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SP, La musique classique et ses publics. I- Les données chiffrées. I-1. La production et l’interprétation de chiffres n’est pas un exercice neutre Résumé : La production et l’interprétation de données chiffrées sont des moyens aujourd’hui dominants d’évaluation des publics. Pour en apprécier la pertinence, on se focalise en général sur la question de leur fiabilité. Le fait d’observer les usages qui en sont faits mérite également l’attention, car cela permet de considérer la valeur des chiffres dans et relativement à leur environnement. À cet égard, ce chapitre vise à situer brièvement le contexte dans lequel la production de chiffres sur les publics est devenue un enjeu politique du Ministère de la culture qui était à la recherche, dans ses premières décennies, d’appuis objectifs pour légitimer son projet de démocratisation. C’était aussi un enjeu théorique de la sociologie en quête d’éléments attestant le bien-fondé des théories de la légitimité culturelle. L’enquête sur les pratiques culturelles des Français témoigne d’une convergence d’intérêts dans la production nationale d’une évaluation chiffrée des publics à l’échelle nationale. Pour prendre la mesure des changements intervenus depuis cette époque, nous proposons une présentation succincte de quelques approches aussi bien au sein de la sociologie que dans les champs philosophiques ou historiques. Ces approches font apparaître des aspects nouveaux de la réflexion sur les publics qui ne se limitent plus aux seuls déterminants sociaux. Une série de perspectives divergentes se démarquent de ce point de départ : -les réflexions conduites sur la complexité des préférences (Lahire, Donnat, Dorin) et des trajectoires individuelles (Pedler, Ruby, Ethis) ou sur la construction de la sociabilité (Hennion, Pasquier, performativité), -celles aussi qui renversent l’image d’un spectateur passif en spectateur participant (de Certeau, Fabiani, Meyer-Bisch) ou émancipé (Rancière), -celles qui attirent l’attention sur des origines plus déterminantes des inégalités, à savoir les inégalités territoriales (Pedler), -la perspective socio-économique, qui situe les déterminismes négatifs du côté des dysfonctionnements du marché, -et surtout les réflexions sur les enjeux démocratiques au cœur de l’expérience esthétique (Nancy, Wahnich, Nussbaum). Ce large questionnement de la théorie de la légitimité culturelle auquel s’ajoutent les nouvelles perspectives théoriques révèlent la divergence actuelle entre les options fondatrices perpétuées dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français et l’évolution des sciences humaines. Dans un premier temps, les liens entre théorie sociologique et politique culturelle étaient convergents. Aujourd’hui, ces liens divergent et permettent de mettre à distance le pouvoir de fascination des chiffres, d’éviter de penser qu’ils donneraient la pleine mesure des pratiques effectives, de rappeler l’irréductibilité de l’expérience esthétique. Nous reviendrons dans la partie suivante sur d’autres limites propres à la production de données chiffrées sur les publics. Nous verrons également quelles sont les perspectives ouvertes par les nouveaux outils technologiques ainsi que par « l'open data » pour inscrire les chiffres à la fois dans leur relativité et dans un intérêt renouvelé. 38

SP, La musique classique et ses publics. I- Les données ... · 3 Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La découverte, 2006, p.21

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SP, La musique classique et ses publics.

I- Les donnes chiffres.

I-1. La production et linterprtation de chiffres nest pas un exercice neutre

Rsum :

La production et linterprtation de donnes chiffres sont des moyens aujourdhui dominantsdvaluation des publics. Pour en apprcier la pertinence, on se focalise en gnral sur laquestion de leur fiabilit. Le fait dobserver les usages qui en sont faits mrite galementlattention, car cela permet de considrer la valeur des chiffres dans et relativement leurenvironnement. cet gard, ce chapitre vise situer brivement le contexte dans lequel laproduction de chiffres sur les publics est devenue un enjeu politique du Ministre de la culture quitait la recherche, dans ses premires dcennies, dappuis objectifs pour lgitimer son projet dedmocratisation. Ctait aussi un enjeu thorique de la sociologie en qute dlments attestant lebien-fond des thories de la lgitimit culturelle. Lenqute sur les pratiques culturelles desFranais tmoigne dune convergence dintrts dans la production nationale dune valuationchiffre des publics lchelle nationale.

Pour prendre la mesure des changements intervenus depuis cette poque, nous proposons uneprsentation succincte de quelques approches aussi bien au sein de la sociologie que dans leschamps philosophiques ou historiques. Ces approches font apparatre des aspects nouveaux de larflexion sur les publics qui ne se limitent plus aux seuls dterminants sociaux.

Une srie de perspectives divergentes se dmarquent de ce point de dpart : -les rflexions conduites sur la complexit des prfrences (Lahire, Donnat, Dorin) et destrajectoires individuelles (Pedler, Ruby, Ethis) ou sur la construction de la sociabilit (Hennion,Pasquier, performativit), -celles aussi qui renversent limage dun spectateur passif en spectateur participant (de Certeau,Fabiani, Meyer-Bisch) ou mancip (Rancire), -celles qui attirent lattention sur des origines plus dterminantes des ingalits, savoir lesingalits territoriales (Pedler), -la perspective socio-conomique, qui situe les dterminismes ngatifs du ct desdysfonctionnements du march,-et surtout les rflexions sur les enjeux dmocratiques au cur de lexprience esthtique (Nancy,Wahnich, Nussbaum).

Ce large questionnement de la thorie de la lgitimit culturelle auquel sajoutent les nouvellesperspectives thoriques rvlent la divergence actuelle entre les options fondatrices perptuesdans lenqute sur les pratiques culturelles des Franais et lvolution des sciences humaines.

Dans un premier temps, les liens entre thorie sociologique et politique culturelle taientconvergents. Aujourdhui, ces liens divergent et permettent de mettre distance le pouvoir defascination des chiffres, dviter de penser quils donneraient la pleine mesure des pratiqueseffectives, de rappeler lirrductibilit de lexprience esthtique. Nous reviendrons dans la partiesuivante sur dautres limites propres la production de donnes chiffres sur les publics. Nousverrons galement quelles sont les perspectives ouvertes par les nouveaux outils technologiquesainsi que par l'open data pour inscrire les chiffres la fois dans leur relativit et dans unintrt renouvel.

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Il nest pas courant de soumettre les chiffres une lecture critique, que ce soit dans les modalits deleur production ou dans leurs usages. Ds lors que lon souhaite voir souvrir un espace critique, ilconvient de soulever un certain nombre de questions : dans quel contexte et quelles visesexplicites ou implicites cette production chiffre tente-t-elle de rpondre ? De quellesreprsentations sociales se fait-elle lcho ? Quelle ralit construit-elle ou masque-t-elle ?

La production de donnes chiffres par le ministre de la Culture a une longue histoire : lesenqutes sur les pratiques culturelles sont ralises depuis 1973, mais aussi, auprs destablissements subventionns des donnes sont recueillies par les services centraux et dconcentrs.Nous souhaitons mettre en regard cette production chiffre avec les enjeux qui les traversent.

A/ La naissance de lenqute sur les pratiques culturelles des Franais est marque par le contexte thorique de son temps.

Dans les annes 1960, les statistiques produites par le ministre de la culture ont t utilisescomme une forme de lgitimation de lintervention culturelle publique. Laspect rationnel,scientifique et moderne des chiffres a permis de quantifier le projet de dmocratisation culturelleet de dmontrer la ncessit dun tel projet.

Le contexte est alors double : dun ct une utopie planificatrice cherchant des outils pour rduireles incertitudes et de lautre un mouvement de professionnalisation du champ culturel. Cest dans cecontexte que va se nouer lalliance entre la sociologie et le ministre de la Culture. La sociologie varpondre une commande publique qui par ailleurs lui permettra de trouver une autonomie face aumodle universitaire dominant lpoque, celui des Lettres. Rappelons que les catgories socio-professionnelles sont mises en place en 1954. Issues de lvolution des diffrenciations des mtiers(mise en place de conventions collectives, des comits dentreprise...), cette grille installe galementun dcoupage en classes sociales. Les statistiques sont ds le dpart une chambre dcho delhistoire des mtiers et de leurs luttes. Elles sont galement le lieu dexprimentation et devrification des thories sociologiques domines lpoque par la figure de Pierre Bourdieu. Celui-ci affirme alors limportance des facteurs culturels et symboliques dans les mcanismes dereproduction des hirarchies sociales.

Ds 1964, le colloque Des chiffres pour la culture qui rassemble conomistes, sociologues etfonctionnaires souligne limportance des statistiques culturelles. En 1973, le ministre de la Culturepublie la premire enqute sur les Pratiques culturelles des Franais. L'usage des chiffres devientalors un vritable rite dinstitution pour les acteurs de la politique culturelle.

Depuis la crise des annes 1990, on assiste un retournement. Ces chiffres sont utiliss par lesdtracteurs de ltat culturel, pour dnoncer la persistance des diffrences sociales dans l'accs laculture et lincapacit voire limpuissance de ce ministre faire voluer les pratiques. Les chiffressont alors mobiliss au cur des polmiques sur lopportunit dune politique culturelle. Le lienentre les formes institutionnalises de la vie culturelle et les discours des sciences sociales sur laculture apparat clairement. Il nest pas indiffrent que les principes fondateurs des politiquesculturelles publiques vise la fois encyclopdique et dmocratique, telles quon les a connues partir du ministre Malraux, aient t branles peu prs en mme temps que la thoriesociologique de la lgitimit culturelle1.

1 Jean-Louis Fabiani, Ne dsesprons pas de la sociologie denqute, Prface du livre dEmmanuel Ethis, Pour unepo()tique du quetionaire en sociologie de la culture, le spectateur imagin, Paris, Lharmattan, 2004, p.5.

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Ces deux moments montrent que lusage des chiffres nest pas neutre mais au contraire intimementli la volont de lgitimer ou dlgitimer le ministre.2

B/ Depuis lors, on assiste une diversification des approches qui questionnent lhritage de la thorie de la lgitimit culturelle.

Outil de validation dhypothses thoriques, les chiffres ont connu des usages varis : aprs ladomination de la thorie bourdieusienne de la distinction, on assiste une diversification desapproches sociologiques qui remettent en question lhomognit des catgories : ruptures,discontinuits, dissonances, malentendus sont au travail dans le questionnement de lhritagebourdieusien. Des notions connexes sont galement explores par dautres penseurs, philosophes ouhistoriens...

B-1. La complexit des prfrences

La dissonance culturelle

Au lieu de penser en termes de hirarchies culturelles , conditionnant les recherches sur lesingalits culturelles persistantes, les dterminants sociaux de ces ingalits et les modalits de leurreproduction, le sociologue Bernard Lahire change de perspective en privilgiant lapprocheindividuelle plutt que lapproche par classes. Il fait apparatre la pluralit des dispositions desindividus et leurs variations au fil du temps et labore la notion de dissonance culturelle . Lafrontire entre la lgitimit et lillgitimit culturelle ne spare pas seulement les classes maispartage les prfrences des individus. Concrtement il dfinit des profils plus ou moins bigarrs,dissonants ou consonants.

