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Éditorial 2 Droit des sociétés Exclusion, limitation et couverture de la responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales : état des lieux 3 Sébastien Binard Tax How will the 2015 Luxembourg transfer pricing rules impact you? 12 Marc Rasch Pawel Wroblewski Fiscalité Le traitement fiscal de la cession du droit préférentiel de souscription et de la cession de l’usufruit d’une participation : commentaires sur les arrêts de la Cour administrative 16 Omid Mohebati Budget Aperçu des nouvelles règles fiscales au Luxembourg pour l’année 2015 21 Jacques Wantz Table des matières Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/3 – 1 ..............................................................................................................................................................................................................................................................................

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Éditorial 2

Droit des sociétés

Exclusion, limitation et couverture de la responsabilité civile desdirigeants de sociétés commerciales : état des lieux 3Sébastien Binard

Tax

How will the 2015 Luxembourg transfer pricing rules impact you? 12Marc RaschPawel Wroblewski

Fiscalité

Le traitement fiscal de la cession du droit préférentiel de souscription etde la cession de l’usufruit d’une participation : commentaires sur lesarrêts de la Cour administrative 16Omid Mohebati

Budget

Aperçu des nouvelles règles fiscales au Luxembourg pour l’année 2015 21Jacques Wantz

Table des matières

Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/3 – 1

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Chers lecteurs,

La responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales, le prix detransfert dans les opérations intra-groupe, la cession de droits attachés àun titre et le budget 2015 sont les quatre thèmes abordés dans ce numérodu mois de mars.

Quels sont les mécanismes permettant aux dirigeants de se voir exonérésde leur responsabilité dans des circonstances déterminées ? Et, parailleurs, quelles sont les techniques disponibles de prise en charge et decouverture du risque de responsabilité encouru par le dirigeant ?Sébastien Binard (Arendt & Medernach) examine ces questions dans lepremier article de ce numéro consacré à l’exclusion, la limitation et lacouverture de la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales.

Dans le deuxième article, Marc Rasch et Pawel Wroblewski (PwC) pour-suivent leur analyse des dernières évolutions en matière de prix de trans-fert dans les opérations de financement intra-groupe.

Dans le troisième article, Omid Mohebati (EY) commente deux arrêts dela Cour administrative, l’un portant sur le traitement fiscal de la cessiondu droit préférentiel de souscription, l’autre, sur le traitement fiscal de lacession de l’usufruit d’une participation. Deux arrêts qui peuvent paraîtrecontradictoires…

Et enfin, dans le quatrième et dernier article de ce numéro, Jacques Wantz(Allen & Overy) passe en revue les principales nouveautés fiscales intro-duites par la loi concernant le budget de l’Etat pour l’exercice 2015 et laloi relative à la mise en œuvre du paquet d’avenir.

Bonne lecture !

Patricia [email protected]

2 – ACE 2015/3 ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer

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Exclusion, limitation et couverture de laresponsabilité civile des dirigeants de sociétéscommerciales : état des lieux

Sébastien BinardAssocié, Arendt & Medernach1

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Je conçois un héros comme quelqu’un capable d’appré-hender le degré de responsabilité allant de pair avec saliberté, dit un jour Bob Dylan2.

Or, le dirigeant3 d’une société commerciale jouit as-surément d’une large indépendance dans l’exercicede son mandat4.

Est-ce à dire que lorsque celui-ci vient à bénéficierd’une mesure l’exonérant de sa responsabilité, sesaccomplissements – aussi remarquables fussent-ils –ne pourront jamais être qualifiés d’héroïques ?

Non, trois fois non.

Premièrement, certains mécanismes d’exclusion oude limitation de la responsabilité du dirigeant ré-sultent simplement du prescrit légal, et il serait assu-rément absurde de s’en priver. L’un d’entre eux s’ap-plique même sans intervention de la volonté dudirigeant.

Deuxièmement, dans une perspective d’intenseconcurrence avec ses pairs, une société commercialese doit d’attirer les meilleurs candidats aux postesd’administrateur ou de gérant qui sont à pourvoir.Elle cherchera bien souvent à offrir à ceux-ciquelques garanties quant à l’étendue des risques deresponsabilité qu’ils encourront du fait de leurs nou-velles fonctions, en particulier lorsque ceux-ciignorent les tenants et aboutissants du droit luxem-bourgeois. Il s’agit là d’une pratique très communedans le monde des affaires et qui n’est pas criti-quable en soi du moment que les garanties offertesrespectent le prescrit légal.

Enfin, certaines mesures visant à limiter le risque en-couru par le dirigeant opèrent un nécessaire contre-poids à la charge et aux responsabilités pesant surcelui-ci du fait de ses fonctions et de la complexitécroissante de l’environnement dans lequel il évolue.Il ne s’agit alors pas tant pour le dirigeant de fuir sesresponsabilités que d’écarter l’épée de Damoclès lemenaçant, laquelle est susceptible de porter atteinteà son esprit entrepreneurial et à son appétit pour lerisque, éléments souvent indispensables à la réussited’une entreprise.

Nous analyserons sous le présent propos les moyensles plus courants mis à la disposition du dirigeant etde la société dont il est mandataire aux fins de limi-ter ou de couvrir la responsabilité du premier dansl’exercice de son mandat. Notre examen sera limitéaux questions touchant au régime général de res-ponsabilité civile des administrateurs et gérants desociétés commerciales luxembourgeoises, hors lescas particuliers résultant de la législation applicableen matière de procédures collectives.

Il nous ne nous apparaît pas inutile de rappeler, dansun premier temps, les principes généraux appli-cables en matière de responsabilité civile des diri-geants de sociétés commerciales luxembourgeoises(1.) ; ensuite, seront examinés les mécanismes per-mettant à ces dirigeants de se voir exonérés de leurresponsabilité dans des circonstances déterminées(2.) ; nous passerons enfin en revue les techniquesde prise en charge par la société ou par un assureurdu risque de responsabilité encouru par les diri-

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1. Les opinions émises dans cet article n’engagent que leur auteur. L’auteurremercie Mlle Claire Filliatre pour son assistance dans les recherches néces-saires à la rédaction de ces quelques lignes.

2. « I think of a hero as someone who understands the degree of responsibilitythat comes with his freedom », entretien publié avec l’album Biograph (1985).

3. Le terme « dirigeant », lorsqu’il est employé dans la présente note, doit êtreentendu indifféremment comme l’administrateur ou le membre du direc-toire d’une société anonyme ou d’une société européenne dont le siège estsitué au Luxembourg ou comme le gérant d’une société à responsabilitélimitée, société en commandite simple ou société en commandite par ac-tions. Par ailleurs, la responsabilité du gérant d’une société en commanditesimple ou d’une société en commandite par actions sera entendue qualitate

qua dans le présent propos et non en raison de son éventuelle qualité d’as-socié commandité. Enfin, ne sont pas visés ici-même le gérant d’une so-ciété en nom collectif ou d’une société coopérative, dont la responsabilitérelève du régime général du mandat plutôt que du régime spécial prévupar la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

4. Voy. p. ex. à cet égard l’article 191bis de la loi modifiée du 10 août 1915concernant les sociétés commerciales : « (…) chaque gérant peut accomplirtous les actes nécessaires ou utiles à l’accomplissement de l’objet social, saufceux que la loi réserve à la décision des associés » ainsi que les dispositionséquivalentes concernant les autres formes de sociétés commerciales pro-prement dites.

Droit des sociétés

Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/3 – 3

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geants, notamment lorsque celle-ci est mise encause par un tiers (3.)

......................................................................................................................TABLE DES MATIÈRES

1. Bref rappel du régime général de responsabilité civileapplicable aux dirigeants de sociétés commerciales 41.1. Responsabilité du dirigeant vis-à-vis de la société 41.2. Responsabilité du dirigeant vis-à-vis des tiers 5

2. Mécanismes d’extinction, d’exclusion et de limitation de laresponsabilité du dirigeant 52.1. Prescription 52.2. Décharge 62.3. Désolidarisation 72.4. Démission 72.5. Clauses limitatives de responsabilité 8

3. Techniques de prise en charge et de couverture du risquede responsabilité encouru par le dirigeant 93.1. Transaction 93.2. Pacte de garantie 93.3. Assurance responsabilité civile 10

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1. Bref rappel du régime général deresponsabilité civile applicable auxdirigeants de sociétés commerciales

En droit commun, le mandataire qui se présente encette qualité auprès des tiers concernés ne s’engagepas personnellement dans les actes accomplis pour lecompte de son mandant5. Il est par contre responsableà l’égard de ce dernier de son dol et de ses fautes degestion commises lors de l’exécution du mandat6.

Les articles 58 et 59 de la loi modifiée du 10 août 1915concernant les sociétés commerciales (ci-après, la « loidu 10 août 1915 ») rappellent ces principes et enconstituent une application particulière7. L’adminis-trateur d’une société anonyme sera en effet respon-sable envers celle-ci des fautes de gestion relevantd’une inexécution fautive de son mandat (responsabi-lité de nature contractuelle). Il sera également tenu

envers les tiers d’une éventuelle violation des statutsou de la loi du 10 août 1915 (responsabilité quasi-délictuelle)8. Ces règles sont également applicables àla majorité des autres formes de sociétés commercialesavec personnalité morale par renvoi à l’article 59 de laloi du 10 août 19159.

Par ailleurs, le dirigeant sera encore responsable en-vers toute personne à qui il a causé un préjudice selonles principes généraux de la responsabilité quasi-dé-lictuelle posés par les articles 1382 et 1383 du Codecivil10, dans les limites exposées ci-dessous.

Rappelons enfin que le dirigeant de fait11 sera, commele dirigeant de droit, responsable de ses fautes dans lamesure où celles-ci ont causé un dommage, soit à lasociété, soit aux tiers. Cette responsabilité sera enprincipe de nature délictuelle12.

1.1. Responsabilité du dirigeant vis-à-vis de lasociété

Le dirigeant est tenu d’exercer son mandat en bon pèrede famille13. Il est également tenu d’une obligation debonne foi. A cet égard, le dirigeant agira donc dansl’intérêt de la société uniquement et non dans son in-térêt personnel14.

Un manquement aux obligations du dirigeant, suite àun acte positif ou à une inaction de celui-ci, pourraêtre constitutif d’une faute de gestion. Il en sera res-ponsable vis-vis de la société pour autant que celle-ciait encouru un dommage immédiat et direct en consé-quence de la faute et qu’il existe un lien causal entrecette faute et le dommage subi15. Cette responsabilitéest en principe individuelle et non solidaire16.

Le juge appréciera la faute du dirigeant in abstracto,par référence, d’une part, au standard comportemen-tal du bon père de famille ou, en d’autres termes, dudirigeant normalement « prudent, diligent et actif »17

et, d’autre part, aux circonstances dans lesquelles ledirigeant était placé au moment des faits. Le dirigeant

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5. Cour, 7 janvier 1975, 23, 68.6. Code civil, art. 1992.7. RAVARANI, G., La responsabilité civile des personnes publiques et privées, 3e

éd., Pas., 2014, p. 646. ; METZLER, L., Le régime juridique et fiscal des sociétésà responsabilité limitée dans le Grand-duché de Luxembourg, Bruxelles, Bruy-lant, 1933, p. 96.

8. Loi du 10 août 1915, art. 59 : « Les administrateurs sont responsables enversla société, conformément au droit commun, de l'exécution du mandat qu'ilsont reçu et des fautes commises dans leur gestion.Ils sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers tous tiers,de tous dommages-intérêts résultant d'infractions aux dispositions de la pré-sente loi ou des statuts sociaux. Ils ne seront déchargés de cette responsabilité,quant aux infractions auxquelles ils n'ont pas pris part, que si aucune faute neleur est imputable et s'ils ont dénoncé ces infractions à l'assemblée générale laplus prochaine après qu'ils en auront eu connaissance ».

9. Voy. loi du 10 août 1915, art. 17 (société en commandite simple), art. 107(société en commandite par actions), art. 137-47 (société coopérative euro-péenne) et art. 192 (société à responsabilité limitée). Les sociétés euro-péennes ayant leur siège au Luxembourg entrent également dans le champd’application de l’article 59.

10. Trib. arr. Luxembourg siégeant en matière commerciale et en appel,23 avril 2004, R. n° 78675.

11. Cour, 1er octobre 1997, R. n° 12583, 12771, 12859, 12896 et 20243 : « Ledirigeant de fait d’une société est celui qui exerce en fait la direction de la so-ciété en lieu et place de son organe légal ou sous son couvert ».

12. RAVARANI, G., op. cit., p. 647. ; CABANNES, A., Le dirigeant de fait, in ACE2013/1, Diegem, Kluwer, 2013, p. 10 ; METZLER, P. et PIRET, F., Le dirigeantde fait : critères sur de la notion et réflexions sur la responsabilité, in Droit ban-caire et financier au Luxembourg 2014, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 1545. Lanature délictuelle de la responsabilité du dirigeant de fait empêchera enprincipe l’exercice de l’action sociale prévue à l’article 59, §1er de la loi du10 août 1915. Le recours de la société contre son dirigeant de fait sera fondésur les art. 1382 et 1383 du Code civil.

13. Cour, 27 février 1973, Pas. 23, p. 481.14. Trib. arr. Luxembourg, 15 mars 2001, R. n° 48959.15. Cour, 27 février 1973, op. cit., visant en l’espèce « l’administrateur qui, sans

s’assurer une garantie quelconque, investit, pour le compte de sa société, dessommes importantes dans une autre société dont la situation financière estprécaire ».

16. RAVARANI, G., op. cit., p. 646.17. Trib. arr. Luxembourg, 15 mars 2001, R. n° 48959.

Droit des sociétés

4 – ACE 2015/3 ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer

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dispose néanmoins d’une certaine marge de ma-nœuvre dans sa gestion ; seules ses fautes inexcusablessuite à une attitude déraisonnable seront sanction-nées18.

La décision de mettre en mouvement l’action socialeest prise pour le compte de la société par son assem-blée générale19 aux conditions de majorité des assem-blées ordinaires. Lorsque la société est en faillite ouen liquidation, il est admis que cette décision seraprise par le curateur ou le liquidateur, selon le cas20.L’organe de gestion, dont un, plusieurs, voire tous lesmembres (selon le cas) sont visés par l’action en res-ponsabilité, ne seront quant à eux pas en mesured’initier ou de contrôler la procédure.

