maîtresse, et jene savais pour quoi faire j'avais bien pu venir auPalais. Je m'assis à côté du brasier carré ;toutes vinrent auprès de moi, et nous causions,lorsqu'un messager s'annonça au-dehors, d'une

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voix éclatante. Étonnée, j'envoyai demander cequi s'était passé en si peu de temps, depuis quej'avais quitté ma chambre. Le messagerappartenait au service domestique. Il réponditqu'il devait me parler sans intermédiaire, et jesortis pour le questionner : « Voici, me dit-il,une lettre que vous adresse le Seigneurcapitaine sous-chef des chambellans, veuillezrépondre sur le-champ. » Connaissantl'extrême aversion que le Capitaine avait pourmoi, je me demandais quelle sorte de lettre cepouvait être ; mais je la mis dans mon sein endéclarant qu'il m'était impossible de la lire toutde suite, à la hâte, que le messager pouvait s'enaller, et que je répondrais bientôt ; puis jerentrai. Peu de temps après, alors que j'étais denouveau occupée à écouter la conversation desdames, le même homme revint, et me dit : « Onm'a ordonné de rapporter, à défaut d'uneréponse, la lettre que je vous avais remise.Dépêchez-vous. »

Je trouvai la chose étrange, et pensant quec'était là un vrai conte d'Ise293 , je regardai la

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lettre. je la vis, élégamment écrite sur du papierbleu, très fin ; mais rien ne justifiait l'émotionque j'avais d'abord ressentie.

« Dans la salle du Conseil, pendant la saisondes fleurs, vous êtes sous le dais de brocart294

»,avait-on écrit ; et, ensuite, « quelle est la finde cette poésie ? »

Je ne savais comment faire. Si l'Impératriceavait été là, j'aurais pu la prier de lire cettelettre ; mais elle dormait ; je me disais que si,tout en montrant que je connaissais la fin dupoème, j'écrivais ma réponse avec descaractères chinois incertains, elle seraitdésagréable à la vue. Et puis le messager ne melaissait pas le temps de réfléchir, il me pressait,il me troublait. Avec un charbon éteint que jepris au brasier, j'écrivis donc seulement :

« Qui pourrait venir visiterLa chaumière295 ? » à la fin de la lettre qu'il m'avait apportée, je

la lui rendis mais je ne reçus pas de réponse.

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Toutes les dames passèrent la nuit au PalaisImpérial, et le lendemain matin, j'étaisdescendue de très bonne heure à notrechambre, quand j'entendis le Capitaine de lafamille Minamoto296 appeler d'une voix detonnerre : « La chaumière est-elle ici ? Lachaumière est-elle ici ? — Comment, répliquai-je, une telle personne, qui n'a pas même l'aird'un être humain297 , pourrait-elle être ici ? Sivous demandiez la galerie des joyaux298 , onvous répondrait ! — Quelle joie, s'écria-t-il,vous êtes dans votre chambre ! S'il l'avait fallu,je serais allé, pour vous voir, jusqu'au PalaisImpérial ! » Il m'apprit que la veille au soir,dans la salle où se tient le Capitaine sous-chefdes chambellans quand il est de servicependant la nuit, se trouvaient réunis plusieurshommes, du sixième rang au moins, tous gensde talent. « On causait, me dit-il, de tout lemonde, et l'on racontait toutes sortes de choses,soit passées, soit actuelles, quand, dans le coursde la conversation, le Capitaine déclara : « J'ai

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rompu complètement avec Sei Shônagon ;pourtant cela ne peut durer ainsi. J'attendais,pensant qu'elle me parlerait peut-être lapremière ; elle reste indifférente, sans avoirl'air d'y songer le moins du monde, et j'en suist r è s mortifié. Il me faut voir, cette nuit, cequ'elle vaut, et en finir avec cette incertitude. »Tous ceux qui étaient là discutèrent à cepropos, et l'on décida de vous écrire ; maisl'homme du service domestique nous contacomment vous étiez rentrée en disant que vousne pouviez lire tout de suite notre missive. Onle renvoya cependant en lui donnant cesinstructions formelles : « Saisissez-la par lamanche, et ne la laissez pas bouger avantd'avoir obtenu d'elle une réponse que vousrapporterez ; ou, sinon, reprenez au moinsnotre lettre. » Il pleuvait justement très fortquand on lui ordonna de repartir ; mais il revintbientôt, et sortit un papier de son sein en disant: « Voici ! » C'était notre billet ; le capitainemurmura : « Je me demande si elle l'a renvoyétel quel », puis il ouvrit cette lettre, et

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s'exclama en y jetant les yeux. Tous, alors,s'approchèrent et regardèrent en s'étonnant : «C'est étrange, quelle chose cela peut-il être ? —Quelle extraordinaire friponne, s'écria leCapitaine, je ne puis vraiment rompre avec elle! » Tous se précipitèrent pour lire votreréponse, et dirent : « Nous pourrions luirenvoyer sa poésie en y joignant uncommencement299 . Capitaine Minamoto,ajoutez-le donc ! » Très tard dans la nuit, nousnous tourmentâmes sans résultat pour essayerd'ajouter ces premiers vers ; mais nous dûmesy renoncer, nous décidâmes que la choseméritait sûrement d'être répétée ! » LeCapitaine Minamoto, après m'avoir racontétoute cette histoire avec des éloges sidémesurés que j'en étais confuse, me dit : « Onvous surnomme maintenant « la chaumière » ;et comme Tsunefusa se hâtait de partir, jesongeais qu'il serait pénible de garder toujoursun surnom si désagréable.

A ce moment, arriva le Sous-chef du servicedes réparations, Norimitsu300 , qui me déclara

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: « Pensant que vous y étiez sans doute, j'étaisallé au Palais Impérial pour vous marquer toutema joie ! — Pourquoi cette allégresse ? luidemandai-je ; je n'ai cependant pas entendudire que l'on avait nommé des fonctionnaires ?Quel poste avez-vous donc obtenu ? — Voyons,répliqua le Sous-chef il s'agit bien de cela !Toute la nuit, j'ai attendu avec impatience lemoment de venir vous parler, en songeant àvotre réponse vraiment merveilleuse d'hiersoir. Jamais on n'avait vu chose aussi glorieuse !» Et il me répéta, depuis le début, tout ce quem'avait dit le Capitaine. Il ajouta que leCapitaine sous-chef des chambellans avaitaffirmé : « Je la jugerai d'après sa réplique, et sicelle-ci ne me satisfait point, je ne me soucieraiplus de son existence. » Pourtant, continua leSous-chef, quand le messager revint sans rienrapporter, on estima, contrairement à ce quel'on pourrait croire, que c'était bien. Ladeuxième fois, lorsque l'homme apporta uneréponse, je sentis mon cœur battre à se rompre,pendant que je me demandais ce que vous

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pouviez avoir écrit. Je pensais, en vérité, que sil'on trouvait cette réponse mauvaise, ce seraitdésagréable aussi pour moi, votre Frère aîné.Heureusement votre réplique, non seulementn'était pas médiocre, mais avait un charme peucommun. Toutes les personnes présentes lalouèrent avec enthousiasme, en me criant : «Eh ! vous qui êtes son frère aîné, écoutez donccette réponse ! » J'étais ravi au fond du cœur ;mais je repartis : « A quoi bon, je suis tout à faitincompétent en cette sorte de choses. — On nevous demande pas, me répondit-on, de juger nide critiquer ; on vous dit seulement de raconterà tout le monde ce qui est arrivé ! » La répliqueétait un peu pénible pour un frère aîné commemoi. Cependant, après avoir discuté, tousdéclarèrent : « Nous avons beau essayerd'ajouter un commencement à ces vers, il n'y apas d'apparence que nous puissions en trouverun. Au reste, est-il rien qui nous oblige,spécialement, à composer une poésie enréponse ? Un envoyant un poème médiocre,nous ne ferions sans doute que nous attirer un

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grave désagrément » ; et ils restèrent ainsijusqu'au milieu de la nuit. Tout cela n'est-il pastrès heureux pour vous et pour moi ? Si j'avaisété nommé lieutenant dans la garde ducorps301 , lors des promotions, ma joie ne seraitrien à côté de celle que j'éprouve aujourd'hui ! »Pendant que le Sous-chef me parlait, je mesentais vraiment fâchée d'avoir répondu sanssavoir que tant de gens s'étaient concertés pourm'écrire, et mon cœur se brisait à cette pensée.

Tout le monde, jusqu'à Leurs Majestés, sutl'histoire de la sœur cadette et du frère aîné ;même au Palais de l'Empereur, on n'appela plusle Sous-chef que « frère aîné », au lieu de ledésigner par le nom de sa fonction.

Comme nous conversions tous les deux, uneserv ante arriva ; elle me dit, de la part del'Impératrice, de venir sur-le-champ. Quand jefus auprès de ma maîtresse, je vis que c'étaitpour me parler de cette affaire qu'elle avaitdésiré me voir. « L'Empereur, me déclara-t-elle, est venu par ici, et m'a raconté que tous leshommes de son Palais avaient votre distique

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écrit sur leur éventail. » J'étais stupéfaite, et jeme demandais qui avait publié la chose ; mais,depuis ce jour-là, le Capitaine sous-chef deschambellans cessa de se servir de sa manchecomme d'un écran devant son visage, et parutavoir corrigé son opinion à mon égard.

Un an plus tard302 , le vingt-cinq du

deuxième mois, l'Impératrice alla demeurer aupalais où sont les bureaux de sa Maison. Je nel'accompagnai pas, et je restai au Palais dujardin des pruniers. Le lendemain, le Capitainesous-chef des chambellans303 m'envoya cemessage. : « La nuit dernière, je suis parti pouraller visiter le temple de Kurama304 , et jepensais revenir ce soir ; mais comme demauvais présages m'interdisent de marcherdans la direction de la capitale, je change dechemin305 ; je compte rentrer avant le jour. Ilfaut absolument que je vous parle. Veuillezdonc m'attendre, et ne me laissez pas frappertrop fort à votre porte. »

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Cependant, la Noble Dame du service de laToilette306 m e fit appeler : « Pourquoi, medemandait-elle, restez-vous seule dans votrechambre ? Venez donc ici » ; je me rendis à sonpalais.

Le lendemain matin, je me levai tard, et jeretournai à ma chambre. La servante que j'yavais laissée me conta : « La nuit dernière, unhomme heurta très fort et très longtemps à laporte. Finalement je me levai, il me priad'annoncer à ma maîtresse que celui qui avaitpromis de venir avait fait comme il avait dit ; jerépliquai que probablement vous n'écouteriezpas, et je me recouchai. » « Quelle choseimpatientante ! » pensais-je. A ce moment ilvint un homme du service domestique, qui medit : « Le Seigneur sous-chef des chambellansvous annonce qu'il va partir à l'instant, et qu'il acependant quelque chose à vous communiquer.» Je répondis que mon service m'appelait auPalais, et que le Capitaine pourrait m'y voir. Eneffet mon cœur battait ; j'étais inquiète enpe ns a nt que peut-être, s'il venait à ma

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chambre, il écarterait le store. J'allai donc auPalais du jardin des pruniers ; quand leCapitaine sous-chef des chambellans arriva,j'ouvris la demi-jalousie de la face orientale, etje le priai d'approcher. Il s'avança, magnifique,portant un manteau de cour d'une superbecouleur de cerisier, avec une doublure dont lanuance et le lustre avaient un charme indicible.Sur son pantalon à lacets, couleur de vigne trèsfoncée, on voyait, brodées çà et là, des branchesde glycine, plus grandes que nature. La teintee t l'éclat de son vêtement de dessous écarlateparaissaient splendides, et, dessous encore, denombreux vêtements blancs et violet clairétaient mis l'un sur l'autre.

Comme la véranda était très étroite, il s'yassit à demi seulement, presque sous le store; ilsemblait vraiment un de ces personnages quereprésentent les peintures, ou que célèbrent lesromans.

Les fleurs des pruniers qui sont devant lepalais, blanches pour celui de l'est et rougespour celui de l'ouest, commençaient à tomber

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un peu, mais elles étaient encore belles. Lesoleil éclairait tout cela de ses brillants rayons,et j'aurais voulu faire contempler par tout lemonde ce calme tableau. Il aurait fallu, àl'intérieur, derrière le store, une jeune dameavec de superbes cheveux, longs, répandus surses épaules. La scène eût alors été encore plusadmirable et jolie. Mais c'était moi qui étais là :une femme vieille, ayant de beaucoup passé lafleur de l'âge, avec des cheveux que l'on pouvaitcroire faux307 , crêpés par-ci, par-là, endésordre. Comme on se trouvait dans unepériode de deuil308 , où les dames portaientpour la plupart des vêtements dont la couleurdifférait de la teinte habituelle, j'avais deshabits d'un gris souris si terne que l'on aurait puse demander s'ils étaient, ou non, colorés. Ilsétaient tous de la même nuance, on ne lesdistinguait pas les uns des autres. Ainsi, mamise n'avait pas le moindre éclat ; l'Impératriceétant absente, je ne portais pas de juped'apparat ; j'étais assise là, en habit de dessus ;je gâtais le spectacle. Quel dommage !

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Le Capitaine sous-chef des chambellans medit : « Je vais au palais où sont les bureaux.Avez-vous une commission à me confier ?Quand irez-vous là-bas ? » Puis encore : « Jerevins hier, sans attendre la fin de la nuit àl'endroit où j'étais allé pour changer la directionde ma route, car, malgré l'heure, je pensais quevous m'attendriez, puisque je vous avaisprévenue. Il faisait un superbe clair de lune ;aussitôt arrivé de la capitale de l'ouest309 , jevins frapper à la porte de votre chambre. Maisà ce moment... Ah ! de quelle grossièreté furentles façons et la réponse de la servante quis'éveilla finalement, et qui sortit, tout hébétéepar le sommeil ! » Il riait en me racontant cela,et poursuivit : « Je fus complètementdésappointé. Pourquoi aviez-vous laissé unetelle femme dans votre chambre ? » je pensaisqu'en vérité il avait pu, avec raison, être fâché ;j'en avais du regret, tout en trouvant la choseamusante. Après quelque temps, le Capitaines'en alla. Les gens qui l'auront admiré du dehorsse seront demandé, charmés, quelle jolie

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personne pouvait cacher le store, et ceux quime voyaient par-derrière, du fond de lachambre, n'auront pu s'imaginer que, dehors, ily avait un seigneur aussi magnifique.

Au coucher du soleil310 , je me rendis aupalais où sont les bureaux des fonctionnairesqui gouvernent la Maison de l'Impé- ratrice. Denombreuses dames étaient réunies auprès deS a Majesté ; elles disputaient à propos desromans, chacune disant les endroits qui luisemblaient beaux, ou déplaisants, oudétestables ; elles en récitaient des passages.L'Impératrice elle-même discutait les qualitésde Nakatada311 . « Donnez-nous vite, me ditune dame, votre opinion là-dessus ; Sa Majestérépète constamment que l'enfance de Nakatadafut bien étrange. — Quoi qu'il en soit, répliquai-je, encore qu'il ait joué de la harpe avec assez detalent pour faire descendre les anges du ciel,c'était quelqu'un de fort désagréable, et je nesais trop s'il obtint la fille de l'empereur ! » Ladame, comprenant qu'en réalité j'estimaisbeaucoup Nakatada, répondit alors : « Puisque

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vous plaisantez ainsi... » Mais l'Impératrice medit : « Si vous aviez vu Tadanobu, quand il estvenu dans la journée, je m'imagine que vousl'auriez trouvé plus beau et plus séduisant quetoutes ces figures de romans ! » Et les damesajoutèrent : « Cette fois, il semblait, en vérité,encore plus superbe que de coutume. — J'étaisaccourue, m'exclamai-je, dans l'intention dedire tout de suite à Sa Majesté que Tadanobum'avait rendu visite ; mais je me suis trouvéemêlée à la discussion à propos des romans, et jen'ai pu m'expliquer. » Je racontai ce qui s'étaitpassé. Les dames rirent alors e n déclarant : «Bien que nous eussions toutes vu Tadanobu,aurions-nous pu découvrir le fil qui reliait tousles chapitres de cette histoire, en distinguantchaque détail, jusqu'aux points de la couture ?»

Elles me parlèrent ensuite de la visite que leCapitaine sous-chef des chambellans leur avaitfaite. Comme il leur disait : « Si quelqu'un avaitvu, avec moi, la dévastation de la capitale del'ouest, il me semble que mon émotion aurait

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été plus grande encore. Les clôtures sont toutesrompues, et la mousse, en poussant, a toutrecouvert », la dame Saishô lui répondit parcette question : « Y avait-il des pins sur lestuiles312 ? » et Tadanobu, rempli d'admiration,fredonna : « J'ai quitté la capitale, par la portede l'ouest, et combien de pays ai-jetraversés313 ? » Il était très amusantd'entendre tout le monde louer bien haut,bruyamment même, l'érudition de la dame etdu Capitaine sous-chef des chambellans.

Lorsque j'étais à la campagne, pour un

temps, les courtisans venaient me retrouver ;les gens de la maison où je logeais se plaignaientqu'on les importunât ainsi. Comme je n'avais,du reste, aucun sentiment à cacherprofondément en mon cœur314 , je ne détestaispas ceux qui parlaient de cette façon. Et -pourtant ! Comment faire répondre qu'on n'estpas là aux gens qui viennent vous voir, la nuitet le jour, et les renvoyer mortifiés ? D'autantplus que parmi ceux dont l'arrivée troublait la

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maison, il s'en trouvait aussi qui n'étaient pas,vraiment, de mes amis intimes ! Comme toutcela m'ennuyait réellement trop, je n'avais, unefois315 , pas dit à tout le monde où j'allais. Seulsle savaient les seigneurs Tsunefusa, Narimasa,et quelques autres. Un jour Norimitsu, lelieutenant de la garde du Palais, de gauche, mefit visite, et dans le cours de la conversation, ilme dit que la veille, le Seigneur capitaine etconseiller d'Etat316 l'avait interrogé avecinsistance, en lui répétant que, selon touteapparence, il n'ignorait pas où était sa propresœur cadette. Comme Norimitsu lui répondaitqu'il n'en avait pas la moindre idée, le Seigneurconseiller l'avait pressé désagréablement de lerenseigner. « J'étais désolé, me contaNorimitsu, de nier une chose vraie ; je sentaisque j'allais rire aux éclats. Le Capitaine de lagarde du corps, de gauche317 , était assis à côtéde nous, l'air tout à fait indifférent et ignorant,je n'en pouvais plus : il me semblait que si monregard rencontrait seulement le sien, je serais

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forcé de rire. Pour m'en empêcher, je saisisvivement un méchant morceau d'algue318 quise trouvait sur la table, auprès de nous, je lefourrai, puis le retournai dans ma bouche. Lesgens auront pensé, en me voyant faire, que jeprenais là une singulière friandise entre lesrepas. Cependant je réussis, grâce à monstratagème, à garder le silence. Si j'avais ri, tousnos efforts auraient été vains ; mais Tadanobuse dit que, vraiment, je ne devais rien savoir.C'était bien amusant ! »

Je recommandai encore plus instammentune absolue discrétion à Norimitsu, puis delongs jours passèrent.

Pourtant, une nuit, très tard, j'entendis descoups terribles la grande porte. Je medemandais qui pouvait frapper ainsi, de façon àeffrayer tout le monde, alors que la porte n'étaitpas très éloignée de l'habitation ; j'envoyai uneservante s'en informer. C'était un garde ; ilapportait une lettre, et dit qu'elle m'étaitadressée par le Lieutenant de la garde duPalais, de gauche. Tous dormaient dans la

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maison, j'approchai une Lampe et je lus. « C'estdemain, m'écrivait Norimitsu, la fin de la «Lecture sacrée319 » ; le Capitaine et conseillerd'État restera au Palais, car il doit assisterLeurs Majestés dans leur retraite du jourd'abstinence320 . S'il me tourmente pour que jelui dise où est ma sœur cadette, il n'y aura pasmoyen que je me taise, et je ne pourraisûrement point dissimuler. Me faudra-t-il luiapprendre où vous êtes ? Que devrai-je faire ?Je suivrai vos instructions. » Je n'écrivis rien enréponse, j'enveloppai seulement de papier unpetit morceau d'algue, et je l'envoyai àNorimitsu. Un peu plus tard, celui-ci vint mevoir et me dit : « Tadanobu m'a pressé dequestions toute la nuit ; il m'avait pris à partdans le premier endroit venu. C'est une cruellechose que de se voir ainsi tourmenté parce quel'on est fidèle à une amie. Et puis, vous nem'aviez fait aucune réponse, vous ne m'aviezenvoyé, bien enveloppé, qu'un stupide morceaud'algue. Sans doute l'aviez-vous pris par erreur! » « Singulier objet de méprise, pensais-je en

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l'écoutant ; a-t-on jamais vu envelopper unepareille chose et l'adresser à quelqu'un ? » Jedétestais Norimitsu en voyant qu'il n'avaitabsolument rien compris, et sans lui répondreun mot, j'écrivis sur une feuille de papier que jepris à côté de l'encrier :

« Si la pêcheuse qui plongeVous a fait … manger de l'algue, … signe de l'œil,C'est, sans doute,Pour que vous ne disiez jamaisQue sa demeure est … au fond de la mer. » … là-bas321 . » Je tendis ce papier à Norimitsu ; mais avec

son éventail, il le repoussa en maugréant : « Ah! vous avez daigné composer une poésie. Je neveux pas même la regarder ! » Puis il partitbien vite.

Ainsi, sans motif réel, nous fûmes un peubrouillés, nous qui, toujours, avions été de sibons amis et nous étions protégésmutuellement. Cependant, Norimitsu m'écrivit

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après quelque temps : « Encore que j'aie pufaire une chose inopportune, ne rejetez pasnotre pacte d'alliance; et, même si nous restonsséparés, rappelez-vous que j'étais comme votrefrère aîné. » Il avait l'habitude de déclarer : «Les gens qui ont de l'affection pour moi nedoivent pas m'envoyer de poésie. Je seraisforcé de les considérer tous comme mesennemis. Si un jour, fatiguée de notre amitié,vous vouliez la rompre, vous n'auriez qu'àm'adresser des vers. » Aussi, en vérité, neregarda-t-il peut-être pas la lettre que je luiexpédiai, dans laquelle j'avais écrit :

« Quand les montagnesDe la sœur cadette et du frère aîné

s'écroulent,On ne reconnaît plus du tout,Entre elles deux,En voyant leurs relations, La rivière de

Yoshino. Ces gens qui s'aimaient autrefois322 . » Toujours est-il que je ne reçus pas de

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réponse, et comme, vers ce temps-là,Norimitsu obtint la coiffure de noblesse et futnommé sous-gouverneur de Tôtômi, nousfûmes séparés ,-ans nous être réconciliés.

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43. Choses qui semblent éveiller lamélancolie

La voix de celui qui parle après avoir

mouché, à la hâte, on nez qui coulait. S'arracher les sourcils323 .Peu de jours après la promenade que nous

avions faite vers le poste où se tiennent lesgardes du Palais, de gauche, je partis pour lacampagne. Je m'y trouvais depuis quelquetemps, quand je reçus un message del'Impératrice324 . Elle m'ordonnait de revenirbien vite, et ajoutait : « Je ne cesse de penserau jour où vous étiez allée, à l'aurore, au postede la garde du Palais, de gauche. Commentpouvez-vous rester si indifférente et perdre lesouvenir des choses passées ? Je m'imaginaisque vous aviez été délicieusement charmée ! »Dans ma réponse, j'assurai ma maîtresse de marespectueuse obéissance, et je lui fis dire : «Comment pourrais-je, moi, ne pas garder de cejour un souvenir enchanteur ? Votre Majestémême, alors qu'il ne s'agissait que de nous, ses

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dames d'honneur, s'est rappelé que, peut-être,en nous regardant ce matin-là, elle avait cruvoir les filles de l'aurore325 ! »

La messagère que j'avais envoyée revint toutde suite, et nie rapporta ces paroles del'Impératrice : « Votre réponse me sembledemander beaucoup de réflexion. Maispourquoi me dites-vous une chose capable defaire rougir quelqu'un326 ? Laissez tout ce quipeut vous retenir et revenez sans délai, ce soirmême. Si je ne vous voyais pas bientôt, je vousdétesterais extrêmement. » « Quand elle neferait, répliquai-je, que me trouverpassablement détestable, je serais désolée. Aplus forte raison, alors qu'elle a employé le mot« extrêmement », je donnerais ma vie pourpartir à l'instant. » Je revins au Palais.

Du temps que l'Impératrice habitait au palais

où sont les bureaux de sa Maison, la « Lectureininterrompue327 » fut faite dans la sallesituée sous l'appentis de l'ouest, et il n'est pasbesoin de noter qu'on y avait suspendu des

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peintures du Bouddha, ni qu'il y avait là desbonzes. On était seulement au deuxième jourde la « Lecture », quand nous entendîmesquelque pauvre bredouiller, en bas de lavéranda : « Il reste sans doute encore un peudes mets que l'on a offerts au Bouddha. —Comment, lui répondit un des prêtres, serait-ildéjà possible de vous le dire ? » Nous nousdemandions qui pouvait avoir parlé, noussortîmes pour voir. C'était une vieillereligieuse328 , portant une jupe qui avait l'aird'un pantalon de chasse, extrêmement sale,courte, et aussi étroite, aurait-on dit volontiers,qu'un tuyau ; avec quelque chose qu'on auraitpeut-être pu appeler un manteau, égalementsale, dont le bas ne descendait pas à plus decinq ou six pouces au-dessous de sa ceinture.Elle avait toute l'apparence d'un singe, etcomme je demandais ce qu'elle désirait, ellerépondit d'une voix apprêtée : « Je suis discipledu Bouddha, et je voudrais qu'on eût la bontéde me donner les restes de son repas ; mais cesprêtres sont trop ladres ! » Elle parlait

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élégamment, comme une personne distinguée ;cela faisait peine de voir une telle mendianteainsi, à bout de forces. Cependant, je la trouvaistrop gaie, je lui dis : « Vous mangez seulementles restes des offrandes, et vous ne prenez pasd'autre nourriture ! Vous méritez vraimentqu'on vous révère ! » Voyant mon air moqueur,la religieuse répliqua : « Pourquoi donc nemangerais-je que cela ? C'est bien quand il n'y arien d'autre que je prends ces restes. » Nousmîmes alors quelques fruits et quelques «gâteaux larges » dans une corbeille que nous luidonnâmes. Elle devint ensuite très familière etnous raconta quantité de choses. Les jeunesdames sortirent et l'interrogèrent à l'envi : «Êtes-vous mariée ? où habitez-vous ? » Ellerépondait avec des plaisanteries, des allusions ;les dames finirent par lui demander si ellesavait chanter et danser. Elle entonna : « Avecqui dormirai-je cette nuit ? Je dormirai avec lesous-gouverneur de Hitachi ; sa peau est doucependant son sommeil. » La suite de la chansonétait très longue. En agitant, en faisant rouler sa

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tête, elle chanta encore : « Les feuilles d'érable,rougies par l'automne, sur le mont Otoko329 ,en vérité, répètent son nom. » Elle était tout àfait déplaisante ; les dames, en la regardant,riaient avec dégoût, et lui crièrent : « Allez-vous-en, allez-vous-en ! » C'était comique.L'une de nous dit qu'il fallait donner à cettepauvresse quelque bagatelle avant de lacongédier; mais l'Impératrice entendit et noustança : « C'est affreux, pourquoi lui avez-vousfait faire une chose aussi ridicule ? Je nepouvais l'entendre330 , et je me bouchais lesoreilles ; donnez-lui ce manteau, et renvoyez-labien vite. » Les dames prirent le vêtement, etle jetèrent à la pauvresse en lui disant : « Voilàce dont vous gratifie Sa Majesté ; votremanteau est sale, mettez celui-ci, qui estpropre. »

La religieuse s'inclina jusqu'à terre, jeta levêtement sur ses épaules, et commença dedanser. Mais, vraiment, elle était insupportable,et toutes les dames rentrèrent. Le cadeau quenous avions fait à cette pauvresse la mit peut-

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être en confiance : elle prit ensuite l'habitude devenir se faire voir, et nous lui donnâmes lesurnom de « Sous-gouverneur de Hitachi ». Ellen'avait pas même nettoyé son manteau, il étaittoujours aussi sale, et nous nous demandionsavec répulsion où elle avait pu mettre celui dontl'Impératrice lui avait fait présent.

Ukon, la fille d'honneur de l'Empereur, étantallée aux appartements de l'Impératrice, notremaîtresse lui parla de cette religieuse et lui dit :« On voit que les dames ont attiré, apprivoisécette femme ; elles ont tant fait qu'elle vient àtout moment au Palais. » Sa Majesté donnal'ordre à la dame Kohyôe d'imiter les manièresde la pauvresse. « Comment pourrais-je la voir? s'écria Ukon en riant. Ne manquez pas de mela montrer. C'est votre favorite ; mais il est àcroire que je n'essaierai point de la séduire etque je ne vous la prendrai pas. »

Peu après ce temps, il vint une autrereligieuse. Celle-ci était infirme ; mais elle avaitun maintien très digne ; elle nous appela au-dehors et nous demanda quelque chose. Elle

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semblait si honteuse de mendier que nousavions pitié d'elle. L'Impératrice lui fit donnerun vêtement ; cette femme le reçut en seprosternant, et néanmoins ses façons nousplurent331 . Comme elle s'en allait en pleurantde joie et de reconnaissance, la religieuse quenous avions surnommée « le sous-gouverneurde Hitachi », arrivant justement, la rencontra.Elle la vit qui nous quittait, et après cela restatrès longtemps sans se montrer. Mais qui auraitpu s'en soucier ?

Et puis, dans les jours qui suivirent le dix dudouzième mois, la neige tomba et forma unecouche très épaisse. Une fois, les dames enramassaient et en entassaient beaucoup danstoutes sortes de couvercles. « De la mêmefaçon, s'écrièrent-elles, nous pourrions fairebâtir dans le jardin une vraie montagne deneige ! » Elles appelèrent des serviteurs et leurdirent que c'était un ordre de Sa Majesté, detelle sorte qu'ils se réunirent et se mirent àl'œuvre. Des gens du service domestique, quiallaient balayer, vinrent également, tous, et la

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montagne s'éleva très haut. Des fonctionnairesappartenant à la Maison de l'Impératricearrivèrent, se joignirent au groupe, etdonnèrent des avis aux travailleurs ; lamontagne devint tout à fait splendide. Il vintaussi, trois ou quatre employés du service deschambellans, et d'autres hommes du servicedomestique ; il y en, eut bientôt une vingtaine.On envoya chercher, encore, les serviteurs quiétaient chez eux. « Aujourd'hui, leur dit-on,ceux qui auront pris part à la construction decette montagne de neige recevront un salaire ;mais, au contraire, pour ceux qui ne seront pasvenus, il n'y aura point de paye. » Ayantentendu cela, les gens se hâtèrent d'accourir.Toutefois, on ne put faire avertir ceux quihabitaient trop loin.

Quand la montagne fut achevée, on appelaquelques fonctionnaires de la Maison del'Impératrice, et on leur donna deux balles derouleaux de soie, qu'ils jetèrent sur la véranda,où chacun des travailleurs alla prendre unrouleau. Tous se prosternèrent, et, après avoir

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attaché cette soie à leur ceinture, ils seretirèrent, à l'exception de quelques-uns deceux qui étaient en manteau. Ceux-ci, aprèsavoir changé de costume, restèrent, en tenuede chasse, près de l'Impératrice.

Notre maîtresse ayant demandé aux damesjusqu'à quand durerait cette montagne deneige, elles répondirent qu'elle pourraitdemeurer dix jours ou un peu plus. Commetoutes celles qui étaient là indiquaient ce temps,Sa Majesté voulut savoir ce que j'en pensais, etje répliquai que la montagne durerait jusqu'auquinze du premier mois. Cependant,l'Impératrice elle-même semblait croire qu'iln'en pourrait être ainsi, et les dames sebornaient à dire que la montagne n'attendraitpas même le dernier jour de l'année où nousétions. Je songeais, à part moi, que j'avais, hélas! indiqué une date trop éloignée ; que,vraiment, la montagne de neige ne pourraitdurer jusque-là, et qu'il m'aurait fallu parlerseulement du premier jour de l'année. Mais jepensai que, de toute façon, même si la

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montagne ne devait pas subsister aussilongtemps que je l'avais présumé, il était troptard pour me reprendre, et je maintinsfermement ce que j'avais d'abord avancé.

Vers le vingt du douzième mois, il plut ; maisrien ne montra que la montagne de neige fûtprès de disparaître. C'est à peine si elle diminuaun peu de hauteur, et je suppliai Kwannon de lamontagne Blanche332 de ne pas laisser fondrela nôtre. J'avais perdu la tête.

Le jour où l'on avait construit cette

montagne, Tadataka, le « troisièmefonctionnaire » du Protocole, était venuapporter un message de l'Empereur. Nous luiavions donné un coussin, et nous avions causé.« Aujourd'hui, avait-il dit, il n'est pas d'endroitoù l'on ne bâtisse une montagne de neige.L'Empereur en a fait faire une dans le petitjardin, devant son Palais. On en a, de même,élevé au Palais de l'est, au Palais de la beautééminente et aussi au Palais de l'extrémité de lacapitale333 . » J'avais alors composé cette

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poésie, que je lui avais fait dire par la dame quise trouvait à côté de moi :

« Ah ! les montagnes de neige !On admire seulementCelle qui est ici.Partout, cependant,… On en a construit, mais elles ont vieilli. »… Il a neigé. » Inclinant la tête à plusieurs reprises avec

admiration, Tadataka avait dit : « Je nevoudrais pas vous répondre par une poésieindigne de la vôtre. Quand je serai devant lestore d'une dame distinguée, je raconterai cettehistoire à tout le monde. » Et il était parti.Comme j'avais entendu affirmer qu'il aimaitsingulièrement la poésie, son silence m'avaitétonnée ; l'Impératrice, en apprenant qu'iln'avait pas composé de poème en réponse aumien, avait déclaré : « Il aura pensé qu'il luifallait faire quelque chose de très bien, il aurapréféré y renoncer. »

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Vers la fin de l'année, la montagne de neige

semblait avoir un peu diminué ; mais elle étaitcependant encore très haute. Un jour, à midi,comme les dames sortaient et s'asseyaient surla véranda, la religieuse que nous avionssurnommée « le sous-gouverneur de Hatachi »arriva. Nous lui demandâmes pourquoi nous nel'avions pas vue depuis si longtemps, ellerépondit : « Cela mérite-t-il de vous inquiéter ?C'est qu'il m'était advenu quelque chose de bientriste. Comment cela ? Quoi donc ? » ; ellerépliqua : « Voici justement ce que j'ai pensé »,puis elle récita d'une voix traînante : « J'aisongé :

« Ah ! que son sort est enviableA quelle … pêcheuse de l'Océan … nonne A-t-on donnéTant de choses,Qu'elle ne peut plus tirer la jambe334 ? » Les dames riaient et la trouvaient

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détestable, et comme personne ne faisait plusattention à elle, la pauvresse alla marcher entous sens près de la montagne de neige ; puiselle se retira. Quand elle fut partie, on envoyaquelqu'un dire à Ukon, la fille d'honneur, ce quis'était passé. La messagère rapporta cetteréponse, qui fit encore rire tout le monde : «Pourquoi ne l'avez-vous pas envoyée ici, en lafaisant accompagner ? Il est vraimentlamentable que cette femme soit allée, d'unemanière tout à fait inopportune, rôder jusqu'à lamontagne de neige ! »

La nouvelle année arriva sans que lamontagne en parût affectée. Le premier jour del'an, la neige tomba de nouveau en abondance,et je pensais qu'elle allait s'accumuler, à magrande joie, quand l'Impératrice dit : « Cetteneige vient bien mal à propos ; laissez lapremière, mais grattez celle-ci, rejetez-la ! » Jecouchai au Palais ; comme j'étais descendue à

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ma chambre, le lendemain matin, de très bonneheure, un homme ayant l'air d'un majordomearriva, tremblant de froid, avec, sur la manchede son habit de garde de nuit, vert foncécomme la feuille du citronnier, un papier vertattaché à un rameau de pin. « D'où vient ceci ?» lui demandai-je. Il me répondit que c'était unmessage de la Princesse consacrée335 ;joyeusement surprise, je pris la lettre, et partispour aller auprès de l'Impératrice. Mamaîtresse était encore enfermée dans sachambre, et je voulus lever, seule, le panneautreillissé qui séparait l'appartement central dela salle située sous l'appentis. je le tirai à moi, eny mettant tout mon courage ; c'était très lourd.Comme je soulevais ce panneau d'un seul côté, ilfit du bruit et l'Impératrice, étonnée, s'éveilla :« Pourquoi faites-vous cela ? » me demanda-t-elle. « Il est arrivé, répondis-je, une lettre quivient, paraît-il, de la Princesse consacrée ;comment ne se hâterait-on pas de l'ouvrir ? —Vraiment, me dit alors Sa Majesté, on l'aapportée de bien bonne heure ! » Puis elle se

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leva, et quand elle eut ouvert la missive, nousvîmes que celle-ci renfermait deux « marteauxporte-chance336 », longs d'environ cinqpouces, placés de telle façon qu'on aurait cruvoir une seule « canne porte-bonheur ». La têteen était enveloppée de papier ; le toutélégamment orné de brins d'oranger sauvage,de lycopode, de carex des montagnes ; mais iln'y avait pas de lettre. « Se pourrait-il qu'il n'yeût que cela ? » dit l'Impératrice ; et enregardant plus attentivement, nous vîmes queces vers étaient écrits sur le papier entourantl'extrémité des maillets

« On s'informaitDu bruit de hacheQui se répercutait dans la montagneEt c'était le bruitDe la canne de fête337 . » L'Impératrice prépara sa réponse ; et je

l'admirais, charmée par sa grâce. (A partir de cejour, elle écrivit régulièrement à la Princesseconsacrée.) Sa Majesté voulut que sa lettre fût

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aussi élégante que celle qu'elle avait reçue ; elles'appliqua .de tout son cœur et jeta denombreux brouillons. Je voyais qu'elle mettaitbeaucoup de soin à ce qu'elle faisait. Lemessager emporta, comme récompense, unhabit non doublé, de tissu blanc, et un autrevêtement rouge foncé. On aurait cru voir uncostume couleur de prunier338 . J'eus du plaisirà regarder l'homme s'en aller sous la neige, avecces vêtements qu'il avait jetés sur son épaule.

Cette fois-là, je ne pus savoir ce qu'avaitrépondu l'Impératrice, et j'en fus toutedésappointée.

Pour la montagne de neige, on auraitvraiment pu penser, en la voyant, que c'était lamontagne du pays de Koshi339 ; elle n'avait passeulement l'air de fondre ; elle était toute salie,et n'avait plus aucun charme. Je me sentaisdéjà fière d'avoir gagné ; je priais le Ciel de fairedurer, d'une manière ou d'une autre lamontagne jusqu'au quinze. D'autres damesassuraient qu'elle ne pourrait pas même passerle sept ; et tout le monde se disait que nous

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verrions bien, à la fin, ce qu'il arriverait, quandbrusquement, le trois, l'Impératrice dut rentrerau Palais de l'Empereur. C'était extrêmementcontrariant. Sincèrement, je pensais que nousne saurions pas comment finirait cettemontagne ; les autres dames, et l'Impératriceelle-même, répétaient aussi : « C'était pourtantfort agréable, en vérité ! » le songeais que si laneige demeurait telle, je la ferais voir àl'Impératrice pour lui montrer que j'avaisprédit juste ; mais ces réflexions étaient inutiles; profitant du tumulte extraordinaire causé partout le déménagement, j'appelai, près de lavéranda, un jardinier qui avait bâti sa cabanecontre le mur de terre340 , et je lui fis cesrecommandations : « Prenez bien soin de cettemontagne, ne laissez pas les enfants monterdessus e t disperser la neige dont elle estformée, empêchez qu'ils ne la détruisent, etfaites en sorte qu'elle demeure jusqu'au quinze.L'Impératrice a l'intention de vous donner unemagnifique récompense si, grâce à votrevigilance, la montagne dure jusqu'à ce jour-là.

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Moi-même, je vous témoignerai une extrêmereconnaissance. » Comme je l'avais gratifié debeaucoup de gâteaux, et de je ne sais quoiencore que donnent toujours les gens de lacuisine et les servantes quand on le leurdemande, le jardinier me dit en souriant : «C'est une chose bien facile, je veillerai sansdoute fidèlement sur cette montagne; mais lesenfants et les autres personnes monterontpeut-être dessus malgré moi. — Si quelqu'un,répondis- je, iir tient pas compte de vosremontrances, avertissez-moi341 . » Puis jesuivis l'Impératrice au Palais Impérial, et monserv ice m'y retint jusqu'au sept. Pendant cetemps, même, j'étais si anxieuse au sujet de lamontagne de neige que j'envoyais sans cessedes servantes inférieures, des balayeuses, desfemmes d u vestiaire, rappeler au jardinier cequ'il devait faire. Le sept, je lui fis porterquelques reliefs du festin donné pour la fête342

; et les messagères rirent entre elles, après leurretour, de l'air d'adoration avec lequel l'hommeavait reçu ces présents.

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Après que j'eus quitté le Palais pour aller à lacampagne, la montagne de neige resta leprincipal objet de mes soucis, et chaque matin,dès la pointe du jour, j'envoyai une servantevoir ce qu'elle devenait.

Le dix, la messagère me déclara que notremontagne avait bien encore cinq ou six pieds.Je m'en réjouis ; mais dans la nuit du treizièmejour, il plut très fort ; et je me désolai enpensant que, sans doute, cette pluie devaitavoir fait fondre la neige. Je me disais que lamontagne, après cela, ne durerait pas même unjour ; je ne dormis pas de la nuit. Les gens quientendaient mes lamentations riaient enassurant que j'étais folle. Dès que quelqu'un futdebout dans la maison, je me levai moi-mêmeet voulus réveiller une servante ; mais elle nebougea point, et je m'emportai contre cettedétestable fille ; je donnai l'ordre d'aller voir lamontagne à une autre servante, qui était levée.Celle-ci me dit à son retour : « La montagne estmaintenant à peu près aussi épaisse qu'un

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coussin rond, le jardinier l'a gardée avecintelligence, et n'a pas laissé les enfants s'enapprocher. Elle doit pouvoir durer encoredemain et même après-demain. Le jardinieraffirme qu'on lui donnera sa récompense. » Majoie était extrême, et je pensais que dèsqu'arriverait ce lendemain tant attendu, jecomposerais bien vite une poésie, et mettraiscette neige dans quelque objet pour laprésenter à l'Impératrice. Cependant, j'étaisrongée d'impatience et d'anxiété ; le lendemainmatin, alors qu'il faisait encore sombre, jecommandai à une servante de prendre unegrande boîte à coins pliés, je l'envoyai à lamontagne de neige après lui avoir donné cesinstructions : « Rapportez-moi cette boîtepleine de neige. Vous en prendrez aux endroitsoù elle sera propre. Vous raclerez ce qui serasale et vous le rejetterez. » Mais bientôt, enbalançant au bout de son bras la boîte que je luiavais ordonné d'emporter, la femme revint etme dit qu'il n'y avait déjà plus rien. J'en fusstupéfaite. Aurais-je alors dû réciter, avec des

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soupirs, une poésie joliment composée, enpensant qu'elle serait répétée ? Cela même eûtété absurde et inutile, et je demandai, perdantcourage : « Comment une pareille chose aura-t-elle pu se faire ? Comment cette neige, qui avaithier l'épaisseur dont on m'a parlé, aura-t-ellepu fondre en une nuit ? » La servante, trèsagitée, me répondit que le jardinier avait dit, enbattant des mains de désespoir : « Hier soir,alors qu'il faisait fort sombre, la neige étaitencore là. J'espérais bien recevoir marécompense ; mais, hélas ! maintenant on neme donnera rien ! »

A ce moment, un message arriva du PalaisImpérial. L'Impératrice me faisait demander sila neige avait duré jusqu'à ce jour. Bien que cefût pour moi très mortifiant et très pénible, jerépliquai : « Apprenez à Sa Majesté que cetteneige, dont tout le monde avait dit qu'elle nedurerait pas jusqu'à la fin de l'année dernière oujusqu'au premier jour de celle-ci, était encore là,hier soir, au coucher du soleil. On peut penser

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que j'avais sagement parlé ; si la neige avaittenu jusqu'aujourd'hui, c'eût été trop deprécision. Mais je suppose que peut-être, cettenuit, quelqu'un, par jalousie, l'aura enlevée, puisjetée. »

Je rentrai au Palais le vingt, et je parlai de lamontagne de neige dès que je fus devantl'Impératrice. Je lui racontai combien j'avais étédésappointée quand la servante, à peine partie,était revenue en déclarant que tout était fonduet en balançant au bout de son bras le couvercleseul de la boîte, qu'elle avait mise sur sa tête enguise de chapeau. Je dis également à mamaîtresse que j'avais eu l'intention de faire unejolie montagne de neige dans quelque couvercle,et de la lui présenter avec une poésieélégamment écrite sur du papier blanc343 .Impératrice se mit alors à rire de bon cœur, etcomme les dames qui étaient auprès d'elleriaient aussi, Sa Majesté me répondit : « Vousqui pensiez à cette montagne avec tantd'anxiété, vous avez été bien déçue, et sansdoute ai-je mérité que le Ciel me punisse. A

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vous dire le vrai, le soir du quatorze344 , j aienvoyé là-bas des serviteurs avec l'ordred'enlever cette neige et de la jeter. Il est bienamusant que, dans votre réponse à monmessage, vous ayez tout juste parlé de quelquechose de ce genre. Le vieillard auquel vousaviez demandé de garder la montagne de neige,sortant de sa cabane, vint à mes gens, et lesimplora en joignant les mains mais ils luirépondirent : « C'est un ordre de l'Impératrice ;ne rapporte rien à ceux qui pourront venir, carsi tu parlais, nous démolirions ta maison. » Ilsprirent toute la neige et ils la jetèrent par-dessus le mur de terre, au sud du bâtiment oùla garde du corps, de gauche, a ses bureaux.Ceux que j'avais envoyés ont déclaré que laneige était encore très haute et qu'il y en avaitencore beaucoup. Elle aurait, en vérité, pudurer jusqu'au vingt, et peut-être la premièreneige de cette année serait-elle venue s'yajouter. L'Empereur lui-même, entendantparler de cette histoire, a dit aux courtisans quenous avions discuté au sujet d'une chose bien

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difficile à prévoir. Ainsi donc, récitez-nous lapoésie que vous aviez composée. A présent, jevous ai tout révélé, votre victoire est aussicomplète que si la neige était restée. Allons,dites-nous votre poème ! »

Les dames parlaient comme l'Impératrice ;mais je répondis, sincèrement triste et désolée :« Pour quoi faire vous réciterais-je cette poésie,maintenant que j'ai appris une pareille chose ? »A ce moment, l'Empereur arriva dans lesappartements de son Épouse, et il me dit : «Vraiment, pendant des années, je vous avaisconsidérée comme une personne ordinaire,mais après ce qui s'est passé là, j'ai pensé quev o u s étiez étonnante. » Pendant que jel'écoutais, il m'était encore plus douloureux desonger que l'Impératrice avait fait jeter la neige; il me semblait que j'allais pleurer. « Hélas !murmurai-je, quelle pitié ! Nous sommes dansun monde bien cruel. Je me réjouissais envoyant tomber, puis s'accumuler la deuxièmeneige. Mais voilà que l'Impératrice ordonna dela racler, de la rejeter, en disant qu'elle venait

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mal à propos ! » Alors, en riant, l'Empereurs'écria : « Pour vrai, l'Impératrice n'aura pasvoulu vous laisser l'avantage ! »

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44. Choses splendides Du brocart de soie apporté de Chine.Un sabre dont le fourreau est décoré.Les veines du bois dans une statue du

Bouddha.De longs rameaux fleuris de glycine, d'une

nuance exquise, accrochés à un pin.Un chambellan du sixième rang est aussi

tout à fait superbe. Il est splendide avec soncostume vert-jaune, quand il porte, comme il luiplaît, des vêtements faits de damas et de jolistissus, que même un jeune prince d'excellentemaison ne pourrait mettre345 . Les employésinférieurs du service des chambellans qui sontdu sixième rang et ceux qui n'ont pas de rang,les hommes, fils de gens du commun, qui n'ontaucune apparence lorsqu'ils servent sous lesordres des seigneurs des quatrième, cinquièmeet sixième rangs, pourvus d'une fonctionofficielle, peuvent devenir chambellans. On nesaurait dire combien on est alors stupéfaitdevant leur splendeur.

Celui qui transmet un ordre du Souverain, ou

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qui vient, en qualité de messager impérial,apporter les châtaignes douces du grandbanquet346 . Quand on voit avec quelempressement le maître de la maison l'accueilleet lui offre un festin, on se demande d'où il vient; on croirait volontiers qu'il est descendu descieux.

A l'époque où elle vit dans la maison de son

père, alors qu'on l'appelle encore « princesse »,un chambellan arrive, comme messager duSouverain, auprès d'une fille noble qui sera plustard épouse impériale ou impératrice. Avantmê me d e prendre la lettre qu'il apporte, ladame, pour qu'il s'asseye, fait passer un coussinpar-dessous le store ; à ce moment, il aperçoitle bas de sa manche, d'où sortent de richesétoffes. Je ne pense pas qu'il ait l'habitude devoir, du matin au soir, une chose aussi jolie. Si lechambellan appartient à la garde impériale ou àla garde du Palais, il est encore plus gracieuxqu'un autre lorsqu'il tire et étale, pour s'asseoir,la traîne de son vêtement de dessous. Quelle

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impression peut-il ressentir en son cœur, quandle maître de la maison daigne lui présenter luimême une coupe de vin de riz ? Le chambellanva de compagnie avec les jeunes princes, fils denobles familles, qu'il respectait tant autrefois,qui s'asseyaient à part, et dont le seul aspectl'emplissait de crainte et de vénération. C'estlui-même qu'on jalouse, en voyant comme sonservice le tient tout près de l'Empereur. C'estlui qui frotte le bâton d'encre de l'écritoirequand le Souverain veut écrire une lettre ; c'estlui qui manie l'éventail de Sa Majesté. Lechambellan ne reste en fonction que trois ouquatre années347 ; mais pendant ce temps, ilpeut se mêler aux plus hauts seigneurs, sanssoigner particulièrement sa toilette ni soncostume. Ce sont là des choses qu'il est inutilede rappeler.

Assurément, les chambellans doivent êtreencore plus désolés que s'ils allaient perdre lavie, lorsque approche le moment où ilsrecevront la coiffure de noblesse et cesserontd'être admis devant l'Empereur348 . Mais ce

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que je trouve regrettable, c'est la précipitationavec laquelle ces gens vont demander auSouverain de leur accorder une justerécompense de leurs services.

Les chambellans du temps passécommençaient à se lamenter » dès le printempsde l'année où ils allaient quitter leurs fonctions ;ceux de notre époque rivalisent de hâte pourcourir réclamer un bon poste, et pour sepréparer au départ.

Quand un docteur en littérature est savant, ilest superflu de dire combien c'est merveilleux.Même s'il est fort désagréable à voir et, enoutre, d'un rang inférieur, on le considère dansle monde comme une personne très honorable.Il approche les princes révérés ; c'est lui leprofesseur de littérature qu'ils consultent surles choses de son ressort. Vraiment, je penseque sa fonction est splendide. Quand il a écritune prière que l'Empereur adresse aux dieux,ou la préface de quelque poème, on le loue, etc'est magnifique.

Il est tout à fait inutile de dire combien c'est

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superbe lorsqu'un bonze est érudit. Son savoirparaît encore plus beau quand, avec denombreux prêtres assemblés, il fait la lecturedes Saintes Écritures, pendant le temps fixé349

, que lorsqu'il lit, tout seul, son bréviaire350 .Dès que le jour s'obscurcit, le soir, tous lesbonzes demandent où est celui qui doits'occuper de l'éclairage, et trouvent qu'il tardebien à leur apporter la lampe pour la lecturesainte. Ils cessent de lire ; mais, à voix basse, lesavant prêtre continue à dire, de mémoire, lesparoles sacrées.

Le cortège de l'Impératrice quand elle sortdu Palais pendant le jour.

La chambre préparée pour l'accouchementde l'Impératrice.

Les rites et coutumes pour l'élévation d'unenouvelle impératrice. On apporte les « lions »,les « chiens de Corée351 », les petites tables, eton les dispose devant le dais ; les employés duservice de la cuisine apportent l'augustefourneau352 . On ne peut absolument pascroire, en voyant tout cela, que la nouvelle

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impératrice ait naguère été une personneordinaire, que l'on appelait simplement «princesse ».

Le cortège du Premier Dignitaire353 .Un pèlerinage du Premier Dignitaire au

temple de Kasuga354 .Un tissu couleur de vigne.Tout ce qui est violet-pourpre est bien joli ;

peu importe ce dont il s'agit : des fleurs, du fil,du papier. Cependant, parmi les fleurs violettes,celle de l'iris me déplaît quand j'en considère laforme ; mais la couleur en est superbe ! Si jetrouve du charme au costume que portent pourla garde de nuit les fonctionnaires du sixièmerang, ce doit être à cause du violet.

Un grand jardin, tout couvert de neige. Le fils aîné355 de notre Empereur est encore

un enfant. Mais qu'il a de grâce quand il estdans les bras de hauts dignitaires jeunes etélégants, ses oncles356 ! Les courtisans leservent, et il s'amuse à regarder son cheval,qu'il s'est fait amener. Il semble à ceux qui le

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voient qu'aucune peine, en ce monde, ne puisseexister pour lui.

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45. Choses qui ont une grâce raffinée Un jeune gentilhomme, à la mine agréable, à

la taille élancée, en manteau de cour.Une jolie jeune fille a mis, sans y prendre

garde, une jupe de dessus. Elle porte une vestelargement fendue sur les côtés, et des « boulesmédicinales357 » sont attachées par de longsfils à ses vêtements. Elle est assise près de labalustrade et dérobe son visage derrière unéventail.

Une jeune et charmante dame relève lerideau blanc, au bas d e l'écran d'été, etl'accroche à la traverse du haut. Sur unvêtement sans doublure, de damas blanc, elle apassé un vêtement de dessus fait d'une légèreétoffe violette. Elle s'exerce à l'écriture. Lesminces feuilles de son cahier sont élégammentreliées par un fil violet de nuance inégale.

Une lettre écrite sur du papier vert, très fin,fixée à un rameau de saule couvert debourgeons.

Un panier rustique, à barbe, teint d'une jolie

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couleur, attaché à une branche de pin à cinqaiguilles.

Un éventail dont les branches externes sontfaites, chacune, de trois planchettes accolées. Sielles en comprennent cinq, éventail est troplourd, et la partie où se trouve l'axe est laide.Une petite boîte à provisions, en bois de thuya,artistement faite.

Une mince tresse blanche.En travers du toit, sur une maison couverte

avec l'écorce du thuya, et qui n'est pas neuve, nitrop vieille non plus, on a placé, de gracieusefaçon, des feuilles d'acore358 .

Par-dessous un store encore tout vert, onvoit un écran dont le rideau lustré, d'une teinteéclatante, a des dessins imitant le vieux bois. Levent fait ondoyer le cordon brodé de cet écran,et c'est joli aussi.

Un jour, près de la balustrade, devant lestore à tête, d'une couleur splendide, que l'onsuspend en été, je vis un très joli chat, avec uncollier rouge garni d'une étiquette blanche. Ilmarchait en tirant sur la corde fixée à son cou, à

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laquelle on avait attaché quelque objet pourl'empêcher de s'enfuir. C'était charmant.

Les dames-chambellans qui distribuent lesacores à la fête du cinquième mois. Elles ont surla tête une guirlande d'acore ; elles portent unruban de taille et un ornement d'épaule359 dontla couleur n'est pas rouge comme celle du rubanq u i tombe sur le vêtement de petiteabstinence360 ; mais dont la forme ressemble àcelle de ce ruban. Quel délicieux spectacle onadmire lorsqu'elles présentent les « boulescontre les maladies » aux princes du sang et àtous les hauts dignitaires, qui se tiennent en file! Ceux-ci prennent des boules, les attachent àleur ceinture, puis se trémoussent et seprosternent. C'est tout à fait joli.

Les jeunes filles qui portent les brûle-parfum, à l'arrivée des danseuses, à laCinquième fête361 .

Les jeunes seigneurs de la petiteabstinence362 sont aussi très élégants.

Le costume vert-jaune que mettent, pour la

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garde de nuit, les chambellans du sixièmerang363 .

Les danseurs aux fêtes spéciales de Kamo etd'Iwashimizu.

Les jeunes filles qui accompagnent lesdanseuses de la Cinquième fête sontcharmantes.

A la Cinquième fête364 , c'est l'Impératricequi envoyait les danseuses ; il fallait aussi douzesuivantes, et j'entendis quelqu'un dire qu'il neconvenait pas de prendre des femmes au palaisoù résidait l'épouse du Prince héritier365 pourqu'elles allassent ailleurs remplir cet office. Jene sais ce qu'en pensa notre maîtresse ; maiselle envoya dix de ses dames d'honneur. Pourles deux autres, l'une était dame del'Impératrice douairière366 , et la secondeappartenait à l'épouse du Prince héritier367 . Ilse trouvait justement que ces deux personnesétaient sœurs.

Le jour du Dragon, l'Impératrice fit mettredes manteaux chinois ornés d'impressionsbleues à toutes ces femmes, et des vestes

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pareillement décorées aux jeunes filles quidevaient accompagner les danseuses. On laissaignorer, même aux autres dames, commentétaient les costumes ; et à plus forte raison,pour sûr, on le cacha soigneusement auxcourtisans. Quand tout le monde eut commencéde se préparer, alors que la nuit était venue, onapporta les habits, puis on les fit revêtir auxdames et aux jeunes filles. Celles-ci étaiente ncor e les plus ravissantes, au milieu desdames vraiment superbes avec les rubansrouges joliment noués qui retombaient sur leurshabits blancs merveilleusement lustrés etdécorés de dessins bleus imprimés, mis par-dessus leurs manteaux chinois de brocart.

Lorsque tout le cortège fut passé, jusqu'auxservantes inférieures des danseuses, les hautsdignitaires et les courtisans, surpris et charméspar tant de splendeur, donnèrent aux dames lesurnom de « dames de la petite abstinence368

». Un peu plus tard, comme les jeunes nobles,

en costume de petite abstinence, se tenaient

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au-dehors, devant les chambres des danseuses,et causaient avec les dames, l'Impératrice dit :« Si l'on dérange, avant le coucher du soleil,toute l'installation des chambres occupées parles danseuses de la Cinquième fête369 , tous lesregards y pénètrent ; c'est très inconvenant, etd'un fort mauvais goût. Il serait, sans doute,bien plus élégant de laisser tout en place jusqu'àla nuit. » On épargna donc ce trouble auxdanseuses. Quand, pour nouer le bas desrideaux formant les écrans, on les souleva, ilss'écartèrent et les manches des dames quiaccompagnaient les danseuses débordèrent au-dehors. L'une de ces femmes, nommée Kohyôe,dont le ruban rouge s'était délié, déclara qu'ilfallait le rattacher ; le Capitaine de la garde ducorps Sanekata vint auprès d'elle et, pendantqu'il rajustait ce ruban, il se mit à dire, endonnant à son visage une expressionparticulière :

« L'eau dit puits de la montagne,Où l'on tire la jambe,

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Est gelée !… Quelle glace… Quel cordon… A donc pu fondre… A donc pu se dénouer370 ? » La jeune personne ne composa pas même

une poésie pour lui répondre ; sans doutecraignait-elle de parler devant tant de monde.Les dames plus âgées qui étaient à côté d'elle nel'aidaient point, et aucune ne répliquait, ni d'unefaçon ni d'une autre. Un fonctionnaire de laMaison de l'Impératrice tendait l'oreille et setenait prêt à écouter; mais, comme le tempspassait, il songea que ce silence semblaitridicule, et il entra dans la chambre, d'un autrecôté que celui où était Sanekata. Il s'approchades dames, et leur demanda en chuchotantpourquoi elles restaient ainsi, sans prononceru n e parole. Quatre personnes environ meséparaient de Kohyôe ; même si j'avais composéde jolis vers, il m'aurait été difficile de les dire.Bien plus, je me sentais troublée en pensantqu'il s'agissait de répondre à une poésie d'une

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rare beauté, due à un homme dont le talentétait connu ; et cela me gênait beaucoup.

Cependant, il était bien amusant de regarderle fonctionnaire de la Maison de l'Impératrice,qui marchait de long en large et donnait auxdames des chiquenaudes en leur répétant : «Peut-on voir hésiter ainsi des personnes quisont habituées à composer des vers ? Pensezcombien il serait ennuyant pour vous de restermuettes, et dites une poésie, même si elle nedoit pas être superbe ! » je fis alors transmettrece poème à Sanekata, par une dame du nom deBen no Omoto :

«La mince glace !… Comme elle est aussi… Comme le nœud du cordon est aussiFragile que l'écume,… Elle fond… Il se dénoue… Au moindre rayon du soleil qui force les

gens à se couvrir la tête.» … Comme la guirlande de lycopode qu'on

met sur sa tête.»

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Ben no Omoto était si confuse qu'elle nepouvait seulement parler. « Quoi donc ? quoidonc ? » demandait Sanekata en tendantl'oreille ; mais elle bégayait un peu, et aumoment où, faisant tous ses efforts, elle pensaitparler à merveille, elle n'arrivait pas à diredeux mots de suite. Contrairement à ce que l'onaurait pu croire, tout cela, qui me permettait decacher mon propre embarras, m'était bienagréable.

Plusieurs dames, qui ne voulaient pas venirescorter les danseuses quand elles serendraient au Palais de l'Empereur o u enreviendraient, s'étaient d'abord retirées dansleur chambre en prétextant quelqueindisposition ; mais notre maîtresse avait ditqu'elles devaient faire comme les autres, ett o u t e s les dames de l'Impératrice, sansexception, se trouvaient rassemblées. A voircette foule, je n'eus pas autant de plaisir quej'en éprouvais d'ordinaire en pareille occasion,

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et je pensai que le tumulte était par tropfatigant. Parmi les danseuses envoyées parl'Impératrice à la Cinquième fête, était la fille deSukemasa, le chef des écuries impériales, et dela quatrième Princesse, sœur cadette du Princedu sang, ministre du Protocole, qui résidait auPalais Somedono37 1 . Elle avait douze ans, elleétait fort jolie. La dernière nuit de la fête, ellene se troubla pas quand elle se vit entourée,dans le cortège, par tant de gens.

Après avoir passé par le Palais de bonté etde longévité, la procession s'approcha du Palaispur et frais, et, de la véranda qui borde celui-cià l'est, nous la vîmes se diriger, suivant lesdanseuses, vers les appartements quel'Impératrice et ses dames d'honneur occupentdans ce palais. Le tableau était magnifique.

Un homme élégant passe ; on aperçoit le «ruban plat37 2 » de son sabre d'apparat, et c'esttout à fait charmant.

On enveloppe une lettre de papier violet-pourpre, on la cachette, et on l'attache à unrameau de glycine, aux longues grappes. C'est

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aussi très joli. Le Palais de l'Empereur, à l'époque de la

Cinquième fête, a vraiment un charmeparticulier ; sans y prendre garde, ceux mêmequi le voient seulement en passant sont ravis.

Les femmes de l'office domestique avaientfixé à leurs vêtements, comme des « étiquettesd'abstinence37 3 », toutes sortes de bibelotsdiversement coloriés. C'était un merveilleuxspectacle. Sur le pont arqué37 4 du Palais pur etfrais, le violet inégal des papiers qui liaient lescheveux attirait le regard. Les femmes del'office domestique qui étaient venues à cetendroit avaient attaché ces papiers de diversesfaçons, mais il n'en était aucune qui ne fût jolie.

Les jeunes filles que leur service tenaitauprès de Leurs Majestés pensaient que laCinquième fête était une solennité magnifique,elles avaient bien raison.

Avec ravissement, je regardais passerd'anciens chambellans, anoblis, portant dansdes paniers d'osier de l'indigo sauvage et dulycopode.

Les courtisans, qui avaient ôté à moitié leur

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manteau de cour, et le laissaient négligemmentretomber, battaient la mesure avec leuréventail ou quelque autre chose, et chantaient :« Les messagers se succèdent sansinterruption, comme les vagues, et annoncentles promotions. » Lorsqu'ils passèrent devantles chambres, les dames qui se trouvaientderrière le store durent sentir leur cœur battrebien fort, et ce fut encore plus effrayant quandils se mirent, soudainement, à rire tous a la fois.

Ce qui charmait surtout les yeux, plus quetout le reste, c'étaient les vêtements de soiebrillante des chambellans qui dirigeaient lescérémonies. On avait étendu pour eux descoussins devant nos chambres ; mais,contrairement à ce que l'on avait pensé, ils nepurent venir s'y asseoir. On louait ou l'oncritiquait les manières des dames que l'onvoyait arriver.

A cette époque de l'année, on ne songe qu'àla Cinquième fête, il semble que rien d'autren'existe.

La nuit où eut lieu la répétition des danses

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devant le dais impérial37 5 , les chambellans deservice traitaient les gens avec rigueur, et lesempêchaient de pénétrer dans la salle, enrépétant d'une voix dont la rudesse était fortdésagréable : « Personne ne doit être admis,hors deux suivantes37 6 et les filles d'honneur. »« Laissez-moi entrer, disait chaque courtisan,moi seul... » ; mais les chambellans répondaientfermement : « Les autres seraient jaloux. Il estabsolument impossible que vous entriez ! »Cependant, une vingtaine des dames del'Impératrice vinrent en un groupe compact ;avant que les chambellans qui parlaient si forteussent pensé à s'y opposer, elles ouvrirent laporte, puis firent bruyamment irruption dans lasalle. Qu'il était drôle de voir les chambellans sedresser, stupéfaits, en s'exclamant : « Ah ! parexemple ! quel âge sans principes ! » D'un airdésolé, ils regardaient les suivantes quientraient toutes à la suite des dames.L'Empereur lui-même, qui était sous le dais,aura dû trouver la scène fort amusante.

La nuit où dansèrent les jeunes filles, lespectacle fut ravissant. J'étais charmée enadmirant leurs gracieux visages tournés vers lalampe.

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L'une de nous ayant dit que l'Empereur étaitallé chez l'Impératrice en emportant la guitareappelée « Sans nom37 7 », et qu'il en jouaitdevant les dames, nous courûmes voir dans leschambres du Palais ; mais personne ne jouait.Une dame, en passant la main sur les cordes dela guitare, demanda comment on l'appelait, etnotre maîtresse répondit : « Ce n'est qu'unobjet de peu de valeur, qui n'a pas même denom. » J'admirai plus que jamais son esprit.

La Princesse du Palais de la belle vue étant

venue chez l'Impératrice, elle dit dans le coursde la conversation : « J'ai chez moi un orgue àbouche très joli que je tiens du défuntSeigneur37 8 . » « Donnez-le-moi, lui répondit leSeigneur évêque37 9 , j'ai dans ma maison uneharpe superbe, que vous prendrez en échange.» Cependant la Princesse ne fit point semblantd'avoir entendu, elle parla d'autre chose.L'Evêque réitéra sa demande, pensant qu'ellefinirait bien par lui répondre ; mais elle garda lesilence, et l'Impératrice s'écria :

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Ah ! Elle … s'est dit qu'elle ne l'échangerait

pas. » … a pensé que c'était la flûte

appelée « Non, je ne l'échangerai pas. »

La remarque était infiniment agréable ; maiscomme, justement, le Seigneur évêque neconnaissait pas le nom de cette auguste flûte, ilparut avoir seulement du dépit.

Cela se passait alors que l'Impératricehabitait au palais où sont les bureaux de saMaison, et si notre maîtresse avait pu faire unagréable jeu de mots, c'est que l'Empereurpossédait une flûte appelée « Non, je nel'échangerai pas ».

Aux instruments qui appartiennent auSouverain, aux harpes, aux flûtes, à tous, on adonné des noms étranges.

Pour les guitares, on les appelle par exemple: « Au-dessus du mystère », « Le pâturage deschevaux », « Le dessus du puits », « Le pontsur la rivière380 ! », « Sans nom ».

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Les harpes japonaises se nomment : « L'œilmourant », La chaudière à sel381 », « Les deuxpercées ».

J'ai entendu aussi des noms tels que « Ledragon d'eau », « Le petit dragon d'eau », « Lebonze Uda382 », « Un coup sur un clou », «Deux feuilles », et toutes sortes d'autres que j'aioubliés.

« Ce sont des objets à mettre sur le premierrayon, au Palais du bon soleil383 », avaitcoutume de dire le Capitaine sous-chef deschambellans384 quand il voulait louer deprécieux instruments.

Les courtisans avaient passé la journée àjouer de la harpe et de la flûte devant le storedes appartements qu'occupent, au Palaisl'Impératrice et sa suite ; chacun se retirait des o n côté. On n'avait pas encore fermé lesfenêtres de treillis, lorsqu'on alluma la lampe dela chambre, et comme tout était ouvert onpouvait voir dans la salle. L'Impératrice tenaitsa guitare devant son visage, et il serait banal

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de dire la beauté de son vêtement écarlate. Elleavait aussi un habit de dessus recouvrant denombreux vêtements taillés dans une étoffebien tendue. La manche de sa robe retombaitgracieusement sur sa guitare, toute noire etluisante. On voyait seulement un peu son front,si blanc, si clair, tout près de la guitare sombre,e t ce contraste avait un charme incomparable.Je m'approchai d'une dame qui se trouvait àcôté, pour lui murmurer : « Non, celle qui avait,dit-on, caché à moitié son visage ne pouvaitêtre aussi jolie. C'était sans doute une personnedu commun385 ! » Ayant entendu ces paroles,sans toutefois en saisir le sens, elle se fraya deforce un passage parmi les autres dames, et allarépéter à l'Impératrice ce que j'avais dit. SaMajesté sourit et lui demanda si elle savait ceque j'avais voulu lui faire comprendre. La damem'amusa lorsqu'elle me rapporta la question denotre maîtresse.

La Dame du cinquième rang, nourrice de

l'Impératrice, partait aujourd'hui pour la

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province de Hyûga. Parmi les éventails que luiavait donnés Sa Majesté comme cadeaux deséparation, l'un portait, joliment dessinée surune de ses faces, une maison pareille-à celles oùlogent les voyageurs, quelque chose comme lemanoir du capitaine d'Ide386 , illuminée par unsoleil resplendissant. Sur l'autre face étaitreprésentée la capitale sous une pluie battante,avec une personne contemplant cc paysagemorose, et l'Impératrice avait, de sa propremain, écrit ces mots :

« Même quand vous aurez en faceLe soleil éclatant, couleur de garance,Pensez que sans doute,A la capitale,… Votre impératrice contemple tristement

le ciel qui ne s'éclaircit pas. »… Il pleut toujours et le ciel ne s'éclaircit

pas. » C'était d'une mélancolie délicieuse. Je ne

pourrais pas quitter une maîtresse comme lanôtre, pour m'en aller au loin.

