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le shofar REVUE MENSUELLE DE LA COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE LIBÉRALE DE BELGIQUE SYNAGOGUE BETH HILLEL BRUXELLES N° d’agréation P401059 FÉVRIER 2008— N°291 / ADAR I 5768 « Conversion, Giour et Identité »

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le shofarr e v u e m e n s u e l l e d e l a c o m m u n a u t é i s r a é l i t e l i b é r a l e d e b e l g i q u e

s y n a g o g u e b e t h h i l l e l

b r u x e l l e s

N° d’agréation P401059 FéVRIER 2008— n°291 / ADAR I 5768

« Conversion, Giour et Identité »

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revue mensuelle de la communauté israélite libérale de belgique

EDITEUR RESPONSABLE :

Rabbin Floriane Chinsky

RéDACTRICE EN ChEF :

Jacqueline Wiener

COMITé DE RéDACTION :

Rabbi Abraham Dahan, Rabbi

Floriane Chinsky, Ralph Bisschops,

Serge Boruchowitch, Gilbert

Lederman, Philippe Lewkowicz,

Jacqueline Wiener, Emmanuel Wolf

ONT EGALEMENT COLLABORé A

CETTE LIvRAISON :

Monique Ebstein, Richard Kenigsman,

Patrick Muntz, Camille Bloch, Ruben

Simonart, Paul Kriwin

MISE EN PAGE :

www.inextremis.be

n°291 FévRIeR 2008 / ADAR I 5768

N° d’agréation P401059

Le Shofar est édité par la

COMMUNAUTé ISRAéLITE LIBéRALE

DE BELGIQUE A.S.B.L.

N° d’entreprise : 408.710.191

Synagogue Beth hillel

80, rue des Primeurs,

B-1190 Bruxelles

Tél. 02 332 25 28

Fax 02 376 72 19

www.beth-hillel.org

[email protected]

CBC 192-5133742-59

RABBINS : Abraham Dahan

et Floriane Chinsky

CONSEIL D’ADMINISTRATION :

Avishaï Ben David, Ralph Bisschops,

Patrick Ebstein, Paul-Gérard Ebstein,

Ephraïm Fischgrund, Josiane

Goldschmidt, Gilbert Lederman,

Philippe Lewkowicz, Willy Pomeranc,

Elie vulfs, Serge Weinber, Jacqueline

Wiener, Emmanuel Wolf.

Les textes publiés n’engagent que

leurs auteurs.

Photo de couverture :

Richard Kenigsman

Photos :

Ralph Bisschops et Serge Weinber

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Sommaire 05 eDITORIALConversion: les paysages de la judéitépar Jacqueline Wiener

Le mOT Du PRésIDeNT par Philippe Lewkowicz

JuDAÏsmeConversion, Giour et identitépar Rabbi Floriane Chinsky

Hillel et l’homme en équilibrepar Rabbi Floriane Chinsky

Conversion: l’aboutissement d’une recherche ? par Henri Lindner

L’accueillant acuiellipar Richard Kenigsman

Nos Bné Mitsvapar Camille Bloch, Paul Kriwin, Ruben Simonart

Carnet

AGeNDA

Leo Baeck; «d’une lignée de Rabbins»par Monique Ebstein

A la mémoire de Varian Frypar Monique Ebstein

La passion d’Oberammergaupar Patrick Muntz

Les «Stolpersteine» ou «Ces pavés qui font trébucher» par Monqiue Ebstein

Beth Hillel part en Israël par Monique Ebstein

Conférence du Rabbin Abraham Dahan: la femme et la religion, une éternelle mineure ?

Lu pour vouspar Monique Ebstein

Quelques nouvelles d’Israël et d’ailleurs

Un peu d’humour

Dîner chabbatique communautaire

Informations utiles

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Pour l’organisation de vos Simhot

Un nom: Solange!

Un numéro: 0497.57.47.27!

Pour l’organisation de vos Simhot

Un nom: Solange!

Un numéro: 0497.57.47.27!

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La « conversion » au Judaïsme ne peut se par-ler en termes semblables à ceux communé-ment utilisés pour désigner le fait d’« aban-donner une croyance considérée comme erronée pour se tourner vers une autre cor-respondant à une vérité présumée ».

En effet, en entrant dans le Judaïsme, la per-sonne s’inscrit dans une mutation prégnante aux facettes variées qui dépassent très lar-gement le cadre d’une « simple » modifica-tion de « foi » et dont la conséquence socio-logique, sur le chemin de l’Histoire, n’est pas la moindre…

Par ailleurs, la conversion au Judaïsme est, en général, évoquée à pas feutrés, comme si le silence qui entoure trop souvent cette magnifique aventure humaine de l’esprit ne pouvait se conjuguer qu’à la forme muette. Car en devenant juive, la personne quitte parfois un monde originaire aux préjugés tenaces et récurrents de siècles d’antiju-daïsme atavique –lorsqu’il ne s’agit pas, plus simplement, d’antipathies rénovées sur fond de conflit israélo-palestien- dont la réalité induit, chez ceux qu’elle désire rejoindre, une pudeur, une crainte, voire un présup-posé que l’absence de bruit, seule, permet d’en contenir les interrogations…

La conversion au Judaïsme nous concerne tous. Non seulement parce qu’elle touche de manière très fondamentale à l’exigence cen-trale de respect de son Prochain, mais aussi, plus pragmatiquement, parce que à l’aube du

vingt-et-unième siècle, des voix s’élèvent ici et là pour mettre en garde contre l’extinc-tion insidieuse du Judaïsme.

En diaspora, l’expression « Shoah lente » a droit de citer et la progression exponentiel-les des mariages dits mixtes est continuelle-ment évoquée, tel un magistral épouvantail dont les répercussions censées inéluctables seraient à elles seules suffisantes à voiler toute approche juive constructive, voire novatrice du phénomène de la mixité conju-gale inhérente à toute société moderne humaniste.

En Israël, c’est le souci des reflux migra-toires pour cause de non reconnaissance d’identité juive par les autorités religieuses officielles qui pointe du doigt de nouvelles exigences aux démographes avertis, en attendant un assouplissement du système de conversion au Judaïsme déjà pressenti indispensable par des gouvernants israé-liens actuellement au pouvoir.

Que dire aussi des conséquences encore tellement douloureusement perceptibles aujourd’hui de la Solution Finale, qui n’en finissent pas de voir émerger d’une société culturelle dominante nombre d’enfants ou de petits-enfants paternellement juifs qui expec-torent littéralement à un Beth Din providen-tiel leur inapaisable désir de se réapproprier des racines trop longuement enfouies dans les méandres du silence, afin de retransmettre à leur propre descendance leur identité volée.

Conversion : les paysages de la judéité

Par Jacqueline Wiener - Henrion

Pour l’organisation de vos Simhot

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éDITORIAL

Aborder ces questions qui touchent à l’iden-tité juive, à l’identité humaine, de manière appropriée, par des réponses à la fois per-tinentes pour la personne et satisfaisantes aux défis du jour auxquels le Judaïsme a à se confronter, constitue un exercice difficile. Car ce dernier requiert tout à la fois parfaite connaissance de la psychologie humaine et de la Tradition juive, de même qu’un sens critique prononcé et une grande humilité.

Dans de telles conditions, l’analyse adéquate des paysages contemporains de la judéité choisie, par l’éclairage étayé qu’elle porte sur la question grave de conséquence de la pérennité démographique du Judaïsme, constitue, en ce sens, un préalable fondamental.

Or donc, en Europe occidentale, par exem-ple, il existe aujourd’hui cinq types de cas de figure dans lesquelles s’inscrivent les volontés de conversion.

Le premier cas procède de tout ce qui entoure le mariage et qui s’accorde souvent, dans ses prémices, avec une pression plus ou moins explicite de la famille du (futur) conjoint. Concernant généralement la jeune femme, la conversion projetée est souvent associée au désir de fonder une famille ; elle s’inscrit alors dans une véritable stratégie éducative qui consiste en l’idée de la néces-sité de transmettre un message cohérent aux enfants futurs, de leur transmettre une éducation sans hiatus.

Le second cas touche à la quête spirituelle et affective personnelle, parce que le monde juif a été, d’une façon ou d’une autre, appro-ché, qu’il s’agisse de cours de Judaïsme qui ont été suivis, de livres lus, d’amis juifs rencontrés ou de voyage marquant en Israël… L’homme ou la femme, ici, éprouve un attrait irrésistible pour tout ce qui est juif. Cette attirance est souvent théorisée, rationalisée, de manière théologique, voire biologique. Pour ce groupe de personnes,

la conversion constitue une formalité : il s’agit de régulariser une situation ressentie comme évidente.

Le troisième cas est constitué de quêtes individuelles longues. L’homme ou la femme s’inscrit dans une logique de détachement de la religion de sa jeunesse où il y avait, par exemple, incongruité à poser des questions, ressentant, par contre, le Judaïsme comme constituant la liberté intellectuelle par excellence. La chaleur de la famille juive s’ajoute, alors, à l’argumentation, tant il y a un émerveillement pour de ce qui est considéré là comme une caractéristique des Juifs. L’aura d’un peuple jugé « composé de savants » apparaît aussi régulièrement, avec l’espoir à peine voilé de s’en imbiber l’« inné » savoir.

Le quatrième cas concerne celles et ceux qui deviennent Juifs parce qu’ils le sont déjà : les enfants adoptés par des parents juifs et les enfants de père juif. Pour ces derniers, il s’agit ici de « confirmer » par un acte public ce que l’on a toujours été et non de « se convertir ». Souvent, ces enfants se sentent humiliés par ce qu’ils ressentent comme une discrimination injuste à leur égard. Leur souhait de confirmer formellement leur judéité se fait en réaction à leur sentiment de marginalité, se sachant Juifs pour les goyim et pas Juifs pour les Juifs. Pour eux, c’est une faute par rapport à la disparition des Juifs dans la Shoah que de ne pas « retourner » au sein du peuple juif. Véritable phénomène sociologique depuis 40-45, l’identité juive se fait, dans ce quatrième cas, prédominante, sans référence, souvent à un sentiment religieux mais toujours à un très vif sentiment d’appartenance. Heureux dans leur choix, ils défendent généralement avec beaucoup de force leur identité juive retrouvée, même lorsque leur « conversion » s’opère auprès d’un Beth Din libéral et que de ce fait, ils sont rejetés comme Juifs par les orthodoxes.

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le shofar

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Le cinquième cas est rare, mais néan-moins récurrent : il s’agit de personnes qui souhaitent embrasser le Judaïsme pour des raisons chrétiennes, à savoir pour expier la faute des chrétiens à l’égard des Juifs. L’exemple le plus connu de ce type de démarche concerne les enfants Allemands d’après-guerre nés de parents coupables…

Ces cinq catégories grossièrement brossées s’accordent de subtiles et nombreuses nuan-ces, faites d’une multitude de doutes, d’émer-veillements ou de circonstances diverses qui rendent chacun des êtres qui les compo-

sent unique jusque dans le dénouement de leur cheminement.

Mais c’est en amont de cet aboutissement-là, lorsqu’il y a convergence potentiellement probable entre l’être dans son individualité, ses interlocuteurs et le peuple juif dans sa globalité, que ne peut cesser de débuter la quête, à son tour, du Judaïsme contempo-rain, d’une juste, commune et intelligible attitude adaptée aux exigences mêmes de sa pérennité.

La conversion au Judaïsme, nous avons donc décidé d’en parler ouvertement… ■

INFOS ?BOUCHE TROU

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par Philippe Lewkowicz

Ces extraits de la prière que nous lisons chaque shabbat, montre l’attachement du peuple juif de diaspora, et particulière-ment de notre communauté, à Israël. Cette année, le pays où coule le lait et le miel fête ses soixante ans d’existence comme Etat moderne et démocratique. Il importe, à la veille de cet anniversaire, de rappeler cet engagement de solidarité active qui est le nôtre depuis la création de Beth Hillel.La présence, au cours des ans, de très nombreux membres de la communauté à toutes les manifestations en faveur d’Israël montre combien cet engagement est partagé par chacun de nous. Cette année jubilaire, nous la marquerons en nous associant de manière active à la Fédération Sioniste de Belgique, en partici-pant aux festivités qui auront lieu au Heysel au mois de mai prochain.En même temps, soit du 8 au 18 mai, Beth Hillel organise un superbe voyage en Israël, dont vous trouverez le programme détaillé dans ces pages, et au cours duquel nous marquerons deux étapes qui prouveront notre attachement à la terre et au peuple d’Israël. En effet, nous inaugurerons le deuxième Bosquet de Beth Hillel en Haute

Galilée - là où les hommes et les forêts ont tant souffert en août 2006 - et nous serons reçus par les enfants de l’Internat de l’Ecole Levovich de Natanya à qui nous remettrons le chèque qui, grâce à vous, leur permettra de continuer pendant deux ans encore leurs activités psychopédagogiques. Je tenais à préciser ces deux événements car, à Beth Hillel, comme pour le reste, il n’y a pas de réflexion sans action. Nos rabbins nous enseignent, lors de la pose des Tefilin, que le phylactère qu’on met sur le front repré-sente la réflexion et celui qu’on enroule sur le bras, l’action. Pour Israël, c’est la même chose, nous ne faisons pas que dire notre solidarité, nous la posons en actes. Ces actions sont les vôtres. Beth Hillel, c’est vous! C’est donc à vous tous, chers Amis, que reviennent tous les remerciements que nous recevons aussi bien du K.K.L. que des enfants de l’Internat.

Am Israël Haï!

P.S.: Il reste encore quelques places pour le voyage en Israël. Joignez-vous à nous en téléphonant au secrétariat de Beth Hillel (02 332 25 28). ■

Le mOT Du PRésIDeNT

Le mot du président

«… Et nous te bénissons pour la restauration de l’Etat d’Israël… Etablis, ô Dieu de paix, la paix définitive entre Israël et les Etats voisins…»

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le shofarJuDAÏsme

Conversion , Giour et identitéPar Rabbi Floriane Chinsky

La question de la conversion, sujet brûlant et infiniment sensible, est au cœur des défis identitaires, sociologiques et philosophiques de notre époque. La conversion au judaïsme est un enjeu identitaire, pour les juifs comme pour beaucoup de non juifs. Le fait même qu’une « conversion » existe marque le fait qu’existe une différence, qui peut poser problème à certains.

L’identité juive, un questionnement de l’identité humaineNous commençons par poser la question identitaire et nous demander : « Qui som-mes-nous ? Qu’est-ce qu’être juif ? » Elle est le préliminaire obligatoire à celle de savoir comment on le devient. La question de notre identité nous amène à celle de notre spéci-ficité, par comparaison aux autres. Définir qui nous sommes, c’est définir qui nous ne sommes pas. L’identité juive questionne l’identité humaine. Comme l’identité n’est pas statique mais se révèle dans l’action, il faut alors demander quelles sont les passe-relles entre nous, les actions que juifs et non juifs peuvent mener ensemble et les chemins qui permettent de rejoindre le peuple juif.

La mer à notre gauche, la mer à notredroite, éviter Charybde, contournerScyllaA la croisée des chemins entre particula-risme et universalisme, le judaïsme nous encourage à nous respecter nous-même en respectant l’autre, à aimer notre tradition sans être prosélyte, à accepter que l’on se joigne à nous sans nous croire supérieurs, à insister sur la légitimité d’une identité humaine non juive sans exclure.

Comme toutes les questions humaines, et plus particulièrement celles qui touchent si directement à notre identité, à nos croyances et à nos conditions de vie, l’équilibre est difficile à trouver et difficile à expliquer. Encourager les conversions peut être perçu comme la croyance en une supériorité de l’identité juive tout aussi bien que leur excessive limitation. Entre la Charybde du « il faut nous rejoindre car hors du judaïsme point de salut » et la Scylla du « vous ne pouvez pas nous rejoindre, vous n’êtes pas à la hauteur », il n’y a pas d’autre voie que la droiture, comme les enfants d’Israël marchant entre les murailles d’eau lors de la traversée de la mer1, pas d’autre chemin que la conscience de ce que nous faisons et pourquoi, que la volonté d’expliquer pour lever les incompréhensions.

Des alliances fondées sur lerespect d’autruiCe travail sensible d’explication est notre responsabilité collective en tant que communauté. Ici, plus que dans tout autre domaine, il est important de choisir nos mots avec soin, de nous mettre à la place de nos interlocuteurs, d’accepter leurs sentiments et leurs craintes, avant d’énoncer notre point de

Ex.14 :22 : ויבאו בני ישראל בתוך הים ביבשה והמים להם חמה מימינם ומשמאלם 1

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JuDAÏsme

Talmud מפני שנוחין ועלובין היו, ושונין דבריהן ודברי בית שמאי. ולא עוד אלא שמקדימין דברי בית שמאי לדבריהן 2

babylonien érouvin 13bGén. 14 :13 ויגד לאברם העברי והוא שכן באלני ממרא האמרי אחי אשכל ואחי ענר והם בעלי ברית אברם 3 ויגד לאברם העברי והוא שכן באלני ממרא האמרי אחי אשכל ואחי ענר והם בעלי ברית אברם 4

Ex. 20 :2 et Deut. 5 : 6 C’est : אנכי ‘ה אלהיך אשר הוצאתיך מארץ מצרים מבית עבדים לא יהיה לך אלהים אחרים על פני

de cette façon que se développe l’ensemble de notre enseignement. Nous nous contenterons ici de citer la première des Dix

Paroles : « Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. ». Cette première parole

pose la liberté comme base de tout, l’action « divine » ou « religieuse » comme celle qui s’attache à encourager la quête de la

liberté pour soi et pour autrui.

vue. Ici, plus qu’en tout autre domaine, nous voulons rester attachés à l’enseignement de Hillel, dont l’école a eu la prépondérance en raison de sa modestie et de sa douceur. Hillel et son école respectaient la vérité dans son caractère relatif, la liberté de penser d’autrui et en particulier de leurs opposants, énonçaient les arguments en leur défaveur avant ceux qui soutenaient leur point de vue2. Cette approche n’est pas une attitude « angéliste » mais une attitude pédagogique, qui éveille l’intelligence et l’autonomie. Cette attitude est la seule qui puisse nous permettre de créer une atmosphère de collaboration, de rendre possible cette alliance (ברית), cette communauté de valeurs et d’action qui est au centre de notre identité fondée au mont Sinaï. Elle est la seule aussi qui puisse inspirer notre action commune avec les non juifs dans l’aventure humaine, dans cette première alliance de création qu’est l’alliance de Noé.

Comprendre les sourcesd’incompréhensionNotre peuple, malgré sa diversité, apparaît aux yeux de l’extérieur comme soudé et solidaire, comme un sous-groupe au sein des nations. S’il existe de très nombreuses microsociétés au sein de la société globale, la nôtre est investie affectivement de façon forte par beaucoup de gens. On peut consi-dérer l’alliance comme un « contrat social » ou comme les statuts d’une association. Le fait que nous ayons la nôtre n’exclut ni l’exis-tence d’autres « britot » ni celle d’alliances «parapluie», à la suite d’Abraham, par

exemple, qui vivait avec ses voisins dans un rapport de coopération, avec des alliés, des « baalé brit » (בעליברית)3.Dans le monde chrétien, notre existence est source d’un questionnement qui débou-che sur deux types d’attitudes. Pour cer-tains, elle dérange, l’« ancienne alliance » juive ayant été remplacée par la nouvelle. Cette attitude peut mener au désir que les juifs soient ou bien éloignés totale-ment de la société, écartés, stigmatisés, ou encore intégrés totalement au monde chrétien, déjudaïsés, convertis. D’autres, au contraire, et il ne faut pas sous-esti-mer leur nombre, se passionnent pour les racines juives du judaïsme et nous portent un immense respect, ils veulent se rappro-cher de nous pour mieux se comprendre eux-mêmes. Notre respect et notre bien-veillance doivent les accueillir.Certains milieux athées ont aussi leurs propres questionnements. L’égalité en droit semble à certains devoir être assurée par l’égalité totale, le partage d’une même identité, qu’elle soit appelée « idéologie de parti » de type communisme ou nommée « culture d’entreprise » version disneyland. D’autres athées, laïcs ou libres-penseurs ont eu l’occasion de voir et l’intelligence d’accepter le fait que le judaïsme véhicule la liberté et la responsabilité.4

Décryptage de certaines accusationsde fermetureLes sociétés qui prétendent être les seules à incarner la pensée universelle, qu’elles soient religieuses ou laïques, ne peuvent accepter la

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Gén. 12:3 : המדאה תחפשמ לכ ךב וכרבנו ראא ךללקמו ךיכרבמ הכרבאו 5

différence juive. Elles la perçoivent comme de la fermeture, de l’exclusion, un jugement. Elles ont raison. Notre tradition reconnaît l’existence de « familles de la terre », chaque civilisation a son génie, aucune ne doit imposer son génie au autres. Pour cette raison, nous refusons Babel.

Nous avons toujours combattu le polythéisme et le syncrétisme, qui essayent de niveler l’expérience humaine. Tout nivellement se fait par le bas, et le judaïsme considère que l’Homme doit grandir. C’est en cela que s’exprime notre devoir, à nous, enfants d’Abraham, d’être « une bénédiction pour les familles de la terre »5. Les autres héritiers d’Abraham sont à nos côtés dans ce devoir de valorisation (bénédiction, de la diversité humaine (des familles (ברכהde la terre, משפחת האדמה). Notre peuple est humain, dans son chemin, dans sa volonté de grandir, et aussi dans ses erreurs. Certaines attitudes juives, nous le savons, ne s’inscrivent pas dans cet esprit d’équilibre et de respect infini des autres traditions. Ces attitudes sont critiquables, mais il n’est pas nécessaire d’en faire une affaire personnelle. Nous savons tous que le monde et l’être humain, juif ou non, sont très perfectibles. Il est bon d’essayer d’y travailler.

Une critique trop absolue, émotionnelle, anti-constructive, de la part de personnes qui ne souhaitent pas étudier et qui ne voient que les aspects négatifs, ne rentre plus dans le cadre de la critique légitime de l’identité juive. Elle exprime au contraire une critique de la différence en tant qu’elle-même. Elle exprime la frustration de ne pas être reconnu comme détenteur de la seule vérité universelle. Dans de tels cas, c’est celui qui critique la fermeture d’autrui qui témoigne d’une prétention à détenir la recette parfaite, exclusive et universelle de l’humain.

