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DroItS huMains Océan Indien Texte de loi La société civile s’élève contre la Prosecution Commission Grâce à un développement politique inattendu, le projet de loi que voulait faire passer le gouvernement pour la mise sur pied d’une Prosecution Commission n’a pu être adoptée. La société civile, dès l’annonce de ce projet de loi, s’était mobilisée et des rencontres tous azimuts ont eu lieu pour organiser la riposte. Catherine Boudet : « Il faut des institutions supérieures indépendantes » L’ intention à la base du Prosecution Commission Bill, qui était de trouver une solution pour permettre l’ac- countability du Directeur des poursuites publiques (DPP), était intéressante et louable. Il est certain que le pouvoir discrétionnaire du DPP, qui agit sans être accountable à personne, est une entorse au principe démocratique et qu’il faut trouver un remède à cette situation. Mais c’est encore plus antidémo- cratique d’installer une commission qui chapeauterait le DPP en le plaçant sous la tutelle de l’exécutif. Ce n’est pas de l’accountability, c’est une violation du principe de séparation des pou- voirs (exécutif, législatif et judiciaire). Au lieu d’une Prosecution Commission qui viendrait cha- peauter le DPP suivant le bon vouloir des politiques, il serait peut-être plus judicieux d’introduire un système de juge d’instruction. Pour le moment, l’enquête est faite par la police et la charge est établie par le DPP. Un système de juge d’instruction permet- trait de moderniser la procé- dure, notamment en obtenant des enquêtes plus abouties et plus objec- tives au départ. Il faut renforcer l’objecti- vité de l’enquête, et non pas installer encore plus de subjectivité politique ! Et si on envisage la question d’accountability pour le DPP, il faut également l’envisager pour les autres institutions de l’État, l’exécutif, le Parlement et le judiciaire, en introduisant un sys- tème de Conseil constitutionnel et de Haute cour de justice. Ainsi, un Conseil constitutionnel exa- minerait la constitutionnalité des lois et des déci- sions prises par les institutions de la République et une Haute cour de justice aurait pour rôle de juger les manquements des personnes en charge, qu’il s’agisse du président de la République, du Premier ministre, d’un ministre, d’un parlemen- taire, d’un juge ou du DPP. Il faut que l’accountability des institutions et des personnes de la République se fasse envers des institutions supérieures qui les chapeautent toutes de façon égale. On ne peut pas demander l’accountability pour l’un et pas pour les autres. Et l’accountability doit être examinée par des institu- tions supérieures et indépendantes. ALAIN BERTRAND DE L’UNION NATIONALE : « Il ne devrait pas y avoir urgence à réviser nos lois » Même s’il est concevable que le bureau du DPP soit sujet à une certaine forme d’ accountabi- lity , il était hors de question que des amendements conséquents soient apportés au fonctionne- ment d’un poste consti- tutionnel aussi sensible, au moyen d’un passage en force au Parlement. Comme pour tout membre de la société civile, il est de mon devoir de m’ériger contre ce genre de pratique qui porte atteinte à la démocratie et à la bonne gouvernance dans son ensemble. Dans aucun cas il ne devrait y avoir urgence à réviser nos lois, sans une démarche de consul- tation élargie visant à amener un consensus sur la forme finale que devrait prendre tout amendement à la Constitution (notre texte de loi fondamental). Je me réjouis ainsi de l’acte militant des membres du Parti mauricien social-démo- crate (PMSD) qui ont, grâce à leur démarche solidaire, fait capoter un projet qui aurait per- verti la démocratie mauricienne. Satisfaction également vis-à-vis de la profession légale dans son ensemble (avoués et avocats) qui, grâce à sa levée de boucliers, aura agi comme un lanceur d’alerte respon- sable. D’autre part, en poussant plus loin la réflexion, il devient évident que le gros du pro- blème ne se situe pas dans les pouvoirs du DPP mais bien dans la manière de nommer ce dernier. Il est clair que c’est la politisation des nominations qui pose pro- blème. Tant que l’on considérera des postes constitutionnels comme des récompenses postélectorales, tant que l’on nommera les petits copains en lieu et place de vrais profes- sionnels neutres et efficaces, il y aura toujours des conflits d’intérêts néfastes au bon fonc- tionnement de nos institutions qui se doivent d’avoir comme principes de fonctionnement l’indépendance, l’impartialité et la neutralité. Il faut surtout poser les bonnes questions et trouver le moyen d’imposer un fonctionne- ment sain pour nos institutions. Cela passe obligatoirement par l’instauration de respon- sabilités morales et légales des partis poli- tiques, la transparence de leur financement, et des règles qui limiteraient les mandats et l’étendue de leurs pouvoirs nominatifs. JEFF LINGAYA : « Une mobilisation citoyenne salutaire” La séparation des pouvoirs est un concept essentiel à la démocratie. Ce n’est pas en amendant la Constitution à la va-vite pour servir la vendetta politique d’un gou- vernement que l’on par- viendra à faire respirer la justice dans notre République. J’ai été agréablement surpris par la réaction de plusieurs instances de la société civile qui, dans l’urgence, s’étaient concertées et avaient décidé de se rencon- trer au centre Marie Reine de la Paix, les 20 et 21 décembre. Le but de cette mobilisation citoyenne était de se montrer solidaire de la contestation de ces projets de loi. Il y a eu un sursaut d’indignation solidaire sans qu’il y ait une homogénéité idéologique politique entre ces groupes. Un tel comporte- ment est souhaitable pour l’unité nationale dans des cas d’urgence, alors que certains autres groupes restent toujours obsédés à demeurer sur leur piédestal et par la conquête du pouvoir, même dans les pires moments qui menacent notre démocratie.

