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“Soumission”, de Michel Houellebecq, sortait ce mardi aux Etats-Unis. A en croire les critiques américains, le roman de l'écrivain, qui “n’est pas islamophobe, mais francophobe”, mettra du temps pour être lu et apprécié à sa juste valeur en France. Contrairement à la France, « la fiction littéraire est rarement au cœur des talk-show politiques à la radio aux États-Unis », note le New York Times. Pourtant la sortie en anglais du dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, simplement titréSubmission, à défaut d’instaurer un débat, est un petit événement littéraire. Connu et reconnu aux États-Unis depuis 2000 et la publication des Particules élémentaires – que l’on trouve dans le salon de tout lecteur du New York Times aux côtés des DVD d’Amélie Poulain et des Triplettes de Belleville–, Michel Houellebecq fascine la presse aux États-Unis. CritiqueSoumissionMichel Houellebecq Dans l'ensemble, les critiques littéraires ne s’extasient pas pour autant devant son talent littéraire. « Son style n’est pas du genre à être envié par d’autres écrivains »,écrit sobrement le New Yorker. Plus que la forme, et même que le fond, les médias américains sont intrigués par la réaction épidermique en France autour de la parution de son livre. « J’étais surpris que des critiques intelligents aient vu dans ce livre une propagande droitière », affirme Lorin Stein, traducteur américain de Soumission et directeur de Paris Review. « L’histoire est clairement une farce, les personnages principaux sont bêtes et sans scrupules, le livre déborde d’ironie. Je pense que les lecteurs qui vont prendre ça comme un appel aux armes en ont une lecture biaisée. Et on ne peut pas commencer à s’inquiéter de ses lecteurs, ou c’est la fin de la littérature ». DécryptagePourquoi faut-il lire “Soumission”, le nouveau roman de Michel Houellebecq ?

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“Soumission”, de Michel Houellebecq, sortait ce mardi aux Etats-Unis. A en croire les critiques américains, le roman de l'écrivain, qui “n’est pas islamophobe, mais francophobe”, mettra du temps pour être lu et apprécié à sa juste valeur en France.Contrairement à la France, « la fiction littéraire est rarement au cœur des talk-show politiques à la radio aux États-Unis », note le New York Times. Pourtant la sortie en anglais du dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, simplement titréSubmission, à défaut d’instaurer un débat, est un petit événement littéraire. Connu et reconnu aux États-Unis depuis 2000 et la publication des Particules élémentaires – que l’on trouve dans le salon de tout lecteur du New York Times aux côtés des DVD d’Amélie Poulain et des Triplettes de Belleville–, Michel Houellebecq fascine la presse aux États-Unis.

CritiqueSoumissionMichel Houellebecq

Dans l'ensemble, les critiques littéraires ne s’extasient pas pour autant devant son talent littéraire. « Son style n’est pas du genre à être envié par d’autres écrivains »,écrit sobrement le New Yorker. Plus que la forme, et même que le fond, les médias américains sont intrigués par la réaction épidermique en France autour de la parution de son livre. « J’étais surpris que des critiques intelligents aient vu dans ce livre une propagande droitière », affirme Lorin Stein, traducteur américain de Soumission et directeur de Paris Review. « L’histoire est clairement une farce, les personnages principaux sont bêtes et sans scrupules, le livre déborde d’ironie. Je pense que les lecteurs qui vont prendre ça comme un appel aux armes en ont une lecture biaisée. Et on ne peut pas commencer à s’inquiéter de ses lecteurs, ou c’est la fin de la littérature ».

DécryptagePourquoi faut-il lire “Soumission”, le nouveau roman de Michel Houellebecq ?

