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FORUM 2003 DE LA RÉGULATION : 1/21 STRUCTURE ET MODÈLES ÉLÉMENTAIRES DE LA FIRME UNE APPROCHE HYPOTHÉTICO-DÉDUCTIVE À PARTIR DES INSIGHTS DE JOHN R. COMMONS Bruno Théret janvier 2003 révisé mai 2003 Article pour la revue Économie et institutions Résumé : L’article cherche à déduire des axiomes que John R. Commons pose au fondement de son économie institutionnelle une modélisation de la firme capitaliste comme organisation assise sur le rapport salarial. Il montre dans une première partie que Commons développe une conceptualisation - une formule dans son langage - de la firme comme organisation collective dynamique (going concern) qui distingue clairement organisation et institution et y intègre de manière fine le jeu de relations hiérarchiques et contractuelles. Dans une deuxième partie, l’article spécifie la « formule » commonsienne de l’organisation dans le cas de la firme capitaliste en y introduisant le rapport salarial. Cette spécification permet de construire, sur un mode hypothético-déductif, une typologie de modèles d’entreprise qui montre l’intérêt des « formules » commonsiennes pour les débats sur la diversité des rapports salariaux qui sont au principe de la pluralité des formes de la firme capitaliste. Abstract : The article formalizes an elementary structure of the capitalist firm considered as an organization build on the wage relationship, and then elaborates a typology of its different possible forms. Such a structure of the firm is derived from the axioms that John R. Commons assumes to be at the basis of his understanding of institutional economics. In a first section, we show that Commons develops a conceptualization - a formula in his own language – of the firm as form of a more general organization called « going concern ». This conceptualization clearly distinguishes organizations from institutions, and finely articulates contractual and hierarchical relations between the members of concerns. In a second section, we specify the Commons’ formula of the organization of a capitalist firm through the introduction of the wage relationship as an hybrid of contracts and hierarchies. In a third section, this formula of the capitalist going concern is used, through a deductive structural analysis, to build a typology of firms that fits to ideal-types induced from evidence in the litterature on the topic. Thus Commons’ institutional economics appears to be useful to catch up the diversity of wage-relationships on which plurality of the types of capitalist firms is based.

Structure Et Modeles Elementaires de La Firme

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Théret

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    STRUCTURE ET MODLES LMENTAIRES DE LA FIRMEUNE APPROCHE HYPOTHTICO-DDUCTIVE PARTIR DES INSIGHTS DE

    JOHN R. COMMONS

    Bruno Thretjanvier 2003

    rvis mai 2003

    Article pour la revue conomie et institutions

    Rsum :

    Larticle cherche dduire des axiomes que John R. Commons pose au fondement de sonconomie institutionnelle une modlisation de la firme capitaliste comme organisation assise sur lerapport salarial. Il montre dans une premire partie que Commons dveloppe une conceptualisation- une formule dans son langage - de la firme comme organisation collective dynamique (goingconcern) qui distingue clairement organisation et institution et y intgre de manire fine le jeu derelations hirarchiques et contractuelles. Dans une deuxime partie, larticle spcifie la formule commonsienne de lorganisation dans le cas de la firme capitaliste en y introduisant le rapportsalarial. Cette spcification permet de construire, sur un mode hypothtico-dductif, une typologiede modles dentreprise qui montre lintrt des formules commonsiennes pour les dbats sur ladiversit des rapports salariaux qui sont au principe de la pluralit des formes de la firme capitaliste.

    Abstract :

    The article formalizes an elementary structure of the capitalist firm considered as an organizationbuild on the wage relationship, and then elaborates a typology of its different possible forms. Such astructure of the firm is derived from the axioms that John R. Commons assumes to be at the basis ofhis understanding of institutional economics. In a first section, we show that Commons develops aconceptualization - a formula in his own language of the firm as form of a more generalorganization called going concern . This conceptualization clearly distinguishes organizationsfrom institutions, and finely articulates contractual and hierarchical relations between the membersof concerns. In a second section, we specify the Commons formula of the organization of acapitalist firm through the introduction of the wage relationship as an hybrid of contracts andhierarchies. In a third section, this formula of the capitalist going concern is used, through adeductive structural analysis, to build a typology of firms that fits to ideal-types induced fromevidence in the litterature on the topic. Thus Commons institutional economics appears to be usefulto catch up the diversity of wage-relationships on which plurality of the types of capitalist firms isbased.

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    On a beaucoup reproch John R. Commons davoir construit une thorie institutionnaliste delconomie dune part obscure, dautre part inutilisable. Dans un prcdent article (Thret, 2001),on a pu faire justice de la prtendue obscurit de son approche telle quelle est dveloppenotamment dans Institutional Economics, son magnus opus, en replaant sa mthodologie dans uneperspective structuraliste gntique, perspective apparente la dmarche pragmatiste laquelleCommons se rfre explicitement (Bazzoli, 1999). On y montre que, par del les difficults delecture, luvre thorique de Commons est dune grande richesse conceptuelle et dune tonnantecohrence densemble. Sur cette base, on sattaque dans le prsent article la seconde critiqueadresse cet auteur, celle de strilit, en proposant une utilisation possible de son systmeconceptuel concernant lanalyse de la firme capitaliste.

    Dans un premier temps, on montrera que Commons dveloppe une conceptualisation de la firmecomme organisation collective dynamique (going concern) qui distingue clairement organisation etinstitution et y intgre de manire fine le jeu de relations hirarchiques et contractuelles (ou demarch). Cette conceptualisation est selon nous trs clairante pour les dbats actuels sur lesrelations entre institutions, organisations, marchs, hirarchies, etc. Mais on nentrera pas dans cedbat et on se consacrera plutt, dans un deuxime temps, montrer que la formule commonsienne de la firme, sa structure lmentaire en termes structuralistes, peut galement treutilise pour construire, sur un mode hypothtico-dductif, une typologie de modles dentreprise.Dans la mesure o dans cet article, partir des axiomes que Commons pose au fondement de sonconomie institutionnelle, on se borne dduire une modlisation de la firme capitaliste commeorganisation assise sur le rapport salarial, on ny fait aucune rfrence la discussion en cours sur lanature de la firme telle quelle est mene dans le champ de linstitutionnalisme1, mme sividemment larticle sinscrit de facto dans ce dbat. La typologie propose nest pas non plusconfronte aux travaux les plus rcents de nature plus inductive en matire de modles productifs(cf. notamment Boyer et Freyssenet, 2000). Elle montre nanmoins lintrt des formules commonsiennes pour les dbats sur la diversit des rapports salariaux qui sont au principe de lapluralit des formes de la firme capitaliste.

    1. Concepts et formules de la socit conomique: transactions, institutions, organisations

    Commenons par poser les concepts fondamentaux de lconomie institutionnelle laCommons partir desquels nous pourrons construire la structure lmentaire de la firmecapitaliste et une typologie de ses formes.

    1.1. Transactions

    Pour Commons, ce qui fait la spcificit de lconomie institutionnelle est de partir non pas desbiens, mais des transactions, cest--dire de la conceptualisation des relations entre individus qui setraduisent par des transferts de droits de proprit sur les choses. Partir des transactions implique de

    1 Voir notamment Chavance, 1998 ; Bazzoli et Dutraive, 2002.

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    considrer les individus non pas comme des monades calculatrices et dsincarnes, mais commedes esprits institutionnaliss . Par cette expression, Commons signifie que les individus sontdabord des tres humains assujettis une mort biologique, quils sont socialiss depuis lenfance etquils hritent donc des hypothses habituelles , des croyances, des rgles, des lois et descoutumes de la (des) socit(s) dans laquelle ils naissent, grandissent, vieillissent et meurent. Lesindividus sont ainsi prpars ds lenfance transacter entre eux, et ils nexistent que par les autres,que dans le regard de lautre et travers leur activit transactionnelle.

