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© FNAOM—ACTDM / CNT TDM SURVOL DE L’HISTOIRE DE LA PÉNÉTRATION FRANÇAISE EN INDOCHINE (1625 - 1939) Au moment où nous voyons, avec une douloureuse inquiétude, se poser non plus seulement la question du maintien de l'Indochine dans une Union Française d'avenir incertain maïs même celle de notre simple présence dans les territoires du Vïêt-Nam, il ne paraît pas sans intérêt de rappeler, sous la forme laconique d'éphémérides, les différentes étapes de l'établissement de l'influence française dans ces terres lointaines, auxquelles, quoi qu'il advienne, nous demeurerons at- tachés par d'impérissables souvenirs. C'est aux anciens d'Indochine, ceux d'avant 45 comme ceux d'après — car j'unis les uns et les autres dans une identique et fraternelle estime — que je dédie ce court travail. Puissent-ils y trouver la justification des efforts et des sacrifices qu'ils ont si généreusement consentis pour tenter, trop souvent sans en avoir les moyens et dans l'indifférence et l'incompréhension de la Métropole, d'assurer la pérennité de l'œuvre sacrée de trois générations consécutives, sans compter les précurseurs. Général NYO. 1625-1645 Sous Louis XIII, le Père Jésuite Alexandre de Rhodes effectue plusieurs séjours en Cochinchine, Annam et Tonkin. Il en dresse une pre- mière carte et en écrit l'histoire. Il est l'introducteur de la pensée française en Indochine. 1658 — Le Pape, à l'instigation de Louis XIV et de Mazarin, nomme en Extrême-Orient des vicaires apostoliques français pour évangéliser les Extrêmes- Orientaux : Monseigneur Poilu pour le Tonkin et le Laos — Monseigneur Lamothe-Lambert pour la Cochin- chine et le Japon. Avant de partir. Monseigneur Fallu crée un éta- blissement pour la formation des missionnaires. Les missionnaires vont désormais implanter là-bas une tradition française et établir un premier lien entre Extrême-Orient et Occident. 1667 — II faut se rappeler, pour situer l'his- toire de la pénétration de notre influence en Ex- trême-Orient dans son cadre d'ensemble, que la Compagnie Française des Indes créait à partir de 1667 ses premiers comptoirs aux Indes, auxquels Louis XIV portait un intérêt particulier, que, sous Louis XV, Dupleix, après avoir été de 1721 à 1741 "Premier Conseiller de la Compagnie et Commis- saire Général des Troupes des Indes", puis Direc- teur Général de la Compagnie, fut de 1741 à 1754 "Gouverneur Général des Indes" que c'est enfin le 16 janvier 1761 que la capitulation de Lally-Tollendal à Pondichéry se traduit par la perte des Indes. Ni le Gouvernement de Louis XV, ni l'opinion publique n'avaient voulu consentir les sacrifices né- cessaires pour sauver l'œuvre de Dupleix, mais ils rendirent, seul, responsable de la catastrophe Lally, objet d'un procès inique qui le conduisit à l'échafaud en mai 1766. 1685 — Louis XIV envoie un chargé de mis- sion à la cour de Hué en vue d'obtenir l'autorisation officielle pour les missionnaires de prêcher le catholi- cisme et d'établir des relations entre France et An- nam. L'Indochine sous la Royauté, la Révolution et le Premier Empire Mgr. Pigneau de Behaine

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SURVOL DE L’HISTOIRE DE LA PÉNÉTRATION FRANÇAISE EN INDOCHINE

(1625 - 1939)

Au moment où nous voyons, avec une douloureuse inquiétude, se poser non plus seulement la question du maintien de l'Indochine dans une Union Française d'avenir incertain maïs même celle de notre simple présence dans les territoires du Vïêt-Nam, il ne paraît pas sans intérêt de rappeler, sous la forme laconique d'éphémérides, les différentes étapes de l'établissement de l'influence française dans ces terres lointaines, auxquelles, quoi qu'il advienne, nous demeurerons at-tachés par d'impérissables souvenirs.

C'est aux anciens d'Indochine, ceux d'avant 45 comme ceux d'après — car j'unis les uns et les autres dans une identique et fraternelle estime — que je dédie ce court travail. Puissent-ils y trouver la justification des efforts et des sacrifices qu'ils ont si généreusement consentis pour tenter, trop souvent sans en avoir les moyens et dans l'indifférence et l'incompréhension de la Métropole, d'assurer la pérennité de l'œuvre sacrée de trois générations consécutives, sans compter les précurseurs.

Général NYO.

1625-1645 — Sous Louis XIII, le Père Jésuite

Alexandre de Rhodes effectue plusieurs séjours en Cochinchine, Annam et Tonkin. Il en dresse une pre-mière carte et en écrit l'histoire. Il est l'introducteur de la pensée française en Indochine.

1658 — Le Pape, à l'instigation de Louis XIV et de Mazarin, nomme en Extrême-Orient des vicaires apostoliques français pour évangéliser les Extrêmes-Orientaux : Monseigneur Poilu pour le Tonkin et le Laos — Monseigneur Lamothe-Lambert pour la Cochin-chine et le Japon.

Avant de partir. Monseigneur Fallu crée un éta-blissement pour la formation des missionnaires.

Les missionnaires vont désormais implanter là-bas une tradition française et établir un premier lien entre Extrême-Orient et Occident.

1667 — II faut se rappeler, pour situer l'his-toire de la pénétration de notre influence en Ex-trême-Orient dans son cadre d'ensemble, que la Compagnie Française des Indes créait à partir de 1667 ses premiers comptoirs aux Indes, auxquels Louis XIV portait un intérêt particulier, que, sous Louis XV, Dupleix, après avoir été de 1721 à 1741 "Premier Conseiller de la Compagnie et Commis-saire Général des Troupes des Indes", puis Direc-teur Général de la Compagnie, fut de 1741 à 1754 "Gouverneur Général des Indes" que c'est enfin le 16 janvier 1761 que la capitulation de Lally-Tollendal à Pondichéry se traduit par la perte des Indes.

Ni le Gouvernement de Louis XV, ni l'opinion

publique n'avaient voulu consentir les sacrifices né-cessaires pour sauver l'œuvre de Dupleix, mais ils rendirent, seul, responsable de la catastrophe Lally, objet d'un procès inique qui le conduisit à l'échafaud en mai 1766.

1685 — Louis XIV envoie un chargé de mis-sion à la cour de Hué en vue d'obtenir l'autorisation officielle pour les missionnaires de prêcher le catholi-cisme et d'établir des relations entre France et An-nam.

L'Indochine sous la Royauté, la Révolution et le Premier Empire

Mgr. Pigneau de Behaine

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1686 — Une Ambassade siamoise vient à Ver-sailles et défraiera longtemps la chronique de la cour.

1748 — Sous Louis XV la compagnie de Law envoie des missions commerciales en Cochinchine mais il ne s'ensuit aucune relation durable.

