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1 FIRST CATALYTIC – ENCOUNTER : The transdisciplinary Evolution in Education Escola do Futuro of the Universidade de Sao Paulo 15 – 18 Avril 1999 “ LE SENS DU SENS ” Gaston PINEAU Prof. Département des Sciences de l’Education et de la Formation

Sens du sens

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Page 1: Sens du sens

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FIRST CATALYTIC – ENCOUNTER : The transdisciplinary

Evolution in Education

Escola do Futuro of the Universidade de Sao Paulo

15 – 18 Avril 1999

“ LE SENS DU SENS ”

Gaston PINEAU Prof. Département des Sciences de l’Education et de la

Formation

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Université François Rabelais de Tours

SOMMAIRE

Introduction

I - Une boucle étrange pour approcher les systèmes autopoiétiques

......... 3

1 - Un koan, support de vie spirituelle .................................................

3

2 - Un nœud gordien, intellectuellement déjà plusieurs fois tranché

...... 4

3 - Pourquoi renouer avec lui : sens du sens du sens ? .........................

7

3.1 - Clé de voûte de la nouvelle «Méthode» de Morin ? .................

7

3.2 - Redondance du paradoxe de l'auto, entre panne de sens des

appareils et quête de sens des sujets

................................... 8

3.3 - Organisation circulaire et système autopoiétique .................

9

3.4 - Boucle de boucles au cœur de la conscientisation ..............

10

II - Une matrice d'exploration .................................................................

12

Page 3: Sens du sens

3

1 - La signification de la signification ................................................

14

2 - La sensation de la sensation ........................................................

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3 - La direction de la direction ..........................................................

19

4 - Le sens comme mouvement émergent de mise ensemble .................

21

Conclusion : entre auto et trans .............................................................

22

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INTRODUCTION

Oser s’attaquer au «sens du sens», c’est se situer entre

l’humble et nécessaire quête de direction pour vivre, quête sensible réflexe, animale, voire végétale et le projet quasi démiurgique de conquête du pouvoir de signifier. Difficile de trouver une situation en plus forte tension et extension.

Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée. C’est elle qui m’a trouvé, proposé par les organisateurs de cette catalytic encounter, Quelles que soient les difficultés de traiter cette question impossible, il faut d'abord les remercier de nous donner l'occasion de la travailler. En plus en effet d'être au cœur de nous-mêmes,elle est au cœur de l'évolution transdisciplinaire de l'éducation.

Professionnellement, je suis professeur en sciences de l'éducation et de la formation. Les personnes avec qui je travaille sont des adultes allant de vingt-cinq à soixante-dix ans. Chacun est pris comme moi avec des problèmes de sens. De signification, bien sûr, allant de soi-même au monde entier, mais médiatisée aussi par de multiples signes nouveaux à essayer de comprendre et qui souvent désorientent. aussi, c'est le plus fréquemment sur des problèmes d'orientation et de réorientation que l'on se rencontre : orientation professionnelle et de formation. Que faire ? Dans quelles directions aller ? Comment ? J'ai d'ailleurs commencé ma vie professionnelle comme psychologue-conseiller d'orientation. Faire le point, reprendre contact avec soi-même, retrouver une sensibilité à sa vie et à la vie, sont des problèmes de sens de troisième type à aussi prendre en compte pour pouvoir traiter les deux autres. Traitement fait à chaud, dans l'immédiateté, en face à face, en essayant de trouver pragmatiquement les meilleurs moyens. Nous n'avons pas souvent le temps de réfléchir théoriquement à ces problèmes de sens, de prendre du recul. L'occasion nous en est fournie aujourd'hui.

Le sens est un objet noble entre tous, habituellement propriété privée des spécialistes : sémanticiens, sémioticiens, herméneutes, épistémologues, après, avec ou contre les philosophes, les moralistes et les théologiens. Comme la plupart d'entre vous, je ne suis aucun de ces spécialistes. Je suis presque obligé de m'en excuser pour oser parler. Et je pense que c'est une première audace transdisciplinaire à avoir : oser aborder les questions vitales, même sans en être spécialiste. Non pour prendre leur place ou les ignorer, mais pour ne pas se faire désaproprier de ces questions vitales. Le sens du sens en est peut-être une des principales. En publiciser le traitement, le démocratiser, est un des impératifs catégoriques de l'évolution actuelle de l'éducation. Cette dernière est prise avec la panne de sens des institutions et la quête de sens des sujets en formation permanente.

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C'est donc avec cette attitude transdiciplinaire, avec les disciplines, mais aussi au-delà d'elles que nous allons aborder la question. En abstraction réfléchissante aujourd'hui,en approche plus pratique demain.

I - Une boucle étrange pour approcher les systèmes

autopoïétiques

1 - Un Koan, support de vie spirituelle ? Le premier terme qui soit remonté après que l’expression ait

commencé à me travailler, est celui, oriental mais transculturel de Koan. “ Le Koan au sens littéral est un document sur la table ou document sous les yeux qui désigne une technique développée par quelques écoles de méditation boudhique en Chine et au Japon. Il s’agit d’une sorte de devinette insoluble qui contrairement au mantra, n’a en soi aucune efficacité mais qui contraint le pratiquant à aller jusqu’au bout de sa concentration mentale, effort surhumain, effort vain sur le plan intellect et dont on espère qu’en fin de compte, il se déchargera dans l’expérience illuminative ” (Keller, C.A, 1997 p.2268).

Essayer de penser “ le sens du sens ” lance dans le

mouvement d’un génitif redondant, renvoyant en boucle récursive à lui-même ou mieux en lui-même. Ce génitif redoutant lance dans un mouvement circulaire qui peut enfermer en lui-même, dans un cercle vicieux tourbillonnant, étourdissant. Et pourtant cette ronde affolante, cette répétition à l’infini, ces effets miroirs en abysse s’entrouvrent parfois le temps d’un éclair laissant échapper un éclat de sens. Le cercle vicieux devient vertueux (Varela,) par une boucle étrange, spiralante faisant changer de niveau. Le génitif redondant apparemment en fermant, ouvre, génère du sens : une lueur de signification, une amorce de direction, un effleurement de sensibilité.

A travers et au-delà du jeu de mot, d’un dire plus ou moins

intrigant, l’expression ne serait-elle pas un indicateur/opérateur important de production de sens par une voie paradoxale ? N’aurions-nous pas à faire à un Koan essentiel, un “ dire ”, support de vie spirituelle ?

2 - Un nœud gordien, intellectuellement déjà plusieurs

fois tranché

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Support de vie spirituelle, oui, peut-être dans les voies traditionnelles de recherche de sens. Mais dans les vies modernes comment peut-il être support de vie intellectuelle ? Ces formules au carré ont-elles un intérêt autre que provocateur ? leur concentration polysémique accroche, allume la réflexion mais l’épuise rapidement car elle lance dans des récursivités infinies qui échappent vite aux capacités de mémoire et de combinatoire. En fait l’image reflétée est relativement pauvre dans sa massivité, sa forme non éclatée.