Le droit luxembourgeois ne connaît en l’état21 quel’action sociale ut universi, destinée à réparer le préju-dice subi par l’ensemble des associés, et non lesconcepts d’action sociale minoritaire ou d’action so-ciale ut singuli, suivant lesquels cette dernière pour-rait être intentée à l’initiative d’un ou plusieurs asso-ciés uniquement22.

Toutefois, lorsqu’un ou plusieurs associés sont en me-sure de prouver qu’ils ont subi un préjudice person-nel, indépendant du préjudice subi par la société et lacollectivité des associés, ils sont en droit d’agir indi-viduellement contre le dirigeant fautif23. Cette dé-monstration sera néanmoins délicate à effectuer dansun grand nombre de cas. Il a à ce sujet été jugé que« l'amoindrissement du patrimoine social ne peutconstituer le préjudice subi personnellement par l'as-socié »24.

1.2. Responsabilité du dirigeant vis-à-vis destiers

Les dirigeants sont, d’après l’article 59 al. 2 de la loidu 10 août 1915, tenus solidairement responsablesenvers la société et les tiers de toute infraction auxdispositions de cette même loi ainsi que des statuts.Une violation de la loi du 10 août 1915 pourra à titred’exemple consister dans le défaut de convocation del’assemblée générale annuelle dans les six mois de laclôture de l’exercice social et une violation statutaireen une décision d’exercer une activité qui ne tombepas dans le champ de l’objet social25. Une telle fautede régularité, lorsqu’elle est commise dans le cadre

d’une gestion collégiale, emporte la responsabilité so-lidaire de l’ensemble des membres du collège des di-rigeants26.

L’action en responsabilité pour de telles infractionspourra être intentée par la société ainsi que par tousles tiers concernés. Par tiers, il faut entendre « tousceux ayant traité avec la société ainsi que tous autresqui sont complètement étrangers à la société » et en-core les associés « lorsque ceux-ci démontrent que lafaute délictuelle ou quasi-délictuelle des administra-teurs leur a causé un préjudice personnel indépendantet distinct de celui qui a pu être causé au patrimoinede la société »27.

Les tiers pourront enfin, de manière subsidiaire, agircontre un dirigeant sur base des articles 1382 et 1383du Code civil. Dans ce cas, les tribunaux exigeront ré-gulièrement, sur base de la jurisprudence française enla matière, que la faute commise par le dirigeant soitséparable ou détachable des fonctions de celui-ci, au-trement dit qu’elle ait été commise en dehors du cadredu mandat social28. Cette démonstration pourra, enpratique, être délicate à effectuer.

2. Mécanismes d’extinction,d’exclusion et de limitation de laresponsabilité du dirigeant

Nous envisagerons ici différents modes d’extinction,d’exclusion et de limitation de la responsabilité du di-rigeant : la prescription de l’action en responsabilitédirigée contre celui-ci, la décharge qui lui sera éven-tuellement octroyée par l’assemblée générale pour sagestion passée, le moyen pour lui de se désolidariserdes actes des autres dirigeants dans certaines circons-tances, la possibilité pour lui de démissionner afin demettre fin à son mandat de manière unilatérale et enfinl’adoption par la société d’une clause statutaire oucontractuelle visant à limiter la responsabilité du diri-geant.

2.1. Prescription

L’action sociale, ainsi que toute autre action dirigéecontre un gérant, administrateur ou membre du direc-

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18. GOFFIN, J.-F., Responsabilité des dirigeants de sociétés, 3e éd., Bruxelles, Lar-cier, 2012, p. 106.

19. Loi du 10 août 1915, art. 63.20. RESTEAU, CH., Les sociétés anonymes devant les lois belges, T.II, Bruxelles,

Larcier, 1913, p. 152.21. Le projet de loi n° 5730 portant modernisation de la loi modifiée du

10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et modification duCode civil et de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registrede commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes an-nuels des entreprises prévoit toutefois une forme d’action sociale minori-taire en vertu de laquelle un ou plusieurs actionnaires représentant aumoins dix pour cent des actions munies du droit de vote serait en droitd’intenter l’action sociale, sans qu’une décision de l’assemblée générale soitnécessaire.

22. Trib. arr. Luxembourg, 10 août 1891, Pas. 3, p. 537, dont le contenu a étérécemment rappelé par Trib. arr. Luxembourg, 4 mars 2010, R. n° 125207,125312 et 125653.

23. Ibid.24. Cass. com. (Fr.), 21 septembre 2004, BRDA 19/2004, n° 3 ; RJDA 12/2004, n°

1326, JCP E 2004, n° 42, p. 1617. ; Trib. arr. Luxembourg, 29 juin 2007, R. n°104787, B.I.J., 2007, p. 170.

25. Trib. arr. Luxembourg, 30 mai 1980, Bulletin du Cercle François Laurent, II,1987, pp. 67 et s. ; Trib. arr. Luxembourg, 15 juillet 1993, B.D.B., n° 21, p. 51.

26. Voy. notamment METZLER, L., op. cit., p. 100 ; STEICHEN, A., Précis de droitdes sociétés, 4e éd., Ed. St Paul, Luxembourg, 2014, p. 223.

27. Trib. arr. Luxembourg, 10 novembre 2000, R. n° 49599.28. Voy. p. ex. Trib. arr. Luxembourg, 28 novembre 2007, R. n° 1133/07 XV et

Trib. arr. Luxembourg, 19 octobre 2011, R. n° 185/11 XI.

Responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales

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toire d’une société commerciale se prescrit par cinqans29.

Le dirigeant échappe donc en règle générale à unequelconque responsabilité lorsque les faits concernés– actes ou omissions30 – ont plus de cinq ans. Ce délaicourt lui est particulièrement favorable, spécialementlorsqu’on le rapporte au délai de droit commun quiest, lui, de trente ans. La Cour constitutionnelle belgejustifie ce délai par l’intention du législateur « de nepas laisser les administrateurs de sociétés trop long-temps dans l’incertitude concernant leur éventuelleresponsabilité pour des fautes commises dans l’exer-cice de leur mandat », faute de quoi il était à craindreque « seul un nombre restreint de personnes eussentété disposées à assumer des fonctions à responsabi-lité »31.

Le point de départ du délai quinquennal est la date dufait dommageable, ce qui est là aussi un régime de fa-veur par rapport au droit commun. Dans l’hypothèseoù la responsabilité du dirigeant résulterait de faitssuccessifs et indivisibles, le délai de prescription necommencerait toutefois à courir qu’à la date du der-nier fait32. Enfin, lorsque les faits ont été dissimuléspar dol (par exemple, en omettant volontairement deprocéder au dépôt des comptes annuels), la prescrip-tion prendra cours dès la révélation du fait domma-geable, donc « à partir du jour où la victime avait lapossibilité objective de connaissance des faits33 ».

Ratione materiae, la prescription prévue à l’article 157de la loi du 10 août 1915 s’appliquera à l’ensembledes actions en responsabilité qui seraient intentéescontre les dirigeants « pour faits [relevant] de leursfonctions ». En conséquence, sont concernés, d’unepart, les actes qui seraient susceptibles de faire l’objetd’une action en responsabilité à l’initiative de la so-ciété ou à celle d’un tiers34 tant sur base de l’article 59de la loi du 10 août 1915 que des articles 1382 et 1383du Code civil35 et, d’autre part, les actes posés par ledirigeant dans le cadre de ses fonctions. A contrario,il faut entendre que la faute hors mandat ne bénéficiepas du délai de prescription quinquennal, ce qui estsomme toute logique.

2.2. Décharge

La décharge (ou quitus) est l’acte par lequel la sociétélibère le dirigeant de la responsabilité résultant de sonmandat. Il s’agit, en d’autres termes, d’une renoncia-

tion à exercer l’action sociale contre le dirigeant ouencore, pour Ch. Resteau, d’un « moyen radical quidoit paralyser l’action, l’empêcher de sortir de la chry-salide où elle est enfermée depuis l’accomplissementdes actes fautifs »36.

Elle ne vise que la responsabilité du dirigeant vis-à-vis de la société, pour faute de gestion et violation desstatuts ou de la loi du 10 août 1915, et reste donc inef-ficace à l‘égard des tiers.

La décharge est décidée par l’assemblée générale de lasociété, qui est tenue (du moins concernant les socié-tés de capitaux37) de se prononcer sur son octroi éven-tuel suite à l’adoption des comptes annuels. Elle estnécessairement votée par une décision séparée decelle relative à l’approbation de ces comptes et se rap-porte uniquement à la période couverte par ceux-ci etnon aux actes de gestion postérieurs.

La décharge doit être donnée en pleine connaissancede cause et, selon l’article 74 de la loi du 10 août 1915,n’est valable qu’en l’absence d’omission ou de fausseindication dans les comptes annuels relatifs à l’exer-cice social concerné. Suivant la jurisprudence belge,la décharge restera valable en pareilles circonstancess’il est démontré que « l’assemblée générale était in-formée des inexactitudes, omissions et irrégularitésdes comptes annuels »38 et a donc été en mesure deprendre une décision pleinement informée.

Lorsqu’elle est valablement octroyée, la décharge lie –du moins en l’état actuel du droit – l’ensemble desassociés. Les associés qui auraient voté contre la dé-charge ne seront dès lors pas en mesure d’exercer l’ac-tion sociale à titre individuel39.

La décharge est-elle collective, donc accordée ou refu-sée à l’ensemble des membres de l’organe de gestion,ou doit-elle plutôt être votée séparément concernantchaque membre de l’organe de gestion ? La loi du10 août 1915 est silencieuse à ce sujet. Il apparaît quela pratique s’oriente largement vers le vote collectif,ce qui peut sembler logique lorsque la société com-porte un organe de gestion collégial. D’un autre côté,la responsabilité à l’égard de la société, du moins pourfaute de gestion, s’apprécie de manière individuelle etil peut dans certaines circonstances être utile de pro-céder à un vote distinct, dirigeant par dirigeant. La

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29. Loi du 10 août 1915, art. 157 : « Sont prescrites par cinq ans (…) toutes actionscontre les gérants, administrateurs, membres du directoire, (…) pour faits deleurs fonctions, à partir de ces faits ou, s'ils ont été celés par dol, à partir de ladécouverte de ces faits ». Cette disposition est identique à l’article 198 duCode des sociétés belge.

30. GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 332.31. Cour Const. (Bel.), n° 47/2007, 21 mars 2007, J.D.S.C., 2007.32. VAN GERVEN, D., Les clauses limitatives de responsabilité, les garanties d’in-

demnisation et l’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux,R.P.S., R. n° 6742, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 145.

33. STEICHEN, A., op. cit., p. 243.

34. VAN GERVEN, D., op. cit., p. 144.35. FERON, B. et GOFFIN, J.-F., « La protection des administrateurs de société

contre la mise en cause de leur responsabilité civile », J.T., Bruxelles, Larcier,1996, p. 380.

36. RESTEAU, CH., op. cit., p. 160.37. Voy. loi du 10 août 1915, art. 74 al. 2 concernant la société anonyme et, par

renvoi de l’article 103, la société en commandite par actions. Voy. égale-ment l’article 197 al. 5, concernant la société à responsabilité limitée.

38. GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 322., qui note encore que l’ensemble des associésdevra avoir été informé des irrégularités.

39. Cf. supra, 1.1.

Droit des sociétés

6 – ACE 2015/3 ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer

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doctrine reconnaît largement que rien ne l’interdit40.L’organe de gestion sera responsable de rédiger etd’inclure au sein de l’ordre du jour une proposition dedécharge, soit collective, soit individuelle41.

La décharge peut-elle être partielle ou exprimée avecréserves ? Ch. Resteau s’y oppose, indiquant que si detelles réserves étaient concevables sous l’empire del’ancien droit belge des sociétés de 1873, en vertu du-quel la décharge « dérivait de l’approbation descomptes annuels par l’assemblée », il n’en allait pasde même lorsqu’on appliquait le régime tel que nousle connaissons aujourd’hui au Luxembourg, concer-nant lequel « les réserves de l’assemblée ne seconçoivent plus puisque c’est par un vote spécialqu’elle doit statuer sur la gestion des administrateurs.Dès lors, ou bien elle approuvera cette gestion ou ellene l’approuvera pas42 ». Cette vue nous semble par troprestrictive, eu égard notamment à l’absence de pres-crit légal interdisant que de telles réserves soient for-mulées et au principe de l’autonomie de la volontés’appliquant à la relation de mandat entre le dirigeantet la société dans la mesure où la loi n’y déroge pas.Tilleman indique en ce sens qu’il « n’est pas néces-saire que tous les actes posés dans le cadre de l’exer-cice du mandat tombent sous le couvert de la dé-charge » et que « l’action sociale reste possible àl’égard des actes pour lesquels le mandant n’a pasdonné décharge43 ». Nous partageons cette position.

Enfin, que penser de la portée de la décharge qui se-rait octroyée en cours d’exercice ? Bien que la loi du10 août 1915 prévoie expressément que la déchargeest accordée lors de l’approbation des comptes an-nuels, il existe des circonstances dans lesquelles sonoctroi en cours d’exercice est souhaitable. Nous pen-sons par exemple au cas du dirigeant qui démissionnede son mandat en conséquence de la cession d’unemajorité du capital de la société à un repreneur tierset qui désire être libéré de sa responsabilité à l’égardde la société dès la date de transfert de propriété desactions ou parts44. A notre avis, la règle de l’article 74de la loi du 10 août 1915 n’empêche pas qu’une dé-charge intermédiaire soit octroyée pour autant que,conformément au droit commun, celle-ci soit donnéeen pleine connaissance de cause (par exemple sur based’une situation comptable intérimaire). Si la jurispru-dence luxembourgeoise est à notre connaissance si-

lencieuse à ce sujet, la jurisprudence belge va dans lesens de cette position libérale45.

Nous relevons toutefois que la portée de la déchargeest différente selon qu’elle est octroyée en coursd’exercice ou lors de l’approbation des comptes an-nuels, les effets de la première n’étant pas aussi éten-dus que ceux de la seconde, de portée générale. Ledirigeant bénéficiant de la décharge intermédiaireveillera dès lors à effectuer « un rapport le plus sin-cère, fidèle et complet de sa gestion »46 à l’assembléequi lui a accordé la décharge et à solliciter une confir-mation de celle-ci lors de la plus prochaine assembléeannuelle.