Texte de loi La société civile s’élève contre la ... · Texte de loi La société civile s’élève contre ... sions prises par les institutions de la République et une Haute

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DroItS huMains Océan Indien

Texte de loiLa société civile s’élève contre la Prosecution CommissionGrâce à un développement politique inattendu, le projet de loi que voulait faire passer le gouvernement pour la mise sur pied d’une Prosecution Commission n’a pu être adoptée. La société civile, dès l’annonce de ce projet de loi, s’était mobilisée et des rencontres tous azimuts ont eu lieu pour organiser la riposte. Catherine Boudet :« Il faut des institutions supérieures indépendantes »L’intention à la base du

Prosecution Commission Bill, qui était de trouver une

solution pour permettre l’ac-countability du Directeur des poursuites publiques (DPP), était intéressante et louable. Il est certain que le pouvoir discrétionnaire du DPP, qui agit sans être accountable à personne, est une entorse au principe démocratique et qu’il faut trouver un remède à cette situation.

Mais c’est encore plus antidémo-cratique d’installer une commission qui chapeauterait le DPP en le plaçant sous la tutelle de l’exécutif. Ce n’est pas de l’accountability, c’est une violation du principe de séparation des pou-

voirs (exécutif, législatif et judiciaire). Au lieu d’une Prosecution Commission qui viendrait cha-

peauter le DPP suivant le bon vouloir des politiques, il serait peut-être plus judicieux d’introduire un système de juge d’instruction. Pour le moment, l’enquête est faite par la police et la charge est établie par le DPP. Un système

de juge d’instruction permet-trait de moderniser la procé-

dure, notamment en obtenant des enquêtes plus abouties et plus objec-

tives au départ. Il faut renforcer l’objecti-vité de l’enquête, et non pas installer encore plus de subjectivité politique !

Et si on envisage la question d’accountability

pour le DPP, il faut également l’envisager pour les autres institutions de l’État, l’exécutif, le Parlement et le judiciaire, en introduisant un sys-tème de Conseil constitutionnel et de Haute cour de justice. Ainsi, un Conseil constitutionnel exa-minerait la constitutionnalité des lois et des déci-sions prises par les institutions de la République et une Haute cour de justice aurait pour rôle de juger les manquements des personnes en charge, qu’il s’agisse du président de la République, du Premier ministre, d’un ministre, d’un parlemen-taire, d’un juge ou du DPP.

Il faut que l’accountability des institutions et des personnes de la République se fasse envers des institutions supérieures qui les chapeautent toutes de façon égale. On ne peut pas demander l’accountability pour l’un et pas pour les autres. Et l’accountability doit être examinée par des institu-tions supérieures et indépendantes.