1749 — L'intendant Pierre Poivre, chargé par Dupleix d'étudier l'organisation des comptoirs en Annam, débarque à Fai-Fo au sud de Tourane et obtient de l'Empereur d'Annam la permission de s'y établir et d'y faire commerce.

La Métropole ne donne aucune suite à cet ac-cord.

Il visite la Cochinchine qu'il étudie sous le rap-port des possibilités d'échange et réunit sur ce sujet une première documentation.

OCTOBRE 1765 — Le missionnaire Pigneau de Behaine, futur évêque d'Adran, est affecté à la mission d'Hatien pour évangéliser les indigènes du Bas-Cambodge. Il fonde à Hondat un séminaire indi-gène.

1767 — II devient coadjuteur du vicaire apostolique de Cochinchine.

1770 — A vingt-huit ans, il est nommé évê-que du diocèse de Cochinchine avec le titre d'évêque d'Adran (il aurait administré jusqu'à cent mille chrétiens).

1775 — L'insurrection des Tay-Son ayant, de 1770 à 1776, chassé du Tonkin la dynastie des Trinh (les Seigneurs du Nord) et de l'Annam la dynastie des Nguyen (Seigneurs du Sud), et massacré le roi Due Thuong, son neveu et héri-tier, Nguyen Anh (futur Gia-Long) se réfugie à Saigon.

En vue de rétablir la paix et d'asseoir l'in-fluence de la France dans ce pays, l'évêque d'Adran le recueille. Il se fixe pour but de l'aider, avec l'appui de la France, à reconquérir son empire.

1782 — Avec une troupe recrutée en partie parmi les chrétiens, grâce à l'aide de l'évêque, Nguyen Anh attaque les Tay-Son à Saigon. Il échoue mais organise la guérilla autour de la ville.

Chassé de Cochinchine et du Cambodge, il se réfugie à Poulo-Condor. L'évêque lui conseille de faire appel à l'aide de la France et se rend à Versailles pour appuyer sa requête.

28 NOVEMBRE 1787 — Un traité d'alliance est signé entre le "Roi de France et de Navarre" et Nguyen Anh "Roi de Cochinchine". La France organisera et équipera l'armée annamite de Nguyen Anh et lui fournira un encadrement de dix-huit cents hommes à réunir aux Indes. Elle obtient en échange la cession de Poulo-Condor, la copropriété du port de Tourane, le monopole du commerce sur tous les territoires à reconquérir par Nguyen Anh et une alliance militaire.

JUIN 1789 — Les clauses françaises ne sont pas respectées. L'évêque d'Adran se fait homme de guerre.

Avec quelques officiers et volontaires fran-çais venus de "l'Ile de France" (Ile Maurice) sur "La Méduse", il prend en mains l'organisation ces forces de Nguyen Anh. Il concentre, au Siam, troupes indigènes et volontaires français puis dé-barque à Cap Saint-Iacques où il a donné rendez-vous à Nguyen Anh. Un officier français, Dayot, qui a pris le commandement de la flotte cochin-chinoise, armée par des annamites, détruit la

flotte des Tay-Son.

1791-1801 — En dix ans avec l'appui et les conseils de l'évêque d'Adran et de la mission militaire française Nguyen Anh reconquiert Co-chinchine, Annam et Tonkin.

Victor Olivier construit la citadelle de Sai-gon, puis celle d'Hanoi. — J.B. Chaigneau est nommé "Général de l'Armée du Centre".

En 1799, Nguyen Anh rentre à Hué dans le Pa-lais de ses ancêtres. Il est proclamé empereur sous le nom de Gia-Long et se fera reconnaître par la Chine en 1804.

OCTOBRE 1799 — Mort de Monseigneur Pigneau de Behaine. Il a jeté les fondements de notre future souveraineté en Indochine.

1820 — Mort de Gia-Long. Ses successeurs, à commencer par Ming-Mang (1820-1841), témoignent une hostilité marquée aux étrangers, persécutent les chrétiens, font mettre à mort plusieurs missionnaires.

JANVIER 1833 — Un édit de la cour de Hué prescrit une persécution générale des missionnaires. Ils sont chassés ou suppliciés. Seul, le mandarin des provinces du Sud Le Van Duyet, ancien compagnon de Gia Long, les protège jusqu'à sa mort.

1848 — 1851 — 1855 — Les édits nouveaux dé-crètent la mort des prêtres européens et indigènes. Plusieurs missionnaires français et espagnols et de nombreux prêtres annamites sont exécutés.

1856 — Napoléon III envoie à Tourane le "Catinat" afin d'obtenir réparation pour le meurtre des missionnaires. Le Commandant du Catinat fait occuper les forts mais ne peut obtenir satisfaction. 1857 —.Le Consul de France à Shangaï — de Mon-tigny — vient à Hué. Il demande l'installation d'un Consul en cette capitale, la liberté religieuse et des relations commerciales. Il se voit opposer un refus formel de l'empereur Tu Duc.

En vingt-cinq ans — 1833-1858 — sept évê-ques et quinze prêtres français et espagnols sont as-sassinés.

C'est une croisade religieuse qui, pour une large part sous l'influence de l'Impératrice Eugénie, va être à l'origine de la conquête de la Cochinchine.

1858 — Tu Duc fait assassiner l'évêque ca-tholique M. Diaz de nationalité espagnole.

SEPTEMBRE 1858 — Napoléon III décide

d'intervenir. L'amiral Rigault de Genouilly, à la tête d'une escadre franco-espagnole et de trois mille hommes de troupe dont huit cents chasseurs ta-gals envoyés par le Gouverneur des Philippines, détruit les forts de Tourane et s'empare de la ville. Mais il n'a pas assez d'effectifs pour marcher sur Hué, les troupes étant décimées par le choléra. Il décide d'agir en Cochinchine d'où provient le riz indispensable au ravitaillement de l'Annam.

Restauration, Deuxième République, Second Empire

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FEVRIER 1859 — L'Amiral fait occuper puis

détruire la citadelle de Saïgon (commandant Jaure-guiberry) incendie les approvisionnements en riz destinés à l'Annam et met des garnisons dans les forts du sud de la ville.

NOVEMBRE 1859 — L'amiral Page (successeur de Rigault de Genouilly) demande à l'Empereur d'Annam, au nom de Napoléon III, la liberté des cultes, l'installation de trois consuls français dans des ports ouverts à notre commerce et d'un chargé d'affaires à Hué. Tu-Duc oppose un refus global.

MARS 1860 — Page rejoint avec le gros de ses forces l'amiral Charner pour participer à la Guerre de Chine. Il laisse à Saïgon une garnison de sept cents Français et cent Espagnols sous les ordres du capitaine de vaisseau français d'Aries et du colonel espagnol Palanca.

MARS 1860 - FEVRIER 1861 — La garnison de Saïgon soutient un siège difficile contre une ar-mée de douze mille Annamites.