    Lindividu transactant est alors pos au dpart de lanalyse conomique, la transaction tant leplus petit lment, la plus petite unit que doit prendre en compte la thorie conomique. Cest unestructure lmentaire de socialisation des individus, lchelle de base laquelle commencelconomie institutionnelle. Mais, pour Commons, il existe deux conditions supplmentaires pourque les transactions deviennent objets dune science particulire : il faut dune part quelles sereproduisent dans le temps sous des formes rcurrentes, dautre part quelles sexprimentabstraitement dans des transferts de droits de proprit. Pour notre auteur, en effet, les transfertsmatriel associs la production et la circulation des biens et services ne relvent pas, quant eux, de lconomie mais de la science de lingnieur (une nergtique).

    En outre, pour Commons, cest par le jeu des transactions que la socit en tant que totalit estprsente dans chaque individu. Son institutionnalisme est ainsi une prfiguration de ce quonappelle maintenant le holindividualisme. Lhritage institutionnel, la fois encombrant etprotecteur, dont tout individu est dot nempche pas, en effet, que celui-ci soit galement pourvudune intentionnalit. Cette intentionnalit qui diffrencie lhumain des autres espces animalesexplique que, par del ses transactions routinires , lindividu opre galement, individuellementet collectivement, des transactions stratgiques qui font voluer la socit, ses hypothseshabituelles coutumes, croyances, valeurs -, ses formes dorganisation, sa richesse, sa puissance,les nouvelles gnrations, etc.

    Enfin, comme les socits modernes o lconomie devient un objet danalyse en soi sont dessocits diffrencies, les transactions entre les humains y prennent des formes plurielles obissant des logiques sociales propres. Commons distingue ainsi des transactions de marchandage(bargaining), des transactions de management (management) et des transactions de rpartition(rationing). Pour lui, ces trois formes de transaction puisent lensemble des formes des relationsinterindividuelles que lconomie institutionnelle doit prendre en considration2. Et chacune deces formes de transaction correspond un ordre spcifique de pratiques socio-conomiques danslequel la forme transactionnelle qui loriente en finalit domine et instrumentalise les deux autresformes (cf. infra). La transaction de marchandage est une relation horizontale contractuelle-galitaire par laquelle lesindividus entrent en interaction pour obtenir des droits de proprit sur des choses qui sont ou quilsjugent ncessaires au bon droulement de leur vie. Lgalit aux plans juridique et thique deschangistes nempche pas quen raison de la raret naturelle et/ou construite des ressources, lestransactions de march sinscrivent dans le cadre coercitif dune contrainte conomique - la menacede pauvret - et soient rgies par un type dincitation particulier - le gain montaire -. Le langage de 2 Ces trois types de transactions, dans leurs combinaisons varies, couvrent la totalit du champ du comportement

    conomique (1934, p. 754).

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    ces transactions marchandes, par essence conflictuelles car concurrentielles, est celui des prixexprims dans une monnaie commune reprsentant lensemble des changistes en tant quecommunaut de paiement.La transaction de management est, quant elle, une relation verticale-hirarchique dobissanceentre des personnes singulires exploitant ensemble des ressources de manire efficace, carcoordonne, afin de rduire une raret de ressources dsires. La contrainte transacter est ici detype thique crainte de lopinion commune et lincitation est dans la valeur symbolique associe la ralisation de lobjectif de la transaction. Le langage spcifique de structuration de ce type detransaction est en ce cas le discours idologique qui cimente le groupe (culture) en lgitimant par lapersuasion la relation interindividuelle de domination hirarchique.La transaction de rpartition, enfin, est galement une relation verticale-hirarchique mais cette foisentre un individu et un collectif souverain qui opre une centralisation et une redistribution deressources. Dans ce type de transaction, lindividu est soumis au collectif quil le veuille ou non(selon quil adhre ou non aux valeurs et normes de ce collectif) sur la base dune contraintepolitique adosse la crainte de subir une violence. Ce qui fonde les transactions de rpartition estune logique de reproduction de la communaut reprsente par le collectif qui est en positionsuprieure de pouvoir dans ces transactions. Le langage de structuration de cette forme detransaction est celui du Droit, les dettes et crances sociales des individus vis--vis du collectif tantformules juridiquement en termes de droits et obligations.

    1.2. Institutions

    Par del la diversit de leurs formes, les transactions, en tant que relations sociales, ont pourCommons une structure commune quil propose de modliser dans les termes dune formule . Pour construire une relation entre le tout et les parties, nous avons besoin dun () qualificatif duprocessus mental que nous nommons formule. Une formule est () un simple outil mental construitpour la recherche et laction, et cest une formulation de la relation des parties les unes aux autres etau tout. Les parties sont elles-mmes des totalits requrant leurs propres formules, et ainsi de suitejusquaux parties que nous considrons comme ultimes dans notre science particulire (1934, p.736). Comme ces parties ultimes sont les transactions dans la science particulire delconomie institutionnelle, il nest pas tonnant que Commons les prenne pour objet de sa formule de base.

    Cette formule lmentaire valant pour toute transaction est compose de trois termes : le conflitassoci lautonomie individuelle des transacteurs (comptition), leur interdpendance(coopration), et lordre des rgles oprantes (working rules) construit par laction collectiveen contrle de laction individuelle (1934, p. 69) (institution).

    La figure 1 prsente cette formule sous la forme structurale de deux oppositions binaires. Unpremier axe horizontal rend compte de la contradiction entre lautonomie individuelle etlinterdpendance des transactants : leur intrt commun faire aboutir une transaction doitsaccommoder de leur opposition dintrts quant au partage des bnfices qui doivent en rsulter.Le deuxime axe oppose laction individuelle qui, si aucun repre collectif nexiste, conduitirrmdiablement au dsaccord compte tenu de lopposition des intrts individuels, laction

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    collective qui, elle, permet que la transaction se noue en conduisant un compromis entreopposition et communaut dintrt. Par laction collective peuvent merger, en effet, des rglesoprantes (i.e. suivies dans les pratiques) constitutives dun ordre tir du conflit (1934, p. 108)et dans le cadre duquel la transaction peut se nouer et se reproduire dans le temps. Lactioncollective en contrle de laction individuelle est trs prcisment ce qui pour Commons dfinit uneinstitution.

    Cette institution de rgles oprantes par une action collective rgulatrice de laction individuelleest au cur des processus de structuration des transactions. En maintenant dans des limites deviabilit le jeu de la contradiction comptition/coopration qui travaille toute transaction, cetteforme lmentaire dinstitution est ce qui permet la transaction de boucler sur elle-mme et en faitpar l-mme un tout structur. Linstitution est donc dabord une action collective se confondantavec un processus de structuration dune forme de relation sociale. Mais cette action collective, sielle est couronne de succs, se cristallise dans les rgles institues constitutives de lordre parlequel la relation sociale ainsi forme peut se reproduire dans le temps. Linstitution peut alors treassimile une action collective cristallise en rgles oprantes stabilises, et donc ces rgleselles-mmes. En se confondant avec les rgles oprantes, elle nest autre que la loi de latransaction. Ainsi, tous comptes faits, linstitution la Commons nest autre quune gnralisationdu concept traditionnel de linstitution.

    Actionindividuelle

    Actioncollective

    Ordre institutionnel des rgles oprantes

    Intrt commun arriver un accord

    Opposition d'intrts

    AutonomieInluctabilit

    du conflit

    InterdpendanceNcessit de la

    coopration

    Figure 1 : Formule de la transaction

    Ainsi situe lorigine au niveau interindividuel et au cur de la structure de toute forme detransaction, linstitution est a priori dfinie en dehors de toute rfrence une organisation quellequelle soit ; elle est simplement une forme de rgulation du comportement dindividus pris dansune structure de transaction ; elle est dans ce comportement ce qui signale la contrainte de

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    reproduction de la structure3. Mme si le collectif concern par une transaction ne se rduit pas deux individus, ainsi que Commons le note explicitement pour la transaction de marchandage quiselon lui implique au moins cinq protagonistes4, ce collectif reste inorganis car, conceptuellement,la transaction ne se noue rellement et momentanment quentre individualits5. Laction collectiveinterne aux transactions nest pas organise, les humains naccdant laction collective organiseque dans le cadre dorganisations.

