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A Comment faire pour combattre les difficultés d’accès au logement ? le Ravi a réuni un groupe d’habitants de la cité de La Viste, au nord de Marseille. Initiés au journalisme, ils ont posé les enjeux, mené des enquêtes, rédigé des articles et questionné des solutions. Et si on avait recours à des réquisitions publiques ? Et si on développait les expériences d’habitats groupés ? Et si on utilisait les nouvelles technologies pour faire face au logement d’urgence ? cherche vec Hollande, le changement se fait souvent attendre. Le 25 juin Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires, a confirmé l’application de la loi relative à l’accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur), dite loi Duflot, adoptée en mars dernier, mais en concentrant finalement les aides prévues au bénéfice des professionnels du secteur. Exit donc, pour l’instant, deux dispositions emblématiques et chères à l’ancienne ministre écolo, qui devaient permettre de lutter contre les difficultés d’accès au logement : l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers. Pour Fathi Bouaroua, les réponses ne sont de toute façon pas adaptées au problème. « Il est systémique, c’est une question de répartition des richesses, souligne le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, partenaire financier de ce projet. Et tant que le logement, l’énergie, l’alimentation seront des produits marchands et de spéculation, on ira droit dans le mur. » Nouredine Abouakil, porte-parole de l’association marseillaise Un centre ville pour tous complète de son côté : « Quand on parle de difficulté d’accès au logement, on fait référence à des personnes qui sont prêtes à payer un loyer mais qui ne trouvent pas de logement, par manque d’argent ou à cause de discriminations. » Et Fathi Bouaroua de pointer un autre obstacle qui aggrave la crise du logement : « La frilosité à louer de certains propriétaires, en particulier les petits commerçants, dont le revenu dépend de locations. » Pour le directeur de la Fondation Abbé Pierre, ces difficultés d’accès au logement ne se comprennent qu’à la lecture des politiques publiques menées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Après avoir beaucoup construit, en 1977, l’Etat passe le relais au privé, poursuit-il. D’un produit de première nécessité (les loyers étaient contrôlés), le logement devient un produit de consommation courante. Puis, à partir de 1995, l’Etat choisit de faire des cadeaux fiscaux pour booster les constructions, les prix explosent, il y a des grues partout, mais pas pour construire des HLM ou des logements pas chers… » A ces choix politiques, s’additionnent quelques spécificités propres à notre belle région : des loyers hauts, 788 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté (dont 133 000 travailleurs pauvres) et 11,3 % de logements sociaux, alors que 75 % des habitants peuvent y prétendre. Beaucoup d’acteurs associatifs, à l’image de Nouredine Abouakil, estiment qu’il faut désormais « offrir une diversité d’outils avec la puissance publique comme locomotive ». Et ce même si certains de ces outils ont montré leurs limites. « Les allocations logement [...] ne suffisent plus dans le privé, alors qu’elles coûtent 16 milliards d’euros par an. On gaspille ! », dénonce encore le directeur de la Fondation Abbé Pierre. Et si on luttait pour l’accès au logement ? A rebours de l’adage qui veut que les journalistes ne s’intéressent qu’aux trains en retard et donnent toujours la parole aux mêmes, le Ravi a réuni de véritables « spécialistes » de la crise du logement pour faire entendre une nouvelle « expertise ». Pour l’occasion, « le mensuel régional qui ne baisse jamais les bras » s’est ainsi acoquiné avec un groupe d’habitants de la cité de La Viste et/ou usagers de son centre social (Del Rio), dans le 15ème arrondissement de Marseille, au nord de la ville. Une initiative déployée sous le nom de code de « Et si ? ». De début mai à fin juin, presque chaque semaine, se sont retrouvés pour un atelier de journalisme, participatif et créatif, onze personnes. Il y avait Mounia et Sonia, deux jeunes mères de famille, Adia et Shayma, deux collégiennes, Lise, venue par l’intermédiaire de la Fondation Abbé Pierre, Delphine, une ancienne salariée de l’espace lecture de la cité, Yohan, un des fils de Mounia, Yannick, un jeune en recherche de formation, et Aziz, le président de l’amicale des locataires du 38 La Viste. Sans oublier l’auteur de ces lignes et Linda, chargée de (beaux) projets du Ravi et de la Tchatche (retrouvez en dernière page « l’album panini » de la fine équipe). Objectif ? Coproduire tous ensemble ce supplément de 8 pages diffusé avec le numéro estival du Ravi et « tiré-à-part » pour une diffusion gratuite, s’emparer des enjeux, s’initier au journalisme, tout en posant un regard critique sur les médias. Les trois premières séances ont été consacrées à la définition des sujets et des angles, choisis par vote après un grand remue- méninges. Finalement, sont sortis du chapeau trois sujets d’enquêtes : l’adaptation de l’application MySOS au logement d’urgence, les expériences de construction collective et celles des réquisitions publiques de logements. La rédaction du Ravi, pour compléter cette approche, s’est intéressée à d’autres sujets débattus au cours des ateliers : le clientélisme comme moyen d’accéder à un logement, l’auto- construction, les squats, l’internet citoyen… On s’est ensuite plongé dans les genres journalistiques, la recherche documentaire, l’interview, les prises de contacts, la préparation et la réalisation des entretiens, les règles de l’écriture journalistique, les choix d’informations et de citations... En résumé, une formation à une vitesse super- sonique ! Et même si ça a été « du boulot », on n’est pas peu fiers du résultat ! Jean-François Poupelin Cahier spécial Supplément « Et si ?» n° 120 juillet-août 2014 sa crèche

Supplement ravi120

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A

Comment faire pour combattre les difficultés d’accès au logement ? le Ravi a réuni un groupe d’habitants de la cité de La Viste, au nord de Marseille. Initiés au journalisme, ils ont posé les enjeux, mené des enquêtes, rédigé des articles et questionné des solutions. Et si on avait recours à des réquisitions publiques ? Et si on développait les expériences d’habitats groupés ? Et si on utilisait les nouvelles technologies pour faire face au logement d’urgence ?

cherche

vec Hollande, le changement se fait souvent attendre. Le 25 juin Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires, a confirmé l’application de la loi relative

à l’accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur), dite loi Duflot, adoptée en mars dernier, mais en concentrant finalement les aides prévues au bénéfice des professionnels du secteur. Exit donc, pour l’instant, deux dispositions emblématiques et chères à l’ancienne ministre écolo, qui devaient permettre de lutter contre les difficultés d’accès au logement : l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers.

