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1 Ste Jeanne des Folies Bonbon de Philippe Miglioli Pour demander l'autorisation à l'auteur : [email protected] Durée approximative : 90 minutes Personnages : Les patrons des « Folies Bonbon » Bombolina, travesti de 70 ans qui en affiche 30 Poupounet, 60 ans, le ‘mari’ de Bombolina Les Paupiettes, la soixantaine, plus ou moins bien assumée : Bérénice, dite Klarissa Martine, dite Eclésia Brigitte, dite Lolita Synopsis : Un trio d’anciennes danseuses-choristes, les Paupiettes, se retrouve pour auditionner au cabaret, « Les Folies Bonbon », dirigé par Bombolina et son compagnon, Poupounet. Le projet est ambitieux : monter une comédie musicale « Johan of Arc - La pucelle revisitée. Mais est-ce la vraie raison ? Quel mystère de son passé Bombolina essaie-t-elle de résoudre ? Décor : Une scène de théâtre à l’état brut. (Ce qui peut supposer un décor qui n’a rien à voir avec l’action.) Vêtements contemporains : Bombolina : fourreau à paillettes Poupounet : pantalon clair, pull fantaisie sur chemise à col ouvert, foulard coloré Bérénice : tailleur noir à la jupe serrée, style années 50, chemisier blanc. Talons hauts et bas à couture. Martine : gothique, cheveux noirs de corbeau, gros bijoux en argent. Piercings. Elle trimballe un cabas. Brigitte : manteau beige et robe à fleurs aux couleurs passées.

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Ste Jeanne des Folies Bonbon de Philippe Miglioli

Pour demander l'autorisation à l'auteur : [email protected]

Durée approximative : 90 minutes

Personnages :

Les patrons des « Folies Bonbon »

Bombolina, travesti de 70 ans qui en affiche 30

Poupounet, 60 ans, le ‘mari’ de Bombolina

Les Paupiettes, la soixantaine, plus ou moins bien assumée :

Bérénice, dite Klarissa

Martine, dite Eclésia

Brigitte, dite Lolita

Synopsis :

Un trio d’anciennes danseuses-choristes, les Paupiettes, se retrouve pour auditionner au

cabaret, « Les Folies Bonbon », dirigé par Bombolina et son compagnon, Poupounet.

Le projet est ambitieux : monter une comédie musicale « Johan of Arc - La pucelle revisitée.

Mais est-ce la vraie raison ? Quel mystère de son passé Bombolina essaie-t-elle de résoudre ?

Décor :

Une scène de théâtre à l’état brut. (Ce qui peut supposer un décor qui n’a rien à voir avec

l’action.)

Vêtements contemporains :

Bombolina : fourreau à paillettes

Poupounet : pantalon clair, pull fantaisie sur chemise à col ouvert, foulard coloré

Bérénice : tailleur noir à la jupe serrée, style années 50, chemisier blanc. Talons hauts

et bas à couture.

Martine : gothique, cheveux noirs de corbeau, gros bijoux en argent. Piercings. Elle

trimballe un cabas.

Brigitte : manteau beige et robe à fleurs aux couleurs passées.

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Ste Jeanne des Folies Bonbon

Scène 1

Bombolina entre, suivie de Poupounet. Elle fait le tour de la scène, passe son doigt sur le

dossier d’une chaise.

Bombolina – Regarde-moi cette poussière. Putain, je me demande pourquoi elle croit qu’on

la paie, cette bourrique ? Même pas foutue de passer un coup d’aspirateur correctement. Prend

le chiffon qui est là-bas… non, pas ça, malheureux, c’est un de mes strings ! Oui, cette chose-

là, voilà !

Poupounet – Qu’est-ce que c’est ?

Bombolina – Je ne sais pas, et peu importe du moment que ça ne touche pas à mon intimité…

Poupounet - Un de tes soutien-gorge ?

Bombolina, pince-sans-rire – Hun ! hun ! hun ! Arrête, tu vas me faire rire !... Mais non, tu

vois bien que c’est un vieux gant de toilette. Allez, passe-le là, sur les chaises.

Poupounet – Comme ça ?

Bombolina – Comment ça, comme ça ?

Poupounet – Sans le mouiller ?

Bombolina – Mon pauvre Jean-Paul ! Je te demande de faire les poussières, pas un lavement.

Bombolina se plante au milieu de la scène et fait quelques vocalises.

Bombolina, chantant – Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni-Ha- ha. Mon

Dieu, tu entends ça! Une voix de mêlé-cass. J’ai une voix de mêlé-cass. C’est horrible. Tu

m’as trop fait boire, hier soir. (Nouvelle vocalise, puis s’arrête en coinçant sur une note.) Mi-

ni- Mi-ni- Mi-ni- Mi-ni … Ouh ! J’arrête, sinon je n’aurai plus de voix tout à l’heure.

(Montrant une chaise.) Tiens ! il y a encore un peu de poussière, ici, mon bichon. Allez frotte.

Poupounet – Tu crois que c’est une bonne idée ?

Bombolina – Quoi ?

Poupounet – De les faire venir, ces bonnes femmes.

Bombolina – Eh bien, c’est la seule idée que j’ai trouvée. Voilà ! Il faut que je chasse…

Poupounet – Que tu chasses ?

Bombolina – Oui ! Que je chasse… du verbe chassoir… sachoir… voir ! que je sache ce qui

s’est passé ce choir-là… che soir-là. Ah zut !

Poupounet – Et ça t’avancera à quoi ?

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Bombolina – Quelle question !’ J’ai un trou dans ma vie, j’ai tout de même le droit de vouloir

le combler.

Poupounet – Mais bien sûr… tu as le droit de combler tes trous.

Bombolina – Je ne te le fais pas dire !

Poupounet – Tu as vraiment tout essayé pour te souvenir ? Tu as essayé l’hypnose.

Bombolina – Oui ! Et je me suis retrouvée à moitié nue à quatre pattes, en train de picorer la

moquette. La honte de ma vie.

Poupounet – Mais qui ?...

Bombolina – Ce magicien qu’on avait engagé, l’année dernière.

Poupounet – Barzaki ?

Bombolina – Ne prononce plus son nom devant moi.

Poupounet – Ah ! Je comprends maintenant pourquoi tu avais tant insisté pour que je le

renvoie. Tu aurais pu faire appel à ton psy.

Bombolina – Je l’ai fait aussi. Quand je me suis réveillée, il était tout rouge, il avait la langue

pendante et il me regardait bizarrement ! Je n’ai pas osé lui demander ce que j’avais raconté.

Poupounet – Tu as raison, il valait peut-être mieux pas ! C’est vraiment si important pour toi

de savoir ce qui s’est passé cette nuit-là ?

Bombolina - Ne revenons pas là-dessus, mon Jeannot. Je te l’ai dit et répété, je préfère la

mort à cette incertitude qui me ronge depuis tant d’années.

Poupounet – Tu n’en fais pas un peu trop là ?

Bombolina – Cette main criminelle qui jadis me frappa

Faillit avancer l’heure de mon ultime repas.

Si dans l’ombre complice, cet être a pu me suivre

Qui sait à quel miracle je dois encore de vivre.

Poupounet – Ma Bobo ! Mon génie t’a touchée et tu parles à présent en vers de douze pieds.

Bombolina – Je ne l’ai pas fait exprès, c’est venu tout naturellement. Mon Poupounet, tu te

rends compte, à l’heure de ma mort peut-être, je suis touchée par ta grâce poétique.

Poupounet - Arrête, ma choupinette. Tu vas me faire pleurer ! Mais ne crains-tu pas… ?

Bombolina – Et quoi, grands dieux ?

Poupounet – Qu’elles te reconnaissent et,… si l’une d’elles…

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Bombolina – Regarde-moi, trésor et dis-moi franchement : ai-je quelque chose en commun

avec la créature que j’étais autrefois ?

Poupounet – Tu veux que je te dise ?

Bombolina – Oui, dis-moi, et sans détour !

Poupounet – Telle Galatée sortie de la froideur du marbre, tu es renée des eaux.

Bombolina – Oh ! Que c’est beau ce que tu dis là, mon Poupou… je ne comprends pas tous

les mots, mais que ça m’émeut ! J’en ai des frissons. Tiens regarde, mes poils sont tout

hérissés !

Poupounet – Je suis ton Pygmalion.

Bombolina – Oui, tu es mon p’tit lion !... Et c’est qui cette Renée Dézeau ?

Poupounet - Ce n’est personne, c’est une métaphore : tu es renée… ça veut dire que tu es née

une seconde fois… en sortant des eaux !

Bombolina – En sortant des eaux… pure et chaste. Tu sais quoi ? Il y a des moments où je me

dis que j’aurais pu faire bonne-sœur !

Poupounet – Bonne-sœur ?

Bombolina – Bien oui ! Tiens, quand je pense à ma mort, si tragique, je pourrais avoir du

ressentiment, de l’amertume.

Poupounet – Mais tu es toujours en vie, mon chou !

Bombolina – Eh bien justement, j’aurais pu consacrer ma vie à Dieu pour lui rendre grâce de

m’avoir épargnée.

Poupounet – À quoi bon survivre si c’est pour t’enterrer dans un couvent.

Bombolina – Et voilà, c’est aussi ce que je me suis dit. Pourtant, je me verrais bien en

religieuse : la cornette qui met en valeur l’ovale d’un visage, la robe informe qui dissimule la

svelte silhouette d’une beauté gracile.

Poupounet – Ma roussette, tu t’imagines te lever à 4 heures du matin pour aller à la chapelle

et prier pendant des heures.

Bombolina – Si tôt ? Tu es sûr ? À genoux pendant des heures ?

Poupounet – Oui, à genoux… et que pour prier. Et tu devrais partager chaque instant de ta

vie avec d’autres femmes, sans jamais être seule.