Depuis des siècles tout l’effort scientifique humain n’a-t-il pas

été de faire éclater ces méga-notions en unités plus simples pour pouvoir ensuite les travailler, les analyser, les combiner, les assembler ? Dans la postface de la deuxième édition à “ Sagesse et illusions de la philosophie ” (PUF 1968), Jean Piaget illustre bien, à propos de cette expression même, le passage moderne de ce qu’il appelle une déconversion philosophique à la construction d’une approche scientifique.

« Le problème central est ainsi celui du sens du sens. Or, je crains

que cette notion fondamentale de “ sens ”, autour de laquelle gravite toute la réflexion contemporaine, ne recouvre une équivoque non moins essentielle. Rîcoeur se réfère à Kant, notre père à tous, et pose la question de l’homme en fonction des trois questions : que puis-je savoir, que dois-je faire et que m’est-il permis d’espérer ? Soit, mais il y a là deux pôles : celui du sens épistémique et celui du sens vital ou praxique. Par exemple, l’affirmation de la liberté a-t-elle un sens ? Au point de vue épistémologique, certainement : c’est l’hypothèse selon laquelle l’état t+1 ne peut être déduit sans plus de l’état t, etc. ; il y a là un ensemble de significations physiques, psychologiques et logico-mathématiques (théorème de Goedel, etc.) qui confèrent un sens évident au problème, même s’il ne peut être encore résolu à la satisfaction de tous. Au point de vue de la praxis, c’est à dire de ce que l’homme doit faire et peut espérer, la liberté comporte bien entendu aussi un “ sens ”, qui engage même toute notre responsabilité. Mais ces deux sens ne sauraient se réduire l’un à l’autre : la déduction à partir du second ne permet pas de résoudre le problème épistémique et la déduction à partir du premier ne suffit nullement à assurer le second. C’est pourquoi, entre parenthèses, une “ sagesse ” est indispensable pour les coordonner, sans pour autant qu’elle permette d’atteindre une connaissance ni même une “ vérité ”. En bref, un “ sens ” et encore “ pour l’homme ” c’est toujours au moins deux sens, l’un cognitif et l’autre vital, et il me semble que l’on joue un peu trop sur les mots à vouloir les réunir en un concept unique de signification, si proches puissent-ils être en certains cas » (Piaget, J. 1968 p.293-294).

L’expression «le sens du sens» opère une concertation

polysémique maximale : 1 – par une intersection sémantique au niveau du signifiant –

le sens – renvoyant à plusieurs signifiés, pas seulement deux, mais au

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moins trois : signification, direction, sensation avec de grandes différences sur l’axe paradigmatique des oppositions.

2 – la répétition du même signifiant – le sens – ne fait qu’accentuer cette polysémie en multipliant les combinaisons possibles.

3 – Les relations d’interdépendances que pointe le «du» ne réduisent pas cette combinatoire, mais l’ouvrent encore du côté des relations possibles. Le «du» est un opérateur linguistique mixte – mi-article/mi-préposition - qui opère une partition, découpe une partie par rapport à un tout, en ouvrant des répartitions possibles :

- d’origine : le premier sens est l’origine du second : - d’extraction : c’est le second qui englobe le premier, qui en est

alors une partie «l’essence»; - de récursivité, de ré-entrée du premier dans le second qui

entraîne une clôture opérationnelle de la relation sur elle-même. Cette concentration polysémique maximale inter et même

transniveaux constitue un nœud gordien dont la découpe a ouvert de grandes aires de conquête intellectuelle. Découpes peu nombreuses d’ailleurs qu’un historique rapide peut ramener à 3 :

- la découpe antique : celle des 7 arts libéraux, des 7 voies du

savoir, qui se regroupent en deux : les arts de la parole (le trivium) la grammaire, la rhétorique, la dialectique ; les arts des nombres (quadrivium), arithmétique, géométrie, astronome, musique. En germe dans l’oeuvre de Platon (IV avant Jésus-Christ), cette nomenclature fut proposée par un rhéteur carthaginois du Vème siècle, Martianus, Capella, et institutionnalisée par l’Ecole du Palais de Charlemagne en 800.

- la découpe médiévale :L’invention de l’université au Moyen

Age ajoute à la Faculté des Arts qui regroupaient ces 7 arts, les Facultés de Théologie, du Droit et de Médecine. Cet ajout hiérarchise. Dans la société théocratique du Moyen Age, la reine des Sciences ne pouvait être que la théologie. C’est d’elle que peut venir en dernière instance le sens du sens.

- la découpe disciplinaire moderne : Au XIXe siècle pour

remettre de l’ordre dans les désorganisations apportées par les révolutions sociales et intellectuelles qui entre autres découronnent la théologie de son trône et bientôt la philosophie, une autre découpe du nœud gardien est proposée par A. Comte et adoptée ensuite très largement dans le monde occidental : la découpe positiviste et disciplinaire de hiérarchisation des sciences.

Cette classification hiérarchique des sciences est fondée sur le

critère suivant :

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- la dépendance des sciences entre elles selon le degré de simplicité et de généralité des phénomènes étudiés. Plus les phénomènes sont simples et généraux, moins ils dépendent des autres et donc plus autonome est la science qui s’occupe de ceux-ci. Simple néanmoins ne veut pas dire facile, mais homogène, de même nature. La mathématique est simple parce que les éléments de son langage sont monosémiques. Suivant ce critère, Comte distingue six sciences fondamentales au sommet desquelles règnent les mathématiques. Ensuite viennent l’astrologie, la physique, la chimie, la biologie, et enfin la physique sociale, la dernière née des sciences fondamentales.

Ce mouvement de hiérarchisation des sciences humaines

ordonnant les divisions apportées dépend directement de l’état des rapports sociaux. Dans la société théocratique du Moyen Age, la reine des sciences ne pouvait être que la théologie. Après les révolutions de la fin du XVIIIe siècle et début du XIXe siècle que la raison philosophique justifia sous les noms de liberté, égalité, fraternité, la hiérarchisation positiviste des sciences, en mettant les mathématiques au sommet, fut explicitement construite pour fonder l’organisation sociale sur une rationalité positive, c’est à dire, réelle, utile, certaine, précise, organisatrice. En 1822, Auguste Comte intitule la première présentation de ses travaux : “ Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société ”. Pour lui, cette réorganisation sociale ne pourra se faire que par une réorganisation intellectuelle qui fera accéder l’humanité à l’âge adulte scientifique, après l’âge théologique de l’enfance et l’âge métaphysique de l’adolescence.