Pour Fathi Bouaroua, les réponses ne sont de toute façon pas adaptées au problème. « Il est systémique, c’est une question de répartition des richesses, souligne le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, partenaire financier de ce projet. Et tant que le logement, l’énergie, l’alimentation seront des produits marchands et de spéculation, on ira droit dans le mur. » Nouredine Abouakil, porte-parole de l’association marseillaise Un centre ville pour tous complète de son côté : « Quand on parle de difficulté d’accès au logement, on fait référence à des personnes qui sont prêtes à payer un loyer mais qui ne trouvent pas de logement, par manque d’argent ou à cause de discriminations. » Et Fathi Bouaroua de pointer un autre obstacle qui aggrave la crise du logement : « La frilosité à louer de certains propriétaires, en particulier les petits commerçants, dont le revenu dépend de locations. »

Pour le directeur de la Fondation Abbé Pierre, ces difficultés d’accès au logement ne se comprennent qu’à la lecture des politiques publiques menées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Après avoir beaucoup construit, en 1977, l’Etat passe le relais au privé, poursuit-il. D’un produit de première nécessité (les loyers étaient contrôlés), le logement devient un produit de consommation courante. Puis, à partir de 1995, l’Etat choisit de faire des cadeaux fiscaux pour booster les constructions, les prix explosent, il y a des grues partout, mais pas pour construire des HLM ou des logements pas chers… » A ces choix politiques, s’additionnent quelques spécificités propres à notre belle région : des loyers hauts, 788 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté (dont 133 000 travailleurs

pauvres) et 11,3 % de logements sociaux, alors que 75 % des habitants peuvent y prétendre. Beaucoup d’acteurs associatifs, à l’image de Nouredine Abouakil, estiment qu’il faut désormais « offrir une diversité d’outils avec la puissance publique comme locomotive ». Et ce même si certains de ces outils ont montré leurs limites. « Les allocations logement [...] ne suffisent plus dans le privé, alors qu’elles coûtent 16 milliards d’euros par an. On gaspille ! », dénonce encore le directeur de la Fondation Abbé Pierre.

Et si on luttait pourl’accès au logement ?A rebours de l’adage qui veut que les journalistes ne s’intéressent qu’aux trains en retard et donnent toujours la parole aux mêmes, le Ravi a réuni de véritables « spécialistes » de la crise du logement pour faire entendre une nouvelle « expertise ». Pour l’occasion, « le mensuel régional qui ne baisse jamais les bras » s’est ainsi acoquiné avec un groupe d’habitants de la cité de La Viste et/ou

usagers de son centre social (Del Rio), dans le 15ème arrondissement de Marseille, au nord de la ville. Une initiative déployée sous le nom de code de « Et si ? ». De début mai à fin juin, presque chaque semaine, se sont retrouvés pour un atelier de journalisme, participatif et créatif, onze personnes. Il y avait Mounia et Sonia, deux jeunes mères de famille, Adia et Shayma, deux collégiennes, Lise, venue par l’intermédiaire de la Fondation Abbé Pierre, Delphine, une ancienne salariée de l’espace lecture de la cité, Yohan, un des fils de Mounia, Yannick, un jeune en recherche de formation, et Aziz, le président de l’amicale des locataires du 38 La Viste. Sans oublier l’auteur de ces lignes et Linda, chargée de (beaux) projets du Ravi et de la Tchatche (retrouvez en dernière page « l’album panini » de la fine équipe). Objectif ? Coproduire tous ensemble ce supplément de 8 pages diffusé avec le numéro estival du Ravi et « tiré-à-part » pour une diffusion gratuite, s’emparer des enjeux, s’initier au journalisme, tout en posant un regard critique sur les médias.

Les trois premières séances ont été consacrées à la définition des sujets et des angles,

choisis par vote après un grand remue-méninges. Finalement, sont sortis du chapeau trois sujets d’enquêtes : l’adaptation de l’application MySOS au logement d’urgence, les expériences de construction collective et celles des réquisitions publiques de logements. La rédaction du Ravi, pour compléter cette approche, s’est intéressée à d’autres sujets débattus au cours des ateliers : le clientélisme comme moyen d’accéder à un logement, l’auto-construction, les squats, l’internet citoyen… On s’est ensuite plongé dans les genres journalistiques, la recherche documentaire, l’interview, les prises de contacts, la préparation et la réalisation des entretiens, les règles de l’écriture journalistique, les choix d’informations et de citations... En résumé, une formation à une vitesse super-sonique ! Et même si ça a été « du boulot », on n’est pas peu fiers du résultat !

Jean-François Poupelin

Cahier spécial Supplément « Et si ?»

n° 120juillet-août 2014

sa crèche

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche

Bzzz ! Le quartier Saint-Mauront de Marseille, l’un des plus pauvres de France, bourdonne aujourd’hui d’activité grâce aux Habeilles. Un

collectif d’habitants, qui porte depuis deux ans et demi un projet d’habitat groupé au 12 de la rue Jullien. Philippe, un jeune retraité longiligne et Habeille pionnière, y a mis « temps, énergie et persévérance ». Alexia, arrivée en vélo, ajoute que « le principe, c’est que les participants sont partie prenante du projet. Il a fallu travailler la charte, penser le montage juridique, financier, etc. »

Limité à 3 % de bénéfices par la loi 1901, Pact 13 les réinvestit au service des défavorisés. Il était donc naturel que ce bailleur social participe à la construction des douze logements locatifs, dont huit sociaux, qui formeront la ruche des Habeilles. C’est l’EPFR (Etablissement public foncier régional) qui a vendu le terrain à l’association. Une coopérative gérera l’immeuble (loyers, règles de vie, petit entretien, local d’activité), dont Pact 13, via un emprunt à la Caisse des dépôts et consignations, finance la construction. Mme Charnay, chargée de développement du bailleur, séduite par ce projet « innovant », assure « que les loyers rembourseront le prêt pendant 50 ans et, qu’à terme, les Habeilles seront chez elles ».