Savoir ce que dit réellementnotre traditionCertains juifs se laissent convaincre que nous sommes un peuple fermé par certai-nes attitudes – qu’elles soient chrétiennes, laïques, médiatiques ou extrémistes jui-ves – et s’éloignent. Si nous voulons garder cet équilibre incroyable et fragile qui nous permet d’être nous-mêmes tout en respec-tant les autres, nous avons besoin, qu’au lieu de s’éloigner, ces juifs se rapprochent. Nous ne devons pas nous laisser impres-sionner. Notre tradition est très claire en ce qui concerne l’identité juive et l’identité humaine et très claire en ce qui concerne la politique de l’entrée dans notre peuple. Ne nous laissons pas convaincre que notre judaïsme ressemble à un petit village gau-lois assiégé. Nous n’avons pas besoin de potion magique, mais un peu d’étude. Nous la poursuivons à l’occasion des cours de judaïsme, pensée et pratique, et nous pour-suivrons nos réflexions sur la conversion au cours des prochains Shofar.

Il n’y a pas de conversion au judaïsmeLes mots sont trompeurs. Les concepts de notre tradition sont difficilement tradui-sibles. A travers la traduction, ils revêtent des connotations qui induisent en erreur. Se convertir, c’est se transformer, passer d’une chose à une autre, changer d’identité, certai-nement quitter une identité médiocre pour en rejoindre une autre, plus désirable.La conversion au judaïsme n’existe pas.Ce que nous faisons au contraire, est un Giour (גיור). Celui qui rentre dans le judaïsme est nommé Guer. Ce mot signifie, celui qui habite. On ne se convertit pas au judaïsme, on y rentre. On décide d’adopter l’espace et le temps juif, d’habiter dans le judaïsme, de partager avec ses « voisins » préoccupations, rêves et projets. C’est cela, entrer dans l’alliance, dans la brit, l’alliance (ברית), dans la brit mila, l’alliance du mot, la circoncision (מילה ברית).

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תליני אלין עמך עמי ואלהיך אלהי: באשר תמותי אמות ושם אקבר כה יעשה יקוק לי וכה יסיף כי המות יפריד ביני ובינך 6Ruth 1 :16-17 : ותאמר רות אל תפגעי בי לעזבך לשוב מאחריך כי אל אשר תלכי אלך ובאשר

Il n’y a pas de raison de changer d’identité, de dénigrer les autres ou nous-mêmes. Chacun est en chemin vers l’humain, juif et non juif, chacun a beaucoup à apprendre encore, juif ou non juif. Certaines personnes sentent que leur place est avec nous, dans notre façon particulière – juive – de participer au grand projet humain. D’autres font avancer les valeurs universelles à leur façon, « religieuse » ou non, militante ou non, croyante ou non, agissante ou non, dans toutes les autres microsociétés, des groupes de prières aux groupes d’entre aide, des groupes de lecture et d’étude aux associations. L’important est que chacun trouve une place où il puisse grandir et grandir les autres.

Léhitgayer (להתגייר), c’est découvrir le rêve juif et vouloir s’y adjoindre, c’est vouloir venir habiter avec nous, comme Ruth le dit à Noémie : « Là où tu iras, j’irai, là où tu dormiras, je dormirai, ton peuple, c’est mon peuple, et ton dieu, c’est mon dieu. Ce par quoi tu mour-ras, je mourrai, et là je serai enterrée.6» (Ruth I 16-17).

Je souhaite que ce mot nous aide à effacer tous les préjugés qui pèsent sur le concept de conversion, à nous souvenir qu’affirmer sa différence avec beaucoup de douceur et d’a propos, c’est défendre la liberté de chacun de participer à l’aventure humaine d’une façon qui lui convient, en réalisant ses qualités propres ensemble. ■

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Hillel et l’homme en équilibre ; le Giour comme un révélateur de notre identité Talmud Babylonien, Chabat 31a

Par Rabbi Floriane Chinsky

Une série d’histoires passionnantes mettent en scène Chamaï et Hillel répondant aux deman-des de conversion les plus étranges. Ces histoires forment un tout, mais nous allons pour l’instant nous contenter de la plus célèbre :

« Autre anecdote concernant un non juif qui vint se présenter devant Chamaï et lui dit : « Fais-moi rentrer (dans le judaïsme) à la condition que tu m’enseignes toute la Torah pendant le temps où je me tiens sur un pied. » Il l’a repoussé avec son bâton de maçon. Il se présenta devant Hillel, qui l’a fait entrer. Il lui a répondu : « Ce que tu détestes, ne le fais pas à tes amis», voilà toute la Torah dans son entier, le reste est commentaire, va et étudie ! »

Avant de développer quelques éléments de ce texte, je vous invite à l’étudier. Lisez-le et « ques-tionnez »-le (c’est de là que vient le mot midrach : ce qu’on obtient quand on questionne le texte). Il est conseillé d’étudier avec d’autres personnes, amis, partenaire, parents, enfants. Chacun peut donner son avis ! Par ailleurs, je serais très heureuse que vous partagiez vos réflexions avec nous et avec toute la communauté.

Quelques questions pour éveillerle dialogue Que sait-on de Hillel et de Chamaï ? Qu’ap-prend-on d’eux à travers cette histoire ? Peut-on comprendre leurs attitudes res-pectives ? Que pensez-vous de l’attitude de l’homme qui vient les trouver ? Comment auriez-vous agi à la place des sages ? Et si vous aviez été vous-même désireux d’entrer dans le judaïsme ? Quelles réalités humaines sont mises en avant dans ce texte ? Si vous deviez résumer la Torah en un seul principe, lequel choisiriez-vous ? Combien de temps pouvez-vous tenir sur un pied ? Vous êtes-vous déjà trouvé dans des situations où vous étiez très fragiles comme cet homme, ou très puissants comme ces sages ? Y a-t-il des situations, dans le monde ou dans l’his-toire, qui obéissent au même schéma ? Com-

ment, dans ces situations, souhaiteriez-vous que l’on agisse à votre égard ?

Quelques réflexions à partagerBeaucoup de choses sont surprenantes dans ce texte. Premièrement, l’attitude de cet homme qui prétend s’adjoindre au judaïsme, en n’étudiant que pendant le temps de se tenir sur un pied. Lorsqu’on connaît l’étendue des sources juives et leur richesse, on se demande comment cet homme ose se présenter ainsi devant les sages. Il utilise l’impératif, il pose une limite de temps, il marque cette limite de temps de façon ridicule en la délimitant comme le temps de se tenir sur un pied. Il fait tout cela devant un sage réputé pour sa rigueur. Nous comprenons le refus de Cha-maï. Il semble que l’homme se présentant

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ainsi n’avait rien à espérer d’autre, qu’il agissait par provocation et par défi, qu’il a obtenu ce qu’il voulait.

Pourtant, cet homme persévère et se pré-sente devant Hillel. Pourquoi ? D’où lui vient cette obstination ? Un rejet ne lui a-t-il pas suffit ? Il se peut qu’il tienne vrai-ment à entrer dans le judaïsme. Il se peut qu’il veuille continuer la bonne farce qu’il a déjà jouée à un sage en réussissant à se faire rejeter. Il est probable que ces deux éléments soient présents ensembles dans son attitude. A quoi s’attend-il ?La réponse de Hillel sera différente de celle de Chamaï. Le texte n’est pas clair sur la chronologie. Hillel a-t-il d’abord fait entrer cet homme dans le judaïsme ou lui a-t-il d’abord parlé ? Quoi qu’il en soit, tout se fait très vite. La réponse de Hillel est très courte et très minimaliste. Il ne s’agit pas de respecter tous les commandements, ni tous les commandements vis-à-vis du prochain, ni même le simple « amour » du prochain qui figure dans la paracha kédochim3.

Il s’agit juste d’un commandement négatif : s’abstenir de quelque chose. Il s’agit de s’abstenir de faire une chose dont on comprend intuitivement qu’elle pose problème, puisque soi-même on la déteste. Il s’agit de s’abstenir de faire ce qu’on déteste soi-même non pas à tout être vivant ou à tout être humain, mais à ses amis. Cette réponse est à mille lieux de l’enseignement juif, qui insiste sur une éthique au plus haut niveau, et qui tente de la protéger par des commandements très concrets.Pourtant, la réponse de Hillel est infiniment juive car il ajoute : le reste est commentaire, va et étudie. Chacun peut accepter de ne pas faire à ceux qu’il aime ce que lui-même déteste. Chacun, à la réflexion, comprend que l’application de ce principe n’est pas si simple et peut être incité à approfondir ce commandement. Avec un enseignement aussi pédagogique que la réponse d’Hillel, le reste viendra.

Hillel a considéré que la demande de cet homme n’était pas insultante, mais qu’elle était l’expression d’un sentiment et d’une volonté réels. Le caractère étrange des demandes reflète souvent des problèmes humains. Si cet homme se sent juif, il est sur un pied, en déséquilibre du fait de la dif-férence entre son sentiment de faire partie de l’alliance et le fait qu’il n’y est pas encore reconnu. Il est sur un pied, il le restera tant que cette situation délicate se prolongera. Il ne peut être « converti » que « sur un pied ».

Pourtant, l’entrée dans le judaïsme ne se satisfait pas d’un sentiment personnel d’être juif. Il faut avoir également connaître le sens de cette identité et vouloir faire entrer cette réalité dans sa vie quotidienne. Tout en comprenant la situation délicate de cet homme, on se demande comment y remé-dier. La réponse de Hillel est, de ce point de vue encore, extraordinaire : « Ne fais pas à ton ami ce que tu détestes pour toi ». Hillel exprime le devoir d’empathie en même temps qu’il le met en pratique. Il comprend le problème humain et lui demande d’être capable à son tour de comprendre les pro-blèmes humains. Il donne en même temps un enseignement oral et un enseignement par l’exemple, il joint l’acte à la parole, comme nous le faisons à toute occasion à travers les bénédictions quotidiennes.

Hillel n’a pas transmis un principe philoso-phique à cet homme, il lui a donné l’occa-sion d’expérimenter une certaine éthique de vie. Il lui dit, à sa façon, cette phrase qui revient sans cesse dans la Torah : Respecte, aime, protège l’étranger car tu as toi-même été esclave en pays d’Egypte4. Tu as été étranger en venant me trouver, dit Hillel. Tu n’aurais pas voulu qu’on te rejette ? Ne rejette pas autrui. De façon plus large, as-tu expérimenté le désagrément d’être « sur un pied », en déséquilibre ? Sois donc attentif à ton prochain pour faire pour lui ce que j’ai pu faire pour toi. Toi aussi, apprends à join-dre le geste à la parole.

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Il reprend également de façon plus directe « aime ton prochain comme toi-même ». Trouve en toi-même, dans tes propres expé-riences, les ressources pour comprendre les autres. En respectant cet homme, Hillel lui impose le respect.

La réponse de Hillel comprend peut-être aussi deux sous-entendus. L’un serait orienté vers Chamaï qui, en se comportant de façon méprisante, a enfreint le principe présenté par Hillel comme résumant l’en-semble de la Torah ! Sans critiquer, Hillel réaffirme le principe du respect de l’autre et aide cet homme à soigner en lui l’affront qui lui a été fait.

Le deuxième sous-entendu est destiné à l’homme lui-même. Tu n’as pas aimé l’attitude

méprisante de Chamaï ? Prends garde à ne pas agir d’une façon qui peut sembler mépri-sante, en demandant à un sage, qui reste un être humain, d’enseigner pendant que tu te tiens sur un pied, ce qu’il sait qu’il n’arrivera pas à apprendre en toute une vie. Et enfin, si tu n’aimerais pas que l’on te trahisse, garde ta fidélité à Israël, maintenant que tu en fais partie.

Par son attitude comme par ses paroles, Hillel fixe les principes de notre identité : la centralité des commandements vis-à-vis du prochain, la nécessité de joindre toujours l’acte à la parole, l’importance majeure de l’étude qui nous permet d’avancer dans le chemin de l’humanité, de poursuivre la construction de notre identité, la prévalence de la capacité d’accueil. ■

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Conversion : l’aboutissement d’une recherche ?

Par Ralph Bisschops, Dr.phil.

D’après le dictionnaire, c’est le passage de l’incroyance à une religion ou d’une religion à l’autre. Et l’incroyance, c’est quoi? C’est être persuadé qu’on n’a pas «à croire»? Et «être persuadé», c’est quoi? Et celui qui «ne croit pas ses yeux», c’est un non-croyant? Et s’il «ne croit pas que ses yeux», mais croit en quelque chose que ses yeux ne voient pas, par exemple le rayonnement ultraviolet, est-il pour autant «un croyant» ou un «non-croyant»?

Ce jeu de mots-là, on pourrait le continuer à l’infini. Nous ne nous rendons pas compte, à première vue, à quel point notre comportement au quotidien est basé sur la «croyance» en des choses et des phénomènes appris dans le cycle éducatif ou des choses dites par quelqu’un en qui nous avons plus ou moins confiance: maman, papa, l’institutrice, le prof, l’agent de police, un passant accosté dans la rue, etc. Sources d’informations scientifiques, humaines, sociales ou expérimentales et trafiquées néanmoins. Finalement, nous nous rendons compte qu’il faut souvent choisir. Confrontés à une «thèse», il faut – et nous le faisons souvent – explorer aussi une «anti-thèse» et, finalement, par expérience, par le vécu, par l’affinité, parce qu’on y croit ou non, construire ou choisir une «synthèse». Ce qui nous intéresse ici – et nous allons nous y limiter – c’est la conversion au monothéisme juif, tel que nous le connaissons et que nous le pratiquons, même si les remarques générales ci-dessus s’y appliquent.

Conversion? Il y en a qui étaient plongés dans le Judaïsme depuis leur enfance, mais qui l’ont abandonné à cause de l’insuffisance de leurs connaissance d’un côté, et sous l’influence d’un raisonnement simpliste, propre à l’adolescence «éveillée» et des années d’adulte-débutant de l’autre; les deux imbus de la logique élémentaire et d’une approche dite «scientifique» datant d’un petit siècle avant la théorie de la relativité et de la mécanique quantique; le tout doublé d’un manque d’expérience et de vécu. Et puis, quand on est jeune, l’appétit du corps est tel que, spontanément, nous avons l’impression que tout devrait servir à le satisfaire, à le nourrir. Quant à l’esprit, il se trouve être le serviteur qui cherche et procure cette «nourriture». Ce pauvre «serviteur» picore en passant ce qui l’amuse ou l’intrigue (lui, et pas le corps). Ce rapport entre corps et esprit n’évolue pas chez tous de la même manière. L’éducation, le milieu, l’entourage immédiat, les circonstances et le hasard jouent leur rôle et le résultat est rarement prévisible. Et, de plus, il y a la personnalité propre de l’individu, ses réactions. Au fur et à mesure que le corps se calme, l’esprit se préoccupe davantage de ses propres envies. Et, c’est alors qu’il s’appesantit sur «comment se fait-il que…? A quoi sert…? Pourquoi sommes nous…? Pourquoi dois-je…? J’aurais bien voulu savoir… J’aurais bien voulu comprendre…» Toutes ces questions – et d’autres encore – le poursuivent tout au long de la journée et, parfois même, la nuit. Et c’est alors qu’il cherche à gauche et à droite et qu’il

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devient un esprit-chercheur. C’est ainsi que certains parmi ces «chercheurs» trouvent des réponses à leurs questions dans l’enseignement religieux juif, s’y accrochent et se convertissent. Ou y retournent après une longue absence ou rupture.Un adage juif dit: «quand un ver est né dans la racine du raifort, il s’imagine que c’est ce qu’il y a de meilleur au monde». Qu’il est inutile de chercher ailleurs. Mais, comme la vie est plus riche en possibilités que nous ne l’imaginons, les choses inattendues arri-vent. Inattendues comme le contact, la per-ception d’une vision du monde, d’une vie spirituelle tellement différentes de ce que l’on pensait avoir saisi au début, et attrayan-tes après observation, après essai, après réflexion ou expérience vécue.

«Ils erraient dans le désert, par des che-mins isolés, sans trouver de ville habitée. Eprouvés par la faim et la soif, ils sen-taient leur âme défaillir en eux. Mais ils crièrent vers l’Eternel dans leur détresse; Il les sauva de leurs angoisses. Il les guida par une route toute droite pour les amener dans une ville habitée. Qu’ils rendent grâce à l’Eternel pour sa bonté, pour ses miracles en faveur des hommes! Car Il rassasia l’âme exténuée et remplit de délices l’âme affamée.» (Ps. 107/4-9).

La «ville habitée»? C’est le lieu où les hommes forment une société, où fleurit la richesse culturelle et le bonheur de la convi-vialité. Si tout cela manque, la ville devient déserte au lieu d’être habitée et ses habi-tants fuient vers les champs et les forêts où fleurit le corps et où l’esprit somnole ou se morfond; ou encore où il a faim et soif (cf. Ecc 10/15).Ce psaume 107 date de la Haute Antiquité et le monothéisme, la croyance en un dieu unique et créateur de tout, existe depuis que l’homme a été créé. La Bible nous apprend aussi, dès le début, qu’on peut y croire et pourtant se laisser aller à toutes sortes d’incohérences et être tenté par la bêtise.

Car ni la croyance, ni le savoir ne sont des «monoblocs» avant d’être cimentés par l’expérience et le vécu. C’est cela la première mésaventure d’Adam et Eve. Et c’est celle de chacun de nous, sous l’une ou l’autre forme.La Tora mentionne – en passant – l’existence de différents individus qui étaient des monothéistes à titre strictement individuel. C’étaient des hommes dont la croyance et probablement la pratique de la vie constituaient une exception dans la société dont ils faisaient partie. Il y avait, par exemple, Hénoc (Gen. 5/21-24), Noé (Gen. 6/8), Melchitzedek (Gen. 14/18-20), Abimelec (Gen. 20/3-7, et ailleurs). Parfois, c’était très mal vu, comme, par exemple pour Yethro, prêtre de Midian. Les bergers locaux empêchèrent ses filles bergères d’abreuver leurs brebis, probablement parce que leur père avait abandonné l’idolâtrie locale et s’était tourné vers le monothéisme (Ex. 2/16-21). Moïse lui-même est, au début, un exemple d’homme «entre les deux». Dès sa naissance et pendant tout son temps d’allaitement – jusqu’à l’âge de 6 ans? – il avait été imprégné du monothéisme de sa famille. Et après? Vivre toute son adolescence et le début de l’âge adulte comme fils adoptif de la fille du pharaon à la cour royale – idolâtre par excellence – ne laisse pas intacts les souvenirs d’enfance. Même si rien ne peut les effacer. Et Moïse, jeune adulte tiraillé, devient un homme qui «cherche». Et D. sait si, de temps à autre, il n’a pas entendu derrière son dos «ce sale youp!» lancé par un courtisan jaloux.

D’abord, il agit en «Zorro», en justicier auto-proclamé (Ex. 2/11-14). Ensuite, quand cela rate, Moïse, en fuite, devient un homme qui cherche, qui se cherche. L’idolâtrie dans laquelle il avait vécu le laisse totalement froid. L’apparition du buisson ardent est une véritable épreuve (Ex. 3/2-4). Tout berger, à la place de Moïse, aurait cru que c’était un «shed», un démon du désert, «connu» des idolâtres et craint par-dessus tout. Quand D. constate que ce qui dévore Moïse n’est pas

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la peur et la superstition, mais la recherche, le désir de comprendre et de savoir, l’»exa-men d’entrée» de Moïse pour ses nouvelles fonctions réussit 10/10. Et D. entame le dia-logue (Ex.3).

Le cas d’Abraham est très différent. Pour accentuer à quel point il était imprégné d’idolâtrie, nos commentateurs disent que Terah, son père, était un marchand d’idoles et qu’Abraham travaillait dans le commerce de son père! Pour comprendre la conversion d’Abraham dans de telles circonstances, il faut s’imaginer jusqu’à quel point Abraham «cherchait». Quand il «trouve», il comprend une chose d’une importance capitale: il ne suffit pas de «chercher» et de «trouver». Il ne faut pas condamner ses descendants à grandir dans l’idolâtrie et les obliger à «cher-cher» comme lui. Peut-être se disait-il: «Moi, Abram (ce n’était pas encore Abraham!) je l’ai vécu et je sais comme c’est dur. Mes frères n’ont réussi qu’à moitié; comme mon père d’ailleurs. Pourquoi ne pas transmettre cette «trouvaille», le monothéisme, de père en fils? Pourquoi ne pas essayer d’organiser une société où le monothéisme se transmet-trait de «pères en fils»? D’une génération entière à l’autre? Je ne saurais pas le faire ici, en Chaldée… Ici nous vivons sous une vraie dictature païenne. Il faudra aller vivre quelque part où les dictatures sont petites et dispersées. Comme à Canaan, par exem-ple… Je vais parler à mon père...» Ce mono-logue imaginaire est suggéré par le texte qui dit que c’est Terah qui a pris sa famille et ses biens pour partir à Canaan (Gen. 11/31), mais il s’arrêta aux frontières de Chaldée. Probablement en se disant: «Bon! Ici à Harân, nous sommes assez loin du dictateur et j’en ai assez de voyager!»Quand vous faites le premier pas dans la bonne direction, quand vous choisissez la bonne voie, alors, souvent, D. vous aide pour continuer. Quand Terah, fatigué, s’assied, D. adresse la parole à Abraham et lui dit de continuer. Il lui promet que son rêve d’une société – et même plus – monothéiste sera

un jour réalisé et que lui, Abraham, sera uni-versellement reconnu comme le fondateur du monothéisme social à l’échelle mondiale (Gen. 12/1-3). Le texte le confirme plus tard (Gen. 18/17-19).

Voilà pour les «chercheurs». Nous nous arrê-terons là, même si la Bible et l’Histoire sont riches d’autres noms. Passons à des hommes et des femmes qu’on ne considérerait pas comme «cher-cheurs» ou comme «affamés», mais qui sont en «appétit». Des gens ordinaires, qui continuent leur vie tel quel, mais avec une petite envie de quelque chose de plus dans le domaine spirituel ou moral. Mais, quand l’occasion croise leur chemin, ils la saisis-sent! Le cas connu, et reconnu comme clas-sique, est celui de Ruth.