Bombolina – Ah ! C’est ennuyeux, ça. Moi j’aime bien être tranquille pour faire mes petites

affaires… Bon, je renonce à prononcer mes vœux puisque c’est comme ça ! De toute façon, le

calendrier est plein, il n’y a plus de place pour une nouvelle martyre.

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Poussant un soupir à fendre l’âme, voir vérifié la netteté d’un siège, Bombolina s’assied

délicatement et regarde autour d’elle en faisant des mines, un doigt sur la bouche, la main

sous la joue, elle tient sa tête inclinée.

Poupounet – Ne fais pas ça !

Bombolina – Trop tard ! Les dés sont jetés, elles vont arriver.

Poupounet – Je parlais de ton menton.

Bombolina – Qu’est-ce qu’il a mon menton.

Poupounet – Ne tiens pas ta tête comme ça, ça te fait un double menton.

Bombolina, redressant la tête – Ah ! Mon dieu, l’horreur.

Poupounet - Et puis, ça fait chochotte !

Bombolina se tapote la nuque d’un doigt comme pour remettre une mèche en place.

Bombolina – Tu es méchant là ? Tu veux me faire pleurer ?

Poupounet – Gisèle aussi te dit de faire attention.

Bombolina – Gisèle ! C’est une conne ! En plus, elle passe son temps à ragoter sur ses

clientes. Dieu sait ce qu’elle doit raconter sur moi !

Poupounet – Je me demande pourquoi tu y es si souvent fourrée, alors. Peut-être parce

qu’elle connaît son métier ?

Bombolina – Tu parles ! L’autre jour, elle a failli m’amputer d’un doigt en me faisant les

ongles. Tiens, regarde, j’ai encore la marque ! Et elle a failli me crever un œil avec son, avec

sa… je sais plus comment ça s’appelle, tu sais ce pinceau avec lequel elle me fait les cils.

Poupounet – Un eye-liner !

Bombolina – Oui ! eh bien elle a failli me le foutre dans l’œil, son air liner.

Poupounet – Si tu ne te tortillais pas sans cesse quand elle te maquille, aussi !

Bombolina – Je me tortille ! Ah ben ça, c’est un comble ! Dis tout de suite que c’est de ma

faute si j’ai failli être borgne ! Je me tortille ! Ben voyons ! j’ai failli être manchote et aveugle

et monsieur m’accuse de me tortiller ! (elle se tâte le menton soudain, affolée.) C’est vrai ce

que tu disais tout à l’heure : j’ai un double menton ?

Poupounet – Non, mais je pense que tu devrais éviter de rentrer ton menton comme une

dinde.

Bombolina – Une dinde ! Tu me traites de dinde, maintenant ! Décidément, tu m’auras tout

fait aujourd’hui !

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Poupounet – Je ne te traite pas de dinde, je disais que tu rentres le menton, un peu comme le

font les dindes… tu sais ce que c’est qu’une dinde, au moins ?

Bombolina – Bien sûr que je sais ce que c’est qu’une dinde ! Je te rappelle qu’on en mange

une tous les ans, à Noël. C’est même moi qui la commande ! Alors hein ! C’est une grosse

bête avec des grosses cuisses et un gros ventre plein de bonnes choses ! Alors, je ne vois pas

ce que ça a de commun avec moi ! Ai-je l’air d’une grosse dinde farcie ? Est-ce que je te traite

de chapon, moi ?

Poupounet – Tu es bien placée pour savoir que je n’en suis pas un.

Bombolina – Et pourquoi tu dis ça ? Qu’est-ce que j’en sais moi des chapons ?

Poupounet – Ben eux (il fait le geste d’une paire de ciseaux) Couic ! Et pas moi !

Bombolina – Quoi, couic ? Décidément, tu dis n’importe quoi aujourd’hui. Bon tu as fini

avec ta poussière. Elles ne vont pas tarder à arriver.

Poupounet – J’ai fini avec ma poussière… et je ne suis pas castré !

Bombolina – Castré, toi ? Ça ne va pas la tête ? Ben heureusement que tu ne l’es pas ! et je

suis bien placée pour le savoir ! Oh ! oh ! hier soir encore ! Oh ! chenapan, va !… (elle refait

un tour d’inspection du plateau) Bon, tout est prêt ? Je te parie que c’est Klarissa qui va

arriver la première. La fouine ! Ensuite, Eclésia, la sulfureuse et comme toujours, pour finir,

Gaëlya. Elle, elle n’a jamais été foutue d’être à l’heure !

Poupounet – Mais enfin pourquoi maintenant ?

Bombolina – J’ai mes raisons !

Poupounet – Je t’écoute !

Bombolina – C’est mon secret ! J’ai bien le droit d’avoir un jardin secret, non ?

Poupounet – Allez, dis moi !

Bombolina – Non, je te dis !

Poupounet – Mon sucre d’orge !...

Bombolina – Inutile de me faire tes yeux de merlan frit !

Poupounet – Mon roudoudou !... Je t’achèterai une nouvelle robe.

Bombolina – Tu sais bien que je les fais moi-même. On ne trouve rien dans les boutiques. Et

puis ma garde-robe est pleine.

Poupounet – Une bague avec un gros diamant…

Bombolina – Pour que je passe des nuits blanches à redouter qu’on me la vole ? Non, je t’ai

dit non !

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Poupounet – Je t’achèterai des loukoums, de chez Ediard.

Bombolina, après un silence songeur – Combien ?

Poupounet – Trois ?

Bombolina – Kilos ?

Poupounet – Non, trois boites.

Bombolina – Tu plaisantes ! J’en veux au moins cinq kilos !

Poupounet – Ta ligne !

Bombolina – Quoi, ma ligne ? Qu’est-ce qu’elle a ma ligne ?

Poupounet – Bon, d’accord.

Bombolina – A la rose.

Poupounet – A la rose, c’est entendu. Maintenant, dis-moi à quoi rime cette réunion

d’anciennes combattantes ! Tu réalises qu’elles doivent avoir au moins cent ans, aujourd’hui :

jaunies et fripées !

Bombolina – Merci pour moi ? Traite-moi de vieille pomme ratatinée pendant que tu y es !

Avec la dinde on pourra faire réveillon.

Poupounet – Mais non, pas toi, ma Doudoune. Enfin, ça aurait été plus simple si tu n’avais

pas oublié ce qui s’est passé ce soir-là.

Bombolina – Je te l’ai déjà dit cent-mille fois, je souffre d’une amnésie partielle. Une

amnésie rétro grave !

Poupounet – Rétrograde, pas grave.

Bombolina – Comment ça pas grave. Qu’est-ce que tu en sais, tu es médecin, maintenant ?

Poupounet – Non, on dit une amnésie rétrograde, pas une amnésie rétro grave.

Bombolina – Bon ! Si tu veux. En tout cas, c’est ce qu’a dit mon psy. Il doit savoir ce qu’il

dit, lui, je le paie assez cher ! Je me souviens de tout ce qui précède : de l’organisation du

cocktail sur le yacht de Gérald, de la robe de sa femme, une espèce de truc qui ressemblait à

une serpillière mal essorée. Je me souviens même de lui avoir dit que ça lui allait très bien !

Mais à part ça, rien, que dalle, nib, nada ! Tu comprends ?

Poupounet – Ok ! Ok ! Capito ! Alors, maintenant dis-moi ton fameux secret : pourquoi

aujourd’hui ?

Bombolina – Promets-moi que tu ne vas pas te moquer de moi.

Poupounet – J’attends !

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Bombolina – Tu n’as pas promis.

Poupounet – Au prix des loukoums chez Ediard, tu ne vas pas m’empêcher de rire si j’en ai

envie, quand même ?

Bombolina, suppliante – Mon Poupoulinet ; promets-moi !

Poupounet – Bon, je te promets de me retenir !

Bombolina – J’ai décidé d’écrire mes mémoires !

Poupounet – Tes…

Bombolina – Poupou ! Tu as promis ! (Poupounet fait un signe pour montrer qu’il se tait.) Et

tu reconnaîtras que « Mémoire d’une amnésique », ce n’est pas vendeur.

Poupounet – Mais quelle idée !

Bombolina – C’est Gisèle qui m’a dit comme ça « avec une vie intéressante comme la vôtre,

vous devriez écrire vos mémoires ! »

Poupounet – Je croyais que Gisèle était une conne !

Bombolina – Oui, mais ça ne l’empêche pas de dire des choses intelligentes de temps en

temps !

Poupounet – Si tu le dis… mais quand même… Tes mémoires… à ton âge ! On attend

d’avoir au moins quatre-vingts ans pour écrire ses mémoires… et puis… Tout dépend à quand

tu les fais remonter, ces mémoires ! En tout cas je ne vois pas le rapport avec les trois… les

trois dames que tu as convoquées.

Bombolina – Justement, ce sont elles, enfin, l’une d’elles en tout cas, qui vont me permettre

de faire le lien entre avant et après… en comblant mon trou, si tu préfères !

Poupounet – Ah ! Je vois, toi ce n’est pas le trou de la sécurité sociale que tu veux combler,

c’est celui de ton amnésie ‘rétro grave’ !

Bombolina – Voilà !

Poupounet – Et tu crois que ça va intéresser les gens, ce truc-là ?

Bombolina – Ce truc-là ! Tu parles de ma vie, là ! Bien sûr que ça va intéresser des gens, ma

vie est aussi passionnante que de celle de Céline ou d’Hervé !

Poupounet – Et tu vas écrire ça - tes mémoires - toute seule ?

Bombolina – Bien sûr que non ! j’ai contacté un écrivain qui le fait au noir.

Poupounet – Un nègre ?

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Bombolina – Ah ne sois pas raciste, je t’en prie ! J’ai horreur de ça, tu le sais très bien… Il ne

veut tout simplement pas être déclaré !

