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SORBONNE UNIVERSITÉ
FACULTE DE MEDECINE SORBONNE UNIVERSITÉ
ANNEE 2018 THESE N°
PRESENTEE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE
SPECIALITE : Médecine Générale
Par
Marianne COMBA
Née le 10 octobre 1990 à Caen
Présentée et soutenue publiquement le 28 novembre 2018
Approche des représentations des médecins généralistes
concernant les patients qui les consultent tardivement
Président de thèse : Monsieur le Professeur Gérard REACH
Membre du jury : Madame le Docteur Mady DENANTES
Monsieur le Docteur Gilles LAZIMI
Monsieur le Docteur André SOARES
Directeurs de thèse : Monsieur le Professeur Philippe CORNET
Monsieur le Docteur Alain DELUZE
2
REMERCIEMENTS
A Monsieur le Professeur Gérard REACH, pour me faire l’honneur de présider ce jury. Votre
livre m’a servi de référence pour ce travail. Veuillez trouver ici le témoignage de ma sincère
reconnaissance et de mon profond respect.
A Monsieur le Professeur Philippe CORNET, pour avoir accepté de codiriger cette thèse avec
bienveillance et soutien mais aussi pour le temps que vous m’avez consacré. Vos remarques et
commentaires ont été très utiles tout au long de ce travail et durant mes trois années d’internat
dans le cadre du tutorat et des cours à la faculté. Ce fut un plaisir de pouvoir travailler avec
vous.
A Monsieur le Docteur Alain DELUZE, pour avoir codirigé cette thèse en apportant votre
expérience et vos remarques au sujet de la question qui sera développée dans ce travail de
recherche.
A Madame le Docteur Mady DENANTES, pour avoir accepté de faire partie du jury et
d’évaluer ce travail, mais aussi de m’avoir formée pendant mon stage de niveau II. C’est un
plaisir de travailler avec toi à la MSP.
A Monsieur le Docteur Gilles LAZIMI, pour avoir accepté de faire partie du jury et d’évaluer
ce travail, mais aussi de m’avoir enseigné et accompagné durant mon stage de niveau II et
durant les cours à la faculté.
A Monsieur le Docteur André SOARES, pour avoir accepté de faire partie du jury et
d’évaluer ce travail. Ce fut un plaisir de participer à vos cours et au groupe de pairs lors du
stage de niveau II, qui furent très enrichissants.
A tous mes praticiens rencontrés tout au long de mon parcours d’externe puis d’interne. A
Jean-Loup pour m’avoir fait découvrir le métier de médecin généraliste. A Pascale,
Alexandre, Mady et Gilles qui m’ont apporté leur expérience et enrichi ma formation.
3
A tous les médecins interrogés qui ont accepté de participer à ce travail de recherche et de
m’accorder du temps lors des entretiens. Votre implication a été très utile et ce fut très
intéressant d’aller à votre rencontre.
A mes parents pour leur patience, leur amour et leur soutien.
A mes deux grands frères qui ont toujours été à mes côtés, malgré la distance qui nous sépare.
A mes grands-parents, maternels et paternels.
Pour tout ce que vous m’apportez. Je ne vous oublie pas.
Au reste de ma famille,
C’est toujours une joie de vous retrouver !
A mes co-internes parisiens : Mélanie, Bruno, Amandine, Céline, Florence, Clémence,
Raphaëlle, Aude et bien d’autres qui ont partagé avec moi les moments d’internats (les bons,
comme les moins bons !)
A mes amis caennais, de longue date, toujours fidèles et qui sont si précieux pour moi,
Claire, Julien, Pierre D., Lara, Léandre, Guillaume, Camille, Baptiste, Simon, Pierre,
Constance et tant d’autres…
A ma « belle-famille » et ma future belle-sœur,
Merci pour votre accueil et votre soutien.
A mon futur mari,
Toujours présent depuis tant d’années !
Merci pour ton soutien et pour tous les moments passés à tes côtés, et les prochains.
4
PROFESSEURS DES UNIVERSITES - PRATICIENS HOSPITALIERS
- ACAR Christophe Chirurgie thoracique PITIE SALPETRIERE
- AIT OUFELLA Hafid Réanimation médicale SAINT ANTOINE
- ALAMOWITCH Sonia Neurologie SAINT ANTOINE
- AMARENCO Gérard Rééducation fonctionnelle TENON
- AMOUR Julien Anesthésiologie PITIE SALPETRIERE
- AMOURA Zahir Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- AMSELEM Serge Génétique TROUSSEAU
- ANDRE Thierry Hépato Gastro Entérologie SAINT ANTOINE
- ANDREELLI Fabrizio Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- ANTOINE Jean-Marie Gynécologie obstétrique TENON
- APARTIS Emmanuelle Physiologie SAINT ANTOINE
- ARLET Guillaume Bactériologie TENON
- ARNULF Isabelle Neurologie PITIE SALPETRIERE
- ARRIVE Lionel Radiologie SAINT ANTOINE
- ASSOUAD Jalal Chirurgie thoracique TENON
- ASTAGNEAU Pascal Epidémiologie PITIE-SALPETRIERE
- AUBRY Alexandra Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- AUCOUTURIER Pierre Immunologie SAINT ANTOINE
- AUDO Isabelle Ophtalmologie CHNO 15/20
- AUDRY Georges Chirurgie viscérale infantile TROUSSEAU
- AUTRAN Brigitte Immunologie/bio cellulaire PITIE SALPETRIERE
- BACHELOT Anne Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- BALLADUR Pierre Chirurgie générale SAINT ANTOINE
- BALLESTER Marcos Gynécologie Obstétrique TENON
- BARBAUD Annick Dermatologie TENON
- BARROU Benoît Urologie PITIE SALPETRIERE
- BAUJAT Bertrand O.R.L. TENON
- BAULAC Surnombre Michel Anatomie/Neurologie PITIE SALPETRIERE
- BAUMELOU Alain Néphrologie PITIE SALPETRIERE
- BAZOT Marc Radiologie TENON
- BEAUGERIE Laurent Gastroentérologie/Nutrition SAINT ANTOINE
- BEAUSSIER Marc Anesthésiologie/Réanimation SAINT ANTOINE
5
- BELMIN Joël Médecine interne/Gériatrie Charles FOIX
- BENVENISTE Olivier Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- BERENBAUM Francis Rhumatologie SAINT ANTOINE
- BERTOLUS Chloé Stomatologie PITIE SALPETRIERE
- BILLETTE DE VILLEMEUR Thierry Neuro pédiatrie TROUSSEAU
- BITKER Marc Olivier Urologie PITIE SALPETRIERE
- BOCCARA Franck Cardiologie SAINT ANTOINE
- BODAGHI Bahram Ophtalmologie PITIE SALPETRIERE
- BODDAERT Jacques Médecine interne/Gériatrie PITIE SALPETRIERE
- BOELLE Pierre Yves Bio statistiques SAINT ANTOINE
- BOFFA Jean-Jacques Néphrologie TENON
- BONNET Francis Anesthésiologie/Réanimation TENON
- BORDERIE Vincent Ophtalmologie CHNO 15/20
- BOUDGHENE-STAMBOULI Frank Radiologie TENON
- BRICE Alexis Génétique PITIE SALPETRIERE
- BROCHERIOU Isabelle Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- BRUCKERT Eric Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- CACOUB Patrice Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- CADRANEL Jacques Pneumologie TENON
- CALMUS Yvon Bio Cellulaire/Gastro Entérologie PITIE SALPETRIERE
- CALVEZ Vincent Virologie PITIE SALPETRIERE
- CAPRON Surnombre Frédérique Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- CARBAJAL-SANCHEZ Diomedes Pédiatrie TROUSSEAU
- CARETTE Marie-France Radiologie TENON
- CARPENTIER Alexandre Neuro chirurgie PITIE SALPETRIERE
- CARRAT Fabrice Biostatistiques/inf médicale SAINT ANTOINE
- CARRIE Alain Biochimie PITIE SALPETRIERE
- CATALA Martin Histologie et Cytologie PITIE SALPETRIERE
- CAUMES Eric Maladies infectieuses/tropicales PITIE SALPETRIERE
- CHABBERT BUFFET Nathalie Endocrinologie TENON
- CHAMBAZ Jean Biologie cellulaire PITIE SALPETRIERE
- CHARTIER-KASTLER Emmanuel Urologie PITIE SALPETRIERE
- CHASTRE Surnombre Jean Réanimation chirurgicale PITIE SALPETRIERE
6
- CHAZOUILLERES Olivier Hépatologie SAINT ANTOINE
- CHERIN Patrick Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- CHICHE Laurent Chirurgie vasculaire PITIE SALPETRIERE
- CHIRAS Surnombre Jacques Radiologie/Imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- CHRISTIN-MAITRE Sophie Endocrinologie SAINT ANTOINE
- CLEMENT Annick Pneumologie TROUSSEAU
- CLEMENT-LAUSCH Karine Nutrition PITIE SALPETRIERE
- CLUZEL Philippe Radiologie/Imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- COHEN Aron Cardiologie SAINT ANTOINE
- COHEN David Pédo Psychiatrie PITIE SALPETRIERE
- COHEN Laurent Neurologie PITIE SALPETRIERE
- COLLET Jean-Philippe Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- COMBES Alain Réanimation médicale PITIE SALPETRIERE
- CONSTANT Isabelle Anesthésiologie/réanimation TROUSSEAU
- COPPO Paul Hématologie clinique SAINT ANTOINE
- CORIAT Pierre Anesthésiologie/réanimation PITIE SALPETRIERE
- CORNU Philippe Neuro chirurgie PITIE SALPETRIERE
- CORVOL Henriette Pédiatrie TROUSSEAU
- CORVOL Jean-Christophe Neurologie PITIE SALPETRIERE
- COSNES Surnombre Jacques Gastro Entérologie/Nutrition SAINT ANTOINE
- COULOMB Aurore Anatomie/cytolo patho TROUSSEAU
- CUSSENOT Olivier Anatomie/Urologie TENON
- DARAI Emile Gynécologie obstétrique TENON
- DAUTZENBERG Surnombre Bertrand Pneumologie PITIE SALPETRIERE
- DAVI Frédéric Hématologie biologique PITIE SALPETRIERE
- DELATTRE Jean-Yves Neurologie PITIE SALPETRIERE
- DELHOMMEAU François Hématologie biologique SAINT ANTOINE
- DEMOULE Alexandre Pneumologie/réanimation PITIE SALPETRIERE
- DERAY Gilbert Néphrologie PITIE SALPETRIERE
- DOMMERGUES Marc Gynécologie obstétrique PITIE SALPETRIERE
- DORMONT Didier Radiologie/imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- DOUAY Luc Hématologie biologique TROUSSEAU
- DOURSOUNIAN Levon Chirurgie orthopédique SAINT ANTOINE
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- DRAY Xavier Gastroentérologie SAINT ANTOINE
- DUBOIS Bruno Neurologie PITIE SALPETRIERE
- DUCOU LE POINTE Hubert Radiologie TROUSSEAU
- DUGUET Alexandre Pneumologie PITIE SALPETRIERE
- DUPONT DUFRESNE Sophie Anatomie/ Neurologie PITIE SALPETRIERE
- DURR Alexandra Génétique PITIE SALPETRIERE
- DUSSAULE Jean-Claude Physiologie SAINT ANTOINE
- DUYCKAERTS Charles Anatomie/Cytologie pathologique PITIE SALPETRIERE
- EL ALAMY Ismaël Hématologie biologique TENON
- EYMARD Bruno Neurologie PITIE SALPETRIERE
- FAIN Olivier Médecine interne SAINT ANTOINE
- FARTOUKH Muriel Pneumologie/Réanimation TENON
- FAUTREL Bruno Rhumatologie PITIE SALPETRIERE
- FERON Jean-Marc Chirurgie orthopédique SAINT ANTOINE
- FERRE Pascal Biochimie/Biologie moléculaire PITIE SALPETRIERE
- FEVE Bruno Endocrinologie SAINT ANTOINE
- FITOUSSI Franck Chirurgie infantile TROUSSEAU
- FLEJOU Jean-François Anatomie pathologique SAINT ANTOINE
- FLORENT Christian Hépato Gastro-Entérologie SAINT ANTOINE
- FOIX L'HELIAS Laurence Pédiatrie TROUSSEAU
- FONTAINE Bertrand Neurologie PITIE SALPETRIERE
- FOSSATI Philippe Psychiatrie d’adultes PITIE SALPETRIERE
- FOURET Pierre Anatomie/Cytologie pathologique PITIE SALPETRIERE
- FOURNIER Emmanuel Physiologie PITIE SALPETRIERE
- FRANCES Surnombre Camille Dermatologie TENON
- FUNCK- BRENTANO Christian Pharmacologie PITIE SALPETRIERE
- GALANAUD Damien Radiologie et imagerie médicale PITIE-SALPETRIERE
- GARBARG CHENON Antoine Virologie TROUSSEAU
- GIRARD Pierre Marie Maladies infectieuses/tropicales SAINT ANTOINE
- GIRERD Xavier Thérapeutique/Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- GLIGOROV Joseph Oncologie TENON
- GOROCHOV Guy Immunologie PITIE SALPETRIERE
- GOSSEC Laure Rhumatologie PITIE SALPETRIERE
8
- GOUDOT Patrick Stomatologie PITIE SALPETRIERE
- GRATEAU Gilles Médecine interne TENON
- GRENIER Surnombre Philippe Radiologie PITIE SALPETRIERE
- GRIMPREL Emmanuel Urgences pédiatriques TROUSSEAU
- GUIDET Bertrand Réanimation médicale SAINT ANTOINE
- HARTEMANN Agnès Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- HAROCHE Julien Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- HATEM Stéphane Département de Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- HAUSFATER Pierre Thérapeutique/Médecine d’urgence PITIE SALPETRIERE
- HAYMANN Jean-Philippe Physiologie TENON
- HELFT Gérard Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- HENNEQUIN Christophe Parasitologie SAINT ANTOINE
- HERSON Surnombre Serge Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- HERTIG Alexandre Néphrologie TENON
- HOANG XUAN Khê Neurologie PITIE SALPETRIERE
- HOURY Sydney Chirurgie digestive/viscérale TENON
- HOUSSET Chantal Biologie cellulaire SAINT ANTOINE
- HULOT Jean Sébastien Pharmacologie PITIE SALPETRIERE
- ISNARD-BAGNIS Corinne Néphrologie PITIE SALPETRIERE
- ISNARD Richard Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- JARLIER Vincent Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- JOUANNIC Jean-Marie Gynécologie obstétrique TROUSSEAU
- JOUVENT Roland Psychiatrie d’adultes PITIE SALPETRIERE
- JUST Jocelyne Pédiatrie TROUSSEAU
- KALAMARIDES Michel Neurochirurgie PITIE SALPETRIERE
- KAROUI Medhi Chirurgie digestive PITIE SALPETRIERE
- KAS Aurélie Biophysique/Médecine nucléaire PITIE SALPETRIERE
- KATLAMA Christine Maladies infectieuses/tropicales PITIE SALPETRIERE
- KAYEM Gilles Gynécologie-Obstétrique TROUSSEAU
- KLATZMANN David Immunologie PITIE SALPETRIERE
- KOMAJDA Surnombre Michel Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- KOSKAS Fabien Chirurgie vasculaire PITIE SALPETRIERE
- LACAU SAINT GUILY Jean ORL TENON
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- LACAVE Roger Histologie et Cytologie TENON
- LACORTE Jean-Marc Biologie cellulaire PITIE SALPETRIERE
- LAMAS Georges ORL PITIE SALPETRIERE
- LANDMAN-PARKER Judith Hématologie/oncologie pédiatriques TROUSSEAU
- LANGERON Olivier Anesthésiologie PITIE SALPETRIERE
- LAPILLONNE Hélène Hématologie biologique TROUSSEAU
- LAROCHE Laurent Ophtalmologie CHNO 15/20
- LAZENNEC Jean-Yves Anatomie/Chirurgie orthopédique PITIE SALPETRIERE
- LE FEUVRE Claude Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- LE GUERN Eric Génétique PITIE SALPETRIERE
- LE HOANG Phuc Ophtalmologie PITIE SALPETRIERE
- LEBLOND Véronique Hématologie clinique PITIE SALPETRIERE
- LEENHARDT Laurence Endocrinologie/Médecine Nucléaire PITIE SALPETRIERE
- LEFEVRE Jérémie Chirurgie générale SAINT ANTOINE
- LEGRAND Ollivier Hématologie clinique SAINT ANTOINE
- LEHERICY Stéphane Radiologie/imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- LEMOINE François Immunologie PITIE SALPETRIERE
- LEPRINCE Pascal Chirurgie thoracique PITIE SALPETRIERE
- LESCOT Thomas Anesthésiologie/réanimation SAINT ANTOINE
- LETAVERNIER Emmanuel Physiologie TENON
- LEVERGER Guy Hématologie/oncologie pédiatriques TROUSSEAU
- LEVY Rachel Histologie et Cytologie TENON
- LEVY Richard Neurologie PITIE SALPETRIERE
- LOTZ Jean-Pierre Oncologie médicale TENON
- LUBETZKI Catherine Neurologie PITIE SALPETRIERE
- LUCIDARME Olivier Radiologie PITIE SALPETRIERE
- LUYT Charles Réanimation médicale PITIE SALPETRIERE
- MAINGON Philippe Radiothérapie PITIE SALPETRIERE
- MARCELIN Anne Geneviève Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- MARIANI Surnombre Jean Biologie cellulaire/médecine interne Charles FOIX
- MARTEAU Philippe Gastroentérologie SAINT ANTOINE
- MASQUELET Alain Charles Chirurgie Orthopédique SAINT ANTOINE
- MAURY Eric Réanimation médicale SAINT ANTOINE
10
- MAZERON Surnombre Jean-Jacques Radiothérapie PITIE SALPETRIERE
- MAZIER Surnombre Dominique Parasitologie PITIE SALPETRIERE
- MENEGAUX Fabrice Chirurgie générale PITIE SALPETRIERE
- MENU Yves Radiologie SAINT ANTOINE
- MEYOHAS Marie Caroline Maladies infectieuses/tropicales SAINT ANTOINE
- MILLET Bruno Psychiatrie d’adultes PITIE SALPETRIERE
- MITANCHEZ Delphine Néonatologie TROUSSEAU
- MOHTY Mohamad Hématologie clinique SAINT ANTOINE
- MONTALESCOT Gilles Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- MONTRAVERS Françoise Biophysique/Médecine nucléaire TENON
- MOZER Pierre Urologie PITIE SALPETRIERE
- NACCACHE Lionel Physiologie PITIE SALPETRIERE
- NAVARRO Vincent Neurologie PITIE SALPETRIERE
- NETCHINE Irène Physiologie TROUSSEAU
- NGUYEN KHAC Florence Hématologie biologique PITIE SALPETRIERE
- NGUYEN QUOC Stéphanie Hématologie clinique PITIE SALPETRIERE
- NIZARD Jacky Gynécologie – Obstétrique PITIE SALPETRIERE
- OPPERT Jean-Michel Nutrition PITIE SALPETRIERE
- PAQUES Michel Ophtalmologie CHO 15/20
- PARC Yann Chirurgie digestive SAINT ANTOINE
- PASCAL-MOUSSELLARD Hugues Chirurgie orthopédique PITIE SALPETRIERE
- PATERON Dominique Thérapeutique/accueil des urgences SAINT ANTOINE
- PAUTAS Eric Gériatrie Charles FOIX
- PAYE François Chirurgie générale/digestive SAINT ANTOINE
- PERETTI Charles Psychiatrie d’Adultes SAINT ANTOINE
- PERIE Sophie ORL TENON
- PETIT Arnaud Pédiatrie TROUSSEAU
- PIALOUX Gilles Maladies infectieuses/tropicales TENON
- PLAISIER Emmanuelle Néphrologie TENON
- POIROT Catherine Cytologie et Histologie
- POITOU-BERNERT Christine Nutrition PITIE SALPETRIERE
- POYNARD Surnombre Thierry Hépato Gastro Entérologie PITIE SALPETRIERE
- PRADAT Pascale Rééducation Fonctionnelle PITIE SALPETRIERE
11
- PUYBASSET Louis Anesthésiologie/Réanimation PITIE SALPETRIERE
- RATIU Vlad Hépato Gastro Entérologie PITIE SALPETRIERE
- RAUX Mathieu Anesthésiologie/réanimation PITIE SALPETRIERE
- RAY Patrick Réanimation/Médecine Urgence TENON
- REDHEUIL Alban Radioloie PITIE SALPETRIERE
- RIOU Bruno Urgences médico chirurgicales PITIE SALPETRIERE
- ROBAIN Gilberte Rééducation Fonctionnelle ROTHSCHILD
- ROBERT Jérôme Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- RODRIGUEZ Diana Neurone pédiatrie TROUSSEAU
- RONCO Pierre Marie Néphrologie / Dialyse TENON
- RONDEAU Eric Néphrologie TENON
- ROSMORDUC Olivier Hépato Gastro Entérologie SAINT ANTOINE
- ROUGER Philippe Hématologie INTS
- ROUPRET Morgan Urologie PITIE SALPETRIERE
- ROZE Emmanuel Neurologie PITIE SALPETRIERE
- SAHEL José-Alain Ophtalmologie CHNO 15/20
- SAMSON Yves Neurologie PITIE SALPETRIERE
- SANSON Marc Histologie/Neurologie PITIE SALPETRIERE
- SARI ALI El Hadi Chirurgie orthopédique PITIE SALPETRIERE
- SAUTET Alain Chirurgie orthopédique SAINT ANTOINE
- SCATTON Olivier Chirurgie Hépato biliaire PITIE SALPETRIERE
- SEILHEAN Danielle Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- SEKSIK Philippe Hépato Gastroentérologie SAINT ANTOINE
- SELLAM Jérémie Rhumatologie SAINT ANTOINE
- SEZEUR Alain Chirurgie générale DIACONESSES
- SIFFROI Jean-Pierre Génétique TROUSSEAU
- SIMILOWSKI Thomas Pneumologie PITIE SALPETRIERE
- SIMON Tabassome Pharmacologie clinique SAINT ANTOINE
- SOKOL Harry Gastroentérologie SAINT ANTOINE
- SOUBRIER Florent Génétique PITIE SALPETRIERE
- SPANO Jean-Philippe Oncologie médicale PITIE SALPETRIERE
- STANKOFF Bruno Neurologie SAINT ANTOINE
- STEICHEN Olivier Urgences médico chirurgicales TENON
12
- STERKERS Olivier ORL PITIE SALPETRIERE
- STRAUS Christian Physiologie PITIE SALPETRIERE
- SVRCEK Magali Anatomie pathologique SAINT ANTOINE
- TALBOT Jean-Noël Médecine nucléaire TENON
- TANKERE Frédéric ORL PITIE SALPETRIERE
- THABUT Dominique Hépato Gastro Entérologie PITIE SALPETRIERE
- THOMAS Surnombre Guy Médecine légale/Psy d’adultes SAINT ANTOINE
- THOMASSIN-NAGGARA Isabelle Radiologie TENON
- THOUMIE Philippe Rééducation fonctionnelle ROTHSCHILD
- TIRET Surnombre Emmanuel Chirurgie générale/digestive SAINT ANTOINE
- TOUBOUL Emmanuel Radiothérapie TENON
- TOUNIAN Patrick Gastroentérologie/nutrition TROUSSEAU
- TOURAINE Philippe Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- TRAXER Olivier Urologie TENON
- TRESALLET Christophe Chirurgie générale PITIE SALPETRIERE
- TRUGNAN Germain Biochimie SAINT ANTOINE
- TUBACH Florence Biostatistiques/inf médicale PITIE SALPETRIERE
- ULINSKI Tim Pédiatrie TROUSSEAU
- UZAN Catherine Chirurgie générale/Gynécologie PITIE SALPETRIERE
- VAILLANT Jean-Christophe Chirurgie générale PITIE SALPETRIERE
- VERNY Marc Médecine interne/Gériatrie PITIE SALPETRIERE
- VIALLE Raphaël Chirurgie infantile TROUSSEAU
- VIDAILHET Marie José Neurologie PITIE SALPETRIERE
- VIGOUROUX Corinne Biologie cellulaire SAINT ANTOINE
- WALTI Hervé Pédiatrie / Néo natalité TROUSSEAU
- WENDUM Dominique Anatomie pathologique SAINT ANTOINE
- WISLEZ Marie Pneumologie TENON
MEDECINE GENERALE
Professeurs des universités
- LORENZO Alain
- CORNET Philippe
Professeur Associé
- LAZIMI Gilles
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MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES –
- PRATICIENS HOSPITALIERS
- ALLENBACH Stagiaire Yves Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- AMIEL Corinne Virologie TENON
- ARON WISNEWSKY Judith Nutrition PITIE SALPETRIERE
- ATLAN Michael Chirurgie reconstructrice TENON
- AUBART COHEN Fleur Médecine interne PITIE SALPETRIERE
- BACHET Jean-Baptiste Hépato Gastro Entérologie PITIE SALPETRIERE
- BACHY Stagiaire Manon Chirurgie infantile TROUSSEAU
- BARBU Véronique Biochimie SAINT ANTOINE
- BELLANNE-CHANTELOT Christine Génétique PITIE SALPETRIERE
- BELLOCQ Agnès Physiologie/Explo fonctionnelle PITIE SALPETRIERE
- BENOLIEL Jean-Jacques Biochimie PITIE SALPETRIERE
- BENSIMON Gilbert Pharmacologie PITIE SALPETRIERE
- BERLIN Ivan Pharmacologie PITIE SALPETRIERE
- BIELLE Stagiaire Franck Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- BILHOU-NABERA Chrystèle Génétique SAINT ANTOINE
- BIOUR Michel Pharmacologie SAINT ANTOINE
- BLONDIAUX Eléonore Radiologie TROUSSEAU
- BOISSAN Matthieu Biologie cellulaire TENON
- BOUHERAOUA Stagiaire Nacim Ophtalmologie 15/20
- BOULE Michèle Physiologie TROUSSEAU
- BOURRON Olivier Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- BOUTOLLEAU David Virologie PITIE SALPETRIERE
- BRIOUDE Frédéric Physiologie TROUSSEAU
- BRISSOT Stagiaire Eolia Hématologie clinique SAINT ANTOINE
- BUOB David Anatomie pathologique TENON
- BURREL Sonia Virologie PITIE SALPETRIERE
- CANLORBE Stagiaire Geoffroy Chirurgie /Gynécologie PITIE SALPETRIERE
- CERVERA Pascale Anatomie pathologique SAINT ANTOINE
- CHAPIRO Elise Hématologie biologique PITIE SALPETRIERE
- CHAPPUY Hélène Pédiatrie TROUSSEAU
- CHARLOTTE Frédéric Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
14
- CLARENCON Frédéric Radiologie et imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- COMPERAT Eva Maria Anatomie pathologique TENON
- CONTI -MOLLO Filomena Bio cellulaire Chirurgie hépatique PITIE SALPETRIERE
- COTE Jean-François Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- COULET Florence Génétique PITIE SALPETRIERE
- COUVERT Philippe Biochimie PITIE SALPETRIERE
- DANZIGER Nicolas Physiologie PITIE SALPETRIERE
- DECRE Dominique Bactériologie virologie SAINT ANTOINE
- DEGOS Vincent Anesthésiologie Réanimation PITIE SALPETRIERE
- DUPONT Stagiaire Charlotte Biologie de la reproduction TENON
- ECKERT Stagiaire Catherine Virologie SAINT ANTOINE
- ERRERA Marie-Hélène Ophtalmologie CHNO 15/20
- ESCUDIER Estelle Histologie/Génétique TROUSSEAU
- FAJAC-CALVET Anne Histologie Embryologie TENON
- FEKKAR Arnaud Parasitologie PITIE SALPETRIERE
- FERRERI Florian Psychiatrie Adultes SAINT ANTOINE
- FREUND Yonathan Médecine d’Urgences PITIE SALPETRIERE
- GANDJBAKHCH Stagiaire Estelle Cardiologie PITIE SALPETRIERE
- GARDERET Laurent Hématologie SAINT ANTOINE
- GAURA-SCHMIDT Véronique Biophysique TENON
- GAY Frederick Parasitologie PITIE SALPETRIERE
- GAYMARD Bertrand Physiologie PITIE SALPETRIERE
- GEORGIN LAVIALLE Sophie Médecine interne TENON
- GEROTZIAFAS Grigoris Hématologie clinique TENON
- GIRAL Philippe Endocrinologie/Métabolisme PITIE SALPETRIERE
- GOZLAN Joël Bactériologie Virologie SAINT ANTOINE
- GUIHOT THEVENIN Amélie Immunologie PITIE SALPETRIERE
- GUITARD Juliette Parasitologie SAINT ANTOINE
- HABERT Marie-Odile Biophysique/Méd. Nucléaire PITIE SALPETRIERE
- HUBERFELD Gilles Physiologie PITIE SALPETRIERE
- HYON Capucine Histologie Embryologie TROUSSEAU
- ID BAIH Ahmed Neurologie PITIE SALPETRIERE
- IRTAN Sabine Chirurgie infantile TROUSSEAU
15
- JERU Isabelle Génétique SAINT ANTOINE
- JOHANET Catherine Immunologie SAINT ANTOINE
- JOYE Nicole Génétique SAINT ANTOINE
- KARACHI AGID Carine Neurochirurgie PITIE SALPTRIERE
- KIFFEL Thierry Biophysique/Méd. Nucléaire TENON
- KINUGAWA-BOURRON Kiyoka Médecine interne/Gériatrie Charles FOIX
- LACOMBE Karine Maladies Infectieuses SAINT ANTOINE
- LACOMBLEZ Lucette Pharmacologie PITIE SALPETRIERE
- LAFUENTE Carmelo Médecine interne/Gériatrie Charles FOIX
- LAMAZIERE Antonin Biochimie SAINT ANTOINE
- LAMBERT-NICLOT Stagiaire Sidonie Bactériologie SAINT ANTOINE
- LAPIDUS Nathanaël Biostatistiques/ informatique médicale SAINT ANTOINE
- LASCOLS Olivier Biologie cellulaire SAINT ANTOINE
- LAUNOIS-ROLLINAT Sandrine Physiologie SAINT ANTOINE
- LAURENT Claudine Pédopsychiatrie PITIE SALPETRIERE
- LAVENEZIANA Pierantonio Physiologie PITIE SALPETRIERE
- LE BIHAN Johanne Biochimie PITIE SALPETRIERE
- LEBRETON Guillaume Chirurgie thoracique PITIE SALPETRIERE
- LUSSEY-LEPOUTRE Stagiaire Charlotte Biophysique/Méd. Nucléaire PITIE
SALPETRIERE
- MAKSUD Philippe Biophysique/Méd. Nucléaire PITIE SALPETRIERE
- MEKINIAN Arsène Médecine interne SAINT ANTOINE
- MESNARD Laurent Néphrologie TENON
- MOCHEL Fanny Génétique PITIE SALPETRIERE
- MOHAND-SAID Saddek Ophtalmologie CHNO 15/20
- MORAND Laurence Bactériologie virologie SAINT ANTOINE
- MORENO-SABATER Alicia Parasitologie SAINT ANTOINE
- NAVA Stagiaire Caroline Génétique PITIE SALPETRIERE
- NGUYEN Stagiaire Yann O.R.L. PITIE SALPETRIERE
- PEYRE Matthieu Neurochirurgie PITIE SALPETRIERE
- PLU Isabelle Médecine légale PITIE SALPETRIERE
- POIRIER Jean-Marie Pharmacologie clinique PITIE SALPETRIERE
- POURCHER Valérie Maladies infectieuses/tropicales PITIE SALPETRIERE
16
- QUESNEL Christophe Anesthésiologie TENON
- RAINTEAU Dominique Biologie cellulaire PITIE SALPETRIERE
- REDOLFI Stefania Pneumologie PITIE SALPETRIERE
- RENARD-PENNA Stagiaire Raphaële Radiologie et imagerie médicale TENON
- ROOS-WEIL Stagiaire Damien Hématologie clinique PITIE SALPETRIERE
- ROSENBAUM Stagiaire David Thérapeutique/Endocrinologie PITIE SALPETRIERE
- ROSENHEIM Michel Epidémiologie/Santé publique PITIE SALPETRIERE
- ROSENZWAJG Michelle Immunologie PITIE SALPETRIERE
- ROSSO Charlotte Urgences cérébro-vasculaires PITIE SALPETRIERE
- ROUSSEAU Géraldine Chirurgie générale PITIE SALPETRIERE
- SAADOUN David Médecine interne PITIE-SALPETRIERE
- SCHMIDT Stagiaire Mathieu Réanimation médicale PITIE SALPETRIERE
- SCHNURIGER Aurélie Bactériologie-Virologie TROUSSEAU
- SEROUSSI FREDEAU Brigitte Santé Publique TENON
- SERVAIS Laurent Chirurgie orthopédique pédiatrie TROUSSEAU
- SILVAIN Johanne Département de Cardiologie PITIE-SALPETRIERE
- SORIA Angèle Dermatologie/Allergologie TENON
- SOUGAKOFF Wladimir Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- SOUSSAN Patrick Virologie TENON
- TANKOVIC Jacques Bactériologie virologie SAINT ANTOINE
- TEZENAS DU MONTCEL Sophie Biostatistiques/ informatique médicale PITIE
SALPETRIERE
- THELLIER Marc Parasitologie PITIE SALPETRIERE
- TISSIER-RIBLE Frédérique Anatomie pathologique PITIE SALPETRIERE
- TOUITOU Valérie Ophtalmologie PITIE SALPETRIERE
- TOURRET Jérôme Néphrologie PITIE SALPETRIERE
- VATIER Camille Biologie cellulaire SAINT ANTOINE
- VAYLET Claire Biophysique/Méd. Nucléaire TROUSSEAU
- VEZIRIS Nicolas Bactériologie PITIE SALPETRIERE
- VIMONT BILLARANT Sophie Bactériologie TENON
- WAGNER Stagiaire Mathilde Radiologie et imagerie médicale PITIE SALPETRIERE
- YORDANOV Stagiaire Youri Thérapeutique/Médecine d'urgences TENON
17
MEDECINE GENERALE
Maîtres de conférences des Universités
- IBANEZ Gladys
- CADWALLADER Jean-Sébastien
Maîtres de Conférences associés
- CHASTANG Julie
- SOARES André
- MIRAMONT Vincent
18
SERMENT D’HIPPOCRATE
En présence des Maîtres de cette Ecole, de mes chers condisciples et
devant l’effigie d’Hippocrate, je promets et je jure d’être fidèle aux
lois de l’honneur et de la probité dans l’Exercice de la Médecine. Je
donnerai mes soins gratuits à l’indigent et n’exigerai jamais un
salaire au-dessus de mon travail. Admis dans l’intérieur des maisons,
mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets
qui me seront confiés, et mon état ne servira pas à corrompre les
mœurs ni à favoriser le crime. Respectueux et reconnaissant envers
mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçue de
leurs pères. Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle
à mes promesses ! Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes
confrères si j’y manque.
19
TABLES DES MATIERES
1. INTRODUCTION ........................................................................................................... 22
1.1 Justification de la question de recherche ........................................................................ 22
1.2 Construction de la question de recherche ....................................................................... 23
1.3 Axes principaux de construction .................................................................................... 24
2. MATERIAU ET METHODE ........................................................................................ 26
2.1 Méthode bibliographique ................................................................................................ 26
2.2 Choix de la méthode ....................................................................................................... 26
2.2.1 Comparaison entre méthode qualitative et quantitative .......................................... 26
2.2.2 Choix d’une méthode qualitative ............................................................................ 27
2.2.3 Type de méthode qualitative, phénoménologie interprétative ou inductive (IPA) . 28
2.2.4 Déconstruction des a priori ..................................................................................... 29
2.2.5 Journal de bord ........................................................................................................ 30
2.3 Population étudiée – Echantillonnage ............................................................................ 31
2.3.1 Population étudiée ................................................................................................... 31
2.3.2 Mode de recrutement ............................................................................................... 31
2.3.3 Echantillonnage ....................................................................................................... 32
2.3.4 Taille de l’échantillon .............................................................................................. 32
2.4 Méthode de recueil des données ..................................................................................... 33
2.4.1 Entretien semi-dirigé ou semi-structuré .................................................................. 33
2.4.2 Définition d’un canevas d’entretien ........................................................................ 34
2.4.3 Notre guide d’entretien (Annexe n°1) ..................................................................... 34
2.4.4 Déroulement des entretiens ..................................................................................... 35
2.4.5 Retranscription des données .................................................................................... 35
2.5 Analyse des données ....................................................................................................... 36
2.5.1 Codage ouvert ou descriptif .................................................................................... 36
2.5.2 Analyse thématique ................................................................................................. 36
3. RESULTATS ................................................................................................................... 37
3.1 Caractéristiques de la population étudiée ....................................................................... 37
3.2 Caractéristiques des entretiens ........................................................................................ 38
3.3 Perturbations du déroulé des entretiens .......................................................................... 39
3.4 Vignettes cliniques des patients évoqués par les médecins ............................................ 39
20
3.5 Analyse thématique ........................................................................................................ 44
3.5.1 Temporalité ............................................................................................................. 45
3.5.2 Interprétations des médecins ................................................................................... 51
3.5.3 Ressenti des médecins face au retard ...................................................................... 76
3.5.4 Retentissement pour le patient ................................................................................ 80
3.5.5 Stratégies de prise en charge du médecin ................................................................ 82
4. DISCUSSION ................................................................................................................... 889
4.1 Validité interne de l’étude .............................................................................................. 89
4.1.1 Forces de l’étude ..................................................................................................... 89
4.1.2 Faiblesses de l’étude ................................................................................................ 92
4.2 Validité externe de l’étude - Comparaison aux travaux de la littérature ....................... 94
4.3 La temporalité ................................................................................................................. 99
4.3.1 Temporalité du patient ............................................................................................ 99
4.3.2 Temporalité du médecin ........................................................................................ 103
4.3.3 Temporalité de la maladie ..................................................................................... 105
4.3.4 Temporalité sociale ............................................................................................... 105
4.4 Interprétations des médecins ........................................................................................ 107
4.4.1 Eléments extrinsèques ........................................................................................... 109
4.4.2 Eléments intrinsèques ............................................................................................ 111
4.4.3 Incompréhension des médecins avec dualité entre rationnel et irrationnel : une
énigme ............................................................................................................................ 120
4.5 Perspectives .................................................................................................................. 122
4.5.1 Moyens de prévention ........................................................................................... 122
4.5.2 Quelle position du médecin adopter face aux retards ? ......................................... 125
4.5.3 Comparaison pour des études ultérieures .............................................................. 127
5. CONCLUSION ................................................................................................................. 129
6. BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................... 131
7. ANNEXES ....................................................................................................................... 1344
7.1 Guide d’entretien ........................................................................................................ 1344
7.2 Verbatim d’un entretien (entretien n°7)...................................................................... 1355
7.3 Extrait de journal de bord ........................................................................................... 1455
7.4 Résumé ....................................................................................................................... 1477
21
LISTE DES ABBREVIATIONS
- ACS : Aide au paiement d’une Complémentaire Santé
- ALD : Affection Longue Durée
- AME : Aide Médicale de l’Etat
- CMU : Couverture Maladie Universelle
- CMUc : Couverture Maladie Universelle Complémentaire
- CNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
- CPP : Comité de Protection des Personnes
- DREES : Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques
- DSM : Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders
- IEC : Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion
- OMS : Organisation Mondiale de la Santé
- PASS : Permanence d’Accès aux Soins de Santé
- VS : Vitesse de Sédimentation
22
1. INTRODUCTION
1.1 Justification de la question de recherche
De nombreux patients consultent tardivement leur médecin généraliste alors que leurs
symptômes pourraient être jugés alarmants.