Le «Livre de Ruth», que nous lisons à Cha-vouot (il n’est pas interdit de le lire à d’autres moments…) nous raconte l’histoire d’une Moabite, mariée à un Juif migrant dans le pays de Moab. Comme les choses se faisaient à l’époque – plus de 3000 ans en arrière – on l’avait probablement «mariée». C’est ainsi que Ruth, sans le chercher, s’est trouvée en contact avec le Judaïsme, a pu «goûter» ce que c’était et n’a plus voulu rien d’autre. Plus tard, après le décès de son mari, sa belle-mère Noémi, veuve depuis des années, se prépare pour rentrer dans sa Judée natale. Elle propose avec insistance à Ruth de res-ter à Moab et de retourner dans la maison de son père, sa maison natale. Vient alors la réplique archi-connue de Ruth:

«N’insiste pas près de moi pour que je te quitte et m’éloigne de toi; car partout où tu iras, j’irai; où tu demeureras je veux demeurer; ton peuple sera mon peuple et ton dieu sera mon dieu; là où tu mourras, je veux mourir aussi et y être enterrée. Que l’Eternel m’en fasse autant et plus (forme de serment) si jamais je me sépare de toi autrement que par la mort!» (Ruth 1/16-17).

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C’est ainsi que Ruth la Moabite est partie avec Noémi à Bethléem et est entrée défini-tivement dans le Judaïsme et dans la société juive. Plus tard, elle épousera Boaz, un Judéen de Bethléem. En quatrième généra-tion, Ruth deviendra l’arrière grand-mère du roi David. Ces «va-et-vient» d’une croyance ou d’une religion à une autre, existent depuis la Haute Antiquité jusqu’à nos jours. Même dans chaque religion, il existe des sectes et des nuances, des tendances et des commu-nautés avec leurs règles et coutumes, qui admettent ou non les nouveaux venus, sauf si…. Bien sûr, il y a également des règles communes. Le Judaïsme, par principe, ne pratique pas le prosélytisme. Il est interdit de rappeler à un converti le fait qu’il était avant un non-Juif. Sauf si… En tant que Juifs, nous avons l’obligation de nous conduire d’une façon qui «sanctifie» le Nom de D. aux yeux des non-Juifs. Et d’éviter le contraire, c’est-à-dire une conduite qui Le discrédite, Le pro-fane. Ces conduites positives ou négatives sont une question de choix, à condition d’en être conscient. C’est notre «carte de visite» auprès de ceux qui cherchent, qui nous observent, qui nous jugent.

«Voyez, je vous ai enseigné des lois et des statuts, selon ce que m’a ordonné l’Eternel, mon D., afin que vous vous y conformiez… Observez-les et pratiquez-les! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu’ils auront connais-sance de toutes ces lois, ils diront: Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation!» (Deut. 4/5-6). Et aussi «Paix, paix (bienvenue!) pour qui vient de loin comme pour le plus proche! Je le guérirai» (Is. 57/19).

Ces citations, pour nous rappeler que notre première tâche est d’aider l’autre à trouver le chemin et de contribuer ainsi d’une façon essentielle à l’équilibre et à la paix de l’Hu-manité. Ce dont nous rêvons tous. Pour terminer, revenons brièvement à la toute première question: l’incroyance, c’est

quoi face à la religion?L’incroyance est souvent vue comme le premier pas nécessaire pour une approche scientifique du monde et de ce qui s’y passe. Elle est opposée à une approche dite dog-matique. Une autre formulation, plus claire peut-être, présente cette différence comme celle entre causalité et finalité. La science essaie de répondre aux questions qui com-mencent par «comment se fait-il que…? Why…?» L’approche finaliste, par contre, cherche à définir «dans quel but…? What for…?» A première vue, les deux peuvent éventuellement se compléter, mais l’appro-che dite «scientifique» considère l’autre comme une tentative de la discréditer. Cela se ressent surtout très fort dans la biologie. Dans son livre ‘Entre le cristal et la fumée’ (p. 14), Henri Atlan rappelle que «les rela-tions particulières de la biologie avec le fina-lisme sont bien résumées dans une formule connue: la téléologie - raisonnement par causes finales – qui est comme une femme sans qui le biologiste ne peut pas vivre, mais dont il a honte d’être vu avec elle en public». Cette formule daterait du milieu du XIXème siècle. Elle est toujours d’actualité. Pour nous, les Juifs – inspirés par la finalité religieuse –, la science, son approche et ses moyens permettent de réduire les dégâts au minimum et rendent plus facile d’atteindre la fin et de gonfler le bonheur au maximum possible. Nous essayons d’utiliser au mieux nos connaissances scientifiques au service de la finalité, les directives de l’enseigne-ment religieux. Car à part savoir «pourquoi» (Why?), l’homme est appauvri s’il manque un but (what for?). Notre religion offre à l’homme un but qui le dépasse en durée (la vie), en espace (le monde) et en volume (le corps). Le tout, par une moralité lui permet-tant de rester sur le bon chemin.

«Qui est sage pour comprendre ces choses, intelligent pour le connaître? Droites sont les voies de l’Eternel, les justes y marchent ferme, les pécheurs y trébuchent» (Osée 14/10). ■

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L’accueillant accueilliPar Richard Kenigsman1

J’ai toujours aimé dessiner et peindre des histoires juives comme certains se plaisent à en raconter, avec humour et malice.Mon imagination subversive et moqueuse s’emparait sans scrupule d’une blague, d’une affiche, d’un récit biblique pour les détourner de leur droit chemin.Tremper ma plume dans la source et l’en-crier biblique, quel plaisir!Le style s’apparentait au Pop Art, un Pop Art juif, subversif qui procédait par montage, collage ou détournement.J’accueillais souvent dans mes tableaux des personnages aux prises avec les rouleaux de la Loi : la Torah.Je brossais par exemple des Torah dansan-tes et bondissantes dans les bras des rois, ou alors des Torah avalées par des prophè-tes comme des sabres magiques ou mieux encore des Torah fumées par de curieux religieux, intoxiqués par leurs espérances ou leurs certitudes. « J’aime la loi et j’en fume » annonçait l’un de mes personnages.Je prenais beaucoup de plaisir à ces petits jeux sans deviner qu’un jour, un de ces êtres recueilli sur mes toiles au détour d’une his-toire, l’histoire de Jonas, me prendrait à son tour dans ses propres filets. Voici cette histoire, celle de l’accueillant accueilli. C’est mon histoire, celle d’un coup de filet pris à son propre piège, d’un pêcheur à la ligne engendrant sa propre lignée, d’un fil de récit transformé en fils.Voici comment Jonah mon fils passa de mes toiles dans ma vie. Voici l’histoire de son adoption.

« Croissez et multipliez » est le premier des commandements de la loi juive.Jusqu’alors je ne m’en étais guère soucié.

Je me dérobais plutôt sous les robes et les jupes, sans progéniture, sans obligation de résultat hormis les plaisirs que procure ce genre d’expédition bien peu punitive. Sex or Lex , telle était la question.Je me jouais de la Loi, de son joug, de sa rigueur et de sa pesanteur.

Mais un jour, la loi de la vie, sous les traits du petit prophète Jonas, se joua de moi. Elle dis-tingua, sans nous l’annoncer, un enfant que Zita ma femme et moi souhaitions adopter : il s’appelait Jonas, avait 12 mois et vivait à Kau-nas en Lituanie. Or cela faisait des années que je peignais l’autre Jonas, le légendaire Jonas et sa baleine. J’avais en quelque sorte adopté ce héros dans mon univers de peintre, ignorant tout du bébé lituanien. La vie nous avait joué un tour à sa façon en nommant et désignant à Kaunas Jonas, le fils attendu, le fils espéré. Et moi, à Bruxelles, j’avais choisi Jonas comme modèle.

Je l’avais représenté dans mes tableaux et mes dessins emmuré dans son silence, refusant

Voici comment Jonah mon fils passa de mes toiles dans ma vie. Voici l’histoire de son adoption.

1 Auteur de la décoration de la Grande Hannouccia, en 2007, de notre synagogue, Richard Kenigsman a réalisé de nombreuses

œuvres artistiques et exposé notamment au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et au Centre Pompidou(Paris),au Yeshiva

University Museum et à la Alan Brown Foundation (New York), à la West London Synagogue (Londres), à l’Espace Senghor,

ou encore, entre autres, à l’Université Libre de Bruxelles et au Musée Juif de Belgique ; voir son site www.kenigsman.com.

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d’entendre l’injonction divine. J’avais peint ses compagnons d’infortune et décrit ses démêlés avec son Dieu invisible et menaçant. J’avais peint Jonas hésitant entre Ninive et Thar-sis, Jonas implorant le ciel au plus fort de la tempête, Jonas prenant sur lui les pêchés du monde, Jonas déprimé, Jonas tiré au sort, Jonas jeté dans la mer déchaînée et englouti dans le ventre du Grand Poisson, Jonas fina-lement rejeté à Ninive là où son Dieu avait exigé qu’il se rende.

A Ninive, dans un prodigieuxretournementUn Grand Poisson libéra Jonas.A Kaunas, en LituanieUn petit poisson spermatique avait scellé mon sort.L’enfant s’appelait donc Jonas.A Bruxelles, ce prénom pénétra mon êtreMe retourna et me rejeta dans les flots de ma vie.

Nous partîmes pour la Lituanie. Pour ce premier voyage, nous étions trois : Zita ma femme, le Docteur M. amie pédiatre qui nous accompagnait et moi, futur papa, tremblant de peur à l’idée de comparaître devant le tribunal de Vilnius. Un jugement, cinquante et un ans et deux mille kilomètres me sépa-raient du bébé de 12 mois que nous allions adopter. Un ami me dit : « Un spermatozoïde n’est pas un papa ! » Mais, pensais-je, la loi ferait-elle de moi un papa aussi incontesta-ble qu’un papa biologique ? Que valaient les lois de la nature devant celles des hommes, un spermatozoïde devant un aspirant papa?

Nous survolâmes la grande forêt où des mil-liers de juifs furent assassinés par les nazis aidés des milices lituaniennes. Vue du ciel, là où ils furent traînés et mas-sacrés, je ne voyais qu’une masse épaisse et triste, profonde comme le trou de ma mémoire.Soudain surgit Vilnius, aussi appelée avant la Shoah, la Jérusalem du nord. Mon cœur se mit à battre très fort. L’Histoire frappait

sourdement à la porte. Nous retournions vers nos racines. Zita était née à Bucarest, mes parents venaient de Varsovie et nous n’avions jamais songé nous rendre dans un pays de l’ex URSS. Mais nous avions cru à cette histoire d’enfants venus de l’Est lors-que notre avocate, juive orthodoxe, nous avait annoncé d’une voix tremblante- Dieu nous a pris nos enfants, Dieu nous les rend. Les enfants reviennent, les enfants reviennent! Nous avions entendu son cri qui s’élevait par delà le temps des souffrances.Alors nous avons confectionné nos dossiers, consulté les associations et franchi tous les obstacles en braves petits combattants de l’adoption . Celui que nous allions accueillir et, nous l’espérions, nous accueillerait lui aussi, celui qui changerait de nom, de rési-dence, de nationalité s’appelait donc Jonas.

A Kaunas, en levé de rideau, la veille du juge-ment, nous allions rencontrer Jonas pour la première fois.

La première scène d’une adoption se déroule curieusement en miroir d’une naissance habituelle. Ainsi, en principe et en temps ordinaires, lorsque l’enfant paraît …, le cer-cle de famille s’agrandit. Dans l’adoption se joue l’autre face de la même pièce.

Lorsque les parents… paressent, l’enfant lui est déjà là, né sous le signe de la vie qui donne, puis hélas abandonne son projet. Mais la vie retrouve parfois de nouveaux élans, de nouvelles raisons de vivre. Elle installe alors l’enfant au centre d’un petit monde, et, de proche en proche, d’orphelinats en centres nationaux et réseaux internatio-naux, la vie sourit à l’enfant et l’enfant sourit à la vie. Ensemble, la vie et l’enfant, l’enfant et sa vie courent aussi leurs chances d’ac-cueillir et d’adopter une nouvelle famille.Le centre, ici l’orphelinat, existe mais pas le cercle, pas encore. C’est ce centre à peine inscrit qu’il va falloir fortifier pour dessiner les contours d’un futur cercle familial avec

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le concours des autres, de tous les autres, y compris de ses futurs parents adoptifs. Chacun prendra son temps, chacun voudra contrôler cette histoire qui ne pourra pas s’écrire trop rapidement car toute la société devra concourir à sa réussite.

Si l’adoption est aussi un don de la société, alors il est normal que les futurs parents lui paient un tribut afin d’être quitte d’elle et de jouir d’une histoire jouable. La jouissance finale viendra justement de la somme des petites jouissances de ceux qui ont pris part au jeu. Si l’un des acteurs en est privé, il se paiera sur l’ensemble. C’est alors la mise en pièce de toute la pièce.Voici le premier personnage qui le premier a repéré l’enfant. Voici le second qui vérifie sa santé et lui donne peut-être ses premières caresses, ses premières marques d’affection et de tendresse. Voici l’avocate qui avertit les futurs parents réjouis ou cloués sur place par la nouvelle. Cela pourrait-il déjà se dénouer ? Il suffirait d’un pas et l’enfant passe du centre vers le couple.Non, trop simple, ce ne serait qu’un tour de passe-passe, sans profit pour le monde qui en demande sa part. Et c’est tant mieux. Il faudra que les fonctionnaires fassent fonc-tionner le système et que le tribunal juge. Chacun prendra part au festin du petit pro-phète car c’est lui qui réjouira son monde. Cha-cun paie, sauf l’enfant qui a déjà payé. Si la pièce est jouable, les parents l’adopteront.

Voici donc comment Jonas est devenu Jonah.Jonas (en grec), Jonah (en hébreu), Jounes (en arabe) est en grec du genre masculin. Il s‘écrit avec un « s » final Jonas.Mais, à l’origine Jonah est un nom hébreu : la colombe, qui se termine par un « h ». Jonah est alors du genre féminin. De plus Jonah peut désigner à la fois un pré-nom féminin et un prénom masculin.Jonas/Jonah notre héros biblique, celui qui m’avait inspiré, est bien un homme dont

les aventures ont été reprises par d’autres cultures.Son histoire est racontée dans le livre des prophètes et lue à la synagogue le jour de Yom Kippour, le jour du Grand Pardon.On peut comprendre pourquoi ces ambiva-lences avaient troublé le monde grec qui, recueillant le poème biblique, opta sans équi-voque pour Jonas, prénom bien masculin. La portée de ce texte est pourtant univer-selle même si au départ, l’histoire de Jonah est une histoire juive.Le récit nous parle d’un appel, du trouble qu’il provoque, du refus de l’entendre et de l’accueillir, de l’ambivalence, des hésitations et des retournements qu’il entraîne. A la fin l’histoire, Dieu intervient, moralise un peu et discute avec Jonah de compréhen-sion, de repentance et de pardon. C’est un texte important dans la liturgie et la morale juive, je ne l’ignorais pas. C’est aussi l’histoire de nos démêlés avec nos propres appels intérieurs. Moi, qui n’avais pas entendu les appels de paternité, je ne me sentais guère concerné par la techouva, la repentance, trop morale à mes yeux.Mais j’avais pourtant été frappé par le bou-leversement qu’une parole, même en forme de tableau, avait pu produire dans ma pro-pre existence. Comment aurais-je pu deviner que cette histoire qui m’avait tout de même troublé au point de l’illustrer dans mon travail m’avait retourné, pareillement à ce fameux refoulé qui fait retour là où on ne l’attend pas?

Le tribunal de Vilnius nous permettant de choisir un nouveau prénom pour Jonas, nous décidâmes que Jonas retournerait à Jonah.En cas d’adoption, Jonah, petit émigré, quit-terait sa terre natale en laissant Jonas der-rière lui.

Moi l’émigré de seconde générationNourri d’identités multiplesDe rien, de videDe signes colorés.

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Toi l’Etre, toi la lettre « h » Aux senteurs miraculeusesAux paisibles engendrementsÀ la postérité abondanteJe te pose la question :Pourquoi jeter sur la routeUn nouvel émigré ?Toi qui sème à tout ventSouffle-moi la réponse.

Avais-je reconnu dans le flot engloutissant Jonas, les vagues d’immigration, celles de mes parents et de mes grands-parents que mon pays d’accueil, la Belgique, avait connues et connaît encore aujourd’hui? Avais-je craint que mon petit ne devienne, comme tant d’autres émigrés, étranger à lui même?Etais-je inquiet sur son sort et le mien avant ces changements d’identité demandés à la justice?Jonas S. allait devenir Jonah Kenigsman pour le reste de ses jours, des nôtres et pour les générations engendrées ou adoptées qui suivraient. Le futur petit Jonah allait-il sor-tir sans dommage de ces métamorphoses ?

Ce furent d’autres histoires bibliques qui apaisèrent mes craintes. La vieille Bible est remplie de ces modifi-cations de nom et de ces personnages aux identités multiples. Après son combat avec Dieu, Jacob change de nom et s’appelle Israël. Même le premier des patriarches se nommait Abram avant d’acquérir un « h », inclus désormais dans son nom Abraham.C’étaient de grandes figures reconnues par l’Etre, accueillant avec ou sans grâce, avec ou sans ferveur, parfois même avec humour leur nouveau nom ou le nom de leur progé-niture en même temps que leur futur destin.C’étaient des êtres qui capturèrent des let-tres littéralement divines et les transformè-rent en bonnes actions, en bonnes paroles, en bénédictions. C’étaient des personnages assez généreux pour accepter les dons de la vie, des êtres

assez prodigues pour se donner à eux-mêmes et s’abandonner en même temps à leur nouvelle fortune.

Ils étaient assez « allumés » pour s’enflam-mer, assez accueillants envers les autres pour s’accueillir eux-mêmes. Avant le jugement, je priai en pensant à ces héros mythiques. Je priai à ma façon bien sûr, mais comme tout le monde, lorsque l’on attend les résultats d’un examen médical ou d’un concours. Je priai pour que Jonah fusse adopté et que son nouveau nom et prénom lui portassent chance. Comme dans le récit biblique, je jetai les sorts, pour que la subs-titution d’une lettre par une autre insufflât dans sa nouvelle identité un appel d’être au parfum d’amour et d’hospitalité. Je sollicitai les dieux de la peinture pour que les raci-nes de son nom d’origine pussent se tourner vers le ciel et puiser dans ce deuxième souf-fle une nouvelle vitalité.

J’appelai enfin l’Etre pour que l’accueilli soit accueillant envers sa nouvelle famille.

Ces appels furent entendus. Jonah fut adopté le 21 juillet 1996, le jour de la fête nationale belge. Jonah est aujourd’hui un petit garçon de 11 ans plein d’invention et qui, curieusement, aime jouer avec les mots et les images.Moi, je ne peins plus d’histoires juives mais des histoires universelles.Vaste programme! ■

Richard Kenigsmanexpose

« L’Homme du Roi »planches originales et dessins

à partir du 9 mars 2008 Galerie Art-y-Choc

Design and Art Gallery146 rue Washington

1050 Bruxelleswww.kenigsman.com

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JuDAÏsme

Nos Bné MitsvaPar Dracha de Camille Bloch

… « Le livre de la Genèse, du grec « nais-sance », « commencement », « source », est le premier livre de la Torah. En hébreu, son intitulé est Bereshit ( « en tête de »).Il explique l’origine de l’homme et du peu-ple hébreu jusqu’à son arrivée en Egypte en l’éclairant par le projet de D… Ma parasha s’appelle Vayétsé qui veut dire « Il sortit ».Dans ma parasha aujourd’hui, il s’agit de Yaacov qui fuit la colère de son frère Esaü car il a reçu la bénédiction paternelle à la place de celui-ci.Yaacov va donc partir vers Haran, rejoin-dre Laban et la terre dont Abraham, Sarah et Rivka étaient venus. En chemin, il va s’endormir et faire un songe.Il va rêver d’une échelle. On peut alors penser qu’il fait le joint entre le ciel et la terre. Dans ce rêve, D. lui parle, lui promettant aide, protection, bénédic-tion et descendance nombreuse, comme à ses pères. Il lui donne à lui et à sa descen-dance, la terre d’Israël.Arrivé à Haran, Yaacov loue ses services à son oncle Laban.Tombé amoureux de Rachel, la plus jeune fille de Laban, il doit fournir sept ans de labeur pour recevoir sa main. Laban le trompe et lui donne sa fille Léa en mariage sous prétexte que l’aînée doit être mariée avant la cadette. Il travaille alors encore sept ans pour Rachel qu’il finit par épouser, puis il travaille encore sept ans pour avoir encore quelques biens.Léa lui donne plusieurs fils, mais Rachel, quand à elle, est stérile.Rachel lui donne alors sa servante comme concubine mais Léa en fait autant.Finalement, alors que Yaacov a déjà 10 fils

et 1 fille, Rachel lui donne enfin un fils, Yos-sef.Yaacov décide de rentrer au pays, mais doit encore ruser avec Laban afin d’obtenir son salaire. Il obtient de lui comme salaire toutes les bêtes qui naîtront et seront tachetées ou mouchetées.Yaacov s’enfuit de Haran sans rien dire avec ses femmes, les serviteurs et tout ce qu’avait Laban. Laban les poursuit et fait des reproches. Yaacov se défend et Laban se radoucit. Les deux hommes concluent une alliance. Yaacov dit à ses enfants et ses beaux frè-res « Rapportez des pierres pour que l’on construise un monceau» et ils mangent là, sur le monceau, en signe d’alliance. Le lendemain, Laban embrasse ses fils et ses filles et Yaacov poursuit son voyage. Vers la réconciliation, nous l’espérons, avec son frère Esaü.

Ma paracha parle de différents thèmes qui sont importants : •  la fécondité, que souhaitent Léa et Rachel ; 

avoir des enfants pour transmettre, •  la confiance, qui fonde l’amitié et l’amour, 

celle qui manque entre Yaacov et Laban•  la patience et la persévérance, qui carac-

térisent Yaacov.

Dans cette histoire, ce qui m’a touchée, c’est la séparation d’entre Yaacov et sa famille. Se séparer de sa famille pendant 21 ans, c’est beaucoup. Pourtant, au cours de ces 20 années, Yaa-cov a appris qui il était. Il se faisait à cha-que fois marcher sur les pieds, mais il a

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fini par se révolter contre cette situation. Il a fini par quitter Haran sans l’accord de Laban. Il a fini par prendre conscience que les choses devaient changer. Quand il était à Beer Chéva, il ne savait pas vraiment son identité. Après 20 ans comme berger, comme mari, comme père, comme neveu, comme employé, il a appris qui il était, il a changé, et ce changement va se traduire par un changement de nom la semaine prochaine : Yaacov devien-dra Israël. Ses enfants seront appelés les « enfants d’Israël », et c’est encore le nom de notre peuple aujourd’hui. Nous sommes un peuple de l’identité.

