Stratégies de développement territorial

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    VERS UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT TERRITORIALPOUR LE CONTINENT EUROPEEN

    PERSPECTIVE DEVOLUTION DES ZONES RURALES EN EUROPE

    Amnagement du territoire europen, no 62

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    VERS UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL

    POUR LE CONTINENT EUROPEEN

    PERSPECTIVE DEVOLUTION DES ZONES RURALES EN EUROPE

    Rapport du sminaireorganis par le Conseil de lEuropedans le cadre des travaux de la Confrence europennedes ministres responsables de lamnagement du territoire (CEMAT),en collaboration avec le ministre de lEnvironnementet de lAmnagement du territoire de la Slovnie

    Ljubljana (Slovnie), 24-25 septembre 1998

    Amnagement du territoire europen, no 62

    Editions du Conseil de lEurope

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    Edition anglaise:

    Towards a spatial development strategy for the European continent: perspectives of evolution of rural areas in Europe

    ISBN 92-871-

    Les dfis pour la socit europenne laube de lan 2000: stratgies pour un dveloppement durable des Etats du nord delEurope, no 61

    ISBN 92-871-3727-7

    Edtions du Conseil de lEuropeF-67075 Strasbourg Cedex

    ISBN 92-871- Conseil de lEurope, septembre 1999Imprim dans les ateliers du Conseil de lEurope

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    TABLE DES MATIERES

    THEME 1 LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE...........5

    THEME 2 DIVERSITES ET SPECIFICITES DES ZONES RURALES EN EUROPE..................61

    THEME 3 UNE DEMARCHE GLOBALE ET COHERENTE POUR TOUTESLES ZONES RURALES DES PAYS EUROPEENS ................................................129

    CONCLUSIONS ........................................................................................................................193

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    THEME 1

    LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE

    PRSIDENT DE SANCE: M. Dusan BLAGANJESecrtaire dEtat lAmnagement du territoireMinistre de lEnvironnement et delAmnagement du territoireLjubljana, Slovnie

    RAPPORTS PRESENTES PAR:

    Professeur Dusan OGRINArchitecte et agronome

    Dpartement darchitectureFacult biotechniqueUniversit de LjubljanaLjubljana, Slovnie ....................................................................................................................7

    Dr Alexander V MERSLOVPrsident de lEnvironnementAcadmie de lAgriculture de TimiryasevMoscou, Russie ........................................................................................................................13

    Dr Klaus AMMANNDirecteur du Jardin botaniqueUniversit de BerneBerne, Suisse............................................................................................................................25

    M. Claude HUSSONConsultant territorialLimoges, France.......................................................................................................................29

    M. Lech RYSZKOWSKICentre de recherche pour lenvironnement agricole et forestierAcadmie des SciencesPoznan, Pologne.......................................................................................................................43

    M. Richard LLOYDResponsable de lunit des exploitations agricoles et des fortsCommission du milieu ruralAngleterre.................................................................................................................................55

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    LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE

    Lespace rural europen face la mondialisation et au maintien de son identit

    Professeur Dusan OGRINArchitecte et agronomeDpartement darchitectureFacult biotechniqueUniversit de LjubljanaLjubljana, Slovnie

    Je suis convaincu que la perte de notre paysage sera perue par tous comme

    une catastrophe sans prcdent

    Henry Moore

    1 Introduction

    Nous savons tous que les paysages ruraux dEurope sont le produit dune volution plusieurs foismillnaire, et quen tant que tels, ils constituent un patrimoine de la plus grande valeur en termes decivilisation et de culture. Cette valeur repose sur la varit structurelle des agglomrations rurales etdes paysages agricoles, fruit la fois de la grande diversit qui rgne au sein des civilisations et desconditions naturelles du continent europen. Cela nous amne constater que le paysage europenreprsente dans son ensemble un patrimoine unique auquel il faudra accorder la plus grandeattention dans le cadre de la future politique damnagement du territoire.

    2. Les problmes

    Cela dit, le monde rural europen se voit aujourdhui confront une srie de processus qui, detoute vidence, mneront terme laltration des paysages et la perte de leurs qualitsstructurelles. Ces processus sont perceptibles essentiellement sous la forme de deux volutions:lamodernisation de la production agricole et la modification du mode de vie la campagne. Lestechniques de production de denres alimentaires ont depuis toujours faonn la structure et laforme du monde rural. Ce processus se poursuit aujourdhui, mais avec des consquencesfoncirement diffrentes: lagriculture grande chelle, performante et comptitive, demande de

    grandes exploitations pratiquant la monoculture sur de vastes surfaces et avec des quipementslourds. Les consquences en sont bien connues: les plaines perdent leur richesse cologique etesthtique pour se transformer en paysages agraires uniformes et homognes, tandis que dans lesrgions moins productives, cest--dire le plus souvent en montagne, lagriculture laisse la place lasuccession cologique.

    Le monde rural nest plus, aujourdhui, un monde part, coup du dveloppement effrn quicaractrise la vie urbaine. De nouvelles activits viennent sajouter lagriculture et lasylviculture; on peut citer, entre autres, les infrastructures de transport et de production dnergie,lindustrie, le tourisme et les rsidences dactifs travaillant en ville. Cest prcisment cet ventaillargi dactivits qui est en passe de bouleverser le caractre et la physionomie des rgions rurales.

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    La campagne devient une zone dimmigration massive, due pour lessentiel au dplacement des populations urbaines vers les campagnes. Ce phnomne se prsente sous diverses formes: lesvillages perdent leur cachet; en outre, les nouvelles activits se concentrent souvent dans des sites

    prsentant une grande valeur esthtique ou cologique. Les dgradations peuvent alors toucher, au-del du domaine esthtique, diffrentes fonctions environnementales.

    Comme nous lavons indiqu plus haut, nous sommes en prsence dune srie de processus quiinfluent sur lorganisation de lespace et contribuent bouleverser le monde rural, lloignantinexorablement de son identit traditionnelle. Dans toute lEurope, le public sinquite du devenirdu monde rural et exprime ainsi, de fait, son dsir de voir prserver lensemble des caractristiquesstructurelles sur lesquelles se fonde lidentit des campagnes.

    3. Lidentit

    Lidentit rsulte dlments diffrencis communs une entit donne, physique ou sociale. Aucours de lhistoire se sont forges de multiples identits, aux nombreuses ramifications. Autrefois,les communauts sociales ou territoriales prsentaient un degr de diffrenciation lev, qui semanifestait en de nombreux aspects profondment ancrs. Les identits se dfinissaient sous forme

    de diffrences au niveau de la langue, spcialement des dialectes, au niveau de lhabillement, de lamusique, des danses traditionnelles, et de maintes autres manifestations de la vie sociale. Toutefois,cest au niveau de lenvironnement matriel que la diffrenciation tait la plus visible, cest--direau niveau des habitations, de lorganisation spatiale des communauts et des systmes agricoles.Ces lments sont particulirement importants en raison de leur caractre visible et durable.Lidentit dun terroir volue ainsi, sous la forme dun concept global et synthtique qui intgre toutce que la campagne incarne en tant quentit physique, conomique, sociale et symbolique. On peuttudier lidentit du monde rural travers toutes ces facettes et lchelon local, rgional etnational.

    Avant dapprofondir ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur la typologie des identits dontles campagnes sont le reflet. Il faut pour cela se pencher sur les aspects matriels de lidentit, etlaisser de ct ses aspects sociaux. On peut distinguer, dans ltude des zones rurales, troiscomposantes spatiales majeures:

    3.1. Btiments

    Comme chacun sait, le style architectural tait traditionnellement une caractristique spatiale depremier ordre, conjuguant diffrents types de matriaux de construction (roches locales, briques, bois, argile, etc.) et de toiture (paille, pierres plates, bardeaux, tuiles de diffrentes formes etcouleurs, voire herbe dans certains pays nordiques). La manire dont ces matriaux sont utilissrevt galement une grande importance. Ainsi, le degr dinclinaison du toit est une caractristiquergionale: en zone forte pluviosit, les toits sont habituellement pentus, tandis quils sont plats ou

    presque plats dans les contres arides. Il en va de mme pour les fentres, qui peuvent tre grandesou petites et prsenter diffrents types de cadres et dquipements de protection contre le soleil ou levent. Rappelons galement que le traitement de la faade avec diffrents coloris peut tre unlment distinctif primordial, comme en tmoignent de manire impressionnante les villagesdEcosse ou de Grce blanchis la chaux. Il faut aussi mentionner la catgorie des btimentssecondaires utiliss directement ou indirectement des fins agricoles, dont lidentit est dautant

    plus marque quils se trouvent parfois lextrieur de lagglomration: granges, remises, abrisdans les pturages, etc. On ne saurait surestimer limportance de lapport de larchitecture ruraletraditionnelle lidentit locale ou rgionale.

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    3.2. Agglomrations

    Partant de conditions locales spcifiques, telles que le climat, la roche-mre, la fertilit des terres, la prsence deau potable, lexposition au vent ou au soleil, ou encore les besoins en matire decommunication ou de dfense, les modes dhabitation ont connu des volutions trs diverses.Dautres caractristiques sont dfinies activement par la communaut lors de la construction dun

    village; dans cette catgorie, on trouve gnralement des rgles communes concernant le choix desmatriaux de construction, le style architectural, lorientation des btiments, le retrait par rapport la rue, et la relation aux parcelles cultives. Dans toute lEurope, les agglomrations ruralesdclinent dinnombrables variantes au sein de diffrents modles group, linaire, en sommet decolline, etc. , et confrent immanquablement une note caractristique leur terroir. Ce constatsapplique aux Alpes comme au pourtour mditerranen, aux pays nordiques comme aux plaines

    pannoniennes et de nombreuses autres rgions.