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46. Choses contrariantes On envoie soi-même un poème à quelqu'un,

ou bien on répond par une poésie à celle qu'unautre vous adressa, puis, après que l'on a écritet envoyé ces vers, on pense à corriger un oudeux mots.

On a cousu quelque chose à la hâte, on croitavoir fini ; mais quand on tire le fil de l'aiguille,on s'aperçoit qu'on n'avait pas noué, encommençant, le bout du fil.

C'est, aussi, bien contrariant quand on acousu un morceau en le mettant à l'envers.

Un jour, alors que l'Impératrice habitait au

Palais du Sud387 , elle se trouvait dans l'aileoccidentale, où était aussi le Seigneur. Nousétions réunies dans la chambre à coucher,abandonnées à nous-mêmes. Nous nousamusions, et comme nous étions sorties en fouledans le corridor, quelqu'un arriva en disant : «Voici un ouvrage qu'il faut faire bien vite. Quetout le monde s'y mette, et qu'on rapporte ceci

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cousu avant le changement de l'heure ! » C'étaitun costume de soie unie, à la trame plate, quenous envoyait l'Impératrice.

Nous nous assîmes toutes vers la faceméridionale de l'appartement ; chacune desdames prit un morceau du costume en défiantses compagnes de coudre plus vite qu'elle. Nousétions assises tout près les unes des autres ;mais comme nous n'étions pas face à face, nouscousions comme des folles, car chacune ignoraitce que faisaient ses rivales. Myôbu, la nourrice,e ut bientôt fini sa tâche et posa son ouvrage.Elle avait cousu la partie du vêtement quicorrespond aux épaules ; mais elle n'avait pasfait attention qu'elle mettait l'une des pièces detissu à l'envers, et sans même nouer son fil enterminant, elle s'était empressée de poser sonétoffe et de se lever. Cependant, quand onvoulut réunir les morceaux du dos, on vit toutde suite qu'il y avait une erreur. Toutes lesdames s'écrièrent, en riant et en raillant lanourrice : « Rectifiez cette couture ! » Mais ellerépondit : « Si l'on savait quelle est la dame qui

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a mal cousu, peut-être réparerait-elle samépr ise . En vérité, si c'était de la soiedamassée, il faudrait, pour sûr, que celle quiaurait cousu sans distinguer l'envers del'endroit corrigeât son ouvrage ; mais, ici, nousavons une étoffe sans dessins ; y a-t-il un signequi permette de reconnaître les deux côtés dutissu ? Dans ces conditions, qui donc pourraitav oir à rectifier quelque chose ? Au surplus,qu'on fasse donc réparer ce que l'on trouve malfait par celles qui n'auront pas encore fini decoudre leur part ! » L'entêtée ne voulut pascéder. Il était vraiment amusant de voir levisage des dames Genshônagon etShinchûnagon pendant qu'elles discutaient avecla nourrice en disant : « Croyez-vous que detelles explications vont suffire ? »

Tout cela était arrivé parce quel'Impératrice, pensant qu'elle devait, à la brune,se rendre auprès de l'Empereur, avait eu besoinde ce costume, et avait déclaré : « Celle quiaura cousu bien vite, je saurai qu'elle m'aime !»

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C'est bien ennuyant quand un messager va

porter une lettre, que l'on envoyait ailleurs, àun personne à laquelle il n'aurait pas fallu lamontrer. C'est surtout désagréable quand cemessager, au lieu d'avouer franchement sonerreur, discute et soutient fermement qu'il s'estborné à exécuter les ordres qu'on lui avaitdonnés. Si je ne craignais alors d'être vue, je nepourrais m'empêcher de poursuivre et debattre cet homme !

On a planté des lespédèzes ou desérianthes388 , très jolis mais lorsqu'on va lesadmirer, on voit quelqu'un, portant une «longue boîte »,-et muni d'une bêche ou d'unautre instrument, qui vient les arracher à lahâte et s'en va. C'est ennuyant et lamentable !Si un homme d'un assez bon rang était là, lefripon n'agirait pas ainsi ; mais malgré toutesles remontrances qu'on peut lui faire, il s'éloigneen répondant qu'il a seulement pris quelquesplantes. Il est inutile de dire combien c'estdésagréable !

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Un gouverneur de province ou quelque

fonctionnaire de cette sorte vient à vous, etparle rudement. Il est tout à fait mortifiant del'entendre pendant qu'il a l'air de se dire : « Onpensera si l'on veut que je suis impoli ; mais quepourrait-on me faire, à moi ? »

Quelqu'un, à qui on ne voulait pas lamontrer, vous arrache une lettre, et va la liredans le jardin. C'est si ennuyant qu'on selamenterait volontiers. On poursuit le voleur ;mais le store vous arrête ; en regardant cethomme, on voudrait pouvoir se précipiter surlui.

Une dame, qui s'est fâchée à propos de

quelque bagatelle, ne s'endort pas à côté de songalant, elle s'agite et finit par le quitter pouraller s'étendre ailleurs. L'homme s'approched'elle tout doucement, il essaye de la fairerevenir ; mais elle est encore déraisonnable, etd'humeur étrange ; et comme elle se montretrop entêtée, il lui dit : « A votre aise » ; puis il

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va, plein de ressentiment, s'envelopper dansses couvertures. Après qu'il s'est couché,comme on est dans la saison froide, la dame, quin'a qu'un vêtement non doublé, se sent transie.Malheureusement, tout le monde dort ; sansdout e , l'homme qu'elle a laissé seul dortégalement, elle ne sait ce qu'elle fera si elle selève. La nuit est profonde, et la dame restecouchée, pensant qu'elle aurait mieux fait,puisqu'e lle voulait se fâcher, de quitterbeaucoup plus tôt son ami. A l'intérieur de lamaison, au-dehors aussi, elle entend des chosesqui résonnent, elle a peur. Alors, elle se glissedoucement vers son amant, elle tire et soulèvela couverture qui le protège contre le froid ;mais il fait semblant de dormir, c'est bienmortifiant pour elle. Et quand il lui dit : « Faitesdonc encore un peu l'obstinée ! »

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47. Choses gênantes On reçoit un visiteur, et, pendant qu'on

cause avec lui, on entend les gens qui parlent,sans aucune réserve, à l'intérieur de la maison.On ne peut les faire taire, on se sent tout gêné.

Un homme que l'on aime s'enivrecomplètement, et répète toujours la mêmechose.

Parler de quelqu'un sans savoir qu'il vousécoute ; même s'il s'agit d'un serviteur qui n'apas d'importance, c'est gênant.

Quant je voyage, ou lorsque je suis non loindu Palais, pendant un congé, je me sens gênée sije vois mes servantes folâtrer avec celles del'endroit où je me trouve.

Des parents choient un enfant qui est laid,mais qu'ils trouvent beau en leur cœur ; ilsimitent sa voix, pour répéter à tout le monde cequ'il dit.

Un ignorant, devant une personne instruite,prend un air pédant, et cite des nomsd'hommes célèbres.

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Un homme récite ses propres poésies, quel'on ne trouve pas particulièrement belles, etrapporte les louanges que les gens en ont faites.C'est insupportable !

La nuit, quelqu'un qui s'est réveillé raconteune histoire ; à côté de lui, un autre dort avecun sans-gêne stupéfiant.

Devant une personne qui est habilemusicienne, quelqu'un, l'air satisfait de soi-même, joue d'une harpe qu'il n'a pas seulementsu accorder.

Un gendre, qui a cessé de bonne heure devenir près de sa femme, rencontre son beau-père dans un endroit public, où l'un et l'autredevaient aller.

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48. Choses qui frappent de stupeur En nettoyant un peigne, on est arrêté par

quelque chose, et il se brise. La voiture dans laquelle on se trouve est

renversée ! On pensait qu'une machine aussilourde, bien établie sur ses roues écartées,resterait toujours debout, et tout à coup oncroit rêver; on se demande, avec stupéfaction,comment la chose a pu se faire.

Quelqu'un, enfant ou adulte, dit sansprécaution, en présence d'une certainepersonne, des choses dont il devrait éviter, parrespect, de parler devant elle.

On a, toute la nuit, attendu un ami qui,pensait-on, devait sûrement venir. A l'aube, onoublie un moment cet homme, on s'endort ;mais tout près, un corbeau croasse . « kô », etl'on se réveille brusquement. Le jour est venu.On est frappé de stupeur.

En jouant à « égal ou inégal », on se faitprendre le cornet389 .

Quelqu'un, en face d'une autre personne,

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parle avec assurance de choses qu'il ne connaîtpas, qu'il n'a ni vues ni entendues, sans que soninterlocuteur puisse le contredire. Stupéfiantaussi !

Au concours de tir à l'arc, on tremble, ontremble, on hésite longtemps ; enfin la flèche,déplacée, part dans une mauvaise dilection.

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49. Choses pénibles Lors d'une fête ou quand on fait l' «

Énumération des noms des Bouddhas390 », ilne neige pas ; mais il pleut tellement que le jouren est obscurci.

Il y a, juste au moment d'une fête ou enquelque autre occasion de réjouissance, «abstinence au Palais391 ».

On se préparait, on se demandait quandarriverait le jour attendu, et voici qu'unempêchement, tout à coup, arrête les apprêts.

Voilà longtemps qu'on a pris pour épouse lafemme que l'on aimait par-dessus tout, elle n'apas encore d'enfant.

En pensant qu'il viendrait sûrement, on aenvoyé chercher quelqu'un avec qui on désiraitfaire de la musique, ou bien à qui on voulaitmontrer ceci ou cela ; mais il répond qu'il estempêché, il ne vient pas. C'est irritant.

Des personnes de même rang, en service au

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Palais, vont ensemble, homme et femmes,visiter un temple ou voir quelque chose. Leursvêtements débordent gracieusement de lavoiture, et le spectacle, sans beaucoup d'apprêt,qu'ils offrent ne doit pas être trop désagréable.Cependant, des gens de la bonne société, àcheval ou en voiture, les rencontrent sans lesregarder. C'est tout à fait pénible. Lespersonnes qui espéraient être remarquées sedésolent. Elles voudraient avoir été vues pardes gens capables de raconter ensuite la chose,ne fût-ce que par des serviteurs qui lesauraient considérées avec curiosité. Je ne croispas qu'une telle pensée soit étrange.

A l'époque de l'abstinence, au cinquièmemois392 , l'Impératrice habitait au palais oùsont les bureaux des fonctionnaires quigouvernent sa Maison. On avait ornéspécialement la salle à la double longueur393qui se trouve devant la chambre de réserve àl'épreuve du feu. Son aspect différait del'ordinaire, et pourtant nous charmait.

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Depuis le premier jour du mois, le tempsétait pluvieux, le ciel nuageux et sombre ; nousne savions que faire. Un jour, je dis que jesouhaitais aller entendre le chant du coucou, ettoutes les dames, après cela, s'écrièrent bienvite : « Moi aussi ! moi aussi ! » L'une d'ellesajouta que très loin, du côté de Kamo, il y avaitun pont dont elle ne pouvait se rappeler le nom; ce n'était pas le « pont de la Tisserande394 »,il avait un nom plus désagréable que cela. «Chaque jour, affirma-t-elle, le coucou chantedans le voisinage de ce pont. » Une autre luirépondit que la bestiole dont on pouvaitentendre là-bas la musique était une cigale.Nous décidâmes d'aller à cet endroit, et, lematin du cinq, nous donnâmes des ordres, pourune voiture, à des fonctionnaires appartenant àla Maison de l'Impératrice. Nous partîmes duposte du nord395 en disant : « Nous sommes aucinquième mois, à la saison des pluies ; on nenous blâmera pas396 ! » Quand on amena lavoiture, il n'y monta, moi comprise, que quatre

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dames ; les autres répétaient avec envie : « Sinous prenions une autre voiture, et si nousfaisions comme elles ? » Mais l'Impératricerefusa, et nous partîmes sans les plaindre, sansmême écouter leurs lamentations. En longeantle terrain des courses, nous vîmes une foule entumulte. Nous demandâmes ce qui se passait ;on nous répondit que les archers s'exerçaientau grand arc, et que nous devions rester là unmoment pour les regarder. Nous fîmes doncarrêter la voiture. On nous assura aussi quetous les officiers397 de la garde du corps, dedroite, étaient arrivés ; mais nous ne vîmespersonne de cette sorte. Il y avait là seulementquelques fonctionnaires du sixième rang quimarchaient de côté et d'autre, à l'aventure.Nous dîmes que ce n'était pas intéressant, etqu'il nous fallait bien vite continuer notre route.Nous allions, nous allions. Le chemin que noussuivions nous rappelait l'époque de la fête deKamo. C'était ravissant. La maison du seigneurAkinobu398 se trouvait par là. « Allons-y voirtout de suite ! » s'écria l'une de nous. Nous en

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fîmes approcher la voiture, et nousdescendîmes.

La maison était rustique et très simple. Lespanneaux ornés de peintures représentant deschevaux, les paravents de bambou tressé, lesstores de jonc, tout semblait fait à dessein pourcopier les choses du passé. L'édifice, lui-même,était de style commun, petit et mesquin ; ilavait cependant son charme, et nous pensionsque la voix des coucous qui se répondaient étaitvraiment assourdissante. Mais, hélas !l'Impératrice ne l'entendait pas ! C'estseulement en écoutant ces chants que nouspensâmes aux dames qui auraient voulu nousaccompagner.

« Quand on est quelque part, nous dit leseigneur Akinobu, il faut voir ce que l'on y fait.» Il envoya chercher beaucoup de riz en épis, etl'on amena près de nous quelques jeunespersonnes qui n'étaient pas déplaisantes, fillesdes maisons du voisinage. Le Seigneur fitégrener le riz par cinq ou six d'entre elles,

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pendant que deux autres faisaient fonctionnerune machine que je n'avais jamais vue, et quitournait comme un dévidoir. Tout en lamouvant, ces jeunes filles chantèrent enmesure, d'une si étrange façon que cela nous fitrire et oublier les poésies que nous devionscomposer à propos du coucou.

On apporta des tables démontables, pareillesà celles qu'on voit figurées dans les peintureschinoises, et l'on nous offrit à goûter ; maisaucune de nous ne fit attention à ce qui nousétait présenté, le maître de la maison nous dit :« Je vous offre quelque chose de très grossier, àla campagnarde. Quand les visiteurs, dans unendroit comme celui-ci, ne trouvent pas bon ceque l'on donne, ils n'ont d'autre ressource quede presser leur hôte pour qu'on les serve à leurgoût. Vraiment, les personnes qui viennent icine font pas, d'ordinaire, comme vous ! »

Pour nous engager à prendre quelque chose,il ajouta : « J'ai cueilli moi-même ces pousses defougère » ; mais je lui répondis : « Commentpourrions-nous, comme des servantes, nous

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installer côte à côte autour des tables ? »Ordonnant alors de desservir, il reprit : « Vousavez raison, vous êtes accoutumées à l'étiquettehabituelle en présence de Leurs Majestés. »Pendant que les serviteurs s'empressaientd'ôter les mets de dessus les petites tables, etde les présenter convenablement, un valet depied vint nous avertir qu'il allait pleuvoir, etnous montâmes bien vite en voiture.

« Je voudrais cependant, dis-je, composer icicette poésie ! » mais les autres répliquèrent : «Laissez cela, vous la ferez aussi bien en chemin.» Nous cueillîmes des branches de deutzie,toutes fleuries, et nous couvrîmes la voiture delongs rameaux, en plantant ceux-ci dans lesstores et dans les côtés. On aurait cru voir unmanteau, blanc comme la fleur de deutzie,étendu sur notre voiture. Les hommes qui nousescortaient se mirent, en riant aux éclats, àficher des fleurs dans chaque interstice desstores de bambou tressé. « Il en manqueencore ici, et encore là ! » criaient-ils. Ils encouvrirent complètement la voiture. Nous

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espérions rencontrer des gens qui admireraientnotre équipage ; mais nous ne vîmes personne,excepté quelques misérables bonzes et deux outrois hommes du commun qui ne valaient pasqu'on en parlât. C'était vraiment dommage.

Comme nous approchions de notrerésidence, l'une de nous déclara : « Nous nepouvons, pourtant, terminer notre promenadesans qu'on nous ait vues. Il faut faire en sorteque les gens vantent la beauté de notre voiture.» Nous nous arrêtâmes donc près du Palais dela Première avenue, et nous envoyâmesdemander si le Seigneur gentilhomme de lachambre399 était là ; nous lui fîmes dire, enmême temps, que nous étions allées entendre lecoucou, et que nous rentrions. Le serviteurrapporta les paroles de son maître : « Je vienstout de suite, mesdames, mesdames... » Ilajouta que Kiminobu, qui s'était mis à l'aisedans la salle des vassaux, passait un pantalon àlacets. Nous répondîmes qu'il nous étaitimpossible d'attendre, et la voiture partit, encourant, vers la Porte de la Terre400 .

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Cependant le Gentilhomme nous poursuivait engrande hâte. Il s'était habillé, je me demande encombien de temps, et bouclait sa ceinture enchemin. Plusieurs de ses suivants et de sesvalets couraient avec lui, sans avoir pris letemps de se chausser. Nous dîmes auconducteur d'aller plus vite401 , et nous étionsarrivées, en faisant diligence, à la porte de laTerre, quand Kiminobu nous rejoignit,essoufflé, hors de lui. Là seulement402 , ilremarqua la façon dont notre voiture étaitdécorée. « Quand je la regarde, s'écria-t-il enriant, je ne puis absolument pas croire qu'il y aitdedans des personnes réelles. Descendez donc,que je voie un peu ! » Les hommes qui l'avaientsuivi se mirent à rire de sa plaisanterie. « Etvos poésies, ajouta-t-il, comment sont-elles ? jevoudrais bien les entendre. » Mais je répliquaique nous devions en donner la primeur àl'Impératrice. Pendant que nous parlions, ilcommença de pleuvoir, fort, et Kiminobudéclara : « Je me demande pourquoi cettePorte de la Terre n'est pas comme les autres, et

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pourquoi on n'y a pas mis de toit. Aujourd'hui,c'est vraiment désagréable », et ensuite : «Comment vais-je rentrer chez moi ? J'ai courujusqu'ici en me souciant seulement d'arriver àtemps, sans prendre garde qu'on pouvait mevoir. Maintenant, il faut que je m'en retourne.C'est terrible ! — Çà ! lui répondis-je, venezavec nous au Palais. — Comment, s'exclama-t-il, pourrais-je y aller avec un bonnet laqué ? —Envoyez chercher une autre coiffure ! » lui dis-je alors. La pluie continuait de tomber à verse,et nos hommes, qui n'avaient pas de chapeauxde pluie403 , tirèrent notre voiture404 aussivite qu'ils purent, pour la faire entrer. Onapporta, du Palais de la Première avenue, unparapluie à Kiminobu. Il le prit, et s'éloigna enregardant à tout moment en arrière. Cette fois,il marchait à pas lents, et semblaitmélancolique. Il emportait seulement, pourgarder le souvenir de la rencontre, un rameaude deutzie. Qu'il était amusant de le voir !

Quand nous fûmes arrivées devant elle,notre maîtresse nous demanda comment tout

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s'était passé. Les dames qui, d'un œil d'envie,nous avaient vues partir, boudaient et restaientmaussades ; mais toutes rirent quand nousracontâmes de quelle manière le Gentilhommede la chambre, de la famille Fujiwara, avaitcouru sur la grand'route de la Première avenue.

« Eh bien ! demanda l'Impératrice, où sontvos poésies ? »

Comme nous lui narrions notre promenade,et lui confessions que nous n'avions rien fait, SaMajesté nous dit : « C'est bien regrettable. Lescourtisans peuvent entendre parler de votreexcursion. Comment leur avouer que vous êtesrevenues sans rapporter un joli poème ? Vousauriez dû en composer un là-bas pendant quevous écoutiez le coucou ; mais vous avez voulufaire trop de cérémonies, et le charme qui vousenivrait s'en est allé. Cela ne vous ressembleguère ! Maintenant que vous êtes ici, composezquelque chose. Je n'ai pas besoin d'insister ! »Nous pensions qu'elle avait raison, nous étionsdésolées. Cependant, alors que nous nousconsultions mutuellement pour faire une poésie,on nous apporta celle-ci, écrite par le

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Gentilhomme de la chambre, de la familleFujiwara, sur une mince feuille de papier,blanche comme la fleur de deutzie, et attachéeau rameau qu'il avait emporté en nous quittant:

« Si j'avais suQue vous alliezEntendre le chantDu coucou, mon cœurVous aurait accompagnées. » Je pensai que le messager attendait sans

doute une réplique, e t j'envoyai chercher unencrier dans notre chambre ; maisl'Impératrice m'ordonna : « Prenez vite celui-ci,et dépêchez-vous de répondre » ; après avoirmis du papier dans le couvercle, elle me passason écritoire. Je dis à Saishô d'écrire ; elle merépondit que c'était à moi de le faire. Pendantce temps, le ciel s'était obscurci ; la pluie se mità tomber, le tonnerre gronda de façon sieffrayante que nous ne pensâmes plus à rien.On descendit bien vite les stores. Au palais où

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sont les bureaux des fonctionnaires quigouvernent la Maison de l'Impératrice, onrabattit même les jalousies par-dessus lesfenêtres de treillis, et, dans notre affolement oùnous étions, nous oubliâmes la réponse quenous devions faire à la poésie de Kiminobu.

Le tonnerre gronda si longtemps que le soirétait venu quand il fit mine de se calmer. Nousreprenions pourtant notre papier, en pensantcomposer cette fois notre réplique, lorsqu'unefoule de gens, de hauts dignitaires, vinrentparler de l'orage ; nous allâmes vers la façadede l'ouest pour les saluer, puis nous songeâmesà notre poésie. Les autres dames déclarèrentq u e c'était la personne à laquelle on avaitadressé un poème qui devait s'occuper de laréponse, et ne s'en soucièrent plus. « Il fautcroire, m'écriai-je en riant, que ce jour n'a pasé t é destiné à la poésie dans les mondesantérieurs405 . C'est triste ! Nous n'avons plus,maintenant, qu'à garder un silence absolu surnotre excursion d'aujourd'hui ! » Maisl'Impératrice dit d'un air fâché : « Même à

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présent, aucune de celles qui sont allées là-basne va-t-elle rien dire ? Vous pourriezcependant trouver quelque chose. C'est sansdoute que vous vous êtes mis en tête de ne pascomposer de poème ! » C'était bien amusant. «Pourtant, fis-je remarquer, il est maintenantterriblement difficile pour nous d'imaginer unepoésie ! » L'Impératrice repartit : « Est-cevraiment si terrible ? » Nous renonçâmes àcomposer quoi que ce fût.

Deux jours plus tard, nous vînmes à parlerde ce qui s'était passé ce jour-là, et Saishôdemanda : « Comment trouviez-vous cespousses de fougère que notre hôte affirmaitavoir cueillie, lui-même ? — Voilà ce dont vousvous souvenez ! » dit en riant l'Impératrice ;elle écrivit ces deux vers sur une feuille volante:

« Elle pense avec amourAux pousses de fougère. » Puis elle nous ordonna de composer un début

pour cette poésie. C'était ravissant. J'écrivis ces

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lignes, que je présentai à Sa Majesté : « Plus même qu'au chantDu coucouQu'elle était allée entendre. » « Vous n'avez pas honte ! dit ma maîtresse

en riant de nouveau, comment osez-vousseulement parler du coucou ? » Malgré monembarras, je répondis : « Que pouvez-vous mereprocher ? Je pense que jamais plus je necomposerai de ces poésies. Si, chaque fois queles gens prépareront des poèmes, à proposd'une chose ou d'une autre, vous devezm'ordonner d'en écrire un, il me semble que jene puis rester à votre service. Comment donc,alors qu'il ne m'est pas même possible decompter les syllabes, pourrais-je composer auprintemps une poésie sur l'hiver ; en hiver, unpoème sur le printemps ; ou chanter leschrysanthèmes quand fleurissent les pruniers ?Je suis la descendante d'hommes qui ont méritéd'être appelés des poètes, et si je tournequelques vers qui surpassent un peu ceux des

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autres, les gens déclarent : « Parmi les poésiescomposées en cette circonstance, c'est vraimentla sienne qui est la meilleure ; mais il fautajouter qu'elle est la fille d'un ici ! » Voilà, sansdoute, qui peut m'encourager ! Si, bien qu'onn'ait aucune disposition spéciale, on se croitquelque chose comme un poète, et si l'on sehâte de griffonner force vers dès que l'occasions'en présente, c'est triste pour la mémoire desancêtres défunts ! » Comme je parlais de lasorte, sincèrement, à l'Impératrice, elle se mit àrire, puis elle répliqua : « S'il en est ainsi, faitesà votre idée. Je ne vous demanderai plus derien composer » ; je me sentis soulagée d'ungrand poids. « Maintenant, me dis-je, je ne metourmenterai plus pour imaginer des poésies !»

Or le Seigneur ministre du centre406 faisait,à ce moment-là, de grands préparatifs pour lanuit du Singe407 . Comme la nuit s'avançait, ildit aux dames d'écrire des poèmes sur un sujetqu'il proposa. Toutes furent dans la joie, et encomposèrent à l'envi. Pendant ce temps, j'étais

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auprès de l'Impératrice, avec laquelle jecausais. je ne lui parlais pas des poésies ; mais leMinistre, en me voyant, m'interpella : «Pourquoi restez-vous ainsi à l'écart, sanscomposer de poème ? Prenez donc le sujet ! »Je répondis : « J'ai obtenu la permission d'agir àma guise, et comme je n'ai pas à écrire des vers,je ne m'inquiète plus de tout cela ! — Voilà,s'écria-t-il, qui est étrange ! En vérité, unepareille chose est-elle possible ? Commentl'Impératrice a-t-elle pu vous accorder cettepermission ? Cela ne peut absolument pas être !Peu importe, je ne me soucie pas de ce que vousferez une autre fois ; mais ce soir, il faut quevous composiez quelque chose ! » Bien qu'il mepressât ainsi, je ne fis pas la moindre attention àce qu'il me disait.

Cependant, alors que les autres damesprésentaient ce qu'elles avaient fait, et qu'onjugeait leurs compositions, l'Impératrice écrivitce court billet, puis me le donna :

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« Allez-vous manquer,

Vous que l'on nomme

La descendante

De Motosuke,

Au concours de poésies de ce soir ? »

C'était vraiment d'un charme sans pareil, etcomme je riais très fort, le Ministre medemanda : « Qu'est-ce là, qu'est-ce là ? » Jerépondis par ce poème :

« Si je n'étais celle

Qu'on appelle

Sa descendante,

J'aurais, la première,

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Composé ce soir une poésie. »

Et je dis à l'Impératrice : « Si je n'avais pas àgarder cette réserve, je vous présenterais, demoi-même, mille poésies ! »

Un jour où il y avait, auprès de l'Impératrice,de nombreuses personnes, des parents de SaMajesté, des princes, des gentilshommes, j'étaisappuyée contre un pilier de la chambre situéesous l'appentis, et je causais avec les dames,quand ma maîtresse me jeta un billet. Jel'ouvris et je lus. « Dois-je vous aimer, oui ounon, me demandait-elle. Si je ne puis vousdonner la première place dans mon cœur, quedois-je faire ? » Sans doute m'écrivait-elle celaparce qu'une fois, devant Sa Majesté, j'avais ditdans le cours de la conversation : « Que peutvaloir d'être aimée si l'on n'est pas la premièrede toutes ? Je préférerais me voir haïe ou

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maltraitée. Si je devais être la deuxième ou latroisième, j'aimerais mieux mourir pour éviterune telle disgrâce. Il faut que je sois la première! » Les dames, en riant, s'étaient écriées « C'estla règle de la doctrine unique que vous nousrécitez là408 ! »

L'Impératrice m'ayant donné un pinceau etdu papier, j'écrivis ces lignes, que je luiprésentai :

« Parmi les sièges de lotus des neuf degrés,même le dernier me suffirait409 . »

« Il faut croire, déclara l'Impératrice, quevous êtes complètement découragée ! C'est trèsmal ainsi. Continuez donc plutôt à pensercomme vous aviez d'abord dit. — Monsentiment, répliquai-je, varie avec la situationdes gens qui peuvent m'aimer. » Mais SaMajesté ajouta : « C'est fort mal répondu ; vouspréférerez assurément être la première, mêmedans le cœur des plus nobles personnes », etj'en fus ravie.

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Un jour410 , le Seigneur deuxième sous-secrétaire d'État411 était venu voirl'Impératrice. Il lui présenta l'éventail qu'iltenait, en lui disant : « Cette fois, j'ai trouvé unemerveilleuse carcasse d'éventail. Je désireraisla faire recouvrir ; mais je ne veux pas d'unpapier ordinaire, et j'en cherche un qui puisseconvenir. — Comment est donc cette carcasse ?» demanda l'Impératrice, et Takaie répondit,avec de l'orgueil dans la voix : « Elle est tout àfait superbe, les gens assurent qu'on n'a encorejamais vu une carcasse comme celle-ci, etvraiment une pareille chose n'a jamais existé. —Alors, m'écriai-je, ce n'est pas une carcassed'éventail, c'est une carcasse de méduse412 ! -Voilà, répliqua-t-il en riant, ce que je voulaisdire. »

J'aurais pu placer une telle histoire parmi les« choses gênantes413 ». Sans doute ferais-jemieux de la taire ; mais tout le monde m'arecommandé de ne rien omettre : commentdonc ne la noterais-je point ?

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C'était pendant une période de pluies

continuelles, et il pleuvait aussi ce jour-là. LeTroisième fonctionnaire du Protocole,Nobutsune, vint au palais de l'Impératrice pourapporter une lettre de l'Empereur, et commed'habitude, on sortit un coussin. Il s'assit sur leplancher, après avoir rejeté le coussin encoreplus loin qu'à l'ordinaire414 . « A quoi donc estdestiné ce coussin ? » demandai-je, ce qui fitrire Nobutsune. « Si l'on montait dessus alorsqu'il pleut tellement, dit-il, on le salirait, la tracedes pieds y resterait marquée, ce serait fortdéplaisant.

— Quoi, m'écriai-je, … il n'est pas là pour qu'on s'essuie les pieds

? »… ce n'est pas un coussin415 ? »

Cependant, il me répondit que ce n'était pasmon esprit qui m'avait fait parler, que si lui,Nobutsune, n'avait rien dit de la trace despieds, je n'aurais pas imaginé ce jeu de mots. Ilétait vraiment amusant de l'entendre répéter

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cela ; mais les louanges exagérées qu'ils'accordait lui-même finissant parm'importuner, je racontai l'histoire suivante àma maîtresse :

« Il y a bien longtemps vivait, au palais de laGrande Impératrice416 , une servante fameuse,appelée Enutagi417 . A l'époque où Fujiwara noTokikara418 , qui devait mourir gouverneur deMino, était encore chambellan, il passa un jourdans un endroit où se trouvaient plusieursservantes, et dit : « Alors ! c'est celle-ci lacélèbre Enutagi ; pourquoi son apparence nerépond-elle pas à son nom ? — D'après le vôtre,répliqua-t-elle, votre aspect doit dépendre dutemps ; » On pouvait choisir ses adversaires,Enutagi se tirait avec honneur de toutes lesdifficultés. Les courtisans et les hautsdignitaires eux-mêmes disaient que c'étaitquelque chose d'amusant. Au reste, l'histoireest vraisemblable ; elle a été transmise ainsijusqu'à nous419 .

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Nobutsune reprit alors : « Il en est, de ceuxdont vous venez de parler, comme de nousdeux. C'est Tokikara qui avait fourni à Enutagi,d'avance, sa réponse. Pour moi, je suis capablede composer un poème, chinois ou japonais,quel que soit le sujet qu'on me propose. — Envérité, répliquai-je, c'est à ce point ! Puisquevous êtes si habile, je vais vous donner un sujet; vous composerez, s'il vous plaît, une poésiejaponaise. — C'est parfait, répondit-il ; mais queferais-je d'un seul thème ? Je composerais, toutaussi bien, quantité de poèmes ! »

Comme il parlait ainsi, l'Impératrice luiproposa un sujet ; mais il s'en alla, en déclarantque c'était terrible, et qu'il se retirait.

«Il a, dit quelqu'un, une affreuse écriture,qu'il se serve des caractères chinois ou qu'ilemploie le syllabaire japonais ; les gens en rient.C'est pourquoi il s'est enfui comme il a fait. »Cela nous amusa encore.

Un jour, au temps où Nobutsune était

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intendant du service chargé, au Palais, desfabrications, il envoya porter à je ne sais quelouvrier un croquis représentant certain objet àexécuter, « Voici comment ce doit être fait »,avait-il ajouté en caractères chinois. Jamais jen'avais vu un pareil griffonnage, quand cettehorreur me tomba sous les yeux, et j'écrivis àcôté : « Si l'on travaille de cette façon, lerésultat ne peut manquer d'être singulier420 »J'envoyai le croquis aux appartements del'Empereur, où les gens se le passèrent de l'un àl'autre, et en firent des gorges chaudes, ce quimit Nobutsune fort en colère, et m'attira sonressentiment.

Quand la Princesse du Palais de la belle vuedevint l'épouse du Prince héritier, il n'y eutaucune des cérémonies qui ne fût splendide.

Elle était entrée au palais du Prince le dix dupremier mois elle avait envoyé de nombreuseslettres à notre maîtresse mais les deux sœurs

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ne s'étaient pas rencontrées. Cependant, le dixdu deuxième mois, un message annonça que laPrincesse allait venir voir l'Impératrice. Ondécora les appartements encore mieux qued'ordinaire, on nettoya, on arrangea tout avecun soin particulier, et les dames firent, ellesaussi, de grands apprêts. La Princesse arriva aumilieu de la nuit, et bientôt le jour vint. On avaitpréparé la chambre à la double longueur, à l'estdu Palais de la gloire ascendante. Le lendemainmatin, de très bonne heure, on releva lesfenêtres de treillis ; à l'aurore, le Seigneurmaire du palais et son épouse arrivèrent, dansla même voiture.

La place de l'Impératrice se trouvait dans lapartie méridionale421 de la salle. Un paraventhaut de quatre pieds avait été dressé de l'est àl'ouest, la face tournée vers le nord ; derrière,on avait mis, pour Sa Majesté, un coussin surune natte, et l'on n'avait apporté qu'un seulbrasier, destiné à notre maîtresse. Au sud duparavent, devant le dais, se tenaient des damesen foule.

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C'est là qu'on coiffa l'Impératrice, et pendantce temps, elle me demanda si je connaissais laPrincesse du Palais de la belle vue. « Commentaurais-je pu la voir, répondis-je ; c'est à peine sije l'ai aperçue de dos, le jour des Offrandes, auTemple Shakuzenji422 . — Venez donc, me ditalors Sa Majesté, près de l'intervalle qu'il y aentre le pilier et le paravent, et regardez envous mettant derrière moi. N'est-elle pas bienjolie? » Je fus ravie, et sentant croître le désirque j'avais de voir la Princesse, je medemandais quand je pourrais l'admirer à monaise.

On venait de mettre à l'Impératrice desmanteaux couleur de prunier rouge, l'und'étoffe façonnée, le deuxième de tissu broché,puis un autre écarlate, de soie foulée, par-dessus un vêtement fait de trois étoffessuperposées. « Vraiment, murmura-t-elle,l'écarlate foncé va bien avec la couleur deprunier rouge ? En ce moment, on ne devraitpas porter des vêtements de cette dernièrenuance423 ; j'en ai mis cependant, parce que je

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déteste le vert clair et les couleurs de cettesorte ; mais la teinte ne convient pas avecl'écarlate ! » Malgré ces paroles, je nedécouvrais en elle rien qui ne fût superbe. Lanuance de son teint s'accordait justement aveccelle des habits qu'on lui avait passés ; tout enla contemplant, j'étais impatiente de voir sil'autre jolie princesse424 me charmerait autantqu'elle.

L'Impératrice se glissa près du paravent,jeta un coup d'œil sur la salle, et déclara : « Cespréparatifs semblent mal faits. Voilà un travaildont vous ne devez pas être contentes. » Il étaitamusant d'observer les dames tandis qu'ellesl'écoutaient avec attention. La chambre étaitlargement ouverte, et l'on voyait tout, trèsbien.

La Noble Dame425 portait un manteau blancavec, l'un sur l'autre, seulement deuxvêtements de soie écarlate, empesée. On auraitdit qu'elle avait une jupe d'apparat comme en

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mettent les dames d'honneur. En relevant cettejupe, elle alla vers le fond de la pièce, et commeelle était tournée vers l'est, je n'apercevais queson costume.

La Princesse du Palais de la belle vue setrouvait un peu plus loin, au nord, et regardaitle sud. Elle avait de nombreux vêtements dedessous, couleur de prunier rouge, les unsfoncés, les autres clairs ; un vêtement de damasviolet foncé ; un habit de tissu grenat, tirant unpeu sur l'écarlate, et un manteau vert clair,d'étoffe façonnée, qui la rajeunissait encore. Ellegardait le visage caché derrière son éventail, etme semblait tout à fait jolie. Vraiment, elle étaitravissante.

Le Seigneur maire du palais portait unmanteau de cour violet clair, un pantalon àlacets de tissu vert tendre, et un vêtement dedessous écarlate. Il était tourné de notre côté,le dos appuyé contre un pilier de la chambresituée sous l'appentis, et attachait les cordonsfixés au collet de son manteau. Il souriait de

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plaisir en voyant combien les princesses, sesfilles, étaient belles, et il plaisantait comme ilavait coutume de faire.

La Princesse du Palais de la belle vue étaitassise là, aussi jolie que les figures des tableaux.Mais avec son air calme, avec la grâce de sonvisage déjà moins juvénile, dont la couleurécarlate de son vêtement faisait valoir lanuance, l'Impératrice paraissaitmerveilleusement belle, et je pensais encore,après avoir vu la Princesse, que, pour sûr, en cemonde, on ne pouvait comparer personne à SaMajesté.

On apporta l'eau pour les mains. Pour laPrincesse du Palais de la belle vue, cette eau futapportée, je crois, par deux demoisellesd'honneur et quatre servantes, qui passèrentpar le Palais de l'universel éclat et par celui del'honorable apparence.

Dans la galerie qui était en deçà de la sallesituée sous l'appentis à la chinoise, se tenaient

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seulement six dames. A cause de l'étroitesse dela galerie, la moitié de celles qui avaient escortéla Princesse étaient ensuite retournées aupalais de leur maîtresse.

Les demoiselles d'honneur semblaientextraordinairement jolies, avec leurs vestescouleur de cerisier, leurs vêtements de dessousvert tendre ou prunier rouge. Leurs vestesavaient de longues traînes, et il était ravissantde les voir prendre la bassine d'eau, des mainsdes servantes, puis la présenter à la Princesse.Près de celle-ci, se tenaient les dames Shôshô,fille du chef des écuries Sukemasa, et Saishô,dont le père était le Dignitaire du troisièmerang, de Kitano. Les manteaux chinois de cesdeux dames débordaient sous le store, et je lesregardais, charmée par leur beauté.

En même temps, des « demoiselles de laCour » présentaient l'eau à l'Impératrice ; ellesavaient des jupes de tissu bleu426 , plus foncévers la bordure, des manteaux chinois, desrubans le taille et des ornements d'épaule, etleurs visages étaient bien poudrés de blanc. Lesservantes leur passaient les ustensiles

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nécessaires. Tout cela, fait suivant les règles del'étiquette, à la mode chinoise, avait beaucoupde grâce.

Quand approcha le moment du déjeuner,vint une coiffeuse ; elle arrangea les cheveuxdes dames-chambellans et ceux des femmesqui devaient servir le repas de Sa Majesté.Mais, pendant ce temps, on poussa de côté leparavent qui partageait la salle en deux, et moiqui regardais furtivement, cachée derrière ceparavent, j'étais de la même humeur qu'unsorcier à qui l'on eût enlevé son manteaud'invisibilité. Je ne me sentait pas rassasiée parle spectacle que j'avais pu voir, j'étais désolée.J'allai me mettre auprès d'un pilier, et j'épiaipar l'intervalle que laissaient entre eux le storeet l'écran ; cependant la traîne de mon habit,ma jupe d'apparat, mon manteau chinois,débordaient devant le store. Le Seigneur mairedu palais vit qu'il y avait là quelqu'un, et ditd'un air de blâme :

« Quelle est donc cette personne quej'aperçois comme au travers d'un brouillard427

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. C'est sans doute, répondit l'Impératrice,Shônagon qui sera venue admirer notre réunion» et le Seigneur s'écria : « Ah ! j'en suis honteux; Shônagon est une de mes vieillesconnaissances ; elle a pu penser, en les voyant,que j'avais des filles très laides ! » La fiertéépanouissait son visage.

Après le déjeuner de l'Impératrice, onapporta aussi celui qui était destiné à laPrincesse du Palais de la belle vue, et leSeigneur dit encore : « Il y a de quoi être jaloux; je crois que toutes ces dames sont servies.Qu'elles mangent bien vite, et donnentseulement les restes de leur repas au vieillarde t à la vieille femme428 ! » Il ne fit queplaisanter ainsi toute la journée. Le Premiersous-secrétaire d'État et le Capitaine dutroisième rang429 arrivèrent, amenantMatsugimi430 . Le Seigneur, qui les attendaitavec impatience, prit l'enfant dans ses bras, etle fit asseoir sur ses genoux. C'était ravissant.Sur l'étroite véranda, les deux jeunes

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gentilshommes se trouvaient gênés ; levêtement de dessous de leur costume de courtraînait et s'étendait sur le sol. Le Seigneurpremier sous-secrétaire était d'une beautémerveilleuse, le Seigneur capitaine avait un airdégagé qui me charmait431 ; en les considérant,superbes tous les deux, je pensais que si unetelle splendeur était naturelle pour le Seigneurmaire du palais, il fallait vraiment que la vieantérieure de son épouse eût été exemplaire432

. Le Seigneur dit à ses fils de s'asseoir sur des

coussins de paille ; mais ils répondirent qu'ilsdevaient se rendre où les appelait leur service,et ils se levèrent bien vite.

Un peu plus tard vint, comme messager del'Empereur, un « troisième fonctionnaire » duProtocole ; je ne sais comment il se nommait.On mit un coussin dans la chambre qui était aunord de la salle où l'on rangeait les tables, et lemessager alla s'y asseoir. Ce jour-là,l'Impératrice envoya sans tarder sa réponse.On n'avait pas encore rentré le coussin, quand

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arriva le Lieutenant de la garde du corps,Chikayori433 , apportant un message du Princehéritier à la Princesse du Palais de la belle vue.Il donna sa lettre, et, comme la véranda de lagalerie était étroite, on étendit un coussin sur lavéranda située de ce côté du palais434 .

Le Seigneur, son épouse, l'Impératrice,prirent la missive ils lurent l'un après l'autre. LeSeigneur déclara qu'il fallait répondre à l'instant; mais la Princesse du Palais de la belle vue nese hâtait pas de le faire, et son pèle lui dit : «Sans doute n'écrivez-vous pas parce qu'on vousregarde ? Autrement, vous auriez répondu sur-le-champ, de vous-même ! » J'étais ravie de levoir, souriant doucement pendant que laPrincesse rougissait un peu. Puis, la NobleDame lui ayant, elle aussi, dit de se dépêcher, laPrincesse se tourna vers le fond de la salle, et semit à écrire. La Noble Dame s'approcha de safille, elles préparèrent toutes deux la réponse ;la Princesse en semblait encore plus gênée. Onavait fait passer, par-dessous le store, de lapart de l'Impératrice, un habit de dessus et un

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pantalon de tissu vert clair destinés àrécompenser le messager ; le Capitaine dutroisième rang les lui donna ; mais l'homme enparut fâché, il s'en alla. Matsugimi racontaittoutes sortes de choses, gentiment, et tout lemonde le caressait. « On pourrait sans doute,dit le Seigneur maire du palais, le présentercomme l'enfant de l'Impératrice ! » A la vérité,je me demandais, en l'écoutant, pourquoi SaMajesté n'avait pas encore eu le bonheur dedonner le jour à un Prince Impérial, et celam'emplissait le cœur d'inquiétude435 .

Vers l'heure du Mouton, avant qu'on eûtseulement eu le temps de dire que lesserviteurs étendaient un chemin de nattes,l'Empereur entra dans la salle, avec unbruissement d'étoffes436 . L'Impératrice vint àlui, et ils allèrent directement .Sous le dais. Lesdames, aux robes bruissantes, sans doute seretirèrent437 , par respect, dans la chambre quiest à la face méridionale du palais. Dans lagalerie, se tenaient des courtisans, fort

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nombreux ; le Seigneur maire du palais fit venirdes fonctionnaires appartenant à la Maison del'Impératrice, et leur donna l'ordre d'apporterdes fruits et différentes choses pour prendreavec du vin de riz. « Que tout le monde s'enivre! » dit-il ; et, en vérité, tous s'enivrèrent.Pendant que les courtisans discutaient avec lesdames, ils se trouvaient mutuellementcomiques.

Alors que le soleil se cachait à l'horizon,l'Empereur se leva et fit appeler le Premiersous-secrétaire d'État du puits de lamontagne438 ; Sa Majesté ordonna qu'on larevêtît de son costume de cérémonie, puisrepartit. Avec son manteau de cour, couleur decerisier, son vêtement de dessus écarlate avaitla splendeur du soleil couchant... Mais le respectarrête mon pinceau, et je n'ose continuer àdécrire son costume.

Le Premier sous-secrétaire du puits de lamontagne ne frayait guère avec ses frères plusjeunes ; Il n'en avait pas moins belle allure.

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Pour l'élégance, il surpassait son frère, l'autrePremier sous-secrétaire d'État439 , et j'étaispeinée d'entendre constamment les gens lerabaisser.

Le Seigneur maire du palais, le Premiersous-secrétaire du puits de la montagne etl'autre Premier sous-secrétaire d'État, leCapitaine du troisième rang440 , le Grandtrésorier441 , escortèrent tous l'Empereur à sondépart, et revinrent ensuite près del'Impératrice. La Deuxième fille d'honneur dontle père appartenait au service des écuries vintdire à notre maîtresse que l'Empereur lademandait. Sa Majesté répondit en rechignantqu'elle ne pouvait aller, le soir même, au Palaisd e l'Empereur ; mais, l'ayant entendue, leSeigneur déclara qu'il ne fallait jamais s'opposeraux désirs du Souverain, et qu'elle devait bienvite rejoindre son Époux.

Comme il arrivait aussi, continuellement, desmessagers envoyés par le Prince héritier à la

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Princesse du Palais de la belle vue, l'agitationétait grande ; des dames d'honneurappartenant aux Maisons de l'Empereur et duPrince héritier vinrent chercher l'Impératriceet sa sœur, et les pressèrent de partir. « S'il enest ainsi, dit alors l'Impératrice, accompagnezd'abord cette dame, et conduisez-la au palais duPrince héritier » ; mais la Princesse fit observerqu'elle ne pouvait pourtant passer avantl'Impératrice, et comme notre maîtresserépétait qu'il fallait d'abord reconduire sa sœur,c'était très amusant. Elles convinrent que cellequi habitait le plus loin partirait la première, etce fut la Princesse du Palais de la belle vue.

Le Seigneur maire du palais et les autrespersonnes s'en allèrent, et l'Impératrice serendit auprès de l'Empereur. En chemin, lesgens riaient tellement des plaisanteries duSeigneur que l'on aurait pu craindre de les voirtomber quand ils passèrent sur le pontprovisoire.

Un messager apporta un jour, des

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appartements de l'Empereur, un rameau deprunier complètement défleuri, en demandantce que l'on en pensait. Je répondis seulement :« Les fleurs sont tombées de bonne heure442 .» Des courtisans, très nombreux, qui étaient,près de la Porte noire, récitèrent le poèmechinois auquel j'avais fait allusion, etl'Empereur, ayant entendu, déclara : « Voilà quiest encore mieux que si elle avait composé unejolie poésie japonaise. Elle a bien répliqué ! »

Le dernier jour du deuxième mois443 , le

vent soufflait très fort, le ciel étaitextrêmement sombre, et il tombait un peu deneige. Un homme du service domestique vint àla Porte noire en déclarant : « Voici pourquoi jesuis ici. » Me donnant une lettre, il dit qu'ellem'était adressée par le seigneur Kintô444 e t leSeigneur capitaine et conseiller d'État445 . Je laregardai, je vis seulement ces mots, sur dupapier pareil à celui que l'on emporte dans sonsein pour y noter au besoin quelque chose :

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« Il me semble que je ressensUn peu le charme du printemps, » Vraiment, ces paroles s'accordaient bien avec

le temps qu'il faisait ce jour-là ; mais j'étaisperplexe, et je me demandais comment ajouterun début à ces vers. J'interrogeai le messagerpour savoir quels seigneurs étaient présentsquand on m'avait écrit, et cet homme merépondit qu'il y avait celui-ci et celui-là. Il neme citait que des courtisans lettrés, aux yeuxdesquels j'aurais eu honte de paraître malhabile; pourtant, parmi eux, c'était surtout auCapitaine et conseiller d'État que j'eusse étédésolée d'envoyer une réponse médiocre. Je metrouvais seule et bien embarrassée. Je pensai àmontrer ce que j'avais reçu à l'Impératrice ;mais l'Empereur étant venu la voir, elle restaitenfermée dans son appartement. L'homme duservice domestique me pressait ; je me disqu'en vérité, si je tardais, ce n'était pas encorecela qui pourrait donner du prix à unemauvaise réponse. Il valait mieux laisser aller

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les choses, et j'écrivis en tremblant d'émoi : « Quand dans le ciel glacéLa neige s'éparpille, Imitant les fleurs. » Après avoir donné ma lettre au messager, je

fus très inquiète, et je me demandai commenton la jugerait. J'aurais voulu le savoir et,pourtant, il me semblait que si mes versdevaient être critiqués, il valait mieux pour moine pas l'apprendre.

Cependant, le Capitaine de la gardeimpériale, qui était alors capitaine de la gardedu corps446 et se trouvait là quand on lut mapoésie, me raconta que, justement, le Capitainede la garde du corps Toshikata et les autresassistants avaient déclaré qu'après cela il fallaitme faire nommer fille d'honneur.

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5o. Choses qui sont loin du terme

Le jour où l'on entre dans une période

d'abstinence qui doit durer mille jours. Celui où l'on commence à tordre le cordon

d'un gilet sans manches447 .Le moment où un voyageur qui va au pays

de Michinoku passe la barrière, à la Montée desrencontres448 .

Le temps qu'il faut à l'enfant nouveau-népour devenir un homme.

Entreprendre de lire, seul, le Saint livre de laparfaite sagesse449 .

Le jour où gravit la montagne celui qui va yfaire une retraite de douze années.

Ah ! comme tout le monde se rit de

Masahiro, et quelle impression peuventressentir ses parents quand ils entendent cesrailleries ! S'il y a dans sa suite un hommeconvenable, les gens l'appellent, lui demandenten riant pour quoi faire il sert un tel maître, et àquoi il pense !

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Masahiro vit entouré de choses élégantes, etqu'il s'agisse de la couleur dont est teint sonvêtement de dessous, de son manteau, on peutpenser qu'il est mieux habillé que personne ;mais les gens disent en le voyant : « Ah ! sic'était porté par un autre ! »

A la vérité, Masahiro s'exprime parfois d'uneétrange manière. Un jour, il donna l'ordre àdeux valets de porter chez lui les effets qui luiavaient servi pour la garde de nuit au Palais.Comme un seul se préparait à partir, enassurant qu'il suffirait bien pour la chargeindiquée, Masahiro lui déclara : « Vous êtes unh o m m e bizarre ! Comment pourriez-vousporter les effets de deux personnes ? Dans unvase d'une mesure, en mettrait-on deux450 ? »Nul ne comprit ce qu'il voulait dire mais on rit àgorge déployée.

Un autre jour, un messager apporta unelettre à Masahiro de la part de quelqu'un, en lepriant de répondre aussitôt ; mais il s'exclama :« Ah ! quel homme détestable vous êtes ! A-t-

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on mis des haricots dans le fourneau451 ? Etpuis, quelque individu a donc pris et cachél'encre et les pinceaux qu'il y avait dans cePalais ? Si c'était du riz ou du vin, on pourraitles convoiter et les voler ; mais de l'encre ! »Cela aussi fit rire tout le monde.

Une fois, alors que l'Impératrice douairièreétait malade, l'Empereur envoya Masahiro prèsd'elle. Quand il fut revenu, on le pria de direquels gentilshommes appartenant à la Maisonde la Douairière il avait vus. Il nomma celui-ciet celui-là, en tout quatre ou cinq personnesseulement, et comme on lui demandait : « Etqui encore ? » il répondit : « Il y en avaitd'autres ; mais ils étaient partis. » On s'étonneque les gens aient pu rire, une fois de plus, de saréponse452 !

Un jour que j'étais seule, Masahiro vint àmoi, et me déclara « Madame, il faut que jevous parle tout de suite ; je veux vous répéterune chose que je viens d'entendre à l'instant. »

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Je lui demandai de quoi il s'agissait, et, quand ilfut à côté de l'écran, il reprit : « Quelqu'un vientde dire : « Approchez vos cinq membres453 "au lieu de dire simplement Venez donc plusprès". » Cela me fit rire encore.

La nuit, au milieu de la période desnominations454 , c'est Masahiro qui mit del'huile dans les lampes. En s'acquittant de cettefonction, il marcha sur le napperon huileuxplacé sous le piédestal d'une lampe. Comme cenapperon était neuf, le pied du maladroit futretenu fortement par l'étoffe, à laquelle l'huile lefit adhérer, et quand Masahiro voulut s'en aller,le piédestal, soudain, se renversa. En vérité, enmarchant avec le napperon collé à son bas etentraînant le piédestal, il faisait tout tremblersur son chemin.

Un jour, le sous-chef des chambellans n'étantpas encore arrivé, il n'y avait personne à latable du Palais Impérial. Masahiro y prit . unplat de haricots, qu'il alla manger en cachettederrière un petit écran ; cependant, quelqu'un

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ayant tiré cet écran, Masahiro fut découvert ; ily eut des rires sans fin.

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51. Barrières455

Les barrières d'Ausaka, de Suma, de Suzuka,

de Kukida, de Shirokawa, de Koromo. Pour la barrière de Tadagoe456 , il me

semble que l'on ne peut la comparer à celle deHabakari457 .

Les barrières de Yokobashiri, de Kiyomi, deMirume. La barrière de Yoshina-yoshina458 .Je voudrais bien savoir à quoi on a pensé en luidonnant ce nom. C'est sans doute cette barrièrequ'on appelle aussi la barrière de Nakoso459 .

A propos même du nom qu'a reçu la Montéedes rencontres460 , si l'on songe que lapromesse en est vaine, on se sent désolé. Labarrière d'Ashigara.

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52. Bois

Les bois d'Ôaraki, de Shinobi, de Kogoi, de

Kogarashi, de Shinoda, d'Ikuta, d'Utsugi, deKikuta, d'Iwase, de Tachigiki, de Tokiwa, deKurubeki, de Kaminabi, d'Utatane, d'Ukita,d'Ueki, d'Iwada.

Le nom que porte le bois de Kôdate461 m'estétrangement resté dans l'oreille. On n'auraitpas dû lui donner le nom de bois. Pourquoi a-t-on appelé ainsi un endroit où il n'y a qu'un arbre?

Les bois de Koi, de Kowata.Le dernier jour du quatrième mois, en allant

visiter le temple de Hase, nous traversâmes lefleuve Yodo sur un bac. On avait placé lavoiture sur le bateau ; pendant que nous allionsainsi, le haut des acores et des avoines d'eaunous paraissait court ; mais quand nous enfaisions cueillir par les serviteurs, nous voyionsque les tiges étaient très longues. Nousregardions passer des barques chargéesd'avoine d'eau ; je trouvais à tout cela un

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charme merveilleux. Il me semblait que lespectacle était précisément celui dont on avaitcélébré la beauté dans le poème consacré auRemous de Takase462 .

En revenant, le troisième jour du moissuivant, nous vîmes, sous une pluie battante,des hommes et des enfants qui coupaient desacores ; ils avaient de tout petits chapeaux dejonc, et leurs vêtements étaient retroussés trèshaut sur leurs jambes. Le tableau ressemblaittout à fait à une peinture de paravent.

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53. Sources chaudes

Les sources de Nanakuri, d'Arima, de

Tamatsukuri.

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54. Choses que l'on entend parfois avec plusd'émotion qu'à l'ordinaire

Le bruit des voitures, au matin, le premier

jour de l'an. Le chant des oiseaux. A l'aurore, lebruit d'une toux, et, il va sans dire, le son desinstruments.

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55. Choses qui perdent à être peintes

Les œillets ; les fleurs de cerisier, de kerrie.

Le visage des hommes ou des femmes dont onvante la beauté dans les romans.

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56. Choses qui gagnent à être peintes

Un pin. La lande en automne. Un village dans

la montagne. U n sentier dans la montagne. Lagrue. Le cerf. Un paysage d'hiver, quand lefroid est extrême. Un paysage d'été, au plusfort de la chaleur.

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57. Choses qui émeuvent profondément Un enfant plein de piété filiale. La voix du

cerf.Un jeune homme bien né qui fait une retraite

d'abstinence dans la montagne de Mitake. Il vitséparé des siens, il se livre à tous les pieuxexercices, et se prosterne à l'aube. Cela metouche le cœur. Quand elle s'éveille, celle quil'aime s'imagine qu'elle entend sa voix, elle n'osese demander comment il passera le temps dupèlerinage. Cependant, quelle joie lorsque à lafin cet homme revient tranquillement ! Il n'y aque son bonnet laqué, déformé, qui déplaise unpeu. Au reste, j'avais entendu dire que mêmeune personne d'un très haut rang s'habillait leplus pauvrement possible quand elle allaitvisiter un temple ; mais Nobukata463 , leCapitaine de la garde du Palais, de droite,déclara certain jour : « Tout cela est sansintérêt; , quel inconvénient pourrait-il y avoir àce qu'on aille en pèlerinage avec des vêtementscorrects ? Le dieu de Mitake n'a probablement

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jamais dit qu'il ne fallait pas manquer d'être malhabillé ! »

Le dernier jour du troisième mois464 il mitun pantalon à lacets, d'un violet très foncé, unhabit de dessus blanc, et un vêtement dedessous couleur de kerrie, le tout très éclatant;Takamitsu, le sous-chef du service domestique,l'accompagnait, vêtu d'un habit vert-jaunepassé sur un autre, écarlate, et d'une robeparsemée de dessins, en guise de pantalon.Ainsi habillés, ils partirent pour le temple, etsur la route les pèlerins qui allaient ourevenaient étaient frappés de stupeur devantun spectacle aussi merveilleux et aussi étrange.Ils se disaient qu'ils n'avaient jamais vu, dans cesentier de montagne, des gens d'une telleapparence.

Cependant, les deux originaux revinrent ledernier jour du quatrième mois, et dans lesjours qui suivirent le dix du sixième mois, legouverneur de Chikuzen étant mort, Nobukatale remplaça. Les gens dirent qu'en vérité, lesévénements n'avaient pas démenti ses paroles.

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Cette histoire n'a rien d'émouvant, et si je l'ainéanmoins racontée ici, c'est que je venais depenser à la montagne de Mitake.

A la fin du neuvième mois ou au début du

dixième, la musique des grillons qui vousparvient, si faible qu'on ne sait si on l'entend ounon.

Une poule étalée sur ses poussins, pour lesprotéger465 .

Tard en automne, les gouttes de rosée quibrillent comme des perles de toutes sortes surles roseaux du jardin.

Le soir, quand le vent souffle dans lesbambous, au bord de la rivière.

S'éveiller à l'aube, et aussi s'éveiller la nuit,c'est toujours émouvant.

Deux jeunes amoureux lorsqu'ils sont gênéspar quelqu'un, et ne peuvent faire ce qu'ilsvoudraient.

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Un village dans la montagne, sous la neige.

Des hommes et des femmes, d'agréablefigure, qui portent de sombres vêtements dedeuil466 .

Le vingt-six ou le vingt-sept du mois467 , àl'aube, après avoir passé la nuit en causeries, onregarde le ciel, on voit la lune, près de la crêtedes montagnes, si pâle que l'on doute de sesyeux et que l'on sent son cœur défaillir. C'estd'une tristesse ravissante.

La lande en automne.

De très vieux bonzes qui font leurs pieuxexercices.

Une chaumière délabrée où grimpe ets'accroche le houblon, avec un jardin oùcroissent à l'envi l'armoise et les herbes folles,lorsque la clarté de la lune les illumine sanslaisser un coin sombre, et que le vent souffledoucement.

Quand je me retire pour quelques jours dans

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un temple, au premier mois, j'aime qu'il fasseun très grand froid, qu'il tombe beaucoup deneige, et que tout soit gelé ; mais si le temps està la pluie, c'est détestable.

Une fois, nous étions allées en pèlerinage autemple de Hase ; pendant qu'on nous préparaitdes chambres, on avait tiré notre voiturejusqu'au bas de l'escalier fait de troncs d'arbresqui mène au temple. Quelques jeunes prêtres,qui ne portaient du costume religieux que laceinture, chaussés de hautes galoches,montaient et descendaient sans la moindreprécaution, en disant les fragments des livressaints qui leur venaient à l'esprit, ou en récitantquelques lignes des Stances qu'on peut lire dansle « Traité de Métaphysique468 ». Celasemblait tout à fait approprié à un tel endroit etc'était bien joli. Sur cet escalier, que nous allionsgravir avec crainte, en nous approchant dubord pour nous cramponner à la rampe, ilsétaient aussi à leur aise que sur un plancher.Quelle chose curieuse !

Quelqu'un vint nous avertir que nos

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chambres étaient prêtes ; on nous apporta despantoufles, et l'on nous aida quand nousdescendîmes de voiture.

Parmi les dames qui se trouvaient au temple,certaines s'étaient contentées de mettre leursvêtements la doublure en dessus ; maisd'autres portaient des costumes de cérémonie,e t avaient des jupes d'apparat, des manteauxchinois d'un éclat très voyant. C'était encore unspectacle amusant que celui des gens qui,chaussés de pantoufles ou de sandales,marchaient en traînant les pieds dans lescorridors, et cela me rappelait le Palais.

De jeunes hommes qui avaient accès partoutdans le monastère et dans ses dépendances, etdes acolytes, nous accompagnaient et nousdisaient : « Ici on descend, ici on monte. »Plusieurs personnes, je ne sais qui c'était,marchaient tout près derrière nous, etcertaines d'entre elles voulurent nous pousserde côté pour nous dépasser ; mais nos guidesleur crièrent : « Un instant ! Il y a là des damesde qualité auxquelles il ne faut pas vous mêler

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ainsi. » Quelques-unes répondirent que c'étaitjuste, et reculèrent un peu ; mais il s'en trouvad'autres qui ne tinrent pas compte de ce quel'on disait, et se précipitèrent comme si chacuneavait voulu arriver la première en face duBouddha. Pour aller à nos chambres, nouspassâmes devant les gens assis en rangs ; c'étaitfort désagréable. Mais quand je regardai dans lechœur, par-dessus la barrière destinée àempêcher les chiens d'y entrer, je fus saisie derespect ; je me demandais comment j'avais pulaisser écouler des mois sans venir au temple,et je sentais se réveiller mon ancienne piété. Onne voyait pas, dans le chœur, les lampes qui s'ytrouvent d'ordinaire. Elles étaient remplacéespar d'autres, apportées par les dévots commeoffrandes. Celles-ci brûlaient avec tant de clartéque l'on était effrayé ; au milieu du sanctuaire,le Bouddha resplendissait.

L'un après l'autre, des prêtres venaient, avecun air de fervent respect, devant la chaire, etchacun lisait une supplique en tenant dans sesmains son papier bien haut ; le temple était si

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plein de tumulte que l'on ne parvenait àcomprendre ni ce qu'ils expliquaient ni ce qu'ilspromettaient. A un certain moment, pourtant,je pus distinguer la voix d'un bonze qui criait àtue-tête, et entendre ces paroles : « Millelampes sont offertes à l'intention de... » ; mais lenom qui suivit ne me parvint pas.

J'avais passé les bretelles de ma juped'apparat par-dessus mes épaules, et jem'inclinais pour adorer le Bouddha, lorsqu'unprêtre, ayant cueilli un rameau d'anis469 , mel'apporta, l'air très digne, et déclara : « Je suisvenu pour vous donner cette branche. » J'enfus charmée. Un autre prêtre, qui se tenait àcôté de la « barrière contre les chiens »,s'approcha ; il nous assura qu'il avait très bienrécité les prières que nous l'avions chargé dedire, et nous demanda combien de jours nousdevions rester au temple. Il nous apprit quetelles et telles personnes y faisaient à cetteépoque une retraite, puis il s'éloigna.

Sans tarder on nous apporta le brasier, desfruits et tout ce qu'il nous fallait. On avait mis

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l'eau dont nous pouvions avoir besoin dans unbaquet, on nous donna aussi une cuvette sanspoignée. Le prêtre nous indiqua dans quellescellules les gens de notre suite seraient logés, ilnous quitta pour les appeler ; tous allèrent lesuns après les autres où il leur dit. Une clocheannonça la récitation des Écritures ; il mese mblait qu'elle sonnait pour moi, et jel'écoutais avec espoir. Dans la chambre voisine,il y avait un homme d'un assez bon rang qui seprosternait constamment, dans le plus grandsecret. En prêtant l'oreille, je pensai d'abordqu'il agissait ainsi parce qu'il savait qu'onl'entendait ; mais il paraissait tout à fait absorbé; sans dormir un instant, il continuait sesdévotions. J'en avais vraiment pitié. Quand il sereposait de ses exercices, il lisait avec ferveurles textes sacrés, à haute voix, pas assez fort,cependant, pour que l'on pût comprendre cequ'il disait. Au moment où nous aurionssouhaité qu'il lût plus haut, il s'arrêta pourrenifler ; mais il se moucha discrètement, etnon d'une façon déplaisante, avec éclat. Je me

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demandais quelle chose il pouvait implorer avectant de piété, je souhaitais qu'elle lui fûtaccordée.

En général, lorsque nous séjournions dans unmonastère, les jours et surtout les matinéess'écoulaient sans beaucoup d'événements. Leshommes et les garçons qui nousaccompagnaient allaient faire visite aux prêtresdans leurs cellules, et le temps nous semblaitlong ; mais parfois le son d'une conque danslaquelle on soufflait avec force, tout près, nouseffrayait soudainement. Ou bien un messager,avec une élégante « lettre tordue », apportaitquelques étoffes, en paiement d'une lecturereligieuse. En mettant sa charge à terre, ilappelait les serviteurs, et sa voix retentissait,éclatante, dans la montagne.

D'autres fois, le bruit de la cloche résonnaitplus fort que d'habitude, nous écoutions en nousdemandant qui faisait faire la prière, et nousentendions citer le nom de quelque noblefamille, et dire qu'on célébrait un service pour

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l'heureuse délivrance de la dame de cettemaison. Involontairement, nous nous sentionsimpatientes de savoir ce qu'il en serait, et nousjoignions, avec anxiété, nos oraisons à celles desbonzes.

Sans doute, tout ce que je viens d'écrires'applique aux périodes ordinaires ; mais aupremier mois, par exemple, il y a beaucoup detumulte. Sans cesse des curieux viennent autemple, et pendant qu'on les regarde, on négligeles exercices religieux.

Un jour, des pèlerins arrivèrent alors que lesoleil se couchait, et l'on pensa qu'ils resteraientquelque temps. Les petits acolytes, pour leurpréparer un logement, apportèrent de hautsparavents qu'on ne les aurait pas crus capablesde soulever. Ils s'y prenaient avec beaucoupd'adresse. Ils apportèrent aussi des nattesroulées qu'ils déposèrent bruyamment.Pendant que je regardais ces acolytes, lespèlerins furent conduits directement à leurchambre, et l'on suspendit, au-dessus de la «

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barrière contre les chiens47 0 », un store quirésonna. Les serviteurs, habitués à ce travail,semblaient le faire avec une extrême facilité. Ace moment, de nombreuses damesdescendirent de leurs chambres, avec un douxbruissement d'étoffes. C'étaient des damesd'âge moyen, ayant une apparence distinguée,des façons discrètes ; sans doute des personnesqui quittaient le temple. « Ces salles sontdangereuses, dit l'une d'elles, faites attention aufeu ! » Un petit garçon de sept ou huit ans lesaccompagnait. Il était plaisant de le voir, del'entendre interpeller les serviteurs et leurparler d'une voix élégante, hautaine. Il y avaitencore, avec ces femmes, un enfant d'environtrois ans qui paraissait mal réveillé, quitoussait. Celui-ci était ravissant aussi. Nousaurions bien voulu que la mère ou quelqu'unedes dames appelât la nourrice par son nom ;peut-être aurions-nous su qui étaient cespersonnes.

Les cérémonies durèrent toute la nuit ; nousentendions un vacarme extraordinaire, et nous

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ne pouvions nous endormir. Cependant, jem'étais assoupie -après la fin du service dumatin, quand un bruit parvint à mon oreille :des prêtres lisaient les textes saints consacrés àla divinité honorée dans le temple47 1 . Leursvoix étaient rudes et fortes, ils ne semblaientrechercher aucun effet de grandeur. Sans douteentendais- je là quelques-uns de ces bonzesvoyageurs qui parcourent le pays, et j'écoutaisavec émotion ces voix qui fortuitementm'avaient surprise.

Au nombre des gens qui assistaient auxoffices, il y avait un seigneur qui paraissaitdistingué, mais dont, la nuit, je ne reconnaissaispas le visage. C'était un jeune hommesuperbement habillé ; il portait u n pantalon àlacets gris bleuâtre, d'étoffe bien tendue, avecde nombreux vêtements blancs mis l'un surl'autre ; il avait l'air d'être le fils de quelquen o b l e famille. Des pages l'accompagnaient,j'aimais à voir comme ses nombreux serviteursl'entouraient avec respect. Pour lui, on avaitdressé provisoirement un paravent, et il ne

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sembla que ce seigneur faisait quelquesprosternations.

Il était tout à fait charmant de se demanderqui étaient les gens que l'on ne connaissait pas,et bien amusant aussi de se dire, en apercevantceux que l'on avait déjà vus : « Ce doit être UnTel ou Un Tel. »

Les jeunes gens s'avisaient toujours d'unprétexte pour venir rôder à l'entour deschambres réservées aux dames, et neregardaient pas du côté du Bouddha. Ilsappelaient les prêtres chargés des diversservices du monastère, et racontaient quelquehistoire en chuchotant, puis s'en allaient. Je neles trouvais cependant pas insupportables.

