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Thérèse à Saint-Domingue

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Auteur. Fresneau, H. / Ouvrage patrimonial de la Bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation, Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Martinique, Bibliothèque Schœlcher.

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THÉRÈSE

A S A I N T - D O M I N G U E

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OUVRAGES DU M Ê M E AUTEUR

PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE HACHETTE ET CI O

Comme les Grands! 1 vol. in-16 illustré de 46 gravures d'après Ed. ZIER. Prix : broche 2 fr. 25

— relié en percaline rouge 3 fr. 50

Une Année du Petit Joseph, imité de l'anglais. 1 vol. grand in-18, illustré do 07 gravures d'après Jeanniot. Prix : broché . 2 fr. 25

— relié en percaline bleue 3 fr. 50

17285. — Imprimer ie A . L a h u r e , rue de Fleurus, 9 , à Par i s .

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UNE DAME ET UNE PETITE FILLE VENAIENT S'EMBARQUER (page 2 ) .

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THÉRÈSE A S A I N T - D O M I N G U E

P A R

MADAME A. F R E S N E A U

N É E D E S É G U R

O U V R A G E I L L U S T R E D E 44 V I G N E T T E S

P A R T O F A N I

P A R I S

L I B R A I R I E HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1 8 8 8

Droits de propriété et de traduction réservés

133215

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THÉRÈSE A S A I N T - D O M I N G U E

1 Départ pour Saint-Domingue

On était en 1789. Une froide pluie d'automne assombrissait la ville du Havre, et cependant une grande agitation régnait sur les quais , car un des vaisseaux qui faisaient la traversée d 'Amérique s'apprêtait à mettre à la voile. Un assez grand nombre de passagers montaient à bord du navire,

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et la plupart laissaient derrière eux des parents ou des amis qui restaient sur le quai pour e n ­voyer les derniers signes d'adieu à ceux qui allaient s 'éloigner.

Une dame et une pelile fille venaient cepen­dant de s 'embarquer sans paraître laisser aucun visage ami sur le sol qu'el les quittaient. Toutes deux étaient en grand deuil . La dame, pâle et impressionnée, portait sur ses traits l 'empreinte d'une grande tristesse. Elle était grande, mince et distinguée. La petite fille qu'el le tenait par la main avait le même type : remarquable, non par une beauté régulière, mais par une physionomie des plus attachantes, mobile et intelligente, et avec un regard tendre et profond à la fois, indi­quant une nature peu c o m m u n e . Mlle semblait avoir dix ans.

Malgré leur isolement, l'adieu à la France était év idemment douloureux, à la mère surtout; et lorsque le vaisseau, s'ébranlant, commença à s'é­lo igner lentement du rivage, des larmes s 'échap­pèrent de ses yeux, qu'el le tenait fixés sur le lieu du départ. Quand les objets devinrent de moins en moins distincts el que la ville e l l e -m ê m e n'apparut plus que vaguement au loin, la pauvre f emme ne put retenir un sanglot et tomba, accablée, sur un des bancs du pont. Sa fille, qui la regardait avec anxiété sans oser

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lui parler, se jeta alors dans ses bras, pleurant aussi.

« Oh! ma chère maman, ne vous désolez pas ! Vous ne laissez pas tout en France, vous l 'avez dit vous -même, puisque votre petite Thérèse vous suit et ne vous quittera jamais , vous savez ! »

Et la pauvre petite embrassait sa mère et se pressait contre elle. Ces paroles et surtout l 'expres­sion de tendresse qui les accompagnait calmèrent la pauvre f emme . Elle sentit la nécessité de prendre sur elle pour ne pas attrister davantage sa fille, et elle descendit avec elle dans la cabine qui leur était réservée pour la traversée.

Mme de Vernoux quittait en effet, en s'éloignant de la France, les restes de ce qu'el le avait aimé le plus au monde : son mari, qu'el le venait de perdre, j eune encore , à la suite d'une longue maladie.

Créole de naissance, et née à Saint-Domingue, elle y avait perdu sa mère lorsqu'el le était encore tout enfant; et à la suite de ce malheur, son père, qui était d'origine française, s'était décidé à quitter la colonie et était revenu dans son pays natal. Sa fille avait donc été élevée dans des habitudes toutes françaises, et à vingt ans avait épousé M. de Vernoux. Les premières an­nées de ce mariage avaient été heureuses , et la naissance de la petite Thérèse avait complété ce

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4 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE bonheur . Malheureusement des revers de fortune vinrent frapper le père de Mme de Vernoux c l hâtèrent sa mort . Aussi, l orsque , deux ans après, M. de Vernoux succomba à son tour, sa f emme se trouva complètement isolée, car il n'avait de son côté aucun proche parent.

La douleur de Mme de Vernoux fut donc encore augmentée par la pensée du triste avenir qui attendait sa fille et par la crainte de l'abandon de la pauvre enfant si e l le -même venait à lui manquer ! Sa fortune était peu considérable, et la pauvre veuve songeait à s'établir dans un appartement plus modeste que celui qu 'el le avait occupé jusque- là à Paris, lorsqu 'une lettre de Saint-Domingue vint tout à coup renverser tous ses plans. Des parents lui étaient restés dans l ' île, et c'était un frère de sa mère qui , appre ­nant la mort de M. de Vernoux, écrivait à sa nièce la lettre suivante :

« Saint-Domingue, 3 octobre 1789.

« Ma chère nièce,

« La nouvel le de voire malheur vient de me causer une bien pénible impression, car, bien que j e n 'eusse jamais connu votre mari, je me repré­sente trop facilement la douleur que vous res ­sentez, et dont j e vous plains sincèrement. Vous

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avez quitté si j e u n e Saint-Domingue, que vous ne vous souvenez probablement pas de l 'oncle que vous y avez laissé; mais moi , quo ique bien plus j eune que votre pauvre mère , j 'avais pour elle une affection qui ne peut me laisser indif­férent à ce qui touche sa f i l le ; et sachant c o m ­bien la mort de votre mari v o u s laisse isolée en France, je viens vous rappeler que vous avez une famille qui s'intéresse à vous et à votre enfant, et serait heureuse de vous le prouver . Puisque tous les liens qui vous retenaient en France se trouvent si tristement brisés, pourquoi ne pas vous rapprocher des parents qui vous restent dans votre pays natal? Ma f emme accueillerait avec jo ie aussi la nouvel le de votre retour, parmi nous , et mes enfants, qui ne sont pas beaucoup plus âgés que votre fille, se réjouiraient de l 'arrivée de cette petite compagne , car il est bien entendu que le même toit nous abriterait tous. Écrivez-moi donc, ma chère nièce, et dites-nous que vous acceptez ce nouveau plan de vie que j e suis heureux de vous p r o p o s e r .

« Votre oncle affectionné,

« E. DE MONRÉMY. »

Cette lettre toucha Mme de Vernoux ; mais la proposition inattendue qu'el le renfermait la jeta

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6 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE dans une grande perplexité. Elle avait c o m p l è ­tement oublié Saint-Domingue, et c'était seule ­ment par diverses conversations de son père qu'elle connaissait les membres de la famille qui lui restaient dans les co lonies . Jamais elle n'avait songé qu'elle eût pu un j our se l 'approcher d 'eux; et, bien que tout fût triste autour d'elle mainte­nant, les souvenirs d'un passé plus heureux la rattachaient à la France. Au premier abord elle repoussa donc de son esprit toute idée de départ et allait répondre négativement à son oncle , lorsque la pensée de Thérèse vint modifier celle première impression. Avait-elle le droit de faire perdre à sa fille l'appui des seules relations qui lui restaient et faisaient preuve à son égard de disposit ions si bienveil lantes?. . . et ne regret­terait-elle pas un j our d'avoir empêché ce rappro­chement? . . . Après de bien pénibles hésitations, la pauvre femme se sentit le courage de se sa­crifier à sa tille el de répondre à son oncle que puisqu'il voulait bien se souvenir d'elle, elle serait heureuse aussi de voir les années d 'en-fance de Thérèse s 'écouler au milieu de la vie de famille qui lui aurait manqué si complètement en France. Quelques semaines après cette détermi­nation, toutes deux s 'embarquaient c omme nous l 'avons vu.

Dans ce temps-la, les traversées d 'Amérique

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étaient beaucoup plus longues que de nos j o u r s sur les paquebots à vapeur. Mais Mme de Ver -noux se sentit plutôt soulagée de ces moments de transition entre sa vie d'autrefois et celle, si nouvel le , qu 'el le allait trouver désormais .

Elle tâcha aussi, en causant avec sa fille, de l 'habituer par avance à tout ce qu'el le allait voir dans ce pays si opposé à celui qu'el le quittait. La nouveauté de cette vie amusait par moments Thérèse; mais elle avait instinctivement que lque chose de la répugnance de sa mère lorsqu'el le envisageait les habitudes si différentes qu'il lui faudrait prendre !

Le voyage lui assez heureux et sans incidents, et un malin, en montant sur le pont, Mme de Vernoux entendit le capitaine signaler l 'île Saint-Domingue, dont les côtes apparaissaient c omme une brume à l 'horizon.

Tout s'agita bientôt sur le navire, et chacun fai­sait les préparatifs pour le débarquement . Seule, Mme de Vernoux était péniblement impres ­sionnée, mais le cachait à sa tille. Enfin le navire entra en rade, et un grand nombre de petits canots s'avancèrent pour transporter à terre les passagers. — Thérèse regardait avec étonnement les matelots nègres qui conduisaient ces embar ­cations, voyant pour la première fois des noirs rassemblés en aussi grand nombre .

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8 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE L'un des canots aborda en ce moment le navire,

c l un liomme monta l'escalier qui conduisait au pont. Il paraissail avoir quarante-cinq ans en­viron, était grand, brun, avec des traits accen­tués et un air assez déterminé. Il avait le costume des planteurs de la colonie . Il adressa quelques mots au capitaine, qui lui désigna Mme de Vernoux, cl l 'étranger s'avança rapidement vers elle en lui tendant la main.

« Soyez la bienvenue, ma chère nièce, dit-il, dans ce pays que vous avez quitté depuis si long-temps, mais que vous aimerez bientôt, j ' e spère , c o m m e votre pays natal d'abord, puis, ajouta-t-il avec une expression de visage plus ouverte et agréable que celle qui lui était habituelle, parce que vous vous trouverez au milieu de cœurs amis qui se préparent à vous y rendre la vie douce et heureuse . . . . Et vous aussi, ma chère petite, dit-il en se tournant vers Thérèse à demi cachée derrière sa mère, vous avez des cousins qui attendent votre arrivée avec impatience, et j e vais vous conduire sans larder à noire habitation. »

Reconnaissante de cet accueil, Mme de Vernoux embrassa son oncle et, refoulant ses larmes, le remercia d'avance avec affection pour elle et p o u r sa f i l le .

En quelques minutes tous trois furent à

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terre; niais l'habitation de M. de Monrémy était à deux ou trois lieues de la côté, et une voiture, conduite par un cocher nègre, les attendait sur le r ivage.

Lorsqu'on se fut un peu élo igné du Cap-Haï­tien, lieu du débarquement, le sol devint cultivé, car on longeait les diverses plantations des co lons francais de cette partie de l ' île. On voyait au loin des groupes de nègres et de négresses travaillant dans des rizières et dans des plantations de cannes à sucre. Leurs costumes, leurs types, si différents de tout ce que Thérèse connaissait, lui donnaient une physionomie si étonnée, que son oncle souriait en la regardant. La petite n'osait pourtant pas encore le questionner c l se conten­tait d 'observer.

Les prairies couvertes d'un gazon épais et verdoyant, que lques bouquets de pins et des bois d 'acajous annoncèrent bientôt le voisinage d'une habitation, et M. de Monrémy leur dit en effet que dans peu de minutes ils seraient arrivés, l'eu a p r è s , la voiture s 'arrêtait devant un grand bâtiment, un peu bas c l ayant sur toute la lon­gueur de sa façade une véranda dont les co lonnes étaient entourées de feuil lages et de plantes o d o ­riférantes. Le toit, qui était plat, formait une sorte de terrasse.

Des serviteurs nègres se précipitèrent à l'arrivée

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de la voiture et, s 'emparant des malles et des paquets, se hâtèrent de transporter les bagages dans l 'intérieur de l 'habitation. L'un d'eux v o u ­lut aider la petite Thérèse à descendre, mais elle n'osait presque pas loucher les mains noires qui s e tendaient vers el le . Ces yeux brillants et ces dents blanches au milieu d'un visage d'ébène lui causaient une impression désagréable. Mais un regard de sa mère l'aida à dominer cette répulsion, qu'el le sentait d'ailleurs n'être pas raisonnable.

M. de Monrémy monta les marches du perron cl introduisit sa nièce dans la galerie vitrée qui servait de vestibule.

Au même moment s'ouvrit une grande porte donnant dans celle galerie, et Mme de Monrémy, suivie de ses deux enfants, s'avança vers Mme de Vernoux. Elle était brune et avait la démarche un peu languissante de la plupart des créoles . Sa f igure, agréable, au premier abord, manquait cependant de physionomie et gardait toujours la même expression terne et presque indifférente.

Elle reçut néanmoins sa nièce avec amabilité et eut même pour Thérèse des manières affec­tueuses qui auraient achevé de mettre celle-ci tout à l'ail à son aise, si la présence de ses deux cousins ne l'eût un peu effarouchée. Ni l'un ni l 'autre ne ressemblait aux enfants que Thérèse

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avait vus jusque- là . Le garçon, qui avait l'air d'avoir treize ou quatorze ans, était très grand, mais gros en proportion ; et son air plus que dé ­cidé, la manière dont il regardait sa cousine avec une expression à la fois étonnée et un peu d é ­daigneuse, n'étaient pas faits pour rassurer la pauvre petite. Aussi répondit-el le à peine quand il lui dit bon jour , et el le s 'empressa de s 'avancer du côté de sa cousine.

Celle-ci en effet lui semblait bien plus agréable que son frère, et cependant c'élail une singulière petite l i l le! Assez petite pour ses onze ans, et plutôt maigre, avec son teint brun, des cheveux très noirs , el le n'était pas j o l ie du tout ; mais, quand on voyait son expression ouverte et franche, on se sentail attiré vers el le , malgré ses allures brusques et un e n s e m b l e d e manières qui lui donnaient un peu l'air d'un g a r ç o n ; ses c h e ­veux, c o u p e s courts par suite d'une maladie, complétaienl cette ressemblance .

Ce fut el le qui parla la première à Thérèse : elle lui prit tout à coup la main pendant que les grandes personnes se dirigeaient en causant vers le salon, et lui dit avec un peu de brusquer ie , mais d'un ton où l'on sentait de la b o n t é :

« Ma cousine Thérèse, nous ne vous connais ­sons pas encore , mais vous savez que nous sommes très contents, Ernest et moi , que vous

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12 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE soyez arrivée. Nous n'avons aucun ami ici, et à force d'être toujours tous les deux ensemble , nous finissons par nous ennuyer . Aussi j e suis bien contente que votre maman vous ait amenée et j e suis décidée à vous aimer beaucoup, et Ernest aussi. N'est-ce pas, Ernest?

E R N E S T .

Certainement.. . si elle se trouve contente ici. Mais.. . elle n'en a pas trop l 'air!

G A B R I E L L E .

Ce n'est pas étonnant, elle vient seulement d'arriver. . . . J'aime beaucoup sa figure, au con ­traire : elle n'a pas l'air g rognon du tout, et j e suis enchantée d'avoir une nouvel le petite amie . Vous verrez, Thérèse, que vous vous habituerez très bien à notre pays, et nous vous ferons voir toutes sortes de choses qui vous amuseront c o m m e nous !

T H É R È S E .

Oh! j e suis contente aussi de vous connaître, et maman m'a déjà beaucoup parlé de vous . Seulement votre pays n'est pas du tout c o m m e le nôtre : ces gens noirs m e font un si drôle d'effet que j e n'oserai pas leur parler c o m m e à nos domestiques de France, j e c ro i s ! . . . Est-ce qu ' i ls comprennent le français?

E R N E S T .

Oh ou i ! et on les comprend, quo ique beaucoup

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DÉPART POUR SAINT-DOMINGUE 13 d'entre eux parlent très mal : ce n'est pas éton­nant, car ils sont si bêtes ! Mais n'allez pas vous gêner avec eux : on leur fait faire tout ce qu ' on veut, vous savez !

G A R R 1 E L L E .

Ils sont même très c ommodes , car ils savent bien qu'i ls sont punis quand ils n 'obéissent pas ! . . . Par exemple , vous devez les trouver bien laids, vous qui n'êtes pas habituée à des nègres?

T H É R È S E .

C'est vrai que leur peau noire me dégoûte un peu . . . . Mais pourtant ils n 'ont pas l'air m é ­chants, et ce n'est pas leur faute, à ces pauvres gens , s'ils sont c o m m e ce la ! . . . J'ai m ê m e peur que le pauvre nègre qui a voulu m'aider à des ­cendre de voilure ne se soit aperçu que j e m e suis reculée pour qu'il ne me touchât pas !

E R N E S T , ricanant.

Ah! par exemple , si vous croyez qu'i ls c o m ­prennent ces choses - là ! Je vous dis qu'il ne faut jamais l'aire attention à eux. »

Thérèse, un peu étonnée de ce qu 'el le enten­dait, allait lui répondre, lorsque leur conversa­tion fut interrompue par leurs parents qui les appelaient du salon, où les enfants n'étaient pas entrés, pour mener Thérèse et sa mère dans leurs chambres .

Ils suivirent Mme de Monrémy, qui les conduisit

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dans un petit appartement préparé pour elles. 11 était composé de deux chambres et d'une petite pièce servant de salon, et parfaitement meublé , quo ique d'une tout autre façon qu'en Europe .

On laissa alors Mme de Vernoux et sa fille se retrouver seules un instant, après celle p r e ­mière entrevue avec des parents encore, si étrangers pour elles.

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II Thérèse et les nègres

Lorsque Mme de Monrémy et ses enfants se furent é lo ignés, Thérèse regarda sa mère .

« C o m m e vous avez l'air triste, ma pauvre maman! Je croyais que vous seriez un peu contente de retrouver mon oncle , qui vous avait tant demandé de revenir dans ce pays-ci.

M A D A M E D E V E R N O U X .

Je suis en effet touchée de l'accueil affectueux qu'il nous a l'ail, mon enfant ; et si j e suis triste, c'est parce que j 'ai des souvenirs qui me l'ont de la peine au m o m e n t où j e commence une vie si nouvel le .