Après ces découpes disciplinaires drastiques qui ont largement

prouvé l’efficacité redoutable de cette rationalité positive, n’est il pas anti-scientifique de reposer aussi globalement le problème du sens du sens ? Plus qu’un non-sens, n’est ce pas un contre sens ? N’est ce pas revenir à l’âge métaphysique de l’adolescence sinon à l’âge théologique de l’enfance.

3 - Pourquoi renouer avec lui : sens du sens du sens 3.1 - Clé de voûte de la nouvelle «Méthode» de Morin ? C’est alors que je me suis souvenu d’autres expressions

analogues titrant périodiquement depuis 20 ans les différents tomes d’une ambitieuse entreprise de construction d’un nouveau discours de «La méthode» par Edgar Morin, tome 1. «La nature de la nature» (1977) ; tome 2 «la vie de la vie», (1980), tome 3 «La connaissance de la connaissance», 1986. Mais me suis-je dit, le rusé Morin ne serait-il pas en train de nous faire travailler plus ou moins à notre insu, au dernier tome de ses œuvres, à la clef de voûte de la construction de son épistimo-méthodologie du complexe : «le sens du sens» ? A la fin de son

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premier tome sur la connaissance de la connaissance il en amorçait un suivant sur les possibilités d’une épistémologie complexe. Y sommes-nous ? Est-ce possible ?

Ces formules qui s’apparentent à des Koans auraient-elles

donc un pouvoir heuristique aussi puissant que caché ? Et ce pouvoir ne serait-il pas en grande partie celui de pouvoir nous faire reposer les problèmes globalement pour tenter de les traiter selon un autre cadre de pensée, selon une autre découpe que celle qui les a provoqués ? La découpe disciplinaire, par sa logique monodisciplinaire elle-même hyper-disciplinée, a entraîné des avancées séparées, voire opposées qui posent actuellement comme central le problème des liens, de ce qui se passe ou ne passe pas entre elles. Se découvre avec acuité et inquiétude que le tout n’est pas la somme des parties. Qu’une irrationalité d’ensemble sape à la base des hyperationalité locales et sectorielles.

En cette fin de siècle et de millénaire s’impose le redoutable

problème des doubles liaisons pour former un tout, une unité viable, vivable et vitale tant au niveau social global de l’humanité que de chaque humain et même élément en particulier. D’où émergent de nouvelles approches inter et même transdisciplinaire de type systémique pour tenter de développer de nouvelles méthodes et même une nouvelle épistémiologie pour appréhender de façon nouvelle cette complexité. Et le premier pas élémentaire pour la travailler est encore de la nommer d’une façon appropriée, d’une façon qui énonce le problème sans l’esquiver ni le refouler, ni le prédécouper. D’où le retour au nœud gordien reformulé comme boucle étrange, génératrice d’unités par inter-niveaux.

Tout se passe comme si l’humanité était actuellement en

recherche d’une nouvelle façon de traiter ce nœud gordien, peut-être même sans le couper, en le dénouant d’une façon moins tranchante, en le comprenant de l’intérieur, en épousent mieux ses hiérarchies enchevêtrées.

3.2 - Redondance du paradoxe de l'auto, entre panne de sens

des appareils et quête de sens des sujets

Est alors remontée la quatrième thèse d'un de mes vieux maîtres,

Yves Barel, explorateur avancé du paradoxe de l'auto qu'il a vécu à vif,

existentiellement et intellectuellement. Ancien marxiste, il a subi de plein

fouet ce qu'il appelle la panne des grands appareils politiques à fournir le

sens. Panne qui l'a renvoyé à lui-même pour une quête de sens

professionnel mais aussi personnelle. Il a donc exploré par anticipation à la

fois de façon très autonome et très informée le tragique d'une recherche du

sens du sens entre deux vides, le vide social externe et le vide personnel

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interne. Il a questionné l'histoire à l'aide d'une question relativement précise

:

«Comment et pourquoi des façons humaines de penser parviennent-elles,

pendant un temps, à assumer correctement leur tâche qui est de donner du sens à

l'action et à l'existence ? Et comment et pourquoi les mêmes façons de penser

perdent-elles cette efficacité à certains moments, et se creusent-elles d'un vide à la

fois inquiétant et lourd d'une potentiallité créatrice plus soupçonnée que vécue ? »

(Barel Y. 1987, p.9)

Il a consacré à cette question quatre livres essentiels aux titres

évocateurs : La marginalité sociale (1982), La société du vide (1984), La quête du

sens. Comment l'esprit vient à la cité (1987) et Le héros et le politique. Le sens

d'avant le sens. (1989). Mais c'est dans un de ses premiers livres plus

épistémologiques, Le paradoxe et le système. Essai sur le fantastique social qu'il

pose les bases de son approche systémique paradoxale en cinq thèses.

La première situe le paradoxe de l'auto comme constitutive du

système vivant. La seconde pose que c'est à l'état naissant de ce système, à

son émergence que ce paradoxe peut le mieux être approché. Insoluble

logiquement mais traitable chronololgiquement constitue la troisième. enfin

la quatrième et avant-dernière porte sur la redondance principielle entre le

système et ses parties, et entre les parties elles-mêmes dans la formation

d'un système autonome.

«La superposition et la redondance ouvrent un champ immense

d'interrogations : elles n'ont pas seulement pour fonction et pour sens

d'accompagner l'analyse du paradoxe fondamental (celui de l'auto), dont elles sont à

la fois la base et la compétence. Elles apparaissent aussi sous des formes

spécifiques dont l'articulation avec le paradoxe fondamental se fait plus lâche :

ambivalence, ambiguïté, polysémie, multifonctionnalité, incognitivité planifiée des

phénomènes, sont quelques-unes de ces formes et chacune d'elles peut être

l'occasion de se poser des questions inhabituelles sur les conduites d'un système

social.» (Barel, Y. 1979, p.48)

Ces formes de questions inhabituelles n'intéressent peut-être pas

seulement les conduites d'un système social. Dans ces années soixante-dix

où a émergé ce que l'on peut appeler maintenent une science de l'autonomie,

est né sur ce continent sud-américain un nouveau mot qui a permis de

prendre en compte et à part entière les conduites spécifiques des systèmes

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vivants, qu'ils soient biologiques, humains ou sociaux. C'est le mot

«autopoiésis» que les biologistes chiliens Humberto Maturana et Francisco

Varela ont forgé au début des années soixante-dix à l'Université du Chili.

3.3 - Organisation circulaire et système autopoiétique

Il est éclairant de relire les raisons de la création de ce néologisme

dans l'introduction qu'écrit Maturana presque dix ans après dans leur livre :

Autopoiésis and cognition. The realization of the living. (1980). Ce mot est né

d'une discussion entre Maturana et Varela pour poser en termes plus formels

l'organisation circulaire qui caractérise les systèmes vivants comme unité.

