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Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Les promesses de l’innovation durable 2014 Dossier

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PAChAURi et Laurence TUbiAnA (dir.)

Les promesses de l’innovation durable

2014

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

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L’économie du partage et les modes de vie collabo-ratifs se diffusent partout dans le monde depuis la fin des années 2000. Ces pratiques de troc, de don,

d’échanges et de revente ne sont pas nouvelles, mais elles reviennent en force sous l’effet conjugué de plusieurs crises (économique et financière, mais aussi écologique et sociale) et de la démocratisation des pratiques numériques.

En favorisant l’usage de biens sur leur propriété et en déplaçant les modes de consommation d’un réflexe d’achat neuf en magasin à des solutions d’emprunt, de location ou d’achat d’occasion entre particuliers, ces nouveaux réflexes sont de nature à construire une économie plus durable. Aussi est-il possible de différencier des types d’initiatives, à commencer par ceux qui favorisent l’usage partagé et transforment les biens en services. Dans cette approche servicielle, les « fournisseurs d’accès » sont tantôt des organisations (privées ou publiques), tantôt des particuliers propriétaires qui optimisent et rentabilisent leurs possessions.

Viennent ensuite les dynamiques participatives d’achats groupés ou de financement collaboratif qui rendent possible la réalisation d’un projet. Des Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) à la finance participative, en passant par les dynamiques de production inspirées des logiciels libres ou de l’économie coopérative, les initiatives regroupées ici reposent sur le partage d’un objectif commun entre les différents contributeurs.

La redistribution caractérise la troisième catégorie de projets, dans laquelle il est possible d’intégrer les logiques de troc (dans une approche non marchande) ou de revente (dans une approche marchande). On échange une propriété, un savoir contre un autre, ou contre un équivalent temporel ou monétaire qui en reflète la valeur.

Arrivent enfin les initiatives de cohabitation où prime le plaisir d’agir ensemble. On partage ainsi un lieu, un moment, une activité ou une expérience. La notion de propriété n’entre pas en compte, les contributeurs s’attachent à favoriser un bien commun.

Les modèles qui sous-tendent ces différents modes de contribution et d’échange se modulent également pour les usagers selon leur esprit tantôt solidaire, tantôt lié à un partage de frais ou tantôt lié au besoin de gagner du pouvoir d’achat et de faire des profits1.

La désintermédiation engendrée par le web favo-rise aussi le développement des circuits courts (via les Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne – AMAP – ou des services comme La Ruche qui dit Oui) et précède la démocratisation de l’impression 3D (qui per-mettra à quiconque, dans quelques années, de s’imprimer ses objets, et donc de produire ou réparer par lui-même un objet) – deux évolutions qui permettent également d’envisager des modes de distribution et de production plus économes en matière et en gaz à effet de serre.

Néanmoins, plusieurs questions se posent sur les impacts environnementaux de cette nouvelle économie. S’ils sont intuitivement considérés comme étant plus res-pectueux de l’environnement, peu de travaux ont encore été effectués sur le sujet. Voilà donc quelques pistes de réflexion ouvertes qui mériteraient d’être explorées dans les années à venir.

Les huit caractéristiques de l’économie collaborativeCommençons par rappeler les principales caractéris-tiques de cette économie du partage.

1. Voir en ce sens le travail d’Émilie Morcillo, qui distingue les logiques de partage solidaire des contributions à but non lucratif et des collaborations profitables (www.partageandco.com).

Est-ce plus durable de partager ?Anne-Sophie NOvEL, docteur en économie, journaliste spécialisée dans l’économie collaborative, France

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L’optimisation des allocations : là où le partage ne concernait qu’un cercle restreint de personnes dans l’ère prénumérique, les outils dont nous disposons aujourd’hui avec Internet participent d’une meilleure répartition des possibilités. Les technologies peer to peer et les outils de géolocalisation révèlent une multitude d’opportunités de proximité qui n’étaient pas valorisables de la sorte auparavant. Ainsi, des logiques très anciennes sont réinventées et massifiées par le web.

La mutualisation des propriétés (objets ou moyens) : en favorisant l’usage sur la propriété, l’économie du partage met en commun les possessions de ses adeptes pour en favoriser l’utilisation à plusieurs. Que ce soit pour des objets de la vie quotidienne, une maison, une voiture, un achat, un projet ou même des compétences, la logique consiste à élargir le cercle de bénéficiaires d’une possession, et de diminuer ainsi le nombre de nouveaux biens consommés.