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16 THÉRÈSE À SAINT-DOMINGUE T H É R È S E .

EL moi j e ne me sens pas non plus à m o n aise ici ! On est très bon pour moi ; mais j e vois tant de choses si extraordinaires, et mes cousins ont une si s ingul ière manière de dire, que j e ne sais que leur répondre !

M A D A M E D E V E R N O U X .

Que t'ont-ils dit de si s ingulier? T H É R È S E .

C'était à propos des nègres. Je ne les aime pas b e a u c o u p ; mais mes cousins ont l'air de dire qu ' ils ne comprennent pas les choses comme nous autres; et pourtant ils sont tout à fait des hommes c o m m e nous , n'est-ce pas, inaman,

malgré leur vilaine peau noire? M A D A M E D E V E R N O U X .

Certainement, mon enfant, et l'on n'a pas le droit de les traiter autrement que les d o m e s ­tiques que lu as vus en France, quo ique Dieu leur ait cependant donné en général moins d ' in­telligence qu'aux blancs. Mais ils ont souvent beaucoup de cœur, sont capables de s'attacher à ceux qui leur l'ont du bien, et leurs bonnes qualités remplacent alors chez eux l 'intel­l igence qui leur manque, et les rendent très dévoués , bien plus même souvent que ne le seraient des domestiques blancs moins bons qu 'eux .

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T H É R È S E .

Je suis bien aise que vous me disiez cela, maman, puisque nous devons être servies par ces nègres , et j e tâcherai de m'habituer à leur vilaine couleur . »

A ce m o m e n t on frappa à la porte, et une négresse entra. Son costume ne différait pas beaucoup de celui des servantes ordinaires ; mais elle était coiffée d'un mouchoir à carreaux voyants, tourné assez grac ieusement autour de la tête.

« Madame m'a envoyée ici pour servir vous , ma nouvelle maîtresse, dit-elle à Mme de Vernoux.

— A h ! c'est vous , ma brave femme, qui allez être chargée de notre service? »

Et Mme de Vernoux considéra avec attention la personne qui allait être si souvent occupée auprès de sa petite Thérèse. C'était une femme qui paraissait avoir de trente à trente-cinq ans. Quoiqu'elle eût les traits déformés particuliers aux noirs , son regard doux et sa physionomie ouverte lui enlevaient toute apparence désa­gréable. Elle se mit immédiatement à ouvrir les malles qui encombraient la chambre , et commença à tout déballer et à tout ranger avec une adresse et un soin qui surprirent agréa­blement Mme de Vernoux. Thérèse, qui , depuis

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18 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE l 'entrée de la négresse , n'avait cessé de la regarder, semblait étonnée de la voir agir c o m m e l 'eût fait une Française. Cependant elle ne pouvait encore se faire à l 'idée que ces grandes mains noires allaient la toucher et toucher ses affaires, et elle commença à déballer e l le -même une petite caisse contenant les objets qu'elle aimait le mieux, et qu'elle avait voulu emporter en quittant la France.

Elle en avait rangé une p a r t i e sur une petite étagère placée dans sa. chambre , lorsque la négresse, voyant qu'elle avail de la peine à s o u ­lever seule certains objets, s 'approcha d'elle pour l'aider. Sa grande bouche avail un si bon sourire pendant qu'elle regardait Thérèse, que celle-ci sentit tout de suite diminuer sa répugnance , et elle accepta les services qu'on lui offrait. Peu à peu, elle se mit m ê m e à parler à la négresse.

T H É R È S E .

Vous êtes très adroite eL vous m'aidez beau­coup : c omment vous appelez-vous?

L A N É G R E S S E .

On m'appel le Chloé. T H É R È S E .

Est-ce que vous vous occupiez de mes cousins avant notre arrivée?

C H L O É .

Oui, avec les autres noirs.

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THÉRÈSE ET LES NÈGRES 19 T H É R È S E .

Mais alors cela vous l'ait de la peine de ne plus les servir?

C I I L O É , vivement. Oh n o n ! n o n ! Eux sont difficiles, cl le petit

maître Ernest est toujours fâché, et fait punir si souvent nous autres pauvres nègres !

T H É R È S E , étonnée. Comment? Qu'est-ce qu'i l peut vous faire?

C H L O É .

Il dit à Monsieur m ê m e des choses pas vraies ; Monsieur croit tout et nous fait battre par le c o m ­mandeur, ou bien pas donner assez à manger .

T H É R È S E .

Ah! mon Dieu! Comment Ernest peut-il faire cela !... Je suis bien contente alors qu 'on vous ait envoyée près de nous , ma pauvre Chloé, car jamais maman ne vous fera gronder , j ' en suis sûre, et j e trouve que vous avez l'air très bon !

C H L O É , touchée.

Oh! c'est vous , bonne petite maîtresse, qui serez bonne pour la pauvre Chloé! Moi j e ferai toujours tout ce que vous voudrez . »

Elles rangèrent encore quelques minutes après ces paroles , lorsque le son d'une petite c loche se lit entendre.

« Qu'est-ce que c'est que cela? demanda Thérèse.

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20 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

— C'est pour le déjeuner; il faut que ma petite maîtresse aille avertir Madame de descendre, car le maître n'aime pas à attendre. »

Thérèse courut donc avertir sa mère; et toutes deux, achevant promptement leur toilette, se firent conduire à la salle à manger par la négresse.

C'était une pièce longue , en forme de galerie , et qui donnait vue par plusieurs fenêtres sur la véranda. Cette salle, c omme il est d'usage dans ces co lonies , était la plus importante de l 'habi­tation et servait de lieu de réunion après les repas, surtout pour les hommes de la famille. Aussi était-elle très ornée ; elle avait des meubles et des canapés entre les buffets et les étagères d'acajou. Les murs étaient décorés d'oiseaux empail lés aux couleurs éclatantes, de singulières têtes d 'animaux à cornes particuliers au pays, et d'une foule d'objets artistiques absolument nouveaux pour Thérèse. Mme de Vernoux e l le -même ne put retenir une exclamation de surprise et d'admiration en franchissant la porte. M. de Monrémy, qui les attendait, lui dit en souriant :

« Je vois, ma chère nièce, à vos regards éton­nés, que vous avez à refaire complètement c o n ­naissance avec notre Saint-Domingue, et nous aurons grand plaisir à vous rappeler tant de s ou ­venirs , trop é lo ignés , de votre enfance.

— Il est vrai que tout me semble aussi nouveau

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THÉRÈSE ET LES NÈGRES 21 qu'à ma fille, et j 'admirerai autant qu 'el le tant de choses si bel les et intéressantes qui nous entourent ici. »

La porte opposée de la galerie s 'ouvrit alors, et Mme de Monrémy entra, suivie de ses enfants.

M. de Monrémy sonna : plusieurs nègres pa ­rurent, apportant différents plats. On se mil à table, et Thérèse fut placée près de sa cousine . Tout à coup Gabrielle, regardant derrière elle, s'écria :

« Tiens! Phillis n'est pas ici? Je ne veux pas qu'elle s'habitue à me faire attendre. . . . Ernest, envoie vile César la chercher. »

Aussitôt, sans attendre d'autres ordres, un négril lon d 'une douzaine d 'années, que Thérèse venait de remarquer, s'élança hors de l 'appar­tement et ramena presque immédiatement une petite négresse un peu plus jeune que lui, cl tous deux se placèrent debout, derrière les chaises des enfants.

« Je n'entends pas que lu sois inexacte, Phil l is ; et la première fois que cela t'arrivera encore , j e le ferai fouetter.

— En attendant, voilà pour elle », ajouta Er ­nest en frappant la pauvre négri l lonne.

Thérèse fit un mouvement d' indignation, et regarda son oncle et sa tante, pensant qu 'on allait gronder Ernest de sa brutalité. Mais ni

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22 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE l 'un ni l 'autre ne parurent s 'émouvoir , et Ernest se mi l tranquil lement à manger .

Thérèse regarda d'un air de compassion Phillis, qui restait immobi le , mais dont les yeux s'étaient remplis de larmes. Du reste, dès ce premier repas elle put déjà remarquer que les nègres qui faisaient le service niellaient un e m p r e s ­sement presque craintif à exécuter les moindres ordres .

Les mets étaient à peu près ceux de France ; mais à la fin du déjeuner on passa un mélange d'eau, de rhum et de jus de citron, sucré : c'était une boisson très rafraîchissante et en usage dans ces pays chauds : Thérèse l 'entendit appeler du swizzle.

En se levant de table, on sortit sous la vé ­randa, d'où l'on voyait au loin des bandes de nègres travaillant dans des champs de maïs et dans des rizières.

Le soleil «Mail ardent, Thérèse s'écria : « Oh ! que ces pauvres gens doivent avoir

chaud. . . et ils ont la tête nue ! — Ils font là, en effet, un dur métier, reprit

Mme de Vernoux, et j e m'étonne m ê m e qu' i ls n'aient pas d' insolation.

— Oh! ma chère, dit M. de Monrémy, vous avez oublié la vie des colonies et le tempé­rament de nos nègres : habitués dès l 'enfance à

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THÉRÈSE ET LES NÈGRES 23

avoir toujours la tête découverte , ils s 'endur­cissent si bien, qu'i ls ne ressentent plus c o m m e nous les effets de la température.

— Et puis, ajouta Mme de Monrémy de son air languissant, leur affreuse toison crépue a au m o i n s l 'avantage de les garantir complètement , et j e vous assure que vous seriez vraiment trop bonne de les plaindre pour cela.

— D'ailleurs, dit M. de Monrémy, on inter­rompt les travaux pendant l 'heure la plus chaude de la j ournée ; et voici la cloche qui leur annonce deux h e u r e s de repos.

— Et où vont-i ls aller pendant ce temps? demanda Thérèse.

— Dans leurs cases, où ils vont en m ê m e temps manger , lui répondit Ernest.

— Est-ce bien loin d'ici? demanda Thérèse. — Oh! pas du tout : lu ne vois pas cette rangée

de petits toits, là-bas? C'est là qu'i ls habitent. — Est-ce que j e pourrais y aller, m a m a n ? dit

T h é r è s e à sa m è r e . T o u l e s ces m a i s o n s ont l'air

si petites, si drô les , que cela m'amuserait de les voir de près .

— Si tes cousins peuvent t'y conduire , j e n'y vois pas d ' inconvénient.

— C'est cela, a l l ons ! dil Gabrielle, entraînant vivement Thérèse ; j e vais tout lui montrer, ce sera très amusant.

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24 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

— Pas déjà tant! reprit Ernest d'un Ion m a u s ­sade, tout en les suivant lentement ; et quand elle aura vu ces sales noirs , elle n'aura plus tant envie de les approcher . »

Les trois enfants se trouvèrent bientôt au milieu des habitations des nègres . De chaque côté d 'une vaste cour plantée de grands arbres s 'élevaient une vingtaine de petites huttes, construites moit ié en terre, moitié en bo is , et bâties t o u t e s s u r le m ê m e m o d è l e . Au fond, un

bâtiment plus haut et plus large constituait l'habitation du commandeur, ou surveil lant des nègres . De vieilles négresses allaient c l venaient devant ces cases, et des négri l lons de tout âge se roulaient à terre en jouant entre eux. Les plus petits n'étaient vêtus que de quelques lam­beaux d'étoffe de couleur .

Thérèse regardait ces singulières habitations. « Je voudrais bien entrer dans une des cases,

dit-elle tout bas à Gabrielle, mais je n'ose pas aller seule chez ces nègres .

— Ce n'est toujours pas moi qui t'y accompa­gnerai , dit Ernest, qui avait entendu sa phrase ; ils sont sales, et cela sent mauvais chez eux. »

Gabrielle partageait la. répugnance de son frère; mais elle se sentait ébranlée par le désir de faire plaisir à sa cousine , lorsqu 'une négresse s'avançant vers eux vint la tirer d 'embarras.

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THÉRÈSE ET LES NÈGRES 25 « Tiens ! c'est Chloé ! s'écria j oyeusement Thé­

rèse. Comment vous trouvez-vous ici? — Je viens voir ma tille, petite maîtresse ; elle

demeure ici dans la troisième case avec ma mère , et quand j 'ai fini m o n service, j e viens la voir .

— Mais vous demeurez à la maison, et pas dans cette petite case? lui demanda Thérèse. Pourquoi votre petite fille ne demeure-t-el le pas avec vous?

— Oh! le maître ne voudrait pas, dit vivement Chloé, et Yola ne doit jamais entrer clans la mai­son des maîtres !

— Il ne manquerait plus que cela, en effet! interrompit Ernest d'un air dédaigneux : c'est déjà bien assez de supporter si près de nous les noirs qui peuvent nous servir ! »

Chloé ne répondit r i en ; mais pour la consoler de celte brusquerie de son cousin, Thérèse s'avança près de la petite Yola, qui s 'approchai. de sa mère .

« Elle est gentil le et a l'air très douce , dit-elle. Quel âge as-tu, Yola?

— Huit ans, dit à voix basse la négri l lonne. — Qu'est-ce que vous mangiez donc quand

nous sommes arrivés? — De la farine de maïs . — Mais cela a l'air d'un gâteau! Qu'est-ce

qu 'el le mange avec cela, Chloé?

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26 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

— Pas autre chose, petite maîtresse. C'est le repas de midi .

— Pauvre petite ! c o m m e elle est mal nourr i e ! s'écria Thérèse. Quand j e pourrai , j e lui a p p o r ­terai d'autres choses mei l leures à manger , Chloé.

— Oh n o n ! dit v ivement Chloé à voix basse en se penchant vers Thérèse tandis que les autres enfants s'étaient un peu élo ignés, j e serais bat­tue et pauvre petite Yola chassée !

— Mais pourquoi cela, si c'est moi qui le lui donne? demanda Thérèse étonnée.

— Parce que les noirs ne doivent pas manger c o m m e les blancs. . . . Vous ne savez pas encore cela, petite maîtresse, parce que V O U S ne con­naissez pas le pays. Mais vous verrez . . . . Les pauvres nègres ne sont pas heureux! » Et elle s 'éloigna vivement, emmenant sa fille clans sa hutte. Thérèse la suivit jusqu 'au seuil de la porte, et là s'arrêta étonnée.

L'habitation ne comprenait qu 'une seule pièce, dont l 'ameublement parut étrange à Thérèse. En fait de lits, deux nattes grossières jetées à terre et recouvertes d'une étoile de laine c o m m u n e . Deux ou trois escabeaux de bois dans un co in ; et, c o m m e ustensiles de cuisine, des calebasses et gourdes de différentes tailles suspendues au m u r . Des ornements bizarres tapissaient la p lus grande partie de celle pièce : des guirlandes de

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Thérèse s'avança près de la petite Yola.

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cosses de pois ronges et jaunes et des gousses de poivre enfi lées; des peaux de bêles accrochées à la murai l le : le tout entremêlé de paquets d'herbes de diverses espèces.

« A quoi servent ces espèces de vases creux qui n'ont pas l'air d'être en bois? demanda Thérèse à Chloé, après un instant de si lence.

— C'est pour mettre les choses que nous mangeons , répondit la négresse .

T H É R È S E .

Mais les assiettes et les plats sont bien plus c o m m o d e s ?

C H L O É .

Oh oui ! mais c'est trop beau pour les noirs , et ils ne peuvent en avoir.

T H É R È S E .

Et où trouvez-vous ces drô les de vases? C H L O É .

Ce sont des calebasses : c 'est fait avec l 'écorce de gros fruits : on creuse l ' intérieur du fruit, qui ressemble à une espèce de citrouil le , c o m m e f o r m e ; puis, quand il n'y a plus rien à l'inté­rieur, on fait sécher l 'écorce et on a des vases c omme ceux- là .

T H É R È S E .

Ce n'est pas bête du tout d'avoir trouvé cela, puisqu'on ne veut pas vous donner d'autres choses , pauvres nègres ! . . . Et pourquoi avez -

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30 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

vous tous ces oiseaux empail lés, ces peaux de bêtes suspendues? . . .

C H L O É , tristement. Tout cela, c'est la chasse de m o n pauvre mari ,

Marco! Tous les nègres gardent ce qu' i ls ont pu prendre à la chasse et ils sont contents quand ils regardent ces souvenirs dans leurs cases ; mais lui ne voit plus tout cela : il est mort .

T H É R È S E , d'un air de compassion. Oh! ma pauvre Chloé! vous êtes seule main­

tenant?.. . Et Yola n'a plus de papa : c'est c o m m e m o i ! »

Et la pauvre enfant, pensant à son père, se mit à pleurer . Yola, qui avait tout écouté en silence, voyant Thérèse pleurer et comparer son malheur au sien, sentit qu'el le n'avait pas devant elle une maîtresse froide et dure c o m m e celles auxquel les elle était habituée. S'approchant timidement de la petite étrangère, elle osa lui prendre la main et la baisa doucement .

Ce mouvemenl spontané toucha vivement Thérèse, qui, oubliant sa répugnance instinctive pour les noirs , se pencha vers la petite négresse et l 'embrassa. Si à ce moment elle avait levé les yeux sur Chloé et si surtout elle avait pu deviner le sentiment de bonheur et de reconnaissance éprouvé par la pauvre femme en présence de celle marque d'affection si inusitée de la part

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THÉRÈSE ET LES NÈGRES 31 d'un blanc envers un nègre , elle aurait clé aussi heureuse d'avoir fait cette action si s imple en apparence que de tout autre grand acte de charité.

Saisissant à son tour la main de Thérèse, Chloé la porta à ses lèvres, et murmura d'une voix émue :

« M e r c i , o h ! merc i ! ma petite maîtresse ! Chloé et Yola seront toujours, toujours à vous . »

A ce moment Thérèse s'entendit appeler par ses cousins , et Ernest lui cria :

« Viens donc vite, ma cous ine ! qu'est-ce que lu fais si l ongtemps dans celle vilaine case? Il va se passer ici que lque chose de bien plus intéressant : viens voir. »

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III

Y o l a

Thérèse, en rejoignant ses cousins , remarqua un mouvement inusité dans la grande cour . Le surveillant des nègres était sorti de sa demeure , et allait et venait d'une case à l 'autre. Thérèse remarqua qu' i l faisait sortir de chaque case les négri l lonnes qui s'y trouvaient, sauf les toutes petites, et il les rangeait en l igne dans la cour .