«Nous n'étions pas satisfaits de l'expression "organisation circulaire" et

nous voulions un mot qui signifie par lui-même le trait central de l'organisation du

vivant qui est l'autonomie. C'est dans ces circonstance qu'un jour discutant avec un

ami de son essai sur Don Quichotte de la Mancha dans lequel il avait analysé le

dilemne de Don Quichotte pris entre suivre la carrière des armes (de la praxis, de

l'action) ou celle des lettres (de la poièsis, création, production), je compris pour la

première fois le pouvoir du mot poiésis et inventai le mot dont nous avions besoin.

C'était un mot sans histoire, un mot qui directement pouvait signifier ce qui se passe

dans la dynamique d'autonomisation propre aux systèmes vivants. Curieuse;ent,

mais non surprenant, l'invention de ce mot fut d'une grande efficacité. Elle simplifia

énormément la tâche de parler de l'organisation du vivant sans tomber dans les

pièges toujours tendus de ne pouvoir dire du nouveau parce que le langage ne le

permet pas. Nous ne pouvons lui échapper étant immergés dans une tradition, mais

avec un langage adéquat, nous pouvons nous orienter différemment, et peut-être, de

la nouvelle perspective générer une nouvelle tradition.» (Maturana, Varela, 1980, p.

XVII)

C'est ce qui s'est passé dans différentes cultures. Varela l'introduit

par exemple frontalement dans la culture francophone. John Mingers (1995)

en fait un excellent inventaire transdisciplinaire pour la culture anglophone.

La présence de Maturana à cette rencontre est un indicateur de son

importance dans la culture latino-américaine. Moi-même, j'ai utilisé ce terme

d'autopoiésis pour éclairer mes travaux sur l'approche des histoires de vie.

Je définis celles-ci comme pratiques autopoiétiques de recherche et

construction de sens à partir de faits temporels personnels (Pineau G. et Le

Grand J.L. 1996 pp.3-4).

Page 12: Sens du sens

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Aussi me semble-t-il très heuristique de situer cette forme

d'expression circulaire «le sens du sens» dans cette dynamique des systèmes

autopoétiques qui produisent leur unité en se différenciant eux-mêmes de

leur environnement. Pour le moment, nous ne préciserons pas plus le type

de système. Mais en formateurs d'adultes nous entrerons implicitement par

la formation des systèmes humains, intermédiaires entre les systèmes

biologiques et sociaux. Intermédiaire veut dire «médiation entre», médiation

distincte mais reliée et reliante. La force paradoxale de l'expression du sens

du sens qui connote du cognitif mais aussi du sensible et du communicatif,

est sans doute de référer à ces différents niveaux en créant une unité.

Étrange, étrange boucle, boucle étrange. Dernier concept qu'il nous

semble important d'introduire dans cette dernière partie pour approcher la

complexité du travail du sens du sens dans l'autoformation des systèmes

humains, nous-même y compris.

3.4 - Boucle de boucles au cœur de la conscientisation

Dans cette émergence des recherches autopoiétiques, le concept de

boucle étrange apparaît aussi à la fin des années soixante-dix dans le livre

de Douglas Hofstadter sur «Gödel, Esher, Bach. Les brins d'une guirlande

éternelle ». Il intitule le dernier chapitre «Boucles étranges ou hiérarchies

enchevêtrées ». L'auteur pose les boucles étranges au cœur de la conscience.

«Je suis convaincu que les explications des phénomènes émergents de nos

cerveaux, comme les idées, les espoirs, les images, les analogies, et pour finir la

conscience et le libre arbitre, reposent sur une sorte de boucle étrange, une

interaction entre les niveaux dans laquelle le niveau supérieur redescend vers le

niveau inférieur et l'influence tout en étant lui-même en même temps déterminé par le

niveau inférieur. Il y aurait donc autrement dit une résonance autorenforçante entre

différents niveaux... Le moi naît dès lors qu'il a le pouvoir de se refléter.»

(Hofstadter, 1985, p.799)

Par un de ces signifiés même, la signification, le sens du sens

s'inscrit au cœur même de la conscience. Et l'on peut dire que le moi naît dès

lors qu'il a le pouvoir de s'approprier ce travail, de lui donner une forme et

une norme propre, personnelle, singulière. Mais ce travail se situe-t-il

seulement au cœur de la conscience ? N'a-t-il rien à voir avec l'inconscience?

Qu'est-ce que la conscience ? Rationalité ? Sensibilité ? Enactivité ? Ou tout

simplement science avec ? Co-naissance ?

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La culture brésilienne avec Paolo Freire a un grand explorateur

moderne de la conscientisation. Ce mouvement ne peut être étranger à cette

recherche sur le sens du sens que nous permettent aujourd'hui les

promoteurs de l'école du futur. Entre la conscientisitation et le travail du

sens du sens existent certainement des liens et des boucles à nouer qui ne

sont peut-être ni étranges ni étrangères. Les deux mouvements poussent

aux frontières du cognitif, du sensible et de la conduite de l'action, de ses

orientations, de ses directions.

En effet, loin de trancher comme Piaget seulement entre deux sens,

il nous semble important pour pénétrer la complexité de la formule d'en

rajouter même un troisième selon les signifiés les plus obvis que l'on

retrouve au moins dans les trois langues de travail ici présentes :

signification, direction, sensation. La répétition de la dynamique complexe de

la formule au niveau de chacun des sens permet de détendre la complexité de

la formule initiale en trois boucles qui constituent autant d'entrées

possibles dans une matrice de sens qui peut être plus ou moins riche et

génératrice selon les cloisonnements. Ainsi le sens du sens peut être vu

comme une boucle de boucle au cœur de l'autoformation des systèmes

autopoiétiques, donc de nous-mêmes.

Cette implication de nous-mêmes dans le problème et son

traitement est une des boucles de la complexité à prendre en compte. Elle

construit une complexité spécifique qui a été nommée implexité (Le Grand

J.L., 1998). L'implexité est une complexité implicante ou une implication

complexe ou objet et sujet, observé et observateur sont liés.

Détendre, déplier cette implexité sans la rompre pour créer un

espace de traitement est un des défis méthodologique de l'approche

transdisciplinaire. C'est à quoi va servir cette matrice du sens du sens. Nous

allons l'utiliser pour déplier cette implexité et en faire une carte

d'exploration.