D’après une étude du British Journal of Cancer1, près de la moitié des patients ayant un cancer
de la prostate et 37% des patients ayant un cancer colorectal signalent un délai d’environ trois
mois entre l’apparition du premier symptôme et la première consultation chez un médecin.
Cette notion est à l’origine de certains retards au diagnostic qui peuvent contribuer à une perte
de chance pour le patient. 2,3,4
Le patient déciderait de prêter attention à certains symptômes, dont la douleur, en fonction de
son vécu personnel, mais aussi de son entourage et de ce qui est reconnu comme normal et
pathologique dans sa culture5. Cette typologie s’inscrit-elle dans une « physio-sémantique »6,
c’est-à-dire en lien avec son histoire de vie et son rapport au corps et au langage ? Le
symptôme procède d’un langage du corps qui s’exprime par le discours dans un délai plus ou
moins long. Délai qui n’est pas toujours en relation avec l’intensité ou la gravité perçue par le
patient. C’est à ce titre, l’interférence entre le soma et l’expression verbale du symptôme, que
D. Le Breton approche la question du symptôme.
1 Forbes L.J.L, Warburton F, Richards M.A, Ramirez A.J. (June 2014). Risk factors for delay in symptomatic
presentation: a survey of cancer patients, British Journal of Cancer. 111, 581–588. doi:10.1038/bjc.2014.304. 2 Arndt V, Stürmer T, Stegmaier C, Ziegler H, Dhom G and Brenner H. (2002). Patient delay and stage of
diagnosis among breast cancer patients in Germany – a population based study. British Journal of Cancer, n° 86,
p1034-1040. 3 Macdonald S, Macleod U, Campbell N C, Weller D and Mitchell E. (2006). Systematic review of factors
influencing patient and practitioner delay in diagnosis of upper gastrointestinal cancer. British Journal of
Cancer, n°94, p1272-1280. 4 Burgess C, Hunter M S and Ramirez A J. (December 2001). A qualitative study of delay among women
reporting symptoms of breast cancer, British Journal of General Practice, n° 51, p 967-971. 5 Mormiche P. (1986). Pratiques culturelles, profession et consommation médicale. In: Economie et statistique,
Volume 189, numéro 1, pp 39-50. 6 Le Breton D. (2017). Tenir. Douleur chronique et réinvention de soi. Ed. Métailié Traversées. p 272.
Par opposition à une approche psycho-somatique qui met en jeu le dualisme corps/psyché, D. Le Breton lui
préfère une confrontation nature/culture dans laquelle la culture s’exprime par le discours et le langage. Il
souligne ainsi que l’organisme relève de la physiologie mais que le corps est une construction sociale.
23
Cette question mérite que l’on s’y intéresse car il s’agit de cas fréquents en médecine générale
et représente un coût en termes de santé publique car de nombreux actes diagnostiques et
thérapeutiques peuvent en découler. Le médecin traitant est souvent confronté à ce type de
situation tout au long de sa carrière. Analyser les comportements de son patient, connaître son
ressenti et appréhender son état de santé apportera des éléments nouveaux dans le champ de la
médecine générale.
Dans le livre de G. Reach7, Pourquoi se soigne-t-on ?, l’auteur se demande comment nos
croyances, nos désirs et nos émotions interviennent dans nos choix. En faisant appel à la
philosophie analytique de l'esprit, dont c'est une des ambitions, il devient possible de décrire
ce que nous faisons, ou non, pour se soigner. Connaître les raisons du retard à la consultation
des patients permettrait-il de mieux les prévenir dans un souci de meilleure prise en charge
thérapeutique avec une volonté de prévention individualisée ?
Dans ce projet de recherche, il était pertinent d’approcher le point de vue des médecins
généralistes afin d’analyser leurs interprétations et leur ressenti quant aux raisons qui ont
présidé à ce retard. Cette étude pourra être confrontée au travail d’une collègue A. Ribourg,
interne à la faculté de médecine de Sorbonne Université, qui réalisera une thèse en miroir sur
les récits de vie des patients qui exposent leurs raisons de ces consultations tardives.
Ici, nous allons décrire « ce qui se passe dans la tête des patients », au travers de
l’interprétation qu’en font les médecins, pour comprendre leur comportement.
1.2 Construction de la question de recherche
Un symptôme pour une personne n’a pas la même valeur que le signe pour un médecin. (La
transformation du symptôme en signe passe par le prisme de la connaissance médicale pour
l’interpréter). Le médecin s’alarme d’un signe qui peut ne pas alerter un patient.
Très peu d’études autour du retard à la consultation de médecine générale ont été menées à
partir du point de vue des médecins. Ce qui retiendra notre attention dans ce travail de
recherche, c’est l’interprétation qu’en font les médecins. Cette interprétation est le fruit de
7 Reach G. (2015). Pourquoi se soigne-t-on ? Editions Le bord de l’eau, p 271.
24
leurs représentations à propos de ce qu’ils supposent avoir été la cause de ce retard. Ceci nous
amène à formuler notre question de recherche :
Quelles sont les représentations des médecins généralistes concernant leurs patients qui
consultent tardivement ?
Cette approche se construit en parallèle avec la thèse précitée. Nous avons créé quelques
binômes médecin-patient qui permettront une confrontation des représentations du médecin et
le récit qu’en fait leur patient.
1.3 Axes principaux de construction
Afin de répondre à notre question de recherche, nous avons envisagé de définir les axes
principaux qui doivent structurer notre étude. Ces axes prennent appui sur des constats
simples.
- La temporalité8 est au centre de la question de recherche. La temporalité du patient est-elle
en lien avec celle de sa maladie, du médecin, le tout saisi dans la temporalité sociale ?
- Les représentations conduisent à une interprétation des comportements. Elles sont des
moyens nécessaires qui permettent une explication susceptible de dégager du sens. Un
comportement est sujet à interprétation pour un observateur. Ici, le médecin est en position
d’observateur à partir du constat qu’il fait du délai pris par le patient, entre l’apparition du
symptôme et la consultation.
Or, selon G. Reach, une action que nous jugerions contraire à l’intérêt du sujet et qui est donc
(de notre point de vue) « irrationnelle », peut être accomplie de manière parfaitement
rationnelle du point de vue du sujet puisqu’elle a ses raisons.
Le risque de l’interprétation hâtive est d’attendre que les individus agissent toujours de façon
rationnelle. Nous étudierons les interprétations des différents médecins interrogés.
- Enfin, nous nous intéresserons au ressenti du médecin face au retard à la consultation de ses
patients. Y aura-t-il de la culpabilité ? De quelles émotions relèveront ces situations ?
Le retentissement du retard sur le patient ainsi que les stratégies de prise en charge seront
évoqués également.
8 Cornet P, Guy J-L, Hommey N. (Septembre 2013). Éducation thérapeutique au cabinet du médecin
généraliste. Place et limites de l'entretien motivationnel. Volume 9, numéro 7, pp 319-21.
25
Nos axes de travail aborderont donc la dimension du temps, les représentations du médecin
face aux comportements des patients et enfin, le ressenti des médecins.
Ces axes permettront de répondre à notre interrogation sur les raisons que les médecins
pensent attribuer au retard à la consultation de certains patients.
26
2. MATERIAU ET METHODE
2.1 Méthode bibliographique
Les recherches bibliographiques pour ce travail ont été réalisées en langue française et en
langue anglaise. Elles se sont déroulées principalement avant le recueil des données afin de
nous familiariser sur le sujet et connaître l’état des lieux du thème choisi.
Les termes français utilisés dans notre recherche comme mots-clefs ont notamment été :
« consultation tardive », « représentations », « médecine générale », « retard », « étude
qualitative ».
Les termes anglais étaient « patient delay », « general practitioner ».
Ces mots-clefs, dont la liste n’est pas exhaustive, ont servi de base pour les recherches et leurs
combinaisons ont permis d’obtenir des résultats très larges.
Les sources utilisées ont principalement été Pubmed, Cairn, Dumas, CisMef, EM-Premium, le
catalogue du Système Universitaire de Documentation (SUDOC), Google et Google Scholar.
Cependant, les recherches ont été pauvres concernant ce sujet. Peu d’études ont été réalisées
concernant le retard entre l’apparition du symptôme et l’action d’aller consulter, encore moins
du point de vue des médecins généralistes.
Cette recherche bibliographique s’est prolongée tout au long de notre projet afin d’enrichir
nos connaissances.
2.2 Choix de la méthode
2.2.1 Comparaison entre méthode qualitative et quantitative
Rappelons que les méthodes qualitative et quantitative ne sont pas à opposer.
La méthode quantitative est plutôt adaptée à des questions biomédicales, en quantifiant et
comparant des variables mesurables. Elle va donner une explication à partir de relations
causales, via des corrélations statistiquement significatives. Elle cherche à tester une
27
hypothèse à travers une série de mesures, souvent dans un contexte expérimental, le but étant
de conclure sur l’hypothèse initiale. Le raisonnement est hypothético-déductif.
La méthode qualitative9,10 est de plus en plus utilisée dans le domaine des sciences médicales
notamment en médecine générale. Elle est plutôt adaptée à l’étude de phénomènes sociaux et
psychosociaux en explorant l’existence et la signification de ces phénomènes. Elle permet une
compréhension d’un phénomène appréhendé dans son contexte (environnement, interactions
relationnelles…), elle est dite ancrée. La méthode qualitative a davantage vocation à
comprendre les significations que les individus donnent à leur propre vie et à leurs
expériences11. Il s’agit d’analyser des données descriptives, telles que les paroles écrites ou
dites et le comportement observable des personnes dans leur milieu naturel, afin d’en dégager
une théorie.
Elle permet de construire des hypothèses à la fin de la recherche et le raisonnement est plutôt
inductif (interprétatif).
2.2.2 Choix d’une méthode qualitative
Notre choix s’est porté sur une approche qualitative puisqu’il s’agit d’approcher les
représentations des médecins ainsi que leur interprétation d’un phénomène particulier : la
consultation tardive. Il est raisonnable de penser que cette interprétation est particulière pour
chacun des médecins et ne pouvait être abordée par une méthode quantitative, d’autant moins
que nous n’avons aucune hypothèse initiale à formuler avant cette recherche de terrain. Pour
ce faire, nous avons procédé par des entretiens auprès des médecins.
En effet, notre travail a pour objectif :
- d’explorer en profondeur les représentations des médecins généralistes concernant leurs
patients qui consultent tardivement
- d’analyser leur interprétation et leur vécu
- de mettre en évidence leurs systèmes de valeurs et les repères qui déterminent et orientent
leurs comportements au quotidien.
9 Kivits J, Balard F, Fournier C, Winance M. (2016). Les recherches qualitatives en santé. Armand Colin, p 336. 10 Blanchet A, Gotman A. (2005). L’enquête et ses méthodes: l’entretien. Armand Colin, p 128. 11 Borgès Da Silva G. (avril – juin 2001). La recherche qualitative: un autre principe d’action et de
communication. Revue Médicale de l’Assurance Maladie. Volume 32, Numéro 2, pp 117–121.
28
En conséquence, il a semblé nécessaire de recourir à une méthode appropriée pour l'étude des
opinions, des comportements et des pratiques individuelles de chacun. Le choix de la méthode
qualitative s'est imposé naturellement.
2.2.3 Type de méthode qualitative, phénoménologie interprétative ou
inductive (IPA)
Nous avons mené une étude observationnelle qualitative avec un abord phénoménologique.
Le raisonnement inductif dans une approche qualitative a pour particularité de permettre
l’élaboration d’hypothèses lorsqu’un domaine est peu exploré dans sa complexité. C’est le cas
des représentations des médecins et l’étude de leurs interprétations nécessitait ce type de
raisonnement.
L’analyse phénoménologique est une approche de recherche qualitative relativement
accessible qui trouve son ancrage dans des courants de pensée conceptuels comme la
phénoménologie et l’interactionnisme symbolique. On reconnaît Edmund Husserl12 (1859-
1938) comme le père de la phénoménologie, cette dernière étant ici formulée comme une
« science des phénomènes ».
En effet, elle consiste à appréhender la signification d’un phénomène à partir du vécu et de
l’expression d’une personne sur ce phénomène, et non à partir d’un cadre théorique explicatif
prédéfini.
Comment les individus font-ils l’expérience et donnent-ils du sens à un phénomène ?
Cette approche est influencée par l’herméneutique (théorie de l’interprétation).
Elle est qualifiée d’« interprétative » puisque le chercheur joue lui-même un rôle majeur dans
l’analyse de la recherche. Il tente, par le prisme de son interprétation (sa subjectivité) de
donner sens au discours proposé ; discours qui lui-même élabore du sens. Il s’agit là du
principe de la double herméneutique.
Toutefois, cette approche postule que pour comprendre un phénomène, il faut « le laisser
parler de lui-même », c’est-à-dire mettre entre parenthèses tous les présupposés et notions
12 Husserl E. (2018). Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique.
Collection Bibliothèque de Philosophie, Gallimard. p 752.
29
préexistantes. Il s’agit davantage d’une posture théorique, héritage de la sociologie
durkheimienne13 qui suppose une position supérieure du chercheur vis-à-vis de son objet de
recherche. Sachant qu’il est acteur de son travail, il convient de se situer par rapport à cet
objet, d’où l’importance de la déconstruction des a priori.
Enfin, l’approche est idiographique, c’est-à-dire qu’elle pénètre un univers singulier.
Elle est centrée sur l’individu. Elle donne des analyses détaillées et nuancées des expériences
vécues. Pour pouvoir mettre l’accent sur les convergences et les divergences entre les
participants, leur nombre peut être réduit et l’objectif est leur diversité.
Cette approche permet donc de découvrir en détail les processus par lesquels les participants
donnent du sens à leurs expériences intimes en étudiant les récits qu'ils en font. L’idée
fondatrice de cette théorie est que les individus cherchent eux-mêmes à interpréter leurs
expériences sous une forme qui leur est compréhensible. Il s’agit pour le chercheur d’une
démarche active de recueils de faits subjectifs lui permettant de pénétrer des univers
singuliers. Il y accède forcément via ses propres conceptions, lesquelles constituent ses limites
également.
2.2.4 Déconstruction des a priori
Avant de commencer cette recherche, il a fallu déconstruire nos préjugés concernant les
patients qui tardent à consulter leur médecin traitant alors qu’ils pourraient présenter des
symptômes, considérés comme inquiétants par le médecin.
En effet, certains symptômes sont vus comme alarmants pour le médecin, mais pas toujours
pour le patient.
En tant que médecin, nous avons nous-mêmes été confrontée à ce type de situation et avons
des a priori. Ces derniers se construisent en fonction de notre vécu personnel, notre histoire
familiale, notre expérience médicale et vont influencer nos propres représentations.
Ce travail de déconstruction est absolument nécessaire afin d’être surpris par les informations
que l’on récoltera au cours de l’étude, ce qui suppose d’accepter un certain degré de naïveté
vis-à-vis du matériau recueilli.
13 Boyer J-D. (2016). La sociologie d’Émile Durkheim. Revue des sciences sociales. p 118-125.
30
La difficulté lors de cette recherche est de s’interroger sur : comment être sans filtre, tout en
allant au plus près de l’éprouvé et du vécu des individus interrogés ?
À l’inverse, pouvons-nous nous engager au-delà de l’empathie durant la conduite de
l’entretien sans imposer notre problématique et nos représentations à nos enquêtés14 ?
Afin de déconstruire nos a priori, nous avons réfléchi à notre propre réponse sur le sujet.
Nous nous attendions à ce que les médecins rapportent essentiellement que la peur ou « faire
l’autruche » était l’une des raisons principales du retard à la consultation.
Tout ceci a amené l’élaboration d’un journal de bord qui a tenu compte des perceptions
progressivement modifiées du chercheur au contact du terrain d’enquête et l’ajustement des
questions du guide d’entretien. En annexe, nous avons choisi de mettre quelques éléments du
journal de bord afin de montrer la progression de notre réflexion.
2.2.5 Journal de bord
Le journal de bord (ou carnet de recherche)15 est l’un des instruments privilégiés dans une
démarche d’écriture réflexive. Il constitue un support d’auto-formation ainsi qu’un outil
d’auto-évaluation et de développement d’une pensée autonome.
Dans notre recherche, le support a été un fichier Word que nous avons alimenté à différents
moments lors de la collecte, de l'analyse ou de l'interprétation des données et dans lequel
figurent l’avancée des entretiens, nos lectures, nos réflexions et notre vécu.
De plus, ce journal illustre la position du chercheur, les changements encourus lors du
déroulement de la recherche et ses interrogations concernant la collecte des données.
En somme, la tenue d’un tel journal facilite la rétention de certains événements et
expériences, la création d'un lien entre les données et le chercheur qui les observe, et la prise
de distance par rapport à soi-même afin de s’analyser.
14 Fugier P. (Décembre 2010). Les approches compréhensives et cliniques des entretiens sociologiques, dans
Interrogations ? Numéro 11 – Varia. 15 Gélinas A, Ruest-Paquette A-S, Lilia A, Forte S, Cotnam-Kappel M, Fallu C, Bartosova L. (2012). La
réflexivité : exercice pédagogique et outil d’accompagnement aux cycles supérieurs, dans Revue internationale
de pédagogie de l’enseignement supérieur. 28-2. Varia.
31
2.3 Population étudiée – Echantillonnage
2.3.1 Population étudiée
La population étudiée est constituée de médecins généralistes exerçant une activité non-
hospitalière en Ile-de-France. Le choix des informateurs est un élément important de l'étude
qui doit permettre d'avoir un panel le plus diversifié possible de la population à étudier.
Afin de répondre aux critères de diversification, les participants à notre étude présentaient
donc des caractéristiques variées, notamment sur :
- l’âge
- le sexe
- médecin généraliste avec activité principale de médecine générale
- lieu d'exercice (rural, semi-rural ou urbain)
- mode d’exercice : seul / en groupe, sur rendez-vous / sans rendez-vous, secteur I / II …
- la date d’installation
- impliqués et non impliqués dans l'enseignement de la médecine générale (maître de stage
universitaire)
Le critère d’exclusion était de refuser de participer à l’étude.
2.3.2 Mode de recrutement
Les médecins généralistes ont principalement été recrutés grâce au moteur de recherche
Google qui recense la majorité des médecins d’Ile-de-France en activité. Ceux-ci ont été
contactés, dans une moindre mesure, par courriers électroniques notamment avec la mainling
list de la SFTG (Société de Formation Thérapeutique du Généraliste). Aucun médecin n’a
répondu après avoir déposé une lettre de présentation de la recherche dans la boîte aux lettres
des cabinets.
L’effet boule de neige a aussi été utilisé.
Les médecins volontaires ont ensuite été contactés par téléphone pour convenir d'un rendez-
vous.
32
2.3.3 Echantillonnage
Les méthodes qualitatives ayant pour fonction de comprendre plus que de mesurer, la notion
de représentativité statistique n'a pas de sens, elle est remplacée par la construction
progressive de l'échantillon à la recherche d’une diversité. C'est un échantillonnage de type
raisonné à variation maximale où les participants recrutés doivent faire ressortir les
divergences de représentations, comportements et attitudes. Dans le respect des contraintes de
qualité d’un échantillonnage, la variation maximale a été recherchée selon les différentes
caractéristiques des médecins généralistes citées ci-dessus.
C’est ainsi que nous devions obtenir un échantillon de personnes ayant un vécu, une
caractéristique ou une expérience particulière à analyser afin de refléter la diversité au sein
d'une population donnée.
Ici, il y a une volonté d’exemplarité et de maximiser l’expression de la diversité.
2.3.4 Taille de l’échantillon
Il n’y a pas de règle pour la taille de l’échantillon en recherche qualitative.
Le corpus nécessaire à la réalisation d’une enquête par entretien est, de manière générale, de
taille plus réduite que celui d’une enquête par questionnaire dans la mesure où les
informations issues des entretiens sont validées par le contexte et n’ont pas besoin de l’être
par leur probabilité d’occurrence.
Le nombre de cas n'est pas fixé à l'avance. On utilise la notion de saturation théorique pour
établir le nombre de sujets à inclure.
La campagne d’entretiens peut être considérée comme close lorsque nous arrivons à
saturation des données, c’est-à-dire lorsque les informations recueillies apparaissent
redondantes et n’apportent rien de nouveau à l’analyse du matériau.
A défaut, il est possible de se référer au concept de suffisance qui en l’absence de saturation
des données, nous permet une analyse des résultats compte tenu de la richesse du matériau.
Ce concept se retrouve fréquemment dans l’approche phénoménologique interprétative ou
dans celle des récits de vie. Il est plus rare lorsqu’il s’agit d’une théorisation ancrée.
33
2.4 Méthode de recueil des données
2.4.1 Entretien semi-dirigé ou semi-structuré
Dans une étude qualitative, le but de l'entretien16 est de découvrir l'état d'esprit de la personne
interrogée en gardant le plus de neutralité possible et en évitant d'imposer ses propres
suppositions. Ainsi, le chercheur doit rester ouvert à la possibilité que les concepts et les
hypothèses qui émergent de l'entretien puissent être très différents de ceux qui avaient pu être
prévus au départ. C'est également une possibilité d'explorer au cours d'une conversation d'égal
à égal les non-dits, les contenus implicites, le ressenti.
Nous entendons par non-dits ce que J-C Abric17 nomme la zone muette, c’est-à-dire ce qui
relève de l’indicible au début de l’entretien mais qui apparaîtra progressivement à mesure du
déroulement de l’échange.
Pour conduire notre travail, nous avons fait le choix d’entretiens semi-dirigés de telle sorte à
centrer l’échange sur les représentations et l’interprétation des médecins.
Il s’agit d’un entretien en face-à-face réalisé à partir de questions ouvertes issues d’un guide
d’entretien. Il permet d'aborder les thèmes sous la forme de conversation. Les questions étant
toujours ouvertes, les idées s'expriment autour des différents thèmes au fil de la discussion,
laissant place à la spontanéité.
Le rôle de l’enquêteur consiste à effectuer les bonnes relances aux moments opportuns afin de
balayer tout le guide d’entretien, sans pour autant influencer l’informateur dans ses réponses
ou lui couper la parole18.
L’activité d’enquête est variable d’un entretien à l’autre, en tant que rapport interpersonnel.
C’est en effet l’interaction interviewer/interviewé qui va décider du déroulement de
l’entretien. Ce dernier est fait d’une écoute qui vise à la production de discours.
Il permet une rencontre inhabituelle, un échange entre deux personnes, ainsi qu’une
conversation contextualisée qui se déroule toujours dans un lieu et à un moment précis. Le
16 Kaufmann J-C. (1996). L’entretien compréhensif. Armand Colin, 4ème édition, p 132. 17Jobelet D. (2003). Les représentations sociales. Collection : Sociologie d’aujourd’hui. Edition : Presses
Universitaires de France. p 203-223. 18 Blanchet A, Ghiglione R, Massonat J, Trognon A. Les techniques d’enquête en sciences sociales: Observer,
interviewer, questionner. Paris: Dunod, 2005:197 p.
34
sens des paroles recueillies est strictement dépendant des conditions de leur énonciation.
L'entretien ne prend sens véritablement que dans ce contexte immédiat.
2.4.2 Définition d’un canevas d’entretien
Le guide sert à structurer l’entretien et les interventions de l’enquêteur sans diriger le
discours. C’est une invitation au récit. Il doit être élaboré de manière souple afin d'ouvrir les
champs de réflexion. Ainsi, il est organisé autour de grands thèmes qui sont les domaines à
explorer. L’enquêteur doit les connaître sans avoir à les consulter.
Le guide d'entretien n'est, en effet, pas un questionnaire ni un protocole : les formulations ne
peuvent pas être standardisées mais doivent être faciles à comprendre, et avoir le même sens
pour tous.
L’enquêteur doit veiller à ne pas se laisser enfermer dans son guide. Il peut, tout comme la
personne interrogée, s’écarter du guide pour approfondir une idée ou émerger de nouveaux
thèmes qui pourront permettre de faire évoluer l'enquête. Ainsi, le guide d’entretien n'est pas
figé et des thèmes supplémentaires peuvent y être introduits au fur et à mesure que le
chercheur se familiarise avec le sujet.
2.4.3 Notre guide d’entretien (Annexe n°1)
Notre guide d’entretien s’est développé autour de différents thèmes :
- Présentation du médecin généraliste : âge, sexe, nombre d’années d’exercice en médecine
générale, milieu et mode d’exercice…
- Objectif de notre travail : la consultation tardive
- Histoire du ou des patient(s) qui ont consulté tardivement : leur parcours
- Interprétations du retard selon le médecin ; son vécu
- Devenir du patient, conséquences sur la relation médecin – patient
35
2.4.4 Déroulement des entretiens
Les entretiens étaient réalisés à l’endroit choisi par le médecin généraliste et selon ses
disponibilités. Le cadre extérieur influençant beaucoup le déroulement des entretiens, les
médecins étaient rencontrés au sein même de leur cabinet pour la plupart, cet environnement
familier ayant l’avantage de les mettre d’emblée plus à l’aise, à l’inverse d’un lieu inconnu
qui demande toujours un certain temps d’adaptation.
Chaque entretien s’est initialement déroulé sur le même modèle. Après de courtes
présentations, l’objet de l’entretien (un travail de thèse) et le sujet (le retard à la consultation)
ont été rappelés au médecin. Ils n’ont pas été développés afin de ne pas orienter leur discours.
La signature d’un consentement écrit était demandée.
La relance et la reformulation ont été les méthodes les plus utilisées par l’enquêteur. Les
stratégies d’écoute et d’intervention n’ont pas été fixées à l’avance.
Chaque entretien a été enregistré (enregistrement vocal) avec l'accord de l'informateur, en
insistant sur le respect de la confidentialité, puis retranscrit mot à mot pour constituer le
verbatim.
2.4.5 Retranscription des données
Les propos des médecins ont été repris mot à mot sur un logiciel Microsoft Word. Pour
obtenir le verbatim de notre étude, nous avons retranscrit de façon littérale les propos de
l'informateur et de l'enquêteur en utilisant les règles conventionnelles de ponctuation, de
grammaire et de conjugaison afin de traduire la parole orale en parole écrite. Des
commentaires ont été ajoutés pour signifier les moments de silence, de pause, de rire, et
d’interruption de l’entretien par un évènement.
La réécriture est un travail important à la base de notre étude. En effet, il s'agit de faire une
retranscription fidèle de nos entretiens afin de constituer le corpus de notre étude. (Verbatim
d’entretien en annexe n°2)
A noter que ce travail n’a pas nécessité d’un avis auprès du Comité de Protection des
Personnes (CPP), ni de déclaration auprès de la CNIL.
36
2.5 Analyse des données
2.5.1 Codage ouvert ou descriptif
Chaque entretien a fait l'objet d'une première analyse ayant pour objectif de résumer les
principales idées de l'interlocuteur. Il s’agit de relever un à un les fragments pertinents dans
chaque entretien. L’information a dû être décomposée au maximum, afin qu’il y ait autant de
codes que d’éléments et de nuances dans les discours.
Réalisée quelques jours après chaque entretien, elle a permis de restituer l’ambiance propre à
chacun, ainsi considérée comme un cas spécifique ayant sa dynamique propre.
Cette étape visait aussi à repérer les énoncés singuliers, les formulations extrêmes ou
atypiques.
Un codage ouvert par découpage en unités de sens a été déterminé selon l’analyse des
données décontextualisées. Les codes ont été regroupés en thèmes et sous-thèmes selon une
analyse thématique. Puis, une conceptualisation par mise en relation des thèmes et sous-
thèmes a été faite afin de tenter de rendre compte de la complexité du réel.
Les codages des entretiens ont été réalisés par des chercheurs d’expérience différente : la
thésarde, le directeur de thèse ainsi qu’une autre interne en médecine générale. Il s’agit de la
triangulation des chercheurs.
2.5.2 Analyse thématique
Nous avons réalisé une analyse de type thématique (ou par catégories) qui visait à produire
une sélection et une organisation raisonnées de catégories afin de condenser la signification
des entretiens. La conception d’une telle méthode envisageait de considérer les textes
recueillis comme des objets pouvant être saisis et analysés, le but étant d’identifier des thèmes
et de les structurer.
37
3. RESULTATS
3.1 Caractéristiques de la population étudiée
Quatorze médecins ont été interrogés. Ils exerçaient tous en Ile-de-France. La population
étudiée était constituée de 8 femmes et de 6 hommes, de 30 à 61 ans avec une moyenne d’âge
de 47,2 ans.
Les médecins exerçaient seuls, en groupe, au sein d’une maison de santé ou d’un centre
municipal de santé.
L’échantillon s’est construit progressivement de façon à avoir quasiment autant d’hommes et
de femmes, avec des exercices et des âges différents pour avoir un échantillon à variation
maximale.
Le tableau 1 ci-dessous résume les différentes caractéristiques des médecins interrogés.
Médecin Sexe Age
(ans)
Ancienneté
d'installation
Type
d'exercice
Type
d'installation
Lieu
d'exercice Secteur Formations autres
1 femme 53 23 ans libéral groupe (avec un
kiné) urbain I non
2 homme 61 30 ans libéral seul urbain I formateur
indépendant de DPC
3 homme 60 29 ans libéral groupe (deux
médecins) urbain I acupuncteur
4 homme 60 32 ans libéral groupe (deux
médecins) urbain I non
5 femme 46 25 ans libéral groupe (deux
médecins) urbain I non
6 homme 61 28 ans libéral seul urbain I
homéopathe,
ostéopathe, formation
en psychiatrie
7 femme 32 2 ans libéral groupe (deux
médecins) urbain I
médecin de crèche,
DU de pédiatrie
8 femme 31 2 ans libéral
groupe (un
médecin, deux
kinés)
urbain I non
9 femme 55 26 ans libéral groupe MSP rural I non
38
10 homme 34 2 ans libéral seul urbain II
DU échographie +
formateur dans une
école d'ostéopathie
11 femme 30 0 libéral
remplaçante
dans deux
cabinets
urbain/rural I Activité d’urgentiste
en plus
12 homme 34 2 ans libéral groupe MSP urbain I non
13 femme 48 6 ans salarié groupe CMS urbain I
activité médecine
générale et
gynécologie
14 femme 56 26 ans libéral groupe MSP urbain I Maître de stage
universitaire
Tableau 1 : Caractéristiques de la population étudiée
3.2 Caractéristiques des entretiens
Les entretiens se sont déroulés entre le 11 janvier et le 4 avril 2018.
Entretien Durée Lieu de
l’entretien
1 41 mn 20 s Au cabinet
2 37 mn 10 s Au cabinet
3 25 mn 27 s Au cabinet
4 38 mn 30 s Au cabinet
5 28 mn Au cabinet
6 22 mn 19 s Au cabinet
7 42 mn Domicile du
médecin
8 21 mn 10 s Au cabinet
9 37 mn 33 s Au cabinet
10 30 mn 12 s Au cabinet
39
Tableau 2 : Caractéristiques des entretiens
Treize entretiens sur quatorze se sont déroulés sur le lieu d’exercice du médecin et le
treizième a été effectué dans un lieu public. Ils se sont déroulés à différents moments de la
journée, aussi bien dès le matin que jusque tard dans la soirée.
La durée moyenne de l’entretien a été de 33 minutes pour des entretiens allant de 21mn19s à
50mn.
3.3 Perturbations du déroulé des entretiens
Pour les informateurs rencontrés sur le lieu de travail, des perturbations ont souvent altéré le
cours de l’entretien, les médecins étant régulièrement dérangés par le téléphone ou par
l’arrivée d’un collègue.
Certains entretiens ont été interrompus par la crainte de l’informateur d’effectuer une
digression dans le sujet. Nous y faisons référence car elles peuvent influer sur la qualité du
discours produit par l’informateur et sur l’attitude de l’enquêteur également.
Ces pauses sont toutes mentionnées dans le verbatim des entretiens, disponibles en annexe.
3.4 Vignettes cliniques des patients évoqués par les médecins
Nous résumons ci-dessous les différents cas cliniques évoqués par les médecins interrogés
sous la forme d’un tableau, afin de faciliter la compréhension pour le lecteur.
Le médecin n°6 n’a pas souhaité parler de cas précis de patients et est resté sur des
généralités.
11 22 mn 30 s Au cabinet
12 28 mn 8 s Au cabinet
13 39 mn 50 s Lieu public
14 50 mn Au cabinet
40
Description Motif Diagnostic Raisons évoquées Retard estimé
MEDECIN
1
Patient 1 Femme âgée ayant
changé de médecin,
souhaitant un
deuxième avis
dyspnée double embolie
pulmonaire
Dame angoissée, peur de l'hôpital.
Faux diagnostic de la patiente,
pensant que c'était à cause des
médicaments pour la bronchite
huit jours
Patient 2 homme toux cancer du
poumon
Laisser passer les fêtes avant de
consulter et priorité à la famille
(belle-mère qui ne va pas bien)
plusieurs semaines
Patient 3 homme douleurs
osseuses
insupportables
cancer métastasé
osseux
laisser passer les fêtes plusieurs semaines
Patient 4 femme âgée suspicion de
phlébite
4 jours
Patient 5 femme âgée dyspnée insuffisance
cardiaque
Avare, croit qu'elle n'est pas prise
en charge ; cause financière
plusieurs jours
patient 6 homme rectorragies
quotidiennes
fissure anale deux ans
MEDECIN
2
Patient 1 homme, ATCD :
HTA, IDM,
chirurgie anti-reflux
douleur
thoracique en
barre
arythmie
complète
peur, déni ; manque d'information 24 heures
Patient 2
femme de 70 ans,
insuffisance
respiratoire
chronique, asthme,
sous oxygène
dyspnée
décompensation
cardiaque totale
peur de l'hôpital
Patient 3
homme rectorragies hémorroïde,
anémie
localisation du symptôme, pudeur plusieurs semaines
Patient 4 femme ; refus des
dépistages
sein "pierreux"
découvert
fortuitement
cancer du sein déni plusieurs années
Patient 5 homme de 88 ans douleur
thoracique et
dyspnée
IDM compliqué
d'insuffisance
cardiaque
négligence, ne pas retarder un
voyage
plusieurs jours
MEDECIN
3
Patient 1 femme de 51 ans rétraction du
mamelon
tumeur du sein
(découverte
fortuite)
peur du diagnostic plusieurs années
Patient 2 femme de 73 ans,
ATCD de cancer du
sein, ATCD
rectorragies
avec
modification
cancer colo-
rectal
ne pas repartir dans des traitements
anti-tumoraux, peur
plusieurs années
41
familiaux de tumeur
de l'intestin
du transit
Patient 3 femme nodules
cervicaux
papillome ne pas s'embêter avec les visites
médicales
un à deux ans
MEDECIN
4
Patient 1 femme d'origine
indienne, ne parlant
pas le français
renouvellement
d'ordonnance
insuffisance
rénale
pas de conscience du trouble,
incompréhension. Asymptomatique
3 mois
Patient 2 femme de 75 ans
avec ATCD
d'angioplastie
primaire. Aucun
trouble cognitif.
Refus du Kardegic®
angine de
poitrine
épreuve d'effort
à compléter
Pas de réception de la convocation
de l'angioplastie. Fatalité, destinée.
Peur de la maladie, du handicap.
Tester ses limites
6 mois
Patient 3 femme masse dure et
pierreuse dans
le sein
tumeur du sein nécessité d'un temps d'acceptation
du diagnostic. Probable déni
un an
MEDECIN
5
Patient 1 femme de 60 ans rectorragies cancer colo-
rectal
peur du diagnostic et des
conséquences thérapeutiques
(stomie)
3 à 4 ans
Patient 2 femme de 85 ans.
ATCD
d'insuffisance
cardiaque
tâche de sang
dans le
soutien-gorge
cancer du sein dissimulation du symptôme, mépris
du symptôme. Peur qu'on l'oblige à
se traiter
plusieurs années
Patient 3 femme de 54 ans consultation
pour un autre
symptôme
syndrome
cérébelleux
statique et
cinétique
anosognosique du trouble. Nie le
trouble
Plusieurs années
Patient 2 homme d'environ 50
ans, alcoolisme
chronique. Terrain
psychologique lourd
(enfance difficile)
teint cireux,
jaune
cirrhose
décompensée
peur du diagnostic, des
conséquences thérapeutiques. Peur
de devoir arrêter l'alcool
plus d'un an
Patient 3 Femme, 50-60 ans.
ATCD : dépression,
HTA
anomalie du
bilan
biologique
(LDL à 2g/L)
sténose des
carotides à 60-
70%
refus de traitement par statines,
influence des médias, négligence
3 à 4 ans
MEDECIN
8
Patient 1 homme jeune troubles
sexuels
éjaculation
précoce
symptôme gênant, honte ; tabou
Patient 2 femme de 92 ans asthénie,
vertiges
léiomyosarcome négligence médicale : la patiente
"n'a rien"
plusieurs mois
Patient 3 homme de 60 ans douleur
thoracique
infarctus du
myocarde
refus de se faire stenter, "maîtrise
de son corps"
3 jours
Patient 4 homme en situation
irrégulière
douleur ulcère de
l'estomac
problème financier 8 à 9 mois
42
Patient 5 bébé de trois
semaines
diarrhées gastro-entérite
avec
déshydratation,
léthargie
méconnaissance de la rapidité
d'évolution du symptôme, de la
gravité
quelques jours
MEDECIN
9
Patient 1 homme de 48 ans,
travaille dans le
bâtiment. Origine
algérienne.