ALAIN BERTRAND DE L’UNION NATIONALE :« Il ne devrait pas y avoir urgence à réviser nos lois »Même s’il est concevable que le bureau du DPP soit sujet à une certaine forme d’accountabi-lity, il était hors de question que des amendements conséquents soient apportés au fonctionne-ment d’un poste consti-tutionnel aussi sensible, au moyen d’un passage en force au Parlement. Comme pour tout membre de la société civile, il est de mon devoir de m’ériger contre ce genre de pratique qui porte atteinte à la démocratie et à la bonne gouvernance dans son ensemble.Dans aucun cas il ne devrait y avoir urgence à réviser nos lois, sans une démarche de consul-tation élargie visant à amener un consensus sur la forme finale que devrait prendre tout amendement à la Constitution (notre texte de loi fondamental).Je me réjouis ainsi de l’acte militant des membres du Parti mauricien social-démo-crate (PMSD) qui ont, grâce à leur démarche solidaire, fait capoter un projet qui aurait per-verti la démocratie mauricienne. Satisfaction également vis-à-vis de la profession légale dans son ensemble (avoués et avocats) qui,

grâce à sa levée de boucliers, aura agi comme un lanceur d’alerte respon-

sable. D’autre part, en poussant plus loin la réflexion, il devient évident que le gros du pro-blème ne se situe pas dans les pouvoirs du DPP mais bien dans la manière de nommer ce dernier. Il est

clair que c’est la politisation des nominations qui pose pro-

blème. Tant que l’on considérera des postes

constitutionnels comme des récompenses postélectorales, tant que l’on nommera les petits copains en lieu et place de vrais profes-sionnels neutres et efficaces, il y aura toujours des conflits d’intérêts néfastes au bon fonc-tionnement de nos institutions qui se doivent d’avoir comme principes de fonctionnement l’indépendance, l’impartialité et la neutralité.Il faut surtout poser les bonnes questions et trouver le moyen d’imposer un fonctionne-ment sain pour nos institutions. Cela passe obligatoirement par l’instauration de respon-sabilités morales et légales des partis poli-tiques, la transparence de leur financement, et des règles qui limiteraient les mandats et l’étendue de leurs pouvoirs nominatifs.

JEFF LINGAYA :« Une mobilisation citoyenne salutaire”La séparation des pouvoirs est un concept essentiel à la démocratie. Ce n’est pas en amendant la Constitution à la va-vite pour servir la vendetta politique d’un gou-vernement que l’on par-viendra à faire respirer la justice dans notre République. J’ai été agréablement surpris par la réaction de plusieurs instances de la société civile qui, dans l’urgence, s’étaient concertées et avaient décidé de se rencon-trer au centre Marie Reine de la Paix, les 20 et 21 décembre. Le but de cette mobilisation citoyenne était de se montrer solidaire de la contestation de ces projets de loi. Il y a eu un sursaut d’indignation solidaire sans qu’il y ait une homogénéité idéologique politique entre ces groupes. Un tel comporte-ment est souhaitable pour l’unité nationale dans des cas d’urgence, alors que certains autres groupes restent toujours obsédés à demeurer sur leur piédestal et par la conquête du pouvoir, même dans les pires moments qui menacent notre démocratie.

DroItS huMains Océan IndienLe Défi Quotidien - Vendredi 23 décembre 2016 14-15

Lindley Couronne :« Le Prosecution Commission Bill ne mérite que la poubelle »Le directeur de l’association revient sur la tentative du gouvernement de faire adopter le Prosecution Commission Bill.

> Quels sont vos sentiments après le retrait du Prosecution Commission Bill ?

Évidemment, le premier sentiment est le sou-lagement. DIS-MOI salue l’action du Parti mau-ricien social-démocrate (PMSD) de Xavier-Luc Duval qui, par son coup d’éclat, a renvoyé ce texte de loi à la place qu’il méritait. Car le Prosecution Commission Bill ne mérite que la poubelle…

> Jusqu’où la société civile était-elle prête à s’engager contre cette loi ?

Jusqu’au bout, je peux vous le dire. Je n’ai jamais vu les militants de DIS-MOI aussi remontés contre une loi. Car ce Prosecution Commission Bill était une attaque frontale contre la démocratie. Le gouver-nement a essayé de vendre une fable selon laquelle cette loi apporterait davantage de justice.

Personne au sein de la société civile n’y croyait. En fait, mis à part les thuriféraires du régime en place, je n’ai entendu aucun démocrate défendre ce texte de loi inique.

> Pourquoi alors, selon vous, le gouvernement a-t-il pris le risque de présenter cette loi ?

J’entendais avant-hier Ivan Collendavelloo expliquer sur les ondes de Radio Plus, avec le plus grand sérieux, l’importance fondamentale de cette loi pour les citoyens mauriciens. Son intervention, à mes yeux, ressemblait à un sketch et n’était-ce le sérieux de la situation, j’aurais volontiers ri

un bon coup. Je suis à 100 % d’accord avec l’avo-cat Antoine Domingue qui disait que ce projet de loi, en fait, n’est pas une loi parce qu’il visait à atteindre « un seul homme », Satyajit Boolell !