« Qu'est-ce qu 'on va donc leur faire? demanda Thérèse à Gabrielle.

— Un ami de papa qui demeure dans une plantation voisine a envoyé son commandeur

3

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34 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE pour acheter une de nos petites négresses , et il va venir choisir tout à l 'heure celle qu' i l voudra .

— Comment ! s'écria Thérèse, on l ' e m m è ­nera a lors? . . . Mais ses parents ne la laisseront pas partir?

— Il faudra bien, dit Gabrielle, si papa la donne .

— Mais ils voudront , bien sûr, la garder ! reprit v ivement Thérèse.

— Qu'est-ce que cela ferait? répl iqua Ernest : ils seront bien obl igés d'obéir, et ils savent bien ce la . . . . D'ailleurs ils y sont habitués. A h ! mais j ' y pense . . . . Tu sais b ien , Gabrielle, que maman nous avait dit que Thérèse pourrait avoir aussi une petite négr i l lonne c o m m e la tienne pour l 'amuser, si elle le veut ; et il faudrait peut-être qu 'e l le en choisît une bien vile avant qu'on ne les examine, pour qu 'on puisse la lui réserver.

— Tiens, c'est vrai ! répondit Gabrielle. En veux-tu une tout de suite, Thérèse? j e vais l'aider à la choisir .

— Moi! s'écria Thérèse d'un air indigné, moi forcer une pauvre petite fille à me suivre et à faire tout ce que j e veux? . . . Je ne le voudrais jamais , ni maman non p lus , j ' en suis sûre ! »

Gabrielle, étonnée, allait lui répondre , lorsqu 'on entendit des pleurs et des cris partir de différentes cases. Regardant de ce côté, Thérèse vit bientôt

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YOLA 35 que lques négresses tout en larmes paraître sur le seuil de leurs portes, se tordant les mains avec désespoir et tendant les bras vers les enfants assemblées dans la cour , mais sans paraître oser en approcher .

« Oh ! les pauvres femmes ! s'écria Thérèse, don I les yeux se remplirent de larmes. Je vous disais bien qu 'e l les seraient déso l ées !

— C'est vrai, dit Gabrielle d'une voix un peu émue . Je n'aime pas non plus à voir cela, et si tu veux, nous al lons nous en aller. »

Et elle s 'éloignait déjà, entraînant sa cousine , lorsque Thérèse vit le commandeur Smith (un Américain) sortir de la case de Chloé, tenant par la main Yola qui sanglotait! Des gémissements partaient de l ' intérieur de la maison, et l 'on vit presque aussitôt paraître Chloé, dont la douleur semblait si grande qu'el le pouvait à peine se tenir debout , Elle essaya malgré cela de suivre sa tille, mais un geste impérieux du commandeur l 'arrêta! En un instant Thérèse fut auprès d 'el le .

« Oh! ma petite maîtresse, murmura la pauvre Chloé à travers ses sanglots , on emmène Yo la ! . . . Et si c'est elle qu 'on chois i t ! . . . Oh! m o n Dieu!

— Comment ! s'écria Thérèse très é m u e , on pourrait aussi la prendre , et vous ne la verriez p l u s . . . . Oh! pauvre Chloé ! c'est affreux! Que faire pour la garder?

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36 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE — Rien, gémit la malheureuse négresse ; pu is ­

que la petite maîtresse Gabrielle n'en a pas besoin, si le maître le veut, elle partira! »

En entendant ces paroles , une idée subite tra-versa l'esprit de Thérèse .

« Attendez! dit-el le , j e crois que j e vais pouvoir vous la garder. »

Et elle partit c o m m e une flèche dans la direction de l 'habitation.

Ernest et Gabrielle, étonnés de ce départ subit, la suivirent machinalement de loin. Ils n'avaient pas fait la moitié du trajet, lorsqu' i ls la virent revenant vers eux, tenant sa mère par la main, et suivie de M. de Monrémy. Thérèse les entraî­nait rapidement.

« Où as-tu donc couru ainsi? lui demanda Ernest.

— Oh! j e suis si contente, Ernest ! Mon oncle a bien voulu laisser Yola ici pour qu'el le me serve avec sa mère !

— Mais lu n'en voulais pas tout à l 'heure ! reprit Ernest étonné.

— C'est que j e ne savais pas que cela l ' empê­cherait de partir. . . . Mais dépêchons-nous, maman, d'aller dire cela à la pauvre Chloé ! »

Et elle courut en avant du côté des cases. La première chose qu 'e l le aperçut dans la cour

fut le commandeur étranger qui causait avec

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Yola sanglotait.

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YOLA 39

celui de son onc l e ; et au m ê m e m o m e n t Chloé se précipitait vers e l le .

« Oh! si vous pouvez la sauver, lui cria-t-elle en devinant une bonne nouvel le à l'air radieux de Thérèse, dépêchez -vous , ma petite m a î ­tresse! . . . L'autre commandeur est arr ivé !

— N'ayez pas peur, Chloé! Yola ne partira pas : j e l'ai demandée à mon oncle pour moi , et c'est pour vous la laisser ! »

La pauvre négresse resta immobi le : elle ne pouvait croire aux paroles de la petite, et regar ­dait avec anxiété M. de Monrémy, qui s'avançait à ce moment vers son commandeur .

« Mon cher Smith, lui dit-i l , avant de laisser l'aire un choix, faites sortir des rangs la fille de la négresse Chloé : ma nièce la désire et j e veux la lui donner . »

Le commandeur , un peu surpris , s 'inclina, tout en disant à mi -vo ix : « C'était cependant la plus avantageuse! » Mais, n'osant insister, il prit la main de la petite Yola, qui tremblait toujours, et, la repoussant rudement , lui dit avec brusquerie :

« Eh b ien ! va - t ' en ! Tu n'as plus rien à faire ici. »

En une seconde Chloé l 'eut enlevée dans ses bras et emportée dans le fond de sa case c o m m e un trésor retrouvé ! Thérèse l'y suivit, et, après le premier m o m e n t de transport, lanière se mit à

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40 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

genoux devant el le , lui couvrit les mains de baisers en la remerciant par des mots entre­c o u p é s ! Puis, amenant la peli le Yola devant T h é ­rèse, elle lui dit :

« Yola, lu vois cel le peli le maîtresse? C 'est elle qui t'a sauvée, qui t'a laissée à moi : tu vas l 'aimer toujours, et jamais lu n 'oublieras ce qu 'e l le a fait aujourd 'hui pour n o u s !

— Oh o u i ! je l 'aime, e l l e ! » s'écria Yola p l e u -rant encore , mais celle l'ois de jo ie ; cl elle se mit à embrasser les genoux de Thérèse, émue e l le -même de ce qui se passait .

Mme de V e r n o u x , tout en regardant de loin cel le scène louchante, était resiée près de son o n c l e ; car l 'angoisse peinte sur le visage des autres pauvres négresses dont les enfants étaient exposées au sort cruel , avait louché son cœur maternel, et elle ne put s 'empêcher de dire tout bas à son oncle :

« S'il est nécessaire qu 'une de ces pauvres enfants parle d'ici, n'y aurait-il pas au moins parmi elles que lque orphel ine , dont le départ ne causerait pas des regrets aussi déchirants?

— Si fait; il y en a bien deux ou trois dans le n o m b r e ; mais l 'usage, ma chère nièce, est de laisser le choix à la personne qui vient faire l'affaire.

— Ne pourrait-on parfois déroger à ces tr is -

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YOLA 41 les coutumes? Car alors j e vous demanderais de compléter le bonheur que vous venez de faire à ma petite fille en empêchant qu'il soit troublé par la douleur d 'une autre pauvre mère moins heureuse que Chloé. »

Quoique M. de Monrémy trouvât évidemment cette sensibilité bien exagérée, il ne voulut pas opposer à sa nièce, dès le j o u r de son arrivée, un refus qui l 'aurait c h o q u é e ; il intervint donc dans la délibération entre les deux c o m m a n ­deurs pour qu 'on ne vendit qu 'une des petites négresses privées de leurs proches parents.

Mme de Vernoux eut même la consolation, avant de s 'éloigner, de s 'assurer, en questionnant le nouveau maître de la négri l lonne cho is ie , qu 'el le ne serait ni plus maltraitée ni plus m a l ­heureuse dans la plantation voisine que dans celle-ci.

Thérèse put donc se réjouir sans arrière-pensée et el le demanda la permission d'aller installer Vola avec sa mère dans l 'habitation. Elle marchait j oyeusement , tenant par la main sa nouvel le petite protégée , et Chloé suivait, encore trem­blante de tant d 'émotions diverses.

Toutes trois montèrent par un petit escalier dé-robé dans une partie de l'habitation que Thérèse ne connaissait pas encore , et où logeaient les d o -mestiques noirs employés au service des maîtres.

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42 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE La cel lule occupée par Chloé était pauvrement meublée , et ne contenait qu 'un lit et un escabeau de bois !

« Oh! c o m m e vous êtes mal l ogée , Chloé ! s'écria Thérèse, vous n'aurez m ê m e pas la place de mettre un lit pour Yo la .

— Ça ne fait rien, pelile maîtresse; Yola cou ­chera avec moi : nous serons toujours bien e n ­semble .

— Mais où mettra-t-elle ses vêtements? il n'y a pas d ' a r m o i r e .

— Avec les miens , dans ce petit coffre-là.. . . par terre. J'irai chercher ses affaires restées là-bas, dans la case : il ne faudra pas beaucoup de place. »

Thérèse ne dit rien, mais elle se promit bien, intérieurement, d 'orner un peu mieux la chambre de la pauvre Yo la ; et pendant que Chloé était retournée à la case, elle emmena dans sa chambre la négri l lonne, qui , immobi le , regardait avec admiration tous les objets placés sur son éta­g è r e ; et, remarquant que Yola admirait particu­l ièrement un tout petit service à thé, elle lui dit :

« Tu comprends que ces tasses si petites ne sont pas pour m o i ; mais c'est pour ma poupée . »

Et c o m m e la négri l lonne ne semblait pas la croire, elle la conduisit devant le petit berceau où était couché le gros bébé qu'el le avait apporté de

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YOLA 43 France. Yola, qui n'avait jamais vu de poupée , restait ébahie, n'osant approcher .

« C'est votre petit frère? » d e m a n d a - t - e l l e enfin tout bas à Thérèse .

Celle-ci partit d'un éclat de rire. « Mais n o n ! dit-elle, c'est un bébé pour r ire . . . .

Il n'est pas vivant; regarde , . . . touche- le . » Et, prenant la poupée , elle la mit dans les bras

de Vola, dont la j o i e fut telle, qu 'e l le resta sans remuer ni parler, et dévorant des yeux l 'objet qu 'el le tenait.

T H É R È S E .

Tu n'as donc jamais eu de poupée , puisque lu as l'air si étonnée? Pourtant ma cousine Gabrielle en a, et tu as dû les voir?

Y O L A , timidement. Oh! moi , j amais ! On me défendait d'entrer ici.

Phillis m'avait dit ce la ; mais j e ne savais pas que c'était beau c o m m e un enfant !

T H É R È S E .

C'est que la mienne est très grosse , lu vo is . Cependant il y a des poupées bien plus petites, et très jo l ies tout de m ê m e . . . . Tiens, regarde cette petite-là; c omment la trouves-tu?

Y O L A .

Oh! si j o l i e ! Et habillée c o m m e une petite maî ­tresse, . . . une belle robe rose , et des petits sou ­l iers !

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44 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

T H É R È S E .

Eh bien, si lu l 'aimes, j e pourrai le la prêter ; et lu pourras la porter dehors pendant que j e porterai, moi , m o n gros bébé . Prends-la, el nous allons nous promener . »

El elle posa la petite poupée dans les bras de la négri l lonne, ravie, qui la portait avec des précautions infinies en suivant Thérèse .

En arrivant sur la terrasse, elles trouvèrent Gabrielle, qui sortait aussi de l 'habitation.

G A B R I E L L E .

Comment, Thérèse, lu laisses la négresse t o u ­cher à la jo l ie poupée? Elle va la tenir très mal et te l 'abîmer!

T H É R È S E .

Elle la lient si bien, au contraire, qu'il n'y a pas de danger qu 'elle la laisse t o m b e r ; et elle est si contente que cela fait plaisir à vo i r !

G A B R I E L L E .

Tant mieux pour lo i ! Mais tu as de la chance si la poupée n'attrape rien, car ces nègres sont si maladroits ! Tu ne les connais pas e n c o r e , mais tu verras ! . . . Puisque lu as ton bébé, j e vais chercher aussi le mien : maman disait que j 'étais trop grande , et ne voulait pas m'en donner celte année ; niais je l'ai tant priée qu'e l le m'a encore acheté celui - là . Attends-moi un instant. »

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YOLA 45

Et elle rentra dans la maison, d 'où elle revint bientôt avec sa bel le poupée neuve .

Elles s 'acheminèrent vers un petit bois de tamarins, à peu de distance de l 'habitation, et Thérèse s'écria en y entrant :

« Oh! quel jo l i b o i s ! quels beaux arbres ! . . . G A B R I E L L E .

Et il y a un petit étang où nous al lons souvent , Ernest et moi , pêcher des tortues : c'est très amusant.

T H É R È S E .

Comment, des tortues? Il n'y en a que dans la mer , c l elles sont trop grandes pour remonter les ruisseaux, il me semble?

G A B R I E L L E .

Ce sont des tortues d'eau douce , très petites et qui ont des écailles mol les : elles sont très bonnes à manger , lu le verras.

— 11 me semble qu 'on entend parler, reprit Thérèse en prêtant l 'orei l le .

— C'est jus tement la voix d'Ernest, s'écria Gabrielle au bout d'un instant. Je parie qu'i l est précisément en train de pêcher des tortues. . . . Al lons voir. »

Et elle courut , suivie des autres enfants, à travers le petit bo i s . Deux minutes après, elles étaient au bord d 'une petite pièce d'eau et en pré­sence d'Ernest qui avait César et Phillis derrière

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46 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

lui. Ernest tenait une pêchette, et César acheva il d'en préparer une autre, tandis que Phillis tenait un panier.

G A B I U E L L E .

Eh bien, Ernest, pourquo i ne nous as-tu pas appelées pour pécher avec toi?

E R N E S T .

Parce que vous auriez fait trop de bruit en cau­sant et que cela aurait empêché les tortues d 'ap ­procher . On ne peut pas être si nombreux p o u r pécher !

G A B R I E L L E .

Tu aurais pu alors le contenter de César et ne pas m'ennnener Phillis, dont j 'aurais pu avoir besoin. . . Je le défends, Phillis, de recommencer à suivre d'autres que moi sans que j e te le permette.

E R N E S T , s'animant. Je ne vois pas le grand mal qu'i l y a à l 'avoir

emmenée , elle qui ne fait jamais r ien! G A B R I E L L E , se fâchant aussi.

Cela ne te regarde pas, ce qu 'el le l'ait ou ne fait pas ; j e ne me mêle pas de ton César, et j e ne veux pas non plus que lu prennes Phillis, qui est à moi seule , tu sais bien ! »

Et, achevant ces mots , elle s'avança pour tirer Phillis et l 'entraîner de son côté .

« Elle n 'emportera pas du moins le panier de tortues! » cria Ernest en co lère .

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YOIA 47 Et il voulut l 'arracher des mains de la petite

négresse : mais son mouvement fut si brusque, que celle-ci , qui était tout au bord du ruisseau, chancela un instant, puis t omba , en roulant , dans l 'eau, entraînant le panier dans sa chute. Le couverc le s 'ouvrit, et les deux ou trois tortues qu'il contenait curent bientôt retrouvé le fond de l 'eau.

« Oh! la pauvre Phil l is ! » s'écria Thérèse, c o u ­rant vers la négri l lonne, qui , s'étant raccrochée à que lques plantes, s'efforçait de remonter sur le bord. Et, lui tendant la main, elle la tira hors de l 'eau.

« Est-elle sotte! cria Ernest : elle a lâché le panier. . . . Moi qui avais déjà un petit plat de tortues! . . . Il m e va falloir r e c o m m e n c e r ! . . . Ne m'approche pas, au moins , avec tes vêlements tout t rempés ! . . . . Elle est propre maintenant, ta négri l lonne, Gabrielle, ajouta-t-il i roniquement . Je ne te la demande plus à présent : lu peux bien r e m m e n e r ! »

El il se mit à ricaner. « Oh! mon Dieu! elle est toute tremblante, dit

Thérèse. Il faut vite qu 'el le aille changer de vêlements à la maison, pour ne pas se r e ­froidir.

— Bah! les nègres ne sont pas si sensibles que ce la ! repartit Gabrielle, mais je vais la ren-

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voyer tout de m ê m e , car nous ne pourrons plus nous en servir dans cet état. Va-t'en vite, Phillis, et ne sors plus de la maison jusqu 'à m o n re ­tour. »

La pauvre enfant s 'éloignait d'un air si mal ­heureux, que Thérèse, touchée de pitié, dit à Vola de l 'accompagner . « Lorsqu 'e l le aura changé de vêtements , a j o u t a - t - e l l e , vous pourrez jouer ensemble avec ma poupée pour la c o n ­soler .

— Quelle bêtise! dit Ernest ; s'il fallait s 'occuper d 'amuser ses nègres , il vaudrait autant s'en passer !

— Elle a eu une aventure assez désagréable pour qu 'on lâche de la lui faire, un peu oubl ier , reprit Thérèse avec vivacité.

— Ah b ien ! si lu vas gâter c o m m e cela la tienne, tu en feras que lque chose de c o m m o d e , lu verras . »

Apercevant alors César, qui écoulait avec un intérêt visible les paroles de Thérèse, Ernest lui dit rudement :

« Je te consei l le d o n c pas prendre cela pour toi; et tu vas me rattraper le panier qui flotte là-bas sur l 'eau, ce que tu aurais déjà dû faire, imbécile ! »

Sans dire un mot, le petit nègre (Ma sa chaus ­sure, releva son pantalon au -dessus du g e n o u ,

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YOLA 49 et entra dans l 'étang pour atteindre le panier. I! fit deux ou trois pas, puis s'arrêta avec un m o u v e m e n t de dou leur .

« Avance donc ! lui cria Ernest. — C'est qu'il y a beaucoup de pierres au

fond de l 'eau, répondit le pauvre César d'un ton plaintif.