2.3. Désolidarisation

Afin de s'exonérer de leur responsabilité concernantune éventuelle violation des statuts ou de la loi du10 août 1915, les dirigeants devront « rapporter latriple preuve de leur non-participation à l'infraction,de l'absence de toute faute personnelle de leur part etde la dénonciation de l'infraction à l'assemblée géné-rale la plus proche »47.

La condition de l’absence de participation à l’infrac-tion suppose notamment que le dirigeant concerné aitvoté en défaveur de la décision litigieuse ou ait étéabsent de la réunion du conseil d’administration oude gérance l’ayant adoptée et n’ait posé aucun acted’exécution (même purement accessoire) relativementà cette décision.

Commettrait une faute personnelle, l’administrateurqui « signe aveuglément des documents préparés parun autre administrateur »48, qui est absent de manièreinjustifiée de la réunion du conseil d’administrationou de gérance ayant approuvé l’opération en cause ouqui, de manière plus fondamentale, se serait désinté-ressé de la gestion de la société, « s’abstenant d’assu-mer ses fonctions »49.

2.4. Démission

La démission est l’acte par lequel le dirigeant met uni-latéralement fin à son mandat. Elle ne se déduit pas dela simple cessation de fait des fonctions50 et supposeune communication à la société, dont la forme seralibre.

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40. Voy. p. ex. ARVIS, H., note sous Trib. arr. Luxembourg, 24 octobre 2008, « Lerégime général de responsabilité civile des dirigeants de sociétés commer-ciales au Luxembourg », in D.A.O.R. 2010/96, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 423 ;GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 323 ; PASSELECQ, F., « Traité des sociétés commer-ciales », in Les Novelles, Droit commercial, t.III, Bruxelles, Larcier, 1934, p. 319 ;STEICHEN, A., op. cit., p. 240 ; DE BAUW, F., Les assemblées générales dans lessociétés anonymes, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 239.

41. DE BAUW, F., op. cit., p. 78.42. RESTEAU, CH., op. cit., p. 161.43. TILLEMAN, B., Le mandat, Diegem, Kluwer, 1999, pp. 167-168.44. En effet, il est parfois à craindre que le cessionnaire menace d’exercer l’ac-

tion sociale contre les anciens dirigeants lorsque la valeur de la participa-tion acquise s’avère moindre qu’espérée et que le contrat de cession n’offrepas ou peu de recours contre le cédant.

45. C.A. Bruxelles, 12 avril 2002, J.T., 2002, pp. 668-669, selon laquelle l’équiva-lent en droit belge de l’article 74 de la loi du 10 août 1915 « ne fait pas obs-tacle au pouvoir dont dispose l’assemblée générale de donner en tout tempsquitus à un administrateur du chef de sa responsabilité à l’égard de la société ».

46. DE CORDT, Y., Le statut du dirigeant d’entreprise, Bruxelles, Larcier, 2009, p.109.

47. Trib. arr. Luxembourg, 15 juillet 1993, B.D.B., n° 21, p. 51.48. Ibid.49. Trib. arr. Luxembourg, 14 août 2001, R. n° 69686.50. Cass. comm. (Fr.), 13 mars 1979, Rev. sociétés 1979, note P. Merle.

Responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales

Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/3 – 7

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Conformément au droit commun, la démission estlibre et ne requiert donc pas l’accord préalable de lasociété mandante51. Elle ne doit pas non plus être mo-tivée52 et peut être effectuée à tout moment53.

Elle peut constituer un moyen d’atténuer la responsa-bilité du dirigeant démissionnaire, mais son efficacitéest nécessairement limitée.

Premièrement, la démission n’a d’effets que pour lefutur. Elle est donc inefficace en ce qui concerne lesfautes commises pendant la durée du mandat. Il s’agitlà d’une solution logique, car l’inverse aurait permisau dirigeant d’échapper à sa responsabilité de manièreindue.

Deuxièmement, si la démission a en principe un effetimmédiat vis-à-vis de la société, dès sa notification àcelle-ci54, cela n’est pas le cas lorsqu’elle a pour effetde paralyser l’organe de gestion, par exemple en fai-sant passer le nombre de dirigeants sous le minimumlégal ou statutaire. Afin d’éviter de rendre sa démis-sion intempestive et, par là-même, d’engager sa res-ponsabilité, il continuera d’exercer sa fonction jusqu’àce qu’il ait été pourvu à son remplacement par l’as-semblée générale55. Suivant les circonstances, il pour-rait également lui être reproché de ne pas avoir prêtéson concours à la recherche d’un successeur.

Troisièmement, vis-à-vis des tiers, la démission nesortira ses effets qu’après sa publication au MémorialC, Recueil des Sociétés et Associations56, qui fera elle-même suite à un dépôt au registre de commerce et dessociétés57, sauf à prouver que le tiers en avait euconnaissance antérieurement58. Il a été jugé à cet égardque « le mandat de l’administrateur d’une société per-dure au-delà de la durée légale de 6 ans à l’égard destiers59tant que l’administrateur n’a pas déposé et pu-blié sa démission »60. Il est donc d’une importance cri-tique pour le dirigeant d’enjoindre à la société de pro-céder au dépôt et à la publication de sa démissionpromptement, faute de quoi il restera solidairementresponsable des fautes de régularité61 qui seraientcommises par les autres dirigeants dans l’intervalleséparant la démission de la publication de celle-ci.

A ce sujet, il appartient à l’organe de gestion de la so-ciété d’effectuer les formalités nécessaires à la publi-

cation de la démission d’un dirigeant. Est-il envisa-geable que la société puisse être tenue responsable dudommage encouru par le dirigeant démissionnaire dufait de l’absence ou du caractère tardif de cette publi-cation ? Nous ne voyons pas de raison de déroger auxprincipes du droit commun, de sorte qu’il faut ré-pondre à cette question de manière positive. En toutétat de cause, le dirigeant démissionnaire pourraitcontraindre la société à effectuer les formalités néces-saires ou bien y procéder par lui-même62.

2.5. Clauses limitatives de responsabilité

En droit commun, par application du principe del’autonomie de la volonté posé par l’article 1134 duCode civil, les parties sont libres de convenir d’unelimitation de leur responsabilité contractuelle dans lescirconstances que le contrat détermine. Ces clauses,dit très justement G. Ravarani, « encouragent l’initia-tive et, dans le monde des affaires, l’audace technolo-gique »63.

Afin d’être valables, les clauses exonératoires ou limi-tatives de responsabilité doivent toutefois répondre àdeux conditions : premièrement, elle ne peuvent por-ter sur une obligation essentielle du contrat, ce quiaurait pour effet de le vider de sa substance ; deuxiè-mement, elle ne doivent pas porter atteinte à une règled’ordre public ou à une disposition impérative. Enfin,relevons qu’elles sont inefficaces dans l’hypothèsed’une faute lourde ou dolosive ainsi qu’à l’égard destiers64.

En va-t-il de même dans la relation de mandat unis-sant le dirigeant à la société ? En d’autres termes, lasociété mandante peut-elle valablement déroger au ré-gime légal et accepter de limiter l’étendue de son re-cours contre ses propres dirigeants65, soit par conven-tion soit par une clause statutaire ? Il n’existe à notreconnaissance pas de jurisprudence luxembourgeoisesur cette question. En outre, cette dernière est assuré-ment controversée en doctrine.

Pour d’aucuns, l’article 59 de la loi du 10 août 1915serait une disposition d’ordre public, « le législateurayant voulu contrebalancer la liberté contractuelle enmatière sociétaire par le droit de la responsabilité66 ».Certains soutiennent par contre que cette disposition

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51. Code civil, art. 2007.52. Trib. arr. Luxembourg, 23 décembre 1987, R. n° 643/87.53. HAINAUT-HAMENDE, P. et RAUCQ, G., Les sociétés anonymes, Bruxelles, Lar-

cier, 2005, p. 468.54. DELEBECQUE, PH., « Démission des administrateurs » in Répertoire de droit

des sociétés, Paris, Dalloz, 2003 ; VAN RYN, J., Principes de droit commercial,Bruxelles, Bruylant, t.1, 1954, p. 387.

55. GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 318.56. Trib. arr. Luxembourg, 13 juillet 1998 et Cour d’appel, 27 avril 1999, Feuille

de liaison de la Conférence Saint-Yves, n° 91, décembre 1998, pp. 59 et s.57. Nous relevons à ce sujet qu’un projet de loi n° 6624 portant réforme du

régime de publication légale relative aux sociétés et associations vise àremplacer le régime de publication obligatoire au Mémorial par un dépôtet une publication sur une plateforme électronique centrale de publicationofficielle, le « Recueil électronique des Sociétés et Associations ».

58. Loi du 10 août 1915, art. 9, §4.59. Et uniquement à l’égard des tiers, le mandat ayant pris fin antérieurement

vis-à-vis de la société.60. Cour d’appel, 5 novembre 2003, R. n° 27263, B.I.J., 2004, p. 32 ; D.A.O.R., 2004,

n° 72, 4/2004, p. 49.61. Au sens de l’article 59, al. 2 de la loi du 10 août 1915.62. FERON, B. et GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 380.63. RAVARANI, G., op. cit., p. 760.64. Pour une étude d’ensemble, voy. RAVARANI, G., op. cit., pp. 759 et s.65. Nous pensons par exemple à l’exclusion de la faute légère ou à une limita-

tion du montant du dommage réparable.66. STEICHEN, A., op. cit., p. 238.

Droit des sociétés

8 – ACE 2015/3 ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer

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serait simplement impérative en ce qu’elle neconcerne que des intérêts privés67. La limitationconventionnelle de la responsabilité du dirigeantavant que l’assemblée générale ait été en mesure d’éva-luer sa gestion n’en resterait pas moins « une restric-tion inadmissible de ce pouvoir réservé à l’assembléegénérale »68. Dans un cas comme dans l’autre, la clauselimitative de responsabilité serait donc nulle, soit denullité absolue, soit de nullité relative.

D’autres voient moins de raisons de refuser l’applica-tion du régime de droit commun au droit des sociétés,s’agissant à tout le moins de la faute de gestion ou dela faute aquilienne dont la société serait victime69. Sil’assemblée générale a certes la charge exclusive del’exercice de l’action sociale, il est en effet permis dese demander en quoi celle-ci ne serait pas en mesurede délimiter les contours de son propre droit, notam-ment par la voie statutaire, puisque seuls ses intérêtset non ceux des tiers sont affectés. L’argument, assezrépandu, de l’ordre public comme contrepoids à la li-berté du dirigeant dans l’exercice de ses fonctionsprocède d’une vue institutionnelle de la société etmanque également de nous convaincre, car le manda-taire de droit commun peut lui aussi se voir attribuerde larges compétences sans pour autant que les clauseslimitatives de responsabilité lui soient refusées. Il y alà une certaine inégalité de traitement dont la justifi-cation avancée par certains appelle au minimum à uneréouverture des débats.

3. Techniques de prise en charge et decouverture du risque de responsabilitéencouru par le dirigeant

Nous passerons ici en revue les techniques par les-quelles le dirigeant ne cherche pas à limiter sa respon-sabilité, mais plutôt à en déplacer la charge, c’est-à-dire à faire supporter par quelqu’un d’autre les consé-quences pécuniaires d’une mise en cause de saresponsabilité.

3.1. Transaction

Si la validité des clauses limitatives de responsabilitéreste débattue70, il est admis que la société peut vala-blement transiger avec le dirigeant sur les consé-

quences d’une faute commise à son égard par celui-ci71.

Conformément aux principes applicables en la ma-tière, la transaction devra faire l’objet d’un écrit etporter sur une contestation existante ou prévenir unecontestation à naître ; en d’autres termes, être conclueaprès que la faute a été commise72. La transaction nesera valable que dans l’hypothèse où les parties effec-tuent des concessions réciproques73.

L’intérêt social et la procédure éventuellement appli-cable en cas de conflit d’intérêts74 devront égalementêtre au centre des considérations de l’organe de ges-tion lors de la prise de décision de transiger.

3.2. Pacte de garantie

Le pacte de garantie, ou clause d’indemnisation, estune disposition statutaire ou contractuelle par la-quelle la société s’engage à prendre à sa charge la perteéventuellement subie par son dirigeant des suitesd’une action en responsabilité dirigée par un tierscontre lui. Ce mécanisme est très répandu dans lespays anglo-saxons et également couramment utilisédans les groupes de sociétés.

Comme indiqué plus haut, ces clauses ne limitent pasla responsabilité du dirigeant, mais en déplacent uni-quement la charge. Les tiers gardent leur droit d’agircontre les dirigeants dans les limites des actions quileur sont ouvertes par le droit des sociétés et le droitcivil75 ; ce sont uniquement les suites de ces actionsqui sont supportées par la société.

Elles soulèvent de la sorte moins de controverses queles clauses limitatives de responsabilité76, du moins sil’on suit la doctrine belge, la doctrine française étantplus réservée à cet égard77. Au vu de la similarité destextes légaux belges et luxembourgeois, nous suivronsplus volontiers la première approche.

Selon celle-ci, ces engagements sont valables pour au-tant qu’ils ne visent pas l’indemnisation des consé-quences d’un dol ou d’une fraude du dirigeant bénéfi-ciaire et ce, au motif de contrariété à l’ordre public.Notons aussi, s’il en était besoin, que le pacte de ga-rantie ne trouvera à s’appliquer que dans l’hypothèsed’une action en responsabilité intentée par un tiers. Ilne serait en effet pas envisageable de faire prendre en

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67. VAN GERVEN, D., op. cit., p. 148. ; Voy. également AUBRY, H., « La responsa-bilité des dirigeants dans la société par actions simplifiée », in Revue dessociétés, Paris, Dalloz, 2005, p. 793 et s.

68. Ibid.69. Voy. FERON, B. et GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 384. et GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 339,

citant J. Ronse, lequel exclut la clause limitative de responsabilité visant laviolation légale ou statutaire ainsi que l’action en comblement de passif.

70. Cf. supra, 2.5.71. FAGNARD, J.-L., « La responsabilité des administrateurs de société ano-

nyme », in X., La responsabilité des associés, organes et préposés de sociétés,Bruxelles, 1991, p. 48.

72. Code civil, art. 2044.

73. Cour, 28 novembre 1902, 4, 245 : « Il est de l'essence de la transaction quechaque contractant sacrifie une partie des avantages qu'il pouvait espérer,pour ne pas éprouver toutes les pertes qu'il avait à craindre ; est partant nulle,pour défaut de cause, la transaction où l'une des parties contractantes n'a faitaucune espèce de sacrifice ».