A la fin du deuxième mois et au début dutroisième, alors que les cerisiers étaient enpleine floraison, je fis encore un agréable séjourau temple. Deux ou trois hommes de bonnemine qui semblaient voyager incognitoarrivèrent un jour, élégamment habillés devêtements couleur de cerisier, de saule vert. Ilsavaient attaché le bas de leur pantalon à lacets,

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en le retroussant, et cela leur donnait un air dedistinction. Un de leurs serviteurs, un hommeque l'on avait du plaisir à voir dans son emploi,portait un sac à provisions joliment décoré. Lespages étaient vêtus d'habits de chasse «prunier-rouge » ou vert tendre, de vêtementsde dessous diversement teints et de pantalonsparsemés de dessins imprimés. On leur avaitfait cueillir des rameaux fleuris qu'ils tenaient àla main. Des hommes à la taille élancée, quiparaissaient les serviteurs de hautspersonnages, accompagnaient cesgentilshommes. Quel joli coup d'œil, lorsqu'ilsfrappèrent le gong à la porte du temple !

Parmi ces seigneurs, il y en avait un que jepensais avoir déjà vu ; mais comment eût-il pusavoir que je me trouvais près de lui ? Je nesouhaitais pas le rencontrer et, pourtant, quandil fut passé, je me sentis toute triste : je medisais que j'aurais dû lui faire connaître maprésence. C'était curieux !

Quand on fait ainsi une retraite dans uncouvent et, en général, lorsqu'on séjourne dans

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un endroit où l'on n'a pas l'habitude de vivre,cela semble sans intérêt si l'on n'a que desserviteurs avec soi. Avant de quitter la capitale,une femme ne devrait pas manquer d'inviterune ou deux ou même de nombreuses autresdames à l'accompagner dans son voyage. Avecdes personnes de son rang, ayant les mêmesidées qu'elle, cette femme pourrait avoir toutessortes d'agréables conversations à propos deschoses qui l'intéresseraient. Parmi les servantesque l'on a près de soi, il en est qui ne sont pasdéplaisantes ; mais forcément on les connaittrop. Les hommes semblent penser commemoi, car ils prennent soin, avant de partir,d'aller chercher leurs amis. C'est une excellentehabitude.

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58. Choses qui paraissent pitoyables Au sixième ou au septième mois, à l'heure du

Cheval ou à l'heure du Mouton, une charrettemalpropre, attelée d'un misérable bœuf, quis'en va, cahotant.

Un jour qu'il ne pleut pas, une voiturepourvue de nattes contre la pluie. Un jour qu'ilpleut, une voiture où l'on n'en a pas mis.

Un vieux mendiant, que l'on soit dans lasaison très froide ou qu'il fasse chaud.

Une femme du peuple, très pauvrementvêtue, qui porte un enfant sur son dos.

Une cabane au toit de planches, noire et sale,que la pluie a mouillée.

Un cavalier, monté sur un petit cheval,précède un cortège, un jour qu'il pleut très fort.Son chapeau est aplati ; ses vêtements dedessus et de dessous, collés par la pluie, ne fontp lu s qu'un. Quel aspect pitoyable ! En été,cependant, la vue en est agréable47 2 .

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59. Choses qui donnent une impression dechaleur

L'habit de chasse que porte le chef de

l'escorte impériale. Une étole faite de morceauxdivers.

Le lieutenant de la garde du corps quisurveille les concours d'archers et de lutteurs,et qui escorte le Souverain.

Une personne très grasse, qui a beaucoup decheveux.

Les sacs dans lesquels on met les harpes.Un chanoine, en prière au sixième ou au

septième mois, qu i fait ses pieux exercices àmidi.

Ou encore, au même moment, un forgeronqui travaille le cuivre

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6o. Choses qui font honte

Ce qu'il y a dans le cœur d'un homme.Un prêtre du service de nuit qui a le sommeil

léger47 3 .Un voleur est entré furtivement, et s'est

accroupi, pour se cacher, dans quelque coinpropice. Comment peut-il voir autour de lui ?Mais qui saurait qu'il est là ? Cependant, il y adans la chambre une personne qui profite del'obscurité pour dérober quelque chose, qu'elleglisse dans son sein. Le voleur, qui a dessentiments semblables, doit sans doute trouvercela drôle.

Les prêtres qui doivent, la nuit, réciter lesprières, ont bien souvent honte ; les jeunespersonnes viennent en foule autour d'eux, ellesrient, médisent des gens ; elles en parlent avecressentiment, et les bonzes, qui entendent toutcela, ont le cœur rempli de confusion. « Ah !c'est trop de tapage ! » disent avec des minessévères les dames plus âgées qui sont deservice auprès de l'Empereur ; mais les jeunes

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dames n'y prennent pas garde, elles continuentà bavarder ; quand, à la fin, elles se sontendormies sans aucune réserve, les prêtres sesentent tout honteux.

Devant une femme qu'il juge ennuyeuse etdéplaisante, un homme, sans montrer qu'il ladéteste, se met en frais pour la flatter et faittant qu'elle le croit. C'est une honte.

Bien plus, s'il est connu pour être aimable ettendre, il se garde de tout ce qui pourrait incitercette femme à penser qu'il agit ainsi sans avoiraucune intention particulière. Non. seulement iltrompe les femmes en son cœur ; mais on peutcroire qu'il dit, à l'occasion, du mal de l'une àl'autre, et inversement de celle-ci à celle-là. Ilsonge que chacune, ignorant ce qu'il raconted'elle-même, s'imaginera, en écoutant sesmédisances, qu'il la trouve supérieure à touteautre. Quel honteux calcul !

Hélas ! il en est qui n'éprouvent aucunembarras lorsqu'ils rencontrent celui, ou celle,qu'ils pensaient ne plus revoir, et lui montrentun visage indifférent. Mais quel cœur a doncl'homme qui abandonne une femme sans être,

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même un instant,pénétré de pitié, de tristesse,en pensant à tout ce qui rend leur séparationdouloureuse ? Une pareille insensibilité mestupéfie. Pourtant, s'il la rencontre, il lui dira dumal des autres hommes, il lui parlera, tout à faità l'aise !

Et celui qui séduit une femme en service auPalais, n'ayant personne au monde pour lasoutenir, et cesse toutes relations avec elle,sans s'occuper de son sort, quand les chosessemblent se compliquer !

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61. Choses sans valeur Un grand bateau, à sec dans une baie, à

marée basse.Le temps qu'une femme dont la chevelure

est courte met à se peigner après avoir ôté sesfaux cheveux.

Un grand arbre renversé par le vent etcouché sur le sol, les racines en l'air.

Le dos du lutteur qui se retire après avoirété battu.

Un homme sans grande autorité quiréprimande un serviteur.

Un vieillard qui découvre sa chevelure.Une femme s'est fâchée à propos de quelque

bagatelle, puis est allée se cacher. Elle pensaitque son mari ne manquerait pas de seprécipiter à sa recherche ; mais il ne s'inquiètepas tant qu'elle l'avait espéré, il se conduit d'unefaçon blessante à son égard. Cependant, commeelle ne peut, hélas ! rester toujours dehors, ellequitte d'elle-même sa retraite, et revient à lamaison.

Pendant la danse du « chien de Corée », ou

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celle du « lion47 4 », le bruit que font les piedsdes danseurs lorsqu'ils prennent plaisir à leurjeu, et sautent, emportés par la cadence.

Parmi les prières que disent les bonzes47 5 ,

j'aime surtout à entendre réciter la « Formulemagique de l'Oeil des Bouddhas » ; en lesécoutant, en les voyant, je suis charmée,pénétrée de vénération.

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62. Choses embarrassantes On appelle une personne, et une autre se

présente, croyant que c'était elle qu'ondemandait. La chose est encore plusdésagréable lorsqu'on apporte un cadeau.

On a parlé plus qu'il ne convenait d'unepersonne, on l'a critiquée ; un enfant, qui aentendu et retenu ce que l'on avait dit, va lerépéter devant elle.

Quelqu'un vous raconte, en sanglotant, unehistoire pitoyable ; on l'écoute avec une sincèrecompassion. Cependant, il se trouve justementqu'on ne peut verser une larme. On se composele visage comme si l'on était près de pleurer, onprend un air de circonstance ; mais tout cela nechange absolument rien.

D'autres fois, sans qu'on le veuille, enentendant rapporter quelque chose d'heureux,on sent, soudain, ses pleurs couler et couler !

Quand l'Empereur revint47 6 du Temple de

Yawata47 7 il fit arrêter son palanquin avant de

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passer devant la tribune où se tenaitl'Impératrice douairière, et il lui dépêcha unmessager. Je fus étrangement ravie en voyantl'Empereur, dans toute sa gloire, rendre seshommages à sa mère. Le spectacle était d'unebeauté sans pareille, et pourtant, mes larmesdébordèrent, je puis vraiment l'écrire, etlavèrent le fard de mon visage. Comme jedevais être laide !

Ce fut splendide quand Tadanobu, leCapitaine et conseiller d'État, messager del'Empereur, se dirigea vers la galerie. Il n'étaitescorté que par quatre officiers de sa suite,magnifiquement habillés, avec des hommes quicouraient, bien pris dans leur costume, et ilallait en grande hâte, pressant son cheval sur lasuperbe route de la Deuxième avenue, large etnette. Le Capitaine mit pied à terre à quelquedistance de la tribune, puis il attendit devant lestore qui pendait sur le côté de celle-ci. Lemajordome gouvernant la Maison del'Impératrice douairière transmit à samaîtresse le message impérial, et quand le

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Capitaine eut reçu la réponse, il revint, pressantde nouveau sa monture. Je n'ai pas besoin ded ir e quel plaisir j'avais à le voir, contre lepalanquin de Sa Majesté, cependant qu'ilrapportait au Souverain ce qu'avait ditl'impératrice douairière.

Je me figurais les pensées de celle-ci, qui,sans doute, regardait passer le cortège del'Empereur, son fils, et il me semblait qu'elledevait être transportée de joie. Les gensriraient bien s'ils savaient que j'ai pleurélonguement en songeant à cela.

En ce monde, c'est un grand bonheur, mêmechez les gens d'un rang ordinaire, de voir lafortune de ses enfants ; mais quand on pense àl'Empereur, on est rempli de vénération enimaginant quelle peut être la fierté de sa mère !

Quelqu'un avait dit47 8 que le Seigneur maire

du palais allait sortir par la Porte noire, et lesdames se tenaient, en foule serrée, dans lagalerie. Le Maire du palais se fraya un passageparmi elles, en disant : « Ah ! quelle multitude

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de dames d'honneur ! Vous riez sans doute enpensant combien le vieillard est sot ! »

Les dames qui se trouvaient près de la portelevèrent le store, en laissant voir, par lesouvertures de leurs manches, leurs vêtementsde diverses couleurs ; le Vice-premier sous-secrétaire d'État47 9 prit les souliers du Mairedu palais pour le chausser. Il était superbe,élégamment habillé. Son costume paraissaitjustement celui qu'on eût souhaité, avec unelongue traîne à son vêtement de dessous. Il setenait ainsi, dans l'étroit espace, et je regardaisen pensant : « C'est d'abord la splendeur duMaire du palais qu'il faut admirer. Faire porterses chaussures par un homme tel que lePremier sous-secrétaire ! »

Le Premier sous-secrétaire d'État du puitsde la montagne480 , les frères des deux sous-secrétaires, et d'autres seigneurs, étalant leursvêtements noirs, étaient assis côte à côte,depuis le pied du mur qui entoure le Palais desglycines jusque devant le Palais de la gloireascendante. Le Maire du palais, très élégant, la

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taille élancée, s'arrêta un moment, pour ajusterle sabre qu'il portait à la ceinture, avant depasser devant eux. Cependant, le Chef desfonctionnaires attachés à la Maison del'impératrice481 était debout devant le Palaispur et frais ; je l'observais et je songeais que,sans doute, il ne s'assiérait482 point, quand,soudainement, le Maire du palais ayant faitquelques pas, son frère s'assit. « Quelleconduite merveilleuse, pensais-je encore, auradonc tenue, autrefois, le Maire du palais, pourmériter d'avoir un tel prestige en ce monde ? »Quel magnifique spectacle !

Comme la dame Chûnagon disait que c'étaitjour d'abstinence483 et apportait à ses prièresune attention digne de louanges, les autresdames, venant en foule auprès d'elle, luidemandèrent en riant : « Donnez-nous uninstant ce chapelet. Voulez vous donc, à forced'oraisons, devenir, vous aussi, un être béni duCiel ? » La haute position qu'occupait le Mairedu palais n'en était pas moins remarquable.

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Quand nous rapportâmes toutes ces choses àl'Impératrice, elle répondit en souriant : « Lesort de l'homme qui deviendrait un Bouddhaserait encore plus magnifique que celui duMaire du palais ! » je contemplai Sa Majestéavec admiration.

Je racontai plusieurs fois à ma maîtressecomment le Seigneur qui dirigeait sa Maisons'était assis devant le Maire du palais ; elle medit en riant : « Et voilà l'homme que vouspréférez toujours ! » Si elle avait pu le voir plustard, dans toute sa gloire, sans doute aurait-ellealors pensé, encore plus volontiers, que j'avaiseu raison de m'émerveiller en admirant lapuissance du seigneur Michitaka, devant lequelil s'était incliné.

Un jour du neuvième mois, la pluie qui avait

tombé toute la nuit cessa quand vint l'aurore.Quel ravissant tableau ! Sous les rayonséclatants du soleil matinal, les chrysanthèmesdu jardin, devant la maison, laissaient coulergoutte à goutte la rosée dont ils étaient

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mouillés. Sur les clôtures à claire-voie, sur les

rameaux entrelacés, sur les tiges d'érianthe, jevoyais, en lambeaux, des toiles d'araignée ; çàet là, aux fils rompus, étaient suspendues desgouttes de pluie qui semblaient des perlesblanches enfilées. j e me sentais, en admiranttout cela, délicieusement triste.

Quand le soleil fut un peu haut dans le ciel,comme la rosée qui avait fait paraître leslespédèzes si lourdes était tombée, les rameauxse mirent à remuer, puis se redressèrent tout àcoup, sans qu'aucune main les eût touchés. Plustard, je dis à d'autres personnes combien j'avaisété charmée. Mais le curieux, c'est quecertaines gens puissent penser que la roséen'est pas jolie !

Le sixième jour du premier mois, des gens

vinrent, en tumulte, apporter les « jeunesplantes484 » pour le septième jour, et pendantque l'on répandait ces herbes sur le sol, jedemandai aux enfants qui l'avaient apportée

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comment s'appelait une plante dont je neconnaissais pas le nom, et que je n'avais mêmejamais vue. Comme ils ne se hâtaient pas derépondre, je les pressai de le faire. Ils seconsultèrent du regard, puis l'un d'entre euxdéclara qu'on nommait cette plante « l'herbesans oreilles485 ». « C'est juste, répliquai-je enriant ; elle a bien l'air de ne pas entendre ! »

Ils avaient apporté aussi une jeune tige dechrysanthème, très jolie, et j'aurais volontiersdit cette poésie :

… « Quoiqu'on le cueille,… « Quoiqu'on les pince.Le myosotis reste indifférent;Ceux qui sont comme le myosotis restent

indifférents ;Cependant, comme il y a de nombreuses …

plantes, … personnes,Il peut aussi se trouver, mêlés aux autres,… Des chrysanthèmes. »… Des gens qui entendent. » Mais il n'y avait là personne qui pût

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comprendre mon poème.

Au deuxième mois, dans le bureau du GrandConseil, a lieu ce qu'on appelle l'examen desfonctionnaires. Je ne sais ce que cela peut être.

Qu'est-ce, aussi, que l'adoration de Confucius? Cela doit consister à accrocher aux murs lesimages de Confucius et des autres Sages. Onprésente à l'Empereur et à l'Impératrice unvase de terre cuite, plein de choses étranges.C'est ce que l'on appelle les aliments divins486 .

Un jour487 , un homme du service

domestique m'apporta, de la part du Censeursous-chef des chambellans488 , quelque chosequi me parut un rouleau peint, enveloppé dansdu papier blanc, et attaché à un rameau deprunier couvert de fleurs ravissantes. Je prisbien vite le paquet en me demandant si c'étaitune peinture qu'il renfermait, je regardai. Ilcontenait deux de ces gâteaux qu'on appelle des

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« gâteaux carrés », placés l'un à côté de l'autre.Une « lettre tordue » était jointe, dans laquelleon avait écrit, en imitant la façon des pétitionsofficielles :

« A la dame Shônagon. Je vous présente un paquet de gâteaux

carrés,Comme on en offre selon l'usage. » Ensuite venaient la date et la signature : «

Mimana no Nariyuki489 », et pour finir onavait ajouté : « Celui qui vous envoie cesgâteaux avait l'intention d'aller, lui-même, vousles porter ; mais il pense qu'il est trop laid pourse montrer en plein jour490 , il n'y va pas. »Tout cela était écrit très élégamment. Je courusauprès de l'Impératrice, et je lui fis voir ce quej'avais reçu. « Quelle superbe écriture, s'écria-t-elle, charmée, quelle excellente idée ! » SaMajesté prit la lettre. « Que dois-je répondre,lui demandai-je ; et puis, faut-il donner uneréponse au messager qui vient d'apporter ces «

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gâteaux Carrés » ? Si seulement il se trouvait làune personne ayant l'expérience de ces choses !» L'Impératrice, m'ayant écoutée, repartit : «Je viens d'entendre la voix de Korenaka ;faites- le appeler, demandez-lui un conseil. »J'allai sur la véranda, tout près du bord, etj'envoyai une servante informer le Grandcenseur de gauche491 que j'avais à lui parler. Ilvint, très gracieux, et je lui dis : « Ce n'est paspour le service de ma maîtresse que je vous aimandé, mais pour une affaire qui m'estpersonnelle. Si un domestique apporte desgâteaux ou autre chose de ce genre à l'une denous, Ben ou Shônagon, doit-elle lui donner unerécompense ? — Non, déclara Korenaka, cen'est pas l'habitude. On se contente, en pareilcas, de garder les gâteaux et de les manger.Mais pourquoi me demandez-vous cela ?Quelqu'un, parmi les fonctionnaires du Conseild'État, vous en aurait-il adressé ? — Commentaurait-on eu cette idée ? » répliquai-je.

Pour répondre au billet que j'avais reçu,j'écrivis seulement ces lignes sur du papier très

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fin, d'une jolie nuance rouge : « Le serviteur quin'est pas venu, lui-même, apporter les gâteauxme semble avoir une bien mauvaise conduite. »J'expédiai cette lettre, après l'avoir attachée àun superbe rameau de prunier rouge, et,bientôt, le Censeur sous-chef des chambellansarriva en s'écriant : « Le serviteur est ici, àvotre disposition. » Je sortis, et il me dit : « Jepensais bien qu'en recevant ces gâteaux, vouscomposeriez une poésie pour me l'envoyer ;mais avec quelle élégance vous m'avez répondu! Une femme un peu fière de son propre talentprendrait un air inspiré, pour composer despoèmes à propos de rien ; mais qu'il estagréable d'entretenir d'amicales relations avecune personne qui n'a pas cette vanité !Contrairement à ce qu'elle pourrait croire, cellequi m'adresserait de pareilles poésies nem'inspirerait aucun intérêt. »

Quelqu'un me raconta plus tard qu'un jour,alors qu'une foule de gens entouraient leSeigneur maire du palais, le Censeur sous-chefdes chambellans ayant dit que Norimitsu,

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Nariyasu et les autres ne riaient plus492 , leSeigneur avait déclaré que ma réponse étaitexcellente. Sans doute trouvera-t-on déplaisantque je cite ces faits à ma louange ; mais je dis cequi est.

« Pourquoi, pour faire les tablettes dont se

servent les chambellans du sixième rang quientrent en fonction, prend-on les planches dumur de terre, au palais où sont les bureaux dela Maison de l'Impératrice, toujours au coin dusud-est ? Rien n'empêcherait que l'on prît, pourfaire ces tablettes, des planches à l'est ou àl'ouest, et l'on pourrait aussi fabriquer, avec lesplanches du sud-est, celles qu'emploient lesgens du cinquième rang ! » Les damescommençaient de parler ainsi ; mais quelques-unes s'exclamèrent : Tout cela n'a guèred'intérêt. Ce qui est très curieux, c'est que l'onn'ait pas réfléchi lorsqu'on a choisi les termesdestinés à désigner les vêtements. Parmi lesnoms des habits, celui qu'a reçu le « vêtementétroit et long » est convenable ; mais pourquoi

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le nom de la veste ? On devrait l'appeler «longue-traîne » comme le vêtement queportent les jeunes garçons. Pourquoi le nom du« manteau chinois » ? Il faudrait le nommer «manteau court ». Il est vrai, toutefois, que si onlui a donné le nom par lequel on le désigned'ordinaire, c'est qu'il était porté par leshabitants de la Chine. Le « pantalon de dessus »est bien nommé, aussi le « vêtement de dessous» ; de même le « pantalon à grande ouverture», puisque la largeur de la ceinture est plusgrande que la longueur. Le nom du pantalon n'aaucun intérêt. Pourquoi encore le nom du «pantalon à lacets » ? On devrait l'appeler «vêtement pour les jambes » ou bien, ce quiconviendrait pour un pareil objet493 , « sacpour les jambes ».

Ainsi les dames discutaient avec animation àpropos de toutes sortes de choses. « Allons, dis-je, voilà bien du tapage ; je n'ajoute plus rien,dormez ! » ; mais nous entendîmes, surprises,un bonze du service de nuit qui se prit àmurmurer, avec la voix de quelqu'un que notre

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bavardage aurait fâché : « Ce serait dommage,continuez donc à parler toute la nuit ! » ce quinous amusa encore plus.

Le dix de chaque mois, à l'intention du

défunt Seigneur, notre maîtresse faisait fairedes offrandes de livres saints et d'images desBouddhas. Le dix du neuvième mois494 , oncélébra ce service au palais où sont les bureauxde la Maison de l'Impératrice. Il y avait làbeaucoup de hauts dignitaires et de courtisans.Ce fut Seihan qui prêcha, et son sermon parut sitriste que tous pleurèrent, même les jeunesgens qui, d'ordinaire, ne ressentent pas trèsprofondément la mélancolie des choses. Al'issue de la cérémonie, les gens burent du vinde riz et récitèrent des poèmes chinois ; leseigneur Tadanobu, capitaine sous-chef deschambellans, commença de déclamer la poésie :« La lune et l'automne reviennent au rendez-vous ; mais où est-il, lui495 ? » C'étaitsplendide.

Comment ces vers avaient-ils pu lui venir à

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l'esprit si bien à propos ? En fendant la foule,j'allai près de l'Impératrice. Elle sortaitjustement, et me dit : « N'est-ce pas superbe ?Le Capitaine s'est rappelé là quelque chose detrès joli ! — Je voulais vous en parler, répondis-je, et je suis venue après avoir jeté un coupd'œil sur la réunion. Plus je pense à cette poésie,et plus j'en suis charmée ! — Vous devez l'êtreplus que personne496 », répliqua Sa Majesté.

Le Capitaine sous-chef des chambellans avait

envoyé, vainement, quelqu'un tout exprès pourme demander ; et un jour que je le rencontraipar hasard, il me dit : « Pourquoi ne voulez-vous plus que nous soyons comme deux bonsamis? J'en suis surpris, car je sais que,pourtant, vous ne me trouvez pas désagréable.Il n'est pas possible qu'une amitié de tantd'années finisse ainsi, et que nous vivionscomme deux étrangers. Si jamais je devaiscesser de venir jour et nuit au palais del'Impératrice, et ne plus vous voir, quelsouvenir garderais-je de vous ? — Assurément,

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lui répondis-je, nous pourrions sans difficultéredevenir amis. Mais après que nous aurionsrepris nos anciennes relations, je ne pourraisplus dire du bien de vous à Leurs Majestés ; ceserait dommage. Quand les dames sont réuniesdevant l'Empereur497 , je vous loue avecautant de zèle que si c'était là ma fonction ;comment Pourrais-je encore le faire ? Pensez-yseulement ! Ce serait ridicule ; je sentirais, enmon cœur, un démon qui m'empêcherait deparler. » Le Capitaine se mit à rire, et repartit :« Pourquoi vous imaginer cela ? Il y a bien desamis qui se louent mutuellement, plus que nefont les autres. — Libre à eux de continuer,répliquai-je, s'ils ne pensent pas que ce soitdésagréable. J'ai une triste opinion des gens,hommes ou femmes, qui sont enclins à favoriserinjustement ceux qu'ils aiment, ou quis'emportent quand on critique ceux-ci le moinsdu monde. » J'entendis, avec plaisir encore, leCapitaine me répondre : « Voilà qui me laissesans espoir ! »

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Une fois498 , le Censeur sous-chef deschambellans499 était venu au palais où sont lesbureaux des fonctionnaires qui gouvernent laMaison de l'Impératrice ; nous avions bavardé,la nuit était avancée. « Demain, dit-il, est unjour d'abstinence pour l'Empereur ; je doisl'assister dans sa retraite. Il ne faut pas que jereste ici jusqu'à l'heure du Bœuf ! » et il s'enalla.

Le jour suivant, de bonne heure, onm'apporta de sa part une lettre comprenantplusieurs feuilles du papier grossier qu'onemploie au service des chambellans. « Cematin, le lendemain de notre entretien, avaitécrit le Censeur, mon cœur est plein dusouvenir de notre rencontre. J'allais passer lanuit à vous dire des contes du temps passé ;mais le chant du coq m'a fait hâter mondépart... » Il y avait ainsi beaucoup de choses,très gracieusement écrites à l'endroit et àl'envers des feuilles. C'était superbe, et jerépondis : « La voix du coq qui chantait dans lanuit profonde était peut-être celle qui sauva le

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prince Mô Sô-kun500 . » Le Censeur merenvoya cette lettre : « On rapporte bien que,le coq de Mô Sô-kun ayant fait ouvrir labarrière de Kankoku, trois mille compagnons,sur le point d'être pris, purent s'échapper ; maisil s'agit ici de la barrière que l'on voit à laMontée des rencontres501 . » Je lui écrivis alors:

« Bien que l'on puisse être trompé,

Lorsque la nuit vous enveloppe,

Par le chant imité du coq,La barrière, à la Montée des rencontres,Ne laisse passer personne. Il y a, paraît-il, un gardien prudent. » Le

Censeur m'adressa score les vers suivants : « J'ai entendu dire, si je ne me trompe,Que les gens passaient facilement la

barrière, à la Montée des rencontres,Et qu'on la laissait ouverte,

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Alors même que le coq ne chantait pas,Pour attendre quelqu'un502 . » Après cet échange de lettres, il arriva que le

Seigneur évêque503 prit, en s'inclinant jusqu'àterre, la première de celles que j'avais reçues ;l'une après l'autre, elles furent montrées àl'Impératrice.

Un peu plus tard, le Censeur me dit en riant :« Vous avez dû vous avouer battue, quand il afallu composer des poésies à propos de laMontée des rencontres, et vous avez fini par neplus pouvoir répondre. C'était très mal. Et puis,tous les courtisans ont vu les lettres que vousm'aviez écrites. — J'ai connu par là, répondis-je,que vous m'estimiez vraiment. On ne doitjamais manquer de répéter à tout le monde lesbelles choses qu'on a lues. Comme vos lettres, àvous, n'étaient pas jolies, j'ai pris grand soin deles cacher, je ne les ai montrées à personne. Sion compare nos intentions, on verra qu'elles sevalaient. — Il me semble, reprit Yukinari, quevotre façon de parler, en jugeant sainement de

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tout, ne ressemble pas à celle des autres, et,cependant, j'avais pensé que vous diriez sansdoute, comme les femmes ordinaires, enparcourant mes lettres : « Il n'y a nulle part, là-dedans, de sens profond à découvrir, c'est malfait », ou autre chose de ce genre » ; et il éclatade rire. « Pourquoi, lui demandai-je, parler aveccette aigreur ? Vous devriez me remercier ! —Il est encore heureux, répliqua Yukinari, quevous ayez caché mes lettres. Combien celam'aurait semblé triste et pénible si vous lesaviez montrées à quelqu'un ! Je vous prie decontinuer à les celer. »

Plus tard, le Capitaine de la garde du corpsTsunefusa me demanda : « Avez-vous su que leCenseur sous-chef des chambellans vous avaitlouée avec enthousiasme ? Il m'a dit commentvous aviez échangé des lettres, l'autre jour, etm'a raconté ce qui s'en était ensuivi504 . C'estune grand bonheur que d'entendre louer ceuxqu'on aime ! » J'étais charmée en l'écoutantparler ainsi franchement, et je lui répondis : « Ilm'arrive donc deux choses heureuses : d'abord,

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le Censeur a fait mon éloge, et ensuite, je mevois au nombre des gens que vous aimez ! — Ah! s'écria-t-il, c'est merveilleux. Vous vous enréjouissez comme d'une nouveauté ! »

Vers le cinquième mois505 , par un soir sans

lune, très sombre, nous entendîmes denombreuses voix qui demandaient : Y a-t-il iciune dame ? » « Allez voir, m'ordonnal'Impératrice, quels sont donc ceux qui parlentainsi, d'une façon inaccoutumée ? »

Je sortis, et m'avançant sur la véranda, jedemandai : « Qui fait ce bruit ? Quelles sont cesvoix perçantes qui nous effraient ? » maispersonne ne répondit. On souleva le store, etl'on fit entrer doucement quelque chose. C'étaitune branche de bambou, de la variété qui nousest venue du pays de Kure506 . Ah ! dis-je, c'estce seigneur507 ! »

Après m'avoir entendue, les gens qui avaientapporté ce rameau s'écrièrent : « Çà ! Allonsraconter au Palais comment elle nous arépondu. » Et ceux qui étaient là, le Capitaine

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de la garde du corps, le nouveau Capitaine, deschambellans du sixième rang et d'autresencore, se retirèrent. Cependant, le Censeursous-chef des chambellans resta en arrière, etdéclara : « Voilà des gens qui partent biendrôlement. Ils avaient cueilli des branches debambou, devant le Palais Impérial508 , et ilss'apprêtaient à composer des poésies ;quelqu'un ayant alors fait observer qu'ilspourraient tout aussi bien aller au palais où sontles bureaux des fonctionnaires qui gouvernentla Maison de l'Impératrice, et appeler les damesd'honneur pour échanger des poèmes avecelles, ils sont venus ici ; mais vous leur avezbien vite dit le surnom que l'on a donné aubambou de Kure, j'ai ri quand je les ai vusquitter aussitôt la partie, e t s'éloigner. Je nesais qui vous a enseigné cela : vous avez parlé làd'une chose que l'on ne peut s'attendre à voirgénéralement connue. — J'ignoraiscomplètement ce surnom du bambou509 , luirépondis-je, et pourtant, on m'aura sans doutejugée odieusement pédante. — C'est vrai,

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répliqua le Censeur, on ne peut savoir ! »Pendant qu'il était là, causant sérieusementavec moi, des courtisans revinrent, nombreux;en récitant le passage : « On l'appelle ceseigneur », et il leur demanda : « Pourquoiêtes-vous repartis, tout à l'heure, sans faire ceque vous aviez projeté quand vous étiez auPalais Impérial ? J'ai trouvé cela bien étrange !— Que pouvions-nous répondre à un si joli trait? répliquèrent-ils ; tout ce que nous aurions pudire eût été superflu. L'histoire a fait beaucoupde bruit au Palais, et l'Empereur lui-même,l'entendant raconter, y prit un plaisir extrême.» Ils récitèrent de nouveau plusieurs fois, avecle Censeur, le passage auquel j'avais pensé ; lesautres dames sortirent pour les voir. Tousparlèrent, pendant quelques instants, dediverses choses, puis les courtisans déclarèrentqu'ils s'en allaient. Ils partirent en répétantencore les mêmes vers, tous ensemble, et nousles entendîmes jusqu'au moment où ilsentrèrent dans le poste où se tiennent lesgardes du Palais, de gauche.

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Le lendemain matin, de très bonne heure, ladame qu'on appelait Shônagon no Myôbu, ayantapporté à l'Impératrice une lettre duSouverain, raconta l'affaire à notre maîtresse.Celle-ci m'envoya chercher dans notrechambre, et me demanda si ce qu'elle avaitappris était exact. « Je ne sais, lui dis-je ; c'estune réponse que j'avais faite sans réflexion ;mais peut-être le seigneur Yukinari a-t-ilprésenté la chose à mon avantage ! » SaMajesté sourit, en murmurant : « Même sil 'h is t oir e a été embellie... » Lorsquel'Impératrice entend dire que les courtisans ontloué l'une de nous, elle en est heureuse etfélicite celle dont ils ont parlé ; c'est charmant.

Quand une année se fut écoulée510 après la

mort de l'empereur En.yû chacun quitta sesvêtements de deuil. C'était très émouvant.Depuis Sa Majesté jusqu'aux serviteurs del'empereur défunt, tous pensaient alors autemps à propos duquel le poète a parlé deshabits resplendissants511 . Or un jour qu'il

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pleuvait très fort, un enfant que son manteaude paille faisait ressembler à l'insecte àcapuchon512 vint à la chambre de la dameTôzammi. « J'apporte ceci », dit-il, enprésentant une « lettre tordue » attachée à ungrand rameau tout écorcé. « D'où vient cettelettre ? demanda la servante ; aujourd'hui etdemain sont pour ma maîtresse des jours deretraite, et la jalousie n'est pas même relevée. »Comme cette jalousie était fixée par en bas, lafemme en poussa un peu la partie supérieure,et prit la missive ; mais elle n'expliqua pas à samaîtresse comment était le messager, etTôzammi ficha la branche, avec la lente, en hautde la fenêtre, assurant qu'elle ne pouvait rienlire en un jour d'abstinence. Cependant, lelendemain matin, la dame se lava les mains, elledemanda et prit respectueusement le « comptede prières513 » de la veille, puis, seprosternant, l'ouvrit. C'était, faite de beaupapier couleur de noix, une lettre très épaisse,qui lui parut bien étrange, et qu'elle acheva dedéplier avec précaution. D'une écriture toute

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menue comme celle d'un vieux bonze, on avaitécrit cette poésie :

« Quoiqu'on pense que la mancheTeinte avec l'écorce du chêne vivaceEst le dernier souvenir Qui nous reste du défunt empereur,A-t-on changé de vêtements à la

capitale514 ? » « Ah ! la sotte et méchante chose, se dit la

dame. Cette lettre vient sans doute del'archevêque du Temple Ninnaji515 ! »Cependant, elle songea que l'Archevêquen'aurait jamais écrit cela. Qui donc alors pouvaitavoir envoyé ce billet ? Probablement lePremier sous-secrétaire d'État de la familleFujiwara516 , car il avait été intendant del'empereur défunt. Tôzammi aurait vouluraconter bien vite l'histoire à Leurs Majestés, letemps lui semblait long ; mais elle prit patience,et attendit que fût terminée cette période deretraite, dont les devins lui avaient parlé

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comme d'une chose si rigoureuse. Le matin du troisième jour, elle écrivit une

réponse à la poésie dont il s'agissait, et la fitporter chez le Premier sous-secrétaire d'Étatde la famille Fujiwara. Aussitôt, celui-cicomposa une réplique qu'il lui envoya. Prenantalors les deux lettres qu'elle avait reçues, ladame se rendit en grande hâte auprès del'Impératrice, chez laquelle se trouvaitjustement l'Empereur. Elle raconta devant leSouverain ce qui s'était passé ; maisl'Impératrice regarda les lettres d'un aircomplètement indifférent, et déclara : « Cen'est pas ainsi qu'écrit le Premier sous-secrétaire d'État de la famille Fujiwara, oncroirait plutôt reconnaître la main d'un bonze.— Alors, demanda Tôzammi, qui donc a fait cebillet ? Lequel, parmi ces hauts dignitaires civilset religieux qui se mêlent de tout ? Peut-êtrecelui-ci ! Peut-être celui-là ! » L'Empereur,v oy ant sa perplexité, son désir de savoir,murmura en souriant doucement : « Votrelettre me paraît ressembler tout à fait à

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quelque chose que j'ai aperçu par ici », et tirantd'une petite armoire une feuille de papier, il lalui montra. La dame le supplia de lui apprendrela vérité. « Que c'est triste ! répétait-elle avecdépit ; daignez me dire ce qui en est. Ah ! quej'ai mal à la tête. De toute façon, il faudra quel'on me renseigne » Puis elle se mit à rire, etl'Empereur lui répondit à la fin « L'enfant dudémon517 qui a servi de messager est un aidedes femmes, à la cuisine ; mais c'est, il mesemble, la dame Kohyôe qui lui a fait la leçon, etl'a envoyé chez vous. »

L'Impératrice rit aussi, et Tôzammi lui dit,en tirant et en secouant la manche de notremaîtresse : « Pourquoi m'avez-vous ainsitrompée ? Sans rien soupçonner, je me suis lavéles mains, et je me suis prosternée ! » Elle riait,en prenant un air fâché ; il était ravissant de lavoir, toute fière de l'aventure, et si charmante !

Il y eut des rires et du vacarme à la cuisinedu Palais quand on y apprit ce qui était arrivé.Après que Tôzammi fut revenue à sa chambre,elle envoya chercher l'enfant dont on lui avait

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parlé, puis elle le fit voir à la servante qui avaitreçu la missive. Cette femme répondit qu'ellecroyait le reconnaître ; mais comme la damedemandait à l'enfant de qui était cette lettre, etquelle personne la lui avait donnée, il souritd'un air niais, sans rien dire, puis il s'enfuit encourant.

Le Premier sous-secrétaire d'État de lafamille Fujiwara, quand il entendit plus tardraconter la chose, en rit, la trouvant fortplaisante.

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63. Choses qui emplissent l'âme de tristesse On est parti de chez soi, pour une période

d'abstinence518 .Au jeu de trictrac519 , on a jeté les dés ; mais

le chiffre qu'ils donnent ne permet pas deprendre la case dont on espérait s'emparer.

La maison de l'homme qui n'a obtenu aucunefonction quand on a nommé les préfets.

C'est quand il pleut à verse qu'on s'ennuie leplus.

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64. Choses qui distraient dans les momentsd'ennui

Les romans, le jeu de dames520 , le jeu de

trictrac.Un bambin de trois ou quatre ans qui parle

gentiment ; ou encore un tout petit enfant quibabille et sourit.

Les fruits.Un homme facétieux et bavard est venu me

voir, et bien que ce soit pour moi un jourd'abstinence, je l'ai fait entrer.

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65. Choses qui ne sont bonnes à rien Une personne laide qui a le cœur mauvais.De l'empois pour les étoffes, dans lequel on a

mis de l'eau.Je dis là des choses bien mauvaises521 , mais

je ne dois pas m'arrêter en pensant que les genssont d'accord pour trouver cela désagréable.Pourquoi, encore, ne parlerais-je pas ici desbâtonnets dont on se sert pour attiser les feuxqu'on allume après la fête des âmes522 ? Ce nesont pas des choses qui n'existent point, et toutle monde les connaît sans doute.

A la vérité, tout cela ne devrait être ni écritni montré mais je ne pensais pas que personnedût voir ces notes, et je les ai rédigées en meproposant d'y mettre absolument tout ce quime viendrait à l'esprit, même les chosesétranges, même les choses déplaisantes.

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66. Choses qui sont les plus belles du monde. Est-il rien d'aussi beau que les cérémonies

célébrées en présence de l'Empereur, à la fêtespéciale d'Iwashimizu ?

Les répétitions de musique et de danse523

furent aussi très jolies. On était au printemps,le soleil resplendissait dans un ciel calme. Dansle jardin, devant le Palais pur et frais, lesemployés du service qui s'occupe du mobiliera v a i e n t étendu des nattes ; l'envoyéimpérial524 se tenait assis, le visage tournévers le nord, tandis que les danseurs étaient enface de Sa Majesté. Il est possible, au reste, queje commette ici quelque erreur de mémoire525

. Des hommes appartenant au service des

chambellans prirent de petites tables, etallèrent en mettre une devant chaquedignitaire. Ce jour-là, même les musiciens quidevaient jouer pendant les danses furent admisen l'Auguste Présence.

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Tour à tour, les dignitaires et les courtisansprirent une coupe, et, à la fin, une foule de gensvoulurent s'emparer des coquillages deYakushima526 dans lesquels on avait bu. Jeressentais déjà une impression pénible envoyant des hommes se disputer ces coupes,quand des femmes arrivèrent devantl'Empereur pour en prendre. Je n'avais pas faitattention aux huttes des gardes qui veillent surles feux la nuit527 , et je ne pensais pas qu'il pûtse trouver personne dans ces cabanes.Cependant, des femmes en sortirentbrusquement. Certaines se bousculèrent dansl'espoir d'emporter beaucoup de choses mais,contre leur attente, elles ne firent que toutrenverser ainsi elles eurent moins que d'autres,qui vinrent, en un clin d'œil, saisir prestementce qui se trouva sous leur main.

Il était bien amusant d'observer ces femmesfourrant leur butin dans les cabanes desveilleurs, comme en des magasins appropriés.

On ne savait s i le service du mobilier allait

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envoyer ses gens pour enlever les nattes ; ilstardaient, et les employés du servicedomestique, prenant tous un balai, se mirent àaplanir le sable du jardin.

Lorsque les musiciens furent à peu prèsdevant le Palais des offrandes de parfums, je lesentendis jouer de la flûte et battre la mesure. Jeles attendais, souhaitant les voir bientôt venir ;mais quand je les aperçus qui arrivaient, enchantant l'air du « Rivage d'Udo », près de lahaie de bambous, et que la harpe résonna, il mesembla que je ne pourrais supporter ma joie.

Pour le premier ballet, deux hommesaccoururent en réunissant leurs manches, toutà fait selon les règles, et ils se tinrent la facetournée vers l'ouest528 . L'un après l'autre, lesdanseurs vinrent, frappant du pied suivant lacadence de la musique; ils ajustèrent lescordons de leur gilet sans manches, leurcoiffure, ou le col de leur vêtement de dessus, etils se mirent à danser en chantant : « Sansraison », « La montagne de Korna » et d'autres

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choses analogues. Tout cela était magnifique. Puis vint la « danse du grand aileron529 », je

ne me serais pas lassée de la regarder toute unejournée ; quand elle fut finie, je me sentis bientriste ; mais je me réjouis, l'instant d'après, à lapensée qu'une autre danse allait suivre.Cependant, on emporta les harpes, et, là, lesacteurs sortirent directement, e n dansant, dederrière les bambous ; ils avaient ôté la manchedroite de leur habit de dessus, et la laissaientpendre. C'était d'un charme merveilleux. Lestraînes de leurs vêtements de dessous faitsd'une soie brillante, se rencontrant au hasard,s'étendaient et se repliaient. Mais tout cela,quand on le raconte, semble quelque chosed'ordinaire !

Sans doute parce que je songeai que, cettefois, il n'y aurait plus de danse après celle-ci, jefus toute désolée lorsqu'elle se termina.

Quand les hauts dignitaires sont partis à lasuite des danseurs, on ressent une impressionde tristesse et de peine. A la fête spéciale deKamo, on peut se consoler, car, revenus au

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Palais, les a c t e u r s exécutent encore lapantomime sacrée530 .

Le soir, après le retour de Kamo, pendant

que la fumée des feux allumés dans les jardinss'élevait en de minces rubans, j'écoutais le sonde la flûte qui accompagnait la danse sacréetrembler délicieusement et mourir peu à peu.Les voix des, chanteurs me charmaient aussi.C'était ravissant. je ne prenais pas garde qu'ilfaisait froid531 et qu'il gelait sous le ciel clair. Jene pensais ni à mon vêtement de soie foulée, siléger, ni à mes doigts, engourdis sur monéventail.

Chaque fois que l'homme qui dirigeait lesartistes appelait les chanteurs, ils volaient verslui, et il était superbe de voir avec quel airsatisfait leur chef les regardait accourir532 .

Si je suis en congé, à la campagne, lorsque estcélébrée la fête de Kamo, le spectacle de laprocession qui revient de là-bas ne me suffitpoint, et je vais parfois jusqu'au temple. Onarrête la voiture sous les grands arbres, la

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fumée des torches s'étire en longues traînées. Ala lueur des feux, les cordons des gilets sansmanches et les vêtements lustrés des danseursparaissent plus jolis encore que pendant le jour,et ils me semblent plus beaux que tout aumonde.

C'est ravissant quand les danseurs fontrésonner sous leurs pas le pont de bois533 , ensuivant la cadence des chants. Cependant, lebruit de l'eau qui coule s'unit au son de la flûte,et le dieu lui-même doit être charmé534 !

Parmi les acteurs, il y avait eu un hommeappelé Shôshô, et j'avais été chaque annéepénétrée d'admiration en le voyant danser ;mais il était mort, et j'avais entendu dire queson âme hantait les environs du premier pont,devant le temple supérieur. Cela m'étaitpénible, j'avais peur de ne pouvoir goûterpleinement le charme des ballets. Quand je lesv is, pourtant, il ne m'eût pas été possible desonger à autre chose qu'à la beauté duspectacle.

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« Que c'est triste lorsque la fête spéciale deYawata est terminée ! disaient les dames ;pourquoi les artistes, après leur retour auPalais, ne dansent-ils pas encore ? Ce serait sijoli ! On a tant de déplaisir quand on voitchacun d'eux, dès qu'il a reçu sa récompense,s'éloigner de ceux qui attendent, après lui. »

L'Empereur entendit ces propos, et déclara :« Demain, quand les acteurs seront revenus, jeles ferai appeler, puis leur ordonnerai de danser! — Serait-il vrai ? s'écrièrent les dames ; quellechose splendide nous verrions ! » Elles s'enfaisaient une telle fête qu'elles allèrent en fouleimplorer l'Impératrice, et lui dire : « S'il vousplaît, demandez à l'Empereur qu'il les fassedanser. » Grâce à leur insistance, nous fûmescharmées, cette année-là, par les ballets que lesartistes exécutèrent après avoir regagné lePalais.

Avant de les admirer, pourtant, les dames sedisaient que la promesse de l'Empereur neserait pas tenue ; elles y pensaient avec moinsd'ardeur, lorsqu'elles apprirent fortuitement

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que Sa Majesté avait fait appeler les danseurs.Que dire de leur état d'esprit ? Elles sebousculaient si fort qu'elles heurtaient contretous les objets ; elles avaient perdu la tête. Etl'aspect de celles qui étaient dans leur chambre,et se précipitèrent en désordre au Palais ! Sanss'occuper des hommes d'escorte, des courtisans,de tous ceux qui pouvaient les voir, ellesaccoururent, la jupe d'apparat relevée sur latête ; les gens qui en rirent eurent bien raison.

Quand le défunt Seigneur ne fut plus là535 , il

y eut dans le monde bien des événements, etbeaucoup d'agitation. L'Impératrice ne venaitplus au Palais Impérial, elle habitait le PetitPalais de la Deuxième avenue, et comme, sansque j'eusse rien fait, il s'était passé des chosesdésagréables pour moi536 , je restai longtempsà la campagne.

Cependant, je ne savais pas ce que devenaitma maîtresse, et je ne pouvais demeurer pluslongtemps dans cette incertitude, quand537 le

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Capitaine de la garde du corps, de gauche538 ,qui s'était rendu au Palais de la Deuxièmeavenue, me fit ce récit : « Je suis alléaujourd'hui voir l'Impératrice, et tout avait, là-bas, un charme pénétrant. Les costumes decour que portaient les dames, leurs jupesd'apparat, leurs manteaux chinois, appropriés àla saison, n'avaient rien perdu de leur élégance.Le store était relevé d'un côté ; comme jeregardais à l'intérieur du palais, j'aperçus huitou neuf dames gracieusement assises côte àcôte, vêtues de manteaux chinois couleur defeuille morte, de jupes d'apparat violet clair,d'habits couleur d'aster ou de lespédèze. Envoyant que l'herbe était très haute dans lejardin qui se trouve devant le palais, jedemandai : « Pourquoi laisse-t-on croître ainsicette herbe ? On devrait l'ôter ! » Mais on merépondit (c'était la voix de la dame Saishô) : «On la laisse à dessein, pour que nous puissionsadmirer la rosée qui s'y pose ! » Quelle penséedélicieuse ! Plusieurs des dames me dirent : « Ilest bien triste que Sei Shônagon reste chez elle,

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en ce moment où l'Impératrice demeure dansune pareille retraite. Pourquoi, sans raison,tarde-t-elle à nous rejoindre, elle que SaMajesté considère comme une de celles qui nedevraient pas manquer, maintenant, de venir àses côtés, alors même qu'elles seraient retenuespar quelque chose d'extraordinaire ? » Celasemblait vouloir dire : « Racontez tout à SeiShônagon. » Allez donc voir là-bas. Le palais,par son charme, vous prend le cœur, et, je vousassure, les pivoines qu'on a plantées devant laterrasse, à la mode chinoise, sont ravissantes.— Non, répondis-je, j'ai pris en aversion cesgens qui m'ont trouvée détestable. — Soyezgénéreuse ! » repartit le Capitaine en riant.

Quand je me rendis à la Deuxième avenue,l'Impératrice ne me fit rien voir qui pût melaisser imaginer ce qu'elle pensait réellement demoi ; mais j'entendis des dames à son servicequi chuchotaient : « Elle est en relation avec lesgens qui soutiennent le Ministre de gauche539 .» Comme elles s'étaient rassemblées,

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continuant à causer, elles m'aperçurent quiarrivais de ma chambre ; elles se turent etchacune s'en alla de son côté. Je n'étais pashabituée à me voir, de la sorte, mettre à l'écart.Cela me fut pénible, et je n'obéis pas quand SaMajesté, plusieurs fois, me fit dire de revenir.

En vérité, un long temps s'écoula ensuite ;sans doute, dans l'entourage de l'Impératrice,on devait me représenter comme une amie deses adversaires, et raconter à propos de moitoutes sortes de fables.

Contre l'habitude, je ne recevais pas un motde ma maîtresse; le temps passait, je sentaismon cœur se serrer. Un jour, cependant, alorsque j'étais perdue dans mes pensées, une «première servante » m'apporta une lettre. «Voici, me dit-elle, un message que Sa Majestévous fait tenir en secret, par l'intermédiaire dela dame Sakyô. » Auprès de moi, cette femmecontinuait, bien inutilement, de parler avecmystère. En songeant que la lettre ne semblaitpas de celles que l'Impératrice faisait écrire par

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une autre personne, je l'ouvris, la poitrinepalpitante. Cependant, ma maîtresse n'avaitrien mis sur le papier ; elle s'en était serviepour envelopper un simple pétale de kerrie, surquoi elle avait écrit ces mots : « L'amour decelui qui se tait540 . » Après les avoir lus, jesentis mon cœur miraculeusement consolé, luiqui avait exhalé tant de plaintes pendant ceslongs jours où l'Impératrice m'avait laissée sansnouvelles.

La « première servante » me considérait, etme voyant faire, dans ma joie, ce que l'onconnaît d'abord541 , elle me dit : « Les damess'étonnent que vous restiez ici, alors que SaMajesté pense à vous en toutes occasions, etavec quelle anxiété ! Il n'en est aucune, je crois,qui ne trouve singulier votre long séjour à lacampagne. Pourquoi ne revenez-vous pas ? »Elle partit, je voulus écrire une réponse etl'envoyer ; mais j'avais complètement oublié lespremiers vers du petit poème dontl'Impératrice m'avait adressé une ligne. « Que

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c'est étrange ! m'écriai-je. Y a-t-il jamais, quandon parle d'anciennes poésies comme celle-ci,quelqu'un qui les ignore ? Je l'ai dans l'esprit, etje ne puis la dire. Comment cela se fait-il ? »Cependant, un petit garçon qui était assisdevant moi m'entendit, et il me souffla : «Écrivez donc : "l'eau qui coule sous terre ". »Comment ces vers avaient-ils pu s'effacer ainside ma mémoire ?

Il était amusant que cet enfant me les eûtrappelés. J'expédiai ma réponse, et, quelquetemps après, je me rendis chez l'Impératrice. Jene savais de quelle manière elle allaitm'accueillir, Je me sentais embarrassée commeje ne l'avais jamais été. L'écran me cachait àmoitié, ma maîtresse demanda d'abord en riantsi j'étais une nouvelle venue, puis elle me dit : «Je vous ai envoyé une méchante poésie ; maisj'avais pensé qu'en l'occurrence il fallait vousécrire quelque chose de cette sorte. Aussi bien,quand je ne vous vois pas, rien ne peut distraireun seul instant ma peine. » Elle semblait

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toujours la même. je lui narrai comment le petitgarçon m'avait enseigné quelques mots dupoème. Sa Majesté en rit beaucoup, et déclara :« Une pareille chose est possible, cela nemanque point d'arriver pour les vieilles poésiesqu'on a trop dédaignées. »

A ce propos, l'Impératrice raconta cettehistoire : « Des gens se préparaient, quelquepart, à faire un concours d'énigmes ; L'un d'eux,qui n'était naturellement pas sot, et auquel unelaborieuse pratique avait donné une grandehabileté dans les choses de ce genre, dit auxjoueurs de son camp, celui de gauche : « C'estmoi qui parlerai le premier de notre groupe.Veuillez y penser ! » Les autres, ayant entendusa requête, songèrent : « Même si nous nous enrapportons à lui, sans doute ne fera-t-il pas dequest ion maladroite », et ils le choisirentcomme champion. « Dites-nous les énigmes quev ous avez en tête. Quelles sont-elles ? » luidemandèrent-ils ; mais il répondit : « Fiez-vousentièrement à moi. Certes, après vous avoirparlé comme j'ai fait, je n'avancerai rien qu'on

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doive amèrement regretter ! » Ses partenairessupposèrent qu'il disait vrai.

« Pourtant, quand le jour du concours futtout proche, ils reprirent : « Apprenez-nousquand même ce que vous avez l'intention deproposer. Et si c'était quelque chosed'extraordinaire ! — Eh ! répliqua cet homme,en colère, je n'en sais rien ; si vous avez tant decrainte, ne vous fiez pas à moi ! » Ils étaienttrès inquiets.

« Cependant, le jour du concours arriva.Tous les joueurs, hommes et femmes, prirentplace, les deux camps étant séparés ; il y avaitlà, assis en rangs, un grand nombre decourtisans et de gens bien nés. Quand vint lemoment d'échanger les énigmes, notre homme,dans le groupe de gauche, se trouvait lepremier. On voyait à son air qu'il s'était préparéavec un soin extrême, et qu'il se sentait prêt àla lutte. Il paraissait si sûr de lui qu'on sedemandait ce qu'il allait dire ; tous, sesadversaires comme ses partisans, leconsidéraient avec inquiétude, et répétaient : «

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L'énigme ? L'énigme ? » Quelle impatience !Enfin, cet homme proposa : « Un arc tendudans le ciel542 ? » Les gens du groupe adversetrouvèrent la chose très agréable, ils croyaientdéjà avoir gagné ; quant à ceux de gauche, ilsrestèrent d'abord sans pensée, commestupéfiés ; puis, en un instant, ils se dirent queleur partenaire était détestable, odieux ; qu'ilprenait les intérêts de leurs adversaires et qu'ilallait, à dessein, faire perdre son propre camp.Cependant, le joueur qui lui était opposé eut unrire moqueur. « Non, je ne sais pas du tout ceque c'est ! » répondit-il en faisant la moue, et ilcommença de plaisanter ; mais celui qui avaitproposé l'énigme s'écria : « Mettez la marque,mettez la marque ! » et fit attribuer un point àson groupe.

« Les joueurs de droite s'y refusaient etrépétaient : « C'est absurde ! qui donc nesaurait pas répondre à cette question ? Il nefaut absolument pas mettre la marque. » Notrejoueur répliqua : « Mon adversaire a dit qu'il nesavait pas ; pourquoi donc n'aurait-il pas perdu

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? » Pour les énigmes suivantes, il donna demême, par ses arguments, la victoire à sonparti.

« Après le concours, le joueur de droite quiavait voulu plaisanter fut accablé de reproches.« Il est vrai qu'il s'agissait, lui dit-on, d'unechose que tout le monde savait bien ; même enun pareil cas, il arrive pourtant que, faute demémoire, on soit forcé de répondre justementcomme vous avez fait. Pourquoi avez-vousdéclaré que vous ne pouviez pas savoir

Il lui fallut reconnaître son erreur ! »

Quand l'Impératrice eut terminé son récit,les dames qui l'entouraient s'écrièrent : « Lespartenaires du perdant pouvaient bien,vraiment, le maudire. Ils se trouvaientassurément désappointés ; mais de quelledétestable humeur avaient dû être les gens quiappartenaient au groupe du plus habile, enentendant ses premiers mots ! » Elles se mirentà rire. Serait-il possible qu'on eût oublié cettehistoire543 ? Tout le monde, je pense, s'ensouvient encore.

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Le dix du premier mois544 , on voyait dansle ciel d'épais nuages sombres, et pourtant lesoleil resplendissait.

Derrière une pauvre chaumière, dans unchamp inculte dont le sol n'était pasgracieusement aplani, je regardais un pêcher.C'était un jeune arbre, tout couvert derameaux. D'un côté, son feuillage semblait vert,alors que les feuilles foncées et brillantes, desbranches opposées, paraissaient teintes enrouge sombre.

Un jeune garçon à la taille élancée, auxcheveux superbes, mais dont l'habit de chasseavait des accrocs, grimpa dans l'arbre.Cependant, un bambin portant un vêtement dedessous, couleur de prunier rouge, et un habitde chasse blanc, retroussé, Avec des souliersbas, se tenait au pied du pêcher et demandait :« Coupe-moi une jolie branche, donne vite ! » Ilv int encore trois ou quatre fillettes. J'admirais

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leurs beaux cheveux ; leurs gilets étaientdéchirés ; mais leurs jupes, fanées, avaientencore de jolies couleurs. « Coupe et jette-nous,dirent-elles au garçon, des branches quipuissent convenir pour faire des « marteauxporte-bonheur545 ». On en a besoin par ici. »

Le garçon jeta des rameaux ; les enfants se

précipitèrent en tous sens, chacun s'efforçantde saisir plus de branches que les autres, etcriant : « Donne-m'en beaucoup, à moi ! »C'était ravissant ; mais un homme, avec unpantalon sale, arriva en courant ; il voulait, luiaussi, des rameaux de pêcher ; comme le gaminqui les cueillait lui disait d'attendre, il vint àl'arbre et se mit à le secouer. Quel spectacleamusant : le jeune garçon, effrayé, s'accrochaitaux branches comme un singe !

A la saison des prunes aussi, on voit de

pareilles scènes. Des hommes de bonne mine ont joué tout le

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jour au trictrac, et sans doute n'en sont-ils pasencore fatigués, car on vient d'allumer unelampe basse, à la brillante lumière.

Comme son adversaire, en les maniant,essaye de donner aux dés une vertu magique,et ne se presse pas de les mettre dans soncornet, l'un des joueurs pose le sien tout droitsur le plateau, et il attend. Il rentre, d'une main,le col de son habit de chasse qui lui couvrait levisage ; il ôte son bonnet, dont l'étoffe n'est pasrigide ; il l'agite ; puis il dit : « Si vous perdez,après toutes ces incantations... » D'un airimpatient, il regarde fixement son adversaire, ilparaît tout glorieux.

Pour jouer aux dames, un homme de qualitéa dénoué le cordon de son manteau de cour, etnégligemment il ramasse les pions ou les posesur le damier. Cependant, son adversaire, quiest d'une condition inférieure, se tient assisrespectueusement, le dos courbé, à quelquedistance du damier ; de sa main libre, il enécarte, tandis qu'il joue, le bas de sa manche.C'est ravissant.

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67. Choses effrayantes L'écorce d'un gland546 .Un endroit où l'incendie a tout brûlé.Le lotus épineux.La châtaigne d'eau.Un homme qui a beaucoup de cheveux, et

qui les fait sécher après s'être lavé la tête.L'écorce d'une châtaigne.

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68. Choses qui semblent pures Un vase de terre cuite non vernissée.Une cruche de métal, neuve.Le dessus des nattes, fait d'avoine d'eau.La lumière qui passe au travers de l'eau

qu'on verse.Une « longue caisse » neuve.

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69. Choses qui paraissent malpropres Un nid de rats.Quelqu'un qui tarde, le matin, à se laver les

mains.De la morve blanche.Des petits enfants, morveux, qui marchent

en reniflant.Les vases où l'on met de l'huile.Les petits des moineaux547 .Une personne qui reste longtemps sans

prendre de bain, pendant la saison chaude. Tous les vêtements fanés, quels qu'ils soient,

semblent malpropres ; mais parmi eux, ce sontsurtout les habits de couleur luisante quiparaissent sales.

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70. Choses qui semblent vulgaires Un « troisième fonctionnaire » du Protocole

qui a été anobli548 . De gros cheveux noirs.Un paravent de toile, lorsqu'il est neuf.

Quand il est vieux et sali, c'est un objet qui nemérite plus qu'on en parle, et, contrairement àce que l'on pourrait croire, on n'y accorde plusla moindre attention.

Un paravent de toile sur lequel, dès qu'il estfabriqué, on fait s'épanouir, en les dessinant,quantité de fleurs de cerisier, et que l'on colorieavec de la craie et du cinabre.

Qu'il s'agisse des portes à coulisse, despetites armoires, ou de toute autre chose, onpeut dire que ce que l'on voit en provincemanque d'élégance.

Le dessus d'une voiture recouverte denattes.

Le pantalon que portent les gens de police.Un store d'Iyo fait avec des joncs trop gros.Un petit bonze, encore enfant, qui engraisse.Une véritable natte d'Izumo.

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71. Choses qui remplissent d'angoisse

Regarder les courses de chevaux.Tordre un cordon de papier, pour attacher

ses cheveux549 .Avoir des parents ou des amis malades, et

les trouver changés. A plus forte raison, quandrègne une épidémie, on en a une telleinquiétude qu'on ne pense plus à rien d'autre.

Ou bien, un petit enfant qui ne parle pasencore se met à pleurer, ne boit pas son lait, etcrie très longtemps, sans s'arrêter, mêmequand la nourrice le prend dans ses bras.

Lorsque, dans un endroit fréquentéd'ordinaire, on a soudainement l'oreille frappéepar les paroles de quelqu'un dont on nereconnaît pas bien la voix, il est naturel qu'onsente son cœur battre ; mais il palpite biendavantage si l'on entend alors une autrepersonne qui, sans savoir que la première estlà, vient à parler d'elle.

Quand une personne que l'on détestes'approche de vous, on ressent, de même, un

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trouble indicible. Un homme qui est venu la nuit dernière voir

une dame tarde à lui écrire ce matin. Cellesmême qui, sans y être directement intéressées,entendent parler d'une pareille chose, sententbattre leur cœur.

On se sent encore défaillir quand une autrefemme, devant vous, montre une lettre qu'ellea reçue de celui qu'on aime.

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72. Choses ravissantes Un visage d'enfant dessiné sur un melon550 .Un jeune moineau qui vient en sautillant dès

qu'on imite le cri du rat. Ou bien ce même moineau quand on le place

dans un endroit convenable, après lui avoir misun peu de fard rouge sur la tête.

Il est ravissant de voir les parents de cetoiseau lui apporter d e s insectes et des vers,qu'ils lui mettent dans le bec.

Un enfant d'environ trois ans qui se traîne leplus vite qu'il peut, et dont les yeux perçantssont attirés par quelque babiole menue, qu'iltrouve sur son chemin. Il la saisit avec ses jolispetits doigts, il la montre aux grandespersonnes. C'est ravissant.

Une enfant, coiffée à la façon d'une nonne551

qui penche la tête pour regarder quelque chose,au lieu d'écarter, de la main, les cheveux quiretombent sur ses yeux et la gênent. Charmanttableau !

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Il est ravissant aussi d'admirer le haut descordons blancs qui retiennent la jupe, si jolis,attachés devant les épaules.

Un jeune page du Palais, pas très grand, quipasse, en tenue de cérémonie. C'est charmant.

On prend un joli bébé dans ses bras, unmoment, et pendant qu'on le cajole il sesuspend à votre cou, puis il s'endort. C'estdélicieux.

Les objets employés pour les poupées552 .On cueille, dans un étang, une feuille

flottante de lotus, toute petite, et on la regarde.Les roses trémières sont ravissantes aussiquand elles sont petites. Qu'il s'agisse d'unechose ou d'une autre, peu importe, on peut direque tout ce qui est petit est délicieux.

Un bébé d'environ deux ans, très potelé, à lajolie figure claire, qui vient à vous en setraînant, et dont le vêtement, de gaze violette,trop long, est retroussé. C'est ravissant.

Un petit garçon de huit ou neuf ans, à la voixjuvénile, qui lit un livre.

Des poussins, hauts sur pattes, tout blancs et

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jolis, qui ne sont pas encore complètementcouverts de plumes, et paraissent avoir desvêtements trop courts. En faisant tapage : «hy o, hyo », ils suivent les gens, ou marchenttout près de la mère poule. C'est un délicieuxspectacle.

Les petits des canards553 .Une urne à reliques.Les fleurs des œillets.

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73. Choses sans retenue Un enfant qui n'a aucune qualité particulière

et qui est habitué à être choyé. La toux.Alors qu'on va dire quelque chose à une

personne qu'on voit embarrassée, elle parle lapremière.

Un enfant de quatre ou cinq ans, dont lesparents habitent quelque part dans lesenvirons, entre chez vous et commence à fairemille malices ; il s'empare de ceci, de cela ; ildisperse, il abîme tout. D'ordinaire, on lui ôtedes mains ce qu'il a pris, on le gronde ; il n'enpeut faire à sa tête. Mais quand sa mère vient,il se sent fort ; en la tirant, en la secouant, il lasupplie de lui donner ce qui l'intéresse.Cependant, elle lui répond qu'elle parle à degrandes personnes, elle ne tient aucun comptede ce qu'il dit. Alors, il remue tout, lui-même,pour atteindre l'objet convoité ; il s'en saisit etle regarde. C'est vraiment détestable. La mère,qui le voit faire, se contente de lui crier :

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« Vilain ! » et sans lui reprendre cet objet pourle cacher, elle ajoute seulement avec un sourire: « Ne fais pas ainsi, tu vas détériorer cela. »Elle aussi, elle est détestable !

Quelle anxiété on éprouve lorsque, chez soi,on voit cet enfant se conduire de la sorte, sansqu'on puisse lui adresser la moindreremontrance !

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74. Choses dont le nom est effrayant554

Un gouffre vert. Une caverne dans un ravin.

Une clôture de planches. Le fer. Une motte deterre.

Pour le tonnerre, ce n'est pas seulement sonnom qui est effrayant; il est lui-mêmeépouvantable.

L'ouragan. Un nuage de mauvais augure.L'étoile du Bouvier555 . Le loup556 . L'ushi-hasame557 . La prison. Le geôlier.

Le sanglier. Pour celui-ci encore, ce n'est passon nom seul qui est effrayant ; il est, aussi,terrible à voir.

Une natte de corde.Un voleur est terrible pour toutes sortes de

raisons.La pluie soudaine558 . Le fraisier-serpent.

L'âme d'une personne vivante, qui vient voustourmenter. L'igname du diable. La fougère dudémon559 . La ronce. Le citronnier épineux. Ducharbon de bois très sec, pour allumer le feu. Lapivoine. Le geôlier des enfers qui a une tête de

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bœuf560 .

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75. Choses qui n'offrent riend'extraordinaire au regard, et qui prennent

une importance exagérée quand on écrit leurnom en caractères chinois561

La fraise. La fleur d'un jour562 . Le lotus

épineux. La noix. Un professeur de style. LeVice-chef des services qui gouvernent le palaisde l'Impératrice souveraine. Le myrte rouge563

. Pour l'oseille sauvage, l'impression qu'on

ressent est encore plus forte, sans doute parceque l'on écrit le nom de cette plante comme s'ils'agissait de la canne du tigre. Ce dernier a,cependant, une figure à pouvoir se passer decanne !

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76. Choses qui ont un aspect sale L'envers d'une broderie.L'intérieur de l'oreille d'un chat.Une foule de rats, dont le poil n'est pas

encore poussé, qui sortent du nid, toutgrouillants.

Les points des coutures, à l'envers d'unvêtement de fourrure qu'on n'a pas encoredoublé.

Quand il fait sombre dans un endroit qui nesemble pas particulièrement propre.

Une femme qui n'est pas très jolie, et qui aune foule d'enfants, dont elle prend soin.

Lorsqu'une femme qu'il n'aime pas trèspr ofondément tombe malade et languitlongtemps, un homme, en son cœur, doit s'ensentir dégoûté.

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77. Occasions dans lesquelles les chosessans valeur prennent de l'importance

Le radis564 du premier mois.Les dames qui escortent, à cheval,

l'Empereur quand il sort de son palais. Les dames-chambellans qui, à la fin du

sixième mois et à celle du douzième, rompentune tige de bambou pour mesurer la taille del'Empereur565 .

Le prêtre chargé de surveiller le maintiendes bonzes qui récitent les livres sacrés, auxdeux saisons566 . Quand, portant une étolerouge, il lit la liste des bonzes, il a l'air de savoirparfaitement ce qu'il doit faire.

Les gens du service des chambellans quiornent les salles où doivent avoir lieu lescérémonies, pour la « Lecture des livres sacrés» ou pour l' « Énumération des noms desBouddhas »567 .

Les gardes du corps qui escortent l'envoyéde l'Empereur à la fête de Kasuga568 .

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La marche solennelle lors des grandsfestins569 .

Les jeunes filles qui goûtent l'élixir de longuevie au premier mois57 0 .

Les bonzes qui apportent les « bâtons porte-bonheur57 1 ».

Les coiffeuses au moment des épreuves dedanse, avant la Cinquième fête57 2 .

Les « demoiselles de la Cour » qui serventl'Empereur à table, aux cinq fêtes57 3 .

Les secrétaires du Conseil d'État, le jour d'ungrand festin.

Les lutteurs du septième mois57 4 .Un grand chapeau de femme, par un. jour de

pluie.Le timonier, lors d'un voyage en bateau.

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78. Choses qui paraissent affligeantes La nourrice d'un bébé qui pleure la nuit.Un homme qui a deux maîtresses, et à

propos duquel l'une et l'autre se détestent et sejalousent.

Un exorciste qui s'attaque à un démonrécalcitrant. Tout irait bien si seulement lesbons effets de ses incantations se manifestaientrapidement ; mais s'il n'en est pas ainsi, lemalheureux continue stoïquement à prier pouréviter d'être, quelque peine qu'il ait prise, larisée des gens. Cela semble désolant.

Une femme qu'un homme soupçonneux aimeardemment.

Les gens puissants qui vivent dans la maisondu Régent, Maire du palais, ne sont jamais sanssouci ; pourtant leur sort paraît agréable.

