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SONGÉ .I. SONGE Jehan de Lescurel. Chansons & Dit enté « Gracïeux temps » Ensemble SYNTAGMA Direction : Alexandre Danilevski Commentaires : Emilia Danilevski FME ‒1401 Chrestomathie edition

"Songé .i. songe" Jehan de Lescurel

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A few pages from the cd-book by the ensemble Syntagma, dedicated to this proeminent French poet-composer from the beginning of XIV-th c. The book has 160 pages in French and English, texts of the songs and of the Dit 'Gracïeus temps": original, French, English, German.

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S O N G É .I. S O N G EJeh an de Lescur el. Ch ansons

& Dit enté « Gr acïeu x temps »

Ensemble S Y N T A G M A

Direction : Alexandre Danilevski

Commentaires : Emilia Danilevski

FME‒1401Chrestomathie

edition

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Remerciements

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance la plus profonde à tous ceux dont le soutien a permis de mener à bien ce projet :

ADAMI

Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes

FCM

Le fond pour la Création Musicale

Monsieur Pierre-Edouard Wagner,

Conservateur en chef, et ses collaborateurs du Département Patrimoine des Bibliothèques-Médiathèque de Metz

Le conseil de fabrique de l’église Sainte Brigide à Plappeville, France

Monsieur René Kirch

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Nous proposons à votre attention ces quelques pages de réflexions inspirées de la lecture des textes poétiques des XIIIe – XIVe siècles, en relation avec le Dit « Gracïeux temps » de Jehan de Lescurel. Il ne s’agit pas d’une analyse universitaire, mais plutôt d’annotations, digressions, détours et parenthèses qui s’adressent à l’amateur cultivé et point au musicien érudit.

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SommaireProgramme Musical 3Jehan de Lescurel et son œuvre 4Notice biographique 5Dits 7Exemples de strophes 10Un peu de structuralisme, désolée 12Richeut la surprenante (forme) 15Dit de Richeut 16Refrains, ou L’art de greffer 19Refrains greffés dans « Gracieux temps » 22« Le doux miel de la rhétorique », ou de la méthode 23Le plus commun des lieux communs : jardin, verger, bosquet 30Des sons et de leur sens 37Arithmologie : des nombres et du sens 38L’Aristote intégral 42Quelques interdictions 46Adieu, Aliénor ! 47Des choses pérennes 54Jehan de Lescurel. Chansons 56Jehan de Lescurel. Dit « Gracïeus temps » 64Foreword 104Biographical information 105Dits 107Examples 110A little structuralism, sorry 112Richeut the surprise (form) 115Richeut’s Dit 116Refrains, or the art of “grafting” 119Grafted refrains in “Gracieux temps” 121“The sweet honey of rhetoric,” or, on the method of creation 123The most common of common places: garden, orchard, grove 130On sounds and their meanings 137Arithmology : numbers and meaning 138Integral Aristotle 142Examples of proscriptions 146Adieu, Eleanor ! 147On perennial things 153

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Amour, voulés-vous acordezVersion instrumentaleComment que, pour l’eloignanceBien se pëust apercevoirDame gracïeuse et belleVersion instrumentaleAmours, que vous ai meffaitBonne Amour me rentDe gracieuse dame amerDit « Gracïeus temps »Strophes 1‒8Diex, quand la verraiVersion instrumentaleDit « Gracïeus temps »Strophes 9‒21Belle, com loiaus amansDit « Gracïeus temps »Strophes 22‒28Belle et noble

Ensemble Syntagma :Mami Irisawa, sopranoZsuzsanna Tóth, sopranoAkira Tachikawa, countre-ténorGiovanni Cantarini, ténorAtsishi Moriya, flûte-à-becChristophe Deslignes, organettoSophia Danilevski, vièle à archetJérôme Salomon, percussion Anna Danilevskaia, vièle à archet

Narrateurs :Joël Fosse et Emilia Danilevski

Alexandre Danilevski, luth médiéval, conception, direction

Programme Musical1

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5’381’515’3610’38

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3’37

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Jehan de Lescurel et son œuvreL’œuvre de Jehan de Lescurel est considérée comme l’annonce de l’Ars Nova, constituant une étape marquante dans la transition entre la simplicité des trouvères du XIIIe siècle et l’art ésotérique de Guil-laume de Machaut et ses héritiers. Toute la science de la composition musicale des trouvères, enrichie des réminiscences de la tradition du Midi y est résumée; cependant le degré d’achèvement, de perfection chez lui est infiniment supérieur. La division définitive en genres aux formes fixes est faite chez lui: ballade, rondeau et virelai, appelés à

nourrir un siècle de création. Son écriture se sert de nouvelles possibilités offertes par la notation perfectionnée. Les musicologues disent que c’est la première musique écrite pour être jouée littéralement, comme elle est notée.

Depuis sa première entrée dans la culture moderne, le succès de Lescurel est constant. Le musicographe belge François-Joseph Fétis dans son ouvrage Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, Paris, 1834-1835, est probablement le premier à se pencher sur sa musique, et non les poésies, en lui attribuant un « très remarquable » pour la composition. Néanmoins, il serait vain de chercher ne serait-ce que des citations, litté-raires ou musicales, à part des éditions peu accessibles (celles de Montaiglon 1855, Gennrich 1921, 1947 et 1966 et Wilkins, 1966), exception faite, pour nos ancêtres, de la ballade « Belle, comme loiaus amans » figurant dans l’an-thologie « Les poëtes français: recueil des chefs-d’œuvre de la poésie fran-çaise des origines à nos jours », rééditée sans relâche dans les années soixante et septante du dix-neuvième siècle.

La collection dont nous disposons maintenant, trente quatre pièces, se trouve sur six feuilles du manuscrit 146, B.N.F., qui doit sa renommée à la version du Roman de Fauvel enrichie d’interpolations musicales et de miniatures, au-cune autre source ne nous renseigne sur le compositeur ou ses écrits.Jehan nous est connu comme l’auteur de quinze ballades, douze Rondeaux et cinq Virelais, suivis de deux Dits entés. Généralement, l’on suppose qu’il ne s’agit ici que d’un début d’un ensemble beaucoup plus étendu, puisque les compositions sont classées par ordre alphabétique de leur incipit (premier vers) et s’arrêtent à la lettre G (sans E). La disparition du reste est l’une de nos plus grandes et tragiques pertes, mais le Roman de Fauvel contient en

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l’Université » ; ou Adam de la Halle qui compose ses Congés en partant en Italie dans la suite de Robert d’Artois, toujours avec une aigreur généreuse : « Aras, vile de plait / Et de haïne et de dertait 4 », et « Li ver de le mort » qui reprennent quelques motifs d’Hélinand.

Ainsi le Dit évolue du sermon au pamphlet, du spirituel au séculier. La mise à nu de la corruption du monde, du renversement des valeurs et la parodie qui se multiplient, nous mènent droit au fameux Roman de Fauvel dont le manuscrit abrite toute l’œuvre connue de Jehan de Lescurel.

4 « Metz, ville de querelles, de haine et de calomnies »

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L’histoire est fort simple, sans prétention :

Par un beau jour printanier, le héros rejoint une partie de plaisir au plein air ; Il s’endort, et rêve d’une aventure amoureuse (motif fréquent dans le roman médiéval : le bonheur idéal, sans contraintes, s’accomplit dans un songe). Le réveil est brutal, il est seul. Sur le chemin de retour la chance lui sourit : nouvelle rencontre et nouvelle flamme. Il sent que son rêve est prêt à se réaliser et se remet au labeur de la séduction, familier et plaisant. Or, toutes ses tentatives échouent une à une ; les refus qu’il espère de la coquetterie se trouvent durement authentiques et le laissent pantois.Nous verrons avec quelle adresse ce modeste récit se transforme en chef-d’œuvre plein de d’enseignements.