OCTOBRE 1860 — Fin de la campagne de Chine. Le traité de Pékin accorde à la France la protection des missions en Chine et Indochine.

FEVRIER 1861 — Le corps expéditionnaire de l'amiral Charner (Brigade d'Infanterie de Ma-rine du colonel puis général de Vassoigne) reve-nu en Cochinchine détruit ou disperse au prix de pertes sérieuses l'armée régulière annamite for-tement retranchée à Chi-Hoa — six kilomètres de Saigon.

AVRIL 1861 — L'amiral Charner fait, re-connaître le réseau des rivières qui unissent Mé-kong et Rivière de Saïgon. Après avoir dégagé

les abords de Saïgon, le général de Vassoigne (dont la Division d'Infanterie de Marine s'illustrera à Sedan, en 1870, en détruisant à Bazeilles une Division bavaroise — épisode de la maison des dernières cartouches) occupe Mytho. Charner re-noue en outre avec le Cambodge des relations interrompues.

OCTOBRE-DECEMBRE 1861 — L'amiral Bo-nard, pour assurer la sécurité de Saïgon contre des bandes de rebelles et de pirates, fait occuper par de Vassoigne tout le paya de la rive gauche du Donaï ainsi que Bien-Hoa et Baria.

MARS-JUIN 1862 — Une agitation géné-rale en Cochinchine au cours de laquelle Cholon est incendiée par les rebelles entraîne une série d'opérations vers l'ouest et l'occupation de Vinh-Long.

5 JUIN 1862 — Traité de Hué. Privé du riz de Cochinchine et menacé d'un soulèvement chrétien, Tu-Duc signe un traité qui nous cède les trois provinces de Saïgon, Mytho et Bien-Hoa ainsi que Poulo-Condor et ouvre à notre com-merce les ports de Tourane, Balat et Quang-An. Nous rétrocédons Vinh-Long. Le traité nous ac-corde, en outre, une sorte de protection sur l'An-nam au cas où son intégrité serait menacée par des étrangers ou par des insurrections intérieu-res. L'amiral Bonard devient le premier Gouver-neur de Cochinchine.

DECEMBRE 1862 — Tu-Duc soutenant en sous-main les éléments rebelles à notre tutelle, une insurrection générale éclate en Cochinchine. Elle est vigoureusement réprimée.

14 AVRIL 1863 — Tu-Duc ratifie définitive-ment à Hué le traité du 5 juin 1862 qui nous livre la moitié de la Cochinchine.

SEPTEMBRE 1863 — Tu-Duc envoie à Paris une ambassade conduite par Phan Than Giang pour demander la rétrocession des trois provinces sachant que le gouvernement impérial engagé dans la difficile et impopulaire expédition du Mexique hésite à conserver la Cochinchine. Giang propose un vague protectorat étendu à toute la Cochinchine, avec occupation limitée à Saïgon, Cholon et Cap Saint-Jacques. Les crédits demandés au budget de 1854 pour la Cochinchine sont supprimés. Il faut l'action vigoureuse du Ministre de la Marine Chasseloup-Laubat, de l'amiral de la Grandière, gouverneur de Cochinchine et la propagande de quelques officiers tenaces en séjour en France, pour sauver notre possession et amener le Gou-vernement à s'en tenir au traité de 1863. Par la force des choses et la ténacité de quel-ques hommes, la croisade religieuse va se transformer en une entreprise coloniale.

Cette entreprise sera d'ailleurs une des plus âprement discutées de la Troisième Répu-blique, surtout en Indochine derrière laquelle se profile l'inquiétante silhouette de la Chine.

FEVRIER 1864 — Francis Garnier pro-clame : "Que la France ne doit pas se proposer exclusivement pour but l'expansion de son com-merce et se contenter du mobile unique de l’ap-pât du gain. Elle a une plus haute mission, celle

Tombeau de Tu Duc

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l'émancipation, de l'appel à la lumière et à la li-berté des races et des peuples encore esclaves de l ' ignorance et du despot isme" A l'origine, pour les pionniers — militaires et ex-plorateurs — il faut le noter, l'action coloniale va se révéler en Asie comme en Afrique Noire, comme un moyen de réaliser, dans un monde ar-riéré, une soif d'idéal, que celui-ci soit religieux, humanitaire, national ou scientifique.

1866-1867 — Devant l'hostilité de certains mandarins qui actionnent des bandes armées contre nous, des opérations minutieusement préparées d'accord avec le Gouvernement impé-rial, nous entraînent à occuper toute la basse Cochinchine repaire de rebelles et de pirates. Une expédition parcourt la Plaine des Joncs, l'un de leurs principaux refuges.

L'amiral de la Grandière pacifie, organise et annexe les trois provinces de l'Ouest Vinh-Long, Chaudoc et Hatien.

En huit ans, la Cochinchine a été, en totali-té, placée sous notre souveraineté.

RAPPELONS que l'Empire Khmer d'origine et civilisation hindoues, constitué au VIe siècle s'éten-dait à toute la Cochinchine, au Cambodge actuel, à une partie du Siam et du Laos.

La décadence commença au XVe siècle. Dès cette époque, les Annamites et les Thaïs (d'origine thibétaine), les uns progressant par les côtes, les au-tres par les vallées de la Meman et du Mékong, enga-gent contre les Khmers un long conflit qui, à notre ar-rivée, était sur le point de se terminer par la dispari-tion du vieil Etat. L'Annam avait, à cette époque, oc-cupé toute la Cochinchine, le Siam, les provinces occi-dentales du Cambodge : Siemreap, Sisophon, Bat-tambang.

1847 — An-Duong, roi du Cambodge, accepte de payer tribut à l'Annam et au Siam agissant en co-protecteurs.

1859 — A la mort d'An-Duong, ce n'est qu'après approbation du Siam, érigé en protecteur, que son fils Norodom lui succède.

AVRIL 1863 — Considérant que la possession de la Cochinchine nous donne sur le Cambodge les anciens droits de suzeraineté de l'Annam, l'amiral de la Grandière décide pour la sécurité de la Co-chinchine et l'avenir commercial de Saigon (qu'il considère comme l'exutoire du Cambodge et du Laos) de faire valoir nos droits. Il envoie le lieute-nant de vaisseau Doudart de Lagrée en mission près de Norodom à Pnomh-Penh avec l'aviso "Gia-Dinh".

11 AOUT 1863 — Doudart de Lagrée, gagne la confiance et la sympathie de Norodom et réussi: a négocier un traité de protectorat que l'amiral de la Grandière vient signer à Oudong le 11 août 1863.

Moyennant notre appui contre les empiéte-ments du Siam, le roi du Cambodge accorde à nos

nationaux la liberté du commerce et de religion et nous reconnaît le droit d'installer un Résident à la cour de Pnomh-Penh. Napoléon III hésite à ratifier de crainte de s'aliéner les Anglais dont il recherche l'alliance. Il faut encore toute l'insistance et l'autorité du Ministre de la Marine Chasseloup-Laubat pour le décider.