Les gens irrités.

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79. Choses enviables On a essayé d'apprendre un texte sacré ;

mais comme on le récite d'une façon trèsincertaine, en oubliant toujours quelque chose,on lit à maintes reprises les mêmes passages.Cependant, on entend des bonzes, comme il estnaturel, et aussi des laïques, hommes oufemmes, qui récitent les Écritures couramment,sans peine. Tout de suite, on se demande quanddonc on sera aussi habile.

Lorsqu'on est mal à son aise, qu'on restecouché, on envie extrêmement les gens quirient, bavardent et se promènent comme s'ilsn'avaient aucun souci.

Un jour, l'idée m'étant venue d'aller aux

temples d'Inari57 5 , je me trouvai harasséealors que j'approchais seulement du sanctuairecentral ; mais, sans me laisser abattre, jecontinuai de monter. Cependant, des gens quidevaient être partis après moi me dépassèrentrapidement, sans paraître fatigués le moins du

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monde, et arrivèrent au temple les premiers.J'en avais de la jalousie. Cela se passait le jourdu Cheval, au deuxième mois. Bien que je mefusse hâtée de partir à l'aube, il était à peu prèsl'heure du Serpent quand j'atteignis le milieu dela côte. Il faisait de plus en plus chaud, et je mesentais pitoyablement lasse. Comme je mereposais un moment, en pleurant de fatigue eten me demandant même pour quoi faire j'avaispu entreprendre ce pèlerinage tandis qu'il yavait, par le monde, des gens qui ne prenaientpas tant de peine, une femme de plus de trenteans, qui n'était pas en « costume de jarre57 6 »,mais avait simplement relevé la traîne de sesvêtements, descendit la côte, et dit à des gensqu'elle rencontra sur son chemin : « Moi, jeveux accomplir le pèlerinage sept fois ; en voilàdéjà trois, et les quatre qui restent ne sont plusrien à faire. Il faut que je sois redescendue àl'heure du Mouton. » C'était une femme àlaquelle je n'aurais pas fait attention en un lieuordinaire ; mais en cet instant, j'aurais souhaitéd'être à sa place.

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J'envie beaucoup les gens qui ont de bons

enfants, que ces derniers soient des hommes,des femmes, ou des bonzes.

Les dames qui ont de superbes cheveux, trèslongs, et des mèches qui descendentgracieusement sur le front.

J'envie les grands personnages qui sonttoujours entourés de serviteurs respectueux.

Les dames qui ont une belle écriture, quicomposent de jolies poésies, et dont on parled'abord, en toutes occasions.

Quand de nombreuses dames se tiennent,attendant ses ordres, devant une personne d'unhaut rang, et qu'il faut écrire un message pourl'envoyer à quelqu'un de distingué, on ne peutpenser que toutes celles qui sont là aient uneécriture semblable aux traces laissées par lespattes d'un oiseau. Si, pourtant, le maître faitappeler, exprès pour écrire cette lettre, une desdames qui se trouvent dans leur chambre, et luidonne son propre encrier, les autres envientcette femme. Si celle que l'on a choisie parmi lesdames de la maison n'est plus une toute jeune

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personne, elle s'y prend aussi bien que la chosel'exige, même si, vraiment, elle n'a pas cessédepuis longtemps de copier la poésie du « Bacde Naniwa57 7 ». D'autres fois, elle n'est pas sinovice, et quand il s'agit d'écrire à un hautdignitaire, ou de faire une lettre d'introductionpour une demoiselle que le seigneur envoie auPalais, où cette jeune fille va demander à entreren service, le maître, et l'Empereur lui-même lepremier, veille avec une attention particulière àce que tout, dans la lettre, soit élégant. Alors lesautres dames se réunissent pour plaisanter,pour parler avec jalousie de leur compagne quiécrit.

De même, lorsqu'on apprend à jouer de laharpe ou de la lime, et que l'on est encore peuexercé, on se demande quand donc on joueraaussi bien que telle personne.

La nourrice de l'Empereur, celle du Princehéritier.

Les dames au service de l'Empereur qui sontadmises auprès des Nobles Princesses duPalais.

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Celui qui a fait construire une chapelle deméditation, et peut prier au soir et à l'aube.

Quand on joue au trictrac, les coups de désheureux de l'adversaire.

Un saint qui a vraiment cessé de penser aumonde.

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80. Choses que l'on a grande hâte de voir,ou d'entendre

Les tissus qu'on a teints après les avoir

tordus, les étoffes de nuance inégale, toutescelles qui ont des tons divers, obtenus parexemple en liant certaines parties avant lateinture.

On apprend qu'une femme vient d'avoir unenfant, on veut savoir bien vite si c'est ungarçon ou une fille. Quand la mère e s t unedame de qualité, cela va sans dire, et même s'ils'agit d'une pauvre femme, d'une personne ducommun, on a grande hâte d'être renseigné.

Le matin du jour où l'on nomme lesgouverneurs de province, alors qu'il est encorede bonne heure. On voudrait apprendre mêmeà quelle époque un certain homme que l'onconnaît obtiendra sûrement un poste.

La lettre d'une personne aimée.

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81. Choses impatientantes On a envoyé, à une couturière, de l'étoffe

pour un vêtement que l'on voudrait avoir toutde suite, et on attend qu'elle l'apporte.

L'humeur dont on est lorsqu'on s'est dépêchépour aller voir quelque spectacle. On sedemande avec anxiété : « Est-ce maintenant ?Est-ce maintenant ? » Tout en s'installant dansla tribune, on a les yeux fixés sur le point oùdoit apparaître le cortège.

Une femme est près d'accoucher, le termenormal passe, et rien ne montre que l'enfant vavenir.

Quand on reçoit, d'un endroit éloigné, unelettre d'une personne chère, il est impatientantd'ouvrir la missive, que la colle de riz tientsolidement fermée.

En grande hâte on va voir une procession, etl'on se dit « C'est l'heure. » Quand on aperçoitles bâtons blancs que lèvent les hommes de lapolice, on se sent rongé d'impatience pendanttout le temps qu'il faut à la voiture pour

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approcher des tribunes. On voudrait descendreet y courir.

Quelqu'un est là, dehors ; mais on se cacheen pensant qu'il ne saura pas qu'on est à lamaison. Cependant, il avertit de sa présenceune autre personne qui se trouve devant vous,et la prie de l'annoncer.

Quand on a longtemps attendu, avecimpatience, la naissance d'un bébé, il atteint àpeine son cinquantième ou son centièmejour57 8 que l'on voudrait déjà le voir grand.

Enfiler une aiguille lorsqu'on doit se dépêcherde coudre et que le soir tombe. Mais moi, quandje vois que je vais avoir à faire une chose aussiagaçante, je me saisis d'une partie de l'ouvrage,déjà commencée, où doit se trouver fichée uneaiguille enfilée ; je laisse le soin d'en préparerune autre à quelqu'une de mes compagnes.Sans doute parce qu'elle se hâte aussi, elle n'yparvient pas rapidement, et je lui dis : « Allons !laissez donc cela pour le moment. » Cependant,elle a l'air de penser : « Et pourquoi doncn'arriverais-je pas à enfiler cette aiguille ? » Elle

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ne peut abandonner les morceaux d'étoffequ'elle a pris ; à son impatience, s'ajoute del'aversion pour moi.

On est pressé de partir pour voir quelquechose, qu'il s'agisse d'une fête, d'une procession,de n'importe quoi, ci l'on attend la voiturequ'une autre personne a prise en disant qu'elleen avait besoin, d'abord, pour aller à quelqueendroit, mais qu'elle la renverrait bientôt.Quelle impatience ! Une voiture passe sur lagrand-route, et l'on se réjouit en pensant quec'est celle qu'on attend ; mais elle s'en va dansune autre direction, ! C'est désolant.

C'est encore plus lamentable quand, unepareille chose arrivant lorsqu'on veut aller voirquelque spectacle, on entend dire qu'il est fini.

On s'alarme quand le délivre d'uneaccouchée tarde à venir.

En voiture, on va chercher les personnes quidoivent aller avec vous voir quelque chose, ouvisiter un temple. Mais quand on a faitapprocher le véhicule, elles ne se pressent pasd'y monter, vous font attendre. On en esttellement agacé que l'on se sent d'humeur àpartir en les laissant là.

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On veut se dépêcher d'allumer le feu. Que labraise est longue à s'enflammer !

Quelqu'un vous a envoyé une poésie ; il fautque l'on compose bien vite un « poème enréplique », et l'on reste cependant un momentsans pouvoir rien écrire. C'est bienimpatientant !

Pour répondre à un amant, on n'a pas besoinde tant se hâter. Il est néanmoins des cas oùl'on doit, naturellement, le faire. D'ailleurs, àplus forte raison, quand il s'agit d'unecorrespondance ordinaire, soit avec un homme,soit avec une femme, on risque de commettrede désagréables bévues si l'on pense qu'ilimporte seulement de répondre vite.

La nuit, quand on est mal à son aise,angoissé, on attend avec impatience que le jourvienne.

On s'impatiente aussi, quand on a mis dunoir sur ses dents57 9 pendant qu'il sèche.

A l'époque où l'on gardait le deuil du défunt

Seigneur580 , l'Impératrice dut quitter le PalaisImpérial581 au moment de la Purification

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célébrée le dernier jour du sixième mois582 .D'après les devins, la direction qu'il lui auraitfallu prendre pour aller au palais où sont lesbureaux de sa Maison était alors néfaste583 ; etnotre maîtresse se rendit à l'endroit où l'onprépare les repas des nobles personnages, dansle Palais du Conseil d'État. Le soir de sonarrivée, il faisait assez chaud, et les ténèbresétaient profondes.

On ne pouvait s'empêcher de trouver lebâtiment très étroit584 . Il était couvert detuiles, ce qui lui donnait un aspect particulier.On n'y voyait pas, comme dans la plupart despalais, des fenêtres treillissées, mais seulementdes stores, suspendus tout autour de l'édifice ;et, contrairement à ce que l'on pourrait penser,cela paraissait merveilleusement joli.

Tous les jours, les dames descendaient dansles jardins pour se divertir. Dans celui qu'il yavait devant le bâtiment, étaient plantées deshémérocalles, en très grand nombre, quifor maie nt une haie et dont les fleurs

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amoncelées attiraient le regard. On avait duplaisir à les voir dans le jardin d'un palais oùtout semblait harmonieusement disposé.

La tour où se tiennent les gens qui annoncentles heures s'élevait tout près de notre logement; charmées d'entendre le son de leur cloche,différent de celui à quoi elles étaientaccoutumées, quelques jeunes personnes (unpeu plus de vingt) allèrent un jour par là encourant, et montèrent sur cette haute tour.

D'où je me trouvais, je les regardais là-haut,vêtues de jupes d'apparat gris clair, demanteaux chinois, de plusieurs vêtements nondoublés de même couleur, et de jupes écarlates.On n'aurait assurément pas pu les comparertout à fait à des anges, et cependant on eûtpensé, en les considérant, qu'elles étaient peut-être descendues des cieux.

Il était amusant aussi d'observer d'autresdames, toutes jeunes comme les premières,mais d'un rang supérieur, qui, ne pouvantprendre part à leurs jeux, levaient les yeuxvers elles avec envie.

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Quand le soleil fut couché, toutes celles desdames qui n'étaient plus dans la fleur de l'âgeprofitèrent de ce qu'il faisait sombre pour semêler aux plus jeunes. Toutes allèrent voir auposte où veillent les gardes du corps, de droite.Sans doute elles y jouèrent, firent tapage etrirent ; il y eut même des gens qui en furentfâchés et déclarèrent : « Voilà des choses quel'on ne doit pas faire. Les dames ont monté oùs'assoient les grands personnages, et, auxplaces des hauts fonctionnaires, elles ont abîmé,en les renversant, tous les paravents585 » Maisles dames n'en tinrent pas compte.

La nuit, nous couchions devant le store, car ilfaisait une chaleur accablante, peut-être parceque la maison était très vieille et couverte detuiles. La vétusté de l'édifice avait une autreconséquence : des scolopendres tombaienttoute la journée du plafond ; non loin du palais,il y avait de gros nids de guêpes, et il en arrivaitdes essaims ; c'était quelque chose d'effrayant.

Chaque jour, des courtisans venaient nousvoir ; ils passaient aussi la nuit à parler avec

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nous, et quelqu'un, en nous entendant, récita : «Qui aurait pensé que, peut-être, dès l'automne,le terrain du Conseil d'État deviendrait, commeil l'est maintenant, un jardin des faubourgs586 ?» C'était charmant.

Bien que l'automne fût arrivé587 , d'aucuncôté ne soufflait un vent frais588 , ce qui étaitprobablement dû à la disposition des lieux. Onentendait pourtant la musique des insectes.

L'Impératrice repartit le huitième jour duseptième mois. Si les deux étoiles, quand oncélébra la fête de la Tisserande589 , mesemblèrent cette fois plus rapprochées que lesautres années, c'est sans doute à cause du peud'étendue qu'avaient le bâtiment et le jardin.

Une fois Tadanobu, le Capitaine et conseiller

d'État590 , vint nous voir avec le Capitaine de lagarde du corps Nobukata ; les dames sortirentsur la véranda, et comme nous parlions dechoses et d'autres, je demandai tout à coup : «Quel poème chinois direz-vous, demain ? » Le

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Conseiller réfléchit un court moment etrépondit sans difficulté : « Justement celui où lepoète évoque le quatrième mois de cemonde591 », ce qui nous charma au dernierpoint. Bien qu'il s'agit d'une chose passée, il luien était souvenu, et sa réplique semblaitvraiment la plus jolie qu'on pût imaginer. Elleétait d'autant plus, remarquable que si lesdames n'oublient rien de pareil, il n'en estgénéralement pas ainsi des hommes, qui serappellent souvent mal les poésies même qu'ilsont composées.

Il était bien naturel que les jeunespersonnes, derrière le store, et Nobukata, au-dehors, restassent sans comprendre ce queTadanobu avait voulu dire.

Ce même jour, le dernier du troisième mois,les nombreux courtisans qui se tenaient près dela première porte ouvrant sur le couloir, auPalais Impérial, étaient partis sans faire de

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bruit, le soir, un par un ; seuls demeuraient leCapitaine sous-chef des chambellans592 , leCapitaine de la famille Minamoto593 et unchambellan du sixième rang.

Ils parlaient de tout, récitaient des passagestirés des livres saints, et des poésies japonaises.A un certain moment, le Capitaine sous-chefdes chambellans, après avoir dit que la nuitétait finie, et qu'ils devaient se retirer, se mit àdéclamer le poème : « Ce qui fait la rosée, cedoit être les larmes de la séparation594 . » LeCapitaine de la famille Minamoto récitait enmême temps que lui, et c'était ravissant. Maisje m'exclamai : « Voilà une tisserande bienpressée595 ! » Le Capitaine sous-chef deschambellans, fort mécontent, répliqua : « J'aidit cela parce que j'ai ressenti, par hasard, uneimpression pareille à celle qu'on éprouve enpensant à la séparation des étoiles à l'aurore. Ilest désolant de se voir ainsi raillé. Quand, sansy avoir longuement réfléchi, on a parlé dechoses comme celle-là dans ce Palais, on ne

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manque pas de le regretter. » Cependant leplein jour était venu, et Tadanobu ajouta : « Iln'est maintenant plus possible que le dieu deKazuragi596 reste ici. » Les troisgentilshommes s'en allèrent en écartant surleur passage les herbes couvertes de rosée.

Je comptais dire un mot de notreconversation au Capitaine sous-chef deschambellans quand viendrait la fête de laTisserande ; mais dans l'entre-temps il devintconseiller d'État; je songeais que je ne pourraissûrement pas l'apercevoir en cette occasion, jepensais qu'il me faudrait écrire une lettre, et lalui faire porter par un homme du servicedomest ique . Tadanobu vint pourtant leseptième jour du septième mois, et j'en fusravie. Je me disais cependant : « Comprendra-t-il, si je fais allusion à notre entretien de cettenuit-là ? Si je lui en parle vaguement, àl'improviste, il va peut-être incliner la tête d'unair perplexe ; mais s'il ne se souvient pas, je luirappellerai alors ce qui s'est passé. »

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Tadanobu me répondit sans la moindreincertitude, et en vérité je trouvai celacharmant. Je songeais que, pour moi, c'était lacuriosité qui m'avait fait me demander, durantdes jours, quand viendrait l'occasion de luiparler ; mais comment le Conseiller d'Étatpouvait-il avoir ainsi préparé sa réplique ?

Le Capitaine de la famille Minamoto, celuiqui avait été mortifié avec lui, se trouvait là; ilne se rappelait rien, et Tadanobu s'étonna : «Ne savez-vous plus comment elle a critiqué ceque je disais, à l'aube, il y a quelque temps ? »Le Capitaine répondit que vraiment il l'avaitoublié.

Sans que personne pût savoir ce que nousdisions, nous parlions, le Conseiller d'État etmoi, en nous servant d'expressions comme «L'homme, c'est Chô Ken597 », que nous étionsseuls à comprendre ; en nous entendant, leCapitaine de la famille Minamoto vint tout près,et nous questionna : « Qu'est-ce donc, qu'est-cedonc ? » Mais je restai muette ; avec dépit,

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alors, il pria Tadanobu de lui confier, à la fin, lesujet de notre conversation. Comme ils étaientamis, le Conseiller le renseigna. Pour « Il estdevenu familier, sans qu'on puisse le trouverinsupportable », nous disions : « C'est commesur la grand-route598 ».

Les jours suivants, le Capitaine de la familleM in a m ot o, sachant que je connaissaiségalement ce langage, attendit avec impatienceune occasion où il pourrait l'apprendre de moi.Une fois, il m'appela tout exprès pour me dire :« Y a-t-il ici un jeu de dames ? Que merépondriez-vous si je voulais jouer, moi aussi ?Me laisseriez-vous poser les pions ? Je suis dela même force, à ce jeu, que le Capitaine sous-chef des chambellans. Ne me délaissez pas. — Sij'étais ainsi familière avec tout le monde,répliquai-je, j'aurais sans doute une conduitedéréglée599 ! »

Quand le Capitaine de la famille Minamotoen parla au Conseiller d'État, celui-ci dit quej'avais fait une charmante réponse, et s'enréjouit fort. Les gens comme lui, qui n'oublient

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pas les choses passées, plaisent aussi beaucoup. Alors que Tadanobu était pour devenir

conseiller d'État, je déclarai un jour devantl'Empereur : « Il récite très bien les poèmeschinois. Hélas ! qui nous dira maintenant lapoésie de « Shô parcourant le pays de Kwaikei,et s'arrêtant devant l'ancien tombeau600 » etles autres ? Qu'il continue donc, pendantquelque temps, à venir nous voir, même s'il doitattendre un peu sa nomination ! » L'Empereuréclata de rire, et répondit : « J'alléguerai ce quevous dites là, et je ne le nommerai pas ! » ce quinous amusa encore. Cependant Tadanobudevint conseiller d'État, et j'étais toute désolée,quand, un jour, le Capitaine de la familleMinamoto, ayant songé qu'il le valait bien, vintme voir en se pavanant.

Je lui parlai du Capitaine et conseiller d'État,et lui assurai que celui-ci récitait agréablement,d'une façon qui ne ressemblait pas à celle desautres, le poème chinois : « Il n'avait pas encoreatteint le terme de trente années601 . » «

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Pourquoi, repartit le Capitaine de la familleMinamoto, lui serais-je inférieur? Je me faisfort de le surpasser. » Nobukata se mit àdébiter le poème ; mais comme je lui disais quece n'était pas absolument mauvais, il s'écria : «Quelle pitié ! Et pourquoi donc ne pourrais-jepas déclamer aussi bien que lui ? — Le passagerelatif au « Terme de trente années » répliquai-je, Tadanobu le dit avec un charme extrême. »Le Capitaine eut l'air fâché, il partit en riant.

Un peu plus tard, comme Tadanobu étaitvenu au bureau de la garde du corps, Nobukatal'appela spécialement pour lui dire : « Voilà ceque m'a déclaré Sei Shônagon. Apprenez-moi,s'il vous plaît, ce passage. » Le Conseiller, aprèsavoir ri, le lui enseigna.

J'ignorais tout cela lorsqu'un jour, près de machambre, j'entendis quelqu'un réciter un poèmed'une manière qui rappelait étonnamment cellede Tadanobu. Surprise, je m'écriai : « Qui est-ce donc ? » et le Capitaine de la familleMinamoto, car c'était lui, me répondit en riant :« Je vais vous informer d'une chose

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merveilleuse. Hier, le Conseiller étant venupour telle ou telle affaire au bureau, je suis alléle prier de me montrer comment il déclamait ;et aujourd'hui me voici. Eh ! en demandant quiétait là, vous n'aviez pas l'air d'avoir trouvé marécitation désagréable ! » J'étais charmée qu'ileût appris cela tout exprès, et comme jel'entendais répéter justement la poésie dontnous avions, parlé, je sortis pour causer aveclui. « Je dois mon nouveau talent, m'expliqua-t-il, à la bonté du Capitaine et conseiller d'État ; ilfaut que je me tourne vers l'endroit où il est, etque je me prosterne. »

Souvent, alors même que je me trouvaisdans ma chambre, je faisais dire aux visiteursque j'étais au Palais ; mais après cela, quandj'entendis Nobukata réciter le poèmeconcernant le « Terme de trente années », jerépondis toujours que j'étais présente.

Je racontai toute l'histoire à l'Impératrice, cequi la fit rire.

Un jour d'abstinence au Palais Impérial, le

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Capitaine de la famille Minamoto me fit porterune lettre écrite sur du papier épais et élégant ;le messager était un sous-lieutenantappartenant à la garde du corps, de droite,appelé Mitsu... (Je ne sais plus comment seterminait son nom.)

Je lus : « J'avais l'intention d'aller vous voir ;mais comme c'est aujourd'hui jour d'abstinence,je ne puis le faire. Et le passage : « Il n'avait pasencore atteint le terme de trente années » !Qu'en pensez-vous ? »

En réponse, j'écrivis et lui envoyai ceci : «Vous avez, je crois, dépassé ce terme vousdevez même être arrivé à l'âge qu'avait ShuBai-shin602 quand il instruisait sa femme ainsique l'on raconte ! » Cette fois encore, leCapitaine Nobukata ressentit de l'humeur ; ilrépéta, jusque devant l'Empereur, ce que je luiavais écrit, et Sa Majesté, faisant visite àl'Impératrice, lui dit en riant : « Comment SeiShônagon pouvait-elle savoir une pareille chose? Nobukata soutient que Shu liai-shin avaitquarante-neuf ans lorsqu'il réprimandait sa

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femme. Il se plaint d'avoir été cruellementraillé. » Je pensai, en apprenant cela, queNobukata devait avoir perdu l'esprit603 .

On appelait « Princesse du Palais de la

beauté éminente » l'Epouse Impériale, fille duPremier ministre, président du Conseil d'Étatqui résidait au Palais de la tranquillité604 . LeCapitaine de la famille Minamoto aimait etfréquentait une des femmes qui servaient cetteprincesse, la dame Sakyô, fille d'une personnenommée Uchifushi. Les dames parlaientbeaucoup de leurs relations, et en faisaient desgorges chaudes. Or, à cette époque605 , leCapitaine vint au palais où sont les bureaux del a Maison de l'Impératrice, et où Sa Majestédemeurait alors.

« De temps en temps, j'aurais dû être degarde ici pendant la nuit, nous dit-il ; mais lesdames n'ont pas agi convenablement enversmoi, et j'ai quelque peu négligé le service duPalais. Si seulement on m'avait mis au poste degarde, j'aurais fait mon devoir avec la plus

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grande fidélité. » Les dames répondirent quec'était vrai ; mais j'intervins pour répliquer : «En vérité, on aime bien avoir une place où l'onpuisse se coucher et se reposer606 . Dans unendroit de cette sorte, vous allez fréquemment,mais ici... » Très gravement, le Capitaine merépondit avec dépit : « Je ne vous dirai plusrien du tout. Je me confiais à vous comme à uneamie, et vous parlez là comme s'il était questiond'une chose connue, que les gens soient las derépéter. — Voilà, repartis-je, qui estsurprenant. Qu'ai-je donc donné à entendre ? Iln'y avait, dans mes paroles, absolument rienqui pût vous faire dresser les oreilles. » Commeje tirais et secouais doucement la dame qui étaità côté de moi elle s'écria, en riant aux éclats : «Assurément, vous avez de bonnes raisons pourvous mettre en colère, alors que rien, dans saremarque, ne devrait vous fâcher ! — Celaencore, s'exclama le Capitaine, c'est SeiShônagon qui vous l'a fait dire ! » Il semblaitfurieux. « J'évite soigneusement tout proposqui risque de blesser quelqu'un, repris-je ; et,

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même, je déteste entendre les gens parler ainsi.» Là-dessus, les dames rentrèrent. Mais plustard, le Capitaine de la famille Minamoto me ditencore avec aversion : « Vous avez raconté deschoses qui m'ont rempli de honte, alors qu'ils'agissait d'un bruit que les courtisans avaientrépandu pour faire rire les gens. — En ce cas,répondis-je, il me semble que ce n'est pas à moiseule que vous devriez en vouloir. C'est étrange! »

A la suite de ces. événements, le Capitainecessa toutes relations avec la dame Sakyô.

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82. Choses qui ne servent plus à rien, niaisqui rappellent le passé

Une natte à fleurs, vieille, et dont les bords

usés sont en lambeaux. Un paravent dont le papier, orné d'une

peinture chinoise, est abîmé. Un pin desséché, auquel s'accroche la glycine.Une jupe d'apparat blanche, dont les dessins

imprimés, bleu foncé, ont changé de couleur. Un peintre607 dont la vue s'obscurcit.Le rideau usé d'un écran.Un store à tête dont le bord supérieur n'est

plus recouvert.De faux cheveux, longs de sept pieds, qui

rougissent.Un tissu couleur de vigne, teint à la

cendre608 , dont la couleur s'altère.Un homme qui fut autrefois le héros élégant

de nombreuses aventures amoureuses,maintenant vieux et décrépit.

Dans le jardin d'une jolie maison, un incendiea brûlé les arbres. L'étang avait d'abord gardéson aspect primitif ; mais il a été envahi par les

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lentilles d'eau, les herbes aquatiques.

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83. Choses auxquelles on ne peut guère sefier

Un homme, vite rassasié, qui oublie

facilement ses amours.Un gendre qui passe souvent la nuit dehors.Un chambellan du sixième rang qui a la tête

blanche.Un homme qui ment d'habitude, et qui

pourtant a l'air d e vouloir veiller avec zèle surles affaires d'un autre, se charge d'une choseimportante.

On a gagné la première partie au jeu detrictrac.

Une personne de soixante, soixante-dix ouquatre-v ingts ans est malade, et les jourspassent.

Un bateau dont la voile est hissée, quand levent souffle.

Parmi les sermons, le Sermonininterrompu609 me charme.

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84. Choses qui sont éloignées, bien queproches

Les fêtes dans les environs du Palais610 .Les relations entre des frères et sœurs, ou

des parents, qui ne s'aiment pas. Le chemin qui serpente dans la montagne de

Kurama.L'intervalle entre le dernier jour du

douzième mois et le premier jour de l'an.

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85. Choses qui sont proches, bienqu'éloignées

Le Paradis611 .La route d'un bateau612 .Les relations entre un homme et une femme.

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86. Puits613

Le puits de Horikane.Parmi les puits dont l'eau jaillit, celui qui est

dans la Montée des rencontres614 me charme.Le puits dans la montagne ; on le cite comme

ex emple , quand on parle de choses peuprofondes615 , et je me demande quelle estl'origine de cette habitude.

Le puits d'Asuka. Il est amusant qu'on l'aitloué en disant « L'eau y est fraîche aussi616 . »

Le puits de Tama. Le puits dont le nomrappelle un lieutenant de la garde du corps. Lepuits des cerisiers. Le puits de Kisakimachi617 .

Le puits de Chinuki.

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87. Gouverneurs de province

Le gouverneur de K'ii. Celui d'Izumi.

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88. Vice- ,gouverneurs qui occupent despostes provisoires

Le vice-gouverneur de Shimotsuke. Celui de

Kai. Celui d'Echico.,Celui de Chikugo. Celuid'Awa.

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89. Fonctionnaires du cinquième rang Pour les fonctionnaires du Ministère du

Protocole, pour les officiers appartenant à lagauche de la garde du Palais, pour lesarchivistes, le cinquième rang est une choseenviable. Mais les chambellans du sixième rangne doivent pas le priser autant618 .

L'homme qui a reçu la coiffure denoblesse619 , et qui porte maintenant le titre defonctionnaire du cinquième rang dans un telservice, ou de vice-gouverneur d'une telleprovince, possède une petite maison au toit deplanches, qu'on a entourée d'une clôture neuve,faite de minces planchettes de thuyaentrelacées. A côté, se trouve une remise pourles voitures ; comme de nombreux arbres sedressent tout près, devant la maison, on y faitattacher les bœufs, et c'est là qu'on leur donne àmanger de l'herbe ou autre chose. C'estdétestable.

Où réside le fonctionnaire, le jardin est très

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bien entretenu, la maison a des stores d'Iyo,faits de roseaux et suspendus, à la file, à deslanières de cuir violet ; on y voit des portes detreillis tapissées de toile. Le soir, cet hommeordonne de fermer solidement la grande porte.Sa position est sans aucun avenir, et tout à faitdéplaisante.

Ce qui conviendrait à un fonctionnairecomme celui-là, ce serait d'habiter toutnaturellement la maison de ses parents, oubien, il va sans dire, celle 'de son beau-père,pourvu qu'il n'y demeure ni oncle ni frère aîné ;la maison dans laquelle semble manquer lapersonne qui devrait y vivre ; ou encore le logis,devenu inutile, d'un préfet avec qui cefonctionnaire était dans de bons termes, et quiest parti pour sa province.

Si le fonctionnaire n'a pas ces ressources,comme les maisons appartenant aux princes,enfants de l'Impératrice douairière ou desPrincesses Impériales, sont nombreuses, il serabien heureux, après avoir obtenu l'emploi qu'ilattendait, de trouver un jour ou l'autre un

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endroit convenable pour se loger. Quand une femme habite seule, j'aime que la

maison soit partout en désordre, et le mur deterre écroulé. S'il y a un étang, je suis ravie qu'ily croisse quantité d'herbes aquatiques. Sansque les armoises fines620 poussent enabondance dans le jardin, il faut que l'on puisseapercevoir çà et là des herbes vertes sortant dusable. L'aspect désolé du lieu me charme lecœ ur . Au contraire, je ressens une pénibleimpression quand je vois trop clairementcomment on s'est ingénié pour tout réparer defaçon que cela plût aux yeux, et comment lagrande porte est solidement fermée.

Il est agréable, pour une dame en service au

Palais, d'avoir son père et sa mère, chez qui ellepeut demeurer lorsqu'elle est à la campagne.

Quand on loge dans une maison étrangère,où les gens entrent et sortent en foule, où, deschambres du fond, vous arrive le bruit produitpar toutes sortes de voix, où le pas des chevaux

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fait tapage, on se sent triste malgré tout cetumulte. Cependant, quelqu'un vient parfoisvous voir un moment, à la grande porte, soit ensecret, soit ouvertement.

« Naturellement, vous dit le visiteur, nesachant pas que vous aviez quitté la Cour, j'aiomis pendant quelque temps de venir » ; oubien il veut apprendre quand on retournera auPalais. Si c'est celui qu'on aime, on se dit : «Comment pourrais-je le laisser dehors ? » Onlui ouvre la porte ; mais le maître de la maisonsemble penser qu'on fait trop de bruit, et qu'ilest dangereux de laisser la porte ouvertejusqu'au milieu de la nuit. C'est détestable.

« A-t-on fermé la grande porte ? »demande-t-il l'instant d'après ; et le portierrépond d'un air ennuyé : « Non, il y a encorequelqu'un dans la maison. — Dès que cethomme sera sorti, fermez tout de suite,ordonne alors le maître ; il y a eu beaucoup devols par ici ces jours derniers. » C'est trèscontrariant, et l'ami qui est auprès de vousécoute aussi. Les serviteurs qui ont

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accompagné ce seigneur doivent rire en voyantles gens .de la maison qui sont aux aguets,regardant sans cesse, furtivement, pour savoirsi le visiteur est maintenant parti. Quellesévère réprimande le maître vous fera s'il aentendu ces serviteurs imiter sa voix !

Il est possible que les visiteurs ne montrentpas clairement ce qu'ils pensent, et ne le disentpoint ; mais des gens qui ne vous aimeraientpas viendraient-ils ainsi vous voir, chaque nuit,sans y manquer ? Pourtant, parmi eux, il enest, au cœur dur, qui s'en vont en déclarant : «La nuit est avancée, peut-être est-il dangereuxqu'on laisse ouverte la grande porte. » Envérité, si celui qui est venu a de l'affection pourvous, on a beau le congédier et lui répéter qu'ildoit s'en aller bien vite, il laisse la nuit s'écouler.Cependant, le portier passe et repasse, faisantses rondes ; il paraît tout étonné quand il voitque le jour va poindre, et il grommelle, assezhaut pour qu'on l'entende : « Quelleimprudence ! Cette porte, qu'il faudrait tenirclose avec un soin extrême, est restée grande

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ouverte toute la nuit ! » Il ferme la porte, àl'aube, alors que c'est inutile. Comme tout celaparaît déplaisant !

Pour les dames qui sont chez leurs parents, ilen va beaucoup mieux. Mais s'il s'agit de beaux-parents621 , c'est encore pis que chez desétrangers, car on se demande sans cesse cequ'ils vont penser. La maison d'un frère aîné,d'après ce que j'ai entendu dire, aurait dans lefait les mêmes inconvénients.

C'est bien agréable quand la grande porten'est jamais surveillée avec tant de prudence,pas plus au milieu de la nuit qu'à l'aurore ; onpeut sortir à la rencontre de celui qui vient vousvoir, quelque prince ou quelque seigneur enserv ice au Palais Impérial. On passe la nuitd'hiver en conversations. On laisse relevées lesfenêtres de treillis, et après le départ dugentilhomme, on le regarde au loin qui s'en va.C'est encore plus charmant quand il part aumatin, à l'heure où la lune pâlie est encorevisible. Après que le visiteur s'est éloigné enjouant de la flûte, je ne puis dormir tout de suite

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; j'aime à m'assoupir peu à peu, en parlant de luiavec mes compagnes, en disant et en écoutantdes poèmes.

C'est ravissant quand la neige, sans être

haute, couvre la terre ainsi qu'un léger duvet.C'est charmant aussi lorsqu'elle s'est amasséepour former un épais manteau ; dès le coucherdu soleil deux ou trois amies s'assoient autourd'un brasier sur la véranda, près du bord.Pendant qu'elles bavardent, la nuit tombe ;mais elles n'allument pas de lampe dans lachambre, tout illuminée par la blanche lueurque renvoie la neige.

Elles s'amusent à racler les cendres dubrasier avec les baguettes de métal, ets'entretiennent de mille choses, émouvantes oudrôles. C'est délicieux.

Au moment où les dames songent que lapremière partie de la nuit doit être achevée,tout près elles entendent un bruit de pas. Elless'étonnent et regardent qui vient. C'est unhomme que l'on peut voir arriver, de temps à

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autre, en de pareilles occasions, alors qu'onn'attend pas sa visite. « Je me demandais, dit-il,si vous admiriez cette neige, aujourd'hui ; maisretenu par ceci, par cela, je suis resté toute lajournée à tel endroit. » Et les dames, sansdoute, lui récitent des poésies comme celle de «l'homme qui viendrait aujourd'hui622 ». Ellesrient, elles parlent avec lui de toutes choses, encommençant par les événements de la journée.Les dames ont sorti un coussin rond ; mais levisiteur, sans le prendre, s'assied au bord de lavéranda, en laissant pendre une jambe.

La causerie se prolonge jusqu'à l'heure oùl'on entend nommer les cloches de l'aurore, et ilsemble encore aux dames qui sont derrière lestore, comme au seigneur qui est dehors, que lanuit n'a pas assez duré. Avant qu'il fasse jour lecourtisan, se disposant à partir, récite lepassage où il est question de la neige qui couvreje ne sais quelle montagne623 . C'est charmant.S'il n'y avait eu là que des femmes, ellesn'auraient pu demeurer ainsi une nuit entière.Aujourd'hui les dames ont pris à bavarder plus

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de plaisir qu'elles n'en trouvent d'ordinaire ;après que le visiteur les a quittées, entre amieselles parlent de ses façons élégantes.

Au temps de l'empereur Murakami, un jour

où la neige formait une couche épaisse,l'Empereur ordonna d'en remplir un plateau faitde bois de saule. On y ficha un rameau fleuri deprunier, et comme la lune était très brillante, lesouverain dit à la dame Hyôe, une dame-chambellan : « Composez donc à ce propos unepoésie ; qu'allez-vous pouvoir débiter ? » Ladame répondit . « C'est le temps de la neige, dela lune et des fleurs624 », et l'Empereur en futextrêmement charmé. « Si elle avait, déclara-t-il, composé un poème, c'eût été fort ordinaire.Mais trouver quelque chose qui convînt aussibien aux circonstances ! Voilà qui était difficile !»

Une autre fois, alors que cette même femmel'accompagnait, l'Empereur s'arrêta dans unesalle de son palais, à un moment où personne nes'y trouvait, et comme de la fumée s'élevait du

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brasier, il dit à la dame : « Quelle est cettefumée ? Allez donc voir ! » Après avoir jeté uncoup d'œil, elle revint et récita ce joli poème :

« Comme je regardais ce qui… Ramait en pleine mer,… Brûlait sur la braise,Dans l'Océan,C'était ... un pêcheur qui revenait … une grenouille. »Après la pêche. » Une grenouille, en effet, avait sauté dans le

brasier, et s'y consumait. Un jour, la dame Miare no Senshi habilla de

jolies poupées, hautes d'environ cinq pouces,qu'elle fit à la ressemblance des pages du Palais.Elle leur lia les cheveux des deux côtés de latête, les vêtit splendidement d'un habit de cour,et après avoir écrit le nom de chacune de cespoupées, elle les présente respectueusement àl'Impératrice, qui aima beaucoup, surtout, celle

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que la dame avait appelée Tomo-akira noÔkimi.

Quand je commençai d'aller au palais de

l'Impératrice625 , tant de choses meremplissaient de confusion que je n'en savaisplus le nombre ; et j'étais toujours près depleurer, Aussi n'y allais-je que le soir, tous lesjours. Je me tenais derrière le paravent de troispieds, auprès de Sa Majesté, qui prenait despeintures et daignait me les montrer. Maismalgré toute sa bienveillance, je n'osais pasmême avancer la main pour prendre ces feuillesde papier, mon embarras était extrême. « Cetteimage représente ceci, me disait ma maîtresse ;celle-là est d'une telle manière », et ainsi desuite. Cependant, comme on avait apporté, puismis sur un plateau à pied, la lampe de lachambre, on pouvait, contrairement à ce quel'on aurait cru, voir tout plus distinctementqu'en plein jour : on distinguait même chaquecheveu. J'étais toute honteuse ; pourtant je medominais, et je considérais les peintures que

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l'Impératrice me faisait admirer. La saison était très froide, et lorsqu'elle me

tendait ces images, je voyais à peine ses mains ;mais elles étaient d'une si jolie nuance rose queje les trouvais infiniment belles. Je la regardaisde tous mes yeux, me demandant avecétonnement, moi qui arrivais de ma province,comment une telle personne pouvait exister ence monde.

A l'aurore, quand je me préparais,impatiente, à partir bien vite, l'Impératricedisait : « Le dieu de Katsuragi626 lui-même,pourrait rester encore un instant. » Et je merasseyais sur le sol, obliquement par rapport àSa Majesté, de façon à échapper le plus possibleà ses regards. Je n'ouvrais pas seulement lafenêtre de treillis. Une fois, venant près denous, une dame déclara qu'il fallait ouvrir cettefenêtre ; mais comme une servante, ayantentendu, allait le faire, notre maîtresse luiordonna d'attendre, et les deux femmes seretirèrent en riant.

L'Impératrice m'interrogeait sur diverses

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choses, et disait enfin : « Voilà longtemps quevous êtes ici, et vous devez avoir envie d'aller àvotre chambre. Partez donc vite ! » Puis elleajoutait : « Revenez de bonne heure ce soir ! »

Il était tard quand je me traînais hors de laprésence de Sa Majesté ; partout les fenêtresétaient ouvertes, et l'on voyait la neige quicouvrait le jardin, ravissante.

Plusieurs fois, l'Impératrice m'écrivit devenir auprès d'elle pendant le jour, en ajoutantque les nuages chargés de neige obscurcissaienttellement le ciel que personne ne me verrait.Comme je n'osais pas obéir aux ordres répétésde ma maîtresse, la dame qui gouvernait notrechambre s'exclama : « Allez-vous toujoursrester ainsi enfermée ? Si Sa Majesté vous faitl'insigne faveur de vous admettre en saprésence, elle doit avoir ses raisons. Celle qui nese rend pas aux désirs de sa protectrice estvraiment détestable. » Elle me fit partir à lahâte ; je perdais la tête, et j'arrivai, désolée,près de l'Impératrice.

J'étais émerveillée en contemplant la neige

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accumulée s u r les cabanes des veilleurs denuit627 , si jolie.

Dans la salle où se tenait Sa Majesté, je viscomme à l'ordinaire le brasier carré ; il étaittout plein de charbons ardents ; mais personne,à dessein, ne s'était assis à côté. L'Impératriceavait devant elle un brasier rond, fait du boisodorant que produit le pays de Jin628 , laqué,semé de points d'or. Des dames d'un haut rangl'entouraient et s'empressaient à la servir. Dansla pièce suivante, se trouvaient d'autres damesassises auprès d'un long brasier rectangulaire,si nombreuses qu'aucun espace ne restait libreentre elles, toutes vêtues de manteaux chinois,dont elles avaient rejeté le collet sur leursépaules. Je les enviais en admirant comme ellesagissaient à leur aise. Elles passaient des lettresà l'Impératrice ; elles se levaient, s'asseyaientsans la moindre gêne ; elles parlaient et riaient.Je me demandais quand donc je pourrais avoircette désinvolture et me mêler à elles ; et je mesentais remplie de confusion à cette seulepensée.

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Il y avait encore, plus près du fond de lasalle, trois ou quatre dames qui examinaientensemble des peintures.

Après un moment, on entendit les voixbruyantes d'avant-coureurs qui faisaientécarter les gens. « C'est, dit quelqu'un, leSeigneur maire du palais629 qui arrive », etchacune prit ce qui lui appartenait, parmi tousles objets dispersés. Je me retirai dans le fondde la pièce, j'avais cependant grande envie devoir un personnage qui devait être si beau, et jeregardai furtivement dans la salle par une fentede l'écran. En réalité, c'était le Seigneur premiersous-secrétaire d'État630 qui venait d'entrer.La blancheur de la neige faisait ressortirsplendidement le violet-pourpre de sonmanteau de cour et de son pantalon à lacets. Ilprit place près d'un pilier, puis déclara : « Hieret aujourd'hui, j'aurais dû rester enfermé pourfaire abstinence ; mais il tombait tant de neigeque j'étais inquiet à votre sujet... — Je pensais,lui répondit l'Impératrice, qu'il n'y avait plus dechemin631 , et je me demandais comment vous

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pourriez bien venir. » Le Sous-secrétaire d'Étatse mit à rire, et répliqua : « Je suis accouru ensongeant que, peut-être, vous me trouveriezadmirable632 ! »

Quelle chose pourrait être plus jolie que lamanière dont ils parlaient ? Il me semblait quela scène ne devait pas être différente de cellesque l'on raconte dans les romans avec forcehyperboles. L'Impératrice portait un vêtementblanc sous un autre de damas de Chine,également blanc, et recouvert lui-même dedeux manteaux de damas de Chine écarlate,sur lesquels retombaient ses cheveux. Jeregardais, en pensant que l'on voyait depareilles choses dans les peintures ; mais je neles connaissais pas encore en réalité, je croyaisrêver.

Le Premier sous-secrétaire causait etplaisantait avec les dames ; elles lui répondaientsans être gênées le moins du monde, et,lorsqu'il lui arrivait de dire quelque chose defaux, elles le démentaient et discutaient aveclui. J'étais étonnée jusqu'à la stupéfaction

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devant un spectacle si étrange, et je me sentaisrougir sans raison.

Le Premier sous-secrétaire prit quelquesfruits, et en offrit à l'Impératrice. Il dutdemander qui se trouvait derrière l'écran, etune dame lui répondit sans doute que c'étaitmoi. Il se leva ; je pensais qu'il allait peut-êtresortir, quand il vint s'asseoir tout près del'écran, et m'adressa la parole. Il me parla dechoses qu'il se rappelait avoir entendu dire demoi, au temps où je ne vivais pas encore à laCour. Il voulait savoir si ces choses s'étaientpassées vraiment comme on le lui avait raconté.J'avais été confuse alors que, le rideau nousséparant, je le considérais seulement de loin ;mais en cet instant, pendant que nousconversions tous les deux face à face, je mesentais stupide, et il ne me semblait pas quetout ce que je voyais et entendais pût être réel.

Avant que je vinsse à la Cour, il m'étaitarrivé d'aller admirer le cortège de l'Empereurlorsqu'il sortait de son Palais ; en de tellesoccasions, le Premier sous-secrétaire avait

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parfois jeté les yeux, un moment, sur mavoiture ; mais j'avais alors ajusté les rideauxintérieurs, et de crainte qu'il ne pûtm'apercevoir au travers, j'avais caché monvisage derrière mon éventail. Je ne pouvaisplus me dérober si aisément, et je medemandais comment j'étais entrée dans unecarrière pour laquelle mon cœur semblait si peufait. J'étais trempée de sueur, hors de moi.Qu'aurais-je pu répondre au frère de mamaitresse ? Il se saisit même de l'éventail queje tenais levé, prudemment, devant moi. Jepensai à la laideur de mes cheveux, quidevaient être répandus en désordre, etj'apparus sans doute véritablement aussiaffreuse que je le redoutais. J'espérais que leSous-secrétaire s'en irait bientôt ; mais il jouaitmachinalement avec mon éventail, il mequestionnait, souhaitant d'apprendre qui enavait peint les ornements, et il ne se hâtaitpoint de partir. Pendant ce temps, je demeuraisimmobile, la tête baissée ; je gardais mamanche pressée contre mon visage, de telle

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sorte que, ma poudre blanche s'attachant à monmanteau chinois, je devais avoir la figuretachetée.

L'Impératrice comprit probablement quej'étais, pour sûr, désolée de voir le Premiersous-secrétaire rester aussi longtemps près demoi. « Regardez ceci, lui dit-elle, en luimontrant un billet ; qui l'a écrit ? » Je meréjouissais, espérant qu'il allait me laisser ; maisil répondit : « Donnez-moi ce papier, je verrai. »Comme ma maîtresse le priait de venir auprèsd'elle, il répliqua : « Quand Shônagon tientquelqu'un, il ne s'en va pas. »

La plaisanterie était tout à fait dans le goûtmoderne, mais elle ne convenait ni à nos rangsni à nos âges respectifs ; j'étais fort mal à monaise. Cependant, l'Impératrice avait pris uncahier écrit par quelque dame en caractèrescursifs, et le regardait. « De qui peut être cetteécriture ? demanda le Sous-secrétaire ;montrez donc à cette dame633 : je pense qu'elleconnaît celle de tout le monde. » Il parlait ainsi,au hasard, simplement pour me faire répondre.

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Alors que je me trouvais si embarrassée enprésence d'un seul seigneur, un autre arriva,précédé par des coureurs, et vêtu, commeKorechika, d'un manteau de cour. Le deuxièmegentilhomme paraissait encore un peu plussplendide que le Sous-secrétaire d'État ; il disaitdes plaisanteries que les dames louaient, etdont elles s'amusaient en riant. « Et moi aussi,s'écriaient-elles, j'ai vu cette personne faire ceciou cela... » En les entendant parler ainsi descourtisans, je pensais qu'il devait s'agir defantômes ou d'anges descendus sur la terre ; etpourtant, plus tard, lorsque je fus accoutuméeau service du Palais et que les jours eurentpassé, je me suis dit qu'il n'y avait pas là de quoitant s'étonner. Sans doute les dames ellesmêmes que je voyais si peu gênées avaient-elles ressenti la même impression que moi,quand elles étaient arrivées au Palais, aprèsavoir quitté pour la première fois la maison deleurs parents, et pourtant, en faisant leurservice, elles avaient dû peu à peu s'y habituertout naturellement.

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L'Impératrice m'adressa quelques mots . etme demanda si je l'aimais vraiment. Jem'empressais de lui répondre « Commentpourrais-je ne pas vous aimer ? » quand,justement, quelqu'un éternua très fort du côtéde l'office. « Ah ! quelle triste chose ! s'écria SaMajesté ; c'est que vous me trompiez634 Bien...Bien... » puis elle entra dans la salle du fond.Comment aurais-je pu mentir ? Aurais-je,seulement, jamais pu et dire que je l'aimaispassablement ? Je songeais que le menteur,c'était le nez dont on avait entendu le bruit. Quidonc avait fait une chose aussi désagréable ?Généralement, cela me déplaît ; quand j'ai moi-même envie d'éternuer, je me retiens, et jerefoule mon souffle de toutes mes forces. Maisen un pareil moment, à plus forte raison, celame semblait détestable ; pourtant, commej'étais encore inexpérimentée, je ne sus riendire pour me disculper. Cependant le jour étaitvenu, et je me retirai dans notre chambre. Jevenais d'y arriver, quand on m'apporta unelettre élégamment écrite sur du papier fin, vert

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clair. J'y lus ces mots : « Voici la pensée de l'Impératrice :« Comment donc,Comment aurais je puDistinguer le vrai du faux,S'il n'y avait au ciel le dieu Tadasu,Qui reconnaît la fausseté dissimulée635 ? » A la fois charmée, désolée, j'étais hors de

moi, et j'aurais voulu retrouver la personne quiavait éternué la nuit précédente. Je dis à lamessagère :

« Si mon amour pour l'Impératrice était peuprofond,

L a chose n'aurait rien à voir à cetéternuement ;

Mais il est désolant que je connaisseUn sort misérableA cause d'un nez qui fait du bruit. « Veuillez répéter seulement cela à Sa

Majesté, plus correctement que je ne vous ledis. Il faut toujours craindre la malédiction dudieu de Shiki636 . »

Même après avoir envoyé cette réponse, je

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me demandais encore, avec surprise, commentcet éternuement avait pu se produire juste àl'instant qu'il devait être le plus inopportun.

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90. Gens qui ont un air de suffisance Celui qui éternue le premier, le matin du jour

de l'an637 .La mine de l'homme qui a fait parvenir au

poste envié l'enfant qu'il chérit, alors que denombreux chambellans étaient en concurrence.

Celui qui obtient le meilleur poste de l'année,quand sont nommés les gouverneurs deprovince, montre un visage triomphant, encorequ'il réponde : « Quoi donc ! C'est pour moi uneétrange disgrâce ! » aux gens qui le félicitent etlui disent : « Vous avez été d'une habiletéremarquable, et vous voilà un personnage. »

Et aussi celui qu'un seigneur a choisi pourgendre, parmi de nombreux rivaux, doit se dire: « Moi... »

L'exorciste qui a chassé un démon opiniâtre.Au jeu de la rime cachée638 celui qui, tout de

suite, devine quel est le caractère et le faitdécouvrir.

Lors du concours de tir au petit arc, dans l'undes camps un homme tousse, il est distrait, il

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s'agite ; mais il domine son impatience, et saflèche part en ronflant bruyamment. S'il atteintle but, quel air de triomphe !

Au jeu de dames, un joueur cupide ne prendpas garde que la position des pions, dans unendroit du damier, lui assure déjà l'avantage, etil va brouiller le jeu ailleurs. Cependant, c'est del'autre côté, quand il ne reste plus une case,qu'il prend à son adversaire bon nombre depions et les ramasse. N'est-ce pas splendide ? Ilsourit d'un air fanfaron, il est plus fier de songain que d'une victoire ordinaire.

Celui qui devient gouverneur de provinceaprès avoir longtemps attendu semble radieux.Autrefois vassal de peu d'importance, il pensait,quand on s'oubliait jusqu'à le traiter avecimpolitesse et dédain, que c'était fâcheux ; maisil songeait aussi qu'il n'y pouvait rien et,prenant patience, il laissait les jours s'écouler.Pourtant, maintenant, quand on voit les gensqui étaient ses supérieurs lui témoigner durespect et le flatter en lui disant : « Je vousobéirai en tout », on se demande s'il a été

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naguère ce vassal. Voici qu'il a des femmes àson service ; du jour au lendemain, il possèdedes meubles et se pare de somptueux habitsqu'on ne lui connaissait pas.

Et lorsque cet homme qui a été faitgouverneur de province devient capitaine de lagarde du corps ! Il est altier, il a l'airtriomphant, il semble extraordinairement ravi,plus même que ne le serait un jeune homme,noble de naissance, nommé à ce grade.

Une haute fonction est bien encore ce qu'il ya de plus superbe. Quoiqu'un certain hommefût autrefois le même qu'aujourd'hui, on ledédaignait, sans se gêner, alors qu'il était nobledu cinquième rang ou qu'il occupait le poste degentilhomme de la chambre ; mais quand il estdevenu deuxième sous secrétaire d'État, oupremier sous-secrétaire, ou ministre, on nepeut s'empêcher d'être absolument pénétré derespect devant lui. Ah ! rien ne saurait vousfaire ressentir une plus forte impression ! Étantdonné la place qu'il possède, un préfet doitparaître aussi bien imposant. Quand, après

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a v o i r administré successivement denombreuses provinces, il est nommé parexemple sous-gouverneur de Kyûshû, quand ilatteint le quatrième rang, et qu'il peut aller depair avec les hauts dignitaires, c'est unpersonnage considérable. Cependant aprèstout, comme cet homme est alors vieux, celav aut - il quelque chose ? Et puis, y a-t-ilbeaucoup de gens qui parviennent à ceshonneurs ? Les femmes d'une conditionm oy e nne semblent estimer que c'est unbonheur, pour l'une d'elles, de s'éloigner de lacapitale, mariée à un gouverneur de province. Ilest superbe, quand on est la fille d'un dignitaireordinaire, de devenir impératrice639 . Pourtant,lorsqu'un homme s'élève de lui-même, c'estencore plus magnifique. Et quel air triomphantil a !

Quand passe un prêtre, un des bonzes duPalais, lui trouve-t-on rien de remarquable ?Même s'il lit avec ferveur les Écritures, et s'il aune mine agréable, les femmes le dédaignent, etc'est vraiment pénible. Mais que celui qui était

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ainsi méprisé devienne évêque ou archevêque,est-il rien qui ressemble à la façon dont lesgens, l'esprit troublé, croyant voir en luil'apparition d'un Bouddha, le révèrent ?

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91. Le vent

La tempête.L'ouragan qui dessèche les arbres, en

automne et en hiver. Au troisième mois, la brisequi souffle doucement le soir au crépuscule,annonçant la pluie, me charme le cœur.

Le vent mêlé de pluie qui souffle au huitièmeet au neuvième mois m'émeut aussi beaucoup.L'averse raie le ciel de traits obliques ; il estamusant de voir les gens mettre par-dessusleur vêtement non doublé, de soie raide, l'habitouaté qu'ils ont porté tout l'été, auquel la sueur,en séchant, a laissé son odeur. Quand vient lemoment où l'on voudrait ôter même levêtement de soie raide, qu'on trouve tropchaud, il est curieux de se demander quanddonc on a pu avoir besoin de se couvrir ainsi.

A l'aube, quand les fenêtres de treillis et lesportes à deux battants sont ouvertes, toutesgrandes, la rafale entre soudainement, et vouspoint le visage. C'est ravissant.

Vers la fin du neuvième mois et le début dudixième, le ciel est couvert de nuages, le vent

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souffle très fort ; les feuilles . jaunies des arbresse répandent et font en tombant le même bruitque la pluie : « horo-horo ». C'est d'unemélancolie délicieuse. Ce sont surtout lesfeuilles du cerisier, de l'aphananthe640 , quitombent en abondance. Quand vient le dixièmemois, les jardins où il y a beaucoup d'arbressont superbes.

En automne, le lendemain d'un jour où latempête a fait rage, on ressent une étrangeimpression de tristesse. Les clôtures à claire-voie, faites de bambous, les paraventsextérieurs sont renversés les uns à côté desautres, et l'aspect du jardin est pitoyable. Onest déjà peiné en voyant un grand arbre abattu,dont le vent a rompu les branches. Mais quelledouloureuse surprise, lorsqu'on s'aperçoitqu'après avoir oscillé, il s'est couché, tout de sonlong, sur les lespédèzes et les valérianes !

Quant le vent, tout à coup, pénètre dans lesmaisons, par les interstices des fenêtres entreillis, finement tamisé comme si les lattes deces fenêtres avaient été disposées à dessein, on

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ne peut croire que ce soit là ce même vent quisoufflait en tempête.

Un matin, je vis une femme vraiment jolie,

d'une beauté qui se passait d'artifices, se glisserhors de l'appartement central, et sortir un peusur la terrasse, en se regardant dans un miroir.Elle portait un vêtement écarlate très foncé, àla surface délustrée, avec, par-dessus, unmanteau de tissu couleur de feuille morte, et unautre d'étoffe très légère. Le fracas de latempête l'ayant empêchée de dormir pendantla nuit, elle avait fait la grasse matinée, ellevenait de s'éveiller641 . Il était vraimentravissant de voir retomber sur ses épaules sachevelure que le vent, soufflant au hasard,dérangeait et gonflait légèrement.

Pendant qu'elle contemplait l'aspect désolédu jardin, arriva une jeune fille qui pouvaitavoir dix-sept ou dix-huit ans. Celle-ci n'étaitpas petite ; mais, en la considérant, on n'auraitpu dire, à la réflexion, que c'était déjà unefemme. Elle avait une tunique non doublée, de

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soie raide, dont la couleur bleu foncé semblaitfanée, et qui était toute déchirée et mouillée,sous un vêtement de nuit violet clair. Sescheveux, égalisés à l'extrémité comme lesroseaux dans la plaine, étaient aussi longsqu'elle était grande, et retombaient librementsur la traîne de son vêtement, par le côtéduquel on apercevait sa jupe, la seule pièceneuve et brillante de son costume.

Dans le jardin, une petite servanteramassait, pour les entasser, les plantes et lesarbustes que le vent avait déracinés, et brisés,ou bien elle les relevait et essayait de lesr edr esser . Une dame qui l'accompagnaitregardait cela d'un air d'envie, en se demandantcomment faire pour se joindre à ces jeux ; elleaussi était amusante à observer, pour moi qui lavoyais par-derrière.

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92. Choses charmantes A travers la cloison, m'arrive le bruit faible

d'une voix qui n'est sûrement pas celle d'uneservante. En voici justement une qui répondd'une voix juvénile, et semble s'approcher avecun bruissement d'étoffes. Peut-être est-iltemps qu'elle serve le repas.

J'entends résonner les baguettes et la cuillerqui s'entrechoquent ; ou bien le bruit que fait enretombant l'anse du vase où l'on met le vin deriz vient frapper mon oreille.

Avec de jolis vêtements d'étoffe foulée, descheveux qui, sans être en désordre, serépandent sur les épaules.

Le soir, dans une salle superbement ornée,on n'a pas apporté la lampe de la chambre ;mais un feu ardent brûle dans le brasierrectangulaire ; sa clarté fait luire les cordons del'écran, et briller distinctement les crochets quiservent à maintenir relevé le store à tête.

Il est charmant de voir apparaître, éclairépar le feu qu'on ranime parmi les fines cendres,

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dans un élégant brasier, un dessin habilementfait642 .

Ou encore de voir très distinctement lesbaguettes qui servent à remuer le feu, mises encroix l'une sur l'autre.

Très tard dans la nuit, après que tout lemonde s'est endormi, quelques courtisanscontinuent cependant à causer dehors, e t l'onentend, dans la pièce du fond, le bruit répétédes pions que les joueurs de dames remettentdans leur boîte. C'est délicieux.

Une lumière allumée sur la véranda.J'entends du bruit à travers la, cloison ; c'est

un homme qui est venu voir en secret une desdames, ils m'ont réveillée au milieu de la nuit.J'écoute ; mais je ne puis distinguer leursparoles ; le galant rit tout bas, et je medemande, amusée, ce que les deux amispeuvent bien se dire.

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93. Iles L'île d'Uki. Les Quatre-vingts îles. L'île de

Taware. Celles de Mizushima, de Matsu-ga-ura, de Magaki, de Toyora, de Tado.

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94. Plages Les plages de Soto, de Fukiage. La longue

plage643 . Les plages d'Uchide, de Moroyose, deChisato644 . Je m'imagine que la dernière esttrès vaste.

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95. Baies Les baies d'Ou, de Shiogama645 . de Shiga,

de Nataka, de Korizuma, de Waka.

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96. Temples bouddhiques Les temples de Tsubosaka, de Kasagi, de

Hôri.Quand je songe au temple de Kôya, je me

rappelle avec émotion que Kôbô-daishi646

autrefois y vécut. Les temples d'Ishiyama, de Kokawa, de

Shiga.

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97. Les Saintes Écritures Le Livre où est glorifié le lotus de la Loi ; il va

sans dire qu'on doit le mentionner. Le Livre des mille mains.Les Dix prières de Fugen647 .Le Livre de la demande.La Formule magique du Vénérable et,

victorieux. Le Grand charme d'Amida.La Formule magique des mille mains.

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98. Écrits Le Recueil des poésies qu'a laissées Haku

Rakuten648 .L'Anthologie chinoise649 . Un placet rédigé par un docteur en

littérature.

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99. Bouddhas La « Toute-Puissante »650 , désolée par ce

qu'elle voit dans le cœur des hommes, restepensive, la tête appuyée sur sa main. En lacontemplant, on est pénétré d'une émotion sanspareille, et rempli de confusion.

La Déesse aux mille mains, et tous les sixaspects de Kwannon651 .

Le vénérable Fudô652 . Le BouddhaYakushi653 . Shaka654 . Miroku655 . Fugen.Jizô656 .

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100. Contes657

Le « Conte de Sumiyoshi ». Le « Conte du

creux » et les romans du même genre. « Lechangement de palais. » « La femme qui attendla lune. » « Le lieutenant de Katano. » « Lelieutenant du Palais des pruniers. » « Les yeuxdes gens. » « L'abandon du pays. » « Les arbresensevelis. » « La branche de pin qui encourageà progresser dans la Voie du Bouddha. »

Dans le « Conte de Komano », j'aime lepassage où l'on voit, le héros s'en aller aprèsavoir offert seulement un vieil éventail chauve-souris.

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101. Landes

Naturellement, je citerai la lande de Saga.Les landes d'Inabi, de Kata, de Koma,

d'Awazu, de Tobuhi, tic Shimeji. Sans le vouloir, on est amusé par le nom de

la lande de Sôke658 . Pourquoi donc l'aura-t-onappelée ainsi ?

Les landes d'Abe, de Miyagi, de Kasuga, deMurasaki.

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102. Formules magiques

Celle que l'on dit à l'aurore.

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103. La lecture des Saintes Écritures Celle que l'on fait le soir, au crépuscule.

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104. Divertissements Le meilleur moment, pour un concert, c'est la

nuit, quand on ne voit pas le visage des gens.Parmi les jeux, celui de la balle au pied est

amusant aussi659 , bien qu'il ne soit pasagréable à regarder !

Le tir au petit arc. Le jeu de la rime cachée.Le jeu de dames.

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105. Danses La « danse de Suruga », celle de « l'enfant

qui cherche ».Bien qu'il ne soit pas joli, le « ballet de

l'arrogance » est très amusant. Les grandssabres que portent les artistes me déplaisent ;et pourtant, j'aime beaucoup cette danse, carj'ai entendu dire qu'en Chine, des ennemisl'auraient exécuter ensemble660 .

La « danse des oiseaux661 ». Dans la « danse de la tête tirée662 », les

acteurs ont les cheveux épars et font des yeuxeffrayants ; mais la musique ne laisse pas d'êtrefort belle.

J'aime la façon dont les deux danseurs, dansle « pas de l'accroupissement », sautent enfrappant le sol du genou.

La danse à la coréenne.

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106. Instruments à cordes La guitare, la harpe à treize cordes.

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107. Mélodies L'air du « Parfum de la brise ».L'air de la « Cloche jaune ».La fin663 de l'air des « Parfums ressuscités

».La mélodie appelée « Le gazouillis du

rossignol ». L'air du « Lotus du ministre664 ».

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108. Flûtes

Le son de la flûte traversière est très joli. Il

semble ravissant quand on l'entend dans lelointain, et qu'il se rapproche peu à peu, ou bienaussi quand on l'écoute d'abord tout près, etqu'il s'affaiblit jusqu'à devenir indistinct, àmesure qu'il s'éloigne.

Qu'il soit en voiture, à pied, ou à cheval, ungentilhomme a toujours une flûte glissée dansson sein ; mais personne ne la voit. Je ne saisrien d'aussi charmant.

Il est surtout très agréable d'entendre unemélodie que l'on connaît déjà ; et il est délicieuxencore d'apercevoir, près de son chevet, la flûteoubliée à l'aurore par l'ami qui vous a renduvisite. Quand un galant, après avoir laissé saflûte chez une dame, a dépêché près d'elle unserviteur, elle lui renvoie cette flûte enveloppée; le paquet ressemble tout à fait à une « lettretordue ».

La musique de l'orgue à bouche paraîtmerveilleuse. On aime à l'écouter, par exemple,

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lorsqu'on se promène en voiture au clair delune. Cependant, l'instrument est encombrantet la manière dont on s'en sert est déplaisante.Quelle figure a celui qui en joue ! Mais à cepropos, il faut dire qu'avec la flûte traversière,également, il y a bien des façons de souffler quin'embellissent pas toujours le musicien.

Le son du flageolet est très fatigant ; et si jele compare à la musique des insectes àl'automne, je trouve qu'il ressemble à celle quefait le« criquet à mors ». Il est désagréable, etl'on ne souhaite pas l'entendre de près. A plusforte raison, le flageolet est-il détestable quandl'artiste joue mal. Je me rappelle pourtant lejour de la fête spéciale, à Kamo. Alors que lesmusiciens n'étaient pas encore arrivés tout àfait devant l'Empereur, et qu'on ne les voyaitpas, ils se mirent à jouer, merveilleusement, dela flûte traversière. On se récriait quand, versle milieu du morceau, les flageolets se joignantaux flûtes, le son s'enfla de telle sorte quetoutes les dames, même celles qui justements'étaient coiffées avec un soin extrême,

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sentirent leurs cheveux se dresser. Peu à peules harpes et les flûtes s'unirent, et la troupedes musiciens et des danseurs arriva devant SaMajesté. C'était ravissant.

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109. Choses à voir Le cortège de l'Empereur, quand il sort de

son palais.La procession qui revient après la fête de

Kamo665 .Le pèlerinage que fait le Maire du palais à

Kamo, la veille de la fête.La fête spéciale de Kamo666 .Il me souvient d'une de ces fêtes. Ce jour-là,

le ciel était couvert, le temps paraissait froid, etla neige se mit à tomber en légers floconstourbillonnants. Il était ravissant, plus que je nesaurais dire, de la voir répandue sur les fleursdes cheveux667 et sur les vêtements ornés dedessins imprimés en bleu. On voyaitdistinctement les fourreaux des grands sabres ;m a is bien qu'ils fussent noirs et seulementtachetés de blanc par la neige, ils paraissaienttout blancs ; et l'on aurait pu croire qu'on avaitfait briller les cordons qui pendaient des giletssans manches. Sortant des pantalons blancs,ornés d'impressions bleues, apparaissait l'étoffe

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foulée des vêtements de dessous, si brillanteque l'on s'étonnait en se demandant si c'était dela glace. Tout semblait superbe, et l'on auraitvoulu voir, encore un moment, défiler beaucoupde danseurs ; mais quand ce fut le tour desenvoyés impériaux, nous les trouvâmesdéplaisants, et nous ne fîmes guère attention àeux. Pourtant, comme les fleurs de glycinequ'ils avaient sur la tête retombaient et leurcachaient le visage, on pouvait leur trouver del'agrément.

Pendant que nous suivions du regard leshommes qui étaient déjà passés, vinrent lesmusiciens qui devaient jouer pendant lesdanses. Ceux-ci, d'un rang moins élevé,n'avaient aucune belle apparence avec leursvêtements de dessous, couleur de saule, et lesfleurs de kerrie qu'ils avaient fichées dans leurscheveux ; mais nous fûmes charmées de lesentendre chanter « Le cordon fait avec l'écorcedu mûrier, que l'on voit dans le sanctuaire deKamo668 », en battant la mesure, très fort,avec leurs éventails.

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Est-il rien qui soit comparable au cortège de

l'Empereur quand il sort de son Palais ? En levoyant monter dans son palanquin, j'oublie queje suis matin et soir auprès de lui, et je luitrouve la majesté d'un dieu.

Des personnes qui d'habitude ont desfonctions insignifiantes, même les dames ducinquième rang qui accompagnent le Souverainà cheval, me paraissent des personnagesconsidérables, des êtres surnaturels.

Il est superbe de voir les sous-chefs duservice des gardes qui tiennent les cordons dupalanquin, et les capitaines et lieutenants de lagarde du corps qui ouvrent la marche.

La procession, au retour de Kamo, après la

fête, fut merveilleusement belle. La veille669 ,tout avait été splendide. Sur la grand-route dela Première avenue, large et nette, où lesrayons brûlants du soleil nous éblouissaient enpénétrant dans les voitures, nous avionsattendu si longtemps l'arrivée du cortège, en

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nous protégeant avec nos éventails, et enchangeant à tout moment de place sur nossièges, que nos visages se mouillaient d'unesueur disgracieuse. Malgré cela, le jour oùrevint la procession, nous partîmes de trèsbonne heure. Nous vîmes des voitures arrêtéesprès des Temples Urin-in et Chisoku-in. Lesguirlandes de roses trémières qui les ornaientétaient fanées. Bien que le soleil fût déjà levé, leciel était encore couvert, et des coucous semirent à chanter. Leur voix résonnait très fort ;en les écoutant, je pensais qu'il y avaitpeut-être là beaucoup de ces coucous dontj'avais attendu bien des fois le chant, la nuit,alors que je m'éveillais et me levais, ne sachantcomment je pourrais faire pour les entendre !

Comme j'admirais leur chant, un rossignol yjoignit le sien. Sa voix paraissait voilée, on eûtdit qu'il voulait contrefaire les coucous. C'étaitdésagréable, et pourtant c'était amusant aussi.