La prolongation des usages : les objets partagés et/ou mutualisés connaissent une durée d’utilisation accrue comparativement aux usages prévus initialement lors de l’acquisition par un particulier donné. L’essor de ces pratiques, stimulé par une meilleure organisation entre pairs, a pour conséquence un entretien plus précautionneux des objets. L’entraide et l’échange de compétences, poussés également par le souci de préserver durablement les objets, tendent à limiter les effets de l’obsolescence programmée. Dans certains cas, les consommateurs s’organisent également pour réparer les objets cassés lorsqu’ils sont réparables. Dans d’autres, les biens partagés sont de fait plus durables, car achetés au départ dans une telle perspective.

À terme, l’ampleur que prendront ces pratiques va inciter les industriels à modifier leurs modes de production dans une logique plus servicielle. Il ne s’agira plus de vendre un produit, mais d’accompagner une expérience et un usage de ce produit. Les principes de barter et des modèles comme celui d’une entreprise comme Eqosphere (une plateforme logistique est amenée à se développer) seront appelés à s’étendre, en partie de par la limitation du gaspillage et les économies qu’ils engendrent.

La réduction des émissions de CO2 et des matières : l’effet couplé de l’optimisation (qui relocalise et limite les distances parcourues), de la mutualisation et de la pro-longation des usages engendre, toutes choses égales par ailleurs, une baisse des consommations de ressources et de CO2. Mais si les consommateurs estiment faire là une

ou plusieurs bonnes actions, rien ne prévient alors leur capacité à s’octroyer un « crédit moral » qui engendra dès lors un effet rebond. Le fait de voyager moins cher n’incite-t-il pas à voyager plus en effet2 ? Le fait de par-tager une voiture n’incite-t-il pas à utiliser ce véhicule plus souvent qu’auparavant ? Le fait d’économiser en achetant des vêtements d’occasion n’implique-t-il pas un report sur l’achat d’équipements numériques ?

La socialisation des expériences : les adeptes de ces modes de vie apprécient de mutualiser leurs usages pour des raisons prioritairement économiques, mais aussi pour la dynamique sociale qu’ils en retirent. En période de crise, ces services offrent de surcroît un sentiment d’appartenance à une communauté. Cette appartenance rassure d’autant plus qu’elle repose sur la possibilité d’évaluer ouvertement la transaction et les échanges que l’on effectue.

La co-création de projets : l’usage du web a progres-sivement transformé les stratégies de communication en stratégies de conversation. Au sein des organisations sont apparues des fonctions de « community manager » qui se doublent maintenant de « community co-creation mana-ger » : il ne s’agit plus seulement de converser, mais d’in-viter la communauté à participer à la production d’une campagne marketing, à la personnalisation d’un objet, et donc, à terme, à l’élaboration de produits plus adaptés aux attentes et usages.

La coopération et la collaboration ouvertes et innovantes : ces nouveaux modes de production vont transformer le fonctionnement des relations internes et externes des organisations. D’une logique verticale et prescriptrice, elles vont s’horizontaliser et donner nais-sance à l’apparition de nouveaux métiers (facilitateurs, designer de services, etc.) en charge d’être à l’écoute des différents interlocuteurs et de définir un canevas d’ac-tions issu de leurs diverses contributions. Une évolution qui, de fait, contribuera à améliorer l’appropriation et la mise en œuvre des politiques RSE.

La modification des modèles économiques : l’en-semble de ces caractéristiques participe d’une modifica-tion en profondeur du fonctionnement de l’économie et des sociétés. Des types d’achats aux réflexes d’achats en passant par la création de nouvelles chaînes de valeur,

2. Voir Clot S., Grolleau G. et Ibanez L., 2013, “Self-Licensing and Financial Rewards: Is Morality for Sale?”, Economics Bulletin, vol. 33, 3: 2298-2306. Des mêmes auteurs, avec Ndodjang P., à paraître, « L’effet de compensation morale ou comment les “bonnes actions” peuvent aboutir à une situation indésirable », Revue économique, vol. 65, n° 2.