Tabagisme
chronique
douleurs
articulaires
inflammatoires
,
amaigrissemen
t, asthénie
cancer
pulmonaire avec
syndrome
paranéoplasique
banalisation des symptômes,
négligence
un an
Patient 2 homme en
invalidité. ATCD :
dépression,
lombalgies
chroniques
"boule" au
niveau de la
fesse
sinus pilonidal peur d'un cancer, "faire l'autruche" ;
pudeur
Patient 3 homme ; ATCD :
tabagisme et
éthylisme chronique
toux,
dysphagie
cancer ORL rester dans le doute d'un possible
diagnostic bénin
deux ans
Patient 4 homme
manutentionnaire
douleur
thoracique
angine de
poitrine
peur d'une chirurgie cardiaque six mois
Patient 5 femme de 45 ans,
secrétaire
zones dures
dans le sein et
impossibilité
d'allaiter son
fils via le sein
droit
mastite
carcinomateuse
et métastases
pulmonaires
déni, ne pas aimer aller chez le
médecin
plus de six mois
Patient 6 femme nodules
mammaires
cancer du sein refus des actes de prévention environ dix ans
MEDECIN
10
Patient 1 femme de 57 ans,
tabagique chronique,
HTA
asthénie, toux,
dyspnée,
douleurs
pleurales
pleurésie
purulente avec
abcès pleuraux
suspendus
peur d'être obligé de s'arrêter de
travailler
environ trois
semaines
Patient 2 homme de 53 ans,
cadre supérieur
(voyages fréquents).
ATCD : phlébite
dyspnée embolie
pulmonaire
bilatérale et
fibrillation
auriculaire
rythme de travail soutenu,
empêchant d'aller consulter le
médecin
trois semaines
Patient 3 femme de 30 ans.
ATCD : tabac, sous
pilule contraceptive
dyspnée embolie
pulmonaire
adaptation progressive au
symptôme
trois semaines, un
mois
Patient 4 femme, cadre
supérieur
troubles du
sommeil
réveils nocturnes priorité à la famille un an
MEDECIN
11
Patient 1 homme de 80 ans.
ATCD : Alzheimer
déficit de
l'hémicorps
droit, aphasie
accident
vasculaire
cérébral
méconnaissance de la gravité,
difficulté à avoir un rendez-vous
avec le médecin
deux jours
43
Patient 2 homme douleur dans la
poitrine
angor très occupé par le travail,
négligence
Patient 3 femme. ATCD :
hypothyroïdie
somnolence,
ralentissement
psycho-
moteur, goitre
thyroïdien
hypothyroïdie rupture de suivi médical, arrêt de
son traitement, déçu par le monde
médical
plusieurs mois
MEDECIN
12
Patient 1 homme. ATCD :
diabète, HTA,
éthylisme
vertiges,
troubles
mnésiques
micro-AVC à
répétition
anosognosie du trouble, pas
d'inquiétude
plusieurs jours
Patient 2 femme jeune.
ATCD : bronchite
asthmatiforme,
tabagisme.
Conditions de travail
difficiles
bronchite pneumopathie
hypoxémiante
attente de la date de la fin d'arrêt de
travail pour consulter
plusieurs semaines
Patient 3 homme de 56 ans,
d'origine
maghrébine
baisse
d'autonomie,
difficultés à la
marche
complications
cardio-
vasculaires,
arthrose
symptômes considérés comme
"normaux" pour l'âge et la culture
plusieurs mois
MEDECIN
13
Patient 1 femme douleur
pelvienne
torsion de kyste méconnaissance de l'organisation
du système médical
Patient 2 nourrisson de neuf
mois, non vacciné
gastro-entérite gastro-entérite évènements extérieurs empêchant
la vaccination
plusieurs mois
Patient 3 homme de 50 ans.
ATCD
psychiatriques
syndrome
dépressif
scorbut licenciement, difficultés
financières, isolement
plusieurs semaines
Patient 4 femme de 68 ans.
ATCD : polyarthrite
rhumatoïde multi-
compliquée
renouvellement
de traitement
avec un voyage
au pays
renouvellement rapport au temps différent (entre le
médecin et le patient)
la veille du voyage
Patient 5 homme alcoolisme sevrage en alcool minimisation, déni, peur de
maladies émergentes
MEDECIN
14
Patient 1 homme de 26 ans.
ATCD : hépatite
auto-immune
épuisement ictère ne pas vouloir attendre en salle
d'attente, transition difficile entre
pédiatrie et médecine adulte, refus
de la maladie
Patient 2 homme de 49 ans,
informaticien
motif autre :
sinusite
hypertension
artérielle
refus de la maladie chronique plusieurs jours
Patient 3 femme toux effet secondaire
des IEC
problème financier : ne peut payer
la consultation, méconnaissance du
système de soins
Patient 4 femme de 35 ans boule dans le
sein
cancer du sein distance avec la maladie, peu
d'explications
plusieurs semaines
44
Tableau 3 : Vignettes cliniques des patients
3.5 Analyse thématique
L’analyse par codage ouvert nous a permis de définir cinq thèmes et vingt sous-thèmes.
Thèmes Sous-thèmes
Temporalité et chronologie
- Temporalité du patient
- Temporalité du médecin
- Temporalité de la maladie
- Temporalité sociale
Interprétations du médecin concernant le
comportement de son patient
- Catégories socio-professionnelles des
patients
- Histoire du patient, caractère
- Emotions ressenties
- Représentation du signe (symptôme)
- Facteurs liés à l’organisation des soins
- Impossibilité des médecins d’expliquer
les raisons du retard
Ressenti du médecin face à ce retard - Ressenti négatif
- Ressenti positif
Retentissement pour le patient
- Facteur déclenchant la consultation
- Conséquences du retard pour le patient
Stratégies de prise en charge du médecin
- Ne pas culpabiliser
- Respecter le choix du patient
- Demande d’examens complémentaires
et d’avis spécialisé
- Adaptation en fonction du patient
- Tentatives de négociation et de
persuasion
- Importance de la prévention
Patient 5 femme. ATCD :
obésité, psychose,
incontinence
incontinence incontinence
iatrogénique
honte, peur d'être humilié, d'être
rejeté par le médecin
45
Par souci de cohérence, nous avons tenté de rapprocher nos trois axes principaux (temporalité,
interprétations, ressenti des médecins) des principaux thèmes. Ces lignes directrices sont
enrichies de deux thèmes complémentaires, à savoir le retentissement du retard pour le patient
ainsi que les stratégies de prise en charge du médecin.
3.5.1 Temporalité
3.5.1.1 Temporalité du patient
a) Temporalité du patient différente de celle du médecin
La représentation du temps du patient est à distinguer de celle du médecin.
M13 : « La représentation du temps que se fait le patient et le médecin (…) Et
finalement, le mot ‘’avant’’ pour moi et pour eux ne signifie pas la même chose.»
Et quelques médecins rapportent une temporalité propre à chaque patient.
M1 : « Un rapport au temps qui est particulier.»
M14 : « Peut-être qu’il va revenir dans un an mais voilà ! »
b) Latence fréquente avant de venir consulter le médecin
Un médecin rapporte le retard systématique d’un patient à consulter un spécialiste de santé.
M1 : « Un patient qui a attendu deux ans pour venir pour fissure anale (…) Il a fallu 6
mois pour qu’il aille voir un proctologue, encore 3 mois pour qu’il soit opéré. »
Plusieurs médecins considèrent que le patient a attendu longtemps avant de venir les voir,
allant de quelques mois à quelques années.
M5 : « Mais elle avait mis plusieurs années avant de m’en parler. »
M10 : « Il a attendu, attendu, attendu. »
Et ce délai avant de consulter peut avoir des conséquences cliniques graves sur le patient.
M9 : « Et quand je lui ai demandé depuis combien de temps elle avait ça, ça faisait au
moins six mois. Mais elle ne pouvait plus donner, il n’y avait plus de lait dans le sein
droit depuis deux ans !»
Le degré d’urgence n’est pas le même selon le point de vue du médecin et du patient.
M2 : « Il n’a pas téléphoné tout de suite. Il ne s’est pas précipité sur son téléphone. »
46
c) Nécessité d’un délai d’acceptation du symptôme avant de consulter
Plusieurs médecins rapportent un temps de maturation entre le moment où le patient a un
symptôme et celui où il décide de consulter pour celui-ci.
M6 : « Il faut que ça mûrisse dans la tête de la personne. »
M10 : « Ils ont toujours besoin de deux, trois semaines pour accepter et en fait, ça va
mieux à la fin. »
Ce temps de maturation semble nécessaire pour pouvoir affronter les conséquences médicales
éventuelles.
M8 : « Je pense qu’il avait l’impression que s’il acceptait tout de suite, ça faisait trop à
gérer pour lui, qu’il avait besoin de digérer l’information et d’accepter le traitement
plutôt que d’avoir le traitement sur le champ. »
Il existe même pour un médecin la notion de « charger les batteries » avant d’affronter le
monde médical et toutes ses complications, en décrivant cette période avec le lexique du
combat :
« Ils ne viennent pas nous voir mais c’est peut-être qu’ils ont besoin d’accepter de
tomber dans le milieu médical avec tout ce qu’il y a de traumatisant. (…) Faire des
réserves peut-être. Je vois un côté : ‘’bon, j’ai enfin eu le courage de venir vous voir et
d’affronter la vérité’’ et je pense qu’ils ont besoin de rassembler leurs forces avant de
venir. »
3.5.1.2 Temporalité du médecin
a) Temporalité du médecin différente de celle du patient
Comme décrit ci-dessus, le temps du médecin n’est pas le même que le temps du patient :
M13 : « Donc parfois, je pense que la notion que l’on accorde nous au temps, pour
surveiller un paramètre biologique, paraclinique ou une maladie, ne fait pas écho de la
même manière chez le patient. »
Certains médecins rapportent le délai de consultation comme un véritable retard d’un point de
vue médical.
M10 : «Et ça traine depuis trois semaines environ, moi je trouve ça un peu tardif ! Trois
semaines de toux, dyspnée, douleur, moi, je trouve ça un peu … »
Ce délai a tendance à être augmenté ou exagéré dans le souvenir du médecin.
47
M10 : « Mais je voudrais être sûr que je ne me trompe pas sur la durée… J’ai
l’impression dans mes souvenirs qu’il avait consulté tard. »
M2 : «J’ai des fois l’impression qu’elle a retardé le diagnostic, mais c’est la position du
médecin. Le patient finalement, c’est lui qui appelle ! »
b) Adaptation du temps du médecin dans sa pratique quotidienne
La plupart des médecins adapte son temps en fonction du degré d’urgence de la situation du
patient, et selon les disponibilités des spécialistes.
M4 : « J’ai pris mon téléphone, et le lendemain matin, elle était hospitalisée pour une
mise sous insuline. »
M13 : « Et même moi, dans ma manière d’organiser la prise en charge du patient,
j’intègre le paramètre ‘’délai de rendez-vous chez le spécialiste pour la ville’’. »
Certains médecins n’hésitent pas à prendre plus de temps si la situation le nécessite.
M10 : « Il m’a pris beaucoup de temps, ce n’est pas un débat mais c’est juste, on est là
pour ça. »
Ils s’adaptent aussi en fonction de la temporalité propre à chaque patient.
M9 : « Je me suis dit, tiens, je vais la laisser mûrir un petit peu tout ça, et je m’étais
donné un mois. »
Un médecin utilise souvent cette temporalité à son profit pour la demande d’examens
complémentaires.
M13 : « Vous allez refaire votre échographie dans un mois, dans deux mois, dans trois
mois. Moi, si je sais que les délais sont longs, par exemple je vais dire ‘’essayez de
l’avoir dans quinze jours’’, parce que je suis presque sûre qu’il va l’avoir dans un mois.
Je pense que notre rapport au temps, il y fait ! »
c) Temps précieux et toujours trop court pour le médecin
Un médecin rapporte le manque de temps permanent en médecine générale.
M2 : « On retombe sur l’éternel problème de la consultation de médecine générale ’’je
n’ai pas le temps !’’ »
48
3.5.1.3 Temporalité de la maladie
a) Evolution lente et insidieuse de certaines maladies
Certains médecins remarquent que le délai de consultation peut être différent si la maladie est
insidieuse, chronique et peu symptomatique.
M2 : « Forcément, comme toutes ces anémies qui arrivent d’une manière chronique,
donc vachement bien supportées ! »
b) Evolution plus rapide d’autres maladies
Les conséquences pour le patient ne sont pas les mêmes si la maladie est susceptible d’évoluer
plus rapidement.
M3 : « Une tumeur du sein, des fois, ça va vite. »
M2 : « Ça peut progresser très vite, c’est un abcès, donc ça va très vite, en quoi, en 24
heures de temps ! »
Et ces notions autour d’une maladie ne sont pas toujours connues des patients, ni même
prévenues par certains médecins.
M2 : « Le patient n’a pas forcément cette conscience que ça peut s’aggraver très vite. »
M2 : « Je l’ai envoyé fissa chez le médecin là-bas qui a dit « Non, c’est rien, c’est
l’altitude » et dans la nuit, il y a le SAMU (Sourire). »
c) Le temps peut influer sur la maladie
Un médecin se questionne sur cette temporalité.
M13 : « Et est-ce que le temps a fait un effet sur la maladie, avant, pendant la
consultation ou après ? »
Et cette influence de la temporalité est difficile à prédire, que ce soit une influence négative
ou positive.
M7 : «Si on l’avait soigné six mois avant, ça n’aurait pas changé grand-chose, enfin
peut-être que si, mais voilà ! »
M9 : « Il pensait que ça allait s’arranger tout seul. »
49
3.5.1.4 Temporalité sociale
La temporalité sociale regroupe tous les évènements intercurrents d’une vie, allant du plan
politique, économique jusqu’au plan culturel.
a) La relation médecin – patient
Il n’y a pas de « règle » sur l’ancienneté de la relation entre le médecin et le patient qui a tardé
à consulter. Ce lien peut être créé de longue date et rythmé par des consultations régulières,
chez plusieurs médecins interrogés.
M2 : « Ces deux patients sont des patients très anciens dont je dois être le médecin
traitant depuis au moins une vingtaine d’années. »
M9 : « C’est un monsieur que je vois par contre très régulièrement depuis une dizaine
d’années. »
Tandis que d’autres liens sont inexistants avec des patients encore non connus du médecin.
M4 : « C’était la première fois que je la voyais. »
M5 : « Je l’ai vue deux fois, il y a 4 ans et il y a 2 ans. »
b) Priorités autres que la consultation médicale
La notion d’altruisme ressort dans certains propos avec des patients qui font passer leur
famille ou leur travail avant eux-mêmes.
Les obligations sociales participent à la temporalité sociale. Il existe une interaction entre les
besoins du patient et ce qu’il considère être une priorité (familiale, amicale…). La situation du
patient devient secondaire au bénéfice d’un autre engagement vis-à-vis d’un tiers. Cette
exigence sociale engage le patient à négliger son état au nom de cette obligation. Le temps
social, celui du tiers, s’impose alors.
M10 : « C’était toujours pour ses enfants, elle a quatre enfants. »
M9 : « Très, très, inquiète pour son fils, et pour elle, négligence complète ! »
M1 : « Ils ont un positionnement vis-à-vis de leur santé comme ils ont vis-à-vis de leur
vie, qu’ils passent après tout le monde, mais que ce soit pour les loisirs, pareil, enfin
voilà, et pour leur santé. (…) Même dans leur vie, ils passent après. »
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c) Evènements intercurrents empêchant la consultation médicale
La majorité des médecins avance souvent l’argument d’évènements de vie personnels ou
sociaux interférant avec la possibilité d’aller consulter. Ces évènements peuvent être de nature
commune à une population.
M1 : « Ils ont laissé passer les fêtes avant de m’appeler. »
M6 : « Ils ont toujours repoussé la consultation parce qu’il y avait d’autres priorités,
soit disant. »
Ou être plus individuels et personnels comme des soucis familiaux ou même des loisirs. Tous
ces évènements intercurrents peuvent faire que le patient va trier ses actions en fonction de ce
qu’il considère comme être la priorité ou non.
M13 : « Souvent, ce n’est pas que lié à l’amplitude horaire de l’accueil ou de la
disponibilité. C’est souvent soit un problème administratif, soit un problème de
violence, soit un décès, soit un évènement majeur dans la famille. »
M2 : « Il y a toujours des circonstances externes qui font que : s’il n’avait pas eu le
départ (en voyage), il aurait consulté ! »
Le travail joue aussi un rôle important, car plusieurs patients ne consultent pas pour ne pas
avoir à s’arrêter de travailler.
M10 : « C’est vrai que sur le moment, en gros, ils te disent ça, c’est dans les excuses
entre guillemets du retard diagnostic, c’était ‘’je ne veux pas m’arrêter, je ne me suis
jamais arrêté’’, ‘’ce n’est pas dans ma philosophie !’’ (…) C’est le mec qui bosse
beaucoup et qui n’a pas envie de s’arrêter de bosser. »
M12 : « Le patient du dimanche est un patient qui met sa santé de côté parce qu’il
travaille beaucoup, le parisien moyen ‘’métro, boulot, dodo’’ mais c’est le dimanche
qu’il va se rappeler qu’il a un genou douloureux, ou que quand il a pris les escalators la
dernière fois, on l’avait bousculé, et depuis il a une douleur de hanche par exemple. »
M11 : « Certains qui sont pas mal pris par leur travail. A Paris, on a peut-être pas mal
de gens comme ça qui trainent parce qu’ils ont leur boulot. »
d) Délai important de consultation par manque de moyen médicaux
La majorité des informateurs évoque un manque de moyens sur le territoire d’Ile-de-France,
tant sur le plan humain que matériel avec une pénurie de médecins généralistes, notamment à
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cause de départs en retraite non remplacés. Ce déficit peut entrainer des difficultés d’accès à
un professionnel de santé.
M1 : « C’est je pense, sauf urgence, absolument impossible d’avoir un rendez-vous
dans les deux jours avec son médecin traitant. »
M12 : « L’autre frein pourrait être l’attente d’avant d’être vu par un médecin. »
Ces difficultés concernent toutes les spécialités confondues.
M12 : « On l’a envoyé pour faire un test ou autre, et comme ça peut traîner pour avoir
un rendez-vous, dans quatre, cinq, six mois, il peut revenir avec d’autres choses plus
complexes. »
Nous notons que la temporalité du médecin est toujours différente de celle du patient. Tandis
que les médecins décrivent un manque de temps permanent pour exercer leur métier, les
patients ont besoin d’un temps pour mûrir et accepter un symptôme, voire une maladie.
Ces deux temporalités sont influencées par la temporalité de la maladie, plus ou moins rapide,
et la temporalité sociale qui concerne tous les évènements intercurrents et les facteurs liés au
système de soins (délai important de rendez-vous…).
Après avoir développé les résultats autour des différentes temporalités, nous allons nous
intéresser cette fois-ci aux représentations des médecins concernant les retards à la
consultation.
3.5.2 Interprétations des médecins
3.5.2.1 Catégories socio-professionnelles des patients
a) Age, genre, lieu de vie
Les âges extrêmes de la vie sont pour la plupart des médecins un facteur de retard à la
consultation, allant du sujet jeune qui profite de la vie et ne se soucie de rien jusqu’à la
personne âgée qui se résigne à son état de santé.
M6 : « C’est pour ça que les jeunes ont du mal à se soigner, car ils n’envisagent pas la
maladie en face. »
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M14 : « Et pourquoi il ne venait pas ? Parce que c’était un jeune, ça le gonflait toutes
ses histoires. »
M8 : « Les gens âgés, la plupart, on a l’impression qu’ils sont résignés quand même. »
M10 : « Et il y a ceux qui consultent beaucoup trop tard parce qu’ils ne se rendent pas
compte et parce qu’ils adaptent, surtout les personnes âgées par exemple. »
Pour certains médecins, les hommes ont plus tendance à tarder que les femmes, notamment
parce qu’ils sont moins sujets à la prévention, alors que les femmes peuvent bénéficier d’un
suivi gynécologique et de maternité.
M13 : « Je trouve que c’est plutôt les hommes, je ne sais pas si c’est un jugement ou un
a priori ou une remarque je trouve. Ils ont tendance à minimiser. »
M1 : « Il n’y a pas de dépistage annuel chez l’homme. (…) Donc il y a une habitude de
rythme de contrôle chez la femme qu’il n’y a pas du tout chez l’homme. »
Quelques médecins rapportent le lieu d’exercice comme facteur de retard à la consultation,
notamment dans les milieux précaires comme certaines banlieues ou des campagnes reculées
où la population aurait tendance à attendre avant de voir un médecin généraliste.
M10 : « Moi, ici, c’est surtout ça aussi les retards à la consultation, dans le 17ème. Tu
n’es pas à Saint-Denis où les retards au diagnostic ne seront pas dus à la même chose :
ce serait plutôt : ‘’Je ne savais pas. Il fallait que je m’occupe des enfants’’… »
M11 : « C’est une communauté qui est vraiment solidaire finalement par rapport à
d’autres personnes peut-être à la campagne, qui sont un peu seules. »
Ces caractéristiques rejoignent un point commun, pour la majorité des médecins interrogés,
qui est une tendance à l’isolement du patient qui va tarder à consulter. Le manque d’entourage
et le repli sur soi sont des facteurs prédictifs de retard.
M7 : « C’est un homme qui, malgré le fait qu’il a de très bons contacts avec de très
bons amis, est quand même isolé. Il n’a pas de partenaire, il vit seul, il a une famille qui
est peu présente, et du coup, il s’est retrouvé un peu en tête à tête avec sa petite
bouteille de gin. »
A l’inverse, un patient bien entouré va consulter plus vite son médecin, poussé par son
entourage qui s’inquiète pour lui.
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M11 : « J’ai pas mal de population maghrébine (...) et ils s’entraident beaucoup. Donc
quand il y a quelqu’un qui n’est pas bien, je dirais qu’il est quand même emmené assez
rapidement à la consultation ou aux urgences »
Enfin, l’origine et la culture des patients sont parfois décrites par les informateurs pour jouer
un rôle dans la consommation médicale. Les patients mentionnés sont aussi bien français que
d’origine étrangère : turcs, algériens, indiens…
M11 : « Je pense que ça peut être culturel. »
M8 : « Toutes les cultures n’ont pas le même rapport à la consultation. »
Ainsi, certaines cultures favorisaient plutôt la consommation médicale, tandis que d’autres
auraient tendance à se résigner et ne pas remettre en cause l’altération de leur santé.
M6 : « Moi, je pense que les asiatiques par exemple, ont du mal à se confier sauf si la
relation avec le médecin est établie correctement. Ils ne vont pas parler facilement.
Parmi les européens, ça existe aussi mais c’est moins largement répandu. Il y a des
gens qui ont des facilités pour parler, et d’autres pas. »
M12 : « Mais c’est très difficile parce qu’ici, on a aussi les dimensions culturelles qui
sont très prégnantes et on a des cultures où c’est normal d’être malade, d’avoir une
baisse d’autonomie, voire de mourir entre 50 et 60 ans. »
b) Raisons financières
La quasi-totalité des médecins interrogés explique certains retards à la consultation par un
aspect financier. Nombre de cas de patients ne peuvent pas voir un médecin car ils n’ont pas
les moyens de payer la consultation.
M12 : « Les milieux sociaux défavorisés, je dirais que peut-être effectivement (…) ça
fait parfois un retard diagnostic, qu’il y a d’autres patients qui ne viennent pas parce
qu’ils n’ont pas de quoi payer le médecin (…) Le deuxième frein, c’est l’exonération du
ticket modérateur. »
Que ce soit pour la consultation entière ou le reste à charge. Plusieurs facteurs interviennent
comme l’arrêt des droits sociaux, le non renouvellement d’une ALD etc…
M1 : « Ça arrive des gens qui ont la CMU qui n’est pas renouvelée. »
M13 : «’’Voilà, j’ai mes droits sociaux qui se sont arrêtés donc j’ai attendu d’avoir la
sécurité sociale, donc maintenant, je viens’’. Mais le symptôme date du moment où ils
n’ont pas pu venir consulter. »
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M14 : « Encore que : à un moment, une des causes du retard, c’était l’arrêt de
l’ALD30. »
Ce facteur financier est exprimé différemment selon les patients. Il peut faire ressortir un
sentiment de honte et être parfois dissimulé.
M1 : « Elle ne vient plus, mais ça, c’est vraiment parce qu’elle a honte de ne pas
pouvoir payer. »
M2 : « Ce n’est pas facile parce qu’il y a une gêne pour le patient. »
Tandis que certains patients expriment clairement le problème à leur médecin.
M4 : « De temps en temps, des gens qui disent : ‘’Oh, bah ! Je ne suis pas venu, je n’ai
pas beaucoup d’argent’’ »
Cependant, ces difficultés financières ne sont pas toujours un frein, notamment grâce aux
aides sociales.
M12 : « Quand ils ont la CMU, ça passe. L’ACS, ça passe, des fois on prend certaines
mutuelles donc l’argent n’est pas toujours un frein. »
M14 : « Alors pas de facteur financier puisqu’il était en ALD 30. »
c) Statut social
Certains de nos informateurs rapportent spontanément le niveau social des patients évoqués
pour se justifier, sans qu’il n’y ait une règle définie.
En effet, quelques médecins font un lien entre un niveau social peu élevé et la fréquence des
retards à la consultation.
M9 : « Alors tous les deux n’ont pas un niveau socio-culturel très élevé. (…) il n’a
quasiment pas été à l’école. Il fait de la manutention, il a travaillé longtemps dans un
centre de tri des déchets, donc il n’a pas un niveau très élevé et en plus, il n’est pas très,
très, futé. Il n’est pas très, très, futé… »
M11 : « Les milieux sociaux défavorisés, je dirais que peut-être effectivement (…) ça
fait parfois un retard diagnostic. »
De plus, M8 remarque que les patients ayant des professionnels de santé dans leur famille ou
dans leur entourage ont tendance à consulter plus vite que ceux qui n’ont aucun lien étroit
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avec un médecin ou peu de connaissances médicales. Ce lien social ou de parenté
engendrerait une « désacralisation » du médecin :
« Je pense que les gens qui sont assez éduqués ont dans leur entourage, connaissent des
médecins ou ont des cousins qui sont médecins etc… Du coup, la médecine est moins
sacralisée et donc, rentrer dans le processus médical est moins quelque chose qui fait
peur. (…) Quand mon cousin est médecin, vous n’avez pas peur du médecin. Vous avez
l’habitude de voir un médecin. Vous dînez avec lui en repas de famille etc… Il n’y a pas
le côté sacré qu’il peut y avoir. »
d) Etudes, profession
Ici, un grand nombre de médecins rapporte des conditions de travail précaires, physiques ou
peu valorisantes chez leurs patients ayant tardé à consulter :
M12 : « Elle travaillait dans un supermarché (Lidl) avec des conditions de travail un
peu dures. »
M13 : « Lors de son licenciement, il s’est retrouvé en grande misère économique on va
dire, qui a eu un grave retentissement sur sa santé. »
M9 : « Elle n’a pas un travail très valorisant. Son niveau d’études, pareil, n’est pas
élevé. »
Mais certains patients ont un niveau professionnel plus important.
M14 : « Il est informaticien, chef de projet »
M10 : « Il voyage beaucoup, il travaille pour des émissions télévisées, il fait des exports
de programmes (Koh-Lanta ou ce genre de truc !). »
M10 : « Après la première, elle ne roule pas sur l’or non plus. Le deuxième, il est
clairement cadre sup’ ! »
e) Niveau de compréhension, de langage
La langue n’est pas spécifiquement un frein pour consulter.
M4 : « Elle ne parle pas français, elle est d’origine indienne. »
M9 : « Non, il parlait bien le français. Il vivait depuis très longtemps en France »
En résumé, les âges extrêmes de la vie, le genre masculin, l’isolement, l’habitation dans des
milieux ruraux, certaines cultures et des difficultés financières sont des interprétations des
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médecins. Il n’y a cependant pas de règle concernant le statut social, le niveau d’études et de
compréhension.
3.5.2.2 Histoire du patient, caractère
Certains traits de caractère peuvent intervenir comme le pessimisme, le fatalisme ou même le
scepticisme sur l’intérêt d’aller consulter un médecin. L’histoire personnelle et familiale du
patient peut aussi influencer le délai de consultation.
a) Antécédents personnels et familiaux
L’histoire médicale du patient influence la rapidité de sa venue chez le médecin, de manière
positive ou négative.
M12 : « En fait, ça dépend du passé des gens. »
M11 : « C’est vraiment le terrain qui va jouer. »
M6 : « Je pense que certaines expériences personnelles, antérieures, pourraient avoir
attrait à la nouvelle pathologie et ça peut effrayer ou encourager. Tout le vécu
finalement de la personne. »
Si M8 trouve que de lourds antécédents médicaux ont tendance à faire consulter le patient
plus rapidement :
« Je trouve qu’ils ont plutôt amené les gens à consulter vite que tard. »
A l’inverse, les autres médecins se remémorent des consultations tardives avec des patients
ayant un important bagage médical, qu’il soit personnel ou familial. Cette antériorité médicale
va projeter différentes peurs sur le patient.
M13 : « Carrément ce qui les empêche de consulter, c’est que dans leur entourage
proche (…) la maladie a déjà eu un impact. (…) Donc le patient a une représentation de
la maladie au sein de sa famille parce qu’elle a atteint un autre membre de la famille et
il ne consulte pas parce qu’il ne veut pas avoir le même diagnostic de la même maladie.
(…) Ils font une association. (…) Parce qu’elle est réelle et très avancée dans un stade
pour les membres de leur famille donc du coup, eux, s’ils consultent, ils ont d’emblée la
mauvaise nouvelle donc ils ne consultent pas pour ne pas avoir la mauvaise nouvelle. »
M3 : « C’est peut-être parce qu’elle n’avait pas envie de se remettre dans une machine,
une machine à tumeurs (Rires). (…) Elle avait déjà eu une tumeur du sein donc elle
devait être un peu sensibilisée. »
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Parfois, les patients peuvent avoir une désillusion vis-à-vis du monde médical, freinant ainsi
le recours à un professionnel de santé.
M11 : « Avant, il y avait eu un passé avec je ne sais pas, une déception vis-à-vis du
milieu médical : ça peut arriver. »
Les addictions sont rapportées par plusieurs médecins, notamment à l’alcool et au tabac. En
effet, celles-ci sont souvent cachées par honte ou par peur d’être jugés par le médecin.
M11 : « Quand il y a des addictions et autres, ça fait parfois un retard diagnostic parce
que les gens ont peur d’aller consulter par peur d’être réprimandés sur leur problème
d’addiction. Ça, on en voit quand même assez régulièrement, qui se cachent de ça donc
tout de suite, ils pensent qu’il va y avoir un jugement au cabinet et donc ça retarde un
petit peu ou du moins, il n’y a pas forcément de consultation. »
Un terrain psychologique fragilisé peut aussi être en lien avec un retard.
M7 : « C’était quelqu’un qui avait un terrain psychologique extrêmement lourd, je
pense. »
M13 : « Très souvent, c’est quand même une pathologie, soit que l’on n’a pas dépisté
ou qui n’est pas encore en évidence aussi : soit des maladies psychiatriques, ou des
troubles psychiques importants qui empêchent la personne de consulter. »
b) Refus de soins, mauvaise adhésion au traitement
La majorité des médecins explique que les patients dont ils parlent ne veulent pas se faire
traiter avec une notion de refus d’acceptation d’un diagnostic.
M14 : « C’est qu’il ne veut pas entendre parler de cette hypertension quand même ! »
M7 : « C’était un monsieur qui n’avait pas trop envie qu’on l’embête. »
Si le diagnostic est accepté, alors ce sont les soins et la prise en charge thérapeutique qui sont
refusés.
M5 : « Elle était trop vieille, elle ne voulait pas se traiter, elle ne voulait pas s’en
occuper. »
M9 : « Après le frottis, elle refusait toujours que j’examine ses seins aussi depuis 10 ans
que je la connaissais : ‘’non, non, ce n’est pas le peine ! Je n’ai rien !’’ ».
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Dans une société de maîtrise, malgré ces comportements irrationnels, les médecins rapportent
aussi des propos de contrôle du corps chez leurs patients. Il est ressorti un refus de type
« maîtrise de soi », maîtrise de son corps :
M2 : « Comme diraient les gens : ‘’T’inquiètes, je gère !’’ (Rires) »
M8 : « Il y avait le côté ‘’maîtrise de son corps’’. »
Et même dans le cas d’une acceptation, l’adhésion au traitement n’est pas toujours optimale.
M12 : « Il profitait de son nouveau couple et de boire un peu. Et surtout de ne pas
respecter son traitement pour le diabète et la tension ! (Rires) »
M14 : « Ça le gonflait de prendre des médicaments et donc il ne venait pas. »
Ce comportement peut trouver en partie sa solution dans l’automédication qui va permettre au
patient de retarder le contact avec un professionnel de santé.
M7 : « Il y a le patient qui va dire : ‘’Oui, il y a vraiment un symptôme mais je n’ai pas
envie, ça me soûle d’aller consulter le médecin, je vais faire un peu
d’automédication.’’ »
c) Facultés intellectuelles, état mental
Pratiquement tous les médecins reviennent sur l’état cognitif des patients évoqués. Ici, il n’y a
pas de règles quant au « statut » des patients.
Tandis que certains patients sont parfaitement censés :
M2 : « Quelqu’un qui normalement a un cerveau qui fonctionne bien. Il n’est pas
dément avec sa femme qui a un cerveau tout aussi, qui marche tout aussi bien. »
M5 : « C’était une dame qui avait toute sa tête, elle était très valide. Elle tenait sa
maison toute seule. »
D’autres ont une démence débutante, pouvant altérer leur jugement et leur capacité à réagir
face à un symptôme possiblement alarmant.
M11 : « Et puis les personnes âgées avec des troubles mnésiques débutants, on les voit
assez tard pour certaines choses. »
M13 : « Et les démences aussi, ça peut jouer. »
d) Caractère propre à chaque patient
Le retard de consultation peut différer selon la personnalité des patients.
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M6 : « Ça dépend de la personnalité des gens. »
Le caractère discret de certains patients peut influencer le délai de consultation, soit par
timidité, soit par manque de prise de décision.
M7 : « C’était un monsieur qui était quand même très discret, mais dans tous les sens
du terme, c’est-à-dire qu’il était très discret dans l’accompagnement à la maison aussi.
Il intervenait assez peu sur l’éducation des enfants. Je pense qu’il intervenait assez peu
pour tout ce qui est de l’entretien du domicile (…) c’est un homme assez patient qui a
pris du temps pour venir me consulter. »
M9 : « Et il ne fait rien en fait. C’est un monsieur qui, à mon avis, n’arrive pas à
prendre des initiatives et qui peut-être a peur de prendre des initiatives, je ne sais pas. »
Certains patients ont des difficultés à communiquer avec leur médecin, entrainant un
sentiment d’échec pour ce dernier.
M6 : « Ils ne sont pas capables de le dire aussi et on va échouer. »
Les raisons financières sont ressorties, mais cette fois-ci, non pas par manque de moyens mais
par avarice pour le médecin n°1 :
« Elle est pingre et elle n’a pas encore compris qu’elle était prise en charge à 100%
(…) je m’imagine que plus tard elle voit le médecin, moins elle paie de visites (…) Je
pense que c’est parce qu’elle est pingre qu’elle n’appelle pas à temps. »
Et si ce n’est pas l’avarice alors ce peut être aussi la paresse de consulter.
M3 : « Pour ne pas s’embêter. »
M9 : « Je pense qu’il n’a jamais fait l’effort de venir consulter. »
Le caractère non plaintif du patient est mentionné chez le médecin n°9 :
« Voilà, c’est une personnalité où tout va bien ! Et puis, ça va, ça va et une espèce de
défense. »
Par ailleurs, certains patients semblent très résistants pour les médecins face à une douleur ou
des difficultés quelconques, jusqu’à être négligents.
M9 : « Je pense qu’il était très dur à la douleur. »
M10 : « C’est des gens qui ne s’écoutent pas trop. »
M9 : « Forcément si, elle s’est rendue compte. Mais elle a été négligente. »
D’autres se résignent et acceptent leurs symptômes sans demander de l’aide. Il y a alors une
certaine fatalité de leur destin.
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M10 : « Les gens sont assez impressionnants de résilience, ‘’tant que je n’en peux pas
plus, je continue.’’».
M13 : « Ils laissent tomber. »
M2 : « ‘’Oh, mourir de ça ou d’autre chose !’’ »
Le manque d’intérêt pour sa propre vie peut faire retarder le patient.
M4 : « Je pense qu’il n’y a pas grand-chose qui l’attache à la vie et curieusement, c’est
une personne qui, quand on la voit, est très gaie mais je pense que depuis que son mari
est décédé, il manque très sincèrement quelque chose. Elle était très liée avec son mari.
(…) Son mari n’est plus là, donc du coup : « Ba voilà, le moment sera venu d’aller le
rejoindre. Et si c’est bientôt, ça ne me pose pas de problèmes quoi. Ça ne me pose pas
de problème. »
Cette résignation allant même jusqu’à ne pas vouloir déranger le médecin pour M1 :
« ‘’Mais je vous ai dit de ne pas faire ça’’. ‘’Oui, mais je ne voulais pas vous
déranger.’’ »
La présence d’antécédents personnels et/ou familiaux peut influencer le délai de consultation
du patient, ainsi qu’un refus de soins ou une mauvaise observance.
Par ailleurs, nous notons que la discrétion, la pingrerie, la résignation ou le fatalisme sont des
traits de caractères évoqués par les médecins pour expliquer un retard. Un bas niveau
intellectuel n’en est pas une condition sine qua none.