Pendant que nous restions là, impatientes,nous aperçûmes une troupe de gens vêtusd'habits rouges qui semblaient venir du

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sanctuaire. Nous leur criâmes : « Qu'y a-t-il ?Est-ce l'heure ? » Ils nous répondirent que l'onne savait pas encore à quel moment laprocession passerait, puis ils s'éloignèrent enemportant le palanquin et la chaise àporteurs67 0 .

J'étais charmée en songeant que la Princesseconsacrée montait dans ce palanquin ; mais jeme demandais avec effroi comment deshommes aussi vulgaires que ces laquaispouvaient l'approcher pour la servir. Nousn'avions pas attendu aussi longtemps que cesgens nous l'avaient fait craindre, quand laPrincesse revint du temple supérieur. Les rosestrémières, d'abord, et les costumes « vert etfeuille morte » formaient un superbe tableau.Cependant les musiciens, des gens appartenantau service des chambellans, avaient légèrementrabattu leur vêtement de dessous, blanc, surleur habit de dessus, vert-jaune ; on aurait puse croire devant une haie fleurie de deutzies, etl'on eût pensé que le coucou devait se cacherdans son ombre.

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La veille, nous avions vu les jeunesgentilshommes, nombreux dans la mêmevoiture, vêtus de manteaux de cour violets, oud'habits de chasse, en désordre, qui avaient ôtéles rideaux de leur véhicule, et semblaient avoirperdu l'esprit ; mais ce jour-là, pour assister enqualité de convives extraordinaires au festinqui avait lieu au Palais de la Princesseconsacrée, ces jeunes seigneurs avaient mis desplendides habits de cérémonie. Graves, ilspassaient, chacun dans une voiture, derrièrelaquelle était monté un petit page, ravissant luiaussi.

Quand le cortège se fut écoulé, il y eut ungrand trouble, et je me demandai pourquoi cetumulte. Chacun voulait s'en aller le premier ;et tous partirent avec tant de hâte que jem'effrayai du danger. Je sortis mon éventail dela voiture pour appeler les hommes d'escorte,et je leur ordonnai : « N'allez pas si vite, faitesmarcher le bœuf à une allure plus calme. » Maisils ne tinrent pas compte de mes observations,et n'en pouvant plus, je les forçai d'arrêter dans

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un endroit où la route était plus large. Dans leurimpatience, ils trouvaient cela détestable. Ilétait pourtant bien amusant de regarder leséquipages rivaliser de vitesse. Nous repartîmesaprès avoir laissé toutes ces voitures prendreune bonne avance. La route me faisait penser àl'un des chemins qui mènent aux villages, dansla montagne, et son charme me prenait le cœur.Des haies de deutzies, à l'aspect sauvage etbroussailleux, sortaient de nombreusesbranches dont les fleurs n'étaient pas encorecomplètement épanouies, mais qui semblaientcouvertes de boutons. Je fis cueillir quelquesrameaux, on les planta çà et là dans les storesde la voiture. C'était joli, bien que,malheureusement, les guirlandes qui ornaientcette voiture fussent fanées.

Comme j'observais, au loin, la route devantnous, il me sembla d'abord que toute la foule nepourrait pas passer ; mais à mesure que nousapprochions, je voyais qu'un pareilencombrement ne se produisait pas, et j'enétais bien contente.

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La voiture d'un homme (je ne sais qui c'était)suivait la mienne de très près ; je la regardais,plus heureuse que si personne n'avait été là. jefus charmée aussi quand cet homme dit, à uncarrefour où les deux équipages se séparèrent :« On se quitte à la cime67 1 . »

Au cinquième mois, il est très agréable d'aller

à quelque village dans la montagne. Les mares d'eau semblent en vérité de

simples taches toutes vertes, car leur surfaceest envahie par d'abondantes herbes qui nelaissent rien voir67 2 . Mais quand on passelentement, tout droit à travers ces mares, l'eautransparente qui était cachée rejaillit, bienqu'elle ne soit pas très profonde, sous les pasdes gens. C'est très joli.

Quand les rameaux des haies qui bordent lechemin à gauche et à droite s'accrochent à lavoiture, à l'intérieur de laquelle ils pénètrent,on pense qu'on va bien vite les saisir et lescueillir ; mais soudain ils s'échappent, et l'onregrette d'être déjà trop loin.

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Une tige d'armoise, écrasée par la voiture,s'est prise dans la roue qui l'élève à chaque tour; le parfum qu'elle répand alors, tout près despersonnes qui sont dans le véhicule, est aussiune chose délicieuse.

Au plus fort de l'été, à l'heure où l'on prend lefrais, le soir, quand la forme des choses devientincertaine, il n'est pas besoin de dire combienj'aime à regarder les équipages des seigneurs,précédés de coureurs qui font écarter tout lemonde.

On voit aussi des voitures dans lesquellessont montés un ou deux hommes d'un rangordinaire ; ils ont relevé les stores de derrière,et quand ils passent en faisant courir leursbœufs, on croit ressentir une impression defraîcheur. A plus forte raison, si j'entendsrésonner la guitare ou la flûte à l'intérieur deces voitures, j'ai du regret lorsqu'elless'éloignent. A ce moment, m'arrive l'odeur qu'alaissée la croupière des bœufs, et bien qu'ellesoit étrange, et qu'on n'y soit pas habitué, j'aimecette odeur. C'est insensé !

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Quand, dans la nuit noire, la fumée destorches que l'on porte, allumées, en tête d'uncortège, répand un parfum qui vient embaumerles voitures, derrière, c'est très agréable aussi.

Les acores que l'on voit depuis le cinquièmejour67 3 du cinquième mois, et qui ont duré toutl'automne et tout l'hiver, sont extrêmementpâles et desséchés. Ils sont laids ; mais ilsgardent encore un peu du parfum qu'ils avaientle jour de la fête, et quand on les brise en lesprenant, cette légère senteur se répand dansl'air. C'est merveilleux.

On avait parfumé convenablement deshabits en brûlant de l'encens, on les avaitrangés ; mais un jour ayant passé, puis lelendemain, le surlendemain et bien des joursencore, on les avait complètement oubliés. Voilàpourtant qu'on tire ces vêtements des coffres,et qu'on les endosse. La faible odeur qu'ils ontgardée semble plus délicieuse que l'arôme deshabits parfumés tout à l'heure.

Quand, lors d'une promenade en voiture, ontraverse une rivière à gué, par un beau clair de

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lune, il est ravissant de voir la surface de l'eause briser comme du cristal sous les pas dubœuf; et mille gouttelettes s'éparpiller.

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110. Choses qui sont bonnes quand ellessont grandes

Les bonzes, les fruits, les maisons, les sacs à

provisions, les bâtonnets d'encre qui garnissentl'écritoire.

Les yeux des hommes. Quand ils sont petits,on dirait des yeux de femme ; mais, d'autrepart, s'ils paraissaient aussi gros qu'une cruchede métal, ils seraient effrayants.

Les brasiers ronds, les coquerets, les pins, lespétales de kerrie.

Parmi les chevaux comme parmi les bœufs, ilsemble que les plus grands soient les plusbeaux.

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111. Choses qui doivent être courtes Le fil pour coudre quelque chose dont on a

besoin tout de suite. Un piédestal de lampe.Les cheveux d'une femme de basse

condition. Il est bon qu'ils soient gracieusementcoupés court.

Ce que dit une jeune fille.

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112. Choses qui sont à propos dans unemaison

La cuisine.La salle où se tiennent les gens qui forment

la suite du maître.Un balai neuf.De petites tables carrées.De jeunes servantes, des serviteurs.Un paravent d'une seule feuille.Un écran de trois pieds.Un sac à provisions bien décoré.Un parapluie.Un tableau noir où l'on note ce que l'on a

peur d'oublier67 4 .De petites armoires à étages.Les vases pour verser le vin de riz et pour le

faire chauffer.Une table de hauteur moyenne.Un coussin rond, garni de paille.Un corridor coudé à angle droit.Un brasier rond, orné d'un dessin67 5 . Un jour, comme j'allais à quelque endroit, je

rencontrai un homme bien fait qui portait une «

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lettre tordue » toute fine. Il marchait en sehâtant, et je me demandais où il pouvait serendre.

Une autre fois, j'aperçus de gracieuses jeunesfilles vêtues de gilets qui n'étaient pas très nets,et qui semblaient fanés. Leurs chaussuresbrillaient, mais les courroies en étaient souilléesd'une boue abondante. Elles allaient, portantdes objets enveloppés de papier blanc, ou biendes cahiers qu'elles avaient mis dans descouvercles de boite. J'étais ravie de les voir, etj'aurais voulu les faire approcher pour lesregarder à mon aise. Cependant, commej'appelais, pour la faire entrer, une de ces jeunesfilles, qui passait tout près devant la grandeporte, elle se montra fort peu aimable, ets'éloigna sans me répondre. On juge, d'aprèscela, comment pouvait être la personne quiavait cette fille à son service.

Le cortège de l'Empereur, quand il sort de

son palais, est une chose superbe ; mais onressent une impression un peu triste en voyant

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les hauts dignitaires et les jeunes seigneursmarcher à pied, sans voiture.

La personne qui, voulant assister à quelque

spectacle, arrive dans un véhicule pitoyable,grossièrement décoré, me déplaît plus que tout.Passe encore pour aller à un sermon, puisqu'ony va pour effacer ses péchés ; pourtant, mêmedans ce cas, une telle inélégance ne manque pasde faire, si elle est exagérée, un effetdésagréable.

A plus forte raison, ne devrait-on pas voirpareille chose à la fête de Kamo. Sans doute ya-t-il cependant des personnes qui s'y rendentdans des voitures dépourvues de rideauxintérieurs, et qui accrochent, à la place de cesrideaux, leurs vêtements blancs, non doublés,qu'elles laissent pendre.

Déjà, lorsqu'on a fait apprêter soigneusementvoiture et rideaux intérieurs en pensant qu'il lefallait ce jour-là, et que l'on est parti, espérantque ce ne serait pas trop laid, on se demande, sil'on aperçoit un char plus joli que celui où l'on se

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trouve, pour quoi faire cette autre voiture estvenue là ! Ce serait encore bien pis si l'on étaitdans un véhicule disgracieux ; de quel œilregarderait-on, alors, un élégant équipage ?

Comme une dame sent battre son cœur, à lafête de Kamo, lorsqu'elle voit un des charsoccupés par les jeunes princes, qui vont etviennent sur la route, se frayer un passageparmi les autres, puis se mettre à côté du sien !

Une fois, le jour de cette fête, comme jevoulais faire arrêter mon char dans un endroitd'où je pusse bien voir le cortège, j'avais pressémes gens et j'étais partie de bonne heure. Il mefallut donc attendre très longtemps ; jem'étalais dans la voiture, je me levais ; maisalors que j'étais lasse de demeurer là, tellementla chaleur m'incommodait67 6 , j'aperçus, enregardant vers le Palais de la Princesseconsacrée, des courtisans, convivesextraordinaires au festin offert dans ce palais,des hommes appartenant au service deschambellans, des censeurs, des « troisièmessous-secrétaires d'État » et d'autres encore.

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T ous ces gens venaient en sept ou huit charsqui se suivaient sans interruption, et dont onfaisait courir les bœufs. Je m'étonnais en voyantque la procession arrivait, et je fus toutejoyeuse.

Les courtisans firent porter des ordres, ilscommandèrent qu'on donnât à manger du riztrempé aux hommes qui formaient la tête ducortège. Ceux-ci firent approcher leurs chevauxdes galeries, et, de ces tribunes, il descendit desserviteurs qui vinrent tenir par la bride lesmontures des jeunes gens à la mode pendantque ces derniers mangeaient. C'était une scèneravissante ; mais je me sentis peinée enobservant que personne n'accordait un regard àceux qui n'étaient pas aussi élégants que cesjeunes seigneurs. Ce qui m'amusa encore, ce futde voir les gens qui avaient tous baissé lesstores de leurs véhicules, pendant que passaitle palanquin de la Princesse consacrée, lesrelever précipitamment dès qu'il se fut éloigné.

Comme une voiture venait se mettre devantla mienne, j'adressai d'énergiques

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remontrances aux serviteurs qui l'escortaient ;mais ils la firent arrêter malgré moi en disant :« Et pourquoi ne pourrait-on pas rester ici ? »J'étais embarrée, pour leur répondre, etj'ordonnai à une suivante d'aller avertir lapersonne qui se trouvait dans cette voiture.Quelle chose plaisante !

En voyant arriver, dans un endroit où lesvéhicules étaient déjà serrés les uns contre lesautres, des voitures occupées p a r despersonnages de marque, et, derrière celles-ci,les voitures de leurs serviteurs, trèsnombreuses, je me demandai, où elles iraient secaser toutes. Mais, à ce moment, les hommes,.en tête du cortège, sautèrent à bas de cheval, etfirent reculer bien vite celles qui étaientarrêtées. Il était superbe d'admirer la rapiditéavec laquelle on plaçait les chars des seigneurset, à leur suite, ceux des valets. Mais comme lescarrioles de peu d'apparence que l'on avait ainsiécartées semblaient pitoyables, pendant qu'ony attelait les bœufs, et qu'elles partaient pouraller chercher où se placer !

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On ne pouvait pas être aussi brutal quand ils'agissait de superbes voitures. Parmi toutescelles qui se pressaient il en était de très jolies ;mais il s'en trouvait d'autres qui avaient un aircampagnard, étrange. Les personnes qui lesoccup a ie nt appelaient sans cesse leursservantes et leur donnaient des bébés à tenir.

Un jour, j'entendis que l'on disait : « Unhomme, qui n'avais aucune raison d'y venir, aété vu dans le corridor. Il s'enfuyait à l'aube, etse cachait sous un parapluie que tenait uneservante. » J'écoutai d'abord touttranquillement, mais bientôt je m'avisai qu'il s'agissait d'un ami dont j'avais reçu la visite.Sans doute, celui-ci n'était pas un de cescourtisans qui sont admis en la présence del'Empereur ; mais il méritait qu'on le regardât,et il ne semblait pas que ce fût un hommeauquel on ne pût permettre de venir près d'unedame. Je m'étonnais que l'on eût parlé commeon avait fait, quand quelqu'un m'apporta unelettre de l'Impératrice, et dit qu'il me fallaitrépondre à l'instant. Impatiente de savoir ce

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qu'avait écrit ma maîtresse, j'ouvris la missive,je vis représenté un grand parapluie. Onn'apercevait rien de la personne qu'il abritait,sauf une main qui tenait ce parapluie ; et sous ledessin étaient ces lignes :

« Depuis que l'auroreS'est allumée à la crêteDe la Montagne des trois parapluies677 . » Comme l'Impératrice prenait grand intérêt à

tout ce qui nous concernait, même aux chosesles plus insignifiantes, je me demandaiscomment je pourrais faire pour qu'ellen'entendît pas ces bavardages désagréables quime remplissaient de confusion, et voilà que cefaux bruit lui était arrivé67 8 !

J'en étais peinée ; cependant je trouvais àl'histoire un côté plaisant, et dessinant, sur uneautre feuille de papier, de la pluie tombant àverse, j'écrivis au-dessous :

« Ah ! cette pluie, alors que le nom qui

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annonce qu'il ne pleut. pas A vieilli depuis si longtemps qu'on le répète ! Il doit ... y avoir, ainsi, des habits mouillés. » … s'agir d'une fausse accusation67 9 .

» J'envoyai ce billet à l'Impératrice, et Sa

Majesté, en racontant à Ukon, la fille d'honneur,ce qui s'était passé, daigna en rire.

C'était à l'époque680 où l'Impératrice

habitait au Palais de la Troisième avenue681 .On avait apporté un palanquin chargé d'acorespour la fête célébrée le cinquième jour ducinquième mois, et présenté à Sa Majesté des «boules contre les maladies ». Les jeunespersonnes, la Princesse de la Toilette682 etd'autres dames, ayant préparé de ces boules,les firent attacher par la Princesse Impériale etpar le jeune Prince683 aux habits des deuxenfants. Il était aussi arrivé, du dehors, d'autresboules très jolies.

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Dans un gracieux couvercle d'écritoire,j'étendis une mince feuille transparente depapier vert-jaune, sur laquelle je mis un gâteaude blé vert que l'on avait apporté, puis j'offris cegâteau à l'Impératrice en disant : « Voiciquelque chose qui a traversé la haie684 . »

Sa Majesté, déchirant le papier, en prit unmorceau sur quoi elle écrivit :

« Même le jourOù tous se hâtentA la recherche des fleursEt des papillons,Vous, vous connaissez mon cœur ! » Je fus ravie.Un soir, peu après le dixième jour du

dixième mois, comme il faisait un superbe clairde lune, quinze ou seize dames du Palaisdéclarèrent qu'elles allaient se promener et voirle paysage.

Toutes avaient des vêtements de dessusviolet foncé, sous lesquels leurs cheveux étaientcachés ; seule, la dame Chûnagon portait un

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habit empesé, de couleur écarlate, et avaitramené en avant, par-dessus son épaule, lescheveux qui retombaient sur sa nuque. « C'estridicule ! dirent les autres dames ; ah ! commeelle ressemble au capitaine porte-carquois685 !c'est tout à fait lui ! » Elles donnèrent à cettefemme le surnom de « capitaine porte-carquois». Cependant Chûnagon ne s'aperçut pas mêmeque ses compagnes restaient derrière elle etriaient.

Le Capitaine de la garde du corps, Narinobu,

était remarquable par la facilité avec laquelle ilreconnaissait la voix des gens. Quand on entendparler de nombreuses personnes réunies enquelque endroit, on ne peut absolument pas, sice sont des gens que l'on n'a pas l'habituded'entendre, distinguer leurs voix. Les hommes,en particulier, ne reconnaissent ni les voix ni lesécritures ; et pourtant, l'habileté avec laquelleNarinobu distinguait les voix, même celles despe r s onne s qui parlaient très bas, étaitmerveilleuse.

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Il n'est personne pour avoir l'oreille aussi fine

que le Directeur du Trésor686 . En vérité, ilaurait entendu tomber un cil de moustique !

A l'époque où je logeais dans une chambresituée vers la face orientale du palais où sont lesbureaux des fonctionnaires qui gouvernent laMaison de l'Impératrice, je conversais un jouravec le Lieutenant du quatrième rang, filsadoptif du Grand Seigneur687 , lorsqu'unepersonne qui était à côté de nous dit tout bas àce lieutenant : « Parlez-nous donc un peu despeintures que l'on voit sur les éventails ! » Maisje lui chuchotai : « Un moment, attendez que ceseigneur688 s'en aille ! » Alors que celui-làmême auquel je m'adressais n'avait pas saisi, etrépétait, tendant l'oreille : « Quoi donc, quoidonc ? », le Directeur du Trésor se mit à battredes mains et déclara : « C'est détestable !Puisque vous parlez ainsi, je ne m'en irai pasd'aujourd'hui. » Nous nous demandions,stupéfaits, comment il avait pu entendre.

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Quand j'aperçois un encrier malpropre,poudreux, un bâton d'encre que l'on a frottésans soin et usé d'un seul côté, cela me fait uneimpression désagréable. Je déteste égalementvoir une personne prendre, avec une pince debambou, un bâton d'encre qui a beaucoup servi.

On connaît le cœur d'une femme lorsqu'on aregardé son miroir ou son encrier ; il en est demême pour tous les objets dont elle se sert.Quand elle laisse s'accumuler la poussière dansl'écritoire, il n'est rien d'aussi déplaisant.

A plus forte raison, lorsqu'il s'agit d'unhomme, aime-t-on à voir sa table à écrireessuyée très proprement. Ce qui convient, sicet homme n'a pas une boîte renfermantplusieurs encriers, c'est une écritoire en deuxboîtes qui entrent l'une dans l'autre. Si alors lesdessins ornant ces boîtes laquées sont jolis, sansparaître pourtant trop recherchés ; si, encore,l'encrier et les pinceaux sont apprêtés de façonqu'ils attirent les regards, c'est ravissant.

Il est des gens qui se disent : « D'unemanière ou d'une autre, c'est aussi bien. » Ilsont une écritoire toute noire, dont le couvercles'est ébréché d'un côté en tombant ; ils y

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mettent à peine un peu d'encre, et versent desflots d'eau sur la poussière, si épaisse qu'onl'essuierait difficilement, semble-t-il, en unegénération. Le col de la jarre en grès bleu dontils font usage est cassé, à sa place on voitseulement un trou. Sans le moindre embarras,ils montrent à tous ces choses déplaisantes.

Quand on a pris l'écritoire d'un autre, pours'exercer à l'écriture689 ou pour faire unelettre, il doit être extrêmement désolant des'entendre dire : « Ne vous servez pas de cepinceau. » Si l'on pose tout de suite le pinceau,on semble gêné ; si l'on continue, c'estinconvenant. Les gens savent que telle est monopinion, et quand je regarde, sans un mot, unedame qui s'est emparée d'un de mes pinceaux,si c'est une de ces personnes qui n'ont pasmême une belle écriture, et qui cependantveulent toujours griffonner, elle prend un airbizarre, et, trempant dans l'encre un pinceauque l'usage a très bien durci, elle le laisses'imbiber abondamment. « Je veux envoyerceci à quelqu'un », dit-elle ; au hasard elle écritdeux ou trois mots en caractères syllabiques

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sur le couvercle d'une « longue boite », puis ellepose en travers de l'encrier, précipitamment, lepinceau dont la tête entre dans l'eau, et quibascule. C'est quelque chose de détestable ! Etcependant, le dira-t-on ?

C'est lamentable aussi lorsqu'on est devantune personne qui écrit, et qu'elle s'exclame : «Oh ! qu'il fait sombre ! Retirez-vous, s'il vousplaît, au fond de la chambre ! » Ou encorelorsqu'on regarde à la dérobée ce qu'écrit unepersonne et que celle-ci, s'apercevant de votreindiscrétion, s'étonne et vous fait des reproches.Assurément, cela n'arrive pas avec quelqu'unqui vous aime.

Bien qu'une lettre n'ait rien que l'on puisse

qualifier d'étrange, c'est pourtant une chosemagnifique. Alors qu'on pense avec anxiété àune personne qui se trouve dans une provinceéloignée, en se demandant comment elle peutaller, on reçoit d'elle un billet ; à le lire, onéprouve la même impression que si l'on sevoyait, tout à coup, en face de son amie. C'est

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merveilleux. Quand on a expédié une lettre à laquelle on a

confié ses pensées, on se sent l'esprit satisfait,même si l'on songe qu'elle pourrait bien nejamais arriver à destination. Comme j'aurais lecœur triste, et comme je me sentiraisoppressée, si les lettres n'existaient pas !

Lorsque, dans une lettre qu'on veut envoyerà quelque personne, on a écrit en détail toutesles choses que l'on avait en tête, c'est déjà uneconsolation, bien que l'arrivée de la missivepuisse être incertaine. Mais à plus forte raison,quand on reçoit une réponse, la joie que l'ongoûte semble capable d'allonger la vie ; envérité, il est sans doute raisonnable de le croire.

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113. Relais Les relais de Nashiwara, de Higure, de

Mochizuki, de Noguchi, de Yama. Je merappelais avoir entendu raconter, au sujet de cedernier, des faits intéressants, et, comme il s'enest produit d'autres, il est curieux d'en réunirles récits690 .

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114. Collines Les collines de Funaoka, de Kataoka.En ce qui concerne la colline de Tomooka691 ,

ce qui me charme, c'est qu'il y pousse de petitsbambous.

La colline de Katarai, celle de Hitomi.

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115. Sanctuaires shintoïstes

Les sanctuaires de Furu, d'Ikuta, de Tatsuta,

de Hanafuchi, de Mikuri. L'auguste sanctuaire du cryptomère692 . Il

est amusant de songer qu'on peut lereconnaître à ce signe693 .

Le dieu du sanctuaire de Koto-no-marna694

mérite bien que l'on s'y fie ; mais il est curieuxde penser qu'on ait pu dire, je crois, qu'ilexauçait trop facilement les prières.

Le dieu du sanctuaire d'Aridôshi695 .On rapporte que Tsurayuki, alors qu'il

passait près du temple de ce nom, s'aperçut queson cheval était malade. Le poète attribua cecontretemps à l'influence du dieu ; il composaune poésie qu'il lui offrit ; et l'on assure, chosetrès amusante, que le dieu cessa d'importunerle cheval et le cavalier. Le nom qu'on a donné àce sanctuaire est-il fondé sur quelque chose devrai ?

Il y avait autrefois, à ce que l'on raconte, un

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empereur696 qui n'aimait que les jeunes gens,et faisait mettre à mort quiconque avait atteintla quarantaine. Aussi toutes les personnesâgées allèrent-elles se cacher dans les provincesles plus éloignées ; on ne vit plus un vieillard àla capitale. Cependant, il y vivait un hommeparvenu au grade de capitaine, un desseigneurs les plus remarquables de l'époque,qui était doué d'un esprit subtil ; et cet officieravait son père et sa mère, âgés tous deux deprés de soixante-dix ans. Sachant que mêmeles personnes de quarante ans devaient quitterla ville, ces pauvres gens pensaient que leurpropre sort était encore plus effrayant, et lapeur leur bouleversait l'esprit. Mais le capitaineaimait beaucoup ses vieux parents, et leurassurait qu'il ne les laisserait jamais partir pouraller vivre au loin, car il ne pourrait rester unseul jour sans les voir. Travaillant en secretchaque nuit, il creusa le sol de sa maison et il ybâtit une demeure dans laquelle il installa sesparents ; il alla, ensuite, les voir régulièrement.Naturellement, il dit aux autorités, comme à

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tout le monde, que ses parents avaient disparu. Mais pourquoi donc tout cela ? Cet empereur

aurait bien mieux fait de ne pas s'occuper devieillards qui étaient d'âge à rester chez eux,loin des affaires publiques. Quelle pitoyablesiècle !

Le père dont il s'agit devait être, sans doute,un haut dignitaire ou quelqu'un de cette sorte,puisqu'il avait pour enfant un capitaine. Commeil était très habile et savait tout, son fils, malgrésa jeunesse, était aussi très intelligent et trèssage ; et l'empereur regardait cet officiercomme l'homme le plus distingué de ce temps-là.

Or, à cette époque, l'empereur de Chinerêvait de s'emparer de notre pays en dupantd'une façon ou d'une autre notre souverain.Aussi proposait-il continuellement à ce dernier,pour éprouver sa sagacité, d'embarrassantesquestions. C'est ainsi qu'un jour il lui envoya unmorceau de bois rond et brillant, gracieusementpoli, long d'environ deux pieds, en demandantoù en étaient la base et la cime697 . Comme il

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n ' y avait aucune apparence que l'on pût lesavoir, l'empereur du Japon, réfléchissant sur laquestion, était dans l'anxiété. Le capitaine enfut peiné ; il alla dire à son père ce qui se passait: « Mettez-vous, lui enseigna le vieillard, aubord d'une rivière rapide, et jetez le morceau debois en travers du courant. Il tournera,l'extrémité qui se dirigera vers l'aval sera cellequi était en haut. Faites-y une marque, et qu'onenvoie le bâton à l'empereur de Chine. » Le filsrevint au Palais, et parla comme s'il avait lui-même imaginé un moyen de sortir d'embarras.Il dit qu'il allait l'essayer ; accompagné d'unefoule de gens, il se rendit au bord de la rivière, yjeta le morceau de bois, et mit un signe àl'extrémité qui était allée en avant.

On expédia le bâton ainsi marqué ; laréponse, en vérité, fut trouvée juste.

Une autre fois, l'empereur de Chine envoyadeux serpents longs d'environ deux pieds, quiparaissaient semblables, en demandant lequeldes deux était le mâle, et lequel était la femelle.Cette fois encore, personne, absolument,

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n'arrivait à le savoir. Mais quand notrecapitaine alla consulter son père, celui-ci lui dit :« Placez les deux serpents côte à côte, etapprochez de leur queue un jeune rameau trèsfin. Celui qui remuera la queue, ce sera lafemelle. » Sans retard le fils, rentré au Palais,suivit ces conseils, et, en effet, un des deuxserpents bougea, tandis que l'autre restaitimmobile. De même qu'on avait marqué, lapremière fois, une des extrémités du morceaude bois, on fit une marque à la femelle, avant derenvoyer les deux serpents en Chine.

Un long temps s'écoula, puis l'empereur deChine envoya encore un petit bijou, contournésept fois, et percé d'un étroit passage ouvert àses deux extrémités. Ce bijou était accompagnédu message suivant : « Vous y passerez bien unfil; c'est une chose dont tout le monde vient àbout dans notre pays. » L'adresse des plushabiles artisans ne servit de rien, et àcommencer par la foule des hauts dignitaires,tous, sans exception, déclarèrent qu'ils nesavaient comment résoudre la problème. Le

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capitaine retourna près de son père, et quand illui eut expliqué ce dont il s'agissait, le vieillardrépliqua : « Attrapez deux grosses fourmis,fixez-leur aux reins un fil très fin, auquel vousen attacherez un autre plus gros. Mettezensuite vos fourmis à l'une des deux ouverturesdu couloir dont est percé le joyau, puis essayezde les attirer jusqu'à l'autre orifice, que vousaurez enduit de miel. » L'officier vint répéter àl'empereur ce qui lui avait été dit. Quand on eutintroduit les fourmis dans le petit couloir dubijou, elles sentirent l'odeur du miel, et, envérité, elles allèrent bien vite sortir parl'ouverture qui était à l'autre bout.

Après qu'on eut envoyé à l'empereur deChine le joyau avec le fil qu'on y avait passé, ilse dit que les habitants du pays où se lève lesoleil étaient intelligents, et il renonça àproposer d'autres questions. L'empereur duJapon pensa que le capitaine qui l'avait tiréd'embarras était un homme étonnant ; il luidemanda : « Que ferai-je pour vous ? A quelrang vous élèverai-je ? » Mais l'officier répondit

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: « Ne me donnez aucune fonction ni aucunrang. Daignez seulement permettre qu'on aillechercher les vieux parents qui sont allés secacher bien loin, et faites-leur la grâce de leslaisser vivre à la capitale. » L'empereur déclaraque la chose était bien facile ; et tous lesparents, quand ils apprirent qu'ils pouvaientrevenir, se réjouirent extrêmement. Lecapitaine fut nommé ministre.

Peut-être le père est-il, plus tard, devenu unesprit. Une nuit, le dieu d'Aridôshi apparut àdes gens qui étaient allés en pèlerinage autemple connu sous ce nom, et il leur parla. onm'a raconté qu'il leur avait demandé :

« Y a-t-il au monde personne qui puisse

ignorer Qu'on appela ce temple la « traversée des

fourmis »Parce qu'on avait passé un filDans un bijou contournéSept fois698 ? »

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116. Choses qui tombent du ciel

La neige. La grêle.Je n'aime pas le grésil ; mais quand il s'y

mêle de la neige, toute blanche, c'est joli.La neige est merveilleuse lorsqu'elle s'est

accumulée sur un toit fait avec l'écorce duthuya.

Lorsque la neige a déjà commencé à fondre,ou quand il n'en est pas tombé beaucoup, elleentre dans tous les interstices des tuiles, et onvoit le toit, noir ici, et ailleurs tout blanc. C'estravissant !

J'aime les ondées et la grêle quand ellestombent sur une maison couverte de planches.

J'aime aussi la gelée blanche sur un toit debois ou dans un jardin.

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117. Le soleil Le soleil couchant. Sur la crête des monts,

derrière lesquels il vient de disparaître, on voitencore une lueur rouge, et les nuagess'étendent en fines traînées teintées de jauneclair. J'en ai le cœur charmé.

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118. La lune

La lune pâlie de l'aurore.La lune me charme encore quand son mince

croissant apparaît sur la cime des montagnes, àl'orient.

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119. Les étoiles Les Pléiades. L'étoile du Bouvier699 . L'étoile

du matin. L'étoile du soir. Si seulement il n'y avait pas d'étoiles filantes,

ce serait encore mieux7 00 .

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12o. Les nuages

Les nuages blancs, pourpres, noirs, me

ravissent. Les nuages chargés de pluie, que levent chasse.

J'aime voir aussi, à la pointe du jour, lesnuages sombres, qui peu à peu blanchissent.Dans une poésie chinoise, on a parlé, je crois, dela teinte qui disparaissait à l'aurore7 01 . C'estbien joli encore lorsqu'un nuage mince couvre laface brillante de la lune !

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121. Le brouillard

La brume sur la rivière.

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122. Choses tumultueuses

Les étincelles.Des corbeaux, sur un toit de

planches,mangent le riz qu'on a mis là, enoffrande aux dieux, avant le repas des bonzes.

La foule des fidèles qui font retraite, le dix-huit de chaque mois, au temple de Kiyomizu7 02

. Quand la nuit tombe, à l'heure où les lumièresne brillent pas encore, il vient, de tous côtés,des gens qui se rassemblent.

A plus forte raison, quel tumulte dans unemaison quand le maître arrive, revenant d'unendroit éloigné, d'une autre province parexemple !

On dit qu'un incendie a éclaté, tout près,mais le feu ne s'est pas étendu. Quel tapage !

Quand un spectacle est terminé, les voituresqui repartent en confusion.

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123. Choses négligées

La tenue des dames dont les cheveux sont

relevés. L'envers d'une ceinture de cuir dontl'endroit est orné de dessins chinois.

La conduite d'un saint religieux7 03 .

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124. Gens gui s'expriment de façoninconvenante

Les gens qui disent les litanies de la déesse

Miya no nie7 04 .Les rameurs d'un bateau.Les gardes du corps chargés de veiller

lorsque le tonnerre gronde7 05 .Les lutteurs.

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125. Gens qui prennent des airs savants

Les enfants d'aujourd'hui, à trois ans.Les femmes qui invoquent les dieux pour

obtenir la guérison d'un enfant, ou font lespratiques magiques qui le purifieront dessouillures et le délivreront du mal. La sorcièredemande qu'on lui apporte, de la maison dumalade, tout ce qu'il lui faut. Elle prépare lesobjets qui lui seront nécessaires quand elle ferases invocations ; pour cela, elle place l'une surl'autre quantité de feuilles de papier, qu'elle semet en devoir de couper avec un couteau toutémoussé. On dirait que ce couteau ne pourraitpas même trancher une seule feuille, et, en seservant d'un pareil instrument, la femme peineà tel point qu'elle en a la bouche serrée, tordue.Elle plie des papiers d'offrande à nombreusesdentelures7 06 , et les suspend à des baguettesde bambou qu'elle coupe. Et quand elle a toutapprêté avec la gravité convenable à une chosedivine, elle agite ces papiers d'offrande, elleinvoque les dieux en prenant un grand air de

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science. Puis elle raconte . « Le prince Un Tel, le

jeune prince de tel palais, était bien bas ; maisje l'ai guéri aussi vite que si j'avais effacé sonmal ; et on m'a donné force présents. On avaitfait venir tous ceux qui entendent quelquechose à la guérison des malades ; mais ilsn'avaient obtenu aucun résultat ; et maintenantc'est moi, la femme, qu'on appelle dans des cassemblables. Aussi, quelles faveurs j'ai reçues ! »Il est amusant d'entendre parler cette femme.

Une maîtresse de maison, de basse classe,prend aussi des airs savants. C'est déjà drôlequand son mari est stupide, mais elle trouveraitle moyen de donner des leçons à un hommevraiment intelligent.

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126. Hauts dignitaires

Le Seigneur qui dirige la Maison du Prince

héritier.Les commandants des divisions de gauche et

de droite de la garde du corps.Un vice-premier sous-secrétaire d'État.Un vice-deuxième sous-secrétaire d'État.Un conseiller d'État, capitaine de la garde du

corps.Un dignitaire du troisième rang, capitaine de

la garde du corps. Le Vice-directeur de la Maison du Prince

héritier.Un conseiller d'État, gentilhomme de la

chambre.

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127. Seigneurs de noble famille Le Censeur sous-chef des chambellans.Le Capitaine de la garde du corps, sous-chef

des chambellans. Un vice-capitaine de la garde du corps.Un seigneur du quatrième rang, lieutenant

de la garde du corps. Un censeur-chambellan.Un chambellan, troisième sous-secrétaire

d'État.Le Sous-directeur de la Maison du Prince

héritier.Un chambellan, capitaine de la garde

impériale.

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128. Prêtres bouddhistes

Les maîtres de la Règle.Les bonzes du Palais.

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129. Femmes Une « deuxième fille d'honneur ».Une « troisième fille d'honneur ».

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130. Palais et maisons nobles où servent desdames

Le Palais de l'Empereur.Celui de l'Impératrice.Le service de la Princesse Impériale, fille de

l'Impératrice.Celui des Princes du sang, dignitaires du

premier rang.J'aimerais servir la Princesse consacrée de

Kamo, bien que ses péchés soient grands7 07 .Celle surtout qui a présentement cette dignitéest une superbe princesse.

Le service de l'Épouse Impériale, mère duPrince héritier.

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131. Gens à propos desquels on se demandesi leur aspect aurait autant changé, supposéqu'ils fussent, après avoir quitté ce monde,

revenus dans un autre corps

Une personne ayant servi au Palais comme

simple dame, et qui est devenue la nourrice dequelque prince. Elle ne porte pas de manteauchinois, et il est inutile qu'elle prenne le soin demettre une jupe d'apparat. Cependant, vêtuesimplement d'une robe blanche, elle couche àcôté du jeune prince, elle se tient avec luiderrière l'écran. Elle appelle les dames, elle enfait ses servantes, elle les envoie à sa chambrelorsqu'elle a quelque chose à faire dire ou bienelle fait porter des lettres. Elle agit avec un aird'autorité que l'on ne saurait décrire.

Quand un des employés inférieurs attachésau service des chambellans devient lui-mêmechambellan, c'est pour lui un avancementsuperbe. On ne dirait pas que c'est le mêmehomme qui portait sur son dos une harpe, auonzième mois de l'année précédente, à la fête

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spéciale de Kamo, et quand on le voit aller decompagnie avec les fils de nobles, on sedemande, émerveillé, quelle est sa position. Leshommes venus d'un autre service, qui ont éténommés chambellans, jouissent des mêmesavantages ; mais on ne les admire pas tant.

Un jour, la neige avait déjà couvert le sol d'un

épais manteau ; elle tombait encore, quand jevis passer des hommes du cinquième et duquatrième rang. Ils avaient de fraîches couleurset un air juvénile. Comme ils étaient en costumede garde de nuit, ils avaient retroussé leur habitde dessus, très joli, sur lequel on apercevait lamarque laissée par leur ceinture de cuir. Ilsportaient des pantalons à lacets, d'une teinteviolette que le contraste avec la blancheur de laneige faisait resplendir et paraître plus foncée.Ceux qui n'avaient pas de gilet écarlate enportaient un qui était d'une couleur de kerrietrès voyante, et qui dépassait un peu leurvêtement de dessus. Ces hommes avaient desparapluies qu'ils tenaient ouverts ; Mais comme

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le vent soufflait très fort, les flocons lesatteignaient obliquement, et ils venaient encourbant un peu le dos. La neige, toute blanche,couvrait jusqu'aux extrémités de leurs bottesou de leurs chaussures basses. C'était uncharmant spectacle !

Un matin, on avait ouvert de très bonne

heure la porte à coulisse du corridor. Descourtisans, quittant le Palais Réservé7 08 ,venaient de la longue galerie qui se trouveauprès de la salle où l'Empereur prend sesbains. Leurs manteaux de cour et leurspantalons à lacets étaient fanés, tout déchirés ;ils s'efforçaient de faire rentrer leurs vêtementsde dessous, de diverses couleurs, qui sortaientpar les accrocs. Comme ils allaient dans ladirection du poste du nord, au moment depasser devant la porte ouverte, ils tirèrent,pour cacher leur visage, le ruban de leurcoiffure en travers.

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132. Choses qui ne font que passer

Un bateau dont la voile est hissée.L'âge des gens.Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver.

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133. Choses que les gens ignorent le plusfréquemment

La vieillesse de leur mère. Les jours

néfastes7 09 .Au cinquième et au sixième mois, vers le

soir, on voit passer des enfants vêtus de rougequi ont coupé des herbes vertes, fines etgracieuses. Ils ont de petits chapeaux de paille,et ils marchent en tenant dans chacune de leursmains une grosse poignée de ces herbes. Sans yprendre garde, on est ravi.

Une fois, alors que j'étais en route pour aller

en pèlerinage au temple de Kamo, j'aperçusdans les champs une foule de femmes. En guisede chapeaux de paille, elles portaient descoiffures qui ressemblaient à des plateauxneufs. On les entendait chanter, on les voyait sebaisser, puis se relever. Sans paraître rien faire,elles allaient seulement à reculons, lentement,et je me demandais en quoi pouvait consisterleur travail.

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Mais comme je les regardais, charmée, jecompris les paroles d e leur chanson,extrêmement impolies à l'égard du coucou, etj'en fus attristée.

« Ah ! coucou, disaient-elles ; ah ! toi,mauvais drôle ! Tandis que toi, tu chantes, moije suis dans la rizière ! »

A peine avais-je entendu ce chant, qu'une demes compagnes s'exclama7 10 : « Quelles sontces femmes ? Elles ont dit, je crois, que lecoucou chantait trop fort7 11 ? Ce sont des gensqui dédaigneraient l'adolescence deNakatada7 12 ! »

Ceux, justement, qui déclarent le coucouinférieur au rosssignol me paraissent incapablesde sentiment, et tout à fait détestables.

Le rossignol ne chante pas la nuit, et c'est

grand dommage Tout ce qui chante la nuit estravissant. Il est vrai qu'il n'en est pas ainsi pourles enfants.

J'allais, vers la fin du huitième mois, en

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pèlerinage au temple d'Uzumasa7 13 ; enchemin, je regardais la campagne. De nombreuxhommes travaillaient bruyamment dans lesrizières couvertes d'épis. C'était la moisson. «Ah ! me disais-je, quelles sont vraies les parolesdu poète : « On arrachait les jeunes pousses deriz7 14 , et déjà si peu de temps après... » Hélas !c'est la vérité, le riz que j'ai vu planter il y aquelques mois, en me rendant à Kamo, me faitpitié à présent. »

Cette fois-là, il n'y avait pas de femme parmiles paysans. Ceux-ci prenaient d'une main lestiges encore vertes, surmontées des épis toutdorés, puis les coupaient de l'autre en usantd'une faucille, ou de je ne sais quel instrument.La facilité avec laquelle ils semblaient travaillerm'émerveillait ; je me sentais tentée de mejoindre à eux. Je ne savais comment ilsfaisaient. Il était charmant de voir tous leshommes, alignés, qui dressaient les gerbes, lesépis en haut.

Ces moissonneurs avaient des huttes d'uneforme étrange.

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134. Choses très malpropres

Une limace.Un balai qui a servi à nettoyer un mauvais

plancher.Les bols communs, dans lesquels mangent

les courtisans au Palais Impérial7 15 .

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135. Choses excessivement effrayantes

Le tonnerre qui gronde la nuit.Un voleur qui a pénétré, nuitamment, dans

la maison voisine. Si c'est dans celle où l'onhabite soi-même qu'il s'introduit, on a tellementpeur qu'on perd la tête et qu'on ne sait plus cequi arrive.

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136. Choses qui donnent confiance

Quand on est malade, les prières et les pieux

exercices7 16 que font de nombreux bonzespour votre guérison.

Lorsqu'une personne chère est malade, lesconsolations et les encouragements dequelqu'un en qui l'on a vraiment confiance.

Être auprès de ses parents lorsqu'il arrivequelque chose de terrible.

Avec beaucoup de préparatifs, quelqu'unadopte un gendre mais après très peu detemps, celui-ci ne revient plus. Et voici que legendre et le beau-père se rencontrent dans unendroit où tous deux étaient obligés d'aller. Nepensera-t-on pas que c'est une chose pitoyable?

Certain jeune homme, qu'avait pris pourgendre un des puissants du jour, restait parfoisun mois entier sans faire seulement une rapidevisite chez son beau-père. A la fin, il cessacomplètement d'y venir. Tout le monde, dans lamaison, disait de lui pis que pendre ; la nourrice

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de la jeune femme et les personnes de cettesorte souhaitaient à l'infidèle tous les malheurs.Cependant, au premier mois de l'annéesuiv ante, il fut nommé chambellan. « Ah !s'écria-t-on avec force tapage, les gens doiventpenser que c'est stupéfiant, et se demandercomment il a pu obtenir ce poste, étant donnéqu'il est dans de mauvais termes avec sonbeau-père ! » L'écho de ces rumeurs dutarriver aux oreilles du gendre.

Or, un jour du sixième mois, alors qu'unefoule d'auditeurs se pressaient dans un endroitoù un prêtre faisait les « Huit Instructions7 17

», ce gendre devenu chambellan était là. Ilportait un pantalon de dessus en soie damassée,un vêtement de dessous rouge foncé7 18 unecasaque courte et sans manches, de couleurnoire, le tout extrêmement joli. Cet homme setrouvait tout près de la femme qu'il avaitdélaissée ; il aurait pu accrocher le cordon de sacasaque à la « queue de milan7 19 » de lavoiture qu'elle occupait.

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« De quel œil doit-elle le voir ? » se disaientavec pitié, dans leur voiture, celles des damesqui s'étaient aperçues de la chose. Plus tardd'autres personnes, auxquelles on en parla,s'exclamèrent : « Il est demeuré là, indifférent !» Mais l'homme, à ce qu'il sembla, n'en vit pasmieux combien la situation de sa femme étaitpénible, et ne se soucia point de ce que les genspouvaient penser.

Parmi les choses, encore, qui sont les plus

tristes du monde, on doit citer la peine que l'onéprouve quand on se sent détesté. Quel estl'insensé qui aimerait d'être un objet de hainepour quelqu'un ? Cependant, qu'elles soient auPalais, en service, ou bien parmi leurs parentset leurs frères et sœurs, telles personnes sontnaturellement aimées, telles autres ne le sontpas. C'est tout à fait désolant.

Non seulement chez les gens bien nés,comme il va sans dire, mais encore chez ceux dela basse classe, les enfant choyés par leursparents attirent l'attention. On en fait grand

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cas, on les chérit. S'ils sont plaisants à voir, onpense que leurs parents ont raison, et l'on sedemande comment on n'aimerait pas cesenfants. Mais quand ceux-ci n'ont rien departiculièrement agréable, on se dit : « Si cesgens les trouvent charmants, c'est bien parcequ'ils sont leurs parents ! » C'est lamentable.

Il n'est rien d'aussi agréable, je pense, que dese voir aimé de tout le monde, de ses parents,de ses maîtres, et même de toutes lespersonnes avec lesquelles on a l'habitude deconverser familièrement.

Les hommes sont aussi d'une humeurextraordinaire, bizarre. Il est vraiment étrangede les voir délaisser une personne très jolie, eten prendre une laide pour femme.

Un homme ayant ses entrées au PalaisImpérial devrait choisir et aimer la plus belleparmi toutes les filles de bonne maison. Simême, à cause du haut rang de celle qui l'acharmé, il peut craindre de ne pas l'obtenir,

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qu'il voue son existence à la conquête de cettefemme ! Souvent, quand un homme a entenduvanter la beauté d'une jeune fille, il s'en éprend,au besoin sans l'avoir vue, et ferait tout pour laposséder. Comment est-il possible, d'autre part,qu'un homme puisse aimer une personne quipasse pour laide même aux yeux des autresfemmes ?

Il peut arriver qu'une dame dont le visagesoit très joli, et dont l'esprit soit agréable aussi,envoie à cet homme une poésie gracieusementécrite, et composée avec goût. Il se contentealors de lui adresser une réponse prétentieuse,il ne vient pas auprès d'elle. La dame pleure ;cependant il dédaigne celle que ses larmesrendent charmante, pour aller voir une autrefemme qui ne la vaut pas. La conduite de cethomme est stupéfiante, elle irrite même ceuxqui n'ont pas à en souffrir, et la famille de ladame, voyant cela, doit être désolée. Mais lui,au sujet de qui l'on se tourmente, il n'a pas lemoindre souci de cette affliction.

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La sympathie est la chose du monde que jetrouve la plus belle. Il va sans dire que cela estvrai à propos des hommes mais ce l'est aussipour les femmes.

Bien que ce soient là des mots prononcéssans trop y songer, et non des parolesempressées, venues du fond du cœur, on faitplaisir aux gens lorsqu'on déclare, à propos d'unennui qu'ils ont eu : « C'est malheureux » ; oubien, s'il leur est arrivé une chose lamentable :« En vérité, quelle douleur ce doit être ! » Cesparoles de compassion semblent plus agréablesà la personne intéressée quand elles lui sontrépétées que lorsqu'elles lui sont ditesdirectement. Dans le premier cas, cettepersonne se demande comment elle pourraitfaire voir à celle qui a témoigné de la sympathiepour elle combien elle en fut touchée ; elle ypense toujours.

S'il s'agit d'une personne que l'on doit, sansfaute, aimer et visiter, l'intérêt qu'on luimarque est une chose obligée, aussi n'yattache-t-elle pas une importance particulière.

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Mais si c'est quelqu'un à qui l'on n'est pas forcéde montrer tant d'affection, une réponseaimable de sa part vous charmera.

Il n'en coûte point d'avoir ces attentions, etcependant on ne voit jamais les gens s'ensoucier.

Généralement, il semble malaisé de trouverquelqu'un, homme ou femme, qui ait bon cœur,et qui soit vraiment sans défaut. Et pourtant, ildoit y avoir beaucoup de telles personnes !

Ceux qui se fâchent parce qu'on a fait des

racontages à leur sujet ont bien peu de sens.Comment serait-il possible qu'on n'en fît pas ?Y a-t-il des gens qui espèrent pouvoir censurersévèrement les autres, tout en laissant dansl'ombre leurs propres défauts ? Pourtant, lamédisance parait à la personne qui en est l'objetune chose détestable, et, sans doute, quand elleapprend qu'on l'a critiquée, hait-elle d'instinctcelle qui a mal parlé d'elle. Un pareil sentimentne lui donne aucun charme. Si celle qui a dit dumal de moi est une amie que je ne pourrais la

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chasser de ma pensée, je réfléchis, j'ai pitié, jesupporte ma peine en silence. Mais si je nel'aime pas il faut que je parle, et que l'on rie àses dépens.

Les traits qui charment particulièrement

dans le visage d'une personne semblenttoujours jolis et merveilleux, même si on lesvoit bien des fois. Pour une peinture c'estdifférent : si on l'a vue souvent, on n'y fait plusattention, et bien que le paravent à côté duquelon s'assied d'habitude soit orné de splendidespeintures, on n'y jette pas un coup d'œil.

Le visage d'une personne est vraiment unejolie chose. Même dans un objet qui est laid, ontrouve toujours un point agréable à regarder. Ilest triste de penser qu'il en pourrait allerpareillement pour une laide figure7 20 .

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137. Choses qui rendent heureux

On trouve un grand nombre de contes qu'on

n'a pas encore vus. Ou encore, on a lu lepremier volume d'un roman passionnant, et l'ondécouvre le second. Il peut se faire, du reste,qu'on soit déçu.

Quelqu'un a déchiré une lettre, puis a jeté lesmorceau ; on en trouve beaucoup qui sesuivent.

On a fait un songe horrible. On se demandequel malheur il présage, on a la poitrine briséepar l'effroi ; mais le devin vous explique que cerêve ne signifie rien. On est ravi.

De nombreuses dames entourent leurmaîtresse, une personne d'un haut rang, etcelle-ci raconte quelque chose, soit une histoiredu temps passé, soit un événement qu'elle vientd'apprendre, et dont le bruit courtprésentement dans le monde. Tout en parlant,elle regarde particulièrement une des dames :quel bonheur pour celle-ci !

On m'annonce qu'une personne chère est

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malade. Si elle demeure dans un endroitéloigné, il va sans dire que je suis inquiète, etmême si elle habite, comme moi, à la capitale, jeme demande avec anxiété comment elle va, jesuis désolée. Mais quelle joie lorsque je reçois lanouvelle de sa guérison

Je suis heureuse quand on vante unepersonne que j'aime, ou lorsqu'un hautpersonnage, en parlant d'elle, montre qu'il ne latrouve point déplaisante.

Au sujet d'une chose ou d'une autre, on acomposé une poésie, ou bien on a envoyé unpoème à quelqu'un en réponse à celui qu'il vousavait adressé ; les gens qui ont entendu vosvers les louent, et prennent note de cejugement flatteur7 21 . Bien que je n'aie pasencore eu l'occasion de la goûter, j'imagineaisément quelle joie on doit alors ressentir.

Une personne avec laquelle on n'est pasintimement lié a parlé d'une chose ancienne quel'on ignore ; mais on apprend ce dont il s'agit enl'entendant dire par une autre, et l'on est bienheureux. Lorsqu'on découvre plus tard cettevieille poésie dans quelque livre et que l'on se

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dit, amusé : « C'était tout simplement celle-ci »,on pense avec plaisir à la personne qui vous arenseigné.

Je suis heureuse quand je me suis procurédu papier de Michinoku, du papier blanc, épais,de fantaisie, et même du papier ordinaire, s'ilest blanc et net.

Une personne devant laquelle je suis gênéeme demande le commencement ou la fin d'unepoésie, et justement je m'en souviens. Quoiqu'ils'agisse de moi, il m'est permis de dire que c'estravissant.

Il est vrai qu'en bien des occasions, quand onm'interroge, je ne puis rien répondre, ayantperdu tout souvenir des choses même que jeme rappelle d'ordinaire.

Je cherche un objet qu'il me faut trouvertout de suite, et je le découvre.

J'ai complètement égaré un livre que j'aibesoin de consulter sur-le-champ ; je le chercheen dérangeant à plusieurs reprises quantité dechoses, et je finis par le trouver. Je suistransportée de joie.

Lorsqu'on est vainqueur dans un

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concours7 22 , dans n'importe quelle lutte,comment ne serait-on pas ravi ?

Je suis heureuse aussi quand je parviens àconfondre une personne toute pleine d'elle-même, et dont le visage respire la vanité. J'aiencore plus de joie lorsqu'il s'agit d'un hommeque si j'ai affaire à une de mes compagnes. Il estamusant de voir que cet homme est dans unecontinuelle anxiété à mon sujet, dans la crainted'une repartie malicieuse que je ne sauraismanquer, pense-t-il, de lui faire. Pourtant, quelplais ir j'ai aussi à endormir lentement saméfiance, en prenant un air tout à faitindifférent, en feignant de ne songer à rien !

Tout en pensant que je dois, ainsi, mériter lechâtiment du Ciel, je me réjouis lorsqu'unmalheur arrive à une personne que je déteste.

C'est une joie encore de voir que le peignepour mettre dans ses cheveux, que l'on a faitfaire, semble joli.

Je suis heureuse du bonheur qui échoit à unepersonne que j'aime, plus que du mien même.

Un jour, j'arrivai près de l'Impératrice alors

qu'une foule de personnes étaient réunies

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autour d'elle, serrées les uns contre les autres.Je m'assis donc au pied d'un pilier, à quelquedistance de ma maîtresse ; mais celle-cim'aperçut et m'appela. Tout le monde s'écartapour me laisser passer ; je m'approchai, ravie.

Un autre jour, comme de nombreuses dames

entouraient l'Impératrice, je dis à propos dequelque chose dont elle avait parlé : « Parfois lemonde m'irrite et m'ennuie ; certes il mesemble impossible de vivre un instant de plus.Je voudrais m'en aller et me perdre je ne saisoù ; mais si, alors, je mets la main sur du jolipapier ordinaire, très blanc, sur un bon pinceau,sur de l'épais papier blanc de fantaisie, ou surdu papier de Michinoku, je me sens disposée àrester encore un peu sur cette terre, telle que jesuis. Et aussi, quand je regarde, après l'avoirétalée, une natte verte, finement tressée,bordée d'une étoffe dont les dessins noirs sedétachent nettement sur le fond blanc, je croisque vraiment, je ne pourrais jamais chasser lemonde de ma pensée ; je trouve même la vie

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précieuse. » L'Impératrice me répondit en riant: « Vous vous consolez avec bien peu de chose.Comment était donc celui qui contemplait lalune sur la Montagne de la tanteabandonnée7 23 ?»

Les dames qui m'avaient entenduedéclarèrent aussi : « Voilà une prière très facileà faire, pour éviter le mal ! »

Quelque temps après, je séjournais à lacampagne, et toutes sortes d'idéesmélancoliques me passaient par la tête, quandIje reçus de l'Impératrice, en un paquet, vingt

cahiers de superbe papier. Sa Majesté mefaisait dire de revenir, et m'écrivait : « Si jevous envoie ce papier, c'est que je me rappellece que vous contiez l'autre jour. Mais comme ilsemble d'une qualité inférieure, vous n'ypourrez sans doute pas copier l'Écriture delongue vie7 24 . » Je fus transportéed'allégresse. Ainsi, elle avait gardé la mémoirede quelques paroles que j'avais moi-mêmecomplètement oubliées. Si une personneordinaire m'avait témoigné autant d'intérêt,

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j'aurais déjà été ravie ; mais à plus forte raison,une telle attention de la part de l'Impératricen'était pas, je pense, une chose à laquelle jedusse naturellement m'attendre.

La joie me troublait l'esprit, et comme je neme sentais pas en état de répondreconvenablement, j'écrivis ces simples mots :

« Par la grâceDe la Déesse révérée,Dont j'ose à peine parler,je vivrai sûrementAussi longtemps que la grue725 . » J'ajoutai : « Veuillez demander à Sa Majesté

si ce ne serait pas trop espérer », puis j'envoyaima lettre. C'était une dame d'un rang inférieur,employée à l'office, qui était venue m'apporterle cadeau de ma maîtresse ; je lui donnai unvêtement vert-jaune, sans doublure.

Ravie, je m'empressai de faire, avec le papierque j'avais reçu, un cahier de notes, et, envérité, j'eus tant de plaisir que j'oubliai mesennuis, et que je me sentis charmée au plusprofond du cœur.

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Deux mois7 26 plus tard, un homme habilléde rouge arriva, portant une natte, et ditseulement : « Voici. » Une servante sortit endemandant avec humeur : « Quel est cetindividu ? En voilà un sans-gêne ! » Mais lemessager lui laissa la natte ; il partit, et commej'ordonnais à la fille de l'interroger pour savoird'où venait ce présent, elle me répondit quel'homme n'était plus là, puis elle apporta lanatte dans la maison. Cette natte avait été faiteavec un soin particulier, elle ressemblait à cellesqui servent pour les hauts personnages, et avaitune très jolie bordure d'étoffe. Je me disais enmon cœur : « Oui, ce doit être cela7 27 ! »Cependant je n'étais sûre de rien, et j'envoyaiquelqu'un à la recherche du messager ; celui-ciavait disparu, tout le monde s'étonnait et riait ;mais comme on ne trouvait pas cet homme, ilétait inutile de dire aux gens pourquoi jedésirais le voir. « Si c'est par erreur, pensais-je,qu'il m'a apporté la natte, il reviendra de lui-même. » J'aurais volontiers envoyé uneservante chercher des renseignements dans

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l'entourage de l'Impératrice ; mais je songeais :« Qui donc aurait pu faire une telle chose parmégarde ? C'est, assurément, ma maîtresse quien avait donné l'ordre. » Cette pensée meravissait. Deux jours s'écoulèrent sans quej'entendisse parler de rien ; je ne doutai plus, etje fis dire à la dame Sakyô : « Voilà ce qui m'estarrivé ; avez-vous eu vent d'une pareillehistoire ? Apprenez-moi secrètement ce qui enest, et si vous n'avez rien vu, ne laissezsoupçonner à personne ce que je vous aidemandé. » « Il s'agit, me répondit Sakyô,d'une chose que l'Impératrice a faite en prenantle plus grand soin pour que le secret fût gardé !Surtout, ne dites jamais, même plus tard, quec'est moi qui vous en ai parlé. »

Heureuse de voir ma supposition vérifiée,j'écrivis une lettre, que j'envoyai mettre encachette sur la balustrade, au palais del'Impératrice ; mais la messagère était sitroublée qu'aussitôt après l'avoir posée, elle fittomber cette lettre sur un escalier, en labalayant avec sa manche.

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Vers le dix du deuxième mois7 28 , leSeigneur maire du palais7 29 fit lire, en offrande,la Collection des Saintes Écritures dans letemple appelé Shakuzenji, installé dans le Palaisde la prospérité de la Loi. Comme la Douairièreet l'Impératrice devaient assister à cettecérémonie, ma maîtresse se rendit au Palais dela Deuxième avenue vers le premier jour dudeuxième mois. La nuit était très avancéequand nous arrivâmes, et j'avais une telle enviede dormir que je me couchai sans faireattention à rien.

Quand je me levai, le lendemain matin, alorsque le soleil brillait déjà splendidement, je visque tout était très propre, tout neuf etélégamment disposé, à commencer par le storequi paraissait accroché de la veille. Charmée, jeme demandais combien de temps7 30 il avaitfallu pour orner la salle, pour apporter etinstaller les « lions » et les « chiens de Corée7 31 ».

Il y avait, au bas de l'escalier, un cerisierhaut d'environ dix pieds, couvert de fleurs

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merveilleuses. « Ah ! me dis-je, cet arbre estfleuri de bien bonne heure ; les pruniers, eux,doivent être maintenant en pleine floraison ! »En les admirant, je remarquai que les fleurs ducerisier étaient sans doute artificielles ; maisleurs nuances ne le cédaient pas à celles devéritables corolles. Quelle habileté il avait dûfalloir pour les faire ! Il m'était pénible depenser, en regardant ces fleurs qu'elles seraientflétries s'il venait à pleuvoir.

Comme le palais avait été construit sur unterrain précédemment occupé par beaucoup depetites maisons, on n'y pouvait pas encoreadmirer les arbres du jardin ; mais l'édifice lui-même avait une élégance qui charmait l'âme.Le Seigneur maire du palais arriva. Il portait unpantalon à lacets fait d'une étoffe façonnée, grisbleuâtre, un manteau de cour, couleur decerisier, avec seulement trois vêtementsécarlates.

Les dames, et je dois d'abord nommerl'Impératrice, portaient les costumes les plusjolis du monde, d'étoffes couleur de prunier

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rouge, foncée ou claire, les unes façonnées, lesautres ornées de dessins en relief. Tous cesvêtements resplendissaient. Les dames avaientaussi des manteaux chinois vert tendre, oucouleur de saule, ou couleur de prunier rouge.

Le Maire du palais vint s'asseoir auprès dema maîtresse, et s'entretint avec elle. Je lescontemplais, j'aurais voulu que chacun de ceuxqui vivaient en dehors du Palais pût voir, aumoins d'un furtif regard, les façons charmantesqu'avait l'Impératrice en répondant à son père ;justement les manières que l'on eût souhaitées.

En considérant toutes les dames alignées, leSeigneur dit à l'Impératrice : « Que pourriez-vous avoir encore à désirer ? Vraiment, je vousenvie, quand je vois toutes ces jolies personnesassises côte à côte autour de vous. Il n'en estaucune qui soit d'une petite naissance. Ce sonttoutes des filles de bonne maison. Leurdévouement me touche, et vous devez traiteravec bienveillance les dames de votre suite ;mais, en vérité, comment peuvent-elles,connaissant le cœur de Votre Majesté, entrer si

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nombreuses à votre service ? Vous êtes d'uneavarice tellement indigne ! Bien que je vousserve, moi, avec un zèle extrême depuis quevous êtes au monde, vous ne m'avez pas donnéun seul vieux vêtement. Pourquoi irais-jeraconter cela par-derrière ? »

Toutes les dames riaient, amusées, et leMaire du palais reprit : « Je parle sérieusement; il est honteux que vous puissiez rire ainsi, enpensant que je dis des sottises ! »

Pendant qu'il plaisantait, arriva du PalaisImpérial je ne sais quel « troisièmefonctionnaire » du Protocole, messager duSouverain. Le Seigneur premier sous-secrétaired'État7 32 prit la lettre qu'il apportait, et ladonna au Seigneur maire du palais. Celui-ci,l'ayant dénouée, s'exclama : « Oh ! la ravissantelettre ! Si j'en avais la permission, je l'ouvriraiset la lirais. » Mais il parut craindre d'avoir étéimpertinent, et présenta la missive àl'Impératrice, en disant : « je vous rends grâces.» Il était ravissant de voir avec quelleprécaution Sa Majesté tenait cette lettre sans

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l'ouvrir. Une dame sortit, de la chambre del'angle, un coussin destiné à l'envoyé del'Empereur ; trois ou quatre autres étaientassises près de l'écran derrière lequel se tenaitl'Impératrice. « Je m'en vais par là fairepréparer une récompense pour le messager »,annonça le Maire du palais ; après son départ,notre maîtresse lut la lettre de son Époux, puiselle écrivit la réponse sur du papier couleur deprunier rouge, de la même teinte que soncost ume, Je me disais, avec regret, queprobablement personne au monde n'aurait pus'imaginer, sans la voir, combien elle était belle.Le Seigneur maire du palais ayant déclaré quece jour différait des autres, le messager reçutde sa part un cadeau . on donna aux dames des« vêtements longs et étroits », couleur deprunier rouge, outre les costumes decérémonie. Il y avait là diverses choses àprendre avec le vin de riz, et l'env0yé impérialaurait pu s'enivrer ; mais il dit au Seigneurpremier sous-secrétaire d'État : « L'Empereur,accompagné d'un superbe cortège, doit sortir

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aujourd'hui du Palais; il faut que j'aillel'escorter. Permettez, Monseigneur, que je meretire.

Les jeunes princesses, filles du Maire dupalais, étaient délicieusement parées ; leurscostumes couleur de prunier rouge nesemblaient pas moins jolis que ceux des autresdames. La troisième d'entre elles, celle qui estprésentement intendante du service de laToilette7 33 , était plus grande que la deuxièmeprincesse7 34 , et volontiers on l'eût appelée «Madame ». La Noble Dame, épouse du Mairedu palais, vint aussi ; mais on tira l'écran, lesjeunes personnes nouvellement arriv ées, nepurent la voir ; elles en furent attristées.

Les dames se rassemblèrent pour discuter àpropos des costumes de cérémonie et deséventails qu'elles auraient le jour des Offrandes.Comme elles rivalisaient d'élégance dans leursprojets, l'une d'elles s'exclama : « Pourquoi doncme donnerais-je tant de peine ? J'irai telle que

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je serai. » Mais les autres lui répondirent avecdépit : « Voilà bien, comme toujours, notreoriginale ! » Beaucoup de personnes seretirèrent à la nuit, et comme elles allaient faireleurs préparatifs pour le jour des Offrandes,notre maîtresse ne voulut pas les retenir.

La noble épouse du Maire du palais revinttous les jours, même la nuit. Les jeunesprincesses venaient aussi, et il n'y avait pas peude monde auprès de l'Impératrice. C'étaitcharmant. Chaque jour, un messager arrivaitdu Palais Impérial.

Cependant, les nuances des fleurs, sur lecerisier qui se trouvait devant le palais,n'avaient pas embelli, et les rayons du soleil enavaient même flétri, abîmé les corolles. Queldésolant spectacle ! Un matin, après une nuit depluie, ces fleurs ne ressemblaient plus à rien. Jem'étais levée de bonne heure, et je m'écriaiquand je les aperçus : « Elles sont moins jolieque les visages de ceux qui se séparèrent enpleurant7 35 ! » L'Impératrice m'entendit, et

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s'étonna : « En vérité, il m'a semblé cette nuitqu'il pleuvait; je me demande comment est lecerisier ! »

A ce moment, de la demeure du Seigneurmaire du palais, arrivèrent en foule des gens desa Maison et des serviteurs. Ils vinrentrapidement au cerisier, qu'ils arrachèrent etabattirent. Il était bien amusant de lesentendre dire, tout en renversant l'arbre : « LeSeigneur nous avait ordonné de venirsecrètement, et d'emporter ce cerisier pendantqu'il ferait encore sombre. Le jour est déjà levé,c'est bien incommode. Vite, dépêchons-nous ! »

J'aurais voulu, si ces gens avaient été despersonnes bien élevées, leur demander s'ilsavaient pensé au vers de Kanezumi7 36 : « S'ilparle, il parlera. » Mais je leur criai seulement :« Qui êtes-vous donc, vous qui volez ces fleurs? Les choses vont sans doute se gâter ! » Ils semirent à rire, et se sauvèrent de plus belle, entraînant l'arbre.

Aussi bien, le Seigneur maire du palais avaiteu, certainement, une idée ravissante. Enregardant le jardin, je songeai que si on avaitlaissé là ce cerisier, il n'y aurait eu aucuncharme à voir les fleurs mouillées se

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recroqueviller en séchant, et se coller auxrameaux. Puis je rentrai.

Il vint un homme, envoyé par le service dumobilier, qui ouvrit la fenêtre de treillis, puisune femme de l'office domestique, qui nettoyala chambre. Quand ils furent partis,l'Impératrice se leva et demanda, enremarquant que les fleurs avaient disparu : «Ah ! quelle stupéfaction ! Où sont allées cesfleurs ? En vous entendant parler de voleurs, àl'aube, je m'étais dit qu'ils cueillaient peut-êtreseulement quelques rameaux ! Avez-vous vuqui a fait cela ? — Non, répondis-je, la nuit étaitencore sombre, et je ne voyais pas bien ; maisj'apercevais dans le jardin des formesblanchâtres ; j'ai parlé parce que je pensais,avec inquiétude, que sans doute on cassait lesbranches fleuries. — Et cependant, reprit ensouriant ma maîtresse, pourquoi des voleursauraient-ils emporté ce cerisier ? Ce doit être leSeigneur, mon père, qui donna l'ordre à sesgens de l'arracher en secret. — Non, répliquai-je encore, assurément les choses ne se sont paspassées de cette façon, je crois plutôt que labrise printanière a tout fait ! » Sa Majestérepartit : « Si vous parlez de la sorte, c'est pourdissimuler la vérité. Les fleurs n'ont pas été

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volées. C'est parce qu'il avait plu à verse7 37 ... »Qu'une personne comme l'Impératrice eût

tout deviné, cela n'avait rien de merveilleux ; etpourtant c'était superbe.

Je pensai que lorsque le Seigneur maire dupalais arriverait, il trouverait sans doute horsde saison mon visage du matin7 38 , défait par lesommeil, et je rentrai dans le fond de la salle.