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Si d’autres auteurs médiévaux cultivent la rhétorique surtout comme l’art du style, Lescurel possède et le style et la composition, la délicatesse de l’expres-sion et la valeur de la narration.Les dits lescuriens sont véritablement défense et illustration de la Dame Rhétorique dans la splendeur décrite par Martianus Capella.Sensible à tout élément culturel, la musique s’imprègne des principes de la rhétorique qui s’y appliquent avec la même fortune qu’à l’art de la parole. Le baroque marque l’apogée de la rhétorique musicale. Par la suite, elle se perd dans ses nombreuses excroissances, et la sonate comme forme est ensevelie sous les décombres de différents éléments culturels.

L’origine de ce topos est religieuse. On le fait remonter à la vénération de la nature et aux invocations à ses forces représentées par des esprits ou des dieux, bien connues depuis les temps très archaïques, et richement illustrées dans le folklore de tous les peuples et dans la littérature grecque ancienne. Dans les hymnes homériques, dans l’Iliade, à côté des dieux, sont invoqués la terre, le ciel, les fleuves 21.La description détaillée, dramatisée même, appelée ekphrasis, était l’un des éléments les plus importants pour les trois genres du discours rhétorique. La description des lieux doit être le topos le plus ancien.

21 Prodicos, l’un des figurants dans « Protagoras » de Platon, était connu pour sa doctrine sur l’origine des dieux. Selon lui, c’étaient d’abord les forces de la nature importantes pour la survie des humains : le soleil, la lune, le Nil ; puis les inventeurs des cultures et des arts : Déméter, Dionisos, Hephaistos. La personnification des phénomènes naturels est un rappel de cette foi archaïque.

Le plus commun des lieux communs : jardin, verger, bosquet

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Comme on sait, la rhétorique n’offrait qu’un cadre très général pour la composition : introductio, compositio, conclusio. Elle se préoccupait de la co-hésion du mouvement et de la culture du style, et ne suffisait donc pas à satisfaire le désir de proportions idéales. La composition d’un tout, d’un en-semble n’était pas si importante, l’auteur avançait point par point, d’image en image. La valeur d’une œuvre était estimée par la beauté des détails. Maîtriser les nuances, faire admirer la technique, là était l’objectif artistique. Le caractère fragmentaire d’une œuvre était dans l’ordre des choses, l’ima-gination du public complétait les liens sous-entendus.

Mais comment savoir qu’une œuvre est finie ?

Pour traiter une œuvre dans son tout, les auteurs médiévaux ont recouru à l’héritage pythagoricien.

Dans le traité « De la Musique », Saint Augustin, et tous les auctores après lui, explique que le nombre est le fondement de la beauté perceptible par l’ouï et la vue. Ce moyen de façonner la composition était fréquent dans tout type du discours, et avec encore plus de logique il était appliqué à la poésie. Au point, que les auteurs médiévaux n’hésitaient pas à calibrer leurs œuvres (les augmenter ou les réduire pour obtenir 12 chants, 100 vers ou quelque-chose de divisible par 3, 7, ou pourquoi pas, une raison se trouvant toujours, par 11 ou 14) afin de mettre en évidence la beauté et le sens de la forme :

Le critère du beau en musique et en poésie coïncidait. Ce n’est pas un

Arithmologie : des nombres et du sens

…la beauté n’est pas une lubie d’un demi-dieu, Mais un coup d’œil rapace et précis d’un simple menuisier.

Ossip Mandelstam. L’Amirauté.

« Par analogie avec les sept planètes, corps célèstes qui gouvernent et ordonnent les corps terrestres, nous divisons ce livre en sept chapitres… » 27

27 Ramon Llull. Llibre de l’ordre de cavalleria. 1279-1283

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hasard, si Eustache Deschamps 28 catalogue les Dits dans la « musique naturelle 29 ». La division qui s’est faite entre la rhétorique qui se charge du contenu, et les nombres qui assurent la forme, est très facile à obser-ver chez les trouvères qui appliquent la même recette sans réticence. Avec Adam de la Halle, Jehan de Lescurel, et plus tard, Guillaume de Machaut, nous découvrons l’individualité.

La pensée médiévale se discipline grâce aux procédés légués par l’Antiquité et le Livre. Celle-là offre la notion indispensable du nombre parfait ; celui-ci, le haut mysticisme des nombres. Par la voie des calculs complexes, les penseurs et artistes arrivaient à déduire ou à justifier les grands faits et les menus.Le concept du nombre d’or, divine proportion, est bien décrit pour l’architec-ture, la peinture, la musique et les sciences, mais il est plus rare de le détecter dans un texte. Voici comment le définit l’architecte romain Vitruve : « Pour qu’un espace divisé en parties inégales apparaisse agréable et esthétique, il devra exister entre la plus petite et la plus grande partie la même relation qu’entre cette dernière et l’ensemble ».

28 Dans l’ « Art de dictier et de fère chançons etc » (1392), livre plein d’enseignements et de zones ténébreuses, donc souvent évoqué et peu cité. 29 « Toutesvoies est appellée musique cette science naturele, pour ce que les diz et chançons par eulx faiz, ou les livres métrifiez, se lisent de bouche, et profèrent par voix non pas chantable… »

« En résumé, la composition doit être noble, agréable, variée. Elle a trois parties : l’ordre, la liaison, et le nombre. Ses procédés consistent à ajouter, retranchez, changer… [avec] un grand soin, mais ce soin doit céder à celui de la pensée et de l’expression ; et il faut s’attacher surtout à le dissimuler avec tant d’art que les nombres semblent couler d’eux-mêmes, et n’avoir coûté ni recherche ni contrainte ».

Quintilien. Institution Oratoire

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événement

strophe

action

Les strophes 1–7 forment le prologue ; le développement de l’histoire oc-cupe les strophes 8 à 19 et une partie de la 20 ; le reste, c’est la culmination et le dénouement.

Notons que cette division correspond parfaitement aux proportions recom-mandées denos jours pour écrire un scénario. Cependant, le contenu n’y colle pas exactement. À partir du choc reçu à la strophe 17 (rejet par la dame), le héros, occupé jusque là par une séduction de routine, commence à révéler son vrai caractère de simplet inoffensif, tan-dis que la Dame, beauté et délicatesse conventionnelles dans le 11, quitte ce piédestal, pour prendre les traits de Raison du Roman de la Rose avec sa prêche des vertus de l’amour conjugal.

Son entrée en scène en 17 est l’événement qui bouleverse les attentes du héros et les nôtres, et fait prendre une autre direction à toute l’histoire, en divisant le Dit en « proportion divine » justement, car ce rebondissement ar-rive à environ 61 % de la longueur totale. Le schéma présente l’évolution de l’histoire en fonction des ressentis et des comportements des protagonistes :L’action, très dynamique même dans le sommeil du héros, s’intensifie dans

amour-divertissement

s’endort se réveille

1

4 7

explication explicaiton

défaite 1

18

15 21

départ départ

passion subite

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réprimande résignation

défaite 2

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les dernières strophes au point que cette partie pèse plus que les précédentes. La croissance d’énergie est donc permanente, s’accélérant dans le dernier tiers, tandis que la vie sentimentale des personnages suit des courbes escar-pées et divergentes. La superposition de toutes ces lignes de tension est un prodige. Conjuguée avec la concision exemplaire 31, si contraire à l’esprit des chefs-d’œuvre médiévaux le précédant ou lui contemporains, le Dit nous offre une perfection d’un nouveau type.