Les rsultats de son travail montrent que les publics ayant des pratiques et prfrences culturellessemblables, occupent des positions totalement opposes dans lespace social. Par exemple, lespratiques considres comme peu lgitimes (karaok, discothque, bal public, match, coute derock) concernent aussi bien les cadres suprieurs que les ouvriers non qualifis (ex: pour le karaok:30 % des cadres suprieurs / 26,8% des ouvriers qualifis / 32,6% des ouvriers spcialiss3, ). Lespratiques non lgitimes ne sont donc pas discriminantes, elles ne prjugent pas dune distinction au sens bourdieusien du terme entre les catgories socio-professionnelles.

Lomnivorisme et lclectisme

labore par Richard A. Peterson, la notion domnivorisme, assez proche biens des gards de cellede dissonance, est reprise par Stphane Dorin qui la dfinit ainsi : Lomnivorisme dsigne lemlange des registres dans la consommation culturelle des classes moyennes et suprieures. Il asurtout t employ pour caractriser les volutions du got musical au cours des derniresdcennies4 [...] En dfinissant les amateurs de culture savante (highbrow ) comme ceux qui aiment la fois la musique classique et lopra, Peterson et Simkus montrent que ces derniers, loin d'treexclusifs ( snobs ) apprcient galement des genres qualifis de middlebrow (moyens) ou delowbrow (populaires) . La question de savoir si la notion domnivorisme vient contredire la thsebourdieusienne de la distinction a t discute par Philippe Coulangeon qui observe que le

2 Vincent Dubois, La statistique culturelle au ministre de la Culture, de la croyance la mauvaise conscience, in Pu-blic(s) et politiques culturelles, Presses de Sciences-Po, 2003, p. 25-32.

3 Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La dcouverte, 2006, p.21.4 Stphane Dorin, Lamour de la musique contemporaine au XXIe sicle, EIC, Paris VIII, MCC, 2012, p. 4.

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panachage des rpertoires culturels est surtout le fait des classes dominantes et cultives aucontraire des autres qui ont des rpertoires plus circonscrits et homognes.

La thse de lomnivorisme est proche de celle labore en France par Olivier Donnat sous le nomdclectisme culturel propos de lenqute sur les pratiques culturelles mene au dbut des annes1990. Il dcrit en effet la tendance lhybridation des espaces culturels individuels o se mlenttoujours davantage certaines formes de la culture consacre avec des lments issusdexpressions culturelles considres comme moins lgitimes.

B-2. Les trajectoires individuelles

La construction historique du spectateur

Pour le philosophe Christian Ruby, la notion de spectateur nest ni naturelle , ni limite laction prcise que serait la contemplation artistique, mais rsulte dune construction historique,dont il dessine trois moments la fois successifs et imbriqus dans le prsent : le moment delesthte contemplatif classique, celui du regardeur-participant moderne et celui de la cooprativeinterprtative contemporaine o la rfrence ne repose pas sur un pr-existant naturel mais sur uncommun fabriquer5. Il met en avant les notions de trajectoire et de variations inter et intra-individuelles et souligne que lun des problmes des institutions contemporaines, et pas seulementculturelles, est de fonctionner sur des catgories et des cloisonnements qui nient les trajectoires. Ilaffirme avec force que ce nest pas loffre qui est dintrt gnral mais lintrt gnral qui doitdcider de plusieurs offres.

La diversit de parcours des spectateurs

Le sociologue Emmanuel Pedler dveloppe la thse dun malentendu culturel. Il sattache montrer quil ny a pas dhomognit socio-culturelle mais une diversit de parcours despectateurs. Le concert y apparat comme un lieu de confrontation et non pas de consensus. Il meten lumire les ruptures et les discontinuits qui tmoignent de situations de porte--faux (excellenceet pourtant offre inassimilable). Au final, il constate que les prfrences (acceptation ou rejet) nesont lies ni la formation ni au statut (revenus, profession) des individus. La diversification desparcours permet aussi de rendre compte dune autre distorsion, qui opre cette fois entre exprienceacousmatique de la musique (enregistrements) et exprience du concert.

Lirrductibilit de lexprience esthtique

Le sociologue Emmanuel Ethis mne un travail critique sur les questionnaires. Prenant sesdistances par rapport au pouvoir de fascination des chiffres et loin de penser que les questionnairespermettent de donner la pleine mesure de pratiques effectives, il affirme que tout questionnaireporte des catgories morales partir desquelles sont penses les modalits du questionnement, lequestionnaire incluant galement dans la constitution des catgories, une certaine ide du spectateur,le spectateur imagin 6. Le questionnaire na alors pas pour seul objectif de recueillir desdonnes mais dinstaurer un dialogue avec les enquts. Le questionnaire est une mise en scne duquestionnement quil objective ; il en devient potiquement le signifi et le signifiant dfinissantune activit de communication part entire qui peut autant loigner que rapprocher ceux qui en

5 Christian Ruby, Les figures du spectateur, Paris Colin, 2012.6 Emmanuel Ethis, La po(i)tique du questionnaire en sociologie de la culture, le spectateur imagin, Paris,

LHarmattan, 2004.

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sont les acteurs. 7

Son travail non seulement insiste sur lirrductibilit de lexprience esthtique un questionnairemais conduit aussi tablir des diffrences entre les spectateurs, qui transcendent les dterminantssociaux classiques hrits de la thorie de la lgitimit culturelle. Il met galement en valeur lesdynamiques temporelles qui concourent la construction de nos personnalits culturelles.

B-3. Le rle actif du spectateur

Le braconnage culturel

Ds les annes 1970, Michel de Certeau, dans son approche pluraliste de la culture, renverse lidede la passivit de la pratique culturelle en une production silencieuse. Concernant lactivit delecture, il voque lide dun braconnage des lecteurs qui exploitent les ruses du plaisir dunerappropriation dans le texte de lautre et circulent sur les terres dautrui, nomades, braconnant travers les champs quils nont pas crits8 . Pierre Mayol commente cette position : plus quunsentimentalisme sympathique, Certeau dmontre quil sagit dune logique alatoire, rcitative etmmorielle [] La culture est ainsi faite d chappes belles , de zbrures , de vagabondages et mues , qui mtabolisent une donne chiffre, impose du dehors, en uvresubjective livre la dynamique du dsir9 .

Le public participant

Jean-Louis Fabiani, sociologue, sintresse aux publics de la culture et lhistoire desconfigurations du savoir. propos de ltude du public du festival dAvignon, il cherche comprendre comment un public reoit et sapproprie non seulement les spectacles, mais aussicomment se forment les jugements esthtiques. Tenant ensemble lvolution esthtique des formesartistiques et la rception du public, il constate lmergence dune nouvelle figure de spectateur,celle dun public expert , notamment dans les jurys populaires, et plaide pour une galitarisation des positions respectives du crateur et du public10 .

Le spectateur mancip11

Le philosophe Jacques Rancire dnonce les thories bourdieusiennes. Elle ne permet, affirme-t-il,aucune mancipation sociale, voire elle redouble la domination en linstituant une seconde fois12.Philosophe attach lgalit des intelligences, il dfait le clich qui veut que le spectateur seraitriv un tat de passivit et dfend lide de lgalit de tous devant le sensible. Il fait tomber ladistinction entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Lactivit mancipatrice du spectateurconsiste comparer, relier, critiquer, composer son propre pome avec les lments du pome enface de lui . Il nest plus besoin de la continuit entre lintentionnalit de lauteur et la rception,continuit qui sous-tendait le pouvoir des experts. La rencontre avec lart nest pas ncessairementle vhicule de la domination mais peut donner lopportunit de sen dgager. En effet, traverslexprience esthtique, la rpartition des positions peut tre modifie sous leffet du dplacement

7 Ibid, p.26.8 Michel de Certeau, Linvention du quotidien, I Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980, p.239.9 Pierre Mayol, De la culture lgitime lclectisme culturel, in Ville-cole-intgration-enjeux n131, juin 2003, p. 43.10 Jean-Louis Fabiani, Lducation populaire et le thtre, le public dAvignon en action, PUG, Collection Arts,

culture, publics , Grenoble, 2008.11 Jacques Rancire, Le spectateur mancip, Paris, La fabrique, 2008.12 Charlotte Nordmann, Bourdieu/Rancire, la politique entre sociologie et philosophie, Paris, ditions dAmsterdam,

2006.

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des manires de voir, entendre, nommer, ce quil nomme le partage du sensible et quil avaitobserv dans les archives ouvrires du XIXe sicle : la possibilit - inaudible pour un sociologuebourdieusien pour qui la socit produit de la reproduction lidentique - de ds-identification deson propre milieu13.

La dignit des personnes.

Rdacteur de la dclaration de Fribourg, le philosophe Patrice Meyer-Bisch place les droitsculturels comme pralable aux autres droits et comme socle dune politique de la diversit. Silprfre les termes de citoyens, participants ou personnes ceux de public ou dusager, cest que dit-il les participants qui constituent un public ne sont pas passifs, ils exercent ce dsir dintelligencesensible et ouverte . Parmi eux et de manire inattendue, il valorise les pauvres savoirs : Il ya deux sortes de pauvret culturelle : celle de celui qui est priv de tout moyen rel dexpression etde reconnaissance, et celle de celui qui, par la richesse de son exprience, sait quil ne sait pas grandchose. Ce sont deux vulnrabilits qui apparaissent comme des faiblesses linstitution, alors quece sont les vraies forces de rsistance et de renouveau14 . En se lanant dans laventure Paideiaavec le rseau Culture 21 (dcrite plus loin15), il contribue la recherche dindicateurs susceptiblesde vrifier leffectivit du droit de participer la vie culturelle. La rencontre de Belfort de fvrier2014 a notamment insist sur lapproche privilgiant les inter-actions entre tablissements dunmme territoire, et plus gnralement tout ce qui fait culture et favorise la circulation du sens16.

B-4. La sociabilit culturelle comme construction

Les tissus de relations

Antoine Hennion. Dans une dmarche inspire du pragmatisme et de linteractionnisme, il dfendlide que le monde est still in process of making, loppos de lobsession franaise pour lesstructures . Auteur de nombreux ouvrages sur la musique (enseignement, industrie du disque,mouvement baroque), il est particulirement intress par la figure de lamateur et la formationhistorique du got (rception de Jean-Sbastien Bach en France) autour de la notiond attachements . La place de lexprience esthtique comme devenir le conduit prfrerlinstauration linstitution17. Pour lui, aucune ralit nagit sans quelle soit agie (pas de cause nideffet, pas de mondes spars, pas dextriorit), il ny a que des tissus de relations 18. Lespectateur est donc pris dans luvre faire.