Pour devenir ce peuple, il aura fallu remet-tre « l’église au milieu du village ». En effet, dans cette histoire, toutes les identités se mélangent. D’abord, la semaine dernière, Yaacov s’est fait passer pour Esaü, mentant à son père à propos de son identité. Puis, cette semaine, Léa s’est faite passer pour Rachel. Encore pire, Léa et Rachel ont demandé à leurs servantes de les remplacer pour avoir plus d’enfants. Enfin, Rachel a même vendu une nuit avec son mari pour obtenir les mandragores qui devaient la rendre fertile. Pour couronner le tout, Rachel a nommé son fils « Yossef », qui veut dire « qu’il m’en donne un autre ». Le nom du fils sert à demander d’avoir un autre fils ! C’est comme si mes parents m’avaient appelée « Au suivant » Bloch ! Ce nom ne donne pas d’identité à Yossef. Leur rôle de remplaçantes ne donne pas d’identité aux servantes. L’échange entre Léa et Rachel ne respecte pas leur identité, et le fait d’être plusieurs femmes avec le même homme non plus. Tout ce mic-mac vient du début, quand Yaa-cov s’est fait passer pour Esau et a trompé son père, triché sur son identité. Tout est en train de se remettre en ordre

pour lui, et il deviendra bientôt Israël (…). Les thèmes qu’il me parait important de souligner (…) sont les suivants :• La fécondité est ici essentielle. On peut voir comme il est important pour Lea d’avoir des enfants et comme Rachel souf-fre de ne pouvoir en avoir. La stérilité est un problème qui peut toucher et marquer beaucoup de femmes, comme l’a été Rachel qui en a souffert profondément jusqu’à dire que le seigneur l’avait jugée et condamnée. Puis, il y a eu un autre sentiment : celui de justice lorsque enfin, elle tomba enceinte de Yossef.• Un autre  thème  important qu’il  faut évo-quer est celui de la confiance.Yaacov avait trompé son père et son frère. Ici, Yaacov faisait confiance à Laban, mais celui-ci l’a trompé. Pour bien se construire, il est important d’avoir confiance envers ses amis et en soi-même. Mais aussi de res-pecter la confiance que les autres ont en nous.- La patience et la persévérance. Yaacov doit travailler sept ans puis encore sept ans et encore… C’est aussi quelque chose de nécessaire a acquérir dans une vie.

Il faut souvent beaucoup de patience pour construire quelque chose, faire aboutir un projet….Pour se construire et construire sa propre vie, il faut de la patience mais aussi de la volonté.On peut donc dire que tous ces thèmes abor-dés dans ma parasha font finalement partie de notre quotidien à tous. Elle nous montre bien à quel point la famille, la confiance en soi et envers les autres, les rapports entre les hommes et les femmes, sont importants dans la l’accomplissement de notre vie.

Dracha de Paul Kriwin… « Lors des épisodes précédents, Jacob avait « acheté » le droit d’aînesse à Esau puis avait trompé son père pour recevoir sa bénédiction. Il avait dû s’enfuir chez Lavan,

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JuDAÏsme

son oncle, où il avait séjourné 20 ans, s’était marié à Rachel et à Léa. Après ces longues années, dans notre paracha, Jacob rentre dans le pays de ses pères. Sur le chemin du retour, Jacob est attaqué par un ange et se bat avec lui. Il est blessé à la cuisse, au niveau du nerf scia-tique. C’est à la suite de cet épisode qu’on ne consomme pas le nerf sciatique. Jacob gagne quand même ce combat. Il recevra de l’ange une bénédiction ainsi qu’un nou-veau nom : Israël.

Jacob rejoint ensuite sa tribu et prépare la rencontre avec Esaü. Il envoie des messa-gers pour annoncer sa venue et sa volonté de paix, mais aussi pour vérifier si Esau a des intentions pacifiques. Jacob apprend que 400 hommes accompagnent son frère, et se prépare au pire. Pour cela, il ne prépare pas seulement sa défense, mais aussi un genre de guerre psychologique, une guerre de la paix : il envoie d’abord des messagers qui ont pour mission, cette fois, de surpren-dre Esaü en faisant des cadeaux. Il espère ainsi calmer la colère de son frère.Cette tactique va bien marcher puisque Esau l’embrasse au lieu de l’attaquer. Ils font la paix et Jacob présente sa nombreuse famille à son frère. Puis, ils se séparent.Jacob et sa famille s’installent à Soukkoth. Là se déroulent des évènements terri-bles : le viol de Dina, seule fille de Jacob, la demande en mariage du violeur tombé amoureux. La condition mise au mariage sera sa circoncision et celle de tout le vil-lage. Simon et Lévi, frères de Dina, profi-teront de l’affaiblissement dû à l’opération pour tuer tout le monde. Jacob et sa famille s’enfuient, ils retournent à l’endroit où Jacob avait dormi et prié, 21 ans aupara-vant, et y construisent un autel en remer-ciement (…).Jacob reçoit à nouveau le nom d’Israël, directement de Dieu cette fois. Rachel meurt à Beth El, en donnant naissance à « Ben Oni » (fils de ma douleur) que Jacob renomme « Ben Yamin », fils de ma droite.

Israël part et s’installe auprès de ses parents dans les plaines de Mamré, où Isaac meurt. Ses fils vont l’enterrer. Esaü s’éloigne alors pour rejoindre la montagne de Séir et évi-ter les disputes entre bergers.Puis vient la naissance d’Amalec, qui sera pour Israël un ennemi rusé et dangereuxToutes ces histoires vous choquent peut-être. Pourquoi parler de toutes ces hor-reurs le jour de ma Bar Mitsva ? La Torah enseigne la vie, et la vie est faite de bien et de mal. Sans le mal, le bien n’existerait pas. On ne se rendrait pas compte de la gen-tillesse des gens, il n’y aurait peut être pas autant de sentiments entre les gens. Il faut aussi parler des problèmes et du mal pour savoir mieux le combattre ou le confronter. La Torah nous parle de ces pro-blèmes difficiles pour que nous puissions y réfléchir et y trouver des solutions. Un des grands problèmes de la paracha qui m’a intéressé est : « comment Jacob peut se réconcilier avec son frère ». Jacob ne sait pas quelle tactique utiliser. Il a peur de se faire tuer et toute sa famille et ses enfants.

Si j’avais été à sa place, j’aurais peut-être essayé de me faire passer pour un autre, de parler à la famille pour arranger les choses. J’aurais voulu parler à Esau sans lui dire qui j’étais, et seulement une fois le pro-blème résolu, lui dire qui je suis.Ainsi, je me serais déguisé pour résoudre le problème causé par le fait que je m’étais déguisé avant ! Peut-être que je demande-rais pardon tout simplement.Jacob, lui, essaye de se faire pardonner par le biais d’émissaires. A chaque fois, Esau et son armée croyaient que Jacob arrivait quand les émissaires approchaient. Ils se préparaient au combat mais à chaque fois, les émissaires étaient pacifiques et apportaient des cadeaux. Du coup, l’armée ne pouvait rien contre Jacob, ni tuer l’émissaire, car c’était un serviteur de Jacob qui se disait lui-même serviteur d’Esau ! Il ne pouvait pas voler de troupeau

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car justement, ces troupeaux étaient destinés à Esau comme cadeau de la part de Jacob ! Lors des réelles retrouvailles, la haine d’Esau fut désamorcée grâce à sa tactique L’étude de la Tora nous permet de mieux affronter et comprendre les problèmes. Avant de rencontrer vraiment les difficultés comme Jacob rencontre Esaü, on rencontre beaucoup de « troupeaux », de difficultés qui ne sont que sur le papier et qui nous permettent de réfléchir aux vrais problèmes de la vie… »

Dracha de Ruben Simonart … « J’aimerais dire un mot sur ma paracha, VayéHi, « il a vécu », Genèse chap. 49.Jacob est sur le point de mourir et il appelle Joseph à ses côtés. Il en profite pour bénir les deux fils de Joseph, Ephraïm et Ména-ché, et les adopter. Jacob bénit ses fils avant de mourir en faisant la description de cha-cun d’entre eux. Il demande ensuite à être enterré en terre de Canaan. Joseph tient parole et reçoit la permission du Pharaon. A sa mort, un grand deuil de 70 jours est organisé. La paracha s’achève au moment où Joseph lui aussi disparaît.De cette façon, VayéHi clôt le livre de la Genèse et conclut l’histoire des Patriarches.En étudiant la paracha, j’ai été frappé par la bénédiction qui est faite à Ruben au chapitre 49 verset 23: « Ruben ! Tu fus mon premier né, mon orgueil et les prémices de ma vigueur ; le premier en dignité le premier en puissance. Impétueux comme l’onde, tu as perdu ta noblesse car tu as attenté au lit paternel, tu as flétri l’honneur de ma couche.»

Je me suis demandé pourquoi Ruben n’avait pas été rejeté du cercle familial : puisque il a profané la couche de son père en partageant le lit de Bilha, on comprend que son père lui en veuille ! A cause de son erreur, il semble que Ruben n’ait pas eu le droit d’aînesse. Il aurait été puni. Mais il y a un problème avec cette explication : si

Ruben n’a pas le droit d’aînesse à cause de sa faute, c’est son frère puîné qui devrait en hériter ! Malheureusement, Simon et Lévi ont fait preuve d’une violence inadmissi-ble. Comment leur donner un tel honneur ? Il revient donc au fils suivant, Juda, d’être doublement béni. Et pourtant, nous voyons dans notre paracha que c’est Joseph qui va hériter du droit d’aînesse, alors qu’il n’était que l’avant-dernier fils !

Donc, l’ordre est chamboulé en ce qui concerne l’attribution du droit d’aînesse ! Jacob favorise Joseph pour Joseph mais pas contre les autres enfants. On voit donc que le fait que Ruben n’ait pas de double bénédiction n’est pas une punition.

C’est comme dans nos vies. Il y a parfois des choses difficiles à accepter, des remar-ques par exemple, si on pense qu’elles sont faites contre nous. Au contraire, si on y voit le positif, on peut en tirer de bons enseignements pour le futur. On veut croire que les frères de Joseph ont finalement réussi à se soigner de leur jalou-sie, acceptent le choix de Jacob, et voient cette bénédiction d’un bon oeil.D’autres arguments témoignent du fait que Ruben ne soit pas puni :1. Joseph reçoit la double bénédiction avant

que Jacob ne rappelle la faute de Ruben.2. Le texte en hébreu ne parle pas de Ruben

au passé. Il ne dit pas « Tu fus mon pre-mier né », mais « tu es mon premier né ». Ruben reste d’aîné dans les faits.

3. En bénissant les enfants de Joseph, Jacob dit « Ephraim et Ménaché seront pour moi comme Réuven et Chimon », ce qui prouve bien qu’il aime tous ses enfants, y compris Réuven et Chimon!

Ruben reste donc un personnage central. On se rappelle de ses bonnes actions :Premièrement, c’est lui qui a cueilli les mandragores que Léa a ensuite données

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à Rachel. C’est grâce à ces mandragores que Rachel serait devenue fertile et aurait donné naissance à Joseph.Deuxièmement, il a ensuite courageuse-ment pris la défense de Joseph en empê-chant ses frères de le tuer et en suggérant qu’ils le mettent dans un puit.Troisièmement, lorsqu’il a voulu le sortir du puit et qu’il a découvert que Joseph n’était plus là, Ruben a déchiré ses vêtements en signe de deuil. Pour finir, il a été le premier à vouloir prendre la responsabilité de Binjamin si Jacob le lui confiait, pour que la famille ait enfin à manger.

On voit que Ruben est un personnage très positif. On a l’impression qu’il est un peu l’ange gardien de Joseph ; il est certainement

content pour lui qu’il ait reçu la bénédiction. Ruben a protégé Joseph, il voit qu’il a bien fait, il est reconnu à travers la bénédiction de son frère. Nous nous étions demandé pourquoi Ruben n’avait pas été rejeté du cercle familial. Avons-nous maintenant une réponse ? Ruben a beaucoup de qua-lités et une excellente influence parmi les frères qui vont maintenant devoir consti-tuer le peuple d’Israël. Notre peuple ne peut pas se constituer sur le principe de l’exclusion. De nos jours aussi, les erreurs sont là pour nous permettre à tous d’apprendre, pas pour en profiter pour s’exclure les uns les autres. La Torah ne dit pas que nos ancêtres étaient parfaits, mais que leurs vies sont pour nous source de réflexion et d’enseignement… ■

11, Place G. Brugmann1050 Bruxelles

Tél: 02/346.33.55Tél: 02/343.94.82www.lecobel.be

LECOBELVOtrE agEnCE immOBiLièrE

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COmmuNAuTé

CarnetNos prochains Bné Mitsva :Le 2 février 2008 – Parasha Michpatim: Shana SELIKLe 16 février 2008 – Parasha Tetsaveh: Julia PLAT

Décès z’’lC’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès d’Olga Gaudier, grand-mère de notre amie Nathalie De Lathouwer-Devaux. A Nathalie et Jean-David, nous adressons nos plus sincères condoléances.

Le décès le 23 décembre 2007, de Julia Palacci, grand-mère de notre ami Frederic Raffeld. A Frédéric, son épouse Deborah, leurs enfants David et Dana, ainsi qu’à la famille, nous tenons à exprimer ici toute notre sympathie.

Le décès le 31 décembre 2007, de Hélène Baumerder, maman de notre amie Lucile Van den Berg-Baumerder. A Monsieur Denis Baumerder, son époux, à Lucile et Gérard, à leurs enfants ainsi qu’à la famille, nous tenons ici à dire notre profonde sympathie.

Le décès, le 4 janvier 2008, de notre ami David Perahia. A son épouse Jacqueline, ses enfants, ainsi qu’à la famille, nous tenons à dire notre profonde sympathie.

Le décès, le 5 janvier 2008 à Genève, de Marlyse Levy Mandel, sœur de notre ami Paul-Gérard Ebstein. A son époux, Roby Levy Mandel, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement, à ses filles Anne et Françoise, à Paul-Gérard et ses enfants Patrick et Véronique, ainsi qu’à la famille, nous tenons à exprimer toute notre sympathie et notre amitié.

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AGeNDA

FEVRIER 2008 / MARS 2008 ADAR I. / ADAR II. 5768

Vendredi 1er février 200820H00: Office deKabbalat Chabbat

Samedi 2 février 200826 Chevat 5768 - Michpatim10H30: Office Bat Mitsva Shana Selik

Lundi 4 février 2008Pas de Cours de Judaïsme avecRabbi Chinsky

Mercredi 6 février 2008Roch Hodech Adar I.Pas de Talmud Tora

Jeudi 7 février 2008Pas de Midrach dans le texte avecRabbi Dahan

Vendredi 8 février 200820h00: Office de Kabbalat ChabbatOneg Chabbat offert par lafamille Perahia

Samedi 9 février 20083 Adar I. - Terumah10H30: Office

Lundi 11 février 2008Pas de Cours de Judaïsme avecRabbi Chinsky

Mercredi 13 février 200814h15 à 16h15: Talmidi

Jeudi 14 février 200820h00: Midrach dans le texte avec Rabbi Abraham Dahan

Vendredi 15 février 200820h00: office de Kabbalat Chabbat

Samedi 16 février 200810 Adar I. 5768 – Tetsaveh10h30: Office Bat Mitsva Julia Plat

Lundi 18 février 2008 20h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky

Mercredi 20 février 200814h15 à 16h15: Talmidi

Jeudi 21 février 200820h00: Conférence de Rabbi Dahan à Beth Hillel «La femme et la religion, une éternelle mineure?» (voir annonce)

Vendredi 22 février 2008 20h00: office de Kabbalat Chabbat Suivi d’un dîner chabbatique commu-nautaire (pour participer 02.332.25.28)

Samedi 23 février 2008 27 Adar I. – Ki Tissa10h30: Office

Lundi 26 février 200820h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky

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FEVRIER 2008 / MARS 2008 ADAR I. / ADAR II. 5768

Mercredi 27 février 200814h15 à 16h45: Talmidi

Jeudi 28 février 200819h00: Assemblée Générale Statutaire Annuelle 20h00: Midrach dans le texte avec Rabbi Abraham Dahan

Vendredi 29 février 2008.20h00: Office de Kabbalat Chabbat

Samedi 1er mars 200824 Adar I. 5768 - Vayakhel10H30: Office «Communautaire»

Lundi 3 mars 200820h00 à 21h30: Cours Adultes: notre Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky

Mercredi 5 mars 200814h15 à 16h45: Talmidi

Vendredi 7 mars 2008 Roch Hodech Adar II.18h30: Dîner chabbatique du Talmud Tora 20h00: Office de Kabbalat Chabbat

Samedi 8 mars 2008 1 Adar II. - Pekoudé10H30: Office

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de participer à la rédaction du Shofar ?

n’hésitez pas et contactez nous !

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COmmuNAuTé

En Allemagne, les mouvements annoncia-teurs de l’émancipation des Juifs commen-cèrent vers la fin du 18ème siècle. Elle ne fut cependant reconnue juridiquement que par la proclamation de la loi de 1869. Les condi-tions préalables à cette évolution avaient été établies par le processus de séculari-sation mis en marche par les Lumières, et surtout par le passage d’une société encore teintée de féodalisme au capitalisme bour-geois des Temps modernes. Ce n’étaient plus les murs du ghetto qui identifiaient le Juif, car si l’émancipation avait fait éclater l’autonomie de la communauté juive repliée sur elle-même, elle avait conféré à chaque Juif le statut de citoyen. Nombreux furent ceux qui voulurent adapter les valeurs reli-gieuses traditionnelles et l’héritage culturel aux critères de la raison et de la modernité. Cependant, si le résultat de l’émancipation juive resta en deçà du but qu’elle s’était fixé, si l’intégration sociale ne fut pas une réus-site totale, le 19ème siècle apparaît comme une période d’intense vie intellectuelle.

C’est vers le dernier quart de ce 19ème siè-cle, le 23 mai 1873, que Leo Baeck naquit à Lissa en Posnanie, province qui appar-tenait alors au royaume de Prusse avant d’être rendue à la Pologne en 1919, comme conséquence de la défaite de l’Allemagne après la 2ème Guerre Mondiale. Son nom de famille dériverait de «Ben Qadosh», fils de martyr, rappelant ainsi d’anciens pogromes du Moyen Age. Les ancêtres de Leo Baeck étaient originaires de Moravie et de Hongrie. Par son père et par sa mère, il descendait de familles rabbiniques très respectées. Son père Samuel Bäck, (lui-même changea plus tard l’orthographe de son patronyme), à la fois rabbin et érudit, était renommé pour avoir écrit une «His-toire du peuple juif et de sa littérature, de l’exil de Babylone à nos jours». Leo Baeck grandit dans un climat intel-lectuel et religieux qui n’était pas touché de près par les mouvements modernes de l’époque. Sa famille vivait dans une atmos-phère à la fois humaniste et chaleureuse.

Leo Baeck : « d’une lignée de Rabbins » 1873-1956

Par Monique Ebstein

Leo Baeck est considéré comme une des plus hautes figures rabbiniques du judaïsme européen au 20ème siècle. Tout au long de sa vie, il a eu la charge d’une communauté, il a enseigné et écrit une oeuvre volumineuse, dont trois volumes seulement sont traduits en français1. C’est pourquoi il est insuffisamment connu dans les pays fran-cophones. Nous voudrions tenter de réparer cette injustice en présentant une courte biographie et un bref aperçu de sa pensée2.

1 Leo Baeck: « L’Essence du Judaïsme », traduction 1993 par M-R Hayoun ; «Les Evangiles, une source juive», traduction

2002 par M-R Hayoun ; « Ce peuple. L’Existence juive », traduction 2007 par M-R Hayoun

2 Cet article se base sur la biographie écrite par le Rabbin Walter Homolka, «Leo Baeck, Perspektiven für heute»

Ed. Herder,Freiburg in Br. 2006

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L’ouverture d’esprit peu commune de ses parents fit de lui un homme qui, sa vie durant, sut respecter tous les courants du judaïsme.

Son premier maître fut son père, il poursuivit ensuite sa scolarité au lycée de sa ville. A Lissa, les relations entre Juifs, Allemands et Polonais étaient tendues. Les Juifs étaient certes moins anti-polonais que les Allemands, ils se consi-déraient tout naturellement, tant du point de vue culturel, linguistique que politique, comme allemands, ce qui à cette époque était bien accepté par leurs compatriotes. En 1891, après «l’Abitur»3, Leo Baeck com-mença des études au Séminaire rabbinique de théologie à Breslau, la plus ancienne école supérieure juive d’Allemagne, où enseignaient des professeurs aussi illustres que l’historien Heinrich Graetz (1817-1891). En 1892, il s’inscrivit au Séminaire de Phi-losophie de l’Université de Breslau4. En plus de la théologie, de l’histoire et de la philosophie, il suivit également des cours de langues anciennes et orientales.

Puis en 1894, il se rendit à Berlin pour étudier à «l’Académie pour la Science du Judaïsme» où le programme ne différait pas essentiel-lement de celui du Séminaire de Breslau, mais dont l’esprit était clairement celui du judaïsme libéral. Baeck en était proche, mais il voulut également assister à certains cours du Séminaire rabbinique traditionnel fondé par Esriel Hildesheimer. Il poursuivit ses études de philosophie à l’Université de Berlin, comme étudiant et disciple de Wil-hem Dilthey (1833-1911). Si Baeck ne peut être considéré comme un disciple incon-

ditionnel de Dilthey, leurs idées se rejoignaient cepen-dant sur certains points essentiels. Pour tous deux, le problème central était l’esprit humain en quête du rapport entre le Temps et l’Eternité. Tous deux refusaient de limiter la connaissance humaine à une simple col-lecte de constatations et de faits. Dilthey voyait dans le Judaïsme une entité historique. Pour Baeck,

le Judaïsme était un tout com-plexe dont la caractéristique essentielle était sa continuité.

En 1897, Leo Baeck a 24 ans. Il se voit confier un premier poste de rabbin à Oppeln, en Haute Silésie et y restera dix ans. C’est là qu’il épouse la jolie Nathalie Hamburger, petite-fille du rabbin dont il était devenu le successeur, et c’est là aussi que Ruth, leur unique enfant, vint au monde. Dans cette ville d’environ dix mille habitants, il y avait une synagogue libérale de 750 membres. Un des premiers actes posés par le nou-veau rabbin fut l’inauguration de l’orgue. Les années passées à Oppeln furent très heureuses pour la jeune famille. Le res-pect et la renommée qu’y gagna Leo Baeck dépassaient déjà largement les confins de sa communauté.