    Institutions et organisations sont donc chez Commons des concepts clairement spars.Toutefois, les transactions ne concernent pas uniquement des personnes individuelles ; elle mettentaussi en prsence des personnes morales , des collectifs organiss ou organisations collectiveseux-mmes structurs. Ces transactions entre organisations relvent dun plus haut degr desocialisation des individus, et les rgles qui y oprent ne peuvent tre considres comme identiques celles rgulant de simples transactions interindividuelles. Ainsi, si on catgorise les rgles detransaction (i.e. oprantes dans les transactions) concernant les individus (personnes physiques)comme institutions de rang 1 (dans lchelle de socialisation), on doit poser que les rgles detransaction entre organisations (personnes morales) sont des institutions de rang suprieur dans lahirarchie de la socialisation. On les qualifiera de rang 3 dans la mesure o lexistence de rglesconstitutives des organisations6 est un pralable des transactions entre organisations, ces rglesdorganisation (i.e. oprantes dans les organisations) tant alors considres comme desinstitutions de rang 2. Enfin, des rgles formellement de mme nature que celles qui structurent lesorganisations, mais permettant larticulation des diffrentes formes de transaction dans lespacesocial qui leur est extrieur, doivent galement se faire jour. Toute organisation doit, en effet, poursinscrire dans la socit, pouvoir rentrer en relation avec dautres organisations qui lui sonthtrognes du point de vue de la finalit de laction collective. Ces rgles de socit ne serduisent pas des rgles de transaction entre organisations puisquil ne sagit pas de rglesordonnant un ensemble de transactions de mme forme, mais de rgles stabilisant des relations entredes formes de transaction diffrencies dans un espace qui nest pas lui-mme organis et donctotalement structur. Les rgles de socit, quon peut dire alors institutions de rang 4, sont en faitdes rgles rgissant les mdiations symboliques entre ordres de transactions htrognes (le march,lEtat, la culture), mdiations symboliques qui, tels la monnaie, le droit, lthique, constituent le liensocial dans les socits diffrencies en de tels ordres. Prcisons cela en examinant de plus prs laconception commonsienne de lorganisation.

    1.3. Organisations

    3 Sur ce point, cf. Thret, 2000 et 2002.4 Le vendeur et lacheteur effectifs, un vendeur et un acheteur potentiels reprsentant les meilleures alternatives pour

    lacheteur et le vendeur effectifs, et un juge arbitre garantissant le contrat et le paiement des dettes rciproques depaiement et de performance.

    5 Ceci apparat clairement dans lexemple, cher Elias comme Lvi-Strauss ou encore certains juristes, duneformation de joueurs de cartes rassembls pour une partie. Ces joueurs se conforment bien, en effet, aux institutions dujeu que sont ses rgles et forment une structure transactionnelle qui pourra se reproduire dans le temps. Mais ils neconstituent pas ncessairement une organisation de joueurs de cartes sauf sassocier selon des rgles qui excdentcelles du jeu de cartes proprement dit.

    6 Elles permettent darticuler les diffrentes formes de transaction en leur sein en y instituant un ordre par dellhtrognit de ces transactions (cf. infra).

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    Ce que Commons appelle un going concern, et ce quon traduit ici par organisation collectivedynamique 7 (dsormais organisation tout court) est, en tant que rptition attendue detransactions interdpendantes (1934, p. 738), une structure de complexit suprieure celle de latransaction dans la mesure o elle en combine et articule les trois formes. Dans toute organisation,on trouve en effet selon Commons du marchandage, du management et de la rpartition. Il nestdonc pas tonnant que lon puisse reconstituer la formule dune organisation collectivedynamique avec le mme jeu doppositions binaires que pour la transaction, ainsi que la figure 2 lemontre.

    Cette figure fait ressortir que si tout collectif dynamique est un systme dinterdpendances entreles trois formes de transactions quon vient de dcrire, chaque fois deux de ces formes partagentdes caractres communs par lesquels elles sopposent une mme troisime. Ainsi, management(M) et marchandage (B) partagent la caractristique dtre interindividuels et sopposent ainsi larpartition (R) qui implique demble un reprsentant du collectif organis ; en revanche lestransactions B et R partagent un caractre montaire que na pas M ; enfin M et R ont en communun caractre hirarchique et de commandement-obissance qui les diffrencient de B fonde surlgalit et la libert contractuelle des transactants. Des transactions des trois formes, en dpit deleurs caractres contradictoires, peuvent ainsi faire systme en senchanant deux par deux grce des caractristiques partages.

    Toutefois, dans un tel systme, la transaction de rpartition R a une position spcifique ensurplomb lie au fait quelle mobilise un principe collectif dautorit, et cest seulement par samdiation quune organisation collective dynamique peut se structurer et se reproduire dans letemps. La rpartition est la caractristique particulire de laction concerte qui dicte des rglespour les transactions de management et de marchandage entre individus dans la production et ladistribution de la richesse (1934, p. 761). Les transactions de rpartition diffrent destransactions managriales en ce que ces dernires correspondent lexcution de rgles ainsiautorises ; elles diffrent galement des transactions de marchandage en ce que ces dernires sontdes accords entre individus supposs gaux, accords permis par les rgles et imposs par lesexcutifs des organisations (ibid., p. 754). Ainsi cest par le jeu de transactions de rpartition quese forme lordre interne lorganisation, de la mme faon que laction collective institutionnalisantdes rgles oprantes est la source de lordre qui permet aux transactions de se structurer et de sereproduire. Dans lorganisation collective dynamique, la transaction de rpartition est donc ce quirgule lensemble, ce qui cre lordre interne ; elle est la forme que prend le processusdinstitutionnalisation propre lmergence et la reproduction des organisations. On retrouveencore ici une conception classique de linstitution dicte par lautorit collective suprieure et lalimite se confondant avec elle.

    Sur cette base, Commons distingue trois caractristiques de lorganisation, celle dtreune affaire conomique en tant quelle mobilise des transactions de marchandage (going business),

    7 On a traduit cette expression par collectif dynamique organis dans Thret, 2001. On peut considrer aussi quun

    concern est une compagnie , cest--dire une runion de gens ayant un intrt commun, concerns par un mmeobjectif, une mme affaire (que celle-ci soit industrielle, financire ou commerciale, militaire, politique, religieuse,thique, ou encore dordre amical) et se donnant un cadre institutionnel formel spcifique pour se rapprocher de leurobjectif. Les concerns sont donc des groupes organiss, des collectifs structurs en vue dobjectifs varis, fonctionnantsur la base dinstitutions internes.

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    celle dtre un lieu de dploiement de techniques matrielles dans le cadre de transactionsmanagriales (going plant), et celle enfin dtre un groupement politique, souverain lintrieur deses frontires, au sein duquel soprent des transactions de rpartition (going concern). Et pour lui,cest cette dimension politique de lorganisation en tant que concern qui est, en dernier ressort,essentielle.