Les loyers seront au niveau de ceux du logement social. « Pour une qualité autrement inaccessible », assure Alexia. Ecolo et à la norme BDM (bâtiment durable méditerranéen), l’immeuble offrira également de nombreuses parties communes : une salle polyvalente ouverte aux habitants du quartier, un atelier vélo, des chambres d’ami et une buanderie communes, un toit terrasse, un local d’activité. « La volonté du groupe est de faire un projet non spéculatif et ouvert sur l’extérieur. Sa plus-value est le vivre ensemble », déclare Alexia. Et Philippe d’ajouter : « On fabrique un concept ! »

Autre concept d’habitat participatif, l’autoconstruction. Direction Marinaleda (2800 âmes), en plein cœur de l’Andalousie. Grâce au modèle économique alternatif au système capitaliste et grâce à la démocratie directe et participative mise en place par son maire depuis 1979, Sanchez Gordillo, c’est la seule commune en Espagne à être épargnée par la crise. Au sortir du franquisme, ce professeur d’histoire impulse une occupation des terres de riches propriétaires qui débouchera, douze ans plus tard, sur la création d’une coopérative agricole de 1200 hectares, puis d’une conserverie (salaire de 1200 euros pour tous). Suivent de multiples services publics (installations sportives gratuites, crèche à 12 euros par mois, un restaurant à 1 euro le repas, etc.) et un programme original d’autoconstruction de maisons de 90 m2 avec patio. Les habitants fournissent la main d’œuvre, la municipalité, qui reste le propriétaire, offre le terrain et les services d’un architecte, ainsi que les matériaux, avec l’aide de la communauté autonome d’Andalousie. Loyer : 15 euros par mois.

« Le principe de solidarité »

Marinaleda n’est pas sans rappeler l’épopée des Castors de la Germaine à Marseille (15e arr.), un des six lotissements autoconstruits de la ville dans les années 50, sous l’impulsion de prêtres ouvriers et avec le soutien de l’Etat. « Le principe était la solidarité, raconte Gilbert Bugnoli, un fils de Castor, 7 ans au début de la construction, en 1953, qui a racheté le logement familial il y a une dizaine d’années.

La condition sine qua non, en plus d’être ouvrier, était de donner 1500 heures par an, le plus souvent le dimanche, seul jour de repos de la semaine. » Et de s’enthousiasmer, intarissable : « Pour moi c’étaient des surhommes, pendant six ans, ils n’ont eu ni weekend, ni vacances ! »

Autre principe du projet : construire à moindre coût. Des parpaings aux huisseries, tout est fabriqué sur place. Et, à chaque occasion, les castors récupèrent (les pavés qui serviront pour les routes) et sollicitent des « coups de main ». L’organisation même du lotissement permet de faire des économies : les 120 logements, attribués par tirage au sort, sont répartis en 30 blocs de quatre appartements (deux au rez-de-chaussée, deux à l’étage) et sont tous identiques (73 m2, trois chambres, une cuisine, un salon,

des WC, une salle de bain, un jardin), ce qui permet d’économiser des murs et des toits. « Pour ces gens simples qui n’avaient pas les moyens d’acheter, l’économie a été énorme, près des deux-tiers du prix », assure Gilbert Bugnoli. Et de regretter « que l’aventure ne se soit pas poursuivie ».

Mais elle peut-être en train de renaître avec le projet de Saint-Mauront. Le mot de la fin revient à Alexia : « L’habitat participatif ne résoudra pas toutes les difficultés d’accès au logement, mais on a l’espoir que d’autres projets naîtront. » Et que les Habeilles essaimeront !

Delphine Gia, Sonia Harrat & Lise Michaud

Des bâtisseurs d’avenirDes Habeilles de Saint-Mauront (3e) aux Castors de la Germaine (15e), en passant par le village de Marinaleda en Espagne, la parole est à des battants qui ont su unir leurs efforts pour accéder à la propriété collective ou à l’habitat participatif.

II

Making-off« Cet atelier de journalisme sur le thème du logement et des difficultés rencontrées pour y accéder m’a vraiment intéressé. L’équipe est très diversifiée, chacun donne son opinion et apporte ses connaissances ou ses histoires personnelles. Mon investissement a consisté à faire des recherches sur des solutions qui, par le passé, ont été le fruit d’une harmonie et d’une mobilisation des habitants. C’est l’exemple des Castors qui, partis de rien mais avec une solidarité humaine, ont abouti à la construction de leurs logements, dont ils sont devenus propriétaires. Aujourd’hui, les difficultés à se loger sont énormes. Je trouve très intéressant d’écouter le citoyen, qu’on lui permette de s’exprimer dans les médias, dont le Ravi. J’espère que les futurs lecteurs réagiront, parce qu’il est temps que ça change ! Je remercie les responsables de cet atelier de nous avoir donné l’opportunité de nous exprimer. »

S.H.

«C’est une maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied, ceux qui

vivent là ont jeté la clé… » Au village Emmaüs Lescar Pau, les maisons sont plutôt colorées et un peu biscornues mais l’esprit « on se retrouve ensemble après des années de routes » est bien là. Dans cette communauté Emmaüs du Béarn (64) - la plus grosse de France - qui accueille depuis trente ans des écorchés de la vie, des êtres laissés au bord du chemin, mais aussi des gens qui refusent de se plier au dictat de la société, peu à peu les 80 mobil-homes laissent place à des maisons en éco-construction jusqu’à donner vie à un vrai village, avec une épicerie, une déchetterie et même une mairie..

L’humain avant tout Pour Cécile Van Espen, chargée de la communication « l’éco-construction n’est que le développement logique de tout ce qui a été fait jusque-là ». Les terrains qu’ils occupent ne sont pas en zone constructible et ils n’ont qu’un accord tacite de la

préfecture. « Mais ici l’administratif nous fait suer et, quand on décide de faire quelque chose, on commence dès le lendemain, on ne s’embarrasse pas de la paperasse. On n’a pas le temps. » Et si le village est indépendant à 100 % (1) et s’autofinance grâce au dépôt de marchandises et à leur revente, il est aussi avec le temps devenu l’un des partenaires privilégiés des collectivités grâce à l’accueil des sans-abri qui quittent le RSA pour s’installer là mais aussi grâce à sa recyclerie. « Nous sommes clairement des désobéissants, mais on ne peut pas faire sans nous ! », précise la chargée de com.

L’atelier de construction se fait en interne, et le futur locataire, tiré au sort lors du conseil municipal participe à l’élaboration de sa maison à hauteur de ses capacités et paie un loyer modeste. « On est dans un schéma de dynamique participative. La personne s’approprie son habitat, c’est une façon indirecte de se projeter dans le village et de s’inscrire dans un projet de vie. » La première maison est

sortie de terre en septembre 2009, peinte en jaune et bleu, elle fut baptisée « le Mistral » par Denis son locataire originaire du sud est. Actuellement, c’est une sculpture monumentale, « en chemin vers l’utopie », qui est en préparation et va devenir l’identité du village. 6 mètres de haut et 100 mètres de long représentant des silhouettes d’habitants ou de visiteurs convergeant ensemble vers le soleil couchant. « C’est avant tout l’humain qui est au centre de nos préoccupations. On essaie de construire autre chose, afin de montrer que lutter contre la misère, ce n’est pas seulement tendre la main. »

1. Une indépendance financière pas forcément bien perçue

par Emmaüs France qui considère cette communauté du

Béarn et son fondateur Germain Sarhy un peu à la marge.