    3.3. Paysages

    Plus encore que les villages, les paysages ruraux sont le rsultat dune synergie entre les conditionsnaturelles locales et lexploitation des terres des fins de production alimentaire. Lagriculture

    dpend troitement de paramtres multiples: type de sols, quantit de rayonnement solaire, rgimedes pluies, vents, topographie, accessibilit, loignement des exploitations, densit de la populationrurale, proximit et importance des marchs, concurrence, etc. Du fait de ces liens de dpendancecomplexes, lagriculture a dvelopp des systmes hautement diversifis dexploitation des terres.Le progrs technologique a de tout temps t le moteur de cette diversification par le biais desoutils, des techniques culturales, des engrais, des varits vgtales et des autres amliorations.Influence par une multitude de facteurs, lagriculture europenne a gnr au cours de sa longuehistoire une infinie varit de paysages. Citons, pour illustrer cette diversit, les vignobles et vergersen terrasses de la rgion mditerranenne, les dehesas espagnoles, les chtaigneraies des rgions decollines, les vignobles sur les flancs des Alpes suisses, la mosaque des champs des rgionskarstiques dEurope centrale et mditerranenne, le bocage franais, le maillage de haies dans les

    plaines du sud de lAngleterre, sans compter les nombreux types de paysage faonns, dans tout lecontinent, par une exploitation pastorale des plaines mais aussi et surtout des herbages daltitude.Ces paysages traditionnels ont en commun une caractristique essentielle: ils reposent sur unestructure dune grande complexit, reconnaissable la distribution sophistique des lments du

    paysage dans lespace ou la combinaison de plusieurs modes dexploitation des terres, comme leschamps, les vergers, les vignobles, les forts, etc. On comprend que de tels modles paysagers aient

    profondment marqu leur zone de rpartition, plus forte raison lorsque celle-ci, comme cestgnralement le cas, couvre une superficie importante. Les modles paysagers ont remani lescadres naturels auxquels ils taient appliqus, modelant des terroirs aisment identifiables diffrentes chelles, et crant une identit sui generis au niveau local, rgional et parfois mmenational.

    Le caractre diversifi et unique des sites et rgions peut galement rsulter, au-del de ceslments anthropiques, de la combinaison de caractristiques naturelles et de structures apportespar lhomme. Cela vaut notamment pour les fleuves, rivires et ruisseaux, les marais, les rochesaffleurantes ou les dolines, ainsi que pour diffrents types de forts et de vestiges forestiers: arbresisols, bosquets et alignements. De ce point de vue, les rivires jouent gnralement un rleimportant, en particulier dans les plaines o leurs mandres bords de forts alluviales forment unlment marquant du paysage. A cela sajoutent les modes spcifiques dutilisation de lespace quisobservent souvent sur les berges des cours deau, tant lintrieur qu lextrieur desagglomrations.

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    A la lumire de ces considrations, nous pouvons donc distinguer trois composantes essentielles delidentit des rgions rurales. Elles sont toutes trois importantes dans une perspective de

    prservation du caractre spcifique de nos campagnes, lment prcieux et indispensable de lacivilisation europenne, donc du patrimoine de lhumanit. Nous savons tous que ces composantessont menaces si ce ntait pas le cas, cette confrence naurait pas lieu dtre. A partir de l, on

    peut se poser les questions suivantes:

    La menace est-elle de mme gravit pour chacune de ces composantes ? Lesquelles de ces composantes pouvons-nous protger efficacement ?

    4. La mondialisation

    La mise profit des innovations dans tous les secteurs de lactivit humaine a toujours t unmoteur de notre civilisation. Linnovation est un corollaire de la concurrence, et la capacit intgrer ses rsultats tait une question de survie autant quun facteur de progrs. Ce constatsapplique tout particulirement la production de biens, aux techniques du btiment et la culturedes terres. A lchelon local toutefois, les innovations ont t intgres progressivement, etgnralement adaptes, notamment dans le secteur agricole, soumis des contraintes pdologiques,

    topographiques, hydrologiques, climatiques et autres. Avec la mondialisation, ce processus prendaujourdhui une nouvelle dimension:

    il est devenu plantaire et touche les sites les plus isols et reculs; il se droule une vitesse fulgurante; il engendre une homognisation grande chelle, voire lchelle mondiale.

    La mondialisation est en passe de stendre rapidement presque tous les aspects matriels de notrevie. Dans le monde entier, les hommes conduisent les mmes voitures et utilisent les mmes ou

    presque les mmes appareils lectromnagers; la tenue vestimentaire nest plus un signe distinctifnational, et encore moins rgional. Tous les quipements techniques et les matriaux deconstruction rpondent des normes techniques qui les rendent, pour beaucoup, uniformes. Latransformation actuelle des campagnes europennes est le rsultat logique et invitable dudveloppement social et conomique en cours, elle est indissociable du phnomne omniprsent demondialisation. A ce jour, les manifestations concrtes de ce phnomne font lobjet de nombreusesdiscussions en raison des atteintes quelles portent tant au patrimoine culturel qu lenvironnement.On peut rsumer comme suit ces atteintes dues aux processus voqus plus haut durbanisation descampagnes et de modernisation de lagriculture:

    abandon des modes de construction traditionnels pour une architecture contemporainesans caractre; utilisation de matriaux de construction standardiss, produitsindustriellement et disponibles dans presque toute lEurope; perte de la cohrence desmatriaux, des couleurs et des styles, au profit dune diversit dsordonne;

    disparition de lancienne organisation spatiale des villages; les nouvelles constructions nerespectent pas le modle traditionnel, dfigurent les zones centrales et les priphries desvillages, brisant ainsi la cohrence de lagglomration et du paysage qui lentoure; cettevolution est parfois accentue par la construction de nouveaux btiments dexploitationagricole vastes et modernes;

    dploiement dune mono-agriculture sur de grandes surfaces, ce qui suppose le dfrichage,ladaptation de la topographie (cest--dire, le plus souvent, nivellement, comblement desdolines et autres dpressions naturelles), la suppression des marais et des petits cours deau,la culture dun nombre restreint de plantes: le paysage largement uniforme qui rsulte, terme, de telles pratiques, se caractrise par une structure extrmement simplifie, une faiblevaleur cologique et un intrt touristique presque nul;

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    nouveau dcoupage du paysage en de grandes units de production, ngligeant latopographie et rompant avec le modelage physioplastique du paysage, qui procdait dunesynthse empirique de la topographie naturelle et des techniques culturales disponibles.

    A lvidence, la mondialisation, pousse par de puissants courants conomiques, est inexorable.Mais ne pourrait-on au moins attnuer ses effets indsirables sur lidentit des campagnes ? On peut

    objecter que si lidentit traditionnelle sestompe, une nouvelle identit est appele sedvelopper ! Certes, mais les tendances actuelles montrent que cette identit sera appauvrie sur le plan culturel et cologique. Aussi il serait plus judicieux de btir lavenir du monde rural ensappuyant sur les traditions et en matrisant son nouveau dveloppement. Il faut se souvenir ici queles trois catgories mentionnes plus haut (btiments, agglomrations, paysages) noffrent sansdoute pas les mmes possibilits dintervention efficace. La catgorie la plus problmatique estcertainement celle des btiments, pour lesquels il sera fort difficile dimposer des rgles. En secondlieu, la multiplication, dans les campagnes, des chantiers et notamment des maisons particulires,rend improbable le respect des modles de village traditionnels. En dfinitive, les paysages ruraux,

    bien quils dpendent troitement du progrs technologique et de la concurrence qui sexerce sur lesmarchs, apparaissent comme la catgorie offrant les meilleures possibilits pour prserver unniveau didentit satisfaisant. Cette apprciation ne revient pas sous-estimer les autres catgories;

    simplement, leurs potentialits sont infrieures celles du paysage.

    Pourquoi, se demanderont certains, le paysage devrait-il tre un enjeu social majeur. Je pense quily a une rponse simple cette question: le monde rural, avec ses richesses culturelles et naturelles,forme aussi le cadre de vie de lensemble de la socit. Cest lespace dans lequel les membres denotre socit esprent trouver, outre la dimension conomique et productive, des apports culturels,des valeurs dnues de signification conomique, et des richesses cologiques. Lorsquelagriculture fera de ce concept son paradigme, elle mritera et obtiendra un soutien financier sansrserve de la part de la socit.

    5. La durabilit et laction

    Appliqu lavenir du monde rural, le concept de dveloppement durable doit imprativementcomprendre certaines activits dont limportance est essentielle, et notamment les suivantes:

    Organiser le dveloppement des agglomrations en suivant des principes qui respectent lestraditions architecturales et les conditions naturelles tout en contribuant linnovation; cet aspectest dautant plus important quun nombre croissant dactivits urbaines sont transfres vers leszones rurales.

    Tenter de parvenir, partout o cela est possible, un amnagement rural des fins agricoleso la tendance actuelle la cration de vastes et mornes espaces cultivs serait abandonne au profitde lintgration des lments naturels, tels que la vgtation ou les caractristiques topographiques

    et hydrologiques; ce faisant, sefforcer de prserver la continuit historique des systmesdutilisation des terres; ce double objectif pourrait mener lmergence de nouveaux types depaysages agricoles, susceptibles de satisfaire des exigences conomiques, culturelles et cologiques.On ne saurait trop insister sur cet aspect, car le paysage est troitement li au processus de

    production agricole; il dterminera en grande partie le futur caractre des rgions rurales.

    Prserver les plus beaux villages et paysages traditionnels, en tant que lun des principauxlments du patrimoine culturel national. Si importante que soit cette mesure, il ne faut pas oublierquelle ne peut protger quune petite partie de notre patrimoine.

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    Accepter lide, incontournable, quune proportion considrable du territoire rural devra treabandonne pour des raisons diverses. La plupart des terres ainsi dlaisss seront livres lasuccession cologique, ce qui, terme, contribuera lamlioration des cosystmes naturels et lmergence dune nouvelle identit.

    Il semble que, pour de multiples raisons, on ne peut concevoir une politique europenne du monde

    rural qu un niveau trs gnral. Chaque pays devra mettre en place ses propres stratgies pourmatriser les principaux facteurs du dveloppement. Il faudra, cet gard, trouver une rponse auxquestions suivantes:

    comment raliser un quilibre entre les activits agricoles et les activits urbainesimportes en milieu rural ?