Aucune critique américaine de Soumission n’omet de citer Manuel Valls qui avait déclaré après les attentats de Charlie Hebdo que « la France, ce n’est pas Michel Houellebecq ». Les critiques littéraires américains accusent le Premier ministre français de n’avoir pas pris le temps de lire et comprendre le livre. Au vu du contexte dans lequel est sorti le livre en France – le jour de l’attaque terroriste contre l'hebdomaire satirique –, « il faudra du temps aux Français pour lire et apprécierSoumission à sa juste valeur, un objet étrange

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et surprenant », écrit le New York Times, qui a rencontré l’auteur à Paris. « Aux États-Unis, Soumission sera sans doute considéré pour ce qu’il est, une fiction satirique », poursuit la journaliste culturelle Rachel Donadio. « Il est probablement un des plus célèbres auteurs de sa génération. Pourtant, on le qualifie souvent à tort de provocateur, dans la veine des écrivains qui essayent d’embêter le plus de personnes possible à chacun de leur nouveau livre, comme Gore Vidal ou Céline. Houellebecq est, simplement, un satiriste. Il part d’une situation réelle et imagine ce qu’il se passerait si celle-ci durait dans le temps. C’est ce que font les satiristes », écrivait en janvier le francophile journaliste du New Yorker Adam Gopnik.“Les satiristes sont souvent des nostalgiques”En chœur, les médias américains réfutent l’islamophobie supposée de Michel Houellebecq. « L’islam n’est pas la cible de Soumission. Il n’est que le révélateur qui vise à exprimer une inquiétude européenne très persistante selon laquelle la poursuite obstinée de la liberté – vis à vis des traditions, de l’autorité – mènerait inévitablement au désastre », écrit Mark Lilla dans The New York Review of Books,bimensuel littéraire de référence. « Michel Houellebecq n’est pas en colère, il n’a pas de programme, il ne montre pas du doigt les traitres responsables du suicide français, comme le fait Éric Zemmour ». Le New Yorker dénonce également les accusations répétées d’islamophobie envers Michel Houellebecq en France. « Elles ne sont pas à propos. Il n’est pas islamophobe. Il est francophobe. Son portrait du régime islamique est tendre. Il aime la douceur et la sûreté des intégristes ».Selon le portrait dressé par la presse américaine, Michel Houellebecq ne serait qu’un nostalgique, ironique et sans haine. « La satire découle d’une comparaison entre la folie vers laquelle on se dirige, et le passé supposé raisonnable qu’on a laissé derrière. Ainsi les satiristes sont souvent des nostalgiques, comme Tom Wolfe »,note le New Yorker. Évoquant également les comparaisons en France entre Éric Zemmour et l’auteur de Soumission, le magazine américain innocente Michel Houellebecq des « idées terribles » de l’ancien journaliste du Figaro, qui sont nées d’une nostalgie que partageraient les deux hommes. Celle d’une France des années 60, gaulliste, « où l’autorité était ferme et bienveillante, l’homme avait un rôle, la femme pouvait choisir de rester au foyer si elle le souhaitait et Catherine Deneuve était à l’affiche d’un film sur deux ». Pour Mark Lilla de la New York Review of Books, il est erroné de penser que l’Islam est le cœur du livre et que Michel Houellebecq en est effrayé. « Il semble qu’il croit sincèrement que la France a malheureusement et irrémédiablement perdu son identité, mais pas à cause de l’immigration ou de la mondialisation. (…) Les Européens ont fait un pari sur l’histoire : plus l’homme est libre, plus il sera heureux. Pour

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Michel Houellebecq, le pari a été perdu. Le continent est ainsi à la dérive et pourrait succomber à vieille tentation, se soumettre à qui parle au nom de Dieu ».La maison d’édition Farrar, Straus and Giroux, qui a arraché les droits deSoumission à l’habituel éditeur américain de l’auteur, a prévu un premier tirage à 50 000 exemplaires, un chiffre très ambitieux pour une traduction. Mais pas déraisonnable. La version française est le livre le plus vendu en 2015 à la librairie française de New York, Albertine, « achetée autant par des Américains que par des Français, confirme le libraire François-Xavier Schmit. Les autres livres de Michel Houellebecq se vendent aussi très bien auprès des Américains ». Selon Tom Roberge, directeur d’Albertine et spécialiste de Michel Houellebecq, l’auteur plaît aux Américains car ses fictions sont ancrées dans la réalité : « Contrairement à Patrick Modiano par exemple, Michel Houellebecq écrit une fiction dans le but de décrire la société d’aujourd’hui, comme Sartre ou Camus avant lui. ».