Poupounet – Eh bien, en littérature, quelqu’un qui écrit pour un autre, ça s’appelle un nègre.

Bombolina – Ah ! Parce qu’il travaille au noir ?

Poupounet – C’est une explication à creuser.

Bombolina – Vite, cachons-nous, j’entends quelqu’un entrer dans le hall.

Scène 2

Bérénice entre par une porte de la salle, hésite un instant au milieu de l’allée puis se dirige

vers la scène sur laquelle elle monte. Elle regarde en coulisse, des deux côtés, puis dans la

salle et finit par s’asseoir sur une chaise en plaçant son sac sur une chaise voisine. Elle pose,

un peu comme un mannequin, comme si elle se savait observée. Puis au bout d’un moment,

devant le peu de réaction, elle arrête son manège et se laisse un peu aller.

Elle pose son sac sur ses cuisses et l’ouvre. Elle commence à farfouiller dedans, posant

chaque objet au fur et à mesure sur une chaise voisine, elle sort une pochette de kleenex, un

kleenex usagé, des papiers divers, une carte postale qu’elle retourne pour la relire, une

enveloppe non décachetée, des clés, un tube de rouge à lèvre, une bombe lacrymogène, un

étui à lunettes, une brosse à cheveux, un stylo bille, un agenda et enfin, un boitier qu’elle

ouvre, elle essuie le miroir avec un élément de son vêtement après avoir soufflé dessus. Elle

regarde autour d’elle si personne n’arrive puis elle se regarde dans le miroir, arrange une

mèche de cheveux, regarde ses yeux un a un en ouvrant la bouche en cul de poule, essuie de

l’index chaque coin d’œil, arrange un cil. Elle fait la moue, ouvre la bouche retrousse ses

lèvres, regarde ses dents, enlève une impureté imaginaire entre deux dents avec l’ongle de

son auriculaire, redresse une autre mèche de cheveux, étale une trace de fond de teint sur son

nez, gonfle une joue, puis l’autre à la recherche d’un poil, puis apparemment satisfaite elle

referme le boitier et le remet dans son sac. Elle remet tout dans son sac, en vrac. Elle croise

les jambes en arrangeant les plis de sa jupe, regarde l’éclat de ses chaussures. Elle tend

l’oreille un moment, puis replonge dans son sac pour en sortir une enveloppe, puis l’étui à

lunettes. Elle regarde autour d’elle en se penchant un peu pour scruter les coulisses, regarde

vers les cintres, ouvre l’étui et chausse précipitamment les lunettes. Elle ouvre l’enveloppe et

en sort une lettre qu’elle parcourt rapidement, puis elle regarde sa montre, l’écoute, retire les

lunettes, les remet dans l’étui et celui-ci dans le sac avec la lettre. Elle remonte sa jupe, remet

un bas en place. Décroise les jambes pour les recroiser dans l’autre sens et recommence

l’opération ‘bas’. Elle remet sa jupe en place, pose ses mains croisées sur ses cuisses en

poussant un énorme soupir. Au bout d’un moment, elle se lève, va vers les coulisses côté

jardin, disparaît un instant, revient sur la scène, traverse côté cour, disparaît à nouveau. On

l’entend appeler.

Bérénice : Houhou ! il y a quelqu’un ? S’il vous plaît ? (plus fort) S’il vous plaît ? il y a

quelqu’un ?

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Elle revient vers l’avant scène, scrute le fond de la salle, regarde sa montre à nouveau puis

retourne s’asseoir. On sent que quelque chose la démange dans le dos, elle remue les épaules,

se frotte contre le dossier de la chaise et finalement passe sa main dans son dos pour

atteindre l’irritation en s’aidant de l’autre main pour appuyer sur le coude.

La porte d’entrée s’ouvre avec fracas sur l’entrée de Martine. Bérénice se fige et ouvre des

yeux affolés, puis en hâte reprend une position ‘normale’. Martine avance dans l’allée

centrale, voit Bérénice et lance.

Martine : Bonjour !

Bérénice : Bonjour.

Martine : Vous êtes la taulière ?

Bérénice : Pardon ?

Martine : La taulière ! La patronne si vous préférez !

Bérénice : Ah ! Non, non, pas du tout, je ne suis pas… la taulière.

Martine : Ah ! (elle renifle, monte sur la scène fait le tour des lieux, coulisses comprises.) Eh

ben ! C’est pas la Comédie Française, ici !

Bérénice, après un bref tour d’horizon : Non, en effet ! Et puis, nous sommes rive gauche !

Martine la regarde étonnée !

Bérénice – Oui ! La Comédie Française, c’est rive droite ! Et nous sommes sur la rive

gauche !

Martine, dubitative – Hun ! hun ! Une vraie parisienne !

Bérénice – Non, je suis née à Angers.

Martine se dirige vers une chaise au fond de la scène et s’assied en croisant haut les jambes.

Les deux femmes restent sans rien dire, s’observant du coin de l’œil par moment. Martine

plonge dans son cabas et en sort un grand miroir dans lequel elle se regarde attentivement

sous tous les angles. Satisfaite de son examen, elle regarde Bérénice comme pour la défier de

dire quelque chose. Elle remet le miroir dans le sac en sort un paquet de chewing-gum, en

met un dans sa bouche en reposant son sac par terre puis elle plonge successivement les

mains dans son corsage pour remonter ses seins.

Martine, dans un soupir – Vous aussi, vous avez reçu une convocation ?

Bérénice, tapotant sur son sac – Oui !

Martine – Hun ! hun ! Et ça fait longtemps que vous êtes ici ?

Bérénice – A Paris ?

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Martine, la regarde un moment, bouche bée – Non, non, ici, au théâtre !

Bérénice – Ah ! Non, j’ai dû arriver il y a quelques minutes.

Martine – Hun ! hun ! (elle reprend sa mastication)

Bérénice – Et vous ?... (regard de Martine) Enfin, je veux dire… euh ! Vous avez reçu une

convocation aussi… vous devez être artiste de variété, alors ?

Martine – Hun ! hun ! on peut dire ça !

Bérénice – Chanteuse ?

Martine - Hun ! Hun !

Silence gêné de Bérénice

Bérénice – Comme moi, alors… et je danse aussi.

Martine – Ah ouais !

Bérénice – Vous aussi ?

Martine – Quoi ?

Bérénice – Vous aussi, vous dansez ?

Martine – On peut dire ça, oui ! (elle renifle)

Silence.

Entrée précipitée de Brigitte qui traverse le parterre rapidement et monte sur la scène.

Brigitte regarde Bérénice et Martine, puis s’adressant à Bérénice – Ah ! Bonjour. Je suis en

retard, excusez-moi. J’ai… eu une panne dans le métro, ou une grève,… ou un suicide ! Enfin,

je ne sais pas ! Je suis désolée !

Martine –Te bile pas, ma poule. On n’est pas les recruteuses. On est comme toi. On vient

auditionner.

Brigitte, s’affalant sur une chaise dans un soupir – Ouf ! Dieu merci ! J’avais tellement peur

d’être en retard ! Je cours depuis la station de métro. (Elle lève un bras et jette un œil à son

aisselle.) Regardez ça, je suis toute trempe. J’ai horreur d’être en retard, mais vous savez ce

que c’est, on est là, plongé dans le noir et on ne nous dit rien ! On ne nous dit jamais rien !

Silence des deux autres.

Brigitte – Dans le métro, je veux dire ! Ils ne disent jamais ce qui se passe.

Martine – Hun ! hun !

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Bérénice, essayant d’être aimable – Oui, bien sûr… dans le métro. Je ne peux pas savoir, je

ne prends pas le métro. Désolée.

Martine – Hun ! hun !

Brigitte, découvrant enfin son environnement – Vous avez vu quelqu’un ?

Bérénice – Non, pas encore. Nous venons d’arriver, nous aussi.

Martine – Hun ! hun !

Brigitte – Vous savez ce que c’est, vous, ce… (elle hésite et plonge dans sa poche d’où elle

sort une lettre qu’elle déplie et lit avec application en chaussant ses lunettes.) Bombolina

associated production ?

Bérénice – Non !

Martine, secouant la tête en signe de dénégation – Hun ! hun !

Brigitte replie la lettre et la remet dans la poche de son manteau. Après un moment, elle retire

son manteau.

Brigitte – Il fait chaud !

Bérénice – Oui !

Martine s’apprête à dire « hun ! hun » puis renonce… et referme la bouche.

Silence gêné.

Martine, regardant les deux autres –Je me demande ce que je fous là ! je ne veux pas vous

vexer, mais on n’est pas… enfin on n’a vraiment pas grand-chose en commun, si vous voyez

ce que je veux dire.

Bérénice – Je vois !

Brigitte – Moi, je ne vois pas.

Bérénice - Il y a peut-être plusieurs rôles ! (elle regarde Brigitte intriguée) Vous… vous êtes

artiste de variété, vous aussi ?

Brigitte, se redressant, coquette soudain – Oui, enfin j’étais. Oh ! je sais, je n’ai pas l’air

comme ça… Mais vous me verriez, bien pomponnée et tout ! Là… je n’ai pas eu le temps, le

ménage, les gosses, les courses…

Martine – Et le métro !

Brigitte – Le métro ? (comprenant soudain, elle rit) Oh ! Ah oui, le métro ! Vous vous

moquez de moi, hein ?

Silence.

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Martine - Bon ! Ça commence à bien faire. Ils vont faire poireauter longtemps ?

Bérénice – A mon avis, ils doivent nous observer.

Brigitte, regarde sa montre –Moi, je ne peux pas rester après 4 heures. J’ai les enfants à

chercher à l’école. Bon, en attendant…

Brigitte, sort un tricot de son sac et se met à compter les mailles.

Bérénice, la regarde avec étonnement – Vous avez des enfants qui vont encore à l’école.

