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SÉLECTION ET SÉLECTIVITÉ EN GRH : QUELLE PLACE POUR L'ÉTHIQUEDANS LE PROCESSUS DE RECRUTEMENT ?
Hélène Garner-Moyer
A.A.E.L.S.H.U.P | « Humanisme et Entreprise »
2011/3 n° 303 | pages 57 à 72 ISSN 0018-7372DOI 10.3917/hume.303.0057
Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2011-3-page-57.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour A.A.E.L.S.H.U.P.© A.A.E.L.S.H.U.P. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.
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Toute reproduction et diffusion des articles et conférences publiés dans “Humanisme et Entreprise” -quels qu’en soient les supports- sont interdites sans la double autorisation des auteurs et éditeur.
HUMANISME & ENTREPRISE - http://humanisme-et-entreprise.asso-web.com/N° 303 - Mai/Juin/Juillet 2011 - Auteur : Hélène GARNER-MOYER
Cette communication propose une réflexion sur la place de l’éthique dans le processus de
recrutement et sur ce que serait un recrutement éthique. Si la sélection est inhérente au
recrutement, la sélectivité repose elle sur le recours à certains canaux, l’utilisation d’outils,
de méthodes qui vont conduire à exclure certaines catégories de la population. Mais si,
comme l’analysent les théories économiques, le recruteur discrimine pour réduire les
risques associés au recrutement, on constate qu’un recrutement éthique, qui combinerait
impératifs économiques et respect de la loi, est un concept difficile à appréhender et de
facto à mettre en œuvre. C’est le dilemme auquel est confrontée la gestion des ressources
humaines. Une manière de résoudre ce conflit a semblé être la promotion de politiques de
diversité. Celles-ci présentent en effet l’avantage de valoriser les différences, ethniques, de
sexe ou d’âge, et donc de répondre aux exigences de la société à l’égard des entreprises en
matière de responsabilité sociale, tout en étant fondées sur un argumentaire économique
destiné à séduire les entreprises. Cette communication propose une analyse de ces concepts
de discrimination et de diversité et tente de montrer qu’ils ne sont pas substituables. Ils
s’inscrivent en effet dans des paradigmes distincts dans le sens où la conception de la lutte
contre les discriminations développée en France s’appuie sur le principe de l’égalité de
traitement tandis que les politiques de diversité renvoient à une valorisation des
caractéristiques individuelles. In fine la logique économique semble définitivement prendre
le pas sur l’éthique en matière de recrutement.
Sélection, sélectivité, recrutement, diversité
Résumé
Mots clés
Sélection et sélectivité en GRH : quelle placepour l’éthique dans le processus derecrutement ?
Hélène GARNER-MOYER1
1 Docteur en Sciences de Gestion - Université Paris 1 - CERGORS - [email protected]
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This communication proposes a reflection on the place of the ethics in the process of
recruitment and on the fact what would be an ethical recruitment. If the selection is inherent
to the recruitment, the selectivity bases it on the recourse to certain hiring channels, the use
of tools, methods which are going to lead to exclude certain categories of the population.
But yes, as analyze it the economic theories, the recruiter discriminates to reduce the risks
associated to the recruitment, we notice that an ethical recruitment, which would combine
economic imperatives and respect for the law, is a concept difficult to grasp and de facto to
implement. It is the dilemma with which is confronted the human resources management. A
way of resolving this conflict seemed to be the promotion of policies of diversity. These
indeed present the advantage to value the differences, ethnic, of sex or age, and thus to
answer the requirements of the society towards companies in social responsibility, while
being based on an economic argument intended to seduce companies. This communication
proposes an analysis of these concepts of discrimination and diversity and tries to show that
they are not substitute. They indeed join paradigms different as far as the conception of the
fight against discrimination developed in France leans on the principle of the equal
treatment whereas the policies of diversity send back to a valuation of the individual
characteristics. In fine the economic logic definitively seems to override the ethics in
recruitment.
Selection, selectivity, recruitment, diversity
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Abstract
Key words
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Si la nature d’un recrutement est d’être sélective, celle-ci pose
question quand elle est fondée sur des critères illégitimes au regard du droit
ou quand elle est fondée sur des critères non prohibés mais conduisant à
exclure certaines populations ou catégories d’individus. Il s’agit alors de
discrimination à l’embauche, comportement condamné par la loi et le Code
du Travail. Mais la frontière entre ce qui relève de la sélection, inhérente à
tout processus de recrutement, et la sélectivité que l’on pourrait définir
comme l’organisation de la sélection par le biais d’outils, de méthodes, de
canaux de recrutement qui va conduire à exclure certaines catégories
d’individus, est difficile à fixer. Le choix de passer par tel ou tel canal de
recrutement, ou de formuler telle ou telle exigence n’est pas neutre car cela
peut conduire à valoriser certains candidats et de facto à en exclure d’autres.