II - Une matrice d'exploration

Page 14: Sens du sens

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Cette matrice a donc été construite en croisant les trois sens du

mot sens. Le premier qui vient à nos esprits conditionnés d'intellectuels est

celui principalement cognitif de signification. Le second est celui de

sensation quand on reste encore sensible à ses sens traditionnellement

réduits aux cinq plus visibles et localisés : la vue, l'ouie, l'odorat, le goût et

le toucher. Enfin le troisième est celui de la direction des mouvements : il

paraît tellement élémentaire à nos esprits subtils qu'on hésite à l'inclure

comme composante essentielle du sens du sens. Nous pensons qu'il découle

déductivement du premier ou qu'il remonte automatiquement du second.

Nous verrons cependant que sa prise en compte frontale moderne est une

grande conquête pour la quête de sens. Étymologiquement d'ailleurs, Jünger

indique que sens est un vieux mot pour «chemin et voie». «Un mouvement

circulaire se fait dans le sens des aiguilles d'une montre ou en sens inverse.»

(Jünger E. 1995, p.18).

Nous avons vu que la concentration de ces trois signifiés dans le

même signifiant sens, est la source d'une grande polysémie qu'augmente sa

répétition, génitrice de possibilités de croisements multiples. Et nous avons

mentionné aussi rapidement comment la recherche intellectuelle collective

s'est socialement organisée par des découpes périodiques de cette polysémie:

la découpe antique des sept arts du savoirs, la découpe universitaire du

Moyen-Âge et la découpe disciplinaire moderne. Et nous avons interprêté ce

retour frontal au nœud gordien du sens du sens comme un indicateur d'une

limite ou d'une panne de ces découpes à répondre aux nouvelles quêtes de

sens d'unités vivantes impliquées dans le traitement singulier de nouvelles

complexités.

Heureusement, le retour de ce nœud gordien n'est pas isolé et nous

avons pu l'inscrire dans un mouvement collectif de construction de nouvelles

approches de la complexité et de l'autonomisation des systèmes vivants. Une

des grandes caractéristiques que développent - de gré ou de force - ces

nouvelles approches pour pallier aux limites héritées est d'êtres plus

systémitiques qu'analytiques, d'être aussi attentives aux liens qu'aux

séparations, de s'intéresser autant aus conjonctions qu'aux disjonctions. Le

préambule et les quinze articles de la charte de la transdisciplinarité

élaborée voilà à peine cinq ans par les principaux porteurs de ce mouvement

collectif (Nicolescu, 1996) explicite de façon audacieuse et rigoureuse les

principaux acquis de ce mouvement. L'article 4 présente à partir des deux

Page 15: Sens du sens

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acceptions du préfixe trans - à travers et au-delà - la clé de voûte de la

transdisciplinarité. Elle ne nie pas les disciplines et encore moins la

discipline, mais ne s'y enferme pas. L'approche, la vision transdisciplinaire,

est résolument ouverte, multiréférentielle et multidimensionnelle.

C'est dans cette dynamique d'à travers et au-delà, que nous

proposons comme carte à grande échelle cette matrice d'exploration du sens

du sens. Elle présente de façon plus détaillée les grandes entrées selon

lesquelles la polysémie a été et est encore traitée. Dans une approche à

orientation réductrice à du monodisciplinaire cette variété est une tare

indicatrice seulement de l'irrationalité de la formule. Dans une approche

transdisciplinaire au contraire cette variété est une richesse à investir de

façon autonome pour construire son sens du sens et ainsi se construire.

Soi-même, l'ipséité dit Ricœur est «celle d'un soi instruit par les

œuvres de la culture qu'il s'est appliqué à lui-même» (Ricœur, 1985, p.356).

Toujours influencé par ma profession de formateur, c'est dans cette

perspective d'aide à la construction de soi-même que je présente cette carte

pour aider chacun à identifier son entrée privilégiée et son trajet

d'exploration, sans réduire la carte à son trajet et sans oublier que la carte

n'est pas le territoire.

1 - La signification de la signification

Comme nous sommes des intellectuels attirés rapidement, trop

rapidement, vers les hauteurs de l'intellect et les dimensions les plus

subtiles et invisibles du sens, nous commencerons notre exploration par

celle de la signification de la signification. Étymologiquement ce croisement

se centre sur le signe comme support de sens ou mieux médiation du sens.

Le sens n'est jamais immédiat, immanent, il est médiatisé par quelque chose

qui est signe de lui. Mais seulement signe, à signifier, décoder, déchiffrer,

lire, interprêter. Qui ou quoi fait signe de quoi, de qui, pour qui, pourquoi,

pour quoi ?

Dans cette entrée le croisement se fait dans le coin supérieur droit

de la matrice au plus haut et au plus loin. Avant et pour ce croisement

supérieur il faudrait logiquement passer par la sensation et la direction. Ces

passages - signification de la sensation et de la direction - paraissent à

beaucoup pour le moins seconds sinon inopportuns voire incompatibles avec

Page 16: Sens du sens

16

l'abstraction réflexive qu'implique la recherche de la signification à ouverture

métaphysique rapide. Mettre les sensations et les préoccupations

d'orientation de l'action entre parenthèses pour accéder à la réflexion pure

est présenté même comme condition méthodologique majeure.

Historiquement une sorte d'épuration des signes semble

accompagner l'évolution de la recherche par cette entrée. D'abord ce sont les

éléments physiques qui ont été isolés comme signes de sens : les astres, les

quatre éléments traditionnels. Les discours sur ces signes ont multiplié les

signes linguistiques travaillés ensuite en signes logiques. Ce mouvement

d'épuration allant jusqu'à l'exploration d'un logos transcendant.

Se rappeler rapidement l'intitulé de quelques grandes perçées

historiques qui jalonnent les recherches du sens du sens par cette entrée

principalement cognitive n'est ni superflu ni anachronique. En effet elles

offrent des jalons d'intuitions et de pistes toujours valables et plus

précieuses dans leurs avancées qu'un langage parfois daté ne peut le laisser

penser en premier abord. Passer à travers ce langage pour le dépasser et voir

ce qu'il signifie au-delà est une attitude transdisciplinaire importante pour

casser les murs de représentation cloisonnée. Pour ce rappel, nous nous

aiderons des grandes découpes historiques du nœud gordien déjà mentionné.

Ce rappel, bien sûr, ne peut être exhaustif. Il remplit surtout une fonction

d'aide mémoire.