    Transaaction de marchandage

    conflitgoing business

    Transaction de management

    coopration going plant

    Transaction de rpartition

    ordregoing concern

    interindividuel

    collectif

    mon

    tai

    re

    non montaire

    comm

    andem

    ent

    hirarch

    ie

    libert,galit

    R

    B M

    Figure 2 : Formule lmentaire de l'organisation collective dynamique

    Ce privilge accord la dimension politique de lorganisation (et de lconomie plusgnralement) transparat dans le fait que Commons double la formule, en quelque sorteconomique, de lorganisation en tant que combinaison structure de transactions, par une formulepolitique la modlisant sous la forme dun systme politique8. Pour lui, toute organisationfonctionne la politique (politics), tant entendu par l laction concerte au sein dun collectif,destine obtenir et garder le contrle de ce collectif ainsi que de ses participants (1934, p. 749). La politique de lorganisation () est lensemble de ses activits internes de lutte et decommandement (leadership) visant la formulation de rgles oprantes et au maintien de la

    8 Sur ce point Commons anticipe sur les travaux de la sociologie des organisations et le no-institutionnalisme

    sociologique en leur fournissant une matrice conceptuelle qui semble loin davoir t compltement exploite. Voirnotamment Jarniou (1981).

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    juridiction de lorganisation sur les individus travers le contrle des sanctions dont elle dispose. Alintrieur de lorganisation elle-mme, comme pour lorganisation prise comme un tout, lapolitique est l-aussi fonde sur lune ou lensemble des trois sanctions de la force soit morale, soitconomique, soit encore physique. Et selon le type de sanction qui va prdominer dans leffort pourobtenir le contrle de lorganisation, les trois termes correspondant de la persuasion, de la coercitionconomique et de la contrainte physique permettent de dcrire les incitations ; tandis que les termesde dirigeant (leader), de patron (boss) et de chef (chief) indiquent le type correspondant decommandement (1934, p. 749).

    La formule politique de toute organisation se rduit alors, selon Commons, la triadeleadership (type de personnalit) - principes politiques - systme organisationnel9. Le type deleadership fait rfrence au rle de la personnalit qui prdispose la direction dans lactioncollective10; les principes politiques sont activs par les leaders et indiquent les buts de laction, les lignes finalises daction susceptibles de dynamiser le collectif; le systme organisationnel, oufonctionnement organisationnel, est enfin le systme tendanciellement impersonnel, hirarchis etmachinique (bureaucratique) qui vise rendre la reproduction de lorganisation indpendante despersonnalits de ses membres et de ses principes politiques (ibid., p. 750)11.

    Bien que cela ne soit pas clairement explicit par Commons, on peut considrer que les principespolitiques de laction collective et les principes bureaucratiques de lorganisation renvoientrespectivement aux transactions stratgiques et routinires, et que la forme dintgration dynamiquede la structure organisationnelle renvoie, quant elle, au type de leadership12. La formule politiquetriadique personnalits-principes-organisation peut galement tre vue, surtout dans le cas duneorganisation conomique oriente vers le march comme la firme capitaliste (cf. infra), commeredoublant sa composition structurale en transactions respectivement de rpartition, demarchandage et de management ; en ce cas, le leader reprsentant et incarnant le tout delorganisation occupe, en tant que souverain, la place du collectif dans la transaction de rpartition,les principes politiques renvoient laction collective qui rgule plus particulirement les conflitsassocis aux stratgies de marchandage, et le fonctionnement organisationnel proprement ditsexprime plus spcifiquement et objectivement dans le management visant la coordination desactions. Do la figure 3 qui synthtise les deux modlisations en reprenant la diffrenciation dj

    9 La socit conomique est un complexe changeant de personnalits, de principes (politiques) et dorganisations qui

    sont insparables en fait et sont unifis dans le concept de going concern. Cest cette complexit lintrieur duntelle organisation que nous donnons le nom de politique (politics), de manire la distinguer des simplismesantrieurs de la thorie conomique dont le terme individualisme rend bien compte (1934, p. 751). A la placedindividus gaux nous avons les personnalits largement diffrentes des dirigeants et des dirigs, des patrons et despatronns, des reprsentants officiels et des personnes prives reprsentes. Au lieu de la prcdente hypothsesimpliste que chaque individu gal recherche son propre intrt, nous avons des principes largement diffrents etconflictuels partir desquels des individus ingaux recherchent un intrt commun. Au lieu dindividus aucomportement non rgul, nous avons des hirarchies qui les rgulent. Le tout de cette activit complexe est lapolitique (ibid.).

    10 Laction de masse sans leader, patron (boss) ou chef, est une foule. Avec un leader, patron ou chef, on passe uneorganisation collective dynamique (1934, p.750).

    11 Le caractre distinctif dune organisation collective dynamique perfectionne est sa capacit continuer avec despersonnalits et des principes changeants, en ne dpendant pas de quelque personne ou de quelque principeparticuliers que ce soit. Elle sadapte elle-mme aux circonstances, en changeant ses personnalits ou ses principesde manire tre en accord avec les inclinations changeantes ou conflictuelles des groupes varis de gens dontlallgeance et le patronage sont ncessaires la continuit de lorganisation (1934, p. 750-751).

    12 Le type de personnalit ou de leadership correspond en quelque sorte au mode de lgitimation du pouvoir au sein delorganisation, avec un mode charismatique pour le leader persuasif, un mode rationnel-lgal pour le chef politique,et un mode traditionnel pour le patron manipulant les sanctions conomiques et le risque de pauvret.

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    propose des formes institutionnelles de laction collective entre rgles de transaction (de rang 1) etrgles dorganisation (de rang 2).

    Par ailleurs, de mme quil y a trois formes de transactions, il y a pour Commons trois espcesdorganisations collectives, chacune de ces espces tant caractrise tendanciellement par la formespcifique de transaction conomique qui oriente son activit densemble ainsi que par le typecorrlatif de pouvoir politique qui y rgne13. Les transactions sont managriales, de marchandageet de rpartition. Les organisations sont morales, conomiques et souveraines (1934, p. 749)14. Les organisations morales sont celles qui sont dpourvues de pouvoir conomique et physique; cesont dans les temps modernes les associations religieuses, charitables, ducatives, fraternelles etdautres similaires pour autant quelles reposent seulement sur les sanctions de la persuasion. Lesorganisations conomiques sont celles qui, telles les entreprises (business organisations), lessyndicats de travailleurs, les coopratives agricoles, les bourses de commerce ou de valeurs,reposent sur les sanctions conomiques du gain et de la perte, travers la participation aux,lexclusion de, ou encore la non-interfrence dans les transactions. Les organisations souveraines,quelles soient municipales, tatiques, fdrales ou impriales, utilisent les sanctions de lacontrainte physique (1934, p. 749).

    Cette typologie des organisations conduit ne pas rabattre la forme organisationnelle internedune organisation sur son orientation en finalit qui fonde son type dinsertion externe dans la socit conomique (lespace social qui, pour Commons, englobe lensemble des transactionsentre individus et/ou organisations). Mme si le type dinsertion dune organisation dans sonenvironnement tend toujours se rpercuter sur son conomie interne, il ny a rien dautomatique ce que, par exemple, une organisation finalit marchande privilgie des transactions marchandesentre ses membres, cest--dire prenne une forme organisationnelle salariale.

    13 Pour Commons, il y a trois types de pouvoir qui sont insparables en fait mais mergent avec diffrents degrs de

    prminence dans les diffrentes transactions. Lun est le pouvoir physique, le pouvoir de la violence, sur la baseduquel la distribution (grants) de privilges spciaux par un souverain ses sujets est fonde et protge. () Lesecond type est le pouvoir conomique, une espce de pouvoir qui ne pouvait pas merger avant que le pouvoirphysique nait t rgul par le droit ( due process of law ) et que les droits de proprit aient t tablis par larvolution bourgeoise (business), () (mais aussi et) surtout avant que les conditions conomiques modernes aientrvl le pouvoir qua la proprit du simple fait quelle permet de refuser aux autres ce dont ils ont besoin mais quine leur appartient pas. Le troisime type est le pouvoir moral qui, cependant, peut tre utilis de faon immorale,soit le pouvoir de linfluence personnelle non fond sur la violence ou le pouvoir conomique, une espce depouvoir qui merge seulement quand les ingalits de pouvoir physique et conomique sont limines. Cest larelative prdominance de ces trois types de pouvoir qui distingue les trois grands types dorganisations collectivesdynamiques (); savoir, lEtat, fond sur la crainte du pouvoir physique; le business (capitalisme), fond sur lacrainte du pouvoir conomique, ou la pauvret; et la grande varit des organisations modernes culturelles,religieuses ou morales, fondes seulement sur une crainte de lopinion non adosse la violence ou la pauvret (1924, p. 63-64).