Brigitte, sans lâcher son tricot – 42, 43, 44, 45, 46. Non, non, c’est pas les miens ! Une

voisine… je fais ça pour une voisine. 47, 48, 49, 50 (elle continue un instant en silence.)…

Elle ne peut pas la pauvre, elle travaille jusqu’à 8h !... 61, 62, 63, 64… dans un supermarché !

65, 66… (elle continue en silence.)

Martine- Si j’avais su, j’aurais apporté mon canevas !

Brigitte, qui vient de mettre trois ou quatre mailles sur son aiguille – … et 90. Ah ! Vous

faites du canevas, vous aussi ? Ça détend, hein ?

Martine lève les yeux au ciel. Bérénice plonge dans son sac pour cacher un sourire.

Brigitte – A la télévision, j’ai entendu qu’en Amérique, des psychologues… ou des

psychiatres (elle semble réfléchir un instant)… enfin des psys quelque chose. J’ai jamais

compris la différence. Vous savez, vous ?... Eh bien, ils font faire ça à des hommes d’affaire

stressés.

Bérénice – Quoi ?

Brigitte – Du tricot, ou du canevas…

Bérénice – Ah ! Je ne savais pas.

Brigitte – Remarquez, ça ne m’étonne pas. Moi, quand je tricote, je ne pense à rien. (Bérénice

glousse bouche fermée. Brigitte la regarde.) Et vous ?

Martine – Je ne tricote pas,… donc je pense ! (Elle sort le paquet de chewing-gums et le

présente à la ronde.) Quelqu’un en veut? Moi, c’est ça qui me détend… et puis, ça muscle les

mâchoires.

Brigitte et Bérénice la regardent intriguées.

Martine – Pour la diction !

Brigitte – Ah ! Je ne savais pas. Mais non, merci, j’ai un appareil.

Bérénice – Merci, non.

Martine – Vous avez un dentier, vous aussi ?

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Bérénice – Quelle idée ! Bien sûr que non ! Je n’aime pas ça, tout simplement.

Martine – Comme vous voudrez ! Moi, j’aime bien ! (elle se fourre un deuxième bonbon

dans la bouche)

Brigitte – Moi, c’est les fraises Tagada. J’en achète pour les enfants et je leur en pique.

Silence, Martine sort un MP3 et se colle des écouteurs sur les oreilles, les yeux fermés, elle

chantonne ne battant la mesure de tout son corps. Bérénice se lève, elle arpente la scène et

tout à coup elle se campe au milieu de la scène et commence à danser en se balançant sur

place, les yeux mi-clos, puis elle se met à esquisser un enchainement de pas !

Tout à coup, Brigitte se met à fouiller fébrilement dans les poches de son manteau.

Brigitte – Oh ! Saperlipopette, turlurette, cacahuète ! Mes clés.

Martine et Bérénice la regardent avec stupeur.

Martine – Qu’est-ce que vous avez dit ?

Brigitte, continuant à chercher dans son manteau, puis dans son sac – Hein ? Ce que j’ai

dit ?

Martine – Oui ! À l’instant !

Brigitte - J’ai dit : mes clés… (elle fouille fébrilement dans son sac puis, après un moment,

sort un triomphalement un trousseau de clés) Ah ! les voilà ! Oh, que j’ai eu peur ! Pensez

donc, c’est le seul jeu qui me reste, le mois dernier, j’ai déjà perdu un trousseau et je n’ai pas

encore eu le temps de faire faire des doubles.

Martine – Non, pas vos clés. Avant ça.

Bérénice – Oui ! qu’avez-vous dit avant ?

Brigitte – Je ne me souviens pas… Ah là là ! bon, dès que j’aurai récupéré les enfants à

l’école, je file chez le serrurier et je fais faire un double. Non ! deux, on n’est jamais trop

prudente… (Réalisant que Bérénice et Martine attende toujours une réponse.) Le métro ? J’ai

parlé du métro ! C’est ça ?

Martine – Non ! Vous avez dit : saperlipopette, pirouette…

Bérénice – Cacahuète !

Brigitte – Ah ! Peut-être ! C’est ce que je dis toujours… pour pas dire un gros mot. Vous

comprenez ?

Bérénice et Martine, en même temps – Gaëlya ?!

Toutes les trois se regardent avec surprise.

Brigitte – Quoi ?… Vous me reconnaissez ? Vous m’avez vue sur scène… ou à la télévision ?

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Bérénice, à Martine – Et toi ?

Martine – Klarissa !

Bérénice – Eclésia !

Brigitte – Klarissa! Eclésia ! Vous êtes... ?

Martine et Bérénice – Les Paupiettes !

Brigitte - Ah ! Merde alors !

Toutes trois se regardent avec surprise, puis elles se mettent en triangle et levant le bras

droit.

Brigitte, Martine et Bérénice – Une pour toutes, toutes paupiettes !

Elles esquissent quelques pas de danse en chantonnant. Elles s’arrêtent lorsque Brigitte se

trompe de pas !

Bérénice – Tu te trompais toujours au même endroit !

Martine - Ah ben dites donc ! Si je m’attendais !

Brigitte, dessinant un panneau imaginaire dans l’air – Les Paupiettes : le retour !

Toutes les trois commencent à s’examiner avec plus d’attention.

Martine – Ah ! ben tu parles d’un binz ! … ça fait combien de temps ?

Brigitte – Trente-neuf ans !

Bérénice – Trente-neuf, tu es sûre ?

Brigitte - Tu peux me croire ! J’ai une bonne raison de me le rappeler ! Un peu comme un

marque-page !

Bérénice – Ce que le temps passe vite. (Elle regarde Bérénice et Brigitte tour à tour) eh

bien ! Je ne vous aurais pas reconnues… Surtout toi, Gaga.

Martine – Oh ouais ! C’est vrai que t’as changé… Ho là là ! Et, euh… toi aussi Klarissa !

Dis donc, la classe ! T’as dégoté un roi du pétrole ?

Bérénice – Tu ne crois pas si bien dire ! Et il est mort ! Et je suis veuve et riche et je vous

emmerde ! Toi tu n’as pas changé ! Enfin, je veux parler de ton… ! C’est grunch ou c’est

punk ? (elle la jauge.) Pour la silhouette, euh ! (se tournant vers Brigitte) Tout le monde n’a

pas les moyens de se faire liposucer !

Martine – Tu ne ressembles pas à une crevette non plus !

Bérénice – Mon mari était Arabe, du Golfe ! Il me préférait un peu ronde !

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Martine – On dirait que tu lui en as donné pour son argent. Toi aussi, Gaga, tu as épousé un

sultan ?

Brigitte – Non ! moi, c’est les accouchements !…

Martine – Tu as eu des enfants ?

Brigitte – Eh oui, cinq ! Mais ils sont grands maintenant. L’ainé a trente-neuf ans !

Martine – Ah, c’est lui le… marque-page !

Bérénice – Quoi tu veux dire que… quand on était encore ensemble ? C’est pour ça que tu es

partie ?

Brigitte, la coupant – Que j’ai été virée, tu veux dire ! Mais c’est du passé, tout ça… Et j’ai

huit petits enfants. Vous voulez voir les photos ? (elle plonge dans son sac)

Bérénice – Tu es mariée, alors ?

Brigitte – Ah non !

Martine – Tu n’as pas trouvé preneur ?

Brigitte – J’avais envie d’avoir des enfants, pas de passer ma vie avec un mec.

Bérénice – Et… le père, il a reconnu les enfants ?

Brigitte – Les pères ! Cinq enfants, cinq pères !

Bérénice – Cinq pères !…

Brigitte – Eh oui, cinq ! et ils ne sont pas au courant ! Sauf le premier ! (en aparté) Mais

lui… le salaud !

Bérénice – Cinq fois, quand même !…

Martine – Moi, ça ne m’étonne pas. Tu étais comme un vibreur de portable quand un beau

mec passait à proximité.

Bérénice – Tu ne prenais pas tes précautions ?

Brigitte – La pilule, je ne savais jamais où j’en étais et le stérilet, je ne le supportais pas…

(Regardant Martine.) Et puis, je vous l’ai dit, je voulais des enfants… ! Il n’y a que le premier

qui a été un accident. Après lui, une fois que c’était lancé !... en tout cas, je peux vous garantir

que j’ai choisi mes géniteurs : que des étalons de première classe.

Martine ouvre la bouche pour répondre, puis se tait. Elles restent silencieuses jusqu’à

l’entrée de Bombolina et Poupounet.

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Scène 3

Bombolina – Ah ! Voilà nos stars ! (à Poupounet.) Tu avais raison, elles ne sont plus de la

première jeunesse. Tu crois qu’elles peuvent encore lever la jambe ?

Poupounet – Tu n’as qu’à leur demander.

Bombolina – Bonjour mesdemoiselles ! Soyez les bienvenues aux « Folies Bonbon ». Inutile

de me présenter, vous m’avez sans doute reconnue, en chair et en os – oui je sais, les

mauvaises langues disent : ‘plutôt en chair’ (elle émet un rire de gorge) – Bombolina, la

seule, la vrai, la sulfureuse. (Prenant Poupounet par la main.) Jean-Paul, mon époux.

Poupounet pour les intimes.

Depuis leur entrée, Brigitte regarde les deux personnages bouche bée.

Bérénice – Bonjour.

Martine – ‘jour !

Bombolina les regarde tour à tour, puis s’adressant à Brigitte toujours béate – Vous êtes ?

Brigitte, comme s’éveillant – Hein ?

Bombolina – Oui ! Vous êtes ?...

Bérénice – Elle te demande ton nom !

Brigitte – Ah ! Gaga, euh ! Bibi… Brigitte… Foutriquet !... et mon nom d’artiste, c’est

Gaëlya !

Bombolina – Mm ! mm ! (Elle regarde Brigitte des pieds à la tête en tournant autour d’elle.