Les premières découpes antiques d'une appropriation par la

rationalité humaine de la recherche du sens du sens se sont faites sur fond

mythique et religieux réservant cette opération à des êtres supérieurs aux

humains : les dieux. À la limite, tout ce qui échappait à la compréhensiono

humaine était et est encore signe de la divinité, signe de sa toute puissance

de sens. C'est semble-t-il par l'accroche aux éléments physiques les plus

stables (astres, éléments - air, terre, eau, feu) comme signes potentiels de

sens à actualiser que l'homme a commencé sa conquête rationnelle

cognitive. Paradoxalement, c'est ce qui est le plus loin ou le plus différent de

l'homme qui a fourni les premiers supports d'une prise de parole humaine

cherchant à s'approprier la recherche du sens du sens. Que signifie la

régularité des astres, en elle-même et pour l'orientation de la conduite

humaine ? De quels sens cachés et les dépassant sont porteurs les

éléments les plus élémentaires qui mettent en forme la vie, la nourrissent et

Page 17: Sens du sens

17

l'animent? Les premières constructions philosophiques des présocratiques

posent les jalons trop méconnus d'une écologie moderne (Pineau G. et al.

1991). Le grand mythe de la caverne de Platon construit un modèle cognitif

hyper puissant, systémique, dialectique et symbolique. Il structure encore

profondément et souvent à son insu la culture occidentale.

Ces premières formalisations ont produit leurs propres signes

linguistiques qui les ont si autonomisées de leurs supports physiques qu'ils

ont constitué des corpus en soi travaillés par les découpes des arts de la

parole et des nombres. La richesse de ces signes linguistiques est telle qu'ils

peuvent laisser croire qu'ils sont eux seuls sources du sens du sens.

Présent en germe chez Platon pour qui les idées seraient une forme

intelligible transcendante, le nominalisme fait rage du XIe au XVIIe siècle

avec la querelle des universaux. Cette querelle n'est pas éteinte et possède

ses formes modernes avec le développement des logiques formelles

(Panaccio, Cl., 1991, p. 566-573). Elle n'est pas étrangère à la nouvelle

découpe médiévale de l'Université rajoutant trois facultés : la théologie, le

droit, la médecine. Au moins deux sont des arts de la Parole et d'une parole

sensée exprimer le sens du sens de façon transcendantale, universelle et

normalisante. C'est le temps des grandes constructions théologiques

surplombantes dont la Somme de Saint Thomas (1266-1273) représente un

exemple paradigmatique.

Le décadrage disciplinaire moderne de cette façon théologique de

traiter du sens du sens s'est longuement préparé par la double révolution

copernicienne de la référence aux choses et à la raison pour fonder la

recherche de façon nouvelle, empirique et rationnelle. Dans cette entrée

cognitive à dominante plus réflexive qu'empirique, le fameux «Je pense donc je

suis »de Descartes (Les Méditations métaphysiques, 1647) ouvre la voie à la

construction des grands systèmes philosophiques des XVIIIe et XIXe siècles

pour formaliser abstraitement les méthodes optimales d'accès à l'essentiel

du sens du sens.

En boucle réflexive sur la méthodologie de construction de ces

systèmes, naissent les disciplines modernes traitant directement des

meilleurs moyens possibles pour traiter le sens. L'herméneutique comme

science de l'interprétation du sens des textes naît au XVIIIe siècle. La

logique moderne, au XIXe siècle, d'abord sous le nom de logistique, puis de

Page 18: Sens du sens

18

logique mathématique (Chauvineau, J., 1966). Le début du XXe siècle est

particulièrement fécond, puisqu'il voit naître l'épistémologie, la sémiologie et

la sémantique, selon que la théorie du sens s'appuie plus ou moins sur la

réalité du signe.

«La sémiologie est née une première fois avec Pierce aux États-Unis, une

seconde fois avec Ferdinand de Saussure en Europe. Après quoi c'est une idée

assez bien reçue qu'on peut dessiner deux profils de développement, séparés pour

l'essentiel : de Saussure à Hjelmlsev jusqu'à la sémiotique structurale d'une part; de

Pierce à Morris jusqu'à la sémantique véri-conditionnelle, d'autre part » (Jacques F.

1991, p. 493).

L'énoncé de ces dernières pistes de développement, au plus proche

du travail du sens cognitif et du signe comme médiateur de sens, montre la

complexité des recherches portant sur la signification de la signification.

Impossible donc d'attendre un hypothétique achèvement pour en transférer

déductivement les résultats sur les deux autres dimensions du sens comme

implicitement on peut en avoir le secret espoir : trouver la signification des

directions prises ou à prendre ainsi que celles des sensations éprouvées.

Des retombées éclairantes peuvent arriver et arrivent. Des conceptions

plutôt que d'autres peuvent présenter des clés ouvrant plus de portes. Par

exemple personnellement la conception triadique du signe de Pierce - le

triangulant en objet/représentamem et interprêtant - me fournit un outil

puissant pour diriger l'interprétation de mes sensations. Elle m'aide à passer

de leur immédiateté à leur médiation possible en rejoignant leur dynamique

sous-jacente.

Mais il est évident que tout le sens ne découle pas d'une

conscience parfaitement claire cognitivement. Il remonte aussi des sens, de

leur écoute, de l'ouverture sensible à la sensation de la sensation.

2 - La sensation de la sensation

C'est l'entrée de base, par la connexion vitale immédiate d'une

unité vivante avec les sources de son environnement vital. Connexion

insconsciente d'ordre réflexe animal, voire végétal. Les végétaux ont des

sensibilités à l'environnement qui leur donne la direction de leurs

mouvements. Ce sont les tropismes. De même, deux grandes disciplines

modernes sont nées de l'exploration des sources de direction et de

Page 19: Sens du sens

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signification provoquées par l'empreinte insconsciente des premiers contacts

corporels avec l'environnement. La psychanalyse, avec la découverte des

premiers stades de développements liée à l'éveil sensible des zones érogènes

par les premiers contacts avec la mère. Ces zones tournent en fait autour

des orifices d'entrée et sortie vitales. La psychologie génétique de Piaget

enracine l'acquisition des opérations cognitives formelles dans les gestes

sensori-moteurs de l'enfance.

Même si cette entrée par la dimension sensible du sens connaît

une sorte d'explosion moderne, il ne faut pas oublier qu'elle a été empruntée

comme entrée privilégiée dès les premières découpes antiques. Un de ses

premiers explorateurs, Épicure, privilégie ce qu'il appelle la voie de la chair

comme source du sens orientant la direction et la signification de la vie.

L'épicurisme ne semble pas une entrée en voie de désaffection. De même

Aristote a ouvert la route au réalisme par une maxime restée célèbre : «Nihil

est in intellectu quod non fuerit prius in sensu ».

La première typologie traditionnelle de l'entrée par les cinq sens

demeure toujours présente et agissante avec une hiérarchie des sens qui se

transfère dans le vocabulaire des opérations cognitives : je vois, j'entends, je

comprends, je touche. Au début des découpes modernes, Descartes

introduisait encore sa Dioptrie de 1637 par un appel à la vue comme étant le

premier sens de référence, parce que le plus universel et le plus noble.