    14 Les organisations morales , conomiques et souveraines sont galement dites respectivement culturelles , industrielles et politiques (in Commons, 1924).

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    transaction de marchandage

    institue

    conflit

    Collectif dynamique

    organis autour d'une

    transaction de rpartitioninstitue

    transaction de management

    institue

    conflit coopration

    conflit cooprationcoopration

    FIGURE 3 : FORMULES CONOMIQUE ET POLITIQUE DE L'ORGANISATION COLLECTIVE DYNAMIQUE

    LEADERSHIP

    PRINCIPES POLITIQUES MODE D'ORGANISATION

    Rgles 1 Rgles 1

    Rgles 1

    Rgles 2 Rgles 2

    Rgles 2

    Ainsi, pour Commons, les organisations sont conomiques lorsque, pour se reproduire, ellessinscrivent dans la socit conomique, de faon prdominante, travers des transactions demarchandage dans lesquelles le pouvoir de la sanction conomique joue plein. Ce qui nempchepas quelles participent aussi des transactions de rpartition et de management : elles paient desimpts et bnficient des dpenses publiques; elles se positionnent en tant que donneuses ourceptrices dordre vis--vis dautres organisations dgal statut juridique (sous-traitance) ouexercent des pressions non seulement sur le march mais galement sur le management (syndicats).On ne peut alors exclure que des organisations conomiques, au sens de Commons, mergent enutilisant leur pouvoir conomique dans le cadre prdominant de transactions de rpartition et demanagement (caisses mutuelles et autres friendly societies).

    En outre, le rle central du march pour la reproduction des organisations conomiquesnentrane pas ipso facto que les transactions de marchandage y soient ncessairement linternehirarchiquement suprieures en valeur par rapport aux autres formes de transactions et quelentreprise capitaliste soit la forme exclusive de ce type dorganisation. Des organisationscollectives de forme associative (associations sans but lucratif prestatrices de services marchands,syndicats ouvriers et organisations patronales fonds sur une base associative) ou administrative(services publics industriels et commerciaux, administrations prives du type chambres decommerce et de mtiers disposant dun pouvoir de prlvement) peuvent jouer un rle actif sur lesmarchs en y trouvant leur raison dtre et donc constituer des organisations conomiques(industrielles) au sens de Commons. Rciproquement, des organisations constitues linterne sur

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    la base de transactions de marchandage peuvent tre motives par dautres logiques sociales quecelle du gain ou de la perte sur le march et constituer des lments importants de la sphre de larpartition sous lgide dorganisations souveraines (entreprises prives concessionnaires deservices publics et la recherche de rentes) ou de la sphre associative sous lgide dorganisationsthiques (fondations, branches financires des associations).

    De la mme faon, la nature thique (morale ou encore culturelle) dune organisation nimpliquepas ncessairement quelle prenne une forme associative fonde sur laltruisme et le principe desympathie15. La finalit de lorganisation rside ici dans un objectif idologique (salut individuel,affirmation de valeurs spcifiques) dont la poursuite efficace, ou la fondation dans un principedautorit transcendantal, fonde la reproduction dun rapport hirarchique fonctionnel dobissanceassimil un rapport dadhsion aux finalits de lorganisation. Dans cette espce dorganisation, ilny a pas intriorisation de mcanismes de reproduction simple ou largie des ressources (via lemarch ou des droits de prlvement)16, le moteur du don devant sans cesse tre ractiv. Yprdomine donc une recherche defficacit dans la gestion de ressources limites par dfinition, cequi conduit les organisations thiques se faire une place dans la socit conomique en entrantprincipalement dans des transactions de management. Mais cela nimplique pas que cesorganisations prennent ncessairement et exclusivement une forme associative. Elles peuvent trsbien mobiliser principalement linterne des rapports marchands (fondations sans but lucratif maisemployant des salaris) ou dimposition (sectes utilisant la violence physique, organisationssubventionnes par la puissance publique). A contrario, lefficacit de lassociation due ce que sesmembres sont motivs par les buts de lorganisation et peuvent sy dvouer corps et mes, fait queles associations peuvent devenir des acteurs marchands et politiques importants sans que leurorganisation interne, centre sur le management, soit ncessairement remise en cause.

    Enfin, le fait que les organisations politiques ou souveraines sinsrent dans la socitconomique travers des transactions de rpartition (fiscalit dpenses publiques), nimplique pasl encore que ces organisations soient uniquement de forme administrative. Les transactions derpartition peuvent tre prises en charge par des entreprises (fermes, concessions, etc.) et/ou desassociations prives (dites alors administrations prives).

    En bref, bien que Commons qualifie dconomiques les organisations qui disposent dun pouvoirde coercition conomique sur le march et qui reposent sur les sanctions du gain et de la perte montaire, il ne rduit pas pour autant la socit conomique, cest--dire lconomie en tant quechamp de pratiques spcifiques de lutte contre la raret, ces seules organisations. Conceptuelle-ment, lordre marchand que ces organisations forment nest quun sous-ensemble17 (mais le sous-ensemble dominant dans le capitalisme) de la socit conomique o sactivent et se reproduisentgalement des organisations politiques et culturelles18. On est ainsi conduit la reprsentation de la

    15 Sur limportance chez Commons de cette question de lthique et de la place du principe de sympathie comme

    soumission volontaire de lindividu un collectif sur la base dune adhsion ses valeurs, cf. Thret, 2001, pp. 121-129.

    16 Une glise qui se reproduit principalement partir de ressources fiscales est une organisation politique et nonculturelle. Elle fait partie de lordre des organisations souveraines.

    17 La socit conomique nest donc pas, pour Commons, un ensemble dorganisations conomiques.18 On pourrait galement qualifier les organisations culturelles de symboliques, puisquelles sont fondes sur un

    pouvoir symbolique (au sens de Bourdieu). Cela aurait le mrite de rendre plus clair le fait que ce typedorganisations peut tre fond sur la rciprocit et la sympathie tout en incorporant une hirarchie, ce qui est clairdans le cas des organisations fonctionnant au don traditionnel, ou encore dans celui dun going concern form par

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    socit conomique et la place des divers types dorganisations en son sein telle que reprsentedans la figure 4.

    Figure 4 : Formule de la socit conomique

    R

    MB

    R

    MB

    R

    MB

    Ordre conomique du march :espace des transactions de

    marchandage entre organisations

    R

    MB

    R

    MB

    R

    MB

    B

    R

    R

    MBR

    MB

    R

    MB

    M

    Ordre thique de la rciprocitespace des transactions de

    management entre organisations

    Ordre politique de l'Etatespace des transactions de

    rpartition entre organisations

    Rgles de rang 3 Rgles de rang 3

    Rgles de rang 3

    Rgles de rang 4

    administration

    firme

    association

    R

    MB

    R

    MB

    R

    MB

    Espace des mdiations sociales

    Dans cette reprsentation, les trois types dorganisation quon peut distinguer partir de la formede transaction qui y est linterne hirarchiquement suprieure, soit les entreprises, les collectivitsadministratives et les associations, sont distribues dans les trois espces dordre de pratiquestransactionnelles qu lexterne ces organisations privilgient et par lesquelles elles sinsrent dansla socit conomique, savoir lordre conomique marchand, lordre politique souverain, etlordre culturel. Chaque ordre est fond sur des rgles de transaction de rang 3 (et de rang 1 sion admet que des transactions interindividuelles peuvent se reproduire en dehors de touteorganisation). La socit conomique, ensemble de ces ordres htrognes qui ne sont pas eux-mmes des organisations et qui ont des frontires fluctuantes, est elle-mme ordonne (et non pasorganise) par des formes institutionnelles quon a qualifi ci-dessus de rang 4, et qui sont desrgimes de mdiation rgimes montaire, juridique et discursif qui rgule lusage des sanctionsdont les divers pouvoirs pourraient sinon faire un usage arbitraire, non raisonnable dans les

    lquipage dun voilier de plaisance se soumettant volontairement lautorit de son skipper, primus inter pares.Mais Commons nutilise jamais le terme de symbolique, lui prfrant ceux de morale ou dthique.