— Eh bien, lu n'en mourras pas, reprit dure ­ment Ernest, et la vilaine peau est assez dure pour supporter cela ! »

Thérèse, déjà indignée de la manière dont ses cousins avaient traité Phillis, fut tel -lement révoltée par la dureté d'Ernest, qu 'el le ne put s 'empêcher de lui dire d'un ton de re ­proche :

« Oh! Ernest, tu es vraiment trop méchant : lu abuses de ce pauvre petit. . . . Tiens, j e ne peux pas voir cela, je le laisse ! »

Et elle s 'éloigna rapidement . Gabrielle demeurait indécise, n'osant rejoindre

sa cousine parce qu 'el le sentait qu'el le méritait aussi en partie son b lâme ; d'autre part, souvent choquée par la dureté de son frère, que le c on ­traste de la bonté de Thérèse rendait encore plus frappante, elle sentait qu'il venait d'être pro fon ­dément injuste. Elle resta que lques secondes i m m o b i l e ; p u i s , prenant brusquement son parti :

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50 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

« Thérèse a raison, dit-elle à son frère : lu es trop dur. »

El elle le quitta.

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IV L e s perroquets et le serpent

Les enfants ne se retrouvèrent qu'au m o m e n t du dîner. Thérèse prit sa place accoutumée près de Gabrielle, mais leur conversation n'était pas animée, car l 'aventure de l 'après-midi avait jeté du froid entre eux. César et Phillis étaient à leur poste derrière leurs j eunes maîtres.

« Est-ce que tu ne fais pas descendre ta petite négresse , m o n enfant? demanda M. de Monrémy en s'adressant à Thérèse. Tu peux t'en servir c o m m e mes enfants se servent des petits nègres que j e leur ai donnés . »

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52 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

— Je n'ai besoin de personne à table, m o n onc le , répondit-el le embarrassée.

— C'est cependant bien plus c o m m o d e d'avoir que lqu 'un sous la main, reprit M. de Monrémy.

— Thérèse n'est pas habituée a se faire servir ainsi, m o n oncle , dit alors Mme de Ver -noux, voulant soutenir sa fille, et j ' a ime autant qu 'e l le ne demande à la petite négresse que les services dont elle a réel lement beso in .

— Comme vous voudrez , ma nièce, dit M. de Monrémy d'un ton évidemment piqué, mais v o u s avez décidément à rapprendre les usages des co l on ies ! »

Mme de Vernoux , ne voulant pas accentuer davantage la leçon indirecte qu'el le avait donnée , ne répondit rien, et elle tâcha de changer la conversation.

« Quels bois curieux vous avez dans ce pays ! dit-elle à son onc le . Je n'ai pu encore me p r o ­mener au loin, mais j e c o m p t e bien admirer de près ces beaux arbres que j e vois de ma chambre .

— Ce sont des bois d'acajou fort beaux en effet, répondit M. de Monrémy; ils s'étendent jusque sur la plantation voisine et forment presque une petite forêt. Du reste, nous s o m m e s sur la lisière d 'une forêt véritable, et les bo is que vous voyez derrière la maison en sont le

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LES PERROQUETS ET LE SERPENT 53

commencement . Elle a plusieurs l ieues de super ­ficie, Quant au bois dont vous parlez , il est peuplé d'oiseaux vraiment remarquables , entre autres de superbes aras, les plus beaux perro ­quets , vous le savez. A mon premier m o m e n t de liberté j e vous y conduirai , et vous n'aurez pas lieu de regretter cette promenade .

— Dans ce cas, si vous le permettez, j ' y mènerai aussi Thérèse, car elle aime les bel les choses et comprend la nature : elle m'a fait bien des quest ions sur tout ce qu 'e l le voit de n o u ­veau ici ! »

Thérèse remercia des yeux sa mère , et Ernest s'écria aussitôt :

« Eh bien, nous l 'accompagnerons éga le ­ment et j ' emporterai ma petite carabine pour tuer un perroquet et le lui montrer de près .

— Je n'aime pas ces promenades avec ton fusil à la main, objecta alors Mme de Monrémy, et j e crains toujours que lque accident depuis que l 'on t'a donné cette malheureuse petite carabine!

— Oh! ma chère, reprit son mari , Ernest a treize ans et il peut commencer à exercer un peu son adresse ; d'ailleurs j e ne le laisse pas chasser seul . Dans ces occasions le vieux Pompée le suit toujours . Vous verrez vous -m ê m e du reste que nous prenons nos pre ­cautions.

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54 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

— Mais, m o n ami, j e ne le verrai jamais , vous savez, car j e ne m'élo igne pas de l 'habitation, cl la fatigue de la promenade me la gâterait c o m ­plètement.

— Comment ! interrompit Mme de Vernoux d'un air étonné, vous ne faites pas d 'excursions dans ce magnif ique pays qui NOUS entoure? . . . En voiture, du moins , vous gagneriez bien faci­lement ces beaux ombrages .

— Tout mouvement est un supplice pour moi , ma chère nièce, et j ' avoue que le repos est ce que j 'apprécie le plus dans nos climats si souvent chauds et fatigants.

— C'est vrai, dit Gabrielle, maman ne se p r o ­mène jamais avec nous . . . . C'est plus c ommode du reste, acheva-t-elle à voix basse en se tournant vers sa c o u s i n e ; car c o m m e papa ne fait pas attention à nous dehors , nous pouvons faire ce que nous voulons . »

Thérèse la regarda d'un air étonné, mais ne répondit r ien ; elle commençait à s'habituer à la s ingulière manière d'être de ses cousins et c o m -prenait qu 'e l le ne pouvait à tout propos leur dire son impression si souvent différente des leurs .

« Par exemple , dit Ernest, j ' emmènera i César, qui me sera très utile pour découvrir le gibier : pour ce genre de choses , ces nègres ne réus ­sissent pas mal du tout . »

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LES PERROQUETS ET LE SERPENT 55

Le lendemain matin, Gabrielle appela Thérèse, qui était encore dans sa chambre .

« Qu'est-ce que tu veux? demanda celle-ci , se niellant à la fenêtre.

— Je viens te demander si tu veux faire une belle promenade avec nous ce matin par ce beau temps. Papa est occupé, et ne peut pas nous conduire dans la forêt d'acajous dont on a parlé hier so ir ; mais ce n'est pas une raison pour que nous restions enfermés dans la cour de la maison, et nous pourr ions aller un peu de ce côté- là . Dépêche-loi de descendre.

— Je vais demander à maman la permission de vous accompagner , répondit Thérèse, qui dispa­rut de la fenêtre.

— Eh bien, v ient -e l le? demanda alors Ernest, qui arrivait près de sa sœur.

GABRIELLE. Elle est allée en demander la permission à sa

mère . E R N E S T .

Ce n'était pas la peine, franchement, de deman­der une permission pour si peu de chose ! Mais elle a des idées si d rô l es ! Elle n'ose rien faire c o m m e nous . A propos , tu sais que j e suis dé­cidé à emporter ma carabine, et j 'ai déjà dit à César d'apporter ma g ibec ière ; car c'est trop bête d'aller du côté des perroquets sans les tirer,

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56 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE et si je t'en préviens, c'est pour que lu n'aies pas l'air étonnée devant Thérèse de me voir chasser seul : elle serait capable alors de ne pas vouloir nous suivre.

G A B R I E L L E .

Mais lu sais bien, Ernest, que tu n'es jamais sorti seul avec ton fusil , et papa se fâcherait s'il le savait! Tu ferais mieux de ne pas le prendre aujourd 'hui .

E R N E S T , s'animant. Je te prie de ne pas me donner de consei ls : à

mon âge, j e sais mieux que toi ce que je puis faire et j e sais très bien ce qu 'en penserait papa si j e lui en parlais. Aussi n'est-ce pas la peine de c o u ­rir après lui pour cela. . . . J'entends Thérèse qui descend, ne va pas faire de réflexions là-dessus, je te prie . D'ailleurs, cela ne le regarde pas. »

Thérèse accourait, en effet, vers eux, coiffée c o m m e ses cousins d'un chapeau de paille à larges bords , indispensable dans les pays chauds.

« Maman me permet de vous suivre, à c o n ­dition que vous ne dépassiez pas, à cause de moi , la limite de vos promenades habituelles, dit-elle.

— N'aie pas peur, répondit Ernest un peu ironiquement , ne crois pas que nous allions nous perdre, Faites que lques pas d 'avance; j e vais chercher César et je vous rejoins. »

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LÈS PERROQUETS ET LE SERPENT 57 Les deux petites filles s 'éloignèrent donc len­

tement à travers le jardin qui séparait l 'habitation des bois . Gabrielle était si lencieuse, un peu in­quiète des suites de la désobéissance de son frère, tout en tâchant de se persuader qu'el le n'en était pas responsab le ; mais elle oubliait qu'elle avait sa part dans cet acte d ' indépendance en con ­sentant à suivre Ernest dans la circonstance.

Elle ne répondait donc que distraitement aux paroles de sa cousine, qui commençait à s'en étonner, quand Ernest, suivi de César, les re ­jo ignit .

« A h ! mon Dieu, Ernest, tu me fais peur avec ce fusil ! s'écria Thérèse en l 'apercevant. Je t 'as­sure que c'est imprudent , . . . et d'ailleurs mon oncle ne disait-il pas hier soir que tu ne t'en servais jamais sans lui ou le nègre Pompée?

— Bah! c'était pour rassurer maman qu'il disait cela, car elle a peur de tout : mais tu peux être tranquille : j e sais bien ce que papa pense et ce que j e peux faire. »

Il parlait avec tant d'assurance que Thérèse crut qu'il avait obtenu le consentement de son père, et, voyant que Gabrielle ne faisait pas d 'ob ­ject ions , elle n'ajouta plus rien. Mais elle pria Ernest de marcher en avant, étant un peu in ­quiète malgré elle de le voir ainsi armé.

Ils avancèrent de la sorte pendant que lque

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58 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

temps. Avant d'arriver aux grands bois que l 'on voyail dans le lointain, il fallait traverser la partie de la plantation où travaillaient en ce m o ­ment les nègres : c'étaient de vastes champs de maïs ; et Thérèse, qui n'avait jamais vu cel le r é ­colte, s'arrêtait de temps à autre pour voir c o m ­ment s'y prenaient les travailleurs. Le soleil ètait assez ardent, et une vieille négresse près de qui ils passèrent était baignée de sueur et se baissait avec peine .

« C o m m e cela doit être fatigant, dit Thérèse à sa cousine, de travailler ainsi penchée sur la terre et en plein so le i l ! . . . Si lu disais à cette pauvre femme de se reposer un peu?

— Jamais on ne fait cela, Thérèse : les nègres ne se reposent qu 'après l 'heure du travail, et si le c ommandeur la voyail sans rien faire, il la punirait j o l iment , j e l 'assure!

— 11 est donc bien méchant? reprit Thérèse. Tu devrais au moins dire cela à ton père, qui ne le sait peut-être pas.

— Mais c'est papa qui a choisi son c o m m a n ­deur, et il sait comment s'y prendre avec les noirs, tu penses ! Et puis cela ne nous regarde pas.

— Ils sont même bien heureux d'ailleurs qu 'on ne les fouette pas ici aussi souvent que dans les plantations voisines, où on les entend sans cesse

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LES PERROQUETS ET LE SERPENT 59

crier quand on passe par là, intervint Ernest. — Comment ! fouetter ces pauvres n è g r e s !

s'écria Thérèse avec un accent indigné. Et pour ­quoi les fouetter? Qu'est-ce qu'i ls font pour m é ­riter cela?

— Eh bien, reprit Ernest ricanant, ils font ce que tu voulais consei l ler à ta vieille négresse tout à l 'heure : ils se reposent au lieu de travailler, et il faut bien qu'on les fasse marcher !

— Mais pas de celle manière- là! s'écria Thérèse avec animation. C'est cruel , el c'est la première fois que j ' entends parler d'une chose pareil le.

— Parce que c'est la première fois que lu es dans un pays de nègres , dit Gabrielle, cl ils ont probablement besoin d'être menés c o m m e cela, puisque tout le monde le fait.

— D'ailleurs lu comprends bien qu 'on ne peut pas changer les usages dans un pays, reprit Ernest, et lu ne feras plus attention à tout cela quand lu y seras habituée. . . . Mais ne perdons pas notre temps à nous occuper de ces ennuyeux noirs et dépêchons-nous d'arriver à la forêt, ce sera plus amusant ! »

Et il hâta le pas. Thérèse, une fois de plus choquée de ce qu 'e l le entendait, suivit avec moins d'entrain ses cous ins ; elle avait surtout un sen­timent de répugnance pour Ernest, plus dur que sa sœur. Mais peu à peu cel le triste impression

Page 72: Thérèse à Saint-Domingue

60 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE s'effaça, car ils atteignirent les superbes aca­

j o u s but de leur promenade , Quand elle les vit de près , elle resta muette

d'admiration devant cette magnif ique végétation, dont les proport ions colossales et les ombrages touffus neréssembla iènten rien aux arbres qu 'el le avait vus en France. Les enfants firent que lques pas, et Thérèse avait c o m m e un sentiment d'effroi en s 'enfonçant dans ce grand b o i s !

« Restons sur la lisière de la forêt, Ernest, dit-elle : j 'a i presque peur d'y entrer tout à fait.

— Il ne faut pourtant pas l ' imaginer que les beaux perroquets que lu veux voir vont s 'appro­cher jusqu ' ic i pour se faire admirer ! Il faut aller les chercher un peu plus avant : mais sois tran­qui l le , nous ne nous aventurerons pas trop lo in . Seulement suivez-moi à une petite distance, et ne faites pas trop de bruit . . . . Toi, reste auprès de moi » , dit-il à César.

Ils entrèrent ainsi dans la forêt ; les petit, s suivaient un peu en arrière.

Tout à coup elles virent Ernest s'arrêter c l leur faire s igne d'en faire autant : César lui montrait du doigt la cime d'un arbre, et, en levant les \ eux de ce côté, Thérèse distingua c o m m e un point rouge à travers le feuillage. A ce moment Ernest tira, et . . . le point rouge disparut.

« Tu l'as manqué ! s'écria Gabrielle.

Page 73: Thérèse à Saint-Domingue

LES PERROQUETS ET LE SERPENT 61

— Ce n'est pas étonnant, à cette hauteur, reprit Ernest d'un ton p i q u é ; mais nous en trouverons bien d'autres.

— Comment! ce point rouge était un per ­roquet? demanda alors Thérèse. Quel bel oiseau ce doit être ! et c o m m e ce doit être jo l i à regarder de près ! »

Un instant après, on entendit dans les arbres un caquetage d 'oiseau. Les enfants s'arrêtèrent de nouveau, et, sans qu' i ls eussent entendu aucune détonation, ils virent un de ces gros perroquets tomber du haut de l 'arbre el venir s'abattre à que lques mètres d'eux seulement . Thérèse se précipita pour ramasser l 'oiseau, qui ne donnait plus signe de vie et ne portail c epen ­dant aucune trace de b lessure . Il était superbe , avec des couleurs étincelantes, rouges et b leues , et Thérèse poussait des exclamations de jo ie el d'admiration.

« Mais comment l'as-tu tué, Ernest? dit alors Gabrielle; tu n'as pas tiré.

— Je ne sais pas non plus d'où il vient, répon­dit-il d'un ton assez g r o g n o n , et cependant il n'a pu tomber seul . . . . Tu n'as rien vu , toi? » dit-il en se tournant vers César.

Celui-ci restait immobi le et baissait les yeux d'un air embarrassé ; en le regardant plus atten-tivement, Ernest remarqua qu'il cachait quelque

Page 74: Thérèse à Saint-Domingue

62 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE chose dans sa main fermée, et un petit bout de caoutchouc s'en échappait.

« Qu'est-ce que lu liens donc, dans la main? continua Ernest impatienté. Réponds donc!

— C'est pour tuer les oiseaux, Massa, dit enfin timidement le petit nègre.

— Comment? c'est lui alors qui a tué le per ­roquet ! s'écria Thérèse étonnée. Comme il est adroit de faire cela sans fusil ! »

Ernest, vexé de ce compl iment qui ne s 'adres­sait pas à lui, saisit brusquement la main de César et lui arracha ce qu 'el le contenait. Ce n'était qu 'un instrument bien simple, une sorte de lance-pierres connu de bien des petits paysans en France. Mais cel le arme, de si humble ap­parence, demande une véritable adresse pour atteindre l 'objet visé.

« C'est tout de m ê m e incroyable, dit Gabrielle, qu 'avec un pareil instrument on puisse frapper si juste !

— Il faut encore bien plus d'adresse pour réussir avec un fusil, répliqua vivement Ernest, et cependant j e vous montrerai certainement sans tarder que je sais bien viser aussi. »

La chasse continua. Thérèse, tenant le beau perroquet , s'intéressait de plus en plus à la poursuite de ces oiseaux si rares et suivail d'un œil attentif les moindres mouvements des

Page 75: Thérèse à Saint-Domingue

LES PERROQUETS ET LE SERPENT 63 j eunes chasseurs . Elle ne s 'apercevait donc pas qu'à mesure qu 'on s'enfonçait plus avant dans la forêt, Gabrielle paraissait inquiète, sen-tant év idemment qu'ils s 'éloignaient trop de la lisière du bois .

Au bout de que lques minutes , Ernest s'arrêta de nouveau : un coup de fusil partit, c l cette fois le but avait été atteint : on vit un perroquet t o m ­ber de branche en branche, mais pour finir malheureusement par s 'enfoncer dans un épais fourré au pied des arbres !

« Vous voyez, j ' en ai un aussi ! s'écria Ernest, se retournant d'un air tr iomphant.

— Oui, mais il ne sera pas pour n o u s ! dit Gabrielle. Tu n'as pas de chance aujour ­d 'hui .

— Par e x e m p l e ! j e l 'aurai ! répl iqua Ernest avec véhémence , car il vaut dix fois celui de César ; il n'y a qu'à battre les broussai l les : c 'est l'affaire de César.. . . Entre là dedans, t o i ! et rapporte- le -moi v i te ! »

Le petit nègre obéit machinalement . Mais lors ­qu' i l voulut pénétrer dans le fourré, les épines s'y entre-croisaient tel lement qu' i l ne put pres­que pas avancer, bien qu'i l écartât de son mieux les branches.

« Il est impossible qu'il entre dans ce fourré rempli d 'épines ! s'écria Thérèse en voyant les

Page 76: Thérèse à Saint-Domingue

64 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE efforts du pauvre petit noir . Dis-lui donc de revenir , Ernest !