Les contextes de sociabilit

La sociologue Dominique Pasquier pense les publics comme quelque chose qui se constitue pluttque comme un donn. Elle propose une approche centre sur la sociologie des publics et lesphnomnes de sociabilit plutt que sur la sociologie de la rception, qui sintresse au dcodageet la relation une offre culturelle donne19. Elle importe des lments de la sociologie des mdias

13 Sur les incidences que la pense de Jacques Rancire peut avoir pour la politique culturelle, voir galement dans lapartie sur les discours, paragraphe sur lhritage institutionnel, A-3-4.

14 Patrice Meyer-Bisch, Oser le lien politique entre les pauvres savoirs, Assises de Canoppea, IEP Paris, dcembre2012.

15 Voir chapitre sur les discours, partie 4 sur la notion de Bien commun, B-3-2.16 La question des droits culturels est reprise dans la partie sur les discours, paragraphe sur le bien commun, A-4.17 Cette opposition rejoint celle entre institution instituante et institution institue, cf chapitre sur les discours,

paragraphe sur le bien commun, C.18 Intervention au colloque les mondes de la mdiation, Paris III, octobre 2013.19 Dominique Pasquier, Publics et hirarchies culturelles, quelques questions sur les sociabilits silencieuses, Ides

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(elle a travaill sur les sries de tlvision pour ados) dans la sociologie de la culture cultive .Dans une approche interactionniste, loppos des approches par identits, elle tudie laconstitution de publics comme un phnomne de construction de communauts, des momentsdonns, dans des contextes prcis dinteraction (pluralit de scnes, communauts imagines,organisation de lieux dactions collectives). Privilgier ainsi l aventure du sens permet de faireplace lhistoire. Par exemple, au thtre, elle propose une relecture de la question du parterre auxXVIIe et XVIIIe sicle et le passage de la position debout la position assise, quelle considrecomme une occultation organise des manifestations de lmotion au profit dune esthtisationbeaucoup plus contemplative des uvres, dans laquelle figurent diffrents interdits : ne pas tousser,ne pas siffler, ne pas faire de bruit, ne pas partir.. . On retrouve en musique cette posture recueillieau tournant du XVIIIe et du XIXe sicles avec lmergence de la musique absolue. Pour Herder eneffet, la prtention de la musique absolue exister pour elle-mme nest justifie que par cettecontemplation dans laquelle se retire l'auditeur, oubliant le monde et soubliant lui-mme .20 Nousaurons loccasion dy revenir21.

La performativit : force de construction et dvolution des identits culturelles

En dpit de labandon par son auteur et de la critique quen a faite Pierre Bourdieu22, la notion deperformativit de John Langshaw Austin23, qui dfinit certains termes de langage comme tant desactes, connat aujourdhui un regain dintrt en sciences sociales, en conomie ou enanthropologie. Puissance de cette notion, y compris dans ses migrations contemporaines, lnoncthorique ou identitaire nest pas le simple reflet des pratiques mais il les faonne. Toutefois, pourtre pleinement acquise, la performativit, au sens des thoriciens pragmatistes tels que BrunoLatour, Michel Callon ou Daniel MacKenzie, doit tre envisage dans sa nature collective etdonne forme un monde commun. Loin des typologies structurelles, il sagit de faire place auxdynamiques temporelles des identits en constantes reconfigurations. Les travaux conduits dans lechamp culturel sont centrs sur la performativit artistique, professionnelle voire publique. On auraloccasion dy revenir loccasion de la rflexion sur la constitution des catgories musicales. Enrevanche, ils font jusqu prsent peu de place une performativit des publics (production delangage-acte par le public), entendue comme potentiel dactivation - voire de constitution - deluvre ou de nouvelles formes de tissage social.

B-5. Les singularits territoriales

Lorigine des ingalits nest pas tant sociale que gographique

Le sociologue Emmanuel Pedler, dnonce un deuxime malentendu culturel (cf. le premier noncplus haut sur la question de la diversit des parcours des spectateurs). Pour lui, lorigine desingalits nest pas tant sociale que gographique et dpend de la densit plus ou moins grande deloffre, do limportance de situer les institutions dans leur environnement : les donnesgographiques qui concentrent les effets lis lingale rpartition sur le territoire des institutionsculturelles sont apparues comme beaucoup plus dterminantes que les caractristiques socio-dmographiques classiques dans ltude des origines des festivaliers24 .

conomiques et sociales, n155, 2009, p.32-38.20 Carl Dahlhaus, Lide de la musique absolue, Genve, Contrechamps, 1997, p.74.21 Voir le chapitre sur les discours, paragraphe sur les hritages esthtiques, B-1.22 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.23 John Langshaw Austin, Quand dire c'est faire, Paris, Seuil, 1970 [1962].24 Emmanuel Pedler, Entendement musical et malentendu culturel : le concert comme lieu de confrontation

symbolique, Sociologie et socits, Volume 36, numro 1, printemps 2004, p. 127-144.

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La ncessit dune approche territorialise de lobservation culturelle

Prendre en compte les contextes territoriaux prcis dans lesquels se droulent les pratiquesculturelles est une orientation forte de lObservatoire des politiques culturelles, lOpc. Avec lestudes sur les pratiques et reprsentations culturelles des Grenoblois en 2008, sur les pratiquesartistiques et culturelles des habitants de la mtropole lilloise en 2012, lOpc propose un autreregard : au lieu de partir de loffre artistique et culturelle pour tudier qui sont les publics qui la reoivent et comment, il sagit de prendre comme point de dpart lensemble de la populationdun territoire donn et danalyser quels rapports cette population entretient avec la notion deculture et avec loffre culturelle de ce territoire , dans la double perspective de nourrir larflexivit des acteurs et d alimenter la gouvernance des politiques publiques 25. Dans la lignede la sociologie des logiques daction de Philippe Bernoux et Henri Amblard, le croisement despratiques et des reprsentations permet de sortir des grands dterminismes macro-sociologiques enmettant en avant linteraction entre lacteur et la situation dans laquelle il est inscrit.

B-6. Les enjeux dune approche socio-conomique

Deux lignes peuvent tre dgages. Lune o la place du public est peu valorise, quil soitconsidr comme pris en otage ou quil soit absent, lautre o lexprience du public est au centre.Dans la premire, lenjeu est conomique et centr sur les logiques de march, tandis que dans laseconde, les outils de lanalyse conomique, par exemple les techniques de marketing, sont mises auservice de ltude des publics.

Le spectateur intimid

Pierre-Michel Menger, sociologue du travail et des arts, rapproche la sociologie de lconomie, dudroit et de lhistoire pour chercher renouveler lanalyse thorique et empirique du travail, desmarchs et des modles dacteur dans les sciences sociales. Il sintresse lanalyse compare de lavaleur artistique en sociologie et en conomie. Son ouvrage, dont la rception fut assezmouvemente en 1983, Le paradoxe du musicien, avait t prcd dune tude sur le marchmusical dans les pays europens. Sa lecture, partir de loffre et de la demande, le conduit constater un hiatus dans le champ de la musique contemporaine dont il propose deux motifsexplicatifs principaux : ltat, qui viendrait perturber le fonctionnement naturel du march et lanature mme de la musique atonale, qui rencontrerait ses limites dans les invariants structurels de laperception. La question de la lgitimit se trouve ici prise revers, le public tant moinsconditionn par son hritage que pris, selon Pierre-Michel Menger, entre deux arbitraires, esthtiqueet politique. Nous reviendrons plus loin sur ses analyses du public de la musique contemporaine26.

Le spectateur absent.

Pierre Franois utilise aussi les outils de la sociologie conomique. Il aborde le mouvement de lamusique ancienne travers la question de linnovation27. Lvolution de ce mouvement est analyse laune de lvolution des rmunrations, de lconomie de la production (cots fixes rduits), dumarch des subventions et du rgime de lintermittence. Le march quil examine est celui dutravail artistique. Il interroge les effets du passage de la marginalit linstitutionnalisation sur la

25 OPC, Pratiques et reprsentations culturelles des Grenoblois, 200826 Cf Chapitre sur les discours, paragraphe sur lhritage institutionnel et esthtique, des conflits plus ou moins

lisibles , B-3.27 Pierre Franois, Le monde de la musique ancienne : sociologie conomique dune innovation esthtique, Economica,

2005.

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dynamique innovante (vivacit, dynamisme, flexibilit, dissmination territoriale). Il dplorelabsence dtude sur ces publics.

Lanalyse marketing des conditions de lexprience des publics.

Cline Gallen et Danielle Bouder-Pailler28 cherchent comprendre les freins la consommationde spectacles vivants travers la conception individuelle de l'art et proposent des stratgies visant crer des contextes d'exprience pour favoriser lappropriation de la culture par les non-publics. Desfreins de deux ordres sont identifis : freins psychologiques (relation luvre et composantes delieu, de moment, de personne) et freins sociaux lis aux normes partages par le groupe. Troisattitudes sont possibles : sapproprier lobjet, lignorer ou lviter. Parmi les recommandations, ellesinvitent une rflexion sur laction collective, laccompagnement, lautodtermination, la crationde contextes exprientiels .

B-7. Les enjeux dmocratiques au cur de lexprience esthtique

La fonction dmocratique des motions

Sophie Wahnich, historienne de la rvolution, interroge les attaques dont la dmocratisationculturelle fait lobjet. Avec dun ct lide dune antinomie irrductible entre art et dmocratiedfendue par Mallarm ( Lart serait gt en tant offert la foule , Pourquoi dvelopper lart sipeu sont capables de lapprcier29? ) et de lautre ct, lide de laccessibilit porte par lespouvoirs publics. Elle relve deux cueils cette ide : du point de vue de la cration, laccessibilitse confronte lnigme du travail artistique et peut faire vaciller voire renoncer les pouvoirs publicsqui assimilent trop vite exigence et litisme. Du point de vue du public, lapproche compartimentedes publics dplace le sens de lart : La culture nest plus l pour dplacer lordre des places dansla cit mais bien pour assigner chacun la place quil occupe . travers lexemple du thtreathnien qui permet de mtaboliser les divisions de la cit et de conjurer le risque de guerre civile,elle met les motions du spectateur au cur des enjeux dmocratiques. Pour elle, lenjeuaujourdhui est de relancer les ds de luniversel dmocratique, non de colmater les fissures .

Dnonant la drive utilitariste qui conduit la dvalorisation de la culture, la philosophe MarthaNussbaum soutient que les humanits non seulement sont utiles dun point de vue social etpolitique, mais ont un rle jouer dans la solution de la crise. Lutilit de lducation ne se rduitpas la croissance conomique mais former un type de socit dmocratique. La formation desmotions dmocratiques passe notamment par le dveloppement de la capacit daltrit qui passepar la pratique des imaginaires artistiques.