Évidemment, Ivan Collendavelooo et les Jugnauth disent qu’ils veulent notre bien commun. Je pense qu’ils n’étaient pas eux-mêmes convaincus de ce qu’ils avançaient.

> Pourquoi alors cet acharnement contre le DPP?

Je vais vous le dire. Nul n’est parfait et nous fai-sons tous des erreurs. Mais il reste un fait objec-tif que Me Satyajit Boolell est, de loin, le meilleur Directeur des poursuites publiques que nous ayons eu depuis 1968. Bien que son patronyme sorte du sérail du Parti travailliste, il a fait preuve d’indépendance d’esprit, et a innové à plusieurs niveaux, notamment en prenant l’initiative de publier une newsletter de son bureau. J’estime donc qu’il est crédible à ce poste. Le gouverne-ment a choisi de l’attaquer depuis le début de son mandat avec des qualificatifs comme « monstre » ou autres amabilités. Et à chaque fois, il y a laissé des plumes.

Si le souci majeur de nos politiciens, comme ils le prétendent, est la justice et qu’ils veulent « make sure doubly » que tout se déroule fairly, pourquoi ne pas avoir « doublé » le directeur de l’Independent Commission against Corruption ? Et « doublé » le commissaire de police ? Quand ils auront répondu à ces deux questions, alors là peut-être me convaincront-ils !

DISCLAIMERLes informations contenues dans ces deux

pages n’engagent que l’association DIS-MOI

(Droits Humains Océan Indien) et les interve-nants. La reproduction, la diffusion et /ou la distribution de ces informations ne sont pas autorisées sans la permission de DIS-MOI.

Roshan Rajroop, président de DIS-MOI :« Une précipitation préjudiciable »Il est regrettable que l’adoption projetée d’une

telle loi se soit faite dans la précipitation. D’abord parce qu’une telle loi touche à des

principes constitutionnels. Une consultation très élargie de tous les acteurs de la société était donc

plus que nécessaire. Le retrait du PMSD de l’Alliance Lepep et son refus de voter une telle loi laisse l’impression amère que cette Prosecution Commission vise avant tout la personne du DPP et non un meilleur fonctionnement de son institution.

DIS-MOI, 11 BROAD AVENUE, BELLE-ROSE, QUATRE-BORNES - TEL : 466 5673

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DIS-MOI (Droits Humains-Océan Indien) est une organisation non gouvernementale qui aide à promouvoir la culture des droits humains dans la région du Sud-Ouest de l’océan Indien, notamment les Seychelles, Maurice, Rodrigues, Madagascar et les Comores. Fondée en 2012, l’organisation milite pour la défense et l’ensei-gnement des droits humains.

Les dix points de contestation1. Il n’y a pas eu de consultation élargie avec les

membres de la société civile, des organisations non gouvernementales, etc.

2. Le gouvernement s’est montré pressé d’adop-ter une telle loi avant la fin de l’année, pourquoi une telle urgence ?

3. Le Directeur des poursuites publiques occupe un poste constitutionnel. Pourquoi placer son bureau sous le contrôle d’une commission qui examinerait son fonctionnement sous un aspect purement administratif ?

4. Les postes constitutionnels de notre système agissent comme des sauvegardes (principe de ‘check and balance’) de nos institutions et pro-tègent notre démocratie.

5. Une telle loi représenterait donc une sérieuse menace à notre démocratie.

6. Placer le bureau du DPP sous le contrôle de la

commission serait dépouiller le DPP de ses pré-rogatives prévues par la Constitution.

7. Une telle commission représenterait un gas-pillage des fonds publics, une duplication des instances : la Cour suprême dispose déjà de cer-taines prérogatives que l’on souhaite attribuer à cette commission.

8. Une telle loi n’est pas dans l’intérêt du public, mais dans l’intérêt du parti politique au pouvoir.

9. La Constitution énonce des lois pour le futur (‘retrospective law’) et exclut la rétroactivité de la loi. Toute loi aux effets rétroactifs s’inscrit donc contre les principes généraux du droit (‘rule of law’) et doit donc être nulle et non avenue.

10. Enfin, toute décision du DPP ne peut être revue par des membres d’une commission qui seraient des nominés politiques.