3.5.2.3 Emotions du patient décrites par le médecin
D’autres facteurs interviennent également dans les représentations des patients, racontés par le
médecin. Des émotions telles que la peur, la culpabilité, la honte ou la peur de la
stigmatisation jouent un rôle dans le retard à la consultation.
a) La peur
Presque tous les médecins reprennent la peur comme émotion influençant le retard à la
consultation. Cette émotion d’anticipation informe l’organisme d’un danger potentiel. Elle est
subjective, tantôt réaliste ou irréaliste.
Ainsi, nous retrouvons dans les dires des médecins la peur décrite au sens large et non
spécifique.
61
M3 : « Ils sont morts de peur les gens. Ils ne le montrent pas toujours mais ils me le
disent ! Et je comprends (Sourire) (…) C’est la peur, c’est la trouille ! Ça motive ou ça
démotive ! (Rires) »
M9 : « Après, moi, j’ai quand même l’impression d’une façon générale que c’est quand
les gens ont peur. »
Plus généralement, certains médecins évoquent la peur de tout ce qui est lié au monde
médical, notamment les médecins dans sa globalité, autrement appelée le syndrome de la
blouse blanche.
M9 : « C’est quelqu’un qui déteste aller chez le médecin. (…) Souvent quand son fils
était mal, c’était sa grand-mère qui l’emmenait, c’est dire ! (Rires) (…) Tiens ! Sur
quatre, il y en a trois qui détestent aller chez le médecin. »
M2 : « C’est ‘’ne pas aller à l’hôpital’’, ça, c’est typique. Elle tarde autant que faire se
peut pour aller à l’hôpital. Il faut se battre pour l’envoyer à l’hôpital. »
M6 : « Oui, il y a certains patients, pour ces tumeurs-là par exemple, qui vont dire :
‘’Alors là, je suis foutu, une fois que je serai dans les hôpitaux, je vais mourir très
rapidement’’. Et souvent, ils ont raison ! (Rires) »
Paradoxalement, cette peur du médecin peut être si forte qu’elle peut surpasser celle de la
mort :
M12 : « C’était un monsieur qui disait : « De toute façon, moi, je n’ai pas peur de la
mort. Je préfère mourir plutôt que de venir chez le médecin.’’ »
Ainsi, plusieurs médecins rapportent la peur du diagnostic, la peur de la maladie, d’autant plus
que le pronostic peut être grave.
M7 : « Et puis, il y a le patient qui, à l’inverse, est hyper hypochondriaque et qui a
aussi vachement peur de ce qu’on va lui trouver, et qui du coup ne va pas venir en
consultation. »
M9 : « Quand j’ai un peu approfondi les choses, il m’a dit : ‘’j’avais peur que ce soit
un cancer’’. Et donc il n’a pas consulté parce qu’il avait trop la trouille qu’on lui dise
que ça pouvait être un cancer. »
M4 : « Je pense qu’au fond d’eux-mêmes, je pense qu’ils en sont conscients. Parce que
s’ils pensaient que ce n’était pas grave, ils viendraient tout de suite. Je pense qu’ils
savent que vraisemblablement ça peut ne pas être un diagnostic très sympathique et
62
qu’on peut leur annoncer une mauvaise nouvelle. Du coup, ils vont retarder un petit
peu (…) Mais c’est parce qu’ils ont, à mon avis, perçu le fait que potentiellement ça
pouvait être grave, qu’ils ne viennent pas tout de suite. »
Dont découle la peur des conséquences thérapeutiques (traitements médicamenteux,
interventions chirurgicales…) d’un éventuel handicap secondaire. Cette peur peut être
alimentée par leur histoire personnelle mais aussi par les médias.
M13 : « Ils se mettent l’impression de : ‘’je ne consulte pas parce que si je consulte, on
va m’amputer la jambe.’’ »
M9 : « En fait, il m’a répondu : ‘’Je n’ai pas voulu consulter tout de suite parce que
j’avais peur qu’on m’opère du cœur’’, alors qu’il savait que c’était le cœur. »
M7 : « C’est une dame qui a clairement peur de l’intervention médicale, qui a un esprit
très critique sur les statines pour des raisons qu’on sait ! Pas seulement la peur
personnelle, la peur collective aussi, générée par les médias. »
Enfin, certains évoquent la peur de la mort qui va retarder la consultation médicale car celle-ci
nous amène à remettre en cause notre état de santé.
M13 : « Donc pour certaines populations, je pense que ça va être la peur de la maladie,
la peur de la mort. Non, la peur de la mort directement parce qu’ils ne passent pas par
la phase maladie. »
b) Le déni
Le déni est une autre cause reprise par la majorité des médecins, pouvant expliquer le retard à
la consultation. Ce mécanisme de défense est utilisé pour signifier le refus d’une façon
inconsciente de la réalité, d’une maladie ou d’un handicap afin de se protéger.
M2 : « C’est le déni quoi ! C’est le déni, c’est la mauvaise nouvelle. On vous annonce
un cancer : donc vous n’entendez plus rien. Donc ‘’euh non, je ne suis pas malade !’’ »
M6 : « Parce qu’ils n’ont pas envie d’être malades, ils se disent que comme ils sont de
temps en temps bien, il n’y a souvent rien, donc la maladie n’existe pas finalement ! »
M8 : « Je pense que le déni sert justement à trouver de l’énergie. Enfin, c’est comme ça
que je l’analyse. »
63
c) Feindre de ne pas savoir
L’expression « faire l’autruche » est mentionnée par quelques médecins pour caractériser les
moyens de protection de certains de leurs patients pour faire face à leurs symptômes douteux
avec un espoir de guérison spontanée.
M1 : « Plus on fait l’autruche et on attend, et moins c’est grave. »
M3 : « C’est des pulsions, des contre-pulsions ! Je ne sais pas. (…) Des pulsions d’aller
vers quelque part ou justement d’être bloqué quoi. D’être bloqué par autre chose. Qui
sont bloqués, qui sont bloqués, qui font l’autruche quoi ! Ça permet d’être : on n’y
pense pas ! »
M7 : « Il avait l’air de faire croire qu’il ne comprenait pas mais en fait, je pense qu’il
en comprenait un petit peu plus. »
d) Anxiété, angoisse
Nous retrouvons une ambivalence concernant les émotions d’anxiété et d’angoisse que
peuvent ressentir les patients
Quelques médecins considèrent que les personnes angoissées consultent toujours plus vite,
tandis que d’autres ont le raisonnement inverse.
M12 : « Les angoissés n’arrivent jamais en retard ! (Rires) (…) On arrive à les détecter
les angoissés. Je ne pense pas qu’il y ait d’angoissés qui viennent tard, sinon ils ne
seraient pas angoissés. »
M6 : « S’il y a quelque chose d’angoissant sous-jacent, à ce moment-là, ça retarde la
consultation quand il y a de l’angoisse dedans (…) Ils vont être tellement angoissés
qu’ils vont être bloqués dans leurs pensées et il n’y a rien qui se passe, c’est pire ! »
e) Honte, culpabilité
La raison du retard semble parfois difficile à avouer pour le médecin n°3 qui retrouve de la
culpabilité chez ses patients.
M3 : « Les gens, ils sont un peu, ils ne sont pas trop fiers, alors ils n’expliquent pas. »
« Ba oui, elle est arrivée toute penaud ! (Sourire) ‘’ Docteur, vous n’allez pas être
content ! J’aurais dû faire ça, c’est de ma faute’’ ».
« Après, ils en veulent à personne, ils ne s’en veulent qu’à eux-mêmes donc voilà, c’est
eux qui ont choisi. »
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f) Tenter de jouer, de parier
Quelques médecins pensent que leurs patients tentent de jouer avec l’avenir et défient leur
destin. Certains testeraient leurs limites pour se familiariser avec le symptôme en question et
voir comme il évolue selon leurs activités par exemple. Toujours dans l’espoir que cela
s’améliore spontanément.
M3 : « Et donc comme elle n’avait pas de signe, bah, elle a parié quoi ! C’est un pari !
A mon avis ! Ça peut être une explication. »
M4 : « Je pense qu’il y a une certaine forme de … Ce n’est pas du jeu mais c’est titiller
un petit peu, c’est ‘’On va voir jusqu’où je peux aller’’. Je pense qu’il y a quelque chose
de cet ordre-là en fait. »
«Comme quoi, c’est un jeu aussi ! (…) Vous voyez, c’est de l’ordre du jeu un peu, elle
en joue ! (…) Je pense qu’il y a certainement un peu de l’ordre du défi. (…) Je pense
très honnêtement qu’il y a des patients qui testent un petit peu leurs limites, c’est-à-dire
jusqu’où ils peuvent aller quand même, je suis persuadé que c’est quelque chose qui
n’est pas si rare que ça. »
Allant parfois jusqu’à faire des actions potentiellement néfastes pour leur état de santé :
M9 : « Alors le patient avec sa douleur thoracique, il pensait que ça pouvait être le
cœur. En fait, ce qu’il a fait, c’est qu’il s’est testé lui-même, c’est-à-dire qu’il a fait
exprès de faire des efforts, de courir, pour savoir si ça reproduisait la douleur. (Rires).
Et en fait, non, ça ne l’avait pas reproduit à chaque fois qu’il avait testé ! Mais il avait
un peu joué avec le feu. C’est ce qu’il m’a dit : ‘’J’ai joué avec le feu’’. Parce que ça
aurait pu déclencher quelque chose ! »
En somme, les principales émotions évoquées par le médecin chez son patient sont la peur, le
déni, le fait de feindre de ne pas savoir, l’anxiété, l’angoisse voire la honte ou la culpabilité.
Ces ressentis peuvent freiner le patient à aller consulter. Tester les limites de son corps par
différents moyens avant de voir son médecin est aussi retrouvé dans les discours.
3.5.2.4 Représentations du symptôme
Le patient a ses propres croyances et représentations. Il aura donc sa propre idée de son
symptôme, de sa vulnérabilité, de sa capacité à se soigner et du pouvoir réel de la médecine à
changer le cours des choses.
65
a) Méconnaissance du symptôme
La quasi-totalité des médecins interrogés ont un ou plusieurs de leurs patients qui semblent ne
pas avoir conscience de leur état de santé.
M13 : « C’est vrai que la méconnaissance, je la rangerai comme un frein. »
M10 : « Après, il y en a plein qui ne se rendent pas compte du truc, ça passe, ça passe
jusqu’au moment où ! »
M5 : « C’est-à-dire qu’elle est complètement anosognosique de son trouble. Pour elle,
il n’y a pas de problème, sauf que elle ne vient pas pour ça d’ailleurs »
Cette inconscience peut parfois provenir d’un manque de connaissances médicales du patient.
En effet, le médecin n°8 fait un lien étroit entre l’éducation à la santé et le fait d’aller
consulter au bon moment.
« Je suis peut-être installée dans un quartier qui fait que j’ai une population qui est
quand même relativement éduquée. Je pense qu'il n'y a pas trop ce genre de
paramètres. »
Cette éducation provient soit de la société, soit du bagage personnel et familial du patient :
M6 : « C’est donc la méconnaissance un petit peu de certaines pathologies qui sont
connues globalement mais qui ne sont pas connues quand même de tout le monde. »
M8 : « Pour l’éjaculation précoce, il faut déjà prendre conscience que c’est un
problème, ce qui n’est pas forcément le cas. (…) Il faut déjà que la ‘’société’’ entre
guillemets leur envoie une image que c’est pathologique pour qu’après, ils aient l’idée
d’aller voir un médecin. »
Par ailleurs, cette méconnaissance peut porter tant sur la gravité du ou des symptômes
présents que sur leurs conséquences. C’est alors que coexiste une discordance entre le patient
qui trouve que son état n’est pas alarmant et le médecin qui s’en inquiète.
M2 : « Le patient n’a pas forcément cette conscience que ça peut s’aggraver très vite.
(…) Il n’a pas géré, il n’a pas jugé cette situation, lui, comme étant grave. »
M7 : « Alors elle, je pense quand même qu’elle ne mesurait pas l’impact que ça pouvait
avoir quand même ! »
M8 : « La méconnaissance de la gravité, ça peut être un facteur limitant à la
consultation. »
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Le degré d’urgence de prise en charge se trouve donc différent si l’on prend le point de vue du
patient ou du médecin.
M11 : « Et les patients ne voient pas toujours le degré d’urgence. »
M13 : « Elle n’a pas consulté tout de suite parce qu’elle ne savait pas que c’était
important. C’est après la consultation, a posteriori, qu’on s’est aperçu qu’elle aurait dû
consulter avant. »
Il s’agit d’un affrontement entre trois temporalités qui ne s’accordent pas. Si celle de la
maladie et celle du médecin qui mesurent le degré d’urgence sont similaires, il n’en est pas de
même pour celle du patient. Pour ce dernier, il peut s’agir d’une méconnaissance, d’un déni,
voire d’une indifférence.
b) Symptôme peu bruyant
Les symptômes en cause ne sont parfois pas très douloureux pour certains médecins et
d’évolution insidieuse sur une période de temps relativement longue, pouvant expliquer un
retard à la consultation.
M2 : « L’infarctus a été énorme mais la douleur n’était absolument pas en rapport avec
la zone du cœur infarcie. Une personne âgée peut faire des infarctus avec peu de
douleur. »
M7 : « C’est un peu comme toutes ces maladies, hypertension, diabète, cholestérol, qui
sont des maladies qui évoluent à bas bruit. »
Ces symptômes ne retentissent pas forcément sur la vie quotidienne.
M10 : « C’est assez incroyable. Et en fait, comme ils sont juste essoufflés mais qu’ils
peuvent vivre et qu’ils dorment et qu’ils n’ont pas mal. Il y a ça aussi, c’est le fait que
les gens n’ont pas mal, le fait que c’est la douleur qui fait venir les gens je trouve. »
c) Conscience du symptôme
A contrario, plusieurs médecins évoquent paradoxalement la conscience de l’état de santé des
patients qui ne vont pas consulter pour autant. Ce comportement de ne pas aller chez le
médecin alors que nous pensons avoir quelque chose de grave semble irrationnel et difficile à
expliquer par nos informateurs. Nous développerons ce sujet dans la discussion ci-dessous.
Le médecin n°4 analyse la réaction d’une de ses patientes qui a mis plusieurs mois avant de
consulter pour une boule dans le sein :
M4 : « Elle avait bien perçu qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. »
67
« ‘’Je préfère attendre un peu. Je vais essayer de me faire à l’avis que
vraisemblablement c’est ça, et après, j’irai. Pour l’instant, c’est peut-être trop
douloureux à accepter. Je ne peux pas envisager ça dans l’immédiat, même si au fond
de moi, je sais très bien… J’attends un peu et j’y réfléchis’’ »
M5 : « Elles savaient ce qu’elles avaient (…) Mais on voit souvent ça, enfin souvent,
des gens qui ont des symptômes et qui savent que ça peut être potentiellement grave et
qui ne vous en parlent pas. »
Pour beaucoup de médecins, plusieurs patients étaient aussi conscients de la gravité de leur
situation.
M7 : « Il était conscient de la gravité de sa pathologie. Enfin, il était en partie conscient
qu’il y avait un truc qui n’allait pas (…) Je ne peux pas vraiment savoir mais j’avais
l’impression quand même qu’il y avait des moments où il était lucide sur l’évolution. »
M9 : « Il se doutait que c’était un cancer. »
d) Mauvaise interprétation du symptôme
Plusieurs médecins expliquent que leurs patients font une mauvaise interprétation de leurs
symptômes, tant sur l’évolution :
M9 : « Il pensait que ça allait s’arranger tout seul. »
Que sur le diagnostic. Certains patients peuvent prendre un diagnostic pour un autre :
M1 : « La première dame dont j’ai parlée qui avait l’embolie pulmonaire, elle pensait
qu’elle avait une bronchite. »
« Elle a décidé que c’était les médicaments. (…) C’est son interprétation qui a fait qu’il
n’y avait pas d’urgence, puisqu’en fait, c’est un effet secondaire des médicaments. »
M11 : « Lui, je pense qu’il n’y a pas pensé à l’AVC, il a surement pensé peut-être
simplement à une fatigue. »
D’autres patients peuvent même considérer leurs symptômes comme normaux, et donc non
inquiétants.
M12 : « Pour lui, c’est tout à fait normal qu’à 56 ans on ait des difficultés à marcher,
une baisse d’autonomie et une restriction de ses activités quotidiennes. Mais non,
56ans, c’est encore jeune ! Mais dans certaines cultures, ce n’est pas le cas. »
M4 : « Alors ça, on voit des fois parce que les patients pensent que ce n’est pas
inquiétant. Parce que ça ne les inquiète pas. »
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Un médecin se souvient d’une mère qui a comparé le symptôme de sa fille avec la situation
qu’avait eu son autre enfant alors qu’il ne s’agissait pas du même âge, donc des mêmes
conséquences pronostiques et thérapeutiques :
M8 : « Le bébé s’était complètement déshydraté. En fait, elle avait une aînée qui n’était
pas beaucoup plus âgée qui avait une gastro et c’est vrai que les gastro à 1 an et demi –
deux ans, on attend que ça passe. Du coup, elle s’était dit un peu la même chose (…)
Elle ne s’est pas rendue compte qu’un bébé de 3 kilos qui perdait 300 grammes, c’est
qu’il se déshydratait. »
e) Mésestime du symptôme
Nous retrouvons à plusieurs reprises une sous-estimation des patients vis-à-vis de leurs
symptômes en cause, qui met en valeur la discordance entre les dires du malade et les
observations cliniques du médecin.
M5 : « Donc elle avait au moins 85 ans, et là, elle m’a avoué qu’elle avait quelque
chose dans le sein depuis très longtemps et qu’elle ne voulait pas non plus s’en occuper.
Quand j’ai soulevé le soutien-gorge, c’était plus que quelque chose, c’était une grosse
tumeur qui saignait. »
Avec une tendance à la minimisation des symptômes et à réduire l’importance de leurs
manifestations.
M12 : « Mais c’est vrai qu’une fois qu’elle a fait sa pneumopathie hypoxémiante, c’est
là qu’on s’est rendu compte que le tabagisme était beaucoup plus important que ce
qu’elle ne disait. »
Quelques médecins évoquent des mots du registre du mépris, de la négligence ou encore de la
banalisation des symptômes.
M5 : « Elle a traité ça par le mépris pendant des années (…) Traiter ça par le mépris ?
(Rires) Oui, c’est une expression que j’aime bien ‘’traiter ça par le mépris’’, moi, c’est
une expression que j’emploie pour dire aux gens qu’il n’y a rien à faire et puis, que ce
n’est pas grave et voilà ! »
M9 : « Je crois qu’il a banalisé les choses. Il se disait ‘’ça va passer, ça va aller
mieux’’. Il a complètement banalisé en fait. (…) Il a tardé par négligence, c’est
vraiment de la négligence lui. »
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f) Dissimulation du symptôme
La dissimulation du symptôme est parfois utilisée par les patients pour ne pas alerter leur
entourage ou leurs proches, ce qui peut retarder la consultation médicale.
M3 : « Elle ne voulait le montrer à personne, même pas à son amie (…) Elle a dit
qu’elle lui avait caché longtemps quoi. »
M5 : « Mais elle ne voulait pas le dire. Elle n’en avait parlé à personne, elle avait
gardé ça pour elle. »
Pour se faire, certains patients n’hésitent pas à utiliser différents stratagèmes afin de cacher
des signes physiques par exemple.
M5 : « Elle le cachait parce que volontairement elle ne se déshabillait pas, même chez
le cardiologue. Le cardiologue ne s'en était pas aperçu. (…) Elle a mis des cataplasmes
en sucre dessus pendant des années. Ah oui, et elle mettait du miel sur des
compresses. »
Se cacher est parfois un moyen de défense pour le patient, permettant de laisser un doute sur
une pathologie possiblement sans gravité. Ce qui peut rendre flou cette barrière entre le déni
et feindre de ne pas savoir.
M2 : « Non, non ‘’Je me cache, j’arrête.’’ »
M9 : « C’est plus ou moins conscient mais le fait de ne rien voir, je pense que c’est une
barrière que se sont mis les patients pour ne pas affronter les choses parce que je pense
qu’ils ont peur. Enfin, moi, je l’aurais vu comme ça. Mon ressenti, c’est ça. »
g) Type et localisation du symptôme
Les symptômes peuvent être atypiques avec une absence de signes pouvant alerter le patient,
comme un abcès pulmonaire sans fièvre, décrit par le médecin n°10 :
« Et puis, ça a monté, monté et aussi, ce qui est marrant, c’est qu’elle n’avait pas de
fièvre. »
De plus, la localisation de certains symptômes peut gêner le patient et le freiner pour en parler
au médecin, par pudeur, notamment pour tout ce qui concerne les parties génitales :
M2 : « Comme le kyste pilonidal, ce n’est pas un endroit que l’on va montrer
facilement. Et je crois que c’est ça qui avait bloqué. Je crois que s’il avait saigné du
nez, il serait venu beaucoup plus vite ! (Rires) »
70
M6 : « Notamment tout ce qui attrait à la sexualité : par exemple, la prostate chez
l’homme, tout ce qui est organes sexuels. »
M9 : « Il n’avait pas forcément envie de montrer cet endroit-là. »
Cette pudeur peut être alimentée par les tabous de la société, selon le médecin n°8 :
« Tout ce que la société fait que c’est tabou. »
Nous observons que la représentation du symptôme du patient est souvent décrite par le
médecin pour justifier le retard à la consultation comme : la méconnaissance ou non de celui-
ci, son caractère insidieux, son type et sa localisation. Le symptôme peut aussi être
faussement interprété (faussement rassurant), être sous-estimé voire dissimulé pour ne pas
alerter ses proches.
3.5.2.5 Facteurs liés à l’organisation des soins
a) Suivi médical plus ou moins régulier
Comme évoqué précédemment dans la temporalité, il n’y a pas de règle quant au suivi
médical des patients.
Certains n’ont aucun suivi médical en général, tandis que d’autres patients se présentent aux
consultations de façon plutôt régulière.
M9 : « Il ne venait jamais ! Alors c’était un monsieur qui fumait mais il ne venait
jamais. La dernière fois que je l’avais vu, c’était en 2005. »
M11 : « Pourtant il y avait sa famille d’ailleurs qui consultait régulièrement, elle, je ne
l’avais jamais vue. »
M9 : « C’est un monsieur que je vois par contre très régulièrement depuis une dizaine
d’années parce qu’il est tout le temps arrêté. »
Le patient peut être bien connu du médecin, ou pas du tout.
M14 : « C’est un monsieur qui vient à la maison de santé depuis 2001 donc depuis très
longtemps. »
M4 : « C’était un patient que je ne connaissais pas. »
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b) Importance de la relation médecin – patient
La relation de confiance entre les deux protagonistes est un élément déterminant dans la prise
en charge du patient et donc dans sa capacité à venir en consultation au bon moment, comme
le décrit explicitement un médecin :
M6 : « Si la relation n’est pas bonne, il ne vous parlera pas de certaines choses qui
l’inquiètent, qui sont sous-jacentes. Il va d’abord affronter le plus évident. Ce qui est
moins évident pour lui, il ne va pas l’affronter dans la consultation (…) »
Un médecin évoque la nécessité d’une relation de confiance afin de favoriser le dialogue entre
le patient et son médecin :
M8 : « On peut comprendre aussi que ce n’est pas à la consultation où ils voient
quelqu’un pour la première fois qu’ils ont envie de parler de ça, et qu’ils ont besoin de
créer un peu de confiance avant qu’ils n’y arrivent. »
Cette justification permet de comprendre plus facilement qu’un changement de médecin
traitant va entrainer une rupture de la relation de soins qui peut être à l’origine d’un retard de
consultation.
M7 : « Il y a eu cette rupture, puisque du coup, le médecin a changé donc est-ce que ça
a été un frein ? Ce n’était pas le même âge. L’autre médecin était installé depuis 30 ans
dans le cabinet. (…) La confiance médecin-malade (...), typiquement on sent
l’importance que ça a. »
M1 : « Elle n’a pas rappelé son médecin traitant de l’époque, c’est que visiblement elle
n’avait pas un lien assez fort avec lui pour lui faire confiance pour qu’il l’envoie à
l’hôpital (…) Ça faisait 12 ans qu’on se connaissait donc quand moi j’ai dit ‘’Il faut
aller à l’hôpital’’, elle a dit ‘’Ok’’. »
Le corps médical a aussi sa part de responsabilité, notamment s’il a faussement rassuré le
patient sur ses symptômes.
M8 : « Comme les gens lui avaient dit que ce n’était rien, elle avait un peu laissé
trainer (…) Ce n’était pas vraiment un facteur qui venait d’elle, mais qui venait du
monde médical. »
c) Organisation du cabinet
Plusieurs interprétations des médecins remettent en cause l’organisation du cabinet.
72
Le problème du secrétariat téléphonique fait partie de l’une des raisons du retard à consulter,
car cela peut faire obstacle à la rencontre du médecin qui est moins joignable :
M1 : « Il y a les mauvais fonctionnements des secrétariats. Voilà, il y a des facteurs
humains qui fait qu’on se rate quoi. »
M11 : « Parce que quand on a un secrétariat, ce n’est pas toujours évident. Ça met un
frein ! (…) Donc c’est bien les secrétaires, ça nous évite d’être toujours au téléphone
toute la journée mais ça met aussi un frein à ça. Et un retard parfois de diagnostic, de
consultation à cause de ça je pense. »
M13 : « Elle m’a clairement dit qu’il n’y avait pas d’accès au secrétariat et qu’elle
n’avait pas de rendez-vous. »
Ce qui amène à poser le problème de la prise de rendez-vous qui est souvent compliqué, quel
que soit le lieu d’exercice du médecin, avec des délais parfois importants ou des attentes trop
longues au sein même du cabinet en « sans rendez-vous » :
M12 : « Ça peut freiner certains. En tout cas, le premier frein peut être de ne pas avoir
de rendez-vous. »
M11 : « Même des gens qui vont consulter aux urgences et qui repartent parce qu’il y a
trop d’attente : ça arrive aussi. Et du coup, c’est vu plus tard. (…) En tant
qu’urgentiste, je vois aussi des gens qui disent : ‘’Oh bah ! Je suis venu, il y avait trois
heures d’attente donc je me suis dit que je reviendrai demain matin’’ et donc il y a un
retard de diagnostic à cause de ça aussi. »
M14 : « Il ne voulait pas attendre en salle d’attente. »
De même que pour les rendez-vous pour des visites à domicile.
M12 : « Et pareil s’ils exigent ou s’ils demandent à ce que le médecin vienne les voir à
domicile, ils peuvent attendre quelques jours parce que contrairement au cabinet où on
peut être reçu facilement, les visites à domicile sont moins fréquentes. »
La gestion de l’organisation du cabinet, notamment les horaires d’ouverture et de fermeture,
le nombre de patients vus par jour, peuvent aussi poser problème pour certains patients.
M12 : « Comme pour l’histoire du dimanche, il y a aussi des gens qui préfèrent
consulter soit tard le soir, soit tôt le matin parce qu’ils ont une autre vie à côté et qu’on
est dans une société où Google est là 24 heures sur 24. Ils n’arrivent pas à comprendre
pourquoi le médecin n’est pas là 24 heures sur 24 ! (Rires) »
73
d) Le médecin
Enfin, le médecin lui-même peut être un frein pour certains patients à aller le consulter.
M8 : « C’est vrai qu’il y a un médecin dans le quartier qui est très bourru, très sec. (...)
Apparemment, les patients se font engueulés et souvent ils me disent ‘’j’ai peur d’aller
le voir’’ donc je pense que ça doit être un facteur qui fait qu’ils consultent tard. »
M13 : « Ou quand ils nous parlent d’un symptôme, on ne va pas l’entendre ou l’écouter
selon nos références. Ça aussi, nous, on peut être responsable d’un retard de diagnostic
par manque de compréhension de comment les symptômes se présentent. »
Un médecin évoque le genre du médecin qui peut influencer la venue ou non de certains
patients, d’autant plus qu’il existe une certaine pudeur s’il est différent de celui du patient :
M8 : « Peut-être parce que je suis une femme jeune aussi, ça peut être à la fois une
confiance ou ça peut être une gêne. Peut-être que ça peut être un facteur limitant
aussi. »
e) Santé publique
Certains médecins trouvent qu’il existe de moins de moins de campagnes de dépistage, qui
pourraient rattraper certains retards, comme des messages s’adressant aux hommes :
M1 : « On disait autrefois, il y a bien longtemps, que quand le service militaire était
obligatoire, ça faisait un contrôle médical chez les hommes obligatoire entre 18 et 25
ans. Au moins, on était sûr qu’ils en avaient un. (…) Il n’y a plus chez les étudiants. Et
donc si on n’a pas de boulot tout de suite, il n’y a pas de médecine du travail et les
médecins du travail sont débordés donc c’est beaucoup moins souvent qu’avant. Il n’y a
plus de visite prénuptiale obligatoire alors qu’avant, on rattrapait un certain nombre
d’hommes à ce moment-là, à qui on disait : ‘’C’est là qu’on va vous faire une prise de
sang. Moi, je vous fais un bilan global’’, et là, on en profitait pour faire le sucre, le
cholestérol etc. Là, il n’y a plus. »
Le manque de médecins participe aussi aux retards de consultation, avec une restriction
d’accès aux soins. Ce problème est d’autant plus important que les patients sont éloignés de la
ville de Paris :
74
M11 : « On sait qu’aujourd’hui par rapport au fait qu’il y ait vraiment un manque de
médecins sur Paris, ça dépend où, ça dépend des secteurs mais à Paris banlieue, là,
c’est la catastrophe. (…) à cause de l’accès aux soins qui est difficile. »
« Effectivement, ici à Paris, je vois quand même moins de cas graves arriver en
consultation. Ça arrive mais c’est moins fréquent parce qu’il y a moins ce problème
d’accès aux soins. »
M13 : « Il n’y a plus de médecins dans mon quartier. »
Par ailleurs, quelques médecins soulèvent le problème de littératie en santé.
Cette dernière se définit par la capacité d’une personne à trouver, à comprendre, à évaluer et
à utiliser une information sur la santé afin de prendre des décisions éclairées concernant sa
propre santé ou celle d'un proche. Nous reviendrons sur ce concept de littératie dans la
discussion.
M8 : « De temps en temps, les patients ne savent pas si c’est à moi qu’il faut s’adresser.
Ils ne savent pas s’ils doivent aller voir directement quelqu’un. »
Le manque d’information et l’effet des médias peuvent aussi influer sur le retard des patients,
c’est l’avis de ce médecin qui déclare :
M7 : « Peut-être un manque d’information, ça, je pense que ça joue vraiment
beaucoup. »
« Il y a quand même un effet média. »
Un suivi médical non régulier ne fait pas toujours partie de l’interprétation d’un retard à la
consultation mais la relation médecin-patient tient une grande importance. L’organisation du
cabinet, le médecin lui-même et le manque de messages de prévention sont aussi des facteurs
de retard selon les médecins interrogés.
3.5.2.6 Impossibilité des médecins d’expliquer les raisons d’un retard
Pourquoi certains patients ne suivent pas les recommandations des médecins, même lorsqu’ils
ont conscience que ce comportement est mauvais pour eux ? Ils devraient le faire, non
seulement du point de vue de leur médecin mais aussi de leur point de vue. Pourtant, certains
patients tardent toujours à consulter. Cet aspect paradoxal peut être perçu par le médecin par
75
une réaction d’incompréhension avec impossibilité de trouver des raisons, qu’elles soient
rationnelles ou non.
a) Aucune explication amenée par le médecin
Dans certains cas, les médecins sont incapables d’avancer une quelconque raison au retard de
leurs patients.
M2 : « Pour être franc, je ne sais pas pourquoi il n’a pas, il n’a pas … il n’a pas eu la
bonne réaction ! »
M10 : « Non, je n’ai pas de réponse. »
M11 : « Là, je n’ai pas su le pourquoi du comment. »
b) Le retard est universel et fréquent
Tous les médecins interrogés ont eu au moins une fois dans leur carrière des cas qu’ils
considèrent comme des retards à la consultation :
M3 : « Il y a plein de gens qui sont comme ça.»
Sauf un médecin :
M8 : « Je trouve presque qu’ils ont tendance à consulter trop vite, que trop tard, avec la
culture du ‘’tout, tout de suite’’. »
Le médecin n°10 rapporte même qu’un retard de consultation arrive à tout le monde, y
compris les médecins eux-mêmes :
« Voilà, ça existe pour nous tous (Sourire). »
c) Le retard peut être multifactoriel
Parfois, les raisons sont multiples et difficiles à individualiser.
M6 : « Alors là, après, il y a de multiples raisons à cela. »
M8 : « Je pense qu’il y a beaucoup de facteurs qui font qu’ils n’osent pas en parler,
qu’ils tournent souvent autour du pot et on sent qu’au bout de plusieurs consultations,
ils n’arrivent pas à nous le dire puis qu’ils nous le disent. »
M13 : « Après il y a de multiples facteurs qui font qu’il n’a pas consulté. »
d) Difficulté de distinguer le rationnel de l’irrationnel
Les causes sont plus ou moins rationnelles selon certains médecins interrogés.
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M3 : « Mais là, elle, elle avait des raisons. Elle, c’était parce qu’elle avait déjà eu une
tumeur. Il y a des gens, c’est le contraire. »
M8 : « Je pense plus à des choses psychologiques où les gens vont mettre du temps à en
parler, plutôt que des symptômes physiques. »
M12 : « Ça dépend de l’imaginaire des gens. »
Nous constatons que les allégations des médecins peuvent s’interpréter à l’inverse de leur
représentation. Cette question de la rationalité et de l’irrationalité mérite d’être reprise lors de
la discussion.
3.5.3 Ressenti des médecins face au retard
Les médecins que nous avons rencontrés évoquent volontiers leurs émotions et sentiments à
l’égard de ces situations. Ici, la subjectivité est à l’œuvre, dans ce registre des émotions et des
sentiments.
Si pour un bon nombre le ressenti est péjoratif, pour les patients ou pour eux-mêmes, il existe
aussi des expressions plus positives. Ce qui domine les affects des médecins, c’est le
sentiment d’inquiétude ou de peur pour leurs patients mais aussi de stress, de mal-être, voire
d’angoisse pour eux. Si la colère peut les gagner, ils sont parfois saisis de tristesse. D’autres
émotions émergent, en particulier le sentiment de stupéfaction et d’incompréhension ainsi que
d’échec et de frustration.
Seules la bienveillance, la compréhension et l’empathie viennent balancer ces affects négatifs.
Pour exprimer leur ressenti, ils s’appuient sur des anecdotes marquantes :
M2 : « Le diagnostic retardé que je me souviens, c’est forcément les histoires de chasse.
Et c’est les trucs graves. »
M3 : « Je m’en rappelle donc ça me marque. »
3.5.3.1 Ressenti négatif
a) Peur et inquiétude pour le patient
Les conséquences du retard pour le patient peuvent faire peur à plusieurs médecins interrogés.
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M1 : « Elle m’a fait peur. Rétrospectivement, j’ai eu super peur pour elle. »
M7 : « Mais franchement, j’ai eu peur ! »
Certains sont même inquiets pour le devenir du patient.
M7 : « Evidemment, je suis inquiète. »
M13 : « Ça serait quand même bien qu’on se dépêche ! Je lui dis : ‘’Je vous envoie
quelque part’’, mais ça faisait vraiment cancer. »
b) Stress, mal-être, angoisse
Ces situations peuvent angoisser car elles sont anxiogènes pour les deux protagonistes.
M2 : « Je pense que c’est plutôt ça et c’est peut-être le médecin qui est plus en angoisse
là. »
M10 : « Alors là, je te parle de cas qui m’ont marqués donc clairement, oui, ces deux
cas m’ont angoissés. »
M3 : « Moi, je suis plutôt anxieux, donc voilà (Rires). »
La situation peut engendrer un état de stress chez certains médecins, ainsi qu’une gêne, un
malaise car les symptômes ne sont pas pris à temps et le pronostic peut s’aggraver plus ou
moins rapidement.
M13 : « Moi ; je me suis mise dans plusieurs états de stress, d’activation. »
M7 : « J’étais bien embêtée. »
M11 : « Donc c’est toujours un peu délicat à prendre en charge. »
c) Tristesse, colère
Plusieurs médecins sont même malheureux quand les conséquences sont graves, voire
révoltés car ils en veulent presque à leurs patients d’avoir tardé si longtemps à consulter.
M1 : « Ça m’a crevé le cœur. »
M3 : « J’étais malheureux pour elle quoi. »
M1 : « Ça a été terrible, ça me mettait dans un état de colère. »
d) Culpabilité, sentiment d’échec et d’impuissance
Certains retards à la consultation mettent la position du médecin en difficulté et peuvent faire
ressortir de la culpabilité.
M1 : « Moi qui suis tellement culpabilisée quand je trouve qu’il y a un retard, que c’est
moi qui suis toujours étonnée que les gens maintiennent la relation. »
78
M12 : « Et je me suis dit que si on l’avait pris en charge un peu plus tôt et qu’on avait
pensé à une pneumopathie hypoxémiante…C’est vrai que je n’avais pas fait attention
au tabagisme. »
M12 : « Peut-être que je n’étais pas assez clair dans mon discours ou que je ne me suis
pas fait tout à fait comprendre parce que entre ce qu’on dit aux gens et ce que les gens
retiennent, il y a un écart. »
Ainsi, découle souvent une remise en question de la façon d’exercer des médecins qui le
prennent parfois comme un sentiment d’échec et de frustration :
M13 : « Je n’ai pas encore trouvé la solution d’approche, je n’ai pas trouvé. Je n’y
arrive pas en fait. »
M1 : « J’ai jamais réussi à lui faire entendre qu’il fallait qu’elle appelle plus tôt. »
M6 : « Ils ne sont pas capables de le dire aussi et on va échouer. »
Ces attitudes de la part des patients peuvent entraîner chez certains médecins un sentiment
d’impuissance et de résignation comme être face à un mur :
M14 : « Il n’entend pas ce qu’on lui dit. »
M6 : « S’il n’a pas envie de se soigner, vous ne pouvez rien faire de toute façon. C’est
aussi possible qu’il refuse finalement les soins. »
Cette impuissance peut aussi se ressentir dans les actes de prévention mis en œuvre par le
médecin pour lutter contre ces retards :
M13 : « C’est là où mon travail est très difficile parce que je ne parviens pas encore à
leur changer leurs représentations pour les faire venir chez moi plus souvent ou plus
fréquemment. »
e) Stupéfaction, incompréhension
La majorité des médecins est souvent étonnée de la réaction de leurs patients, que ce soit sur
le délai d’attente avant de consulter ou leur comportement, allant parfois jusqu’à
l’incompréhension avec une projection sur soi-même.