Samantha Rouchard(journaliste au Ravi)

reconstruireConstruire pour se La communauté Emmaüs Lescar Pau, dans le Béarn, permet à des compagnons de participer à la construction de leur propre maison…

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche III

Making-offLes ateliers de journalisme ont été très intéressants et touchent notre population. C’est un sujet qui me concerne et nous concerne. J’ai pu participer à l’interview de Fathi Bouaroua, le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, qui nous a expliqué pourquoi il est difficile de réquisitionner des logements vacants. Cependant, certaines personnes qui ont des revenus faibles, s’abstiennent toujours de faire les démarches pour obtenir un logement. Ainsi, le journal le Ravi nous donne l’occasion de nous exprimer sur le mécontentement et les difficultés que le citoyen rencontre dans ses recherches de logement. Je remercie l’équipe qui s’est investie pour aboutir à des solutions qui, j’espère, feront réagir les bailleurs.

M.Y.

«D éjà s’assurer que le lieu que l’on «ouvre» n’appartient pas à un privé

car il risquerait de nous envoyer des gros bras pour nous virer. L’idéal c’est un bien en déshérence, mais c’est très difficile à trouver. Ensuite, lorsque la police débarque, il faut prouver que l’on est domicilié à cette adresse depuis plus de 48 heures. Pour ça on s’envoie un courrier à notre nom où on change l’adresse de notre forfait téléphonique. Puis il faut faire en sorte que la porte soit ouverte afin de ne pas être interpelé pour voie de fait. Bon, en règle générale, ça n’est pas le cas, du coup il faut changer toutes les serrures… » Alice, 27 ans, squatteuse depuis quelques années est incollable sur les procédures. Mais, même si les expulsions trainent parfois en longueur - celles des camps de Roms étant la priorité du moment -, dans quelques jours elle sera mise à la porte du squat qu’elle occupe à Marseille depuis presque un an avec quinze autres personnes.

Parmi ses colocataires certains vivent en squat depuis

20 ans. Elle s’y est mise il y a quelques années alors qu’elle rentrait de l’étranger sans avoir les moyens de prendre un appartement. Diplômée, si aujourd’hui elle fait des petits jobs pour s’en sortir, à la rentrée, elle aura « un vrai travail », mais souhaite continuer à vivre en squat. Parce que, non seulement l’accès au logement est compliqué, mais surtout parce qu’elle apprécie ce mode de vie, d’échange et de partage qui lui ont ouverts les yeux sur certaines choses : « Y’a des gens avec lesquels j’habite qui n’ont pas fait beaucoup d’études et qui sont les personnes les plus cultivées qu’il m’ait été donné de rencontrer. »

Un autre vivre ensembleChacun a sa chambre mais les repas se prennent ensemble, avec un pot commun pour les courses et des réunions lorsqu’une question collective est soulevée. Une grosse coloc avec ses règles, ses joies et ses inconvénients où se côtoient jeunes, vieux, minima sociaux, étudiants, enfants, artistes… Pour Alice, il s’agit vraiment d’un choix politique

et idéologique : « Il ne faut pas se victimiser, on vit là pour des raisons financières mais surtout parce qu’on a envie d’être ensemble, sinon chacun aurait la possibilité de faire autrement. »La jeune femme a même dressé le portrait type du squatteur : « C’est un homme, blanc, 35 ans, issu de la classe moyenne. » Les filles sont peu nombreuses. Dans le squat d’Alice elles doivent s’imposer : « C’est pas un milieu dans lequel tu peux minauder, y a pas de place pour ça. Il faut se donner un semblant de virilité. » Ras le bol de devoir faire le guet pendant des heures alors que les mecs « ouvrent » des lieux. Alice préfère elle aussi passer à l’action, elle essaie de se former à l’électricité et à la plomberie, histoire « d’enlever le marteau des mains des hommes » ! Elle aimerait que les squats continuent de s’accroître et, si elle en avait le temps et l’énergie, elle en ouvrirait bien pour les autres. Et avec 20 % de logements inoccupés à Marseille, y’ a de quoi faire...

S. R.

Chronique d’unesquatteuseAlice habite en squat à Marseille. Entre débrouillardise

et choix de vie.

«S i on applique la loi sur la réquisition des logements vacants, c’est la guerre civile ! » Toujours dans la

demi-mesure, comme lorsqu’elle avait demandé l’envoi de l’armée dans les cités marseillaises, Samia Ghali, sénatrice-maire PS des 15e et 16e arrondissements, résume à sa manière le refus des responsables politiques d’utiliser ce levier pour combattre les difficultés d’accès au logement.

Il y a pourtant urgence. « En France, il y a 2 millions de logements vacants et 1,2 millions de demandes de logements sociaux en attente. A Marseille, 12 646 personnes ont au moins dormi une fois à la rue en 2102 quand 34 488 logements sont vides », dénonce Fathi Bouaroua, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre (1). Pire, alors que l’ordonnance de 1945 donne au maire un pouvoir de proposition au préfet, le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, préfère laisser se dégrader son patrimoine, notamment « des biens vacants depuis plus de 10 ans en centre ville », assure de son côté Nouredine Abouakil, porte-parole d’Un centre ville pour tous. Et les deux responsables associatifs de fustiger le manque de « volonté politique » des élus locaux comme nationaux. « [Ils] ne veulent pas embêter les bailleurs et les propriétaires privés », accuse Henri Jibrayel (2).

D’autres n’ont pas cette pudeur. Les expériences ne manquant pas... y compris en France. Au tournant des années 90-2000, sous la pression des associations, Jacques Chirac, alors président de la République, et son premier ministre socialiste Lionel Jospin, se sont appuyés sur l’ordonnance de 1945 pour réquisitionner quelques centaines de logements, notamment à Paris. Mieux, depuis 9 ans, dans la très libérale Amérique, l’Etat de l’Utah a mis en place le programme « Housing First » (un toit d’abord) après avoir calculé qu’un SDF coûtait plus cher en étant à la rue (en frais d’hospitalisation, etc.) qu’en étant logé et accompagné socialement. 16 000 dollars dans le premier cas, 11 000 dollars

dans le second. Un exemple suivi par les Pays-Bas, l’Angleterre, la Hongrie et le Portugal (3).