Nous avons vu ce qu’étaient les débuts du genre. À la différence du grand ro-man courtois, le Dit est un genre de faible élévation se destinant au réalisme psychologique. Au lieu du noble statisme des romans, nous trouvons ici la vivacité du discours direct avec son naturel et ses irrégularités apparentes qui apportent la véracité propre à la prose.Enfin, nous avons le plaisir si moderne de confondre l’auteur et son per-sonnage, enfin, la personne n’est plus remplacée par une idée de personne ! Jehan de Lescurel effectue ici une révolution de plus, dont on n’a pas détecté d’effets immédiats. Comment donc savoir si l’œuvre est finie ? Aristote conseille de terminer tout discours par une phrase-résumé « agréable » : la dernière strophe du Dit avec son refrain est justement ce « résumé agréable ».

Pour mieux comprendre les nouveautés qui se cristallisent dans cette petite œuvre, il faut la considérer dans ses liens avec la vie de l’esprit à son temps. De nombreux fils nous conduisent vers le Roman de la Rose, tout spécialement, sa deuxième partie, que l’on lit avec passion, dès qu’on réalise qu’il s’agit, dans le cadre d’une œuvre artistique, d’une encyclopédie de la vie intellectuelle et spirituelle de son temps plutôt que d’une œuvre de distraction légère.

31 St Augustin appelait la brièveté d’une œuvre « charité chrétienne » et Tchékhov, « sœur du talent ».

L’Aristote intégral

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Avons-nous besoin de ce qui précède pour comprendre cette simple quête amoureuse qui n’a même pas réussi ? Que peut-elle nous apprendre de nouveau sur les personnages et leurs attitudes ?Après s’être fait si douloureusement tromper par son songe-mensonge 36, notre héros tombe, sur sa route solitaire, sur une jeune dame et se rue dans cette nouvelle brèche. Il vient chez elle sans attendre, lui déclare sa flamme, dans les règles de l’art, ou presque : on notera que le mot « service », courtoisement le plus important, est totalement absent de sa pensée. Puis, avec une assurance désarmante, il demande son dû. La jeune femme a la langue déliée et en fait grand usage. Passablement dépité, il se rassure vite et affine la tactique : il soigne sa mise, devient agréable, simple et généreux avec tout le monde, et se montre partout où il peut la croiser. Deux ou trois semaines plus tard, il repart à l’attaque.

Il réarrange son discours, y met plus de finesse cette fois, mais provoque une rafale de railleries et de mépris. Nous allons voir qu’aucun geste ici n’est gratuit.Le discours et les actions du héros sont garnis de lieux communs, topoï, que voici :

— Interpeller la cible par une belle « prosopographie » (topos du portrait : gra-cieuse, belle, noble, vertueuse, sage, débonnaire, incomparable, douce, blonde, blanche, vermeille etc.) ;

— Promettre l’amour éternel ;— Décrire sa souffrance physique insoutenable, due à la furieuse maladie d’amour ;

— La persuader qu’il n’y a qu’elle qui peut la lui faire supporter, et demander grâce, pitié ;

Adieu, Aliénor !

36 Une rime dans le Roman de la Rose où le songe est donné pour vrai

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— Lui dire que sa fermeté n’est que cruauté qui ne manquera pas d’être condamnée ;

— La piéger : l’effrayer par de vagues discours sur la mort, aiguillonner ainsi sa pitié, lui laisser entendre qu’elle ne serait pas tenue pour responsable des éventuelles faveurs qui ne seraient qu’un acte de charité ; lui refaire penser à la joie éternelle, puis disparaître momentanément pour laisser du temps à la fermentation de quelques pensées séditieuses ;

— Faire parler de soi ;— Revenir, montrer sa timidité, signe de l’espoir, reparler de la travaille, tour-ments, qu’on endure; se déclarer chetif (captif, et par conséquence, impuissant), dire qu’on perdra tost la vie (bientôt); faire du chantage donc, tout en insistant sur sa loyauté qui n’est autre que promesse de garder l’affaire secrète, à cause des mesdisants, gent malparliere et losengiers (ami perfide) 37.

Toute la démarche du héros est donc topique, faite de lieux communs, et non psychologique. Elle est mise dans un cadre rhétorique : d’abord, dispo-ser l’auditoire en sa faveur par de belles images et expressions choisies, puis le persuader en servant un argument fort, présenté avec une certaine retenue au début, et à la fin, en termes plus pittoresques. Par ailleurs, Quintilien insiste sur l’utilisation d’un seul et unique argument fort pour réussir un discours. La partie concluante, actio, consiste à jouer artistiquement son rôle. De la rhétorique et à tous les niveaux.

L’objet de la passion est presque indifférent, on ne lui demande que beauté et respect des règles. Lui conçoit, elle reçoit. Suivant cette école de séduction, les protagonistes n’ont pas besoin de réfléchir. Agir comme tout le monde, c’est être irréprochable. Finalement, on retrouve ici la bonne vieille méthode des dialogues de Pla-ton : le maître et l’élève. Ce dernier est là pour avoir une confiance acquise par défaut, pour concéder et se faire guider vers la vérité sublime. Dans notre histoire, la vérité est dans la sensibilité paisible, dans la liesse, joie d’exister, et le donoiement, jouissance. Le dialogue se construit comme un algorithme : on suit des instructions claires, à chaque stade il y a une alterna-tive et la décision prise détermine l’action suivante ; un nombre d’opérations

37 Non, ô lecteur, ceci n’est pas le récit des théories de Stendal… Nous sommes tous des enfants ingrats du XIIIe siècle.

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Ainsi, rien n’est spontané dans l’attitude du personnage, il utilise la « pre-formata materia ». Il a dû beaucoup lire, tout comme tant d’autres person-nages : Sansonnet, par exemple, qui « croit en savoir beaucoup par Ovide » ou les nonnes de Remiremont qui lisent « en guise d’Évangile, les enseigne-ments d’Ovide, ce maître exquis ».

Après la technique et les principes, l’Amant véritable doit comprendre aussi la « doctrine » courtoise. La question morale est nécessairement posée par l’obligation de trouver le confort psychologique dans cet entrelacement contradictoire de l’amour courtois et des devoirs conjugaux. Elle est résolue suivant le principe de complémentarité. Le Chapelain nous fournit là-dessus une explication précieuse :

secrets de ton amour.7 Obéis en tout point au commandement des dames.8 Dans les plaisirs d’amour, prends garde de toujours respecter la pudeur.9 Ne sois pas médisant.

10 Ne trahis pas les secrets des amants.11 Montre-toi poli et courtois.12 Dans les plaisirs d’amour, n’excède pas le désir de ton amante.

7 Avoir de l’élégance, selon ses moyens en vêtements et chaussures.8 Ne supporter aucune saleté sur soi.

9 Rester gai, Amour « ne se souciant guère d’homme morne ».10 Montrer ses talents à chaque occasion.11 Ne pas se montrer avare.12 Mettre son cœur en un seul lieu.

« Quelqu’un demanda à la même dame [Marie de Cham-pagne] de lui indiquer clairement où le sentiment d’amour est plus fort : entre amants, ou entre époux. Cette dame lui répondit en s’appuyant sur la philosophie. Elle dit en ef-fet : on considère que l’amour conjugal et le véritable amour entre amants sont tout à fait différents et ont leur origine dans des mouvements de l’âme radicalement distincts. C’est pourquoi ce mot à double sens exclut toute possibilité de comparaison entre des choses qu’il faut ranger dans des espèces différentes ». (André le Chapelain. Traité, livre II, jugement IX)

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À la fin du Livre II, dans le chapitre consacré aux Règles de l’Amour, nous trouvons, sous le numéro un : « le mariage n’est pas une excuse valable pour ne pas aimer ». Nous sommes tout près des libertins philosophant du XVIIIe siècle qui trouvaient ridicule une dame amoureuse de son mari.Ainsi donc, « toute femme qui souhaite avoir les louanges du monde est tenue de s’adonner à l’amour » 39 (jugement X), l’amour qui, selon la comtesse de Champagne (jugement XVII), « n’a aucun pouvoir entre époux ».