Puis, s’adressant à Martine) Et vous ?

Martine – Martine Piedevigne !

Poupounet – Un grand crû ?

Martine, simulant de rire – Ah ! Ah ! Très drôle ! On ne me l’avait encore jamais faite, celle-

là !

Bombolina - Excusez-le. Poupounet adore plaisanter ! C’est un créateur, c’est un écrivain, un

musicien, un peintre… que sais-je encore ! Hein, mon pou !

Poupounet – Oui, ma puce !

Bombolina se tourne vers Bérénice.

Bérénice – Bérénice Bossuais, avec ‘A, I, S’ à la fin.

Poupounet – Là, rien à dire. Ça en jette !

Bérénice – J’ai repris mon nom de jeune fille.

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Bombolina – Maintenant que ces présentations sommaires sont faites, nous allons faire plus

ample connaissance.

Martine – Vous pourriez peut-être nous dire ce qu’on fait là pour commencer. On a le droit

de savoir quand même !

Bérénice – Oui, en effet. Votre convocation… comment dire ? manque un peu de précisions !

Brigitte – Et moi, faut que je parte à quatre heures !

Martine, d’un air entendu – Elle doit aller chercher des enfants !... à l’école !

Bombolina – Bien sûr, bien sûr, mes chéries ! Nous montons une comédie musicale !

Martine – Une de plus !

Brigitte – C’est chouette, ça !

Martine – Ben voyons !

Brigitte – Oui, j’aime bien les comédies musicales, surtout quand il y a des beaux costumes

comme dans « Le Roi Soleil » et « Le Roi Lion » !

Martine lève les yeux au ciel.

Bérénice – Et le thème ?

Bombolina – Une héroïne !

Martine – Un trafic de dope ?

Poupounet – Mais non ! UNE héroïne !

Martine, moqueuse – Oui, ça va, j’avais compris. C’était de l’humour. Alors, c’est qui

l’héroïne ?

Bombolina – Johan of Arc !

Brigitte – Hein ?

Bombolina – Oh ! l’ignare ! Jeanne d’Arc, si vous préférez.

Brigitte – Ah ! Jeanne d’Arc ! Oh ! c’est la femme que j’admire le plus, après Mère Theresa

et l’abbé Pierre… Je vois la scène finale : elle est sur le bûcher, la foule hurle, les anges

pleurent, les flammes s’élèvent, la fumée envahit le parterre… ça va faire un tabac !

Martine – Faites pas attention, elle a toujours été comme ça. Moi je préfère Rosa

Luxembourg ! Qu’est-ce que tu lui trouves à ta pucelle !

Brigitte – Ben, quand même, elle a sauvé la France et chassé les Anglais !

Martine – Et alors ? Y’a pas de quoi en faire un show !

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Bérénice, dubitative – Vous voulez monter Jeanne d’Arc en comédie musicale ?

Martine – Eh ! C’était peut-être le seul moyen de la monter ?

Brigitte – Qu’est-ce que tu veux dire ! je comprends pas.

Martine – Après cinq grossesses, tu devrais !

Bérénice la foudroie du regard.

Martine – En tout cas, je trouve l’idée complètement… enfin, bon… c’est un peu n’importe

quoi, non ?

Poupounet – On ne vous oblige pas à rester.

Bombolina – Poupounet ! Qu’est-ce que je t’ai demandé ? Cool ! cool !

Martine – Et ça va s’appeler comment, votre truc ?

Poupounet – Notre truc !

Bombolina, lui faisant les gros yeux – Poupounet !

Poupounet – Oui, ma gazelle ! Excuse-moi !

Bombolina – « Johan of Arc, la pucelle revisitée » ! Je vois d’ici le titre en lettres lumineuses

sur le fronton du Châtelet : « Johan of Arc - La pucelle revisitée »

Brigitte – Ouah ! ça fait english !Moi, ça me plait bien… mais, ce n’est pas un peu triste ?

Bombolina –Et « Les misérables » ! Vous trouvez ça gai, vous ? (elles hochent la tête en

dénégation.) Vous voyez ! Et c’est le plus gros succès à Broadway et à Londres.

Brigitte – Oui, mais ça se termine par un mariage !

Martine – Ça risque d’être duraille de vendre le truc aux British ! Jeanne d’Arc, c’est pas

Cosette !

Bombolina – Vous bilez pas pour ça, mon Poupounet a remanié la fin, d’où le « revisitée ».

Vous voyez ?

Martine – Que dalle !

Bérénice – Moi, pareil.

Brigitte – J’ai bien ma petite idée… elle perd son pucelage ?…

Bombolina – Mais non, voyons ! Revisitée, parce qu’on a un peu modifié la fin ! C’est un

remake plus, comment dirais-je ? plus glamour que la vraie histoire, qui est un peu glauque, il

faut dire les choses comme elles sont ! N’est-ce pas mon pou !

Poupounet – Oui, mon cancrelat !

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Bérénice, se mettant en valeur – Et vous avez pensé à qui pour le rôle principal ?

Bombolina, bombant la poitrine – Moi !

Bérénice, Martine et Brigitte, ensemble – Vous ?

Bombolina – Ben oui, quoi ! Moi ! Je jouerai Jeanne d’Arc ! Pourquoi vous faites ces têtes ?

Ça dérange quelqu’un ?

Martine – Mais elle avait dix-huit ans !

Bombolina – Et alors ! Tout est dans l’art de l’interprétation. Sarah Bernhard a bien joué

l’Aiglon à soixante ans passés. (déclamant à la façon de Sarah Bernhard)

Non !

J'aime dans son regard cette audace qui brille,

Mais ce n'est pas la France, elle, - c'est ma famille.

Quand vous me revoudrez... plus tard... une autre fois...

Que votre appel soit fait par une de ces voix

Où l'âme populaire, avec rudesse, tremble !

Mais, jeune byronien, - âme qui me ressemble ! -

Rien ne m'eût décidé, ce soir ; sois sans regret

Car, pour être empereur, je ne me sens pas prêt !

Poupounet – Elle n’avait que cinquante-six ans, ma langouste !

Bombolina – Oui ! bon ! Tu es sûr mon crabe ? En tout cas, elle n’avait plus vingt ans.

Martine – Et elle était vierge !

Bombolina – Sarah Bernhard ?

Martine – Non, l’Aiglon... non ! Jeanne d’Arc ! Jeanne d’Arc était vierge !

Bombolina – Oui ! C’est ce qu’on dit ! Mais bon, on n’était pas là pour vérifier. Et qui vous

dit que je ne le suis pas ? Hein ? Et puis quoi, vous croyez qu’elle était vierge la Bergman ?

Pour la Falconetti, je ne dis pas ! Avec la tronche qu’elle se payait. Et il y a eu aussi cette

petite Anglaise, là… comment qu’elle s’appelait ?... Poupounet !

Poupounet – Sieberg, ma chérie. Jean Sieberg.

Bombolina - Tu es sûr ? Ce n’est pas plutôt dans « Pierrot le Fou » qu’elle a joué ?

Poupounet – « A bout de souffle » !

Bombolina – Quoi ‘à bout de souffle’ ?

Poupounet – Tu confonds « Pierrot le Fou » et « A bout de souffle » ! Et elle a aussi tourné

dans Jeanne d’Arc.

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Bombolina, elle se tourne vers les trois femmes - Il sait tout ! Mon mari sait tout, c’est un

puits de sciences ! Et sur le cinéma, il est incollable !

Bérénice - Et nous, on est supposées faire quoi dans votre cirque ?

Bombolina – Les voix.

Brigitte – Les voix ?

Bérénice – Ah ! Les voix de Marguerite et Catherine. (Brigitte la regarde incrédule.) Sainte

Marguerite et Sainte Catherine, si tu préfères !

Martine– Ah ! Ben on est trois !

Bombolina – Eh oui ! Mais ne vous inquiétez pas, il y a aussi le rôle de ma mère.

Brigitte – Votre mère ?

Bombolina – La mère de Jeanne… (à Poupounet.) Elles sont bouchées !

Bérénice – Il y avait un archange aussi… saint Michel, non ?

Bombolina – Ah !... Je vois que vous connaissez bien l’histoire… Pour Saint Michel, nous

avons déjà trouvé : un jeune acteur (elle ferme les yeux en soupirant) d’une beauté…

mmmmm ! N’est-ce pas Poupounet ?

Martine – Moi je veux bien faire la mère ! Je me vois mal en sainte ?

Bombolina – Nous verrons, nous verrons.

Brigitte – Ben, si ça vous ennuie pas de commencer par moi !... à cause des enfants !

Martine – Ben voyons ! Si c’est pour les enfants ! on ne peut pas refuser… (à Brigitte,

fielleuse.) Tu n’as pas changé, tu trouves toujours un prétexte pour passer avant tout le

monde ! Ça ne t’a pas toujours réussi, d’ailleurs. Souviens-toi le jour où ce présentateur de la

télé est venu nous interviewer dans les coulisses. A force de te mettre en avant, le poids de tes

nichons t’a entraîné et tu as dégringolé tout l’escalier pour finir à califourchon sur sa

tronche… Le lendemain à la télé, en montrant son cocard, il a dit qu’un veau l’avait pris pour

un tremplin ! Et bien entendu, le reportage n’est jamais passé !

Brigitte – Et alors ! De toute façon, il était misogyne, il nous aurait ridiculisées.

Bérénice – On devrait peut-être te remercier de nous avoir sauvées d’une cabale en règle ? Et

qui te dit que j’en ai pas, moi aussi, des mômes !

Martine – Oh et zut ! Moi, je n’ai pas d’enfants alors je m’en fous de passer la dernière.

Bombolina – Ne vous chamaillez pas, mes chéries, nous allons vous voir ensemble. (Elle se

tourne vers Brigitte.) Brigitte, c’est ça ?

Brigitte – Oui, mais appelez-moi Gaëlya, je préfère !