3 JUIN 1864 — Devant ces hésitations, le ver-

satile Norodom accorde, à notre insu, un autre traité de protectorat aux Siamois. Il accepte de n'être plus qu'un simple vice-roi, de tenir la couronne royale du roi du Siam et de payer tribut. Il accepte même une occupation militaire siamoise. Sous la menace de Doudart de Lagrée qui fait tirer des salves de tous les canons de son aviso, Norodom effrayé et crai-gnant de perdre son royaume, revient au Traité d'Oudong. Le Siam remet la couronne royale qu'il détient au représentant de la France qui la rend à Norodom. Celui-ci se couronne lui-même.

25 JUILLET 1867 — Un traité franco-siamois reconnaît le protectorat de la France sur le Cam-bodge, mais le Siam conserve les provinces de Bat-tambang et de Siemreap. Il les rendra au Cam-bodge en 1907.

JUIN 1866 — Doudart de Lagrée, avec Fran-cis Garnier comme adjoint, quitte Saïgon à la tête d'une petite expédition, pour reconnaître le moyen et le haut Mékong.

SEPTEMBRE 1866 — II atteint Bassac. MARS 1867 — II entre à Luang-Prabang et y

séjourne six mois. 18 OCTOBRE 1867 — II pénètre en Chine à

Sze-Mao. Le Mékong devenant impraticable en di-rection du Thibet, il s'oriente vers le Yunnam en pleine insurrection à cette époque.

NOVEMBRE 1867 — II atteint le cours supé-rieur du Song-Koi (Fleuve Rouge) dont Francis Gar-nier reconnaît la navigabilité qui en fait un débouché du Yunnam.

Relations avec le Cambodge et le Laos

Guerrier Khmer

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JANVIER 1868 — Doudart pensant retrouver le Mékong part pour Tong-Tchouen par des pistes de montagne.

MARS 1868 — Epuisé par un abcès au foie, Doudart de Lagrée meurt à deux jours de marche du Yang-Tsé-Kiaiig.

Francis Garnier ramène l'expédition à Han-Keou (où il fait la connaissance du négociant Jean Dupuis qui devait quelques années plus tard, chercher à utiliser pour son commerce la voie du Song-Koi et sera à l'origine de la conquête du Tonkin), puis Shanghai.

29 JUIN 1868 — Francis Garnier arrive à Sai-gon. Doudart de Lagrée, l'une des plus attachan-tes figures de notre épopée coloniale, a ouvert la voie à notre pénétration au Laos.

1871 — La cour de Hué demande au vice-

roi chinois de Canton aide et assistance pour réta-blir l'ordre troublé auTonkin par les bandes ar-mées de pirates chinois, les Pavillons Noirs.

Les autorités chinoises s'adressent à Jean Dupuis — commerçant français d'Hankéou — pour doter d'armement et équipement européens les troupes régulières chinoises devant agir au Ton-kin.

1872 — Jean Dupuis, homme d'entreprise, tempérament ardent, amène à Hanoï une flottille portant le matériel demandé qu'il compte transpor-ter en Chine par le Fleuve Rouge. Le maréchal annamite Nguyen-Tri-Phuong lui in-terdit d'aller plus loin.

Dupuis occupe Hanoï avec ses mercenaires et fait appel à l'amiral Dupré, Gouverneur de Co-chinchine pour débloquer sa cargaison.

1873 — L'amiral Dupré envoie à Hanoï le lieutenant de vaisseau Francis Garnier — qui, on l'a vu, a connu Dupuis en Chine et, sans doute, conçu des projets avec lui pour la pénétration du Tonkin — avec mission de se livrer à une enquête sur la situation dans le delta.

30 NOVEMBRE 1873 — Devant les tergiver-sations des mandarins, d'ailleurs détestés du peu-ple tonkinois et de leurs troupes, car ils entretien-nent le désordre pour en profiter, Garnier, avec un aviso, deux canonnières et cent quatre-vingt-cinq hommes, enlève d'assaut la forteresse de Hanoï, occupée par sept mille Annamites. Puis il profite de la situation politique favorable pour s'étendre dans le delta avec quelques centaines d'hommes dont une certaine proportion de troupes indigènes soigneusement encadrées.

L'aspirant d'Hautefeuille occupe Bac-Ninh, le sous-lieutenant Trentinian, Phu-Ly, l'enseigne de vaisseau Balny d'Avricourt, Hung-Yen.

Francis Garnier est tué près de Hanoï, le 22 décembre 1873, ainsi que Balny d'Avricourt.

L'amiral Dupré, qui n'a pas les moyens de pacifier le Tonkin et qui sait que le Ministère de

Broglie est opposé a son occupation militaire, fait rappeler à Hanoï les forces françaises du Delta. Son délégué, l'inspecteur des affaires indigènes Philastre, signe à Hanoï avec les négociateurs de la cour de Hué une convention stipulant l'éva-cuation du Delta.

15 MARS 1874 — Le traité de Saigon place sous notre entière souveraineté les six provinces de Cochinchine qui nous appartiennent en fait depuis 1867. Il proclame l'entière indépendance de l'Em-pereur d'Annam vis-à-vis de toute puissance étrangère (il vise la Chine) et lui promet, sur sa demande, la protection militaire française. Tu Duc s'engage à conformer sa politique extérieure à celle de la France et à ne signer aucun traité poli-tique sans nous en donner connaissance.

Liberté de navigation sur le Fleuve Rouge et dans chacun des ports ouverts au trafic (Haïphong - Hai-Duong - Hanoï) où nous pourrons entretenir un consul et une escorte de cent hom-mes. Liberté religieuse pour missionnaires et chrétiens.

La France promet de faire don à Tu-Duc de cinq vapeurs, cent canons, mille fusils et de met-tre à sa disposition des instructeurs militaires et des ingénieurs.

Le traité de Philastre contient en germe le protectorat français sur l'Annam dans la mesure où le gouvernement français sera résolu à en as-surer l'exécution.

Mais en raison de certaines de ses clauses, ce traité soulève de vives protestations aussi bien en France qu'en Indochine.

Quant à Jean Dupuis, abandonné après le traité Philastre, il voit ses navires et marchandises confisqués par les mandarins tonkinois.

FEVRIER 1882 — Le traité de Saigon, très critiqué, n'est appliqué ni en Annam ni au Tonkin. La cour d’Annam s’entend avec les chinois pour

L’Indochine sous la III° République

Jules Ferry

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pour l'envoi de troupes régulières chinoises au Tonkin tandis que les mandarins tonkinois embri-gadent à leur solde les Pavillons Noirs et les ban-des de pirates et rebelles qui infestent le pays. Mais c'est le peuple annamite déjà opprimé et pressuré par les mandarins qui fait les frais de ces opérations. Aussi leur apparaîtrons-nous comme de possibles libérateurs.