Et c’est dans ces espaces de mise en relation, de coordination entre offre et
demande de travail et d’évaluation des compétences que peuvent émerger des
phénomènes de discrimination. Les objectifs du recruteur sont en apparence
simples : trouver le candidat répondant le mieux à ses attentes sous
contraintes de temps et de coût. Mais en réalité le recruteur est confronté à
une double difficulté : la définition de ses attentes et leur traduction en termes
de compétences, et le repérage de ces compétences, ce que Marchal et
Rieucau (2010, p. 71) appellent « la recherche des bons signaux de
productivité ». C’est dans ce cadre marqué par l’urgence, l’incertitude et le
manque d’information sur les caractéristiques productives des candidats que
certains signaux (l’âge, le sexe, l’apparence physique, l’adresse…) peuvent
être utilisés par le recruteur comme outils de sélection et fonder des décisions
discriminatoires. Quelle est la place de l’éthique dans ce processus de
sélection ? Si la morale se réfère au bien et au mal, l’éthique serait plutôt une
réflexion théorique et pratique sur la moralité de nos actions. L’éthique aurait
donc ses fondement dans une décision que l’on pourrait qualifier de
rationnelle car prise en son âme et conscience. Par rapport à la morale,
l’éthique est donc plus « raisonnable » en ce sens qu’elle se discute, qu’elle
n’est pas une valeur absolue. Elle entre à ce titre dans la conception
européenne de la responsabilité sociale des entreprises qui est définie comme
« l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des
entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties
prenantes » (livre vert de la commission européenne ‘Promouvoir un cadre
européen de la RSE’, 2001). Les Comités d’éthique créés par certaines
grandes entreprises s’inscrivent dans cette démarche de RSE. Compte tenu de
la nature du recrutement, que serait un recrutement éthique ? Un recrutement
socialement responsable ? Un recrutement sans discriminations, qui assurerait
l’égalité des chances ou de traitement ? La sélectivité dans le recrutement,
porte ouverte aux discriminations, s’analyse en théories économiques, comme
un processus presque rationnel compte tenu de l’environnement (partie 1).
Cette vision va entrer en conflit avec celle du droit et mettre la gestion des
ressources humaines chargée de conduire le processus de recrutement, en
porte-à-faux, entre injonctions juridiques et impératifs économiques (partie 2).
Les entreprises engagées dans des démarches de diversité ont tenté d’apporter
des réponses à ce dilemme en prônant un recrutement qui respecte et valorise
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les différences. En effet, la gestion de la diversité, introduite dans le débat
public en 2004, est très vite apparue comme un moyen possible d’articuler
éthique et égalité en vue de lutter contre les discriminations. Mais si la
discrimination ne semble pas laisser de place à l’éthique, la diversité n’est pas
forcément non plus garante d’une éthique du recrutement car elle s’inscrit
dans un paradigme et une logique d’action qui interroge à nouveau la
dimension éthique du processus de recrutement, et notamment ses vertus
antidiscriminatoires (partie 3). Entre respect des règles juridiques et logiques
économiques prévalant dans la sélection, le recrutement est un processus où
éthique et impératifs économiques vont difficilement cohabiter.
Les théories économiques de la discrimination proposent deux types
d’explications aux comportements discriminatoires des employeurs qui
s’appuient dans les deux cas sur des croyances. L’économie se place du point
de vue du comportement de l’employeur sans inférer des conséquences
sociales de ces comportements au niveau macro et sans introduire de
dimension morale à ces comportements. Cela revient à analyser les logiques
sous-jacentes à la discrimination pour démêler ce qui relève ou non de
l’intérêt économique de l’entreprise, indépendamment de tout jugement
éthique.
Le terme de discrimination apparaît en économie en 1957 dans
l’ouvrage de G. Becker intitulé : The economics of discrimination, dans lequel
il analysait les motivations et les conséquences économiques de
comportements discriminatoires à l’égard des populations noires. Pour la
première fois, un économiste intégrait à l’analyse du fonctionnement du
marché du travail une variable personnelle : le goût pour la discrimination. Il
explique ainsi que si certains groupes d’individus (et son analyse est davantage
centrée sur les Noirs mais pourrait être étendue aux femmes ou aux jeunes)
sont sous-représentés sur le marché du travail, l’origine en est le goût exprimé
par les employeurs de ne pas se mélanger avec ces groupes. En effet, au
fondement de ce goût réside la volonté pour les employeurs de maintenir à
distance des individus à propos desquels ils portent des jugements négatifs. En
fait ce goût, exprimé par l’employeur, peut avoir 3 sources différentes : le goût
des employeurs, le goût des employés et le goût des consommateurs. Dans ce
dernier cas, on suppose que les clients sont prêts à payer davantage pour cette
discrimination, pour ne pas être en contact avec certains individus et
supportent donc une partie du coût de la discrimination pesant sur l’entreprise.