74. Voy. art. 57 et 60bis-18 de la loi du 10 août 1915 concernant la société ano-nyme.

75. Cf. supra, 1.2.76. GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 351.77. Voy. notamment EL AHDAB, J., « La prise en charge financière par la société

de la responsabilité de ses dirigeants : vers un modèle américain ? », in Revuedes sociétés, Paris, Dalloz, 2008, pp. 239 et s.

Responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales

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charge par la société son propre dommage, car celareviendrait de facto à éliminer toute responsabilité dudirigeant qui bénéficie de la clause indemnitaire vis-à-vis de la société78.

L’engagement d’indemniser les dirigeants de la sociétéprendra soit la forme d’une clause statutaire, auquelcas l’ensemble des dirigeants en bénéficieront et l’in-tervention de l’assemblée générale (ou, le cas échéant,de l’assemblée constitutive) sera requise, soit d’uneconvention bilatérale ou d’une déclaration unilatérale,le plus souvent sous forme de lettre79.

Dans ce dernier cas, le collège des dirigeants veilleraà la conformité de sa décision d’approuver l’octroi delettres d’indemnité (ou garanties assimilées) avec l’in-térêt social et les principes applicables en matière deconflit d’intérêts. D’une part, il s’agira de démontrerque – dans les faits – la société a un intérêt personnelà se porter garante des fautes de ses propres dirigeants.D’autre part, il pourrait être argumenté que les diri-geants ont, lorsqu’ils votent une décision visant à fairesupporter la charge des fautes commises dans le cadrede leur mandat par la société, un intérêt opposé à celuide cette dernière, qui plus est de nature patrimoniale80.Pour autant que la société concernée soit une sociétéanonyme, l’ensemble des dirigeants devrait doncs’abstenir de voter conformément aux articles 57 et60bis-18 de la loi du 10 août 1915 dans la mesure oùils bénéficient tous de la garantie octroyée par la so-ciété, ce qui aurait pour effet de bloquer le processusdécisionnel. Une alternative pourrait être de faire ap-prouver la décision litigieuse par l’assemblée géné-rale, encore que celle-ci ne devrait pas être compé-tente en la matière étant donné le pouvoir résiduaireréservé à l’organe de gestion81. Il resterait alors à plai-der que la couverture du risque des dirigeants consti-tue un élément de la rémunération de ceux-ci, doncde la compétence de l’assemblée générale, ce qui, ilfaut le dire, n’est pas une solution des plus satisfai-santes. On préférera donc la solution de la clause d’in-demnisation statutaire à celle de l’engagementcontractuel séparé conclu au nom de la société82.

3.3. Assurance responsabilité civile

Une alternative à la mise en place par la société d’unpacte de garantie en faveur de ses dirigeants consisteen la souscription d’une police d’assurance destinée àcouvrir la responsabilité de ceux-ci83, tant pour faute

de gestion que pour faute de régularité dont la sociétéou un tiers serait victime.

Dans une majorité des cas, cette assurance responsa-bilité civile sera souscrite par la société pour le comptede ses dirigeants (et, souvent, des dirigeants de ses fi-liales directes ou indirectes), laquelle agira de ce faitcomme preneur et sera redevable des primes d’assu-rance. Il est possible mais plus rare que l’assuranceresponsabilité civile soit souscrite par un dirigeantpour son propre compte car, premièrement, les primesd’assurance seront bien entendu à sa charge, et deu-xièmement, l’assurance devra couvrir le risque de res-ponsabilité de l’ensemble des administrateurs – et noncelui du souscripteur uniquement – pour les cas deresponsabilité solidaire prévus par la loi du10 août 191584.

La nature et l’étendue du risque couvert seront défi-nies par les conditions générales ou particulières de lapolice d’assurance et seront en tout état de cause limi-tées aux conséquences liées à la faute commise dansles limites du mandat. Les conséquences d’une fauteintentionnelle ou d’un dol seront également excluespour motif de contrariété à l’ordre public.

Enfin, quelques questions ont pu se poser quand à laconformité de la décision de l’organe de gestion desouscrire à une police d’assurance pour le compte deses propres dirigeants avec l’intérêt social et les règlesrelatives aux conflits d’intérêts. Il est pour l’essentielrenvoyé à l’alinéa traitant de la question sous le para-graphe B. ci-dessus. Toutefois, nous remarquons quela société bénéficie indirectement de la police d’assu-rance lorsqu’elle intente l’action sociale, puisque lapolice vient garantir la réparation effective du dom-mage subi par la société, mettant à l’écart toute consi-dération quant à la solvabilité du dirigeant mis encause. Cet élément pourrait également servir à plaiderl’inexistence d’un conflit d’intérêts dans le chef desdirigeants-assurés votant la souscription de la policed’assurance pour le compte de la société85.

***

Il est admis que le moyen le plus sûr pour un dirigeantd’éviter les écueils d’une action en responsabilité rested’exercer le mandat social avec diligence et compé-tence, dans le respect des lois et des statuts.

Les quelques techniques exposées ci-dessus viendront

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78. VAN GERVEN, D., op. cit., p. 149.79. Laquelle servira à porter l’engagement unilatéral à la connaissance du bé-

néficiaire conformément aux principes applicables en la matière.80. La doctrine estimant que l’opposition d’intérêts moraux ou affectifs ne

tombe pas dans le champ d’application de l’article 57 de la loi du10 août 1915.

81. VAN GERVEN, D., op. cit., p. 156.82. Une autre alternative serait de faire conclure un tel engagement par les

associés de la société, ce qui les exposerait toutefois au-delà du montant deleur investissement.

83. Généralement appelée assurance Responsabilité civile des mandataires so-ciaux (RCMS).

84. NYSSENS, F., « L’assurance responsabilité des dirigeants : évolutions ré-centes », D.A.O.R., Diegem, Kluwer, 2004, p. 17 ; VAN GERVEN, D., op. cit., pp.153-154. ; GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 353.

85. En ce sens, GOFFIN, J.-F., op. cit., p. 355. Il est vrai, toutefois, que l’objectifessentiel de cette assurance reste de préserver le patrimoine de l’adminis-trateur plutôt que celui de la société et que celle-ci supportera le coût desprimes (Cf. VAN GERVEN, D., op. cit., p. 157).

Droit des sociétés

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néanmoins au secours de celui qui, malgré lui, a man-qué à ses obligations, voire qui est indûment pour-suivi.

Parmi ces procédés, nombre sont reconnus comme va-lables et efficaces par le droit et les tribunaux luxem-bourgeois, ainsi que par les praticiens. Nous vou-drions toutefois voir s’effacer les quelques incerti-

tudes planant encore sur l’un ou l’autre de cesmécanismes, dont la nécessité ne fait aujourd’hui plusde doute.

A cet égard, l’exemple américain est certainement àprendre pour ce qu’il est : un modèle dont il faut s’ins-pirer sans trop de modération. Nous appelons de nosvœux le législateur à s’engager dans cette voie.

Responsabilité civile des dirigeants de sociétés commerciales

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How will the 2015 Luxembourg transfer pricingrules impact you?

Marc RaschPricewaterhouseCoopers, Transfer pricing partner

Pawel WroblewskiPricewaterhouseCoopers, Transfer pricing director...........................................................................................................................................................................................

......................................................................................................................TABLE OF CONTENT

1. Overview of the Luxembourg transfer pricing landscape 122. European Commission Case 123. Luxembourg Court Case on inter-company financing

increases focus on transfer pricing 134. Law of 19 December 2014 135. Conclusions 14......................................................................................................................

1. Overview of the Luxembourgtransfer pricing landscape

In line with the international trend towards moretransparency, including global initiatives such as Or-ganisation for Economic Cooperation and Develop-ment’s (“OECD”) base erosion and profit shifting ini-tiative (“BEPS”), the Luxembourg tax authorities in-creased its focus on the arm’s length character ofinter-company transactions entered into by Luxem-bourg companies.1 Over the last four years, variousdevelopments in the field of transfer pricing in Lux-embourg have taken place. Besides the transfer pri-cing circular issued in 2011, these developments in-clude, among other things, the Luxembourg Adminis-trative Tribunal scrutinising arm’s length interest ratesapplied by a Luxembourg company involved in finan-cial intermediation activities2, the European Commis-sion preliminary decision on possible State aid relatedto transfer pricing arrangements applied by the Lux-embourg company and, most importantly, the recentLaw of 19 December 2014 which has introduced newgeneral transfer pricing legislation in Luxembourgaiming to comply even more with the internationallyaccepted (OECD) transfer pricing principles.

This article addresses the recent transfer pricing de-velopments and explains the risks in the absence of anappropriate transfer pricing policy that may impactyou or your company.

2. European Commission Case

The European Commission (“the Commission”) pub-lished on 30 September 2014 its initial preliminaryview – dated 11 June 2014 – in the ongoing investiga-tion into potential State aid resulting from an AdvancePricing Agreement (“APA”) issued by the Luxembourgtax administration to a Luxembourg company referredto as “FFT”. The APA was filed together with a trans-fer pricing report prepared by an independent advi-sor.

In its initial preliminary decision, the Commission hastaken the view that the APA, which is an upfront con-firmation, may represent a “selective advantage”granted to the taxpayer. The argument used is that atax authority should not accept a transfer pricingmethod aiming to achieve the lowest results that maybe agreed upon.

Based solely on the details included in the Commis-sion’s initial preliminary document, the FFT case re-lates to a Luxembourg-based company with share-holders in Italy, i.e. FFT. The company undertakestreasury and financing related activities, whereby itborrows from third parties and to a lesser extent fromgroup companies. The proceeds thereof are subse-quently lent to mainly group companies. FFT was,hence, engaged in intragroup lending activities fi-nanced by borrowings. In respect of these intragroupfinancing activities, FFT bears its equity at risk.

As prescribed by the Luxembourg transfer pricing cir-culars, FFT was compensated for its equity at risk andits functions performed. Detailed support for the“arm’s length” level of this compensation was docu-mented in a transfer pricing report. FFT requested anAPA in respect of its inter-company financing activi-ties in Luxembourg. The APA request filed with theLuxembourg tax authorities together with a transferpricing report was approved in September 2012.

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1. “Emergence of a new era – How will the transfer pricing developments im-pact your business?”, ACE.

2. M. RASCH, L. LOZANO-MOURY and D. PALA, “Luxembourg Court Case inIntercompany Financing Increases Focus on Transfer Pricing”, IBFD.

Tax

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The Commission assessed the case and, in their find-ings to date, have come to the following conclusions.

The OECD, in its published guidance on the subjectTransfer Pricing Guidelines for Multinational Enter-prises and Tax Administrations (“OECD Guidelines”)recommends different transfer pricing methods thatmay lead to an approximation of the arm’s lengthprice. Whereas the Commission agrees with the OECDGuidelines, the different methodologies may result ina range of arm’s length remuneration. Therefore, be-fore accepting a transfer pricing method proposed bythe taxpayer, the tax authorities should, according tothe Commission, compare the proposed method withthe market (and other potential transfer pricing meth-ods). The Commission argues that a tax authorityshould not accept a method that aims to achieve thelowest result. The Commission expressed somedoubts on the selected transfer pricing methodology,i.e. Transactional Net Margin Method, as in its viewthe Comparable Uncontrolled Price method should beused to the extent it would be applicable.

The Commission further contests the accuracy of someelements of the transfer pricing report that “bench-marks” the arm’s length remuneration, such as certainof the comparables and equity at risk level, input dataand quartiles taken as reference.

As a result of this contested approach, the Commis-sion holds in a first view that the remuneration is in-sufficient for FFT in respect of the risks borne andfunctions performed, i.e. it does not respect the arm’slength principles.

From the Commission paper, the APA appears to con-clude that a fixed quantum of remuneration could beset for five years. This is considered by the Commis-sion in their preliminary conclusions to be a “selec-tive” advantage given by the Luxembourg tax authori-ties to FFT.

The case is currently pending and it is expected totake some years before a conclusion will be reached.

3. Luxembourg Court Case on inter-company financing increases focus ontransfer pricing

The arm’s length nature of certain inter-companyloans granted by a Luxembourg taxpayer (“LuxCo”) totwo domestic-related parties and a foreign-relatedparty located in France was challenged by the Admin-istrative Tribunal during 2013.3

Initially, LuxCo received a tax reassessment from thetax office spanning fiscal years 2005 to 2007 under thebasis that a hidden distribution of profits was realised.The tax authorities reassessed LuxCo’s taxable basisfrom an interest rate of 0.75 % to 3.5 %.

In its defence, LuxCo argued that based on a previousand similar assessment related to fiscal years 2003 and2004, the tax authorities reassessed its interest ratefrom 0.50 % to 0.75 %.

The first claim was rejected by the tax authoritiesbased on the fact that LuxCo was not able to providesufficient documentation to support the arm’s lengthnature of the inter-company interest rates applied ineach of the three loan agreements.

In a second instance, LuxCo addressed a claim beforethe Administrative Tribunal. After performing a de-tailed review of the facts, the ruling issued by the Ad-ministrative Tribunal confirmed that LuxCo was notable to provide sufficient supporting documentationjustifying the margin applied on the two loans grantedto its domestic-related parties. Moreover, the Admin-istrative Tribunal indicated that the fact that a marginhas been agreed in the past should be not consideredas relevant for the case at hand. To this end, the Ad-ministrative Tribunal confirmed the automatic reas-sessment of the 3.5 % interest rate on the basis that apotential hidden profit distribution has been realised.

In respect to the inter-company loan granted by LuxCoto its French-related party, the burden of proof wasshifted to LuxCo since it was able to provide sufficientsupporting documentation to justify the margin ap-plied on such loan. To this end, the AdministrativeTribunal disallowed the margin adjustment requestedby the tax authorities.

This case law demonstrates that taxpayers requirehaving appropriate transfer pricing documentationavailable. Absence of sufficient documentation canresult in a reversal of burden of proof to the taxpayer.

4. Law of 19 December 2014

As a result of the Luxembourg Government’s coalitionprogramme announcement in December 2013, theLuxembourg Parliament voted in on 19 Decem-ber 2014 a draft law on the implementation of the firstpart of the “Zukunftspack” which was officially pub-lished on 24 December 2014 in the Memorial – Jour-nal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg (“theLaw”). Effective as from 1 January 2015, the Law pro-vides for changes to both the Luxembourg Income Tax

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3. Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg (1re chambre), no30379, 1 July 2013.