— Ah bah! répliqua celui-ci , ce n'est pas la première fois qu'i l entre dans des buissons s e m ­blables, et j e ne peux pas perdre un beau perro ­quet pour ce la !

— Mais lu ne vois pas ses mains qui saignent dé jà ; et il n'est peut-être pas près d'atteindre encore ton oiseau, qu 'on ne distingue pas du tout.

— Je te dis que tu ne connais pas ces n è g r e s ! reprit Ernest impatienté; ils sont habitués à en faire bien plus que nous . . . . Avance donc , César! Dépêche-toi c l cherche mieux ! »

Le pauvre César fit un nouvel effort et pénétra un peu [dus avant, malgré les épines qui le déchiraient.

« Je ne comprends pas que tu sois si méchant pour ce pauvre petit! » dit Thérèse les larmes aux yeux, et elle s 'éloigna d'Ernest. Mais le petit nègre l'avait entendue, et, sans oser lui parler, il la sui­vait des yeux avec un regard reconnaissant.

Quelques-instants se passèrent, et le négri l lon avait presque disparu dans les broussai l les .

Thérèse, en quittant Ernest, avait voulu rejoindre sa cousine , assise au pied d'un arbre à que lque dislance. Des touffes d 'herbe assez épaisses l'en séparaient. Elle avait à peine fait

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LES PERROQUETS ET LE SERPENT 65 quelques pas dans celle direction, lorsqu'un cri de Gabrielle l'arrêta et lui fit retourner la tête du côté que sa cousine désignait du doigt d'un air effrayé : un gros serpent enroulé sur lui -m ê m e et la fixant de ses yeux brillants était tout près d'elle et d'un seul élan pouvait l 'atteindre! Thérèse avait entendu parler déjà des dangers que font courir les reptiles de ces pays chauds : en se voyant en présence de l'un d'eux, elle fut saisie d 'une telle frayeur qu 'el le resta i m m o ­bile et c o m m e rivée sur p lace ! Ernest venait d 'apercevoir le terrible serpent, et, sans être paralysé par la peur c o m m e les deux petites filles, la crainte du reptile l 'empêchait de venir en aide à sa petite cousine .

Le serpent se balançait lentement cl d'un instant à l 'autre pouvait s 'élancer sur la pauvre enfant; mais César aussi avait entendu le cri de Gabrie l le , et, d é g a g e a n t sa tête des épines, avail vu d'un coup d'œil la situation critique de Thérèse. S'élançant hors du fourré, il fut en quelques bonds près d 'el le, et, brandissant un g r o s bâton dont il s'était muni pour se frayer un chemin dans les ronces, il fit un pas vers le serpent et lui en assena un violent coup sur la tête.

Malheureusement le reptile n'était pas tué, et, détournant sa colère sur le petit nègre , il s'élança sur lui en sifflant et s 'enroula autour de sa j a m b e !

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66 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Sans perdre son sang-froid, César le saisil for-

tement au-dessous de la tête; l 'étreignant de toutes ses forces, il parvint à l 'étouffer, et les anneaux du serpent, se déroulant d ' eux -mêmes , tombèrent inertes sur le sol .

Tout ceci n'avait duré que que lques secondes ; mais Thérèse était déjà près de son courageux petit sauveur, et ce fut elle qui la première aperçut des taches de sang sur les pieds nus du j eune nègre !

Oh! mon Dieu ! le serpent l'a p iqué ! s'écria-t-elle avec angoisse.

— Montre-nous la b lessure! » dit vivement Gabrielle qui venait d'accourir et était devenue très pâle, car elle connaissait mieux encore que sa cousine le danger de ces morsures .

César découvrit sa j ambe , où l 'on vit une petite plaie, qui , tout insignifiante qu'el le paraissait être, causait déjà de l 'enflure.

« Pauvre César! . . . et il a été mordu pour me sauver ! dit Thérèse éclatant en sanglots. Que faire maintenant pour le guér i r ! Nous s o m m e s si loin de la maison !

— Ne vous désolez pas. bonne petite demoi ­selle, dil César, Pompée connaît le remède contre les blessures de ces serpents ; en allant bien vile le trouver, il me guérira, vous verrez !

— Il a raison, ajouta Gabrielle, il faut vite

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Lе serpent se balançait lentement.

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69 LES PERROQUETS ET LE SERPENT rentrer. Mais auparavant, César, il faut serrer ta jambe le plus fortement possible au-dessus de la blessure, pour que l'enflure ne remonte pas : papa nous a dit cela bien des fois, n'est-ce pas, Ernest?

— Certainement, répondit celui-ci que l ' émo ­tion des enfants avait un peu gagné . Il ne faut rien négl iger dans ces circonstances-là. »

Et il aida son pauvre nègre à nouer fortement le moucho i r que Thérèse s'était empressée de lui donner . Puis on se mit en marche aussi rapi­dement que possible .

« Je sentais bien, dit Gabrielle, que nous avions tort d'entrer ainsi dans ce bois où nos parents ne nous laissent jamais aller seuls . Je vois bien, à présent, qu'i ls avaient raison de nous faire cette défense.

— Quoi ! nous allions là sans permiss ion? demanda alors Thérèse regardant ses cousins d'un air de reproche . A h ! si j e l 'avais su, jamais j e ne vous aurais su iv i s ; . . . j e trouvais aussi que nous nous aventurions bien loin tout seu l s ; mais j e ne savais pas que ce bois renfermait de ces affreuses hôtes ! »

Le souvenir du serpent ramena sa pensée vers César, et elle s'aperçut qu'il marchait plus péni ­blement et traînait la j ambe malade. L'enflure en effet augmentait sensiblement, et la douleur

Page 82: Thérèse à Saint-Domingue

70 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE commençait à devenir plus vive . On n'était p lus , heureusement , qu'à une petite distance de l 'habi­tation, que l'on commençai ! à distinguer.

« Pendant que vous allez aider le pauvre César à marcher, je vais courir en avant pour chercher Pompée et le prier de préparer vite ses remèdes » , dit alors Thérèse. Et elle partit en courant.

En approchant de la terrasse, elle vit sa mère et son oncle qui se dirigeaient de son côté . Mme de Vernoux, étonnée de sa l ongue absence, venait de prier M. de Monrémy de venir avec elle au-devant des enfants, qu 'el le croyait beaucoup plus rapprochés. En un instant Thérèse leur eut raconté leur triste aventure, et son oncle , malgré sa froideur habituelle, appela lui -même avec précipitation le vieux nègre , qu' i l savait en effet très habile pour combattre les terribles suites des morsures de serpents.

Pompée prit bien vite un paquet de certaines herbes et courut au-devant du petit b lessé , qui était tombé à que lque dislance de là, incapable de marcher davantage.

Pompée lui lit immédiatement mâcher une sorte de racine, et fit couler sur la morsure le j u s des herbes qu'il écrasait dans ses mains ; puis il en entoura la j a m b e . Ensuite, prenant l 'enfant dans ses bras, il le porta vers la maison.

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LES PERROQUETS ET LE SERPENT 71

« E s t - c e qu'il va pouvoir se guér ir? demanda Thérèse avec émotion.

— Il aurait mieux valu donner le remède tout de suite, répond il le vieux nègre : mais j ' espère qu'il peut encore empêcher le mal, et si la sueur arrive, il est sauvé !

— Il faut vite alors le coucher chaudement, le pauvre enfant! dit Mme de Vernoux regardant avec attendrissement ce malheureux petit nègre qui venait de risquer sa vie pour sauver celle de sa fille. Je veux mo i -même aider ses parents à le so igner . »

Et elle suivit Pompée j u s q u e dans l 'espèce de cel lule où l 'enfant couchait avec son père, l'un des serviteurs attachés à l'habitation. Lorsqu'il eut été chaudement enveloppé de couvertures , Pompée lui fit avaler un breuvage très fort, mais la transpiration, qui devait être son salut, ne s'annonçait pas encore .

« Que faire? demanda tout bas avec inquiétude Mme de Vernoux.

— Lui donner tous les quarts d 'heure celte boisson bouil lante, dit-il. Mais j e ne puis rester près de lui, car le maître a besoin de moi et ne serait pas content. . . .

— Et son père? demanda-t-el le . — Ils sont lous au travail. — Eh bien, j e me chargerai du pauvre petit

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72 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE j u s q u ' à son retour » , d i t -e l le ; et elle s'assit près du lit.

Thérèse obtint la permission de rester auprès de César; toutes deux le soignèrent avec tant d'attention que , grâce à elles sans doute , la guérison commencée par Pompée s'acheva ; et quand le père de César arriva près de lui, il le trouva endormi et baigné d'une transpiration salutaire! Pompée lui avait déjà appris la sol l ic i ­tude dont l'enfant avait été l 'objet ; et le pauvre nègre , si peu habitué aux soins de ses maîtres, remercia Mme de Verrtoux avec quelques paroles dont l 'accent disait p lus que tout le reste ! Aussi son émotion avait-elle gagné Thérèse lors ­qu 'e l le sortit de la chambre avec sa mère .

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V Annibal et le commandeur

Quelques j ours se passèrent avant que l ' ex ­cursion projetée par M. de Monrémy s'exécutât, et les enfants avaient repris leurs occupations habituelles. Ernest prenait plusieurs fois par semaine des leçons d'un professeur venant du Cap-Haïtien. Mme de Vernoux s'occupait e l le -m ê m e de l 'éducation de sa fille, c l souvent Ga-brielle assistait aux leçons, car Mme de Vernoux avait compassion de l 'indifférence dont la pauvre enfant était entourée ; sa mère , fort peu intell i ­gente et d'une nature mol le et insouciante, ne la

Page 86: Thérèse à Saint-Domingue

74 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

voyait que par moments dans la j ournée , et la laissait aux mains d'une vieille f emme de charge, créole c o m m e elle, qui soignait assez bien Ga­brielle, mais n'était capable de lu iapprendre rien de sérieux. Elle travaillait bien un peu avec le professeur de son frère ; mais M. de Monrémy ne s 'occupait que des éludes d'Ernest, et, n'ayant aucun stimulant, Gabrielle savait, en s o m m e , fort peu de choses . Mme de Vernoux espérait que le coniaci journal ier avec sa cousine fini­rait par exercer une bonne influence sur les idées de la pauvre enfant, dont la nature n'était pas mauvaise au fond.

Un j o u r Gabrielle trouva Thérèse apprenant à lire à Yola. A cette vue , elle s'arrêta étonnée :

« Pourquoi lui apprends-tu à l ire? demanda-t-elle à sa cousine ; à, quoi cela sert-il pour des nègres?

— Cela peut lui être très utile, répondit Thérèse ; et elle apprendra ainsi bien des choses que j e n'aurais jamais pu lui lire. Maman m'a permis de m'occuper d'elle, et me donnera de bons livres pour elle quand elle pourra les lire. »

Gabrielle, après avoir écouté quelques in­stants la leçon de lecture de Yola, qui c ompre ­nait assez bien, s'écria :

« Ah ! jamais je n'aurais la patience d 'apprendre

Page 87: Thérèse à Saint-Domingue

ANNIBAL ET LE COMMANDEUR 75 cela à Phil l is ! Elle est bien trop bête pour cela et ne comprendrait rien.

— Tu ne peux le savoir, puisque tu n'as jamais essayé de lui apprendre.

— Oh! presque Ions les nègres ont l'esprit bouché : ce n'est pas la peine de leur montrer autre chose que le travail qui nous est ut i le ; . . . et puis , en l 'occupant c o m m e cela de ta négril ­lonne, lu verras c o m m e lu la rendras insup­portable : lu ne pourras plus ensuite la faire obéir c o m m e les autres.

— Ne parle donc pas ainsi devant e l l e ! dit tout bas Thérèse en s 'approchant de sa cousine : lu lui feras de la peine.

— Quelle bétise ! répondit Gabrielle en bais­sant cependant un peu la voix : ils ne c o m ­prennent pas la moitié de ce qu 'on dit.

— Et moi j e t 'assure bien que ma petite Yola comprend ce que je fais pour el le , et elle m'aime déjà, j e le vois . »

Ne voulant pas continuer davantage la leçon devant Gabrielle, Thérèse dit à Yola d'aller rejoindre sa mère . Mais la petite négresse , la regardant d'un air expressif, lui prit la main et la baisa avant de s 'éloigner.

« Tu vois bien, dit Thérèse, qu 'el le sent que j e l'ai défendue.

— Je ne sais pas comment lu fais, répondit

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76 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

Gabriel le, mais lu sais t'y prendre mieux que nous avec ces nègres, car j e vois aussi César toujours cherchant à te rendre service , quoiqu ' i l ne soit pas à loi !

— Ils feraient, j e crois , la m ê m e chose pour vous si vous étiez moins durs pour e u x ; et maman m'avait bien dit qu'il faut être bon pour les noirs c o m m e pour les autres domest iques . »

Gabrielle ne répondit pas : sans être encore convaincue, elle commençait à reconnaître qu'il y avait du vrai dans ce que lui disait sa cousine. Toutes deux descendirent au jardin et rencon­trèrent Ernest.

« Où vas-tu? lui demanda sa sœur. — Le soleil n'est pas très chaud, j e vais m e

promener dans la rizière, où travaillent aujour­d'hui les nègres .

— Tiens! j e ne me suis jamais arrêtée assez l ongtemps dans un champ de riz pour savoir comment on s'y prend pour le récolter. . . . Si tu veux, Gabrielle, et si ce n'est pas loin, nous p o u r ­r ions y aller un m o m e n t avec Ernest? »

Gabrielle y consentit ; niais avant de s 'éloigner, Ernest appela César et Phillis, disant que c'était bien plus c o m m o d e de les avoir près de soi en cas de beso in . En quelques minutes ils arrivèrent à la plantation, où trente à quarante noirs tra­vaillaient. Thérèse remarqua avec étonnement

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ANNIBAL ET LE COMMANDEUR 77 que ce champ de riz était divisé en carrés entourés de pel ils rebords en terre et coupé de plusieurs r igo les , sans eau en ce moment .

T H É R È S E .

Quel singulier c h a m p ! et pourquoi le riz n'est-il pas planté d'un seul morceau c o m m e les autres grains?

E R N E S T .

Tu ne sais peut -ê tre pas que les rizières doivent être arrosées souvent, quand le riz c o m ­mence à pousser : et ces rigoles amènent l'eau d'un étang voisin pour inonder pendant que lques j o u r s tous ces carrés.

T H É R È S E .

Par où l'eau entre-t-elle? E R N E S T .

Par une ouverture que l'on fait dans la terre qui entoure chaque carré. Mais tout cela est bou­ché maintenant, car il y a longtemps que les inondations ne sont plus nécessaires.

T H É R È S E .

C'est d o m m a g e que je n'aie pu voir cela. G A B R I E L L E .

Nous ne serions pourtant pas venus souvent, alors , de ce côté-là : car, après que les rizières Ont été inondées, il s'en dégage des vapeurs très malsaines, à cause de l 'eau accumulée, qui finit par croupir : papa nous défend de nous

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78 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE promener de ce côté à celle époque , pour ne pas attraper de f ièvres.

T H É R È S E .

Mais, alors, personne ne s 'occupe des rizières à ce moment- là?

E R N E S T .

Si fait; il faut toujours s'en occuper : c 'est l'affaire des nègres ; c o m m e ils ne sont pas si délicats, ils n'en meurent pas : ce qui n'est pas malheureux, car c'est le moment où on a le plus de travail dans les plantations.

T H É R È S E .

Ces pauvres nègres ! c omme ils sont à plaindre d'être ainsi obl igés de l'aire des choses si rudes ! et c omme ils me font pitié!

G A B R I E L L E .

C'est vrai que c'est triste pour eux ; mais , que veux - tu ! il faut bien qu'il y ait des gens qui fassent cela. »

Thérèse allait répondre , lorsque des bruits de voix se firent entendre à peu de distance : un h o m m e parlait très haut el d'un ton animé.

« T iens ! dit Ernest, je reconnais la voix de M. Schmidt : qu'est-ce qui se passe donc? » Et il courut de ce cô té ; les autres le suivirent.

Le commandeur , un fouet à la main, s'était approché d'un groupe (le nègres : Ions travail-laient, el leur ardeur semblait accrue par l 'arrivée

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ANNIBAL ET LE COMMANDEUR 79 de leur inspecteur. Un seul parmi eux était debout et immobi le en l'ace du commandeur . C'était un noir fort et v igoureux, quo ique trapu et d'assez petite taille. Sa figure avait une expres ­sion d'énergie sombre et farouche qui impres ­sionnait malgré soi. Contrairement aux autres nègres courbés sur leur travail, il s'était re ­dressé , et son attitude, au lieu d'être craintive, avait quelque chose de décidé et presque de mé­prisant.

« C'est toujours loi que l 'on trouve inoccupé et donnant de mauvais exemples de paresse aux autres, lui disait d'une voix rude le commandeur .

— Annibal n'a jamais été appelé paresseux, répliqua le nègre d'une voix sourde qui tra­hissait une colère concentrée.

— Et quel le preuve en donnes-tu en ce moment? reprit Schmidt toujours rudement .

— Je me repose, parce que j 'ai gagné mon repos connue d'autres, . . . mieux que d'autres, qui se reposent toujours (et il jeta un regard de haine sur le commandeur ) .

— Misérable! à. qui oses-tu te comparer? » cria celui-ci avec véhémence . Et il leva son fouet sur le nègre . Mais, avant que la lanière ne fût retombée, Annibal, s'élançant, avait saisi b r u s ­quement le fouet, qu'il rejeta au loin.

Stupéfait de cet acte de résistance, Schmidt

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80 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE resta d'abord immobi le ; puis, devenant livide de colère, il appela deux des autres noirs .

« Saisissez-le, cria-t-il d 'une voix frémissante de rage : il payera le coup qu'il a évité, par une bastonnade dont il se souviendra longtemps. Attachez-le au poteau ! »

Les deux nègres s 'approchèrent de leur c o m ­pagnon avec une répugnance visible et ils hési-tèrent même un instant au moment de porter la main sur lui. Mais Annibal , les repoussant fièrement du geste, leur dit à mi-voix :

« Lâches ! » Kl, passant d'un air méprisant devant le c o m ­

mandeur : « Puisses-tu avoir à regretter ton ordre ! »

Rapidement alors, il se dirigea vers les cases : les deux nègres le suivaient plus lentement.