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    terems de Commons - permettant aux organisations des diffrents ordres de faire socit en dpit delhtrognit de leurs orientations en finalit. Pour Commons, cet ensemble de rgles montaires,juridiques et thiques nmane pas ncessairement exclusivement ou mme prioritairement delordre politique. La hirarchie des ordres relativement la production des rgles de rgulationsociale est contingente historiquement et dpend du type de capitalisme qui prvaut. Nanmoinssagissant pour lessentiel de rguler la dynamique macro-conomique des transactions marchandes,une fois dfinis les droits de proprit, Commons sintresse surtout la rgulation par le droit (etdonc les organisations collectives souveraines) et/ou par lthique (et donc les organisationscollectives morales) des transferts de proprit que les transactions marchandes suscitent. Et onretrouve lchelle de la socit dans son ensemble le mme problme quau sein de chaqueorganisation, avec une position a priori prminente des organisations de rpartition et du leadershippolitique.

    2. Analyse structurale de la firme commonsienne

    Sur la base des dveloppements prcdents, nous pouvons nous centrer maintenant sur laformule de la firme capitaliste comme organisation collective dynamique. Rappelons dabord queles formules de la transaction et de lorganisation que Commons dveloppe, dans la mesure o ellesintgrent en leur sein un principe de rptition avec variation - le principe des rgles oprantes19, onttous les attributs dune structure morphogntique la Piaget , savoir ceux de totalit, detransformation et dautorglage (Piaget, 1968)20. Ceci rend naturel , au plan logique, dedvelopper de telles formules au moyen dune analyse structurale quon mnera en deux temps.Tout dabord, on introduira au cur de la formule de lorganisation conomique le rapport salarial.Dans un deuxime temps, la structure lmentaire obtenue sera dcline en une typologie demodles de firme.

    2.1. La firme capitaliste comme forme dorganisation du rapport salarial

    Dans la formule de lorganisation schmatise dans la figure 2, les rgles dorganisation (de rang2) apparaissent comme tant toutes dessence diffrente : les institutions liant B et R sont de naturemontaire, celles liant M et R sont des rgles de commandement de type juridique ou thique, enfin

    19 Pour Commons, tout principe est une similarit de rptitions avec variation; cest la forme diachronique du

    concept synchronique correspondant : le concept de Coutume est celui de la force de contrainte que des groupesdindividus ont sur chacun de leurs membres individuels; mais le principe des rgles oprantes () est la rptition,avec variation (variability), des actes et transactions des individus aussi longtemps que la force contraignante dugroupe continue doprer. Le concept de souverainet est comme celui de Coutume, en diffrant seulement par lefait que la force contraignante est celle de la force physique ; mais le principe de souverainet est la rptition, avecvariation, des transactions de rpartition des suprieurs vers les infrieurs subordonns lusage de la forcephysique par les premiers. Le concept de futurit est celui des vnements attendus, mais le principe de futurit estla similarit de rptition, avec variation, des transactions et de leurs valuations, effectues dans un prsentmouvant avec rfrence des vnements futurs tel que des obstacles, des aides ou des consquences attendues (1934, p. 737-738).

    20 La formule de la transaction peut tre lue comme un modle de structure au sens de Piaget dans la mesure o ilsagit dun systme de transformations de relations conflictuelles en relations de coopration qui comporte sespropres lois, savoir ses rgles oprantes dans le langage de Commons, rgles oprantes qui en conciliant conflit etcoopration grce au jeu dun mdium spcifique porteur dincitations (la monnaie dans le marchandage, le droitdans la rpartition et lthique dans le management) viabilisent la transaction comme petite totalit auto-rgle.

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    celles liant B et M sont des rgles dinteraction individuelle dont la nature et le mdium ne sont pasen revanche a priori clairs. Pour claircir ce dernier point, il faut alors prendre en compte le fait queles transactions B et M sont des relations entre individus (ou groupes dindividus) qui, dans lafirme, concernent simultanment une mme personne (ou un mme groupe de personnes), savoirun travailleur salari dont la force de travail est lobjet commun des transactions de marchandage etde management qui sont au principe de lentreprise. La force de travail salarie est en effet la foischange contre argent dans la transaction de marchandage et soumise au pouvoir decommandement des managers dans la transaction de management.

    Cette introduction de la force de travail dans la formule de la firme ne nous parat en rien forcerla position de Commons qui est le premier nous dire que la transaction managriale nest riendautre que le procs de travail (1932, p. 456) et quelle implique comme la transaction demarchandage une certaine quantit de ngociation, bien que, en droit, elle soit seulement fonde surla volont du suprieur. Cette inclusion de la ngociation provient principalement de la libertmoderne du travail, avec la libert du travailleur de quitter son emploi sans avoir donner deraison (1934, pp. 66-67).

    Or de lintroduction du ple du salariat (S)21 en tant que quatrime lment de base de lastructure lmentaire de lorganisation capitaliste, il rsulte un ddoublement des rglesdorganisation assurant la rgulation de linterdpendance de B et de M ainsi que, par voie deconsquence, de celles concernant la rpartition. La formule lmentaire de la firme comprend ainsifinalement non pas trois mais quatre types de transactions interdpendantes quon peut regrouper endeux paires : outre la paire des transactions interindividuelles B note dsormais B=S et M notedsormais M_S, deux transactions de rpartition - VR note R (B=S) et QR note R -- M) - lientles individus intgrs dans le collectif son centre de contrle et de profit (cf. figure 5).

    FIGURE 5 : STRUCTURE LMENTAIRE DE LA FIRME CAPITALISTE

    La paire des transactions interindividuelles exprime la contradiction (ou lhtrognit ds lorsque cette contradiction est rgule) entre le caractre galitaire et libre de la mobilisation de la maindoeuvre lextrieur de la firme (transfert temporaire du droit de proprit du travailleur sur saforce de travail) et son statut de soumission dans le cadre de la transaction de management lintrieur de cette mme firme (dpossession de la matrise de son usage). En nous inspirant duneprcdente analyse structurale (Thret, 1997), on est alors conduit considrer dun ct, en raison

    21 Nest introduit ici que le minimum ncessaire des dimensions du rapport salarial, cest--dire la seule relation

    salariale micro-conomique de base au sein de lentreprise capitaliste. Pour une conceptualisation plus large dusalariat, cf. Thret, 1994a et b. Pour une distinction conceptuelle utile entre rapport et relation, cf. Billaudot, 1998.

    relation juridique detravailrelation montaire de marchrpartition en valeur rpartition en quantits

    B : dpartement de l'emploiM : dpartement de productionR : collectif de contrleS : salaris

    B M

    R

    S

    VR QR

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    du caractre formellement gal des transactants, la transaction de marchandage (B=S) comme unerelation conflictuelle dalliance volontaire entre le dpartement de lemploi de la firmereprsent par son directeur, le DRH, et chaque salari embauch, de lautre la transaction demanagement (S_M) comme une relation hirarchique de coopration (de type consubstantiel donc)entre ce dernier et le dpartement de la production reprsent par le contrematre qui donne lesordres.