Toujours dans l’UE, d’autres partenaires de la France ont été encore plus loin. « Dans les années 90, l’Espagne a réquisitionné 20 à 30 000 logements » et « en Italie, la ville de Rome a financé la réhabilitation de bâtiments vides investis par des associations », rappellent respectivement Henri Jibrayel et Fathi Bouaroua.

« Intellectuellement, moralement, c’est indécent »

Last but not least, une histoire belge. Pour contourner les conditions trop strictes de la loi fédérale de 1993 sur les réquisitions, notamment l’absence d’immeuble public abandonné sur le territoire d’une commune, certaines régions d’outre-Quiévrain disposent d’outils moins contraignants et moins effrayants : par exemple, le droit de gestion publique à Bruxelles. Cette « réquisition douce », son nom en Wallonie, mise en place en 2003, stipule que tout opérateur public peut décider la réquisition d’un logement vacant depuis plus d’un an ou insalubre et se substituer aux propriétaires pour effectuer les travaux de mise en conformité, contre remboursement sur les loyers. Longtemps échaudées par l’investissement, les communes de la Région de Bruxelles bénéficient depuis 2006 de prêts à taux zéro via un fonds spécialement dédié. Mais plafonné à 57 000 euros (en 2014) et limité à 70 % du montant des travaux, 90 % dans certaines zones prioritaires, le droit de gestion public impose que les logements ne soient pas trop dégradés. Avantage : le relogement est plus rapide.

Signe que la réquisition, même douce, reste tabou, le droit de gestion public n’est utilisé que depuis peu. Seuls deux projets ont pour l’instant été lancés dans la région de Bruxelles : trois logements à Saint-Gilles et un immeuble de deux appartements à Ixelles. Mais « le souhait de la municipalité d’Ixelles est de multiplier les projets, assure Caroline Désir, échevine (adjointe) PS au

logement. Pour cela elle s’est récemment dotée d’une cellule de recensement, qui sert aussi à montrer que l’autorité publique agit. »

Et d’insister : « Intellectuellement, moralement, c’est indécent qu’autant de logements soient vides alors qu’il y a autant de SDF et de demandeurs d’asiles. » A croire qu’en France, la morale passant après la sacro-sainte propriété privée, il y a une volonté politique d’accepter autant de familles à la rue, mal logées ou vivants dans des logements insalubres...

1. Sollicitée pour avoir des chiffres, la préfète à l’égalité

des chances, comme d’habitude, n’a pas donné suite

aux demandes d’interview du Ravi.

2. Après notre entretien Henri Jibrayel a interrogé par

écrit le gouvernement sur ses intentions en matière de

réquisition d’immeuble. Il y annonce 24 000 logements

vacants en Paca. Un courrier pour l’instant sans réponse

3. Franceinfo.fr, 24/01/2014

Mounia Yamouni, Aziz Chinoune,Yannick Mendy et Jean-François Poupelin

Réquisition, une questionLégalement possible depuis 1945, la réquisition de logements vacants reste un tabou en France. Pourtant d’autres pays utilisent cet outil pour répondre à la crise du logement. Petit tour d’horizon. de volonté

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche IV

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche V

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche VI

Making-offAu moment de finaliser, nos

deux interviews en poche, on a eu un doute. Ça a, à peu de

choses près, donné ça :

- « Linda, je ne comprends pas bien comment ça marche

ici. Chez moi, au Togo, on construit un étage pour

accueillir les proches qui n’ont pas de maison. »

- « T’inquiète, on va voir ça ensemble petit à petit. »

-« Adia, pour nos interviews, tu te rappelles quelle longueur

ça doit faire ? » - « 4 500 signes. »

-« Hein ? 4 500 mots tu veux dire. »

- « Non, 4 500 caractères et espaces compris. »

- « T’es sûre ? Y’a écrit quoi là, en bas à gauche, dans

statistiques ? »- « 19 563 signes... Putain, on

est dans la merde... »

A.T. et L.E.

Ludovic Soler, aujourd’hui, lorsqu’une personne se retrouve sans logement, quelles aides s’offrent à elle ?Ludovic Soler. Nous travaillons principalement avec le 115 (numéro vert national), qui reçoit les appels des personnes démunies et les oriente vers le service d’aide le plus adapté en fonction de leur profil. Puis les ordres d’intervention sont transmis au Samu social. Cela se traduit par la prise

en charge et l’accompagnement tous les jours d’une centaine

de personnes sur Marseille : dans un accueil de jour pour bénéficier d’un repas

équilibré, dans un centre d’hébergement d’urgence etc. Notre problématique majeure est de trouver

la solution la plus adaptée et le plus rapidement possible, sinon on risque de perdre de vue la personne.

A Marseille, combien de ces personnes retrouvent un logement de manière pérenne à court-terme ? L. S. Je peux évaluer à environ 900 par an les personnes qui sont en demande d’un logement d’urgence. Parmi ces 900 personnes, il y en a une soixantaine que nous accompagnons régulièrement, cela signifie donc qu’elles n’ont pas retrouvé

de logement pérenne. Pour le reste, Je n’ai malheureusement aucun retour.Depuis l’automne dernier, l’application mobile mySOS permet à un utilisateur d’informer des personnes connectées au service dans un rayon de trois kilomètres de ses problèmes physiques afin qu’elles le secourent ou préviennent les pompiers. Pensez-vous que son adaptation aux problématiques du logement d’urgence serait la bienvenue ? L. S. Une application similaire aurait l’avantage de gagner en rapidité et en diversité, dans les réponses apportées. Cela nous arrive parfois de recevoir des appels pour nous signaler qu’une personne dort dans sa voiture depuis plusieurs jours. Une telle application pourrait permettre de gagner du temps avant que la personne ne s’enlise dans une situation difficile. Mais dans tous les cas, je ne pense pas qu’un hébergement temporaire chez des particuliers soit adapté pour des grands marginaux, qui vivent dans la rue depuis des années. Cela demande une prise en charge spécifique et adaptée.