Armé d’une telle philosophie, notre héros n’hésite pas à sauter des étapes et réduit la conversation, « flèche 2 », à son propre monologue. Sachant qu’« une femme qui a quelque vertu ne doit point céder trop rapidement aux désirs d’un amoureux », car ainsi « elle purifie les sentiments », il prend ses espérances pour réalité, et cette méprise l’inspire à poursuivre en négligeant complètement l’une des lois de la courtoisie, la « mesure », qui dans cette langue codée signi-fiait « moralité ». Il est dans la « démesure », ou l’immorale, appelé « outrage ».

Cette précipitation, ce manque de discernement, de scrupule apparent, traduisent une nouvelle réalité. Déjà, divers personnages du Roman de la Rose–2 ne cessent de recommander l’amour physique. Ils passent du sym-bolisme éthéré de Guillaume de Lorris à l’étude détaillée de la conquête

39 Le traité « De Amore » était censuré ; pour cette raison peut être il est conclu de façon assez surprenante : par le livre « Condamnation de l’amour ». Cela pouvait être un subter-fuge pour sauver l’œuvre, ou peut être même plus, comme tant d’autres ont cherché à faire dans l’histoire, même contemporaine. Le Chapelain se jette la tête la première dans ce que l’on qualifie d’ « antiféminisme médiéval » : Il n’y a au monde rien de plus ignoble ou de plus répugnant que l’examen détaillé de la nature ou des caractères de la femme, que voici : elles « ne sont pas seulement avares de nature ; elles sont aussi curieuses et médisent de leurs pareilles ; elles sont voraces, esclaves de leur ventre, volages, inconstantes dans leurs paroles, dé-sobéissantes, rebelles aux interdits ; elles sont souillées par le péché d’orgueil et elles convoitent la vaine gloire ; elles sont menteuses, intempérantes, bavardes, elles ne respectent aucun secret ; elles sont luxurieuses à l’extrême, portées à tous les vices et elles n’ont enfin aucune affection véritable pour les hommes ». (L.III).Il serait exagéré d’y chercher une quelconque originalité « médiévale » ; là, une fois de plus, nous sommes en présence de la rhétoricité : gloses sur les idées venant des sources consacrées. Comme habituellement, la Bible (St Paul, Isaïe, Ézéquiel), puis la littérature patristique (la femme, c’est la porte du diable, le grand chemin de l’ iniquité, cendre, foin, sale pourriture selon St Jérôme ; le ministre du péché suivant St Ambroise ; le poignard du diable selon St Jean Chrysostome etc.), et puis aussi les joyeux et beaucoup plus arrangeants Romains-Vir-gile, Ovide, Lucain et autres, avec, comme sujet, l’inconstance des femmes : mobiliur ventis, o femina !, plus changeante que les vents, ô femme !

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charnelle, à la condamnation de l’abstinence et de la virginité : la vraie vertu est dans l’obéissance à des lois de la nature, intelligente et spirituelle, comme on l’a découvert grâce à Aristote. Le mal est le non-être. L’idée toute fraîche, Aristotélienne, que la seule éternité était celle de l’espèce, était en vogue : « le péché était nécessaire, puisqu’il nous procura un si grand bien » (l’éternité), écrivait St Thomas, « li mauvais ne sont pas ome » (hommes, 6322), résume Jean de Meung. L’amour charnel est « la nourreture nete et fine » (17078) ; chez le personnage de Lescurel il devient « ma droite norreture », c’est-à-dire lui revenant de droit.

Entre les anciens, Le Chapelain et G. de Lorris, et les jeunes, J. de Meung et J. de Lescurel, le canevas rhétorique de la quête amoureuse ne change pas, mais il est comme dégradé, en se formalisant. Pour les anciens, le cadre est le château, ses environs bucoliques et le temps ralenti des grands romans avec de menues avancées infiniment détaillées, la sensualité paisible, le respect scrupuleux de la tradition et des règles courtoises ; pour les jeunes, c’est le dynamisme de la cité, c’est le mouvement par des raccourcis ; la nature ? oui, le temps d’un pique-nique galant, mais surtout, la philosophie, la connais-sance, la réflexion libre et sans tabou, comme la défense du mot coilles assu-rée par Raison, fille de Dieu 40 (dans le Roman de la Rose – 2).

40 6926 n’encor ne faz je pas pechié se je nome les nobles choses par plein texte sanz metre gloses, que mes peres en paradis fist de ses propres mains jadis, et touz les autres estrumenz qui sunt pilier et argumenz a soutenir nature humaine, qui sanz els fust or casse et vaine ; car volentiers, non pas enviz,6936 mist Dex en coillons et en viz force de generacion par merveilleuse entencion, por l’espiece avoir tourjorz vive par renovelance naïve, c’est par nessance rechaable et par chaance renaissable par quoi Dex la fet tant durer6944 qu’el ne peut la mort endurer.

Et encore ne fais-je pas un péchéQuand je nomme textuellementsans mettre de gloses, les choses noblesque mon père au paradisjadis fit de ses propres mains, comme tous les autres instrumentsqui sont les piliers et les argumentssoutenant la nature humainequi sans eux, serait maintenant détruite ;car c’est de plein gré et non à contrecœurque Dieu mit en couilles et en vitsla force de la génération,dans la merveilleuse intentionde garder, par un renouvellement naturel,l’espèce toujours vivante;c’est par des naissances vouées à la mort et par la mort de ceux qui peuvent renaîtreque Dieu la fait tant durer etqu’elle ne peut succomber à la mort

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L’esprit indépendant, le discernement sont maintenant l’attribut de la Dame qui, dans notre Dit, n’est point le doux reflet de la Beauté-Bonté-Vertu cé-lestes. Sans être simple ou exaltée, elle est consciente et réaliste, l’on sent chez elle une expérience de vie, de la perspicacité et du pragmatisme même, qui lui évitent toute hésitation. Tandis que notre Amant patauge encore dans la rêverie sentimentale révolue, glissant sur la surface et ne maitrisant ni ses rêves, ni ses projets, cette citadine, active et résolue, existe par elle-même, elle a sa part dans la réalité multidimensionnelle moderne.

Le triangle rituel : l’Amant-l’Amie-l’Ami, se décompose après avoir perdu son équilibre. Le trouvère pâtissant ne se projette pas au-delà du « guerre-don » (récompense) et ses aspirations s’arrêtent à la « joie ». Chez les nouveaux auteurs c’est l’« après-guerredon » qui tourmente. L’Ami qui jadis prônait la grande vertu de la soumission à Dieu d’Amour et à la Dame, conseille maintenant la voie discutable de Trop-Donner construite par Folle-Largesse afin de séduire et surtout, de s’en contenter, car après la ferveur des pre-miers temps, la vie de ménage sera tissée de jalousie et de lassitude. L’Amant, n’ayant pas Richesse pour lui, cherche l’aide de Faux-Semblant, et c’est bien celui-ci qui entre le premier dans la tour où est gardée la Rose ; une fin im-pensable du temps de la génération précédente.

Tout a bien changé depuis qu’Aliénor d’Aquitaine avait exploré les profon-deurs de l’art de l’amour courtois que ses filles, Marie, comtesse de Cham-pagne, et Aélis (Alix) comtesse de Blois, ont si ingénieusement amplifié. Le songe s’est évaporé en emportant avec lui et l’amante admirable et l’amour-jeu, ce rêve courtois, rassurant.

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Il y a une qualité que le Dit « Gracieux Temps » possède et qui définitive-ment donne à cette œuvre, certes mineure, l’allure d’un chef-d’œuvre. Il s’agit d’un certain inachevé, d’une ouverture vers quelque chose d’autre. Le Dit n’a pas ce fini parfait, absolu et déterminé qui enferme l’œuvre dans ses temps et lieu, la limite, la relativise, la massacre, comme c’est propre, par exemple, à la peinture académique, le cas le plus flagrant d’achèvement absolu et d’autant d’ennui.