    Cest l encore suivre Commons pour qui en tant quil marchande, le salari moderne est censtre lgal lgal de son employeur, incit rentrer dans la transaction par la persuasion ou lacoercition conomique (besoin, pauvret) ; mais une fois quil lui est permis dentrer dans le lieudemploi, il devient lgalement infrieur et incit par les ordres auxquels il doit obir. () Lepropritaire, dans lindustrie moderne, a deux reprsentants, lagent et le contrematre, souvent nefaisant quune mme personne. Lagent est celui dont les actes sont censs lier lgalement leprincipal, lemployeur, selon la doctrine de lagence qui a pour principe sous-jacent dimpliquer uneintention du principal de transfrer lagent la possession associe la proprit. Le contrematreou chef est un agent pour certains domaines importants, tels que la responsabilit de lemployeurdans les accidents du travail (), o son comportement engage lemployeur en tant que dbiteurassum. Il est en tant que tel un agent, mais il est aussi seulement un autre employ en charge duprocessus technologique. La distinction a t rendue claire avec la moderne diffrenciation danslentreprise des dpartements de lemploi et de la production. Le dpartement de lemploi estgouvern selon la loi du principal et de lagent ; le dpartement de la production lest par celle dumanager et du manag (1934, p. 65).

    Les rgles dorganisation rglant les interdpendances entre B et M sont bien ainsi ddoubles etintermdies par la personne des salaris. Mais le caractre contradictoire de ces deux formes detransaction nen est pas pour autant dpass et il appelle toujours le jeu en surplomb dautres rglesoprantes dordre collectif. Celles-ci relvent de lautre paire des transactions impliquant le centrede contrle et de profit de lentreprise, paire constitue de deux relations de rpartition dont luneintervient sur la transaction de marchandage salarial alors que lautre rgle la transaction demanagement du procs de travail. Ces deux relations de rpartition sont elles-aussi de naturediffrente et renvoient la distinction introduite par Commons entre output rationing et pricerationing (1934, p. 68) ou encore entre quantity rationing et value rationing (ibid., p. 760)22.

    La rpartition en (de la) quantit (QR ou R -- M) opre sans marchandage et sans monnaiemais au travers des ordres obis par les managers (cadres) subordonns. () Elle est constitue decommandements aux individus leur ordonnant deffectuer un service spcifique ou de dlivrer unproduit particulier (ibid.). A contrario la rpartition en (de la) valeur (note R (B=S) ou VR) est lordre enjoint aux individus de payer ou daccepter, sans marchandage, une somme spcifiquedargent . Il peut sagir, par exemple, de primes ou amendes, lies au rendement ou la qualit dutravail, prvues dans le rglement de lentreprise et venant moduler le salaire fix travers lemarchandage, ou encore de prestations sociales dentreprises (fringe benefits) associes des statuts

    22 Commons la fin de son ouvrage distingue trois et non plus deux types de transactions de rpartition, la

    rpartition par le prix se situant entre la rpartition en quantit et la rpartition en valeur (1934, p. 760). Le pricerationing nest cependant quune sous-catgorie de la rpartition en valeur puisque la fixation du prix par le groupede contrle du collectif se traduit ncessairement par une rpartition diffrente via un paiement.

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    spcifiques certains salaris (allocations familiales, retraites surcomplmentaires, etc .). Elle nest quindirectement et inversement une rpartition en quantit. () La rpartition en valeur est unpaiement spcifique alors que la rpartition en quantit est une performance spcifique (ibid.). Lapremire, VR, est donc de type montaire alors que la seconde, QR, utilise la mdiation du droit oude lthique. En considrant la firme comme principalement structure autour de la relationsalariale, VR peut ainsi tre vue comme une rgulation de la dette de paiement que la firme sereconnat lgard de ses divers salaris, tandis que QR est contrle de leur dette de performance23.

    2.2. Vers une typologie hypothtico-dductive des firmes capitalistes

    La formalisation prcdente de la structure de la firme capitaliste permet den construireplusieurs modles (ou idaux-types dductifs) en jouant des oppositions binaires au sein des deuxpaires de relations quon vient de distinguer. Tout dabord, en effet, la paire des transactionsconstitutive de la relation salariale proprement dite (dont la formule est B=S_M) renvoie lopposition entre dun ct hirarchie et obissance situes au coeur de la transaction demanagement et, de lautre, galit et libert la base de la transaction de marchandage. Lquilibredes tensions peut alors rsulter dune polarisation soit marchande (domination du rapport externe demarchandage), soit hirarchique (domination du rapport interne de management), la relationsalariale structurant le collectif dynamique tant alors rgie principalement et respectivement soitpar la logique marchande et une concurrence conflictuelle entre salaris fonde sur le principe deraret, ce qui tend laisser peu de place la coopration dans le procs de travail, soit par la logiqueproductive du management coopratif fond sur le principe defficacit, un rle secondaire tantalors dvolu au jeu de loffre et de la demande sur le march du travail. Cette polarisationalternative renvoie lopposition tablie dans la littrature conomique entre march externe etmarch interne (salaire defficience), flexibilits dfensive et offensive, considrant par l que lasituation du salari dpendait en premire instance plutt de ltat dun march ouvert du travail(emploi prcaire) ou plutt de lorganisation interne lentreprise (emploi protg, voire vie).

    De son ct, la paire des transactions de rpartition oppose le paiement montaire propre latransaction de rpartition en valeur et la performance non montaire caractristique de la rpartitionen quantit, et lquilibre des tensions est ici aussi susceptible dtre atteint par polarisation sur lunou sur lautre. Le centre de contrle de la firme, la direction gnrale, peut en effet agirprioritairement en utilisant des rgles montaires et donc en jouant prfrentiellement sur le prix dela force de travail et la transaction de marchandage par une politique diffrencie des salaires qui nersulte plus alors de la seule logique marchande mais dune pluralit de formes daction collective24.Mais il peut galement, dans le cadre de la mme gamme de formes daction collective, privilgierune rpartition en quantit et des rgles de type non montaire concernant le procs de travail et lagestion productive de la main duvre.

    23 Rappelons que Commons considre que toute transaction de marchandage ouvre une double dette entre les

    transactants : une dette de paiement pour lacheteur, une dette de performance pour le vendeur ; le premier doit lepaiement, le second doit livrer la marchandise, i.e. transfrer effectivement les droits de proprit sur celle-ci.

    24 Commons (1934, p. 755-759) en distingue une srie qui stale sur une chelle de degrs de dmocratie allant dulog-rolling limposition dictatoriale en passant par le simple arbitrage, la ngociation collective et la cooprationimpose.

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    Dit autrement, dans son mode de contrle des salaris, la firme peut choisir une actionstratgique sur le paiement performance donne ou sur la performance paiement donn. Cettepolarisation stratgique du leadership de la firme sur lune ou lautre des transactions de rpartitionpeut tre interprte comme renvoyant la distinction usuelle en conomie entre firmes price-making et firmes price-taking. Le centre de contrle est en effet dans le premier cas capabledimposer son point de vue sur la relation de marchandage en faisant le prix alors que, dans lesecond, il ne dispose pas dun tel pouvoir de march et doit en contrepartie simposer dans lesrelations de management pour maximiser les quantits en jouant sur la productivit et le cotunitaire du travail taux de salaire donn. Dans un cas, le centre de contrle use de son pouvoir dedirection principalement travers son influence sur la relation de marchandage (relativement auxgrilles de qualifications, aux niveaux de salaires, la rpartition de la masse salariale, aux types dermunration, etc.). Dans lautre, cette influence passe par lorganisation et la gestion de laproduction (organisation du travail, recherche-dveloppement, etc.).