Les enfants avaient assisté de loin à cette scène sans oser avancer. Mais quand Schmidt passa près d'eux pour aller présider au châtiment d'An­nibal, Thérèse, devinant que sa vengeance allait être cruel le , s'enhardit jusqu 'à s 'approcher de lui, et, bien qu'effrayée de son air courroucé , elle lui dit d'une voix tremblante d'émotion :

« Oh! monsieur, ne punissez pas trop fort ce nègre ! Il a eu tort, j e le sais bien ; mais il ne tra­vaillait pas parce qu'i l était peut-être trop fatigué. »

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ANNIBAL ET LE COMMANDEUR 81 Devant une intervention aussi inusitée, le

commandeur s'arrêta, étonné. « Ah ! par exemple , s'écria alors Ernest, si tu

les plains au m o m e n t où ils sont en faute, c'est par trop fort ! et j ' espère bien que M. Schmidt refusera de l 'écouter!

— Je ne puis en effet pardonner à ce noir in ­solent! répondit M. Schmidt avec brusquer ie , et il faut un exemple sévère pour contenir ses airs d ' indépendance et ôter aux autres toute envie de l ' imiter. » Et il s 'éloigna.

Thérèse baissa tristement la tête et suivit ses cousins du côté de l 'habitation. Elle ne disait rien, ne songeant qu'au malheureux nègre .

Pour rentrer dans la maison il leur fallait passer par une cour qui servait d'entrée à celle plus grande renfermant toutes les cases des noirs.

Dans un coin de cette cour , à un poteau qu'el le n'avait pas remarqué jusque- là , Annibal était déjà lié par des cordes, et le commandeur , à quelques pas de là, disait d'une voix retentis­sante à deux nègres placés près de lui :

« Cinquante coups de fouet ! Commencez ! » Un premier coup de lanière tomba sur le corps

d'Annibal, qui frémit, niais ne poussa pas un cr i ! Ce fut Thérèse qui poussa une exclamation d 'hor­reur, et se précipita hors de la c our ! Mais une

6

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82 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE idée subite l'arrêta bientôt, et, revenant sur ses pas, elle cria à Gabrielle, qui la suivait plus l en ­tement :

« Par pitié au mo ins , emmenez vos petits nègres ! Ne les laissez pas voir cette affreuse punition d'un des leurs . »

Et, prenant la main de Phillis qui la rejoignait toute tremblante, elle l 'entraîna.

En arrivant à l 'habitation, elle courut dans la chambre de sa mère :

« Oh! m a m a n ! dit-elle encore tout émue, si v o u s saviez c o m m e ils sont méchants ! Ils battent en ce m o m e n t un pauvre nègre attaché à un poteau !

— Qu'avait-il donc fait? » demanda Mme de Vernoux avec vivacité.

Thérèse raconta à sa mère ce qui s'était passé. Mme de Yernoux fut e l l e -même rempl ie d' indi­gnation en entendant ce récit ; mais , voyant sa fille si impress ionnée , elle essaya de la calmer.

« Les châtiments sont horribles en effet; on ne devrait jamais donner à ces commandeurs le droit de traiter ainsi ces malheureux no i r s ; mais il faut, dans une certaine mesure , réprimer leur insubordination, et tu vois que ce nègre a été vraiment insolent. Malgré cela, de semblables punit ions ne sont pas permises et j ' en parlerai à ton onc le , car j e serais bien heureuse si j e p o u -

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ANNIBAL ET LE COMMANDEUR 83 vais le déterminer à adoucir ces grandes r igueurs envers les nègres .

— Oh o u i ! maman, répondit Thérèse ; car il ne saitpeut-être pas combien ceM.Schmidt est cruel ! »

Mme de Vernoux était persuadée du contraire, mais elle préféra laisser à sa fille cette il lusion qui contribua plus que tout le reste à la calmer.

Le soir, Thérèse remarqua l'air triste et sombre de César qui servait, c o m m e d'habitude, Ernest à table.

« Comme ce pauvre petit César a l'air triste! dit-elle à son cousin lorsqu 'on fut sorti de la salle à manger .

— C'est probablement la scène de tantôt qui lui a l'ait de l'effet, dit Gabriel le ; cl lu aurais tout aussi bien l'ail, Ernest, de le renvoyer c o m m e Phillis, que Thérèse a eu raison d 'emmener .

— Quoi ! César est resté là pendant cette hor ­rible punit ion! . . . Oh! Ernest ! s'écria Thérèse d'un air de reproche !

— Certainement il est resté, répondit celui-ci, car c'est une lionne leçon pour lui. et cela lui passera les idées d ' indépendance qui pourraient lui venir plus tard. »

Cette conversation se tenait tout près des grandes personnes , et Mme de Vernoux, révoltée du manque de cœur d'Ernest, ne put s 'empêcher d'intervenir.

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84 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE « Je ne comprends pas plus que Thérèse, lui

dit-el le, que tu forces non seulement ton pauvre, polii nègre à voir celle exécution, niais même que tu aies le triste courage d'y assister t o i -même! El j e ne m'habitue pas, je vous l 'avoue, m o n oncle , ajouta-t-elle en se tournant vers M. de Monrémy, à l 'idée que des châtiments de cette nature soient nécessaires pour se faire obéir .

— El moi , au contraire, reprit froidement ce lui -ci, j e les trouve indispensables : ces natures grossières ne peuvent être menées que par la crainte des châtiments.

— Mais avez-vous jamais essayé d 'employer avec eux la douceur et les bons traitements? reprit Mme de Vernoux ; beaucoup d'entre eux Seraient sensibles à celle manière d'agir, et vous obtiendriez bien plus d'eux que par la crainte, qui finit par amasser des sentiments de haine dont vous ne soupçonnez peut-être pas l'étendue.

— Qu'ils obéissent, et peu imporle ce qu'ils pensent! » répondit M. de Monrémy d'un ton si sec que Mme, de, Vernoux prévit une altercation fâcheuse devant les enfants si elle prolongeait a conversation. Elle se tut donc en soupirant.

Mais le soir, en se retournant seule avec sa mère, Thérèse ne put s'empêcher de lui dire avec tristesse :

« Ma pauvre maman, puisque mon oncle connaît

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ANNIBAL ET LE COMMANDEUR. 85

ce qui se passe et le permet, j e vois bien que nous ne pourrons jamais rien obtenir pour ces pauvres nègres !

— Nous ne pouvons en effet, mon enfant, changer les choses c o m m e nous le ferions si nous étions chez n o u s ; mais nous pouvons toujours faire du bien à quelques -uns de ces pauvres gens qui nous approchent, et montrer ainsi à ceux qui ne les comprennent pas combien ils p e n s e n t être touchés de la bonté qu 'on leur témoigne. Tu vois que lu as déjà changé un peu les idées de Gabrielle par tes exemples . Console -loi donc en pensant que nous pouvons ainsi faire du bien ici. »

Cette pensée permit en effet à Thérèse de s 'en­dormir un peu plus calme après les pénibles émotions de cette j ournée .

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VI

Un incident dans la forêt

Quelques j o u r s après, on parlait au salon de Saint-Domingue, des animaux et des plantes qu'on y trouve, et M. de Monrémy, qui voyait l'intérêt avec lequel Mme de Vernoux et sa fille l 'écoutaient, proposa de faire l 'excursion dans la forêt voisine dont il avait déjà été question.

La santé de sa femme, qui était de plus en plus languissante, mais qu 'on espérait toujours décider à faire cette excursion, avait retardé cette partie. Cependant l 'approche de la saison des pluies , qui dans ces climats commence en avril, ne

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88 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE permettait p lus de retarder davantage, et il fut c o n -venu qu 'on préparerait tout pour le surlendemain et que Mme de Monrémy resterait à la maison.

Thérèse, qui n'avait pas encore vu les environs de la plantation et les curiosités de l ' île, dont on lui avait déjà tant parlé, sauta de jo ie en enten­dant la proposition de son oncle , et Mme de Vernoux e l le -même se réjouissait de contempler cette belle nature dont elle n'avait gardé qu 'un si vague souvenir . On devait dé jeuner dans une des clairières de la forêt vierge qui faisait suite au grand bois d'acajous où Thérèse avait été conduite par ses cous ins . Des nègres devaient transporter les provis ions , consistant en viandes froides, gibier et fruits excellents, entre autres des ananas; on n'oublia pas non plus les boissons rafraîchissantes et le swizzle, si connu des planteurs. Il fut décidé qu 'on partirait vers sept heures du matin, pour pouvoir se reposer à l ' ombre dans la forêt et faire la sieste pendant la grosse chaleur, de onze heures à trois heures .

Donc, le surlendemain matin la petite caravane s'ébranlait : M. de Monrémy et Mme de Vernoux étaient à cheval, et les trois enfants suivaient sur de petits poneys très doux et très sûrs. Deux nègres venaient par derrière, escortant un mulet chargé de provis ions , et deux ou trois autres suivaient, se tenant à la disposition des maîtres.

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UN INCIDENT DANS LÀ FORÊT 89

M. de Monrémy et son fils étaient coiffés d ' im­menses chapeaux panamas, c o m m e en portent les colons des Iles : ils avaient leur fusil en bandoulière. Mme de Vernoux et les petites filles portaient aussi des chapeaux de paille à larges bords, recouverts de voi les verts : elles avaient mis des vêtements flottants et légers . Comme c'était la première fois que Thérèse montait à cheval, un nègre se tenait constamment près d'elle pour l'aider à diriger son poney . C'était un premier plaisir pour elle, c l sa figure rayon­nait de j o ie . Le soleil était radieux , et le sol c o u ­vert de rosée ; aussi ce fut d'un pas allègre que la petite troupe se dirigea vers la forêt.

Au bout d'une heure de marche à travers les rizières, les champs de maïs et de cannes à sucre , on arriva au bas d'une dernière coll ine qui les séparait, seule , de la forêt. Parvenu au sommet , on lit halte un instant, pour admirer le magn i ­fique panorama qui s'offrait aux regards .

La forêt se dressait devant eux dans toute sa splendeur. Le soleil inondait de lumière les arbres géants, et des plantes éblouissantes, teintes de mille nuances différentes, répandaient au loin leurs parfums pénétrants. On remarquait des magnol ias sauvages, aux larges fleurs b lanches ; des catalpas à l 'écorce argentée ; des mûriers rouges dont le feuillage touffu répand une ombre

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90 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

épaisse ; le caroubier à miel aux feuilles pointues en forme de petites lances, etc. De superbes acajous étendaient leur ombrage .

Confondue d'admiration, Thérèse resta que lques minutes sans parler ; et Mme de Vernoux e l l e -m ê m e demeura si lencieuse, remuée par les s o u ­venirs lointains que ce spectacle réveillait en el le . Ce fut M. de Monrémy qui donna le signal du départ.

« En route ! cria-t-il. Il n'y a pas de temps à perdre si vous voulez faire connaissance de près avec tout ce que vous voyez et si Thérèse veut prendre sur place une leçon de botanique. »

On se remit donc en marche et l 'on s 'engagea bientôt dans la forêt , M. de Monrémy en tête de la petite caravane. A peine y eurent-ils fait que lques pas, qu 'on vit des centaines d'oiseaux s 'envoler bruyamment au-dessus de leur tête, et M. de Monrémy en n o m m a plusieurs à Thérèse : le cardinal, aux ailes écarlâtes; l'oiseau moqueur, ainsi n o m m é parce qu'il imite les cris de tous les animaux qu'il entend, et divers perroquets aux couleurs éclatantes et variées. On fit lever aussi plusieurs quadrupèdes, qui disparaissaient dans les fourrés en se laissant à peine entrevoir : antilopes, agoutis (sorte de lièvre sauvage), et plusieurs autres espèces d'animaux. Mais ce qui intéressa surtout Thérèse fut l 'aspect de p l u -

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 91

sieurs s inges de différentes tailles qui à leur approche s'élançaient d'arbre en arbre. M. de Monrémy en tua même un tout petit, que Thérèse put ainsi voir de près : c'était un singe écureuil , appelé vulgairement titi, jo l ie petite créature aux poils soyeux et aux yeux expressifs.

On s 'engagea bientôt dans un sentier frayé, dont M. de Monrémy recommanda de ne pas s'écarter afin d'éviter la rencontre des s e r ­pents venimeux, peu nombreux, il est vrai, dans cette partie de l'île. Thérèse se tenait près de lui , et lui faisait mille quest ions sur tout ce qu 'el le voyait. Enfin, au bout de deux heures , on arriva dans une ravissante clairière, sorte d'oasis dans la forêt, où l 'on devait s'arrêter pour déjeuner et prendre quelques heures de repos . Ce petit coin de la forêt était planté de que lques co ton­niers, assez espacés les uns des autres, dont le feuillage tamisait doucement la lumière du solei l , et le sol était couvert d'un duvet blanc qui n'était autre que du coton provenant des capsules entr 'ouvertes de l 'arbre. Ces flocons cotonneux formaient un lit tout préparé ; on entendait à cent pas le murmure d'un ruisseau, et on reconnut qu'aucun endroit ne pourrait réunir de mei l leures conditions pour la balle. On déballa donc les provisions, et l'on mit par terre sur une nappe le bon déjeuner préparé par l 'habile cuisinier

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92 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE nègre de la plantation. Le repas terminé, chacun s'étendit sur le lit moe l leux préparé par la nature. Mme de Vernoux s'arma d'un large éventail des ­tiné à combattre les innombrables moust iques qui assaillaient nos voyageurs . M. de Monrémy alluma un c igare, et les nuages de fumée qui l 'enveloppaient éloignèrent un peu de son visage les insectes qui tourbillonnaient dans l 'air; quant aux enfants, ils essayaient vainement d'écarter d'eux ces importuns ennemis , et s'agitaient sans obtenir de répit.

Le nègre Pompée, qui les observait, disparut alors en courant, et revint que lques minutes après, tenant un paquet de plantes ressemblant un peu au b u i s ; il les écrasa dans ses larges mains , et conseil la ensuite aux enfants de se frotter le visage et les mains avec le jus qui en sortait, leur disant que c'était pour les débarrasser des m o u s ­t iques. Les enfants, étonnés, hésitaient ; mais M. de Monrémy les engagea à suivre les avis de Pompée , qui connaissait très bien l 'usage d'un grand nombre des plantes et des herbes de l ' île.

« C'est probablement , ajouta-t-il , l 'odeur de ces plantes qui éloignera de vous les moust iques , car elles ont un parfum très fort, ressemblant à celui de la menthe . Je me rappelle en effet avoir entendu parler de la propriété de ces herbes contre ces insectes. »

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 93 Los enfants se frottèrent donc c o m m e le nègre

le leur avait dit : aussitôt ils virent les insectes s 'éloigner en tourbillonnant dans une autre direction.

En les suivant dos yeux, Thérèse remarqua à quelque distance un arbre dont le tronc lisse s'élevait à une hauteur prodigieuse. Étonnée de la différence qui existait entre cet arbre et ceux qui l 'entouraient, elle la lit remarquer à son oncle .

« Tiens! répondit celui -c i , c'est le palmier-chou, un arbre que j e suis bien aise de pouvo ir vous montrer , car il rend des services aux indi ­gènes égarés dans nos forêts, en leur fournissant une agréable nourriture, c omme vous allez le voir. Et il ordonna à l'un des noirs de monter à la cime de ce palmier. Pour y parvenir, le nègre, qui ne pouvait gr imper le long du tronc lisse et poli, se servit d'un arbre voisin, d'un accès moins difficile, et grâce auquel il put aisément atteindre les premières branches du palmier. De là il arriva bien vite au sommet et, tirant un couteau de sa poche, il coupa et jeta à terre les j eunes pousses qui couronnaient la c ime du palmier. M. de Mon-rémy en ramassa une et la donna à sa nièce en lui disant d'y goûter : Thérèse trouva que cela avait un goût assez agréable e1 que ces gros bourgeons étaient remarquablement tendres et

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savoureux. Son oncle lui lit remarquer que cet arbre n'était pas le seul qui fût utile dans ces forêts et que bien d'autres plantes encore y offraient chaque j o u r à l 'homme de précieuses ressources .

« Et maintenant, ajouta-t-il , il est temps de se reposer ; et si nous pouvons faire une petite sieste à l 'ombre de ces beaux arbres, cela nous disposera mieux pour le retour. »

Chacun s'étendit alors de son mieux par terre, et, un quart d 'heure après, tout le monde sommei l ­lait sous la garde de Pompée et d'un autre nègre.

Thérèse se réveilla la première , sous l ' impres­sion d'une piqûre brûlante : elle jeta un faible cri , qui suffit néanmoins à réveil ler sa mère c l ses autres compagnons : fous s 'empressèrent autour d'elle, lui demandant ce qu'el le avait. Elle montra son poignet , qui , protégé par la manche de sa robe , n'avait pas participé à la friction d'herbes indiquée par Pompée : pendant le sommeil de la petite, la manche s'élait légèrement retroussée, et l 'on pouvait constater au haut du poignel la trace très visible d'une piqûre .

Effrayée au début, Mme de Vernoux crut d'abord à la morsure d'un serpent, et déjà elle jetait autour d'elle des regards inquiets , lorsque M. de Monrémy la rassura d'un mot en lui indiquant en m ê m e temps du doigt que lques abeilles vo l l i -

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 95

geant autour d'un arbrisseau en fleurs à quelques mètres de là. On reconnut bien vite que la petite avait été en effet p iquée par une s imple abei l le ; et pendant que sa mère cherchait à la rassurer, un singulier cri d'oiseau se fit entendre : M. de Mon-rémy leva la tête et dit aussitôt à Thérèse :

« Voilà, ma chère enfant, que lque chose qui va achever de te distraire de ton mal : suis -moi avec tes c o u s i n s ; j e vais vous faire assister à un étrange spectacle. Vous voyez bien cet oiseau? continua-t- i l en leur montrant du doigt l 'oiseau dont le cri avait attiré son attention; c 'est l'oiseau aux abeilles : son instinct le porte à conduire l 'homme vers les ruches d'abeilles, dans l 'espoir d'avoir sa part du butin, car c'est une petite bêle très friande de miel . Suivez-moi tous dans le plus profond si lence, et laissons-nous guider par cet intelligent oiseau : vous allez voir avec quelle sûreté il va nous conduire au but. »

En effet, l 'oiseau en question semblait vouloir attirer à lui la petite troupe, voltigeant autour d'elle, parlant, revenant et faisant toujours en ­tendre son même cri monotone .