Les premières publications de Leo Baeck le désigneraient plutôt comme adhérant au mouvement libéral. Cependant, il répéta souvent au cours de sa vie qu’il ne visait pas tant la réforme que le progrès, que pour lui la piété telle qu’il l’entendait – une attitude nourrie par l’antique piété juive- n’avait rien à voir avec le terme polysémique et ambigu de «libéral».

3 L’Abitur est en Allemagne l’examen qui, après l’enseignement secondaire, permet d’accéder à l’Université.

4 Breslau, ville de Basse Silésie, devenue aujourd’hui Wroclaw, Pologne.

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Le progrès tel qu’il le comprenait se réali-sait au travers d’une évolution historique que Baeck concevait du point de vue théo-logique comme «l’histoire d’une rencontre avec Dieu». Pour lui, le libéralisme reli-gieux n’était pas différent du conservatisme libéral, c’est à dire qu’il considérait que les deux courants cherchaient à conserver la mémoire du passé, tout en étant ouverts à la pensée nouvelle.

Dès 1896, il prend position sur le concept de «l’orthodoxie juive»5: «Si l’on ne donne pas au concept de «dogme» une accep-tion trop large, on peut affirmer que le judaïsme n’a pas de dogmes, ou du moins qu’il n’en a plus, depuis qu’il n’est plus régi par l’organisation centrale du Sanhédrin: voilà pourquoi il ne peut pas se réclamer d’une «orthodoxie». Des dog-mes, c’est à dire des articles de foi obli-gatoires, ne peuvent être établis que par une autorité religieuse qui parle au nom de tout le monde. Seule une telle auto-rité a le pouvoir de prendre éventuelle-ment des mesures contre un insoumis. Elle seule peut décider de ce qui doit être cru, et c’est donc à elle de décréter qui est en droit de se qualifier d’orthodoxe. (…)Au Moyen Age, quelques «Sages» ou philosophes de la religion ont essayé de fixer l’enseignement du judaïsme dans un certain nombre d’articles, qui ne peu-vent cependant être considérés comme des dogmes, car il n’y avait pas d’Auto-rité reconnue pour en décider. Une telle situation est un avantage pour notre religion. Cela lui a permis de conserver sa fraîcheur et sa souplesse. Les percep-tions profondes de la conscience ne sont jamais les mêmes d’une génération à l’autre. (…)Chaque époque doit essayer de comprendre clairement ce en quoi elle croit et ce qu’elle espère. Mais vouloir déclarer que la forme, dont on revêt cette croyance et cette espérance, est valable

pour tous et pour toujours, signifierait imposer sa propre interprétation à ses descendants. Le seul résultat serait un fossé de plus en plus profond entre la Foi et la Connaissance. (…)Chacun est libre de comprendre et d’interpréter la Parole de Dieu selon son savoir et son entende-ment, d’y puiser ce qui pourra le désal-térer maintenant, même si aux temps anciens on y cherchait et trouvait autre chose. Les Ecritures ne doivent jamais devenir pour nous un texte dépassé, elles ne doivent même jamais être un texte vieilli. Au temps des Lumières, on fit la constatation que tant de confessions différentes, et même contradictoires, se réclamaient d’un seul Livre, on y vit la preuve que ce livre était imprécis et ne pouvait donc être divin. Nous, par contre, y voyons la preuve de son éternelle vérité. Les Ecritures tiennent le même discours à l’enfant, à l’homme dans la fleur de l’âge, au vieillard, mais chacun d’entre eux entend autre chose. (.....) En ce sens le Judaïsme est une religion sans dogme. Aucun de ses courants n’a donc le droit de s’auto-déclarer «orthodoxe, car là où il n’y a pas de dogmes, il n’y a pas d’orthodoxie. Ce qui sépare les différents mouvements à l’intérieur du judaïsme, ce ne sont pas des problèmes de foi, mais «le cérémonial», c’est à dire la façon d’honorer et de rendre hommage à Dieu. Le courant que l’on appelle d’habitude «orthodoxe» devrait plutôt se nommer courant «fidèle au cérémonial». Les sym-boles du cérémonial (...) sont entre autre la langue dans laquelle on prie. Mais les prières doivent nous parler, avoir un sens pour nous, c’est le critère d’après lequel il faut les évaluer. Un office qui ne signifierait plus rien pour nous, n’est pas un office religieux, mais un office cérémoniel. Ceux qui y participent fidè-lement ne sont pas pour autant des fidè-les «pieux», mais «cérémoniels».

5 «Orthodox oder cereminiös ?» in «Jüdische Chronik 3»

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Lorsque Leo Baeck quitte sa première communauté, en 1907, il définit ce que représente pour lui la fonction de rabbin: «Notre religion ne fait pas de différence entre «prêtres» et «laïcs». Elle n’accorde à personne une place prééminente dans la Maison de prières. Des marches condui-sent certes à la chaire, mais elles sont de bois ou de pierre, elles ne mettent per-sonne au-dessus de la communauté. Et celui qui lui adresse la parole en reste un maillon. Pour parler avec les Prophètes, l’idéal serait que toute la communauté soit constituée d’érudits, que chacun soit son propre maître et fasse retentir en son âme la Parole de Dieu. Mais d’ici l’avènement de ces temps messianiques, il faut bien que la fonction, qui devrait être exercée par chaque membre de la communauté, le soit par celui dont la fonction explicite est d’annoncer la Parole de Dieu».

En 1907, Baeck fut nommé rabbin à Düssel-dorf où il resta 5 ans. Il fut le successeur du rabbin Samson Hochfeld (1871-1921), un grand érudit, appelé à Berlin afin d’en-seigner à l’Académie pour la Science du judaïsme. Entre-temps, Baeck avait gagné l’estime de toute l’Allemagne grâce à son indépendance d’esprit et de pensée, mais aussi à cause du respect que lui-même portait aux autres convictions. Pour lui, le pluralisme était une des richesses prin-cipales du judaïsme. C’est ainsi que dans le bâtiment de sa synagogue, une salle était réservée à une petite communauté de prière orthodoxe. En tant que rabbin, Leo Baeck sut éviter toute scission, et sans s’écarter de la voie vers la modernisation où s’était engagé son prédécesseur, il sut faire en sorte que la minorité orthodoxe ne quittât pas la communauté. Comme à Oppeln, l’enseignement religieux était une des tâches principales du rabbin.

Leo Baeck attribuait une très grande importance à l’éducation des filles ainsi qu’à l’égalité de l’homme et de la femme

dans le judaïsme. D’une façon inhabi-tuelle pour son époque, il était très ouvert envers les jeunes femmes qui décidaient d’entreprendre des études à «l’Académie pour la Science du Judaïsme». C’est là qu’il fut l’un des professeurs de Regina Jonas (1902-1944) qui devint la première femme rabbin. Il lui décerna au cours de ses étu-des un certificat de «prédicatrice réfléchie et éloquente». Il signa de sa main une copie de son diplôme de rabbin en 1942. Rappe-lons que Regina Jonas fut déportée à The-resienstadt, puis envoyée à Auschwitz où elle fut assassinée le 12 octobre 1944.Nous savons par contre qu’il n’aimait pas donner cours aux enfants pour la bonne raison qu’ils attendent des réponses claires et simples à des questions difficiles. Baeck n’était pas un grand orateur et le contenu de ses homélies était beaucoup plus impres-sionnant que l’éloquence avec laquelle il les prononçait. Un membre du conseil d’admi-nistration de sa communauté qualifia un jour ses prêches «de conversations privées de Baeck avec Dieu».

En 1912, Leo Baeck s’établit à Berlin avec sa famille. Il eut la fonction de grand-rabbin pour toutes les synagogues qui suivaient le nouveau rite, il prêcha dans trois syna-gogues libérales, et enseigna à l’Académie pour la Science du judaïsme. Mais son acti-vité fut bientôt interrompue par le début de la première Guerre Mondiale. Baeck fut l’un des premiers à répondre à l’appel de l’Asso-ciation des Juifs allemands: «Mettez-vous au service de la patrie». La guerre donnait en effet aux Juifs l’occasion de prouver leur patriotisme en appliquant le slogan: «Tous les Allemands doivent faire leur devoir, mais les Juifs allemands doivent faire plus que leur devoir». Baeck qui avait à ce moment 41 ans et entrait dans sa période la plus créative, exerça, comme trente autres rabbins son activité d’aumônier militaire sur les fronts est et ouest. Il visitait les blessés et dirigeait les offices, sans omettre d’envoyer à la communauté de Berlin des

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nouvelles régulières qui étaient publiées. Ses écrits qui datent du début de la guerre nous permettent de constater à quel point il participait à l’élan patriotique général. Cependant à son retour à Berlin, en juin 1918, il répondit au discours de bienvenue qu’on lui adressa en disant que quatre ans auparavant, il avait quitté sa communauté en se sentant essentiellement allemand. A son retour, il n’était pas moins allemand, mais davantage juif. Il était convaincu que les Juifs devaient davantage se rattacher à leur propre héritage: «Le monde changera. En tant que Juifs allemands, nous som-mes confrontés à notre destin singulier. Le siècle dernier fut, dans l’histoire du judaïsme, le siè-cle des Juifs alle-mands: ils étaient à la pointe du combat des idées où l’esprit juif cherchait son ori-gine et son abou-tissement. De nouveaux problè-mes, de nouveaux défis nous attendent à présent. Est-ce que nous, Juifs allemands, saurons leur apporter des solutions originales ? Nous avons un patrimoine ancien, nous devons conserver notre place. (…)Un monde va, un monde vient, mais l’homme reste, l’homme et ses devoirs. Par ces mots, saluons le passé, accueillons l’avenir !»6

A partir des années vingt, Baeck assuma de nombreuses fonctions dans des asso-ciations religieuses, caritatives, politiques et culturelles. Il devint ainsi le médiateur entre le judaïsme libéral et le judaïsme orthodoxe, entre le patriotisme allemand et les idées sionistes. De 1926 à 1938, il fut membre du Conseil berlinois de la «World Union for Progressive Judaism», et de 1939

à 1955, il en devint le Président du Conseil international. De plus, il assuma la prési-dence de l’Association générale des Rab-bins d’Allemagne, et celle du Bnei Brith pour la région allemande.En février 1934, un an après la prise de pouvoir par les nazis, il écrit en parlant du «renou-vellement religieux»: « Pour nous Juifs allemands, la clé se trouve dans la réponse à une question, à la question bien précise de savoir si nous sommes prêts à aller vers une renaissance spirituelle, un renouvellement intérieur, si les forces internes, essentielles, caractéristiques, qui nous viennent de notre judaïsme, qui sommeillent en nous, peuvent se ravi-

ver et retrouver leur efficacité. La misère et l’oppres-sion deviennent s u p p o r t a b l e s , les endurer peut conduire à la créa-tion, elles peuvent même être une bénédiction si, en elles, malgré elles

ou par elles, nous arrivons à libérer et élever notre vie intérieure qui aupara-vant était à l’étroit et ne trouvait pas son chemin. Notre destin, à nous Juifs alle-mands, dépend de notre réponse ».

A Berlin, il donna des cours et dirigea des séminaires d’homilétique, de mystique juive, d’histoire du judaïsme, de science religieuse comparée, comme par exemple le problème de la base historique de la Révélation dans l’Evangile de Jean. Ses cours étaient analytiques, systématiques et libres de tout préjugé. Toutefois ses homélies n’aboutissaient pas à une conclusion définitive, car elles étaient le reflet de la pensée d’un homme qui recherche la vérité.

« L’ouverture d’esprit peu commune de ses parents fit de

Leo Baeck un homme qui, sa vie durant, sut respecter tous les

courants du judaïsme »

6 Discours prononcé en 1919 à la mémoire des membres du Conseil d’administration et des auditeurs tombés pendant

la guerre.

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En tant qu’enseignant, son but fut toujours d’arriver à ce que ses étudiants « développent la conscience de ce qui est immuable dans le noyau du judaïsme (…) afin d’être prêts à dialoguer de façon féconde avec les différents courants du monde contemporain »7

Baeck avait très tôt pris parti en faveur d’Eretz Israël. En 1897, il avait refusé de signer une protestation contre le Congrès sioniste de Bâle. Dans le journal publié par Martin Buber « Der Jude » (Le Juif), il écrit en 1917, « Nous avons besoin (d’un lieu) pour notre vie et pour notre survie ». Baeck n’était pas sioniste du point de vue politique, mais il pensait que la Palestine était une chance pour le judaïsme libéral, et il regrettait que les Juifs orthodoxes y dominent la vie religieuse. Il écrit: «Voilà la question qui se pose en ce qui concerne la Palestine: que doit y être la vie reli-gieuse ? La Palestine doit-elle être domi-née par les orthodoxes ? Par le nihilisme russe ? Des devoirs importants revien-nent au mouvement libéral religieux ».

Au printemps 1935, Leo Baeck prit part avec sa femme au voyage inaugural du «Tel Aviv», et il séjourna une semaine dans le pays. Voilà ce qu’il écrit: « Si dans l’histoire des Juifs, il y a une preuve de la Provi-dence, si l’ancienne parole du Talmud est vraie, selon laquelle Dieu donne le remède et la guérison avant la souffrance, c’est bien parce qu’aujourd’hui une Palestine juive est redevenue une réalité ».

Leo Baeck était partiellement préparé aux évènements de 1933. Cependant, jamais il n’aurait pu prévoir l’horreur des années suivantes. Lorsqu’il fut clair que le but poursuivi par les nazis était l’extermi-nation totale des Juifs, il essaya tout au moins de sauver autant de victimes que possible. On avait beaucoup trop tardé à

créer un organisme central pour protéger les droits fondamentaux des citoyens juifs. Ce fut en 1933 que, sous la direction de Leo Baeck, la «Reichsvertretung der deutschen Juden» (Représentation dans le Reich des Juifs allemands) fut finalement créée. Elle avait comme tâche d’être leur porte-parole vis-à-vis des autorités allemandes et des institutions étrangères, et d’être un guide spirituel au sein de la communauté juive. Après les pogromes de novembre 1938, cet organisme fut soumis au contrôle de la Ges-tapo et surveillé de près par Eichmann et Heydrich, ce qui réduisit considérablement toute possibilité d’initiative. Mais malgré le danger grandissant, Leo Baeck voulut continuer à diriger la «Reichsvertretung». Il n’attachait pas une grande importance à sa propre sécurité. Durant l’été 1939, il se rendit à Londres, où vivait sa fille avec sa famille, - sa femme Nathalie était morte à Berlin en 1937 - pour voir s’il existait des possibilités de faire sortir des Juifs d’Alle-magne. L’imminence de la guerre ne l’em-pêcha pas de rentrer car «tant qu’il y aura un seul Juif en Allemagne, ma place sera là-bas et je ne quitterai pas le pays».

Les temps les plus difficiles commencèrent alors. La coopération que les nazis exi-geaient de la part de la communauté juive pour la déportation de ses membres était comme un couteau qui ferraillait dans une plaie. Baeck ne pouvait y échapper et il dut assumer ses responsabilités. En tant que Président de la «Reichsvertretung», il était obligatoirement en contact avec les auto-rités nazies. En 1942 il rédigea, sur ordre de la Gestapo, une étude sur la situation juridique des Juifs, ou plus exactement sur la question de savoir comment les Juifs avaient acquis une position juridique dans les pays européens. Lorsqu’il fut arrêté et déporté à Theresienstadt, le 27 janvier 1943, il en emporta le manuscrit ainsi que celui de l’introduction au livre qui devait

7 Hans Liebschütz: «Judaism and History of Religion in Leo Baeck’s Work», in Leo Baeck Institute Yearbook II, London 1957

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devenir «Ce peuple». Jusqu’à la dernière minute, il oeuvra en vue de faire émigrer des Juifs, organisant entre autre des trans-ports d’enfants vers l’Angleterre.

Leo Baeck avait presque 70 ans lorsqu’il fut déporté. Dans le camp, il fut bientôt nommé président du Conseil des anciens, et il se préoccupa activement, dans la mesure de ses possibilités, de venir en aide à tous ses codétenus. Si la compo-sition de la population du camp ne per-mettait pas d’organiser un mouvement de résistance politique, Leo Baeck voulut instaurer une résistance morale. Il la pra-tiqua, l’enseigna et en donna l’exemple: se comporter comme un homme doit se com-porter, toujours et partout, même dans les circonstances les plus difficiles, avec bonté, sincérité et bienveillance.

A Theresienstadt les prisonniers allaient vers Leo Baeck, et il allait à eux. Dans une petite salle de caserne, 700 à 800 personnes se serraient pour entendre ses exposés sur les sujets les plus divers qui pouvaient être Maïmonide mais aussi Platon ou Kant. Au cours de nombreux entretiens privés, il se consacrait à ses compagnons de captivité et agissait envers eux en tant que rabbin et consolateur. Il prêta autant qu’il le put son assistance spirituelle et son enseigne-ment à tous les prisonniers, leur permet-tant ainsi de garder leur dignité humaine dans un environnement qui se prêtait à l’avilissement de l’être humain. Plus tard, Leo Baeck écrira dans ses souvenirs de captivité: «La description de beaucoup de choses qui se sont passées pendant cette période de ténèbres pourrait être intitu-lée: «Le Mal comme objet d’expérimen-tation». Une telle expérimentation de la volonté de faire le mal se pratiqua dans le camp de concentration de Theresiens-tadt. (…)En premier lieu, un minimum

de possibilités de rester en bonne santé entraîna un maximum d’occasions de tomber malade. Le local de séjour devint un mouroir. Ensuite dans un lieu de plus en plus étroit, l’on entassa de plus en plus de monde, de sorte que chacun était obligé de se frotter à son voisin et de le pous-ser. Il y avait une volonté que l’égoïsme et la convoitise fassent des ravages, et que toute bienséance disparaisse.8

Après que Theresienstadt eut été libéré par l’Armée rouge, au début du mois de mai 1945, Leo Baeck resta encore pendant deux longs mois dans le camp où sévissait une épidémie de typhus, afin d’accompagner les malades et les mourants. Il avait fait sienne la maxime d’un de ses amis: «Nous sommes des locataires en ce monde. Il y a des cho-ses que nous pouvons faire avancer, nous pouvons apaiser des souffrances, aider, mais nous ne pouvons pas dominer. Notre mission est de servir avec modestie et res-pect. Nous sommes des serviteurs».9

Lorsque Leo Baeck quitta Theresienstadt le 1er juillet 1945, il avait 72 ans. Après une brève escale à Paris, il gagna Londres où vivaient sa fille Ruth, son gendre et leur petite fille Marianne. Il ne les avait pas vus depuis six ans. Il était bien conscient que le rapport entre les Juifs et l’Allema-gne ne devait être défini ni par un atta-chement sentimental, ni par un rejet. Il écrivit dans un journal allemand: «Le Juif qui accepte de voir et d’entendre, voit les ombres qui sont descendues sur son exis-tence, il entend la voix de ces ombres; on dirait que ces ombres projettent encore leur ombre et qu’elles parlent. Elles font à présent partie de sa vie. Il y a dans la Bible une parole que Dieu a adres-sée à Israël – Lui seul, le Dieu Un pou-vait la prononcer: «Tu es un peuple à la nuque raide». Ces ombres ont également

8 Préface de Leo Baeck in Hans G. Adler «Theresienstadt 1941-1945. Der Antlitz einer Zwangsgemeinschaft», Tübingen 1955

9 Citation d’un discours de Richard von Weizsäcker, en 1998

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10 Cité d’après Ernst Ludwig Ehrlich in «Leo Baeck – der Mensch und sein Werk» (2001)

11 Leo Baeck: Oeuvres complètes, vol 6

12 Leo Baeck: Oeuvres complètes, vol 6

la nuque raide. Elles ne s’inclinent pas, impossible de les chasser, elles accom-pagnent chaque Juif, elles restent avec lui lorsqu’il met le pied sur un sol nou-veau… »10 Parlant des ruines de l’his-toire, Baeck dénonce la responsabilité de l’homme qui fait descendre les ténèbres sur le monde, et non la responsabilité de Dieu.

A Londres, Baeck adopta la nationalité britannique et concentra toutes ses forces en vue de la conservation et la diffusion de la pensée et du savoir juifs. Il assuma également de nombreuses fonctions: Président du Conseil des Juifs d’Allemagne, et Président du «World Union for Progressive Judaism». Il créa la «Londoner Society for Jewish Studies», et enseigna de 1948 à 1953 l’Histoire du judaïsme au «Hebrew Union College» à Cincinnati. Son attachement pour la terre d’Israël était resté le même.

En 1947, il s’y rendit pour un séjour de sept semaines, puis en 1948, il publia dans le New York Times, avec Albert Einstein, un appel aux Juifs et aux Arabes de Palestine leur demandant de ne pas employer l’arme de la terreur. Lors d’un nouveau voyage qu’il y fit en 1951, il s’exprima ainsi: «Où qu’il (le Juif) vive, l’Etat d’Israël le concerne, qu’il le veuille ou non, cet Etat exerce une influence sur lui et il est l’expression de son destin historique»11.

Le 7 juillet 1954, à l’occasion du 750ème anniversaire de la mort de Maïmonide, invité par le Conseil central des communautés juives de Düsseldorf, il prononça dans la salle de l’Assemblée

plénière du Parlement de Düsseldorf, en présence de Theodor Heuss, Président de la République Fédérale, un discours solennel pour rendre hommage au grand érudit du Moyen Age.

Il décrivit un Juif qui même après son exil sut «rester lui-même». Ses auditeurs purent comprendre que Baeck faisait allusion aux Juifs du temps présent que l’on avait «dépouillés d’eux-mêmes», peu d’années auparavant. Mais il avait aussi écrit: «Lorsque nous pensons aux années d’infamie, - et nous devons y penser, - nous n’avons pas le droit d’oublier ces personnes qui marchèrent en toute simplicité et droiture avec Dieu. Elles peuvent à présent intercéder pour leur peuple auprès de Lui. Durant les périodes où nous étions au fond du gouffre, il m’a été donné de rencontrer de telles personnes, et c’est pour moi un devoir absolu de témoigner que je leur suis reconnaissant du plus profond de mon coeur»12.