Bernard Mourad, à quelles difficultés avez-vous été confronté avant de lancer cette application mySOS l’automne dernier ?Bernard. Mourad. Principalement des freins techniques, par exemple pour assurer une géolocalisation permanente, nécessaire au bon fonctionnement de l’application. Son développement est plus complexe qu’un site internet. Pour la programmation d’un site, il y a un langage universel. Pour une appli, c’est plus fragmenté. C’est de l’artisanat ! La potentielle crainte concernant l’usage des données personnelles a vite été dissipée car elles ne sont stockées sur aucun serveur. Elles figurent dans le portable de la personne qui s’inscrit volontairement sur mySOS.

MySOS nécessite un smartphone et une connexion internet. Avez-vous imaginé des équipements n’excluant pas les personnes qui n’y ont pas accès ?B. M. Je n’ai pas réfléchi à des alternatives, ce n’est pas mon métier. Mon métier, c’est de créer le réseau et le meilleur système

d’alerte possible. Là on touche à un autre problème : la fracture numérique. Il existe des associations qui œuvrent dans ce domaine comme ALC (1).

Une adaptation de mySOS au logement d’urgence est-elle envisageable d’après vous ?B. M. C’est un sujet très différent. Le fait de se porter volontaire pour devenir hébergeur implique sans doute moins de spontanéité. Il peut y avoir davantage d’appréhension par rapport à la personne que l’on va recevoir chez soi. Pour qu’une telle application marche, il faut un réseau suffisamment développé et de manière intuitive, je pense qu’il y aurait moins d’hébergeurs volontaires que d’anges gardiens. Mais il y a là un potentiel, un truc à creuser. A mon avis, ce ne pourra pas être une extension de mySOS. Il faudrait une appli spécifique à cela. Ce qui est intéressant dans le cas de l’hébergement d’urgence, c’est aussi l’aspect économique. Cela coûte excessivement cher à l’Etat (2).

1. ALC est basée dans les Alpes-Maritimes avec son

projet « Electronique Tweet ».

2. En 2013, 458 millions d’euros ont été

dépensés dans l’hébergement d’urgence, soit

une progression de 66 % par rapport au budget

initial. En comparaison, ce même coût s’élevait à

283 millions d’euros/an en moyenne entre 2008 et

2012 (lesechos.fr).

Entretien complet et infos complémentaires sur le

www.leravi.org

Propos recueillis par Adia Tcherodji et Linda Ecalle

En février 2012, une vague de froid submerge la France. Le Samu social est débordé et des sans-abri meurent dans les rues. Brann du Sénon,

ancien SDF vivant désormais à la campagne, décide d’installer des caravanes sur son lopin de terre de Seine-et-Marne et d’y accueillir ceux qui ont besoin d’un toit sur la tête et d’un plat chaud. Avec Cédric Leret, lui aussi ancien SDF, via une page Facebook ils proposent à tout un chacun d’en faire autant : le 115 du particulier est né.

« On n’a pas sollicité les gens pour leur argent mais pour intervenir dans leur quotidien, en proposant une couverture, un coin de canapé, un bout de pain, sachant qu’un bout de pain plus un bout de pain ça fait à bouffer pour une famille, note Brann du Sénon. Car ça ne change pas grand-chose de faire une gamelle pour un ou pour deux. » Un endroit où dormir et un ventre plein c’est le début d’une reconstruction : « Une fois que l’on a ça, on peut enfin se projeter sur autre chose. » Avec les années, il a vu naître une nouvelle misère, celle des travailleurs

pauvres, ceux qui ont un emploi mais pas de quoi se loger et sont obligés de dormir dans leur voiture.

Bienvenue chez moi« On n’oblige personne à ouvrir sa porte, et ceux qui le font sont des gens modestes. Un accueil est rarement innocent et bien souvent il donne lieu à de très belles histoires. » Brann cite le cas d’un jeune ingénieur, sans emploi et à la rue, qui a retrouvé un toit et un boulot, et parfois même des histoires d’amour qui finissent en mariage. Et de rajouter, lucide : « Il y a aussi de vilaines histoires car dans l’humain abîmé parfois certains comportements se détériorent avec l’exclusion et on a automatiquement des réactions de survie qui ne sont pas raccord avec les règles de la société. Mais c’est aussi une manière de montrer qu’on existe. »

Nombreux sont les travailleurs sociaux dépassés par les événements qui se tournent vers le 115 du particulier pour palier le manque de solutions. Loin

d’en tirer une quelconque fierté, Brann du Sénon s’inquiète de voir le nombre de SDF augmenter d’année en année ainsi que le nombre de morts (461 en 2012 et 477 en 2013) face à des pouvoirs publics qui ne réagissent pas. « Il y 2 millions de logements vacants en France, si on divise par le nombre de sans-abris, ça donne trois logements par personne ! Comment à travers ça, ne pas déceler une volonté de laisser les gens dehors ? » Après deux ans d’existence, le 115 du particulier est désormais une association et a un site internet grâce auquel hébergeurs et hébergés entrent en contact directement. Brann traite entre 50 et 100 appels par jour et accueille toujours autant de monde sur son terrain rebaptisé « le village du 115 ». Les Restos du cœur devaient durer un hiver, ils existent depuis presque 30 ans… Il y a fort à parier que le 115 du particulier a malheureusement de belles années devant lui…

www.le-115-du-particulier.fr

Samantha Rouchard

a du bon

« Gagner en

Quand Facebook

MySOS, l’application mobile qui sauve des vies et construit un monde plus solidaire, peut-elle être adaptée au logement d’urgence ? Interview croisée entre le créateur de mySOS, Bernard Mourad, et un collaborateur du Samu social de Marseille, Ludovic Soler.

Via internet, des citoyens se mobilisent pour mettre des SDF à l’abri du froid et de la faim.

rapidité et en diversité »

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche VII

«E n deux jours ça a été réglé, j’ai eu mon appartement. » Alors qu’à Marseille 38 000 demandes de

logement social sont en attente, il y a parfois des petits miracles, comme celui vécu par Zahra (1) dans les quartiers nord de Marseille. Après avoir passé en vain un an à faire le siège de sa mairie de secteur et de son office HLM, cette trentenaire, mère de trois enfants, a préféré s’en remettre à une amie bien en cour auprès de l’équipe de Samia Ghali, sénatrice-maire PS des 15ème et 16ème arrondissements, pour obtenir un logement à la taille de sa famille. Avec succès.