« Mais, m o n oncle , dit Thérèse à voix basse tandis que tous suivaient ce guide étrange, p o u r ­quoi cet oiseau éprouve-t- i l le besoin de nous chercher, et c o m m e n t se fait-il qu' i l y ait des ruches dans la forêt?

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— C'est l 'instinct, mon enfant, qui pousse cette petite bête à appeler à son aide un être plus fort que lui p o u r attaquer la ruche que ce m ê m e instinct lui a fait découvrir . Et quant aux ruches dont j e parle, ce ne sont pas, tu penses , de vraies ruches c o m m e celles qui sont faites par les h o m m e s , mais plutôt des nids d 'abeilles, situés soit dans les fentes d'un rocher , soit dans la cavité d'un arbre : du reste tu vas voir . »

Ils marchèrent ainsi pendant un bon quart d 'heure, lorsque tout à coup l 'oiseau s'arrêta près d'un vieux calebassier et se percha sur l 'arbre en répétant son cri plusieurs fois de suite, et rerusant d'aller plus loin. M. de Monrémy et les enfants s'approchèrent et, levant les yeux, ils ne lardèrent pas à apercevoir des abeilles entrant et sortant par un trou placé sur le côté de l'arbre : c'était bien un nid d'abeilles.

« Mais, m o n oncle , dit Thérèse, comment al lons-nous faire pour trouver le miel , qui doit être dans l 'arbre puisque les abeilles en sor ­tent?

— Malheureusement; mon enfant, il ne nous sera pas possible de le faire aujourd 'hui ; car il faut pour cela des mèches soufrées, que nous n'avons pas. Mais vous n'y perdrez rien, en effet j e vais vous expl iquer comment on s'y prend, et demain j 'enverrai chercher ce miel par nos

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 97 nègres. On commence par boucher le trou qui sert d'issue aux abeilles. On creuse ensuite au pied de l 'arbre un autre trou, dans lequel on introduit une mèche soufrée que l 'on a l lume. Ne pouvant plus sortir par leur trou habituel, les abeilles meurent en fumées ; c l quand l'arbre est mort , c o m m e celui-ci , on peut sans regret l'abattre et en extraire le miel sauvage ren­fermé dans l ' intérieur et qui passe pour être excellent.

— C'est ennuyeux, dit Gabrielle, de ne pas voir cela nous -mêmes : c'aurait été amusant ! . . . Du moins , papa, si nous restions quelque temps dans ce jo l i endroit pour que Thérèse et moi puissions y cueillir ces belles fleurs dont l 'herbe est couverte?

— Pour moi , j e ne demande pas mieux, dit alors Mme de Vernoux ; et si vous voulez , m o n oncle , nous survei l lerons les enfants tout en nous reposant ici. »

Ils s'assirent donc au pied d'un arbre ; Ernest, fatigué, resta près d'eux, et les petites filles se mirent à faire des bouquets .

Il y avait environ un quart d'heure qu'el les étaient ainsi occupées , lorsque Thérèse aperçut à une petite distance une touffe de belles fleurs bleues près d'un gros arbre. Elle s 'éloigna donc un peu pour aller les cueil l ir . Elle en avait déjà

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98 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE fait un gros bouquet , lorsque son oreille fui frappé par un bruit étrange, parti tout près d 'e l le ! Effrayée, elle leva la tête, mais ne vil r ien. Elle crut s'être trompée et s'apprêtait à cueillir de nouvel les fleurs, quand les m ê m e s sons se firent entendre à ses côtés. Celle fois il n'y avait pas à s'y méprendre : c'était un gémissement sourd, semblant provenir d'un h o m m e plutôt que d'un animal. Terrifiée, la petite regarda autour d'elle : rien, absolument

rien n'apparaissait à ses yeux, et elle seule év idemment entendait ce bruit, car Gabric l le ' qu 'e l le voyait de loin, continuait tranquil le­ment à faire ses bouquets . Thérèse n'appela pas, ne cria pas, mais elle se, précipita du côté de sa mère , et tomba haletante dans ses bras. Effrayée, Mme de Vernoux quest ionna sa tille, mais celle-ci ne put d'abord articuler un seul son. M. de Monrémy avait déjà rappelé Gabrielle et saisi son fusil , craignant que lque danger encore inconnu. Thérèse parvint enfin à s 'expliquer, et son oncle courut vers l 'endroit qu'el le lui désignait. Il regarda, mais vaine­ment, autour de l u i : rien ne se montrait, tout demeurait si lencieux. Cinq minutes se p a s ­sèrent : enfin le m ê m e son rauque et guttural se fit de nouveau entendre. Ce bruit semblait venir d'en haut, et pourtant M. de Monrémy ne

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 99 voyait devant lui que le tronc élevé d'un vieux calebassier à demi desséché et dépouil lé de ses feui l les . . . . Des gémissements pleins d 'angoisse retentirent encore . On eût dit alors qu' i ls s 'éle­vaient de dessous terre.

Tout courageux qu'il fut, M. de Monrémy se sentait très troublé devant ce phénomène inex ­plicable. ; quant à Mme de Vernoux et aux enfants, ils se pressaient tous, épouvantés , autour de lui. Enfin un quatrième cri, plus perçant, plus ac­centué que les précédents, déchira de nouveau l'air, et M. de Monrémy, allant vivement vers l 'arbre, le frappa de la crosse de son fusil en s'écriant :

« Mais il y a un h o m m e au fond de cet arbre ! » Il appela de foute la force de ses p o u m o n s .

Des gémissements sourds lui répondirent, et un léger grattement se fil entendre tout près de lui à l ' intérieur du tronc.

« Patience et courage , mon ami, cria M. de Monrémy; qui que vous soyez, vous êtes sauvé : on va vous délivrer. »

Et, courant du côté où il avait laissé ses noirs, il revint avec eux. L'un d'eux tenait une corde, et eut bientôt gr impé au sommet de l 'arbre, où Pompée le suivit pour diriger le sauvetage.

« Avez -vous les mains l ibres? cria-t-il au

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100 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE malheureux inconnu, en se penchant sur l ' o u ­verture béante de l 'arbre creux.

« Oui! ou i ! . . . Mes deux bras sont au-dessus de ma tête, . . . mais j e suis serré contre les parois de l 'arbre. . . c o m m e dans un étau! . . . gémit la voix d'une façon entrecoupée.

— Eh bien, saisissez le bout de la corde , nous allons vous hisser, cria Pompée dominant la cavité, dans laquelle il laissa couler la corde.

— Oui ! . . . jetez vite. . . . J'étouffe! » Pompée , aidé de l'autre nègre, commença à

tirer la corde à lui, et bientôt des mains, puis des bras, une tête apparurent, sortant du tronc de l 'arbre. A la vue de ce visage, Pompée poussa une exclama lion de surprise :

« Miséricorde ! c'est Annibal ! cria-t-il en saisis-sant l 'infortuné et en l'aidant à sortir de l'arbre qui aurait pu être son tombeau.

— Quoi ! Annibal? . . . Comment est-il ici? » dit M. de Monrémy dont le froid s'étail plissé et les sourcils contractés. Le malheureux nègre ne répondit pas d'abord : il était dans un état effroyable; il avait la figure toute souillée de sang, le corps meurtr i ; des c loportes et autres insectes couraient sur lui ; ses yeux étaient dilatés, et lorsqu'il eut été déposé à terre, il faillit m ê m e s 'évanouir.

« Comment es-tu tombé dans cet arbre, mal -

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UN INCIDENT DANS LA FORÊT 101 heureux, et pourquoi es-tu venu ici? . . . Parle d o n c !

— J'ai glissé dans l ' intérieur en voulant prendre du miel que j e croyais y trouver , répon­dit le nègre d 'une voix sourde .

— Tu avais donc encore quitté ton travail? reprit son maître, el la bastonnade de l 'autre jour ne l'avait pas suffi? Tu en mériterais une seconde, pour donner ainsi le mauvais exemple aux autres !

— Oh! mon onc l e ! dit alors tout bas Thérèse en s'approchant de M. de M o n r é m y : m ê m e s'il a eu tort, ne le punissez p l u s ! il a tellement souffert !

— Quelle heure était-il lorsque tu as quitté les champs? lui demanda brusquement M. de Mon­rémy.

— Midi. — Il est trois heures et demie : plus de trois

heures au fond de cet arbre . . . . La punition peut suffire, en effet, reprit M. de Monrémy d'un ton dur. Va-t 'en, misérable, et que cela te serve de leçon, d'autant que tu n'auras pas toujours la voix de ma nièce implorant en la faveur! »

Et Annibal , qui avait eu le temps de se remettre un peu, s 'éloigna encore chancelant, soutenu par un des noirs .

« Et maintenant, mes enfants, il est temps de

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reprendre le chemin de l 'habitation, dit M. de Monrémy, et, Thérèse, ne pense plus , au moins , à ce drôle , serviteur paresseux qui ne mérite pas ta compass ion . » On remonta à cheval ; mais, malgré les beautés de la route, le retour fut plus si lencieux que n'avait été la première partie de la j ournée , surtout pour Thérèse, qu ' impress ion­nait encore après coup l 'aventure dramatique du n è g r e ; elle se disait cependant, avec un senti­ment de satisfaction intérieure, que c'était elle qui l'avait entendu et avait, par le l'ait, contri ­bué à le sauver.

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VII

Triste récit et triste événement

Le lendemain matin, Mme de Vernoux dit à Thérèse qu'el le allait s ' informer de l'état du pauvre nègre qui avait manqué périr étouffé dans l'arbre la vei l le , et la petite demanda aussitôt la permission de l 'accompagner. Elles prièrent Chloé de les conduire à la case d'Ànnibal. Celle-ci s'arrêta bientôt à la porte d'une des huttes et y fit entrer Mme de Vernoux et sa fille.

Mme de Vernoux s'avança vers le grabat où était étendu Annibal . Il était à demi tourné contre le mur , mais la partie de son visage qu 'on aper-

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104 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE cevait était enflée et tuméfiée ainsi que ses mains.

« Je viens savoir si vous vous trouvez mieux ce matin, lui dit Mme de Vernoux, et si les remèdes qu 'on a dû vous donner vous ont déjà soulagé. »

Le noir ne bougea pas. « Peut-être est-il trop malade pour vous

répondre, maman? dit à mi-voix Thérèse. — A-t-il la fièvre? reprit après quelques in­

stants Mme de Vernoux, s'adressant celle fois à une vieille négresse accroupie près du foyer.

— Peut-être bien, g rommela la femme. — Je pensais que vous aviez trouvé que lques

herbes à mettre pour calmer l 'inflammation qu'il doit avoir, ayant été pressé si l ongtemps dans ce malheureux a r b r e : car vous avez des remèdes pour bien des blessures, d'après ce que m'a dit Pompée .

— Les noirs sont bien forcés de se soigner eux-m ê m e s : c'est pas les blancs qui le font ! fut la réponse sèche de la vieil le. Et puis , ajouta-t-elle après un moment de si lence, qu 'est -ce que cela vous fait, un nègre malade? Vous êtes avec les blancs, v o u s ! »

Chloé était restée sur le seuil de la porte ; indignée de voir la bonté de Mme de Vernoux si mal accueill ie, elle s'avança vers la négresse et lui dit d'un ton de reproche :

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TRISTE RÉCIT ET TRISTE ÉVÉNEMENT 105 « Tu vois bien que la dame est bonne pour

Annibal ; elle a été bonne pour moi aussi, et c 'est cette petite maîtresse-ci qui a empêché ma pauvre Yola d'être vendue : elles ne sont pas méchantes pour les nègres, elles, el il ne faut pas mal leur parler ! »

La négresse ne répondit p a s ; mais Annibal , retournant la tète en ce moment , regarda Chloé d'un air sombre el lui dit :

« Elles sont blanches , et elles n 'empêcheront pas les blancs de nous tourmenter . . . et de nous faire tuer quand cela leur plaît, c o m m e le maître l'a l'ail pour ton mari, ne l 'oublie pas ! » El, lan­çant un regard de haine sur Mme de Vernôux c l sa fille, il détourna de nouveau la tête.

Mme de Vernoux, voyant qu'il n'y avait r ien à faire près de ces nègres endurcis , prit la main de Thérèse et sortit en si lence. La pauvre enfant était tout attristée de voir pour la première fois si mal comprises leurs charitables intentions. La haine d'Annibal la révoltait, et cependant elle sentait que ces mauvais sentiments devaient être motivés par la dureté déployée envers tous ces malheureux nègres et qui l'avait si souvent choquée depuis son arrivée dans l ' île. La dernière phrase d'Annibal l'avait surtout frappée; quel le part son oncle avait-il pu avoir dans la mort du pauvre Marco? Elle regarda Chloé qui les

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106 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE suivait, et vit ses yeux remplis de larmes.

« Chloé p l eure ! dit-elle tout bas à sa mère. C'est le mot de ce méchant nègre qui lui a l'ail de la pe ine ! » Et avec sa bonté habituelle elle se rapprocha de. la pauvre négresse cl lui serra doucement la main.

« Ma pauvre Chloé, dit alors Mme de Vernoux, j e regrette que cette visite ail été pour vous la cause d'un chagrin en vous rappelant un pé­nible souvenir .

— Vous né saviez pas ce qu'Annibal dirait, bonne maîtresse, répondit la négresse à travers ses larmes; et je n'aurais pas voulu non plus qu'il parlât devant vous du maître c o m m e il l'a l'ail.

— Je ne puis croire en effet que mon oncle ait voulu causer la mort de votre mari , reprit Mme de Vernoux. Mais ne parlez pas d'un sujet qui vous fait tant de peine; pauvre Chloé.

— Oh s i ! Л vous qui êtes bonnes et qui c o m ­prenez les chagrins des pauvres nègres, je veux raconter tout et expl iquer ce qu'Annibal a d i t »

Et malgré les efforts de Mme de Vernoux pour l'en empêcher , Chloé commença le récit suivant :

« Un j o u r , le maître annonça qu'il irait en expé­dition contre un couple de jaguars qui faisaient beaucoup de mal dans le pays, et il choisit Marco pour diriger la chasse,. . . car c'était un fameux

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TRISTE RÉCIT ET TRISTE ÉVÉNEMENT 107 chasseur que mon pauvre mari ! Et pas un nègre n'était plus courageux que lui. Quelle chasse, mon Dieu ! Jamais j e n'oublierai ce qu'Annibal m'a raconté de cette journée- là : il y était aussi, lu i ! Le maître partit de grand mat in ; c'était au mois d'avril, et les animaux sont plus dangereux alors, car ils ont leurs petits. La j ournée était belle et le maître était content. Mais moi j 'avais déjà peur quand ils sont partis : cl j e ne savais pas pourtant le malheur qui arriverait. . . . La chasse commença bien, et Marco fit lever des antilopes, que le maître put tuer. Vers midi on entra dans la partie la plus épaisse de la forêt : Marco conduisait les chiens et les vil s'agiter beaucoup en approchant d'un hallier plus fourré que le reste. Il comprit que des bêtes fauves devaient être là, et en regardant à terre il vit la trace de griffes et reconnut que ce devait être la piste des j aguars ! . . . Marco revint vers le maître, qu'il avertit ainsi que les autres nègres, et l'on avança en silence et avec précaution vers le fourré. Tout à coup les chiens s'y précipitèrent en hurlant, et deux petits jaguars de la taille de deux gros chats en sortirent du côté opposé : les chiens se lancèrent à leur poursui te ! Ne voyant pas les grands jaguars , le maître eut, hé las ! l 'idée de prendre les petits, vivants, pour les montrer aux j eunes maîtres avant de les tuer! Il en donna

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l 'ordre à Marco, qui se mil à courir après les deux petits animaux, pendant que les autres nègres s'arrêtaient et retenaient les chiens . Il parvint à s'en emparer, mais après s'être assez é lo igné. Il commençait à retourner vers le maître, quand un rugissement terrible retentit. . . . Le maître pâlit, me dit Annibal. Presque aussitôt on vit sor ­tir, du fourré, à deux cents mètres de Marco, deux énormes bê l es ; leur peau tigrée, leur énorme tête ronde les faisaient aisément reconnaître : c'étaient deux grands j aguars !

« Ils ne restèrent pas longtemps immobi les , et, poussant un hurlement épouvantable, ils furent en que lques bonds sur les traces de Marco, que des ronces leur cachaient encore ! Les autres nègres , épouvantés, jetèrent des cris de terreur et crièrent à Marco de se hâter. . . . Il compr i t ; et sans m ô m e se retourner, n'ayant pour armes que son fouet et son couteau de chasse, il se mit à courir vers eux aussi vite qu'il put. Le maître, lui, avança de que lques pas, et armant son fusil :

« — Lâche un des petits, . . . rien q u ' u n ! » cria-t-il à Marco, qui obéit sans regarder derrière lui.

« — L'autre! » cria encore le maître un instant après. Le second petit jaguar roula à terre tandis que Marco courait tou jours ! Tous crurent alors mon pauvre mari sauvé. Les deux grands jaguars s'étaient arrêtés près du premier petit et le

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C'étaient deux grands jaguars.

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léchaient en le poussant doucement du nez. Mais ce répit dura peu . En trois bonds ils furent au ­près du second petit. Cette fois ils s'arrêtèrent à peine, et, comprenant sans doute que l 'ennemi n'était pas loin, ils se jetèrent en avant, le museau baissé vers la terre! . . . Un instant après ils attei­gnaient Marco, qui , instinctivement, fit un saut de côté. Ce mouvement , en l'écartant des jaguars , permit au maître de les viser, et le jaguar femelle tomba mort ! . . . Un cri plein d 'angoisse, que j e n'ai pas entendu, mais que j e crois toujours enten­dre, s'éleva au même instant : un rugissement rauque accompagna ce cri d 'agonie , . . . et quand un nouveau coup de feu du maître tua le second jaguar comme le premier, mon mari . . . , m o n pauvre mari . . . ! »

Ici les larmes de Chloé étouffèrent sa voix. Thérèse, très émue e l le -même, ne put s 'empêcher d 'embrasser affectueusement la pauvre négresse , dont ce fut la meil leure consolation, el Mme de Vernoux, après quelques mots de compass ion , lui dit d'aller retrouver sa petite Yola, le seul b o n ­heur qui lui restât dans sa triste v i e !