«Toute la conduite de notre vie dépend de nos sens entre lesquels celui

de la vue étant le plus universel et le plus noble, il n'y a point de doute que les

inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient les plus utiles qui

puissent être.» (cité par Havelange C., 1998 p.326).

Après les longues jachères que les découpes médiévales semblent

avoir provoquées, l'époque moderne connaît une prolifération d'explorations

par cette entrée. L'empirisme de Locke (1632-1704) et Hume (1711-1776)

fonde la recherche du sens du sens par l'expérimentation active. Les

courants existentiels se forgent à partir du XVIIIe siècle pour prendre en

compte l'évolution d'un devenir humain spécifique qui fait sortir d'une

onthologie atemporelle. La piste énergétique érotique comme source

principale de sens du sens ouverte par la psychanalyse sera et est encore

activement prolongée entre autres par l'École de la révolution sexuelle de Reich

(1945), une des plus radicales du genre. Mais à côté de ces explorations

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paroxystiques de l'orientation et de la signification de cette pulsion de vie, il

ne faut pas oublier celle plus pathétique qui s'attache à construire du sens

avec les diverses manifestations agressantes de la pulsion de mort. La

logothéraphie de Viktor Frankl repose sur le besoin primordial de donner un

sens à sa vie, avec ce qui semble un non-sens, un contre-sens ou un vide

néantisant : la souffrance et la mort.

Un nouvel esprit anthropologique explore cette zone préconsciente

de l'imaginaire et des gestes. Dans son dernier livre, Quête de sens et

formation. Anthropologie du blason et de l'autoformation (1997), Pascal Galvani,

jeune chercheur/formateur, en donne une présentation théorique et

méthodologique articulant le trajet anthropologique de Gilbert Durand à

l'approche bio-cognitive de Varela et de Maturana.

Ces quelques références ne peuvent être exhaustives, mais elles

nous semblent suffisantes pour indiquer l'importance de cette entrée par le

sensible, une raison sensible se construit (Maffessoli) avec la redécouverte

de ce que signifie étymologiquement l'esthétique : sensibilité.

Cette entrée incorpore la recherche dans le corps du sujet, mobilise

tous ses sens et ouvre à l'autoréférence, comme mode d'exploration et de

validation. L'extension de ces données sensibles subjectives à la direction

des mouvements personnels et à la signification de ses comportements

d'acteur se fait relativement facilement. Mais cette extension reste

prisonnière d'une induction particulière rasante, limitée au ras du sol, tant

qu'une connection avec un patrimoine culturel de signes formels n'est pas

opérée. Opération difficile, car il s'agit de la conquête de la dimension

verticale de la matrice. Une troisième entrée peut faciliter cette conquête de

la verticalité, car elle offre une marche intermédiaire transversale, c'est celle

de la direction de la direction.

3 - La direction de la direction

Si les deux premières entrées peuvent se caractétriser

principalement par la mobilisation réflexive du et sur le logos pour la

première et la sensibilisation plus fine à l'énergétique du bios pour la

seconde, il n'est pas facile de résumer aussi succinctement la troisième,

l'entrée par la direction de la direction. Cette entrée semble moins

empruntée historiquement, plus dérobée culturellement. Elle est

Page 21: Sens du sens

21

intermédiaire et paraît sans doute moins sûre, plus contingente, plus

changeante, car c'est celle de l'action et de ses orientations.

Le problème de l'évolution de n'est imposé globalement qu'à partir

du XIXe siècle. La question du devenir et de sa direction a donc été occultée

par celle de l'être de sa signification ontologique comme «étant», a-temporelle.

Une société stable et ordonnée ferme la porte d'entrée à la question de la

direction de la direction. Cette direction d'un devenir quand il y en a un

paraît obligatoire, découle de l'ordre antérieur à reproduire. Il faut une crise

de la reproduction pour que la question s'impose. Une crise de direction pose

la question du sens du sens au niveau du pouvoir d'agir individuellement ou

socialement, au niveau de l'appropriation ou désappropriation du pouvoir

d'infléchir l'orientation de l'action et ainsi la direction du devenir.

La direction de la direction est une porte d'entrée de politique et de

stratégie d'action dans la matrice du sens du sens. Porte polémique,

pratique, pragmatique, qui impose de mettre la main à la pâte, de s'impliquer,

s'engager, décider. Opération peu valorisée par les intellectuels et les

artistes du sens. Et cependant opération autopoiétique, sociale et

individuelle, essentielle.

Barel construit son livre sur la quête de sens ou comment l'esprit

vient à la cité en analysant la naissance de la démocratie à Athènes. La

démocratie, c'est le pouvoir de déterminer collectivement la direction de sa

direction, la direction de son devenir. L'entrée moderne par cette porte de

quête et conquête du pouvoir d'orienter l'action, de lui donner une direction,

s'est faite par les grandes œuvres d'exploration de l'action politique des

XVIIe et XVIIIe siècles. Machiavel avec Le Prince (1513) amorce le genre à la

Renaissance. Hobbes le prolonge avec Le Léviathan (1651). Les

Encyclopédistes du siècle des Lumières théorisent les principes qui

appuiront les grandes révolutions politiques des XVIIIe et XIXe siècles. Le

XXe siècle est tendu entre les grandes œuvres libérales et marxistes qui

donnent cependant des signes d'essoufflement, sources de nouvelles

recherches.

Ces nouvelles recherches viseraient une extension de cette quête

et conquête au niveau de l'appropriation individuelle du pouvoir de diriger ses

actions personnelles pour piloter son devenir. Michel Foucauld parle de bio-

pouvoirs dont la conquête ouvrirait une nouvelle ère de modernité biologique.

Page 22: Sens du sens

22

Même si cette lutte peut favoriser une autonomisation personnelle, elle

serait d'abord provoquée par une crise stucturelle profonde de la société

rendant caduques les modèles hérités de direction. De nouvelles éthiques

d'action se construisent pragmatiquement. Comme indicateurs importants de

cette construction peut être mentionnée la pragmatique universelle de l'agir

communicationnel d'Habermas.

Cette voie pragmatique qui explore la direction de la direction de

l'action est doublement centrale. D'une part, pour canaliser les sensations et

les significations dans une direction désirée et même décidée

volontairement. D'autre part, transversalement, pour articuler les deux

autres boucles : éclairer du vécu par des concepts, mais aussi mieux saisir la

signification des concepts en les incarnant et les réalisant. Comme terme

emblème de cette boucle, nous proposons cyber, pointant l'art de gouverner

les communications.

Comme mentionnée en introduction, cette entrée par l'action -

interaction et transactions - est ma porte d'entrée professionnelle dans les

problèmes de sens avec les adultes avec qui je travaille. Porte pratique et

pragmatique que les problèmes modernes ouvrent grandement, mais aussi

brutalement. La modernité provoque une poussée massive de personnes

désorientées, marginalisées, en processus plus ou moins avancé d'exclusion

sociale. Mouvement que doit prendre en compte l'éducation et la formation si

elles ne veulent pas encore être en retard d'une révolution.