    Quelles sont les perspectives de lagriculture europenne, globalement et dans chaque pays ? Quelles sont les activits agricoles capables de se maintenir en dehors des zones de

    production intensive, et plus particulirement dans les rgions karstiques et de montagne ? Est-il envisageable de soutenir financirement des rgions qui ne se prtent pas une

    agriculture rentable, pour prserver des villages et des paysages agricoles de valeur ? Quel rle les diffrents secteurs agricoles peuvent-ils jouer, et de quelle manire, en termes

    conomiques et en termes de contribution la diversification du paysage ? Quel niveau de priorit les socits modernes accordent-elles au patrimoine rural, et quelle

    politique rurale doit-on mener au regard de leur apprciation ? Peut-on envisager diffrentes stratgies pour le monde rural, rpondant diffrents

    paradigmes conomiques et environnementaux, par exemple:

    les zones rurales se dveloppent dans lesprit de la mondialisation, conformment des critres exclusivement conomiques; le patrimoine rural est alors abandonn un

    processus de transformation spontan; le dveloppement des zones rurales est encadr et subventionn, afin de prvenir la

    dgradation de leur identit traditionnelle; on sefforce de parvenir un quilibre entre une agriculture et une sylviculture

    viables, dune part, et une conomie rurale encadre et partiellement subventionne,dautre part, dans le but principal de renforcer la viabilit conomique des zonesrurales et de prserver les principaux lments de leur patrimoine architectural et

    paysager.

    La sauvegarde des valeurs que nous avons dcrites ici exige, me semble-t-il, la mise en uvre dunepolitique cohrente reposant sur les lments cls suivants:

    une gestion intgre de lespace; un concept efficace de durabilit pour lagriculture et la sylviculture; une politique quilibre de distribution gographique de la population;

    des mesures efficaces de protection de lenvironnement.Quil me soit permis, en conclusion, de dire que cest l le seul moyen notre disposition pour faireface la transformation grande chelle du monde rural, transformation qui deviendra peut-tre,dans lhistoire de lEurope, le plus grand bouleversement de lorganisation spatiale du continent,opr en lespace dune seule gnration. Et jajouterai que mme ainsi, personne ne peut garantir lesuccs de ces efforts.

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    LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE

    Rle de lagriculture pour un dveloppement durable des zones rurales

    Dr Alexander V. MERSLOVPrsident de lEnvironnementAcadmie de lAgriculture, TimiryasevMoscou, Russie

    1. Limportance de lagriculture dans lconomie de la Fdration de Russie

    Selon un grand nombre destimations srieuses, lconomie russe actuelle se caractrise par unedpression durable et le secteur agricole par une crise de longue dure.

    La Russie avec ses 210 millions dhectares de terres agricoles satisfait 80 pour cent des besoins deses 150 millions dhabitants, alors que lUnion europenne avec seulement 140 millions dhectaresde terres agricoles, produit suffisamment pour 370 millions dhabitants.

    En comparaison avec la Finlande et la Sude, qui ont des conditions naturelles et climatiquesproches, le potentiel de lagriculture russe nest valoris qu 30-50 pour cent.

    Il apparat une tendance la baisse de limportance de lagriculture dans lconomie nationalerusse.

    Tableau 1: Le rle de lagriculture dans les conomies nationales 1995-1996

    EtatsRussie Ukraine Blarus Pologne

    Population (millions dhabitants) 147.5 50,9 10,9 38,5Population rurale (pourcentage) 27,0 32,0 31,0 -Superficie des terres agricoles (millions dhectares) 209,6 40,8 9,3 18,6Part des terres agricoles dans la superficie du pays (pourcentage) 12,0 68,0 45,0 59,0 Nombre dhabitants pour 100 ha de terres agricoles (pour 100 ha) 70,0 125,0 110,0 207,0Part de lagriculture dans la valeur ajoute brute (pourcentage) 9,2 12,7 11,0 6,3Part des agriculteurs dans la population active (pourcentage) 14,4 22,2 19,4 25,6

    Part des investissements dans lagriculture par rapport auxinvestissements totaux (pourcentage) 3,0 8,0 9,0 -

    Exportations totales de produits agricoles (millions US$) 3 194,0 3 065,0 378,0 2 737,0Part des produits agricoles dans les exportations totales(pourcentage)

    4,0 21,0 7,0 11,0

    Importations totales de produits agricoles (pourcentage) 1 1443,0 1 447,0 843,0 3 955,0

    Part des produits agricoles dans les importations totales(pourcentage)

    25,0 8,0 12,0 11,0

    Source: STAT AEI (1997), Commission europenne (1995), OCDE (1997).

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    Avec la mme population rurale, la part des investissements dans lagriculture par rapport auxinvestissements totaux a baiss de 7 a 3 pour cent; la part de lagriculture dans la valeur ajoute

    brute a baiss de 14-15 pour cent 9.2 pour cent. Beaucoup dautres indicateurs importants dudveloppement sont la baisse.

    En mme temps, le rle politique de lagriculture augmente. En tenant compte des dimensions du

    pays, la chute de la production agricole exerce une influence sur le dveloppement du marchagricole mondial. Laugmentation du chmage partiel et la diminution de lautoravitaillementpeuvent provoquer une croissance de linstabilit politique intrieure.

    Lconomie agricole est doublement divise: premirement en conomie de grandes entreprises (lesex-kolkhozes et ex-sovkhozes) et en conomie de petites exploitations paysannes qui ont suivi desvoies proches, mais diffrentes; deuximement en une conomie lgale et illgale. Le doubleemploi de la majeure partie de la population rurale et limportance du troc cachs au fiscdmontrent que lcart entre ces secteurs est trop grand. Cet cart aurait pu tre rduit par une

    privatisation effective, mais en Russie elle na t que formelle.

    Dune part, pendant la rforme des annes 90, certaines conditions pour le dveloppement de

    lconomie de march agricole ont t cres: libralisation des activits conomiques et de laformation des prix, suppression du monopole de lEtat sur la terre, etc.

    La privatisation de la terre et du capital sont pour linstant en Russie, des oprations formelles. Lesnouveaux propritaires ne peuvent tirer bnfice de leurs proprits, puisque la rpartition durevenu seffectue selon la quantit du travail effectu et non selon leur part de lexploitation.

    La privatisation formelle a dtruit les relations existant entre production agricole et transformation,et lagriculture a perdu son influence sur la formation des prix.

    Finalement cela a men une rpartition non proportionnelle entre la production agricole en zonesrurales et la transformation et commercialisation situes dans les zones urbaines. Parmi les

    participants dans la filire productiontransformationcommercialisation, lagriculture sesttrouve lse. La ralisation dune privatisation gratuite ne favorise pas la gense dune cultureentrepreneuriale et commerciale de la part de personnes, habitues la planification et unedistribution centralises.

    La rforme des formes conomiques sovitiques na pas atteint ses buts: les structures de gestion etde production des grandes exploitations sont restes les mmes, les producteurs privs utilisentlargement les ressources des grandes exploitations, souvent sous forme de pillage.

    Lespoir initial, que les nouveaux fermiers privs deviendraient les producteurs principaux, ne sestpas encore ralis. Ainsi, jusqu prsent, les rsultats des rformes pour les grandes exploitations

    agricoles en sont rests au stade de la destruction de lancien systme de livraisons et de ventes, etde la libralisation des prix.

    Dans une proche perspective, le march agricole continuera de fonctionner sous linfluence de troisfacteurs:

    faible demande solvable de la population pour les produits agricoles; rduction de la production agricole; concurrence des produits trangers et menace de supplantation pour les produits nationaux.

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    2. Le rle de lagriculture dans le dveloppement des zones rurales

    Durant plusieurs dcennies dans les villages sovitiques, o historiquement on cultivait le respectenvers la nature et une rationalit centre sur lautosubsistance, on oppressait les groupes sociauxorients vers le march. La population rurale ge, mme ayant reu la terre en proprit na plus laforce de lutiliser effectivement; la jeunesse na pas encore ses objectifs conomiques.

    Lexprience mondiale atteste que des rsultats positifs et durables sont obtenus si la concordancencessaire entre le dveloppement de lagriculture et des autres secteurs de lconomie est atteinte.Dans le cas contraire les disproportions du dveloppement saccroissent de plus en plus, semanifestant par les crises socio-conomiques, et donc par des manques systmatiques de denresalimentaires qui, de leur ct, exercent une influence sur lenvironnement.

    Le modle sovitique de lindustrialisation et de la coopration force, de la nationalisation totalede lconomie, a men vers une diffrenciation excessive de lconomie de la Russie en rgionsindustrielles et agricoles. Ceci a dtermin le rle particulier de la production agricole dans lesrgions rurales.

    Les statistiques officielles ne refltent que partiellement le rle de lagriculture dans les zonesrurales puisque lconomie de nombre de rgions rurales nest reprsente que par les exploitationsagricoles.

    La politique agricole communiste prvoyait linstallation de la transformation et du commerce enzone urbaine, cest pourquoi est apparue une situation o lagriculture reste le seul employeur enzone rurale.

    Dans les rgions rurales, pendant la priode sovitique, un systme sest form dans lequel lesexploitations agricoles ont des fonctions supplmentaires, loignes de leurs objectifs directs:

    1. La source principale des fonds dans les budgets locaux.2. Lexcution des fonctions de service social et communal (infrastructure).

    3. Lamnagement du territoire.4. Employeur principal et source de budgets familiaux.5. Autoconsommation.

    Les points 3 et 4 ont un effet supplmentaire, lamortissement des conflits dans une situation dechmage partiel.

    Le rsultat dune pareille politique est la formation dun systme socio-conomique dans les rgionsrurales centre sur une grande entreprise agricole de type industriel (schma 1).

    Actuellement les localits principales en zone rurale sont reprsentes par les sites centraux desanciens kolkhozes etsovkhozes o sont concentres presque toutes les activits socio-conomiques

    rurales. Le reste est constitu des villages dserts et des fermes prives qui viennent dapparatre(schma 2).

    En rgion rurale se dveloppe depuis 1990 une sorte de symbiose entre les grandes entreprisescollectives et les petites exploitations prives. Ici face des indicateurs conomiques dcevants

    pour les entreprises collectives, les exploitations auxiliaires prives, par contre, se dveloppentassez bien. Au fond, la majorit des grandes entreprises agricoles ont presque cess leurs fonctionsde commerce et remplissent un service social en vendant la population rurale viande et fourrage moiti prix et en leur prtant secours avec leur matriel agricole. Une partie des biens se dilapide.Certaines grandes entreprises laitires survivent principalement grce aux petites exploitations

    prives qui leur livrent plus de la moiti de leur lait.