En effet, nous trouvons chez Lescurel une relation intime avec les idéaux esthétiques du Moyen âge, d’un côté, et des éléments de l’humanisme à venir, de l’autre. L’équilibre exquis du dit, l’indissociabilité de son contenu d’avec sa forme, répond à l’idéal de la perfection, valable de saint Augustin à saint Thomas, deux théoriciens d’esthétique situés aux limites de l’époque qui nous inté-resse. Du Moyen Age vient aussi la reproduction des modèles, mais l’espace construit dans le Dit, ouvert sur le vaste monde de la réalité, a un nouveau volume qui nous rapproche des espaces tridimensionnels apparus chez les peintres italiens.

Les personnages réalistes, que nous pouvons, si besoin est, traiter comme symboles, mais point comme allégories, avec leur sensibilité, leur sentiment d’anxiété et leurs mobiles si semblables aux nôtres, sont aussi d’une nouvelle trempe, tout comme l’effacement du descriptif devant le spectaculaire et l’analyse des vérités immuables au lieu de leur simple énonciation.L’ouverture, l’indéterminisme dans une œuvre sont générosité et génie. Comme il a été remarqué, « l’art parfait fait éternellement découvrir ce qu’il a découvert, nous rend visible de quoi il était la manifestation. Pour cette raison, de nos ‹ idées › – philosophie, théologie etc., il ne reste, il ne vit que ce qui est apparenté à l’art »41 .

Cet élément met une lumière plus nuancée sur notre idée de l’authenti-cité. L’authenticité dans l’interprétation déchaine encore des passions au point que, paraphrasant les classiques, elle « est comparable à une femme fidèle ou à un fantôme : tout le monde en parle et personne n’en a vu ». Les maîtres d’art anciens avaient le sens de la Beauté, nous avons le sens d’imi-

Des choses pérennes

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tation que nous appelons « authenticité ».Pour nous, l’authenticité est l’ensemble de nos représentations, basé sur trois piliers : érudition, tradition et intuition, multipliées par le talent (ou divisées par ce que l’on possède à sa place). Ainsi, l’ « authentique » sera toujours nouveau, toujours inattendu, car fondé sur nos découvertes, notre enrichis-sement en connaissances et savoirs.

L’interprétation, tout comme l’éloquence, est un des arts les plus rapide-ment périssables ; toutes les deux, elles sont une technique d’illuminer « le message » pour un public donné, donc de l’adapter infiniment. Ce sera toujours une vision personnelle d’une œuvre individuelle, en cela elle est un acte rhétorique. Quel sens à suivre un modèle « authentique » et unique ? Pourquoi nous sou-mettre à la lettre, tandis que nous avons avec nous l’esprit qui ignore les règles déductives, mais se manifeste dans la capacité de faire vivre mainte-nant une phrase qui n’est plus possible, comme :

Amez moi, et je vous.

41 A. Schmemann, prêtre et philosophe chrétien orthodoxe, dans une interview.

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Comment est grande la joie d’aimer,Je vous serais reconnaissant,Si votre bouche rieuse

Daignait toucher la mienne.

Belle et noble, de bonne naissance

Je vous donne mon cœur et tout ce que j’ai ;Aimez-moi aussi d’un cœur sincère.

Que Dieu vous donne des jours sans chagrin,Je vous aime d’un amour certain,Et, puisque c’estainsi, Le ferai tant que je vis,D’un cœur gai

Quelle est d’amer le grant joie,Dame, bon gré vous saroie,Se voustre bouche rians

Dagnoit toucher à la moie.

Belle et noble, a bonne estrainne

Vous doins cuer et quanque j’ai ;Amés me aussi de cuer vrai.

Dieu vous doint bon jour sanz painne,Belle et noble, a bonne estrainne.Je vous aim d’amour certaine,Et ferai tant com vivrai.Puisqu’ainsi est, de cuer gai,

Belle et noble, a bonne estrainneVous doins cuer et quenaques j’ai ;Amés me aussi de cuer vrai.

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wie groß die Freude zu lieben istwäre ich Euch dankbar,wenn Eure lächelnden Lippen

die meinen zu berühren wagten.

Schön und edel, von edler Geburt

ich gebe Euch mein Herz und alles, was ich habe;Liebt mich auch mit Ehrlichkeit im Herzen.

Möge Gott Euch Tage ohne Kummer bescheren,meine Liebe für Euch ist aufrichtig,und aus diesem Grundewerd‘ ich Euch lieben, solange ich lebe,mit frohem Herzen.

How great the joy of loving isI would be grateful to you,When your smiling mouth

Deigns to touch mine.

Beautiful and noble, of noble birth

I give you my heart and everything that I have ;Love me too with a sincere heart.

Let God give you days without sorrow.I love you with true love,And, as it is so, I will do so for as long as I live,With a cheerful heart

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1

Le temps est gracieux quand le rosierFleurit et l’osier reverdit.Alors en bosquetEntouré de murs fermant à loquet,En chantant un nouveau hoquet J’allai pour jouer,À pied sec et sans me salir,Avec des gens que l’on doit bien louerLà, sans être mordu de fourmis,

Je m’endormis un petit peu2

Je dormis pour de vrai et fis un rêveTel que chaque fois qu’il m’en souvientJe ronge mes freins.Il me plaît comme il convient.Je m’étonne encore d’où vientCette vision.Le rêve était que nous lisions De beaux dits et chantions des chansons Joyeuses et chacun avait une compagne

Parmi les joncs, les feuilles, les fleurs Et les violettes

3

Sur les violettes étions Jouant aux joyeuses devinettes, Lorsque je dis : « Nous sommes ici Trois belles dames et trois hommes, Entrons dans le bois cueillir des pommes, Si cela vous semble bien, Deux par deux, pas tous ensemble ».L’ayant dit, l’on se partage Et très vite avec la plus belle

Je me couchai entre deux hêtreset fis de l’ombre avec une brindille

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Young women and disappoint Their hopes, when they realiseThat they are too innocent for such thoughts.

False Love, I dismiss you, I have found one more loyal.

27

I have found it in marriage In someone handsome, charming, wise, Sensible, attractive, lovable ; The one that I desire Is pleasing to all. It would not be right to agree to another love, Because I love someone so noble.For his love, and not through vanity,

Every day of my life, I will be cheerful and pretty.”

28

A pretty woman must be very pleasing, But God gives misfortune and annoyances To the one who Takes hold of or often gives his love. Misfortune to the one who lets himself go !Everyone is courteous in the same way at the start, Then full of bad intentions, And because of these people who trick and lie

it is said that my love is false.

Morawski (French proverbs before the 15th Century). We have not come across an expla-nation for this fact, although we suggest that Paris / Pavie form a paronymous rhyme (they have similar sounds), and although the names do not seem sufficiently close in sound from a modern perspective, the similarity would have been perfectly sufficient in the era to which we are referring.