Moderniser sans exclure est le défi mondial actuel. Réduire au

silence est un moyen majeur d'exclusion et d'élimination. De même en

contrepoint, ouvrir des espaces de prise de parole est un moyen majeur de

conscientisation, de formation et d'autonomisation. Dans le modeste prolon-

gement des intuitions de base des promoteurs de la conscientisation, c'est

l'objectif qu'essaie de poursuivre l'approche pragmatique des histoires de vie.

4 - Le sens comme mouvement émergent de mise

ensemble

Que devient le sens du sens dans ces boucles infinies ? La brève

exploration de ces trois principales boucles constituant sa matrice ne le

dilue-t-elle pas tellement qu'il est insaisissable ? Le desserrement relatif de

ces boucles ne nous emmêle-t-il pas plus ? Pour reprendre le sens, il faut

Page 23: Sens du sens

23

maintenant se déprendre de ses dépliements, aller au-delà d'eux, pour saisir

le mouvement qui les mets ensemble, en sens.

Pour approcher l'essence du sens à la fin de son quatrième tome,

Edgar Morin fait deux propositions :

- le sens est l'émergence d'une relation qui unit des éléments

autrement séparés. «Tout se trouve inclus dans le sens, mais celui-ci est une

émergence de ce tout» (p.169).

- le sens est hologrammatique, c'est-à-dire que l'émergence de ce

tout contribue à donner sens aux parties comme elles donnent sens au tout.

Chacune des entrées proposées au sens du sens ne prend sens que

reliée à l'ensemble de la matrice : aller au-delà d'elles-mêmes. Comme celle-

ci ne donne sens que par chacune de ses parties : passer à travers.

Pour éclairer ces considérations abstraites d'une image très

concrète, voire triviale, je propose pour terminer la situation par laquelle

Ernst Jünger commence son livre Sens et signification :

«Resté seul quelques temps, tout seul dans une maison où l'on habitait

avec d'autres, on va encore mettre la targette lorsqu'on se rend à la salle de bain.

L'acte a toujours une signification, mais n'a plus de sens» (Jünger, 1995, p.5)

Un acte n'a de sens que relié à son contexte d'ensemble, sinon, il

s'effrite en significations, directions et sensations éclatées et dispersées.

Page 24: Sens du sens

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Conclusion : entre auto et trans

Le sens du sens se présente d'abord comme une formule étrange et

incongrue qui fait sourire ou qui agace. Elle ne laisse donc pas insensible.

Ces premières réactions émotives peuvent être prises comme indicatrices

d'un potentiel de sens extrêmement ramassé qui met en éveil, en alerte,

amorce un mouvement réflexif. Mais dans quelle direction ? Le mouvement

amorcé par l'expression est un mouvement circulaire tourbillonnant quasi

infini. Il lance dans un cercle qui a toutes les caractéristriques d'un vice

logique : la polysémie du terme est renforcée par sa répétition et par une

particule qui démultiplie les relations d'interdépendance, ouvrant

pratiquement à tous les sens possibles, y compris les non-sens et

contresens. Aussi d'un point de vue d'une logique obéissant aux règles

d'identité, de non-contradiction et de tiers exclus, la formule n'a-t-elle aucun

bon sens. Elle indique seulement un cercle vicieux, un nœud gordien

impossible à dénouer.

La seule solution est de s'en détourner ou au contraire s'armer d'un

instrument dur et coupant pour le trancher brutalement. Opérations

analytiques violentes qui ponctuent et ouvrent périodiquement les grandes

conquêtes humaines de sens, sous l'autorité de grands Alexandre. Chacun

des membres de la troupe ensuite, de gré ou de force, opère d'autres

découpes à la mesure de ses possibles pour occuper sa place avec un

minimum de sens. Un minimum - parce que la question du maximum, celle

du sens du sens, ne se pose même plus. Celle-ci a été réglée violemment,

supprimée, invalidée, et même ridiculisée par l'invention et l'intervention

audacieuses et inattendues d'une force et d'une forme de réglement qui

élimine cette question originaire en imposant ses formes et forces de

traitement. Le retour à la question globale paraît alors incongru, inconscient,

irrationnel ou subversif.

Page 25: Sens du sens

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Mais nous avons vu aussi que périodiquement les formes et forces

de traitement s'épuisent, entraînant le retour de la question. Ceci semble

être le cas en cette période de fin de millénaire. La formule a été reliée à

l'émergence de formules similaires au cœur de l'émergence d'une nouvelle

façon de traiter le nœud gordien pour comprendre de l'intérieur la formation

des entités vivantes, et même leur autoformation, la formation d'elles par

elles-mêmes.

Et si nous faisions partie du nœud gordien ? Et si en le tranchant,

c'était nous que nous tranchions ? Mutilant gravement nos pouvoirs de

compréhension des systèmes vivants. En les découpant, en nous découpant

en morceaux homogènes, nous les tuons et nous nous tuons comme

systèmes vivants. Plus de sensations, plus de mouvements, plus de signes

de vie, plus de paroles même. Faire taire un système vivant c'est le tuer

comme système autopoiétique.

Alors, pas le choix, pour comprendre les systèmes autopoiétiquesm

il faut oser se réattaquer au nœud gordien et oser s'attaquer à une nouvelle

façon de le comprendre, de se comprendre, de le et se prendre avec soi. Avec

plus de sensibilité, de tact, de finesse, de souplesse, pour reconnaître la

nature du nœud, la composition des liens, la direction de leurs mouvements,

la signification des boucles. Et si le nœud gordien du sens du sens se

révélait être au contraire une guirlande éternelle selon la belle analogie

d'Hofstadter ? Les brins s'élargissent en rubans, les boucles en anneaux et

en spirales déployant en volutes complexes leurs faces interne et externe. Le

nœud se détend en rubans de Moëbius. Il délimite des intérieurs qui

deviennent extérieurs et vice-versa.

Alors au lieu de le couper, ne faudrait-il pas mieux essayer de

l'épouser, de nouer une nouvelle alliance avec elle, pour en faire un espace

de vie, de travail, d'exploration et de construction de sens. Identifier les

brins et les boucles qui nous relient à nous-même, aux autres et au cosmos

? Jouer de l'auto et du trans ?

Pour traiter le sens du sens, chaque période historique est aux

prises avec les deux sources interne et externe du sens. La façon dont elle

opte construit un mode à dominante autoréférentielle ou trancendante. Le

défi de nôtre période à tendance autoréférentielle est de s'approprier la

transcendance pour en faire une force d'auto-dépassement.

Page 26: Sens du sens

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