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    La population rurale, oriente sur lautoconsommation, est attache ses kolkhozes, puisque sanseux la vie deviendrait plus difficile, prive des biens quasi gratuits les obligeant faire montredinitiative conomique. Cela permet ladministration de ces entreprises dexercer une grandeinfluence sur la population rurale, la rendant souvent rticente face aux rformes.

    Schma 1: Systme socio-conomique des zones rurales en Fdration de Russie au dbut des

    rformes 1991-1992

    Production marchande

    Auto Exploitations auxiliaires prives

    consommation

    Productionmarchande

    Production marchande

    * Prestation de services, avis techniques, intrants.Source: Ugarov Alexej, 1997.

    Moyens

    de

    produc

    tion

    Grandeentreprise

    agricole

    Commerce

    S hre sociale

    S re communale

    Sphre productive

    Industries agro-alimentaires

    Marchsinterrgionaux

    Marchs deskolkhozeset rgionaux auxparents en ville

    Services*

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    Schma 2:Systme socio-conomique des zones rurales en Fdration de Russie en 1998

    Auto- Nouvellesconsommation fermes

    Production marchande

    Production Auto- Exploitationsmarchande consommation auxiliaires

    Productionmarchande

    Production marchande

    * Prestation de services, conseils techniques, intrants.Source: Ugarov Alexej, 1997.

    M

    oyens

    de

    p

    roduction

    Grandeentre-prise

    agricole

    Commerce

    S hre sociale

    S hre communale

    Sphre productive

    Industries agro-alimentaires

    Marchsinterrgionaux

    Marchs deskolkhozes et

    rgionaux, auxparents en ville

    Services*

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    Le dveloppement des banlieues, en particulier des grandes villes, se caractrise par une forteconcurrence pour la terre entre propritaires divers. Mme en absence de lois au sujet de la

    proprit foncire, certaines tentatives lgislatives rgionales ont men une attribution desterritoires considrables pour la construction de villas prives et dentreprises industrielles.

    Lun des plus grands problmes du dveloppement des grandes entreprises est la relation non claire

    entre diffrents propritaires fonciers et propritaires de biens.

    On peut diviser les grandes entreprises agricoles en trois groupes:

    Entreprises, avec relations de proprit transparentes au niveau du statut de lentreprise,permettant laccumulation du capital chez un petit nombre de propritaires. Il y existe unintrt pour le dveloppement de la production agricole. Les fonctions de service social etcommunal sont transmises aux administrations autonomes locales. La production reoit unegrande impulsion.

    Entreprises (souvent de trs grande dimension, soutenues par lEtat) avec relations deproprit non transparentes et lection dune direction consensuelle, qui ferme les yeuxsur le pillage des biens par ses membres lavantage des petites exploitations auxiliaires.

    Les fonctions de service social et communal ne sont pas dconcentres; le dveloppementest ralenti. Par exemple, la comptabilit sert camoufler certains indices et non la collectede donnes ncessaires pour laugmentation de lefficacit de lexploitation. Il napparat pasde besoin dintroduire un contrle administratif effectif, permettant dvaluer les pertes etles revenus conomiques.

    Groupe intermdiaire. Si, dans limmdiat, les fonctions de service social et communal nesont pas dconcentres et les relations de proprit claircies, le glissement dans le groupe 2est invitable.

    Actuellement en Russie, 30 pour cent des grandes entreprises sont rentables. En forte majorit ellesappartiennent au groupe 1.

    La concentration et la spcialisation excessive de la production agricole pendant la priodesovitique ont engendr plusieurs problmes en zones rurales.

    Une grande influence sur lenvironnement rural et sur la diminution de la production agricole causeune aggravation de la situation cologique lie la structure socio-conomique des rgions rurales.

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    Tableau 2: Les changements des taux et des rserves en humus des terres noires de la plaine russe en 100 ans

    Types deterres noires

    Rgions Taux (pourcentage) et rserves (tonnes par hectare) dhumus Pertes dhumus en100 ans (tonnes par

    hectare)

    1881 1991

    Contenus Rserves Contenus Rserves

    Terres noires des forts-steppes

    Typiques Partie centrale 10-13 300-330 7-10 220-300 90

    Typiques Partie sud-ouest 13-16 390-480 8-10 240-300 150-180

    Lixiviees Partie caucasienne 7-10 221-315 4-7 150-263 67-81

    Lixiviees Partie des ctes de laVolga

    13-16 390-480 4-7 120-210 270

    Terres noires des steppesOrdinaires Partie centrale 7-10 221-315 4-7 150-263 52-71

    Ordinaires Partie sud-ouest 9-11 270-330 6-8 180-240 90

    Source: Encyclopdie de Brockhaus et Yefron. M -1993.

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    En Russie, seulement aprs 1990, pour des raisons cologiques qui souvent ont rsult de la criseconomique et de lutilisation de terres agricoles pour dautres besoins, environ 30 millionsdhectares de terres agricoles, dont 9 millions de terres labourables, ont t retirs de lutilisationagricole.

    Les donnes sur la dtrioration qualitative des terres labourables montrent une forte dgradation du

    potentiel foncier. Ds 1970 la superficie des terres labourables avec des sols rods, sals et acides at multiplie par deux environ, avec des sols trop humides et rocailleux par trois, avec des solssablonneux par huit. Les pertes de matire organique ne sont compenses qu hauteur dun tiers.A prsent, ces terres sont dans une situation catastrophique. Durant les dernires trente quaranteannes, les terres noires riches de la plaine russe ont perdu un tiers de leur rserve dhumus et lacouche fertile a diminu de 10-15 centimtres. Cette perte de fertilit naturelle correspond une

    baisse du rendement de bl de 8-12 quintaux par hectare.

    A cause de la crise conomique et de la rduction des subventions la production agricole, certainsproblmes cologiques des zones rurales sont devenus moins critiques, certains autres au contrairese sont aggravs.

    Dans les banlieues, la dgradation de ltat de lenvironnement est provoque par une constructiondhabitations prives intense mal fonde cologiquement et par toutes les consquences qui endcoulent: problme des dchets, diminution de la biodiversit, etc.

    Il existe aussi le problme de la mauvaise qualit de plusieurs denres alimentaires importes quirsulte dun bas pouvoir dachat de la population et de labsence dun contrle et dune politiquedEtat efficace.

    Tout cela montre laugmentation du rle de lagriculture dans le dveloppement des zones rurales etdu pays dans son ensemble.

    3. Les perspectives de dveloppement des zones rurales. Le rle de lagriculture

    Les relations agricoles incluent des relations conomiques, juridiques, politiques, culturelles,morales et religieuses mdiatises par une activit spcifique de reproduction de la matire vivante.Elles supposent un degr lev de libert et de responsabilit des personnes impliques dans cesrelations.

    Cest pourquoi il faut considrer la revalorisation de lagriculture et des zones rurales comme unprocessus intgr de la reconstitution du complexe global des relations humaines, tout en tenantcompte des fondements biologiques et climatiques de la production agricole.

    A partir des ces fonctions, lagriculture joue un rle dcisif dans le dveloppement rural en Russie.

    En labsence de financement budgtaire, on ne peut pas esprer un dveloppement durable desrgions rurales sans laugmentation de lefficacit agricole. En mme temps, il devient de plus en plus clair quon ne peut pas assurer le dveloppement durable des zones rurales en sappuyantuniquement sur lagriculture. Il est ncessaire de dvelopper galement dautres activits delconomie rurale.

    Lagriculture doit stimuler le dveloppement de ces activits. Des actions communes coordonnesauront un double effet sur le dveloppement de tous.

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    Les autres activits de lconomie rurale: la transformation, la commercialisation, les loisirs, etc.doivent se dvelopper avec lagriculture ou indpendamment delle. Le modle concret dudveloppement rural dpend dune combinaison complexe de facteurs divers: politique dEtat,

    potentiel humain, dveloppement de lagriculture, ressources naturelles, conditions climatiques,lloignement des grandes villes, lattraction pour linvestissement et les loisirs, situationcologique, etc.

    Les trop nombreuses fonctions des grandes entreprises exercent une influence ngative surlefficacit de leur gestion.

    Le contrle du temps du travail de ladministration des entreprises du deuxime et troisime groupepermet de constater quelles ne soccupent que peu de temps de leurs tches directes car elles sontprises par les problmes sociaux et communaux qui sont les domaines les plus dficitaires de cesentreprises. Il est indispensable de dconnecter ces fonctions de la production agricole.

    Ce processus pourrait tre acclr, si au niveau rgional ou national une politique lgislative derpartition des ressources entre les rgions industrielles et rurales tait mene. Le principe deschances gales de dveloppement pour des rgions aux conditions initiales ingales doit tre

    appliqu.

    La dconcentration des domaines sociaux et communaux et la rpartition des ressources pourraitaboutir un double effet:

    ladministration pourrait soccuper des problmes du dveloppement de lentreprise enrduisant un nombre considrable de ses postes;

    de nouvelles liaisons conomiques et des relations plus transparentes et effectivesrgnreraient la vie rurale.

    Aujourdhui sest forme une situation, o les questions du dveloppement dpendent dun petitgroupe privilgi dadministrateurs, qui souvent ne sont pas intresss de changer leurs habitudes.Si, par exemple, un agriculteur soppose ladministration toute puissante, il naura aucune chancede lui rsister. Cest pourquoi la participation de la population rurale et des administrationsautonomes locales la planification du dveloppement de leur territoire est minimale.

    De nouveaux centres de dveloppement indpendants de ladministration des grandes entreprisesdoivent se former dans les zones rurales. La diversification des activits conomiques pourraitdonner une impulsion la rsolution de ces problmes.

    En mme temps, il faut viter une faillite massive des anciens kolkhozes etsovkhozes, car ceci peutdtriorer la situation sociale et dvaloriser les ressources qui pourraient encore tre utiles(btiments, matriel agricole, btail).

    En raison du manque de ressources locales et du budget dficitaire de lEtat les entreprises agricolesdoivent compter sur leurs propres forces.