How will the 2015 Luxembourg transfer pricing rules impact you?

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Law of 1967 (“LITL”) and the general tax law. Furthertransfer pricing guidance with regards to the practicalaspects of the Law will be available over a longer time,with the expectations being that one or more imple-menting Circulars may have to be issued with respectto the new transfer pricing framework.

From a transfer pricing view point, the Law can beregarded as an endorsement and a general formalisa-tion of the framework of the transfer pricing legisla-tion as part of Luxembourg’s efforts to comply evenmore with the international transfer pricing develop-ments and accepted transfer pricing principles.

The wording of the Law outlines that the arm’s lengthprinciple becomes aligned with the OECD Tax ModelConvention wherein article 56 of the LITL is now re-placed by the following text:

“When an enterprise participates, directly or indi-rectly, in the management, control or capital of an-other enterprise, or where the same individuals par-ticipate, directly or indirectly, in the management,control or capital of two enterprises and where, in ei-ther instance, the two enterprises are, within theircommercial or financial relations subject to condi-tions made or imposed which differ from those whichwould be made between independent enterprises, theprofits of these enterprises are to be determined underconditions prevailing between independent enter-prises and taxed in consequence”.

Based on the above text, two entities are related if thereis a relationship between the entities in terms of capi-tal, management in either entities or effective control.

Effective as per 1 January 2015, the arm’s length prin-ciple is applicable to transactions between two relatedentities irrespective of whether one of the related par-ties is either located in Luxembourg, as well as whereone party is taxed in a foreign jurisdiction.

The Law, as from 1 January 2015, clarifies further thatnormal disclosure and documentation requirementsapply to transactions between related parties. Specifi-cally, by way of a new subparagraph in paragraph 171of the general tax law that makes this obligation ex-plicit in the context of transfer price setting, the exist-ing law “shall apply accordingly to transactions be-tween related parties”.

To this end, and subject to further guidance from theLuxembourg tax authorities, although no explicit doc-umentation requirements are imposed under the Law,the nature and extent of the documentation require-ments depends on the specific facts and circumstancesof the inter-company transactions. One can expect thatthe level of documentation required should be gener-ally lower for straightforward corporate transactions,or for those undertaken by small businesses.

The parliamentary commentary to the Law refers toChapter V of the OECD Guidelines and its ongoing re-visions as being the “directing principles relating todocumentation”. Consequently, upon completion ofthe current revisions of Chapter V of the OECD Guide-lines one can expect that Luxembourg taxpayers willneed to apply the “three-tiered” approach to transferpricing documentation, which will include the (Mas-ter File, Country File and Country-by-Country report-ing obligations), stemming from the OECD’s BEPS Ac-tion Plan.

All of the above referred developments could result ina situation where, in the absence of a proper transferpricing documentation, there is a reversal of the bur-den of proof towards the taxpayer.

Going forward, having appropriate transfer pricingdocumentation will be key as in the event of a tax re-assessment, the Luxembourg tax authorities can reas-sess up to generally 5 years. Consequently, the amountat stake for a taxpayer can be significantly. For in-stance, if in an inter-company transaction recurrentlosses are reported in Luxembourg and the Luxem-bourg tax authorities can successfully reassess theselosses reported in Luxembourg into a profit, not onlythe losses may be cancelled, but in addition a profitmay need to be realised. In such case, a potential dou-ble taxation of the same profits in different countriesmay be the result. Whereas the double taxation maypotentially be avoided, it will be a significant burdenfor the taxpayer that may only be achieved through alengthy process of discussions between the Luxem-bourg competent authority and the foreign authorities.

5. Conclusions

It is apparent that the focus on transfer pricing in Lux-embourg is continuously increasing. From the trans-fer pricing perspective, subject to further guidancefrom the Luxembourg tax authorities, the main impactof the new transfer pricing legislation on the taxpay-ers is the fact that all transactions between associatedcompanies are falling within the scope of the transferpricing regulations. Taking into account recent devel-opments in Luxembourg (i.e. introductions of the Law)and internationally (e.g. BEPS), it can be expected thatthe Luxembourg tax authorities will be inclined to un-dertake more transfer pricing audits which can, amongother things, include aspects such as:

– inter-company head office support services andmanagement fees;

– inter-company transfers of intellectual property(e.g. licensing and sale of intangibles, amongst oth-ers, including trade intangibles (e.g., know-how,trade secrets, patents) and marketing intangibles(e.g. brands, trademarks);

Tax

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– inter-company financial arrangements (e.g. cashpools, guarantees, interest rates, etc.).

Therefore, taxpayers should prepare supporting trans-fer pricing documentation for their inter-company

transactions. As stated before, the changing transferpricing environments leads not only to more transpar-ency but it may, however, generate a greater adminis-trative burden.

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Le traitement fiscal de la cession du droitpréférentiel de souscription et de la cession del’usufruit d’une participation : commentaires surles arrêts de la Cour administrative

Omid MohebatiExecutive Director, EY Tax Advisory Services...........................................................................................................................................................................................

......................................................................................................................TABLE DES MATIÈRES

1. Introduction 162. Droits préférentiels de souscription – Privilège des sociétés

mères et filiales 162.1. Faits 162.2. Position de l’Administration des contributions directes

(ACD) 172.3. Jugement du Tribunal administratif 172.4. Arrêt de la Cour administrative d’appel 17

3. Usufruit – Privilège des sociétés mère et filiale 183.1. Faits 183.2. Position de l’ACD 183.3. Jugement du Tribunal administratif 183.4. Arrêt de la Cour administrative d’appel 18

4. Conclusion 19......................................................................................................................

1. Introduction

Dans le cadre des trois arrêts rendus en date du 16 fé-vrier 2012 (nos 28919C, 28977C et 28978C du rôle), laCour administrative d’appel de Luxembourg (ci-après« la Cour ») a assimilé la cession d’un droit préféren-tiel de souscription (ci-après « DPS ») sur les actionsdétenues dans une filiale à une cession partielle de laparticipation du fait de l’aliénation d’une partie desdroits rattachés aux actions détenues pour ensuiteconclure que le produit d’une telle cession devait ren-trer dans le champ de l’exonération prévu par l’ar-ticle 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 dé-cembre 2001 (ci-après « RGD ») portant exécution del’article 166, alinéa 9, numéro 1, de la loi modifiée du4 décembre 1967 sur l’impôt sur le revenu (ci-après« LIR »).

Dans un arrêt rendu en date du 7 mars 2013 (n° 31343Cdu rôle), la Cour a également qualifié l’octroi de l’usu-fruit des actions à une « cession partielle du droit depropriété sur les titres en question ». Par contre, esti-mant que l’exonération prévue par le RGD ne devaits’appliquer que s’il y avait cession de l’intégralité desdroits rattachés à la pleine propriété des titres, elle aconclu que le produit résultant de la cession d’un usu-

fruit ne rentrait pas dans le champ de l’exonération duRGD.

Ces arrêts font apparaître une certaine incohérence,voire même une contradiction qui fera l’objet de notreanalyse.

2. Droits préférentiels de souscription –Privilège des sociétés mères et filiales

Un DPS est un droit attaché à une action existante quipermet à son détenteur de souscrire à l’émission d’ac-tions nouvelles. Il offre à l’actionnaire la certitude depouvoir participer à l’augmentation de capital à hau-teur de sa participation actuelle et vise à préserver sesdroits sur les réserves de la société.

Le DPS est prévu, en droit luxembourgeois, par l’ar-ticle 32-3 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétéscommerciales (ci-après « la loi de 1915 »). Ce dernierstipule, notamment dans son paragraphe 1er, que lesactions à souscrire en numéraire doivent être offertespar préférence aux actionnaires proportionnellementà la partie du capital que représentent leurs actions.

2.1. Faits

Trois sociétés luxembourgeoises avaient reçu des DPSde leurs filiales. Les participations dans ces filialesqualifiaient pour le régime d’exonération prévu parl’article 166 LIR. Les sociétés avaient ensuite cédé lesDPS.

Dans les trois affaires en cause, l’Administration descontributions directes (ACD) avait considéré le pro-duit de la cession des DPS comme un revenu impo-sable et avait rejeté l’application des dispositions del’article 166 LIR et du RGD aux produits résultant dela cession des DPS.

Fiscalité

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2.2. Position de l’Administration descontributions directes (ACD)

En qualifiant un DPS de droit attaché à une actionexistante, librement négociable, et qui permettrait àson détenteur de souscrire aux actions nouvelles pen-dant une période et pour un prix déterminés, l’ACDconsidère qu’un DPS ne constitue pas en soi une par-ticipation dans le capital de la société émettrice. Rap-pelant que le RGD n’exonère, sous certaines condi-tions, que les plus-values réalisées à l’occasion de lacession d’une participation directement détenue dansle capital d’une autre société, elle conclut que le pro-duit de la cession des DPS ne peut pas être assimilé àun produit de réalisation partielle d’une participationau sens du RGD et ne tombe donc pas sous le régimed’exonération de l’article 166 (9) LIR.

Quant à une éventuelle qualification du produit de lacession en « revenus de participation », l’ACD rap-pelle que suivant les alinéas 1er et 2 de l’article 166LIR, les revenus d’une participation détenue par unesociété résidente pleinement imposable sont exonéréslorsque, à la date de la mise à la disposition des reve-nus, le bénéficiaire détient ou s’engage à détenir la-dite participation pendant une période ininterrompued’au moins douze mois et que pendant toute cette pé-riode le taux de participation ne descend pas au-des-sous du seuil de 10 % ou le prix d’acquisition au-des-sous de 1 200 000 euros.

L’ACD reconnaît que la notion de « revenus de parti-cipation » n’est pas définie par l’article 166 LIR, maisnéanmoins considère que cet article ne s’applique qu’àune participation directe dans le capital d’une autresociété.

En suivant le raisonnement selon lequel un DPS neconstitue pas une participation en soi, l’ACD conclutque les revenus dégagés lors de la cession de DPS nepeuvent pas être assimilés à des revenus dégagés di-rectement de la participation et ne peuvent, partant,pas bénéficier de l’exonération de l’article 166 (1) et(2) LIR.

2.3. Jugement du Tribunal administratif

Le Tribunal administratif1 (ci-après « le Tribunal »),quant à lui, s’est d’abord intéressé à la nature juridiquedes DPS pour déterminer s’ils relèvent ou non de lanotion de « participation ». En se référant aux dispo-sitions de l’article 32-3 de la loi de 1915 les premiersjuges ont déduit qu’un DPS constitue avant tout unmoyen de préserver les droits de l’actionnaire sur lesréserves existantes puisqu’il confère à celui-ci un droitde priorité pour souscrire à l’augmentation de capital.

En rappelant que le bénéficiaire peut renoncer à l’exer-cice de ce droit, voire même vendre ce droit, le Tribu-nal est arrivé à la conclusion que le DPS ne confère àl’actionnaire qu’un droit à une participation supplé-mentaire dans la société en question, sans que ce droitne puisse être qualifié comme constitutif d’une parti-cipation ou d’une partie intégrante du capital de lasociété. La condition de la « participation » prévuepar l’article 166 LIR ne serait donc pas remplie selonle Tribunal. Partant, il confirma la conclusion del’ACD.

2.4. Arrêt de la Cour administrative d’appel

De la même manière que les juges de première ins-tance, la Cour s’est d’abord interrogée sur la naturejuridique d’un DPS. Elle a confirmé l’analyse de cesderniers en ce sens qu’un DPS ne peut pas à lui seulêtre qualifié comme constitutif d’une participationdans la société ou comme faisant partie intégrante ducapital de cette société.

Cependant, et partant du constat qu’un DPS est attri-bué à tout actionnaire proportionnellement à sa partdétenue dans le capital de la société, la Cour l’a quali-fié de droit rattaché à la détention du capital ou d’unepartie du capital de la société matérialisée par des ac-tions. Par conséquence, elle a estimé que contraire-ment à la qualification implicite des premiers juges, etmalgré sa forme et sa cessibilité à titre séparé, le DPSne pouvait pas être considéré comme un titre auto-nome par rapport aux notions de « revenu d’une par-ticipation » et de « participation » prévues par l’ar-ticle 166 LIR, mais plutôt « comme un attribut propreà l’action détenue et dont la cession porte sur une par-tie des droits inhérents à l’action, partie dont l’action-naire se défait définitivement de la sorte ». Les jugesdu fond ont ainsi déduit que la cession d’un DPS de-vait être assimilée à une cession partielle de la parti-cipation et ont dès lors conclu que le produit de lacession des DPS devait rentrer dans le champ de l’exo-nération prévue par l’article 1er (1) du RGD.

Selon la Cour, le produit de cette cession ne pouvaitêtre qualifié de « revenu d’une participation » au sensde l’article 166 (1) LIR, l’argumentaire étant que cetarticle ne vise que les distributions de bénéfices ainsique les bonis de liquidation provenant d’une partici-pation éligible à l’exclusion de toute cession totale oupartielle des droits attachés à la participation. Pourreprendre les termes de la Cour, la notion de revenud’une participation au sens de l’article 166 (1) LIR vise« seulement les produits d’opérations n’affectant pasla substance de la participation ».

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1. Tribunal administratif, 30 juin 2011, n° 27034 du rôle, et Tribunal adminis-tratif, 14 juillet 2011, nos 27244 et 27243 du rôle.

Droit préférentiel de souscription – Usufruit d’une participation

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3. Usufruit – Privilège des sociétésmère et filiale

3.1. Faits

Une société de droit luxembourgeois avait cédé à titreonéreux, pour une durée de cinq ans, l’usufruit d’unepartie de sa participation dans une société de droititalien.

La société luxembourgeoise s’est vue rejetée l’applica-tion de l’article 166 LIR aux sommes touchées en vertudu contrat de cession de l’usufruit.

3.2. Position de l’ACD

L’ACD justifie son refus au motif que l’article 166 LIRet le RGD ne visent que les participations détenues enpleine propriété. Par conséquent, l’ACD considère queseuls les revenus provenant d’une participation déte-nue directement et en pleine propriété dans la sociétéfiliale peuvent tomber dans le champ de l’exonérationprévue par l’article 166 (1) LIR. Partant de ce constat,l’ACD déduit que l’exonération prévue par l’ar-ticle 166 (9) LIR ne s’applique également que si la ces-sion porte sur l’ensemble des droits attachés à la par-ticipation. Dès lors, la cession du seul usufruit d’uneparticipation ne saurait qualifier pour l’exonérationdes plus-values.