22

Poupounet sort un cahier.

Bombolina – Commençons par le commencement. Tu as quel âge ? Je vous tutoie. Ça ne

vous ennuie pas, j’espère.

Brigitte – Non, non. 35 ans.

Bombolina la regarde, étonnée.

Brigitte – 38 ?

Bombolina fait la moue.

Brigitte – 42…

Bombolina – Bon ! (à Poupounet) Note : 55 et on n’en parle plus.

Bombolina regarde Bérénice.

Bérénice – Pareil !

Martine – Vous pouvez mettre mon âge : 63 ans ! J’assume, moi !

Bombolina - Vous savez déchiffrer la musique ?

Brigitte – Euh ! Si on me donne l’air, oui, un peu…

Martine – Pas une note, mais j’ai un MP3 dans le crâne.

Bérénice – J’ai fait dix ans de conservatoire !

Bombolina tend une partition à Brigitte et lui chantonne quelques notes de musique que

répète Brigitte.

Bombolina – Allons-y !

Brigitte et Bombolina chantent tandis que Poupounet bat la mesure.

Brigitte - Jeanne, entends ma voix ?

Bombolina - Oui ! je suis toute à toi

Brigitte - Jeanne, as-tu bien la foi ?

Bombolina - Oui ! en tout cas, je crois

Brigitte – Jeann’ écoute-nous bien !

Bombolina – Oui ? Je fais taire les chiens

Brigitte - Tu iras à Amiens

Bombolina – C’est plus joli que Giens

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Brigitte - Couronner ton bon roi

Brigitte, cessant de chanter - C’était pas à Reims ?

Poupounet – Si, mais ça ne colle pas pour la rime.

Bombolina - On enchaîne.

Brigitte – Avec François premier, sur ton fier destrier

Hors du royaume de France va brouter les Anglais !

Poupounet - Bouter !

Brigitte – Quoi ?

Poupounet – Bouter, pas ‘brouter’ !

Brigitte - Vous êtes sûre ?

Bérénice – Elle est toujours aussi conne !

Poupounet - C’est quand même moi qui ai écrit le texte.

Bombolina- Oui, mon chéri, c’est toi…

Brigitte - Qu’est-ce que ça veut dire ?

Bombolina - Et brouter des Anglais, ça veut dire quelque chose ?

Brigitte - Non, mais brouter, c’est un mot que je connais !

Bérénice – Evidemment ! Entre bovidés…

Brigitte – Quoi ?

Poupounet - Eh bien, tu regarderas ‘bouter’ dans le dictionnaire. Comme ça, tu sauras. On

reprend.

Brigitte – Avec François premier, sur ton fier destrier

Hors du royaume de France va buter les Anglais !

Bérénice - Ce n’était pas plutôt Charles quelque chose ?

Martine – Charles VI ! Bon on va pas y passer la soirée, et puis on s’en tape un peu.

Poupounet – Avec Charles VI, il manquait un pied.

Brigitte – Un pied de quoi ?

Martine – De veau !

Brigitte - Je n’y comprends plus rien, moi. Je dis quoi alors ?

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Bombolina – Tu dis comme c’est écrit, mon petit… De toute façon, les Français et l’histoire

de France… surtout le public des comédies musicales !... Allez, on reprend mon chou. C’était

très bien… Mais dis bien : ‘bouter’ s’il te plait, pas buter, ni brouter. Bouter !

Brigitte, résignée – Avec François premier, sur ton fier destrier

Hors du royaume de France va bouter les Anglais !

Bombolina – Ah, Dieu ! et pourquoi moi ? quelle étrange mission !

Loin des miens j’irai donc, loin de mes chers moutons ?

Brigitte - Ton pays te réclame, le peuple est opprimé

Va détacher la barque, sur la berge amarrée.

A l’eau tu la mettras, et sur les flots cléments

tu iras droit devant, emportée par les vents

Bombolina – A l’eau, à l’eau, à l’eau ! Je ne vous entends pas !

je suis une bergère, ma maison est là-bas…

Martine – Voilà qu’elle a le téléphone maintenant !

Brigitte – C’est vrai, ça ? Elle est partie en bateau ?

Poupounet – … Oui ! À la rame !

Bombolina – Mais bien sûr, mon Poupou ! (à Brigitte qui les regarde sceptique.) C’est de la

poésie, ma chérie, ce sont des images, tu comprends ? Bon, tu peux danser un peu

maintenant ?

Brigitte – Là ? Que je danse ? Et je danse avec quoi ? Vous avez de la musique ?

Bombolina – Essaie en chantant.

Brigitte – Le machin, là ? Ce n’était pas très dansant.

Poupounet – On ne vous demande pas non plus de danser le ‘Lac des cygnes’ !

Brigitte – C’est comme vous voulez, mais je garantis rien ! Vous pouvez me redonner la

note ?

Bombolina chantonne les premières notes de l’air.

Brigitte, tout en essayant de danser avec grâce –

Jeanne, entends ma voix

Jeanne, as-tu bien la foi ?

Jeann’ écoute-nous bien !

Tu iras à Amiens

Bérénice – Si les Anglais avait vu ça, ce n’est pas Jeanne d’Arc qu’ils auraient brûlée.

Brigitte, toujours dansant – Je ne suis pas sourde ! Je demande à t’y voir !

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Bombolina – Merci, mon chou ! Tu peux te reposer un peu maintenant.

Brigitte, qui s’est retrouvée en équilibre instable, reprend pied – C’est pas pour dire, mais je

n’imaginais pas Ste Marguerite en train de danser !

Poupounet – C’était Ste Catherine.

Brigitte – Ah ! Ben, même elle, je ne la voyais pas trop danser. Mais bon, c’est vous qui

savez !... La mélodie est pas mal, c’est juste que ce n’est pas très moderne. Moi, quand je

dansais, c’était disco… et là !...

Bombolina – A qui le tour ?

Bérénice – Avec le même air ?

Bombolina – Non ! Essaye ça, toi. (Elle lui tend une partition.)

Bérénice – En quelle tonalité ?

Bombolina – En quelle tonalité ? Poupounet ? (Poupounet la regarde en haussant les

épaules.) Comme tu le sens, ma poule !

Bérénice, chante –

Jeanne, toi la pucelle ouvre grand tes oreilles

La France est endormie, tir’-là de son sommeil

Haut dans le firmament, lève ton étendard

Comm’ la vaillante abeille, point’ bravement son dard

Va, marche fièrement, pour sauver ton pays

Des Anglais agresseurs, qu’ils soient bannis, maudits !

Bérénice - Qu’y a-t-il d’écrit là ? je n’arrive pas à lire.

Bombolina – Les moutons, c’est fini, les brebis égarées

attendent la bergère qui saura les mener.

Martine – Ça c’est ce de la rime riche ou je ne m’y connais pas !

Bombolina – N’est-ce pas ? Mon Poupounet est un vrai poète ! Tu entends mon papillon ?

Poupounet – Oui, ma libellule. Mais c’est grâce à toi, c’est pour toi ! Tu es ma muse, mon

égérie. Cette Jeanne of Arc sera mon chef-d’œuvre. Paris, Londres, New-York vont

l’acclamer.

Bombolina – Madrid, Lisbonne, Berlin.

Martine – Sainte Gauburge, Saint Cucufa...

Bombolina – Oui !... Je créerai le rôle à travers le monde. Jeanne, je serai ton flambeau, ta

voix, ta vox populi. Tu seras vengée ! Je te ressusciterai ! Tel le phœnix, tu renaîtras de tes

cendres ! (Elle pousse un cri déchirant et s’affale sur un siège.)

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Bérénice, se précipitant – Allons bon ! Elle nous fait un malaise ? Madame, madame.

Bombolina – Mademoiselle, je vous prie ! Appelez-moi mademoiselle.

Poupounet – Laissez, laissez, c’est sa façon d’exprimer son émotion.

Martine – Putain, quelle tragédienne ! Phèdre et la Dame aux Camélias, puissance treize !

Rachel et Sarah Bernhard peuvent se rhabiller !

Poupounet – Ce rôle, c’est toute sa vie. Elle le porte en elle depuis si longtemps ! (Il lui

prend une main et la tapote.) Ma doudoune, reviens parmi nous ! Voilà, c’est bien !

Bombolina – Ah ! Poupou !

Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage

Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;

Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,

Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté….

Mes sels, un mouchoir, le Samu ! Poupounet ! Mon Racine, mon Corneille, mon La Boétie !

Brigitte – Eh beh ! C’est de vous ça aussi ?

Bombolina – Ignorante ! C’est du Racine ! Phèdre, acte 5, scène dernière ! Ah ! Poupounet,

aide-moi à me relever, regarde, je suis toute flageolante !

Brigitte – Excusez-moi, je ne savais pas. Mais ce que c’était beau et vous l’avez si bien dit !

Pas vrai, les filles ? J’en suis toute palpitante, tiens regardez. (Elle prend la main de

Poupounet et la pose sur son sein. Poupounet retire brusquement la main comme s’il s’était

brulé.)

Bombolina, revenue complètement à elle – Inutile de faire du gringue à mon mari, il n’aime

pas les femmes. Il n’aime que moi. (Elle s’approche de Poupounet, très câline et lui caresse

la joue.) Hein, mon ragondin ?

Poupounet, d’une voix rauque – Oui, ma loutre !

Martine – Eh ! Toujours aussi chaude, ma Gaëlya, toujours prête à lever un micheton.

Bérénice – A condition qu’il ait un compte en Suisse !

Brigitte – N’importe quoi ! J’ai vraiment été… bouleversée, émue par son interprétation !

(Elle glisse une main dans son cou et la ressort pour la montrer à Martine et Bérénice.)

Tiens, regardez si c’est pas vrai, je suis toute moite.

Martine – Que là ?

Bérénice – Ne sois pas vulgaire !