Leo Baeck mourut le 2 novembre 1956, à Londres, après une longue maladie. Dans une oraison funèbre très émouvante, Theodor Heuss rappela leur première rencontre à Düsseldorf, lorsqu’il l’avait entendu prononcer son brillant discours sur Maïmonide. Maintenant l’on pouvait constater que la caractéristique qu’il avait attribuée au grand philosophe médiéval était aussi la sienne: «Vivre pour les autres, et pourtant rester soi-même». Il fut enterré au cimetière de la West London Synagogue, Hoop Lane. Sur sa pierre tombale on peut lire l’inscription hébraïque: «Migesa rabbanim» (d’une lignée de Rabbins) ■

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A la mémoire de Varian Fry (1907-1967)

Par Monique Ebstein

A ma grande honte, il y a quelques jours encore, je n’avais jamais entendu parler de Varian Fry. Une visite à la petite exposition1 qui se tient actuellement à Paris jusqu’au 9 mars 2008, à la Halle Saint-Pierre, au pied de la butte Montmartre, m’a permis de découvrir le parcours d’un homme, un journaliste américain, à qui plus de 2000 Juifs et militants anti-nazis, parmi lesquels des intellectuels et des artistes, doivent d’avoir survécu aux déportations et à la guerre.

L’originalité de l’exposition est d’être présentée en deux parties: un volet historique révèle des documents et des photographies qui rendent compte de l’action de Varian Fry, et un volet artistique expose un ensemble de très belles oeuvres individuelles mais aussi collectives. La plupart d’entre elles ont été réalisées par ces candidats réfugiés, alors qu’ils attendaient le visa qui leur permettrait de s’engager sur la route de l’exil. Il s’agit, pour la plupart, d’artistes de très grande renommée. Parmi eux, Marc Chagall, Max Ernst, Marcel Duchamp, Roberto Matta.

Qui fut Varian Fry ? Il vient au monde à New York en 1907, dans un milieu aisé. A 20 ans, il entre à Harvard où il obtient son BA. Huma-niste fin et cultivé, il connaît bien le latin et parle plusieurs langues. Il se marie, voyage en Europe, puis de retour à New York, il étu-die l’histoire et les relations internationales à l’université de Columbia. Journaliste spé-

cialisé dans les Affaires internationales, il est aussi photographe et rédacteur dans plu-sieurs quotidiens et magasines.

En 1935, il effectue un reportage à Berlin. Il y est témoin de la barbarie des nazis, et il en rendra compte dès son retour. Il écrira plus tard: «Je n’étais pas tout à fait un inconnu pour la Gestapo. J’avais écrit un article sur la manière dont les nazis traitaient les Juifs.» Or l’ascension de Hitler avait profondément bouleversé l’intelligentsia allemande, et Fry avait d’ores et déjà pris conscience du climat de haine et des persécutions qui allaient contraindre à l’exil un grand nombre d’intellectuels et d’artistes. Certains n’hésitèrent pas dès cette époque à quitter l’Europe pour choisir la Palestine, la Chine, l’Amérique du Sud ou le Canada, d’autres optèrent pour Paris ou l’Angleterre.

Fry adhérait à l’association «American Friends of German Freedom» qui soutenait les activités de résistance du groupe socialiste allemand «Neu beginnen» (Recommencer à zéro). Le 25 juin 1940, il participe à New York à une manifestation qui dénonce l’article 19 de l’armistice stipulant que la France devra «remettre, à la demande de l’Allemagne, tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich.» Cela signifiait trahir la parole donnée aux réfugiés politiques et aux Juifs allemands. Ce même jour fut créé l’ «Emergency Rescue Committee»

1 Exposition: Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard – 75018 Paris Tél: OO/33/1 42 56 72 89 - Métro : Anvers/Abesses - Ouvert tous

les jours de 10h00 à 18h00 jusqu’au 9 mars - Catalogue - www.hallesaintpierre.org

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(Comité de sauvetage d’urgence) qui sera opérationnel en peu de jours. Il bénéficie du soutien d’universitaires influents, de l’aide du Museum of Modern Art de New York, de la Fondation Rockfeller, de la New School for Social Research et du New World Found. Il reçoit également l’appui d’Eleanor Roosevelt, l’épouse du Président des Etats Unis. Celle-ci parvient à convaincre le département d’Etat d’accorder des «visas de sauvetage» hors quota d’immigration. L’ERC décide aussitôt d’envoyer un de ses représentants, afin d’organiser l’aide aux réfugiés les plus exposés dans la zone sud de la France, et Fry se porte candidat.

Varian Fry arrive à Marseille via Lisbonne. Il a en poche une lettre d’Eleanor Roosevelt, une autre du sous-secrétaire d’Etat, Summer Welles, 300 dollars ainsi qu’une liste de deux cents noms établie par les groupes d’émigrés allemands, autrichiens, tchèques, italiens, français, et complétée par le Museum of Modern Art et la New School for Social Research. La durée prévue pour son voyage est de 15 jours, il restera en France plus d’un an.

Le CAS (Centre Américain de Secours), filiale du ERC, est aménagé de façon très rudimentaire dans les locaux de l’hôtel Splendide à Marseille. A partir de là, Varian Fry entre en contact avec les réfugiés: «Mes listes de réfugiés étaient de toute évidence arbitraires. Elles avaient été dressées rapidement et de mémoire par des personnes qui vivaient à plusieurs milliers de kilomètres de là, et n’avaient qu’une idée très vague de ce qui se passait en France....Ces listes hétérogènes sont incomplètes; or un nom absent, un nom rayé, c’est un espoir qui se brise. La liste idéale serait celle des persécutions, celle qui se calquerait sur la liste même des nazis....Parmi les réfugiés surpris en France, il y avait beaucoup d’écrivains et d’artistes que j’admirais: des écrivains comme Franz Werfel et Lion Feuchtwanger; des peintres comme Marc Chagall et Max

Ernst; des sculpteurs comme Jacques Lipchitz....Maintenant qu’ils étaient en danger, je devais les aider». Certains d’entre ceux qui furent contactés, tels Picasso, Kandinsky, Matisse, Pablo Casals, André Gide et André Malraux, refusèrent de partir. Mais beaucoup d’autres saisirent l’espoir, fut-ce au prix d’une attente incertaine, de bénéficier d’un visa qui leur permettrait de se réfugier aux Etats-Unis. Pour ne citer arbitrairement que quelques noms parmi les plus célèbres: Hannah Arendt, André Breton et sa femme, le peintre Jacqueline Lamba ainsi que leur fille, la petite Aube, René Char, Marc Chagall, Max Ernst, Wanda Landowska, Franz Werfel et Alma Mahler, Max Ophüls, Heinrich et Golo Mann, Jacques Schiffrin, (l’éditeur qui lança les éditions de la Pléïade)..... Aujourd’hui nous ne pouvons oublier un motif très important de notre reconnaissance envers Varian Fry: nous lui devons l’énorme patrimoine culturel que représente l’ensemble de la production d’après-guerre de ces intellectuels et de ces artistes !

Pendant les 13 mois où il reste en France, Varian Fry déploie une activité débordante et souvent clandestine que désapprouve le département d’Etat à l’heure où Washington entend conserver une ambassade à Vichy. A partir de ce moment, le jeune Américain de la bonne société new-yorkaise qui avait toujours eu une vie agréable, connaît des difficultés innombrables, et il les surmonte avec un admirable esprit d’indépendance. Il accompagne Heinrich Mann, Franz Werfel et Alma Mahler lorsqu’ils passent la frontière espagnole, il visite les camps d’internement de la zone sud (Saint-Cyprien, Gurs, Argelès, le Vernet, Rieucros, les Milles). Il est même détenu du 2 au 5 décembre 1940, «à titre préventif», lors de la visite du maréchal Pétain à Marseille. Et lorsqu’il sera convaincu de l’imminence de son expulsion, Varian Fry poursuivra ses efforts: «Ce travail est comme la mort, irréversible. Nous avons commencé ici

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quelque chose que nous ne pouvons pas arrêter. Nous avons permis à des centaines de personnes de se raccrocher à nous. Nous ne pouvons pas subitement déclarer qu’en définitive la tâche nous ennuie et que nous rentrons». Puis, au cours de la première quinzaine du mois de septembre 1941, il sera arrêté et reconduit jusqu’à la frontière espagnole sous l’escorte de deux inspecteurs de police.

Dès son arrivée à New York, fin octobre, il donne une conférence sur la situation des réfugiés en France, et sur la «stupide politique» du département d’Etat. Il est considéré avec suspicion par ses compatriotes, parce qu’il dénonce la politique américaine d’immigration sélective et restrictive à l’égard des présumés communistes, et des Juifs: «Maintenant je sais, et je veux que les autres sachent avant qu’il ne soit trop tard......Les gens ne comprennent pas, cela ne les touche pas plus qu’un tableau de statistiques. Ils n’ont pas vu, pas entendu, pas senti, alors ça ne les émeut pas». En décembre 1942, il écrit dans «The New Republic» un article au titre éloquent «Le massacre des Juifs en Europe». En 1945, il publie le récit de sa mission en Europe, mais l’éditeur censure toute critique à l’égard de la politique américaine concernant les réfugiés, et ne rend pas compte de ce que fut réellement l’action de Fry sur place. Ce ne fut qu’en 1999 que l’ouvrage sortit en France sous le titre «La Liste noire».

On comprend le désenchantement de Varian Fry. Il vécut après la guerre «dans une sorte d’exil intérieur qui ne fut jamais complètement brisé jusqu’à sa mort en 1967»2. Il avait eu une foi opiniâtre en sa mission, humanitaire certes, mais contenue dans des limites à ne pas dépasser. Au regard d’une

politique américaine à la fois généreuse, pragmatique et cynique, l’action de Varian Fry est celle d’un héros ayant su braver les choix de son gouvernement, car il jugeait que l’Amérique ne devait pas secourir uniquement les grands noms de la culture européenne, mais toutes les victimes potentielles de la barbarie nazie.

Varian Fry revint à deux reprises en Europe, et prit contact avec certains des artistes qu’il connaissait. Son but était de collecter des oeuvres qui seraient destinées à des ventes publiques. Avec les fonds ainsi réunis, l’ «International Rescue Committee» issu de l’ERC, voulait publier un volume de lithographies en vue de commémorer le sauvetage des intellectuels et des artistes européens. Seuls certains d’entre eux firent preuve de générosité.

Le 12 avril 1967, peu avant sa mort, Varian Fry, très ému, fut décoré de la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Elle lui fut remise au Consulat Général de France à New York. Ce fut la seule reconnaissance officielle de son vivant. Le 13 septembre de la même année, il mourut d’une crise cardiaque.

Le 5 février 1996, Varian Fry fut le premier - et jusqu’à présent le seul - citoyen américain à être honoré comme «Juste parmi les Nations». La cérémonie eut lieu à Yad Vashem en présence du secrétaire d’Etat américain, Warren Christopher, qui planta un arbre dans l’allée des Justes. Dans son discours, il reconnut que l’action héroïque de Fry n’avait jamais reçu le soutien qu’elle méritait de la part du département d’Etat, ni du gouvernement des Etats-Unis.

Le 1er janvier 1998, il reçut à titre posthume, la citoyenneté d’honneur de l’Etat d’Israël, accordée à un certain nombre de Justes qui surent rallumer la lumière de l’humanité pendant l’époque nazie. ■

2 Emmanuelle Loyer dans «De Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil».

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La passion d’OberammergauPar Patrick Muntz

Le village de la PassionDurant mon congé de l’été 2007, j’ai visité le village bavarois d’Oberammergau dans les pré Alpes (à 25 Km de Garmich Par-ten Kirchen), pour mieux com-prendre certaines complexités des relations judéo catholiques. J’avais lu « Le christianisme et ses Juifs » (Ed. du Seuil 2004), où l’ethno-logue Jeanne Favret-Saada aidée de la psychanalyste Josée Contreras retrace l’histoire de cette passion collective pour la mort de leur Christ et ses liens avec l’histoire de la Bavière et du romantisme allemand. En contrepoint, elles montrent la place qu’occupe l’antijudaïsme dans le message de l’Eglise tandis que l’autre moi-tié de l’ouvrage traite de l’antisémitisme allemand et un peu anglais des 19 et 20ème siècles.

Je passai deux jours dans ce village où « Passionsspiele » est un spectacle de la passion de Jésus présenté chaque décennie depuis 1633, suite à un voeu collectif fait pour éloigner une épidémie de peste bubo-nique qui décimait la région. Après la 1ère représentation de 1634, il fut décidé par un engagement solennel, que les suivan-tes auraient lieu à la fin de chaque décen-nie. Plus tard s’ajouteront les jubilées et le 350ème anniversaire fut le dernier en 1984. De fait, la passion de Jésus jouée sur scène devint un phénomène européen à partir du bas Moyen Age. Les centaines de vil-lages qui la jouaient, chacun à leur façon, se réduisirent progressivement. On peut encore y assister aujourd’hui en Italie, en Espagne et même en Belgique. Le directeur artistique du nouveau spectacle d’Oberam-

mergau m’a dit qu’il y a encore 17 villes dans ce cas aux Etats-Unis. Depuis le 16ème siècle, peu de ces villages développè-rent des spectacles aussi longs et grandioses qu’Oberammergau et il se fait que cette passion-là se fera connaître, puis deviendra fort courue dans les mondes ger-

manique et anglo-saxon, après avoir été un must du gotha nord européen, et ce, malgré de sérieux relents d’antisémitisme.

Depuis 1950, chaque saison voit ce specta-cle de plus de huit heures joué une centaine de fois (durant 4 ½ mois) devant plus d’un demi million de spectateurs, dans cet audi-toire en forme de hall de gare 1900 (comme la gare d’Anvers ou celle d’Orsay convertie en musée à Paris). Le spectacle présentera de la mi-mai à la fin septembre 2010, la vie de ce Juif, depuis son entrée à Jérusalem jusqu’à sa « résurrection » (pentecôte). Les principaux personnages du procès et de la mise à mort de Yeshua Ben Yossef (Yesus Christos) y sont incarnés par des acteurs, des choristes, des musiciens et plus de 450 figurants, (sans compter les responsables des décors, couturières, décorateurs,…), tous habitants d’Oberammergau.

Un peu d’histoireLe spectacle profondément refondu en 1806 par un prêtre, Joseph Daisenberger, res-tera le modèle jusqu’en 1980. La libération de la Bavière de l’occupation napoléonienne devint l’occasion pour les romantiques de recréer l’union du peuple germanique. Des territoires protestants avaient été annexés et le comte de Montgelas, 1er ministre de Bavière, décida d’utiliser le spectacle à des

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fins politiques. Dès 1816, les appels du pied aux Protestants s’accompagnèrent de sub-tiles nouveautés de l’abbé Othmar Weis et la passion fut rebaptisée « le Grand Sacrifice du Golgotha ». On ne se privait pas de rappeler que Luther, en son temps, avait assisté à des spectacles de la passion et qu’une série de détails avaient été rendu plus digestes, comme lors de la « dernière cène », le maître distribuant le pain suivant la forme rituelle des presbytériens.

Last but not least, la représentation rassem-blait des milliers d’anonymes, créant chez eux un vécu de communion et jouait simul-tanément sur plusieurs stimuli perceptifs. Elle débordait les défenses rationnelles et soudait public et acteurs dans une même émotion. Le spectacle devint aussi, en 3 décennies, le rendez-vous de la gentry et de l’aristocratie anglaises. Le village multiplia les représentations dans une même saison décennale, attirant des Chrétiens de toute l’Europe du nord et des Etats-Unis… et en 1900, on vit affluer plus de 200.000 specta-teurs tandis que se publiaient des centai-nes de livres, de brochures, d’articles de presse… particulièrement dans les milieux conservateurs, nationalistes, chrétiens ou antisémites.

Le succès hors de Germanie s’était mis en place par deux anglicans éblouis par le spectacle de 1850 au point de lui pardon-ner d’être catholique. Le bruit de leur émer-veillement toucha la Cour et le haut clergé anglais. La notoriété du spectacle franchit les frontières quand l’Eglise anglicane vit cette Passion bavaroise comme le modèle qu’elle cherchait pour sa prédication. Des Protestants allemands, puis anglais, présentèrent à leurs coreligionnaires ce spectacle rebaptisé « mystère » ou « drame sacré ». Des Réformés de haute naissance allaient le promouvoir en esquivant les objections réformées et en employant des arguments adaptés à la sensibilité de cha-que public.

Une Passion peut en cacher une autreL’amour pour son propre Seigneur peut déraper en haine pour des étrangers dont on fait des boucs émissaires utiles à l’affer-missement de la foi des fidèles. Personne, au XIXe siècle, n’y avait vu autre chose que de la religion mais en 1900, le rabbin amé-ricain Krauskopf accusa la pièce d’antisé-mitisme comme il le faisait pour les Evan-giles. Il écrivit en avoir été horrifié et avoir dû se retenir de crier, à trois titres : le men-songe sur les lois juives et autres faits histo-riques, la fausseté de leurs interprétations et la cruauté injustifiée des conclusions. Le rabbin rencontra Gregor Lechner, le Judas de 1850 à 1880 car les spectateurs l’avaient insulté, menacé et battu, ses voisins du vil-lage l’avaient souvent accusé d’être un traî-tre malgré la dévotion catholique familiale connue de tous. Cet homme avait empêché son fils de perpétuer ce jeu de rôle pour ne pas lui imposer les souffrances que son père et lui-même avaient dû endurer.

Ce rabbin américain expliquait que les Juifs étaient montrés sous une lumière abominable et mensongère. Il prenait conscience de ce que les Chrétiens ne savaient des Juifs que ce qu’on leur avait fait croire par les écritures sélectionnées parmi les plus anti-juives, l’enseignement des catéchismes, les discours prêchés du haut des chaires de vérité, les publications antijuives de toutes sortes qui pullulaient à l’époque. Le rabbin Krauskopf ajouta que des échos de la critique biblique n’avaient jamais retenti dans ces montagnes et que les villageois n’étaient hantés par aucun doute. Ils faisaient envie par la chaleur de leur foi et pitié vu leur raison enchaî-née par la crédulité. L’ethnologue Favret-Saada explique (p. 226 -228) que le rabbin était émerveillé de la variété des langues entendues, la diversité des physionomies, la bigarrure des vêtements, le mélange des classes sociales… puis qu’il reçut sa dou-che froide à l’entrée : le coryphée enjoignait à « ceux qui refusent la rédemption par le

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Christ de se courber bien bas pour subir la malédiction et la juste colère de D-ieu, tonnerre et glaive de feu ». Ces péripéties qui indignent Krauskopf faisaient la joie des autres spectateurs. Pour lui, c’était un traité anti-juif théâtralisé. Il écrit en 1901 dans « A Rabbi’s Impressions of the Oberammergau Passion play » (Ed. Rayner à Philadelphie) que :« Le vêtement de Judas, son allure et sa démarche sont calculés pour éveiller la haine la plus violente. Une robe jaune, emblème de l’envie et de la trahison ; une bourse à la ceinture, symbole de l’avidité juive pour l’or ; des yeux perçants sans repos ; les cheveux en broussaille ; la face hagarde ; le glissement du pas comme un serpent…. Comment Jésus a-t-il pu choi-sir pour figurer parmi ses proches cet être dont la présence distille le poison, dont la voix sonne faux, dont le regard frappe des coups de dague ? … Johann Zwinck (l’acteur) aura composé son personnage en combinant les représentations du juif successivement imaginé par les pères de l’église, les fanatiques aux âges obscurs, par les railleurs et les persécuteurs du Moyen Age et par les modernes antisémi-tes. L’auteur a eu sous la main tous ces modèles sordides…

Le rabbin apprit aussi que, devant les outrages perpétrés contre ce Christ, cer-tains spectateurs vivaient des crises hys-tériques, devenaient momentanément fous, courraient à travers le village, en proie à de violentes hallucinations. Du coup, la diversité qui l’avait tant séduit avant le spectacle, lui apparut comme une gigan-tesque menace car les spectateurs allaient prêcher, donner des conférences chez eux sur la cruauté juive envers le « doux sei-gneur » dont, en plus, la judéité était pure-ment ignorée… en ce début du 20ème siècle où se multipliaient en Europe de l’Est les pogroms, les procès pour crimes rituels et même des accusations de saignement d’hostie.

La polémique actuelleAprès l’accession de Hitler au pouvoir poli-tique, le spectacle fut accusé par la presse anglo-américaine de pousser au pire fana-tisme. Pour 1930 et le 6ème jubilée de 1934, les nazis accentuèrent le côté méprisable et dégoûtant des personnages juifs. La controverse et le scandale reprirent après 1945 parce que le passionsspiele perpé-tuait l’enseignement traditionnel chrétien, minimisant le rôle des Romains dans la crucifixion et chargeant collectivement les Juifs du « déicide » comme si la Shoa n’avait été qu’un intermède à la marche triomphale du « heren volk ». Des relents d’antijudaïsme prenant des formes antisé-mites furent constatés en 1950 et il fallut 35 ans de bataille et d’incompréhensions mutuelles de l’Anti Diffamation League soutenu par le Bnei Brith contre la ville, son mayeur, son conseil communal (qui décide des changements acceptables de cette passion) ainsi que des théologiens qui marchandaient tout changement que demandaient les Juifs, avant qu’une nou-velle mouture, allégée de ses pires outran-ces, voit le jour en 1990 puis en 2000. Celle-ci fut bâtie par des artistes professionnels avec d’autres musiques, de nouveaux costu-mes et tableaux de l’ « Ancien Testament » pour que les personnages collent avec le vrai Israël sous occupation romaine, en se centrant sur l’Evangile de Mathieu plutôt que celui de Jean qui avait servi jusqu’en 1984. Qu’il ait fallu 35 ans pour modifier le spectacle est un indice que les habitants n’avaient pas compris et que seuls une nou-velle génération et le travail de mémoire de la RFA dans ses écoles et ses médias per-mettront de mûrir les mentalités.

L’arrivée des rabbins américains avait pro-voqué une crainte permanente dans la ville. Le directeur du spectacle m’expliqua qu’on n’avait pas trouvé ce que des intellectuels citadins juifs américains avaient de com-mun avec des conservateurs catholiques bavarois de la campagne.