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les modèles doivent donc être revus en tout ou en par-tie pour s’adapter à ces nouvelles pratiques. Là où cer-taines plateformes misent sur le développement d’une technologie, d’autres vont travailler sur l’ergonomie de leurs sites ou sur « le service en plus » proposé par leur activité. Autant de critères qui se croisent ensuite avec le choix de proposer des services gratuits ou à tarification progressive sur l’usage.

Mais quels sont les principaux leviers de l’économie collaborative ? L’écologie est-elle une motivation de ses usagers ?

Des usages collaboratifs poussés par la recherche de pouvoir d’achatLes partisans de la consommation collaborative sont essentiellement attirés à ces pratiques par les gains financiers de ces nouveaux modes d’échange. Dans une étude publiée en avril 2012 à partir de l’échantil-lon de l’observatoire des modes de vie et consomma-tion d’IPSOS « Les 4 500 », l’Agence de l’environnement

et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) s’est intéressée pour la première fois aux motivations de ces Français qui fréquentent les AMAP, covoiturent, louent leurs biens, ont recours au troc, à l’achat groupé ou à la revente – six pratiques relevant de la « consommation collaborative ».

Première observation : ces consommateurs restent majoritairement dans une démarche consumériste. Lors d’une enquête menée par l’Observatoire société et consommation (Obosco) publiée en novembre 2012, il apparaît que les adeptes de ces nouveaux modes de comportements, toutes catégories confondues, sont loin de remettre en cause la société de l’hyperconsommation. « Le degré d’engagement dans les pratiques de consommation émergentes apparaît comme nettement corrélé à l’intensité de la contrainte budgétaire ressentie par les personnes interrogées », explique l’Obsoco. Sur fond de crise, on cherche à redonner du sens et à retisser du lien social au cœur même des processus de consommation.

Des pratiques coopératives et cumulativesR

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Les adeptes des pratiques coopératives ne remettent pas obligatoirement en cause l’ensemble des chaînes de distribution mais partagent l’envie d’expérimenter de nouvelles choses et de créer de nouvelles relations autour de la consommation.

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Seconde observation : parmi les adeptes de ces modes de vie collaboratifs, ceux véritablement portés par un engagement environnementaliste, sociétal ou par des leviers collectifs sont minoritaires. Il n’y a guère qu’au sein des AMAP que cette motivation relève du premier levier d’action des consommateurs. Mais les Français ayant déjà participé à une AMAP restent fort minoritaires (6 % de la population) comparativement à ceux qui pratiquent l’achat groupé (52 %) dont les motivations sont fort individualistes.

Notons néanmoins que ces adeptes partagent quatre caractéristiques communes (toujours d’après l’enquête ADEME-IPSOS) : ils sont curieux, avec la volonté de rencontrer régulièrement de nouvelles personnes ; ils se soucient de l’état de la société, mais c’est une préoccupation qui ne se traduit pas nécessairement en actions concrètes ; ils ont un côté « aventurier », avec une propension à la découverte et à l’expérience (voir à la « prise de risque » mentionne l’étude) ; ils cherchent à faire durer les objets et expriment ainsi le désir de sortir de l’obsolescence programmée des biens de consommation.

La consommation collaborative a donc pour avantage d’attirer pour des raisons avant tout économiques et financières, puis de créer du lien social et de la convivialité tout en générant, sur la durée, des comportements plus écologiques. Une analyse effectuée par le magazine américain Shareable et l’agence Latitude en 2011 indique d’ailleurs que 75 % des Britanniques pensent que le partage est bon pour l’environnement, et que 8 Anglais sur 10 sont heureux lorsqu’ils partagent3. De même, 60 % des consommateurs collaboratifs américains font un lien direct entre partage et développement durable. Mais quels sont les bénéfices environnementaux de ces nouveaux comportements ? Et comment les évaluer ?

Des impacts à étudierRelativement peu d’études, et encore moins d’études indépendantes, se sont penchées sur l’évaluation des impacts environnementaux de la consommation colla-borative. Pour effectuer une telle estimation, plusieurs aspects doivent être considérés, nécessitant selon les cas une approche sectorielle.

3. Mc Cartney K., février 2011, 8 out of 10 People Say Sharing Makes them Happy.

Les travaux existantsPartons des estimations dont nous disposons actuel-lement. Dans le secteur des transports, le plus étudié, l’un des deux leaders du covoiturage européen (BlaBla-Car), estime sur son site avoir économisé l’émission de 500 000 tonnes de CO2 sur 10 millions de trajets effec-tués depuis la création de l’entreprise.