M4 : « Donc (rires) je suis un peu resté comme deux ronds de flan quoi ! (…) Donc, là,
j’avoue, je suis resté extrêmement perplexe. »
M5 : « Donc j’ai trouvé ça fou si vous voulez. »
79
M9 : « Et moi, je suis étonnée qu’il ait tenu avec ses douleurs là pendant tout ce temps-
là. » « Alors moi, je ne peux pas imaginer qu’elle ne se soit pas dit : ‘’c’est peut-être
grave ce que j’ai au niveau du sein.’’ »
3.5.3.2 Ressenti positif
a) Bienveillance, compréhension
A contrario, beaucoup de médecins sont dans la bienveillance et comprennent quelquefois le
retard de certains patients. Ils respectent leur décision, sans leur en vouloir.
M5 : « De toute façon, j’allais dans son sens. Je pense qu’effectivement, à cet âge-là,
90ans, une tumeur du sein qui ne pousse pas, même si c’est gros, même si ça saigne, ce
n’est pas ça, elle n’allait pas mourir de ça. »
M13 : « Donc je comprends pourquoi ils ne viennent pas me voir. »
M3 : « Je ne leur en veux pas du tout. »
M7 : « Il n’y avait ni rancœur ni quoique ce soit »
b) Empathie
Plusieurs médecins tentent de se mettre à la place de leurs patients, de comprendre leurs
réactions pour mieux les accompagner.
M2 : « J’imagine que ça doit retentir sur le morale quand même, quelque part ! Moi, je
n’ai pas mal tous les jours ! »
c) Soulagement lorsque le diagnostic n’est pas grave
Quelques médecins manifestent leur soulagement lorsque le retard à la consultation n’a
finalement pas de graves conséquences pour le patient.
M2 : « Heureusement que ce n’était pas un infarct ! »
M10 : « Moi qui ai failli lui annoncer un diagnostic de début de cancer et bien, j’étais
bien content que ce soit une pleurésie purulente ! »
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3.5.4 Retentissement pour le patient
3.5.4.1 Facteur déclenchant la consultation
Avant de parler des conséquences du retard pour le patient, nous nous intéresserons au facteur
déclenchant la consultation médicale, c’est-à-dire le déclic qui a finalement poussé le patient à
voir son médecin traitant.
Beaucoup de médecins mentionnent une alerte par la famille des patients qui pousse à
consulter ou bien un évènement extérieur :
M7 : « Je pense qu’il y a eu un déclic quand sa famille lui a dit : ‘’Là, maintenant, il
faut que tu ailles consulter un médecin parce que vraiment, ça ne va pas !’’ (…) Je
pense que c’est la famille qui a été le déclencheur. »
M3 : « C’est son amie qui l’a forcée à venir. »
M6 : « Ils viennent à cause d’un évènement. Quelque chose qui les a effrayés,
bousculés, mis sur le chemin. Ça mûrit dans leur tête. »
La douleur peut être un élément déclencheur.
M5 : « Donc en fait, c’était une motivation plus de douleur chez cette dame. »
M10 : « Le fait que c’est la douleur qui fait venir les gens je trouve. »
La majoration du symptôme ou l’évolution traînante peut faire mener le patient plus vite chez
le médecin.
M4 : « Elle est venue parce que c’était devenu trop gros. »
M5 « Et puis, là, vraiment, ça devenait important puisque ça saignait vraiment
beaucoup, donc c’est là qu’elle me l’a dit. »
M14 « Et à un moment, il était dans un état d’épuisement, tout jaune, enfin vraiment
dans un mauvais état, et là il atterrissait en salle d’attente toujours en catastrophe ! »
L’impossibilité de réaliser des activités antérieures peut être un élément déterminant pour
aller à la consultation médicale.
M9 : «Il ne pouvait plus aller travailler. En fait, c’était ça. Il ne pouvait plus aller
travailler alors que vraiment, il avait besoin de travailler. C’était ça sa motivation. »
M10 : « Et lui, l’excuse, c’est que ça ne le gênait pas jusqu’au moment où ça a vraiment
fini par le gêner dans sa vie quotidienne. »
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3.5.4.2 Conséquences du retard pour le patient
a) Effets néfastes allant jusqu’à la mort
Plusieurs médecins se souviennent surtout de cas de patients dont le retard a entrainé une
altération de la qualité de vie, une majoration des traitements médicamenteux voire accéléré la
mort du patient.
M9 : « Oui, mais c’était trop tard parce que quand il est arrivé en consultation, il ne
pouvait quasiment plus manger, il n’y a plus rien qui passait. »
M10 : « Au décours : choc cardiogénique ayant nécessité un transfert en réanimation. »
M10 : « Elle a eu au moins trois ou quatre drains, les antibiotiques etc. »
M1 : « L’un est mort d’un cancer du poumon, et l’autre, il est mort d’un cancer
métastasé osseux. »
b) Conséquences par rapport à la vie antérieure
Quelques médecins évoquent des changements importants dans la vie des patients, notamment
dans le cadre de leur travail ou des difficultés à refaire leurs activités antérieures. Il y a là une
notion de rupture entre la vie d’avant et celle qui suit.
M9 : « Elle ne s’est pas occupée de ses papiers pendant les deux ans de son traitement,
elle ne payait pas ses loyers. »
M9 : « On a obtenu un aménagement de poste au travail parce que son chef lui
demandait de faire des choses qu’elle avait du mal à faire (...). Donc on a pu avoir un
aménagement de poste grâce à la médecine du travail. »
A l’inverse, d’autres parlent d’un maintien de la vie antérieure, sans trop de changements,
avec parfois un effet bénéfique.
M12 : « Ce qui est marrant, c’est qu’il continue à travailler. »
M10 : « Et donc elle va très bien et elle a arrêté de fumer. »
Un médecin évoque même un renforcement motivationnel de la part du patient après ce
retard :
M7 : « Ah complètement, c’est-à-dire que c’est le revers de la situation ! Je pense qu’il
est arrivé en se disant : « Ça y est, maintenant je suis devant le médecin. OK, j’ai
trainé, mais maintenant, je ne déconne plus (…) Il a réduit sa consommation d’alcool. »
82
Heureusement, les conséquences d’un retard sont parfois réversibles, comme le précise un
médecin :
M9 : « Le lendemain de l’opération, toutes ses douleurs ont disparu. Il avait une VS à
100 quand on a fait le bilan, une anémie inflammatoire et le lendemain de l’opération,
ses douleurs ont disparu.»
c) Augmentation des consultations médicales après le retard
S’ensuivent alors des consultations plus nombreuses entre le patient et son médecin pour
lutter contre les conséquences du retard. Certains sont « obligés » de subir ces consultations :
M10 : « Et l’autre, il est beaucoup suivi en cardiologie maintenant donc je le vois
beaucoup moins, et je pense qu’il n’a pas non plus tellement envie de me voir. (…) De
toute façon, il n’a pas le choix, il a les cardiologues qui lui tombent dessus s’il ne prend
pas son traitement ! Donc ça change. »
Tandis que d’autres ont finalement pris le retard comme un comportement à ne plus
reproduire :
M4 : « Et à un moment, j’ai même cru qu’il avait aussi un comportement comme ça
avec moi, le besoin de venir me voir toutes les semaines. »
Nous notons que le déclic des patients pour aller consulter leur médecin peut se manifester de
différentes façons, que ce soit la douleur, la majoration du symptôme ou une alerte extérieure.
Les conséquences en sont plus ou moins graves. Tandis que certains vont adopter un
changement de comportement en étant plus « attentifs » à leur santé et en consultant plus
facilement, d’autres auront une altération de leur qualité de vie et de leur état de santé, allant
même jusqu’au décès.
3.5.5 Stratégies de prise en charge du médecin
3.5.5.1 Ne pas culpabiliser le patient
Plusieurs médecins ajoutent qu’ils ne veulent pas culpabiliser le patient lorsque le retard a des
conséquences négatives. Cela se traduit par l’absence de questionnement au sujet de ce retard,
pour ne pas faire ruminer le patient. Il n’y a jamais de discours moralisateur :
83
M4 : « Je ne vais pas aller leur dire : ‘’Oui, vous vous rendez compte ! Vous auriez dû
venir il y a un an, c’est scandaleux ! Regardez dans quel état vous êtes alors qu’on
aurait pu … !’’ A quoi ça sert ? Ça ne sert à rien. C’est complètement stupide. Les gens,
on va les mettre mal et ça ne va rien changer. »
M7 : « Mais du coup, c’est vrai que c’est quelque chose que j’évite d’aborder parce que
dans mon esprit, je ne veux pas les culpabiliser encore plus d’avoir trop traîné. »
M9 : « Alors du coup, peut-être que ça change quand même la relation parce que du
coup, je n’aborde pas le sujet en fait non plus. Mais dans mon esprit, c’est plutôt pour
éviter d’enfoncer le clou, parce que je pense que eux, ils doivent se dire : ‘’Si j’avais su,
j’aurais dû consulter plus tôt. Peut-être qu’on aurait pris les choses plus tôt etc.’’ »
Bien que la réponse à la question du retard puisse être intéressante à savoir pour éviter que ça
ne recommence :
M9 : « Non, parce que je trouve ça plutôt intéressant de comprendre pourquoi ils n’ont
pas consulté plus tôt. Alors pourquoi je ne posais pas la question ? Je pense que la
réponse, c’est ce que je disais, je n’avais pas envie de rajouter, de les culpabiliser
encore plus ou de les mettre devant le fait. »
En effet, la plupart n’ose pas poser la question du « pourquoi » qui est presque tabou, sauf
pour un médecin :
M13 : « Je ne poserai jamais la question : ‘’Pourquoi vous n’êtes pas venu avant ?’’
(…) Je ne la formule jamais comme ça, jamais. J’ai trouvé une manière de demander
qui est : ‘’Qu’est-ce qui vous a empêché de venir plus tôt ?’’. Je vais directement
chercher les raisons. »
Ce travail de recherche a même changé la pratique d’un médecin autour de ce sujet, après
réflexion :
M9 : « Alors c’est vrai que ce qui est intéressant, ça me vient à l’esprit, pourquoi ils ont
attendu si longtemps et en fait, il n’y en a qu’un à qui j’ai posé la question. C’est le
monsieur avec le sinus pilonidal mais j’ai posé la question parce que je savais que tu
faisais ta thèse dessus, à ce moment-là. C’est un cas qui est venu après ! (Rires) »
84
3.5.5.2 Respecter le choix du patient
Certains médecins respectent la temporalité propre au patient et ses choix, à condition que
cela ait été précédé d’une information libre et claire :
M9 : « Je me suis dit, tiens, je vais la laisser mûrir un petit peu tout ça, et je m’étais
donné un mois. »
M14 : « Mais en tout cas, je lui ai dit qu’il pouvait venir. »
M2 : « ‘’Ecoutez, j’ai fait mon boulot de vous informer ! Maintenant, vous êtes
libre !’’ »
3.5.5.3 Demande d’examens complémentaires et d’avis spécialisé
Les médecins n’hésitent pas à demander des bilans d’imagerie ou à envoyer vers leurs
confrères généralistes ou spécialistes en faisant jouer leur réseau afin d’accélérer la prise en
charge, une fois que la première consultation a été effectuée.
M12 : « ‘’Par précaution, je préfère quand même que vous fassiez une imagerie.’’ »
M14 : « On l’avait présenté en staff. »
M10 : « Je l’ai envoyé à Saint Joseph chez une collègue, une copine qui est cardiologue
là-bas. »
M14 : « J’avais appelé Dr G. qui est une hépatologue super bien (…) Quelque part, j’ai
trouvé l’hépatologue qui acceptait sa manière de fonctionnement. »
L’utilisation d’Internet est aussi mentionnée pour aider les médecins dans la démarche
diagnostique :
M9 : « Alors en fait, vu ses douleurs articulaires, j’étais partie sur un rhumatisme.
Donc j’ai fait des radios du genou et ces radios ont montré un aspect particulier :
épaississement du périoste au niveau des deux os. (…) Donc, je suis allée regarder sur
internet et ça pouvait rentrer dans le cadre d’un syndrome paranéoplasique».
3.5.5.4 Adaptation du médecin en fonction du patient
La majorité des médecins adapte la prise en charge en fonction de l’âge ou du terrain.
85
M11 : « Mais il y a toujours le terrain aussi qui joue, forcément ! (…) Soit j’appelle
l’ambulance, des patients âgés, on organise déjà tout et on voit avec la famille pour
qu’on soit sûr que ça se passe comme ça. »
M14 : « L’action qu’on a eu pour lui, c’est d’abord le mettre en file d’urgence. Il fait
partie des passages devant tout le monde en sans rendez-vous. »
M13 : « Au moins on connait un peu mieux les contraintes de vie ou la vie du patient
pour laquelle nous, nous avions une représentation qui était pré établie, qui était déjà
toute faite. »
3.5.5.5 Tentatives de négociation et de persuasion
Quelques médecins essaient de négocier avec leurs patients pour limiter les retards, et les
convaincre de moyens de dépistage par exemple.
M7 : « Et qui me dit qu’elle ne veut pas de statines. (…) Je la mets sous Arterin fort®,
c’est de la levure de riz rouge. En fait, c’est une statine mais naturelle, qui n’est pas
remboursée par la sécurité sociale. »
M9 : « Alors j’ai discuté pendant trois quarts d’heure avec elle pour essayer de la
convaincre etc… Rien à faire ! »
3.5.5.6 Importance de la prévention
L’une des préoccupations des médecins qui constitue aussi une réponse à la problématique du
retard à la consultation est la prévention. Au-delà se pose la question de l’éducation à la santé,
prendre soin de soi bien avant que la maladie ne fasse son œuvre. Les informateurs incitent
sur la qualité de la relation de soin et de l’alliance thérapeutique pour créer un lien de
confiance et une écoute réciproque.
a) Information éclairée et éducation thérapeutique
L’information éclairée et l’éducation thérapeutique font partie intégrante de la pratique des
médecins interrogés, quel que soit le temps consacré, dans une volonté de prévention.
M4 : « Moi, je pense qu’il faut les informer. Je pense qu’il faut leur dire ce qu’ils
risquent. Il faut les informer. (…) Je pense que très honnêtement quand les gens, on leur
86
explique bien les choses ; d’abord, on lutte beaucoup mieux contre quelque chose qu’on
connait, donc il faut leur expliquer les choses et voilà. »
M6 : « Il n’y a que l’information médicale et la culture générale qui peuvent améliorer
la situation à mon avis. (…) Tout simplement, pour se rendre compte qu’un petit
symptôme apparent peut éventuellement révéler une maladie plus grave. »
Cette information est adaptée au patient, à ses antécédents personnels et familiaux. Il s’agit là
d’une prévention individualisée et personnalisée :
M8 : « Expliquer à un coronarien qu’il re-consulte s’il a une douleur thoracique ou
avec un haut risque cardio-vasculaire, je pense effectivement que ça fait partie du
rôle de dire : ‘’Vous n’attendez pas, vous allez aux urgences, vous m’appelez tout de
suite’’. Donc je pense qu’on a en partie un rôle en expliquant les symptômes au patient.
Pareil, pour les femmes, il faut leur expliquer qu’elles se palpent les seins et que si elles
trouvent un truc anormal, même si elles ont l’impression que ce n’est rien, qu’elles
viennent nous voir. Ça, je pense que c’est un truc qui peut aussi influencer la vitesse
pour éviter les retards à la consultation. Je pense que, dans ce sens-là d’éducation du
patient, ça peut avoir un rôle. »
b) Importance de la relation médecin – patient
Comme indiqué précédemment, la relation de confiance est primordiale afin d’accompagner
le patient et peut jouer un rôle de prévention en tant que tel.
M6 : « Si vous avez une bonne relation en tant que médecin avec votre patient, le
patient viendra très facilement se confier et nous parler de ses problèmes, même s’il
pense que ce n’est peut-être pas si grave que ça, mais si la relation n’est pas bonne, il
ne vous parlera pas de certaines choses qui l’inquiètent, qui sont sous-jacentes. »
M7 : « Et il y a une relation de confiance qui est importante, clairement ! »
M1 : « Ce qui ne va pas, c’est quand le retard induit une rupture de la relation, parce
qu’il y a une rupture de dialogue à un moment, quel que soit la faute. »
Et cette relation a de l’importance uniquement si le médecin arrive à accéder aux
représentations du patient, selon un médecin :
87
M13 : « Je ne pense pas que ce soit une histoire de confiance avec le médecin, c’est
comment les faire parvenir eux aussi à changer de représentation si vous, vous êtes
parvenu à trouver ce qui les empêche de venir. »
c) Le rôle des dépistages tient une place importante
Plusieurs médecins participent aux campagnes de dépistage afin d’éviter des retards de
consultation.
M9 : « Et je lui courais après pour faire un frottis. »
Seul un médecin trouve que la prévention est déjà bien instaurée en France, sans nécessité
d’augmenter les campagnes :
M4 : « Je ne crois pas, je ne vois pas très bien ce qu’on pourrait faire quoi. Je ne pense
pas que ce soit un problème de prévention. Je pense très honnêtement que maintenant,
les gens sont bien informés. Ils savent bien que plus tôt on diagnostique, et a priori,
mieux, enfin, plus les chances de guérison augmentent. Je pense que ça, les gens l’ont
bien perçu. »
Certains médecins essaient même de repérer des profils de patients pouvant tarder à consulter,
pour augmenter les efforts de prévention :
M1 : « J’essaie de repérer les gens où je vois bien qu’ils vont appeler trop tard, à mon
sens (…) De là à changer ses pratiques, ce n’est pas vraiment, c’est vraiment individuel
quand même. »
d) Les médias participent à ce rôle de dépistage
Faire de la prévention via les médias est une bonne solution pour certains médecins.
M11 : « Oui, je pense qu’on pourrait essayer de faire plus de prévention via peut-être
les médias, la télévision, surtout que les personnes âgées ont quand même tendance à
regarder pas mal la télévision. »
M6 : « Je pense que les programmes de prévention, de sensibilisation pour certaines
pathologies comme le dépistage du cancer du sein ou colo-rectal, c’est très intéressant
parce que ça fait revenir régulièrement des idées. Ça répète que c’est nécessaire. »
e) Jouer sur la peur pour faire consulter plus vite
Quelques médecins utilisent encore la peur pour faire venir leurs patients plus vite.
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M11 : « Et j’essaie quand même de faire un petit peur entre guillemets, par rapport à ce
que ça peut être et la gravité, ce qu’il peut y arriver comme conséquences à ne pas aller
consulter en urgence. »
En somme, le médecin réagit différemment quand son patient tarde à consulter mais nous
observons des comportements qui se rejoignent. Ne pas culpabiliser le patient et respecter
son choix sont des priorités pour chaque médecin interrogé. Découlent alors des prises en
charge personnalisées avec des adaptations du professionnel de santé en fonction de
chaque patient, des tentatives de négociation, de persuasion ou d’apeurement. La
prévention est personnalisée en tentant de repérer avant les patients susceptibles de tarder à
consulter.
89
4. DISCUSSION
L’objectif de ce travail était d’analyser les représentations des médecins concernant leurs
patients qui consultent tardivement, en abordant la dimension temporelle ainsi que leurs
interprétations.
Les objectifs secondaires étaient d’étudier le ressenti des médecins face au retard, leur prise
en charge, ainsi que le retentissement pour le patient.
Réaliser ces entretiens a permis de mettre en évidence de nombreuses raisons pouvant faire
retarder le patient à consulter.
Le retard à la consultation est un problème relativement fréquent en médecine générale.
Tous les médecins interrogés ont pu nous raconter des récits de patients ayant consulté
tardivement, parfois seulement sous forme de généralités. Chaque médecin a eu au moins
deux exemples à raconter. Il s’agit d’un thème relativement fréquent autour duquel les
médecins ont pu aisément discuter et réfléchir. L’un des interlocuteurs nous raconte même sa
propre expérience en tant que patient qui a tardé à consulter pour un symptôme douteux.
M10 : « Il y en a plein. On peut dire que moi, j’ai eu un retard diagnostic au moment de
la P1. J’avais un truc et c’était les concours, j’ai minimisé le truc, je n’aurais pas dû.
Mais ce n’était pas parce que je n’avais pas envie de savoir mais parce qu’il y avait les
concours à passer et allez-vous faire foutre, ça tombe fin janvier ! Voilà, ça existe pour
nous tous (Sourire).On a parfois d’autres priorités ! »
Nous n’avons eu aucun refus de médecins à cause d’un désintérêt pour le sujet, mais plutôt
par manque de temps.
4.1 Validité interne de l’étude
4.1.1 Forces de l’étude
Cette étude qualitative explorant le vécu et les représentations des médecins autour du retard à
la consultation est la première étude, à notre connaissance, avec une perspective sociologique.
90
Peu de travaux sont retrouvés à partir du point de vue des médecins eux-mêmes. Il s’agit
d’une approche originale et pertinente. A travers le ressenti et les représentations des
médecins, nous avons obtenu des informations essentielles pour comprendre les causes des
retards évoquées par les médecins.
Cette méthode a permis d’obtenir des informations larges, diversifiées et non prédéfinies. Les
thèmes découverts nous ont surpris et pourraient apporter un regard supplémentaire sur le
retard des patients.
N’ayant pas pour but d’être reproductible, la recherche qualitative doit répondre à des critères
de validation qui lui sont propres, afin d’atteindre les qualités de validité, fidélité et fiabilité
des connaissances établies. Ces critères dépendent essentiellement de la rigueur de la
méthode.
Nous avons tenté d’appliquer au mieux les règles de bonne pratique de ce type d’étude.
Le choix d’entretiens individuels semi-structurés est apparu le plus adapté compte tenu de la
pénurie de bibliographie disponible sur le sujet.
Cette méthode reposait sur des entretiens semi-dirigés où les participants étaient brièvement
informés du sujet de l’étude, par téléphone. Ainsi, certains médecins avaient eu le temps de
penser à quelques-uns de leurs patients, tandis que d’autres n’y avaient pas réfléchi, ce qui
pouvait entraîner un appauvrissement des données.
Cependant, l’entretien individuel permettait de garantir la spontanéité et la liberté de réponse
de l’interviewé, par opposition au caractère parfois intimidant de l’entretien collectif. L’auteur
a tenté autant que possible de s'affranchir de ses a priori de médecin en s’efforçant de tenir
compte de sa subjectivité (via un journal de bord notamment).
Une autre force de ce travail a été l’analyse de presque la moitié des entretiens menée par
l'investigateur, une autre collègue interne et le directeur de thèse, de manière individuelle.
Cette triangulation des données a permis d’augmenter la validité de l’étude.
Ce thème a fait réfléchir les médecins interrogés sur leur pratique.
M1 : « Ce sont des vraies questions éthiques. Est-ce qu’on appuie sur des boutons
culpabilisants ? Est-ce qu’on laisse les gens ? Ou jusqu’où on laisse les gens faire ce
qu’ils veulent ? »
91
En effet, nous pouvons nous interroger sur la place du médecin généraliste et son rôle à jouer
face à son patient. Doit-il être paternaliste ? Ou bien tenir le rôle d’informateur et laisser la
responsabilité au patient de ses propres choix ?
M3 : « Je ne suis pas leur maman. Ce n’est pas un bon raisonnement, je sais. Ce n’est
pas très humain mais je suis un peu comme ça (…) Maintenant, après, si les gens
refusent, je ne leur cours pas après. »
Le danger est l’abandon du patient au nom d’un libre arbitre posé a priori. Nous sommes
proches d’une pensée libérale où chaque sujet est supposé riche de sa capacité de jugement et
de décision.
Pour en savoir plus :
Critères de validité d’une étude qualitative :
L'acceptation interne, c’est-à-dire que l’étude doit être acceptée par les médecins généralistes
qui constituent le « matériau » de notre recherche. Cela implique une présentation de la mission
du chercheur avant le recueil de données puis une acceptation de l’analyse faite en fin d’étude.
C’est ce que nous avons fait lors de la présentation de notre recherche face au médecin. Nous
n’avons pas dit explicitement que notre travail portait sur leur interprétation, nous l’avons
seulement recueillie au cours de l’entretien. Nous rappelons que le chercheur n’a pas émis de
jugement sur les propos recueillis des praticiens et que l’analyse ne portait pas sur le bien-fondé
ou non de leurs réponses.
De plus, la validité de l’étude passe par deux critères que nous avons cherchés à respecter. La
crédibilité est la preuve que l'objet a été bien identifié, bien décrit et que les résultats sont
vraisemblables. Elle nécessite une présence prolongée sur le site d'observation et des procédures
détaillées.
La validation signifie que les résultats obtenus concordent avec les données recueillies. Pour la
démontrer, nous recourons principalement à la triangulation, c'est-à-dire la vérification des
résultats auprès d'autres sources (nouveaux entretiens), ainsi qu'à la confirmation externe des
données grâce à des comparaisons avec des recherches analogues. Cela traduit le degré de
confiance obtenu par rapport à l’objectivité des données.
92
4.1.2 Faiblesses de l’étude
Le recrutement a permis de varier l’âge des médecins, les différents modes et lieux d’exercice
mais la diversification de l’échantillon n’est pas totalement respectée. En effet, il aurait été
toutefois préférable de recruter davantage de médecins avec une activité salariée, ainsi que
des médecins exerçant en milieu rural.
Le recrutement et la participation à l’étude des médecins généralistes se sont faits sur le
principe du volontariat, induisant possiblement un biais d’auto-sélection. Lorsque les
médecins ont été contactés par téléphone, certains n’ont pas souhaité participer à l’étude. Les
motifs avancés étaient : le sentiment de ne pas avoir d’information pertinente à apporter et
surtout le manque de disponibilité pour se prêter à l’enquête. Or, les caractéristiques des
médecins volontaires sont peut-être différentes de ceux qui n’ont pas voulu participer.
Le mode de recrutement peut aussi être remis en cause car il s’agit principalement d’un
recrutement via le moteur de recherche Google.
Concernant le discours, il existe un biais de désirabilité19 qui fait exprimer la « bonne
figure »20 ou le « surmoi hippocratique » des personnes interrogées, c’est-à-dire qui consiste à
vouloir se présenter sous un jour favorable à son interlocuteur. La vie sociale est un théâtre
dans laquelle les acteurs jouent le rôle qui leur est donné et nous avons à donner aux autres
une certaine représentation de nous-mêmes. Ce processus peut être implicite ou conscient et
peut constituer une limite à l’analyse du matériau.
La taille de l’échantillon est petite mais nous nous sommes référés au concept de suffisance
qui en l’absence de saturation des données, nous permet une analyse des résultats compte tenu
de la richesse du matériau. Si les derniers entretiens n'abordent pas réellement de nouveaux
thèmes, les données recueillies sont en revanche plus précises et de meilleure qualité que lors
des premiers entretiens réalisés, probablement en raison de l'expérience de travail d'enquêteur
acquise. Il aurait été intéressant d'avoir quelques entretiens supplémentaires afin d'être sûr
qu'aucune donnée nouvelle n’apparaisse, ce que nous n’avons pu faire en raison de contraintes
temporelles et du caractère chronophage de la méthode de collecte.
19 Goffman E. (1974). Les Rites d’interaction. Collection Le sens commun. Les Editions de Minuit. 1er chapitre,
p 240. 20 Pour P. Cornet, le « surmoi hippocratique » est une notion qui allie le concept du surmoi freudien et
l’engagement hippocratique et déontologique de prodiguer ses soins sans discrimination.
93
Mais comme décrit précédemment, ce concept de suffisance se retrouve fréquemment dans
l’approche phénoménologique interprétative.
Les entretiens ont été réalisés par une interne de médecine générale qui expérimentait la
recherche qualitative pour la première fois. Certains entretiens ont manqué probablement
d’approfondissement des propos de l’interviewé par des difficultés de relance, à cause de ce
manque d’expérience. Ces techniques de relance et de reformulation, qui ont pu laisser
apparaître des éléments d’ordre interprétatif, ont été corrigées au fur et à mesure des entretiens
grâce à l’acquisition d’une expérience sur le terrain et aux remarques du directeur de thèse.
De la même manière, la qualité de l’entretien est directement liée aux capacités relationnelles
de l’enquêteur et à sa manière de conduire l’entretien. Celles-ci concernent la connaissance
qu’il peut avoir en termes de techniques de communication, mais aussi de maturité
personnelle. L’absence de formation préalable et le fait d’être novice en la matière ont donc
pu biaiser notre étude.
Si le chercheur n’est jamais en position supérieure par rapport à son objet mais au cœur de
celui-ci, l’analyse nécessite une distanciation, c’est-à-dire prendre du recul par rapport aux
données. Ici, on ne peut exclure une subjectivité trop importante qui a pu influencer la bonne
réalisation des entretiens.
Tout chercheur a ses intentions qui l'amènent à faire telle recherche plutôt qu’une autre, et à
orienter le discours de la personne interviewée vers tel ou tel thème. La notion d'objectivité
est ainsi remise en question. Ces risques sont cependant inhérents à la méthode et ne peuvent
pas être complètement écartés.
Par ailleurs, notre travail a été réalisé avec codage en double aveugle et triangulation des
données dans une approche phénoménologique consensuelle. Malgré cette méthode
rigoureuse et le cadrage sociologique apporté par un directeur de thèse, il existe un biais
d’interprétation car les chercheurs étant des médecins, il est difficile de totalement mettre à
distance leur point de vue médical, sous-tendu par leur expérience personnelle.
94
4.2 Validité externe de l’étude - Comparaison aux travaux de la
littérature
Plusieurs études ont été faites sur le retard à la consultation, surtout dans le domaine de
l’oncologie, notamment entre le moment où le patient a son symptôme et le moment où il
commence un traitement curatif.
Une chronologie à partir du premier symptôme jusqu’au traitement est illustrée dans une
étude parue dans le BMC Family Practice21, en différenciant le délai du patient (ou
temporalité du patient), le délai du médecin et le délai lié au système de soins.
Les différents types de délais
Ici, nous retrouvons sur la première ligne de cette image l’axe de la temporalité (patient,
médecin, sociale) à laquelle nous pourrions rajouter la temporalité de la maladie qui s’étend
du premier symptôme jusqu’à l’initiation du traitement. La dernière ligne décrit les différents
parcours institutionnels réalisés par le patient.
21 Hansen R. P, Vedsted P., Sokolowski I, Sondergaard J, Olosen F. (2011). General practitioner characteristics
and delay in cancer diagnosis. a population-based cohort study. BMC Family Practice. 12:100
95
Cette étude a identifié des différences intéressantes par rapport au retard des patients à
consulter, en fonction du sexe des médecins. Celles-ci reflètent une meilleure perception
éventuelle de l'accessibilité aux soins lorsque les patients ont une femme médecin.
Le genre du médecin a été rapporté par un de nos informateurs comme pouvant être un facteur
possible de retard, notamment s’il est différent de celui du patient, d’autant plus qu’il existe
une certaine pudeur.
Par ailleurs, nous avons retrouvé de nombreuses similitudes entre nos résultats et ceux décrits
dans le plan local de Bobigny de 201322 qui répertorie notamment les multiples blocages
d’accès à la santé des personnes en situation de précarité, susceptibles d’engendrer du retard.
Dans ce plan figurent tout d’abord les facteurs liés au patient avec notamment le manque de
maîtrise de la langue, la culture et les croyances avec des sujets « tabous ». Le niveau de
formation est aussi décrit dans ce plan, pouvant rendre difficile le repérage des différents
professionnels vers qui s’orienter, la compréhension du fonctionnement du système de soins,
autrement dit la littératie en santé23.
Nous regroupons sous cette entité la motivation et les compétences des individus à accéder,
comprendre, évaluer et utiliser l’information en vue de prendre des décisions concernant leur
santé, notamment autour du remboursement (sécurité sociale, mutuelle), des différentes prises
en charge, du forfait journalier, du ticket modérateur etc.
La méconnaissance des droits, de la législation et des procédures liées à la santé y sont aussi
décrites, comme bénéficier d’une couverture maladie (CMU, AME..), d’aides
complémentaires, l’obligation d’être reçu par les médecins, effectuer des recours etc.
Ainsi, les personnes de faible littératie sont davantage susceptibles de rapporter une mauvaise
santé24. Par exemple un patient avec un faible niveau scolaire, des difficultés de lecture et
d’écriture, une déficience visuelle ou auditive, des différences culturelles, une langue
maternelle autre que le français ou l’anglais, des expériences négatives avec le système de
santé, une anxiété ou un stress, sont autant de facteurs susceptibles de rendre cette personne
démunie pour prendre des décisions de vie.
22 Association Communautaire Santé Bien-Etre, Acsbe. (2013). Plan local Référentiel concernant les multiples
blocages d’accès à la santé des personnes en situation précaire. p 23 23 Van den Broucke S. (Juin 2017). La littératie en santé : un concept critique pour la santé publique. La santé en
action, n°440. p 11-13. 24 Lemieux V. (2014). Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Guide de littératie en santé. p61
96
Un médecin décrit très bien ce problème de littératie en se rappelant d’une de ses patientes :
M14 : « Elle est allée à l’hôpital parce qu’elle toussait, donc je lui dis : ‘’Pourquoi
vous êtes allée à l’hôpital parce que vous toussez ?’’ et elle me dit : ‘’C’est parce que je
n’avais pas 7,50 euros’’. Mais à l’hôpital, ce n’est pas 7,50 euros, ça va être 30 euros
le tiers-payant de la consultation à l’hôpital, c’est beaucoup plus ! (…) Elle a consulté,
mais pas au bon endroit. »
Ce plan local répertorie aussi les freins venant des professionnels ou du système de santé, les
difficultés financières et l’environnement social.
Les conséquences peuvent être des retards de soins, comme nous le décrivons dans cette
étude, voire des renoncements partiels ou totaux des soins. Nous développerons ces différents
points par la suite.
L’OMS en 2003 répertorie les facteurs influençant l’observance à l’aide du schéma ci-
dessous.
Facteurs influençant l’observance
Si ces facteurs sont limités, ils peuvent alors entrainer une mauvaise adhésion au système de
soins et engendrer un retard à la consultation.
97
Parmi eux, les facteurs liés au patient peuvent être rationnels ou irrationnels, relevant de
l’intention ou de l’action, des conduites et des comportements. S’y ajoutent les
représentations de soi et de la maladie. Tandis que les autres facteurs sont plutôt de l’ordre de
la rationalité (la maladie, le traitement, les facteurs socio-économiques, le système de santé).
Une autre étude française, parue en 200525, s’intéressait aux patients qui tardaient à consulter
avec un diagnostic posé a posteriori de cancer de la tête ou du cou. Cela pouvait être en lien
avec un faible niveau socio-économique et/ou un manque d'informations médicales. Les
chercheurs avaient donc utilisé des échelles de notation chez 50 patients ayant une petite
tumeur et 50 patients ayant une grosse tumeur, permettant d’évaluer les données
sociodémographiques, la nature des symptômes, les facteurs générant la consultation et les
raisons du retard à la consultation.
Les deux groupes étaient principalement masculins et ouvriers. Le groupe de patients avec de
grosses tumeurs se caractérisait par une moindre implication du conjoint ou partenaire, un
délai de prise de conscience plus long avant la première consultation, un isolement social plus
important, moins de visites médicales et des scores d'anxiété moins élevés. Le groupe ayant
de petites tumeurs avait consulté plus tôt et se caractérisait par une plus grande implication du
conjoint, corrélée à une anxiété significative. La dépression n'était pas un facteur influençant
le délai dans l'un ou l'autre groupe.
Ainsi, le fait d’avoir une famille ou un entourage proche permet de diminuer les retards à la
consultation des patients, comme le rapportent plusieurs de nos médecins interrogés :
M11 : « Il y a vraiment des communautés qui sont quand même encore très sur une
entraide et dans ces communautés, forcément, il y a moins de danger parce que les
autres s’inquiètent aussi de leur état de santé et peut-être viennent consulter un peu
avant. »
L’anxiété, plutôt que le statut socioéconomique, est un facteur discriminant dans le retard à la
demande d’une consultation.
Nous y reviendrons plus loin.
25 Rozniatowski O, Reich M, Mallet Y, Penel N, Fournier C, Lefebvre JL. (Avril 2005). Psychosocial factors
involved in delayed consultation by patients with head and neck cancer. Head Neck. 27(4):274-80
98
De plus, une étude parue en 201226 s’est penchée sur les raisons de délai de consultation chez
des femmes chinoises ayant des symptômes mammaires dont 32% avec un diagnostic de
cancer du sein. Cette étude quantitative retrouvait que les femmes atteintes d'un cancer du
sein (28%) avaient un retard plus important de consultation que les femmes atteintes d'une
maladie bénigne (19%). L'attribution du symptôme à un état non cancéreux, une faible crainte
à la découverte des symptômes, la non-révélation des symptômes aux autres et l’absence
d’antécédent de symptôme mammaire antérieur participaient à un délai de consultation
prolongé (> 60 jours). La non connaissance du caractère bénin ou malin des symptômes
constituait la principale composante du retard à la consultation, suggérant que les stratégies
d’éducation ciblant les symptômes atypiques devraient réduire certains retards à la suite de la
découverte de symptômes mammaires.
De même, une autre étude, à propos cette fois-ci du cancer du pénis, parue en 2016 dans le
Word Journal of Surgical Oncology27 retrouvait quatre facteurs de risque de retard de
consultation chez 254 patients : les célibataires, vivant dans les zones rurales, consommant
beaucoup d'alcool et présentant des symptômes initiaux non spécifiques. Ces facteurs étaient
associés de manière significative au retard du patient.
Une étude qualitative a été réalisée en 2015 autour des facteurs limitant la consultation des
patients ayant un diagnostic de goutte.
Les raisons de la consultation retardée comprenaient l'autodiagnostic et / ou l'automédication,
la réticence à consulter un médecin et les pressions financières et professionnelles.
Toutes ces études évoquent des raisons que nous retrouvons aussi dans notre travail.
Nous allons discuter maintenant les principaux points de cette thèse, à savoir la notion de
temporalité et les phénomènes d’interprétations des médecins à l’égard de leurs patients,
qu’elles soient rationnelles ou non.