A l’instar des préférences des employés, celles-ci vont également être
invoquées auprès des intermédiaires de l’emploi par les employeurs pour
motiver des refus de candidats. L’expression de la discrimination en termes
d’accès à l’emploi sera dans ces trois cas relayée par l’employeur mais celui-ci
pourra invoquer les goûts des deux autres groupes, à défaut du sien, pour
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1.1. Les théories économiques de la discrimination : le poids des croyances
1. L’approche économique de la sélectivité : les théories économiques de ladiscrimination
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justifier son attitude. Mais cette réduction volontaire de la part de l’employeur
du réservoir potentiel de salariés accédant à des postes dans son entreprise va
avoir un coût. En effet, les coûts de recherche d’un nouveau salarié sont
censés être augmentés par cette volonté de ne pas choisir parmi certains
groupes d’individus. Les entreprises discriminantes devraient donc voir leur
coût augmenter et leur profit se réduire ce qui obèrent leur compétitivité et ce
qui, dans un cadre parfaitement concurrentiel, devrait aboutir à leur
élimination. Sur longue période, la discrimination doit donc s’éteindre d’elle-
même et ne subsisteront sur le marché que des entreprises non discriminantes.
On retrouve le même type d’arguments pour promouvoir la diversité, à savoir
qu’une politique de ressources humaines qui ne serait pas « […] sensible aux
problématiques de la diversité pourrait nuire à la performance des
organisations […] ce qui entraînerait pour l’entreprise à la fois une perte en
termes de capital humain et des coûts supplémentaires de recrutement »
(Bruna, 2010). Cette conclusion optimiste de Becker est atténuée par
l’inopérance du modèle de concurrence pure et parfaite et par l’existence de
situations de marché non concurrentielles permettant toujours à la
discrimination de perdurer. Mais surtout par le fait qu’en situation de
chômage élevé, le recours aux croyances et aux représentations constitue une
économie heuristique pour l’employeur qui peut se traduire par une économie
de temps dans la sélection des candidats. La théorie de la discrimination
statistique présente une autre justification au comportement discriminatoire de
l’employeur que son goût pour la discrimination : elle repose sur l’hypothèse
d’imperfection de l’information et aux croyances des employeurs sur la
productivité de certains groupes d’individus.
Développée à l’origine par E. Phelps, cette approche a ensuite été
reprise par Arrow (1972), Akerlof (1984) puis Aigner et Cain (1997). La
nouveauté de cette approche est de se situer dans un cadre d’information
imparfaite et de rendre compte de la discrimination de la part de l’employeur
en la fondant sur des motifs rationnels. L’information est imparfaite car les
employeurs ne connaissent pas la productivité des travailleurs ce qui renvoie,
selon Arrow, au principe de sélection adverse développé en assurance. Cette
théorie situe donc le motif de la discrimination pratiquée par l’employeur
dans l’économie heuristique qu’elle présente pour lui : à défaut d’avoir un
accès aisé et peu coûteux à des qualités invisibles telles que la compétence, la
loyauté, ou l’ardeur au travail, l’employeur va fonder la sélection des
personnes qu’il embauche sur des critères que le juriste De Schutter qualifie
de « visibles » c’est-à-dire par exemples, le sexe, l’origine ou l’âge qui sont
considérés par l’employeur comme des proxy de la productivité. Cette
distinction entre critères visibles et invisibles sur lesquels peuvent se fonder
des comportements discriminatoires est présente dès 1963 dans les travaux de
Goffman qui distingue les personnes discréditées dont le stigmate est visible
des personnes « discréditables » dont le stigmate n’est pas immédiatement
perceptible par l’employeur (comme l’orientation sexuelle, l’état de santé et
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1.2. La rationalité de la discrimination statistique au moment du recrutement
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parfois le handicap). Et il va fonder sa décision sur la productivité moyenne
du groupe auquel il rattache le candidat sur la base de ce critère : c’est en ce
sens que l’on parle de discrimination statistique. Le recours à ces critères
visibles est donc d’autant plus important que l’information manque sur les
caractéristiques productives des candidats et que l’environnement est
incertain ce qui est caractéristique d’une situation de recrutement. On peut
distinguer 2 sources d’incertitude relatives à l’évaluation des capacités
productives du candidat : sur l’objet de l’évaluation (que cherche-t-elle à
« révéler » ? quelles sont les compétences recherchées ?) et sur sa nature (par
quels outils ou méthodes révéler ces compétences ?).
- l’objet de l’évaluation : le contenu plus flou des emplois dans un
contexte économique incertain et mouvant a en effet favorisé le poids de
caractéristiques productives connexes à celles purement techniques, qui sont
celles relatives à la personnalité, au savoir-être, pour sélectionner les
candidats (Garner, Lutinier, 2006). Or ces qualités sont difficiles à définir car
elles relèvent de la personnalité de l’individu, de sa sphère intime. Avant,
quand contenus des postes et type de qualifications disponibles étaient en
adéquation immédiate, l’objet de l’évaluation était plus simple car il s’agissait
des diplômes, de l’expérience et des qualifications.
- La nature de l’évaluation est également plus compliquée car ces
qualités comportementales, relationnelles, sont les plus difficiles à évaluer. En
effet, les outils et méthodes classiques de recrutement ne sont pas adaptés au
repérage de ces compétences et les signaux envoyés par le CV, du type
diplôme ou expérience, ne sont pas assez parlants du point de vue de
l’évaluation des qualités relationnelles ou comportementales des candidats.
Ceci explique le poids de l’entretien dans la procédure de recrutement et
l’utilisation croissante des tests de personnalités ou psychologiques censés
évaluer ces qualités comportementales mais dont la validité est très discutée.