Tu-Duc provoque, par ailleurs, des troubles en Cochinchine.

Le Myre de Villers, premier gouverneur civil de Cochinchine, décide de doubler la garnison d'Hanoï.

Le capitaine de frégate Henri Rivière est chargé de l'opération avec un bataillon et une batterie.

AVRIL 1882 — Rencontrant de la part des mandarins la même hostilité que jadis Francis Garnier, Rivière s'empare de vive force de la cita-delle d'Hanoï. Puis il occupe Honghaï, Nam-Dinh et Haïphong et conquiert le Delta. Mais Annami-tes, Pavillons Noirs et troupes chinoises font cause commune et reprennent leurs attaques contre Hanoï.

19 MAI 1882 — Rivière est mortellement blessé au cours d'une sortie pour dégager la ville.

Ses troupes se replient sur Hanoï avec des pertes sérieuses.

Mais les initiatives de Rivière nous enga-gent. Elles vont nous amener à occuper tout le Tonkin.

AVRIL 1883 — Pour défendre le prestige de la France, sur proposition de Jules Ferry, Pré-sident du Conseil, le Parlement vote les crédits nécessaires à une importante expédition confiée au général Bouet, Commandant supérieur des troupes de Cochinchine, malgré l'opposition de Clemenceau et d'une partie des députés ; le contre-amiral Courbet est mis à la tête d'une Divi-sion Navale du Tonkin.

JUILLET 1883 — Bouet, de juillet à septembre 1883, procède à l'occupation du Delta tonkinois.

19 AOUT 1883 — L'amiral Courbet attaque Hué et s'empare de ses forts. L'Empereur d'Annam Hiep-Hoa, successeur de Tu-Duc, sollicite un armis-

tice. 25 AOUT 1883 — Le traité de Hué reconnaît le

protectorat de la France sur l'Annam et le Tonkin et nous charge de chasser les Pavillons Noirs du Ton-kin d'où doivent être rappelées les troupes annami-tes.

NOVEMBRE-DECEMBRE 1883 — Les géné-raux Brière de l'Isle et de Négrier achèvent l'occupa-tion du Delta tonkinois et abordent la moyenne ré-gion.

16 DECEMBRE 1883 — L'amiral Courbet s'em-pare de Sontay.

1884 — Pour agir contre les troupes réguliè-res chinoises et les Pavillons Noirs, le corps expé-ditionnaire du Tonkin est porté à quinze mille hom-mes {il atteindra cinquante mille en 1900).

12 MARS 1884 — Le gé-néral Millot s'empare de Bac-Ninh défendu par vingt-cinq mille chinois. 17 MAI 1884 — La Chine cède et par le traité de Tien-Tsin renonce à toute suzeraineté sur l'Annam et le Tonkin. Elle recon-naît notre protectorat sur ces territoires et promet le rappel de ses troupes ré-gulières. 1er JUIN 1884 — La prise de Tuyen Quang achève la conquête du Delta, but de la campagne entre-prise par Jules Ferry. 9 JUIN 1884 — Par le trai-té dit « Patenotre » l'Em-

pereur d'Annam reconnaît le protectorat de la France sur l'Annam et le Tonkin. Il accepte un Ré-sident général à Hué, un Résident à Hanoï. Le Ré-sident général présidera aux relations extérieures de l'Annam-Tonkin. La province des Binh-Tuan (Phan-Thiet) rattachée à la Cochinchine est rétro-cédée à l'Annam. La Cochinchine forme union douanière avec Annam-Tonkin.

23 JUIN 1884 — Une colonne de trois cents hommes sous le commandement du commandant Dugenne partie pour occuper Langson qui devait être évacuée par les Chinois d'après les accords de Tien-Tsiri se heurte à cinq mille réguliers chinois dont le chef prétend ne pas avoir reçu d'ordres. Dugenne engage le combat qui lui coûte cent cin-quante hommes. Il doit battre en retraite. Pateno-tre va négocier à Shanghaï. Echec. Le terme "chi-noiserie" n'est pas un vain mot.

21 JUILLET 1884 — Malgré une violente opposi-tion, Jules Ferry obtient à une forte majorité les cré-dits nécessaires à une action contre la Chine.

5 AOUT 1884 — L'amiral Lespés bombarde et prend Kelung (Formose) puis l'évacué.

23-24 AOUT 1884 — En Chine, Courbet pénè-tre dans la rivière Min hérissée d'obstacles et d'ou-vrages défensifs. Il bombarde Fou-Tchéou unique port de guerre chinois. Il y détruit la flotte de guerre chinoise et l'arsenal ainsi que les batteries défen-sives.

Mort du commandant Rivière (19 mai 1882)

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OCTOBRE 1884 — Courbet et Lespés se pré-sentent à nouveau devant Formose. Courbet occupe Kelung. Lespés échoue à Tamsui. Courbet propose d'aller occuper Port Arthur et Wei-Hai-Wei. Jules Fer-ry, craignant des interventions étrangères, refuse.

JANVIER 1885 — Le général Brière de l'Isle, Commandant en Chef du Corps Expéditionnaire, di-rige sur Langson deux brigades (sept mille hommes) commandées par le général de Négrier (Légion) et le colonel Giovanninelli (Infanterie de Marine) tandis que Tuyen-Quang est confiée à la garde du com-mandant Dominé.

9 FEVRIER 1885 — Prise de Dong-Son camp retranché chinois.

15 FEVRIER 1885 — Entrée du général de Négrier à Langson.

23 FEVRIER 1885 — Entrée du général de Négrier à Dong-Dang.

3 MARS 1885 — La brigade Giovanninelli dégage Tuyen-Quang où depuis le 20 novembre les six cents hommes du commandant Dominé sont assiégés par quinze mille Chinois qui les at-taquent à la sape et à la mine (mort héroïque du sergent Bobillot).

29-31 MARS 1885 — Courbet par une opé-ration brillamment menée occupe les îles Pesca-dores et organise le blocus du riz dans les eaux de la Chine du Nord, seul moyen efficace d'ame-ner la Chine à composition.

24-30 MARS 1885 — Affaire de Langson — une armée régulière chinoise forte de quarante à cinquante mille hommes se rassemble au nord de Langson. Négrier l'attaque en territoire chinois à Bang-Bo. Devant la supériorité numérique de l'ennemi, il se replie à Dong-Dang à dix-huit kilo-mètres au nord-ouest de Langson.

Le 26, il rentre à Langson sans incident. Le 28 un télégramme expédié par le général Brière de l'Isle sur renseignements du lieutenant-colonel Herbinger qui vient de remplacer Négrier blessé, annonce que les Chinois débouchant en grande masse, Langson a été évacuée, et qu'Herbinger rétrograde sur Do-Son et Than-Moi. Ce télé-gramme réclame de nouveaux renforts. En réali-té, le 28 mars a été un succès de nos troupes qui, avec trois mille cinq cents hommes, ont mis hors de combat à Kin-Lua douze cents Chinois. L'évacuation de Langson puis de Dong-Son et de Than-Moi ne s'explique que par l'affolement d'Herbinger qui, d'après l'enquête dont il fut l'ob-jet, aurait agi en état de surexcitation lui faisant perdre son self-contrôle.