Le commun30

Jean-Luc Nancy, philosophe auteur de La communaut dsuvre en 1986 et de tre singulierpluriel en 1996, constate une perte du commun qui conduit ne plus reconnatre la culture commeun bien public. Pourtant, dans un monde fragment, la finalit de lart rside dans ltre-en-commun, ltre-avec, cest--dire dans le tissage entre singularit et commun. Pour lui, la nouveautpolitique, ce nest pas la subvention : la subvention est aussi vieille que lart tout entier Sans28 Cline Gallen et Danielle Bouder-Pailler, Comprendre les freins la consommation de spectacles vivants travers

la conception individuelle de l'art, Lemna (laboratoire d'conomie et de management Nantes-Atlantique, Universitde Nantes) 2010.

29 Sophie Wahnich, La culture et la foule, chronique publie sur le site du thtre du soleil, http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/entre-nous/pensees-du-jour/la-culture-et-la-foule,1271

30 Voir aussi dans le chapitre sur les discours.

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http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/entre-nous/pensees-du-jour/la-culture-et-la-foule,1271http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/entre-nous/pensees-du-jour/la-culture-et-la-foule,1271

doute les tribus ont-elles dj subventionn , mais bien la disparition de toute configurationthologico-politique pour soutenir, assumer et justifier cette subvention31. Do limportance derester attentif la vivacit du questionnement sur lart, lbranlement des significations reues et la lance infinie de lhumanit par-del elle-mme . Do la responsabilit du pouvoir publicdorganiser symboliquement une gestion mesure du commun.

31 Nicolas Poirier, Entretien avec Jean-Luc Nancy , Le Philosophoire 1/ 1999 (n 7), p. 11-22URL : www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-1-page-11.htm.

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http://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-1-page-11.htm

1-2. tat des lieux chiffr : les donnes disponibles rencontrent des limites diverses

A/ Les enqutes par sondage auprs de la population.

A-1. Les limites de comparabilit entre les pays, du fait de la dimension culturelle des donnes etdes objectifs de politique publique qui leur confrent de la valeur

Les enqutes par sondage auprs de la population en Europe et aux tats-Unis.

Rsum

La comparabilit entre les pays rencontre une double limite, du fait de la dimension culturelledes donnes et des diffrents objectifs de politique publique qui leur confrent de la valeur

Le gouvernement amricain et la commission europenne commanditent des tudes de publics parsondage auprs de la population un rythme assez proche de celui du ministre de la Culture enFrance.

La comparaison savre toutefois complexe.

La comparabilit entre les enqutes une date donne butte sur des diffrences de primtre.Pour lune, il sagit des 18 ans et +, pour lautre des 15 ans et + ; lune spare le concert demusique classique du concert des autres musiques et le ballet de lopra, lautre pas... Ds lors lacomparaison des pourcentages de population concerne par telle ou telle activit artistique napas beaucoup de sens.

En revanche, cette difficult sattnue si lon compare des volutions dans le temps. Enloccurrence, on constate aux tats-Unis une baisse de la frquentation du spectacle vivant, desarts visuels et du cinma. La musique classique nchappe pas la rgle et la baisse toucheparticulirement les adultes entre 35 et 54 ans. Ltude europenne qui valorise lindice departicipation culturelle constate une stabilit des indices moyens mais une baisse des indiceslevs et de fortes variations entre les tats membres. En effet, on dnombre 43% de rpondantsayant un indice lev en Sude ou 36% au Danemark, contre 5% en Grce et 6% au Portugal, laFrance affichant 25%. Elle signale galement une baisse des pratiques en amateur.

La crise conomique est prsente comme un facteur explicatif de cette tendance la baisse despratiques culturelles par rapport ltude prcdente, ralise dans les deux cas avant ledclenchement de la crise. Le dsinvestissement en matire dducation artistique qui en rsulteaux tats-Unis a, selon lagence, un impact indirect sur la frquentation. Les chiffres prsentspermettent toutefois de constater que le mouvement de dclin avait t amorc avant la crise.Relativement aux concerts classiques et lopra, la baisse en dix ans aux tats-Unis affecteraitde trois points le concert. La question est alors de savoir si la France aura connatre un mmemouvement, en diffr, ou si, ayant mieux limit laggravation des ingalits conomiques et ayantsoutenu les activits culturelles, limpact de la crise aura t moindre.

Lexploration des enqutes amricaines et europennes montre enfin limportance delenvironnement culturel dans la dfinition mme des critres : le dveloppement des musicalsaux tats-Unis justifie la prsence dune catgorie propre, de mme que la catgorie musique

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latine, espagnole ou salsa, qui nauraient pas la mme rsonance dans le contexte europen.

Lanalyse de ces enqutes rvle limportance des enjeux politiques. La vise aux tats-Unis estdouble : le dveloppement des personnes humaines et le respect de la diversit culturelle.Lintitul de lenqute, avec les termes dengagement et de participation, veut tmoigner duneambition citoyenne. Il en rsulte une prsentation globale des rsultats ralise partir delensemble de cette diversit, relguant la concurrence des disciplines au second plan.

En Europe, les termes de participation et de diversit sont galement affirms dans ltude, tout ensoulignant limportance de sauvegarder et valoriser lhritage europen. Notons quune questiona t introduite concernant les raisons qui conduisent les personnes ne pas participer la vieculturelle. Les diffrences dapproche politique se manifestent galement propos de la dfinitionde la participation culturelle : dun ct, il sagit de la lecture stricte, cantonne au seul champculturel, alors que de lautre, lon considre une lecture extensive citoyenne, prenant en comptetant la participation au sein dassociations que le bnvolat en relation avec les institutionsculturelles.

1-1. Aux tats-Unis : Comment une nation sengage en faveur des arts, la participation publiquedans les arts .

Le contexte

Deux tudes font lobjet de publications rgulires aux tats-Unis, celle du National Endowmentfor the arts et celle de la League of american orchestras. Fonde en 1942, la ligue des orchestresamricains fdre environ 800 orchestres (symphoniques, ensembles, y compris des orchestres dejeunes et dtudiants). Parmi ses missions figure linformation sur lvolution de la frquentation etsur les motivations de la participation du public. Ltude de la League fait une extraction desdonnes de lenqute du National Endowment sur la participation du public dans le champ de lamusique classique.

Le National Endowment for the arts (Fonds national pour les arts) est une agence fdraleindpendante cre en 1965 Washington qui distribue des bourses et des subventions (138 millionsde dollars en 2013). How a nation engages with arts, survey on public participation in the arts(Comment une nation sengage en faveur des arts, observe la participation publique dans les arts)est le titre de lenqute quelle ralise partir dun chantillon de 37 266 personnes de 18 ans etplus et qui porte sur lactivit dans les douze derniers mois (autour de 5 rubriques : frquenter lesarts, lire, crer travers les mdias lectroniques, crer et partager, apprendre). La dernire enqutedate de 2012, aprs celles de 1982, 1992, 2002 et 2008.

Les enjeux

En optant pour les termes d engagement et de participation , lagence entend tmoignerdune ambition citoyenne, aussi bien du ct du soutien des arts que dans les diffrentes formesdaction des publics. La vise de lart pour les personnes est par ailleurs clairement nonce : lesarts aident les personnes atteindre leur plein potentiel toutes les tapes de leur vie . Cettedimension se consolide depuis 2 ans avec la cration dun centre de recherche et danalyse qui

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dveloppe un programme sur les arts et le dveloppement humain. Par ailleurs, depuis 1980, lerespect de la diversit culturelle est inscrit dans ses missions.

Sur lvaluation des rsultats, on remarque que lagence considre comme positif non pas seulementles espaces de progression, mais labsence de dclin. Cette faon positive de prsenter les rsultatsapparat notamment dans la conclusion globale : de larges segments de la population adulte destats-Unis ont fait lexprience au moins une fois au cours de lanne coule de diffrentes formesdactivit artistique.

Les tendances

Parmi les sorties culturelles aux tats-Unis dans les 12 derniers mois, le cinma arrive en tte avec59% de participation de lensemble des personnes enqutes, suivi des arts visuels et du spectaclevivant, 49%, respectivement 39% pour les arts visuels et 37% pour le spectacle vivant.

La frquentation de concerts classiques est passe de 11,6% en 2002 8,8% en 2012, soit prs de 3points en moins. Pour lopra, le chiffre passe de 3,2% 2,1%, ce qui est important compte tenu dupoint de dpart.

La baisse touche tout particulirement les adultes entre 35 et 54 ans. Elle vaut de la mme faonpour le cinma, les muses et galeries et lensemble du spectacle vivant.

50% des personnes enqutes utilisent la tlvision ou la radio pour regarder ou couter de lamusique, 29% utilisent internet pour regarder, couter ou tlcharger de la musique. 21,2% ontpost, partag ou remix de la musique. Au contraire des autres arts pour lesquels la majorit descours ont eu lieu lcole, les cours de musique vocale ou instrumentale se droulent pour une largepart lextrieur de lcole.

La comparaison entre les enqutes franaises et amricaines

La comparaison entre les enqutes franaises et amricaines a t ralise par le Dpartement destudes et de la prospective (Deps) du Ministre de la Culture sur la priode 1981-200832. Laparticipation culturelle est plus forte aux tats-Unis, lexception de la lecture. Avec des profils trsproches au regard des quatre critres retenus (ge, sexe, niveau dtudes et niveau de revenus), lesauteurs relvent des volutions semblables mais dcales dans le temps : le vieillissement marqudes publics dans les deux pays et le recul de la participation des plus diplms dans les deux pays,dans un contexte dcarts de revenus qui se creusent aux tats-Unis.

32 Angle Christin et Olivier Donnat, Pratiques culturelles en France et aux tats-Unis, lments de comparaison,1971-2008, DEPS, Culture tudes, mars 2014.

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2002 2008 2012musique classique 11,6% 9,3% 8,8%jazz 10,8% 7,8% 8,1%danse autre que le ballet 6,3% 5,2% 5,6%musique latine, espagnole ou salsa NR 4,9% 5,1%ballet 3,9% 2,9% 2,7%opra 3,2% 2,1% 2,1%

Dune manire gnrale, avec un accroissement des ingalits plus accentu aux tats-Unis quenFrance depuis les annes 1980 et avec un cot des sorties culturelles gnralement admis commeplus lev quen France, On observe que les carts entre les riches et les pauvres en matire desorties culturelles se sont creuss outre-Atlantique dans les annes 2000, au moment o ils serduisaient en France . Les Amricains les moins diplms avaient des niveaux de participationinfrieurs ceux de leurs homologues franais pour les sorties au muse ou au spectacle vivant. Leseffets massifs de la crise conomique et financire sur les pratiques culturelles ont galement, selonlagence amricaine, provoqu un dsinvestissement en matire dducation artistique dans lescoles publiques et les cours privs, avec des effets indirects en termes de frquentation. Laquestion que posent les chercheurs du Deps est la suivante : peut-on crditer le systme lafranaise davoir limit laggravation des ingalits conomiques et davoir continu soutenir ledynamisme des sorties culturelles ? Ou bien la situation franaise serait-elle brouille par un effetretard, les comportements des Franais tant susceptibles de saligner sur ceux des Amricains endiffr ?