Depuis au moins Gaston Deferre, les élus marseillais savent en effet faire parfois preuve d’une efficacité redoutable pour régler les difficultés de leurs électeurs à accéder à un toit. Surtout s’ils y trouvent leur intérêt. Dernière illustration en date et à grande échelle : l’affaire Guérini. Comme l’ont montré les écoutes téléphoniques, Alexandre disposait d’une ligne de crédit illimitée à 13 Habitat, l’office HLM du Conseil général des Bouches-du-Rhône présidé par son frère Jean-Noël, par ailleurs sénateur socialiste (2), pour distribuer des logements. « Monsieur frère » y avait même décrété un « open bar » pour le syndicat Force ouvrière ! Un geste évidemment rarement gratuit. « Pour ne pas insulter l’avenir, j’ai fait la campagne des municipales de Samia Ghali », précise Zhara.

Mais parfois, cela ne suffit pas. Il faut en plus lourdement insister. « Il est nécessaire d’appeler, de harceler les élus pour les obliger à tenir leurs promesses », explique ainsi sa copine Zohra (1). « Il y a des gens qui menacent les élus car ils n’ont plus de contreparties à leur proposer, du coup les élus continuent à leur faire miroiter des choses », dénonce Aziz Chinoune, président de l’amicale des locataires du 38 La Viste (3). Lui-même assure refuser toute aide politique, y compris pour des situations d’urgence, afin de ne pas être pris au piège de la relation de clientèle..

Du côté des principaux intéressés, on nie en bloc. « Si je devais compter sur ça pour gagner les élections, soupire Samia Ghali. Lorsqu’on me sollicite, qu’on me propose un coup de main, je réponds que je n’ai rien à donner […] Si on aide une famille, on dit non à 100, ce qui n’est pas un bon rapport électoral. » Et la sénatrice-maire socialiste de jurer : « Lorsque je fais des propositions à une commission d’attribution, c’est uniquement pour une famille qui n’a pas de logement. » Pire, à écouter la candidate malheureuse aux primaires socialistes, même si elle souhaitait récompenser des militants ou aider des proches, elle ne pourrait pas. Faute de moyens. « Depuis que je suis élue [en 1995], c’est la mairie centrale qui redistribue son contingent aux maires de secteur. Si elle m’en reverse un ou deux lorsqu’elle en récupère 10 sur mon secteur, c’est le bout du monde ! », poursuit la présidente du groupe PS à la Communauté urbaine de Marseille.

« C’est toujours la même bande qui se sert. »

Inutile pourtant de sortir les violons et les mouchoirs. Si l’époque de Gaston Defferre et des constructions massives de HLM est définitivement révolue, les responsables des collectivités locales ne sont pas encore des miséreux. Selon la Confédération nationale du logement, rien que sur La Viste, une cité où le turn over des locataires est important, sur 675 logements, Samia Ghali dispose d’un contingent de 145 appartements. Dans les 4ème et 5ème arrondissements, le sénateur-maire UMP Bruno Gilles nous assurait en 2012 disposer, lui, et par « la loi », de « 4 % des programmes neufs, comme tous les maires de secteur » (4). Et le secrétaire départemental de l’UMP de jurer à son tour : « Je ne vais pas prendre quatre familles adhérentes au PCF, mais je ne suis pas obligé de prendre des adhérents de mon parti. Il y a aussi de belles histoires. » Avant de reconnaître : « Après, ce serait mentir de dire que je n’ai

jamais aidé un de mes militants. »

Certains élus sont cependant moins bien logés. Le conseiller général socialiste de Verduron, Henri Jibrayel, par exemple, semble payer depuis quelques temps ses mauvaises relations avec Jean-Noël Guérini. « Moi au Conseil général, dont dépend 13 Habitat, ça fait trois ans que je n’ai pas eu un logement, se plaint ainsi le meilleur ennemi de Samia Ghali. Alors ma consigne, c’est que les appartements, on ne s’en occupe plus. C’est un combat impossible. Les gens sont tellement dans l’attente que vous créez des illusions, des conflits. » Et le député des 15ème et 16ème arrondissements de pester, avec une pointe d’envie : « A Marseille, c’est toujours la même bande qui se sert. » Des noms !

1. Le prénom a été changé.

2. En avril, Jean-Noël Guérini a rendu sa carte du PS.

3. Aziz Chinoune participe à l’atelier de journalisme.

4. Le contingent de chaque collectivité dépend en fait

de son soutien aux projets, notamment sous forme

de garantie d’emprunt. A titre d’exemple, à Marseille,

selon la CNL, le CG13 de Jean-Noël Guérini, plus

sollicité ou généreux, dispose de 11 % des contingents

dans le neuf, contre 9 % pour la ville de Marseille.

Jean-François Poupelin

Par la grâce de l’éluUn bon moyen d’accéder à un logement reste le clientélisme. Une tradition locale très partagée.

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l’Assemblée Générale annuelle de laTchatche.

Je m’abonneA Marseille, la distribution de logements sociaux par les élus, reste largement un tabou. Certainement parce que la pratique est largement partagée politiquement. Et ce, depuis longtemps. Dans un article de 2004 basé sur les archives de la ville (1), le sociologue Cesare Mattina raconte, par exemple, que la construction de HLM dans le Grand Barthélémy (14e arr.) a été l’occasion d’un judicieux partage : sur 717 logements sociaux attribués par la municipalité Defferre entre avril 1969 et juin 1970, « 187 logements sont revenus [au] maire de Marseille (et son cabinet), 46 [aux] fonctionnaires municipaux, 71 [au] service du logement (et donc contrôlés par l’adjoint au logement) et 313 [aux] groupes politiques soutenant la majorité municipale », à laquelle appartenait le centriste Jean-Claude Gaudin. Aujourd’hui Samia Ghali, sénatrice-maire socialiste des 15e et 16e arr., explique que « la mairie centrale » se contente de redistribuer « son contingent aux maires de secteur ». Reste à savoir ce que nous raconteront les archives de l’actuelle maire UMP...

« Mutations des ressources clientélaires et construction des notabilités politiques à Marseille (1970-1990) », Politix, vol. 17, N°67, troisième trimestre 2004, pp. 129-155.

J-F. P.