    La seule rorganisation structurelle des entreprises agricoles ne pourra pas assurer leurdveloppement durable. La croissance du capital doit tre assure par laugmentation de la part delagriculture dans le prix du produit final.

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    Laugmentation de lefficacit conomique des grandes entreprises va diminuer le rle des petitesexploitations auxiliaires prives:

    il ny aura plus de possibilit de se servir gratuitement des biens des grandes entreprises; le sens du travail bien fait dans les grandes entreprises devrait apparatre.

    Le dveloppement acclr des activits de la transformation et des infrastructures dans les rgionsrurales, permettra damliorer lutilisation et de diminuer les pertes des matires premiresagricoles, qui constituent 25-35 pour cent de la production, ainsi que de crer de nouveaux emplois.

    4. Conclusions

    La privatisation, la transition vers une conomie de march, une nouvelle lgislation, un meilleursystme dducation et dautres mesures sont importantes mais insuffisantes pour la cration desconditions du dveloppement des zones rurales. Pour le mariage dune agriculture haute

    productivit avec le dveloppement durable des rgions rurales, il est trs important de stabiliser lasituation macro-conomique, savoir laugmentation de la montarisation, lamliorations des

    bilans du commerce et de marchandises.

    Dans des conditions politiques et conomiques incertaines, les agriculteurs sont contraints de planifier leurs activits seulement quelques mois lavance. La stabilit est une conditionessentielle pour la rgulation et lutilisation durable des instruments conomiques et administratifs.Cest seulement dans une socit stable que les agriculteurs investissent dans les techniquesmodernes et dans des mesures damlioration du sol et de lenvironnement.

    En Russie, il nexiste pas de stratgie dEtat lchelle de la Fdration qui, premirement, pourraitdonner une orientation positive au dveloppement durable dans le futur; deuximement,correspondrait la mentalit russe et, troisimement, aurait une fonction dintgration desreprsentants de diverses orientations politiques, aspirations religieuses, intrts professionnels,groupes dges, etc.

    Le processus de formation de nouvelles relations sociales et conomiques dans les zones rurales se passe contradictoirement et dpend des prfrences politiques de la population qui sontconditionnes sous beaucoup de rapports par lattitude des autorits rgionales et locales envers lesrformes.

    De l dcoule labsence de politiques intgrant un dveloppement non contradictoire delagriculture, des sphres sociales et de lenvironnement rural. Cest pourquoi laction de lEtat dansles zones rurales se rduit aux oukases et ordonnances incohrentes, contradictoires et courte vuedu prsident et du gouvernement russe. En labsence dun contrle tatique effectif, ces dcrets,souvent, ne sont pas raliss par les destinataires et ne sont pas effectifs. Le dcret sur la

    Conception du transit de la Fdration Russe vers un dveloppement durable sign le 1

    er

    avril1996 par le prsident, est interprt dans plusieurs rgions rurales comme un poisson davril.

    La tche urgente accomplir par le gouvernement et par les dputs est dlaborer des politiques dedveloppement stable de lagriculture et des zones rurales dans le cadre dune stratgie nationale dedveloppement durable.

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    Ces politiques doivent tre cohrentes et parmi tous les lments dun systme durable elles doiventinclure obligatoirement:

    Ladoption, le plus rapidement possible, dune lgislation foncire de quelque forme quesoit, mais transparente. Au mieux, elle devrait permettre de dvelopper la proprit prive dufoncier. Lindtermination produit une situation dimmobilisme et ajoute une incertitude

    immdiate ceux qui esprent raliser leurs droits de propritaire comme pour ceux qui nysont pas intresss. Le march foncier pourrait crer les conditions pour la transmission de laterre des propritaires qui lutilisent inefficacement ceux qui la travaillent vritablement.

    Une solution positive et dfinitive du problme foncier est le dterminant principal pourlaugmentation de la productivit agricole et le dveloppement durable des zones rurales.Ainsi pourrait tre sauvegarde la fertilit des sols, non seulement pour la gnrationactuelle, mais aussi pour les gnrations qui viennent, pour une vie de qualit dans leurpetite patrie.

    La cration de conditions pour le dveloppement des administrations autonomes locales quidoivent prendre en main les fonctions publiques encore assures par les grandes entreprisesagricoles. Lexprience de notre centre du dveloppement durables des zones rurales,montre quil est raisonnable de crer des programmes complexes du dveloppement des

    zones rurales au niveau des frontires administratives municipales avec une participationplus large possible de la population indigne et de toute personne intresse.

    En consquence des raisons voques, il est difficile de dterminer le temps quil faudra pour unprogrs rel du pays vers une socit stable. Il est vident que la Fdration de Russie a un grandretard par rapport aux pays dvelopps, sur la voie dune civilisation durable.

    La cration de conditions pour la ralisation du potentiel naturel, intellectuel et spirituel dontdispose la Russie, permet seule desprer quelle pourra surmonter un rythme acclr latransition actuelle.

    Il est indispensable de crer au niveau national des dispositions structurelles pour le dveloppementdurable. Lanalyse de la situation sociale, conomique et cologique, et les rsultats des recherchesmenes par le centre montre que sans ces conditions, la majorit des initiatives locales sombre sousle poids des problmes mis jour.

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    LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE

    Dveloppement de la biotechnologie et consquences pour lespace agricole et rural

    Dr Klaus AMMANNDirecteur du Jardin botaniqueUniversit de BerneBerne, Suisse

    Toute innovation technologique est porteuse la fois de risques et de promesses. Cest pourquoi le

    biologiste Klaus Ammann met en garde contre les gnralisations htives, quelles soient logieuses oucritiques. Il pense quil faut examiner la situation avec soin et faire la part des choses au cas par cas,afin de promouvoir pour tous une agriculture plus cologique.

    Les cultures gntiquement modifies exploiter au maximum le potentiel cologique

    Il est difficile daccepter lide que lagriculture verte et le gnie gntique ne peuvent coexister, carcela nous amnerait rejeter les slogans idologiques orients des adeptes forcens de lcologiecomme ceux des fanatiques du march.

    Un progrs cologiquement responsable ne peut tre obtenu que par le dialogue entre les chercheurs,les professionnels et les consommateurs, mais un dialogue qui traite aussi les questions au niveau local.Il existe des prcdents: lInstitut fdral suisse de technologie collabore avec lInstitut international derecherche sur le riz (Philippines). Il sagit damliorer les souches locales tout en prservant lesstructures de production existantes qui ont souvent t adaptes et perfectionnes par une traditionsculaire.

    Il est ncessaire de recourir une stratgie de planification de deuxime gnration qui ne soit pasfonde sur des objectifs rigides et prconus comme faire triompher le gnie gntique ouprivilgier une agriculture cologique excluant les technologies nouvelles. Cette stratgie devrait

    plutt chercher rpondre au souhait de toutes les parties de trouver une solution: mettre au point, pourtous, des pratiques culturales qui soient plus soucieuses dcologie.

    Une telle dmarche suppose que tous les intervenants expriment ouvertement leurs intrts etrespectent ceux des autres. Il devrait y avoir un dialogue ouvert et sans arrire-penses. Il faut accepterle principe de symtrie de lignorance (experts et profanes ont diffrents types de connaissances et

    pourtant celles-ci sont tout aussi valables).

    Il convient pourtant de se garder dun excs doptimisme. Ce sont prcisment les caractristiquescologiquement pertinentes dictes par la gntique comme la rsistance au froid et la scheresse qui sont conditionnes par linteraction des gnes, phnomne qui reste encore mal compris.Cependant, notre connaissance des relations systmiques de ces proprits gntiques progresserapidement.

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    Les prjugs largement rpandus selon lesquels le gnie gntique favorise la monoculture; il aide lesmultinationales de la production de semences accrotre leurs formidables bnfices ne font pasavancer les choses. De tels arguments pourraient bien sappliquer des produits qui sont dj sur lemarch, car la plupart dentre eux ont t mis au point pour amliorer lagriculture dans des zones o lamonoculture prdomine. Cependant, les plantes gntiquement modifies de la premire gnration ontt conues pour aider lagriculture intensive, qui exige des apports dnergie importants, devenir

    plus cologique. Les souches de coton et de mas rsistantes aux parasites ont permis dconomiser desmillions de litres de pesticides. Dans le cas de la nouvelle varit transgnique de soja, la greffe dungne tranger permet de remplacer des quantits importantes dherbicides classiques par des produitsorganiques, qui sont dgrads plus rapidement dans le sol. La nouvelle souche assure de meilleursrendements aux agriculteurs et, selon des donnes rcentes, elle affecte moins les systmes

    pdologiques.

    Il ne fait pas de doute que dans les annes qui viennent, les agriculteurs amricains passeront presqueentirement aux cultures transgniques (depuis 1996, la culture de soja est passe de 400 000 4 millions dhectares).

    La scurit alimentaire de ces produits a t teste plus rigoureusement que celle dautres souches

    cultives selon les mthodes classiques. Il sagissait avant tout de vrifier la toxicit et le potentielallergne des protines greffes (dont une protine provenant dune bactrie commune dans le sol). Lestests ont montr que les deux protines sont mtabolises rapidement par le suc gastrique, si bienquelles ne prsentent aucun risque dallergie alimentaire. De nombreux tests ont limin toutes lesautres rserves que les consommateurs pourraient avoir. Ces nouvelles cultures sont donc considrescomme trs sres. Nanmoins, il faut que ces produits soient tiquets avec soin et spars en fonctiondes besoins des consommateurs, qui doivent avoir le droit de choisir.

    Les spcialistes de la recherche et du dveloppement auraient pu se reposer sur leurs premiers lauriers.Un coup dil la littrature spcialise montre quil nen est rien. Environ soixante-dix souchesdiffrentes font actuellement lobjet de modifications gntiques et de tests dans le cadre de plus de3 600 expriences sur le terrain sur plus de 15 000 parcelles diffrentes sans aucun effet ngatif. Le

    rythme de dveloppement sacclrera aprs les laborieux tests du dbut. Bientt, toutes les grandesespces cultives dans le monde seront gntiquement modifies. Il y aura prochainement dans leschamps des centaines de varits transgniques avec des combinaisons diffrentes, si bien quil fautsuivre avec attention lvolution de la distribution massive des OGM.