Le très grand nombre de candidatures qui s’offre aux recruteurs, du
fait notamment de l’élévation des niveaux de diplômes, du chômage
important qui caractérise nos sociétés depuis 30 ans et qui est amplifié par les
nouvelles technologies et la montée en puissance d’Internet et du e-
recrutement, limite leur rationalité car ils sont dans l’incapacité de pouvoir
évaluer et connaître toutes les qualités des candidats. Cela peut les conduire à
fonder leurs prises de décision sur des croyances qui peuvent être des
supports à la discrimination. Ces trois éléments-information imparfaite,
incertitude, risque- augmentent en effet le poids attribué à ces croyances car
au moment du recrutement celles-ci sont susceptibles
simultanément d’apporter de l’information sur la productivité attendue des
candidats, et donc de réduire l’incertitude entourant l’évaluation des
caractéristiques productives des candidats, pour enfin diminuer le risque
associé au recrutement. Les critères les plus visibles vont être immédiatement
activés car ce sont les moins coûteux à rechercher et ce sont eux qui vont
servir de support à la discrimination : la couleur de peau constitue à
l’évidence un signal immédiatement perceptible, à l’instar du sexe ou de
l’apparence physique. La tentation du recruteur de céder à la discrimination
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ne vient alors pas d’un « goût » pour celle-ci comme le supposait Becker,
mais plutôt de son souci d’économiser le temps et l’énergie que peut requérir
une décision pleinement informée, et prise au regard de critères pertinents (De
Schutter, 2001). L’important n’est plus alors que l’employeur soit conscient
que le sexe, l’age ou la couleur de la peau sont un critère de sa sélection, ou
que ceux-ci soient déconnectés de toute réalité objective en terme
d’évaluation des compétences, il lui suffit d’être partagé pour avoir de
l’impact ; l’important n’est donc pas ce que l’évaluateur croit ou préfère mais
ce qu’il pense que les autres vont croire ou préférer. C’est pourquoi, les
critères de recrutements ne tirent pas leur efficacité de leurs aspects normatifs,
mais ont une efficacité conditionnelle liée au fait que les autres les adoptent :
la convention est alors respectée par conformisme et indépendamment de sa
propre valeur (Ghirardello, 2005). Il n’est alors plus question d’éthique mais
d’opportunisme économique et même si le recours à ces croyances, à ces
représentations altère l’équité du jugement du recruteur, elles procurent aux
recruteurs des modes d’évaluation économes, quoique entachés d’arbitraire…
Le recrutement est un processus de gestion des ressources humaines
mais il est à la croisée de l’économie et du droit en ce sens qu’il relève
d’enjeux économiques pour l’entreprise (sa productivité, sa compétitivité, ses
capacités d’adaptation et d’innovation….reposent sur sa main d’œuvre et le
recrutement est donc une activité stratégique) et qu’il est encadré par la loi
afin que les lois du marché respectent les droits individuels. Dans leurs
procédures de recrutement les entreprises sont censées respecter l’égalité de
traitement de tous les individus ; c’est le fondement de la république
française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratiqueet sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sansdistinction d’origine, de race ou de religion. » article 1
er
de la Constitution
française. C’est également le sens de la législation antidiscriminatoire
française. Une autre vision politique de l’égalité des chances, fondée sur les
écarts entre égalité formelle et égalité réelle, est la politique de discrimination
positive. Il s’agit d’une politique de compensation aux handicaps sociaux,
fondée sur le principe de la représentation égale des différents groupes dans
les instances de la vie sociale. Elle est donc fondée sur l’idée d’égalité non
des individus, comme dans le cas de la première politique, mais des groupes.
Elle aboutit à mener une politique de redistribution des ressources en faveur
de certains groupes qui ont été victimes de la discrimination dans le passé et
continuent souvent à l’être. Ces deux politiques renvoient à des conceptions
éminemment différentes de la société. Le principe de l’égalité de traitement,
qui fonde la première, consiste à expliquer et à justifier les inégalités de fait
par les différences de mérite ou de compétence, non à les supprimer. Elle ne
peut pas se traduire par l’égale représentation de tous les groupes dans toutes
les institutions sociales. On s’efforce d’assurer l’égalité politique de tous les
individus, mais on ne se donne pas pour but de leur assurer une part égale des
ressources collectives. La seconde, elle, vise à rétablir l’égalité entre les
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2. Les exigences paradoxales du droit et de l’économie
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groupes en transférant des ressources au bénéfice des groupes qui ont été les
victimes de la discrimination. La difficulté vient du fait que l’égalité des
groupes est contradictoire avec l’égalité des individus car admettre à
l’Université, par exemple, au nom de quotas de fait destinés à assurer la
représentation des minorités, un candidat qui a obtenu une note faible, et
refuser l’admission à un autre, dont la note est supérieure, parce qu’il
appartient à un groupe « favorisé » remet en question le principe de l’égalité
des individus. C’est le paradoxe dans lequel se débat la gestion des ressources
humaines.
Si la discrimination résulte d’un calcul, rationnel ou non, conscient ou
non, de l’employeur quant à la productivité attendue du candidat, les moyens
de lutter contre cette source de discrimination peuvent entrer en conflit avec la
rationalité économique et la liberté d’embauche revendiquée par l’employeur.