En ce qui concerne l’autopartage entre particuliers (qui repose sur une flotte de véhicules existants), une étude effectuée par l’université de Berkeley4 auprès de 9 500 per-sonnes qui partagent leurs voitures au Canada ou aux États-Unis met en évidence deux logiques : une augmen-tation des émissions de CO2 pour les ménages qui accèdent à un véhicule pour la première fois via ce service, mais une hausse compensée par la réduction des émissions des ménages qui limitent, a contrario, l’usage de leur propre voiture – qui à terme délaissent la possession de leur véhi-cule, réalisant que cela leur coûte moins cher de l’emprun-ter à la demande que de l’entretenir à l’année. Une étude réalisée en 2008 auprès de 6 281 membres de compagnies américaines d’autopartage a montré que les distances par-courues diminuent de 27 %, ce qui aurait engendré au 1er janvier 2013 une réduction agrégée de 1,1 milliard de miles. Au total, 25 % des répondants ont vendu leur véhi-cule, et environ 25 % envisageraient d’acheter une voiture si l’autopartage était amené à disparaître.

Une autre étude, réalisée par Eliot Martin et Susan Sha-heen sur un panel de 6 200 adeptes de l’autopartage classique (proposé par un prestataire comme Autolib’ ou une organisation du réseau France Autopartage par exemple), estime que neuf à treize véhicules restent au repos pour une voiture utilisée dans la flotte proposée par l’autopartage. Sur cet ensemble, quatre à six voitures ont directement été abandonnées par les ménages ayant rejoint le service. Le reste a été évité grâce à l’abonne-ment au service5.

En France, le cabinet 6T constate aussi dans un tra-vail effectué pour l’ADEME en mars 2013 que « le nombre de ménages qui ne possède pas de voiture augmente de 40 % avec l’adhésion à un service d’autopartage. Au regard de la diminution du nombre de voitures possé-dées par les ménages, chaque voiture d’autopartage rem-place neuf voitures personnelles et libère huit places de

4. “Innovative Mobility Carsharing Outlook: Carsharing Market Overview, Analysis, and Trends – summer 2013”. Disponible sur : http://bit.ly/17yURjH

5. Buczynski B., 17 janvier 2012, “Carsharing, Antidote to Ghg Emissions in North America”. Disponible sur : http://bit.ly/1bcgjMJ

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stationnement6 ». Il remarque également que le nombre de kilomètres parcourus en tant que conducteur diminue de 41 % et que les autopartageurs font des économies tout en utilisant de fait des modes de déplacement qu’ils n’auraient pas utilisé autrement : ils utilisent d’avantage la marche à pied (pour 30 % d’entre eux), le vélo (29 %), les transports collectifs (25 %), le train (24 %) et le covoi-turage (12 %) Notons également qu’un acteur comme la SNCF intègre progressivement ces nouveaux services de covoiturage et d’autopartage dans son offre de mobilité. Avec l’acquisition durant l’été 2013 de Greencove et Eco-lutis, le groupe souhaite développer ainsi une « mobilité capillaire ». Une façon de pallier l’insuffisance des offres de mobilité pour les zones les moins bien desservies et d’intégrer progressivement une conception très élargie de la mobilité.

Dans les milieux urbains, le développement de ser-vices va engendrer (et engendre déjà) une révision de l’aménagement des espaces plus adapté aux transports en commun et partagés. L’enjeu est aujourd’hui de déve-lopper une offre d’abonnement et un aménagement qui accompagnent et fluidifient l’usage de ces modes de déplacement.

Prenons maintenant l’exemple des habitats groupés ou des autres formes d’espaces partagés (pour le tou-risme ou le travail) : les évaluations sont peu nombreuses mais portent à croire que l’optimisation des espaces qui existent permet de limiter les constructions neuves et l’étalement urbain. Il en va ainsi des services de coloca-tion ou d’habitat groupé (la France étant très en retard au regard de ce que fait l’Allemagne – plus de 6 millions de logements sont assimilables à des habitats groupés, ou le Québec – 22 000 coopératives d’habitation accueillent 250 000 personnes, dans 91 000 logements, ce qui repré-sente 30 % du parc locatif public québécois7). Mais aussi des services de stockage entre particuliers qui permettent d’utiliser des mètres carrés construits existant et d’évi-ter ainsi d’implanter des entrepôts dédiés à cet usage. « Si 5 000 personnes proposent un lieu de taille moyenne en costockage, ce que nous espérons être le cas d’ici deux ans, environ 25 entrepôts de self-stockage ne seront pas construits. Ou leur emplacement servira à construire des habitations », explique Adam Levy-Zauberman, fon-dateur de CoStockage.