    Nous pourrons, en Europe aussi, amliorer un grand nombre de nos produits alimentaires par desmodifications cibles des proprits des espces cultives sur le plan de la production, du got et dela conservation. Il doit y avoir des contrles de qualit stricts, comme pour les produits alimentairesclassiques.

    Nanmoins, lcologiste que je suis estime que nous devons adopter une attitude critique face cettevolution et examiner plus en dtail les problmes de flux gntique qui se posent dans ces applications

    de masse. Les gnes rcemment greffs dans les espces modifies pourraient se propager parpollinisation croise avec des souches sauvages apparentes. Ce flux gntique varie beaucoup selon lasouche et la rgion; le risque est faible ou inexistant en Europe et en Amrique du Nord dans le cas dusoja, du mas, du bl, du seigle, de lorge, de la pomme de terre, de la tomate et de certains types detrfle. Au contraire il est assez lev dans le cas de lendive, du navet, du colza, du chou, du radis et dela chicore. Il est trs lev dans le cas de la carotte, de la luzerne, et de la plupart des espces et dessouches dherbe sauvage qui font aujourdhui lobjet dune culture intensive (pour les pelouses, lesterrains de sport et les terrains de golf). Dans ce dernier groupe despces cultives, il est en fait trs

    probable que les gnes se propagent, ce qui nimplique pas ncessairement un effet ngatif surlenvironnement.

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    Il faudrait sabstenir de raliser ces expriences haut risque tant que lon ne pourra exclure aveccertitude une pollinisation croise des nouvelles varits. Ce principe sapplique notamment au colzagntiquement modifi, dont il est tabli que la tolrance aux herbicides est passe, par pollinisationcroise, des espces sauvages apparentes. Une solution a dj t trouve dans ce cas: des souchesde colza qui nexpriment pas les transgnes dans lADN nuclaire du pollen ont t mises au point: dessouches de nombreuses espces cultives qui contiennent les transgnes utiles uniquement dans les

    plastes comme les chloroplastes (organites qui contiennent la chlorophylle) ont t produites enlaboratoire. La propagation des transgnes serait alors impossible par transmission hrditaire, car la plupart des espces nassurent pas la transmission des gnomes plastidiaux dans le processus defcondation, lors de la fusion des gnomes du pollen (mle) et de lovule (femelle).

    Actuellement, la quasi-totalit des terres arables sont traites avec des herbicides, dont la plupart sontdes produits chimiques qui ne se dcomposent que lentement. Le gnie gntique permet aujourdhuidobtenir une rsistance (tolrance) partielle des herbicides organiques rapidement dgradables et quiauraient sinon un effet nocif sur toutes les plantes.

    En faisant une utilisation intensive de dsherbants, lagriculture classique a conduit lapparition devarits tolrant ces produits bien avant que lon puisse envisager de faire appel au gnie gntique. En

    Suisse, on connat dj douze varits de mauvaises herbes qui rsistent un herbicide chimiqueappliqu par pulvrisation. Comme cet herbicide nest plus pulvris aussi abondamment, on supposeque les mutants naturels et gntiquement stables vont nouveau rgresser, mais il faut bienreconnatre que personne ne connat vraiment le devenir de ces mutants rsistants aux herbicides. Ilsdisparatront faute de pression slective, car la souche originelle prendra nouveau le dessus sur lemutant. Cest ce qui a t prouv en Isral dans le cas dune mauvaise herbe mutante tolrante auxherbicides. Un brachypode tolrant aux herbicides, qui ntait apparu quen raison de laspersionmassive dherbicides pendant de longues annes, a disparu nouveau en six ans environ, une fois queles traitements eurent cess. Mais dans lensemble, nous navons en la matire que des connaissancesfragmentaires. tant donn lignorance qui prvaut dans lagriculture classique, on peut aussiconsidrer le gnie gntique, dapparition rcente, comme une technique de marquage bienvenue, qui

    permettra davoir de ces processus une connaissance plus approfondie et plus prcise.

    Dun point de vue cologique, il faudra de toute manire renoncer la stratgie de recours perptuel etuniversel aux herbicides. En effet, ce recours nest acceptable que comme solution court terme. Selonles responsables de la recherche-dveloppement de grosses socits, la stratgie de traitement auxherbicides est considre long terme comme une impasse. Lcologiste que je suis ne peut que sefliciter de telles dclarations.

    A en juger par les expriences de laboratoire, un autre problme pourrait tenir lapparition dunersistance prmature chez les insectes parasites. tant donn la forte pression slective qui sexercesur eux dans les grandes plantations de mas-Bt actuellement trs nombreuses, les insectes parasites ne

    peuvent survivre quen sadaptant, cest--dire en dveloppant une rsistance par mutation. Une

    nouvelle protine est cre par un gne du mas-Bt, qui provient de la bactrie commune du sol appele Bacillus thuringiensis (Bt). Le rsidu mtabolique de cette protine ronge lappareil digestif de lapyrale du mas et le parasite meurt de faim. Cette protine est aussi le principal ingrdient dun produitorganique avec lequel les agriculteurs cologistes traitent leurs cultures depuis de longues annes.

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    Lapparition dune rsistance ne peut tre djoue que par une gestion spciale de la rsistance desespces cultives. Ctait aussi la raction habituelle la rsistance de type classique. Des tests sontactuellement raliss pour voir si une solution pourrait consister mnager pour les insectes dessanctuaires, o des espces vgtales classiques, non rsistantes, seraient cultives. La rumeur selonlaquelle ds 1996, les insectes avaient dj dvelopp une rsistance au coton-Bt dans le sud des tats-Unis sest rvle sans fondement. Aprs avoir t isols avec soin, plus de 200 chantillons dinsectes

    se sont avrs non rsistants la protine Bt.

    Des problmes daccumulation de protines spcifiques comme les toxines Bt peuvent aussi apparatreen raison de lenfouissement dans le sol lors du labour de grandes quantits de protines nouvelles avecles dbris des plantes elles-mmes. Il est donc ncessaire de vrifier ce point avec soin pendant

    plusieurs annes. Cest pourquoi, il faut envisager la culture initiale grande chelle dans un contexteglobal. Lventualit deffets nfastes long terme sur la microfaune du sol ne saurait tre cartedemble, bien que des tudes de terrain prliminaires aient montr que le risque est faible.

    Dans lensemble, ces problmes doivent faire lobjet dtudes scientifiques. Aucun chercheur ne peutse permettre de se consacrer aux effets ngatifs ventuels de nouvelles varits issues desmanipulations gntiques lexclusion de toutes les autres pratiques agricoles. Une dmarche

    beaucoup plus efficace consiste tablir une comparaison objective avec les mthodes culturalesclassiques, en tenant compte de leurs inconvnients, qui sont souvent bien plus grands. De nombreuxtests sur le terrain ( petite et grande chelle) ont montr que les cultures despces transgniquessont moins nfastes pour les insectes utiles (non viss) que le traitement par des pesticides. Unecomparaison objective rvlerait que les pratiques agricoles classiques, telles que le labour, la rotationdes cultures et le traitement rpt par toutes sortes de pesticides est bien plus nfaste pour les insectesutiles que lintroduction progressive et prudente de varits transgniques qui seraient suivies avec soinsur plusieurs annes.

    Le dveloppement futur des OGM devra invitablement tre associ des stratgies agricoles pluscologiques. Nous avons encore beaucoup apprendre sur la rsistance naturelle et systmique, sur lesgnes de rsistance des plantes elles-mmes, sur la structure du gnome, sans parler des nombreusesdcouvertes inattendues que la recherche nous rserve encore.

    Dun point de vue cologique, il faudrait passer de la premire tape de mise au point dorganismesgntiquement modifis par un gne unique qui produit des protines bactriennes ayant un effetantiparasitaire des mthodes plus raffines de dveloppement de varits. Il faudrait parvenir unesorte de biotechnologie de prcision, qui permettrait de renoncer la monoculture au sens traditionneldu terme, monoculture qui est la porte ouverte aux nouveaux parasites et la cause dune guerreincessante contre des invasions dorganismes nuisibles.

    La biotechnologie de prcision pourrait apporter une plthore de gnes de rsistance, qui seraientassocis les uns aux autres de manire diminuer considrablement les risques dattaques nouvelles de

    parasites. Cela permettrait de crer une situation qui serait proche des conditions naturelles, o lonrencontre des centaines despces et des milliers de gnes de rsistance diffrents au kilomtre carr. Silon sabstient de recourir massivement aux pesticides, les insectes utiles reviendront, ils sadapterontaux OGM et feront baisser la pression slective, car les stratgies quils ont labores contre lesinsectes parasites sont trs raffines et beaucoup plus varies que tout ce quun agronome peut faire

    pour tenter dimiter la nature.

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    LESPACE RURAL DANS LA NOUVELLE SOCIETE POST-INDUSTRIELLE

    Consquences sur lamnagement du territoire des innovations scientifiques et technologiquesdans lagriculture

    M. Claude HUSSONConsultant territorialLimoges, France

    1. Introduction

    Deux milliards dtres humains souffrent de carences vitaminiques ou minrales, 800 millions demalnutrition chronique, 40 000 meurent de faim chaque jour.

    lUnion europenne sinterroge sur le taux de mise en jachre obligatoire imposer sesagriculteurs.

    Lamnagement des territoires ruraux des pays membres du Conseil de lEurope, tendus du Dtroitde Gibraltar aux les Kouriles sanalyse lchelle mondiale. Rduire lamnagement sesdimensions locales ou rgionales conduit des politiques inadaptes.

    Lamnagement de ces territoires exige aussi une analyse historique. A travers celle-ci se manifestela diversit extrme des agricultures et des situations rgionales. Les sols et les climats sont la

    premire cause des diffrences; lingalit des volutions technologiques en constitue la seconde.Des deux rsulte une diversit qui a pu longtemps tre ignore mais qui ne peut plus ltre dans lecadre de la mondialisation.

    Cette perspective ouvre lespoir dune rsolution des problmes de la faim, par lexportation versles pays les plus dmunis des productions agricoles excdentaires. Ltat du progrs scientifique

    permet de lesprer, mais la distance est immense entre les capacits technologiques et celles de leurmise en uvre dans des conditions conomiques et sociales adaptes. En ralit, lagriculture dumonde et avec elle les territoires ruraux sont menacs dune dstructuration que la poursuite non

    matrise des innovations scientifiques et technologiques risque daccrotre. Il importe doncdexaminer les liens entre ces innovations et la problmatique gnrale du monde.