3.3. Jugement du Tribunal administratif

Les juges de première instance2 ont rappelé que la ces-sion d’une participation au sens de l’article 166 (9)LIR suppose qu’il y ait transfert de propriété de laditeparticipation. Or, selon eux, un transfert temporaireportant sur l’usufruit n’entraînerait pas le transfert dela propriété juridique ou économique de la participa-tion étant donné que le cédant conserve la nue-pro-priété de celle-ci. Le Tribunal a donc déduit que lacession temporaire de l’usufruit ne pouvait pas êtrequalifiée de cession d’une participation au sens duditarticle.

Selon les juges, le produit de la cession de l’usufruitremplaçait ainsi les dividendes auxquels le cédantn’aurait plus droit suite au démembrement et seraientdonc à qualifier de revenu de remplacement au sensde l’article 11 LIR. Le Tribunal justifia son raisonne-ment en s’appuyant sur des travaux parlementaires3 eten soulignant que le législateur aurait précisément en-visagé l’hypothèse de la cession d’un usufruit à tra-vers l’article 11 LIR. A titre de rappel, l’article 11 LIRintègre certaines indemnités et certains revenus dans

les catégories de revenus auxquelles ils se rapportentd’un point de vue économique.

En cherchant ensuite à déterminer si ce revenu deremplacement pouvait bénéficier de l’exonération desrevenus de participation prévue à l’article 166 (1) LIR,le Tribunal rappela que les revenus devaient notam-ment provenir d’une participation directement déte-nue dans le capital de la filiale. Comme l’article 166LIR ne définit pas clairement la notion de détention,le Tribunal s’est référé à la disposition générale du § 11StAnpG (Steueranpassungsgesetz ; loi d’adaptationfiscale) concernant l’imputation des revenus et desbiens. Il a déduit que l’exonération de l’article 166 (1)LIR profite à la société mère qui est propriétaire juri-dique de la participation, sous réserve que la propriétééconomique déterminée selon les dispositions du § 11StAnpG ne soit transférée à une autre personne. Consi-dérant qu’en l’espèce, le nu-propriétaire gardait tousles droits attachés aux actions, à l’exception du droitaux dividendes, les juges ont déduit qu’il n’y a eu nitransfert de la propriété juridique, ni transfert de lapropriété économique et que ce dernier était à consi-dérer comme le détenteur de la participation ayant gé-néré les revenus litigieux.

Le Tribunal a par ailleurs rejeté, en renvoyant à unarrêt de la Cour de justice de l’Union européenne4,l’argumentation suivant laquelle l’article 166 LIR nes’appliquerait pas en cas de démembrement de la pro-priété. Selon cet arrêt, la détention, en tant que nu-propriétaire, des parts dans le capital d’une société fi-liale remplirait a priori le critère d’une « participationdans le capital » au sens de l’article 3 de la directive90/435/CEE concernant le régime fiscal commun ap-plicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membresdifférents.

Les juges de première instance ont donc conclu quel’ACD avait refusé à tort l’application de l’article 166(1) aux revenus provenant du transfert de l’usufruitattaché à la participation détenue dans le capital de lafiliale.

3.4. Arrêt de la Cour administrative d’appel

La Cour, quant à elle, a cherché à définir la notion de« détention » d’une participation non pas à travers le§ 11 StAnpG qui, selon elle, n’est qu’une dispositiongénérale, mais en se référant aux travaux parlemen-taires5 relatifs à la loi du 23 décembre 1997. Celle-ci aen effet remplacé l’article 166 LIR par une nouvelleversion qui a seulement été modifié et complété pardes lois subséquentes.

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2. Tribunal administratif, 20 juillet 2012, n° 29234 du rôle.3. Document parlementaire n° 571/4, ad art. 14, p. 127 : « Le capital touché par

le propriétaire pour avoir concédé un usufruit est à traiter de la même façon[revenu de remplacement]. Si le revenu du bien sur lequel est constitué l’usu-fruit représente un revenu passible de l’impôt, le même sort doit être réservé auprix de cession de l’usufruit ».

4. CJCE, 22 décembre 2008, aff. 48/07, 4e ch., Belgique c/ Les Vergers du VieuxTauves SA.

5. Document parlementaire n° 4361 portant réforme de l’impôt sur le revenu.

Fiscalité

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Les travaux parlementaires précités stipulent que« tout comme dans le passé le régime des sociétésmères et filiales s’applique exclusivement aux titresdétenus en pleine propriété. Ni la directive, ni l’ar-ticle 166, ni le règlement grand-ducal du 24 dé-cembre 1990 portant exécution de l’article 166, alinéa5 b) ne prévoient une habilitation visant à étendrel’exonération aux participations démembrées en usu-fruit et en nue-propriété »6. Dès lors, la Cour a déduitque la notion de détention prévue par l’article 166 LIRimpliquerait que le bénéficiaire des revenus soit titu-laire de tous les droits inhérents à la pleine propriétédes titres.

De même, la Cour a estimé que la cession d’une parti-cipation détenue au sens de l’article 1er du RGD de-vrait être interprétée comme cession de l’intégralitédes droits rattachés à la pleine propriété des titres.Selon les juges du fond, la contrepartie perçue par lenu-propriétaire pour le transfert de l’usufruit consti-tuerait un produit de réalisation dégagé par une ces-sion partielle du droit de propriété. Dès lors, ils ontconfirmé l’analyse des premiers juges en ce que letransfert temporaire de l’usufruit ne pourrait être qua-lifié de cession d’une participation au sens de l’ar-ticle 166 (9) LIR.

Afin de vérifier si les sommes perçues en contrepartiede la cession de l’usufruit pouvaient être qualifiées de« revenus de participation », la Cour a analysé lecontenu de la convention de cession. Elle a ainsi re-jeté l’analyse des premiers juges selon laquelle la ces-sion portait exclusivement sur le droit aux dividendeset non pas sur les autres droits attachés aux actions.Selon la Cour, le transfert de l’usufruit implique entreautres le transfert du droit de vote relatif aux déci-sions concernant l’affectation des bénéfices. Suivantce raisonnement, la Cour a estimé que la contrepartieperçue par le nu-propriétaire pour le transfert de l’usu-fruit devait s’analyser en une plus ou moins-value dé-gagée par une cession partielle du droit de propriété.

Elle a donc déduit que le produit de cession de l’usu-fruit ne pouvait pas être traité comme un revenu d’uneparticipation au sens de l’article 166 (1) LIR, car cettenotion couvre tous les revenus de la participationautres que les revenus générés par la cession totale oupartielle du droit de propriété. Elle a également es-timé que le produit de la cession de l’usufruit ne pou-vait pas être considéré comme un revenu de rempla-cement au sens de l’article 11 LIR étant donné que ceproduit représente une plus ou moins-value résultantd’une opération de cession partielle d’un droit de pro-priété et non pas un revenu en remplacement de laperception de dividendes.

4. Conclusion

En admettant qu’un DPS est inhérent à la substance del’action détenue, la Cour assimile son aliénation à« une cession partielle de la participation au vu del’aliénation définitive d’une partie de la substance desdroits attachés à l’action détenue ». Elle se justifie ense référant à l’article 97 (1) 8 LIR qui assimile le pro-duit de la vente avant terme de coupons de dividendesà des dividendes. Ainsi, la Cour considère que la ces-sion de droits attachés à un titre équivaut à la cessiondu titre lui-même. Dès lors, elle conclut que le produitde la cession de DPS rentre dans le champ de l’exoné-ration du RGD. Nous partageons entièrement l’analyseque la Cour a faite à ce sujet.

Cependant, la Cour rejette, dans son arrêt dumars 2013, le bénéfice de l’exonération prévue par leRGD au produit de cession de l’usufruit au motif quele RGD subordonne l’exonération à la condition que lacession porte sur l’intégralité des droits attachés à lapleine propriété. La Cour qualifie alors l’octroi del’usufruit en une « cession partielle du droit de pro-priété sur les titres ».

Dans la mesure où la cession d’un DPS ne porte pasnon plus sur l’intégralité des droits rattachés à lapleine propriété, nous ne comprenons pas ce change-ment de position. Pour reprendre les termes de JeanSchaffner7, les deux arrêts semblent difficilementconciliables. Par ailleurs, nous ne voyons pas de dif-férence entre la cession temporaire de l’usufruit et lacession de plusieurs coupons successifs de divi-dendes. Ne devrait-on pas, dès lors, et selon la mêmelogique d’assimilation consacrée par l’article 97 (1) 8LIR, déduire que le produit de la cession de l’usufruitdevrait être qualifié de revenus provenant d’une par-ticipation ? En d’autres termes, le Tribunal n’aurait-ilpas raison dans son analyse ?

En se référant à l’ouvrage de Roger Molitor sur les so-ciétés mère et filiales8, la Cour rejette une éventuellequalification du produit de la cession de l’usufruit en« revenus de participation », au motif que « cette no-tion couvre tous les revenus de la participation autresque les revenus générés par la cession totale ou par-tielle du droit de propriété de la participation ». Or,rappelons-le, un transfert de l’usufruit ne conduit pasà un changement de propriétaire de l’action étantdonné que la nue-propriété reste entre les mains del’actionnaire. Par ailleurs, Roger Molitor précise que« la vente d’un ou de plusieurs coupons ne porte pasatteinte au droit de propriété attaché aux actions et nepeut donc pas être qualifiée de cession d’actions. Parconséquent, la vente d’un ou de plusieurs couponsdevrait qualifier de produit de la participation »9.

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6. Ibid., ad art. 2, n° 1, p. 41.7. J. SCHAFFNER, Droit fiscal international, Editions Promoculture Larcier, 2014,

p. 380.

8. R. MOLITOR, Sociétés mère et filiales, Études Fiscales, mai 2009, pp. 149-150.9. Ibid., p. 150.

Droit préférentiel de souscription – Usufruit d’une participation

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Tout en qualifiant ces deux types de réalisations de« cession partielle », la Cour n’a pas suivi le mêmeraisonnement quant à l’application du régime fiscal

des sociétés mère et filiales. Ce changement d’inter-prétation nous paraît regrettable.

Fiscalité

20 – ACE 2015/3 ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer

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Aperçu des nouvelles règles fiscales auLuxembourg pour l’année 2015

Jacques WantzAvocat à la Cour, Allen & Overy Luxembourg...........................................................................................................................................................................................

L’objet du présent article est de donner un aperçudes principales nouveautés fiscales introduites parles deux lois du 19 décembre 2014, à savoir la loiconcernant le budget de l’Etat pour l’exercice 2015(la Loi Budget), et la loi relative à la mise en œuvredu paquet d’avenir (la Loi Paquet d’Avenir).

Selon les auteurs de la Loi Paquet d’Avenir, le choixquelque peu inhabituel d’introduire une deuxièmeloi à côté de la Loi Budget pour introduire des me-sures fiscales, résulterait de la volonté d’assurer uneplus grande lisibilité en rassemblant l’essentiel desmesures dans une loi spécifique1. L’objectif de la lisi-bilité ne semble pas être atteint, du moins selon lesavis de la Chambre des Salariés2 et du Conseild’Etat3, qui déplorent aussi bien le caractère fourre-tout de la Loi Paquet d’Avenir, qui contient des dis-positions qui ne font pas partie des mesuresd’épargne proposées par le Gouvernement, que lefait que de nombreuses mesures fiscales soientmises en œuvre par la Loi Budget malgré tout.

Pour les besoins du présent article, nous présente-rons successivement les nouveautés fiscales intro-duites par ces deux lois. Nous nous concentreronsessentiellement sur l’analyse des dispositions affec-tant la fiscalité des entreprises. Nous ne nous pro-noncerons donc pas sur les mesures uniquement ap-plicables aux personnes physiques (impôt d’équili-brage budgétaire temporaire, suppression du bonipour enfants, etc.).

Force est déjà de constater que les nouveautés fis-cales les plus notables concernent d’une part la for-malisation des décisions anticipées et les règles deprix de transfert, et d’autre part l’augmentation dutaux de TVA général de 15 % à 17 %.

......................................................................................................................TABLE DES MATIÈRES

1. Dispositions fiscales introduites par la Loi Paquet d’Avenir 211.1. Formalisation des décisions anticipées 211.2. Les prix de transfert 24

2. Dispositions fiscales introduites par la Loi Budget 252.1. Suppression de la possibilité de fixer un forfait

d’imposition pour nouveaux résidents 252.2. Changements au système de restitution de la retenue

à la source sur dividendes 252.3. Modification de l’impôt minimum 252.4. Changements en matière de TVA 26

3. Conclusion 27......................................................................................................................

1. Dispositions fiscales introduites parla Loi Paquet d’Avenir

1.1. Formalisation des décisions anticipées

1.1.1. Introduction

La pratique des décisions anticipées (plus connuessous leur appellation anglaise de « ruling ») existe de-puis de nombreuses années au Luxembourg. Or,jusqu’à présent, elle reposait essentiellement sur unepratique administrative, basée sur le principe de labonne foi, qui est un principe général du droit admi-nistratif luxembourgeois. Une note de service internede l’Administration des contributions directes de1989 (L. G./N. S. n° 3 du 21 août 1989) reconnaît ex-pressément la possibilité pour les fonctionnaires d’oc-troyer des accords préalables en matière fiscale sur labase du principe de bonne foi, tout en indiquant deslignes directrices à suivre par les fonctionnaires dansce cadre. Plusieurs réponses ministérielles4 ont décritle contenu de cette note de service et ont confirmé leprincipe de validité des rulings. Depuis un arrêt du27 juillet 2011 de la Cour administrative5, il n’y avaitplus de doute quant au caractère contraignant desprises de position de l’administration fiscale, dans lamesure où les contribuables concernés s’étaient fon-dés sur cette prise de position pour mettre en placeleur structure.

La Loi Paquet d’Avenir a formalisé cette pratique eninsérant un nouveau paragraphe 29a dans la loi géné-rale des impôts du 22 mai 1931 (la LGI). Quelquesjours après le vote de la Loi Paquet d’Avenir, un règle-

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1. Projet de loi n° 6722/00, exposé des motifs, p. 11.2. Projet de loi n° 6722/1, p. 7.3. Projet de loi n° 6722/2, Considérations générales, p. 4.4. Voir notamment Question parlementaire n° 354 de M. le député François

BAUSCH, en date du 29 janvier 2010, Question parlementaire n° 2389 du14 mars 2008 de M. le député Jacques-Yves HENKES et Question parlemen-taire de M. le député Laurent MOSAR, n° 341 du 11 juin 2014.