1-2. En Europe : Laccs et la participation culturels

Le contexte

La Direction gnrale pour lducation et la culture de la Commission europenne a commandplusieurs enqutes intitules Cultural access and participation en 2001, 2003, 2007 et 2013 TNS(le groupe Taylor Nelson Sofres) Opinion and social, qui figurent dans la srie Culture desEurobaromtres. Cette enqute est mene sur un chantillon plus rduit que les enqutes nationales.Elle porte sur les + de 15 ans et les rsidents nationaux de lUnion europenne, sans pondration surquelques variables dmographiques (scolarit, emploi). Lenqute 2013 a t ralise auprs de 27tats membres. Le nombre denquts franais (1 027 personnes) reprsente 3,86% des enqutseuropens.

Par ailleurs, sous lgide dEurostat, lOffice statistique de lUnion europenne, le rseau dusystme statistique europen sur la culture (ESSnet-culture) a travaill de 2009 2011 ladfinition dun cadre statistique de rfrence autour de trois points : le financement de la culture etles dpenses culturelles, la mesure des secteurs culturels et de lemploi, et les pratiques culturelles etleurs aspects sociaux. Ce travail vise une meilleure comparabilit des statistiques entre les paysmembres.

Les enjeux

On retrouve la notion de participation dans lintitul de lenqute Eurobaromtre. Estgalement affirme demble la notion de diversit avec le rappel de larticle 3 du trait delUnion europenne : Lunion respecte sa riche diversit culturelle et linguistique et sassure quelhritage culturel europen est protg et mis en valeur33 . Les notions de pense et de valeurs sont galement affirmes dans lenqute. La vise gnrale dclare de lenqute est dexplorer et de mesurer la faon dont les citoyens de lUnion pensent et se comportent dansle champ de la culture et dtudier les valeurs culturelles europennes .

Dans les groupes de rflexion sur la comparaison des cadres statistiques en Europe, des options sontapparues autour de deux enjeux : la dfinition de la participation avec deux entres principales :la premire, proche des dcoupages institus, qui spare la participation culturelle rceptive et

33 The Union shall respect its rich cultural and linguistic diversity, and shall ensure that Europe's cultural heritage issafeguarded and enhanced .

51

active, la participation directe et la participation numrique, la participation dans les arts ditssavants et les arts populaires. La deuxime entre ne dmarque plus ces champs mais utilise uneconception plus large et prfre sappuyer sur les modalits ou les tapes de la dmarcheparticipative34 : linformation (rechercher, collecter et diffuser des informations sur la culture), lacommunication et la communaut (interagir avec dautres et participer des rseaux culturels),lexpression et le plaisir (aimer assister des expositions, des spectacles artistiques et dautresformes dexpression artistique, pratiquer les arts comme loisir, et crer du contenu en ligne) et latransaction (acheter des uvres dart, acheter ou rserver des tickets pour des spectacles).

Lautre enjeu qui est ressorti des groupes de travail touchait la dfinition des activits culturelles. Lepremier volet avec les pratiques en amateur, cest--dire la pratique des arts comme un loisir et lesecond volet avec la pratique de spectateur/visiteur, cest--dire la frquentation dvnementsculturels, le fait de suivre des missions artistiques et culturelles sur tous les types de mdias. Ladfinition de ces deux volets a fait lobjet dun consensus. Le troisime volet, qui a fait dbat,concerne la participation sociale et le bnvolat, cest--dire le fait dtre membre dune associationou dun groupe culturel ou daccomplir un travail bnvole pour une institution culturelle. Septenqutes nationales incluent des questions sur la participation citoyenne.

Le travail dharmonisation en aval, en vue de la comparabilit, savre tre bien autre chosequun simple problme de mthode. Il rvle, derrire la dfinition des catgories, des visionspolitiques diffrentes de la culture.

Les tendances

LEurobaromtre n 399 de la commission europenne sur laccs et la participation culturels a tpubli en novembre 2013. La mesure des attitudes du public europen face une srie dactivitsculturelles est organise en trois parties.1- Les niveaux dengagement dans diffrentes activits culturelles en termes daccs, departicipation et de barrires la participation.2- Limplication active des citoyens de lUnion dans une srie dactivits artistiques (chanter,danser, faire un film...) par diffrence avec leur consommation (aller au cinma).3- Lutilisation dinternet dans un but culturel en diffrenciant les usages directs comme la lectureen ligne et indirects pour acheter les biens culturels.

La forme la plus courante de participation une activit culturelle est de regarder ou couter unprogramme culturel la tlvision ou la radio : 72% des Europens lont fait au mois une fois aucours des 12 derniers mois. Vient ensuite la lecture (68%). Lactivit la moins populaire est dallervoir un ballet ou un opra avec 18% de participation.

La moiti des rpondants ont effectu une sortie culturelle : visiter un muse ou une galerie (37%),assister un concert (35%), aller en bibliothque (31%), aller au thtre (28%), voir un ballet ou unopra (18%).

Un indice de participation culturelle mesure la frquence de la participation en 4 niveaux : trslev, lev, moyen et faible. Cet indice est affect chaque question. Si lindex moyen estrelativement stable entre 2007 et 2013, passant de 49% 48% (ceux qui rpondent + de 5 foisdans les 12 derniers mois une ou deux questions), un dclin est notable pour les indices levs(pour 3 ou 4 questions) et trs levs (pour 5 questions et +) passant de 21% 18%. Par ailleurs, lesvariations entre les tats membres sont importantes : les indices levs et trs levs reprsentent

34 Dfinition par Jos De Haan et Aries Van den Broek.

52

43% des rpondants en Sude, 36% au Danemark, 34% aux Pays-Bas, 30% en Estonie, 29% enFinlande, et 25% en France, contre 5% en Grce et 6% au Portugal.

Les deux principales raisons de ne pas participer davantage aux activits culturelles sont le manquedintrt (raison donne au premier rang pour 5 des 9 activits testes) et le manque de temps(raison donne au premier rang pour les 4 autres). Mais le cot est aussi un obstacle, toutparticulirement pour les pays dEurope orientale (Roumanie, Bulgarie et Hongrie). Le choix limitou la mdiocre qualit est moins un problme dans les pays affects par la crise conomique (Grce,Portugal, Espagne).

Limplication personnelle dans linterprtation ou la production culturelle a dcru de maniresignificative depuis 2007. Les activits les plus courantes sont la danse (13%), la photographie et lesfilms (12%), le chant (11%). Un nombre moindre de rpondants ont jou dun instrument (8%),particip des ateliers dcriture (5%) ou de thtre (3%).

Plus de la moiti des Europens utilisent internet des fins culturelles, 30% au moins une fois parsemaine. Les usages les plus populaires sont la lecture darticles de journaux (53%), la recherchedinformations culturelles (44%) et lcoute de la radio et de la musique (42%).

La crise conomique y est considre comme un facteur explicatif du lger dclin de la participationpar rapport lenqute prcdente de 2007 qui avait eu lieu avant le dbut de la crise.

Les limites des comparaisons

Les catgories de cette enqute ne permettent pas de distinguer la musique classique au sein duchamp des musiques, la notion de concert valant pour toutes les musiques. Par ailleurs, elle relieballet et opra. Ces deux choix rendent les comparaisons limites sur le strict champ des musiquesclassiques. Dautant que, de son ct, ltude amricaine inscrit le thtre musical dans la catgoriethtre.

A-2. Les limites de lenqute sur les pratiques culturelles des Franais du ministre de la Culture

Rsum

Lenqute sur les pratiques culturelles des Franais, pilote par le dpartement des tudes et de laprospective du Ministre de la culture (Deps), est aussi ralise par sondage auprs de lapopulation. Cinq ditions ont t ralises entre 1973 et 2008.

Selon la prsentation traditionnelle par catgories de pratiques et de musiques, il ressort delenqute 2008 que :

Une personne sur trois a assist au moins un opra ou un concert de musique classique aucours de sa vie et une personne sur dix durant les 12 derniers mois, avec : une pratique lgrement plus dveloppe chez les femmes un taux plus lev aprs 50 ans

une pratique nettement plus dveloppe chez les cadres suprieurs et lesprofessions librales et dans lagglomration parisienne.

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Lvolution au fil du temps est stable pour le concert, en diminution pour loprette et en lgreaugmentation pour lopra. Ce qui change en revanche, cest la structure dge, en particulierpour le concert. Pour lopra, la pratique se rpartit de faon quilibre au cours de la vie et laseule tranche en lgre diminution correspond celle des 45-54 ans.

Lcoute quotidienne de la musique a largement cru, passant de 9% 34% de 1973 2008.

Il convient de poser un regard critique sur certains points :

Lobservation des sorties favorise le prisme des tablissements plutt que celui deshabitants ; trop souvent prsente isolment des autres pratiques, elle privilgie les dlimitationsentre tablissements ou familles artistiques au dtriment des parcours pluriels des mmeshabitants et des variations dun territoire lautre.

La segmentation en catgories artistiques nest dailleurs pas fixe, mais ncessairementsoumise aux variations des mouvements artistiques comme celles des gots du public.Lintroduction de nouvelles catgories et la disparition dautres rendent les comparaisonsimprcises, voire infondes, ce que montre lexamen de lvolution des catgories musicalesdepuis 1973.

Lassemblage des catgories joue un rle dterminant dans la qualification et lahirarchisation des rsultats ; en isolant le concert de musique classique, les rsultats de lenqute2008 le prsente comme une pratique mdiocre, alors que reli lopra, la pratique de lamusique classique dans son ensemble gagne une place bien meilleure ; il sagit donc de sedemander ce que lon cherche constituer dans les assemblages ou les sparations.

Limpact des modifications du contexte joue galement un rle important : mutationsstructurelles de la composition de la population, lvation du niveau de formation, allongement dela dure de la vie et modification du poids des gnrations, sans compter lvolution des revenuspar ge, la fminisation de lemploi, lvolution des valeurs... Lintroduction partir de 2008 delanalyse gnrationnelle tente de rpondre une partie de ces critiques.

Pour mettre les personnes au centre, il importe de relier les pratiques et de dcloisonner lesfamilles musicales.