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    Organiser lapplication en agriculture du progrs gnral des sciences et des techniques est unecontrainte politique majeure. Il ne suffira pas de produire plus, ft-ce dans des conditionsdchanges respectueuses de lquilibre des agricultures des diffrents territoires. Les innovationsdevront servir aussi permettre de produire mieux. Innover en agriculture signifie aussi et signifierade plus en plus apprendre grer autrement le sol, leau et lair. Lagriculture est un responsablemajeur de lchauffement de latmosphre. Quand, vers 2050, la population mondiale aura peu

    prs doubl, le taux dmission de CO2 devrait lavoir fait galement. Les autres gaz effet de serreproduiront le mme effet, pouvant se traduire par des modifications climatiques catastrophiques. Lemthane des rizires et des levages proccupe. Le maintien de la diversit biologique qui va lencontre des slections amliorant les rendements pose lui aussi problme. Que dire destechnologies transgniques et des clonages! A travers ces exemples sexprime ce qui constitue peut-tre la contradiction majeure devant laquelle se trouve lhumanit: se nourrir tout en protgeant la

    plante.

    Force est de constater quen dpit des menaces, la mondialit conomique suscite le dsordre desamnagements. La rorientation ncessaire viendra-t-elle de lEurope ? On peut estimer que celle-cisera avant dautres territoires, contrainte une autre vision de son agriculture et de ses territoiresruraux. Comment lUnion pourrait-elle, dans le cadre actuel, procder son largissement alors que

    les dix pays dEurope centrale et orientale, candidats ladhsion comptent plus dagriculteurs quetoute lEurope des quinze et quils y reprsentent 22,5 pour cent de la main-duvre pour 5,3 pourcent seulement dans lUnion. De la ncessit peut natre la prise de conscience conduisant innover

    pour que cesse le processus qui, livr sa seule logique pourrait, comme la entre autres soulignEdgar Pisani, ancien Commissaire europen lagriculture, conduire la concentration de 70 80

    pour cent de la production agricole des Quinze sur le littoral compris entre la Bretagne et leDanemark.

    Linnovation est matriser pour mieux servir les aspirations humaines. On dlocalise un atelier,pas un sol. Sur lavenir des territoires ruraux se lira celui du monde.

    2. Problmatique gnrale

    Les innovations scientifiques et technologiques dont lagriculture fait lobjet, sont insparables duprogrs gnral des sciences et des techniques. Elles ont crit lhistoire. Delles dpend lavenir.

    La premire innovation fut lagriculture elle-mme quand lhomme dcouvrit quil pouvait planteret rcolter. Aux chemins des nomades succdrent les sillons des tribus sdentaires. Sur une terrequeffleuraient les parcours se sont inscrites danciennes et profondes lignes damnagement. Desdfrichements successifs ont tendu les champs de cette agriculture primitive. Lhomme apprit aussi tirer davantage dun mme sol. Au terme provisoire de millnaires de progrs est ne lagriculturemoderne. Mais la marche fut ingale. En combinant ses effets avec ceux des carts naturels de

    productivit linnovation a diffrenci les modes dexploitation des sols.

    Longtemps, la diversit put tre ignore. Les difficults des communications et ltat rudimentairedes mthodes de conservation limitaient les changes. Hors des zones de proximit ils ne portaientque sur le luxe et le ncessaire, lor et le sel. Quand des marchs souvraient, ctait pour compenserle dficit dune production vitale, le bl principalement. Aujourdhui, sans quon puisse lesconsidrer comme totalement indispensables lquilibre nutritionnel des populations, le kiwi de

    Nouvelle-Zlande, les bananes des Antilles, le raisin dAfrique du Sud, les avocats dIsralvoisinent sur les rayons des hypermarchs avec lorange, qui nest plus le fruit exceptionnel desfestivits de Nol. Avec galement, parmi eux les pommes et les poires locales.

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    Cette situation nouvelle est issue de la convergence des innovations portant sur les productionsagricoles, les transports, les modes de conservation. Elle exprime limpact sur lagriculture du

    phnomne gnral de la mondialisation, suscit par la mme cause: le progrs des sciences et destechniques qui augmente les productions, les diversifie et permet leur change. Le processusremonte aux origines, mais son acclration contemporaine et son amplification lchelle dumonde prcipitent dans une mme concurrence des agricultures, des conomies, des territoires, des

    hommes et des femmes ingalement prpars et aptes sy adapter.

    Des centaines de millions dtres vivent dans des agricultures qui ont peu volu. Outre leur retardtechnologique, celles-ci se caractrisent par leur autarcie et par la limitation de leurs productions lexploitation de ressources strictement dtermines en varits et quantits par les conditionsnaturelles. En de nombreux lieux simpose la domination presque exclusive du riz. Ailleurs se

    pratiquent des systmes polyculturaux rudimentaires. Ces agricultures ncessiteraient dimmensesinvestissements dinnovation pour produire plus tout en conomisant et prservant le sol etlenvironnement gnral. Elles en sont pour beaucoup incapables. Mais cest sur leur territoire quese produit lessentiel du crot dmographique mondial, alors quelles ne parviennent dj plus nourrir leurs populations. Elles contraignent lhumanit un type dinnovation quelle na pas suencore accomplir: faire coexister ces agricultures et les plus performantes, afin que toutes

    concourent au mme objectif primordial: nourrir le monde sans que la concurrence des plusproductives fasse disparatre des agricultures fragiles mais indispensables loccupation de vastesterritoires, la vie des socits qui les peuplent et pour longtemps encore leur alimentation.

    Dans deux gnrations seulement, la population du monde pourrait avoir presque doubl, passant de5,5 prs de 10 milliards dhabitants dici 2050. La poursuite du progrs agricole devrait

    permettre de nourrir toutes ces bouches. Mais saura-t-on imaginer et appliquer lorganisationrequise, dont la complexit dfie ? La voie emprunte est celle du march. Elle conduit aurenforcement des ingalits entre les agricultures. Les plus comptitives simposent; lavancequelles ont acquise et les bnfices quelles ralisent leur permettent un meilleur accs larecherche et ses applications. Linnovation produit un effet daccumulation. Le march mondialsert donc dabord les intrts de lagriculture amricaine et de quelques autres, du Canada lAustralie. DEurope galement. Mais lEurope, surtout lorsquon la considre dans sa dimensioncontinentale, touche en fait aux deux situations extrmes. Dune gographie diversifie procdelexistence dune multitude de paysages agricoles. On y vit encore en agriculture dautosubsistance,on y participe aussi, en vive concurrence avec les Etats Unis, au commerce alimentaire mondial.Cette situation lexpose des conflits dintrts entre ses propres territoires agricoles. Elle la placeaussi en tat de mieux comprendre la ncessit de ne pas laisser aller lvolution sans tenter delorganiser.

    Continent favoris, lEurope doit la nature les lments constitutifs de sa fortune et de sonhistoire. Selon les termes mmes de Sir Leon Brittan, commissaire europen, lagriculture y estbeaucoup plus quune usine fabriquer des aliments1. De cette gographie physique est ne la

    gographie humaine qui se lit dans la rpartition de la population. La ville, qui exige une productionagricole excdentaire, a trouv en Europe un terrain favorable. Sur la mosaque des terroirs se sontorganiss des pays dots au moins dun bourg. Une dynamique de progrs mutuel sest instaure.La cit a dvelopp des activits sans cesse plus nombreuses et plus varies, sa population sest

    1 The Europe we need. Hamish Hamilton, Londres 1994.LEurope quil nous faut. Plon, Paris 1994.

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    accrue. Lagriculture, sollicite davantage, a intgr dans ses activits des innovations issues deslaboratoires urbains. Le prix quelle en eut payer fut la rduction de sa force de travail, ranon dela productivit acquise. Mais, bien que cela nait pas t sans dinnombrables drames humains, uncertain quilibre a gnralement pu stablir. Les emplois perdus par lagriculture se retrouvaient enville. Des initiatives spontanes ou des politiques damnagement ont mme permis que se crentsur place des activits autres. Lorsque ce ne fut pas possible lEurope a transfr dans ses

    possessions doutre-mer des populations qui y ont introduit une agriculture nouvelle; plaque pardes cultures coloniales, ou tendue sur des espaces vierges. De ces derniers, que la jeunesse de leuragriculture rend particulirement rceptifs aux innovations, viennent aujourdhui des concurrencesagressives et dangereuses pour les productions europennes.

    On voit ainsi. sur un march sunifiant, poindre trois types contrasts dagriculture une agriculturede subsistance nexistant plus que de manire marginale en Europe, une agriculture de grandes

    productions banalises lchelle du monde, une agriculture de spcificits fortement prsente enEurope.

    Lagriculture de grande production devient la rfrence du march. Elle porte sur des biens majeursmais courants: bl, betteraves, colza, mas Elle appelle dabord des innovations de rendement. Au

    fur et mesure quelle les met en uvre, elle marginalise les produits de mme nature desagricultures traditionnelles. Stendant de plus en plus de biens, elle gnralise une agriculturestandard. Mme les fraises font lobjet de cultures tendues jusqu lhorizon des plainesamricaines. Aux terroirs, le progrs substitue des territoires agricoles juxtaposs. Lvolution estaccorde au mode dexploitation des sols des pays nouveaux o la ville nest pas ne de lacampagne. Elle rpond aussi aux aspirations de ceux qui ont dabord besoin de produire plus etmoins cher pour nourrir leurs populations, ft-ce au prix de spcialisations prilleuses sur descultures spculatives. Elle est contraire lesprit des cultures terroir unique o le respect de ceux-ci prime sur les innovations on ne change pas le cpage dun grand vignoble comme une varitde mais. Elle est contraire plus gnralement lesprit de recherche systmatique de la qualit quenraison de ses progrs prcdents et du niveau de vie de la majorit de ses habitants, lagricultureeuropenne peut aujourdhui se permettre. LEurope connat mme la situation paradoxale dunelimitation volontaire des rendements. Pour nombre de ses productions le dveloppement dune

    politique dappellation dorigine sinscrit en contrepoint ncessaire des innovations. Cest pour desterritoires ruraux fortes caractristiques le seul moyen de rpondre la concurrence des

    productions massives entreprises ailleurs. L o ses sols nimposent dvidence ni lune ni lautredes options, lagriculture europenne devra se dterminer entre les deux: primaut donner laquantit ou la qualit.