Le colonel d'Artillerie de Marine Borgnis Des-bordes qui remplace Herbinger à la tête de la 2e Bri-gade réoccupe, sans combat, la plus grande partie du terrain perdu.

30 MARS 1885 — Le télégramme du 28 fé-vrier de Brière de l'Isle annonçant l'évacuation de Langson provoque à Paris des manifestations. Lors-que Jules Ferry se présente le 30 mars à la Cham-bre pour annoncer l'envoi au Tonkin de dix mille hommes et demander un crédit de deux cents mil-lions pour le Ministère de la Guerre et cent pour ce-lui de la Marine, il se heurte à une opposition ani-mée par la haine de Clemenceau pour le Président

du Conseil ; il le somme d'abandonner "le haillon colonial".

Devant la crainte des élections proches, la de-mande de crédits est repoussée par trois cent six voix contre cent quarante-neuf. La Chambre n'ose cependant pas voter la mise en accusation du Prési-dent du Conseil réclamée par un député radical et un député de droite.

Monarchistes et bonapartistes, unis aux radi-caux soutenus par les députés du centre ont, pour des raisons de politique intérieure ou d'intérêts per-sonnels, renversé le Ministre auquel la 3e Républi-que doit la plus grande partie de son domaine colo-nial.

9 JUIN 1885 — Les négociations engagées par Jules Ferry depuis janvier 1885 se traduisent par le traité franco-chinois du 9 juin sur lequel Langson n'a eu aucune influence. La Chine renonce définiti-vement à la suzeraineté sur l'Annam et le Tonkin et s'engage à respecter les traités signés entre France et Annam. Les deux contractants sont d'accord pour détruire les bandes d'irréguliers qui poursuivent la guerre, la France au Tonkin, la Chine sur ses provin-ces contiguës. La Chine promet, pour ses travaux publics de donner la préférence à des ingénieurs français. Une convention commerciale franco-chinoise suivra ce traité en avril 1886.

11 JUIN 1885 — Mort de l'amiral Courbet (épuisé par ses campagnes) à bord du "Bayard".

Malgré la chute de Jules Ferry, malgré la mort de l'amiral Courbet, la France a recueilli les fruits de la politique prudente et ferme de l'homme d'Etat et de l'action perspicace, vigoureuse et désintéressée de l'homme de guerre.

Cependant, il faudra encore de longues années pour assurer la pacification du pays.

L’Amiral Courbet

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SITUATION EN JUIN 1885 — Les villes et les locali-tés principales sont bien sous notre autorité. Mais il reste à l'étendre à l'ensemble du territoire des Pro-vinces, à les pacifier, à les organiser administrati-vement, à développer leur économie au profit des populations qu'il s'agit de rallier à notre cause. Il faut donc au préalable débarrasser tout le territoire des bandes armées de toute nature qui le mettent en coupe réglée et font vivre les populations dans la terreur. Toute la haute région du Tonkin entre le Delta (et même Hanoi) et la frontière de Chine constitue "une marche abandonnée à la piraterie et aux chefs de bandes qui considèrent ce territoire comme leur fief" (Lyautey). Nos troupes sont partout cernées dans les postes où elles sont réparties pour mar-quer notre présence et attester nos droits et notre autorité.

4-5 JUILLET 1885 — Le général de Courcy, nouveau Commandant en Chef du Corps Expédi-tionnaire, chargé des pouvoirs politiques en An-nam-Tonkin, se présente devant Hué pour remet-tre à l'Empereur d'Annam ses lettres de créance.

Sur l'ordre du Régent, nos troupes sont atta-quées par des forces annamites. Celles-ci sont re-poussées. Le général de Courcy déporte le Régent et dépose l'Empereur. En septembre 1881, il choisit un nouveau souverain, Dong-Khan, le gouverne-ment ayant résolu de maintenir le régime du protec-torat tandis que le Général proposait la déchéance de la dynastie et l'annexion pure et simple de l'An-nam et du Tonkin.

JANVIER 1886 — Le général de Courcy est remplacé par un Résident civil, Paul Bert, nommé Résident Général de l' "Annam et du Tonkin".

OCTOBRE 1887 — La Cochinchine et le Cambodge, colonies qui relèvent du Ministère de la Marine, l'Annam et le Tonkin, protectorats, qui relè-vent des Affaires Etrangères, sont groupés en une seule Fédération administrée par un Gouverneur Général dépositaire des pouvoirs de la République Française.

1886-1891 — Un ensemble d'opérations est dirigé sur toute la haute et moyenne région contre les bandes armées, mais sans grand succès. Les colonnes pourchassent les bandes insaisissables qui se dérobent en les harcelant puis réoccupent le terrain quand elles sont passées. Dans ce pays très couvert, nos colonnes subissent de fortes pertes qui augmentent le prestige des chefs rebelles auprès des populations à leur merci. L'administration civile trop tôt mise en place et impuissante hors des lieux de résidence a tendance à adopter la solution facile qui consiste à tolérer cette situation de fait qui rend impossible, cependant, l'établissement de notre au-torité et nuit à notre prestige près des populations que nous sommes incapables de protéger.

Si la pacification du Delta est à peu près ache-vée vers 1890, on se bat encore parfois aux portes même d'Hanoi. L'insécurité règne dans la haute et moyenne région où toute organisation administrative se heurte à l'action des bandes.

1891 — M. de Lanessan est nommé Gouver-neur Général de l'Indochine. Il décide de faire procé-der à une occupation méthodique et progressive de tout le Tonkin. Il divise la Haute Région en quatre territoires militaires dont les chefs-lieux sont a Sept-Pagodes, Langson, Cao-Bang et Lao-Kay. L'œuvre est entreprise par le général Duchemin, Commandant Supérieur, secondé par le lieute-nant-colonel Pennequin, le colonel Servière et le colonel Gallieni.

1892-1836 — De 1892 à 1896, le colonel Gal-lieni joue le rôle essentiel dans la pacification du Ton-kin comme commandant du 1er Territoire à Sept-Pagodes puis du 2e à Langson. De 1894 à 1896, il a Lyautey comme chef d'Etat-Major. Gallieni y met au point les principes de pacification et d'organisa-tion que son élève Lyautey appliquera par la suite au Maroc en y ajoutant la marque de son génie propre. Au lieu de lancer des colonnes qui ne font que passer et n'occupent pas le terrain en perma-nence, il applique la politique de la tache d'huile. Il édifie une barrière solide de postes à l'abri des-quels on trace des routes et ouvre des marchés et des écoles. Progressivement la ligne des pos-tes est portée en avant assurant la pacification et l'organisation d'un territoire de plus en plus vaste. En outre, Gallieni n'hésite pas à armer les villages menacés par les pirates et leur fournit tous les moyens d'organiser une défense efficace. La mé-thode obtient un plein succès, complétée par une étroite combinaison de l'action politique et mili-taire. . "Tout mouvement de troupe en avant doit avoir pour sanction l'occupation officielle et défini-tive du terrain". En 1896, la pacification est à peu près terminée. Cependant les opérations contre le De-Tharn, le plus dangereux chef de bande, se poursuivront jusqu'en 1909 et il ne sera tué qu'en 1913.