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Rien que la judéité de Yeshua Ben Yossef (Jésus) fut un scandale qui ne fut digéré par la Bavière qu’après des années de débat pour qu’ils admettent qu’il fallait habiller le « Sauveur » comme les autres Juifs et non comme un sénateur grec sur un nuage ou un personnage du Walhalla (mytholo-gie nordique) au milieu de la fange d’une « cour des miracles » juive. Des « tableaux vivants » immobiles de scènes de l’ « Ancien Testament » pour illustrer la permanence de certains défauts (défauts humains ou défauts juifs ?) font peut-être problème car tout change avec la façon de les présen-ter, les mots employés en « voix Off » qui les accompagnent, etc. La relecture des Evangiles par les spécialistes chrétiens actuels n’est connue que de quelques uns… Une structure antijuive en pointillés pour-rait donc être encore perceptible mais les organisateurs actuels pointent la bouteille à moitié pleine (tout ce qui fut transformé entre 1984 et 1990) plutôt qu’à moitié vide, comme s’en plaignent des intellectuels juifs pour son potentiel explosif. Comme on le constate partout, l’apprentissage d’une lec-ture plus adulte, critique et plus historique des Evangiles se transmet mal des artistes et des spécialistes au public chrétien.

Dans la 1ère saison d’après guerre, en 1950, l’ancien chef de la Hitlerjugend jouait le rôle du Christ ; le metteur en scène avait été volontaire dans le service de Goebbels... et le reste était à l’avenant. Ce spectacle était financé par l’armée US d’occupation car c’était déjà la guerre froide et les Allemands étaient traités en alliés. Quand la polémique se déclencha, les villageois défendirent leur pièce, becs et ongles, à partir du principe : « Pas question de toucher à notre tradi-tion ! ». Des décennies durant, ils résistèrent de toutes leurs forces aux modifications pro-posées par les Juifs et quelques théologiens (appelés traîtres). Pour finir, la Passion 1990 et 2000 est moins antisémite que le film de Mel Gibson, grâce à l’arrondi imposé aux coins les plus saillants du texte !

Une Passion collective dévoranteOutre le texte en vente de l’édition 2000, j’ai pu me procurer les versions de cette passion de 1990, 1984 (le 7ème jubilée) et 1960. On trouve de la documentation du nouveau spectacle (les habitants semblent embarrassés et cacher l’ancien), des photo-graphies de certaines scènes en cartes pos-tales, un reportage des répétitions durant les années intermédiaires. L’identité des Oberammergauer inclut cette passion et les habitants, seuls habilités à la jouer, doivent avoir la tête de leur rôle au moins 12 mois avant la saison du spectacle; ce sera donc le cas à partir d’ avril 2009. Le prix des entrées et un fond spécial servant d’assu-rance professionnelle permettent de payer les figurants, les aides, les techniciens, les acteurs pour leur chômage obligé. Les rôles les plus importants sont tenus par deux acteurs (deux Jésus, deux Judas, deux grands prêtres…) qui doivent avoir une santé de fer pour tenir 8 heures, certains jours sous la pluie. Des habitants âgés por-tent la barbe en permanence pour garder la tête de leur rôle de prêtre ou de Juifs prati-quants du temps de Jésus. Je trouve saisis-sant pour des Catholiques bavarois (région qui fut un des berceaux du nazisme et reste un bastion des conservateurs) de garder avec fierté la « barbe juive », et comment comprendre le sens de ces comportements, le vécu des acteurs et leurs effets sur les tiers ? Aucun maquillage, aucune perruque ou fausse barbe, aucune protection contre le mauvais temps, aucun procédé électri-que pour mouvoir les décors, aucun allège-ment des armures, des armes et des croix de crucifixion (celle de Jésus pèse 80 kilos) ; tout est fait pour rester dans les condi-tions de la représentation de 1634. C’est admirable et inquiétant qu’ils vivent cela comme leur passion par transposition de celle des Evangiles.

La piété des Oberammergauer, leurs saints curés, leur « ferveur médiévale » ont nourri au 19ème siècle une nostalgie du vrai

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christianisme patristique de cette époque supposée bénie qui avait précédé la déchi-rure de la Réforme. La littérature exaltait ce dernier vestige d’ « une paysannerie déli-cieusement fidèle à son folklore » comme disait une agence de voyage anglaise pour le spectacle de 1880. Il faut réserver très longtemps à l‘avance (dès janvier 2008 pour ce coup-ci) pour avoir une chance… Pour les Juifs qui ont vu ce spectacle, outre cette glorification sans nuances du « Christ-roi » et certaines outrances qui résultent du romantisme allemand, il reste des épura-tions à réaliser, même si le public n’est plus violent et ne confond plus rôles et acteurs. Cela exigera cependant une connaissance du catéchisme et du doigté, un vocabu-laire chrétien pour que l’histoire réelle soit comprise des habitants qui décident en dernier ressort. Cependant, comment réagir en face d’ajouts bien intentionnés de philosémites qui utilisent un des vingt Evangiles apocryphes pour montrer des scènes absentes des Evangiles canoni-ques, comme on l’avait fait contre les Juifs avant la réforme de 1990 ? Dans cette nou-velle mouture, une scène montre l’apôtre Yehouda (Judas l’Iscariote) accusant les prêtres et exigeant la restitution de son maître, quand il comprit que ces Sadu-céens n’allaient pas le faire juger à la régu-lière. On a même choisi en 2000 un grand et bel homme blond pour ce rôle. C’est vrai que pour tout homme épris de science et d’exactitude, la crédibilité des Evangiles « apocryphes » ne le cède pas à priori à celle des quatre officiels, mais il faudra, à l’avenir, être attentif à tout changement des sources qui, en elles-mêmes ou par leur traitement, peuvent apporter le meilleur ou le pire.

Un effort permanent d’éducationNous savons aujourd’hui que la démocratie, les conquêtes sociales, le haut niveau d’édu-cation sont temporaires car il faut sans arrêt remettre l’ouvrage sur le métier pour seulement maintenir ce qui est. Nombre

de Chrétiens sont tentés par le confort d’une Eglise frileuse, certaine de son bon droit et habituée à ronronner sa vérité. En page 6, le quotidien « Le Soir » du 14-09-2007 nous expliquait que le retour de prêtres aux formes anciennes de messes en latin, le dos tourné au public, est favorisé par Benoît XVI, ami de « la fraternité Saint Pie X » et des « lefévristes » qu’il vient de réintégrer sans restriction dans le giron de l’Eglise. Ce « retour à l’église de tou-jours » comme dit un prêtre interviewé, s’accompagne cependant de la réédition de missels qui usent du même anti-judaïsme … de toujours, lui aussi.

Le missel de ces prêtres n’invoque plus « les Juifs perfides » que Jean XXIII avait enlevé en 1959 mais « Prions aussi pour les Juifs, afin que D-ieu notre Seigneur enlève le voile qui couvre leur cœur… exaucez la prière que nous vous adressons pour ce peuple aveugle ; faites qu’ils reconnais-sent la lumière de votre vérité… et qu’ils soient arrachés à leurs ténèbres » (prière d’intercession du Vendredi Saint). On y lit encore « Vous savez quelles étaient ces assemblées de méchants : c’était celles des Juifs, et vous connaissez l’iniquité de cette multitude de pécheurs : elle a consisté dans le dessin de tuer notre Sei-gneur JC… Ils ont aiguisé leurs langues comme une épée. Que les Juifs ne disent pas : « Nous n’avons pas fait mourir le Christ »… Pilate a prononcé le verdict, il a ordonné de le crucifier, il l’a en quelque sorte tué de sa main ; mais en réalité, ô Juifs, c’est vous qui l’avez tué ». (Texte de St- Augustin qui évoque dans d’autres pas-sages « Judas, le détestable marchand » ou bien « ce peuple incrédule et ennemi »).On trouve cette réécriture de l’histoire pour garder un croquemitaine à détester, dans une réédition récente de ce missel de 1962, préfacée par… le cardinal Ratzinger. Le même risque existe à Oberammergau où un travail d’éducation doit suivre celui des artistes qui organisent le spectacle

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(qui, eux, sont plus avancés), pour éviter que ne se cabre le conseil communal. Nous pouvons aller là-bas voir et entendre, faire connaissance des acteurs et regarder ces villageois se décarcasser avec courage, analyser le texte et le spectacle, puis pro-poser des améliorations •  en faveur de la plausibilité historique des 

scènes, pour•  l’élimination d’éventuels  relents d’antisé-

mitisme qui affleurent ça et là, ainsi que pour

•  une présentation plus juste de ce qu’étaient et sont les Juifs aux yeux de ces Chrétiens sincères mais rarement informés à bon-nes sources.

En particulier, discuter en connaisseurs des écritures chrétiennes et juives, de ce que disent les Evangiles et qui n’est pas enseigné aux fidèles. La plupart des Chré-tiens ignorent ce que leurs théologiens, pasteurs et prêtres écrivent sur ce qui s’est probablement passé autour de leur messie à Jérusalem entre 29 et 34, et c’est par inha-bitude qu’ils sont choqués de l’apprendre.Otto Hüber, le directeur avec qui je parlai fin août 2007, imposa en 1989 et 1999 que les principaux acteurs participent à un voyage de 10 jours (3 groupes de 50 per-sonnes), organisé par ses soins en Israël. Cela permet de s’imprégner du vrai peuple juif à la place des projections paranoïa-ques qui leur avaient tenu lieu de pense bête. Evidemment, ce premier voyage n’alla pas jusqu’à leur faire découvrir des lectures décoiffantes des Evangiles. Deux jours de visite à Berlin leur montreraient ce que leurs compatriotes de la capitale font pour nourrir leur mémoire anti-totalitaire. Voyez la revue Regards (n° 646 de sept 2007, p. 22 à 24), qui nous parle de centaines de pavés dorés intégrés aux trottoirs devant certaines maisons pour rappeler que des familles juives déportées y avaient vécu, un grand miroir dans une station de métro où sont inscrits 1.700 noms de Berlinois juifs déportés, des panneaux aux carre-

fours rappelant les ordonnances antijuives des nazis qui restreignaient les Juifs en les humiliant, le Musée juif et le Mémorial de la Shoa, étonnant par sa taille, sa noirceur, son architecture … en plein centre ville.Il faudrait faire prendre conscience aux villageois que les exagérations envers les Juifs étaient déjà en germes aux temps polémiques des pères fondateurs, que les Evangiles furent lissés entre eux et adaptés aux critiques païennes pour ne plus heur-ter un public romain à convertir, que des textes (comme ceux de Celse, les originaux de Flavius Joseph…) furent détruits pour imposer le dogme… bref, qu’ils minimisè-rent toujours l’inhumanité de l’occupation de fer de la Rome impériale. Les sources romaines décrivent Pilatus remplacé en 36 parce que ses provocations menaçaient pour la énième fois de faire exploser ce baril de poudre. Le procurateur détestait les Juifs et le leur fit comprendre dès son arrivée en 26, en imposant des offrandes offensantes (des truies) dans le « saint des saints ». Il dut faire marche arrière devant la colère des Juifs parce que l’empereur le testait. Il en conçut une haine féroce de ce peuple qui osait braver son autorité et les us et coutumes de l’empire. Il faut informer les villageois qu’une sourde lutte de pou-voir opposait ce Romain et le grand prêtre et que les philosophes et écrivains grecs et romains les plus connus étaient presque tous méprisants envers ce peuple différent, accusé d’être paresseux puisqu’il s’arrê-tait de produire plus d’un jour par décade. La circoncision était considérée comme un crime de lèse majesté à la beauté de l’homme, au mieux comme une faute de goût imputable à notre barbarie.

A cela s’ajoutait que la Judée était une des régions les plus délicates à gouverner, nécessitant l’exemption de certaines offran-des et prières à l’empereur. Le peuple juif était un des seuls à résister si fort à la pax culturelle romana. Quand, en 38, les Juifs ne suivirent qu’imparfaitement le culte ins-

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tauré à la gloire de Caligula, un véritable pogrom (le 1er de l’histoire, 1.600 ans avant que le mot ne soit créé en pays slave) fut organisé par les hellénisés d’Alexandrie contre le tiers juif de la ville (molestations, viols, assassinats dans les rues puis dans les maisons…). Les soldats refusèrent d’in-tervenir et il fallut des mois de tels outrages et un voyage à Rome de 5 anciens, présidés par le vieux Philon, pour qu’avec lenteur et mauvaise grâce, un semblant d’ordre soit rétabli, sans aucune poursuite ni exi-gence de restitution contre les violeurs, les meurtriers et les voleurs. Il faudra illustrer pour ces Bavarois, combien les évangélis-tes et les épiscopos étaient hellénisés et fiers de l’être, combien ils justifiaient de violenter les Juifs par leurs dures paroles, un mépris palpable, des écrits polémiques et poussaient leurs ouailles à la mission (de conversion) mais aussi à refuser de fréquenter des médecins, patrons, profes-seurs juifs (les premiers Conciles furent on ne peut plus clairs, pour confirmer ces points). Bref, que tout en construisant la foi, les Evangiles -et surtout leur lecture- servirent à déformer ou cacher certains faits d’histoire et à fabriquer un Juif détes-table. Des siècles plus tard, on prétendra la nature éternellement mauvaise du Juif, de ses livres, de sa culture et de ses lois, ce qui débouchera sur une remise en cause de sa simple humanité.

Or, les Oberammergauer résisteront car ils n’ont que ces Evangiles comme point d’ap-pui pour construire une nouvelle identité chrétienne, si nous voulons les alléger de l’antijudaïsme de Sénèque, de Chrysostome, de Luther, de Voltaire, de Drumont et de tant d’autres. La plupart n’oseront pas adopter la façon juive, espiègle et culottée, amoureuse mais humoristique de « coucher » avec le texte pour produire des enfants ou interpré-tations nouvelles inconnues des générations précédentes. Mais peut-être apprendront-ils à lire autrement leurs « écrits inspirés » et ces « paroles d’Evangiles », à y discerner

les polémiques d’une religion juvénile qui veut s’imposer contre sa grande soeur. C’est montrer notre considération envers eux que de penser que les Chrétiens pratiquants peu-vent comprendre que l’inspiration divine du début dut se transmettre à des copistes et des ecclésia qui avaient des besoins propres, que les moutures successives des Evan-giles durant 3 siècles en firent des œuvres partiellement humaines, donc sujettes à de légitimes interrogations et parfois, à cau-tion. Durant la polémique entre évêques sur le film de Mel Gibson, l’épiscopat américain permit aux théologiens catholiques les plus connus, de donner leur avis dans la presse que les Evangiles les plus anti-juifs (Jean et Mathieu) furent écrits dans un contexte de rivalité, de polémique et de haine des décen-nies après les faits, obligeant tout « honnête homme » à regarder une partie de ces textes canoniques comme une « interprétation de la réalité ».

Puisque les auteurs des deux alliances étaient tous juifs, il serait porteur que Chrétiens et Juifs craignant Dieu, scrutent en commun leurs divergences et complémentarités, et admettent, sans attenter au noyau de la foi de l’autre, un respect minimum de la réalité de l’Histoire. Surtout que les Evangiles « apo-cryphes » enfin disponibles que l’Eglise n’a pas pu détruire de Judas, Marie-Madeleine et Thomas trouvés à Nag Hamadi (Egypte), nous montrent des personnages intelligents qui avaient plus la confiance de leur maître dont ils étaient les membres que les autres apôtres d’origine galiléenne et samaritaine, peu instruits, lâches et peu débrouillards. Les intérêts de ces petits serviteurs jaloux furent défendus par le courant dominant des pères hellénisants qui diabolisèrent une « prostituée » (Myriam-Magdalena) et un « traître » (Yehouda) qui, eux, nous commen-çons à le comprendre, étaient des Judéens instruits qui organisaient la vie du groupe itinérant et qui traduisaient, pour les autres, en le structurant, l’enseignement du Rav de Nazareth. ■

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Les « Stolpersteine » ou « Ces pavés qui font trébucher »

Par Monique Ebstein

Il se peut que, lorsque vous vous promènerez dans les rues d’une ville allemande, vous aperce-viez, encastré dans le trottoir, au milieu des pavés ordinaires, un pavé de même grandeur que les autres, mais en laiton et comportant une inscription. Vous vous inclinerez pour la déchiffrer, et vous aurez ainsi répondu à l’attente de ceux qui ont voulu les exposer à la vue des passants. Les Allemands commencent à connaître ces «Stolpersteine» ou «pavés qui font trébucher». Voici leur his-toire.

Gunter Demnig est un artiste allemand dont la spécialité est de tracer des pistes, des lignes en couleur à travers la campagne, mais aussi sur l’asphalte des rues de la ville. Ces lignes sont toujours destinées à raconter des histoi-res concernant des vies humaines. Voilà pour-quoi il ne pouvait manquer d’être confronté à ces millions de vies brutalement interrompues par la violence de la barbarie nazie. Considé-rées dans leur ensemble, elles constituent un collectif où risquent de se noyer les destins individuels. C’est pourquoi Gunter Demnig a longtemps essayé de se représenter les souf-frances endurées par chacune des victimes assassinées. Il traça d’abord des lignes blanches, à travers les rues de Cologne, pour rendre visibles les chemins de la déportation suivis par des cen-taines de Roms et de Tziganes, et il réussit à faire graver une plaque commémorative sur le pont Hohenzollern. Ils furent un peu moins de mille personnes à être arrêtées au mois de mai 1940, au vu et au su de la population qui

resta passive. A ce coup d’essai devait succéder une déportation à bien plus grande échelle.

Les nazis pouvaient être satis-faits. Le test de Cologne n’avait pas suscité de réaction. La Wehrmacht occupait alors une grande partie de l’Europe et rien n’empêchait plus l’extermina-tion massive des Juifs. A la fin de la guerre, six millions de Juifs européens avaient été assassi-

nés auxquels il faut ajouter des milliers de tzi-ganes, d’opposants politiques, d’homosexuels, de malades euthanasiés, de témoins de Jého-vah, de déserteurs, de résistants.

Or un jour, en 1992, alors que devant l’Hôtel de Ville de Cologne, l’on posait une pierre à la mémoire des Sinti et des Roms, Gunter Dem-ning fut profondément choqué par la remar-que d’une passante, manifestement ignorante du passé récent: «Il n’y a jamais eu de tziganes parmi nous !» Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres ! Rien n’aurait pu mieux le moti-ver à vouloir redonner un nom à chacune des victimes disparues. C’est alors qu’il conçut ses pavés symboliques. Ils devaient être encas-trés dans la voie publique, dans le trottoir, devant la maison où avaient vécu celui, celle ou ceux qui avaient été des voisins comme les autres, des voisins que l’on aimait bien, que l’on rencontrait chez le même boulanger, que l’on saluait dans les jardins publics. Leurs enfants fréquentaient la même école que les autres enfants et le soir, ils allaient boire un verre dans le même bistrot. Ces voisins-là, on les avait laissés s’évanouir dans le néant, sans proférer la moindre protestation.

Gunter Demnig

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Les pavés que réalisa Gunter Demning sont ces «Stolpers-teine», c’est à dire ces «pavés qui font trébucher», ces pavés auxquels ne se heurtent pas seulement le pied du passant, mais surtout sa conscience et sa mémoire. L’artiste se renseigna d’abord auprès de la commu-nauté juive de Cologne, puis de Yad Vashem, pour savoir si le fait de gra-ver à même le sol le nom de Juifs défunts était interdit par la religion juive. Ceux qu’il interrogea lui répondirent que non, bien au contraire, ils étaient tout à fait prêts à appuyer son initiative.

C’est ainsi qu’en 1993 commença à se concréti-ser le projet «Stolpersteine». Ces pavés sont de dimension 10x10x10. Ils sont en béton recouvert de tôle de laiton. Ils portent l’inscription: «Ici vécut..., « puis le nom et les dates de la naissance et du décès de l’ancien habitant de la maison. Ces informations proviennent de recherches entreprises par des initiatives de citoyens en collaboration avec les archives. Des parents d’un disparu, d’anciens voisins ou des connais-sances sont aussi des sources précieuses de renseignements. Le texte est sobre et sans fio-riture. Gunter Demning le rédige lui-même avec l’aide d’Uta Franke, la coordinatrice du projet. Il encastre personnellement chaque pavé dans le trottoir. Les frais de réalisation et de pose, la plupart du temps supportés par des donateurs privés, se montent à 95€ par pavé. L’accord de la municipalité doit être obtenu et le pavé, après avoir été posé, devient sa propriété. Gunter Demning en a posé des milliers, dans plus de 170 villes et communes allemandes, et il envisage d’étendre son action à tous les pays où les nazis ont procédé à des déportations. Nombreux sont ceux qui le soutiennent: des «initiatives citoyen-nes» locales, des écoles, des entreprises et des institutions. Les commandes reçues à ce jour l’occuperont pendant un an et demi environ.

Cependant, des forces contraires (on pourrait dire mauvaises) s’opposent parfois au travail

de Demning. Voici une anecdote qui illustre bien le combat éter-nel entre le bien et le mal.

Des membres de l’Université de Cologne lui demandèrent de poser des pavés en souvenir de professeurs déportés. Le rectorat objecta que cela semblait inutile, étant donné qu’il y avait déjà un

«lieu du souvenir». Or ce lieu était une petite vitrine, cachée dans un couloir isolé. Devant l’insistance des demandes, le rectorat refusa catégoriquement la pose de pavés sur le cam-pus universitaire. Demning rechercha les limi-tes précises du terrain, et posa ses pavés sur le trottoir municipal, devant l’entrée principale de l’université. Il dut se débrouiller pour se procu-rer l’électricité nécessaire aux travaux, car le concierge ne lui donna pas accès au courant.

Les réactions aux «Stolpersteine» sont parfois vives et controversées. A Kassel, le Conseil municipal en a refusé la pose en invoquant l’argument que «le choix des personnes devant en bénéficier rappelait la sélection d’Aus-chwitz». Le maire socialiste (SPD) de Munich, Christian Ude s’y opposa également, alors que le maire conservateur (CDU) de Hambourg, Ole von Beust, se déclara fier de présider à la pose du 1000ème pavé dans sa ville. C’est à cette occasion que deux anciens camarades de classe se rencontrèrent: l’un avait survécu à Stalingrad, l’autre à la Shoah.

Pour Gunter Demning, le commentaire le plus important qu’il puisse entendre à propos de son travail, c’est celui qu’expriment certains proches des victimes: «Maintenant nous pou-vons revenir en Allemagne».