Pour la gestion des ressources humaines, la difficulté en ce qui concerne le
recrutement est donc de distinguer ce qui relève de la sélection des candidats,
opération inhérente et inéluctable à toute procédure de recrutement, de ce qui
relève de la discrimination, acte réprimé par la loi. L’employeur dispose d’une
très grande liberté juridique en matière de choix de ses salariés mais cette
liberté doit s’exercer dans le respect des lois en vigueur et des principes
d’équité. Si l’employeur dispose de toute liberté quant aux méthodes de
sélection et d’embauche de ses collaborateurs, celles-ci doivent néanmoins
être pertinentes au regard de la finalité poursuivie (loi du 31 décembre 1992
relative à l’emploi, au développement du travail à temps partiel et à
l’assurance chômage) et le contenu des annonces d’offre d’emploi est encadré
par la loi afin de respecter le principe de non discrimination. Ainsi, les
discriminations fondées sur le sexe sont tout particulièrement réprimées
puisqu’en sus des dispositions pénales s’appliquant à tout motif de
discrimination, des mentions spécifiques du Code du Travail les condamnent :
l’offre d’emploi ne peut mentionner le sexe ou la situation familiale du
candidat recherché. La circulaire du 2 mai 1984 relative à l’application de la
loi sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes de 1983
recommande même de mentionner systématiquement les deux genres (H/F)
dans l’annonce et d’utiliser des termes neutres. La méconnaissance des
prescriptions de cet article peut être punie d’emprisonnement (un an) et/ou
d’amende (3750 euros) contre 3 ans et/ou 45 000 euros pour une
discrimination fondée sur l’un des motifs prohibés par l’article L. 1132-1 du
Code du Travail. L’employeur doit également respecter les priorités d’emploi
ou de réemploi reconnues à certains salariés tels que les handicapés ou les
salariés licenciés pour motif économique, ainsi que la réglementation propre à
certaines catégories (notamment les jeunes et les étrangers). Il est enfin tenu
d’observer les règles de non concurrence et de non discrimination sous peine
de s’exposer à des condamnations civiles et pénales. Notre droit
antidiscriminatoire est très largement inspiré du droit européen. La question
de la discrimination est en effet au centre de l’ordre juridique communautaire
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2.1. Egalité versus efficacité : le dilemme de la gestion des ressources humaines
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et la législation européenne a été très souvent pionnière en matière de lutte
contre les discriminations, notamment celles fondées sur le sexe et la
nationalité ; elle a ainsi très fortement influencé les droits nationaux, par le
biais des directives, à évoluer vers plus de répression envers ces
discriminations. L’interdiction de toute discrimination exercée en raison de la
nationalité est inscrite à l’article 12 du traité de Rome instituant la
communauté européenne : «Dans le domaine d’application du présent traité,et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit est interdite toutediscrimination exercée en raison de la nationalité. Le Conseil, statuantconformément à la procédure visée à l’article 251, peut prendre touteréglementation en vue de l’interdiction de ces discriminations. ». L’article 13
du traité d’Amsterdam en 1997 complète la garantie de non-discrimination
prévue dans les traités et l’étend au sexe, à la race ou l’origine ethnique, la
religion ou les croyances, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Les
deux directives européennes qui sont adoptées au cours de l’année 2000
(2000/43 dite directive « racisme » relative à la mise en œuvre du principe
d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou
d’origine ethnique et la 2000/78 qui vise les discriminations dans le cadre de
l’emploi fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou les
orientations sexuelles) ont été transposées dans la loi française à l’adoption
définitive du projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations le 16
novembre 2001. La liste des critères prohibés par la loi française est contenue
dans l’article L.1132-1 du Code du travail qui énonce : « Aucune personne nepeut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ouà une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut êtresanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ouindirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, dereclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotionprofessionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de sonorigine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, desa situation de famille, de son appartenance ou de sa non appartenance vraieou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques,de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, deson apparence physique, de son patronyme ou, sauf inaptitude constatée parle médecin du travail (…) en raison de son état de santé ou de sonhandicap ». La discrimination est également prohibée par le Code pénal ; les
articles 225-1 et 225-19 du Code pénal définissent l’infraction de
discrimination et les peines applicables. L’article L.225-2 réprime cette
discrimination quand elle consiste notamment à refuser d’embaucher,
sanctionner ou licencier une personne. L’employeur auteur de discriminations
à l’embauche s’expose donc à des sanctions civiles et pénales. Le point de
vue du droit est donc clair : quel que soit le motif sur lequel elle est fondée,
quelle qu’en soit sa justification, la discrimination, si elle est avérée, est
condamnable. Mais comme on l’a vu dans la partie 1, le point de vue
économique l’est moins : si par exemple l’employeur estime que l’apparence
physique ou le sexe d’un individu affecte réellement sa productivité alors
fonder une sélection sur ces critères peut s’analyser comme une prise de
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décision rationnelle même si cette rationalité est limitée. C’est l’ambiguïté et
parfois la contradiction que doit gérer la gestion des ressources humaines qui
doit respecter les contraintes juridiques inhérentes au recrutement sus décrites
et notamment les règles de non discrimination, et qui doit en même temps
évaluer et sélectionner les individus sur la base de leurs performances
productives futures.