Relier les pratiques Lcoute : en 2008, 26% des enquts coutent rgulirement de la musique classique (oprainclus) ; opra et musique classique se situent en 3 position selon ltude Deps galit avec lacatgorie pop-rock , en 2 position selon une tude de la Socit des auteurs, compositeurs etditeurs de musique (Sacem) de 2011 qui compte 34 % des enquts.

Lcoute et les sorties : parmi ceux qui coutent rgulirement de la musique classique, le taux desortie est lev ; de la mme manire ceux qui nen coutent pas, ne sortent pas. Reste un tiers deceux qui coutent rgulirement de la musique classique (opra compris) et qui ne sont jamaisalls au concert ou lopra. Il sagit principalement de retraits, demploys et de professionsintermdiaires. linverse, 21% nen coutent pas alors quils sont alls au moins une fois auconcert dans leur vie.

La corrlation entre pratique en amateur et sortie est forte ; les personnes qui sortent au concert

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ou lopra ont des pratiques en amateur plus leves que la moyenne de la population. Le tauxoscille autour de 20%, le Deps affichant que 18% des personnes pratiquent la musique ou le chanten 2008, la Sacem en 2014 en dclarant 22%. Notons labsence dindice de satisfaction danslenqute Deps. Dans lenqute Insee sur lemploi du temps, la pratique en amateur arrive en ttedes activits procurant du plaisir, devant les sorties culturelles et la tlvision.

Dcloisonner les musiques : les pratiques des publics enjambent les frontires tablies entreles genres musicaux. Cest vrai des sorties et de lcoute : 31% des personnes qui ont assist aumoins un concert ou un opra dans lanne ont galement assist un concert de jazz et 19% ontassist un concert de rock. Linverse est vrai dans des proportions proches. Parmi les personnesqui coutent du classique, 72% coutent aussi de la chanson, 36% des musiques du monde et dujazz, 26% du pop ou du rock.

Attention donc ne pas accorder aux donnes chiffres un statut hgmonique et ne pas lesriger en arbitre de lvaluation ! Les diffrences de rsultats dun organisme denqute lautre,la prise en compte des variations du contexte dmographique et social limitent la capacit deschiffres tablir un rsultat un moment donn ainsi qu tracer des volutions.

Pour rendre compte de la pluralit des pratiques et des trajectoires des personnes, il convient desintresser davantage aux inter-actions entre les pratiques et entre les musiques plutt quleur comptition. De la mme faon les parcours des publics entre les tablissements au sein dunterritoire sont plus significatifs de la ralit des pratiques culturelles des habitants que deschiffres par rseaux, totalement d-territorialiss. Il nest pas certain non plus que ces sondagessoient des outils efficaces pour tudier les modalits dappropriation et de formation du got.

Cinq enqutes sur les pratiques culturelles des Franais ont t ralises jusqu aujourdhui par leDpartement des tudes et de la prospective du ministre de la culture, le Deps. Cette enqute najamais eu lassurance dtre rgulirement reconduite comme en tmoigne sa priodicit variable.Le label Insee est obtenu par validation de la mthode de constitution de lchantillon qui porte surplus de 5000 enquts. Le questionnaire est trs largement conditionn par les versions antrieuresdans la perspective de pouvoir tablir des comparaisons au fil des diffrentes ditions, ce quiimplique de conserver certaines questions et a tendance freiner les volutions. Pour ldition 2008,lquipe du Deps sest entoure dun comit scientifique compos de Philippe Coulangeon, NicolasHerpin, Louis Chauvel et Jean-Louis Fabiani, reprsentant diverses tendances de la sociologie, et at anim par Olivier Donnat.

Lorsque dautres organismes ont galement produit des donnes chiffres sur les mmes items, ellesseront mentionnes, notamment celles ralises par la Sacem, le Centre de recherche pour ltude et lobservation des conditions de vie (Credoc) ou lInstitut national de la statistique et des tudes conomiques (Insee).

Ce travail a t ralis en collaboration avec Aude Jolivel, charge dtudes statistiques au bureau delobservation de la performance et du contrle de gestion de la direction gnrale de la crationartistique qui a effectu les analyses descriptives sur la base de donnes. Elle a notamment agrgles catgories concert de musique classique et opra. Elle a galement ralis des croisements pourtenter dexaminer des liens entre les diffrentes pratiques.

A-2-1. Les limites propres la production des chiffres

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A-2-1-1. Le point de vue du Deps

loccasion dun sminaire en 2001, le Deps35 fait le point sur les limites des sondages dans laconnaissance des publics. Les chercheurs du Deps dveloppent un point de vue critique par rapportaux enqutes en trois points.

Dune part, le statut qui leur est accord : le sondage devient un instrument hgmonique , aumotif quil aurait lavantage de prsenter les signes extrieurs de la scientificit puisque lesrsultats sont exprims en chiffres36.

Dautre part, leur invitable cart par rapport au rel : une enqute par sondage ne peut jamais treune photographie des comportements rels. Il nexiste pas de ralit objective pr-existante queles enqutes auraient pour objectif de dvoiler, la ralit observe nest jamais indpendante duregard quon porte sur elle.

Par ailleurs, lidal dobjectivit rencontre lui aussi une limite : Par la dlimitation du champdinvestigation, par les catgories quil utilise, le sociologue-statisticien participe toujours laconstruction de lobjet quil entend observer . Enfin, les usages qui en sont faits : on ne peut pasparler de dmocratisation la seule lecture de chiffres indiquant une augmentation de lafrquentation dun quipement ou de la diffusion dune activit 37. Diffrents facteurs historiquesdoivent tre pris en compte pour viter lillusion du toujours pareil : lvolution structurelle dela socit et les nouvelles formes de participation et de pratiques. Et les confusions sur le terme dedmocratisation (de quoi parle-t-on ? Augmentation des volumes, intensification des pratiques,modification des profils socio-dmographiques ?) et sur les catgories de public ( non public et public potentiel ) ne permettent pas une lecture claire.

En entrant dans le dtail de la production et de lusage des chiffres, nous allons tenter la foisde reprer ces limites et de dcrypter les choix effectus, dans le souci douvrir de nouveauxoutils qui seraient plus ajusts aux besoins et volonts politiques.

A-2-1-2. Donner le primat lentre sorties favorise le prisme des quipements culturels etprivilgie lentre macro-sociologique sur les variations individuelles et territoriales

La premire donne chiffre sur les publics est en gnral celle de la frquentation. Enloccurrence pour 2008, en ce qui concerne la musique classique, une personne enqute sur 3(33%) a assist au moins un opra ou un concert de musique classique au cours de sa vie et unepersonne sur 10 (9%) durant les 12 derniers mois.

Nombre d'enquts ayant assist au moins un spectacle d'opra ouconcert de musique classique au cours :

de leur vie des 12 derniers moisOui 1643 33% 465 9%Non 3360 67% 4538 91%Total 5003 100% 5003 100,00%

Vient ensuite la rpartition par sexe, tranche dge et catgorie socio-professionnelle.

35 Olivier Donnat et Sylvie Octobre (dir.), Les publics des quipements culturels, mthodes et rsultats denqutes,2001.

36 p.50.37 p. 20.

56

La rpartition par genre (personnes qui se sont rendues au concert de musique classiqueou lopra) : 34 % des femmes interroges ont assist un concert ou un opra au cours deleur vie et 10 % au cours des douze derniers mois.

La rpartition par catgories dge : 52 % des personnes interroges ges de 65 ans etplus ont assist un concert ou un opra au cours de leur vie, 11 % dentre eux dans lesdouze derniers mois.

Deux faons dobserver :

1-en considrant une mme classe dge : quelle est la part des personnes qui ont assist un concert ou un opra ? 23 % des enquts de 25-34 ans ont assist un concert ou unopra dans sa vie.

2- en considrant lensemble des personnes ayant assist un concert ou un opra : comment sont-elles rparties en fonction de leurs ges respectifs ?

Parmi les personnes qui sont sorties lopra ou au concert de musique classique au moins une fois au cours de leur vie : au sein du public ayant assist des concerts et opras au cours de leur vie, on compte 11 % de personnes entre 25 et 34 ans.

Q30 Age Classes Nb %1- 15-17 ans 25 2%2- 18-24 ans 107 6%3- 25-34 ans 181 11%4- 35-49 ans 359 22%5- 50-64 ans 446 27%6- 65 ans et plus 526 32%Total 1643 100%

Parmi les personnes qui sont sorties lopra ou au concert de musique classique au moins une fois au cours des 12 derniers mois: au sein du public ayant assist des concerts ou opras au cours de lanne, on compte 12 % de personnes entre 25 et 34ans.

Q30 Age Classes Nb %1- 15-17 ans 8 2%2- 18-24 ans 39 8%

57

Femme Homme Total RsultatUne fois au moins dans la vie 34% 32% 33%Ont t au concert / lopra:

15-17 ans 18-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50-64 ans 65 ans et + TotalUne fois au moins dans la vie 11% 20% 23% 28% 29% 52% 33%Une fois au moins dans les 12 mois 4% 7% 7% 8% 13% 11% 9%

Ont t au concert / lopra:

3- 25-34 ans 57 12%4- 35-49 ans 106 23%5- 50-64 ans 149 32%6- 65 ans et plus 107 23%Total 465 100%

La rpartition par catgorie socio-professionnelle : 67 % des cadres, professionsintellectuelles interrogs ont assist un concert ou un opra au cours de leur vie, 13 %dentre eux dans les douze derniers mois.

2- Artisans, commerants, chefs dentreprise3- Cadres, professions intellectuelles4- Professions intermdiaires

Il convient de noter quune catgorie comme "cadres, professions intellectuelles" forme unegrande catgorie comprenant des individus trs htrognes, les enseignants ayant descomportements culturels peu homognes avec ceux des cadres.

Les limites de lentre sorties

La primaut de lentre sortie, lenjeu institutionnel.

La question de la frquentation est traditionnellement place au centre des analyses.Ce faisant, cest le prisme des publics des quipements culturels qui prvaut plutt quelensemble des pratiques des habitants. Le soutien de ltat aux tablissements et auxquipes artistiques conduit naturellement lvaluation quantitative privilgier la rponsedes publics. Les chiffres des sorties culturelles sont ainsi souvent penss comme llmentessentiel de lgitimation de lintervention publique. Mais ce prisme reste cantonn unelogique de loffre et lide dune culture-consommation.

Lentre macro-sociologique, lenjeu thorique.

Lenqute quantitative sur les publics est aujourdhui rgie par des rgles implicites fortementroutinises et repose sur des attendus sociologiques rarement discuts bien que discutables.38

Lentre macro-sociologique conduit la constitution de donnes homognes, principalement dans

38 Emmanuel Pedler, Aurlien Djakouane, Carrires de spectateurs au thtre public et lopra. Les modalits destransmissions culturelles en questions: des prescriptions incantatoires aux prescriptions opratoires, in OlivierDonnat, Paul Tolima, Le(s) public(s) de la culture, chap V, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.1.