Brigitte – Tu veux vérifier ? Tu dirais pas non, hein ? (à Bérénice.) Quant à toi, t’as rien à

dire, tu t’es tapée la moitié de l’orchestre.

27

Bérénice – Pas la moitié, les trois-quarts !

Bombolina – Mesdemoiselles ! mesdemoiselles ! Je vous en prie ! Allons ! Allons ! On

respire un grand bol d’air et on se calme ! on se calme ! (Elle se met une main sur le ventre et

aspire un grand coup en accompagnant l’inspiration de l’autre main, pour donner l’exemple.)

A vous, maintenant : on inspire !... et on souffle !... on inspire encore…. et on re-souffle !

Voilà, voilà, voilà ! Chacune va retrouver son self-control et se comporter comme une vraie

jeune fille. On ne se chamaille plus.

Martine – Vous ne m’auditionnez pas ?

Bombolina – Si bien sûr… Tiens, chante ça… c’est une chanson que Poupounet veut mettre

au début du show… un peu comme un vestibule, vous voyez.

Poupounet – Un préambule !

Bombolina – Oui, c’est ça, un préambule ! Où ai-je la tête !

Martine, chante –

Dans un village de Lorraine

Loin des tracas des souveraines

vivait une douce bergère

Tire la la tire la lère

Ell’ gardait ses moutons bêlants

en rêvant d’un mari plaisant.

Ell’ tricotait des bas de laine,

pour faire plaisir à sa marraine

qui les lui avait demandés

pour un vieil oncle de Vendée.

Oncle grincheux mais bienveillant.

Il avait combattu longtemps

nos envahisseurs les English.

qui ne sont pas experts en quiche,

préférant de loin le rosbif

cuit bouilli, pas saisi à vif.

Elle entendit un beau matin

les voix qui changèrent son destin.

C’est ce que va vous raconter

cette histoire de la loyauté

Bombolina – Quelle bel organe ! Tu ne trouves pas poupou ?

Bérénice – Dites ! C’est sérieux ? Vous voulez vraiment qu’on chante ça ?

Martine – C’est très kitsch ! Le coup de la quiche lorraine et du rosbif, faut oser.

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Brigitte – Moi je trouve que c’est joli et puis c’est facile à comprendre… à part quelques

mots.

Bombolina – Merci ! Oh, mon Poupounet va sûrement apporter encore quelques petites

modifications ici et là… Mais dites-moi, tout à l’heure, quand vous vous chamailliez, j’ai cru

comprendre que vous vous connaissiez déjà ?

Martine – Ouais, on peut dire ça !

Brigitte – On était les Paupiettes !

Bombolina – Les Paupiettes !

Martine – Oui, après cette histoire de veau… oui, vous savez : le veau et le tremplin ! Eh

bien, un autre pisse-copie nous a collé ce surnom et ça nous est resté. Avant ça, on était les

pop-girls.

Brigitte - On était covedettes avec Paolo Andréoti… On faisait les chœurs. (Bombolina la

regarde avec des yeux ronds.) Le chanteur disco ! Cinq fois premier au top cinquante ! Vous

ne vous souvenez pas ?

Bombolina – Paolo Andreoti ! Et vous êtes les Paupiettes ? tu entends ça, poupou ? elle me

demande si je me souviens de Paolo et des paupiettes ! Mais je vous ai suivis depuis vos

débuts à la télévision. J’étais encore jeune, bien sûr, mais j’étais déjà une fan. Je rebattais les

oreilles de ma maman en lui disant que je voulais être une paupiette. Quand vous passiez à la

télé, je chantais avec vous, je dansais, j’étais paupiette moi aussi. Et vous êtes là, devant moi,

toutes les trois ! C’est inouï. Poupounet, Poupounet, du champagne, vite ! Il faut fêter ça.

Poupounet – Nous n’avons pas de champagne au théâtre, ma colombe.

Martine – Eau gazeuse pour tout le monde ! Alors comme ça, vous nous avez vues à la télé ?

Bombolina – Et sur scène aussi ! Et, quand je suis devenue moi-même une artiste, j’ai fait la

connaissance de Paolo… Nous avons même été… très proches, il fut un temps.

Bérénice – Vous voulez dire que… vous et lui…

Martine – Vous avez eu une aventure avec Paolo ?

Bombolina – Allons, allons, mesdemoiselles ! Ce n’est pas une question à poser à une jeune

fille.

Bérénice – Je ne me souviens pas vous avoir vue avec lui.

Brigitte – Oui, c’est vrai ça !

Martine – Voyons, Bérénice, mademoiselle Bombolina a dû changer un peu… en trente ans.

Bombolina – En effet ! Je n’étais pas blonde à l’époque !… Et puis, nous n’étalions pas

notre… relation sur la place publique. J’avais mon image à préserver...

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Bérénice – Votre image ?

Bombolina – Oui… j’étais… comment dire : un modèle ! vous savez… la jeune fille dont

rêvent tous les parents. J’étais la petite frenchy, et je ne pouvais pas altérer mon image ! De

plus, je ne voulais pas devoir la réussite de ma carrière à l’étalage de ma vie privée par les

paparazzi. Quand j’y repense, quelle fin tragique ?

Bérénice – Votre carrière ?

Bombolina – Non, Paolo… quelle fin tragique, en pleine gloire, à l’apogée de son talent et

encore si jeune !

Martine – Il approchait de la quarantaine quand même.

Bombolina – Ah bon ? Mais oui, vous devez avoir raison. Il ne les faisait pas en tout cas.

Martine – Sur scène, peut-être !

Bombolina – Nous nous sommes perdus de vue… disons peu de temps avant ce terrible

drame. Mais j’y pense : vous deviez être là, le soir tragique de sa disparition. C’était pour un

disque de platine, n’est-ce pas ?

Bérénice - Un disque d’or !

Bombolina – Mais oui, que je suis sotte, les disques de platine n’existaient pas alors.

Martine – Et encore ! avec des chiffres gonflés par sa maison de disque. Sa côte était en

baisse et c’est son producteur qui a eu l’idée de cette soirée à bord de son yacht.

Bombolina - Mais revenons à vous. Dites-moi : comment êtes vous devenue paupiettes…

enfin choristes de Paolo, je veux dire.

Brigitte – Pour moi, c‘est toute une histoire, vous savez.

Poupounet – Nous sommes tout ouïe…

Brigitte – Oui ? Je ne sais pas trop par où commencer.

Poupounet – Par le début !

Bombolina – Voilà, faisons simple, ma chérie, faisons simple.

Brigitte – J’étais toute jeune. J’avais à peine 18 ans.

Bombolina – En quelle année dites-vous ?

Brigitte – En 1967. Je m’en souviens, parce que c’était juste un an avant 68 ! (Bombolina lève

le nez pour la regarder.) Oui, mai 68, les évènements. Vous savez bien !

Bombolina, à Poupounet – Tu rayes 55 et tu marque 61.

Brigitte – Hein ?

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Bombolina – Votre âge ! Donc, nous sommes en 67 et tu as 18 ans.

Brigitte – A peine !

Bombolina – Continue, continue !

Brigitte – J’avais déjà participé à quelques radios crochets. J’ai fini une fois deuxième et

deux fois première. Il faut dire qu’à l’époque, je suivais des cours.

Bombolina – Ah ! Des cours, c’est intéressant, ça, tu entends mon crapaud ? elle a suivi des

cours !

Poupounet – Oui, j’entends ma grenouille. Des cours de quoi ?

Brigitte – De dactylo ! Je voulais être secrétaire.

Poupounet – Oui ! oui ! oui ! oui ! Je vois, je vois, je vois !

Bombolina – Oui ! Nous voyons, nous voyons, nous voyons ! Alors comme ça, vous vouliez

devenir secrétaire et vous chantiez dans des radios-crochets ! Comme c’est intéressant !

Brigitte – Et j’étais folle de Paolo Andréoti. J’avais tous ces 45 tours et j’étais allée le voir

quand il est passé au Bartazar. Qu’il était beau !

Poupounet – Au Balthazar ?

Bombolina – Non, au Bartazar. Elle a dit au Bartazar. (à Brigitte.) N’est-ce pas ?

Brigitte – Oui. C’est la salle de spectacle dans la ville où j’habitais.

Poupounet – Ah ! Et c’est où ?

Brigitte – Oh, vous ne pouvez pas connaître, c’est une toute petite ville, à 50 km de Liège.

Parce que, il faut vous dire, je suis Belge !

Poupounet – Ah ! Ça ne s’entend pas !

Brigitte – J’ai perdu mon accent. Vous pensez, quand on veut faire carrière dans le show-

biz… l’accent belge, ça le fait pas, sauf si on veut faire comique ! Mais là, faut pas croire, la

plupart des comiques qui l’ont ne le sont pas ! (regard intrigué de Poupounet.) Belges ! les

comiques qui ont l’accent ne sont pas…

Bombolina, la coupant – Oui, comme Coluche. Mais là, nous nous égarons un peu, non ?

Brigitte – Enfin, quand j’ai passé l’audition, je n’en menais pas large, mais j’ai été prise… Je

me demande encore pourquoi !

Bombolina – Le talent !

Brigitte – Oui, peut-être ! Je crois aussi que c’est un peu grâce à Gérald, le producteur.

Bombolina – Ah bon ! Racontez-nous ça.

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Brigitte – Eh bien, avant mon audition, j’ai fait un faux mouvement et crac : je m’étais

déplacé une cervelle verticale. Juste là (elle montre son cou). Eh bien, en un tour de main,

Gérald m’a remise en place.

Bérénice - Elle veut dire une vertèbre cervicale.

Brigitte - Je sais très bien ce que je veux dire, pas la peine de me reprendre sans arrêt.

Poupounet - Elle est idiote ou elle le fait exprès ?

Bérénice - Elle ne le fait pas exprès.