La loi du 27 mai 2008 sur les discriminations constitue une ultime
transposition de ces directives dans la mesure où elle consacre la notion de
discrimination indirecte, telle qu’entendue au niveau communautaire, dans le
droit français ; l’article premier, alinéa 2, de la loi du 27 mai 2008, la définit
dans les termes suivants : « Constitue une discrimination indirecte une
disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible
d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un
désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à
moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement
justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient
nécessaires et appropriés ». Cette définition a suscité de nombreux débats lors
de sa transposition car les parlementaires français estimaient que l’expression
« susceptible d’entraîner un désavantage particulier » était trop extensive et
pouvait ouvrir la voie à de nombreuses interprétations (Lanquetin, 2008).
Celle-ci a néanmoins été maintenue.
Cette loi a, du point de vue français, ouvert une brèche dans le
principe d’égalité en édictant que les différences de traitement ne constituent
pas une discrimination « lorsqu’elles répondent à une exigence
professionnelle essentielle (EPE) et déterminante et pour autant que l’objectif
soit légitime et l’exigence proportionnée ». Le Code du travail autorisait déjà
jusqu’à présent des différences de traitement fondées d’une part sur l’âge
(Code du. travail, art. L. 1133-1) lorsqu’elles étaient « objectivement et
raisonnablement justifiées par un objectif légitime », et d’autre part sur
l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou
du handicap (Code du. travail., art. L. 1133-2), dès lors que ces différences
étaient « objectives, nécessaires et appropriées ». La nouvelle loi élargit la
liste des différences de traitement autorisées et cet EPE peut désormais être
invoquée pour les 15 motifs de discrimination prohibés par la loi. Cette
déviation générale au principe d’égalité de traitement fait donc partie du Code
du travail qui comporte un titre à l’intitulé explicite « Différences de
traitement autorisées ». Mais sans plus d’éléments sur ce qui peut être
considéré comme légitime et proportionné, et en l’absence d’une liste des
situations ou des emplois pour lesquels l’EPE peut être invoquée, cette
entaille dans le principe d’égalité de traitement risque d’être mobilisée par les
employeurs pour justifier certaines décisions de gestion et générer du
contentieux (Berthou, 2009). Cette loi, peut s’interpréter comme une
concession du droit à l’économie, comme un revers de l’éthique au profit de
l’opportunisme économique. Mais également comme un moyen de redonner
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2.2. La loi du 27 mai 2008 : une brèche dans le principe d’égalité
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aux employeurs plus de liberté en matière de recrutement, et de « desserrer »
la contrainte juridique qui s’est fortement accrue depuis le début des années
2000 et le développement de la législation anti discriminatoire. Confrontées à
une demande croissante d’éthique de la part de la société civile (portée par la
montée en puissance du concept de responsabilité sociale des entreprises) et
contraintes par leurs objectifs d’efficacité et de compétitivité, les entreprises
se sont engagées depuis le milieu des années 2000 dans des démarches de
promotion de la diversité qui visent à répondre simultanément à toutes ces
injonctions : respect des droits et des différences en même temps que
valorisation économique de ces dernières.
Depuis 2004, le monde des grandes entreprises, plutôt réticent à
s’engager dans des politiques de lutte contre les discriminations ou d’égalité
professionnelle, s’est emparé du concept de diversité et communique sur une
autre manière de promouvoir l’égalité. « Gérer la diversité » semble
aujourd’hui un objectif « préféré » à « atteindre l’égalité ». Malgré une
ressemblance de forme, discrimination et diversité appartiennent pourtant à
deux paradigmes distincts qui renvoient à des époques mais surtout à des
conceptions différentes de la société. Et même si l’on peut appeler à une
nécessaire articulation entre éthique et économique (Cornet, Delhaye, 2005),
il semble que la logique économique reste prédominante.
Présent dès les premiers rapports patronaux traitant de la diversité,
l’argument selon lequel « lutter contre la discrimination en entreprise n’est
pas affaire de compassion mais plutôt d’intérêts bien compris » (Bébéar,
2004, p.10) va s’imposer comme le registre central de légitimation des
politiques de la diversité en entreprises (Bereni, 2009). Et si les
discriminations sont considérées comme révoltantes d’un point de vue éthique
et moral, elles sont surtout considérées comme aberrantes sur le plan
économique (Bébéar, 2004, p.10). Pour Cornet et Delhaye (2005), ces
politiques de diversité s’inscrivent dans quatre logiques d’action : deux
poursuivent des objectifs éthiques (le respect des lois et la responsabilité
sociale) et deux des objectifs économiques (la recherche d’une plus grande
efficacité en ce qui concerne les buts de l’organisation et d’une plus grande
efficience c’est-à-dire une optimisation des buts du système). Si les auteurs
plaident pour une nécessaire articulation entre ces différentes logiques et
prônent une gestion intégrée et systémique de la diversité, on peut aujourd’hui
s’interroger sur la qualité de cette articulation et sur l’équilibre existant entre
ces deux logiques. Si les politiques de diversité permettent à l’entreprise
d’afficher une image positive et humaniste à l’égard de l’ensemble de ses
parties prenantes, la logique économique semble aujourd’hui prédominante.