La pacification du Tonkin

Le Lt-colonel Pennequin

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NOVEMBRE 1897 — Alors que la pacifica-tion semble achevée, le Gouvernement Général, pour créer un climat d'apparente sécurité favora-ble au lancement d'un emprunt de deux cents mil-lions de francs, accepte la soumission du De-Tham. Réinstallé dans son fief, il devient à nou-veau le centre d'attraction de toutes les bandes dispersées de 1891 à 1896.

DE 1905 A 1908 — Exploitant la victoire des Japonais contre les Russes (victoire des Jau-nes contre les Blancs), il prend figure de chef re-belle s'insurgeant contre la domination étrangère, et fomente des soulèvements. Il tente même de soulever les troupes indigènes d'Hanoï. Les ban-des réapparaissent et font régner l'insécurité et le pillage dans le Haut-Tonkin.

JANVIER 1909 — Une série d'opérations, préparées en grand secret., est déclenchée le 29 janvier contre le De-Tham. Elle dure onze mois, nous coûte cent tués et cent soixante blessés. Le De-Tham nous échappe mais il est définitivement isolé. C'en est fini de la résistance de ses ban-des.

9 FEVRIER 1913 — Menant une existence de bête traquée, le De-Tharn est tué le 9 avril 1913 par les partisans de l'ancien chef pirate ral-lié, Luong-Tam-Ky.

EN 1913 — Des attentats à la bombe, à ca-ractère politique, organisés par des sociétés se-crètes hostiles à notre souveraineté ont lieu à Saigon et Hanoï. Une opposition politique à notre tutelle commence à se manifester parmi les évo-lués.

1914-1918 — Les troubles continuent, pen-dant la guerre, encouragés par des agents alle-mands expulsés d'Indochine et réfugiés au Siam. L'Empereur d'Annam, qui nous est hostile, est dé-posé. Cependant, l'Indochine participe activement à l'effort de guerre. 1918-1939 — Dans les années qui suivent la guerre, le calme n'est jamais complètement réta-bli. Le développement de l'anarchie dans les Pro-vinces chinoises du Sud-Est à l'origine d'inces-santes incursions de bandes chinoises aux fron-tières du Tonkin et du Laos. Le mouvement natio-naliste annamite, encouragé par la propagation des principes Wilsoniens et appuyé par la IIIe In-

ternationale, favorisé par une propagande anti-française menée par des agitateurs étrangers, à l'intérieur même de l'Indochine, ne cesse de se développer. Il se traduit par des attentats et des révoltes locales (Yen-Bai, Vinh et Hatinh en 1930) auxquelles ont même pris part des tirailleurs.

Elles entraînent des répressions meurtrières qui sèment, là où elles se sont produites, des haines inextinguibles.

Le passage d'une économie rurale élémen-taire à une économie plus évoluée et partiellement industrielle amène la création d'un prolétariat parti-culièrement exposé aux propagandes extérieures. Il existe, tant dans les milieux intellectuels formés aux disciplines occidentales, qui estiment ne pas avoir la place qui leur revient dans la gestion des affaires de leur pays que parmi certains éléments miséreux du peuple, un mécontentement qui, à la suite de nos revers de 1940, de la perte de pres-tige qui s'ensuivit et surtout de l'occupation japo-naise, devait tourner à l'hostilité déclarée.

1 88 6 — Le Laos, comme jadis le Cambodge, est menacé à la fois par l'expansion siamoise et l'expansion annamite. Les Siamois, accompagnés d'agents anglais (l'Angleterre a annexé le 11 janvier 1886 la Birmanie et les Etats Shans dont Jules Ferry voulait faire un tampon entre possessions françai-ses et anglaises) occupent Luang-Prabang et pé-nètrent jusqu'à Muong-Son. Mais l'action de notre premier vice-consul à Luang-Prabang, Auguste Pa-vie — ancien engagé dans l'Infanterie de Marine (1869-1870) puis fonctionnaire aux P.T.T. en Co-chinchine, enfin explorateur de premier plan, — va déjouer les projets siamois. Pavie parcourt tout le Laos en pleine anarchie et rallie à notre cause de nombreux chefs indigènes dressés les uns contre les autres.

Un avion survole pour la première fois le sol de l’Indochine

L’occupation du Laos 1885-1890

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19 FEVRIER 1888 — Pavie rencontre près de Son-La un détachement de troupes françaises ve-nues d'Hanoï : Première liaison Laos-Tonkin.

13 MAI 1888 — Pavie, seul, se rend de Luang-Prabang à Hanoi.

AOUT 1888 — II en repart accompagné du commandant Pennequin et d'une escorte. Tous deux remontent la Rivière Noire et annexent le Haut-Laos. Ils réussissent après certains actes initiaux d'hostilité à gagner la confiance de Deo Van Tri, chef des Méos du Laos, qui accepte notre protection contre le Siam et l'établissement de postes français dans sa région.

SEPTEMBRE 1888 — Pennequin renforcé par des Méos occupe Dien-Bien-Theng. Les Thaïs accep-tent notre souveraineté pour se défendre contre les troupes siamoises.

DECEMBRE 1888 — Tout le Haut-Laos est occupé sans un coup de fusil grâce à Auguste Pavie et Pennequin.

1890 — Notre protectorat est établi sur le Royaume de Luang-Prabang et les Etats du Laos.

JUILLET 1893 — A la suite d'incidents avec le Siam aux frontières du Cambodge et du Laos, une flottille française vient s'embosser dans la Mé-man devant Bangkok. Reçue à coups de canons, elle procède au blocus des cotes siamoises.

AOUT 1893 — Un accord franco-siamois fixe les frontières communes avec le Cambodge et le Laos.

1895 — Un accord avec l'Angleterre fixe les limites communes de la Birmanie et du Laos (région d'Houei-Sai).

Nous sommes les maîtres incontestés d'un ri-che territoire de 730.000 km2 qui s'étend de la pointe de Camau à la frontière de Chine.

Il reste à en achever la pacification, à l'or-ganiser, à développer son économie, à la mo-derniser, à y faire œuvre humaine, à lier notre

cause, par intérêt, par culture commune et sur-tout par sympathie, les éléments divers d'une so-ciété indigène très variée.