26 Li WW, Lam WW, Wong JH, Chiu A, Chan M, Or A, Kwong A, Suen D, Chan SW, Fielding R.(2012).
Waiting to see the doctor: understanding appraisal and utilization components of consultation delay for new
breast symptoms in Chinese women, Psycho-Oncology. 21(12):1316-23. 27 Gao W, Song L-B, Yang J, Song N-H, Wu X-F, Song N-J, Qiao D, Chen C, Zhang J-V, and Z-J. (2016). Risk
factors and negative consequences of patient’s delay for penile carcinoma, World Journal of Surgical Oncology,
n°14, p 124.
99
4.3 La temporalité
La temporalité est au centre de notre sujet d’étude.
Elle est une question majeure pour l’analyse des interactions entre patient et médecin. Le
temps n’est pas seulement une mesure objective des minutes qui passent, c’est une perception
propre à chacun et variable. Ce n’est qu’une représentation subjective qui ne peut se résumer
au temps de la montre. La perception du temps se trouve modifiée par de nombreux éléments
d’origine sociétale, situationnelle, biologique, individuelle… Il subit des phénomènes
d’accélération ou de ralentissement.
Nous allons décrire quatre types de temporalités : celle du patient, celle du médecin, celle de
la maladie et la temporalité sociale.
La temporalité de l’évolution du symptôme jusqu’à la maladie sera différente d’un patient à
un autre, en fonction de son histoire personnelle et familiale. Celle du médecin sera plus
normée et objective. Connaissant l’évolution des maladies et des prises en charge, son rapport
au temps diffère sensiblement de celle de ses patients.
4.3.1 Temporalité du patient
De façon logique et rationnelle, le médecin s’attend toujours à ce que son patient vienne au
moment opportun, définissant le « patient modèle », c’est-à-dire celui qui se soigne quand et
comme les médecins le souhaitent. Les professionnels de santé et la société vont avoir des
attentes quant à ce patient.
Or, la notion de différentes temporalités apparaît avec une distinction permanente entre celle
du médecin et celle du patient. Le rapport au temps n’est pas le même.
Par exemple, il existe toujours un décalage perceptif entre les actes que réalisent les soignants
et ce que les patients ou leurs familles en perçoivent28. Le plus souvent, le temps médical va
beaucoup plus vite que le temps psychique du patient nécessaire à l’intégration des
informations reçues. Le temps des soignants est linéaire tandis que celui des patients est en
lien avec le réaménagement identitaire que la maladie impose.
28 Funck-Brentano I. (2009). Les logiques inconciliables du temps dans la relation de soin. Médecine
thérapeutique –Pédiatrie. Vol. 12, n° 6. P377-382
100
Un médecin interrogé évoque la nécessité d’un délai d’acceptation du symptôme avant de
demander une consultation ; c’est comme si cela correspondait à une étape de préparation
d’un combat, celui d’une éventuelle maladie :
M8 : « Il y a peut-être un petit côté : il faut qu’il soit mûr, il faut qu’il soit prêt à avoir
l’énergie pour se battre pour pouvoir accepter l’annonce etc… »
Il y a ici la notion d’un déclic pour accepter de lâcher prise :
M9 : Je pense qu’il est arrivé en se disant : ‘’Ça y est, maintenant je suis devant le
médecin. OK, j’ai trainé, mais maintenant, je ne déconne plus’’. »
M7 : « Quand elle a accepté, elle est morte très peu de temps après. »
Une autre notion clef est que la temporalité peut être différente selon la culture ou le mode de
vie du patient :
M1 : « Elle avait une façon extrêmement floue avec un rapport au temps très africain,
très différent du nôtre. »
M12 : « Ce sont des gens qui viennent consulter le dimanche parce qu’ils sont inquiets
pour leur santé, et le dimanche, c’est bien-être. »
Cette perception par le médecin de la différence de temporalité selon la culture du patient est
très importante. Les questions relatives au temps constituent l’une des sources de malentendus
et l’une des raisons d’échec les plus récurrentes en milieu multiculturel.
La façon dont nous percevons le temps influence notre façon de le gérer.
E. T. Hall29, anthropologue américain, distingue les cultures monochroniques (en Europe du
nord ou Amérique du nord) qui pousse à l’établissement constant de priorités (« On traite
d’abord les affaires importantes en y consacrant la plus grande partie du temps disponible, et
en dernier lieu seulement, les affaires secondaires que l’on néglige ou abandonne si le temps
manque »), des cultures polychroniques (société méditerranéenne ou le monde arabe). Tandis
que les premières considèrent le temps comme une entité unique qu’il est possible de
planifier, contrôler, gaspiller, gagner avec un présent, un passé et un futur, les deuxièmes ont
une vue du temps plus flexible et sont capables de faire plusieurs choses en même temps.
29 T. Hall E. (1984). Le langage silencieux. Editions Seuil (1 mars 1984). Collection : Points Essais. p256.
101
M. Sauquet et M. Vielajus30 ajoutent, dans L’intelligence artificielle, que les cultures
polychroniques tendent à mettre plus en avant le temps de la relation que le temps plus
«artificiel» de la montre.
La culture est donc un point clef de la vision de la temporalité.
M8 : « Toutes les cultures n’ont pas le même rapport à la consultation. »
Les différentes religions ont, face au temps, des approches très différentes, qui peuvent
conditionner les comportements. Face, par exemple, à la nécessité d’appréhender le futur,
l’islam insiste sur la nécessité de s’en remettre à Dieu pour un avenir que l’homme ne saurait
contrôler. C’est le sens du mot Inch’Allah (Si Dieu le veut), que les musulmans considèrent
indispensable de prononcer lorsqu’ils évoquent une action future et que nous retrouvons dans
certains propos de nos informateurs. Les religions chrétiennes ne contestent pas que le futur
soit davantage dans les mains de Dieu que dans celles de l’homme, mais elles s’inscrivent
dans une logique de progression dans laquelle l’individu a un rôle et une responsabilité.
Ces références peuvent être une piste pour comprendre la perception de chaque patient en
fonction de sa culture, constamment confrontée à celle du médecin.
Outre les différentes culturelles, la temporalité peut aussi être étudiée sous la forme d’un
changement de comportement.
Le modèle transthéorique de Prochaska et DiClémente identifie cinq étapes dans le processus
qui conduit à l’adoption d’un comportement mais il n'a pas été conçu à l'origine pour
comprendre ce temps nécessaire pour accéder au changement d’attitude. Ce modèle est
largement utilisé aujourd'hui comme outil de l'entretien motivationnel pour changer un
comportement face à un risque de santé, comme la consommation de tabac par exemple. Le
médecin doit alors adapter son discours et sa stratégie thérapeutique en fonction du stade de
motivation du patient.
Le sujet passe d’abord d’un état de pré-contemplation où il n’a pas conscience de son
symptôme, soit par manque d’information ou parce qu’il refuse de considérer le symptôme
par exemple. Puis vient le stade de contemplation où il y a une prise de conscience, le stade de
préparation où il décide d’adopter un comportement et le stade d’action où il va consulter un
30 Sauquet M., Vielajus M. (2014). L’intelligence interculturelle (ch 3 : Le temps). Editions Charles Leopold
Meyer. p408.
102
médecin. Le stade de maintenance pourrait s’apparenter à la résolution que le patient prend
pour suivre un traitement par exemple.
Cercle de Prochaska et Di Clemente
Nous voyons bien par cet exemple que la temporalité du patient et celle du médecin sont
différentes. La raison en est que la perception d’un éventuel danger n'est pas identique selon
que l'on se situe du côté du médecin ou du côté du patient. L'expérience de chacun diffère et il
semble important pour le médecin d'accepter un facteur temps nécessaire à la prise de
conscience du patient d’un éventuel danger. Evidemment, la situation est plus complexe
puisque, en ce qui concerne le patient, d'autres éléments interviennent comme
l'environnement familial, socio-professionnel (locus externe) et l'illusion de self contrôle
(locus interne). Ces éléments ne concernent pas notre travail de thèse et ne seront pas
développés ici.
Par ailleurs, la façon de se projeter dans l’avenir peut influencer l’idée de nos croyances de
santé.
Si le patient ne croit pas en son avenir ou qu’il n’arrive pas à s’identifier dans un futur proche,
nous pouvons comprendre qu’il ne verra pas l’intérêt d’aller consulter un médecin pour se
103
soigner et tenter de gagner de l’espérance de vie. Par exemple, les patients précaires et/ou
profondément dépressifs sont plus enclins à consulter tardivement.
M13 : « Soit des maladies psychiatriques ou des troubles psychiques importants qui
empêchent la personne de consulter. »
Cela pourrait s’expliquer par l’incapacité de penser à leur avenir car il leur est incertain.
Un autre médecin s’exprime sur la nécessité parfois de multiplier les démarches diagnostiques
et thérapeutiques dans le processus de soins du patient qui peuvent être très longues et
entrainer beaucoup d’attente : délais importants entre chaque rendez-vous de spécialistes ou
d’imagerie par exemple. Mais le malade y verra, de son point de vue, une possible perte de
temps et de moyens. Moyens qui selon lui ne seront pas utilisés à bon escient.
M6 : « Des motifs de consultation qui, de toute façon, vont entraîner des soins, des
accidents du médecin qu’on n’aimerait pas bien faire (…) toute la galère des
démarches médicales à suivre alors que les soins qu’ils vont avoir vont être plus graves
que la maladie finalement. Ils pensent à la souffrance qui est liée à l’acte diagnostique,
aux soins etc. (…) Ce n’est pas forcément toujours perçu comme intéressant par le
patient. Ça, c’est le médecin qui pense comme ça, mais pas forcément le patient. »
Selon le médecin ainsi interrogé, cette notion d’incompréhension du patient face aux
conséquences potentiellement négatives de différentes investigations autour d’un symptôme
peut alors entraîner un sentiment de culpabilité chez le professionnel de santé, sentiment né de
l’empathie à l’égard de son patient. Sa détresse est ressentie par le médecin qui peut avoir la
sensation d’avoir mal accompagné son malade et créer un véritable cas de conscience.
4.3.2 Temporalité du médecin
Alors que le patient peut tarder à consulter avec une temporalité qui peut s’allonger, la
médecine, elle, va de plus en plus vite. Les pressions socio-économiques font que le temps de
la réflexion médicale ne cesse de se raccourcir : surcharge des consultations, restrictions
budgétaires avec une réduction des ressources humaines, développement de l'imagerie qui
réduit considérablement la réflexion clinique, pression quant à d'éventuelles procédures
judiciaires, etc.
104
Ce point de la temporalité est repris par I. Funck-Brentano31 avec un temps médical qui
devient une véritable course contre la montre, et évoqué par l’un des médecins interrogés :
M2 : « On retombe sur l’éternel problème de la consultation de médecine générale ’’je
n’ai pas le temps !’’ »
Cette pression du temps et ce manque de temps altèrent la qualité des soins et suscitent du
stress, une perte de confiance, de l’insatisfaction et de la fatigue. L’absence de temps devient
alors une véritable question d’ordre éthique.
Par ailleurs, nous retrouvons dans la majorité des entretiens le sentiment que le retard du
patient parait toujours trop long pour le médecin, avec parfois une exagération de ce délai
entre l’apparition du premier symptôme et la première consultation médicale. Ce délai a
tendance à s’étendre avec la remémoration de la situation, d’autant plus qu’il existe un
sentiment de culpabilité chez le professionnel de santé, qui peut prendre ce retard pour lui :
M14 : « Non, en fait après, il n’y a pas ! Mais n’empêche, quand je te l’ai raconté, je
t’ai dit qu’il y avait un retard. Donc j’ai pris à mon compte son espèce de retard, son
indifférence, comme si moi aussi j’avais été indifférente. De fait, j’ai fait mon boulot
correctement. (…) Et en fait, elle a fait sa mammographie dans la semaine et quand je
raconte, je fais comme si moi aussi, j’avais traîné ! »
A contrario, malgré l’aspect péjoratif de ce retard décrit plus haut, le médecin peut utiliser
cette temporalité au profit du patient, pour améliorer sa prise en charge, comme tente de
l’expliquer le médecin n°13 :
« Il existe la représentation du temps que se fait le patient et celle que se fait le
médecin. Mais on peut s’interroger sur : quel est le rapport que le médecin a au temps,
dans le sens temps, facteur allié pour le médecin ? Du coup, on va programmer quelque
chose, selon comment il va s’approprier cet outil « temps » dans la prise en charge du
patient. Et est-ce que le temps a fait un effet sur la maladie, avant, pendant la
consultation ou après ? Et le rapport que l’on a nous, en tant que médecin au temps,
c’est-à-dire dans les délais, parfois les prescriptions, ce n’est pas une
recommandation ! »
31 Funck-Brentano I. Op. cit
105
4.3.3 Temporalité de la maladie
La temporalité de la maladie est une temporalité variable et dynamique, allant d’une évolution
lente et insidieuse à une évolution plus rapide, voire foudroyante.
Toute maladie va troubler le rapport au temps et inaugurer une rupture dans l’existence du
patient, créant un avant et un après le diagnostic. Dans La maladie chronique ou le temps
douloureux32, C. Marin considère que la maladie modifie la capacité du sujet à se projeter
dans l’avenir et le fait entrer dans une nouvelle temporalité, alimentée par de fortes
inquiétudes.
4.3.4 Temporalité sociale
La temporalité sociale rejoint la relation médecin – patient et regroupe aussi tout ce qui relie à
l’organisation des soins : horaires du cabinet, disponibilité des médecins, agenda des soins,
démarches administratives telles que les durées pour renouvellement d’ordonnances, les
périodes d’invalidité etc…
Mais elle comprend aussi les évènements de vie intercurrents du patient tels que des
difficultés avec les enfants, la maladie d’un membre de la famille, la perte d’un emploi, une
rupture sentimentale, un état de précarité ainsi que le manque de temps et de moyens.
Selon H. Rosa33, sociologue et philosophe allemand, le temps s’est accéléré dans certains
champs sociaux, économiques et politiques, tandis que d’autres temporalités sont restées les
mêmes (durée d’une grossesse par exemple) ou sont parfois allongées.
Or, il existe des conséquences néfastes à l’accélération du temps. L’auteur soulève le
paradoxe entre l’accélération technique afin d’obtenir un gain d’autonomie et le manque de
temps permanent ressenti par les personnes. En d’autres termes, les acteurs souffrent d’une
pénurie de temps alors même que le temps libre augmente.
32 Marin C. (2016). La maladie chronique ou le temps douloureux. Editeur Eres. 33 Rosa H. (2013). Accélération : une critique sociale du temps, Paris, La Découverte. Collection « Sciences
humaines et sociales ». p 486
106
Dans un autre ouvrage, l’auteur réhabilite le concept d’aliénation34. Ce dernier apparaît
lorsque nous agissons d’une manière qui ne correspond pas à ce que nous considérons être
une vie bonne, bien que nous ne soyons pas absolument contraints à ce renoncement.
Plongés dans un océan de choses à faire, nous repoussons sans cesse le moment où nous
pourrons accomplir ce qui nous semble véritablement utile et important, au profit d’activités
qui ne nous procurent qu’une faible satisfaction. Nous retrouvons dans la philosophie
utilitarisme de JS Mill35 un contre-courant avec le « concept de plus grand bonheur » qui nous
fait accomplir prioritairement les actions porteuses de plaisirs (ou de satisfaction) aux dépens
des tâches ennuyeuses. Mais dans le cadre de notre recherche, ce qui s’avère ennuyeux peut
être utile (consulter rapidement).
Ce raisonnement rejoint la réaction décrite par les médecins de certains patients qui ont tardé
à consulter, toujours pris par le temps et avançant de multiples raisons : tantôt un rythme de
travail excessif, tantôt un rendez-vous plus important que la consultation médicale ou un
évènement de vie qui va faire irruption dans leur organisation.
M14 : « Il attendait vraiment le dernier moment pour consulter. »
Un médecin rapporte les propos d’une de ses patientes :
M13 : « ‘’J’ai failli venir mais on m’a agressé’’ : un évènement, il y a un évènement qui
surgit qui me fait saisir l’importance de leur vie que je ne pouvais pas imaginer en
fait. »
Toutes ces raisons sont reprises par les médecins généralistes interrogés, aussi bien pour leurs
patients que pour eux-mêmes. Ces notions définissent la temporalité sociale.
Par ailleurs, une réponse nous a surpris autour du thème des contraintes administratives avec
le médecin n°12 qui expliquait le retard en fonction de la date d’échéance des arrêts de travail
de sa patiente. En effet, celle-ci attendait seulement les dates « administratives » pour
consulter alors que son état s’aggravait :
M2 : « C’est vrai que les gens ont tendance, même si ça s’aggrave, à attendre le rendez-
vous déjà programmé ou à ne venir qu’à la date échéante de la fin de l’arrêt de
travail. »
34 Rosa H. (2012). Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte.
Collection « Théorie critique ». p 154 35 Mill JS (1861). L’utilitarisme. Ed. Française : coll. champs classiques, Ed. Flammarion, 2008
107
En conclusion, il est nécessaire de prendre en compte la diversité des approches du temps et
des horizons de temps qui peuvent exister entre médecin et patient, et entre différentes
cultures.
Il semble y avoir un étirement de la temporalité du patient dans les phénomènes de retard à la
consultation et nous sommes en droit de se demander pourquoi.
4.4 Interprétations des médecins
La majorité des interprétations des médecins concernant le retard de leurs patients semble
rationnelle, c’est-à-dire qui appelle à la raison, au bon sens.
Or, le fait de ne pas consulter son médecin lorsque l’on est symptomatique ne semble-t-il pas
aller à l’encontre de la raison ? Conserver la santé, ne pas prendre de risque pour sa vie n’est
pas ce que tout le monde devrait faire ? Et doit-on conclure que ceux qui agissent
différemment sont irrationnels ?
Les sujets dans notre époque moderne n’échappent pas à une certaine autorité quant aux
comportements attendus par la société. Il y a donc une confrontation permanente entre liberté
individuelle et obéissance aux règles sociales.
Si les comportements attendus ne sont pas au rendez-vous, surgissent chez les autres une
incompréhension et une interprétation comme déviance (irrationalité, maladie mentale,
perversion sociale etc). Cette incompréhension réclame une interprétation.
En effet, il est difficile pour un individu de ne pas interpréter un comportement, d’autant plus
que ce comportement est énigmatique. La recherche de causes, fussent-elles irrationnelles,
vaut mieux qu’un vide de sens.
Les médecins tentent, par tous les moyens, une explication pour rendre rationnel l’irrationnel.
Ce processus est au centre du concept d’interactionnisme symbolique, né de l’Ecole de
Chicago36, qui véhicule l’idée que les individus sont les producteurs de leur propre action et
signification.
36 Poupart J. (2011). Tradition de Chicago et interactionnisme : des méthodes qualitatives à la sociologie de la
déviance. Recherches qualitatives. Volume 30(1), pp. 178-199.
108
Ici, les chercheurs analysent la manière dont les personnes interagissent entre elles. Ces
analyses prennent forme dans les échanges entre les individus, en fonction du sens qu’ils
donnent aux situations telles qu’ils les vivent.
Bien que vivant dans un même cadre social, chaque homme donne un sens individualisé à
l'action, selon les circonstances, les objets et les situations qui caractérisent ce cadre social ou
environnement matériel. Autrement dit, les êtres humains se comportent à l’égard des choses
selon les significations qu’ils accordent à celles-ci. Ces significations sont la résultante des
interactions sociales.
Pour citer D. Le Breton, dans Tenir37, « le normal et le pathologique ne sont saisissables
qu’au regard d’une histoire de vie et d’un rapport au monde, ils n’ont pas aucune validité
universelle ».
C’est donc au travers des relations avec les autres, que ces relations soient individuelles (face
à face) ou collectives (les rapports entre les groupes), que les acteurs découvrent, négocient et
produisent le sens qu’ils donnent aux choses, de même qu’ils développent leurs perspectives.
Ainsi, pour comprendre les manières d’agir ou de penser des individus, il faut d’abord
appréhender le sens qu’ils donnent à leur réalité.
Pour revenir à notre étude, nous allons tenter de comprendre pourquoi les patients tardent à
consulter, du point de vue du médecin, à travers différents facteurs.
Eléments extrinsèques Eléments intrinsèques
Rationnels : Rationnels :
- Organisation des soins - Catégories socio-professionnelles
Irrationnels :
- Histoire du patient, caractère
- Emotions
- Représentations du symptôme
- Place du corps
37 Le Breton D. (2017). Tenir. Op.cit, p20
109
4.4.1 Eléments extrinsèques
a) Facteurs liés à l’organisation des soins
Les médecins expliquent les retards à la consultation par des facteurs relevant du patient mais
aussi des facteurs dépendant d’eux-mêmes, puis de l’organisation du système de soins.
- Relation médecin - patient
La relation médecin – patient est reprise par la majorité des médecins interrogés. Pour
approfondir son importance, un article issu de la Tribune de Réflexion éthique38 prône ce lien
dont la bonne qualité permettra au médecin de mettre à jour les difficultés, croyances,
motivations et obstacles au bon suivi du patient. La bonne observance peut se traduire par le
fait d’aller consulter son médecin à un moment adapté.
Cela soulève l’importance d’une médecine personnalisée dans le sens où elle serait dédiée et
centrée sur la personne. Elle apportera des informations qui vont permettre au patient de
déceler des symptômes douteux. Ainsi, un médecin rapporte que les connaissances médicales
peuvent influencer la venue ou non du patient (positivement ou négativement) :
M8 : « Quand on sait ce qui va nous arriver ou qu’on en a vaguement une idée, ce n’est
pas la même logique que quand on en sait moins. »
Mais il n’y a pas de lien retrouvé dans les discours entre le fait que le patient connaisse bien
son médecin ou non. Le suivi médical peut être plus ou moins régulier alors que nous
pourrions penser que les patients consultant tardivement soient des patients sans aucun suivi
médical :
M3 : « Ce sont des patients qui sont mignons, que je connais depuis très longtemps. »
M4 : « C’est un patient que je ne connaissais pas. »
Cette condition remplie, il y a au-delà de la connaissance, la perception par le patient de la
possibilité d’être bien accueilli, écouté et entendu. Il pourra ainsi plus facilement se confier et
livrer ses états d’âme.
38 Malak S., Shamieh R E., Glaisner S. (2014). Au-delà du médicament : l’importance de la relation de soins.
Vo l 20, n°2.
110
- Organisation du cabinet
De nombreuses justifications évoquent les horaires du cabinet, l’accessibilité à un secrétariat,
la qualité de l’accueil, les disponibilités des médecins, la facilité de prise de rendez-vous, les
délais de consultations de plus en plus importants ou des consultations trop courtes.
Le plan local de Bobigny cité plus haut évoque ces freins à la consultation, tels que le défaut
de formation et la méconnaissance des professionnels de santé des difficultés des personnes
précaires ainsi que leurs conditions de vie avec des représentations négatives et parfois une
sous-estimation de leurs capacités. Un système d’accompagnement inadapté avec un manque
de praticiens, des délais de rendez-vous trop longs, un temps de consultation insuffisant,
parfois le non-respect du soin accessible à tous par certains médecins (un secteur II refusant
les CMU), ou les difficultés d’accès au cabinet viennent compléter l’analyse. Ces thèmes sont
retrouvés lors de nos entretiens.
M1 : « Il y a trois médecins qui partent à Puteaux qui ne vont pas être remplacés… »
M12 : « Si les patients demandent à ce que le médecin vienne les voir à domicile, ils
peuvent attendre quelques jours parce que contrairement au cabinet où on peut être
reçu facilement, les visites à domicile sont moins fréquentes. »
Des difficultés de communication avec des informations diffusées peu compréhensibles, un
manque de communication entre les services/institutions/associations sont aussi des freins,
ainsi qu’un manque de moyens pour l’aide à l’intégration comme par exemple, le déficit
d’atelier d’alphabétisation au regard du nombre de personnes en attente.
- Le médecin
Le patient sera plus enclin à consulter dans les temps si son médecin le traite avec respect et
estime, s’il tient compte de ses attentes, s’il l’écoute et qu’il existe une relation de confiance.
D’après une étude parue en 2010 sur Les médecins hommes et femmes interagissent de
manière différente avec leurs patients : pourquoi s’en préoccuper ?39, les médecins hommes
et femmes seraient différents dans leur style de communication, leurs comportements et leurs
pratiques selon leur genre et selon le genre de leurs patients. Les femmes médecins poseraient
39 Cousin G., Schmid Mast M. (2010). Les médecins hommes et femmes interagissent de manière différente avec
leurs patients : pourquoi s’en préoccuper ? Rev Med Suisse. 2010 Jul 28;6(257):1444-7.
111
plus de questions, à la fois d’ordre psychosocial et médical et recevraient plus d’informations
de la part de leurs patients qui, par conséquent, seraient plus à même de consulter.
Une de nos informatrices reprend le genre du médecin. Alors qu’elle raconte qu’un de ses
patients est gêné, par pudeur, par le fait que ce soit une femme, une thèse Les patients
choisissent-ils leur médecin traitant femme en raison de son genre ?40 explique que les
patients consulteraient plus un médecin femme pour un « problème psychologique » ou un
« besoin de discuter », avec des consultations en moyenne souvent plus longues que celles des
médecins hommes.
Mais nous ne pouvons bien sûr pas faire de généralités sur ces conclusions.
- Santé publique
Un bon nombre de médecins interrogés évoque les campagnes de dépistage, sous différentes
formes, afin de sensibiliser le patient à consulter sans tarder, en se basant sur l’amélioration
des connaissances médicales dans toute la population.
4.4.2 Eléments intrinsèques
a) Eléments rationnels
- Catégories socio-professionnelles du patient
Nous regroupons dans cette catégorie tous les facteurs intrinsèques au patient, pas ou peu
variables, comme le genre, la culture, les croyances, le niveau d’études et de compréhension.
Les raisons financières peuvent aussi freiner le patient.
Il y a une différence très nette entre les hommes et les femmes dans ce domaine. De façon
générale, les médecins interrogés trouvent que les femmes sont plus disposées à consulter
rapidement que les hommes. Les femmes consultent plus souvent de manière générale,
comme le démontre une enquête DREES41 de 2002 et les femmes médecins ont une patientèle
40 Brispot L. (2013). Les patients choisissent-ils leur médecin traitant femme en raison de son genre ? pp57 41 Labarthe G. Les consultations et visites des médecins généralistes - un essai de typologie. Etudes et résultats,
DREES. 2004 Jun;315.
112
plus féminine. Ceci est probablement en rapport avec la prévention gynécologique ou le fait
qu’elles consultent pour leurs enfants. Dans notre étude, ce fait est décrit par M1 :
M1 : « Il y a le fait que, à cause de la maternité, les femmes sont habituées et restent en
contact avec un suivi médical et physique, soit pour elles parce qu’elles vont chez le
gynéco, qu’elles sont enceintes, soit pour leur gamin. On y va parce qu’on a besoin de
la pilule et puis, il y a un poids sociétal pour y aller, pour faire le dépistage. »
Ici, le médecin rapporte une pression sociale à aller consulter en tant que femme, tant sur le
plan gynéco-obstétrical que pédiatrique.
Quant aux hommes, ils semblent beaucoup plus réticents à consulter, qu’ils soient malades ou
non. Selon une étude réalisée pour une association américaine de médecins (American
Academy of Family Physicians : AAFP), plus de la moitié des hommes dit ne pas avoir
consulté au cours des douze derniers mois et 29% des hommes interrogés reconnaissent
attendre le plus longtemps possible avant de chercher de l’aide quand ils sont malades.
Les raisons pour lesquelles les hommes négligent leur santé sont multiples mais la première
est «qu’ils ne font pas de leur santé une priorité», explique R. Kellerman, président de
l’AAFP. Nous reparlerons de la priorisation plus tard.
Le principal obstacle à l’amélioration de la santé des hommes, ce sont les hommes eux-
mêmes. Cela tient à des facteurs culturels et sans doute génétiques. Pour un certain nombre
d’hommes, consciemment ou pas, se faire soigner revient à reconnaître une faiblesse, une
fragilité. La sélection génétique a aussi, dans le développement de l’espèce humaine, sans
doute favorisé les chasseurs-guerriers qui étaient capables de surmonter et ne pas accorder
trop d'importance à leurs défaillances et leurs blessures pour continuer à nourrir ou protéger
leur tribu. Cette idée rejoint la notion de « corps-machine », un corps qui se doit de remplir
son office et pour lequel les agressions jugées minimes ne constituent pas des obstacles à sa
mise en jeu.
K. W. Springer, professeur américain de sociologie explique : «Il y a une certaine ironie dans
le fait que croire que John Wayne et Sylvester Stallone sont les archétypes de la masculinité
et que les vrais hommes ne tombent pas malades et n’ont pas besoin de voir un médecin soit
une des causes des problèmes de santé des hommes».
113
La culture et les croyances peuvent souligner des difficultés d’adhésion au système de soins
français, aux méthodes de soins, au concept de maladie chronique et aux traitements
préventifs. La présence de sujets « tabous », différents selon les cultures (VIH, ménopause,
dépistages, contraception, dépendances…) fait aussi partie intégrante de ces freins.
Le niveau d’études est différent selon les patients repris par les médecins interrogés et
n’explique pas toujours le retard à la consultation. Cela peut paraître paradoxal. Tandis que
des médecins évoquent plutôt des patients avec un niveau socio-économique plus élevé (un
patient « plutôt très intelligent »), d’autres pensent plutôt à des patients n’ayant pu bénéficier
d’études supérieures.
Et un médecin reste plutôt sceptique quant au bagage intellectuel et culturel, mais va
finalement revenir sur ses propos :
« Ce n’est pas vraiment une question, à mon avis, de bagage intellectuel ou culturel,
même si je pense quand même qu’il y a certainement une information qui passe mieux
auprès de certaines populations (…) Bon effectivement, si on veut réfléchir sur le
bagage culturel des patients, je pense qu’il y a des patients qui sont plus ou moins
accessibles à la prévention et au discours.»
Le manque de maîtrise de la langue peut être un frein à la consultation médicale avec des
difficultés à prendre des rendez-vous, à communiquer et à comprendre le langage
institutionnel.
L’environnement social participe aussi au retard à la consultation comme le sentiment
d’insécurité avec la peur de sortir de chez soi, la peur d’être agressé, aucun mode de garde
d’enfants, notamment pour des mères célibataires par exemple. Nos informateurs trouvent
qu’un patient est plus enclin à consulter s’il a de la famille proche ou un entourage attentif.
Enfin, les raisons financières sont une interprétation rationnelle d’une cause de retard et sont
liées avec la précarité de la patientèle :
M13 : « ‘’Je n’ai pas pu venir, je n’avais pas d’argent.’’ »
Elles peuvent limiter l’accès à la consultation et se traduisent par des difficultés à avoir une
mutuelle (cumul de bas revenus et de l’effet de seuil) même avec l’Aide Complémentaire
Santé, des difficultés à payer le reste à charge et les avances de frais. Tous ces freins peuvent
114
être accentués par le non remboursement de certains médicaments, des dépassements
d’honoraires et le coût des mutuelles.
b) Eléments irrationnels
- Histoire du patient, caractère
Les antécédents personnels et familiaux du patient influencent les représentations et les
croyances qu’il a autour des maladies. Selon la nature de son symptôme et le niveau de
consommation de soins antérieure, il sera plus ou moins enclin à consulter un médecin. Si le
patient a l’idée que les conséquences d’un traitement seront bénéfiques, il ira plus volontiers
voir son médecin que s’il en a une mauvaise image ou un mauvais souvenir personnel ou
familial.
Découle alors un refus de soins, et donc, de manière logique, un refus d’aller consulter.
M11 : « On a parfois des retards chez des patients qui ne veulent pas consulter. »
Par ailleurs, selon les propos rapportés dans notre étude, les troubles cognitifs peuvent être
une cause de retard à la consultation mais ne sont pas spécifiques. Il y a là une irrationalité
sur le fait qu’un patient sans troubles cognitifs ne veuille pas se soigner alors que ses
symptômes semblent inquiétants.
Mais nous pourrions l’expliquer de manière personnalisée par les différents traits de caractère
du patient. Ainsi, si un patient est pessimiste ou sceptique sur l’intérêt de se soigner, nous
pouvons comprendre qu’il n’ait pas envie d’aller voir son médecin.
Il peut y avoir aussi un sentiment de vouloir maîtriser sa vie avec une notion de contrôle. Ce
n’est pas la peur de découvrir ce qui ne va pas mais la peur de perdre le contrôle et de se
donner au corps médical.
M8 : « Je pense qu’il y a un côté : ‘’Je garde la maîtrise de mon corps et après,
j’accepte le traitement’’. »
Une autre raison serait un type de caractère où rien n’est grave, avec une légèreté d’être et une
certaine insouciance face aux obstacles de la vie, une absence d’inquiétude où « tout va bien
dans le meilleur des mondes ».
115
La paresse de consulter apparaît étonnamment dans le récit des médecins interrogés, sous
prétexte d’autres priorités. Ceci renvoie au principe de commodité : « La commodité est la
force la plus sous-estimée et la moins comprise dans le monde aujourd’hui ». Certes, elle est
ennuyeuse mais elle est un puissant moteur des décisions humaines, bien plus que le désir ou
la récompense, estime le juriste américain T. Wu42 dans le New York Times. Cette tyrannie de
la commodité influencerait nos propres décisions, nous faisant souvent réviser nos préférences
au profit du plus facile.
De même, en fonction du temps, il peut y avoir un changement de préférence. Nous serons
plus à même de choisir une action dont la récompense est plus proche que celle dont la
récompense est plus lointaine.
Par exemple, pour reprendre un propos de G. Reach, un patient désirant faire un régime ne va
pas vouloir prendre un dessert au restaurant. Mais au cours du repas, le désir de prendre un
gâteau va augmenter et devenir supérieur au désir de rester mince. Ce choix qualifié d’inter
temporel peut être un argument pour expliquer le fait qu’un patient ne va pas consulter au
moment adéquat.
C’est ainsi que de nombreuses « excuses » sont reprises par nos informateurs avec un effet de
priorisation, notamment une priorité au travail ou à la famille plutôt qu’à la santé :
M12 : « Le parisien moyen ‘’métro, boulot, dodo’’ mais c’est le dimanche qu’il va se
rappeler qu’il a un genou douloureux ou que quand il a pris les escalators la dernière
fois, on l’avait bousculé, et depuis il a une douleur de hanche par exemple. »
Après avoir développé les interprétations des médecins au travers de l’histoire personnelle et
familiale du patient et de ses traits de caractère, nous allons aborder la place des émotions.
- Emotions du patient
Les médecins ont révélé plusieurs émotions ressenties de la part des patients.
La peur dans tous ses états est bien sûr une des raisons principales du retard à la consultation,
reprise de nombreuses fois au cours des entretiens. Il s’agit là d’une réponse attendue qui
vient spontanément à l’esprit de la population, avant même de commencer cette recherche.
Cette émotion, connue de tous, est plutôt centrée sur le patient regroupant ainsi la peur du
42 Wu T. (16/02/2018). The Tyranny of Convenience, The New-York Times
116
diagnostic, la peur de la maladie, la peur des conséquences thérapeutiques, la peur de la
mort… Elle est parfois si grande qu’elle peut, paradoxalement, bloquer totalement le patient :
M5 : « Elle avait tellement peur de savoir ce que c’était qu’elle ne consultait pas. »
La peur de la maladie est prédominante car elle représente, selon la philosophe C. Marin43,
une dégradation du sentiment de soi et de l’estime personnelle qui atteint très profondément le
sujet malade. La maladie est vécue par le sujet comme une perte d’identité qui touche la
représentation que l’on a de soi. Elle est donc très redoutée, c’est pourquoi plusieurs
mécanismes de défense peuvent se mettre en place chez un patient afin de lutter contre la
prise de conscience d’une pathologie.
Mais le médecin n°8 apporte une autre dimension concernant la peur du monde médical qui
peut être impressionnant quand il n’est pas connu, voire même sacralisé :
« Je pense que par rapport à la peur des médecins, ça joue (…) ‘’C’est le Docteur
quoi !’’. On est sur un piédestal. On sent que notre parole a de l’importance avec une
sorte de sacralisation de la fonction. Et je pense que peut-être les gens qui ont peur de
se frotter à tout ce milieu médical qu’ils ne vont pas comprendre, qui va les stresser etc.
Et c’est peut-être une des possibilités qui fait qu’ils ont du mal à consulter. »
Après la peur, le déni est très souvent repris par les médecins, avec des difficultés à définir ce
mécanisme de défense.
M4 : « Je pense qu’au départ, oui, c’est un déni. Est-ce que quand on a un déni comme
ça, est-ce que ça veut dire qu’on ne sait pas ce que c’est ? C’est quoi le déni ? Est-ce
que ça veut dire que je suis persuadé que ce n’est pas ça ? Ou est-ce que je sais que
c’est ça mais en fait, je ne veux pas le voir ? C’est difficile. Moi, je ne sais pas trop
quand on a le vrai déni. »
Il est qualifié par le DSM-IV de psychiatrie44 (Manuel Diagnostique et Statistique des
Troubles Mentaux) comme une réponse aux conflits et aux stress « en refusant de reconnaître
certains aspects douloureux de la réalité externe ou de l’expérience subjective qui seraient
évidents pour les autres ». Il s’agit d’un mécanisme de défense contre un refus d’acceptation
d’une maladie par exemple. Cela représente l’expression médicale du phénomène de la
43 Marin C. (2014). La maladie, catastrophe intime. Editeur PUF. 44 Référentiel de psychiatrie. (2014). PUFR
117
duperie de soi, qui est un passage normal du processus qui conduit à l’acceptation de la
maladie.
Et « faire l’autruche » est une expression reprise plusieurs fois par nos informateurs pour se
préserver et garder un semblant de bien-être.
M5 : « Elle ne voulait pas le savoir. Elle ne voulait pas s’occuper de ça. C’était dans un
petit coin de sa tête et elle ne voulait pas en parler. »
Le patient, tout en sachant au fond qu’il est malade, est convaincu qu’il ne l’est pas. Tant que
le symptôme du patient n’est pas connu du médecin, il n’y aura pas de maladie, ni de
traitement. C’est le médecin qui pose une étiquette sur le symptôme mais tant qu’il n’y a pas
de consultation médicale, il n’y a pas de pathologie.