    Cette possible polarisation alternative de la rpartition collective est a priori indpendante decelle quon trouve au niveau des transactions horizontales interinviduelles. Un march externe nestpas, en effet, ncessairement concurrentiel et peut tre soumis aux stratgies de quelques grandesfirmes25. De mme le march interne dune firme peut rsulter ou non dune stratgie de recherchede gains de productivit destine rduire le cot unitaire de la force de travail, ds lors que saqualit la dote dune rente de march. Tout dpend ici du contexte dans lequel la firme volue, cequi conduit introduire dans le modle de la firme une troisime opposition binaire susceptible decaractriser un tel contexte et qui a trait aux deux paires (lhorizontale et la verticale) detransactions - marchandage et management versus rpartition en valeur et quantit - qui sediffrencient lune de lautre en tant que linterindividuel se distingue du collectif.

    Deux grands contextes polaires peuvent en effet tre distingus qui concernent le mode definancement et dvaluation externe de la viabilit des firmes, viabilit et valeur qui dpendent de lamanire dont relations interindividuelles et action collective sont articules en leur sein. Soit lavaleur de la firme est dtermine par le march, financier ici en loccurence, par le jeu donc detransactions de marchandage (comme dans le cas du capitalisme dit anglo-saxon, libral ou encoreactionnarial). Soit elle lest dans le cadre dune conomie dendettement dans laquelle prvalent destransactions de management entre banques crditrices qui valuent la viabilit des entreprisesproductives et ces dernires en position de dbiteurs structurels (comme dans le cas du capitalismedit rhnan ou non market coordinated)26. Cette polarisation des contextes renvoie loppositionque la littrature fait entre capitalisme libral (contrainte externe exerce par les share-holders) etcapitalisme managrial (contrainte internalise exerce par les stake-holders)27. Ici encore, la dualitdes situations idal-typiques nest pas a priori institutionnellement redondante avec les

    25 Le march externe peut galement tre rgl par des grilles nationales de classifications et des diplmes dont la

    valeur est dtermine par certains secteurs productifs moteurs et simpose par diffusion ou effets de domination auxautres secteurs.

    26 Sur la varit des capitalismes, cf. le volume VI, 2002, de LAnne de la rgulation, notamment larticle de PeterHall et David Soskice et celui de Robert Boyer.

    27 On peut encore rapporter cette opposition celle entre stratgie de maximisation du taux de profit et stratgie demaximisation de la part de march.

  • FORUM 2003 DE LA RGULATION : 19/22

    polarisations alternatives relatives chacune des deux paires de transactions constitutives de lastructure de la firme.

    Nous pouvons alors symboliser ces polarisations dans la formule de la firme dune part par dessignes + et - pour ce qui concerne sa structuration interne, le signe + pour une transaction signifiantsa prdominance et entranant ipso facto un signe - pour la transaction rciproque (au sens deCommons) de mme niveau, dautre part pour ce qui concerne linfluence exerce sur sonfonctionnement interne par son mode de financement et dvaluation externe, par une flcheindiquant si prdomine dans la dynamique de reproduction de la firme plutt une logiquemarchande ([S=B]->R->M) ou une logique managriale (M->R->[S=B]). A partir de cette triplecodification, une typologie de huit (23) structures lmentaires de la firme capitaliste peut treconstruite. Nanmoins, dans cette classification prsente dans la figure 6, il faut distinguer destypes stables - firmes susceptibles de se dvelopper et consolider en empires industriels - et dautrespotentiellement moins viables - firmes dont la vitesse de cration/destruction est rapide -, soit dansles termes de Commons des formes de going concerns industriels plus perfectionnes quedautres. Ainsi une firme qui dune part, plutt que de faire pression sur des salaires de marchquelle ne peut en fait matriser, recherche des gains organisationnels de productivit et, dautrepart, dveloppe un march interne du travail fond sur des salaires defficience apparat-elle viabletout autant dans un contexte de capitalisme de march que de capitalisme managrial. On peutconsidrer en effet quun type de leadership, des principes politiques et une forme organisationnellefonds essentiellement sur une thique interne privilgiant la coopration et les intrts des stake-holders sont cohrents au plan institutionnel avec lautonomie des managers et la moindre exigencede profit quautorise le financement par crdit bancaire caractristique du capitalisme managrial.Pour autant, le niveau lev de rmunration du capital exig ventuellement par les share-holdersdans un systme de capitalisme actionnarial ne dstabilise pas ncessairement une telle formedorganisation ds lors que la qualit des produits rsultant de la qualit de la coopration danslentreprise permet celle-ci den fixer les prix de manire quasi-monopoliste (il sagit ici du prixdes produits et non de la force de travail qui est, quant lui, en ce cas socialement impos lafirme).

    FIGURE 6 : MODLES LMENTAIRES DE LA FIRME CAPITALISTE

    Types managriaux : stake-holdersContexte dconomie dendettement

    Types actionnariaux : share-holdersContexte dconomie financiarise

    BM

    R

    S

    + -

    -+

    March interne, price taking

    BM

    R

    S

    + -

    -+

    March interne, price taking

  • FORUM 2003 DE LA RGULATION : 20/21

    BM

    R

    S

    + -

    - +

    March interne, price making

    BM

    R

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    + -

    - +

    March interne, price making

    BM

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    March externe, price taking

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    March externe, price taking

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    March externe, price making

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    March externe, price making

    De mme, mais lextrme oppos de la grille typologique, le recours au march externe pourune (grande) entreprise qui dispose dun pouvoir normatif sur le march du travail est sans doutecompatible aussi bien avec une forme managriale (comme la firme fordienne) quavec la formeactionnariale de corporate governance, aussi longtemps que le taux de salaire lembauche pourratre ajust par la firme au taux de profit exig.

    En revanche le recours au march interne par une firme qui dispose par ailleurs dun pouvoirnormatif sur le march externe du travail parait plus incohrent, incohrence accentue lorsque lafirme dpend du march financier pour son financement puisque cela vient renforcer la logique demarch dans la conduite de lentreprise. De mme dans une entreprise qui fonctionne sur la basedun march externe du travail dans lequel elle ne pse rien, toute politique suivie de recherche degains de productivit trouve ses limites dans une mobilit non contrle de la main duvre, et celadautant plus rapidement que la firme dpend pour son financement du secteur bancaire puisquecelui-ci est, dans ce cas, mieux en mesure que le march financier de rduire sa prise de risque (casdes petites entreprises nayant pas accs au capital-risque).

    Les deux configurations du haut de la figure 6 et les deux du bas peuvent donc tre considrescomme des modles stables, harmoniques , tandis que les quatre autres peuvent tre vues comme dysharmoniques et ne constituant que des structures transitoires du fait quelles ont dessystmes de rgles oprantes peu cohrents.

  • FORUM 2003 DE LA RGULATION : 21/21

    Conclusion.

    La lecture commonsienne de la firme conduit donc la mise en vidence de quatre formeslmentaires dentreprise capitaliste susceptibles de se reproduire dans la dure, et non pas un typeunique comme dans la thorie conomique standard. Elle montre galement que lconomieinstitutionnelle de Commons est susceptible de dboucher sur des formalisations, certes dun typeparticulier, mais qui nen dmontrent pas moins que celui-ci a pos les bases dun cadrepistmique utilisable pour saisir les faits conomiques sous une forme renouvele et thoriquementplus conforme lobservation de leur diversit et variabilit dans le temps.

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    : fondements pour une lecture structuraliste des systmes de protection sociale", L'anne de la rgulation, Vol. 1, pp.163-228.

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    Thret, Bruno (2001), "Saisir les faits conomiques : la mthode Commons", Cahiers dconomie politique, n 40-41,n spcial Lectures de John R. Commons, p. 79-137.

    Thret, Bruno (2003), "Institutionnalismes et structuralismes : oppositions, substitutions, ou affinits lectives ?",Cahiers dconomie politique, n 46, n spcial Qua-ton appris sur les institutions ?, sous presse.