58

1- A

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5- E

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6- O

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10- R

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11- A

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ctifs

Tot

al

Une fois au moins dans la vie 21% 26%

67% 39% 19% 11% 9% 21% 30% 50% 23% 33%

Une fois au moins dans les 12 mois 0% 9% 29% 13% 5% 1% 1% 8% 6% 12% 5% 9%

Ont t au concert / lopra:

7- O

uvri

ers

non

qual

i-fi

s

le champ des catgories socio-professionnelles. Au moment o celles-ci sont dfinies (1954), unedes questions fortes de la sociologie concerne la reproduction des hirarchies et des ingalits, dontle concept dhabitus de Pierre Bourdieu viendrait clairer les dterminismes la fois dans laconstruction des communauts culturelles et dans les mcanismes de transmission culturelle. Maisce dcoupage socio-professionnel comporte un danger, cest quil fige la vision dune socitdcoupe en strates ou en classes sociales39.

Dautres enjeux thoriques se sont dvelopps depuis lors qui ont mis laccent sur les dissonances,lclectisme, les malentendus culturels ou les sociabilits40. Avec la volont de dpasser lapprochebourdieusienne, sont apparues des variables importantes que lon peut regrouper autour de deuxples, le recentrement sur les variables individuelles dune part et territoriales dautre part.

Lenqute sur les pratiques culturelles des Franais gomme les variations individuelles, tant dansle rapport de chaque personne la musique que dans la constitution de communauts et des conflitsqui les traversent. On aura loccasion dobserver plus loin ces variations, notamment dans les cartsentre sorties et coute ou encore dans les convergences entre genres musicaux rputs opposs entermes de lgitimit. Il sagit alors de saffranchir de la seule entre des sorties poursintresser lanalyse des corrlations entre diffrents paramtres dbouchant alors sur unpaysage complexe, riche dune grande diversit de gots et de parcours. Ce point sera prsentdans le paragraphe suivant.

Lapproche macro-sociologique a aussi tendance gommer les variations territoriales. Premierinconvnient : de nombreux oprateurs culturels ny retrouvent pas la vision des publics de leurspropres tablissements. Citons titre dexemple la fraction des diplms de lenseignementsuprieur dans le public de lopra de Marseille qui est de 40% contre 60% lopra de Paris41.Second inconvnient : les situations concrtes de loffre, bien souvent gnratrices des plus grandesingalits, passent au second plan. Le tableau sur la rpartition des publics par catgoried'agglomration est loquent cet gard.

Julian Boutin, violoniste du quatuor Bla et fondateur du festival Les nuits dt en milieu ruralne reconnat pas la description globalise des publics de lenqute du Deps :

En tant que musicien, jai plutt affaire un public de trentenaires omnivores, ce qui profite beaucoup plusau contemporain qu la musique classique. Les priodes classiques et romantiques sont moins apprcies parcette frange de la population. En tant que musicien, jai dailleurs le mme parcours queux. Cette bonnenouvelle de lclatement de la frontire entre musique populaire et musique savante, je la constatevritablement. Au niveau des catgories socio-culturelles, je suis personnellement moins concern par la choseen tant que directeur de festival et en tant que musicien car je joue de la musique classique moderne (du XX esicle). Les gens qui viennent nous voir la fin du concert sont certes gs, mais on voit bien quils ne sont pasdes bourgeois ; ils appartiennent aux classes moyennes (essentiellement des fonctionnaires). Ce sont souventdes personnes qui sy connaissent trs bien, parfois sur des esthtiques trs courtes. Il en est de mme chezmoi, sur des scnes plus rurales. On y joue le grand rpertoire populaire de la musique classique : il y abeaucoup de paysans (qui ne sont pas des no- ruraux), des ouvriers, des gens du btiment et des travauxpublics, souvent la retraite. Ce ne sont pas des esthtes42 .

La rpartition par catgorie dagglomration : 27 % des personnes interroges vivantdans des territoires ruraux sont alles au concert ou lopra au cours de leur vie, contre44 % des personnes vivant dans lagglomration parisienne.

39 Ibid, p. 16.40 Voir la rapide prsentation dans la premire partie de ce chapitre.41 Emmanuel Pedler, Entendre lopra: une sociologie du thtre lyrique, Paris, LHarmattan, 2003, fin chap. 5.42 Entretien avec Julian Boutin du 3 mai 2013.

59

Lenqute sur les pratiques culturelles des Franais, dans sa fabrication comme dans salecture, serait ainsi lie des enjeux thoriques de la sociologie situs historiquement etcentrs sur la vrification de lorigine sociale des ingalits et de leur reproduction.

A-2-1-3. Mettre les personnes au centre suppose de prendre en compte lensemble de leurs pratiques(pratique dcoute, pratique instrumentale ou vocale, dsirs dapprofondissement) et danalyser lesliens entre sorties et coute, entre genres musicaux, entre modalits dcoute

Lcoute

Partant cette fois des personnes et non plus des institutions, lcoute est un facteur importantde lvaluation des attachements, des gots individuels.

Laccroissement des pratiques dcoute domestiques ou mobiles, amorc aprs la guerre parle dveloppement de la production discographique, a t amplifi par la multiplication dessupports de diffusion depuis la rvolution numrique.

Ce que mesure lenqute, cest la frquence dcoute. En 2008, 26% des Franais coutentrgulirement de lopra ou de la musique classique. Seuls 18% dentre eux dclarent nejamais en couter, car ils savent que cest un genre de musique qui ne leur plat pas.

Frquence dcoute musique classiqueRgulirement 1301 26%Rarement 2801 56%Jamais 901 18%Total 5003 100%

Parmi les genres les plus couts, lopra et la musique classique se situent en troisimeposition, aprs les chansons ou varits franaises et les varits internationales et RnB, galit avec le pop rock.

60

1- R

ural

Tot

al

27% 26% 27% 35% 39% 44% 33%

6% 5% 7% 10% 12% 17% 9%

Sont alles au concert / lopra:

2- 2

000

20

00

0 ha

b

3- 2

0 00

0

100

000

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4- 1

00 0

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20

0 00

0 ha

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5- P

lus

de 2

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000

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6- A

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Une fois au moins dans la vieUne fois au moins dans les 12 mois

Genres les plus frquemment couts

Les personnes interroges ont la possibilit de rpondre oui plusieurs questions (on ne sait pas sile nombre de choix est limit). Il convient de rappeler que le got nest pas cantonn un seulgenre mais est un compos souvent hybride, ce qui relativise la signification dune lecture quimet les genres musicaux en concurrence.

Dautres tudes donnent des informations assez loignes.

Ltude Sacem 2011 dclare que la musique classique est coute par 34 % des personnesinterroges (autant que la varit internationale -sans le RnB et en seconde position aprs lachanson franaise 51 %). Peut-on rapprocher ces donnes qui pourtant portent sur la mmequestion ? Est-il vraisemblable que la pratique dcoute de la musique classique ait cru de 8 pointsen 3 ans, entre 2008 et 2011 ?

Ltude du Credoc de dcembre 2013 indique un temps moyen dcoute de la musique ou de laradio de 1h23 par jour43.

Ltude Sacem Les Franais et la musique ralise par Christophe Wagnier et remise auMarch international du disque et de ldition musicale (Midem) 2014 indique que 99 % desFranais coutent de la musique rgulirement et que 75% ne pourraient pas sen passer. Pour prsde 9 Franais sur 10, cest tous les jours et en moyenne 2h25 par jour. Lcoute en streaming estdevenue une pratique courante, 70 % des Franais coutent de la musique en ligne au moins unefois par semaine. Notons que, dans cette tude, il nest pas fait de diffrenciation selon lesrpertoires.

Ltude Sacem publie en 2011 faisait tat dun temps moyen dcoute par jour de musique de1h10 et dune proportion de personnes, qui coutent plus de 2h par jour, de 20 %. Mme si lon sait que les diffrences de mthode rendent toute comparaison infonde, il nempchequentre les chiffres produits par ces deux tudes montrent un cart du simple au double dans unepriode de trois ans !

La pratique en amateur

43 Rgis Bigot, milie Daudey et Sandra Hoibian, La socit des loisirs dans lombre de la valeur travail, tude duCredoc n 305, dcembre 2013, p. 108.

61

62%

34%

26%

26%

23%

16%

14%

13%

7%

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%

Chansons ou varits francaises

Varits internationales, RnB

Opra ou musique classique

Pop, rock

Musiques du monde ou traditionnelles

Jazz

Musiques lectroniques, techno

Hip hop, rap

Metal, hard rock

La corrlation entre les sorties et la pratique en amateur apparat fortement. Alors que la pratique enamateur de lensemble de la population figure dans la colonne de droite, le taux de pratique est pluslev parmi les personnes qui ont assist aux manifestations listes dans les autres colonnes, quelleque soit leur pratique. Les variants du classique et de lopra ici spars une nouvelle fois ne sontpas significatifs par rapport aux autres musiques, sauf en ce qui concerne la cration musicale surordinateur, plus faible dans le champ classique.

En termes gnraux, lenqute du Deps de 2008 relve que 8% des personnes enqutes dclarentavoir pratiqu en groupe la musique ou le chant, 12% des personnes pratiquent un instrument demusique. Ltude de la Sacem de 2014 dclare de son ct que 22% des personnes interrogespratiquent la musique ou le chant et 15% un instrument de musique. Cette information laisseperplexe. Il est peu vraisemblable quen six ans, les pratiques en amateur aient progress de 4 pointset la pratique instrumentale de 3 points. Est-ce un effet de la taille et de la composition delchantillon ? Quelle comparabilit pour des tudes menes selon des mthodes diffrentes ?

Il conviendrait galement de croiser la pratique en amateur et les sorties, pour voir si les amateurssortent plus ou moins que les autres.

Les dsirs dapprofondissement

62

En pourcentage des franais de 15 ans et plus

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popu

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Sur 100 personnes ayant assist au moins une des manifestations ci-contre, dclarent pratiquer les activits suivantes :

Pratiquent la musique/le chant en groupe 20 23 20 23 18 8

Pratiquent un instrument de musique 32 30 24 26 21 12

Savent jouer d'un instrument de musique 43 42 36 39 34 23

Crent de la musique sur ordinateur (mixer, sampler, composer) 13 13 10 6 8 5

Pratiquent le thtre 5 6 5 3 4 2

Pratiquent la danse 13 16 18 13 13 8

Source MCC - DEPS (Pratiques culturelles des Franais l'heure du numrique - 2008) / DGCA

PRATIQUES ARTISTIQUES DES PUBLICS DE LA MUSIQUE

Parmi les personnes qui sont alles lOpra ou au concert de musique classique au coursdes 12 derniers mois, 20% dclarent quelles aimeraient dcouvrir ou pratiquer davantagedes activits artistiques (musique, peinture...) si elles avaient plus de temps. Ce pourcentageest de 9% dans lensemble de la population.