Dès qu'il fut là, le Seigneur s'étonna : « Lesfleurs ont disparu ! Comment les a-t-on laissévoler ainsi ? Ah ! les dames faisaient la grassematinée, elles ne se sont aperçues de rien ! —Cependant, lui dis-je à voix basse, j'aurais cruvolontiers que vous aviez été au courant decette affaire avant moi ! » Il entendit aussitôt,et répondit en riant aux éclats : « C'est ce quej'avais pensé ; une autre, en sortant, n'auraitrien remarqué du tout ! je m'étais dit que vousseule, ou Saishô, pourriez soupçonner quelquechose ! — Il me semblait bien, déclaral'Impératrice, avec un délicieux sourire, que ladisparit ion de ces fleurs vous était due.Pourtant Sei Shônagon l'attribuait à la brise

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printanière. » Puis elle récita gracieusement,comme elle eût débité un poème :

« Vous avez dit là, Seigneur,Un mensonge.Maintenant, il est temps, je pense,De cultiver le champ de la colline739 . » C'était ravissant, et le Maire du palais

s'exclama : « Hélas ! je suis fâché qu'on ait vumes serviteurs. Quand je pense que je leuravais fait tant de recommandations ! Il estvraiment pitoyable d'avoir chez soi des gensaussi stupides. » « Dire, sans avoir réfléchi, quela brise printanière avait fait tomber ces fleurs,c'était trouver à propos un agréable artifice »,ajouta-t-il ; puis il récita, lui aussi, les parolesrelatives au champ de la colline. « Oui, répliqual'Impératrice en souriant, bien que ce fussentseulement quelques mots tout simples, l'idée,pour sûr, était charmante. Mais, quelleapparence aurait eu, sans vous, le jardin cematin ? »

Le petit jeune seigneur7 40 , ayant entendu,

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s'écria : « Quoi qu'il en soit, Sei Shônagon avaitvu tout de suite ce qui arriverait, elle avait ditque si la pluie mouillait ces fleurs, elle auraientun aspect détestable. » Il était amusant de voirl'air désolé que prit le Maire du palais 7 41 .

Et puis, vers le huit ou le neuf, je m'en allai. «Restez encore un peu, me répétait mamaîtresse, attendez que le jour des Offrandessoit plus proche » ; je partis cependant.

Un jour, vers midi, alors que le soleil brillaitavec un merveilleux éclat dans le ciel serein,l'Impératrice m'envoya ce message : « Le cœurdes fleurs est-il ouvert ? Qu'allez-vous me dire? » je lui répondis : « Bien qu'il soit encore tropt ôt pour parler de l'automne, cette fois il mesemble, dans la nuit, que je m'élève versvous7 42 . »

Le soir où l'Impératrice partit pour le Palais

de la Deuxième avenue7 43 , comme on ne leuravait pas dit, d'avance, dans quelle voiturechacune d'elles devrait prendre place, toutes lesdames se précipitèrent pour monter, chacune

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voulant être la première. C'était détestable, et,trois de mes compagnes et moi, nous disions enriant : « Avec cette façon de monter dans leschars, quel tumulte ! C'est tout à fait comme lejour où l'on va voir le retour de la procession,après la fête de Kamo ; toutes ces femmesperdent la tête et risquent de tomber. C'est unspectacle bien déplaisant. Mais laissons-les faire; s'il nous est impossible d'aller à la Deuxièmeavenue, faute de voiture où nous puissionsmonter, notre maîtresse l'apprendranaturellement ; elle nous en enverra bien une. »

Nous ne bougions pas, et, cependant, devantnous, les autres dames se pressaient en foulepour monter bien vite. Lorsque toutes furentassises dans les voitures, celles-ci partirent, etun fonctionnaire de la Maison de l'Impératricevoulut savoir s'il ne restait plus personne. Nousrépondîmes que nous étions encore là ; ils'approcha pour demander quelles damesavaient parlé. Quand il eut entendu nos noms, ils'étonna : « Voilà qui est bien étrange, jepensais que toutes étaient maintenant dans lesvoitures ! Mais pourquoi êtes-vous si en retard

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? On allait, à présent, faire monter lesservantes de l'Office Impérial qui portent lesustensiles. Vraiment, c'est extraordinaire ! »Voyant qu'il faisait approcher une voiture, je luidis : « S'il en est ainsi, laissez d'abord monterles servantes comme vous en aviez l'intention ;nous les suivrons. » Mais, après m'avoirécoutée, il répondit : « C'est singulier ! Quelmauvais caractère vous avez ! » Nousmontâmes.

La première voiture qui vint après celles oùles autres dames avaient pris place était, envérité, la voiture qu'auraient dû occuper lesservantes. Nous riions de voir comme elle étaitsombre, mal éclairée par une mauvaise torche.

Nous atteignîmes ainsi le Palais de laDeuxième avenue. Le palanquin del'Impératrice était arrivé de bonne heure, etl'on avait tout préparé pour le séjour de notremaîtresse. Sa Majesté ayant ordonné qu'onnous appelât, de jeunes dames, Sakyô, Kosakonet d'autres, regardaient toutes celles quivenaient ; nous n'étions pas là. Cependant, àmesure que les dames descendaient de voiture,

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quatre chaque fois, elles allaient se rassemblerautour de l'Impératrice, et celle-ci demandais :« Comment se fait-il que Sei Shônagon ne soitpas parmi vous ? » Mais personne ne le savait.

Enfin, quand toutes les dames furentdescendues, les jeunes personnes qui nouscherchaient finirent par nous apercevoir ; ellesnous dirent : « Pourquoi arrivez-vous si tard,alors que Sa Majesté parle de vous avec tantd'impatience ? » Pendant qu'elles nousconduisaient près de l'Impératrice, je regardais,tout en marchant, et j'admirais combien peu detemps il avait fallu pour que notre maitresse setrouvât, dans ce palais, comme dans unedemeure où elle eût habité depuis des années. «Pour quelle raison, nous demanda Sa Majesté,ne vous montriez-vous pas, tandis que jepressais ainsi tout le monde de questions àvotre sujet ? » Comme je ne répondais rien,l'une des dames qui étaient venues avec moi diten riant aux éclats : « Impossible de faireautrement. Comment des personnes qui setrouvaient dans la dernière voiture auraient-elles pu arriver de bonne heure ? Nous avons

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même failli ne pas pouvoir monter dans celle-ci; mais les servantes de l'Office Impérial ont eupitié de notre embarras ; elles nous l'ont laissée.Il y faisait sombre et c'était lamentable. —L'homme qui s'occupait des voitures estvraiment bizarre, déclara l'Impératrice ; maisaussi, pourquoi n'avez-vous rien dit ? Unepersonne ignorant les usages aurait pu hésiter àparler ; mais l'une de vous, Uemon parexemple, eût dû le faire. — Pourtant, répliqua ladame que notre maitresse venait de nommer,quel besoin avaient-elles toutes de courir,chacune voulant dépasser les autres ? » Enl'écoutant, je pensais que ses paroles devaientdéplaire aux dames qui nous entouraient.

« Était-ce donc se conduire en personnesrespectables, reprit l'Impératrice, que demonter en voiture en se bousculant ainsi, d'unefaçon malséante ? S'il y avait eu, pour leséquipages, un ordre fixé d'avance, tout se seraitpassé convenablement, et cela aurait mieuxvalu. » Elle paraissait ennuyée, restait pensive.« Sans doute, dis-je alors pour excuser noscompagnes, sont-elles parties avant nous parce

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qu'elles étaient fatiguées de nous attendre,pendant que nous étions dans nos chambres.

Un soir, je me rendis au Palais de la

Deuxième avenue7 44 ; o n disait en effet quel'Impératrice devait quitter ce palais lelendemain pour aller au Temple Shakuzenji, oùserait faite, en offrande, la lecture des SaintesÉcritures.

Ce soir-là, je regardai furtivement dans lachambre qui se trouve vers la faceseptentrionale du Palais du Sud7 45 . Posées surdes plateaux à pied, des lampes y étaientallumées; je vis des groupes de deux, trois ouquatre amies qui se tenaient derrière desparavents. Il y avait aussi des dames derrièrel'écran. D'autres encore ne s'étaient pointpareillement isolées : elles cousaient toutesensemble, mettaient des vêtements en piles,fixaient des cordons de ceinture à des jupesd'apparat, ou bien, comme il va sans dire, sefardaient. Celles qui arrangeaient leurs cheveuxle faisaient avec tant de soin qu'en les

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regardant, je songeais que je ne verrais sansdoute, après la journée du lendemain, riend'aussi joli.

« Il paraît, me dit une dame, quel'Impératrice doit partir à l'heure du Tigre.Pourquoi n'êtes-vous pas venue plus tôt ?Quelqu'un a envoyé un éventail pour vous, et afait demander ce que vous deveniez. » Jepensai que je devais rester là et attendre, pourle cas où ma maîtresse partirait réellement àl'heure du Tigre ; j'avais donc mis mon costumede cérémonie, quand la nuit s'éclaircit. Le soleilse leva, et j'entendis annoncer que l'on feraitapprocher les équipages de la chambre situéesous l'appentis à la chinoise de l'aile occidentale.C'était là que nous monterions en voiture.Toutes les dames allèrent vers le corridor ;celles qui étaient entrées depuis peu de tempsau service de l'Impératrice, encoreinexpérimentées, semblaient fort gênées.

Comme le Seigneur maire du palais habitaitl'aile de l'ouest, notre maîtresse y était aussi.Elle avait voulu voir tout d'abord les dames que

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l'on ferait monter en voiture ; derrière le storese trouvaient, côte à côte, l'Impératrice, laPrincesse du Palais de la belle vue, la troisièmeet la quatrième princesse7 46 , la noble épousedu Maire du palais, et les trois sœurs cadettesde cette dernière.

A droite et à gauche de la voiture, se tenaientle Premier sous-secrétaire d'État et le Capitainede la garde du corps, dignitaire du troisièmerang7 47 . Ils roulaient les stores, relevaient lesrideaux intérieurs, et ils aidaient les dames àmonter. Nous étions toutes rassemblées en ungroupe compact, et chacune aurait pu s'y cacher; mais ils nous appelaient l'une après l'autre, ensuivant une liste écrite, et ils faisaient monterquatre personnes dans chaque voiture.

En allant vers celle où je devais prendreplace, je me trouvais horriblementembarrassée. Je puis dire, en vérité, que je mesentais effarée, que mon trouble était manifeste; mais ce sont là seulement des mots ordinaireset insuffisants. Parmi tous les yeux qui nousregardaient, derrière le store, ceux del'Impératrice me voyaient aussi ; je songeais

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que peut-être elle me jugeait déplaisante, et madésolation n'avait point de bornes. J'étaismouillée de sueur, il me semblait que mescheveux, si bien apprêtés, se dressaient. Quandje fus enfin passée7 48 , j'éprouvai une extrêmeconfusion en apercevant, près de la voiture, lesdeux princes, si gracieux, qui nous regardaienttout souriants. J'étais comme en un rêve, etcependant j'arrivai sans tomber jusqu'à lavoiture. Il n'y avait pas là, je pense, de quoiprendre un air fin ; mais... !

Quand toutes les dames furent montées, ontira les véhicules dehors, on les mit sur lagrand-route de la Deuxième avenue, lesbrancards sur des tréteaux ; et j'admirai tousces chars rangés comme à l'occasion d'unefête7 49 . Je me disais que sans doute ceux quinous voyaient pensaient comme moi, et jesentais mon cœur battre.

Il arriva, en foule, des gens du quatrième, ducinquième et du sixième rang quis'approchèrent des voitures et nous parlèrenten affectant des manières recherchées. A

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commence par le Seigneur maire du palais, tousles hommes, courtisans ou gens de ranginférieur, allèrent d'abord à la rencontre de laDouairière.

C'était seulement après le passage de celle-cique devait partir l'Impératrice, et je craignaisd'avoir à rester là fort longtemps, impatiente,quand apparut le cortège que nous attendions,alors que le soleil était un peu haut dans le ciel

Nous vîmes venir quinze chars, y compriscelui de l'Impératrice douairière. Quatre étaientoccupés par des religieuses. Ils suivaient lavoiture chinoise de la Douairière, qui ouvrait lamarche. Par la portière ouvrant derrièrechacun de ceux où se trouvaient les nonnes, onapercevait leurs chapelets de cristal de roche,leurs étoles couleur d'encre claire, leursvêtements. C'était superbe. Elles n'avaient pasrelevé les stores . on voyait pourtant desrideaux intérieurs, d'une teinte violet clair, unpeu plus foncée vers les bords.

Ensuite venaient les dix voitures occupéespar les dames d'honneur ordinaires. Celles-ci

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étaient très élégamment vêtues de manteauxchinois couleur de cerisier, de jupes d'apparatviolet clair ou, pour la plupart, écarlates, et devêtements de dessus faits d'une soie serrée,non assouplie.

Bien que le soleil fût très brillant, une brumes'étendait sur l e vert clair du ciel. Cependant,les nuances des costumes de cérémonie queportaient les dames se rehaussant l'une l'autre,ces costumes semblaient encore plus jolis queles manteaux chinois faits, de toutes sortesd'étoffes merveilleuses, et le spectacle étaitd'une infinie beauté.

Le Seigneur maire du palais, avec tous ceuxdes gentilshommes de sa maison quil'escortaient, accueillirent respectueusement lamère du Souverain. Quel merveilleux spectacle! Tout le monde, en les voyant, faisait tapage.Sans doute eux-mêmes trouvèrent-ils jolies,aussi, nos vingt voitures alignées.

« Si encore l'Impératrice partait bientôt... »,pensais-je en l'attendant. Mais le temps passait,je me demandais quelle pouvait être la raisonde ce retard, et je m'impatientais, lorsque à la

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fin huit « demoiselles de la Cour » vinrent,montées sur des chevaux que des laquaisconduisaient par la bride. Il était ravissant devoir ondoyer au vent leurs jupes d'apparat, d'unbleu plus foncé vers la bordure, leurs rubans detaille et leurs ornements d'épaule. Parmi cesfemmes, il y en avait une, appelée Buzen, quiétait l'épouse du médecin Shigemasa. Commeelle portait une jupe à lacets7 50 , de tissucouleur de vi g n e 7 51 , on la distinguaitnettement des autres, et le Premier sous-secrétaire d'État du puits de la montagne7 52 diten riant : « Shigemasa a donc droit aux couleursdu Palais Impérial ? »

Les « demoiselles de la Cour », qui sesuivaient à cheval, s'arrêtèrent toutes les huit,et, à ce moment, le palanquin de notremaîtresse arriva. Nous avions trouvé superbele cortège de l'Impératrice douairière, mais iln'était pas comparable au sien. Le soleil radieuxdu matin était haut dans le ciel, les feuilles desarbres brillaient avec un magnifique éclat, ettout semblait splendide, jusqu'aux couleurs

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étincelantes des rideaux qui garnissaient lepalanquin. On tendit les cordes de celui-ci, puisil partit. Les rideaux s'agitaient doucement. Lesdames affirmaient qu'elles sentaient en véritéleurs cheveux se dresser, tant elles étaientremplies d'admiration. Certes, elles nementaient point en parlant du désordre de leurcoiffure ; mais, plus tard, celles qui n'avaientpas de vilains cheveux durent se lamenter, ausujet de ce désordre, plus qu'il n'eûtconvenu7 53 . La majesté du spectacle mestupéfiait ; je me demandais comment il étaitpossible, cependant, que je fusse tous les jours,pour la servir, auprès d'une princesse commel'Impératrice, et j'étais moi-même pénétrée derespect.

Dès que fut passé le palanquin de SaMajesté, on mit dans les voitures des serviteursles tréteaux qui supportaient les brancards desnôtres. Puis on attela rapidement les bœufs, etnous suivîmes le palanquin impérial. Il n'est paspossible de dire combien nous étions fières etravies.

Au moment où l'Impératrice arriva au

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Temple Shakuzenji, des musiciens, près de lagrande porte, jouèrent des airs coréens etchinois, et des acteurs exécutèrent les dansesdu « lion » et du « chien de Corée7 54 ». Le sonde l'orgue à bouche et le bruit du tambourétaient si forts que je perdais la tête. Je medemandais dans quel pays du Bouddha j'avaispu être transportée ; il me semblait que jemontais au ciel en même temps que le vacarmede cette musique.

Quand le cortège fut entré dans la cour, je visqu'il y avait là toutes sortes de pavillons debrocart, fermés par des stores verts tout neufs,et entourés de rideaux. Tout cela était si jolique, vraiment, on n'aurait pas cru voir deschoses de ce monde. On fit approcher lesvoitures de la tribune où déjà l'Impératriceavait pris place. Comme au départ, lesseigneurs Korechika et Takaie étaient présents,et ils nous dirent de descendre bien vite. J'avaisété très gênée au moment de monter envoiture, et là encore je rougissais un peu.Ce pe ndant , j'admirais le Premier sous-

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secrétaire d'État7 55 , beau à ravir, portant unvêtement de dessous dont la très longue traînesemblait embarrassante. Il releva le store denotre char et nous pria de nous hâter. Mescheveux postiches, que j'avais, apprêtés avectant de soin, étaient en désordre sous monmanteau chinois, et cela devait semblerétrange. Comme il faisait si clair qu'on pouvaitvoir même combien nos cheveux étaient noirsou rouges, je me désolais, et je ne pusdescendre tout de suite. « Que la dame qui est àl'arrière de la voiture passe d'abord ! » dis-je.Mais peut-être celle-ci pensait-elle comme moi,car, s'adressant au Premier sous-secrétaire, ellemurmura : « Daignez vous éloigner. Vous avezpour nous trop d'attentions. — Ah ! que vousêtes timides ! » répondit-il en riant, et il seretira ; cependant, comme nous descendions.Avec peine, il se rapprocha pour me dire : « Jesuis venu parce que l'Impératrice avait ordonnéqu'on vous fît descendre en secret, sans que lesgens comme Munetaka pussent vous voir. C'estune chose toute simple. »

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Après nous avoir aidées à sortir de lavoiture, il me conduis it près de l'Impératrice.J'étais pénétrée de reconnaissance e n songeantque ma maîtresse lui avait fait de tellesrecommandations à mon sujet.

Quand nous arrivâmes devant Sa Majesté,j'aperçus environ huit dames, descendues despremières voitures, qui étaient allées se mettreau bord de la véranda, d'où l'on devrait bienvoir la cérémonie. L'Impératrice était assise surune plate-forme à deux degrés, hauts, peut-être, le premier d'un pied, le second de deuxpieds.

« Je vous ai amené Sei Shônagon, dit lePremier sous-secrétaire d'État, et personne nel'a vue. — Où est-elle ? » demandal'Impératrice, puis elle sortit devant l'écran.

Bien qu'elle n'eût pas changé de vêtements,et qu'elle portât encore son manteau chinois,elle paraissait merveilleusement belle. Sonhabit écarlate de soie foulée semblait-il donc

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u n e chose seulement passable ? Ce qui mecharmait surtout, c'était d'admirer sonvêtement de dessous, en damas de Chine,couleur de saule ; ses cinq vêtements, dedessus, couleur de vigne, recouverts d'unmanteau chinois rouge ; et sa jupe d'apparatfaite d' « œil-d'éléphant7 56 », recouvrant unegaze de Chine ornée d'impressions bleues. Lescouleurs de tous ces tissus étaient si jolies qu'onne pouvait, semblait-il, absolument rien leurcomparer.

« Qu'avez-vous pensé en me voyant, moi etma suite ? » demanda ma maîtresse. Je luirépondis que tout m'avait paru superbe ; maisce n'étaient là que des mots ordinaires,insuffisants pour exprimer ce que j'avaisressenti. Elle reprit ensuite en riant : « Avez-vous trouvé le temps long avant l'arrivée demon cortège ? Si j'ai tant tardé, c'est que ledirecteur de ma Maison7 57 s'était dit que s'ilportait, pour m'accompagner, le vêtement dedessous qu'on lui avait vu lorsqu'il escortait lamère de l'Empereur, les gens ne manqueraient

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point de le critiquer. Il avait donc ordonnéqu'on lui fit tout exprès un autre vêtement dedessous, et nous avions attendu que celui-ci fûtprêt ! Quelle originalité ! » Le jour était pur, ilfaisait très clair où nous étions, et, en cetinstant, j'apercevais, un peu plus distinctementque de coutume, la ligne qui partageait lescheveux de l'Impératrice, légèrement déviéevers l'ornement posé sur son front. C'étaitravissant, et je ne saurais dire comme j'en avaisle regard attiré.

Deux écrans de trois pieds, formant un angledroit, séparaient l'endroit où j'étais de lavéranda où se trouvaient les sept ou huit damesdont j'ai parlé. Derrière ces paravents, il y avaitune natte dont la bordure suivait le seuil, et surlaquelle on voyait assises la dame Chûnagon,fille du commandant de la garde impérialeTadagimi, oncle du Seigneur maire du palais, etla dame Saishô, dont le grand-père paternelétait le ministre de gauche qui résidait au Tomino koji7 58 . L'Impératrice, ayant regardé de cecôté, dit : « Puisque vous êtes par là, Saishô,

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allez donc jeter un coup d'œil dans la salle oùsont les courtisans. » Mais Saishô comprit quenotre maîtresse voulait me faire venir auprèsd'elle, et répliqua « Nous sommes ici troispersonnes7 59 , cela doit bien se voir. S'il en estainsi.:. » murmura l'Impératrice ; puis ellem'ordonna d'approcher. Voyant cela, une desdames qui étaient assises plus bas chuchota : «On dirait un page admis dans les appartementsimpériaux. Peut-on croire que cela doive nousfaire rire ? » et une autre répondit : « C'estplutôt le valet d'un cavalier7 60 » Quel honneurc'était pour moi, cependant, de regarder lacérémonie, assise auprès de Sa Majesté ! Diremoi-même une pareille chose, c'est me vanter ;et puis, en ce qui concerne ma maîtresse, lesgens qui savent naturellement tout, et trouventp a r t ou t à critiquer, blâmeront peut-êtrevilainement son auguste Personne d'avoir, sansréflexion, daigné accorder son amitié à unefemme de ma sorte. Sa bonté pour moi étaitexcessive ; mais comment pourrais-je taire unechose qui mérite toute ma reconnaissance ? En

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vérité, l'amitié que me témoignait l'Impératriceétait sans doute plus grande que celle qu'onaurait pu s'attendre à lui voir accorder àquelqu'un de ma condition.

Nous pouvions admirer, d'où nous étions, latribune de l'Impératrice douairière et celles desdivers personnages.

Le Seigneur maire du palais arriva ; toutd'abord il se dirigea vers la tribune del'Impératrice douairière, il y resta un moment,puis il vint de notre côté. Les deux Premierssous-secrétaires d'État et le Capitaine de lagarde du corps, dignitaire du troisième rang7 61, se trouvaient là ; le Capitaine n'avait paschangé de costume en quittant le poste de lagarde du corps, il portait au dos l'arc et lecarquois. C'était tout à fait la tenue quiconvenait, et l'on avait du plaisir à le regarder.Une foule de courtisans, de gens des quatrièmeet cinquième rangs, venue à sa suite etcomposant son escorte, étaient assis côte àcôte.

Dès qu'il fut entré dans la galerie del'Impératrice, le Maur du palais jeta les yeuxsur nous. Toutes les dames d'honneur, etjusqu'à la Princesse de la Toilette, portaient des

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jupes d'apparat et des manteaux chinois. Quantà la noble épouse du Seigneur maire du palais,elle avait mis, sur sa jupe d'apparat, unvêtement de dessus.

« Ah ! dit le Maire du palais, quel jolispectacle ! On croirait voir un tableau. Maisn'allez pas dire plus tard qu'aujourd'hui vousavez été incommodées par vos habits ! Que latroisième et la quatrième princessedébarrassent l'Impératrice de sa juped'apparat. La maîtresse, ici, c'est elle. Le postede la garde du corps est installé devant lagalerie ; est-ce donc là une chose ordinaire, etcela n'indique-t-il pas suffisamment la positionéminente de Sa Majesté ? » Le Maire du palaisversait des larmes de joie, et tous ceux quivoyaient cette scène, en pensant qu'il avaitvraiment raison de se réjouir, sentaient leursyeux se mouiller.

Cependant, le Maire du "palais remarquamon manteau chinois, fait de cinq étoffessuperposées, couleur de cerisier rouge, et ils'exclama : « Ces jours derniers, nous noussommes trouvés, soudainement, trèsembarrassés parce qu'il manquait un costume

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de bonze. Il aurait fallu vous emprunter levôtre Si le cas se reproduisait, supposé encoreque v ous ayez retaillé un habit religieux pourvous faire un manteau, nous viendrions vous ledemander. » Tout le monde se mit à rire et leSeigneur premier sous-secrétaire d'État7 62 ,qui se tenait un peu en arrière, et qui avaitentendu, dit alors : « Sans doute est-il questiondu manteau que porte l'évêque Sei Shônagon ?» Ce n'était qu'un mot ; mais il ne manquait pasde charme.

Le Seigneur évêque7 63 avait une robe delégère étoffe rouge, une étole violette, une vested'un violet très clair et un pantalon à lacets. Onl'aurait pris pour un de ces saints qui sont prèsde parvenir à la suprême illumination7 64 ; et ilétait bien amusant de le voir se mêler auxdames. Les gens riaient en disant : « Quelleinconvenance ! Aller ainsi parmi les dames aulieu de rester avec les prélats, et de garder uneattitude majestueuse ! »

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Matsugimi7 65 était auprès de son père, leSeigneur premier sous-secrétaire d'État, etquelqu'un nous l'amena7 66 . Il portait unmanteau de cour fait d'un tissu couleur devigne, une veste de damas foulé violet foncé, unvêtement de dessus couleur de prunier rouge.Comme d'ordinaire, il y avait là une foule degens du quatrième et du cinquième rang. On fitentrer l'enfant parmi les dames, dans la galeriede l'Impératrice. Mais, je ne sais à la suite dequel accident, Matsugimi commença de pleureret de crier. C'était tout à fait ravissant.

La cérémonie s'ouvrit. On mit, dans desfleurs artificielles de lotus rouge, les cahiers dela Collection des Saintes Écritures, un danschaque fleur ; puis les prêtres et les laïques, leshauts dignitaires, les courtisans et les gens decondition inférieure, ceux du sixième rang et jene sais qui encore, passèrent tous, portant cesfleurs. J'étais, en les voyant, pénétrée derespect.

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Ensuite se déroula, autour du Bouddha, lagrande procession circulaire des bonzes ; puis leprêtre directeur des chants arriva, ce fut laprière pour les morts, suivie, après un moment,de danses.

A la fin de la journée, mes yeux, fatiguésd'avoir regardé tant de choses, me faisaientmal. Un ancien chambellan, dignitaire ducinquième rang, apporta une lettre del'Empereur. On mit un tabouret devant latribune de l'Impératrice ; et en vérité, il étaitsuperbe aussi de voir le messager assis sur cetabouret, attendant que notre maîtressedaignât lui donner une réponse.

Vers le soir, arriva Norimasa, le « troisièmefonctionnaire » du Protocole. « L'Empereur,dit-il, ordonne que son Épouse revienne tout desuite, cette nuit, au Palais Impérial, et m'achargé d'escorter l'Impératrice. » Norimasa nerepartit pas, il attendit Sa Majesté. Celle-cidéclara pourtant qu'elle irait au Palais Impérialseulement après avoir regagné, d'abord, le

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Palais de la Deuxième avenue ; mais il vintencore un censeur du service des chambellans,porteur d'un message envoyé par le Souverainau Seigneur maire du palais. Ce dernier, aprèsavoir lu, dit qu'il fallait obéir aux ordres del'Empereur, et notre maîtresse dut se préparerà rentrer au Palais Impérial.

De la galerie de l'Impératrice douairière, desserviteurs apportèrent à Sa Majesté des billetscomme celui où il était question de la chaudièreà sel de Chika7 67 et de jolis présents ; etensuite des messagers allèrent d'une tribune àl'autre. C'était splendide.

A la fin de la cérémonie, la mère del'Empereur se retira mais, cette fois, elle futaccompagnée par la moitié seulement desfonctionnaires appartenant à sa Maison et deshauts dignitaires.

Cette nuit-là, les suivantes des dames,ignorant que l'Impératrice revenait au PalaisImpérial, et pensant qu'elle irait au Palais de laDeuxième avenue, allèrent toutes à ce dernierendroit. Elles attendirent et attendirent encore

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sans voir venir leurs maîtresses. Cependant lanuit s'avançait. Au Palais Impérial, les damesattendaient elles-mêmes ces femmes quidevaient leur apporter des vêtements de nuit ;mais rien n'apparaissait. Les dames avaientf r o i d dans leurs beaux habit neufs quin'adhéraient pas au corps, elles parlaient avecaversion et colère de leurs suivantes ; cela neservait de rien. A l'aube, quand les femmesarrivèrent, les dames s'écrièrent : « Commentpouvez-vous avoir si peu d'esprit ? » Pourtant,elles avouèrent que les suivantes avaientraison, quand celles-ci eurent expliqué ce quis'était passé, en parlant vite et toutesensemble, comme pour réciter les SaintesÉcritures. Il plut le lendemain de la cérémonie,et le Seigneur maire du palais dit àl'Impératrice : « Par cette pluie qui a, pourtomber, attendu ce jour, on juge des méritesque j'ai eus dans un monde antérieur. Commentvoyez-vous cela ? »

Il pouvait, à juste titre, être fier en son cœur.

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138. Choses vénérables et précieuses Le Bâton de pèlerin des neuf articles7 68 .La prière pour les morts que l'on dit après

avoir invoqué le Bouddha.

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139. Chansons

« Le portail près duquel se dresse le

cryptomère7 69 . »Les chants qui accompagnent la danse

sacrée7 7 0 sont jolis aussi. Les chants à la mode d'aujourd'hui, longs et

compliqués.Les airs populaires, quand ils sont bien

chantés.

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140. Pantalons à lacets771

Les pantalons violet-pourpre, vert tendre.En été, j'aime les pantalons violets.Au plus fort des chaleurs, les pantalons

auxquels on a donné la couleur des insectes del'été7 7 2 ont un aspect frais.

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141. Habits de chasse Les habits dont la teinte rappelle le clou de

girofle, clairs.Ceux dont l'envers est blanc comme

l'endroit.Ceux qui sont rouge sombre, ou qui ont la

couleur des aiguilles du pin. Les pantalons qui sont de la nuance des

feuilles vertes, ou du cerisier, ou du saule, ouencore de la glycine verte.

Pour les vêtements des hommes, toutes lescouleurs sont belles.

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142. Habits sans doublure

Les vêtements blancs.Quand on est en tenue de cérémonie, il est

élégant de porter, quelques instants, unvêtement sans doublure, un gilet d'écarlate.Cependant, si la couleur du vêtement nondoublé que l'on porte est jaunie, c'est tout à faitdéplaisant. Certains mettent aussi des habits decouleur brillante ; mais, pour un homme commepour une femme, c'est encore lorsque levêtement sans doublure est blanc que tout lecostume semble le plus joli.

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143. Choses mauvaises Il est très mauvais d'employer des

expressions vicieuses. Un seul mot suffit pourmontrer à celui qui l'entend s'il parle avec unepersonne médiocre, ou distinguée, ou vulgaire.Comment cela se peut-il ? La chose étant ainsi,on a beau se dire que l'on a intérêt à s'exprimercorrectement, on ne peut pas exceller en tout.Comment savoir toujours ce qui est bien et cequi est mal ?

Quoi qu'il en soit, je ne veux pas m'occuperde l'opinion des autres. Ici, me semble-t-il, jedis seulement les choses telles qu'elles meviennent à l'esprit. On entend des gens qui,dans des phrases comme « J'ai dit ce quim'ennuyait, et j'ai l'intention de faire faire cela», omettent la syllabe « de », et disentseulement : « J'ai l'intention dire, j'ai l'intentionpartir pour la campagne7 7 3 . » C'estprécisément une grosse faute. Il est superflud'ajouter qu'on ne doit pas, à plus forte raison,employer ces tournures en écrivant.

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Inutile de dire combien c'est désagréablelorsqu'un roman est écrit d'une manièredéfectueuse. C'est tellement pénible que l'on apitié de la personne qui l'a copié.

La façon de faire des gens qui ajoutent ennote : « Ceci est à corriger », ou : « Ce passageest donné tel qu'il est dans l'exemplaire original», est extrêmement déplaisante.

J'ai entendu aussi certaines gens quiexpliquaient : « C'est en notant les pointscritiquables que je me suis trompé. » Tous ceuxqui les ont écoutés ont probablement dit, aprèscela : « On les verra sans doute, un de ces jours,demander7 7 4 à tout le monde où sont cespassages erronés ! »

Il peut arriver qu'un homme, à dessein, nechâtie pas son langage, et se serve, à l'occasion,d'une expression tout à fait commune. On netrouve pas cela mal ; mais on méprise les gensqui emploient les tournures défectueuses deleur parler provincial.

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144. « Vêtements de dessous » En hiver c'est la couleur « azalée » que je

préfère.J'aime aussi les habits de soie brillante et les

vêtements dont l'endroit est blanc et l'enversrouge sombre.

En été j'aime le violet, le blanc.

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145. Montures d'éventails

Avec un papier vert-jaune j'aime une

monture rouge.Avec un papier violet-pourpre, une monture

verte.

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146. Éventails en bois de thuya J'aime les éventails sur lesquels on ne voit

aucun dessin, et ceux qui sont ornés d'unepeinture chinoise.

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147. Divinités shintoïstes Les dieux de Matsu-no-o.Celui de Yawata7 7 5 . On est rempli de

vénération quand on pense qu'il aurait été lesouverain de ce pays. Quel superbe spectacle,lorsque l'Empereur sort de son Palais, montédans le palanquin orné de « fleurs d'oignon7 7 6

», pour aller en pèlerinage au temple de ce dieu!

Les dieux d'Oharano comme, il va sans dire,ceux de Kamo, sont augustes.

Les dieux d'Inari ; ceux de Kasugam'inspirent un profond respect.

Le nom seul du Palais Sahodono7 7 7 mecharme.

Un jour, au temple de Hirano, je remarquaiun bâtiment vide et je demandai à quoi ilservait. On me répondit que l'on y abritait lachâsse du dieu ; je fus remplie d'admiration. Lahaie sainte7 7 8 était couverte d'un épaismanteau de lierre que l'automne avait teint detoutes sortes de nuances rougeâtres7 7 9 ; me

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rappelant la poésie de Tsurayuki : « Enautomne, malgré qu'elle en ait7 80 », je restaiun long moment à contempler ce lierre.

Le dieu de Mikumari7 81 me ravit.

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148. Caps Les caps de Karasaki, d'Ika, de Miho.

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149. Maisons

Une maisonnette ronde.Une maisonnette comme celles que l'on voit

au pays d'Azuma7 82 . J'aime beaucoup entendre annoncer l'heure

au Palais Impérial. Lorsqu'il fait très froid, versle milieu de la nuit on est réveillé par un bruitde souliers ; les pas traînants se rapprochent : «kobo-kobo », et le veilleur, après avoir faitrésonner la corde de son arc, annonce d'unevoix distinguée : « Je suis Un Tel, d'une tellemaison. Voici l'heure. « le Bœuf, trois » ou « leRat, quatre7 83 » ; puis on l'entend fixer letableau de l'heure au poteau. C'est ravissant.

Les hommes qui ont gardé les habitudes deleur province disent : « Le Rat, neuf ; le Bœuf,huit ». Mais quelle que soit l'heure, c'esttoujours à « quatre » que l'on accroche letableau.

Que ce soit à midi, quand le soleil brillesplendidement, ou bien très tard dans la nuit,quand on suppose qu'il doit être l'heure du Rat,

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c'est très amusant lorsque le Souverain faitappeler auprès de lui les courtisans.

Vers le milieu de la nuit, je suis charméed'entendre la flûte de l'Empereur.

Narinobu, le capitaine de la garde du corps,est le fils du Prince Impérial7 84 , ancien'ministre de la guerre, qui s'est fait bonze. Il estd'agréable tournure et, de plus, son esprit estcharmant. Je m'imagine quelle peine dutressentir la fille de Kanesuke, le gouverneurd'Iyo, lorsque Narinobu la laissa, et qu'elle dutsuivre son père qui partait pour sa province.

Sans doute, ayant appris qu'elle devait s'enaller à l'aurore, il est venu près d'elle, le derniersoir, et il est reparti à l'aube, à l'heure où la lunepâlissait au ciel. Comme il devait être gracieuxen manteau de cour !

Autrefois, ce seigneur venait continuellementme voir et disait les pires choses des gens dontnous parlions. Il y avait alors une dame del'Impératrice qui était toujours très scrupuleuselorsqu'elle devait jeûner ou faire une retraite, etque l'on appelait par son nom de famille7 85 .

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Elle avait été adoptée par des gens dont le nométait Taira ou quelque chose d'analogue, et on lanommait ainsi ; mais les jeunes dames avaientl'habitude de l'appeler par son nom de familleoriginel, ce qui les faisait rire. Cette femmen'avait aucun charme particulier ; son surnométait Hyôbu. Bien qu'il fût difficile de lui trouverun attrait quelconque, elle était pourtanttoujours disposée à se glisser parmi les gens, àse mêler à eux. Un jour qu'elle avait agi de lasorte en présence de l'Impératrice, Sa Majestédéclara qu'une telle conduite était inconvenante; mais, par malice, personne n'en avertit ladame.

J'habitais à cette époque7 86 , avec Shikibuno Omoto, dans une chambre que l'on avaitinstallée au Palais de la Première avenue.Jamais nous ne faisions venir personne qui nousdéplût, et nous restions là, nuit et jour, dans unjoli petit cabinet situé sous un appentis, toutjuste en face de la grande porte de l'est.L'Impératrice elle-même avait l'habitude de s'yrendre, pour voir les alentours.

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Un soir, Sa Majesté avait dit que toutes lesdames devraient dormir dans sesappartements, et nous nous étions couchéestoutes deux, Shikibu no Omoto et moi, dans lachambre abritée sous l'appentis du sud, quandon frappa très fort à notre porte.

Nous fûmes d'accord pour trouver cettevisite ennuyante, et nous fîmes semblant dedormir ; mais bientôt, comme on m'appelait àgrands cris, l'Impératrice ordonna: « Holà !Faites-la donc lever ; elle feint sans doute dedormir ! » La dame Hyôbu, dont je parlais toutà l'heure, vint alors et voulut m'éveiller ;cependant je paraissais toujours endormie, ellesortit en déclarant que je ne m'étais pasréveillée du tout ; sans plus de façons, elles'assit à la porte, et se mit à causer avec levisiteur.

Je pensai d'abord que leur conversationdurerait peu de temps ; mais la nuit était trèsavancée qu'ils bavardaient encore.

Il me semblait que l'interlocuteur de Hyôbudevait être le Vice-capitaine7 87 ; de quoi,

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pourtant, pouvaient-ils parler aussi longuement? Je ne faisais cependant que rire en secret ; etcomment l'auraient-ils su ? Ils passèrent la nuità causer, jusqu'à l'aurore ; puis l'homme s'enretourna.

« Ce seigneur, pensais-je en riant, s'estmontré là bien désagréable ! S'il revient unautre jour, je ne lui adresserai pas la parole ;mais que se sont-ils dit pendant toute une nuit? » A ce moment la dame, ouvrant la porte àcoulisse, entra dans notre chambre.

Le lendemain matin, alors que nous parlionsdans la pièce située sous l'appentis, où nousavions coutume d'être, Hyôbu nous entendit ets'approcha pour me dire : « L'homme qui vientvoir une dame un jour qu'il pleut très fort estdigne de compassion. Même si, pendant desjours, il l'a laissée dans l'inquiétude, et s'il lui acausé de la peine, elle devrait, en le voyantarriver avec ses vêtements mouillés, oublier letourment qu'elle a souffert. » Je me demandaispourquoi cette femme me prêchait, et jesongeais : « Supposé que j'ai vu un homme lanuit dernière, l'avant-dernière, la précédente et

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toutes les nuits, sans exception, depuis quelquetemps; s'il vient encore cette nuit, sans êtrearrêté par une pluie battante, je me diraiqu'assurément il n'a pas voulu rester séparé demoi, même une seule nuit, et sa constancedevra me toucher. Au contraire, si un hommeque je n'ai pas vu depuis des jours, et qui m'alaissée vivre dans l'incertitude à son sujet, vientjustement me voir dans une pareille occasion, jepenserai qu'il n'aurait pu agir de la sorte s'ilavait pour moi un sentiment sincère. Il fautcroire que les gens diffèrent d'opinion là-dessus.»

Narinobu aime à fréquenter une femme7 88

qui connaît les choses pour les avoir vues etpour y avoir réfléchi, et qui lui semblebienveillante ; mais comme il fréquente aussibeaucoup d'autres amies, et qu'il a, de plus, sapropre épouse, il ne peut me faire visite trèssouvent. S'il était venu par un temps si affreux,c'est peut-être parce qu'il avait espéré que lachose me serait rapportée, qu'il serait loué. Etpourtant, s'il n'avait absolument aucune

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affection pour moi, il songerait sans doute : «Quel besoin ai-je donc de faire de pareillescombinaisons pour qu'elle me voie ? »

Quoi qu'il en soit, quand il pleut, l'ennui

m'accable, je ne me souviens plus du ciel purqui me réjouissait la veille, tout me chagrine ;même si je me trouve dans l'endroit le plussplendide de la superbe galerie du Palais, je n'enressens aucun plaisir. Naturellement, quand jesuis dans une maison qui est loin d'être aussibelle, je souhaite plus ardemment encore devoir la pluie cesser bientôt. Rien ne m'amuse,rien ne me charme.

Au contraire, je suis ravie quand me rendvisite, au clair de lune, un ami qui, admirant cebeau ciel, s'est souvenu de moi après dix jours,vingt jours, un mois, ou peut-être une et, à plusforte raison, sept ou huit années. Alors mêmeque je suis dans un endroit où il est très difficilede recevoir des visites, où l'on craint toujoursles regards, je ne manque pas, sans que nousnous asseyions seulement, de dire quelques

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mots à cet ami, je le prie de revenir ; et si jepuis le garder auprès de moi, il faut que je leretienne.

Quand je contemple le clair de lune, je penseà ceux qui sont au loin7 89 , et il n'est pasd'autre moment où je me rappelle aussi bien leschoses du passé : les choses tristes, lesjoyeuses, celles que j'avais trouvées plaisantes.C'est comme si je venais de les voir. Le « Contede Komano » ne me charme point ; il est écritdans un style antique, et l'on n'y trouve guèrede passages intéressants. Cependant, quand jeme rappelle l'ancien temps, sous la lune, j'aimeà prendre mon éventail chauve-sourisvermoulu, et à rester sur la véranda, enrécitant le poème du « Cheval qui a vuautrefois7 90 ».

C'est peut-être parce que je suis d'avancepersuadée que la pluie est ennuyeuse ; toujoursest-il que s'il pleut, même un instant, je trouvecela détestable.

Que la pluie vienne seulement à tomber : lescérémonies où se presse le monde élégant, les

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fêtes qui auraient dû amuser, et les solennitésqui auraient été superbes, n'ont plus aucuncharme.

Il n'est pas besoin de dire combien je leregrette ; et pourquoi donc devrait-ons'émerveiller devant ces gens qui arrivent chezvous, tout trempés de pluie, et qui se répandenten lamentations ? A la vérité, le « lieutenant dela cave », que détestait le lieutenant deKatano7 91 , me plaît, bien qu'il soit accouruprès de sa dame alors qu'il pleuvait. Mais c'estparce qu'il était venu aussi la nuit d'avant et,déjà, la nuit précédente. A son grand déplaisirses chaussures, qu'il avait nettoyées, auront dûse salir de nouveau. S'il n'était pas venu ainsi,chaque nuit, qu'aurait-il fait d'admirable enarrivant sous la pluie ?

Quand un ami vient me voir une nuit où levent souffle en tempête, je pense que je puiscroire à son affection, et je ne manque pointd'être charmée.

Je suis ravie qu'on me fasse visite lorsqu'ilneige. Il va sans dire que c'est agréable quandj'attends, cachée, en me disant : « M'aura-t-il

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oubliée7 92 ? » Même dans un endroit où il n'estpas du tout besoin de mystère, je suis toujourscharmée à l'extrême de recevoir un ami dont lafroide neige a trempé le vêtement, que levisiteur porte un habit de chasse, un habit dedessus, ou bien un costume vert-jaune dechambellan, sans qu'il soit utile de parler d'unmanteau de cour. Aurait-il la courte robe verteque l'on voit aux gens du sixième rang, celle-cine pourrait me déplaire, dès qu'elle seraitmouillée par la neige.

Autrefois, les chambellans portaient toujoursle vêtement vert-jaune quand ils allaient la nuitchez une dame, et lorsque cet habit étaittrempé de pluie, avant d'entrer ils le tordaient ;on m'a conté, du moins, quelque chose commecela. Mais maintenant, il semble bien qu'ils ne lemettent point, même pour venir en plein jour,et ils n'ont tous qu'une courte robe verte. Qu'ilsétaient beaux, pourtant, les costumes vert-ja u ne , et surtout ceux que portaient leschambellans appartenant à la garde7 93 ! Quandils sauront ce que j'ai dit, pourra-t-il se trouver

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des gens qui n'aillent point par la pluie, vêtus del'habit vert-jaune7 94 ?

Une nuit où la lune était très claire, un

messager avait mis, dans la chambre situéesous l'appentis, une lettre écrite sur du papierrouge, écarlate, d'une ravissante nuance.

« Je veux seulement, avait-on écrit, vousdemander comment vous trouvez cette nuit, etje n'ai rien d'important à vous communiquer. »Ce qui me charmait, c'était de lire cette lettre àla clarté de la lune. S'il avait plu, aurais-je eutant de plaisir ?

Un ami qui m'écrivait constamment me dit

un jour : « Pour quoi donc continuer nosrelations ? Inutile à présent de parlerdavantage. Maintenant, c'est fini ! » Lelendemain, il ne me donna pas signe de vie ;quand vint l'aurore7 95 , contre l'habitude, je nevis point de lettre, et je sentis qu'il memanquait quelque chose. « Voilà, m'écriai-je, dela ponctualité ! » La journée passa. Le joursuivant, il pleuvait très fort ; à midi je n'avais

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encore rien reçu, et je déclarai : « Il m'acomplètement chassée de sa pensée. » Mais lesoir, au crépuscule, alors que j'étais assise aubord de la véranda, un enfant, abrité sous unparapluie, m'apporta une lettre que j'ouvris etlus avec encore plus de hâte qu'à l'ordinaire.Elle contenait ces mots : « La pluie qui faitmonter l'eau7 96 », et c'était plus joli que si l'onavait composé, pour me les envoyer, quantitéde poésies.

Un jour, rien n'avait fait prévoir, dans lamatinée, qu'il dût neiger. Cependant, le ciel clairse couvrit tout à coup de nuages sombres, et laneige tomba en épais flocons qui obscurcissaientle paysage. Je sentis mon cœur se serrer ; jevoulus regarder au-dehors. Avant que j'eneusse eu le temps, la neige s'était accumulée enun blanc manteau. Elle tombait encore enabondance. Soudainement, je vis paraître unhomme appartenant à la maison de quelqueseigneur ; il était élancé, très élégant, ets'abritait sous un parapluie. Il entra par lagrande porte dans la cour de la maison voisine,

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et je le vis, amusée, remettre une missive.C'était une « lettre nouée »; on avait écrit surdu papier de Michinoku, très blanc, ou sur unépais papier blanc de fantaisie ; comme l'encrequi avait servi à tracer le sceau s'était trouvéefortuitement gelée7 97 , les traits paraissaientplus grêles à la fin. Quand la dame à laquellece t t e lettre était adressée l'eut ouverte, jeremarquai qu'à la place du nœud, le papier,serré auparavant en un mince rouleau, étaittout plissé. L'encre semblait très foncée encertains endroits, et claire ailleurs ; les lignesd'écriture, pressées, couvraient les deux facesdu papier. La dame lisait et relisait longuement,et bien que je ne fusse pas à côté d'elle, j'avaisdu plaisir à la regarder en me demandant ceque pouvait contenir sa lettre. Je fus encoreplus intriguée quand je la vis sourire endéchiffrant quelque passage ; mais, éloignéecomme je l'étais, je pouvais seulement penserque tel caractère plus noir que les autres devaitêtre celui-ci ou celui-là.

Une dame au charmant visage, et dont le

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front est ombragé par de longs cheveux, vientde recevoir une lettre, à la brune. Sans douteétait-elle trop impatiente de la lire pourprendre le temps d'allumer une lampe. Avecdeux baguettes, elle a tiré du brasier rond unmorceau de charbon ardent ; à la lueur de cettebraise, elle parcourt sa lettre et semble peusûre de ce qu'elle lit. Je la regarde avecravissement.

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150. Choses magnifiques Le commandant de la garde du corps qui fait

écarter les g e n s avant le passage del'Empereur.

La lecture du « Livre sacré du paon7 98 ». Parmi les prières, celle des « Cinq grands

Vénérables7 99 ».U n chambellan, « troisième fonctionnaire »

du Protocole, quand il marche lentement sur lagrand-route, le jour de la fête des chevauxblancs.

Lors de la réunion d'abstinence à la Cour800, les capitaines de la garde du Palais, de gaucheet de droite, auxquels on a donné desvêtements de tissu imprimé.

La « Lecture sacrée » au Palais, aux deuxsaisons801 .

L' « Auguste prière du Roi vénérable etvictorieux802 ».

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L' « Auguste prière du Prospère et glorieux».

Quand l'orage gronde très fort, les gardes, auposte du tonnerre, sont extraordinairementeffrayants. Les commandants, capitaines etlieutenants de la garde du corps, de gauche etde droite, se tiennent contre les fenêtres detreillis, devant le Palais Impérial803 , pourprotéger Sa Majesté. C'est magnifique. Dès quele calme sera revenu, les commandantsordonneront à leurs hommes d'entrer dans lePalais pur et frais, ou de se retirer.

Le paravent dont les peintures représententles paysages de la « Description originale de laterre804 ». Il a un nom auquel j'aime à penser.

Le paravent sur lequel sont figurées lesscènes de l' « Histoire des Kan805 ». Il estconnu pour le caractère héroïque de sespeintures.

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Le paravent que décore la suite des mois806est joli aussi.

Après avoir fait un long détour807 pouréviter de marcher dans une direction néfaste,on revient chez soi, dans la nuit profonde.Comme le froid est très vif, tous les hommesd'escorte baissent le menton. On finit pararriver, on approche le brasier rond. C'estsuperbe quand on y trouve un grand feu, sansla plus petite place noire ; mais la braise quel'on retire de dessous les fines cendres, et qui seranime, vous fait un plaisir extrême.

On est assis près du feu ; on bavarde, et s'ils'éteint, on n'y fait pas même attention ; maisqu'une autre personne vienne, mette ducharbon dans le brasier et rallume le feu, ontrouvera cela très désagréable. Cependant, sielle place soigneusement les charbons toutautour du brasier, et met le feu au centre, c'estbien. Si elle ramène tous les tisons enflammésvers le bord, et fait, des nouveaux charbons,une pile sur quoi elle place ensuite ces tisons,

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c'est tout à fait déplaisant.

Ce jour-là, une neige épaisse couvrait le sol ;contre l'habitude, on avait baissé les fenêtres detreillis, et les dames, rassemblées autour del'Impératrice, attisaient le feu dans le brasiercarré, tout en bavardant.

« Shônagon, me demanda ma maîtresse,comment est donc la neige sur le pic de Kôro808

? » Je relevai la fenêtre et je roulai le store bienhaut. Sa Majesté sourit ; toutes les autresdames connaissaient comme moi la poésie àlaquelle j'avais pensé ; certaines l'avaient mêmetraduite en vers japonais. Pourtant, ellesn'avaient pu s'en souvenir sur-le-champ.

« Vraiment, dirent les gens, Sei Shônagon estla personne qu'il faut pour servir uneImpératrice comme la nôtre ! »

Les jeunes garçons qui secondent les

magiciens savent à merveille ce qu'ils ont à

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faire. Quand son maître est allé, par exemple,effectuer une purification, les gens écoutentl'acolyte lire les prières, et trouvent cela toutnaturel. Il s'élance sans bruit ; avant mêmequ'on lui ait ordonné d'asperger d'eau claire levisage du malade, il sait, pour les avoir faitsbien des fois, quels pas et quels gestesconviennent. Son maître n'a pas besoin de luidire le moindre mot. Cela me rend envieuse, etje pense que je voudrais bien avoir à monservice des domestiques aussi intelligents.

J'étais allée une fois, au troisième mois809 , à

la petite maison d'un ami, dans l'intention d'yfaire une retraite d'abstinence. Les arbres dujardin ne méritaient guère d'attention ; mais,parmi eux, j'en remarquai un auquel les gensdonnaient le nom le saule. Il n'avait pasl'élégance des arbres que j'étais habituée àentendre appeler ainsi ; ses feuilles étaientlarges, il me parut déplaisant. « On croirait quece n'est pas un saule ! » dis-je. Mais on merépondit qu'il y avait aussi des saules commecelui-là ; et regardant cet arbre, je pensai :

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« Ah ! la maisonOù les sourcils que forment les feuilles des

saules,En s'étalantAvec présomption,Déshonorent le visage du printemps810 ! » Cette fois-là, étant donné l'aspect de l'endroit

où je m'étais retirée, je m'ennuyai de plus enplus et, vers le milieu du deuxième jour, j'étaisd'une humeur telle que j'aurais voulu reveniraussitôt au Palais.

A ce moment je reçus, de la part de mamaîtresse, un billet que je lus, ravie. Sur dupapier vert tendre, la dame Saishô avait copié,d'une très gracieuse écriture, cette poésie del'Impératrice :

« Comment ai je pu,Sans vous, passerLe temps écoulé ?Ah ! ces deux jours d'hier et d'aujourd'hui,Que j'ai vécu dans l'inquiétude. » Saishô, d'elle-même, avait ajouté : « Il me

semble, aujourd'hui déjà, que vous êtes partie

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depuis mille années811 . Revenez bien vite, auplus tard demain à l'aurore ! » Ces seuls motsde la dame paraissaient bien faits pour mecharmer; à plus forte raison, j'étais loin d'êtreindifférente à la forme aimable du poèmequ'avait composé notre maîtresse. Cependant,je ne songeai pas que ma réponse était destinéeà Sa Majesté, j'écrivis :

… « Ah ! ces vers composés en pensant àl'ennui que je pouvais ressentir

… « Ah ! en quelle triste contemplation jerestais perdue

En un pareil endroit,Alors que ce jour de printempsVous semblait si long à passer,A vous qui étiez au-dessus des nuages812 .

» et, pour Saishô : « Peut-être, avant que

finisse cette nuit, vais-je faire comme lelieutenant813 ! »

Je revins au Palais le lendemain, à l'aube etl'Impératrice déclara : « Votre réplique d'hier,dans laquelle vous disiez que les jours

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semblaient trop longs, m'a paru fortdéplaisante814 . Toutes les dames l'ontbeaucoup critiquée. » J'étais désolée ; maisj'avais assurément mérité ces blâmes.

Alors que je faisais une retraite au temple deKiyomizii, j'écoutais un jour la musiquebruyante des cigales, quand un messagerspécial de l'Impératrice m'apporta une lettreque Sa Majesté avait écrite sur du papier deChine, teinté de rouge :

« Si vous avez compté toutes les fois qu'a

résonné,Au crépuscule, la clocheDu temple, près de la montagne,Vous devez savoir depuis combien de joursMon cœur soupire. Et pourtant ! Quel séjour d'une durée sans

pareille vous faites là-bas ! » Comme, cette fois-là, en partant pour ce

voyage815 , j'avais oublié d'emporter du papierconvenable, j'écrivis ma réponse sur un pétalede lotus816 pourpre, et je l'envoyai à mamaîtresse.

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Le vingt-quatre du douzième mois,l'Impératrice fit faire l' « Énumération desnoms des Bouddhas817 ». Il devait être plus deminuit quand les assistants se retirèrent aprèsavoir écouté le bonze qui dirigeait la récitationdes Saintes Écritures pendant la premièreveille. Ils s'en allèrent dans la nuit, vers leurdemeure ou bien vers quelque rendez-voussecret ; pour moi, je revins en voiture avecd'autres personnes, et le trajet me parut fortagréable.

La neige qui tombait depuis quelques joursavait ce matin-là cessé, le vent soufflaitviolemment. De merveilleuses pendeloques deglace étincelaient. Par-ci, par-là on voyait le solnoir, aux endroits que la neige ne cachait pas.

Cependant, toutes revêtues d'un blancmanteau où les rayons de la lune, pâlie parl'aurore, ne laissaient pas un coin d'ombre, lesmisérables cabanes des pauvres genssemblaient elles-mêmes ravissantes. On eûtpensé que leurs toits étaient d'argent, etvolontiers j'aurais pris les glaçons pour des tigesde cristal, les unes longues, les autres courtes,

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partout suspendues à dessein. Je n'en sauraisdire le charme.

Notre voiture n'avait pas de rideauxintérieurs, les stores étaient relevés tout enhaut, et la lumière pénétrait jusqu'au fond. C'estainsi que je pus voir une dame qui portait septou huit vêtements violet clair, prunier rouge,blanc... et, par-dessus, un manteau violet foncédont le lustre éclatant resplendissait sous lalune.

A côté de cette délicieuse personne, étaitassis un courtisan, dont j'admirais le pantalon àlacets de tissu façonné, couleur de vigne, et lesnombreux vêtements blancs. Des étoffes jauned'or comme la kerrie, d'autres écarlates,débordaient de ses manches ; le cordon fixé àson manteau de cour, tout blanc, était dénoué ;il avait ouvert bien grand, et rejeté sur sesépaules, le haut de ce manteau, découvrantainsi largement ses autres habits. Une de sesjambes, sur laquelle retombait le bas dupantalon à lacets, sortait, en avant, de lavoiture, et les gens, si quelques-uns nousrencontrèrent en chemin, durent trouver à cela

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beaucoup de grâce. Comme la dame, craignantla trop vive clarté de la lune, s'était glissée, pourse cacher, au fond de la voiture, le courtisan latira vers la lumière. On la vit distinctement, ettout le monde rit818 . C'était bien amusant ! Legentilhomme, ensuite, nous charma en récitantplusieurs fois le poème chinois : « Sous l'intenseclarté, la campagne semble couverte deglace819 . » J'aurais voulu rester en voituretoute la nuit, et je regrettais d'être déjà prèsd'arriver.

Quand des dames en service au Palais, setrouvant ensemble à la campagne, parlent avecadmiration de leurs maîtres, et se racontentmutuellement toutes sortes de choses à proposd u Palais et de ses alentours, au sujet desgentilshommes, il est amusant pour le maîtrede la maison où elles séjournent de les entendrecauser ainsi de ses propres seigneurs.

Je voudrais habiter une maison spacieuse etjolie. A côté de moi logerait, il va sans dire, mafamille, et je souhaiterais d'y voir aussi unepersonne capable de converser un peu avec moi

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: une dame en service au Palais. Lorsqu'il nous plairait, nous nous réunirions

pour causer, pour nous entretenir des poésiesque les gens auraient composées, et de touteschoses. Chacune apporterait à l'autre les lettresqu'elle aurait reçues ; nous les lirions ensemble,et nous écririons ensemble les réponses.

Si une personne venait me faire une visite debonne amitié, je l'inviterais à entrer dans lamaison, joliment ornée ; si, par exemple, lapluie l'empêchait de repartir, je la traiteraisgracieusement.

Quand l'amie qui habiterait avec moi irait auPalais, je m'occuperais avant qu'elle s'en aille detout préparer pour elle, et ensuite j'agirais à maguise pour lui envoyer ce qu'il lui faudrait.

Tout ce qui touche à l'existence despersonnes bien nées me charme. Peut-être ai-je là une étrange pensée !

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151. Gens qui imitent ce que font les autres Les gens qui bâillent.Les enfants.Les gens de peu, lorsqu'ils sont impudents.

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152. Choses auxquelles on ne peuts'abandonner

Les gens qui passent pour mauvais. Et

pourtant, ils semblent plus francs que certainsautres dont on connaît la bonté.

Aller en bateau.Je fis un jour une promenade en mer. Le

soleil était radieux, et la surface de l'Océan,merveilleusement calme, semblait une étoffelustrée, vert clair, que l'on eût partout étendue.Les jeunes dames ne paraissaient pas avoir lamoindre crainte. Elles portaient simplement ungilet ; elles maniaient les rames avec les gens denotre suite, en chantant à l'envi. C'étaitravissant, et nous aurions bien voulu montrerce spectacle à quelque personne d'un haut rang.

Tout en songeant ainsi, nous allions, quand levent se mit à souffler violemment. La mer,agitée soudainement par la tempête, devintmauvaise. Nous étions sans pensée ; vraiment,à voir les vagues bondir par-dessus le bateaupendant tout le temps que nous mimes àgagner, en forçant de rames, l'endroit où nous

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devions aborder, on n'aurait jamais cru quec'était là cette mer si tranquille un instantauparavant.

Si l'on y réfléchit, on voit que les gens quivont en bateau sont loin d'être méprisables.Ceux qui ont à naviguer à la rame, montés dansun frêle esquif, ne méritent point qu'on lesdédaigne, même si la profondeur de l'eau surlaquelle ils voguent n'est jamais très grande ; etils le méritent bien moins encore, ces bateliersqui vont sur une mer dont on ne connaît pas lefond, profonde peut-être de mille brasses, etqui courent, sans aucun souci du danger, dansleurs barques si chargées que l'eau n'est qu'à unpied du bord ! On pense que le moindre fauxpas suffirait pour les précipiter dans l'abîme.

On s'émerveille aussi lorsqu'on observe desmariniers qui jettent dans leur bateau, avec unbruit sonore, cinq ou six énormes sapins ayantdeux ou trois pieds de tour.

Les gens d'un haut rang vont en bateauxcouverts. Cependant, si ceux qui restent aufond de la cabine ont quelque sécurité, ceux quise trouvent près du bord ont le vertige.

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Comme les cordes retenant les rames, queles bateliers ont attachées, et dans lesquelles ilsont tranquillement passé leurs avirons, mesemblent peu solides ! Si un de ces liens serompait, qu'arriverait-il ? Soudain le rameurtomberait et s'enfoncerait dans les flots ; etpourtant, ces cordes si importantes ne sontjamais très grosses.

Une fois, j'étais montée dans une de cesembarcations, dont la cabine, très jolie, avaitdes stores à tête transparents, une porte àdeux battants et des fenêtres de treillis.Cependant, ce bateau ne semblait pas si lourdque la plupart de ceux de sa sorte, et l'on y étaittout à fait comme dans une petite maison. Unep e u r extraordinaire me prenait quand jeregardais les autres barques. Vraiment, cellesqui étaient au loin ressemblaient absolument àdes feuilles de bambou que l'on eût fait flotter,éparpillées sur la mer.

Quand nous arrivâmes au port, dans tous lesbateaux brillaient des lumières, et le tableauétait ravissant. Le lendemain matin, à l'aube, jefus émue en voyant les bateliers qui partaient à

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la rame, montés dans ces tout petits canots quel'on appelle des allèges, et, c'est vrai, « derrièreces barques, les blanches vaguesdisparaissaient sans laisser de trace820 ».

Il me semble, après tout, que les gens d'unrang passable ne devraient pas aller en bateau.On a du reste assez de raisons pour être effrayéquand on se contente de voyager à pied.Pourtant; quoi qu'il arrive, on est alors toujourssur la terre ferme, et c'est là, je pense, unechose bien faite pour donner de la confiance.

Les pêcheuses qui plongent dans la mer ontun bien triste métier ! On se demande cequ'elles feraient si la corde attachée à leurceinture venait à se rompre. Si c'étaientseulement des hommes qui fissent leurbesogne, on trouverait la chose possible ; mais àdes femmes, il doit falloir un courage au-dessusdu commun. Pendant qu'elles travaillent, leshommes sont dans leurs barques, et, tout enchantant à pleine voix, ils avancent et laissentflotter sur la mer la corde faite avec l'écorce dumûrier. Sans doute ne s'inquiètent-ils pas du

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grand danger que courent les femmes ! Quandles pêcheuses veulent revenir à la surface, ellestirent sur la corde. Alors les hommes seprécipitent pour la saisir, ils l'amènent à euxavec une hâte bien compréhensible. Vraiment,les gens qui voient seulement ces femmes, àbout de souffle, s'appuyer sur le bord dubateau. sentent leurs paupières se mouiller ; onest stupéfait, au point de n'en pas croire sesyeux, quand on regarde les hommes qui vont çàet là, sur la mer, après avoir laissé lespêcheuses s'enfoncer dans l'eau. Ce ne sont pas,je suppose, des choses que l'on puisse jamaiss'attendre à voir.

Un lieutenant appartenant à la garde duPalais, de droite, et dont les parents étaientdéplaisants821 , avait l'âme assez basse pourpenser qu'il éprouvait de la honte chaque foisqu'on les voyait, et, en venant de la provinced'Iyo à la capitale, il les précipita dans la mer.Les gens, ayant appris ce qui s'était passé,demeuraient tristes et stupéfaits. Cependant, lequinzième jour du septième mois, cet homme

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dit qu'il allait célébrer la fête des morts822 enl'honneur de ses parents défunts, et aprèsl'avoir vu se hâter de faire ses préparatifs, lechanoine Dômei823 composa cette poésie :

« Quelle pitié c'étaitDe voir cet hommeCélébrer la fête des mortsAprès avoir précipité ses parentsDans l'Océan824 ! »

Quand je me rappelle ces quelques vers, jesuis remplie d'émotion.

Autre anecdote : on avait appris à la

Dame825 , mère du Seigneur d'Ono, que les «Huit Instructions » avaient été prêchées auTemple Fumonji, et, le lendemain de lacérémonie, comme une foule de gens setrouvaient assemblés au Palais d'Ono, jouant dela musique et composant des poésies, la Dameimprovisa, dit-on, ce poème :

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« Hier,On achevaDe couper le bois à briller.Aujourd'hui, le manche … de la cognée … d'OnoPourrira ici826 . » J'en suis émerveillée.En lisant ces pages où je rappelle, l'une après

l'autre, deux poésies, on pourra croire que jevenais d'entendre celles-ci quand je les ainotées.

Autre chose encore : Les paroles de la

princesse827 , mère de Narihira, écrivant à sonfils qu'elle désirait toujours plus ardemment levoir, m'émeuvent et me ravissent. Jem'imagine ce qu'il dut penser quand il eutouvert et lu la lettre de sa mère.

J'ai noté dans mon cahier une poésie que

j'avais trouvée jolie. Une servante la lit et larécite à tort et à travers. Cela m'attriste.

Et quand j'entends quelqu'un lire un poème

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tout d'une traite sans prendre garde à lamesure !

Quand une servante loue un hommemédiocre, et dit qu'il e s t merveilleusementaimable, cela ne manque pas de le rabaisseraussitôt dans l'esprit des gens. Contre touteattente, on estime davantage celui qu'elleblâme.

Même pour une femme, il est mauvais derecevoir les éloges des servantes.

Et puis, quelle pitié n'est-ce pas d'entendreces personnes qui, tout en louant quelqu'un, ontdes mots malheureux !

Un soir828 , le Seigneur premier sous-

secrétaire d'État vint au Palais ; il parla delittérature avec l'Empereur. La conversationdura, comme à l'ordinaire, jusqu'à une heureavancée de la nuit, et les dames qui se tenaientaux côtés de Leurs Majestés se retirèrent, uneou deux s'en allant à la fois. Quand elles furenttoutes couchées, à l'abri des regards derrière. leparavent ou l'écran, je résistai à l'envie dedormir qui me prenait, et je restai là, seule des

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dames.

Le veilleur annonça le quatrième quart del'heure du Bœuf. « L'aurore est venue »,murmurai-je pour moi-même. Mais le Premiersous-secrétaire dit à l'Empereur : « Voici la nuitqui s'achève, il est trop tard, maintenant, pourque Votre Majesté rentre dans sesappartements » « Korechika n'a pas songé qu'ilfallait dormir, me dis-je hélas ! pourquoi a-t ilainsi parlé ? » S'il y avait eu d'autres damesavec moi, j'aurais pu exprimer ma pensée ; onn'eût pas reconnu ma voix parmi les leurs.

L'Empereur, s'appuyant contre un pilier,s'assoupit. « Regardez-le, chuchota le Premiersous-secrétaire à l'Impératrice, est-il possibleque Sa Majesté s'endorme à cette heure,maintenant qu'il fait jour ? — En vérité »,répliqua ma maitresse en riant ; maisl'Empereur n'entendit pas même ce rire.

Cependant, une jeune fille, au service d'unedes femmes qui gouvernent les domestiques,

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ayant attrapé un coq, l'avait caché, en déclarantqu'elle l'emporterait le lendemain chez elle. Jene sais comment la chose se fit, mais un chiendécouv rit et poursuivit l'oiseau, qui s'enfuitjusqu'à l'extrémité de la galerie avec force cristerrifiants. Tout le monde fut réveillé.L'Empereur lui-même, s'éveillant en sursaut,s'écria : « Qu'est il arrivé ? » Le Premier sous-secrétaire d'État répondit en déclamant lepoème chinois : « La voix surprend, dans sonsommeil, le monarque éclairé829 . » Il récitait àmerveille ; c'était un régal de l'entendre, etmoi-même, qui, toute seule, sentais le sommeilalourdir mes paupières, j'ouvris mes yeux toutgrands. L'Impératrice, charmée, elle aussi,déclara : « Voilà qui est dit fort à propos ! »Quelle jolie chose, encore, qu'une telle louange !

La nuit suivante, l'Empereur avait regagnéses appartements, et, vers minuit, étant sortiedans la galerie, j'appelais quelque servante,quand le Premier sous-secrétaire me demanda! « Allez-vous à votre chambre ? Je vous

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accompagnerais !Je suspendis à un paraventma jupe d'apparat et mon manteau chinois, puisje partis avec lui.

Il faisait un merveilleux clair de lune. Lemanteau de cour que portait le Premier sous-secrétaire paraissait d'une blancheur éclatante,et, pendant qu'il marchait, ses piedss'embarrassaient dans le bas de son pantalon àlacets, trop long de moitié. A un moment, il meretint par la manche, en disant : « Ne tombezpas ! » et comme il me guidait, je l'entendisréciter : « Alors que le voyageur marche encoreà la clarté mourante de la lune830 . » J'étais, denouveau, ravie à l'extrême, et le Premier sous-secrétaire s'exclama : « Vous vousenthousiasmez trop pour ces sortes de choses »,puis il se mit à rire. Et pourtant ! commentn'aurais-je pas goûté le charme d'une poésiedite aussi joliment ?