6. Voir http://6t.fr/download/ENA_6pages_presse_bios_130320.pdf

7. Bosse-Platière A., 2010, « Bientôt des coopératives d’habitants ? », Les 4 saisons du jardin bio, n° 184, p. 63.

Il s’agit aussi d’un service de proximité qui permet, en stockant chez son voisin plutôt que dans un entre-pôt situé en périphérie, d’avoir moins recours à son véhi-cule. À la fois lors du déménagement, mais également lors des visites. Les estimations de CoStockage mettent en avant une réduction des trajets nécessaires par un facteur 8 et le CO2 émis correspondant, évitant ainsi plus de 500 000 km parcourus. Les habitats partagés où plu-sieurs foyers ont des espaces communs permettent éga-lement de mutualiser l’usage de véhicules ou de certains appareils ménagers, ce qui limite la consommation de ressources naturelles, les émissions de CO2 et la quantité de déchets générés.

Enfin, sur l’alimentation et les systèmes de circuits courts, les travaux publiés par l’ADEME en mai 20128 indiquent que cela ne veut pas nécessairement dire moins d’émissions de gaz à effet de serre si les moyens de transports utilisés sont inadaptés, si la logistique est insuffisamment optimisée ou si le comportement du consommateur est inadéquat.

Les travaux à réaliserPour le reste des secteurs concernés par la consomma-tion collaborative, voici quelques pistes de réflexion à développer.

Citons tout d’abord le suivi des transactions et des flux de dépenses engendrés par les gains de pouvoir d’achat. Les économies réalisées par les adeptes de la consommation collaborative sont-elles épargnées ou génèrent-elles de nouvelles dépenses ? Ces dernières nourrissent-elles les circuits traditionnels de l’économie ? Sont-elles utilisées de nouveau dans des circuits relevant de l’économie collaborative ? En somme, partager plus ne signifie-t-il pas consommer plus ? Quels sont les effets rebonds ?

Scrutons ensuite les économies de ressources naturelles que promettent les vertus environnementales du partage. L’optimisation des usages et le réemploi engendreraient une moindre production de biens, des biens plus durables, mieux entretenus voire réparables et plus souvent recyclés… Mais les biens dont l’usage est optimisé ne vont-ils pas s’user plus rapidement ? Dans quelle mesure ? Les entreprises sont-elles prêtes à fournir des biens plus durables et plus réparables pour s’adapter à ces nouveaux usages ?

8. Voir http://ademe.typepad.fr/presse/2012/05/consommer-local-cest-bien-mais-pas-toujours-.html

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Dans les approches sectorielles, il sera utile de s’attarder sur les nouvelles pratiques touristiques, afin de voir si l’économie du partage n’accroît pas le nombre de déplacements, et donc de tonnes de CO2 émises chaque année. Dans le secteur de la finance, l’impact des services de financement participatif sur les placements polluants des banques pourra également être évalué, même s’il est probable qu’il reste encore faible pour l’instant. Enfin, la question des modèles et de leur encadrement juridique

devra également être traitée pour estimer au mieux ce qui aujourd’hui peut engendrer des risques de dumping fiscal et social.

Alors que l’économie du partage connaît un formidable essor en France et dans le monde depuis la fin des années 2000, une meilleure mesure de ces effets induits sur l’environnement et la société devient indispensable afin d’en améliorer l’accompagnement et l’insertion dans des politiques publiques de développement durable. ■

L’état des pratiques coopératives en franceR

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En 2012, une part non négligeable de la population française avait déjà pratiqué une forme coopérative de consommation. Le nombre de personnes indiquant être prêtes à les essayer montre par ailleurs une vraie curiosité collective pour ces nouvelles pratiques.

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PAChAURi et Laurence TUbiAnA (dir.)

Les promesses de l’innovation durable

2014

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

9 782200 289577