Brigitte - C’est ça, dis tout de suite que je suis idiote.

Bérénice - Je n’ai pas dit ça, j’ai dit que tu ne le faisais pas exprès.

Brigitte - Je préfère !

Bérénice - Vous voyez !

Bombolina – Revenons au producteur.

Brigitte – Eh bien, après m’avoir fait craquer, Gérald m’a tapoté la main et il m’a aidée pour

monter sur scène et il m’a dit qu’il me ferait un petit massage après l’audition, si je voulais

bien passer chez lui. Je l’ai remercié de sa gentillesse et… à la fin de la soirée, j’étais engagée.

Bombolina – Le début d’une brillante carrière, donc ! (à Bérénice) Et vous ?

Martine – Je suis végétarienne ! je ne pratique pas la promotion canapé !

Bérénice – Moi, j’ose croire que j’ai été engagée parce que je suis une pro.

Brigitte – Non mais dites donc ! Dites tout de suite que j’ai été prise parce que j’ai couché.

Bérénice – Ce n’est pas nous qui l’avons dit.

Brigitte – Eh ! Moi aussi, je chante et je danse !

Bombolina –Elles sont rigolotes, tu ne trouves pas Poupounet ? Enfin, avec nous, il ne sera

pas question de canapé… Je vous l’ai dit, Poupounet n’aime que moi et moi… je ne me sens

pas très lesbienne. Pour en revenir à cette tragique soirée, vous y étiez toutes les trois ?

Bérénice – Oui. On y était.

Brigitte – Moi, j’ai bien failli ne pas y aller. Paolo m’avait virée quelques mois avant. C’est

Gérald qui a insisté. Il disait que c’était mieux pour la promotion du dernier disque. Moi, la

promo, je m’en foutais un peu, mais fallait bien que je pense à mon avenir.

Bombolina – Il vous avait virée ?

Brigitte – J’avais grossi !

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Bombolina – Vous aviez grossi ! Ma pauvre, ça devait être horrible… Je veux dire pour vous.

C’est si démoralisant pour une femme. Moi, je dois faire attention, une miette de trop et je

prends cinq kilos.

Poupounet – Sans parler des loukoums !

Bombolina, lui lançant un regard noir – Quoi, les loukoums ! Ah vous les hommes ! On voit

bien que vous ne savez pas ce que c’est qu’être une femme.

Brigitte – Je mangeais trois fois rien ! C’est pour ça que je ne comprenais pas ce qui

m’arrivait. Paolo m’a passé un de ces savons le soir où j’ai dû m’allonger pour fermer mon

pantalon. Il a dit que si je ne me mettais pas au régime, je pouvais retourner à mes études de

dactylo.

Bombolina – C’est mesquin, ça. Alors ?

Brigitte – Alors je suis allé voir un toubib pour qu’il me donne un régime. Et le toubib m’a

dit que dans mon état, ce n’était pas recommandé.

Bombolina – Ah bon !

Brigitte – Ben, oui ! J’étais au cinquième mois !

Bombolina – Au cinquième mois ?

Poupounet – Là, ma poule, je crois qu’elle veut dire qu’elle était enceinte !

Brigitte – Eh bien oui !

Bérénice – Et tu ne le savais pas ? Et les nausées ! tu n’avais pas de nausées ?

Brigitte – Si, mais, tu penses que tu es enceinte à chaque fois que tu vomis, toi ? Et vu ce

qu’on mangeait des fois !

Poupounet – Si vous étiez enceinte, ça changeait tout.

Brigitte – Tu parles. Paolo m’a dit que c’était de ma faute, que j’aurais dû faire gaffe.

Bombolina – Ah ! Evidemment, c’est un point de vue.

Poupounet – Que lui avez-vous dit, alors ?

Brigitte – Pensez-donc ! ça m’a mise en pétard ! Alors je lui ai dit que c’était lui le père.

Bombolina – Quoi ?

Poupounet - Vous couchiez avec lui ?

Brigitte – Oui ! enfin, je ne sais plus trop, moi. Des fois, après le spectacle… on s’amusait un

peu. Il invitait des gens, on buvait, on fumait un peu… et après…

Poupounet – Ça se terminait en partouze !

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Bombolina – Poupounet ! En voilà des façons de parler !

Brigitte – C’était à la bonne franquette ! Hein, les filles ?

Bérénice – Tu n’es pas obligée d’étaler notre vie privée !

Martine – Bérénice a raison ! Pour ma part, je n’y suis allé qu’une fois !

Brigitte – Ben quoi ! Il n’y a pas de mal. Bon, tout ça pour dire qu’il est arrivé que je me

réveille à côté de Paolo !

Poupounet – Lui et toi seuls ?

Brigitte – Ben non. Je vous ai dit, on était plusieurs.

Bombolina – Alors rien ne dit que Paolo Andreoti était responsable de votre état.

Brigitte – Ben non, mais comme il m’a mise en colère ce soir-là, je lui ai balancé ça !

Poupounet – Et il a dit quoi ?

Brigitte – Il a rigolé. Il a dit que je prenais mes désirs pour des réalités et que je n’étais pas du

tout son genre ! Après, il a ajouté que, dans mon état, il ne fallait plus que je danse et qu’il

m’accordait un congé maternité à durée indéterminée à effet immédiat.

Martine – Le salop ! Il n’a jamais été foutu d’assumer ses conneries.

Poupounet – Pourquoi ? il vous a mise enceinte, vous aussi ?

Martine – Lui ? Vous rigolez ! Jamais je n’aurais laissé ce minable me toucher.

Bombolina – Pourtant… il était bel homme, il avait du charme… les femmes étaient folles de

lui.

Martine – Il faut croire que je n’étais pas assez mûre !

Bombolina – Eh oui, on ne peut pas être et avoir été. (se retournant vers Brigitte) Il t’a donc

renvoyée ! Mon pauvre bichon ! Qu’as-tu fait après ?

Brigitte – Dans mon état, je n’avais pas beaucoup de chance de décrocher un contrat de

danseuse. Alors, j’ai cherché à me placer comme choriste. Comme trois mois plus tard, je

n’avais pas trouvé d’engagement, je suis retournée chez mes parents, pour accoucher.

Poupounet – En Belgique ?

Brigitte – Ben oui.

Bombolina – Ma pauvre, ça a dû être dur !

Brigitte – Ben non, pourquoi ? J’avais de l’argent de côté et je touchais le chômage. Et puis,

mes parents étaient contents de m’avoir avec eux. Quand mon bébé est né, ils étaient aux

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anges. Après quelques mois, je leur ai confié la garde de mon minou et je suis repartie à

l’aventure, à l’étranger surtout.

Bombolina – Dans quels pays ?

Brigitte – En France.

Poupounet – Tu as dit à l’étranger.

Brigitte – Eh bien oui ! Pour nous, en Belgique, la France, c’est l’étranger. Le problème,

c’était que j’étais une vraie pondeuse ! À peine je couchais, patatras ! Je tombais enceinte.

Quatre mômes de plus en dix ans.

Bombolina – C’est ce qui s’appelle ne pas chômer.

Brigitte – J’avais embauché quelqu’un pour aider maman. Au cinquième, elle m’a dit ‘stop’,

alors je me suis arrêtée de courir les routes. Je faisais des animations de temps en temps, des

bals et des mariages, des trucs comme ça.

Bérénice – Tu aurais pu donner de tes nouvelles !

Brigitte – Je t’ai écrit quand j’ai accouché. La lettre m’est revenue, inconnue à l’adresse

indiquée.

Bérénice – Ah oui, c’est vrai que moi aussi je suis partie. Pas trois mois après toi, tiens ! Un

accident. Enfin, si on peut appeler ça comme ça !

Bombolina – Un accident ?

Bérénice – C’était à la fin d’un concert. Tout ce que je me rappelle, c’est que Paolo s’est

précipité dans les coulisses. Il m’a bousculée et j’ai valdingué contre une colonne où je me

suis éclaté le nez. Je me suis réveillée à l’hosto !

Martine – Je me souviens ! C’était les fumigènes. Ils n’avaient pas été envoyés sur

« Sulfureuse » et vlan ! à « Fleur de cristal », un nuage rougeâtre a envahi la scène. Paolo

s’est pris les pieds dans un câble et il s’est cassé la gueule. Son pantalon s’est fendu en deux

et comme il ne portait rien dessous… Je ne vous dis pas le tableau ! Ça a failli déclencher une

émeute. Une moitié du public hurlait des insanités et l’autre voulait monter sur scène pour

arracher un morceau du falzar de leur idole.

Bombolina – Il ne portait rien, tu es sûre ?

Poupounet – Ça devait être affreux !

Bombolina – Pourquoi tu dis ça ! Je… euh… ça ne… enfin… il avait sûrement un très joli

petit derrière… Tu t’es donc retrouvée à l’hôpital et ensuite ?

Bérénice – Vous pensez bien qu’avec un nez de la taille et de la couleur d’une aubergine, je

ne pouvais pas remonter sur scène. Deux jours après ma sortie d’hôpital, Paolo m’a fait

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envoyer un pot de chrysanthèmes et une carte m’annonçant que j’avais rompu la clause

‘esthétique’ de mon contrat.

Poupounet – Une clause esthétique ?

Martine – Oui, en gros, ça disait qu’on devait surveiller notre poids et nos rides !

Poupounet – Mais là, Tu n’étais pas responsable, il s’agissait d’un accident. Et provoqué par

ton employeur, qui plus est.

Bérénice – Allez le prouver sans témoins. Les autres craignaient de perdre leur place… et

puis, avec les fumigènes, ils ont dit qu’ils n’avaient rien vu…

Bombolina – Alors, qui dit que c’est lui qui t’a bousculée.

Bérénice – J’ai bien reconnu sa voix quand il m’a dit : ‘pousse-toi connasse !’

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