Le diversity management repose dans la littérature sur un argumentaire
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3. La diversité, une solution éthique pour lutter contre les discriminations ?
3.1. Une logique économique versus une logique éthique
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économique en trois points regroupés sous le terme de business case et ce
sont d’abord ces arguments qui sont avancés auprès des entreprises pour les
convaincre d’adopter ces démarches, les objectifs éthiques étant surtout
destinées aux parties prenantes :
- le management de la diversité permet de répondre aux évolutions
démographiques et à la baisse tendancielle de la population active et aux
pénuries qui en résultent dans certains secteurs. Ceci permet une gestion des
ressources humaines plus efficiente.
- La diversité de la main-d’œuvre permet à l’entreprise de mieux
comprendre les besoins d’une clientèle elle-même diverse. Cela accroît donc
ses performances commerciales.
- La diversité de la main-d’œuvre est source d’enrichissement,
d’innovation et de créativité pour l’entreprise. La diversité est alors
considérée comme un avantage concurrentiel dans un contexte de concurrence
mondialisée.
Le processus d’élaboration de la diversité comme catégorie
managériale a ensuite essentiellement reposé sur l’affirmation, toujours
répétée, de son intérêt économique et d’un lien existant entre politiques de
promotion de la diversité et performances économiques (Bereni, 2009). Et
même si la réalité de ce lien n’a pas été démontrée de manière rigoureuse et
fiable il n’en demeure pas moins au fondement de l’analyse économique du
diversity management (value of diversity) et le principal argument des acteurs
de la diversité pour la promouvoir auprès des entreprises.Le management de
la diversité s’est donc construit sur une approche managériale où les
performances économiques se sont substituées au respect de la loi pour inciter
à intégrer les différences dans l’entreprise. La rhétorique managériale a donc
pris le pas sur le respect de la loi (Bereni, 2009) et la diversité permet de
résoudre en apparence le dilemme auquel est confrontée la GRH entre
impératifs économiques, respect de la loi et exigences éthiques de la part de la
société. Leur engagement dans des politiques de diversité s’inscrit le plus
souvent pour les entreprises dans le prolongement de leurs engagements en
matière de RSE, comme une modalité de mise en œuvre du volet social de la
RSE. Diversité et RSE ont en commun de proposer deux modes de
conciliation de l’économique et du social reposant sur des bases identiques :
régime juridique spécifique faible, promotion par les entreprises et permettant
une inscription de l’entreprise dans une action politique et sociale répondant
aux attentes des parties prenantes. Mais peut-on considérer que lutter contre
les discriminations et promouvoir la diversité répondent aux mêmes fins ?
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Aujourd’hui, la gestion de la diversité semble être considérée par les
entreprises comme un substitut à la lutte contre les discriminations. Dans le
cadre de son enquête auprès de promoteurs de la charte et du label diversité,
Bereni (2009) a recueilli ce témoignage d’un cadre de l’IMS : « Au départ, onest parti d’un échange avec des acteurs militants (...) très “lutte contre lesdiscriminations”... très “égalité de traitement”, enfin des choses comme ça.Et quand on tenait ces discours à des entreprises, ça ne marchait pas. Doncon a fini par évoluer, en constatant qu’aux entreprises, il fallait leur parler del’avantage pour l’entreprise d’être dans la diversité ». Bereni (2009)
explique comment les promoteurs de la diversité ont opéré des glissements
lexicaux où les termes à consonance négative ou répressive (discrimination,
politiques de lutte) ont été progressivement évincés au profit d’un vocabulaire
plus « positif » au cœur duquel se trouve la diversité : promouvoir, gérer,
favoriser… Pour les entreprises promouvoir la diversité et lutter contre la
discrimination semblent donc les deux faces d’un même objet, la première
étant la version positive de la seconde comme l’ont montré des enquêtes
auprès de signataires de la Charte de la diversité (Doytcheva, 2009). Présenter
la promotion de la diversité comme l’envers de la lutte contre les
discriminations est également une manière pour les entreprises de
« positiver » leurs actions et de les détacher d’un cadre juridique insécurisant
et contraignant (Doytcheva, 2009). Cela ne correspond pourtant pas à la
réalité des pratiques de gestion de diversité des entreprises qui visent avant
tout à utiliser les différences individuelles pour en tirer un avantage
économique. Malgré une ressemblance de forme, discrimination et diversité
appartiennent en réalité à deux paradigmes distincts qui renvoient à des
époques mais surtout à des conceptions différentes de la société (tableau 1).