Annamites, Laotiens (Thaïs) et Cambodgiens

(Khmers) ne sont pas les premiers autochtones de l'Indochine. Les uns et les autres sont des envahis-seurs. A l'origine, elle était occupée par les Moïs ("sauvages" en annamite) ou Khas ("sauvages" en laotien) de même race, eux-mêmes mélange de ma-lais et de polynésiens, plus près de la race rouge que de la race jaune (beaucoup d'analogies avec les Peaux-Rouges d'Amérique du Sud).

Les invasions successives ont refoulé les Moïs des côtes et des deltas dans la chaîne anna-mitique, couverte d'une forêt primaire continue, entre la Haute-Sékong (à l'ouest de Hué) et la côte de Co-chinchine vers Phan-Thiet.

Ils sont divisés en de nombreuses tribus dispersées, compartimentées par la nature montagneuse de leur pays, parlanl des dialectes différents (bien que tous de même racine). La population moï et kha pouvait être évaluée à un million cinq cent mille. Moïs et Khas sont les hommes de la forêt où ils vivent comme poissons dans l'eau. La "Cordillère" annamitique est demeurée leur domaine inviolé où, ni Chinois, ni Cambodgiens, ni Annamites, ni Thaïs, n'ont cherché à péné-trer. Ils y mènent une vie très primitive (riz de montagne, chasse, pêche, un peu d'élevage) mais sont animés d'un farouche esprit d'indé-pendance.

1905-1914 — La première pénétration se fait assez facilement à partir de la Côte est (Phan-Rang - Nhatrang en Sud-Annam) sur la zone des Hauts Plateaux de parcours facile, du Darlac puis du Kontoum (Pays des Rhadés, Se-dangs, Djaraïs et Banhards). De 1905 à 1912, elle est surtout l'œuvre de l'administrateur Sabo-tier et de ses miliciens et d'un aventurier français qui se baptise Marie 1er Roi des Sedangs.

Celle des multiples tribus de la montagne forestière se révèle beaucoup plus difficile du fait même des obstacles d'un pays couvert d'une fo-rêt dense et de l'esprit d'indépendance de ses habitants.

Elle est entreprise progressivement à partir de 1903 par un Administrateur audacieux et d'une rare énergie, Maitre, par le Cambodge. Mais Maitre est tué, en juillet 1914, par les Moïs, sa petite troupe détruite près du nœud des trois frontières (Cochinchine, Annam, Cambodge) ainsi que quelques postes qu'il avait fondés dans le Sud du Cambodge et occupés par des miliciens. L'œuvre de cinq années d'efforts est réduite à néant.

Monument d’Auguste Pavie à Vientiane

La Pacification des pays Moïs et Khas (1905-1936)

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1918 — Sur le versant ouest de la Chaîne d'Annam, seule la région de Voeune Sai au nord de la Srepok (est de Stung-Streng) reste partiel-lement contrôlée par nous.

1918-1933 — La pénétration est tentée à nouveau de l'Ouest, du Laos à la Cochin-chine, par des administrateurs du pourtour actionnant des miliciens. Les Moïs et Khas, hostiles à la pé-nétration européenne, s'y opposent par tous leurs moyens.

Au total, entre 1905 et 1933, seize chefs de provinces ou de délégations françaises du pour-tour des pays moïs et khas cherchant à les pla-cer sous notre autorité sont tués ainsi que de nombreux miliciens.

DECEMBRE 1933-JUILLET 1936 — A la

suite de l'assassinat et de la torture du Délégué Français de Nui-Bara et de l'attaque du poste de Bou-Coh (Cochinchine) par les Moïs (août 1933), le Gouverneur Général Robin décide de pacifier définitivement cette dernière zone d'Indochine en-core inconnue qui échappe encore à notre autorité et confie cette fois la pacification à l'autorité mili-taire. Un chef de bataillon d'Infanterie Coloniale en est chargé. Il y parvient en trois ans après avoir atteint et détruit dans leurs repaires de fo-rêts et de montagnes, qu'ils croyaient inviolables, les trois chefs principaux qui animaient la lutte contre notre pénétration (Yang en Cochinchine en avril 1934, Pu Trang-Lung au Cambodge en mai 1935 — celui là même qui avait tué Maître de sa main puis détruit sa petite colonne et nos postes du Sud du Cambodge en 1914 — Komadam dans le Bas-Laos, juillet 1936), parcouru monta-

gnes et forêts en tous sens de la Cochinchine au Bas-Los et obtenu la soumission successive de toutes les tribus,

Sa tâche, en dépit des obstacles de la forêt et des déboires sanitaires qu'elle occasionne, est facilitée par les différends qui séparent les tribus, conséquences de multiples griefs ancestraux ré-sultant de l'insuffisance des espaces vitaux — aux très maigres ressources — de chacune d'el-les. Toute tribu soumise fournit renseignements, émissaires, guides, porteurs, travailleurs et sou-vent partisans pour agir contre la voisine. C'est de la sorte que les plus petites bandes peuvent être atteintes au fin fond de la forêt jusqu'alors impé-nétrée.

La création de postes, l'ouverture de pistes praticables aux véhicules automobiles complètent un réseau de bons sentiers de forêts entretenu par les Mois, permettent l'exercice réel de notre autorité sur ce pays de parcours si difficile qui nous fournira d'excellents tirailleurs.

Cette fois l'Indochine toute entière est pla-cée sous notre tutelle et notre autorité s'exerce sur toute son étendue.

C'est l'œuvre de soixante-dix-sept ans d'efforts continus (1859-1936).

Le flux de notre entreprise Extrême-Orientale a tout recouvert. *

Hélas le reflux va le suivre de près.

Après la capitulation japonaise d'août 1945, des interventions étrangères des plus pernicieuses qui n'émanaient pas uniquement du camp ex-ennemi — jointes à l'absence de clarté, de fer-meté et de continuité dans les desseins gouver-nementaux et aux sérieuses lacunes de notre or-ganisation de défense impériale, vont placer constamment le commandement militaire en Indo-chine en présence de problèmes insolubles mili-tairement avec les moyens mis à sa disposition.

Malgré le dévouement, le courage, l'esprit

de sacrifice et souvent l'héroïsme des troupes de métier européennes et indigènes des T.F.E.O. — l'élite de l'Armée Française — ce défaut constant d'ajustement des moyens militaires et des buts po-litiques, joint à l'insuffisance de nos institutions mi-litaires, va nous conduire, d'épreuves en épreu-ves, à l'épilogue de Dien-Bien-Phu et à la liquida-tion de Genève.

Tardive et tragique adaptation finale de no-tre politique indochinoise à l'état militaire et moral de la Nation, face aux obligations et aux sacrifices que comportait, au lendemain de la Libération, la fondation d'une grande Union Française englo-bant, avec des statuts particuliers adaptés aux cir-constances, toutes les possessions d'outre-mer héritées des générations précédentes.

Général NYO.

Femme Moï

Paru dans la revue TROPIQUES n°378 de novembre 1955