5. Cour administrative, 27 juillet 2011, n° 28129C du rôle.

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ment grand-ducal6 (le Règlement) est venu compléterle dispositif législatif en matière de rescrits fiscaux.

L’objet de la présente n’est pas d’analyser en détail lanouvelle procédure, qui, en vue de l’importance desrulings pour la place financière du Luxembourg, serasans doute amplement commentée par d’autres au-teurs. Nous nous contenterons donc de mettre en évi-dence les changements les plus importants par rap-port à la procédure précédente.

Au niveau de la forme et du contenu des demandes dedécisions anticipées, les principes établis sous l’an-cienne procédure sont largement repris : ainsi, unedemande est à adresser au préposé du bureau d’impo-sition compétent (ou au directeur de l’administrationdes contributions directes dans la mesure où le bu-reau d’imposition compétent n’est pas déterminable),elle doit contenir un certain nombre d’indications defait (désignation du demandeur et des autres partiesconcernées, description de l’opération envisagée), etune analyse détaillée et motivée des problèmes dedroit sur lesquels une confirmation est demandée. Lesopérations envisagées doivent être décrites de manièreconcrète et ne doivent pas encore avoir produit leurseffets (ce dernier élément sera analysé plus en détailci-dessous).

1.1.2. La Commission des décisions anticipées

Une nouveauté importante concerne la création d’uneCommission des décisions anticipées (la CDA) char-gée « d’assister le bureau d’imposition dans l’exécu-tion et l’application uniforme de la loi ». Le Règle-ment précise que toutes les demandes de décisionsanticipées qui concernent la fiscalité des entreprisesseront transmises d’office à la CDA pour avis et quipourra demander à entendre le demandeur d’une dé-cision anticipée pour plus d’explications avant detransmettre son avis pour exécution au bureau d’im-position compétent.

A la lecture du Règlement, on comprend que la CDAaura un rôle clé dans ce nouveau processus formel,étant donné que la très grande majorité des rescritsfiscaux concernera le « domaine de la fiscalité des en-treprises » et que ceux-ci devront passer obligatoire-ment devant la CDA. Il est d’autant plus regrettableque le Règlement laisse soin à la CDA de déterminerses propres règles de procédure et de fonctionnement.Impossible donc de savoir à ce jour comment la CDAtravaillera, si elle s’imposera des délais d’analyse pourles demandes qui lui seront soumises, si un appel desdécisions rendues sera possible, si les décisions se-ront prises par un seul membre de la commission oucollégialement, voire même si les règles de procédure

et de fonctionnement seront publiées ou non. A cejour, la composition de la CDA n’est pas connue, leRèglement précise juste que le directeur des contribu-tions directes en désigne les membres parmi les fonc-tionnaires et agents de la direction et ceux du serviced’imposition, et qu’il désigne le président de la CDAparmi ses membres.

Malgré les incertitudes qui l’entourent, la création dela CDA nous paraît être un développement positif quiaidera à renforcer l’image de qualité de la place finan-cière. Dans ce contexte, il faut garder à l’esprit quedans la vague des événements récents liés aux« LuxLeaks », de nombreux commentateurs avaientcritiqué le fait que la totalité des rulings publiés éma-naient d’une seule et même personne, à savoir l’an-cien préposé du bureau des Sociétés Luxembourg 6, etque cette personne avait donc un pouvoir dispropor-tionnée par rapport à ses fonctions. L’instaurationd’une commission composée d’une pluralité de fonc-tionnaires et d’agents de la direction des contributionsdirectes et des bureaux d’imposition mettra donc àl’abri l’administration fiscale face à de telles critiques.

La mission de la CDA de veiller « à l’exécution et l’ap-plication uniforme de la loi » doit, selon nous, êtrecomprise dans le sens que la commission devra mettreen place une harmonisation des demandes anticipéeset veiller à ce que toutes les demandes qui concernentdes transactions comparables soient traitées de lamême manière. Cette harmonisation n’a pas toujoursété acquise dans le système préalable, notamment carles membres des différents bureaux d’imposition pou-vaient avoir des vues divergentes. Or, à défaut d’har-monisation, la pratique des demandes anticipées perdconsidérablement en valeur, car c’est précisément lebesoin de sécurité juridique et de prévisibilité de lacharge fiscale qui motive les contribuables à intro-duire une telle demande.

1.1.3. La redevance

Une autre nouveauté importante est l’introductiond’une redevance pour les rulings variant « entre3 000 EUR et 10 000 EUR suivant la complexité de lademande et le volume de travail ».

Cette redevance semble essentiellement témoigner dela volonté de l’administration fiscale de réduire le vo-lume des demandes de ruling, qui lui auraient occa-sionné une surcharge de travail considérable ces der-nières années. L’introduction de cette redevance de-vrait avoir un effet dissuasif par rapport à ces rulingsqui ne couvrent que des points non sujets à discussionou qui rajoutent des points pas ou peu utiles (puisqueces points supplémentaires devraient aujourd’hui en-

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6. Règlement grand-ducal du 23 décembre 2014 relatif à la procédure appli-cable aux décisions anticipées rendues en matière d’impôts directs et insti-tuant une Commission des décisions anticipées.

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traîner une augmentation du montant de la rede-vance).

Il n’est pas clair à ce jour sur la base de quels critèresle montant de la redevance sera fixé, et ce qu’il fautentendre par « complexité de la demande » au sens duRèglement (le nombre de points à confirmer, lenombre de pages de la demande, la technicité de lademande, le volume des annexes à la demande, voirele volume financier de l’opération en cause ?). En toutcas, il nous semble probable que les redevances pourles demandes de renseignement en matière de prix detransfert (plus connues comme « advance pricingagreement » ou APA) soient situées vers le haut del’échelle, notamment à cause de la volumineuse docu-mentation à annexer à ce type de demande (les rap-ports de prix de transfert peuvent en effet avoir plusde 100 pages pour des dossiers complexes).

La redevance devrait également inciter les contri-buables à faire préparer leurs demandes de ruling avecles plus grands soins possibles, puisque le Règlementdispose expressément que la redevance est non resti-tuable en cas de refus ou de réponse négative. Ainsi,pour réintroduire une demande incomplète qui a étérefusée, la redevance sera due à nouveau.

La redevance pourra malheureusement égalementavoir pour effet de retarder les confirmations de ru-lings : après l’introduction d’une demande de rulingpar un contribuable, celle-ci est transmise au direc-teur des contributions directes, qui fixe la redevancey relative (le Règlement n’impose pas de délai pourcette fixation), et ce n’est qu’après réception du paie-ment de la réception que l’administration fiscale com-mence à analyser la demande en question. Ce systèmenous paraît inopportun, d’autant plus qu’on aurait pufacilement y remédier en disposant que la demandede ruling sera analysée dès sa réception, mais que lerésultat de l’analyse (c’est-à-dire, la confirmation oule refus) ne sera communiqué au contribuable qu’aprèsréception du paiement de la redevance. Ceci auraitpermis un traitement plus efficace des demandes deruling, sans exposer l’administration fiscale à unrisque de non-paiement de la redevance.

La rapidité est un élément clé du système des rulings.En effet, le fait que le Luxembourg ait pu s’imposerpar rapport à ses concurrents (les Pays-Bas, Malte,Chypre, l’Irlande, etc.) en tant que juridiction de choixpour la mise en place de plateformes d’investissementest partiellement dû au fait que des rulings peuvent yêtre obtenus et surtout au fait que ces rulings peuventêtre obtenus en temps utile. La rapidité des rulings etla sécurité fiscale qu’ils confèrent sont surtout appré-ciées par les fonds de Private Equity qui, après avoiridentifié une société cible à acquérir ou un investisse-

ment à réaliser, doivent exécuter leur transaction dansles meilleurs délais par crainte de se faire devancerpar un autre investisseur ou de voir leur opportunités’évaporer. Ces fonds très présents sur la place sontdonc par la nature de leur métier particulièrementsensibles au délai d’obtention de rulings et sont sus-ceptibles de regarder de plus près si d’autres juridic-tions concurrentes ne pourraient pas leur permettred’avancer plus rapidement si la nouvelle procédureluxembourgeoise se révèle être trop lente.

1.1.4. Des opérations n’ayant pas encore produitleurs effets

La disposition de la loi la plus discutée sur le marchéactuellement est le fait que les demandes de rulingdoivent concerner des opérations « qui n’ont pas en-core produit leurs effets »7. Plusieurs interprétationsde cette disposition sont en effet possible.

A. Effets juridiques

L’interprétation la plus simple, mais potentiellementla moins avantageuse, serait de considérer qu’il s’agitdes effets juridiques : la demande de ruling devraitdonc être adressée au fisc en amont de l’exécution del’opération envisagée, c’est-à-dire, par exemple, avantque les sociétés ne soient constituées, les prêts nesoient accordés, les contrats ne soient signés, les biensne soient transférés, etc.

Sous l’ancien système, il y avait essentiellement deuxcas de figure :1) des demandes de ruling qui étaient introduites

juste avant ou simultanément au début de l’exécu-tion de l’opération envisagée ; et

2) des demandes de ruling qui étaient introduitesaprès l’exécution de l’opération envisagée.

Les demandes du deuxième type ne seront donc pluspossibles aujourd’hui, si on considère que le Règle-ment vise les effets juridiques.

Concernant les demandes du premier type, rien nesemble interdire au contribuable d’exécuter son opé-ration immédiatement après l’introduction de la de-mande de ruling. Or, il encourra bien évidemment lerisque, dans ce cas, de recevoir un refus et de subir lesconséquences fiscales y relatives.

B. Effets fiscaux

Une autre interprétation possible serait de dire qu’ils’agit des effets fiscaux : ainsi une demande de rulingpourrait être introduite avant que les opérations sous-jacentes n’auraient produit leurs effets fiscaux, c’est-à-dire avant le fait générateur de l’impôt concerné.

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7. Art 1.2. du Règlement.

Aperçu des nouvelles règles fiscales au Luxembourg pour l’année 2015

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Donc, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu descollectivités ou l’impôt commercial communal, il fau-drait introduire la demande avant que l’exercice fiscalen question n’ait été clôturé.

Cette interprétation, pas forcément évidente à pre-mière vue, est celle qui a été retenue par la législationbelge, puisque la loi réglant la procédure belge des de-mandes de ruling précise expressément que les tran-sactions ne doivent pas encore avoir produit leurs ef-fets sur le plan fiscal8.

Ceci serait évidemment plus favorable pour le contri-buable, car ce système lui laisserait une certaine margede manœuvre pour introduire des demandes de rulingaprès l’exécution d’une opération déterminée.

Mis à part ces incertitudes, qui pourraient être clari-fiées prochainement selon les rumeurs du marché(éventuellement par voie de circulaire), nous nousrallions à la conclusion de la Chambre de Commerce,qui « ose espérer que la modernisation de la pratiquedes décisions anticipées assurera une application uni-forme par tous les bureaux d’imposition, sans quecette modification modifie de manière substantielle lapratique existante »9.

1.2. Les prix de transfert

La matière des prix de transfert a été pendant long-temps largement ignorée par la législation luxembour-geoise même s’il existait deux dispositions dans la loisur l’impôt sur le revenu (la LIR) qui y faisaient réfé-rence de manière plus ou moins vague. Ainsi, l’ar-ticle 164, alinéa 3 LIR dispose que les avantages reçuspar un associé, sociétaire ou intéressé d’une sociétéou d’une association peuvent être considérés commedes distributions cachées (avec les conséquences fis-cales qui s’ensuivent) si ces avantages n’auraient puêtre obtenus sans cette qualité. L’ancien article 56 LIRquant à lui accordait la possibilité au fisc de fixer for-faitairement le résultat d’exploitation d’une entre-prise, si le transfert du résultat de cette dernière étaitrendu possible par le fait qu’elle entretenait des rela-tions économiques particulières avec une personnequi n’était pas un contribuable résident. Or, ces dispo-sitions restaient quelque peu obscures et ne pouvaientcertainement pas être considérées comme constituantune législation à la hauteur des exigences de l’OCDEen matière de prix de transfert.

Les choses ont évolué en 2011 avec l’introductiond’une circulaire concernant le « traitement fiscal dessociétés exerçant des transactions de financement in-tra-groupe »10, qui a le mérite de faire expressément

référence au principe de pleine concurrence tel qu’ilest exposé à l’article 9 du modèle de Convention fis-cale de l’OCDE. Or, comme le champ d’application decette circulaire est précisément restreint aux opéra-tions de financement intra-groupe, une grande partiedes transactions entre parties liées y échappaient etétaient donc uniquement couvertes par les disposi-tions insuffisantes de la LIR susvisées.

La Loi Paquet d’Avenir a remédié à cet état des chosesen introduisant un nouvel article 56 dans la LIR, quiconsacre clairement le principe de pleine concurrencepour toutes les transactions entre parties liées. Le textede l’article (tout comme celui de la circulaire 164/2d’ailleurs) semble avoir été fortement inspiré par lalégislation néerlandaise en la matière.

Dans l’ère de l’après « LuxLeaks » et des travaux del’OCDE concernant le plan d’action contre BEPS11, onne peut que saluer cette disposition, qui aidera leLuxembourg à être perçu à l’international comme unejuridiction transparente et moderne, disposant d’unelégislation à la hauteur des attentes contemporainesen matière de prix de transfert.

La nouvelle législation en matière de prix de transfertest complétée par une modification du paragraphe 171de la LGI, qui consacre l’obligation des contribuablesde documenter leurs transactions intra-groupe.

Comme pour la plupart des nouveautés introduites parles deux lois, de nombreuses clarifications restent àapporter concernant l’application de ces nouveauxprincipes. Ainsi, la législation luxembourgeoise necontient à ce jour aucune indication concernant lesméthodes d’établissement de rapports de prix detransfert qui sont considérées comme acceptables. Lescontribuables sont donc contraints de faire appel à desspécialistes externes en la matière et d’espérer que lerapport établi par ces derniers convienne à l’adminis-tration fiscale.

L’avis de la Chambre de Commerce contient quelquespistes qui mériteraient certainement d’être creusées(par exemple, le fait de définir quelques lignes direc-trices propres au Luxembourg, concernant les mé-thodes acceptables de détermination des prix de trans-fert, de n’exiger une documentation qu’à partir d’uncertain seuil, ou encore de définir un contenu mini-mum pour les entreprises luxembourgeoises unique-ment impliquées dans des transactions domes-tiques12).