La formulation de la question ne permet pas de savoir si le choix se serait port sur la seulemusique, qui plus est classique, ou sil aurait retenu divers autres champs culturels. Quoiquil en soit, il semble de faon gnrale que la pratique nourrit le dsirdapprofondissement et inversement.

Les indices de satisfaction

Dans lenqute mene par lInstitut national de la statistique (Insee) sur lemploi du temps,les personnes dcrivent leurs activits et le plaisir ou dplaisir que ces activits leurprocurent, travers une note qui va de -3 +3.

La pratique dactivits artistiques arrive en tte devant les sorties culturelles et latlvision44.

Alors que la tlvision est le premier loisir des Franais (97 % disposent dun poste detlvision selon cette mme enqute), avec une utilisation moyenne de 3h45 par jour en2010, elle procure un plaisir limit, avec un indice de satisfaction de 2.05, pas loin du fait desurfer sur internet (2,19).

La pratique de la musique ou de la danse arrive la premire en tte avec un score de 2,62.

Lintrt du lien entre sorties et coute.

Des lments nouveaux ressortent de lanalyse du lien entre sorties et coute, que ce soitsous la forme de convergences ou dcarts entre ces pratiques.

Du ct des convergences : Les personnes qui coutent frquemment de lopra ou de la musique classique vont aussiaux spectacles et concerts classiques (au moins une fois au cours de leur vie pour 67%dentre eux, au moins une fois au cours des 12 derniers mois pour 25%).

De mme, la majorit de ceux qui ncoutent ni opra ni musique classique, ne vont pas nonplus au concert (79% dentre eux ny sont jamais alls au cours de leur vie).

Cette corrlation indique que lintrt de ces personnes se porte sur les diverses modalits derelation la musique classique, dont les formes apparaissent ici comme complmentaires.

Du ct des carts :Un tiers des personnes qui coutent frquemment de lopra ou de la musiqueclassique ne sont jamais alles un spectacle ou concert de ce genre. linverse, 21%nen coutent pas alors quils y sont alls au moins une fois au cours de leur vie.

Cela remet en question le primtre de la notion de non-public : certes, il ny a pasde sortie, mais en revanche il y a une coute frquente. Si la relation la musique connatdes modalits varies dont lcoute enregistre est un des volets, on ne peut pas considrer

44 Layla Ricroch, Les moments agrables de la vie quotidienne, Insee Premire, n 1378, Novembre 2011.

63

comme non-public les 33% de personnes qui coutent rgulirement de la musiqueclassique mais nont jamais franchi la porte dun opra ou dune salle de concert. Commentcomprendre que la sortie ne figure pas dans leurs pratiques ? Est-ce une question doffresur leur lieu dhabitation, de barrire financire ou symbolique ? Ou encore non pas tant lefruit dobstacles qui seraient lever que dun choix sans contrainte qui rsulte dunesatisfaction tire de cette pratique en soi45? Cette pratique dcoute est un lment prendre en compte dans la lgitimation de lintervention publique. Cela permetdlargir la vision trs souvent focalise sur la seule frquentation.

Enfin, parmi les personnes qui sont alles au moins un spectacle dopra ou concert demusique classique au cours de leur vie, la moiti en coute frquemment.

Autrement dit, lcoute chez ceux qui ont une pratique de sortie est forte (71% de ceux quisont sortis au moins une fois dans les 12 derniers mois et 53% chez ceux qui sont sortis aumoins une fois dans leur vie), tandis que la sortie chez ceux qui ont une coute frquentelest moins (67% sont sortis au moins une fois dans leur vie, 25% au moins une fois dansles 12 derniers mois). Ceux qui sortent coutent beaucoup, ceux qui coutent sortentmoins ; le lien semble plus vident de la sortie lcoute tandis quune coutefrquente conduit en moindre proportion vers la salle.

Au moins un spectacle dopra ouconcert de musique classique au

cours de la vie

Au moins un spectacle dopraou concert de musique

classique au cours des 12derniers mois

Total

Oui Non Oui NonEcoute frquente opra ou musique classique

Oui 869 (67%) (53%)432 (33%)

(13%)331 (25%)

(71%)970 (75%)

(21%) 1301 (100%) (26%)

Non 774 (21%) (47%)2928 (79%)

(87%)135 (4%)

(29%)3568 (96%)

(79%)3703 (100%)

(74%)

Total 1643 (33%) (100%)3360 (67%)

(100%)465 (9%)

(100%)4538 (91%)

(100%)5003 (100%)

(100%)Lien entre rencontre et sortie au spectacle

Si la pratique combine de la sortie et de lcoute est forte chez les cadres, les professionsintermdiaires et les retraits (ils reprsentent 74% des personnes ayant une pratiquecombine), en revanche, lcoute sans sortie concerne principalement les employs, lesfemmes au foyer et galement les professions intermdiaires et les retraits (71% despersonnes ayant une pratique disjointe).

45 Sophie Maisonneuve a travaill sur la diffrence de nature de lexprience dcoute de musique enregistre,cf couter la musique : repenser lhistoire de la musique. Une histoire de lcoute musicale au XXe sicle, duphonographe au disque compact , in Un Muse aux rayons X, Cit de la musique, 2001, p.63-70. Voir galement ladiffrence tablie par Pedler propos de lcoute acousmatique.

64

Il conviendrait de chercher cerner les effets en retour des expriences dcoute demusiques enregistres. La frquentation des concerts en est-elle modifie46 ? Lexpriencedcoute est elle-mme prise dans ces mutations auxquelles il convient dajouter lesvolutions acoustiques des salles, marques elles aussi par les volutions des techniques etde lidal sonore des musiques enregistres.

Lintrt du lien entre les musiques : un dmenti aux dcoupages exclusifs ?

Pas dexclusive ni de frontire tanche entre les genres musicaux, que ce soit dans lessorties ou lcoute. Autant dire que la distinction suppose entre genres musicauxlgitimes et genres musicaux moins lgitimes est remise en question par les pratiquesdes personnes. 31% des personnes qui sont alles voir au moins un spectacle dopra ou unconcert de musique classique au cours des 12 derniers mois, sont aussi alles voir unconcert de jazz et 19% un concert de rock... et inversement.

Spectacle dopra ou concertde musique classique

Concertrock

ConcertJazz

Concertautre genre

Les personnes qui sont alles au spectacled'opra ou au concert de musique classique

au cours des 12 derniers mois sont aussialles 100% 19% 31%

26%

Les personnes qui sont alles au concertrock au cours des 12 derniers mois sont

aussi alles17% 100% 25% 31%

Les personnes qui sont alles au concertjazz au cours des 12 derniers mois sont

aussi alles46% 41% 100% 41%

Les personnes qui sont alles au concertdun autre genre au cours des 12 derniers

mois sont aussi alles19% 25% 20% 100%

72 % des personnes qui coutent de la musique classique coutent aussi des chansonsou des varits franaises, des musiques du monde ou traditionnelles et du jazz.

46 Comme lont envisag des chercheurs tels que Pedler, Lethurgez et Cagnasso.

65

Ecoute + sortie Ecoute sans sortie

1- Agriculteurs 0% 1,3%2- Artisans, commercants et chefs d'entreprises 3,1% 2,1%3- Cadres et professions intellectuelles suprieures 26,5% 7,6%4- Professions intermdiaires 11,6% 12,1%5- Employs 7,4% 12,5%6- Ouvriers qualifis 1,2% 6,2%7- Ouvriers non qualifis, agricoles 0,3% 3,2%8- Etudians, lves 6,1% 4,9%9- Femmes au foyer 6,1% 9,7%10- Retraits 36,1% 36,8%11- Autres inactifs 1,5% 3,7%Total 100,0% 100,0%

Genres les plus lis lcoute de la musique classique

Le fait de prsenter des chiffres sur la musique classique indpendamment des autresmusiques produit un effet disolement que des prsentations corrles dmentent.

Ce phnomne de diversification du got musical est qualifi par les sociologuesdclectisme ou domnivorisme. Un des enjeux thoriques a consist sinterroger sur lesens de ce phnomne. Considrant que cela concerne principalement les profils cultivs de la gnration entre 30 et 50 ans et trs peu les Catgories socio-professionnelles aucapital financier et culturel moins dvelopp, certains ont analys lomnivorisme commeune forme nouvelle de distinction culturelle, considrant que le schma bourdieusien seraittoujours applicable47 et constat que le clivage pertinent serait moins aujourdhui un clivageentre culture savante et culture populaire quun clivage entre rpertoires culturels exclusifset rpertoires culturels diversifis.

Dautres font valoir limportance des institutions intermdiaires dans la formation du got.Une tude sur le jazz Paris dans les annes 2000 montre quil y a une correspondanceentre la rpartition gographique des clubs et les hirarchies sociales des publics48. Syajoute une correspondance avec 3 catgories de jazz - traditionnel, moderne, avant-gardiste qui attestent des clivages qui traversent ce champ musical.

Lintrt du lien dans les modalits dcoute : coute rgulire, coute ddie.

On peut galement parler de lien dans lcoute. Ce lien entre luvre et soi trouvera desmodalits diverses, de lcoute pisodique lcoute rgulire, de lcoute distraite lcoute ddie. Pour autant, il nest pas possible daller loin et dexaminer si la pratiquedcoute de la musique classique a des caractristiques propres, la part de la musiqueclassique ntant pas dfinie dans lenqute.

Parmi les personnes qui coutent au moins de la musique de manire hebdomadaire ou quicoutent souvent de la musique la radio, 34% coutent de la musique tous les jours oupresque en rentrant chez eux.

Frquence dcoute de musique en

47 Philippe Coulangeon, Les mtamorphoses de la distinction, ingalits culturelles dans la France daujourdhui ,Paris, Grasset, 2011.

48 Wencesla Liz, Le got jazzistique en son champ, in Actes de la recherche en sciences sociales, n 181-182, mars2010.

66

Les personnes qui coutent de l'opra ou de la musique classique, coutentaussi :

Chansons ou varits franaises 72%Musiques du monde ou traditionnelles 36%Jazz 36%Varits internationales, RnB 28%Pop, rock 26%Musiques lectroniques, techno 11%Hip hop, rap 8%Metal, hard rock 7%

rentrant chez soi (parmi les personnesqui coutent au moins de la musique demanire hebdomadaire ou qui coutent

souvent de la musique la radio)Ensemble

Oui, tous les jours ou presque 1168 34%Oui, de temps en temps 1174 34%Oui, rarement 489 14%Non, jamais 593 17%Total 3424 100%

Parmi les