    Mais, lamlioration des technologies ne libre pas de tous les dterminismes. Celui de la nature estcelui qui sefface le moins aisment. Malgr quelques transgressions, dont quelques unes fortimprudentes, la terre, leau, le climat simposent encore. A lintrieur de leurs contraintes, rarementfranchissables, linnovation accrot les carts. La diversit et lingalit sont inscrites dans le destin

    des agricultures du monde plus structurellement que dans celui des autres activits.

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    3. Les innovations, entre cologie du monde et conomie des territoires

    Limpratif demeure: nourrir les hommes. Renoncer pour le plaisir du got aux innovations qui permettent laccroissement des rendements est un luxe de ventres pleins. Une humanit de dixmilliards dtres ne pourra se laccorder. Il lui faudra produire plus par ncessit, en sefforant decontinuer rcolter pour le plaisir. Produire mieux aussi car lagriculture et llevage qui en est

    insparable, participent dangereusement lchauffement de latmosphre qui menace la vie mmede la plante. Quand, vers 2050, la population aura quasiment doubl, le taux de dioxyde de carbonedevrait lavoir fait galement, mais la disponibilit des terres arables par habitant aura diminu demoiti, passant de 0,3 hectare un chiffre compris entre 0,l et 0,2. A cette chance leffet de serreaura-t-il commenc transformer la gographie des territoires de production ? Laridification desrivages mditerranens et du grenier cralier ukrainien est envisage. De mme, la perspective desubmersion de basses terres fertiles o sagglomrent des centaines de millions dtres. Passeulement dans le delta du Nil ou au Bangladesh; Londres, en Hollande, au Danemark et autour dela mer Baltique aussi. Mais les zones sub-arctiques pourraient, elles, tre mises en culture.

    Lventualit aujourdhui reconnue possible, sinon probable, de bouleversements cologiques plantaires aux consquences incommensurables et lexplosion dmographique, fait patent,

    commencent rorienter les politiques. Redfiniront-elles les agricultures et leurs territoires ? Lesplaines fertiles et les gras herbages auront-ils nourrir les populations du tiers monde ? Acceptera-t-on encore les champs de tulipes ? Produire plus cest, superficie constante, intensifierlagriculture. Produire mieux pour respecter les sols, lair et leau incite au contraire lextensification et rend plus difficile lquilibre des contraintes opposes. Quand les solidaritsoublies et les dangers ngligs seront devenus obligations politiques, le monde aura concilier lesdeux orientations. Ds prsent, cest elles quil convient de se rfrer pour imaginer le devenirdes territoires ruraux. Dans la synthse laborer, le progrs scientifique et technologique tiendraune place dcisive.

    Les tonnages naugmenteront pas sans de nouvelles technologies productives, encore plusperformantes. Le dveloppement durable lui-mme ne sobtiendra pas sans innovations. Certainesseront de vritables rvolutions. Elles porteront tout autant sur les processus de rnovation et de

    prservation du capital naturel que sur ceux de la production. Le dveloppement durable ne signifie pas le retour une nature idyllique. Il ne signe pas non plus un blanc-seing de revanche desterritoires aux agricultures extensives sur les tables, les porcheries et les poulaillers industriels.Aprs avoir oblig reconsidrer les jugements ports sur certaines pratiques telles que le hors sol,que des innovations peuvent modifier, il remodelera peut-tre les gographies dune manireinattendue. Par ses innovations, le dveloppement durable sera conflictuel. Il opposera des intrts,donc des territoires, et des intrts entre eux sur le mme territoire.

    Le premier domaine dapplication est la prservation des sols eux-mmes et de leurs capacitsproductives. Lancienne technique de repos en jachre est remise dactualit par les proccupations

    budgtaires de lUnion europenne, soucieuse de rduire ses excdents. Mais, pour rpondre lademande, cest plutt vers des utilisations reconstitutives en mme temps que productives que lespolitiques sont orienter. Les recherches conduire en ce sens se combineront avec le retour auxavantages oublis des talus qui protgent des vents et du ruissellement et composaient des paysages

    plus attractifs.

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    Bnfique pour lagriculture, la reconstitution des sols ou leur enrichissement ne le sont pastoujours pour lenvironnement. Aux quantits considrables de gaz quils rejettent naturellement,sajoutent celles qui rsultent de leur bonification et des cultures. Ils seraient responsables dunemission de C02 dix fois suprieure celles des nergies fossiles. Mais le monde est si complexeque dans la chane des interactions les contraires se succdent. Les uns dnoncent la responsabilitdes engrais dans la production doxyde nitreux, dont lagriculture est de trs loin le principal

    responsable, dautres prconisent le dveloppement de cultures intensives pour piger le C02 !Encore les nitrates sont-ils utiles lagriculture, ce que ne sont pas les mtaux dont lliminationdevient une proccupation majeure. Nos engrais sont trop naturels. Il faudrait les rendre pluschimiques quils ne le sont pour en faire des engrais plus purs, dnus de mtaux lourds. JeanBoulaine, sexprimant ainsi au seizime congrs mondial de la Science du Sol, organis en aot1998 Montpellier, ajoutait: Expliquer cela des cologistes, cest difficile1. On peut penser quefaire admettre par les urbains que ce nest pas aux agriculteurs et leurs territoires de payer larcupration des mtaux dans les gadoues qui proviennent de leurs dchets sera au moins aussidifficile. Les technologies dlimination mettre en uvre, vrai dire plus coteuses quesophistiques, ouvrent un nouveau terrain de conflit entre les citadins et les ruraux.

    Il en existe maints autres. Ils sont nombreux dans le domaine hydraulique o leur rsolution est

    complique par les usages multiples et successifs de leau. galement par limportance despollutions dorigine agricole et la raret croissante dune ressource vitale.

    La nouvelle rvolution verte, prconise dans les pays les plus dmunis, envisage ledveloppement des cultures hydroponiques o leau, pralablement enrichie et parcimonieusementdistribue, remplace le sol. On peut imaginer que cette technologie se substitue quelques pratiquesintensives ou quelle y soit introduite en complment, dans le marachage notamment, o elle a dj

    pntr. Mais cest de technologies plus rudimentaires quil convient en Europe de se proccuperdabord pour faire face aux dficits hydriques provoqus par lagriculture moderne et sa mise encomptition avec dautres utilisations. Le bl, ce mangeur deau assche les nappes phratiquesde lle de France, dj sollicites excessivement par les ponctions de lagglomration parisienne.Celle-ci doit puiser, de plus en plus loin, dans les rserves de territoires ruraux qui voient scoulersans profit pour eux leur ressource hydraulique. De la manire dont sera assure la matrise de leau,dpend lavenir dun grand nombre de pays ou rgions et la rsolution de dangereux conflitsdintrts: entre la Turquie et ses voisins du Proche-Orient, entre la Hongrie et la Slovaquie, entrergions dun mme Etat. Entre lamont et laval. Ainsi en Espagne, o les besoins de lagricultureirrigue de lExtrmadure et de Murcie les opposent aux rgions du Centre et du Nord qui veulentconserver leur eau pour leur propre usage. En Catalogne, cest celle du Rhne quon attend. Mais,

    pour y parvenir, elle devra couler entre les cultures des paysans du Languedoc-Roussillon quirefusent de la laisser aller fructifier les terres de leurs concurrents doutre-Pyrnes. Peut-tre,empruntant le canal creus au dix-septime sicle pour relier la Mditerrane lAtlantique, ladirigera-t-on finalement vers les plaines franaises de la Garonne, leau tarie par logre-mas. Ilfaudra matriser demain, partout, les techniques ancestrales de captage dacheminement et

    dutilisation de leau. Une innovation agricole majeure, impose par la culture de vgtaux de plusen plus exigeants en eau et slectionns au terme de recherches de plus en plus sophistiques, est leretour limmmoriale pratique des aqueducs! Cela ne suffira pas.

    1 Cit parLe Monde du 29 aot 1998.

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    La recherche doit continuer de sorienter vers la slection de varits meilleures transformatricesdes lments nutritifs et encore plus conomes. Ce faisant, lagriculture va tendre rduiredavantage la richesse phytogntique de la plante. Lappauvrissement de celle-ci a pourtant djncessit ladoption dun plan mondial de sa conservation (Leipzig, 1996). Lagriculture de demain,

    plus resserre dans ses choix, sera aussi, de ce fait, plus expose aux attaques parasitairesauxquelles, en dpit des progrs raliss, elle restera sujette. Le territoire de grands espaces de

    productions uniques, qui remplace les terroirs, supprime la diversit qui protgeait les rcoltes deceux-ci. Le progrs des changes et des techniques rend les productions agricoles plus sensibles, la fois la nature et aux marchs, en mme temps que par ailleurs il tend en librer...

    Le progrs a pour effet aussi daccrotre la dpendance lgard de fournisseurs de plus en pluslointains et puissants. Une nouvelle tape vient dtre franchie par lexprimentation du clonageanimal et lintroduction des cultures gntiques. Dolly la brebis cossaise et Marguerite la vachelimousine, prfigurent peut-tre un nouveau mode de slection qui, aprs la diminution de ladiversit des races leves, provoquerait celle des individus. Demain, peut-tre connatra-t-on destroupeaux aux individus uniformes. Sur les foirails, les reprsentants de commerce des laboratoiresctoieraient les maquignons.

    Aux tats-Unis, 320 000 km2 quivalant la superficie agricole utile totale de la France, sont djconsacrs la culture de plantes transgniques. lUnion europenne son tour est pntre, alorsque ni le dbat scientifique ni lconomique ne sont clos. Le mas, le colza, et la betteraveconstituent les premiers domaines dapplication dune technologie qui concerne aussi la tomate, la

    pomme de terre, le coton et qui devrait se gnraliser. Elle