M9 : « Oui, ils ont le doute que peut-être ça ne serait pas ça donc ils préfèrent rester
dans le doute plutôt que d’affronter les choses. Enfin, c’est un peu mon sentiment. »
Dans la majorité des discours, nous retrouvons un sentiment d’angoisse, d’anxiété et de stress
qui paralyse le patient dans son étape de recherche diagnostique et thérapeutique.
Ces émotions peuvent aller jusqu’à la honte, la peur d’être stigmatisé, voire un sentiment de
culpabilité.
Le stigmate se définit dans le regard de l’autre selon E. Goffman45, sociologue américain.
Toute personne qui ne correspond pas à ce qu’on attend d’une personne considérée comme
« normale » est susceptible d’être stigmatisée, la plaçant dans une case ou catégorie
particulière. Et cette notion est retrouvée notamment chez les patients souffrant d’addiction à
l’alcool, au tabac et aux drogues :
M11 : « Quand il y a des addictions et autres, ça fait parfois un retard diagnostic parce
que les gens ont peur d’aller consulter par peur d’être réprimandés sur leur problème
d’addiction. (…) Ils se cachent de ça donc tout de suite, ils pensent qu’il va y avoir un
jugement au cabinet et donc ça retarde un petit peu. »
Cette stigmatisation provient de la société dans laquelle nous vivons, ainsi que du monde
médical, ce qui peut freiner la venue de certains patients en consultation.
Puis viennent les interprétations autour du symptôme en tant que tel.
45 Goffman E. (1963). Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Les Éditions de Minuit.
118
- Représentations du symptôme
Les croyances jouent un rôle capital en tant que moteur de nos actions et vont influencer nos
représentations.
La minimisation du symptôme fait partie des causes principales retrouvées dans les discours
des médecins. Elle rejoint la notion d’utilitarisme qui est une doctrine éthique qui prescrit
d’agir (ou ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être de l’ensemble des sujets avec un
principe de bonheur maximum. Comme le souligne J.S. Mill, philosophe britannique,
l’utilitarisme de type négatif propose de ne se baser que sur la minimisation de la souffrance,
qui est plus facilement réalisable que la maximisation du bien-être.
M1 : « ‘’J’ai les jambes qui ont gonflé comme ça mais c’est rien.’’ »
M4 : « Et puis le destin fait que si je dois mourir maintenant, et bien, je meurs
maintenant. Et ce sera très bien comme ça. »
Cette minimisation permet au patient de maintenir un équilibre entre plusieurs états d’esprit et
garantir le « tout va bien dans le meilleur des mondes ».
Toujours dans le but de maintenir cet équilibre entre plusieurs contradictions d’états d’esprit,
le sujet peut aller jusqu’à dissimuler le symptôme à son entourage et au médecin.
M4 : « Elle, elle ne m’en a pas parlé du tout. »
Et si le patient ne le cache pas, il peut en faire une mauvaise interprétation en banalisant la
situation.
M9 : « Il était plutôt dans la banalisation. »
M7 : « Il y a les patients qui vont être négligents et pas inquiets et qui ne vont pas se
rendre compte de la gravité. »
Cette banalisation peut être alimentée par un manque de connaissances médicales, où le
patient ne va pas se rendre compte de son état et encore moins y déceler une quelconque
gravité.
M9 : « Je n’ai pas eu du tout l’impression qu’il avait peur que ça puisse être quelque
chose de grave. »
M12 : « Mais lui ne voyait pas du tout le danger. »
Le symptôme peut même être parfois considéré comme normal pour le patient ou pouvant
s’arranger sans aide médicale, ce qui peut rendre compréhensible le fait qu’il n’ira pas
consulter.
119
De plus, le patient tardera à consulter d’autant plus que son symptôme est indolore. D’après
D. Le Breton, dans Tenir46, le fait de ressentir la douleur est le premier motif de consultation
du médecin, à travers le monde. Elle possède une vertu de mise en garde mais rappelle parfois
avec brutalité les limites qui s’imposent au corps.
M3 : « Ça ne devait pas être très douloureux. »
Cette notion de douleur est propre à chacun. L’auteur explique que la vérité de la douleur
n’est pas dans le degré de l’atteinte mais dans sa signification pour l’individu dans une
situation précise. Elle sera ressentie différemment selon les patients.
- La place du corps
Ici, nous développons la place du corps du patient qui intervient et influence ses décisions de
vie. Dans Anthropologie du corps et modernité47 de D. Le Breton, l’image du corps traduit la
représentation que le sujet se fait de son corps. La façon dont il lui apparaît plus ou moins
consciemment à travers un contexte social et culturel, alimenté par son histoire personnelle.
L’anthropologie, de mille manières, a montré que ce n’est pas seulement l’inconscient qui
imprime le corps mais aussi le social, la culture et l’histoire individuelle. Si l’on naît avec un
organisme, le corps nous le construisons socialement.
Le corps est un enjeu symbolique et n’a pas la même fonction selon les catégories socio-
économiques.
Par exemple, les couches rurales ou ouvrières valorisent plutôt la force ou l’endurance, que la
forme, la jeunesse ou le bien-paraître, avec un « corps machine ». Le corps est ici leur
principal instrument de travail, par sa capacité physique et non son esthétique. Ainsi, avoir un
signe ou une maladie susceptible de diminuer ses capacités remettrait en cause leur faculté à
travailler. Attendre jusqu’à ce que le corps n’en puisse plus : ce comportement pourrait
expliquer certains retards à la consultation médicale. Il est repris par l’un de nos médecins
avec une certaine stigmatisation d’un effet générationnel en prenant l’exemple des personnes
âgées et des paysans :
M2 : « Est-ce que c’est cette génération aussi où ils n’ont pas les urgences faciles ? »
46 Le Breton D. (2017). Tenir. Douleur chronique et réinvention de soi. Métailié Traversées. p 272 47 Le Breton D. (2013). Anthropologie du corps et modernité. Presses Universitaires de France, 7ème édition. P
335
120
« Je pense qu’en province, vous allez avoir certainement dans les milieux paysans (…)
Enfin je pense que la mentalité des paysans d’aujourd’hui n’est pas très différente de
celle de mes grands-parents qui l’étaient. Euh, on ne se plaint pas hein ! »
A l’inverse, la dépense physique est recherchée sur un mode ludique par les couches
moyennes et plus aisées, privilégiant plutôt le bien-être et le bien-paraître. Elles sont
soucieuses de se dépenser pour retrouver une forme parfois limitée par l’immobilité de leur
exercice professionnel. Ce sont en outre des catégories attentives à leur santé, à la prévention,
qui seront plus à même de consulter leur médecin si un symptôme douteux apparaît.
Enfin, la pudeur de certains patients peut freiner une consultation si leurs symptômes sont
localisés dans des zones définies comme « tabous » par la société.
4.4.3 Incompréhension des médecins avec dualité entre rationnel et
irrationnel : une énigme
Pour rationnaliser certains comportements de leurs patients, les médecins évoquent une non-
conscience des symptômes et donc une non-conscience d’une quelconque gravité.
M4 : « C’est-à-dire que je n’ai pas compris pourquoi elle venait me voir avec un
résultat qui datait de trois mois avec une insuffisance rénale aussi évoluée dont
manifestement elle n’était pas consciente. »
Si le patient n’est pas conscient ou ne se rend pas compte de certains symptômes, il n’aura
donc pas l’initiative d’aller voir son médecin. Dans les faits, il ne s’agit pas tant de se rendre
compte d’un symptôme. Ce qui fait défaut, c’est de le rattacher par l’interprétation à un signe
suggérant une atteinte potentielle de sa santé. Il en va de même s’il a des capacités cognitives
limitées, comme une maladie d’Alzheimer pouvant altérer ses capacités de jugement.
Mais ce n’est pas toujours le cas et certains patients vont tarder à consulter alors qu’ils ont
toutes leurs capacités cognitives. C’est alors difficile pour le médecin de comprendre ces
comportements, allant à l’encontre des actions d’un « bon patient » :
M9 : « Après, je ne sais pas, moi, je n’ai pas l’impression que ça puisse jouer parce que
je pense à d’autres cas où il y a des gens qui sont parfois très cortiqués avec un niveau
d’études supérieur et ils ne vont pas forcément avoir le réflexe de consulter… Après,
121
peut-être que je me trompe. C’est vrai que j’ai pris deux cas où le niveau socio-culturel
n’était pas très élevé… »
Le ressenti du médecin peut même aller jusqu’à l’étonnement et la stupéfaction :
M10 : « Je ne pensais pas qu’il y en avait autant et qui mettent des semaines, des mois à
aller au travail, qui te racontent leur quotidien et je leur dis :’’Comment vous avez pu
aller au travail depuis un an et demi ?’’ ».
Dans notre étude, certaines causes des retards retenues par les médecins ne sont pas toujours
expliquées, donnant un caractère « irrationnel » et incompris de la réaction du patient.
En effet, plusieurs médecins restent parfois dans l’incompréhension de ces comportements.
M1 : « Je n’arrivais pas à accéder au plan, je ne sais pas s’il était émotionnel ou
imaginaire, qui faisait que pour elle, c’était mieux de faire comme ça. »
M3 : « C’est humain, ce n’est pas toujours logique ! (…) C’est des pulsions, des
contre-pulsions ! Je ne sais pas. (…) Des pulsions d’aller vers quelque part, ou
justement d’être bloqué quoi. D’être bloqué par autre chose. »
Allant même jusqu’à recueillir des propos plutôt incohérents des patients :
M9 : « Elle me dit ‘’Non, je ne veux rien savoir. De toute façon, il faut bien mourir de
quelque chose, et puis, moi, il faut que j’aille travailler !’’ ».
Cette incompréhension du fait que le patient ne consulte pas au moment adapté vient bien du
médecin. Or, cela peut paraitre irrationnel pour le médecin mais rationnel pour le patient.
Le fait d’avoir un symptôme et de ne pas consulter peut être comparé à un cas d’akrasia48.
Cette notion est un concept philosophique qui définit le fait d'agir à l'encontre de son meilleur
jugement. Il est souvent traduit en français par le terme « action incontinente », repris par D.
Davidson, philosophe américain49. Par exemple, cette notion peut être illustrée par le fait que
certains médecins fument alors qu’ils connaissent les dangers du tabac et qu’ils côtoient tous
les jours ses méfaits.
Le sujet peut accomplir une action alors que son meilleur jugement lui dit qu’une autre action
aurait été préférable. Il accomplit alors intentionnellement l’action que lui ne juge pas la
meilleure.
48 Engel P. (2007). Le Philosophoire. Action, émotion, motivation : fondements psychologiques du raisonnement
pratique. Éditions Association Le Lisible et l'Illisible. N°29. P 63-79 49 Davidson D. (1993). Actions et évènements. Traduit et annoté par Pascal Engel. Epimethée.
122
Mais pour reprendre G. Reach, les désirs et les croyances forment les raisons d’une action et
confèrent sa rationalité. Une action que nous jugerions contraire à l’intérêt du sujet et qui est
donc « irrationnelle » de notre point de vue, peut être accomplie de manière parfaitement
rationnelle du point de vue du sujet puisqu’elle a ses raisons. Cela nous oblige alors à
relativiser les jugements que nous pouvons être amenés à porter sur la rationalité des actions
d’autrui.
4.5 Perspectives
Ce travail de recherche nous a permis d’identifier les principaux facteurs pouvant expliquer
un retard à la consultation du patient, selon les médecins généralistes interrogés.
Cela a mis en évidence des raisons considérées comme rationnelles ou irrationnelles selon les
points de vue.
Notre étude a confirmé de nombreuses causes de retard, en accord avec la littérature. Ces
retards peuvent entrainer des conséquences négatives, tant sur le plan humain (altération de la
qualité de vie ultérieure du patient, voire de l’espérance de vie) que financier. En effet, à l’ère
des économies, cela peut représenter un coût non négligeable avec une augmentation des
dépenses de santé, et devenir un problème de santé publique.
Face à ce problème, de nombreuses propositions de prévention ont été amenées par nos
informateurs pour diminuer la fréquence de ces retards.
4.5.1 Moyens de prévention
Pour faire en sorte que les patients soient plus enclins à consulter leur médecin au moment
« adéquat », une solution serait d’améliorer l’information des patients afin qu’ils puissent
mesurer le degré d’urgence et le caractère alarmant ou non d’un symptôme.
Nous avons vu que des campagnes de prévention étaient les bienvenues pour informer au
maximum, via différents supports. La consultation d’internet est aussi un moyen de voir
progresser les connaissances des patients même s’il existe un travail de tri nécessaire en aval,
travail le plus souvent opéré par le médecin.
123
Premièrement, les professionnels de santé sont en première ligne pour informer et « éduquer »
les patients sur les signes ou symptômes devant les alerter. Que ce soit des affiches dans les
salles d’attente, des informations communiquées verbalement lors des consultations, ou par
courrier via les feuilles de remboursement de soins, toute démarche entreprise est un progrès
dans le système de communication. Plus ces messages de prévention sont répétés, plus ils
auront une incidence sur l’amélioration de la prise en charge des patients au bon moment.
D’après une thèse de 2016 de S. Sivasooriyalingam50 sur l’évaluation de l’impact d’une
affiche de prévention pour le vaccin contre le papillomavirus sur les patients, ces derniers
étaient très majoritairement pour la poursuite de cette affiche au sein des cabinets de leur
médecin généraliste.
D. Derval, dans son ouvrage Wait Marketing51, explique que «les patients sont ouverts,
demandeurs et réceptifs à toute démarche éducative, notamment par l’intermédiaire des
supports d’information de la salle d’attente de leur médecin généraliste».
Toutes ces solutions sont à proposer dès l’enfance afin de favoriser la littératie en santé :
M6 : « Quand vous avez des enfants et que vous les amenez régulièrement chez le
médecin, ceux-là vont pouvoir consulter beaucoup plus facilement en étant adultes. »
Et nous insistons bien-sûr sur l’importance de la relation médecin – patient qui est primordiale
et qui doit être centrée sur le patient.
Deuxièmement, les médias tiennent une place importante car ils peuvent toucher une
population plus large que celle qui consulte régulièrement au cabinet médical.
La télévision, la radio ou les journaux sont des supports nécessaires pour faire passer des
messages de santé publique.
Cependant, ils présentent toujours des dérives jusqu’à avoir un effet nocif s’ils sont utilisés à
mauvais escient. Ils peuvent alors orienter le patient vers une mauvaise piste de diagnostic,
qui peut faussement rassurer :
M12 : « C’est même dangereux. Le docteur « Google » est même plus dangereux
parfois que le docteur « famille ». Du coup, ils viennent avec un diagnostic qui n’est
50 Sivasooriyalingam S. (2016). Évaluation de l’impact sur les patients d’une affiche de prévention pour le
vaccin contre le papillomavirus (vaccin anti-hpv). P68 51 Derval D. (2006). Wait Marketing : communiquer au bon moment au bon endroit. Editions Egrolles
124
pas forcément le bon, en tout cas un diagnostic assez grave. J’essaie de travailler avec
eux sur ce versant. »
Ou à l’inverse faire paniquer sans raison :
M8 : « C’est une dame qui a un esprit très critique sur les statines pour les raisons
qu’on sait ! Pas seulement la peur personnelle mais la peur collective aussi générée par
les médias. »
M11 : « Les gens ont tendance à savoir parce que parfois, on a même des douleurs
thoraciques sur des angoisses et ils vont dire qu’ils ont des douleurs dans le bras
gauche alors c’est difficile à savoir. »
Il faut orienter les patients vers des sites d’information viables et cibler les messages pour ne
pas perdre le patient dans un flux incessant d’informations parfois contradictoires, amplifiant
ainsi une cacophonie ambiante.
M12 : « Par exemple, dans l’éducation du patient diabétique, généralement on leur dit :
‘’Il faut faire attention à vos pieds’’. Mais peut-être qu’il faut leur dire aussi
‘’L’infarctus du myocarde, dès que vous sentez ce type de douleur, il faut aller tout de
suite aux urgences, appelez le 15’’. Enfin, il faut toujours dire qu’il faut faire attention
aux pieds mais aussi penser aux autres symptômes et autres complications qui peuvent
être encore plus méchantes. »
Tous ces moyens de prévention peuvent limiter les freins à la consultation en jouant sur
l’augmentation des connaissances médicales et la meilleure évaluation du degré d’urgence
d’un symptôme.
Mais il faut lutter aussi contre les freins liés aux raisons financières en améliorant notamment
les connaissances des patients sur les aides qu’ils peuvent avoir pour consulter un médecin.
Que ce soit la CMU, la CMU complémentaire, l’ACS ou les PASS, plusieurs dispositifs sont
mis en place en France pour que les personnes les plus défavorisées puissent avoir un accès
aux soins, à condition que celles-ci soient au courant de ces mesures. Les patients peuvent se
renseigner sur le site www.ameli.fr.
Quant au médecin, il peut apporter lui-même ses compétences, à la fois médicales et
relationnelles, en adaptant sa pratique pour repérer les patients susceptibles de consulter
tardivement.
125
4.5.2 Quelle position du médecin adopter face aux retards ?
Beaucoup de nos informateurs se sont interrogés sur la réaction à adopter pour aider le patient
dans son cheminement de santé, après avoir été stupéfaits de l’aggravation de certains
symptômes sans avis médical.
Plusieurs expressions du registre de l’horreur voire de la catastrophe ont été prises pour
décrire les symptômes de certains patients. Ces superlatifs reflètent l’état de stupéfaction et de
sidération des médecins lors des consultations.
M9 : « Quand on voyait ses articulations, c’était monstrueux ! (…) Mais c’était énorme
son truc. Je ne sais pas comment il a fait pour tenir le choc jusque-là ! »
M5 : « Quand j’ai vu son sein, c’était une évidence ! C’était gros, c’était dur, c’était
métastasé à la peau donc il y avait des petites métastases autour, c’était monstrueux ! »
M7 : « C’était vraiment catastrophique. »
Face à ce genre de situation, tandis que certains sont plutôt résignés :
M3 : « J’ai un petit raisonnement anarchique, c’est la vie ça. Voilà. Libertaire je suis,
libertaire je reste ! (Rires) Je ne suis pas leur maman. Ce n’est pas un bon
raisonnement, je sais. Ce n’est pas très humain mais je suis un peu comme ça.
Maintenant après, si les gens refusent, je ne leur cours pas après. »
M6 : « S’il n’a pas envie de se soigner… Vous ne pouvez rien faire de toute façon. C’est
aussi possible qu’il refuse finalement les soins. »
D’autres essaient tant bien que mal de se remettre en question en puisant dans leurs propres
peurs et représentations :
M9 : « C’est vrai que je n’ai jamais posé la question, c’est des choses que je ferai après
par la suite, mais sur le coup, c’est vrai que je ne fouillais pas. Alors peut-être que c’est
parce que je n’avais pas envie de savoir non plus, je n’en sais rien ! (Rires) »
Ainsi, plusieurs postures peuvent être adoptées, allant du médecin paternaliste au médecin
informatif. Mais tous nos informateurs sont en accord avec le fait de ne jamais culpabiliser le
patient après un retard, quelles que soient les conséquences :
M1 : « C’est des vraies questions éthiques. Est-ce qu’on appuie sur des boutons
culpabilisants ? Est-ce qu’on laisse les gens ? Ou jusqu’où on laisse les gens faire ce
qu’ils veulent ? »
126
Cela rejoint les modèles de relation médecin-patient décrits par la Société Française de
Médecine Générale52,53. Pour aller plus loin, le médecin paternaliste, issu de la culture latine,
est un médecin décideur avec un principe de bienveillance : « je choisis pour lui ». Il va avoir
comme principaux buts la protection contre la souffrance physique et psychique du patient et
la réduction de son anxiété. Mais cette relation est asymétrique, mettant en valeur le pouvoir
du médecin et la fausse idée de sa toute puissance.
Tandis que le médecin informatif, issu de la culture anglo-saxonne, donnera le patient pour
décideur, avec un principe d’autonomie, prônant la liberté du patient à décider de ses choix de
vie : « je lui donne les faits, à lui de choisir ». Mais en s’écartant de sa responsabilité de
médecin, cette relation peut tendre à de l’indifférence.
Le médecin collaboratif se situe entre les deux.
Aucun modèle n’est mauvais en soi. Chaque rôle peut être un passage obligé dans la relation
médecin-malade, mais le médecin généraliste doit amener son patient, à son rythme, à une
certaine autonomie, c'est-à-dire l’acceptation de sa maladie, et savoir composer avec elle.
Certains patients resteront dans une relation primaire, ayant besoin d'une "autorité
protectrice", d'autres prendront leur place en tant que partenaire. Le professionnel de santé se
doit de percevoir ces mécanismes relationnels pour les respecter, s'adapter et aider si possible
le patient à gérer son capital santé en fonction de ses représentations. Ainsi, le modèle utilisé
sera différent selon le patient qu’il a en face de lui, et à différents moments de vie pour un
même patient.
Quel que soit le modèle utilisé, le patient a toujours besoin d’écoute et il va moins facilement
consulter le médecin s’il sait qu’il n’est pas entendu.
M6 : « Est-ce que le médecin est suffisamment disponible pour écouter ce qu’il a à dire
aussi ? (…) Si par exemple, il y a une inquiétude chez le patient pour quelque chose, il
faut que le médecin soit disponible pour écouter et recevoir ses paroles, et si le patient
sent que le médecin est pressé ou qu’il a autre chose à faire ou s’il ne s’y intéresse pas,
il ne va pas le faire. Ça, c’est fondamental (…) C’est un problème de communication à
la fois simple et compliqué car vous devez d’abord établir la relation pour que l’on
puisse parler. »
52 SFMG. (2013). Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la
discipline. Thèse de médecine 53 Grimaldi A. (Avril 2015). La relation médecin/malade dans tous ses états. La Lettre du Neurologue. Vol.
XIX, numéro 4
127
Et s’il n’est pas compris :
M5 : « Elle avait peut-être même plus que 85 ans donc qu’on lui foute la paix quoi ! »
Par conséquent, certains de nos informateurs ont adapté leur pratique.
Tandis que certains cherchent à comprendre les raisons d’un retard pour éviter une
« récidive » chez un même patient :
M9 : « Si c’était à refaire, je ne poserai pas la question ‘’Pourquoi vous n’êtes pas venu
consulter plus tôt ?’’ mais « Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous n’ayez pas
consulté plus tôt ? ». Voilà, c’est peut-être une approche complètement différente. Peut-
être plus une question ouverte pour que ce soit plus neutre. »
M13 : « Quand je ne les vois pas depuis longtemps, je leur pose la question pour savoir
s’il y a eu un problème qui les a empêché de consulter. »
D’autres utilisent la peur pour faire venir le patient plus vite :
M7 : « Du coup, je l’ai stressée encore plus ! On a un peu joué aussi sur la peur. »
Mais la stratégie doit être personnalisée et adaptée au caractère du patient, d’où l’importance
d’une bonne relation médecin-patient.
4.5.3 Comparaison pour des études ultérieures
Ce sujet pourrait être étudié avec une autre technique de recueil de données. Nous avons
choisi de réaliser des entretiens semi-dirigés. Il serait intéressant de voir quels sont les
résultats obtenus lors d’entretiens collectifs (« focus groups »). La dynamique de groupe peut
parfois permettre aux informateurs de s’exprimer sur des thèmes qu’ils n’auraient pas abordés
en entretien individuel. Les interactions entre les participants peuvent également faire émerger
des opinions et des expériences mais il y a toujours un risque de timidité.
Par ailleurs, si la relation thérapeutique consiste, pour le médecin, à tenter de comprendre les
raisons du patient pour éventuellement essayer de les modifier dans un sens qu’il estime être
bon pour lui, peut-il avoir accès à ce qu’il y a réellement dans la tête de celui qu’il a en face
de lui ?
Ici, nous avons choisi d’explorer le point de vue des médecins mais pour compléter notre
travail, il serait donc intéressant d’interroger les patients eux-mêmes, afin d’explorer leurs
128
propres perceptions et représentations. Ce travail sera réalisé en parallèle avec l’interne A.
Ribourg de la faculté de médecine Sorbonne Université qui interrogera les patients recrutés
grâce aux informateurs de notre étude, après leur accord.
Par la suite, une étude de comparaison des résultats de ces deux projets pourrait être réalisée
afin de mettre en lumière des similitudes ou discordances entre le point de vue du médecin et
celui de son patient. Cela permettrait d’analyser les représentations des uns et des autres, afin
de mieux de cibler l’accompagnement du patient, de manière individuelle, tout au long de son
parcours de santé.
129
5. CONCLUSION
Cette étude portant sur les représentations des médecins généralistes concernant leurs patients
qui consultent tardivement alors qu’ils ont des symptômes alarmants, a été imaginée comme
une tentative de compréhension des comportements des individus à certains moments de leur
parcours de soins et de leur histoire de vie.
Mais il faut noter qu’un malaise n’est pas toujours synonyme d’une interprétation menaçante
pour la santé. Il faut intégrer le sentiment de fragilisation du corps pour envisager une
consultation. Si cette condition n’est pas suffisante, cela s’inscrit dans une temporalité
spécifique à chaque patient.
Par un recueil d’interprétations du point de vue des médecins, l’objectif de ce travail était de
comprendre certaines actions ou décisions de patients pour mieux les appréhender et éviter au
maximum des conséquences négatives pour leur santé, face à un retard de consultation, et par
conséquent, de diagnostic et de prise en charge.
De nombreux facteurs entrent en jeu pour expliquer ces retards à travers différentes
temporalités. Celle du patient semble s’allonger tandis que celle du médecin ou de la
médecine générale ne cesse de se raccourcir. Cette question de différence de temporalité
mériterait un travail de thèse à elle-seule, de par sa complexité.
Tandis que certaines causes de retard sont rationnelles comme l’impossibilité de payer une
consultation médicale ou des difficultés à obtenir un rendez-vous, d’autres sont qualifiées
d’irrationnelles. L’histoire personnelle et familiale du patient, la peur, le déni, la non
conscience de la gravité mais aussi un rythme de vie effréné sont les raisons les plus reprises
par les médecins interrogés, parmi tant d’autres.
A l’issue de cette recherche, il semble que le fait de ne pas consulter lorsque l’on a un
symptôme alarmant est considéré du point de vue du médecin et lui apparaîtra toujours
comme irrationnel s’il juge à travers ses propres références, mais si nous voulons réellement
tenter de comprendre, nous devons considérer le point de vue du patient.
Cela prend en compte l’empathie qui, selon une idée reçue, n’est pas de prendre la place de
l'autre mais que chacun garde sa place dans une atmosphère d'écoute et de perception des
130
raisonnements et émotions du patient. Se rendre disponible, capter la souffrance ou le plaisir
tels qu’ils sont vécus par l’individu, en acceptant des différences.
Cette posture permettra au médecin de maintenir une position d'ouverture envers celui ou
celle qui le consulte. Elle peut permettre à la relation, et donc à chacun des protagonistes,
médecins et patients, de mettre en œuvre de manière plus sereine, le rapport à la temporalité
qui diffère entre eux.
Ces compétences indispensables seront la base d’une relation de qualité et permettront
d’accompagner au mieux le patient. S’il se sent écouté et bien informé, il semble qu’il
consultera plus facilement.
Le médecin devra réaliser un travail d’anticipation vis-à-vis des patients susceptibles
« d’étirer » leur temporalité, en fonction d’un contexte, de la psychologie des individus et de
leurs représentations.
Pour approfondir le sujet autour des retards à la consultation, il sera intéressant de comparer
ces données avec le discours des patients eux-mêmes en mettant en miroir les représentations
de chacun.
131
6. BIBLIOGRAPHIE
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134
7. ANNEXES
7.1 Guide d’entretien
1) Présentation :
Pouvez-vous vous présenter et décrire brièvement vos conditions d’exercice ?
- âge, nombre d’années d’exercice en médecine générale
- milieu et mode d’exercice : secteur I ou II, zone urbaine/rurale, groupe/individuel
2) A propos des patients :
Comment définiriez-vous votre relation avec les patients en général ?
Avez-vous eu un ou des patient(s) qui vous ont consulté tardivement ?
Quelle relation entretenez-vous avec ce ou ces patient(s) ?
Pouvez-vous me raconter l’histoire de ce patient pendant la première consultation ?
Comment a-t-il annoncé son symptôme ?
Quelle a été votre attitude envers lui ?
Quel a été votre ressenti face à ce retard ?
A votre avis, quelles sont les raisons pour lesquelles ce patient a tardé à consulter ?
Ou Comment interprétez-vous ce retard ?
3) Après la consultation tardive :
Quelles ont été les conséquences de ce retard ?
(Retentissement sur l’espérance de vie ? sur la qualité de vie ? sur la relation de confiance
médecin – patient ?...)
Quel est l’état de la relation médecin-patient après cette consultation ? A-t-elle changé ?
4) Prévention
Selon vous, auriez-vous pu éviter ce retard à la consultation ?
Quels seraient les moyens de communication à mettre en place, afin d’éviter ce retard ?
Y-a-t’il eu un changement dans vos pratiques après cette expérience ?
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
135
7.2 Verbatim d’un entretien (entretien n°7)
- MC : Donc est-ce que tu peux te présenter et me dire depuis quand tu exerces ?
- P7 : Je suis âgée de 32 ans, je suis installée depuis avril 2016 dans le 13ème arrondissement, tout près de la
station Olympiades. J’ai été remplaçante de 2013 jusqu’à 2016. J’ai décidé de m’installer une fois que j’avais
fini par trouver quelqu’un avec qui je pouvais m’associer. Je suis en collaboration plus exactement. Je suis
installée avec une jeune femme qui a le même âge que moi. On est deux à travailler officiellement et on tourne
avec des remplaçants les jours où elle n’est pas là, et où moi, je ne suis pas là. Et j’ai une deuxième activité : je
suis médecin de crèche une fois par semaine. Et je n’ai pas d’activité hospitalière, je n’ai pas de formation
supplémentaire ni DU de gynéco ou quoique ce soit. Je suis en train de passer un DU de pédiatrie.
- MC : OK. Secteur 1 ? Secteur 2 ?
- P7 : Je suis en secteur 1. Et je fais des visites à domicile.
- MC : Du coup, notre projet, c’était de s’intéresser aux patients qui tardaient à consulter alors qu’ils pourraient
avoir des symptômes plus ou moins alarmants. Aurais-tu un ou plusieurs patients en tête sur lesquels on pourrait
discuter ?
- P7 : J’en ai deux qui sortent du lot réellement, mais avec le même profil. J’ai d’autres patients, pour des
symptômes un peu moins graves, qui sont venus consulter un peu tard, ce qui a compliqué un peu la prise en
charge.
- MC : Alors, on peut commencer par ces deux premiers patients ?
L’histoire du symptôme par exemple ?
- P7 : D’accord. Alors, c’est un patient qui… En fait, anciennement, avant que ma collègue s’installe, il y avait
un ancien médecin qui était parti à la retraite et qui a donc été remplacé par ma collègue. Elle suivait un
monsieur turc, d’une quarantaine d’années, qui était porteur d’une hépatite B chronique, de mémoire, je dirais
non traitée, plus ou moins suivie. Et qui avait, on va dire, un alcoolisme pathologique, mais pas un alcoolisme
générant des complications de type agressivité etc…
Donc il est venu, je m’en rappelle très bien, en juillet 2016, voir d’abord ma collègue, pour un tableau de
somnolence, teint bronzé et augmentation du périmètre abdominal. Et évidemment, à l’examen clinique, elle
s’oriente assez rapidement vers une probable cirrhose. Elle lui demande de faire un certain nombre d’examens
d’abord en ville, elle prend contact avec le service d’hépatologie de la Pitié-Salpêtrière, qui programme une
consultation, un ou deux mois après.
Ma collègue part en vacances. Et le monsieur aussi, je crois. Et je reçois des résultats de biologie de ce patient
qui était à Annecy, et donc, évidemment, je suis inquiète, avec un tableau de cirrhose décompensée, des critères
de gravité, avec, je ne me rappelle plus du score de CHILD mais c’était vraiment catastrophique. J’appelle la
femme de ce patient, je lui demande d’envoyer son mari faire une échographie abdominale en urgence avec un
doppler du tronc porte, et le diagnostic tombe : tumeur, enfin, lésion suspecte du foie avec une thrombose de la
veine porte.
Donc je fais ramener le patient en urgence début août et je fais hospitaliser en urgence en réa en hépato le
patient, qui malheureusement va décéder 4 - 5 mois plus tard parce que le carcinome hépatocellulaire était trop
avancé. Donc voilà pour le patient qui lui, ne voulait franchement pas se faire soigner. Je pense qu’il se savait,
avant la première consultation du mois de juillet, je pense qu’il se savait malade. Je pense qu’il ne mesurait peut-
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être pas la gravité de la situation mais un peu plus que ce que l’on pensait réellement. Et je pense qu’il avait un
peu peur des solutions thérapeutiques et la preuve, c’est qu’il a quand même eu de la chimio etc et que ça n’a
pas… Enfin, c’était trop tard…
- MC : Il n’y avait pas la barrière de la langue ?
- P7 : Non, il parlait bien le français. Il vivait depuis très longtemps en France. Peut-être, alors moi je le
connaissais finalement assez peu mais j’avais peut-être l’impression, il n’avait pas fait de grandes études, mais
quand même qu’il y avait une partie psychologique. Il n’avait pas vraiment envie, euh, c’était une hépatite B
probablement de transmission materno-fœtale, parce que toute sa famille était porteuse. Sa maman était décédée
d’une hépatite B donc je pense qu’il se savait porteur, c’était plus ou moins suivi donc il y a peut-être eu un peu
de négligence de la part des médecins qui le suivaient, mais je pense aussi que c’était un monsieur qui n’avait
pas trop envie qu’on l’embête et que du coup, il est venu consulté quand il n’a pas eu tellement le choix et quand
sa femme lui a dit : « Non, là, ça suffit, ça ne va pas».
- MC : C’est ça, donc le motif de consultation a priori en juillet, c’était ?
- P7 : Exactement, en fait, je vous ai dit une bêtise. De mémoire, il est venu consulter ma collègue parce qu’il
avait une prostatite en fait. Il avait des symptômes de prostatite. En fait, je vous ai dit pour une cirrhose, mais
non ! En fait, il avait des symptômes de prostatite, et ma collègue, en le voyant jaune et ainsi de suite, les urines
extrêmement concentrées, la décoloration des selles, la tendance à la somnolence, le flapping qu’il avait quand
elle l’a vu pour la première fois. Elle lui a d’abord fait le bilan pour la prostatite et secondairement, le bilan
hépatique. C’est pour ça que je pense aussi que ça a un peu trainé.
- MC : On ne sait pas s’il s’en est rendu compte ? Soit il a laissé trainer ?
- P7 : Oui, je pense que ma collègue et lui n’ont pas mesuré finalement à quel stade on en était déjà de sa maladie
cirrhotique, et que la prostatite n’était qu’un motif parmi tant d’autres pour venir consulter le médecin. Mais là,
c’était plus facile de venir consulter en disant : « j’ai une prostatite, et je n’ai rien d’autre ».
- MC : C’est plus facile à guérir…
- P7 : Oui et puis c’était concret. Je pense que c’était plus concret pour lui de dire « voilà, j’ai une infection
urinaire, on va me donner des antibiotiques et ça va aller mieux ».
- MC : D’accord. On ne sait pas si par rapport à son histoire familiale, sa mère étant décédée d’une hépatite B ?
- P7 : Oui, c’est possible qu’il y ait une partie psychologique qu’on ne connaît pas. C’est pour ça que je dis
quand même : moi, j’ai un bémol sur le fait que je me demande s’il n’avait pas en fait beaucoup plus compris
que ce qu’on nous laissait entendre. L’évolution de cette maladie, la gravité de la maladie etc. J’en ai beaucoup
discuté avec lui après parce que je l’ai pas mal suivi pendant toute la période où il était en chimiothérapie et
c’était un sujet qu’on avait abordé de la grande probabilité que malheureusement, il n’y aurait pas une fin
heureuse à cette prise en charge. Et du coup, je voyais aussi sa femme en parallèle, qui est un peu spéciale, et qui
a éprouvé beaucoup de colère envers son mari, par le fait qu’il est venu consulter trop tard, par le fait qu’il était
responsable car il consommait de l’alcool et que pour elle, c’était essentiellement l’alcool qui était responsable
de cette cirrhose alors que je pense que c’était bien plus partagé que ça Voilà, qui surtout lui en voulait de ne pas
avoir fait les démarches pour se soigner avant, même si je pense que si on l’avait soigné 6 mois avant, ça n’aurait
pas changé grand-chose, enfin peut-être que si, mais voilà ! Je pense surtout que c’était un monsieur qui aurait dû
être pris en charge des années avant.
- MC : D’accord. Et qui aurait laissé trainer par peur des conséquences ?
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- P7 : Oui, clairement, je pense. Avec l’expérience personnelle de cette maladie.
- MC : Il n’avait pas d’autres soucis de santé a priori ? Qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour le faire venir avant ?
- P7 : Ba il y a eu aussi ce problème, alors là, c’était plus peut-être un problème de fonctionnement de cabinet,
c’est-à-dire qu’il a été suivi par un médecin, du coup, qui était parti à la retraite, alors à quel rythme ? Je ne sais
pas. Je ne sais pas comment il était surveillé à cette époque-là. Est-ce qu’on lui faisait faire une charge virale de
l’hépatite B régulièrement ? Est-ce qu’il avait des écho abdo régulièrement ? Je n’en suis pas certaine. Ensuite, il
y a eu cette rupture, puisque du coup, le médecin a changé donc est-ce que ça a été un frein ? Ce n’était pas le
même âge. L’autre médecin était installé depuis 30 ans dans le cabinet. Est-ce que ça n’a pas été un frein pour
relancer un suivi ? La confiance médecin-malade, on parlera du deuxième cas après, et typiquement on sent
l’importance que ça a. Alors est-ce ça, ça n’a pas été un problème pour lui ? Je pense quand même que vraiment,
devant tout ça, il y a cette expérience personnelle de la maladie. Je pense qu’il avait une connaissance quand
même, une certaine forme de connaissance de l’évolution que ça pouvait avoir. Je pense que quand il est venu
me voir, enfin quand je l’ai vu en urgence au mois d’août et que je l’ai envoyé d’emblée en réa, je pense quand
même, enfin il avait l’air de faire croire qu’il ne comprenait pas, mais en fait je pense qu’il en comprenait un
petit plus. Il était conscient de la gravité de sa pathologie, enfin, il était en partie conscient qu’il y avait un truc
qui n’allait pas. Après de la gravité, je ne sais pas trop. C’était un peu un mystère, même après où j’ai continué à
le suivre, je ne savais pas trop exactement ce qu’il comprenait. J’avais l’impression quand même qu’il savait
qu’il était condamné quand même. Mais bon, je ne peux pas vraiment savoir mais j’avais l’impression quand
même qu’il y avait des moments où il était lucide sur l’évolution.