***

D’après «Gunter Demnings Stolperstein-Pro-jekt»

Andras Langen in «Spuren vergessener Nachbaren» Markstein Verlag 2007 ■

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BEtH HILLEL PARtEN ISRAëL

Du 8 au 18 mai 2008

Ce voyage sera l’occasion de comprendre en Israël l’origine de notre modernité

et de percevoir comment le plus antique reste toujours le plus neuf

Prix : 1.800 € tout compris en ½ pension(vol, transferts, guides, repas matin et soir, musées)

Inscriptions :Au secrétariat de Beth Hillel par versement d’un

acompte de 300 € sur le compte 192.5133742.59

Passeport valable et assurance assistance indispensables

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Notre Programme

Jeudi 8 mai : Rendez-vous à Bruxelles National à 6h du matin. Arrivée à Tel Aviv à 14h30. Transfert et installation à l’hôtel King Salomon à Jérusalem. En fin de journée, circuit de reconnaissance (en bus) de la Ville Nouvelle. Soirée : dîner et détente à l’hôtel. Vendredi 9 mai : Matin : visite du Musée d’Israël, le sanctuaire du Livre (manuscrits de la mer morte) Après midi : Mont des Oliviers et Mont Scopus Kabbalat Shabbat à la synagogue libérale «Kol Ha’ Neshama» et dîner à l’hôtel Shabbat 10 mai : Shabbat au Kotel Après midi : Pour ceux qui le souhaitent, promenade et visite du musée Rockefeller. Soirée : dîner à l’hôtel, sortie à Ben Yehuda. Dimanche 11 mai : Matin : Mémorial Yad Vashem ; le Mont Herzl Après midi : organisé par le KKL, rencontre avec Mr Shimon Peres Fin de journée : Les Tunnels du Kotel Soirée : dîner et détente à l’hôtel

Lundi 12 mai : Départ vers le Nord Visites de Meggido et du Mont Tabor Tibériade : tombeau de Maïmonide; déjeuner au bord du Lac Métula : conférence in situ de Stéphane Juffa (Metula News Agency) sur la situation géostratégique de la région.Soirée : installation au KibboutzHotel Hagoshrim en Haute GaliléeDîner et détente au Kibboutz Mardi 13 mai : Matin : visite de Safed et de sessplendides synagogues Après midi : visite de la base militaire de Nebei Yosha. Cérémonie d’inauguration dubosquet Beth Hillel à Shumit Dîner et détente au Kibboutz

Mercredi 14 mai : Matin : Le Golan, château de Nimrod; accueil au Moshav Yonatan Après midi : Katzrin et sa synagogue antique; cave à vin et dégustationFin de journée : cours avec Rabbi A. Dahan Dîner et détente au Kibboutz Jeudi 15 mai : Départ pour Tel Aviv : Accueil et collation-rencontre à l’internat Levovitch de Natanya Après midi : visite du Musée de la Diaspora (Beth Hatefutsoth); installation à l’hôtel Basel Soirée : dîner à l’hôtel et promenade vivifiante en bord de Mer, monument de l’Alya Vendredi 16 mai : Matin : visites des Musées Bialik et Gutman Promenade à Nahal Binyamin et shouk Hacarmel Promenade apéritive à Neve Tsedek Kabbalat Shabbat à la synagogue libérale Beit Daniel et dîner à l’hôtel Shabbat 17 mai : Office à Beit Daniel Pour ceux qui le souhaitent, promenade et visite de Musées Soirée: dîner à l’hôtel et promenade à Yaffo, arrêt gourmand chez Abulafia (pâtisseries).

Dimanche 18 mai : Matin : Visite du Musée de l’Indépendance A 12h départ vers l’aéroport Arrivée à Bruxelles à 21h30

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A Beth Hillel

le 21 février 2008 à 20h00

Conférence du Rabbin Abraham Dahan

LA FEMME ET LA RELIGION

UNE ÉTERNELLE MINEURE ?

L’histoire des femmes dans une société faite par les hommes, pour les hommes, reste à écrire. Notre époque connaît une

évolution certaine de la place des femmes.En ce qui concerne son statut sur le plan religieux nous sommes encore loin du compte. Dans cette problématique, qu’enseigne

notre vieux Judaïsme et où en est-il ?

Synagogue Beth Hillel80 rue des Primeurs

1190 Bruxelles Tel 02 332 25 [email protected]

P.A.F. : membres: 3.00 € - non-membres: 5.00 €

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Une vieSimone Veil Ed. StockQui ne connaît pas Simone Veil ? Elle a quitté voici un an toute activité publique et reste un des personnages emblématiques du paysage politique français. Depuis qu’elle s’est retirée de la vie active, elle a rédigé une autobiographie qui retrace son parcoursUn parcours qui commence comme celui de beaucoup de jeunes filles juives de son âge. Simone Jacob naquit en 1927 à Paris, dans une famille d’origine lorraine, tout à fait assimilée, s’identifiant totalement à la patrie française qui, en 1791, avait fait des Juifs d’Alsace-Lor-raine des citoyens à part entière. Son père, architecte, prévoyant le développement de la Côte d’Azur, s’installa avec sa famille à Nice où Simone eut une enfance heureuse, dernière enfant d’une fratrie composée d’un garçon et de trois filles. Puis vint la guerre. Nice étant en zone occupée par les Italiens, les Juifs y étaient relativement plus en sécurité que dans le reste de la France. Mais après la chute de Mussolini, le risque des rafles et des arrestations s’avéra de plus en plus grand. Le père de Simone et son frère furent arrêtés et déportés vers l’Ukraine d’où ils ne revinrent pas. Elle-même fut arrêtée avec sa mère et sa soeur aînée en avril 1944, et après avoir transité par Drancy, toutes trois furent déportées à Auschwitz, puis transférées à Ber-gen-Belsen. Par une chance extraordinaire, une kapo se prit de pitié pour la jolie jeune fille qu’était Simone, et lui assigna ainsi qu’à sa mère et à sa soeur un poste dans un atelier où le tra-vail était un peu moins inhumain qu’ailleurs. Cependant sa mère et sa soeur contractèrent le typhus peu de temps avant la libération du camp et sa mère mourut quelques semaines

avant ce jour de mai 1945 où elle aurait pu ren-trer en France avec ses filles. Après son retour, Simone, malgré le terrible traumatisme qu’elle avait vécu, reprit des études qui avaient été interrompues pendant plus d’un an. Voulant devenir avocat, elle choisit le droit. En 1946, elle se maria très jeune avec Antoine Veil. Quel-ques années plus tard, en 1954, après s’être inscrite à un stage qui devait la préparer au concours d’accès à la magistrature, elle pourra écrire avec une légitime fierté:» J’avais 27 ans, des diplômes, un mari, trois enfants, un travail. J’étais enfin entrée dans la vie». Tour à tour magistrat chargée du problème des prisons, Ministre de la Santé sous Valéry Gis-card d’Estaing, Présidente du Parlement Euro-péen, de nouveau Ministre de la Santé et de la Ville sous la présidence de Jacques Chirac, puis présidente de nombreuses commissions dont celles des droits de l’homme, elle fut en dernier lieu et jusqu’en janvier 2007, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Le lecteur ne peut qu’admirer la force qui a permis à cette toute jeune fille de passer au tra-vers de l’horreur absolue, de remonter la pente de la vie de fonder une famille et de mener en même temps une vie politique de très grande envergure. Simone Veil confesse ouvertement son éloignement du judaïsme religieux, mais à aucun moment elle ne récuse son apparte-nance au peuple juif, et l’éthique qui a guidé sa vie et son action politique est bien celle de notre tradition. En faisant adopter, après de nombreux combats la Loi légalisant l’inter-ruption volontaire de grossesse, elle a voulu mettre fin aux situations dramatiques où se trouvaient les femmes les plus vulnérables. En politique elle a toujours milité en faveur de la construction européenne, d’une conception ouverte de la démocratie et de réformes en

Lu pour vous ces livres qui sont disponibles à la Bibliothèque de Beth Hillel

Par Monique Ebstein

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vue d’une société plus juste. La lecture de son livre est à la fois passionnante et enrichissante parce qu’elle nous replonge dans le détail d’évè-nements que nous avons vécus. Ses jugements sur les situations, et ses opinions sur les nom-breuses personnalités politiques françaises et internationales, rencontrées au cours de sa longue carrière, sont parfois inattendus et tou-jours intéressants, même lorsque le lecteur ne les partage pas. Cette autobiographie peut être considérée comme un véritable livre d’histoire contemporaine.

***

Palestine, la paix, pas l’apartheidJimmy Carter (né en 1924)Ed L’ArchipelCe livre dont le titre est susceptible de provo-quer la colère, mérite cependant d’être lu par un lecteur qui désire s’informer. En effet l’auteur n’est autre que l’ancien président des Etats-Unis, Jimmy Carter. Alors qu’il n’était encore que le gouverneur de la Géorgie, Jimmy Carter s’intéressait déjà passionnément à Israël où il se rendit pour la première fois en 1973, invité par Yitzhak Rabin le vainqueur de la guerre de Kippour. Sous sa présidence (1977-1981), les premiers accords de Camp David entre Israël et l’Egypte furent approuvés. Il est à présent, selon ce qu’écrit le magazine Time «le meilleur ex-président des Etats-Unis». En effet, dès 1982, il créa, à Atlanta, la Fondation Carter qui se donne pour mission la résolution des conflits, la promotion de la démocratie, et l’aide au développement huma-nitaire. On voit Carter mener des missions d’ob-servation d’élections à travers le monde, dans de nombreux pays où il y a un risque qu’elles soient irrégulières (Panama, Nicaragua, Haïti, Ethiopie, Territoires palestiniens). Il s’est également fait le médiateur dans des conflits explosifs. En 1994, il désamorça une crise nucléaire entre son pays et la Corée du Nord. La même année, il évita une invasion armée des troupes américaines en Haïti, et négo-cia un cessez-le-feu en Bosnie-Herzégovine. Parallèlement, il mène en Afrique d’ambitieux

programmes de développement agricole. En 2002, il intervint à la télévision d’Etat de Cuba en critiquant les infractions du gouvernement en matière des Droits Humains, mais en même temps il se prononça en faveur d’une levée du blocus économique de l’île. Toutes ces actions menées pendant plus de 20 ans, avec loyauté et discrétion, furent récompensées par le Prix Nobel de la Paix, attribué en 2002 à l’artisan des Accords de Camp David. Ce courage tranquille donne à mon avis un grand crédit à Jimmy Carter lorsqu’il s’exprime sur le conflit israélo-palestinien. Dans son livre il en retrace l’histoire. Nous la connais-sons, certes, mais peut-être pas avec tous les détails, les chiffres et les textes qu’il nous donne. Ses profondes convictions chrétien-nes et son action permanente en faveur des Droits de l’Homme me semblent garantes de sa sincérité. Cet amoureux de la Paix déplore un conflit qu’il a essayé de toutes ses forces de résoudre et dont il n’entrevoit de solution que dans une véritable volonté de paix de la part des adversaires. Sans une paix sincèrement négociée, il n’y aura jamais un vainqueur et un vaincu, il n’y aura que des vaincus.

Le livre est accompagné d’une chronologie très détaillée, et de 6 Annexes qui reprodui-sent les textes:•   des  résolutions 242 du Conseil de Sécurité 

de l’ONU du 22 novembre 1967, •  de la résolution 338 du 22 octobre 1973, •  Accords de Camp David du 17 septembre 1978, •  de  l’Accord-cadre  pour  la  conclusion  d’un 

traité de Paix entre Israël et l’Egypte du 17 septembre 1978,

•  de la résolution 465 du 1er mars 1980, •  du «Plan de paix de la Ligue arabe du 28 mars 

2008, de la réponse d’Israël à la «Feuille de route» du 25 mai 2003

***A noter :La parution d’un hors-série du magazine «Le Point» daté janvier-février 2008 et actuellement en vente : «Les textes fondamentaux de la pensée juive - Maïmonide, Mendelssohn, Buber, Levinas, Arendt»

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La famille Quandt, propriétaire de BMW, va ouvrir ses archives afin de faire la lumière sur l’implication de Günter Quandt et son fils Herbert dans les crimes nazis.

Herbert Quandt est connu pour avoir évité la faillite de BMW, en rachetant en 1959 l’entreprise que Daimler s’apprêtait à liquider. Bien qu’ayant une fortune esti-mée aujourd’hui à quelque 26 milliards d’euros, les Quandt vivent de manière extrêmement discrète : aucune appari-tion dans les media, aucun remous d’or-dre privé…Un documentaire de la chaîne de télévision publique allemande NDR, « le Silence des Quandt », diffusé en novem-bre dernier est à l’origine de l’ouverture des archives familiales.

Ce documentaire dévoile comment la famille, déjà richissime avant la guerre, profita du nazisme pour s’enrichir davan-tage.Membre du parti nazi, dès 1933, Günter Quandt (1881-1954), propriétaire de l’usine d’accumulateurs AG Afa (future Varta), uti-lisa dès les années 30 les relations que lui permettait le remariage de son ex-épouse Magda avec Goebbels pour assurer à son entreprise un succès remarquable. En effet, sous-marins et bombardiers se retrouvè-rent tous équipés d’accumulateurs sortis d’Afa produits sur un site industriel situé près de Hanovre et dont Herbert Quandt était le directeur du personnel. Or donc la main d’oeuvre était fournie par le camp de Stocken, où l’« on meurt en six mois », disaient les SS aux nouveaux venus...

Günter Quandt utilisait également ses relations pour se débarrasser de ses concurrents : outre les entreprises de Juifs «aryanisées», les non-Juifs étaient contraints de céder leurs actions à Quandt et eux qui résistaient étaient arrêtés. A la différence d’autres grands patrons du IIIe Reich, tels que Flick ou Krupp, les Quandt ne furent pas inquiétés, après la guerre, et échappèrent à la procédure de Nurem-berg, nonobstant l’existence de docu-ments pourtant accablants en possession des Britanniques. L’hypothèse développée par le documentaire est que ces derniers eurent, à leur tour, besoin des usines de Günter Quandt dont les sites étaient restés en état de marche, malgré les bombarde-ments alliés. Contexte de la guerre froide naissante aidant, l’affaire sombra finale-ment dans les oubliettes de l’oubli…

***

Bien que depuis près de 50 ans en Austra-lie, Alex Kurzem possède un léger accent européen qui trahit ses origines. Long-temps, ses enfants et son épouse austra-lienne ont cru qu’il n’avait rien conservé d’autre de son enfance en Lettonie. Il racontait juste qu’il était orphelin et qu’il avait été adopté durant la Seconde Guerre Mondiale par une famille lettone. Mais sa véritable histoire est bien diffé-rente : c’est celle d’un enfant juif dont la famille avait été massacrée en 1941 et qui devint la mascotte d’une troupe de soldats lettons alliés des nazis qui ignoraient tout

Quelques nouvelles d’Israël et d’ailleurs

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de ses origines. Pendant des décennies, Alex Kurzem raconta un récit allégé de son histoire dont il ne restait qu’une petite valise et quelques vieilles photos où on le voit, à 6 ou 7 ans, portant un uniforme de la Wehrmacht ou entouré de soldats let-tons. Sourire aux lèvres, le gamin porte parfois une arme en bandoulière. Durant cinquante ans, Alex Kurzem a ignoré de quel pays il venait, qui étaient ses parents, mais certains souvenirs restaient éton-namment nets. Il y a une dizaine d’années, il les a dévoilés à son fils aîné Mark, qui en a fait un documentaire diffusé en Aus-tralie, puis un livre biographique, « The Mascot », publié dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis.

Cet ouvrage raconte les évènements, qui débutent en octobre 1941. Alex, enfant, vit avec sa mère, un frère et une soeur plus jeunes dans un village - Koidanov, nommé Dzerzhinsk par la suite - en Bié-lorussie. Les troupes allemandes ont déjà envahi l’est de l’Europe, les massacres de la population juive débutent en Biélorus-sie, perpétrés par des Allemands, mais aussi par des groupes locaux. Lorsque le 11e bataillon policier de réserve allemand, assisté par un bataillon lituanien - arrive à Koidanov, Alex se cache dans un arbre et assiste, atterré, au défilé des juifs de son village, dont les siens, menés au bord d’une fosse où ils sont exécutés. Alex Kurzem s’enfuit, seul, dans la forêt. Après quelques temps d’errance et de men-dicité, il est capturé par le 18e bataillon policier letton, en opération en Biélorus-sie, dont il devient la coqueluche. On lui donne un nom, Uldis Kurzemnieks - Uldis est un prénom letton commun, le Kurzeme une région du pays - et une date de nais-sance officielle, le 18 août 1935.

Alex-Uldis apprend le letton, cire les chaussures, apporte l’eau, amuse les hom-mes du bataillon, les suit en Lettonie. En 1943, il joue même dans un film de pro-

pagande - qui sera retrouvé par son fils à Riga, la capitale lettone -, en uniforme, toujours.

Durant tout ce temps, Alex Kurzem vit dans la terreur d’être découvert… Par la suite, le garçon est envoyé à Riga, chez les Dzenis, une famille d’industriels qui, en1944, alors que les Soviétiques repren-nent le pays, fuie la Lettonie pour l’Alle-magne en l’emmenant avec eux.

Là, ils vivront durant cinq ans, dans un camp de déplacés, avant de partir pour l’Australie. Les Dzenis n’ont jamais su qu’Alex était juif…

***

La secrétaire d’Oskar Schindler, Mimi Reinhardt, vient de s’installer en Israël pour vivre aux côté des ses enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants. Juive polonaise, internée à Plaszow, elle fut employée par Oscar Schindler grâce à sa parfaite connaissance de l’Allemand. C’est elle qui tapa la liste des 1200 Juifs que Schindler sauva. Dans cette liste figu-raient les noms de ses employés ainsi que leur famille, y compris les enfants, quali-fiés de main d’œuvre « essentielle à l’effort de guerre ». Interviewée récemment dans Le Figaro, Mimi Reinhardt explique qu’à l’arri-vée des alliés, « c’était alors à notre tour de faire quelque chose pour l’aider. Nous lui avons fait revêtir un uniforme rayé et l’avons escorté jusque chez les Américains afin qu’il soit traité convenablement ». Et de préciser : « Toute notre vie, nous avons continué de nous désigner sous l’appella-tion « Juifs d’Oskar Schindler » et après sa mort, nous nous sommes recueillis sur sa tombe à Jérusalem»...

***

Selon une étude israélienne, l’utilisation régulière et prolongée d’un téléphone

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portableaugmenterait le risque de déve-lopper une tumeur au niveau des glandes salivaires. Les responsables de cette étude qui s’est concentrée sur les utilisateurs réguliers et prolongés – plus de 22 heures par mois – incitent à restreindre l’usage du mobile chez les plus jeunes. Selon cette étude israélienne, qui fait partie d’un pro-gramme de l’Organisation mondiale de la Santé, ce sont dans les communes rurales que les risques sont les plus élevés car les radiations y sont les plus fortes.

***

Venus d’ex-URSS ou d’Europe de l’Est, de nombreux Juifs ont choisi de s’installer dans la capitale allemande, redonnant ainsi un nouveau souffle au judaïsme alle-mand. Le Grand rabbin orthodoxe de Ber-lin, Ytzhak Ehrenberg, se réjouit : « Berlin existe à nouveau sur le planisphère des hauts lieux du judaïsme contemporain ! » Dans la capitale émerge une nouvelle génération de Juifs allemands, la première depuis la République de Weimar. Cette nouvelle génération de juifs berlinois ne

vit toutefois pas sans arrière-pensées : souvent, au détour d’une conversation, d’une expression ou d’un regard, le passé ressurgit parfois de façon très intense. Aujourd’hui, on compte environ 200 000 Juifs vivant en Allemagne.

***

Une résolution présentée par l’Etat d’Is-raël a pour la première fois été adoptée le mardi 11 décembre dernier par une com-mission de l’ONU, signe, sans doute, de l’amélioration de la perception d’Israël au sein de l’Organisation internationale.La résolution porte sur les transferts de technologie en matière agricole des pays riches vers les pays en voie de développe-ment. Elle fut approuvée par la Commis-sion des Affaires économiques de l’As-semblée générale puis adoptée en séance plénière par une majorité écrasante de voix, une vingtaine d’abstentions seule-ment et aucun vote contre.Cette résolution adoptée constitue un impor-tant pas en avant qui démontre qu’Israël a beaucoup à apporter à l’ONU… ■

Envie de nous écrire ?

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n’hésitez pas et contactez nous !

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COmmuNAuTé

C’est l’histoire de Dany, un Séfarade qui veut devenir Ashkénaze.Il apprend le yiddish, se met à apprécier le geffilte fish tartiné de raifort, danse debout sur sa chaise avec un mouchoir, parle de Riga et d’Odessa comme si c’était Cordoue ou Casablanca, connaît la Pelikaanstraat à Anvers et ignore Bou’harim à Jérusalem, chante comme un cantor à la schul.

Puis, Dany se présente pour passer un examen sur tout cela devant un Beth Din ashkénaze. Tout se passe excessivement bien jusqu’à la dernière question : «Comment allez vous? « demande le rabbin. « Très bien ! » répond Dany. « Recalé ! »rétorque le rabbin. ■

Un peu d’humour

Le vendredi 22 février 2008

après l’office de kabbalat chabbat

DîNER CHABBATIQUE COMMUNAUTAIRE A BETH HILLEL

Pour vous inscrire, il vous suffit de téléphoner

au secrétariat au 02.332.25.28

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VIE COMMUNAUTAIRE

OFFICES DE CHABBAT

Vendredi à 20h et samedi à 10h30

TAlmuD TOrA ET prEpArATIOn A lA BAr/BAT mITSvA

Tous les mercredis après-midi. Voir calendrier.

COurS ADulTES ET CErClES D’ETuDE

Contactez Rabbi Abraham Dahan ou Rabbi Floriane Chinsky

YISkOr

Si vous voulez être tenus au courant des dates de Yiskorpour des membres de votre famille, contactez Giny ( 02.332.25.28

INFORmATIONs uTILes

SOCIÉTÉ D’INHUMATION

A.S.B.l. GAn HASHAlOm

En cas de nécessité, téléphonez aux numéros suivants:Le jour A Beth Hillel ( 02.332.25.28

Le soir Rabbi Floriane Chinsky ( 0485.428.490Rabbi Abraham Dahan ( 02.374.94.80 ou 0495.268.260

Si vous désirez souscrire à Gan Hashalom,téléphonez à Willy Pomeranc

Le jour ( 02.522.10.24 • Le soir ( 02.374.13.76

Gan Hashalom est réservé aux membres de la CILB en règle de cotisation et ayant adhéré à la société d’Inhumation

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