Tableau 1 : De l’égalité à la diversité
69
3.2 Diversité = discrimination ?
Paradigme de
l’égalité des chances
Paradigme de
l’égalité des groupes
Paradigme de la
diversité
Lutte contre les discriminations
Date d’apparition
du paradigme18
ème siècle
Années 1960
aux Etats-UnisAnnées 1990
Conception de la
sociétéEgalitaire Universaliste Individualiste
Entité principale L’individu Le groupe L’individu
Objectif Égalité de traitement
Rétablir l’égalité
des groupes et leur
représentativité
Reconnaissance
et valorisation des
différences
Implications en
termes de GRH
Gestion neutre aux
différences
Gestion collective des
groupes concernés /
quotas
Gestion individuelle
sans référence au
groupe d’appartenance
Dimension
principaleJuridique Éthique
Economique
(« business case »)
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La lutte contre les discriminations s’est incarnée à la fois dans une
conception égalitariste et universaliste de la société : elle s’est tantôt traduite
par des politiques de discrimination positive, tantôt par des politiques visant
simplement à assurer l’égalité des chances. Les deux étant parfois menées en
parallèle. Le passage de politique d’égalité de groupes fondée sur des quotas à
une politique de diversité fondée sur la valorisation des différences
individuelles s’est fait via un renversement de la perspective d’action. La
diversité se situe en réalité au croisement de ces deux optiques :
- ce n’est pas de l’égalité des chances au sens d’equal opportunitypuisqu’elle repose sur la préférence accordée à certains individus, du fait de
leurs caractéristiques individuelles et au nom d’intérêts économiques. Mais la
déclinaison des politiques de diversité peut conduire à une réflexion sur les
outils de GRH visant à plus d’égalité. C’est ce que l’on observe lorsqu’on
examine le contenu des accords diversité où la grande majorité des outils
annoncés portent sur la manière d’assurer l’égalité de traitement ; le reste
portant sur une égalité de groupes, avec un traitement distinct par catégories
(les femmes, les seniors, les personnes habitant en ZUS…) (Garner, 2009).
- et ce n’est pas non plus de l’égalité des groupes car la diversité
s’inscrit dans un perspective individuelle où ce n’est pas la représentativité du
groupe qui est visée mais l’individu en tant que tel.
Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité constituent
donc deux modes d’action distincts face aux tensions générées par
l’hétérogénéité de genre, sociale, et ethnique dans nos sociétés. Et on peut
pointer trois différences centrales entre ces deux concepts :
a/ il s’agit dans un cas de valoriser les différences individuelles dans
une optique libérale tandis que dans l’autre l’objectif est d’ordre moral
puisqu’il revient à garantir à tous l’égalité de traitement, indépendamment de
ses différences individuelles justement.
b/ La non discrimination est inscrite dans la loi et susceptible de
condamnations tandis que la diversité renvoie à une soft law où elle relève
seulement de la volonté unilatérale des entreprises comme en attestent les
outils de promotion de la diversité : charte, label diversité, norme.
c/ Enfin les deux objectifs ne renvoient pas aux mêmes outils et aux
mêmes fins. Et pour aller plus loin, promouvoir la diversité ne signifie pas
forcément qu’on ne discrimine pas et qu’on assure l’égalité de traitement, au
contraire même lorsqu’il s’agit de respecter des objectifs chiffrés en termes de
recrutements de certaines catégories de la population comme cela est affiché
dans certains accords d’entreprise sur la diversité. Cette question de l’égalité
de traitement ne se confond donc pas avec celle de l’égalité des chances et
chacun de ces impératifs nourrit des fins propres qui nécessitent une réflexion
et des outils spécifiques.
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La place de l’éthique dans ces politiques de gestion de la diversité
semble donc secondaire, et surtout destinée à présenter des pratiques d’abord
dominées par la logique économique. Les théories économiques de la
discrimination proposent elles des explications aux comportements
discriminatoires des employeurs qui peuvent aller jusqu’à leur rationalisation,
sans revendiquer de référence à une quelconque éthique. Tandis qu’en droit il
s’agit, quel que le soit le motif ou la raison invoquée, de condamner la
discrimination au nom d’un impératif moral. Dans tous les cas, la logique
économique heurte le droit et l’éthique et elle reste prédominante dans un
contexte de concurrence mondialisée. Alors que les politiques de diversité des
entreprises, se revendiquant pourtant éthiques, ne sont pas une garantie de non
discrimination, que les moyens de lutter contre les discriminations peuvent
entrer en conflit avec la rationalité économique et que la liberté d’embauche
reste une prérogative incontestable de l’employeur, il faut encore travailler sur
les mécanismes de sélectivité à l’œuvre au moment du recrutement. Pour cela
des travaux de terrains auprès d’organisations ayant mis en place des
procédures innovantes de recrutement seraient pertinents pour évaluer leur
degré d’éthique c’est-à-dire dans quelle mesure elles permettent de concilier
économique et juridique (entreprises ayant développé la méthode de
recrutement par simulation par exemple). Le CV anonyme est à ce titre un
exemple intéressant dans la mesure où cette mesure d’anonymisation vise à
rétablir l’égalité formelle mais elle interroge sur le respect de la liberté
individuelle car est-il légitime de retirer le sexe, l’age, l’origine d’un individu
(soit ses caractéristiques identitaires), pour augmenter ses chances d’être
recruté ? Cela ouvre également un questionnement plus large sur les limites
de la conception purement économique de l’entreprise et sur le au rôle de la
loi et du droit dans les politiques de promotion de l’égalité.
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Références
Conclusion
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