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Gott der Wahrheit,Ich hatte nie geliebt, Was für eine Gelegenheit,Damit zu beginnen

10

Oh Gott, wie voll der Liebe wareDerjenige, der aus Liebe dieses junge Mädchen erlange könnte,Die nach meines Erachtens schöner als jeder andere ist.In ihr erneuert sich mein Glück,Es ist ein wahres Vergnügen.Ihr Ebenbild in all seiner KraftPrägte sich sanft mir ein.Deshalb, mit brennendem Verlagen,

Werd‘ ich sie zeit meines Lebens lieben.11

Sie hat ein derart anmutiges Antlitz,Nichts Vergleichbares gibt es in der StadtUnd auf dem gesamten Erdenrund,Weder in Frankreich noch in England 46

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . So ein Vergnügen, Das mit sprachlos macht,Falls ich in der Liebe keine Hilfe finde,bete ich in Stille :

46 Verschiedene Texte erwähnen englische Frauen zumindest teilweise als Maß aller Dinge, was Schönheit angeht ; auf einer kommenden Platte werden wir die Gelegenheit haben, dar-über im Detail zu sprechen. Hier nur ein wohlwollender Rat :

Wer eine schöne Dame sucht,der nehme ein Antlitz aus England,ohne die normannische Brust,aber sehr wohl einen Körper aus Flandern,auf einem Hinterteil aus Paris, und so wird er eine Frau nach seinen Wünschen haben.

Vgl. bei Stendhal in „Feder oder der silberne Gatte“ : „Sie war groß und gut gebaut; ihre beinahe englische Figur vermittelte beinahe ein perfektes Bild der Schönheit…“

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Ihre Hoffnungen, wenn sie bemerken,Dass sie für derart viele Gedanken zu naiv sind.

Falsche Liebe, ich sende dich von dannen, Ich habe einen treueren gefunden.

27

Ich hab‘ ihn gefunden in der Ehe,In jemandem Schönes, Anmutiges und Artiges,Vernünftiges, Hübsches und Liebenswertes;Den, nachdem ich verlange,Ist allen genehm.Es wäre nicht gerecht, Einer anderen Lieben zuzustimmen,Weil ich eine so edle Person liebe.Für ihre Liebe, und nicht ihre Eitelkeit,

Dass ich jeden Tag meines LebensFroh und strahlend sein werde.“

28

Eine hübsche Frau muss wohl gefallen,Aber Gott bedenkt den Mit Unglück und Widrigkeiten,Der oft seine Liebe gibt oder ergreift.Wehe dem, der sich ihr hingibt !Alle sind gleichermaßen Höflich zu Beginn,Dann voller schlechter Vorsätze,Und wegen dieser Leute, die betrügen und lügen,

Sagt man, meine Liebe sei unaufrichtig.

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Jehan de Lescurel’s work is regarded as the herald of Ars Nova, marking a turning point in the transition from the simplicity of the 13th Century trouvères to the esoteric art of Guillaume de Machaut and his followers. All the science of the musical composition of trou-vères, enriched by echoes of southern tradition, is represented in his work, although its level of completeness and perfection is infinitely higher. His music made the division of the formes fixes, namely the ballade, rondeau and virelai, genres final, which had been called to

sustain a century of creation. His composition made use of the new oppor-tunities that more refined notation offered. Musicologists say that it is the first written music that should be played literally as it is written.

Lescurel’s success has not waned from the moment it became part of modern culture. The Belgian musicologist François-Joseph Fétis was probably the first to look at his music, and not his poetry, in his Universal Biography of Musicians and General Bibliography of Music (Paris, 1834‒1835), deeming his composition as “quite outstanding.” However, it would be futile to only look for quotations, whether literary or musical, from not easily accessible editions (Montaiglon 1855 ; Gennrich 1921, 1947 and 1966 ; and Wilkins 1966), with the exception, for our ancestors, of the ballade, “Belle, comme loiaus amans,” which features in the anthology, “French poets : a collection of French poetic masterpieces from their origins to the present day,” that was repeatedly republished in the sixties and seventies of the 19th Century. The collection which we have now, made up of thirty-four pieces, is com-piled on six sheets of Manuscript 146 from the French National Library, which is renowned for its version of the Roman de Fauvel, with its musical insertions and miniatures. No other source provides information about the composer or his work.

We know Jehan as the composer of fifteen ballades, twelve Rondeaus and five Virelais, later followed by two dits entés. It is generally assumed that this is merely the beginning of a much larger collection, as the compositions are classified in alphabetical order by their incipit (first verse) and stop at the letter G (E is omitted). The disappearance of the rest is one of the great-est and most tragic losses, although the Roman de Fauvel contains a large

Foreword

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number of unsigned pieces, some of which could be by Jehan de Lescurel.With the exception of one piece, all his known songs are monodic. His polyphonic compositions have now been lost or he has not been confirmed as their composer. It may be assumed that he could have written other pol-yphonic compositions in the light of some allusions, for example in the dit, “Gracïeus temps,” in which the story begins with an expedition into the springlike forest to play a new hocket with a polyphonic form.

Lescurel’s melodies, which were prepared in an implicit and perfect form, have clean and simple structures, but are decorated with colorotions, which reveal his flexibility and sensitivity to nuances.The elements of Lescurel style are : a way of talking about serious things with subtle elegance and melancholy, in an attractive way ; addressing in-significant things very seriously, against a backdrop of chivalrous nobility; and perfection in the minor details. For us, these are stylistic signs of French music in its best expression which can be found up to the time of Couperin. He is the first composer that can be considered as having the French “esprit.” This is, of course, merely a subjective vision, but doesn't making art mean being subjective ?

With its formal distinction and readability, his poetry, particularly the two Dits, is far removed from the highly didactic chansons and romances from earlier generations, as well as some later authors, like Eustache Deschamps, or Mauchaut’s longeurs. It has everything : skilful and balanced composition, imagination and irony. The sense of the unattainability of the ideal fills this poetry and is heard in the melancholic tone of the music. In the Dits, the character becomes a singular person with individuality ; you could say that he leaves the room for the stage and the world imposes itself on him, and his trembling can be heard.

Jehan de Lescurel’s first editor, and naturally his biographer, notes : “re-garding the author, we cannot strictly add anything to his name (Anatole de Montaiglon, 1855). Current research adds that he had “sufficient talent to make a remarkable contribution to music and French poetry” (Nigel

Biographical information

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J. de Lescurel’s two Dits are explicitly named “entés,” that is with added re-frains that have been borrowed and which are also known as “greffés” [grafted].In order to evaluate Lescurel's level of creativity, let us look at some oth-er possible sources. By the usage of borrowed refrains, fatras and resverie draw us in close. This technique of inserting sung pieces within the prose is also common among the Arthurian romances : Tristan in prose, Guiront le Courtois, Perceforest (second half of the 13th Century). The same genre of musical interludes, in this case borrowed, are frequent in the work of Lescurel's great predecessor, Adam de la Halle. Johannes de Grocheio, the author of Ars Musicae and a contemporary of our poet-composer, talks of cantilena entata, grafted song, where each couplet was completed by a dif-ferent refrain.

Another text proves to be of great interest, namely this version of the Roman de Fauvel which contains Lescurel’s pieces ; musical pieces were also added to it. “Sottes chansons” can be found, for example, which have the same form as grafted motets. There have often been questions about the usefulness of the “sottes chansons,” the lack of a connection with the Roman’s content, as well as the irrelevance and superfluousness of the presence of Lescurel’s work in this manuscript. The sung interludes in Fauvel make use of grafting which was common practice in the lower genres concerned with parody. Let us turn to the re-markable, and very long, lament of the spurned lover (Oh, God !, where can I find…), the inclusion of which receives the most criticism. In this case, each stanza is framed by one or two sung lines, which were borrowed from an anonymous poem that features on the last end page of Ms. latin 7682 BN 51. Better still, as there are only 11 stanzas, some of the 14 lines of the song are split up and are inserted into the body of the stanza itself. It is interesting to note that the grafted refrain 8 (Fui de ci ! De toi n’ai que fere ! [Go away from here ! I could not care less about you !] was reused in our Dit.

This marvellous copy of Fauvel is therefore a grafted work, whose grafts are also grafted – perfectly quantum mechanics.