Un jour, nous étions dans la chambre de la

Princesse de la Toilette831 avec Mama, la

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nourrice de l'Évêque832 lor squ'un hommes'approcha de la terrasse de bois. Il semblaitprès de pleurer. « Un horrible malheur m'estarrivé, nous dit-il, et je ne sais à qui meplaindre. » Comme nous lui demandions de quoiil parlait, il répondit : « Une affaire m'avaitforcé à quitter ma demeure pour quelquetemps, et, pendant mon absence, ma misérablemaison a brûlé. Depuis quelques jours, je viscomme le bernard-l'ermite, en me glissant chezles autres833 . Le feu a pris dans une maison oùles gens des écuries impériales emmagasinentdu foin ; il s'est communiqué à la mienne. Unehaie, seule, séparait les deux bâtiments, et unjeune domestique qui dormait dans machambre a bien failli périr ; on n'a pas sauvé lamoindre chose. »

Après l'avoir entendu, tout le monde éclatade rire, jusqu'à la Princesse de la Toilette, etj'écrivis ces quelques vers :

… « Même votre chambre à coucher … « Même Yodono, votre pays,Ne pourrait, sans doute, demeurer,

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Quand le … feu, au printemps, … soleil,au printemps,Est si fort qu'il … brûle … fait pousserLe fourrage impérial ! » « Donnez-lui ça », dis-je à la nourrice, en

jetant à cette femme le papier sur lequel j'avaisécrit. Après avoir ri bien fort, elle le remit àl'homme, et lui déclara . « La personne qui estlà vous fait ce présent ; sans doute l'avez-vousapitoyée en racontant l'incendie de votremaison. »

« Qu'est-ce que ce ruban de papier,demanda le pauvre hère, et que me vaudra-t-il? » La nourrice lui répondit de le lire d'abord. «Comment ferais-je ? répliqua-t-il ; aucun demes deux yeux n'en est capable834 . - Montrezce papier à quelqu'un, repartirent alors lesdames ; Sa Majesté nous a envoyé dire de venirsur-le-champ, et nous nous rendons bien vite àson palais. Quelle inquiétude pourriez-vousavoir encore, après qu'on vous a donné unechose aussi précieuse ? » Toutes se mirent à

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rire comme des insensées.En allant près de l'Impératrice, nous nous

demandions : « Aura-t-il fait voir ce papier à quelqu'un ?

Comme il sera furieux quand il aura regagnéson village ! » Lorsque nous fûmes arrivéesdevant Sa Majesté, Mama lui raconta l'histoire,et il y eut encore force rires.

L'Impératrice, elle-même, rit en nous disant: « Comment pouvez-vous être aussi folles ? »

Je m'imagine un jeune homme qui a perdu sa

mère. Son père, resté seul, l'aime tendrement ;mais une nouvelle épouse, désagréable, estarrivée dans la maison et, depuis ce temps, lefils ne peut plus entrer dans les appartementsde son père. Il a chargé sa nourrice, ou bien uneservante de la défunte dame, de soigner lesvêtements qu'il porte. Il loge dans l'aileoccidentale ou orientale du manoir, au besoindans une chambre d'amis, très jolie, avec desparavents et des écrans ornés de peintures quisont elles-mêmes remarquables. Personne nese plaint de son service à la Cour, et tous sont

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ses amis. Il charme jusqu'à l'Empereur ; SaMajesté le mande continuellement. Elle aimequ'il vienne faire de la musique avec Elle.Pourtant, ce jeune homme est toujours triste ; ilsemble que rien au monde ne le contente. Ildoit avoir pour le libertinage un penchantsingulier. Il a seulement une sœur cadette,mariée à un haut dignitaire qui chérit sonépouse comme une femme dont on ne sauraittrouver la pareille. A cette sœur, le jeunehomme confie toutes ses pensées ; il bavardeavec elle, et c'est là sa consolation.

Je ne sais qui a pu dire : « Il n'est pas de

manteau pour l'Évêque Jôchô835 , ni de giletpour le seigneur Suisei. » Mais c'est bienamusant.

Quelqu'un m'ayant demandé, une fois, s'il

était vrai que je devais aller en Shimotsuke, jerépondis :

« Ah ! l'armoiseDe la montagne à laquelle

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Je n'avais pas pensé le moins du monde !Qui vous annonça … qu'elle croissait au

village ... qu'il en était ainsi à

proposD'Ibuki836 ? » Une dame du Palais entretenait d'amicales

relations avec un homme, fils du gouverneur deTôtômi ; mais elle apprit qu'il était au mieuxavec une autre femme, en service au mêmepalais qu'elle. La dame montra du ressentimentà son ami ; elle voulut qu'il jurât en prenant sonpère, le gouverneur, à témoin. « On vous a faitlà un affreux mensonge, assura-t-il, je n'aijamais vu cette personne, même en rêve. »Ayant entendu dire qu'elle demandait ce qu'elledevait lui répondre, je composai pour elle cetteréplique :

« Jurez, seigneur,Par ... le gouverneur … le dieuDe Tôtômi !

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N'avez vous jamais vu… Le pont de Hamana ? »… Le bout des doigts de celle femme837 . » Un jour, je conversais avec un homme, dans

un endroit qui n'était guère commode pour unrendez-vous, quand il me dit : « Je n'ai pas dutout le cœur en repos ; comment cela se fait-il ?» Je lui répondis :

« Dans la Montée des rencontres,On n'a jamais le cœur en repos,Car on craintQue quelqu'un ne voie l'eauDu puits jaillissant838 . »

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153. Manteaux de femmes

J'aime les couleurs claires. La couleur de la

vigne, le vert tendre, la teinte « cerisier », lanuance « prunier rouge », toutes les couleursclaires sont jolies.

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154. Manteaux chinois J'aime le rouge, la couleur « glycine ». En été,

je préfère le violet ; en automne, la teinte «lande desséchée »

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155. jupes d'apparat

J'aime les jupes sur lesquelles sont dessinésles coraux de la mer. Les jupes de dessus.

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156. Vestes Au printemps, j'aime la nuance « azalée », la

teinte « cerisier ». En été, j'aime les vestes « vert et feuille

morte », ou « feuille morte ».

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157. Tissus J'aime les étoffes violet-pourpre, les

blanches, celles où l'on a tissé des feuilles dechêne dentelé sur un fond vert tendre. Lestissus couleur de prunier rouge sont jolis aussi,mais on en voit tant que j'en suis fatiguée, plusque de toute autre chose.

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158. Dessins des damas

J'aime les dessins qui représentent la rose

trémière, l'oseille des bois.Les étoffes à fond grêlé me plaisent. En été, je trouve élégants les gens qui

portent des habits d'étoffe légère dont unemanche, seule, est longue839 , mais cette moden'est pas sans inconvénient ; quand on a mis,l ' u n par-dessus l'autre, de nombreuxvêtements, ils se trouvent entraînés d'un côté,on est mal habillé ; quand on porte des habitsgarnis d'ouate, épais, ils s'ouvrent sur lapoitrine, d'une façon très disgracieuse.

Ce ne sont pas là des vêtements que l'onpuisse mettre en même temps que les autres.Après tout, les vêtements que l'on porte depuisl'Antiquité, bien coupés, sont jolis.

J'aime les habits dont les deux manches sontlongues. Cependant, pour une dame du Palais,en costume de cérémonie, de tels vêtementsdoivent être embarrassants. Pour les hommes,aussi, qui ont beaucoup de vêtements

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superposés, il y aurait sans doute, si ces habitsétaient coupés inégalement, un côté trop lourd.

Il semble que tous les jolis costumes decérémonie et les vêtements d'étoffe légèresoient maintenant portés de cette façon.

Les vêtements que l'on peut voir porteraujourd'hui par les personnes de condition sontdu reste, il faut bien le dire, tout à faitincommodes.

Un jeune noble, d'une figure agréable, mesemble très laid dès qu'il revêt le costume quiconvient au vice-président de la Haute Cour deJustice. Ah ! qu'il est pénible de voir en cettetenue de jeunes seigneurs comme le Capitainede la garde du corps, fils du Prince Impérial840

!

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159. Les maladies Le mal d'estomac841 . Les tourments causés par un esprit mauvais.Les maux de pieds.Les malades qui perdent tout appétit sans

que l'on puisse soupçonner où est leur mal. Je vis un jour une jeune fille de dix-huit ou

dix-neuf ans, dont la superbe chevelure, aussilongue qu'elle-même était grande, semblaitabondante jusqu'à l'extrémité. Cette jeune filleé t a i t gracieusement potelée, son teintresplendissait de blancheur. On voyait qu'elleavait un charmant visage ; mais elle souffraitd'une terrible rage de dents. Les cheveux quiretombaient sur son front étaient tout trempésde larmes. Sans même faire attention audésordre de sa chevelure, elle appuyait sa maincontre sa joue rouge, et, dans cette posture, elleétait ravissante.

Je vis aussi, au huitième mois, une dame qui

portait, avec un vêtement blanc sans doublure,

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une jolie jupe souple, et qui av ait jeté sur sesépaules un manteau d'une fraîche couleurd'aster. Quelque chose, dans la poitrine, lafaisait terriblement souffrir, et les dames duPalais, ses compagnes, venaient aux nouvellestour à tour. Il y avait aussi des gens quis'informaient, sans avoir l'air d'être vraimentinquiets : « Ah ! quelle triste chose ! A-t-elledéjà ressenti ces douleurs ? » L'ami de cettefemme, lui, se désolait sincèrement en pensantcombien la maladie était, grave. C'est quand sesrelations avec la dame sont restées secrètesque l'amant craint le plus les regards. Lemalheureux s'approche, mais n'ose venir tropprès de celle qu'il aime ; il est à la fois gracieuxet touchant de le voir, rongé d'inquiétude.

La dame avait de longs cheveux superbes,noués en un chignon. Elle se soulevait sur sacouche en se plaignant de nausées ; bien qu'ellefît pitié, je la trouvais gracieuse et distinguée.

L'Impératrice, elle-même, avait appris quecette femme était malade, et avait choisi, pourl'envoyer auprès d'elle, le bonze ayant la voix laplus agréable, parmi ceux qui lisent les Saintes

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Écritures. Aussi de nombreuses dames,désirant voir ce qu'il allait faire, étaient-ellesvenues visiter leur amie, et comme rien ne lescachait pendant qu'elles écoutaient la lecturesacr ée , le bonze, tout en lisant, regardaitcontinuellement de leur côté.

Je pense qu'il aura mérité le châtiment duCiel.

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16o. Choses désagréables La pluie, un jour où l'on sort, où l'on va

visiter un temple.La voix d'une de mes servantes arrive, très

faible, à mon oreille et je l'entends dire : « Moi,ma maîtresse ne m'aime pas, c'est Une Telle quiest la favorite du moment ! »

Une personne, que je trouve encore un peuplus désagréable que toute autre, soupçonne lesgens à tort, leur témoigne une aversion sansmotif, et semble se croire la plus intelligente dumonde.

Un enfant dont la nourrice était méchante.Ce n'est pas la faute de cet enfant ; mais onpense que, justement, il fut élevé par unepareille femme, et c'est peut-être pour celaqu'on ne l'aime pas.

D'une voix rude, la nourrice dit à son maître :« Croyez-vous donc que ce jeune seigneur vaillemoins que tous vos autres fils ? Vous ledétestez ! » Apparemment, l'enfant ne sait pascombien cette femme est mauvaise. Il lademande, crie et fait tapage. C'est là, sans

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doute, quelque chose de déplaisant. Il arrivesouvent aussi, semble-t-il, quand l'enfant estdevenu un homme, que la nourrice,constamment occupée de lui, et toujoursempressée à se mêler des affaires de celuiqu'elle a élevé, lui nuise au lieu de lui êtreutile842 .

Bien que je lui réponde froidement, unepersonne que je trouve ennuyeuse, et que jedéteste, reste à côté de moi, et m'accable deprévenances. Si je dis que je ne suis pas trèsbien, elle vient coucher plus près de moi qu'àl'ordinaire, elle me donne quelque chose àmanger, elle se montre pleine de compassion.J'ai beau regarder tout cela d'un œil indifférent,elle s'attache à moi, elle m'adule, elle se met enquatre pour me servir.

Les hommes ne devraient jamais prendre de

nourriture dans les chambres des dames duPalais auxquelles ils rendent visite. C'estextrêmement inconvenant. Les dames qui lesinv itent à le faire sont elles-mêmes très

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détestables. Si son amie s'obstine à lui répéterqu'avant de bavarder avec elle, il doit d'abordaccepter ce qu'elle lui présente, un galant nepeut se mettre la main sur la bouche d'un air dedégoût, ni détourner le visage, et, pour sûr, ilmangera là. Même quand un homme vients'installer chez moi, complètement ivre, lorsquela nuit est près de toucher à son terme, je ne luidonne absolument rien, je ne lui offre passeulement du riz trempé. Si cet homme pense,après cela, que je n'ai pas été bonne, et s'il nerevient pas, tant pis !

Quand je suis à la campagne, pendant uncongé, si l'on apporte quelque chose, de la salledu fond, pour l'offrir à un visiteur, commentpourrais-je m'y opposer ? Je n'en suis,pourtant, pas moins fâchée.

Alors qu'on est dans sa loge, au temple de

Hase843 , il arrive que des gens de la basseclasse restent assis côte à côte, devant vous,cependant que les traînes de leurs costumesviennent se fourrer dans vos vêtements. Ils

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vous témoignent là, vraiment, bien peud'égards ! Un jour, j'eus un désir extrême devisiter ce temple, et j'y allai faire un pèlerinage.Après avoir, avec beaucoup de peine, gravi lesdegrés de l'escalier de poutres844 , tandis quem'assourdissait le fracas effrayant de la rivière,j'étais entrée bien vite dans ma loge, impatiented e contempler l'auguste visage du Bouddha,quand je vis des gens ressemblant aux insectesà manteau de paille845 , vêtus d'étoffesgrossières, et tout à fait déplaisants, qui selevaient, s'asseyaient, s'inclinaientprofondément. J'aurais voulu, d'une poussée,les renverser.

Près des places réservées aux personnesd'un haut rang, il y a toujours des serviteurs quine laissent pas les gens se mettre devant elles ;mais les personnes d'une condition ordinaire nepeuvent guère empêcher qu'on les incommode.

Si vous faites venir le bonze auquel est confiéle soin de tout ce qui vous concerne durantvotre séjour au temple, et si vous le priez de

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parler aux gens qui vous gênent, il se borne àleur dire quelque chose comme : « Vous autres,là-bas, retirez-vous donc un peu ! » Mais il est àpeine parti que vous êtes aussi ennuyéqu'avant.

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161. Choses difficiles à dire

Quand on transmet un long message, envoyé

par une personne quelconque ou par un prince,il est très difficile de tout répéter dans l'ordre,du commencement à la fin. La réplique à cemessage est tout aussi malaisée .à rapporter.

La réponse que l'on doit faire à la lettre d'unepersonne avec laquelle on n'est pas libre.

Un homme apprend fortuitement que l'un deses enfants, maintenant arrivé à l'âge d'homme,a commis une faute à laquelle on ne se seraitpas attendu de sa part. Combien le pèreéprouve de difficulté, lorsqu'il est en face de cetenfant, à lui dire ce qu'il pense !

Les costumes de cour que portent les gensdes quatrième et cinquième rangs me semblentplus jolis en hiver, et c'est e n été que j'aime lemieux celui dont se revêtent les gens dusixième rang. Il en va de même pour les tenuesqu'on leur voit lorsqu'ils veillent la nuit, auPalais846 .

Il serait désirable, je crois, que tous, hommes

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et femmes, eussent un extérieur distingué.Il est des femmes qui sont maîtresses de

maison ; mais qui donc, parmi celles qui viventloin de la Cour, sait dire si telle chose est bonneet telle autre mauvaise ? Cependant, s'il vientchez l'une d'elles, pour apporter quelque lettre,une personne connaissant bien les usages, cettedernière lui apprendra sans doute toutnaturellement ce qui convient. A plus forteraison, les dames du Palais, qui vivent dans lemonde, sont placées mieux que n'importe quipour le savoir. Et devraient-elles jamais êtrecomme le chat descendu par terre847 ?

La façon dont mangent les charpentiers est

stupéfiante. A l'époque où l'on construisit, aprèsl'achèvement du nouveau palais, le bâtimentqui se trouve situé à l'est de celui-ci, commeune aile, je m'étais assise, une fois, à la faceorientale du Palais, pour regarder descharpentiers qui mangeaient, assis côte à côte.D'abord, ils saisirent les vases de terre nonvernissée, dans lesquels on leur donna la soupe,

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comme s'il leur avait tardé de la voir apporter ;ils ne firent qu'une gorgée du bouillon. Ensuite,après avoir à peine pris le temps de jeter lespots de côté, ils dévorèrent complètement leslégumes. je les regardais, en me disant qu'ilsn'auraient pas besoin du riz, quand ils le firentdisparaître en un clin d'œil. Comme les deux outrois hommes qui étaient là se conduisirent touspareillement, il faut croire que telle estl'habitude des charpentiers. Ah ! quelles façonsgrossières !

Que l'on parle de choses ordinaires, ou quel'on raconte une histoire du temps passé, lapersonne qui réplique étourdiment, et qui rendconfus ce que disent les autres, est tout à faitdétestable.

Une nuit du neuvième mois, en un certainendroit, une dame appelée, si je me souviensbien, Naka no Kimi, avait reçu la visite d'unami, homme de talent, dont on vantait l'espritextrêmement distingué, bien qu'il ne fût pas filsde quelque illustre famille. Ils se séparèrentavant l'aube, alors que le paysage, baigné d'unemerveilleuse clarté, semblait délicieux sous la

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lune. « je voudrais qu'après mon départ,songeait l'homme, le souvenir de nos adieuxvînt encore la charmer »; il n'était point demots tendres que le galant ne murmurât à sonamie. Enfin il la quitta ; en l'accompagnant duregard, elle pensait : « Sans doute est-il partitout de bon maintenant ! » Je ne saurais direcombien la scène était gracieuse. L'homme,cependant, après avoir feint de s'éloigner,revint et resta caché, serré contre un écran dujardin, dans l'ombre. « Je vais lui montrer queje suis encore là », se disait-il, lorsque la damerécita le poème : « Seulement pendant le tempsque dure la pâle lune, à l'aurore848 », et jetavers lui un regard furtif. Il avait à peine reculéde cinq pouces, quand il fut surpris par la clartéde la lune qui brillait dans le ciel comme unelampe allumée ; il raconta plus tard qu'envoyant cette lumière, il avait senti qu'il devaitse retirer, et qu'il était parti sans faire de bruit.

Il arrive parfois qu'une dame du Palais, pourvenir à la Cour ou pour aller chez elle,emprunte une voiture. Le propriétaire du

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véhicule le prête d'un air aussi aimable que s'ilavait eu justement l'intention de le proposer ;mais les garçons bouviers malmènent le bœuf,et crient plus grossièrement qu'ils ne font avecceux qu'ils conduisent d'ordinaire ; ils lepoussent, ils veulent qu'il coure très vite, et ladame en ressent une impression biendésagréable. Les coureurs qui accompagnent lavoiture semblent excédés ; ils grommellent : «Comment pourrions-nous rentrer, même si l'onpresse le bœuf de la sorte, avant une heureavancée de la nuit ? » A les entendre ainsi, ladame peut soupçonner ce que pensait aussi leurmaître ; elle ne croit pas qu'elle aura recours àlui, une autre fois, même si elle avait besoind'un véhicule pour une affaire urgente.

Il n'est peut-être, pour faire exception, quela voiture du seigneur Naritô849 . Qu'une damey monte au milieu de la nuit ou à l'aurore, celan'y change rien, et je ne pense pas qu'aucune decelles qui l'ont empruntée ait jamais éprouvé lemoindre ennui. Sans doute Naritô a-t-il dûmentstylé ses serviteurs ? Quand il rencontre en

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chemin la voiture d'une dame, qui s'est engagéedans quelque fondrière, et dont les bouvierss'emportent parce qu'ils ne peuvent la tirer delà, Naritô va jusqu'à envoyer ses gens aider lesconducteurs dans l'embarras, et battre le bœufattelé à cette voiture. On peut donc croire qu'àplus forte raison, il a soigneusement averti sesserviteurs de ses désirs touchant la politesseavec laquelle ils doivent escorter les personnesqui empruntent son équipage.

Un jeune célibataire, friand d'aventures

amoureuses, a passé la nuit je ne sais où ; il estrentré à l'aurore. Il vient de se leva mais ilparaît encore tout endormi. Pourtant, il attire àl u i une écritoire, frotte minutieusement lebâton d'encre et commence d'écrire unelettre850 . Il ne laisse pas courir son pinceaucomme s'il ne prenait guère d'intérêt à ce qu'ilfait ; au contraire, il s'applique à bien dessinerles caractères, et il est gracieux avec ses habitsnégligemment étalés. Sur ses vêtements dedessous, blancs, il porte des manteaux couleurde kerrir et d'écarlate. Tout en regardant de

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temps en temps, avec émotion, un vêtementsans doublure, blanc, tout frippé, que lui a prêtéson amie, il achève d'écrire sa missive ; puis aulieu de la confier à la servante qui est devantlui, il se lève à dessein, lui-même, pour appelercelui de ses jeunes pages qu'il croit le pluscapable de faire sa commission. Il lui ditd'approcher ; en chuchotant quelques mots, illui donne la lettre, et, après le départ dumessager, il reste longtemps à le regarders'éloigner ; il murmure doucement les passagesdes Saintes Écritures qui peuvent attirer surlui, en l'occasion, la faveur du Ciel.

Comme on le prie de passer dans la salle dufond, où sont préparées l'eau chaude pour lesmains et la bouillie de riz, il y entre, ets'appuyant sur un bureau, il parcourt quelquelivre. Il est charmant de l'entendre lire à hautevoix les endroits qui lui plaisent.

Après qu'il s'est lavé les mains, et qu'il arevêtu un manteau de cour, sans mettre,toutefois, de pantalon à lacets, le gentilhommerécite de mémoire quelques lignes d'un vieuxrecueil851 ; et, en vérité, à l'entendre on est

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pénétré d'un saint respect. Mais voici lemessager de tout à l'heure qui revient ; sansdoute était-il allé tout près seulement ; il faitcomprendre à son maître, par ses grimaces,qu'il apporte une réponse. C'est grand-pitié devoir alors le jeune homme cesser soudain sarécitation et appliquer toute son attention à lirele billet qu'on lui remet.

On admire parfois cette gracieuse scène : un

jeune seigneur, d'une agréable figure, passe àcheval ; il porte un très joli costume : manteaude cour, habit de dessus ou casaque de chasse,dont les manches paraissent, à leur ouverture,gonflées par celles de nombreux vêtements dedessous. Sans arrêter sa monture, ce cavaliertend à un serviteur qui l'accompagne une «lettre tordue », que l'homme prend en levantles yeux vers son maître.

C'était une maison entourée d'un vaste

jardin, et dont le devant était ombragé par degrands arbres. Les fenêtres de treillis des facesorientale et méridionale étaient levées ; ainsi

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l'on pouvait voir, par toutes les baies, l'intérieurde l'habitation, à l'aspect frais et aéré.

Un écran de quatre pieds avait été dressédans la salle principale ; on avait placé devantcet écran un coussin rond, sur lequel s'étaitassis un bonze qui pouvait avoir un peu plus detrente ans. Ce prêtre n'avait pas une figuredésagréable ; il portait un brillant costumed'apparat : une robe couleur d'encre claire, avecune étole de fine soie. Tout en maniant unéventail de teinte clou de girofle, il récitait la «Formule magique des mille mains852 ».

Quelque personne de la maison était, sansdoute, cruellement tourmentée par un espritmauvais, car je vis une jeune fille, grande etforte, sortir en se traînant de la chambre dufond, et je pensai qu'elle devait se trouver làpour recevoir en elle le démon que lesexorcismes forceraient à quitter la malade. Elleavait de superbes cheveux et portait unvêtement non doublé, de soie raide, avec unelongue jupe claire.

Quand elle se fut assise devant un écran detrois pieds, dressé à côté du prêtre, ce dernier

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se tourna vers l'extérieur ; il tendit à cettefemme une toute petite massue de prière853 ,brillante ; puis il commença de lire les parolesmagiques, d'une voix saccadée, en fermant lesyeux. On était, à l'entendre, pénétré de respect; de nombreuses dames, sans se dérober auxregards, se tenaient là, contemplant la scène.Un long temps n'était pas écoulé, quand la jeunefille se mit à frissonner, puis se pâma. Envoyant se produire peu à peu l'action divine àmesure que le bonze disait la formule, on sesentait pris d'une religieuse terreur. Derrière lafemme, qu'ils éventaient doucement, setrouvaient son frère aîné, un jeune homme,v êt u d'un manteau, qui venait d'arriver à samajorité854 , mais avait encore la sveltesse del'adolescence, et quelques amis. Tout ceux quiétaient réunis là semblaient remplis devénération ; mais, pourtant, si cette jeune filleavait eu ses facultés normales, comme elle seserait sentie troublée, honteuse, en se voyantainsi exposée aux yeux de tous ! On savaitqu'elle ne souffrais pas elle-même, pourtant sesplaintes et ses gémissements lugubres faisaient

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pitié ; une amie de la personne malade eut lacharmante pensée de venir s'asseoir près del'écran et de remettre un peu d'ordre dans lesvêtements de cette femme.

A ce moment, on annonça que la patienteallait un peu mieux ; de la cuisine, plusieursjeunes dames apportèrent de l'eau chaude etdiverses choses. Pendant le peu de tempsqu'elles mirent à accomplir leur office,l'inquiétude les gagna ; elles revinrent aprèsavoir remporté bien vite la bassine. Ellesavaient de jolis vêtements non doublés, desjupes d'apparat, violet clair, qui n'étaient pasencore fanées le moins du monde. C'étaitravissant.

A l'heure du Singe, l'exorciste, après avoirfort malmené l'esprit mauvais et lui avoir faitdemander grâce, le renvoya. « Ah ! s'exclama,en se réveillant, la jeune fille qui avait aidé lebonze à chasser le démon ; quelle chosestupéfiante ! Je croyais être derrière l'écran, etme voici devant. Qu'est-ce qui a pu se passer ?

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» Elle semblait confuse et répandit ses cheveuxsur son visage pour le cacher ; elle allait seglisser à l'intérieur de la maison, quand leprêtre, la retenant un instant, murmuraquelques mots de prière, et lui demanda : «Comment vous sentez-vous ? Vous voilà tout àfait rassérénée ! » avec un sourire qui me parutajouter encore à son embarras.

Le bonze prit alors congé en déclarant : «J'aurais voulu rester un moment de plus ; maisvoici arrivée l'heure855 ... », et il allait se retirerquand les assistants lui répondirent pourl'arrêter : « Attendez un peu, nous voudrionsvous offrir quelque chose. »

Comme il se disposait à partir, cependant, engrande hâte, une personne (je pense que c'étaitune fille noble de la maison) sortit en setraînant de l'appartement intérieur et lui dit,sans s'éloigner du store qui fermait cetappartement : « Votre visite, qui nous acomblés de joie, a été si efficace que le malparaît maintenant apaisé. Pourtant, avant votre

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arrivée, il semblait que la patiente auraitbeaucoup de peine à le supporter. Le maître decéans vous envoie mille remerciements. Soyezassez bon pour revenir demain encore faire vosprières, quand vous en aurez le loisir. »

Le bonze répondit : « Nous avons affaire, ilme semble, à un démon fort rancunier, je croisqu'il vous faut continuer à veiller sansnégligence. Je me réjouis du soulagement quemes soins ont pu procurer à la malade. »

Après ces quelques mots, le prêtre s'éloignasi majestueusement que tous les assistantscrurent voir un Bouddha descendu sur la terre.

Il est agréable d'avoir à son service de jolis

petits pages ayant de longs cheveux, des valetsqui sont plus grands, mais dont la superbechevelure étonne les gens qui ont remarquéleur barbe déjà poussée, et, aussi, pour lestravaux pénibles, quantité de solides gaillardsqui semblent toujours occupés.

Avoir tous ces domestiques, être considérécomme un personnage dans toutes les bonnes

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maisons, voilà, il me semble, un sort désirable,même pour un bonze ! On peut supposer quellejoie doivent ressentir les parents de l'hommeassez fortuné pour posséder tout cela.

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162. Choses désagréables à voir

Quelqu'un dont l'habit a la couture du dos

tirée sur le côté.Les gens qui allongent un grand cou hors de

leur collet, rabattu sur leurs épaules. La voiture d'un haut dignitaire, dont les

rideaux intérieurs paraissent sales.Les gens qui amènent des enfants chez des

personnes auxquelles ils font seulement derares visites.

Un jeune garçon portant un pantalon etchaussé de hautes sandales ; mais cela, c'est àprésent la mode !

Des dames, en « costume de jarre856 », quimarchent en se hâtant.

Un bonze qui fait l'office de devin, et met857

une coiffure de papier pour exécuter lespratiques magiques de purification.

Une femme maigre, laide, ayant la peaubrune, qui porte une perruque.

Une pareille femme qui fait la sieste avec unhomme barbu et décharné. Quel joli spectaclecroyaient-ils donc offrir en s'étendant ainsi en

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plein jour ? Si c'était la nuit, il n'y aurait rien àredire ; alors, les gens ne peuvent apercevoirvotre figure ; ils sont d'ailleurs tous couchés, onn'a donc pas besoin de rester sur pied decrainte qu'ils ne vous trouvent laid en vousvoyant dormir.

Si tous ceux qui ne sont pas beaux selevaient de bon matin, cela vaudrait mieux pourles yeux des gens.

Les très jolies femmes, quand elles s'éveillentaprès avoir fait la sieste, en été, paraissentencore un peu plus gracieuses qu'à l'ordinaire ;mais celles dont la figure est médiocre nemanquent pas d'avoir, alors, la peau luisante, levisage bouffi de sommeil, et même, si le hasardne les favorise pas, les joues tordues. Ah !quand deux personnes qui viennent de faire lasieste côte à côte se regardent mutuellement,elles se sentent lasses de vivre !

Lorsqu'une personne ayant la peau bruneporte un vêtement sans doublure, de soie raide,c'est très laid. Pourtant, bien qu'un habit nondoublé, de soie assouplie, soit tout aussitransparent, on ne trouverait pas mal que cette

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personne en eût un. Si le premier vêtementdéplaît, c'est peut-être qu'il laisse voir lenombril858 .

Le soir tombe, et je ne puis plus tracer les

caractères. D'ailleurs mon pinceau est usé. Jevoudrais pourtant, avant de terminer, ajouterces quelques lignes : dans ces mémoires, écritspendant les heures où retirée chez moi, loin duPalais, je m'ennuyais et me croyais à l'abri desregards, j'ai rassemblé des notes sur lesévénements qui s'étaient déroulés devant mesyeux et sur les réflexions que j'avais faites enmon âme. Comme ils renferment des passagesoù l'on trouverait, me disais-je, que j'avaismanqué de réserve, trop bavardé, ou consignédes remarques fort désagréables pour les gens,je me proposais de cacher avec soin mon cahier.Hélas ! quelqu'un l'a découvert, et je n'ai puretenir mes larmes.

Un jour, le Ministre du centre859 ayantapporté à l'Impératrice toute une liasse depapier, Sa Majesté demanda : « Que faudrait-ilécrire là-dessus ? On a déjà copié, par ordre de

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l'Empereur, le livre des « Mémoireshistoriques860 ». — Moi, dis-je alors, je feraisde ces feuilles un carnet de chevet. — Eh bien,prenez-les ! » répondit ma maîtresse. Elle medonna tout ce qu'elle avait reçu, et je me mis endevoir d'employer complètement cetteinépuisable quantité de papier en y notant lesfaits étranges, les choses du passé, les autres,quelles qu'elles fussent. J'ai donc très souventlaissé courir mon pinceau sans beaucoupd'attention. Règle générale, j'ai rapporté ce quej'avais observé de curieux dans le monde ; maisj'ai choisi, de même, ce qui me semblait denature à montrer la splendeur des hommes, etj'ai parlé encore des poésies, des arbres, desherbes, des oiseaux et des insectes. Aussi bien,on pourrait me critiquer et dire : « C'est encorepis que l'on ne craignait, et sa médiocritéapparaît, manifeste ! » J'avais songé : « Commej'ai simplement jeté sur le papier, pour medistraire, les idées qui m'étaient venuesspontanément, dans la solitude, estimera-t-on,au moins, que mon ouvrage est d'une qualité

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ordinaire, lorsqu'il sera mêlé aux autres ? » Etvoici que les gens, après l'avoir parcouru, sesont exclamés : « Il y a de quoi rendre honteuxtous les écrivains ! » J'en étais fort surprise. Ala vérité, si l'on considère la question sous uncertain point de vue, on pensera sans doutequ'ils avaient raison. Je trouve bien ce que lemonde déteste, et mal ce qu'il loue ; on peutfacilement, par là, juger de mon caractère. Quoiqu'il en soit, une seule chose me peine : c'estque mes notes aient vu le jour.

A l'époque861 où le Capitaine de la garde du

corps, de gauche862 , était encore gouverneurd'Ise, il vint me voir à la campagne. Je vouluslui offrir une natte que j'aperçus près du bordd e la véranda ; mais mon cahier se trouvaitjustement posé sur cette natte, et je l'attiraiavec elle. Hors de moi, j'eus beau me précipiterpour le saisir ; Tsunefusa le prit et l'emportasur-le-champ ; il me le rendit seulementbeaucoup plus tard. C'est, je pense, à la suite decet accident que débuta la carrière de mon

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livre.

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TABLE des MATIERES

INTRODUCTION.Note sur la transcription des motsjaponaisLes noms propres. Le calendrier, les heures dans l'ancienJapon.L'œuvre de Sei Shônagon.

LES NOTES DE CHEVET. 1. Au printemps, c'est l'aurore... Les saisons.

2. Les époques.3. Le premier jour de l'an.

Le septième jour, les « jeunes plantes », les« chevaux blancs ».Le huitième jour.Le quinzième jour, la « bouillie de la pleinelune ».L'époque où l'on nomme les préfets.Le troisième jour du mois.L'époque de la fête de Kamo.

4. Choses particulières. Réflexions sur la vie des bonzes et desexorcistes.

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Séjour de l'impératrice dans la maison del'intendant Narimasa.La porte trop étroite.Visite nocturne de Narimasa.Comment s'exprimait Narimasa.Narimasa vient voir Sei.La chatte et le chien.Réflexions sur le temps qui convient endivers jours de l'année.Les fonctionnaires nouvellement promus.Le chérie et l'évêque Jôshô.

5. Montagnes. 6. Pics.

7. Plaines (voir aussi chapitre 101).

8. Marchés.

9. Gouffres.

10. Mers.

11. Bacs.

12. Tombes impériales.

13. Édifices.

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Au Palais pur et frais.

L'empereur En.yû et ses courtisans.

L'étude du « Recueil ancien et moderne ».

L'empereur Alurakami et l'épouseimpériale.

Réflexions sur le sort des dames du Palais.

14. Choses désolantes (cf chapitres 17, 46, 49,160, 162).

15. Choses dont on néglige souvent la fin.

16. Choses que l'on méprise.

17. Choses détestables (cf chapitres 14, 46, 49,160, 162)

Séjour de l'empereur au Petit Palais de laPremière avenue ;

la leçon de musique.

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Choses détestables (suite) ; le langageincorrect (cf chap 143)

Autres choses détestables.

18. Choses qui font battre le cœur (cf chap (54,57).

19. Choses gui font naître un doux souvenir dupassé (cf chap 61, 65, 82).

20. Choses qui égayent le cœur (cf chap 42,137).

Les prédicateurs.

Réflexions sur les gens qui vont écouter lessermons : les anciens chambellans, lesjeunes nobles, les femmes.

Retraite au temple de Bôdai.

Les Huit Instructions de la Professionbouddhique, au Palais de Koshirokawa.

Au septième mois, la chaleur extrême.

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Scène matinale, après le départ d'un galant.

21. Fleurs des arbres.

22. Étangs.

23. Fêtes. La fête du cinquième mois.

24. Arbres.

25. Oiseaux.

26. Choses élégantes (cf chap 45).

27. Insectes.

L'agrément de la sieste, au septième mois.

28. Choses qui ne s'accordent l'a.

Dans un couloir du Palais.

Choses qui ne s'accordent pas (suite).

L'office domestique.

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L'utilité d'une escorte.

Le censeur sous-chef des chambellansFujiwara no Yukinari.

A la fin du troisième mois, le manteau tropchaud.

L'empereur et l'impératrice réveillent Sei.

Yukinari surprend Sei.

L'appel au Palais.

Minamoto no Masahiro (voir p. 137)

Comment il convient d'appeler les dames.

Les avantages de l'embonpoint.

Comment les domestiques doivent êtrehabillés.

Promenade en voiture ; choses vues aupassage.

29. Cascades.

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3o. Rivières.

31. Ponts.

32. Villages.

33. Herbes.

34. Recueils de poésies.

35. Sujets de poésies.

36. Fleurs des herbes.

37. Choses peu rassurantes (cf chap 83, 152).

38. Choses que l'on ne peut comparer.

Le charme des nuits d'été.

Les délices des matins d'hiver.

Les visiteurs doivent avoir des laquais bienstylés.

39. Choses rares.

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La nuit au Palais impérial, les visites.

Le jour de la répétition musicale, avant lafête spéciale de Kamo.

Séjour de l'impératrice au palais où sont lesbureaux de sa Maison. Les allées etvenues des courtisans.

Scène dans le jardin, un matin.

40. Choses qu'il ne valait pas la peine de faire.

41. Choses dont on n'a aucun regret.

42. Choses qui paraissent agréables (cf chap20, 137).

Le paravent qui représente l'enfer. Leconcert.

Le capitaine de la garde du corps, sous-chefdes chambellans, Fujiwara no Tadanobuécoute des racontages et se brouille avec

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Sei.

Tadanobu écrit à Sei, qui lui répond.

Le « frère ainé » de Sei.

Tadanobu vient voir Sei.

Sei, en congé, voudrait éviter les visites. Sei se brouille avec le sous-chef du

service des réparations, Tachibana noNorimitsu.

43. Choses qui semblent éveiller la mélancolie(cf chap 63).

L'impératrice rappelle Sei.

Les deux religieuses mendiantes.

La montagne de neige.

Un message de la princesse consacrée.

La montagne de neige (suite).

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44. Choses splendides (cf chap 66, 150)

45. Choses qui ont une grâce raffinée (cf chap26).

Les danseuses de la Cinquième fête.

Choses qui ont une grâce raffinée (suite).

Le Palais à l'époque de la Cinquième fête.

La répétition des danses.

La guitare sans nom.

Les instruments de musique du Palais.

Après le concert ; la guitare del'impératrice.

La nourrice de l'impératrice part pour laprovince de Hyûga.

46. Choses contrariantes (cf chapitres 14, 17,49, 160, 162).

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L'impératrice au Palais du sud ; la couturetrop vite faite.

Choses contrariantes (suite).

Querelle d'amoureux.

47. Choses gênantes (cf chap 62).

48. Choses qui frappent de stupeur (cf chap71).

49. Choses pénibles (cf chapitres 14, 17, 46,160, 162).

Pendant l'abstinence du cinquième mois.

Les dames vont en voiture entendre lecoucou.

La nuit du Singe. Sei refuse de prendre partà un concours de

poésie.

Sei veut être préférée.

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L'éventail du deuxième sous-secrétaired'État Fujiwara no

Takaie.

L'esprit et la mauvaise écriture de Fujiwarano Nobutsune.

La princesse du Palais de la belle vue entreau palais du prince

héritier et vient voir l'impératrice.

Le rameau de prunier défleuri.

Les flocons de neige, pétales quis'éparpillent au vent.

5o. Choses qui sont loin du terme.

Minamoto no Masahiro (cf chap 28).

51. Barrières.

52. Bois.

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Le dernier jour du quatrième mois. Le bacdu fleuve Yodo.

53. Sources chaudes.

54. Choses que l'on entend parfois avec plusd'émotion qu'à l'ordinaire (cf chap 18, 57).

55. Choses qui perdent à être peintes.

56. Choses qui gagnent à être peintes.

57. Choses qui émeuvent profondément (cfchap 18, 54).

Les pèlerins de Mitake.

Choses qui émeuvent profondément (suite).

Un pèlerinage au temple de Hase.

58. Choses qui paraissent pitoyables.

59. Choses qui donnent une impression dechaleur.

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6o. Choses qui font honte.

61. Choses sans valeur (cf chap 19, 65, 82).

Les prières, la formule magique de l'Oeildes Bouddhas.

62. Choses embarrassantes (cf chap 47).

Au retour du temple de Yawata, l'empereurrend ses devoirs à sa mère.

Splendeur du maire du palais Fujiwara noMichitaka.

La rosée matinale dans le jardin, auneuvième mois.

Les « jeunes plantes », l' « herbe sansoreilles ».

Au deuxième mois, l'examen, l'adoration deConfucius.

Yukinari envoie à Sei des « gâteaux carrés».

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Les tablettes des chambellans.

Les noms des vêtements.

Le dix du neuvième mois, cérémonie àl'intention du défunt maire du palais.

Tadanobu propose à Sei de renouer leursrelations.

Yukinari quitte Sei, une nuit, très tard.Échange de lettres.

Au cinquième mois, Sei rappelle le surnomdu bambou.

Un an après la mort de l'empereur En.yû,on abandonne les habits de deuil. Poésiereçue par la dame Tôzammi.

63. Choses qui remplissent l'âme de tristesse(cf chap 43).

64. Choses qui distraient dans les momentsd'ennui.

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65. Choses qui ne sont bonnes à rien (cf chap19, 61, 82).

66. Choses qui sont les plus belles du monde (cfchap 44, 150).

La fête extraordinaire d'Iwashimizu.Festin, musique, danses.

La danse sacrée, après le retour de la fêtespéciale de Kamo.

Les danses à la fête de Kamo.

Le danseur défunt.

Danse au Palais, après la fête spécialed'Iwashimizu.

Après la mort du maire du palais,l'impératrice demeure au Petit Palais de laDeuxième avenue. Sei reste à lacampagne.

Sei se rend auprès de sa maîtresse ;racontages des dames à son sujet.

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Sei reste à l'écart ; l'impératrice lui envoieun pétale de kerrie.

Sei revient près de l'impératrice.

Histoire du concours d'énigmes.

Le dix du premier mois ; un jeune garçoncueille des rameaux de pêcher.

Les joueurs de trictrac.

Les joueurs de dames.

67. Choses effrayantes (cf chap 74, 135).

68. Choses qui semblent pures.

69. Choses qui paraissent malpropres (cf chap76, 134).

70. Choses qui semblent vulgaires.

71. Choses qui remplissent d'angoisse (cf chap48).

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72. Choses ravissantes (cf chap 92).

73. Choses sans retenue.

74. Choses dont le nom est effrayant (cf chap67, 135).

75. Choses qui n'offrent rien d'extraordinaireau regard, et qui

prennent une importance exagérée quandon écrit leur nom

en caractères chinois.

76. Choses qui ont un aspect sale (cf chap 69,134).

77. Occasions dans lesquelles les choses sansvaleur prennent de

l'importance.

78. Choses qui paraissent affligeantes.

79. Choses enviables.

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Pèlerinage aux temples d'Inari.

Choses enviables (suite).

80. Choses que l'on a hâte de voir oud'entendre.

81. Choses impatientantes.

Séjour de l'impératrice au Palais du Conseild'État ; les amusements des dames.

Visite de Tadanobu et de Minamoto noNobukata.

La tisserande pressée.

Tadanobu et Sei se servent d'un langagesecret ; dépit de Nobukata.

Tadanobu est nommé conseiller d'État.

Nobukata se flatte de l'égaler dans larécitation des vers.

Sei envoie à Nobukata une lettre qu'il

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trouve blessante.

Les amours de Nobukata et de la dameSakyô.

82. Choses qui ne servent plus à rien, mais quirappellent le passé

(cf chap 19, 61, 65).83. Choses auxquelles on ne peut guère se fier(cf chap 37, 152).

Le Sermonininterrompu.

84. Choses qui sont éloignées, bien queproches.

85. Choses qui sont proches, bien qu'éloignées.

86. Puits.

87. Gouverneurs de province.

88. Vice-gouverneurs qui occupent des postesprovisoires.

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89. Fonctionnaires du cinquième rang.

La maison d'un fonctionnaire.

La demeure d'une femme seule.

Les ennuis d'une dame du Palais qui habitedans une maison étrangère.

Nuit de neige.

La neige, la lune et les fleurs : anecdote dutemps de l'empereur Murakami.

Autre anecdote : la grenouille brûlée.

Les poupées.

Arrivée de Sei à la Cour.

L'éternuement malencontreux.

90. Gens qui ont un air de su nonce.

91. Le vent.

Scène matinale après une nuit de tempête.

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Une jeune femme contemple l'aspectdésolé du jardin.

92. Choses charmantes (cf chap 72).

93. Iles.

94. Plages.

95. Baies.

96. Temples bouddhiques.

97. Les Saintes Écritures.

98. Écrits.

99. Bouddhas.

100. Contes.

1o1. Landes (cf chap 7).

102. Formules magiques.

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1o3. La lecture des Saintes Écritures.

104. Divertissements.

105. Danses.

1o6. Instruments à cordes.

107. Mélodies.

1o8. Flûtes.L'orgue à bouche. Le flageolet.

109. Choses à voir.

La fête extraordinaire de Kamo.

Le cortège de l'empereur (cf chap 112).

Le retour de la procession, après la fêterégulière de Kamo.

Les promenades en voiture au cinquièmemois.

Les voitures qui passent, les soirs d'été.

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Parfums retrouvés,

Le gué au clair de lune.

110. Choses qui sont bonnes quand elles sontgrandes.

111. Choses qui doivent être courtes.

112. Choses qui sont à propos dans unemaison.

Rencontres.

Le cortège de l'empereur (cf chap 109).

Les voitures à la fête de Kamo.

Le parapluie d'un galant.

Séjour de l'impératrice au Palais de laTroisième avenue avant la fête ducinquième mois.

La dame qui ressemblait au capitaineporte-carquois. Comment Minamoto no

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Narinobu reconnaissait la voix des gens.

L'oreille fine du directeur du TrésorFujiwara no Masamitsu.

Écritoires.

Ceux qui écrivent et ceux qui les regardent.

Les lettres.

113. Relais.

114. Collines.

115. Sanctuaires shintoistes (cf chap 147).

Histoire du sanctuaire d'Aridôshi.

Les questions de l'empereur de Chine.

116. Choses qui tombent du ciel.

117. Le soleil.

118. La lune.

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119. Les étoiles.

12o. Les nuages.

121. Le brouillard.

122. Choses tumultueuses.

123. Choses négligées.

124. Gens qui s'expriment de façoninconvenante.

125. Gens qui prennent des airs savants.

126. Hauts dignitaires.

127. Seigneurs de noble famille.

128. Prêtres bouddhistes.

129. Femmes.

13o. Palais et maisons nobles où servent desdames.

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131. Gens à propos desquels on se demandesi leur aspect aurait autant changé, supposéqu'ils fussent, après avoir quitté ce monde,revenus dans un autre corps.

Des hommes passent sous la neige.

Des courtisans, quittant le Palais à l'aube,cachent leur visage.

132. Choses qui ne font que passer. 133. Choses que les gens ignorent le plus

fréquemment. Au cinquième et au sixième mois, des

enfants passent, le soir.En route, en allant au temple de Kamo ; les

paysannes dans les rizières.En chemin, en allant au temple d'Uzumasa ;

la moisson du riz.134. Choses très malpropres (cf chap 70, 76). 135. Choses excessivement effrayantes (cfchap 69, 74).

136. Choses qui donnent confiance.

Le gendre indifférent.

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La haine et l'affection.

L'étrange caractère des hommes.

La sympathie.

La médisance.

Le charme d'un visage.

137. Choses qui rendent heureux (cf chap 20,42).

La faveur de l'impératrice est une doucechose.

Petites consolations.

L'impératrice envoie à Sei vingt cahiers depapier.

L'impératrice envoie à Sei une natte.

Vers le premier jour du deuxième mois,l'impératrice se rend

au Palais de la Deuxième avenue.

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Le cerisier couvert de fleurs artificielles.

Arrivée du maire du palais.

Le cerisier (suite).

Sei quitte le Palais de la Deuxième avenue.

Les dames trop pressées de monter envoiture.

Sei revient au Palais de la Deuxièmeavenue.

Départ pour le temple Shakuzenji.

Le cortège de l'impératrice douairière.

Le cortège de l'impératrice.

Arrivée au temple Shakuzenji.

Le manteau de Sei.

La cérémonie au temple Shakuzenji(offrande de la Collection des SaintesÉcritures).

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L'impératrice revient au Palais Impérial.

Les suivantes des dames d'honneurattendent leurs maîtresses au Palais de laDeuxième avenue.

138. Choses vénérables et précieuses.

139. Chansons.

140. Pantalons à lacets.

141. Habits de chasse.

142. Habits sans doublure.

143. Choses mauvaises. Le langage incorrect(cf chap 17).

144. « Vêtements de dessous ».

145. Montures d'éventails.

146. Éventails en bois de thuya.

147. Divinités shintoïstes (cf chap 17).

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148. Caps.

149. Maisons.

L'annonce de l'heure au Palais.

Ce que l'on entend le jour et la nuit :l'empereur appelle les courtisans, il jouede la flûte.

Le capitaine de la garde du corps Minamotono Narinobu.

Narinobu vient voir Sei, qui ne le reçoit pas.Il converse avec

la dame Hyôbu.

Les visites des jours de pluie.

Les visites au clair de lune.

Les inconvénients de la pluie.

Les visites quand le vent souffle, quand ilneige.

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Au clair de lune, on apporte une lettre.

Rupture et réconciliation.

Sous la neige, un serviteur apporte unmessage.

Une dame lit une lettre, à la brune.

15o. Choses magnifiques (cf chap 44, 66).

Le poste du tonnerre.

Les paravents.

Comment on doit allumer le feu.

La neige sur le pic de Kôro.

Les acolytes des magiciens.

Le saule aux feuilles trop larges.

Une retraite ennuyeuse.

Une retraite au temple de Kiyomizu.

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Le vingt-quatre du douzième mois, Seirevient en voiture d'une cérémoniebouddhique. La campagne sous la lune.

Loin du Palais, les dames d'honneur parlentde leurs maîtres.

La maison que Sei voudrait habiter, et lavie dont elle rêve.

151. Gens qui imitent ce que font les autres.

152. Choses auxquelles on ne peuts'abandonner (cf chap 37, 83)

Une promenade en bateau.

Les marins.

Les bateaux.

Le port.

Les pêcheuses.

Le lieutenant mauvais fils.

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Le manche de la cognée (poésie).

La mère d'Ariwara no Narihira.

Les servantes récitent à tort et à travers.

Les servantes nuisent à ceux qu'elleslouent.

Une nuit au Palais. Le coq échappé.

Dans le jardin, la nuit, avec le premier sous-secrétaire d'État Fujiwara no Korechika.

L'homme dont la maison a brûlé.

Le jeune homme qui n'a plus de mère.

Le manteau du géant et le gilet du nain.

L'armoise de Shimotsuke (poésie).

La dame du Palais et le fils du gouverneurde Tôtômi.

La Montée des rencontres (poésie).153. Manteaux de femmes.

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154. Manteaux chinois. 155. Jupes d'apparat. 156. Vestes.

157. Tissus.

158. Dessins des damas.

Les vêtements qu'il est élégant de porter.

Le costume que revêt le vice-président dela Haute Cour de Justice.

159. Les maladies.

Le mal de dents.

La malade et les visiteurs.

Le bonze distrait.

16o. Choses désagréables (cf chapitres 14,17,46, 49, 162).

Au temple de Hase, les importuns.

Page 803: Sei Shonagon - Notes de Chevet

161. Choses difficiles à dire.

Les costumes de cour.

Hommes et femmes doivent avoir unextérieur distingué.

Le repas des charpentiers.

L'étourdi.

Les adieux du galant, sous la lune, àl'aurore.

Les voitures que l'on emprunte.

Le jeune célibataire.

Un jeune homme passe à cheval.

Le bonze qui chasse les esprits mauvais, etson aide.

Les domestiques qu'il faut avoir.

162. Choses désagréables à voir (cf chapitres14,17, 46, 49, 160).

Page 804: Sei Shonagon - Notes de Chevet

Conclusion.

Comment les notes de Sei furent publiées.

TABLE DES MATIÈRES.

Page 805: Sei Shonagon - Notes de Chevet

NOTES.

1. . Parmi les phrases, en assez grand nombre,que le traducteur a plus ou moins «remodelées », certaines ont pris de ce faitu n e signification légèrement différente.Le sens que propose la première éditionn'en reste pas moins, à ses yeux,également admissible. Voir p. 23 lepassage concernant l'imprécision del'original. Dans la préface de l'éditionprimitive sont notées quelques réflexionssur les difficultés rencontrées parl'interprète de japonais, sur les procédésqu'il emploie pour essayer de les vaincreou de les tourner, sur le résultat que l'onpeut, dans les meilleures conditions,attendre de son travail.

2. . Les noms des « rameaux » servaient aussi,parfois, à désigner les divers points de

Page 806: Sei Shonagon - Notes de Chevet

l'espace. Ils sont alors remplacés dans latraduction par les mots françaiscorrespondants. C'est ainsi qu'à la page154, tatsu-mi (littéralement « dragon-serpent ») est rendu par « sud-est ».

3. . Voir note 643.

4. . Ou plus simplement Kokinsbû (Recueilancien et moderne).

5. . A la première catégorie appartient le «Conte du cueilleur de bambou »(Taketori monogatari), paru vers l'an9oo, sans doute après d'autres contes quine nous sont pas restés. A la deuxièmecatégorie appartiennent les « Contes d'Ise» (Ise monogatari), un peu moinsanciens, et dont le héros serait le célèbrepoète Ariwara no Narihira (825-880). Demême les « Contes du Yamato » (Yamatomonogatari, vers 950. Dans la troisième,se placent le « Conte de la cave »

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(Ochikubo monogatari, vers 965) et le «Conte du creux » (Utsubo monogatari,fin du Xe siècle).

6. . En voyant combien tout, ici-bas, est fragileet fugitif, l'auteur se sent pareille àl'insecte dont la vie est éphémère.

7. . La splendeur dont il s'agit est celle del'époque où gouvernait Michinaga, décriteavec un soin particulier dans un ouvragequi s'étend sur toute la périodecomprenant le Xe et le XIe siècle.

8. . Voir note 643.

9. . L e Hôjôki est traduit en entier, et leTsurezure-gusa en grande partie, dans laremarquable Anthologie de la littératurejaponaise due à M. Michel Revon (Paris,Delagrave, 1910 ; 6e édition, 1928).

10. . (712-756).

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11. . Kaneko Motoomi, Makura no rôsbihyôshakit (Les Notes de chevet, texte,traduction en japonais moderne, notescritiques). Nouvelle édition en un volume.Tôkyô, 1929. Mizoguchi Hakuyô. Makurano sôsbi. Yakuchû (Les Notes de chevet,texte, traduction en japonais moderne,notes). Tôkyô, 1927.

Sauf en quelques endroits, que l'ontrouvera signalés, la traduction est fondéesur le texte donné par M. Mizoguchi.

12. . Ou : « et la crête des montagnes sembles'être beaucoup rapprochée ».

13. . I l s'agit des époques auxquelles avaientlieu diverses fêtes.

14. . Ces « jeunes plantes » (wakana) passaientpour avoir des propriétés médicinales etmagiques. Les auteurs en ont donné deslistes diverses.

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15. . Vingt et un chevaux qu'on faisait défilerdevant l'Empereur, et dont la vue portaitbonheur.

16. . Au milieu de la face orientale de l'enceinteextérieure.

17. . Trois gardes veillaient au palais de Kyôto :la garde du corps, la garde impériale et lagarde du palais. Chacune d'ellescomprenait une division de gauche et unede droite.

18. . Elles s'occupaient des lampes, du bois, ducharbon...

19. . Expression poétique pour désigner lepalais.

20. . Jour de cadeaux et de promotions pour lesdames.

21. . Nous savons que les anciens japonais

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avaient un calendrier lunaire.

22. . Une femme qui recevait sur les reins uncoup de la baguette ayant servi à remuercertaine bouillie préparée le quinze dupremier mois (la « bouillie (le la pleinelune ») était assurée d'avoir un enfantmâle.

23. . A u moins dans les premiers temps dumariage, la femme continuait d'habiterchez ses parents, où son époux venait laretrouver la nuit.

24. . Du neuvième au onzième jour du premiermois.

25. . Jour de la « fête des poupées », fête desjeunes filles.

26. . Le temple shintoiste de Kamo, comprenantdeux sanctuaires, s'élevait au nord et àp e u de distance de Kyôto. La fête

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régulière de ce temple, encore appelée «fêtes des roses trémières » parce que cesfleurs ornaient les sanctuaires, lesvoitures, les coiffures des assistants...,était célébrée au quatrième mois, ledeuxième jour de l'Oiseau.

27. . Les femmes emploient moins de motsd'origine chinoise que les hommes.

28. . Jusqu'à la septième génération, les parentsde celui qui entrait en religion étaientsauvés.

29. . Ou : « ce sera un malheur pour lui d'avoir àregarder les choses agréables de la viecomme si c'étaient des bouts de bois ».

30. . Y aniabushi (celui qui couche sur lamontagne) ; un prêtre errant quicherchait, en faisant des pèlerinages, desretraites, à acquérir des pouvoirsmagiques.

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31. . Les dieux shintoïstes adorés dans les troistemples de Kumano, en Kii, furentregardés comme les avatars de divinitésbouddhiques ; il en fut de même pour ledieu de la montagne de Mitake, enYamato.

32. . Sadako, fille aînée du maire du Palais.

33. . Au huitième mois de 999.

34. . La voiture, dételée à l'entrée de la cour,était ensuite tirée par des valets.

35. . Yu Ting-kouo, un Chinois qui vivait sous lespremiers Han, et dont le nom est donnépar Sei, comme tous ceux que nousrencontrerons, avec sa lecture japonaise.Son père, prévoyant pour lui uneglorieuse destinée, voulut que sa propredemeure eût une porte assez grande pourlaisser passer les équipages qu'il nemanquerait pas d'avoir un jour.

36. . Kichô. Cet écran était formé d'un T de boisdont la branche horizontale supportait un

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rideau.

37. . Osako, la fille (née le seizième jour dudouzième mois, en 996) de Sadako.

38. . Narimasa remplace le nom du vêtement,qu'il ignore, par une périphrase.

39. . La prononciation de l'intendant estincorrecte.

40. . Taira Korenaka, frère de Narimasa.

41. . Ichijô, né en 980. Il régna de 986 à 1011,année de sa mort.

42. . Littéralement : « la coiffure de noblesse ».Voir p. 1o4, note 2.

43. . Au troisième mois de l'an mille.

44. . Cf. note 47

45. . Fujiwara Yukinari.

46. . Une fille d'honneur de l'empereur.

47. . Sei énumère les dates des « cinq fêtes » (gosekku) :

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premier jour du premier mois, troisièmejour du troisième mois (fête despoupées), cinquième jour du cinquièmemois (fête des acores, voir note 174),septième jour du septième mois (fête dela tisserande céleste, cf. note 239),neuvième jour du neuvième mois (fêtedes chrysanthèmes).

48. . Un incendie ayant détruit le Palais pur etfrais, sa résidence, l'empereur, du sixièmemois de 999 au dixième mois de l'an mille,habita le Petit palais de la Premièreavenue, que Sei appelle ici le Palaisactuel.

49. . Minamoto Narinobu.

50. . Sôzu, le deuxième rang dans la hiérarchiebouddhique.

51. . Ou Jôchô. Voir note 838.

52. . à Nara, en Yamato.

53. . La plupart des noms qui figurent dans deslistes comme celle-ci ne sont mentionnés

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que parce qu'ils rappellent à Sei quelquefait particulier ou, plus souvent, quelquesouvenir littéraire. Les traductionsproposées pour quelques-uns de cesnoms, comme toutes celles qu'on pourratrouver dans l'édition primitive, neprétendent pas être autre chose que des« étymologies populaires ».

54. . « des trois parapluies » ou « des troischapeaux » ; en Yamato, près de Nara.

55. . « qui cède la place », endroit inconnu.

56. . Poésie de l'empereur Shômu (724-748),recueillie dans le Kokinshû. La montagned e Toko est située dans la provinced'Omi.

57. . En Omi, célèbre dans la légende shintoïste.Une autre montagne du même noms'élève en Shimotsuke. Cf. note 839.

58. . En Chikuzen. Allusion à une anciennepoésie.

59. . « du grand aileron », en Settsu. On appelait

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hire une pièce d'étoffe légère, attachée àl'épaule des dames. Au troisième mois, ledeuxième jour du Cheval, une danse dite« du grand aileron » (hire désignant ici unmouv ement circulaire des bras) étaitex écutée à la fête spéciale du templeshintoîste d'Iwashimizu (ou de Yawata,ou de Hachiman), situé à une vingtaine deKilomètresau sud de Kyôto. Voir notes182,et 533.

60. . « des trois roues », « des trois anneaux » ;en Yamato. Cf note 696.

61. . Aux confins des provinces de Yamato et deKawachi. Un ermite du VIIe siècle ayantprié le dieu de Katsuragi de bâtir un pontentre deux montagnes, et voyant que lacons t r uct ion n'avançait guère, endemanda la raison. Le dieu répondit qu'ilétait trop laid pour se montrer pendant lejour, et qu'il travaillait seulement la nuit.

62. . « de la tante abandonnée »,, en Shinano. Lenom de cette montagne rappelle une

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légende rapportée dans les « Contes duYamato » : une princesse, qui avaitépousé un des descendants de la déessesolaire, regrettait d'avoir une tante dontla laideur et la méchanceté gâtaient leurbonheur. Elle la persuada de monter,pour admirer la lune, sur un pic où lamégère se fondit dans les rayons del'astre.

63. . ou : « Villes ».

64. . L a déesse bouddhique de la pitié, figureféminisée d'Avalokitesvara, que l'onadorait à Hase, en Yamato.

65. . « le gouffre de la sagesse ».

66. . « N'entre pas », en Kawachi.

67. . « Vert-jaune ». Les chambellans portaientun costume vert clair, ou vert-jaune,couleur des vêtements de l'empereur.

68. . « Le lac de la guitare », e n Omi, ainsiappelé à cause de sa forme. On noteraque le titre du chapitre doit être entendu

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avec un sens très large.

69. . « du rossignol ».

70. . Peut-être l'empereur Uda, qui régna de888 à 897, puis se fit bonze.

71. . Où résidait l'empereur. C'est ce bâtimentque désignent parfois les mots « Palais »ou « Palais Impérial » employés avec leursens le plus étroit. Le soin que prend Seide noter les noms des points cardinauxpeut nous surprendre. Sans doute doit-ilnous rappeler l'importance qu'accordaientles devins à l'orientation.

72. . Probablement au troisième mois de 994.

73. . Fujiwara Korechika, deuxième fils deMichitaka.

74. . Y amabuki. La kerrie, ou corète, a desfleurs jaune d'or.

75. . D'ordinaire les femmes ne montraient pasleur visage. Un store les cachait, ou bienelles s'appliquaient à dérober leurs traits

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derrière un éventail.

76. . L'impératrice, qui se trouve dans une dessalles du bâtiment principal, se dirigevers une pièce située sous un appentis.

77. . Poésie de Man jôshû.

78. . La poésie du « Bac (ou du port) de Naniwa» était bien connue à l'époque de Sei.

79. . Poésie du Kokinshû.

80. . Père d'Ichijô. Après avoir régné de 970 à984, il se retira et fut remplacé par sonneveu (l'empereur Kwazan), qui l'imita en986.

81. . Fujiwara Michitaka.

82. . Poésie inconnue.

83. . En parlant ainsi, l'Empereur montrait qu'ilavait apprécié les vers de Sei.

84. . Le Kokinsbû.

85. . Père d'En.yû ; il régna depuis 947 jusqu'à

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sa mort (967).

86. . Yoshiko, fille de Fujiwara Morotada.

87. . Un jour où il fallait faire retraite, resterenfermé dans sa demeure.

88. . Jeu de Go.

89. . Du bouddhisme.

90. . Sei rappelle le dernier vers de la poésiecitée plus haut.

91. . Au onzième mois, le deuxième jour duDragon. C'est la dernière des « cinq fêtesdu palais » (go sechi-e), qu'il ne faut pasconfondre avec les « cinq fêtes populaires» (go sekku, voir note 47).

92. . Ou : « elles ne questionneront pas desinconnus ».

93. . C'est en hiver qu'on met les nasses dans lesrivières, quand l'eau est basse. En lesvoyant au printemps, on pense à lamauvaise saison.

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94. . Vêtement d'hiver, vermillon, doublé deviolet.

95. . Les devins avaient dit qu'en marchant danstelle direction, on risquait de rencontrerun esprit mauvais.

96. . Le passage du printemps à l'été, unmoment où d'ordinaire on est joyeux.

97. . Après avoir écrit, on pliait la lettre en un finruban, qu'on nouait ou qu'on tortillait auxdeux extrémités.

98. . Muko, gendre adopté par une famille où iln'y a pas de fils.

99. . L'exorciste maniait un chapelet, ou bienune sorte de petite massue rappelant lesce pt r e d'Indra, le dieu védique dutonnerre.

100. . Rappelons-nous que cette « heure »-làéquivalait à deux des nôtres.

101. . Les boules médicinales étaient faites avecdes feuilles d'armoise (cf. note 839) et des

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acores (joncs odorants, sobu, ayamegwa)pour la fête du cinquième jour ducinquième mois, et avec deschrysanthèmes pour celle du neuvièmejour du neuvième mois. Pour sepréserver des maladies, on attachait cesboules aux piliers et aux stores deshabitations.

102. . On préparait les cannes et les marteauxporte-bonheur, pour le premier jour duL iè v r e du premier mois, avec desr ame aux de pêcher, de prunier, dejujubier, de camélia, que liaient des fils decinq couleurs.

103. . Ce jour et surtout le suivant étaient desjours de fête.

104. . Exemple des onomatopées si fréquentes enjaponais.

105. . Les stores fabriqués dans cette provinceétaient en vogue.

106. . Une bande d'étoffe en recouvrait le bord

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supérieur.

107. . Comme un guerrier qui attaque.

108. . Il ne semble pas que ce passage, au milieud'un chapitre consacré aux chosesdétestables, soit à sa vraie place. Erreurd'un copiste ?

109. . C'est-à-dire : « on en a fait, pour un temps,la demeure de l'Empereur ». Cf. note 48.

110. . De l'an mille. Sans doute s'agit-il duvingtième et non du dixième jour.

111. . Une ancienne chanson populaire.

112. . Allusion possible à une poésie qui rappelaitde vieux récits. Le sens est : « Il mesemblait n'avoir jamais eu de peines. »

113. . Ou « à côté duquel on ne peut rester » (àcause de sa violence).

114. . Le japonais est riche en formes quimarquent l'humilité de celui qui parle, oule respect qu'il a pour ceux dont il est

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question, et surtout pour ceux auxquels ils'adresse.

115. . Ici, Sei parle ironiquement.

116. . Elles peuvent approcher l'Empereur.

117. . sashinuki, plus long et plus vaste que lepantalon porté d'ordinaire (le hakama).Les hommes avaient le saebinuki quandils étaient en costume de cour ; ils enattachaient le bas à leur jambe avec deslacets qui laissaient l'étoffe retomber surle pied.

118. . Ou : « ... voiture, demande qu'on luiindique le chemin. »

119. . Elles rappellent la fête de Kamo.

120. . Pourpre clair.

121. . Éventail d'été, pliant, fait d'une feuille depapier collée sur des baguettes de bois.En le voyant, Sei pense à quelque fête.

122. . Pour les Chinois, la lune évoquait le passé.

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Peut-être Sei songe-t-elle à une poésie dePo Kyu-yi ; cf. note 792.

123. . Ou : « pleine à déborder, avec des hommes,très nombreux. »

124. . Nom que portait autrefois la région nord-est de l'île principale.

125. . On s'est demandé si les anciens Japonais senoircissaient les dents par coquetterie ou,a u contraire, pour montrer qu'ils ne sesouciaient pas de plaire ; il semble que lapremière hypothèse soit la bonne,puisque Sei place les dents bien noirciesparmi les choses qui égayent le cœur.

126. . Il ne s'agit pas de la purification shintoîste.

127. . Ceux pour qui la journée, d'après lesdevins, était néfaste, s'enfermaient chezeux ; ils attachaient cette étiquette aus t or e pour éloigner les visiteurs. S'ilsétaient forcés de sortir, les hommesfixaient l'étiquette à leur coiffure, et lesfemmes à leur manche.

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128. . Les dames restaient dans leurs voitures,dont on avait dételé les bœufs et posé lesbrancards sur des tréteaux.

129. . Une suite de huit sermons consacrés àl'explication du « Soûtra du Lotus »( Hô k e k y ô o u Hokkekyô) ; ces «Instructions » duraient quatre jours (cinqsi l'on tient compte des séancesd'ouv er t ur e et de clôture qui s'yajoutaient).

130. . La traduction est fondée sur un jeu demots. Il s'agit d'un manteau quienveloppait tout le corps, depuis la tête,et dont le bas, relevé; était serré sous laceinture. (Le japonais tsubo-sôZokid serattache à isubomuru, « fermer, serrer »,et non à tsubo, « jarre », comme pourraitle faire croire le caractère chinoisemployé). Pardessus le manteau, étaitposé un vaste chapeau.

131. . En Yamashiro, à l'est de Kyôto.

132. . Pour encourager les vocations religieuses.

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133. . Une fleur de papier.

134. . En parlant de la rosée des lotus, Sei faitallusion à la sainteté des cérémoniesauxquelles elle assiste. Le verbe traduitpar « abandonner » signifie également« se poser » ; c'est un « mot connexe » de« rosée ».

135. . Siang Tchong, personnage de l'antiquitéchinoise, savant taoiste, fort distrait.

136. . Fujiwara Naritoki.

137. . En 986.

138. Le verbe de la phrase japonaise doit êtretraduit deux fois, par deux verbesdifférents, « se poser » et « se lever ».

139. . Minamoto Masanobu.

140. . Fujiwara Kaneie, père de Michitaka.

141. . Michitaka.

142. . Car son gilet n'attirait pas l'attention.

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143. . Fujiwara Sanekata.

144. . Fujiwara Yoshichika.

145. . Fujiwara Tamemitsu.

146. . Allusion possible à une poésie. Michitakapense : « Autant vouloir courber de force,pour le rendre élégant, un arbrenaturellement droit, que faire porter unmessage par un ignorant. »

147. . Il est resté célèbre pour son éloquence.

148. . Yoshichika et Sei se rappellent un passagedu Soûtra du Lotus : paroles adresséespar le Bouddha à son disciple Sâriputra(jap. Sharihotsu).

149. . Yoshichika et Sei se rappellent un passagedu Soûtra du Lotus : paroles adresséespar le Bouddha à son disciple Sâriputra(jap. Sharihotsu).

150. . Sei va décrire une scène dont elle sesouvient ou qu'elle imagine.

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151. . A celle qu'il vient de quitter.

152. . Allusion possible à une poésie duMan.yôshû.

153. . Makura.

154. . Ou : « Je suis ennuyée parce que j'attendsvainement une lettre de celui qui est partialors qu'il n'y avait pas encore de rosée. »

155. . On s'étonne du peu de temps qu'il a mis àl'écrire.

156. . Hagi, petit arbrisseau à fleurs rouges.

157. . U no hava, arbuste à fleurs blanches, voisindu seringa.