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8. Art. 20, al. 1er, de la loi belge du 24 décembre 2002 modifiant le régime dessociétés en matière d’impôts sur les revenus et instituant un système dedécision anticipée en matière fiscale.

9. Projet de loi n° 6720/01, p. 75.

10. Circulaire n° 164/2 du 28 janvier 2011, complétée par la circulaire n° 164/2bis du 8 avril 2011.

11. Base Erosion and Profit Shifting.12. Projet de loi n° 6722/5, p. 8.

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2. Dispositions fiscales introduites parla Loi Budget

2.1. Suppression de la possibilité de fixer unforfait d’imposition pour nouveaux résidents

La Loi Budget a également aboli l’article 9 LIR, quipermettait au ministre des Finances de déterminerforfaitairement l’imposition des nouveaux résidents,et ceci pour une période de 10 ans au maximum.

On aurait pu craindre que l’abolition de ce texte nuiseaux tentatives actuelles du secteur de la banque pri-vée, de se réorienter d’une clientèle fortunée prove-nant essentiellement des pays limitrophes, vers uneclientèle internationale très fortunée (connue par lesspécialistes comme les « high-net-worth individuals »ou HNWIs). En effet, ces HNWIs sont bien habituésaux forfaits fiscaux « sur mesure », qui sont mis enavant activement dans d’autres pays comme leRoyaume-Uni ou certains cantons de la Suisse.

Or, au Luxembourg ce texte était resté lettre morte etn’a, à notre connaissance, pas été appliqué en pra-tique, de sorte que son abolition ne devrait pas avoird’impact sur la place financière. Cette dernière dis-pose d’ailleurs de bien d’autres outils pour séduire lesHNWIs (exonération potentielle de la valeur de rachatdes contrats d’assurance-vie, des plus-values non spé-culatives sur biens meubles et des plus-values réali-sées lors de la cession de la résidence principale, ab-sence d’impôt sur la fortune pour les personnesphysiques, absence de droits de succession en lignedirecte, pour n’en citer que quelques-uns).

2.2. Changements au système de restitutionde la retenue à la source sur dividendes

La Loi Budget a également rectifié une inégalité detraitement des contribuables résidents et non-rési-dents qui découlait de l’article 154 LIR et qui était po-tentiellement contraire au droit européen, commel’aurait signalé la Commission européenne à l’Etatluxembourgeois.

L’article 154.1 LIR permet d’imputer sur la créanced’impôt due au titre d’une année d’imposition « l’im-pôt retenu à la source pour autant qu’il se rapporte àdes revenus soumis à l’assiette pour cette année ».L’article 154.7 rajoute que si la retenue à la source estsupérieure à la créance d’impôt, l’excédent est impu-table sur d’autres créances exigibles du même contri-buable ou à rembourser à ce dernier. Il en résulte qu’uncontribuable imposable par voie d’assiette qui était enperte ou qui n’avait pas d’autres revenus imposables,pouvait obtenir un remboursement intégral de la rete-nue à la source subie. Ceci s’appliquait essentielle-ment à la retenue à la source sur dividendes telle quevisée par l’article 146 LIR. Or, comme les contri-

buables non-résidents ne sont, en principe, pas impo-sés par voie d’assiette, ils n’avaient pas la possibilitéofferte aux contribuables résidents de demander unerestitution de la retenue à la source subie au Luxem-bourg. Pour les non-résidents, la retenue à la sourceétait donc finale, ce qui représentait une inégalité parrapport aux contribuables résidents.

La Loi Budget introduit un nouvel article 154.6a LIR,qui dispose que « les retenues sur les revenus de capi-taux dûment opérées ne sont pas sujettes à restitu-tion », et abolit donc la possibilité pour les contri-buables résidents d’obtenir la restitution de touteretenue à la source sur dividendes subie.

Une exception existe dans le cadre du régime mère-fille, qui introduit une exonération de retenue à lasource sur dividendes versés entre deux sociétés qua-lifiantes, si la société mère détient une participationde 10 % ou acquise pour 1,2 millions d’EUR pendantune durée ininterrompue de 12 mois dans sa filiale.S’il y a un versement de dividendes avant que la pé-riode de 12 mois ne soit révolue, alors la société mèredoit s’engager à détenir la participation dans sa filialejusqu’à la fin de cette période (en pratique, cet engage-ment est documenté dans une lettre adressée à la fi-liale), en quel cas la retenue ne sera pas à opérer. Or,en absence d’un tel engagement, la filiale est tenued’opérer la retenue à la source, qui pourra alors êtrerestituée sur demande de la société mère une fois lapériode de 12 mois révolue. Cette possibilité de resti-tution est maintenue et constituera donc à partir de2015 la seule possibilité de restitution d’une retenueà la source sur dividendes au Luxembourg.

2.3. Modification de l’impôt minimum

L’impôt minimum pour les sociétés, applicable depuisl’année d’imposition 2011, puis augmenté pour l’an-née d’imposition 2013, est à nouveau modifié, notam-ment pour alléger la charge fiscale des sociétés de par-ticipations financières (c’est-à-dire les sociétés dont lasomme des immobilisations financières, créances surentreprises liées, valeurs mobilières, avoirs en banqueet en caisse dépasse 90 % du bilan, ci-après les Sopar-fis) de petite taille.

Alors qu’auparavant l’impôt minimum était de3000 EUR pour toutes les Soparfis, la Loi Budget n’ysoumet plus que celles dont la somme des biens sus-visés dépasse non seulement 90 % du bilan, mais éga-lement 350 000 EUR.

Si tel n’est pas le cas, les Soparfis seront dès lors sou-mises à un impôt minimum de soit 500 EUR (si leurbilan ne dépasse pas 350 000 EUR), soit 1500 EUR (sileur bilan dépasse 350 000 EUR). Le dernier cas, à sa-voir celui dans lequel une Soparfi a un bilan supé-rieur à 350 000 EUR, composé pour plus de 90 % desbiens susvisés, mais qui ne dépassent pas pour autant

Aperçu des nouvelles règles fiscales au Luxembourg pour l’année 2015

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350 000 EUR, devrait s’avérer assez rare en pratique.

2.4. Changements en matière de TVA

2.4.1. Introduction

Le principal changement concerne la hausse du tauxde TVA de base de 15 % à 17 %, du taux intermé-diaire de 12 à 14 %, et du taux réduit de 6 % à 8 %.

Cette mesure a été considérée comme inévitable pourassainir les finances publiques et pour pallier lemanque à gagner dû au fait que les règles de TVA pourle commerce électronique ont changé au début de cetteannée.

Selon les prévisions de la Chambre de Commerce,« plus de la moitié de l’effort d’assainissement global,soit 69 % en 2015 et 52 % en 2018, repose sur seule-ment deux mesures […]. Il s’agit des mesures en ma-tière de TVA et de la nouvelle ‘contribution d’avenir’[...] »13. La hausse de la TVA devrait ainsi en elle seuleavoir un impact budgétaire cumulé de 422 millionsd’EUR jusqu’en 2018.

La TVA joue un rôle clé pour l’attractivité de la placefinancière et, dans ce sens, une hausse de ce taux estévidemment déplorable. Or, cette atteinte à la compé-titivité de la place financière luxembourgeoise est mo-dérée par le fait que le taux de 17 % reste toujours leplus bas au sein de l’Union européenne.

D’un point de vue technique, la hausse en elle-mêmea surtout suscité des commentaires (déjà amplementtraités et non repris ici) relatifs aux opérations qui sesont réalisées à cheval entre les années 2014 et 2015.

2.4.2. Les immeubles à louer

Concernant le taux super-réduit de 3 %, celui-ci a étémaintenu, sauf dans certains cas particuliers commenotamment l’affectation d’un logement à des fins d’ha-bitation principale dans le chef d’un tiers, c’est-à-direles immeubles à louer. La création de ces derniers seradésormais soumise à un taux de TVA de 17 % (saufpour les travaux de rénovation concernant ces loge-ments), ce qui peut donc entraîner une hausse du prixde construction des immeubles à louer de 14 % (pourles immeubles pour lesquels la faveur fiscale résultantde l’application du taux super-réduit n’aurait pas dé-passé 50 000 EUR).

L’annonce de cette mesure en 2014 a eu un impactconsidérable sur le marché immobilier au Luxem-bourg : les acteurs se sont immédiatement empressésde signer des contrats de vente en état futur d’achève-

ment (les VEFAs) avant la fin de l’année afin de béné-ficier du taux super-réduit de 3 %.

L’engouement a été tel que l’Administration de l’enre-gistrement et des domaines s’est vue contrainte dechanger, par voie de circulaire14, les règles concernantles demandes d’autorisation pour le taux super-réduit,afin de ne pas « mettre les opérateurs dans l’impossi-bilité de remplir les conditions requises avant la fin del’année ». Il aurait effectivement été difficile pour tousles opérateurs désireux de conclure une VEFA d’obte-nir en temps utile un acte notarié comprenant la dési-gnation cadastrale arrêtée par l’administration du ca-dastre. L’Administration de l’enregistrement s’estdonc contentée, jusqu’à la fin de l’année 2014, d’unedemande d’autorisation accompagnée d’un contrat deréservation et d’un accusé de réception de la demanded’attribution de cadastre vertical envoyée à l’Admi-nistration du cadastre.

Pour tous les opérateurs qui ont réussi à introduireune telle demande d’autorisation avant le premierjanvier 2015, le taux super-réduit restera applicablejusqu’au 31 décembre 2016.

La Chambre de Commerce déplore cette augmentationqui, selon elle « entraînera une amplification de lapénurie de logements locatifs, car soit le marché seraincapable d’absorber la hausse de TVA, soit la haussede TVA sera répercutée sur les loyers ». Selon elle,cette hausse risque d’être répercutée intégralement oupartiellement sur les loyers, et ce sont donc les loca-taires qui en paieront les frais.

Louer un appartement au Luxembourg deviendradonc un luxe que certains ne pourront plus se per-mettre, et il n’est pas difficile d’imaginer que laChambre de Commerce avait raison de redouter uneaccentuation du phénomène d’exode des natifsluxembourgeois qui préfèreront aller s’installer au-delà de la frontière pour trouver des loyers plus abor-dables.

2.4.3. Les nouvelles règles de procédure

La Loi Budget a également introduit des règles de pro-cédure en matière de restitution de la taxe en amonten faveur des assujettis identifiés à la TVA au Luxem-bourg. Ainsi, il a été instauré une procédure de récla-mation administrative et de recours judiciaire pour lesassujettis, qui peuvent par ailleurs bénéficier d’inté-rêts moratoires.

Selon la nouvelle procédure, s’il existe un solde decompte en faveur de l’assujetti, ce dernier peut intro-duire une demande en restitution de l’excédent au-près de la recette centrale TVA de l’administration.

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13. Projet de loi n° 6720/01, p. 8. 14. Circulaire n° 771 du 24 octobre 2014.

Budget

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L’administration a alors un délai de quatre mois (ou,si elle demande des informations supplémentaires, de6 mois) pour notifier sa décision de rejet ou d’accep-tation au contribuable.

L’absence de décision (qui vaut décision de refus aprèsécoulement des délais susvisés) ou le refus de restitu-tion peut être attaqué par voie de réclamation devantl’administration dans les trois mois. Si la réclamationest rejetée totalement ou partiellement par la Recettecentrale, le directeur de l’administration est saisi d’of-fice de l’affaire et sa décision se substitue à celle de laRecette centrale. La décision directoriale est à nou-veau susceptible de recours dans les trois mois, cettefois-ci par assignation devant le Tribunal d’arrondis-sement de Luxembourg. Le même recours vaut en casde silence de l’administration pendant six mois suiteà l’introduction de la réclamation, sauf que dans cecas aucun délai ne court pour l’introduction du re-cours.

Signalons encore que des intérêts moratoires com-mencent à courir si la restitution est acceptée par l’ad-ministration mais n’est pas effectuée dans les dix joursouvrables suivant l’expiration du délai de notificationde la décision susvisé.

L’introduction de ces nouvelles règles nous sembleopportune, comme elle comble les lacunes de la pro-cédure antérieure, qui prévoyait également la possibi-lité pour le contribuable de demander le rembourse-ment des excédents de TVA en amont, mais sanstoutefois encadrer la procédure de demande en rem-boursement. Les délais de réponse laissés à l’adminis-tration nous paraissent cependant excessifs. En effet,on voit mal pourquoi l’administration aurait besoinde quatre voire six mois pour se prononcer sur unedemande de remboursement de TVA.

3. Conclusion

En conclusion, la Loi Budget et la Loi Paquet d’Aveniront, mis à part l’augmentation du taux de la TVA, qui

aura un impact économique considérable, surtoutcontribué à moderniser la législation luxembourgeoiseet à renforcer l’image de qualité de la place financière.

La formalisation de la pratique des décisions antici-pées a été largement saluée par les acteurs du marché,dont certains revendiquaient des règles plus clairesdepuis de nombreuses années, et constitue, surtoutdans l’ère de l’après « LuxLeaks », une étape indis-pensable dans la mutation du Luxembourg vers unejuridiction misant sur la transparence.

L’introduction de règles de prix de transfert générali-sées reposant sur le principe de pleine concurrenceétait tout aussi indispensable pour un Etat fondateurde l’OCDE. Cette matière a pris une importance consi-dérable au cours de ces dernières années, comme elleest considérée par l’OCDE comme un des outils lesplus efficaces pour lutter contre l’érosion des basesimposables et le transfert de bénéfices. Pour ceux quise sont familiarisés avec le plan d’action BEPS del’OCDE, il va de soi que l’importance des règles deprix de transfert continuera à augmenter, et nous nepouvons donc que saluer le fait que le Luxembourg aitcommencé à se doter d’un cadre légal approprié pourfaire face à ces changements.

Il n’en reste pas moins que les acteurs du marchérestent sur leur faim face aux nombreuses incertitudesqui persistent par rapport à la mise en œuvre pratiquede ces dispositions. Nous pouvons sans doute espérerobtenir des clarifications supplémentaires (parexemple, par voie de règlement grand-ducal ou circu-laire) au cours de l’année 2015, aussi bien en ce quiconcerne la nouvelle pratique des rulings qu’en ce quiconcerne l’application des règles de prix de transfertgénéralisées.

Aperçu des nouvelles règles fiscales au Luxembourg pour l’année 2015

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