Refrains, or the art of “grafting”

51 Hoepffner E., “Chanson française du XIIIe siècle (Ay Dex ! ou porrey jen trover),” Romania, 47, 1921, p. 367-380.

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The double, grafted, form reflects a double, glossed, content.The two dits entés could, therefore, be one of the justifications for including Lescurel’s work in Ms 146, which corresponds to the idea that Lescurel’s compositions were an alternative choice to vary the interludes in the Fauvel during its performances. This also confirms the hypothesis that some of the pieces added to the Roman could have been the work of J. de Lescurel’s hand.

The refrain, as a quotation, therefore had a deep meaning. We can only attempt to understand it well, but let us try to do so. The grafted refrain tells the story for a second time, in a more general and therefore more abstract or allegoric way. It may, of course, be a sign of def-erence towards some author or another, or recourse to the “authority of au-thors” and very probably also to add value thanks to the usage or adaptation of a fashionable melody. This formula could have been a way of finding an unselfish and humble place in the creative tradition, “pour vaine gloire eschiver” (avoid vain glory), as composition was seen as a common and open-ended exercise.

One of the strongest defenders of this argument is found in Macrobe’s “Sat-urnales.” The work dates back to the first half of the 5th Century 52. Book five contains a remarkable inventory of “various Virgil passages translated from Homer.” Some revealing commentaries can be found here.

“What could be more pleasant than hearing the two best poets express-ing the same ideas ?” exclaims the author.

He finds great pleasure and satisfaction in the fact that the Virgil texts were “based on serious authorities,” and finds as much enjoyment in a daring mod-ification as in the appropriateness of merely transmitting :

“And nevertheless, Virgil carried in his work, with so much happiness, what the Greek poet had said before him, namely that he had been able to make people believe that he was the true author.”The grafted refrains are not therefore only cross–references to other sourc-es or for entertainment’s sake, as this is above all a display of one of the greatest rhetorical qualities : increasing the meaning through complication.

52 As we all know, as regards the recognised Latin authors, a temporary gap must not be a cause for alarm, since their writings were venerated for millennia.

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This involved adding external elements to the subject of the discourse, in order to extend the feeling of pleasure and give the thought and image a further dimension, as the stream of parallelisms and contrasts used make it possible to define one and (in our case : the Dit and the situation that the characters go through) compare it to several (the sources, on the one hand, and the experiences of many other characters) instead of presenting them as unique.

The medieval style of philosophising, which its four levels of senses, is for-eign to us now, although the principle of symbolic interpretation could be seen as a response : from its beginnings, Christian thinking has worried about finding “hidden treasures beneath the letter” (Origen), since, as is said in the Roman de la Rose, “we are told about the tree by the gallows.” The grafted refrain is rhetoric elegance, and therefore essential, and requir-ing intellectual and cultural abilities. Macrobe indeed states that Virgil

“cannot be understood by anyone who does not have a deep understanding of Greek culture.” The grafting is thus the expression of this happiness at intellectual and aes-thetic fraternity.

The 28 refrains from this Dit come from all over, and the origin of some of them has been identified. It is however necessary to acknowledge the limits of these attributions, as our sources are incomplete fragments. There are examples of self-quotation, a technique which Adam de la Halle also liked to use ; for example, his motet “In May, when the rosebushes are in bloom”, in which the hero listens to one of Adam’s songs on the flageolet. Sometimes, the grafts lead us far away, as in refrain 22 : “Fuit de ci, de toi n’ai que faire” (Go away from here, I could not care less about you !) to an outstanding story. It appears in the Roman de Fauvel in a long lament made up of 11 sextains. In that case, the pragmatic Lady also dismisses her admir-er : “J’ai ce qui me vient a talent” (I have enough of what suits me as I want).

Grafted refrains in “Gracieux temps”

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As we know, Mediaeval rhetoric offered only a very general framework for composition: introductio, compositio, conclusio. It was concerned with the coherence of the narrative and the culture of the style, and didn't therefore satisfy the pursuit of ideal proportions. The composition of a whole was not important; the author proceeded point by point, from image to image. The value of a work was assessed by the beauty of its details. Masterful nuances, admirable technique: that was the artistic goal. The fragmentary nature of a work was expected; the imagination of the listener completed the implied links.

Yet how shall we know that a work is completed ?

In order to create a unified work, medieval authors resorted to the Pythag-orean legacy.

In the treatise “On Music,” Saint Augustine, as all authors after him, ex-plains that the Number is the foundation of beauty that is perceptible by hearing and sight. This means of shaping the composition was common in all types of discourse, and, above all in poetry. So much so, that medieval authors did not hesitate to calibrate their works (increase or cut them down to end up with 12 songs, 100 verses, or something divisible by 3, 7, and even

– as a justification was always found – by 11 or 14) to highlight the beauty and meaning of the form :

Arithmology: numbers and meaning

…beauty is no demigod’s caprice : It is the simple carpenter’s ferocious rule-of-eye.

Osip Mandelstam,The Admiralty.

(transl. B. Raffel)

“By analogy with the seven planets, celestial bodies that govern and order earthly bodies, we divide this book into seven chap-ters…” 72

72 Ramon Llull. Llibre de l’ordre de cavalleria.(the Book of the Order of Chivalry) 1279-1283 73 In “Art de dictier et de fère chanson” (1392), a book full of lessons and dart topics, so often evoked but rarely cited ;

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The criteria for beauty in music and in poetry coincided. It is not by chance that Eustache Deschamps 73 catalogues the Dits within “natural music 74.” The division made between rhetoric that deals with content, and numbers that ensure the form, is very easily seen in the works of the trouvères who readily apply the same recipes. Nonetheless, such authors as Adam de la Halle, Jehan de Lescurel and later, Guillaume de Machaut demostrate individuality.

Medieval thought was harnessed by the methods bequeathed by the antiq-uity and the Bible. The former proposes the essential notion of the perfect number, while the latter the high mysticism of numbers. Through complex calculations, thinkers and artists were able to justify major and minor facts.The concept of the sectio aurea, divine proportion, is well described in archi-tecture, painting, music and science, but it is rarer in a text. The Roman ar-chitect Vitruvius defines it as follows : “For a space divided into equal parts to be agreeable and aesthetic, between the smallest and largest parts there must be the same relationship as between this larger part and the whole.”

“In summary, composition ought to be elegant, pleasing, and va-ried. The particulars that require attention in it are three : order, connection, and number. The art of it lies in adding, retrenching, and altering… The care required in it is great… But all our care must be diligently concealed in order that our numbers may seem to flow from us spontaneously and not to be forced or studied.”

Quintilian. Institutes of Oratory

74 “Toutesvoies est appellée musique cette science naturele, pour ce que les diz et chançons par eulx faiz, ou les livres métrifiez, se lisent de bouche, et profèrent par voix non pas chantable…” [Nevertheless this natural art was called music, because the dits and chansons were composed of the books that were written in verse were pronounced by a voice that did not sing].

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According to the ancient tradition, still alive in the medieval conscience, the arithmetic metaphor expressed a certain hidden, but fundamental idea. Our Dit is based on the values of 28, 9, 8, 7 and 4 ; its composition related to 28 and 7. Both of these numbers were subject of an absolute admiration : 7 as a universal number (the list of its various meanings is simply infinite ; it is both the number of the Holy Spirit as well as the human being-three repre-senting the soul and four, the body) ; and 28 as one of the perfect numbers 75. The use of 28, as a result of multiplying Creation (4) by Perfection (7), is a manifesto in itself.We no longer have this sensitivity to the hidden meaning of numbers, so simply counting the lines and syllables would lead us nowhere. We will rather look at how the dramatic and thematic developments are created over the space of the Dit’s 28 stanzas, to which we devote this edition.

The action in stanzas 15‒27 last, according to the author, “XIV. Jours ou vint [15 or 20 days].” We can also see that the character is always on a move: we meet him while he is walking, he falls in love while he is walking, he imple-ments his strategy for conquest while he is walking and he digests his first defeat while still walking – it seems he stops only when he realises his delusion.