158. . Hototogisu, assez différent du coucou quivit en France.

159. . Voir note 205.

160. . Ils sont associés dans de nombreusespoésies.

161. . Yang Kouei-fei.

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162. . Allusion au « Poème des longs regrets », oùPo Kyu-yi montre la favorite défunte quivient vers le magicien envoyé à sarecherche.

163. . Le phénix.

164. . Ochi, un arbre assez grand, qui a de petitesfleurs violettes.

165. . « sans eau », en Yamato.

166. . L'histoire de l'uneme (demoiselle de lacour), qui, aimée puis délaissée par unempereur, se serait noyée, est rapportéedans les « Contes du Yamato ».

167. . Poésie de Kaki no moto Hitomaro (VIIe etVIIIe siècle), recueillie dans le Gosenshû.

168. . « de la noble présence », en Yamato.

169. . La bardane d'eau est citée dans diversespoésies.

170. . Poésie populaire de la province de Kôzuke.

171. . Pour la fête célébrée le cinquième jour du

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cinquième mois, on couvrait les toitsd'acore aromatique et d'armoise, dontl ' o d e u r devait chasser les espritsmauvais. Cf note n 103.

172. . C'est-à-dire une chose commune aux palaiset aux chaumières.

173. . Le cinquième jour du mois était néfaste, etd'autre part les bouddhistes observaienta u cinquième mois une périoded'abstinence. Cf. notes n 129, 396, 713.

174. . Le nom du coucou (hototogisu) rappelleson cri (botoio).

175. . Le mot katsura, de l'original, désigneaujourd'hui un grand arbre ;anciennement, il pouvait s'appliquer aucassier, voisin du cannelier, ou à l'olivierodor ant , ou encore à l'érable. Leslégendes chinoises parlent d'un cassiergéant qui croîtrait sur la lune.

176. . à cause du nom qu'on lui donnait autrefois :soba no ki, « l'arbre qui est de côté ».

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177. . C'est au début de l'été, quand elles sontjeunes, que les feuilles de cette aubépinesont rouges.

178. . Sakaki, arbre sacré du shintoïsme, toujoursvert. La cleyère appartient à la mêmefamille botanique que le camélia.

179. . De Kamo, le dernier jour de l'Oiseau duonzième mois, et d'Iwashimizu, ledeuxième jour du Cheval du troisièmemois. A l'époque où Sei écrivait, ces fêtesavaient lieu chaque année, à des datesprécises, tout comme les « fêtesrégulières », beaucoup plus anciennes, quiétaient célébrées à Kamo le deuxièmejour de l'Oiseau du quatrième mois, e t àIwashimizu le cinquième jour du huitièmemois ; mais il en était ainsi depuis assezpeu de temps, et on les appelait encore,comme par le passé, « fêtes spéciales » nu« extraordinaire » (rinji-matsuri). Selparle ici de la kagura, danse qui rappelleun épisode célèbre de la légendeshintoïste.

Page 833: Sei Shonagon - Notes de Chevet

180. . On plante le camphrier loin des autresarbres parce qu'on sait qu'il aura den o m b r e u s e s b r a n c h e s (odoro :broussailles), et sa vue inspire despensées effrayantes (odoro-odoroshiki)parce que l'esprit rapproche le deuxièmemot du premier.

181. . D'après une ancienne poésie, les amantsont autant de sujets d'inquiétude que lecamphrier a de branches.

182. . Parce qu'on en voit beaucoup.

183. . Le cinquième mois est généralementpluvieux.

184. . Asu ma hinoki, littéralement « demain, unthuya ». Il appartient au même groupeque le hinoki, pour lequel a été réservé lenom de thuya.

185. . Poésie recueillie dans le Manyôshû. Susa-no-O, dieu de la tempête, et frère de ladéesse solaire Amaterasu, fut expulsé descieux à cause de sa violence. Il vint dans

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la province d'Izumo, où il fit souche dedieux.

186. . Yuzuriba, -yuzuruba.

187. . à la fête des âmes (Bon, Tama-matsuri),célébrée au septième mois, du treizièmeau seizième jour, et au temps de Sei,semble-t-il, également à la fin de l'année.

188. . Aliments qu'on préparait le deuxième jourdu premier mois, et qui passaient pourassurer une longue vie.

189. . Ancienne poésie.

190. . Comme les feuilles de cet arbre durent toutl'hiver, on pourrait croire qu'elles sontprotégées par un dieu. Sei se réfère à unepoésie qu'on trouve dans les « Contes duYamato ».

191. . Peut-être parce qu'ils inspirent, eux aussi,une crainte respectueuse.

192. . Comme le pin et la tortue, la grue est unsymbole de longévité.

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193. . Une sorte de roitelet. Son nom japonais,que l'on peut traduire par « oiseau habile» ou par « oiseau charpentier », lui a étédonné à cause de la façon dont il construitson nid.

194. . Ancienne poésie.

195. . Hakodori. La traduction est fondée sur unjeu de mots. Peut-être faut-ilcomprendre « l'oiseau qui crie bako ».

196. . Ancienne poésie. Le canard mandarin estl'emblème de l'amour conjugal.

197. . Aliyakodori. On peut comprendre « oiseaude la capitale », comme fait l'auteur(Ariwara no Narihira ?) d'une poésieincluse dans les « Contes d'Ise ».

198. . Ancienne poésie.

199. . Ancienne poésie.

200. . Uguisu. Ce rossignol n'est pas le nôtre (il nechante pas la nuit) ; il est encore plusdifférent de l'oiseau qu'on appelle

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couramment à Paris le rossignol duJapon, et qui ne vient pas de ce pays.

201. . Kokinshù et diverses anthologies.

202. . Le cortège de la Princesse consacrée (voir p104 n. 1) revenant à sa résidence, ledeuxième jour du Chien du quatrièmemois.

203. . Temples bouddhiques.

204. . Kari no ko. Généralement kari désigne l'oiesauvage, mais dans certains textes ils'applique à un canard. D'autre part, kosignifie souvent « petit (d'un animal) »,comme dans le Manyôshû; mais ailleurs,comme dans les « Contes d'Ise », le «Conte du creux », il désigne les œufs,d'où, ici, plusieurs traductions possibles.En maints endroits des « Notes de chevet», on pourrait faire de pareillesremarques.

205. . On en faisait des sorbets.

206. . Mushi, de l'original, a un sens beaucoup

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plus étendu que que celui d' « insecte »,et s'applique aussi aux vers, auxcrustacés, etc. On pourrait employer lemot « bestiole ».

207. . Un petit crustacé.

208. . Minomushi. Ainsi appelée parce qu'elleporte son nid sur sa tête.

209. . Ou : « Mon père ! Mon père !

210. . Il oscille quand il se déplace.

211. . Certains noms masculins étaient formésavec des noms d'animaux, par exempleavec celui de la cigale, et sans doute aussiavec celui de la mouche.

212. . Une voiture servant à transporter desmarchandises.

213. . La couleur préférée pour un bœuf.

214. . Celle de la femme ou celle du mari ?

215. . Le capitaine de la garde du palais. Cettegarde jouait le rôle d'une police ; on la

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redoutait. Primitivement, la jaquette decha s s e (karigini) ne devait pas êtreportée à l'intérieur du palais.

216. . Sei veut parler des anciens chambellans quiont été promus au cinquième rang quandils ont quitté leurs fonctions et perdu, parconséquent, l'avantage de pouvoirapprocher le souverain.

217. . Fujiwara Yukinari. La scène doit se passeren 998.

218. . Allusion à un passage du Che-ki (jap. Shiki,cf. note 863), où sont notées les parolesdu Chinois Yu Jang, qui vécut cinq centsans avant notre ère.

219. . Man.yôshû.

220. . Sei évoque les dernières instructionslaissées par un Fujiwara à sesdescendants.

221. . Phrase tirée du « Livre des entretiens »(Louen-yu, jap. Rongo) de Confucius.

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222. . Cf note 77.

223. . Vers dix heures du soir, au Palais pur etfrais.

224. . Pour effrayer les démons.

225. . Ou : « Quand chez un seigneur auquel legouvernement donne des serviteurs ».

226. . Ou : « qui donnait des ordres à undomestique inférieur. »

227. . On ne voit pas de quel empereur Sei veutparler, et sans doute fait-elle ici uneconfusion.

228. . Sei pense à une poésie de l'ex-empereurKwazan, son contemporain, qui fit unpèlerinage à Nachi, l'un des temples deKumano.

229. . « retentissante » ; en Rikuzen.

230. . En Yamato. Allusion à une ancienne poésie.

231. . « à l'oreille fine » ; en Yamashiro.

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232. . « sans bruit » ; en Kii.

233. . En Yamashiro.

234. . « qui acquiert du renom » en Rikuzen.

235. . Ama no gava. Ce nom, qui désigne la voielactée, est aussi celui d'une rivière enKawachi.

236. . Dans sa poésie, recueillie dans le Kokinshû,Ariwara no Narihira fait allusion à latisserande de la légende chinoise (uneétoile), qui, séparée du bouvier, sonépoux (une autre étoile), ne lui est réunieque le septième soir du septième mois ;cette nuit-là, de célestes pies, se plaçantcôte à côte, forment un pont qui permetau bouvier de traverser la « rivière duciel ».

237. . En Tôtômi.

238. . Pont fait d'une seule pièce de bois, d'un seultronc d'arbre.

239. . « Le pont suspendu », probablement un

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pont jeté sur un torrent.

240. . « des pies ».

241. . « de la rencontre ». Comme le précédent,ce nom rappelle peut-être la légende de latisserande.

242. . « du carex des montagnes ». EnShimotsuke.

243. . Sei plaisante à propos du peu de longueur(du peu d'esprit) de ce pont.

244. . Prononcer Osaka ; la « Montée desrencontres ». Ce village, où se trouvait unrelais, était situé près de la barrière dumême nom, à la limite de la province deYamashiro.

245. . « de la femme prise » en Mutsu.

246. . Voir note 26.

247. . Omodaka, littéralement « figure hautaine».

248. . Peut-être ne s'agit-il pas d'une plante

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particulière, et faut-il comprendre : « Lesherbes aventureuses croissent... »

249. . Itsumadégusa, l'orpin.

250. . Kotonashigusa. D'après certains auteurs,cette plante serait la même que lasuivante, et on l'aurait portée, fixée à lacoiffure, pendant les périodes de retraite,ce qui expliquerait son nom.

251. . Shinobugusa. Aujourd'hui, ce nom peutdésigner une mousse et une fougère. AuXe , siècle, il s'appliquait aussi à uneorchidée.

252. . Kuzu, une plante grimpante.

253. . Le Man-yôshû, le Kokinshu et leGosenshu.

254. . Asagao est aujourd'hui le nom du liseron.Au temps de Sei, ce mot désignait peut-être une autre plante : une campanule ouplus probablement la rose de Saron(ketmie, guimauve en arbre).

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255. . Pour en couvrir les toits.

256. . Kamatsuka. Il s'agirait d'un arbuste àfleurs blanches dont le bois servait à faireles manches des faucilles.

257. . Kanii ou gampi, écrit avec deux caractèresqui signifient, le premier, « oie sauvage »,et, le second, « être luxuriant ».

258. . Yûgao, la gourde. Ses fleurs sont blanches.

259. . On en aurait offert aux dieux, en Shinano,le vingt-sept du septième mois.

260. . Sulaki, une graminée qui porte des fleursen panache.

261. . Les poètes parlent souvent du cerf et de lalespédèze (voir note 159), ou de lavalériane, comme de deux amants.

262. . Voir note 76.

263. . Poésie d'Izumi Shikibu.

264. . Ou : « près d'un escalier ».

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265. . Son père pouvait le voir mais non sa mère.

266. . On risque de manger une limace.

267. . La première est petite, et donne uneteinture bleue, le second est grand, et l'onemploie son écorce pour teindre en jaune.

268. . Allusion possible à une ancienne poésie.

269. . Une légende chinoise raconte qu'unbûcheron, Wang Tche (ou Wang Che),s'attarda certain jour à regarder desg é n ie s qui jouaient aux dames, ets'aperçut, quand la partie fut finie, que lemanche de sa cognée tombait enpoussière : des siècles avaient passé.

270. . Voir note 344.

271. . L'argent n'est pas un métal dur, et unepince d'argent est rarement bonne.

272. . Il doit plutôt s'agir de l'examen de musiqueet de danse qui avait lieu au palais, ledernier jour du Mouton, au onzième mois,c'est-à-dire deux jours avant la fête

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spéciale de Kamo.

273. . A cause du froid.

274. . Au huitième mois de 998.

275. . Magobisashi, toit à une seule pente dont lapartie supérieure était appuyée contre lespiliers supportant la base d'un autreappentis.

276. . Par la première porte, ils avaient franchil'enceinte extérieure ; par la seconde, ilsentraient dans le « Palais Réservé »qu'entourait la deuxième enceinte et danslequel se trouvaient les résidences del'empereur, de ses épouses, du princehéritier...

277. . Poème, en chinois, de Minamoto Hideakira(mort en 940), et dont Sei a remplacé ledébut par « ceci ou cela ».

278. . Dans le Palais intérieur, le Palais Réservé.

279. . Voir note 100.

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280. . Ce titre s'accorde mal avec le texte duchapitre. Y a-t-il ici une erreur descopistes ? En changeant un seul descaractères syllabiques employés, onaurait « Choses pitoyables ».

281. . Ou : « Les paroles magiques que l'on dit entenant la canne du jour du Lièvre. » Voirnote 104.

282. . La kagura. Cf. note 182.

283. . L'esprit de Susa-no-O (voir note 188). Lafête avait lieu le quatorzième jour dusixième mois.

284. . Le vingt-deuxième jour du douzième mois,en 993.

285. . On récitait un texte contenant une liste desbouddhas des « trois mondes » (passé,présent, avenir).

286. . Minamoto Michimasa (ou Michikata).

287. . L'orgue à bouche était formé d'unecalebasse à laquelle s'adaptaient des

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tuyaux : dans l'un le musicien soufflait, etl'air s'en allait par les autres, pourvusd'anches.

288. . Fujiwara Korechika.

289. . « Poème de la guitare », de Po Kyu-yi.

290. . Fujiwara Tadanobu.

291. . Le nom de cette porte rappelle des récitsconcernant l'empereur Kôkô (885-887).

292. . En 995

293. . C'est-à-dire une chose incroyable. Les gensde la province d'Ise passaient pour desmenteurs fieffés.

294. . Poésie composée par Po Kyu-yi, exilé loinde la capitale.

295. . Sei écrit deux vers japonais qui rappellentle poème chinois.

296. . Minamota Tsunefusa.

297. . Sei n'a pas oublié ce que Tsunefusa disait

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d'elle.

298. . Ce nom désignait un siège superbe quiservait à l'empereur de Chine. Sei choisitquelque chose de magnifique pourl'opposer à une misérable chaumière.

299. . C'est-à-dire trois vers qui, placés devantceux qu'a envoyés Sei, feront une poésiecomplète, un tantra . On verra plus loindes poésies composées de cette manière.Ailleurs, c'est le tercet qui « appellera » ledistique.

300. . Tachibana Norimitsu, qui durant quelquetemps fut assez lié avec Sei pour seconsidérer comme son frère aîné.

301. . Ou : « Si j'avais obtenu quelque poste ».

302. . En 996.

303. . Fujiwara Tadanobu.

304. .Temple bouddhique, à trois lieues au sud deKyôto.

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305. . Voir note 97.

306. . Elle avait sous ses ordres des dames quicousaient les vêtements impériaux. Seiparle ici de la quatrième fille deMichitaka, ou d'une fille de Michikane, unfrère, plus âgé, de celui-ci.

307. . Les cinq derniers mots sont pris dans letexte donné par M. Kaneko.

308. . A cause des malheurs qui avaient frappéles frères de l'impératrice.

309. . La moitié occidentale de Kyôto. La villeprésentait l'aspect régulier d'un rectangledivisé, par une large avenue allant dunord au sud, en deux parties dont l'une,celle de l'ouest, déclina de bonne heure.

310. . Le vingt-septième jour du deuxième mois,en 996.

311. . Personnage du « Conte du creux », habilemusicien, héros de la piété filiale.

312. . Allusion à une poésie de Po Kyu-yi. Les «

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pins sur les tuiles » sont des mousses oudes fougères ».

313. . Suite de la poésie citée par Saishô.

314. . C'est à dire : « Comme je n'attendais pas lavisite d'un galant ».

315. . En 999, au deuxième ou au huitième mois.

316. . Tadanobu.

317. . Minamoto Tsunefusa.

318. . Me, algue comestible.

319. . Lecture faite au palais par des bonzes, audeuxième et au huitième mois, du « Livrede la Grande sagesse » (Daihan-nyakyô)Cf note 570.

320. . Voir note 89.

321. . En écrivant ces vers, Sei pense peut-être àune poésie recueillie dans leWak anrôe ishû (cf. note 448). Lesaccolades, dans la traduction, marquentdes calembours : certains mots de

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l'original peuvent être compris de deuxfaçons.

322. . Peut-être Sei s'est-elle inspirée d'unepoésie du Kokinsbû.

323. . Pour s'en peindre d'autres plus haut.

324. . Au douzième mois de 998.

325. . Allusion au passage du « Conte du creux »dont il a été parlé (note 314).

326. . « Quelqu'un » désigne Suzushi, le rival,dans le « Conte du creux », de Nakatada.E n parlant des filles de l'aurore, Sei arappelé les talents musicaux de cedernier, qui les fit descendre sur la terre.

327. . La lecture des Saintes Écritures faite aupalais par des bonzes, et continuée jour etnuit durant un temps déterminé, chaquebonze lisant, à son tour, environ deuxheures.

328. . Une religieuse mendiante.

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329. . C'est là que s'élève le temple d'Iwashimizu.

330. . C'est-à-dire : « Cela m'était insupportable...»

331. . On peut comprendre : « malgré soninfirmité, sa révérence fut gracieuse », ou: « elle se prosterna comme l'autrereligieuse ; mais ce qui nous avait déplude la part de celle-ci, cette fois nouscharma ».

332. . Figure de la déesse de la pitié (Kwannonaux onze visages, voir note 654), adoréesur la montagne Blanche, dans le nord del'île principale. Cette montagne esttoujours couverte de neige, et Sei, toutnaturellement, y pense.

333. . Respectivement résidences du princehéritier (le futur empereur Sanjô), de laprincesse Yoshiko (fille de FujiwaraKinsue, et l'une des épouses d'Ichijô) etde Fujiwara, Michinaga (frère deMichitaka).

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334. . Au dernier vers, la religieuse rappellel'infirmité de celle qui l'a suivie. Elleinsère d'autre part dans sa poésie un «mot d'appui » très imparfaitement rendupar « de l'Océan ».

335. . La grande prêtresse du temple de Kamo,une vierge qui, désignée par divination audébut de chaque règne parmi les jeunesprincesses impériales, se vouait auservice des dieux adorés dans ce temple.Sei parle ici de la princesse Nobuko (ouSenshi), fille de l'empereur Murakami.

336. . Cf note 104.

337. . L'original offre un exemple de « motsconnexes » : yoki signifie « hache » ; maisil pourrait se traduire aussi par « bon,beau, heureux », et il s'accorde ainsi avecle mot roui, rendu par « fête ».

338. . Ce vêtement était blanc, doublé de rouge.

339. . La montagne Blanche mentionnée plushaut.

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340. . La clôture du palais impérial : un murconstruit en recouvrant de terre un bâtide planches.

341. . Ou : « dites-lui ce qui en est ».

342. . Du septième jour du premier mois.

343. . Nous savons que la couleur du papierdevait s'accorder avec celle du rameau(fleuri ou non) auquel on attachait unelettre. De même, cette couleur serait, ici,pareille à celle de la neige que la lettreaccompagnerait.

344. . L'original a ici « le quatre » ; mais il s'agitsûrement du quatorze.

345. . Voir note 69.

346. . Au banquet donné quand un ministre étaitnommé, un chambellan apportait aunou v e a u dignitaire, de la part del'empereur, du lait et des châtaignes.

347. . En réalité six ans.

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348. . Quand ils quittaient leurs fonctions, leschambellans devenaient dignitaires ducinquième rang ; ils recevaient la «coiffur e de noblesse » ( k ô b it ri oukaejmuri), une petite calotte ronde, ornéed'une protubérance antérieure, et d'unlong ruban noir, plat et rigide en arrière.Les prêtres shintoïstes portent encore desemblables coiffures.

349. . Durant une des six périodes qui sesuccédaient en vingt-quatre heures (petitjour , milieu du jour, coucher du soleil,première veille, milieu de la nuit, dernièreveille).

350. . Il s'agit du « Soûtra du Lotus ».

351. . Statues d'animaux, qui devaient éloignerles esprits mauvais.

352. . Plus exactement un chaudron représentantle dieu de la cuisine, pour montrer quelleplace la nouvelle impératrice va tenirauprès de son époux.

Page 856: Sei Shonagon - Notes de Chevet

353. . Le maire du palais.

354. . Temple shintoïste, près de Nara ; on yadorait les dieux protecteurs de la familleFujiwara.

355. . Le prince Atsuyasu, fils d'Ichijô et deSadako, né au onzième mois de 999.

356. . Korechika et Takaie, frères del'impératrice.

357. . Cf note 103.

358. . Pour la fête du cinquième jour ducinquième mois. Voir note 174.

359. . Hire. Cf. note 59.

360. . Les seigneurs qui devaient jouer un rôledans les cérémonies shintoïstes de laNouvelle Gustation, le deuxième jour duLièvre, au onzième mois, se soumettaientà des purifications spéciales, et revêtaientle costume de «petite abstinence », orné àl'épaule droite de deux rubans rouges.Les danseuses qui figuraient à cette fête

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portaient les mêmes rubans, à l'épaulegauche.

361. . Voir note 93.

362. . Cf. note 364.

363. . Cf. note 69.

364. . Au onzième mois de 992.

365. . Genshi (la deuxième fille de Michitaka),épouse du futur empereur Sanjô.

366. . Senshi (ou Akiko), sœur de Michitaka, etmère d'Ichijô).

367. . Littéralement : « au Palais de la belle vue »(résidence de cette princesse).

368. . Parce que leurs vêtements blancs ornés debleu et leurs rubans rouges rappelaient lecostume de « petite abstinence ».

369. . Le jour du Dragon était le dernier jour dessolennités qui se déroulaient depuis celuidu Rat.

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370. . Le mot traduit par « où l'on tire la jambe »est un « mot d'appui » de celui qui signifie« montagne ». D'autre part yama-i, «puits de la montagne », rappelle yazzia-ai,nom de la renouée qui a donné la teinturebleue des dessins dont est décoré levêtement de la dame. Enfin celle-ci, àcause de sa réserve, est comparée aupuits glacé.

371. . Le prince Tamehira, fils de l'empereurMurakami.

372. . Quelque chose d'analogue à une dragonne.

373. . Voir note 129.

374. . Un pont jeté provisoirement entre le Palaispur et frais et le Palais des offrandes deparfums.

375. . Le deuxième jour du Bœuf, au onzièmemois, au Palais de la paix éternelle.

376. . Peut-être des coiffeuses.

377. . Ou plutôt « Sans renom ». Nous sommes

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en 999.

378. . Michitaka, son père, mort le dixième jourdu quatrième mois, en 995.

379. . Ryûen, le quatrième fils de Michitaka.

380. . La Wei, rivière chinoise, affluent du fleuveJaune.

381. . Cf. note 770.

382. . L'ex-empereur Uda (voir note 72).

383. . Il y avait dans ce palais un magasin pourles instruments de musique et les objetsprécieux.

384. . Fujiwara Tadanobu.

385. . Allusion au « Poème de la guitare », de PoKyu-yi.

386. . Un héros de roman ?

387. . Résidence du maire du palais. Noussommes au douzième mois de 992.

388. . Cf note 59 et note 263.

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389. . Parce qu'on a eu deux dés de valeurinégale.

390. . Au douzième mois. Voir note 288.

391. . Les devins ont dit qu'il fallait faire retraite.

392. . En 995. Il s'agit d'une des « troispurifications de l'année », prescrites parla loi bouddhique : au premier, aucinquième et au neuvième mois. Cf. note76.

393. . Salle longue d'environ six mètres.

394. . La tisserande céleste, fêtée le septième jourdu septième mois.

395. . C'est-à-dire : « par la porte qui se trouveprès du poste des gardes, au milieu duc ô t é septentrional de l'enceinteextérieure ».

396. . Sei pense qu'on ne les blâmera pas (parcequ'elles peuvent craindre la pluie) d'êtresorties en voiture par cette porte.

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397. . Dans le texte donné par M. Mizoguchi, on a« les capitaines ».

398. . Takashina Akinobu, oncle maternel del'Impératrice.

399. . Fujiwara Kiminobu.

400. . La porte la plus rapprochée du coin nord-est, sur la face orientale de l'enceinteextérieure.

401. . «Ou : « Bien que la voiture allât vite, quandnous fûmes arrivées, en nous hâtant, à laPorte de la Terre, Kiminobu nousrejoignit. »

402. . Ou : « Tout d'abord ».

403. . K a ra . Ce mot, qui désigne un grandchapeau de paille, signifie également «parapluie ».

404. . Cf. note 34.

405. . On ne s'explique guère comment unejournée aurait pu recevoir, « dans un

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monde antérieur », une destinationquelconque ; mais la phrase est dite enriant.

406. . Fujiwara Korechika.

407. . Plus exactement : « nuit du frère aîné duMétal, et du Singe » (nous savons que cesdeux termes coïncidaient tous lessoixante jours). Il était prudent de veillertoute cette nuit-là, où des vers, pénétrantdans le corps des dormeurs, pouvaient,croyait-on, sur- prendre leurs secrets.

408. . Allusion au « Soùtra du Lotus ».

409. Sei pense aux lotus où sont conçus lesbienheureux, divisés en neuf classes, quinaissent au paradis d'Amita.

410. . En 995 ou en 996.

411. . Fujiwara Takaie.

412. . C'est-à-dire une chose qui n'existe pas.

413. Plus précisément : « gênante pour ceux qui

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sont à côté » (pour les compagnes deSei).

414. . En présence de l'Impératrice, le messager,par respect, ne s'asseyait pas sur lecoussin.

415. . La phrase de Sei est à double sens.

416. . Épouse de Murakami.

417. . Enutagi paraît signifier « vomissement dechien ».

418. . Tokikara signifie « suivant le temps ».

419. . La traduction de la dernière phrase estfondée sur le texte donné par M. Kaneko.

420. . En 995.

421. . Voir note 73.

422. . Au deuxième mois de 994.

423. . Aux diverses époques de l'année,convenaient, pour les vêtements, telles outelles couleurs.

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424. . Genshi, la princesse du Palais de la bellevue. Cf. note 68.

425. . L'épouse de Michitaka.

426. . Ou peut-être : « vert ».

427. . Allusion possible à une poésie.

428. . Michitaka lui-même et son épouse.

429. . Korechika et Takaie.

430. . On appelait ainsi, dans son enfance, le filsde Korechika, Fujiwara Michimasa.

431. . Takaie avait seize ans, son frère Korechikavingt et un.

432. . Michitaka appartenait à une famille illustre.Celle de son épouse (les Takashina) l'étaitbeaucoup moins.

433. . Sixième fils de Michitaka.

434. . A l'est du Palais de la gloire ascendante.

435. . Atsuyasu, fils de Sadako, naquit seulement

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au onzième mois de 999.

436. . Ou : « un frémissement courut parmi lesassistants, et l'Empereur entra. »

437. . Ou : « Sans doute, la foule des damess'écoula. »

438. . Michiyori, fils aîné de Michitaka. Il n'étaitpas né de la même mère que l'impératriceet les autres enfants du maire du palaisqui ont été mentionnés.

439. . Korechika.

440. . Takaie.

441. . Yorichika, cinquième fils de Michitaka.Comme il était encore plus jeune queTakaie, on peut penser que son titre étaitpurement honorifique.

442. . Poésie, en chinois, de Ki Haseo (845-912).

443. . En 999.

444. . Fujiwara Kintô. Renommé pour ses talentslittéraires ; il composa un « Recueil des

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plus beaux chants japonais et chinois »(Wakanrôeishû), et il fut, dans les deuxlangues, un habile poète.

445. . Fujiwara Tadanobu.

446. . Fujiwara Sanenari ?

447. . Ce cordon avait trois mètres de long.

448. . Au contraire du pays de Michinoku (voirnote 126), la barrière (cf. note 47) n'étaitpas éloignée de la capitale.

449. . Daihanigakyô. Ce livre comprenait sixcents fascicules.

450. . Masahiro veut-il qu'on emporte lesvêtements d'un autre seigneur en mêmetemps que les siens ? Le terme qu'ilemploie (manu) désignait une mesurecontenant environ 1,8o l.

451. . On comparait le bruit produit par lesharicots qui éclatent dans le feu à celuique font les gens qui se hâtent.

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452. . Tellement ils avaient l'habitude del'entendre dire des sottises.

453. . Expression employée par les bouddhistes :les mains, les genoux, la tête.

454. . Voir note 24.

455. . Établies à la limite des provinces.

456. . « que l'on franchit immédiatement ».

457. . « de la crainte », en Rikuzen.

458. . « C'est inutile. »

459. . « Ne viens pas », en Iwashiro.

460. . Ausaka. La promesse qu'il y a dans sonnom peut être vaine, car on n'y rencontrepas toujours celui qu'on espérait voir. Cf.note 247.

461. . « du divin palais », en Yamashiro.

462. . « du haut banc de sable », en Kawachi. Lepoème dont parle Sei accompagnait ladanse sacrée (kagura).

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463. . Dans le texte donné par M. Kaneko, on litici Nobutaka, il s'agirait d'un Fujiwara,père de Takamitsu qui va être nommé.

464. . Peut-être en 991.

465. . Ou : « qui couve ».

466. . Ou : « des vêtements sales ».

467. . Rappelons-nous que les anciens Japonaisavaient un calendrier lunaire.

468. . Gitsha. Un livre bouddhique.

469. . Destiné aux offrandes.

470. . Il ne s'agit pas de la barrière, mentionnéeplus haut, que l'on voyait devant le chœur; mais d'une autre, placée sur le côté dusanctuaire, entre celui-ci et les chambresdes pèlerins.

471. . Kwannon aux onze visages. Cf note 654.

472. . Parce que cela donne une impression defraîcheur.

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473. . Il ne craint pas qu'on le surprenneendormi, et il en profite pour négliger sesprières.

474. . Danses exécutées par deux hommes qui secachaient sous une dépouille, vraie oufausse, d'animal.

475. . M. Kaneko fait de ce paragraphe unchapitre spécial.

476. . Au dixième mois de 995.

477. . Ou Iwashimizu. Cf.note 59.

478. . Au quatrième mois de 993.

479. . Korechika.

480. . Michiyori.

481. . Michinaga.

482. . Le verbe « s'accroupir » rendrait mieuxl'idée d'humiliation que veut exprimerSei.

483. . Sans doute un des six jours durant lesquels,

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chaque mois, les bouddhistes faisaientabstinence.

484. . Voir note 14.

485. . Le nom japonais du myosotis, mimi-na-gusa, parait signifier « herbe sans oreilles» ; mais sa forme primitive voulaitprobablement dire, au contraire, « herbequi a des oreilles ».

486. . Les offrandes (gâteaux, châtaignes) quiavaient été présentées au philosophe et àses disciples.

487. . Le douzième jour du douzième mois, en995.

488. . Yukinari.

489. . Nariyuki n'est pas autre chose queYukinari renversé. Quant à Mimana, quiest ici donné comme un nom de famille,c'était en réalité celui d'un royaumecoréen.

490. . Allusion au dieu de Katsuragi. Voir note 63.

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491. . Taira Korenaka.

492. . Nous avons vu que Tachibana Norimitsun'appréciait pas les poésies. Sans doute enétait-il de même pour Nariyasu(personnage inconnu). Cette fois-là,comme Sei n'avait pas composé depoème, ils ne pouvaient la railler.

493. . Le « pantalon à lacets » était très ample.Cf. note 119.

494. . En 995. Michitaka était mort depuis huitmois.

495. . Poésie, en chinois, de Sugawara Fumitoki(vers 975).

496. . Tadanobu passait pour être dans lesmeilleurs termes avec Sei.

497. . Ou plutôt l'impératrice.

498. . Au deuxième mois de 999.

499. . Fujiwara Yukinari.

500. . Allusion à l'histoire de la Chine. Vers 27o

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avant J.C, le prince Mong Tch'ang-kiun,ministre du roi de Ts'in, fut accusé detrahison et emprisonné. Il put s'échapper,mais arrivant une nuit à la barrière deHan-kou, il la trouva fermée, et il auraitété repris, si l'un de ses serviteur n'avaitimité le chant du coq, et fait croire ainsiau gardien du passage que l'heure étaitvenue d'ouvrir la barrière.

501. . Le nom de cette barrière rappelle àYukinari et à Sei leur « rencontre », leurentretien de la veille. Cf. note 466.

502. . Yukinari semble faire allusion auxnombreuses visite que recevait Sei.

503. . Ryûen.

504. . Ou : « M'ayant écrit l'autre jour, il m'araconté ce qui s'était passé. »

505. . En 999.

506. . L'État de Kure (chinois Wou, sinico-japonais Go) était dans la partieinférieure du bassin du fleuve Bleu.

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507. . Sei se rappelle une composition, en chinois,de Fujiwara Atsushige, qui est elle-mêmefondée sur l'histoire de la Chine : le princeYou aimait passionnément le bambou, etl'appelait « ce seigneur ».

508. . C'est-à-dire devant le Palais pur et frais.

509. . Sei peut répondre ainsi parce que lejaponais kono kimi signifie aussi bien «ces seigneurs » que « ce seigneur ». Si onl'entend au pluriel, on pensera que sonexclamation s'appliquait auxgentilshommes qui sont venus la voir, etqu'elle n'a rien dit d'intéressant ; maissans doute eût-elle été fâchée queYukinari la crût.

510. . Au deuxième mois de 992.

511. . Poème de l'archevêque Henjô (816-898),qui fut récité en 851, un an après la mortde l'empereur Nimmyô.

512. . Voir note 211.

513. . Un ruban de papier, roulé, sur lequel était

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noté le nombre des formules magiques etdes textes sacrés récités en offrande. Onl'envoyait du temple, au fidèle qui lesavait fait lire pour attirer sur lui la faveurdu ciel. Tôzammi croit que ce qu'elle areçu la veille est une chose sainte, etprend avec respect ce qui est, e n réalité,une lettre.

514. . On trouve dans cette poésie une questionplaisante, adressée par l'auteur(probablement l'impératrice) à la dameT ôzammi, qui, naguère dignitaire duquatrième rang, vient d'être promue autroisième. En effet, le nom du shii, lechêne dont l'écorce est employée pourteindre les sombres vêtements de deuil,peut, différemment écrit, servir àdésigner le quatrième rang. Notons aussique le mot h a g a e , évoquant ici lechangement de costume, signifielittéralement « changement de feuilles » ;il est donc lié par le sens au nom duchêne.

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515. . Kwanchô, un Minamoto. Le temple Ninnajis'élève en Yamashiro, à l'est de Kyôto.

516. . Personnage inconnu.

517. . Allusion à la légende concernant leminomushi.

518. . Pour faire une retraite dans un monastère.

519. . S ugoroku. Les pièces sont posées aucroisement des lignes tracées sur leplateau, et le mot « case » devrait doncêtre remplacé pour plus d'exactitude parun autre (intersection ?).

520. . Go.

521. . Des choses indignes d'intéresser les gens dequalité.

522. . Ces bâtonnets ne serviront plus. Voir note190.

523. . Il s'agit en réalité de l'épreuve de musiqueet de danse qui avait lieu le deuxièmej o u r du Dragon du troisième mois,

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l'avant-veille de la fête.

524. . Un officier de la garde du corps, chargé deporter au temple les offrandes dusouverain.

525. . C'est ce qui semble se produire. Iwashimizuest au sud de la capitale, et l'envoyéimpérial regardait dans cette direction.

526. . Une île.

527. . Feux allumés dans les jardins.

528. . C'est-à-dire vers l'empereur.

529. . Ô-hire. Voir note 59.

530. . Kagura (cf. note 182). Sans doute, à leurretour d'Iwashimizu, beaucoup pluséloigné de la capitale que ne l'était Kamo,les acteurs étaient-ils trop fatigués pourrecommencer leurs danses.

531. . Sei parle de la fête spéciale, célébrée à la findu onzième mois.

532. . La plupart d'entre eux étaient d'un rang

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supérieur au sien, et il pouvait donc êtrefier de les voir lui obéir.

533. . Devant le temple.

534. . Allusion possible à une poésie de FujiwaraTadafusa.

535. . Après la mort de Michitaka (le dixième jourdu quatrième mois, en 995).

536. . Des intrigues avaient forcé Sadako às'éloigner, et certains disaient que Seiprenait le parti de ses adversaires.

537. . Au huitième mois de 996.

538. . Personnage inconnu.

539. . Michinaga.

540. . Allusion à une ancienne poésie célébrantl'amour de celui qui se tait alors qu'il croitsentir en son cœur le bouillonnement del'eau coulant sous la terre (cf. note 273).En envoyant à Sei un pétale de kerrie (cf.note 76), l'impératrice rappelle en même

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temps une autre poésie, du Kokinshû,dans laquelle est nommée cette fleur, etdont quelques mots peuvent faire penser,encore, à l'amour silencieux.

541. . C'est-à-dire pleurer (poésie du Kokinsliû).

542. . Il n'est pas question de l'arc-en-ciel,comme nous pourrions le penser, maisd'un quartier de la lune.

543. . Sei espère que personne n'aura oublié cettehistoire comme elle-même avait fait pourla poésie dont sa maîtresse lui adressaquelques mots.

544. . Date voisine du 15 février.

545. . Voir note 104.

546. . On l'employait pour teindre en noir.

547. . Quand ils n'ont pas encore de plumes.

548. . Malgré cet anoblissement, i l n'était pasadmis en la présence de l'empereur.

549. . En tordant ce cordon de papier, on a peur

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de le casser.

550. . Ou : « qui a la forme ovale d'une graine demelon ».

551. . Nous dirions . « à la Jeanne d'Arc ».

552. . Pour la fête des poupées, le troisième jourdu troisième mois.

553. . Kari no ko. Cf. note 207.

554. . On ne voit pas bien par quoi Sei a étéguidée en écrivant ce chapitre. Decertaines des choses qu'elle énumère, onpourrait dire simplement, sans parler deleur nom, qu'elles sont effrayantes. Il estaussi des noms pour lesquels on peutproposer une explication (le fer, enjaponais, est le « métal noir, sombre » ; lemot kure, « motte », a un homonyme quisignifie « crépuscule », et de plus, dans lecaractère qui le représente, on trouve lesymbole d'un démon) ; mais pourd'autres... ?

555. . Voir note 239.

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556. . Ô- kami signifie « loup » et « grandedivinité ».

557. . Peut-être un insecte. Dans le texte de M.Kaneko, on a : ushi (le bœuf), kasame (lecrabe).

558. . Littéralement : « la pluie du chapeau ducoude » : l'averse surprend les gens quin'ont pas le chapeau de pluie (kasa) ; ilsse protègent la tête avec le bras.

559. . Onidokoro e t oniwarabi. Pourquoi cetteigname et cette fougère ont-elles desnoms de démons ?

560. . L'un des deux gardiens qui veillent auxportes de l'enfer bouddhique. L'autre aune tête de cheval.

561. . Sei s'étonne sans douce, qu'on emploie, parexemple, trois caractères chinois pourécrire un nom aussi simple que celui de lafraise.

562. . La commeline. Son nom japonais,

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tsuyugusa, semble composé de deuxmots signifiant « rosée » et « herbe ». Lescaractères qui servent à l'écrire signifient« canard sauvage », « tête », « herbe ».

563. . Plus exactement le galé.

564. . Longues raves qu'on préparait le deuxièmejour de l'année, et qui devaient assurerune longue vie.

565. . Avec ce bambou, elles prenaient lesmesures utiles pour la confection d'uncostume dont on revêtait un mannequinfigurant l'empereur, et auquel celui-ci,d a n s un souffle, transmettait sesimpuretés. Lors de la cérémonieshintoïste de la Grande purification, ledernier jour du sixième et du douzièmemois, ce mannequin était lavé, dans lecours d'une rivière, des souillures dontl'empereur l'avait chargé.

566. . Cf note 323.

567. . Voir note 288.

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568. . Le premier jour du Mouton du deuxièmemois ; la fête était célébrée le lendemain.Cf note 358.

569. . Voir note 350.

570. . Le premier jour de l'an. Elles faisaientl'épreuve de l'élixir (du vin de riz) qu'onprésentait à l'empereur.

571. . Cf note 104.

572. . Voir note 93.

573. . Sechi-e. Cf. note 93.

574. . Pour les luttes qui avaient lieu à la fin duseptième mois, devant l'empereur, onr e cr u t a it des champions dans lesprovinces.

575. . Temples shintoïstes, au sud de Kyôto, Lafête d'Inari était fixée au premier jour duCheval du deuxième mois.

576. . Voir note 132.

577. . Cf note 80.

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578. . Ce sont des jours de fête.

579. . Voir note 127.

580. . Cf. notes 539, 540.

581. . Le vingt-huitième jour du sixième mois, en995.

582. . La Grande purification. Voir note 569.

583. . Cf. note 97.

584. . Sans doute faudrait-il, avant cette phrase,ajouter quelques mots, et lire parexemple : « Le lendemain matin, nousfûmes surprises par l'aspect de l'édifice onne pouvait s'empêcher... »

585. . On ne voit guère comment les damesauraient pu faire tout cela dans le postedes gardes. Il s'agirait en réalité du palaisoù siégeait le Conseil d'État.

586. . Allusion possible à u n poème chinois. Latraduction est fort peu sûre, et peut-êtrey a-t-il une erreur dans l'original. En

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changeant une des syllabes, on aurait : «un jardin de musique et de danse », c'est-à-dire : « où l'on se divertirait ».

587. . Nous sommes à la fin du sixième mois ouau début du septième ; mais l'annéejaponaise commençait plus tard que lanôtre, et n'était pas partagée de la mêmemanière.

588. . Allusion possible à une poésie japonaise.

589. . Voir notes 47 et 239.

590. . Nous sommes au dernier jour du troisièmemois. Tadanobu ne fut nommé conseillerd'État que vingt-quatre jours plus tard.

591. . Poème de Po Kyu-yi. La réponse deTadanobu rappelle, en même temps quela date du lendemain, celle de la mort deMichitaka.

592. . Tadanobu. Sei lui donne ici le titre qu'ilavait réellement à la date indiquée.

593. . Nobukata.

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594. . La séparation du bouvier et de latisserande. Poème, en chinois, deSugawara Michizane (845-903).

595. . Tadanobu évoque la tisserande autroisième mois, alors que la fête de cettetisserande a lieu seulement au septième.

596. . Ou Katsuragi. Cf. note 63.

597. . Le Chinois Tchang K'ien, un ministre qui,sous les premiers Han, fut un tempsprisonnier des barbares. Il passe pouravoir été le héros de maintes aventuresmerveilleuses ; mais on ne voit pas ce queson nom pouvait signifier pour Sei etTadanobu. Le passage, à vrai dire, estfort peu clair. Dans le texte donné par M.Kaneko, on lit qu'ils employaient commelangage secret des termes empruntés aujeu de dames.

598. . Peut-être cela voulait-il dire : « Il est aussiennuyeux que le mouvement continueldes gens et des voitures sur lagrand-route » ?

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599. . L'original a ici un calembour . sadame : «régler » et « case fixée » (terme du jeu dego).

600. . Composition en chinois d'Ôe Asatsuna(886-957), où il est question du chinoisSiao Yun (vers 550 A. D.), qui,parcourant la province de Kouei-ki, auTchekiang, visita le tombeau de Ki Tcha,un personnage ayant vécu au VIe siècleavant J.-C., et resté célèbre pour saloyauté.

601. . Poème en chinois dans lequel MinamotoHideakira (début du Xe siècle) cherche àse consoler, par des exemples pris dansl'histoire de la Chine, de voir ses cheveuxblanchir à trente-cinq ans.

602. . Tchou filai-tch'en, un Chinois qui à la fin desa vie fut gouverneur de province (IIe

siècle avant notre ère). Alors qu'il étaitdéjà vieux, sa femme, honteuse de sapauvreté, voulait le quitter.

603. . Il fallait que Nobukata eût perdu l'esprit

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pour aller raconter partout que Sei l'avaitraillé.

604. . Fujiwara Kinsue, Cf.note 337.

605. . Au deuxième mois de 998.

606. . Ici, jeu de mots sur le nom d'Uchifushi.

607. . Ou : « Un garde ».

608. . On employait la cendre pour fixer lacouleur.

609. . Voir note 331. Pourquoi Sei nomme-t-elleici le Sermon ininterrompu ? M. Kanekole place dans un chapitre spécial.

610. . Sans doute s'agit-il en réalité des fêtescélébrées au palais, et en même tempsdans des temples éloignés de la capitale.

611. . Allusion à divers textes bouddhiques(comp. une poésie du bonze Sengyô).Quand on est pieux, on atteint bientôt leparadis, si éloigné qu'il soit.

612. . Sans s'éloigner de la côte, le bateau peut

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parcourir une longue distance.

613. . Dans ce chapitre, Sei énumère nonseulement de véritables puits, mais aussides bassins formés en barrant le coursd'un torrent ou d'une rivière.

614. . Cf. note 247.

615. . Poésie du Man.yôshû.

616. . Chanson populaire.

617. . « du quartier de l'impératrice », au palaisde Kyôto.« du quartier de l'impératrice »,au palais de Kyôto.

618. . Voir note 219.

619. . Cf note 352.

620. . Ou : « Sans que les armoises poussent enénorme abondance ».

621. . C'est-à-dire : « Si le père est remarié, ou lamère ».

622. . Poésie de Taira Kanemori (milieu du Xe

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siècle).

623. . Poème chinois recueilli dans leWakanrôeishû (voir note 448).

624. . Poème de Po Kyu-yi.

625. . Probablement au premier mois de 990.

626. . Cf. note 63.

627. . Les gardes qui veillent sur les feux allumésdans les jardins.

628. . Chen (jap. Jin) est le nom d'une ancienneprincipauté chinoise.

629. . Michitaka.

630. . Korechika.

631. . Allusion à la poésie de Kanemorimentionnée plus haut (note 626).

632. . Allusion à la poésie de Kanemorimentionnée plus haut (note 626).

633. . A Sei.

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634. . L'éternuement passait pour un signe deme nsonge . C'était aussi un funesteprésage.

635. . Tadasu, de l'original, est un « mot connexe» ; il faut d'abord l'entendre comme unnom propre, celui du « dieu de l'enquête», et lui donner ensuite le sens d' «examiner, reconnaître, distinguer ».

636. . Les magiciens l'invoquaient quand ilsvoulaient jeter quelque mauvais sort.

637. . On souhaitait longue vie a celui quiéternuait ; mais pourquoi Sei parle-t-elledu jour de l'an ?

638. . Il fallait deviner dans un poème chinois lecaractère sur lequel un des joueurs avaitle doigt.

639. . On vit pour la première fois pareille choseen 1013, sous le régne de Sanjô : une fillede Fujiwara Naritoki, lequel n'avait été nimaire du palais, ni seulement ministre,parvint à la dignité de kôgô.

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640. . Muku, un arbre qui ressemble à l'orme.

641. . Ou : « elle était restée longtemps éveillée».

642. . On a dit qu'il s'agissait d'un dessin ornant laparoi du brasier, à l'intérieur.

643. . Nagahama, en Ise.

644. . « des mille villages », en Kii. Pour contenirtant de villages, elle doit être grande.

645. . « de la chaudière à sel », en Rikuzen. Voirnote 770.

646. . Kukai (774-835), plus connu sous son nomposthume de Kôbô-daishi, introduisit auJapon les doctrines de la secte Shingon.C'est lui qui fonda, en 816, le plus anciendes temples situés dans la montagne deKôya, en Kii.

647. . « L'Universellement sage », le patron desb o u d d h i s t e s qui pratiquent lacontemplation.

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648. . Po Lo-t'ien (nom littéraire de Po Kyu-yi).

649. . Wen-siuan ( jap. Monzen), morceaux degenres divers, rassemblés par le princeSiao Tong, vers 530.

650. . On parle couramment des « six Kwannon», c'est-à-dire des six images que lesartistes donnent de la déesse de la pitié :Kwannon aux mille yeux et aux millemains, K. aux onze visages, ... K. la toute-puissante, représentée avec six bras, ettenant dans une main un joyau magique.

651. . On parle couramment des « six Kwannon», c'est-à-dire des six images que lesartistes donnent de la déesse de la pitié :Kwannon aux mille yeux et aux millemains, K. aux onze visages, ... K. la toute-puissante, représentée avec six bras, ettenant dans une main un joyau magique.

652. . « L'Immuable. »

653. . « Le Sage guérisseur. »

654. . Le bouddha Sakya-Muni.

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655. . « Le Bienveillant », le bouddha futur.

656. . « Entrailles de la terre », le patron desenfants, le dieu compatissant qui secourtles affligés.

657. . Parmi les ouvrages énumérés, seul le «Conte du creux » nous est parvenu. Nousconnaissons à vrai dire un « Conte deSumiyoshi » ; mais il ne parait pas,d'après sa forme, qu'on puisse leconfondre avec celui dont parle Sei,auquel il doit être bien postérieur.

658. . Ce nom signifie peut-être « respect,révérence ».

659. . C'est-à-dire : « ce jeu est amusant, demême que ceux dont les noms suivent ».

660. . Deux généraux chinois de l'État de Tch'ouse disputaient le pouvoir deux sièclesavant notre ère. Lors d'une entrevuequ'eurent les adversaires, un partisan del'un d'entre eux voulut, à la faveur d'unedanse du sabre, tuer le rival de son

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maure ; mais un autre guerrier couvrit deson corps celui qui était menacé.

661. . En agitant des grelots, les danseursprétendaient imiter le chant duk a l a v in k a , l ' o i s e a u immortel desHindous.

662. . Cette danse rappelait la colère d'une reinede la Chine. On peut comprendre aussi : «de la tête de cheval ».

663. . Littéralement : « Le presto ».

664. . Ou : « L'affection de l'époux épris. »

665. . Cf. note 205.

666. . Au onzième mois, le dernier jour del'Oiseau.

667. . Fleurs artificielles : glycine pour lesenvoyés impériaux, cerisier ou kerriepour les danseurs et les musiciens.

668. . Sei cite une poésie du Kokinshû, danslaquelle est mentionné l' « appui-bras »,

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un cordon que les prêtres shintoistes sepassaient autour du cou et s'attachaientaux poignets pour porter le plateauchargé des offrandes. A la vérité, c'estune autre poésie qui était chantée à lafête de Kamo.

669. . C'est-à-dire le jour de la fête, au quatrièmemois, le deuxième jour de l'Oiseau.

670. . D'où la Princesse consacrée (voir note 339)était descendue en quittant le domaine dutemple, pour monter dans une voiture àbœuf.

671. . Poésie de Mibu no Tadamine (867-965),recueillie dans le Kokinshû.

672. . Allusion à une ancienne poésie.

673. . Cf note 104.

674. . Ou : « une planche qui sert pour porter lesobjets ».

675. . Le sens de la dernière phrase est douteux,et la traduction incomplète. Peut-être

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faudrait-il écrire « orné d'un dessinreprésentant un rossignol sur un bambou».

676. . Nous sommes en mai ou au début de juin.

677. . Cf. note 54. On donnait le nom de cettemontagne, comme surnom, aux gardes ducorps, et l'homme que l'on avait vus'enfuir, caché sous un parapluie, étaitpeut-être un de ces gardes.

678. . Ou : « voilà que m'arrivait cetteplaisanterie ! »

679. . Aux deux vers destinés à compléter ceuxqu'elle a reçus de l'impératrice, Sei a jointune phrase où se trouve un calembour,indiqué dans la traduction par les pointsde suspension.

680. . Au début du cinquième mois de l'an mille.

681. . La demeure de Taira Narimasa.

682. . Cf note 309.

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683. . Osako et Atsuyasu, les enfants del'impératrice.

684. . C'est-à-dire : « que l'on apporta du dehors». Allusion à une poésie.

685. . Capitaine de la garde du palais.

686. . Fujiwara Masamitsu.

687. . Minamoto Narinobu était le fils du princeMune-hira (ou Okihira), lui-même fils del'empereur Murakami ; il avait été adoptépar Fujiwara Michinaga, dont sa tantematernelle était l'épouse.

688. . Masamitsu.

689. . Ou : « pour s'amuser à écrire ».

690. . Phrase obscure.

691. . « de la lanière » ; en Yamashiro. Allusion àune poésie.

692. . Le temple de Miwa, en Yamato, étaitcélèbre par le cryptomère qui se dressaitprès de sa porte Allusion à une poésie de

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Ki no Tsurayuki (883-946).

693. . Phrase à double sens. On peut aussicomprendre : « Il est agréable de se direque la protection du dieu adoré dans cetemple est efficace. »

694. . « Le dieu qui exauce les prières tellesqu'elles sont faites », temple en Tôtômi.Allusion à une poésie du Kokinshû, danslaq ue lle se trouvent deux « motsconnexes ».

695. . « La traversée des fourmis », temple enIzumi.

696. . L'histoire qui va suivre est en partie fondéesur le « Soûtra de la corbeille des joyauxassemblés » (Zappôzôkyô).

697. . C'est-à-dire : « quelle extrémité, dansl'arbre d'où on avait tiré cette baguette,était la plus rapprochée du pied ou de lacime ? »

698. . On ignore où Sei a trouvé cette poésie.

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699. . Cf. note 239.

700. . Le mot traduit par « étoiles filantes »pourrait l'être par « étoiles des rendez-vous nocturnes ».

701. . Poème de Song Yu (environ trois cents ansavant notre ère), recueilli dans le Wen-sivan.

702. . En Yamashiro, au sud-est de Kyôto. Il estdédié à « Kwannon aux mille mains ».

703. . Il ne se soucie pas de l'opinion des gens.

704. . Divinité shintoïste qu'invoquait à certainesépoques le chef de chaque famille pour luidemander d'en éloigner les calamités.Cette prière n'avait pas l'élégance decelles que faisaient les prêtres.

705. . Littéralement : « Les gardes du poste dutonnerre ».

706. . Sei parle sans doute ici d u go-bei, cettebaguette dressée, d'où pendent desrubans de papier curieusement pliés et

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découpés, et qui est l'objet principal duculte shintoïste.

707. . A cause de ses fonctions, la grandeprêtresse du temple shintoïste de Kamodevait commettre de nombreusesinfractions à la loi bouddhique.

708. . Cf note 279.

709. . Outre le cinquième jour, que l'on croyaitnéfaste, d'autres, désignés par les nomsde tels ou tels « troncs » et différentspour chaque mois, passaient pour l'êtreaussi.

710. . Peut-être est-ce Sei elle même qui parle.

711. . Allusion possible à une poésie.

712. . Voir notes 314 et 330.

713. . En Yamashiro, à l'ouest de Kyôto.

714. . Pour les repiquer. Poésie du Kokinshû.

715. . Vases laqués, dont l'enduit s'écaillait sansdoute.

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716. . Littéralement : « la pratique de la Loi ».

717. . Cf note 130.

718. . Suôgasane. En réalité, le rouge foncé étaitla couleur de la doublure, le tissu étantblanc brillant.

719. . La partie postérieure de chacune deslongues pièces de bois qui formaient lesbrancards, et qui dépassaient en arrièrela caisse de la voiture.

720. . Il vaut mieux que rien, dans un laid visage,n'attire l'attention ; si les yeux sontbeaux, on regrettera davantage, alors,que la bouche soit mal faite.

721. . Ou . « les louent et en prennent note ».

722. . Concours de bouquets, tournois de poésiescomposées sur un sujet donné, etc.

723. . Poésie du Kokinshû. P ou r l a montagnedont il s'agit et la légende que son nomrappelle, voir note 64.

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724. . Jumyôkyô, un texte bouddhique.

725. . « dont j'ose à peine parler » est un « motd'appui » de « déesse », qui s'applique icià l'impératrice. La grue est un emblèmede longévité (cf. note 195).

726. .« Deux jours », dans le texte de M. Kaneko.

727. . C'est-à-dire : « Ce doit être l'impératricequi m'envoie cette natte. »

728. . Ou plutôt vers le vingt. En 994.

729. . Michitaka. C'est lui qui, en 990, fonda letemple Shakuzenji, dans le centre de.Kyôto.

730. . Sei s'émerveillait de la rapidité aveclaquelle on avait aménagé le palais.

731. . Voir note 355.

732. . Korechika.

733. . Cf note 309. Peut-être la troisième fille deMichitaka dirigea-t-elle le service de laToilette avant la quatrième.

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734. . Genshi. Voir notes 369 et 428.

735. . Allusion à une poésie.

736. . On ignore à quelle poésie de MinamotoKanezumi (mort vers 985) Sei se réfère ;mais il en est une, du bonze Sôsei(environ 850 à 900), recueillie dans leGosenshû, dont elle pourrait se rappeler.

737. . Poésie de Hitomaro.

738. . Jeu de mots sur le nom de la plante appeléeasagao (cf. note 257).

739. . Il ne s'agit pas d'une véritable poésie ; maisl'impératrice a pu penser à des vers oùTsurayuki parle de fleurs dont on nesaurait sans mentir attribuer la chute à labrise.

740. . Le fils de Korechika (cf note 434). Il n'avaitalors guère plus de deux ans, et l'on peuts'étonner de la remarque que va noterSei

741. . Michitaka regrettait que Sei eût pensé

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avant lui à la fragilité des fleursartificielles.

742. . Sei, après l'impératrice, cite un poème dePo Kyu-yi.

743. . Vers le premier jour du deuxième mois, en994.

744. . Nous avons vu que Sei, vers le huit ou leneuf du deuxième mois, avait quitté lePalais de la Deuxième avenue, où samaîtresse était depuis huit jours, pouraller à la campagne.

745. . Où résidait Michitaka.

746. . Les quatre filles de Michitaka.

747. . Korechika et Takaie.

748. . Devant le store qui cachait l'impératrice, samère, ses sœurs et ses tantes. A proposd u dernier mot, notons qu'il y a sansdoute une erreur dans l'original : l'épousede Michitaka n'avait qu'une sœurcadette.

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749. . Cf note 130.

750. . Sasbinuki. Voir note 119.

751. . Pourpre clair.

752. . Michiyori. Cf. note 442.

753. . Elles en profitèrent pour attirer l'attentionsur leur chevelure.

754. . Cf note 110.

755. . Korechika.

756. . Légère étoffe chinoise, de soie, semée depoints d'or et d'argent.

757. . Michinaga.

758. . Fujiwara Akitada, le « ministre de gauchequi résidait au Palais du petit chemin dela fortune ».

759. . Sans doute veut-elle dire que Sei, qui vientd'arriver et n'est pas encore assise, auraitfait plus rapidement qu'elle d'aller voir cequi se passe dans la salle voisine.

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760. . La dame, voyant que Sei est à côté deSaishô, fait allusion au titre porté par lepère de celle-ci, lequel dirigeait l'une desdeux divisions que comprenait le servicedes écuries.

761. . Michiyori et Korechika, Takaie.

762. . Korechika

763. . Ryûen, le quatrième fils de Michitaka. Iln'avait alors que quinze ou seize ans.

764. . Un bodhisattva (jap. bosachi, bosatsu).

765. . Cf. note 434.

766. . Pour la phrase qui précède, le texte traduitest celui que donne M. Kaneko.

767. . Voir note 649. « Bien que la chaudière à selde Chika soit proche, lit-on dans uneancienne poésie, le goût du sel n'arrivepas aux gens. » Ici, quoique l'impératriceet la mère du souverain soient près l'unede l'autre, elles ne se rencontrent pas. Ontrouve dans la poésie en question des

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jeux de mots sur Shiogama (nom proprede lieu et « chaudière à sel ») et sur Chika(nom propre de lieu et « proche »).

768. . Kujôsbakujô, un texte bouddhique querécitaient les pèlerins. Après chaquearticle, ils agitaient leur bâton.

769. . Poésie du Kokinsbù. Cf. note 696.

770. . La kagura. Voir note 182.

771. . Sasbinuki. Cf. note 119.

772. . Probablement, ici, les cigales.

773. . Le texte parait incomplet. Nous devrionslire par exemple : « On entend des gensqui, dans des phrases comme « j'ai dit cequi m'ennuyait, et j'ai l'intention de fairefaire cela » ou « j'ai l'intention de dire » ouencore « j'ai l'intention de partir pour lacampagne », omettent a syllabe « de », etdisent seulement« j'ai l'intention fairef a i r e cela, j'ai l'intention dire, j'ail'intention partir pour la campagne ».Erreur des copistes ?

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774. . La traduction est douteuse. En adoptant letexte donné par M. Kaneko, nous aurions: « Il y a aussi des gens qui disent hitetsu(pour hilotsu) kuruma ni (dans une seulevoiture), et il semble que tout le monded i s e m i t o m u au lieu d e motomu(demander). »

775. . Hachiman, ou Yawata (« Huit bannières »),est vénéré à Iwashimizu. Il appartient àla fois au bouddhisme et au shintoïsme etson histoire est très obscure, bien que lesJaponais l'identifient constamment,depuis le IXe siècle, avec l'empereur Ôjin(201 à 310, sic).

776. . Ces ornements ont en réalité la forme d'unoignon.

777. . « Palais d'aide et de protection ». Peut-êtreest-ce là un autre nom du temple deKasuga.

778. . igaki, pour imi-gaki « la haie de la pureté,de l'abstinence ».

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779. . Ce « lierre » (tsuta) qui rougit à l'automnen'est, il va sans dire, pas le nôtre.

780. . Poésie de Tsurayuki, recueillie dans leKokinsbû.

781. . « du partage des eaux », dans la montagnede Yoshino, en Yamato.

782. . Le nom d'Azuma désignait la partieorientale de la grande île. On appelaita z u m a - y a une maisonnette carrée,couverte de lambeaux d'écorce de thuyaqui retombaient aux quatre coins.

783. . C'est-à-dire : « le troisième quart del'heure du Bœuf, le quatrième quart del'heure du Rat ». A chacun desquatrièmes quarts, on inscrivait l'heuresur un tableau fixé à un poteau près duPalais pur et frais. Après avoir faitrésonner la corde de son arc pour éloignerles esprits mauvais, le veilleur senommait, puis annonçait l'heure. Cetteannonce était accompagnée d'un nombrevariable de coups de gong (neuf pour

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l'heure du Rat, huit pour l'heure duBœuf).

784. . Cf note 691.

785. . C'est-à-dire que le nom de sa famille ouplutôt, comme on va le voir, celui de sesp a r e n t s adoptifs, entrait dans lacomposition de son « nom de cour »(yohi-na).

786. . Peut-être au huitième mois de l'an mille.

787. . Narinobu.

788. . Sei elle-même.

789. . Cf note 124.

790. . Poésie du Gosensbû.

791. . Personnages du « Conte de la cave » (cfnote 4). Quel que fût le temps, le «lieutenant de la cave » venait chaque nuitvoir son amie, et il dut une fois laver seschaussures toutes boueuses.

792. . Allusion possible à une poésie du

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Man.yôshû.

793. . Sei parle des lieutenants de la garde quiétaient en même temps chambellans dusixième rang. Cf. note 69.

794. . Ou : « qui cesseront d'aller voir leur amiequand il pleuvra ».

795. . Allusion possible à une poésie du Kokinshû.

796. . Ancienne poésie ?

797. . Sei ne craint pas d'exagérer, ou peut-êtrepense-t-elle, en même temps qu'au froid,à l'émotion probable de celui qui a écrit.

798. . Kujakukyô, un texte bouddhique.

799. . Dieux du bouddhisme, qui chassent lesdémons.

800. . Du huitième au quatorzième jour dupremier mois. On faisait maigre, et desbonzes lisaient les Écritures.

801. . Cf. note 323.

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802. . Ce fragment fait défaut dans le texte donnépar M. Mizoguchi. On le trouve dans celuide M. Kaneko. Il s'agit, comme à la lignesuivante, d'un texte bouddhique.

803. . C'est-à-dire le Palais pur et frais. Pour le «poste du tonnerre ».

804. . Un ouvrage chinois.

805. . L e Han- chou (ou plus précisément leTs'ien-han-chou,« Histoire des premiersHan »), dû à Pan Kou (39 à 92).

806. . Un paravent orné de peinturesreprésentant les cérémonies qui avaientlieu chaque mois au palais.

807. . Cf. note 97.

808. . Le mont « Brûle-parfum ». Allusion à unpoème de Po Kyu-yi que les anciensJaponais goûtaient fort, et qu'avait imité,en chinois, le célèbre Sugawara Michizane(845-903). On y trouve ce passage : « Laneige, sur le pic de Hiang-lou (jap. Kôro),je la vois en relevant le store de bambou.

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»

809. . En 992.

810. . Maya, de l'original, peut signifier « cocon »,et s'appliquer aux bourgeons duveteuxdu saule ; mais il signifie également «sourcil », et il vaut mieux l'entendre ainsi,car « sourcil » et « visage » sont deux «mots connexes ».

811. . Allusion à une poésie où l'on trouve un jeude mots sur matsu, « pin » et « attendre».

812. . C'est-à-dire au palais impérial.

813. . Sans doute le lieutenant de Fukakusa, lehéros d'un récit en vogue au temps deSei. Une coquette lui avait dit qu'ellecroirait à son amour quand il serait venucent nuits devant sa porte. Il mourut laquatre-vingt-dix-neuvième nuit.

814. . Sei paraissait, dans sa réponse, se souciersurtout d'elle-même.

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815. . Tabi, de l'original, est traduit par « fois » etpar « voyage ».

816. . Une fleur artificielle.

817. . Cf note 288.

818. . Ou, dans le texte donné par M. Kaneko : «On la vit distinctement, toute troublée. »

819. . Poème de Kong Tch'engyi (seconde moitiédu IXe siècle).

820. . Poésie japonaise de Mansei (VIIIe siècle).

821. . Probablement parce qu'ils étaient vieux.

822. . Voir note 190.

823. . Fils de Michitsuna, le frère aîné deMichitaka. Il était renommé pour sontalent poétique.

824. . Quand on sait que la piété filiale passe pourêtre en Extrême-Orient le premier desdevoirs, on est surpris par la conduite dulieutenant et par l'indulgence de ceux quil'entourent.

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825. . Une princesse de la famille Fujiwara, quiécrivit le « Journal d'une libellule ». Ellefut la mère de Michitsuna (le seigneurd'Ono), e t la grand-mère de Dômei, queSei vient de nommer.

826. . En même temps qu'à la légende de WangTche (cf. note 272), l'auteur de la poésiefait allusion à un passage du « Soûtra duLotus » qu'on lisait dans les « HuitInstructions ». Voir note 130.

827. . Izushi, fille de l'empereur Kwammu (782-805). Pour Narihira, voir note 4.

828. . Entre le huitième mois de 992 et lehuitième mois de 994.

829. . Poésie recueillie dans le Wakanrôeishû(note 448). Le mot « coq » y figure, etKorechika la cite donc bien à propos.

830. . Poème chinois, de Kia Tao (777-841). Dansce poème encore, il est question d'un coq :celui qui chante à la barrière de Han-kou(cf. note 504).

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831. . Cf note 309.

832. . Ryûen.

833. . L'infortuné emploie une expression fortvigoureuse, qu'on traduirait beaucoupplus exactement par « fourrer la partiepostérieure de son individu chez lesautres ».

834. . Il ne sait pas lire.

835. . Au contraire de Suisei, Jôchô était trèsgrand. Cf. note 51.

836. . Dans la province de Shimotsuke, près de lamontagne d'Ibuki, est récoltée l'armoisequ'on emploie pour les cautères et dont lenom, mogusa, a donné le français « moxa». Outre le calembour qu'indique lespoints de suspension dans la traduction,on trouve dans l'original deux exemplesdu procédé qui consiste à employer des «mots connexes ».

837. . Aux cinq derniers mots, rien ne corresponddans l'original. Ils ont été ajoutés pour

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justifier l'emploi du mot « bout », lequel,de même que « pont », traduit le japonaisharki. Le pont de Hamana, en Tôtômi, aété cité plus haut.

838. . Le nom de la Montée des rencontresrappelle les rendez-vous tels que celuidont parle Sei. La poésie contient enoutre deux « mots-pivots » : bashiri, «palpiter, bondir (ne pas être en repos) »et « jaillir » ; mi, « eau » et premierterme du composé mi- t suk uru, «apercevoir ».

839. . Cette curieuse mode s'explique parl'habitude qu'avaient les dames, envoiture, de laisser retomber une mancheen dehors du véhicule. Plus cette mancheétait longue, plus l'effet semblait joli.

840. . Minamoto Yorisada, fils du princeTamehira. Cf. note 375.

841. . L'original est moins précis, et l'on peutcomprendre : « maladies des poumons,du cœur, de l'estomac ».

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842. . Ou : « ... élevé, fasse bien des choses àmoitié. »

843. . Voir note 66.

844. . L'escalier, fait de troncs d'arbres équarris,qui conduisait au temple.

845. . Cf. note 211.

846. . Ou : « ... sixième rang. Même lorsqu'on leurvoit le costume qu'ils mettent pour veillerla nuit au Palais, il serait désirable quetous, hommes... »

847. . Comme un chat qui, en descendant d'untoit sur le sol, a perdu tout prestige.

848. . Poésie de Hitomaro.

849. . Takashina Naritô, un cousin de Takako,l'épouse de Michitaka.

850. . A celle qu'il vient de quitter.

851. . L'original a ici roku ( u n ouvrage où sontexpliquées les doctrines d'une sectebouddhique).

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852. . Tirée du « Soûtra des mille mains »(Yenjukyô).

853. . Cf note 101.

854. . Il avait environ quinze ans.

855. . Il doit s'agir de l'heure à laquelle, le soir, ceprêtre dit l e ne mbut su, c'est-à-direrépète une formule signifiant « je t'adore,ô Bouddha Amitâbha ».

856. . Cf. note 132.

857. . Ou bien : « Un bonze ou un devin qui met...» Voir note 128.

858. . Le deuxième vêtement était rouge, il nelaissait pas voir la peau brune.

859. . Korechika.

860. . Che- k i ( jap. S hik i) p a r Sseu-ma Ts'ien(environ 145 à 8 0 avant J.C.). On ytrouve l'histoire de la Chine depuis la plushaute antiquité.

861. . Le chapitre qui suit ne se trouve que dans

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une des éditions anciennes ; on peutpenser qu'il a été ajouté par un copiste.

862. . Minamoto Tsunefusa. Il fut nommégouverneur de la province d'Ise audouzième mois de 995, et occupa ce postejusqu'au douzième mois de l'annéesuivante.