Un vieux tabou

120ème numéro -10ème année24 pages - 3,40 €

En kiosque chaque 1er vendredi du mois

le Ravi n°120 - supplément « Et si ? » - le Ravi cherche sa crèche VIII

L’album Panini« Et si ? »

Baisser les taux des prêts

Amenée par Mounia, avec qui elle danse tous les mercredis après-midi, à moins que ce soient leurs filles qui dansent ensemble, ou les deux, dès la deuxième séance de l’atelier, Sonia nous a guidés vers les Castors. Au moment du reportage à la Germaine, elle passait son concours d’agent de sécurité dans les aéroports. Qu’elle a obtenu ! Juste à temps pour faire les interviews dans le centre social avec son amie. Voilà la suite de leur récolte : « Répertorier les logements vacants ; rendre les familles en détresse prioritaires pour l’accès à un logement social ; baisser les taux des prêts pour favoriser l’accès à la propriété. »

Sonia Harrat

Pour le premier atelier de journalisme participatif et créatif « Et si ? », le Ravi a réuni une équipe de foot. Onze habitants, la plupart de la cité de La Viste, au Nord de Marseille, y ont joué le jeu. Portraits. Et même un peu plus. Appliquer

les lois

Sans boulot depuis un grave accident du travail, Aziz a pourtant un emploi du temps de ministre. Administrateur très actif du centre social Del Rio, ce presque retraité est aussi président de l’association des locataires du 38. Autant dire que le logement, c’est son rayon. Ses mesures prioritaires : « Construire des logements sociaux à Marseille, mais pas dans les quartiers Nord ; abroger la loi Boutin, une véritable usine à gaz ; supprimer les points négatifs de la loi Alur, comme la garantie universelle des loyers qui n’a pas de financement ; appliquer les lois existantes, comme l’ordonnance de 1945 sur les réquisitions. »

Aziz Chinoune

Des logements plus grands

A 22 ans, Yannick semble se chercher encore un peu. Intrigué de voir notre petit groupe investir la salle informatique du centre social, il nous a rejoints avec enthousiasme. En attendant d’entreprendre une formation en alternance au lycée de la seconde chance. S’il n’a pas de galère de logement -il vit toujours chez ses parents- Yannick trouve celui de sa famille à La Viste un peu petit. Ils sont huit. La difficulté d’accéder à un logement plus grand est un problème dont on parle peu.

Yannick Mendy

Plafonner les prix

Linda habite à Marseille, à Noailles, quartier populaire au centre ville. Elle aime développer des projets participatifs (ceux de la Tchatche notamment, l’association qui édite le Ravi), le bricolage, le jardinage, découvrir des personnes, des quartiers et encourager la créativité. Elle ne manque évidemment pas d’idées sur les mesures à mettre en œuvre pour résoudre la crise du logement. En voilà deux : « J’investirais dans le développement de logements sociaux pérennes et je plafonnerais les loyers et les prix de l’immobilier par zone chaque année. »

Linda Ecalle

Oui au logement pour tous

Depuis la fin de son CDD à l’espace accueil de la cité de La Viste, Delphine passe beaucoup de temps à fabriquer un bambin. Ce qui ne l’a pas empêchée de participer à l’atelier de journalisme. Et elle a des idées à foison : « Si j’étais présidente de la République, les cinq premières mesures que je prendrais, seraient de permettre un accès au logement pour tous, d’interdire la délocalisation des usines, d’augmenter le Smic, d’offrir un accès gratuit à la culture et d’améliorer les conditions de détention et la réinsertion des détenus. Mais, il y a aussi l’école, la santé, l’emploi, la formation... »

Delphine Giani

On n’a pas hésité !

16 ans, beau gosse, la passion du rap et un joli coup de crayon. On a à peine croisé Yohan, mais on n’a pas hésité une seconde lorsque Mounia nous a montré quelques dessins de son aîné. Et comme lui était partant malgré le peu de temps, nous n’avons même pas hésité sur la forme de sa participation : on l’a mis direct en « télétravail », sur nos caricatures aux côtés des signatures au bas des articles dans les pages précédentes. Logique pour un satirique.

Yohan Meunier

Motivée, motivée...

Discrète et collégienne comme Adia, Shayma était particulièrement motivée par l’atelier. Au point d’accompagner Linda, en compagnie de sa nouvelle copine et de Delphine, à une conférence de l’association Un centre ville pour tous sur « le logement des plus démunis dans le centre-ville de Marseille ». Mais de sérieux problèmes de santé ont (trop) rapidement écourté sa participation. Vraiment dommage. Partie remise ?

Shayma Louanne

Êtrechez soi

Arrivée de Bordeaux il y a un an et sur le tard dans notre atelier, Lise est très présente lorsqu’elle est là, mais est aussi capable de longs silences radio. Cette quadra aime écrire et lire, mais elle parle peu d’elle. A l’exception des multiples problèmes qu’elle rencontre dans la résidence sociale où elle vit. Et qu’elle pourrait quitter rapidement pour aller dans le privé. Et être enfin chez elle.

Lise Michaud

Un droit constitutionnel

Bientôt père d’une deuxième petite fille, 41 ans, je suis journaliste au Ravi et ai toujours eu un toit sur la tête. Souvent confortable d’ailleurs. Quand je vois les problèmes de logement dans notre belle région, je m’imagine très bien limiter le pouvoir des maires en matière d’urbanisme, faire de l’accès au logement un droit constitutionnel, appuyer les projets d’habitats collectifs et participatifs, transférer les aides financières aux investisseurs privés vers un grand plan de construction de logements sociaux. Et surtout raser Monaco et une partie de la Côte d’Azur.

Jean-François Poupelin

Contrôler les loyers

Malgré trois enfants (magnifiques), un boulot d’aide soignante pour une association qui ne mériterait certainement pas la palme de l’employeur de l’année, Mounia a encore eu du temps pour participer à quasi tous nos ateliers et aux interviews, dont celles d’usagers et de salariés du centre social pour dégager quelques nouvelles pistes afin de régler la crise du logement. En voilà quatre : « Créer des associations qui se portent garant pour les locataires ; contrôler les loyers ; offrir plus de moyens aux services sociaux ; répondre plus rapidement aux demandes de logements sociaux. »

Mounia Yamouni

Des maisons pour les SDF

Adia vient de Lomé au Togo. Elle habite à la Viste depuis 5 mois et va au collège Jules Ferry. Ce qu’elle aime ici ? La liberté totale ! Au Togo, les études pour les filles, ce n’est pas la norme. Elle adore dessiner et chanter, mais aime moins la saleté de certains espaces publics. Des galères de logement, Adia n’en a jamais connues. Mais si elle en avait le pouvoir, elle « débloquerait de l’argent pour les situations d’urgence, notamment pour construire de maisons ouvertes aux sans domicile».

Adia Tcherodji

de

Ce supplément a pu être réalisé grâce au soutien financier de la fondation Abbé Pierre et de la fondation Berger Levrault. Avec un grand merci pour le partenariat actif du centre socioculturel Del Rio.