So, the piece would ideally be divided into four parts of 7 stanzas ; the in-troduction being only a few lines, while the conclusion can be understood as the remark spoken by the hero.

Here is an outline of the story:

1 2‒7 8‒14

15‒21 22‒2728

75 Perrfect numbers are numbers which are equal to the dum of their divisors (here : 1+2+4+7+14). They are real diamonds among the tools of a medieval creator. From number one to one million, only fout perfect numbers exist: 6, 28, 496 and 8128.

Introduction ;Dream, then waking ;On the journey, encounter, dreams (ideas and aspirations), decision making ; First explanation, refusal, new strategy, second explanation;Dialogue-confrontation and defeat ;Conclusion

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Stanzas 1‒7 form the prologue, the development of the story occupies stanzas 8 to 19 and part of 20, the rest being the culmination and the denouement.It is noteworthy that this division corresponds perfectly to the recommended proportions for writing a film script.

However, the content does not fit exactly. From the shock received in stanza 17 (rejection by the lady), the hero, a playboy who was hitherto occupied by a routine of seduction, begins to reveal his true character – a harmless simpleton – while the lady, all generalized beauty and finesse in the 11th, comes down from her pedestal and takes on the traits of Reason from

“Roman de la Rose,” with her preaching about the joys of marital love.

Her entrance in the 17th strophe is the event that turns the hero’s – and our – expectations upside down, and causes the story to take another direction, fittingly dividing the Dit by “divine proportion,” as this sudden development happens about 61 % into the story. The evolution of the story according to the feelings and behaviours of the protagonists unfolds as follows :

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28

event

stanza

action

love-entertainment

falls asleep wakes up

1

4 7

explanation explanation

defeat 1

18

15 21

departure departure

sudden passion

11

8 14

reprimand resignation

defeat 2

22

25 28

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Do we need the preceding to understand this simple search for love which has not even been successful ? What could it teach us about the characters and their attitudes ?

After being so painfully deceived by his dream, our hero comes across a young lady on his lonely journey and rushes headlong into this new pros-pect. He approaches her without delay, declaring his love for her, in keeping with the rules of the art, or almost so : it should be noted that the word “ser-vice,” which is of utmost importance in courtly terms, is completely absent from his thoughts. Then, with disarming self-assurance, he asks for what he believes he is owed. The young woman is silver-tongued and makes great use of this skill. Quite upset, he reassures himself quickly and refines his tactics : he looks after his appearance, acts pleasantly, simply and generously with everyone, and shows up everywhere that he may cross paths with her. Two or three weeks later, he goes in for another attack. He has rethought his speech and speaks with greater finesse this time, but provokes a flurry of contempt. We will see that even the slightest gesture is not undeliberate.The speech and the actions of the hero are filled with commonplace, topoi, in this order :

— Calling out to the object of affection with a beautiful “prosopography”(the portrait topos: gracious, beautiful, noble, virtuous, wise, meek, peerless, gentle, blonde, white, rosy-cheeked, etc.) ;

— Promising eternal love ;— Describing unbearable physical suffering, caused by the monstrous trau-ma of love ;

— Persuading her that only she can make him bear it, and asking for pity and grace ;

Adieu, Eleanor !

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cated the great virtue of submitting to the God of Love and to the Lady, is now recommending the dubious path of Trop-Donner, profligacy laid by Folle-Largesse [Mad Largesse] in order to seduce for its own sake, because after the great passion of the early days, domestic life is woven with jealousy and surfeit. As the Lover does not have Richesse on his side, he seeks the help of Faux – Semblant, and the latter is the first to enter the tower where the Rose is kept : an unthinkable ending at the time of the previous generation.

A lot has changed since Eleanor of Aquitaine explored the depths of the art of courtly love that her daughters, Marie, Countess of Champagne, and Alix, Countess of Blois, so notably disseminated. The daydream disappeared carrying with it and the admirable Lovers as well as the game of love, this courtly, comforting dream.

The “Gracieux temps” Dit has a certain quality that gives this work, ad-mittedly a minor one, the allure of a masterpiece. There is a certain sense of incompleteness, opening towards something else. This Dit does not con-clude with a perfect, absolute and resolute ending which roots the work in its time and place, limits it, relativises it, massacres it, as academic painting would, for example, which is the most obvious case of absolute completion and, equally, of ennui.Accordingly, we see an intimate relationship with the aesthetic ideals of the Middle Ages in Lescurel’s work, on the one hand, and with the humanism that was to come in the future, on the other.

On perennial things

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The exquisite balance of the dit, the indivisibility of its content and its form, is in keeping with the ideal of perfection in the era between Saint Augustine and Saint Thomas, the two aesthetic thinkers who defined the limits of the time in which we are interested. The emulation of models is also from the Medieval Era, but the space that was built in the dit opens out onto the immense world of reality, has a new volume which brings us close to the three-dimensionality that appeared later in Italian painting. Realistic characters, which we can, if necessary, treat as symbols but not as allegories, with their sensitivity, feelings of anxiety and their motivations which are so similar to our own, also have a new caliber; the descriptive-ness giving way the spectacular, and the analysis of unchanging truths instead of a mere enumeration of them. The openness, the indeterminism in a work of art is a sign of generosity and genius. As has already been noted, “Perfection in art is proportional to its openness : perfect art will forever reveal what it has discovered, it will demonstrate to us what it represents. For this reason, in our ‘ideas’ – philos-ophy, theology, etc., the only thing that lives on is what is like art, and only up to the measure of what is art – like 85.”

This lends to a more nuance to our notion of authenticity. Authenticity of interpretation still sparks strong emotions, so much so that, paraphrasing the classics, it can be compared to a faithful wife or a ghost : everyone talks about her yet no one has actually seen one. Old masters had a sense of Beau-ty, and we have a sense of its emulation, which we refer to as authenticity.For us, authenticity is the sum of our imaginings which stand on three pil-lars : erudition, tradition and intuition, which are either multiplied by talent or divided by whatever passes for one. Thus, the “authentic” will always be new and always unexpected because it is based on our discoveries enriched by personal knowledge and skill.

Interpretation shares with oratory the feature of being one of the most rapidly perishable arts,–that it is a way of coloring “le message” for any given audience, and can therefore be adapted ad infinitum. It will always be a personal vision of an individual work, and by vitue of that it becomes a rhetorical act. What 85 A.Schmemann, otthidox christian philosopher, in an interview.

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is the purpose of emulation of a unified “authentic” model ? Why should we bow to the letter, when we have the spirit that is higher than deductive precepts, and manifests itself in a possibility to bring to life such an incon-ceivable in our time phrase as

Amez moi, et je vous.

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Facsimile Chrestomathie FME‒1401Distribué par

SONGÉ .I . SONGEJehan de Lescurel. Chansons et Dit enté, XIVe siècle

Amour, voulés-vous acordezVersion instrumentaleComment que, pour l’eloignanceBien se pëust apercevoirDame gracïeuse et belleVersion instrumentaleAmours, que vous ai meffaitBonne Amour me rentDe gracieuse dame amerDit « Gracïeus temps »Strophes 1‒8Diex, quand la verraiVersion instrumentaleDit « Gracïeus temps »Strophes 9‒21Belle, com loiaus amansDit « Gracïeus temps »Strophes 22‒28Belle et noble

Total playing time : 70’26 Enregistrement réalisé en l’église sainte Brigide à Plappeville en décembre 2013 www.facsimile-records.com Ensemble SY NTAGM ADirection : Alexandre Danilevski

© 2013 Facsimile Records – all rights reservedCommentary in French and English – Lyrics in French, English and German

1

234

5678

9

10

1112

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4’58

2’534’44 4’45

5’381’515’3610’38

2’24

11’39

4’097’35

3’37