- MC : D’accord.
- P7 : Voilà.
- MC : Et ça a renforcé la relation ? Puisque c’est toi qui l’a suivi après, finalement, pendant le traitement ?
- P7 : Oui. Je ne sais pas ce que ça lui a apporté. J’espère que je lui ai apporté un peu de réconfort parce que moi,
j’avais pas mal de liens, j’étais en relation directe avec ses médecins. Quasiment dès le début, on savait que ce
serait très compliqué qu’il s’en sorte donc on avait très vite abordé le sujet de la fin de vie, de ses désirs
justement de retourner en Turquie etc.
En tout cas, il venait me voir. Après, est-ce que ça lui a apporté quelque chose ? Je ne sais pas, mais il venait me
voir toutes les trois semaines environ.
- MC : D’accord. Et pas forcément ta collègue ?
- P7 : Non, il a arrêté de voir ma collègue. Mais je ne pense pas, il n’y avait pas de problème. Elle l’avait vu une
fois au mois de juillet et comme j’ai repris la suite parce qu’elle était partie en vacances, ça s’est fait
naturellement. Il n’y avait ni rancœur ni quoique ce soit.
- MC : Donc, lui, entre les antécédents familiaux, la mauvaise expérience qu’il a eu… Et sa femme lui en voulait
après ?
- P7 : Oui, bon, alors sa femme, elle a un comportement un peu particulier. Elle est un peu ambivalente. Je la suis
toujours du coup et elle exprime à la fois de la tristesse mais je ne suis pas certaine que cette tristesse était réelle.
Je pense que ça faisait longtemps que sa relation avec son mari n’était plus ce qu’elle était. C’était un mariage,
de mémoire, arrangé. Voilà et en fait, elle lui en voulait, parce que, comme elle dit : « il m’a laissé toute seule
avec mes trois gamins ! ». Ce qui est un peu vrai. Et déjà, il était très éteint avant même de décéder. C’était un
monsieur qui était quand même très discret, mais dans tous les sens du terme, c’est-à-dire qu’il était très discret
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dans l’accompagnement à la maison aussi, c’est-à-dire qu’il intervenait assez peu sur l’éducation des enfants. Je
pense qu’il intervenait assez pour tout ce qui est de l’entretien du domicile etc et je sentais bien qu’il y avait
vraiment de la colère de sa femme vis-à-vis de lui, d’autant plus qu’il a fallu en plus qu’elle s’occupe de lui
puisqu’il a quand même été très malade, et ça, ça a été très difficile, très très difficile.
- MC : D’accord. Et donc c’est toujours la peur ? L’angoisse de toutes les conséquences que ça peut avoir une
fois qu’on a posé le diagnostic ?
- P7 : Tout à fait. En plus, elle avait aussi une autre obsession, c’était d’être potentiellement contaminée par
l’hépatite B, évidemment. Donc à un moment, elle voulait qu’on fasse quasiment tous les trois mois, que je
prescrive une sérologie alors qu’elle était vaccinée.
- MC : C’était un peu anxiogène pour elle ?
- P7 : Oui, et puis toujours à rejeter la faute sur son mari : « il le savait, il ne s’est pas fait suivre, il nous a fait
prendre des risques ».
- MC : Et alors, le deuxième patient ?
- P7 : Alors le deuxième patient, c’est un peu le même tableau sauf que lui, il a anticipé. C’est un monsieur qui
en fait, est le cousin de ma collègue. C’est un monsieur d’une cinquantaine d’années aussi, qui lui s’est présenté
à ma consultation. En fait, qui a demandé un rendez-vous en urgence par l’intermédiaire de ma collègue avec
moi du coup, parce qu’elle ne voulait pas le recevoir, ce qui était normal. Et donc, je le vois un lundi ou un mardi
après-midi, jaune comme un citron, enfin plutôt blanc comme un linge mais avec un teint vraiment tirant sur le
jaune, voire le vert, et un énorme ventre donc évidemment le diagnostic n’a pas été compliqué à poser. Avec un
terrain, alors vraiment de consommation excessive d’alcool depuis de nombreuses années, donc strictement
alcoolique, sur un terrain psychologique extrêmement lourd je pense, plus que ce qu’il veut bien me dire. Et en
fait, ça faisait plus d’un an qu’il était dans cette situation-là avec des critères de cirrhose décompensée, avec une
augmentation du périmètre abdominal, des œdèmes des membres inférieurs, des œdèmes dans les bases
pulmonaires, une tachycardie, un pic fébrile tous les soirs, enfin vraiment tous les critères de la cirrhose
décompensée. Et le délai de la prise en charge ?
Probablement la peur du diagnostic aussi. Alors, lui, vraiment, niveau socio-économique plus élevé, quelqu’un
de plutôt très intelligent, qui savait très bien son diagnostic.
- MC : Ah bon ?
- P7 : Oui, lui, il savait ce qu’il avait.
- MC : Parce qu’il n’a pas forcément de connaissances médicales ?
- P7 : Oui, mais alors, lui, c’est un petit biaisé parce qu’il a sa cousine qui est médecin. Si, si, même s’il n’avait
pas forcément le mot exact, il connaissait son diagnostic, il savait la cause et c’est vrai que les explications au
fait qu’il ne soit pas venu, je pense que c’est vraiment la peur que ça va générer derrière, ce que ça a généré
derrière d’ailleurs. C’est-à-dire des consultations avec moi quasiment toutes les semaines, la tentative de sevrage,
la prise en charge de la pathologie en tant que telle, la prise de médicaments. Voilà. Donc pour lui, ça a surtout
été, je pense, ça. Mais maintenant, c’est très intéressant parce qu’il adhère, là, c’est le revers de situation : on a
stabilisé sa cirrhose et il adhère vachement à tout, à la prise en charge. La seule chose qu’on n’arrive pas à faire
pour l’instant, c’est à le sevrer, mais c’est parce que malheureusement, comme tous les patients alcooliques, la
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consommation d’alcool n’est pas seulement un plaisir, elle est surtout un bon antidépresseur donc c’est cette
prise en charge là qui est un peu difficile, mais bon, on est sur le coup !
- MC : Donc c’est-à-dire que maintenant, il adhère au traitement ?
- P7 : Ah complètement, c’est-à-dire que c’est le revers de la situation ! Je pense qu’il est arrivé en se disant :
« ça y est, maintenant je suis devant le médecin. OK, j’ai trainé, mais maintenant, je ne déconne plus ».
- MC : Donc il y a eu un déclic quand il est venu à la consultation ?
- P7 : Ah oui, vraiment. Je pense qu’il y a eu un déclic quand sa famille lui a dit : « là, maintenant, il faut que tu
ailles consulter un médecin parce que vraiment, ça ne va pas ! »
Je pense que c’est la famille qui a été le déclencheur mais plutôt la famille accompagnante quand même, d’une
certaine manière. Bien qu’il y a quand même sur son état dépressif, une base familiale lourde mais on va dire que
sa tante, donc la mère de ma collègue, a été plutôt une aidante et une accompagnante.
- MC : D’accord. Et il arrivait à avoir sa vie active ?
- P7 : Il travaille oui ! Il est actif, il bosse.
- MC : Donc en fait, ça ne le gênait peut-être pas dans sa vie quotidienne ?
- P7 : C’est une question que je lui ai souvent posée, c’est de lui demander comment les gens le voyaient parce
qu’il avait quand même un teint, alors évidemment quand on est en hiver et qu’on ne voit que la tête, bon, il avait
vraiment un teint particulier et un énorme bidon, pas un bidon d’un homme gras : un bidon d’un homme
cirrhotique. Alors évidemment, c’est peut-être notre déformation professionnelle qui dit ça mais étonnamment, il
dit que dans son environnement, il a l’air de dire que peu de gens s’en sont vraiment aperçus, à part je crois son
chef parce que lui aussi avait un problème d’alcoolisme et du coup, il a fait des similitudes…
Mais non, non, il n’a pas été, ni mis au placard, ni catégorisé comme « toi, tu consommes ! » : pas du tout ! C’est
vrai que c’est un peu étonnant !
- MC : Donc lui, tant que ça allait, il ne consultait pas ?
- P7 : Ah oui, oui. Dans la rue, il est comme vous et moi. A part qu’il est, bon maintenant, il est moins jaune.
- MC : Et peut-être qu’il savait qu’il devait arrêter l’alcool le jour où il consulterait ?
- P7 : Oui. Alors là, maintenant, depuis qu’il est stable, c’est un sujet un peu plus important dans nos
consultations. Ça, c’est compliqué, parce que pour l’instant, il n’est pas prêt. Il a réduit sa consommation, il la
mesure mais pour l’instant, ce n’est pas possible de sauter le pas donc j’essaie de faire la prise en charge
habituelle, mais c’est sur ça qu’on est en train de travailler là, pas facile !
- MC : Et j’avais certains médecins qui disaient qu’il fallait vraiment un temps pour que ça mûrisse chez
certaines personnes ?
- P7 : Oui, c’est ce qu’il exprime lui. C’est vrai. Je pense que pour l’instant en plus, il n’y a pas de critères de
gravité, il n’y a pas de lésions suspectes, même si l’hépatologue est un peu plus direct et qu’il me dit qu’il va
finir par avoir des lésions suspectes mais bon ! Peu importe. Pour l’instant, il n’y en a pas. Il a une cirrhose qui
est stable, qui n’a pas besoin d’avoir de traitement spécifique à part de temps à autre un peu de Lasilix® mais
effectivement, on est dans cette phase-là. Le cheminement vers l’intégration qu’il va falloir arrêter de
consommer et que ce sera forcément zéro. Et ça, c’est effectivement un travail qui est en cours, qui n’est pas du
tout lancé. Alors il a eu à un moment un comportement étonnant parce que autant, c’est un homme assez patient,
qui a pris du temps pour venir me consulter et les dernières consultations, il voulait du Baclofène®. Ce qui est un
peu étonnant parce que autant il me dit qu’il n’est pas vraiment prêt pour arrêter de boire, autant il me dit qu’il
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veut réfléchir mais il veut du Baclofène®. Du coup, j’ai tempéré en disant que d’une part, moi, je n’étais pas
vraiment prescripteuse de Baclofène®, et d’autre part, je n’étais pas sûre que dans ce contexte-là, ce soit le
meilleur moment pour l’introduire. Parce que le Baclofène® s’introduit plutôt chez quelqu’un de sevré, au moins
en aigu, et du coup, on y travaille un peu. C’est vrai que c’était une demande un peu bizarre qui sortait un peu de
nulle part. Et en fait, je pense qu’il imagine peut-être que d’un coup de baguette magique avec le Baclofène®, on
règlerait le problème.
Mais c’est important avec tous les patients alcooliques, de justement mettre le holà sur ce genre de prescription
parce que jugement, si c’était aussi simple, il n’y aurait pas beaucoup d’alcooliques chroniques. Sans compter
que maintenant, l’AMM a remis des limites à la prescription du Baclofène® pour notamment ce qu’on faisait
avant. Voilà.
- MC : Et quand tu parles de terrain psychologique assez lourd ? Ça pourrait jouer ?
- P7 : Ah oui, oui. Là, comme ça, de mémoire, c’est un monsieur qui a des antécédents déjà dans l’enfance très
lourds, avec une maman qui est morte sur un avortement comme on les faisait à l’époque. Un enfant qui a été
placé, je pense, qui a été élevé entre autres par sa tante, avec un oncle qui consommait aussi de l’alcool.
Vraiment une histoire familiale assez compliquée. Un enfant mal dans sa peau, je pense, qui a dû avoir des
difficultés à l’école, non pas sur le plan réussir, mais sur le plan de l’intégration. Qui a eu des comportements à
risques autres que l’alcool, qui a été un consommateur, je dirais de cocaïne, peut-être même de cannabis
potentiellement. Voilà, qui a déjà essayé de se sortir de la situation plusieurs fois et qui a réussi à arrêter certains
produits, mais malheureusement, pas tous. Et du coup, lui est restée cette consommation d’alcool.
- MC : Ca fait plusieurs fois qu’il a dû tenter d’arrêter certains produits ?
- P7 : Oui. On n’est pas sur une consommation récente. On est sur une consommation à bas bruit depuis très
longtemps je pense. Il doit avoir un peu plus de 50 ans, et il doit bien avoir 20 ou 30 ans d’alcoolisme derrière
lui.
- MC : Donc ça pourrait jouer sur le retard ?
- P7 : Alors, oui, sur la prise en charge. Alors je ne suis pas une grande spécialiste de l’addicto, mais ça peut
peut-être expliquer pourquoi c’est d’autant plus difficile de passer le pas, c’est un peu comme son compagnon
quoi. Tous les soirs, il a sa petite consommation de rhume ou de gin et c’est son ami quoi.
C’est un homme qui n’est pas marié, qui a eu plutôt des relations homosexuelles mais qui n’a pas eu de relations
depuis peut-être plus de dix ans. Enfin, tout un terrain… Il y a une forme d’isolement. Alors malgré tout, c’est un
homme je pense très gentil, qui est toujours plutôt prêt à rendre service, qui doit avoir de très bons amis, mais qui
quand même, d’une certaine manière, a une relation avec sa famille un peu particulières, par exemple, même
avec sa cousine, il a une relation qui moi, me surprend un peu. J’ai l’impression qu’elle ne prend pas de
nouvelles alors est-ce que c’est parce qu’il y a des choses que je ne sais, c’est possible ! Du coup, elle, je la
connais et ça me surprend qu’elle n’aille pas vers lui, qu’elle ne l’accompagne pas et je n’ai pas l’impression
qu’elle le fasse. Alors est-ce que c’est lui qui ne veut pas demander ou est-ce c’est parce qu’il y a une histoire
familiale que je ne connais pas complètement. Mais c’est vrai qu’il y a une relation à sa famille qui est
particulière, qui est un peu surprenante ! Et du coup, c’est un homme qui, malgré le fait qu’il a de très bons
contacts avec des très bons amis, est quand même isolé. Il n’a pas de partenaire, il vit seul, il a une famille qui est
peu présente, et du coup, il s’est retrouvé un peu en tête à tête avec sa petite bouteille de gin et de…
- MC : C’est vrai que l’isolement, ça doit…
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- P7 : Oui, oui, et puis avec tout le passé, des antécédents d’addiction qui aident aussi. Quand on a été addict à un
produit, on est souvent addict à plusieurs produits, enfin, on a des comportements en tout cas d’addiction. Et à un
moment, j’ai même cru qu’il avait aussi un comportement comme ça avec moi, le besoin de venir me voir toutes
les semaines. Alors, après, ça a été aussi un peu généré parce qu’il a eu au début la prise en charge de la cirrhose.
Ensuite, il s’est mis à avoir des neuropathies que je n’arrivais pas à expliquer et ça a généré des consultations un
peu répétées. D’ailleurs, un des objectifs quand ça ira vraiment mieux, c’est de ré-espacer un peu pour perdre
ce…, enfin pour ne pas qu’il y ait de dépendance à nos consultations.
- MC : D’accord. Pour ne pas qu’il compense par autre chose ?
- P7 : Voilà, exactement.
- MC : Et est-ce que l’alcool a pu aussi entraîner un déni par rapport à la maladie ?
- P7 : Par rapport à la cirrhose ? Non, je ne pense pas. Je pense qu’il savait. Non, je pense vraiment que s’il n’est
pas venu consulter, c’est qu’il avait peur de tout ce que ça allait générer. Il avait peut-être peur aussi qu’on lui
dise qu’il fallait qu’il arrête de consommer mais je pense qu’il savait exactement ce qu’il avait et du coup, il a
tardé parce qu’il n’était pas prêt à ce qu’on le prenne en charge.
- MC : Effectivement, pour lui, ça entraîné beaucoup conséquences : le traitement de la maladie et possiblement
l’arrêt de l’alcool
- P7 : Oui, parce que lui, contrairement au patient d’avant où c’était presque un peu trop tard, lui, je pense
vraiment, contrairement à ce qu’a dit l’hépatologue, que si on arrive à le sevrer, on peut lui augmenter son
espérance de vie. C’est sûr que si sa consommation persiste, et ça, c’est quelque chose de clair entre nous deux,
c’est que s’il continue, il y a une évolution que je ne pourrai pas arrêter, c‘est-à-dire la cirrhose grave, le
carcinome hépato-cellulaire, etc etc.
Et d’autant plus que là, j’ai l’impression qu’on a un début de neuropathie alcoolique donc on est quand même
dans une forme vraiment évoluée d’une consommation chronique d’alcool. Il est sauvable entre guillemets
encore ! Je pense vraiment qu’on peut y arriver, c’est juste qu’il faut qu’on attende le déclic.
- MC : Le déclic comme il a eu au bout d’un an quand il est venu consulter ?
- P7 : C’est ça.
- MC : C’est bien, ça apporte plein de choses. Est-ce qu’il y avait d’autres patients auxquels tu pensais ?
- P7 : Alors j’en ai une autre, c’est beaucoup plus concret. Là, par contre, je pense ce qui va ressortir de cette
patiente, c’est vraiment la peur. Je suis une dame depuis six mois, environ, peut-être presque un an. C’est une
dame entre 60 et 70 ans, et en fait, c’est aussi une dame qui est dépressive ! (Sourire) J’ai beaucoup de dépressifs
dans ma patientèle, bien que je ne sois pas toujours hyper à l’aise sur la prise en charge mais c’est comme ça !
C’est ma tête, ça doit les attirer ! (Rires)
Cette dame est venue me voir, en fait, elle était suivie par un autre médecin avant, alors je ne sais plus si c’était
un médecin qui est parti à la retraite, ou je ne sais plus si ça ne passait pas ! Et elle vient me voir avec un bilan
biologique avec un LDL à 2 grammes environ, 60 ou 70 ans, peut-être un peu d’hypertension mais pas de
diabète, pas de surpoids. Donc du coup, je la vois pour la première fois, je l’interroge, je lui demande s’il y a des
antécédents familiaux. Alors je crois bien qu’il y a des AVC dans la famille quand même. Il y a un terrain
cardio-vasculaire non négligeable. C’est une patiente qui ne fume pas, très anxieuse, qui est sous traitement anti-
dépresseur je crois d’ailleurs ! Et qui me dit qu’elle ne veut pas de statines. Alors je lui dis : « Ba écoutez, là,
quand même, c’est un peu embêtant. Vous avez des antécédents, vous avez quand même un taux de cholestérol
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élevé ». Je l’examine et j’examine les carotides : évidemment, ça soufflait du feu de dieu ! Je lui dis : « est-ce
qu’un doppler, ça vous dit quelque chose ? », elle me dit « oui, oui, j’ai déjà fait ça. Ca fait très longtemps que je
ne l’ai pas fait ». Du coup, elle m’a ramené un vieux doppler qui n’était déjà pas terrible et je lui demande de
refaire un doppler. J’en profite pour faire les jambes etc, et je lui dis d’aller voir le cardio assez rapidement parce
que je suis un peu embêtée. Je la mets sous Arterin fort®, c’est de la levure de riz rouge. En fait, c’est une statine
mais naturelle, qui n’est pas remboursée par la sécurité sociale.
Je ne me rappelle plus si cette patiente avait déjà eu des statines auparavant, soit disant qu’elle ne les avait pas
tolérées, et qu’elle avait eu du Lipanthyl®, enfin je ne sais plus trop !
Je ne sais plus trop son histoire, en tout cas, elle ne prenait plus rien. Je lui dis : « Il faut prendre de l’Arterin
fort®, on est obligé mais je pense que ça ne suffira pas ». Je lui fais faire son bilan : évidemment,
catastrophique : artères bouchées à 60-70% des deux côtés ! Entre temps, elle voit le cardiologue, catastrophé qui
lui dit « il faut faire un angio-scanner ou IRM, elles sont vraiment très bouchées. Arterin fort®, c’est nul ! On
passe à une statine ». Donc on arrive en septembre, avec de nouveau un bilan de cholestérol : c’était mieux mais
pas parfait, on n’était pas dans les objectifs, c’est-à-dire à moins de 0,7 chez elle.
Toc, toc, toc, elle fait son angio-IRM qui dit « oui, oui, c’est vraiment bouché ». Et là, le diagnostic tombe : elle
revoit le cardiologue en février et elle revient me voir derrière complètement paniquée : « docteur, il va falloir
que je me fasse opérée » et là, elle me dit : « est-ce qu’on a loupé quelque chose ? ».
Alors je lui dis : « Qu’est-ce que vous entendez par là ? »
Elle me dit : « Ba oui, finalement, si on m’avait mis des statines il y a 3-4 ans, est-ce que vous pensez que ça
m’aurait évité l’opération ? ».
Alors je lui dis que… Du coup j’étais bien embêtée parce que ce n’était pas moi qui la suivais il y a 3-4 ans. Et,
je ne sais plus vraiment ce que je lui ai dit, je lui ai dit qu’elle était probablement synthétiseuse de mauvais
cholestérol parce que le régime alimentaire n’expliquait pas pourquoi elle avait des taux aussi élevés, que
probablement c’était familial et qu’il y avait probablement un terrain à risque de toute manière. Oui, peut-être
que si on avait mis des statines plus tôt en mesurant ce risque, peut-être qu’on l’aurait évité mais que ce n’était
pas dit, que les plaques de cholestérol ne se faisaient pas en plusieurs années et je lui dis que de toute manière, le
constat est le même. Et maintenant, il va falloir se faire opérer de sa sténose des carotides droite et gauche. Je
n’ai pas su quoi lui répondre sur est-ce qu’il y a eu vraiment un retard de la prise en charge : oui, clairement, il y
a eu un retard à la prise en charge ! Je ne lui ai pas répondu comme ça, mais c’est une évidence. Cette dame-là
aurait dû être surveillée par doppler tous les ans avec un taux de cholestérol tous les ans. Enfin, je pense ! C’est
facile à dire parce que moi, j’arrive derrière mais clairement !
Alors après il faut savoir exactement pourquoi ça n’a pas été fait. Elle, elle dit que c’est de la faute du médecin
qui l’a suivait avant : je ne suis pas certaine ! C’est une dame qui a clairement peur de l’intervention médicale,
qui a un esprit très critique sur les statines pour des raisons qu’on sait ! Pas seulement la peur personnelle, la
peur collective aussi, générée par les médias, par ce qu’on voit de temps à autres aux informations sur les
statines, sur les effets soit disant des statines sur les démences, sur tout autre symptôme, sur le diabète etc… Là,
on est typiquement face à une patiente qui a pris, qui avait plein de peur vis-à-vis du traitement et de la prise en
charge médicale qui du coup, à cause de ça, en partie, a subi malheureusement les conséquences d’un franc
retard à la prise en charge.
- MC : On ne sait pas si c’est elle qui n’a pas voulu prendre une statine ?
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- P7 : Je ne sais pas. En plus, je dois dire que je ne m’en rappelle plus très bien mais de mémoire, je pense
qu’elle avait quand même déjà essayé des traitements. Elle n’était anodine, ce n’était pas anodine son point de
vue sur les statines. Elle en avait déjà eu.
- MC : Donc les médias peuvent influencer souvent sur le retard ?
- P7 : Ah souvent ce genre de truc, le Levothyrox® dont on a entendu beaucoup parler, les statines.
(Répond au téléphone)
Du coup, on en revient à la patiente-là. Le retard à la consultation… Alors elle, je pense quand même qu’elle ne
mesurait pas l’impact que ça pouvait avoir quand même ! Je pense qu’il y avait une négligence vis-à-vis… Peut-
être un manque d’information, ça, je pense que ça joue vraiment beaucoup. C’est un peu comme toutes ces
maladies, hypertension, diabète, cholestérol, qui sont des maladies qui évoluent à bas bruit et que le patient ne…
Moi, le nombre de patients qui me font des remarques du genre : «On m’a dit que j’étais hypertendu mais avec le
traitement, je n’ai pas d’hypertension ». « Ba oui, bien sûr. Heureusement d’ailleurs ! » Et le nombre de patients
qui s’interrogent sur la durée du traitement : « Docteur, pour combien de temps vous me donnez mon
médicament ? ». « Ah ba ça va être long ! Ça va être très très long ! » (Sourire)
Et en fait, c’est une conception difficile pour les patients de se dire : « Voilà, j’ai une maladie qui ne fait pas de
bruit, qui ne me donne aucun symptôme mais qui quand même abîme mon organisme et qui m’oblige à prendre
un médicament. Je ne sais pas trop pourquoi ». C’est pour ça que c’est important d’informer le patient. Cette
dame-là, elle n’avait pas peut-être pas été suffisamment informée du problème que pouvait générer le
cholestérol. Alors est-ce qu’elle le savait un petit peu ? Je dirais que oui ! Mais c’est vrai que quand je lui ai dit
que si on lui laissait son artère comme ça, elle allait finir par faire un AVC, elle a vu les choses autrement. Du
coup, je l’ai stressée encore plus ! (Sourire)
- MC : Et la relation peut jouer beaucoup ?
- P7 : Ah oui ! L’adhérence au traitement, c’est clair. Pour moi, c’est évident, mais ça marche pour plein de
trucs : l’adhésion au traitement, l’observance, pour moi, c’est essentiel. S’il n’y a pas une bonne relation entre le
patient et le médecin, les patients finissent par arrêter leur traitement ou ne pas le prendre du tout. Et il y a une
relation de confiance qui est importante, clairement ! Après, je pense qu’il y a aussi, chez cette dame-là, on a un
peu joué aussi sur la peau, c’est-à-dire qu’on lui a dit : « oh la la, si vous ne prenez pas votre traitement, vous
allez faire l’AVC ! ». Ça, ça a quand même très vite solutionné le problème aussi. Comme on était chez une
dame qui a un terrain anxieux, un peu hypochondriaque je pense, ça a aidé un petit peu.
- MC : Est-ce qu’il y a d’autres raisons qui peuvent faire retarder la venue à la consultation ?
- P7 : Je pense qu’il y a quand même un effet média et puis automédication aussi. On en voit beaucoup des
patients qui viennent, alors depuis que je suis installée, je n’en ai pas vu, mais ça m’est déjà arrivé de voir des
phlegmons sur des angines chez des gens qui avaient pris pendant quatre jours des AINS, tout seul. Il y en a
plein des gens comme ça.
- MC : En se disant, c’est bon, ça va passer avec les médicaments ?
- P7 : Oui, et parce que les pharmaciens parfois prescrivent sans regarder la gorge des gens, donc les anti-
inflammatoires sur certaines infections, ce n’est quand même pas terrible ! Donc c’est non négligeable cette part
du retard à la consultation. Après, moi, je le vois dans mon activité actuellement, on est deux médecins alors moi
en plus, je ne travaille malheureusement pas à un rythme très très soutenu, donc je vois assez peu de patients par
jour, et j’ai aussi un retard à la prise en charge, entre guillemets, parce que j’ai un retard au rendez-vous.
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- MC : Il y a un délai ?
- P7 : Oui, il y a un délai. Et ça aussi, les patients s’en plaignent beaucoup du fait qu’il y ait des délais d’attente
de trois – quatre jours, voire parfois un peu plus. Il faut avouer que ! Bon après, il y a aussi le problème
d’encombrement des consultations parce qu’à l’inverse il y a des gens qui consultent à moins de deux heures
d’une fièvre. Evidemment ! Et puis en plus, on ne trouve rien donc double consultation inutile !
Donc c’est aussi pour ça que malheureusement il y a des délais à la prise en charge pour certains.
- MC : Ils ne vont pas forcément penser à voir d’autres médecins ? Ou ils vont préférer voir leur médecin ?
- P7 : Oui, c’est ça. Je pense qu’en fait il y a un peu plusieurs profils de patients, en particulier les patients qui
tardent à consulter, il y a les patients qui vont être négligents et pas inquiets et qui ne vont pas se rendre compte
de la gravité. Ça, c’est le premier cas de figure. Et puis, il y a le patient qui, à l’inverse, est hyper
hypochondriaque et qui a aussi vachement peur de ce qu’on va lui trouver, et qui du coup ne va pas venir en
consultation. Et puis, il y a le patient qui va dire : « Oui, il y a vraiment un symptôme mais je n’ai pas envie, ça
me soule d’aller consulter le médecin, je vais faire un peu d’automédication ».
Grosso modo, c’est à peu près ça les trois cas de figures. Et il y a le patient qui aura voulu consulter mais qui ne
veut pas payer 70 euros le passage de SOS médecins et qui, comme il n’aura pas de rendez-vous avec moi, il va
mettre trois ou quatre jours à venir me voir. Donc il y a une part de responsabilité des médecins aussi, en
particulier de la mienne. Mais je ne peux pas absorber toutes les urgences du quartier ! (Sourire)
- MC : Super ! Merci beaucoup
- P7 : De rien.
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7.3 Extrait de journal de bord
Fin décembre 2017 :
Réponse du CPP de Poitiers suite à l’envoi de mon dossier :
Mon dossier ne rélève pas d’un CPP. On m’invite à prendre contact avec le Comité d’Ethique de
Finalement, on laisse tomber le dossier CPP
Mais l’essentiel est que ça ne me bloque pas pour commencer les entretiens
Je suis contente car j’ai une réponse positive d’une médecin de La Défense pour participer à la thèse,
mais elle ne répond plus depuis le 27 décembre pour que l’on organise un entretien.
Premier fait : elle culpabilise du retard des consultations de ses patients, et ne sait pas comment
aborder le sujet avec ses patients. Mais elle a de multiples exemples.
« Je serai ravie de vous aider mais je me pose la question de la possibilité de trouver un patient
pouvant être entendu sans déclencher une culpabilité ou une tension dans la relation. »
Elaboration de la rédaction de la partie méthodo + plan de la partie « Matériel et méthode »
Il me restera la partie « Analyse des données » à compléter.
Prochaine réunion avec le Pr CORNET le 25 janvier : il faut absolument que j’ai démarré 1 à 2-3
entretiens afin que l’on commence le codage, mais toujours pas de réponse de médecins intéressés.
Début janvier 2018 :
Premier entretien le 10/01 à Puteaux : la médecin est adorable, me met à l’aise, préfère que l’on se
tutoie (ce qui est un peu compliqué pour moi d’ailleurs).
Elle est plutôt inspirée et parle pas mal, mais je me rends compte que c’est très difficile de faire des
interventions brèves en faisant des questions ouvertes et non pas fermées !!!
La retranscription se fait par petit bout, et je m’aperçois que je suis très hésitante. Heureusement que la
médecin a pas mal parlé : durée de l’entretien : environ 44 mn, je suis désolée. Elle ne m’a pas
expédiée en 10 minutes
Puis, deuxième entretien le 18/01 : cette fois-ci, c’est un homme, à Argenteuil, très gentil aussi.
Avec lui, c’est parfois un peu plus compliqué, car il existe quelques blancs au début, et toujours
pareil, mes interventions ne sont pas très utiles, et je n’arrive pas à faire des questions ouvertes, ni
même à le pousser dans ses retranchements pour qu’il me dise autre chose que « c’est le déni » !
Mais finalement, un entretien plutôt fluide ! Je regrette de ne pas avoir pointé du doigt une notion lors
d’un cas d’une femme avec cancer du sein : il dit qu’elle était forcément au courant de son cancer
devant un sein dur comme de la pierre, mais dit juste après que c’était une phase de déni total !
Je pense qu’il y avait à creuser.
Début février 2018 :
Le Dr X m’a envoyé un mail avec plusieurs adresses mails de ses confrères susceptibles de vouloir
participer à la thèse. Or, personne ne me répond pour le moment.
Je recommence les appels téléphoniques, je laisse plusieurs messages, plutôt en Seine-Saint-Denis
pour avoir des caractéristiques différentes.
Le 02/02 : troisième entretien qui se déroule un vendredi après-midi, en fin de journée. Je ne referai
pas d’entretien à ce créneau car le médecin était fatigué de sa journée, et sûrement pressé de partir en
week-end.
Cependant, j’ai beaucoup apprécié le fait qu’il avait recherché et analysé deux personnes dans sa
patientèle qui pouvaient correspondre au thème de la thèse. Il n’était pas très bavard et un peu
« révolutionnaire » mais les idées étaient intéressantes.
Puis le 22/02, je décroche deux nouveaux entretiens grâce aux nombreux appels téléphoniques que
j’effectue entre deux consultations ou quand un patient ne vient pas.
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Le médecin est très sympathique, très humain. Il n’hésite à discuter de ses patients qu’il connait très
bien. On développe un sujet qui n’était pas encore ressorti qui est le « jeu » avec une patient qui joue
un peu avec sa vie, et qui veut tester ses propres limites. C’est très intéressant.
Puis, j’interroge un autre médecin, une femme qui est la collègue du premier. Elle est nettement moins
bavarde, et l’entretien reste plutôt succinct. Les raisons restent rationnelles, claires, nettes et précises.
Je profite de mes temps de pause le midi pour rédiger chaque entretien grâce à l’enregistreur vocal de
mon portable.
Après m’être rendu chez un médecin qui était débordé, malgré la prise de rendez-vous avec lui, je finis
par retourner à son cabinet le 01/03 en début de matinée (une façon d’être sûre que le médecin ne sera
pas en retard car il n’aura pas commencé ses consultations).
Durant la conversation, nous ne parlerons pas de patients précis, mais de beaucoup généralités, mais
c’est passionnant. J’apprends plein de choses, je suis surprise par beaucoup d’idées, et l’entretien est
très riche. Je suis vraiment satisfaite, même si je dois toujours m’améliorer sur les capacités à relancer,
à reformuler et à faire des questions ouvertes.
Mars 2018 :
J’ai une semaine de vacances, et j’en profite pour me mettre à jour dans les re-transcriptions des
entretiens et je commence à faire du codage. C’est assez compliqué car je ne sais pas par où
commencer, comment présenter (fichier Word ? fichier Excel ?). Dois-je m’intéresser à chaque mot,
même lorsque le témoignage paraît hors-sujet ?
Je décide d’écrire à la main les différents thèmes, et mettant entre parenthèses les grands points.
Et j’en profite pour caler plusieurs entretiens en peu de jours pour m’avancer au maximum.
Le 08/03 : je vais au domicile même d’une jeune médecin d’une trentaine d’années, très accueillante.
Elle n’hésite pas à me mettre à l’aise et l’entretien se fait de manière fluide et spontanée. Nous parlons
surtout de deux patients avec un profil psychologique particuliers, et un terrain alcoolo-tabagique.
Je ressors de nouvelles idées.
L’après-midi, je fais une réunion avec Philippe Cornet, et nous codons ensemble l’entretien numéro 2,
à l’aide de surligneurs de différentes couleurs. J’y vois un peu clair, nous reprenons point par point les
phrases et cela me motive pour continuer dans ma lancée avec les autres textes.
Le soir-même, je retrouve une jeune médecin aussi, dans un cabinet du 16ème. Là encore, il ne s’agit
pas d’une bonne horaire. On est aux alentours de 21 heures et on ressent la fatigue. L’entretien est
donc plus bref. J’ai dû mal à accrocher mon interlocutrice, car peu de patients lui viennent en tête au
début. Nous restons superficiels, mais elle finit tout de même par se souvenir de certains patients.
Ici, la patientèle est différente, ce qui me permet d’enrichir mon échantillon sur des populations de
diverses horizons.
Le 09/03 :
Je retourne au Mée sur seine où j’ai la chance d’interroger mon ancienne praticienne qui avait
quelques patients pouvant correspondre au sujet de la thèse. La peur des patients revient souvent dans
la conversation, mais la plupart des entretiens précédents, mais de nouvelles idées ressortent, avec
cette fois-ci une patientèle plus précaire. J’essaie de « gratter » un peu pour faire ressortir de nouveaux
thèmes.
Le 13/03 :
J’attaque mon dixième entretien, dans le 17è arrondissement cette fois-ci. Le médecin me met très à
l’aise aussi, et je le remercie d’avoir fait l’effort de chercher dans sa patientèle des cas qui pouvaient
s’apparenter au retard de consultation. Nous en développons deux principaux. Ici, ce qui ressort est
surtout la différence entre la temporalité du médecin et la temporalité du patient.
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7.4 Résumé
Contexte : Le retard à la consultation des patients alors qu’ils ont un symptôme alarmant, est
très fréquent. L’individu déciderait de prêter attention à certains symptômes ou douleurs, en
fonction de son vécu personnel, mais aussi de son entourage et de ce qui est reconnu comme
normal et pathologique dans sa culture. Plusieurs travaux se sont intéressés à ce phénomène
mais peu d’études ont été réalisées autour du point de vue de leurs médecins.
Objectif : Décrire les représentations des médecins généralistes (MG) concernant les patients
qui les consultent tardivement.
Méthode : Etude qualitative phénoménologique réalisée à partir de 14 entretiens semi-dirigés
de MG d’Ile-de-France. L’analyse des verbatim a été réalisée par trois investigateurs
différents.
Résultats : La peur, le déni, la négligence ou les raisons financières sont les causes de retard
les plus reprises par nos informateurs, qui peuvent leur paraître rationnelles ou irrationnelles.
Mais il existe parfois une incompréhension face ce comportement, qui amène le médecin à
modifier sa pratique pour limiter les conséquences négatives pour le patient.
Conclusion : Il semble que le fait de ne pas consulter lorsque l’on a un symptôme alarmant
est considéré du point de vue du médecin et lui apparaîtra toujours comme irrationnel s’il juge
à travers ses propres références. Les freins à la consultation sont multifactoriels et le médecin
a un rôle central à jouer pour comprendre son interlocuteur et l’accompagner au mieux dans
son parcours de soins.
Mots-clés : consultation tardive, représentations, médecin généraliste
Jury :
Président : Monsieur le Professeur Gérard REACH
Membres : Madame le docteur Mady DENANTES
Monsieur le Docteur Gilles LAZIMI
Monsieur le Docteur André SOARES
Monsieur le Professeur Philippe CORNET
Monsieur le Docteur Alain DELUZE