Le récit de Chloé avait fait oubl ier à Thérèse l ' impression pénible de leur visite à la case d'An-nibal; mais sa mère en axait été plus pro fondé ­ment frappée : car la haine de ce noir contre les blancs n'était pas le seul indice que Mme de

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112 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Vernoux eût remarqué depuis son arrivée dans la plantation. Elle avait parfois surpris chez ces nègres des regards sombres et des gestes farouches, que l 'habitude de la servilité ne par­venait pas à maîtriser complètement , et qui d é n o -taient un sentiment bien plus profond qu 'une ran­cune ordinaire : on sentait qu' i ls avaient au fond du cœur une haine invétérée contre les blancs. Cependant elle n'avail rien entendu encore d'aussi significatif que les que lques mots prononcés par Annibal , et elle se promit d'en rendre compte à son oncle à la première occasion.

Mais lorsqu'el le le rencontra au moment du repas, el le le vil préoccupé et ne voulut pas aborder ce sujet en ce moment. Mme de Monrémy ne parut pas au déjeuner , et son mari apprit alors à sa famille réunie à table qu'el le venait d 'avoir p o u r la première fois une faiblesse assez longue et qui l'avait inquiété.

Mme de Vernoux constata en effet, quand elle vit sa tante, qu 'el le était beaucoup plus faible que d'habitude, el comprit aussitôt que cet état de langueur devenait sérieux. Un médecin appelé déclara qu'il fallait user des plus grandes pré ­cautions, car toute complication pouvait devenir grave dans l'état maladif où elle se trouvait.

Toute idée de parties et de distractions au loin fut donc écartée pour le moment , el bientôt même

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TRISTE RÉCIT ET TRISTE ÉVÉNEMENT 113 la préoccupation devint plus grande , car une fièvre lente s'était déclarée et les remèdes ne par­venaient pas à combattre la faiblesse croissante de Mme de Monrémy, qui ne paraissait plus aux repas, et ne prenait l'air qu 'à la fenêtre, étendue sur une chaise longue . M. de Monrémy soignait sa femme, mais sa nature froide ne pouvait d ispa­raître entièrement, m ê m e au milieu de ses inquié ­tudes, et la pauvre malade aurait été souvent bien seule sans sa nièce, qui lui faisait de fréquentes visite s.

Mme de Vernoux et sa fille ne pouvaient s 'em­pêcher de remarquer avec tristesse l 'indifférence des deux enfants pour leur mère en cette grave circonstance. Mme de Monrémy, m ô m e avant d'être souffrante, ne s'était jamais beaucoup occupée d'eux, et sa vie nulle et mol le lui avait enlevé toute influence dans la maison et particulièrement sur ses enfants : néanmoins Mme de Vernoux et Thérèse ne comprenaient pas qu' i ls fussent aussi froids pour leur mère malade. Ernest, surtout, plus égoïste c l plus gâté que sa sœur, n'entrait chez Mme de Monrémy que pour avoir de ses n o u ­ve l les ; et si Gabrielle restait davantage chez sa mère, c'est qu'el le sentait instinctivement ne p o u ­voir faire autrement. Thérèse, qui voyait cela, venait le plus souvent possible chez sa tante en même temps que sa cousine , pour aider celle-ci

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à distraire sa mère . Elle lui suggérait m ê m e que lques attentions aimables, dont Mme de Mon-rémy était évidemment touchée, tout en c o m p r e ­nant la part que Thérèse y avait. A cette école, du reste, Gabrielle devint moins personnelle et mei l ­l e u r e ; l 'heureuse influence de ses nièces dans la maison adoucit certainement les derniers temps de l 'existence de la pauvre c réo l e ; et lorsqu'el le s'éteignit doucement quelques mois après, encou ­ragée et fortifiée par la bonté et la piété de Mme de Vernoux, la foi et la résignation dont elle fit preuve , et les bons sentiments que montra Ga­brielle, prouvèrent à Thérèse que sa mère ne s'était pas trompée en lui disant qu'el les p o u ­vaient faire du bien, même dans un milieu où tant de choses les avaient justement froissées à leur arrivée.

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VIII

Indices de révolle

Après la mort de sa femme, M. de Mohrémy sentit qu'il devait s 'occuper davantage de ses en ­fants. 11 surveilla les leçons que son fils recevait d'un professeur, et prit l 'habitude de l ' e m m e ­ner souvent avec lui dans ses courses sur la plan­tation et aux environs . Ernest se trouva donc de plus en plus séparé des petites filles. El c omme la pauvre Gabrielle devenait ainsi très isolée, M. de Monrémy accepta l'offre de Mme de Vernoux de la prendre dans son appartement. Gabrielle fut installée dans une chambre attenante à celle

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de sa cousine , et elle apprécia bien vile cet arran­gement qui lui faisait partager plus c o m p l è t e ­ment la vie de Thérèse. Elle profitait aussi des leçons que celle-ci prenait avec sa mère , et répara peu à peu les défauts de son éducation.

Elle ne pouvait cependant oubl ier ce qu 'el le avait entendu depuis son enfance sur la race noire , et l 'une des choses que Mme de Vernoux avait le plus de peine à lui persuader, était que ces malheureux devaient être traités c o m m e les autres h o m m e s . On vit cependant bientôt que , m ê m e sur ce point, elle avait bien gagné au contact de sa cousine . Il arriva en effet que sa petite négresse Phillis quitta la plantation à la suite de ses parents ; et lorsque M. de Mon-rémy offrit à sa fille une autre petite négresse pour la remplacer , Gabrielle refusa, comprenant qu'i l n'était pas juste d'abuser de ces pauvres enfants c o m m e elle l'avait fait, et craignant cependant de n'avoir pas encore assez d'empire sur e l le -même pour traiter une nouvel le négresse avec la bonté que Thérèse avait pour Yola.

Ernest se m o q u a de sa sœur, disant qu'elle était bien sotte de ne pas savoir se faire serv ir ; son père lu i -même s'étonna de ce refus ; mais lorsque Gabrielle expliqua à Mme de Vernoux pourquoi elle avait agi ainsi, elle se sentit récompensée et encouragée en voyant ses bons sentiments c o m -

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INDICES DE RÉVOLTE 117 pris et appréciés. Chloé e l le -même remarquait combien Gabrielle était devenue mei l leure pour elle que jadis .

Tout alla bien ainsi pendant que lques m o i s . Après les premiers moments de grand deuil de M. de Monrémy, que lques voisins, planteurs des environs, vinrent de temps à autre le visiter, c l un j our , l'un d'eux mit la conversation sur le sujet des nègres . Mme de Vernoux était présente : elle entendit le co lon étranger se plaindre de la manière moins docile et moins passive dont ses nègres obéissaient depuis que lque temps. Son commandeur avait même demandé l 'autori­sation d'user de punitions plus sévères que de coutume envers les noirs les plus indoci les .

M. de Monrémy répondit alors que son c o m ­mandeur lui avait fait, les mêmes plaintes. « Cependant avec un peu de sévérité, ajouta-t-il, on en vient facilement à bout . »

Mais le planteur voisin lui dit que cet esprit d' insubordination commençait à s'étendre plus qu 'on ne le croyait, et qu 'un certain nombre de co l ons s 'étonnaient de ces faits, si rares j u s ­qu'ici , et qui surtout ne s'étaient jamais man i ­festés qu ' i so lément .

M. de Monrémy semblait ne pas attacher grande importance à ce que lui disait son visiteur; mais lorsque celui-ci fut parti, Mme de

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Vernoux, qui s'était souvenue pendant relie conversation de sa visite au nègre Annibal , saisit cette occasion pour la raconter à son o n c l e ; et elle lui fit remarquer que cela ne concordait que trop bien avec ce qu'i l venait d 'entendre.

« Je ne nie pas, ma chère nièce, qu'il y ait des idées de révolte et de haine chez que lques -uns de nos n è g r e s , mais ces mauvaises têtes ne pourraient parvenir à soulever la masse de nos noirs, tel lement rompus à l 'obéissance qu' i ls n 'arriveront jamais aux voies de fait.

— Je vous assure, m o n cher oncle , que l ' im­pression contraire m'est restée, et une mani ­festation hostile de leur part serait loin de m'étonner ! »

La conversation en resta là, et plusieurs semaines se passèrent.

Un j o u r , Chloé, qui avait été chercher que lque o b j e t dans son ancienne case, trouva par terre un papier écrit et chiffonné qui lui parut être un fragment de lettre. Elle ne savait pas lire, mais , pensant que cette lettre pouvait concerner que lqu 'un de la plantation, elle la ramassa et l 'emporta dans sa chambre . Elle y trouva Yola, et c o m m e l'enfant avait bien profité des leçons de sa petite maîtresse, elle put lire, quo ique avec que lque peine , le papier que sa mère lui montra. Il contenait des mots que Vola ne comprenait

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pas bien, niais dont le sens mystérieux effraya Chloé. Il était ainsi conçu : « Leur temps est fini. Le troisième soir après la lune, tenez-vous prêts ! . . . L'heure est minuit . » Pas de signature.

La vieille négresse réfléchit un instant, puis , devinant que lque menace cachée sous ces l ignes , elle se décida à les porter à sa maîtresse.

Mme de Vernoux comprit tout de suite qu'il s'agissait d'un complot des noirs irrités, qu 'une répression plus violente encore avait pu décider. Elle se rendit immédiatement chez son onc le , et lui montra le billet. Ce j our , cette heure m ê m e , indiqués, ébranlèrent un peu l 'incrédulité jusque - là persistante de M. de Monrémy. Deux jours seu lement les séparaient de la date fixée, et Mme de Yernoux conjura son oncle de prendre les mesures de prudence nécessaires pour éviter les dangers d'une révolte.

Moitié par convict ion, moitié pour rassurer sa nièce, M. de Monrémy alla le lendemain à la ville voisine, et pr i tdes mesures pour avoir à sa portée et dissimulée dans les bois environnants la force armée nécessaire pour réprimer foule attaque nocturne en cas de besoin. Voyant l ' inquiétude mal déguisée de Mme de Yernoux, il voulut m ê m e qu'el le allât, accompagnée des trois enfants, passer la j ournée et la nuit que l 'on redoutait, dans une plantation voisine, sous prétexte d'une

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Les nègres , avec leur finesse habituelle, avaient-ils pressenti qu' i ls avaient été trahis? S'étaient-ils aperçus de la disparition de leur billet de ral l iement?. . . On ne sait; toujours est-il qu 'aucun mouvement n'eut l ieu, et la p lus grande tranquillité ne cessa de régner toute la nuit dans la plantation.

Le lendemain, M. de Monrémy alla chercher chez le colon voisin Mme de Vernoux et les enfants; et lorsqu' i ls furent rentrés, il dit à sa nièce :

« Eh bien, ma chère, vous voyez que c'était une alerte va ine ; et, sans regretter les mesures de précaution que j 'ai dû prendre , j e ne puis m'empêcher de vous faire remarquer que votre frayeur était exagérée ; vous voyez que l 'évé­nement m'a donné raison.

— Pourtant, m o n oncle , comment expl iquer ce billet trouvé par Chloé?

— Les menaces qu'il contenait ne concernaient év idemment pas les blancs : il s'agissait peut -être de que lque querel le entre les noirs de diffé-

visite. On n'avait rien dit aux enfants, afin de ne pas les effrayer. Pour lui, entouré de que lques blancs sûrs qu'il avait introduits secrètement dans l 'habitation, il passa la nuit sur pied, avec des armes à portée de la main.

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renies plantations! . . . Enfin, quoi qu'il en soit , soyez convaincue que nous n'avons pas à redouter une révolte, que ces misérables payeraient cher, ils le savent b i en ! Et si votre négresse a voulu faire du zèle, recommandez- lu i , au moins , de garder le si lence sur tout cela. Quoi que vous en disiez, gâter ses nègres , c o m m e vous seriez tentée de le faire, n'est pas la vraie manière d'agire avec eux : la crainte seule les maintiendra. »

L'opinion de Mme de Vernoux sur ce sujet n'en resta pas moins la m ê m e , et elle se disait, avec raison, que les moyens violents ne seraient pas nécessaires si des traitements plus humains empêchaient ces idées de rébell ion de se faire j our . Mais elle jugea inutile de répéter à son oncle ce qu 'el le lui avait fait entendre, d 'ail leurs, tant de fois .

Bien que le calme restât apparent dans la colonie, certains planteurs, plus perspicaces que les autres, demeuraient frappés de que lques symptômes d ' indépendance qui continuaient à se manifester sur différents points à la fois.

On avait essayé de mesures de r igueur inusitées j u s q u e - l à ; mais les nègres châtiés se relevaient plus haineux c l plus vindicatifs que jamais : un commandeur avait m ê m e été mal­traité sérieusement par eux, et que lques rixes sanglantes avaient prouvé aux colons que la

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fermentation des esprits chez les noirs prenait des proportions inquiétantes, pouvant faire craindre qu'aux menaces ne succédassent les faits.

Dans les fréquentes réunions des co lons on attribuait cet état de choses au contre -coup des événements qui se passaient alors en France. On était en effet en 1791, et les j ournaux français venaient de faire connaître le décret qui donnait aux h o m m e s de couleur une partie des droits que s'étaient jusqu 'a lors réservés les blancs. Ce qui avait ajouté à l 'audace des nègres était la discorde que ces nouvel les avaient semée parmi les c o l o n s ; e l l e s noirs profilaient de ces divisions, qui détournaient l'attention de leurs maîtres, pour chercher à secouer un j o u g si dur pour eux. Quelques chefs parmi eux, plus intelligents et déterminés, comprenaient la force que leur donnait ce décret, effaçant en partie la distance qui les avait jusque- là séparés des b lancs ; et, remplis d'une ambition nouvel le , ils cherchaient à provoquer un soulèvement en masse de tous les nègres . Pour en arriver là, excités c o m m e ils l'étaient par les r igueurs exercées envers eux, tous les moyens leur s e m ­blaient, bons et ils n'auraient pas reculé devant le pil lage, l ' incendie et m ê m e le meurtre . Ils ne cher­chaient donc plus qu'à faire partager leur dessein

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INDICES DE RÉVOLTE 123 à Ions les autres noirs et ils envoyaient en secret, la nuit, dans les diverses plantations, des émis ­saires chargés de faire connaître les projets de leurs chefs aux noirs les plus exaltés et sur lesquels on pensait pouvoir compter le plus.

Dans la plantation Monrémy, c'était Annibal qui recevait les communicat ions des chefs de la conjuration, car sa haine contre les blancs était bien c o n n u e .

Pour détourner les soupçons des co lons , on avait recommandé aux noirs de s'abstenir des actes d ' indépendance et d'indocilité dont ils avaient fait preuve pendant les derniers temps. Les planteurs les moins éclairés pouvaient donc s 'endormir facilement dans leur fausse sécurité : M. de Monrémy était du nombre et ne croyait pas le danger aussi grand ni surtout aussi prochain que d'autres le craignaient. Toutefois, depuis que l ' inquiétude se faisait sentir dans la co lonie , les co lons avaient pris en secret des précautions en cas d 'alerte; ils avaient tous , dans leurs habitations, des armes et que lques munit ions, et étaient convenus de se porter mutuel lement secours si des révoltes isolées venaient à se produire .

Un après -mid i , Thérèse et Gabrielle, suivies par Vola, avaient été se promener dans un bois qui longeait les cases des no irs ; la saison des

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pluies était passée, et, la chaleur fatiguant les enfants, elles s'étaient arrêtées que lque temps, pour se reposer , dans une allée bordant le bois et où plusieurs bancs étaient placés.

Elles s'étaient amusées à l'aire des guirlandes avec des fleurs que Yola les avait aidées à cueill ir. Tout à coup la c loche du dîner venant à sonner, les enfants interrompirent leur j eu , et, se levant avec précipitation, elles coururent du côté de la maison. En s'apprêtant pour le dîner, Thérèse s 'aperçut qu 'el le avait perdu un petit médail lon d'or, cadeau de son père autrefois, et qu'el le portait toujours suspendu à son cou . La pauvre enfant, désolée , chercha partout, mais ne trouva rien. Vola, qui l'aidait dans ses recherches , se rappela tout à coup qu'el le avait cru voir que lque chose gl isser aux pieds de Thérèse au moment où elle s'était levée brusquement dans le bois au son de la c l o che ; mais elle n'y avait pas l'ait attention alors, ayant cru s implement qu 'une des fleurs de la guirlande tenue par Thérèse s'était détachée. La couleur jaune de l 'objet tombé lui donnait à penser maintenant que c'était le médail lon d'or perdu par Thérèse, et elle dit à ce l le - c i qu 'e l le allait retourner à l 'endroit où elles s'étaient assises, pour le chercher. Thérèse, un peu c on ­solée par cet espoir , descendit à la salle à manger , et Vola s 'achemina du côté du bois .

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INDICES DE RÉVOLTÉ 125

L'allée était assez l ongue , et le banc où elles s'étaient arrêtées était à l 'extrémité, et presque adossé aux premières cases des noirs . Yola regarda attentivement à terre autour du banc, mais elle ne vit r ien. Elle resta absorbée dans ses recher ­ches. Pendant ce temps le j o u r baissait rapi­dement, c o m m e cela a lieu dans les pays chauds, où la nuit arrive presque subitement, après un très court crépuscule . Affligée de n'avoir pas mieux réussi, Yola retournait lentement du côté de la maison, quand elle se souvint tout à coup que Thérèse s'était encore arrêtée, pour cueillir quelque fleur de l 'autre côté du banc, à que lques pas plus loin. Décidée à compléter ses recherches , la petite négresse revint aussitôt sur ses pas. Sa bonne inspiration fut récompensée , car, à peine arrivée à l 'endroit en quest ion, elle vit bril ler à terre le médail lon perdu. Heureuse de sa trou­vaille, Yola partit promptement , et elle marchait d'autant plus vite que la nuit avançait rapidement et que tout s 'assombrissait autour d'elle. . . .

Elle avait fait à peine que lques pas, lors ­qu'un léger bruit de voix se fit entendre près d'elle. Yola s'arrêta, tourna la tête, mais ne vit personne. Croyant s'être trompée, elle reprit sa marche. Elle longeait à ce moment les cases des noirs, et elle allait dépasser la dernière, quand elle entendit distinctement cette fois parler à

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que lques pas d'elle. Le son des voix ne provenait pas des cases , m a i s de l ' intérieur du bois et à peu de distance de l 'endroit où elle se tenait i m m o b i l e . Yola n'était pas cur ieuse , et elle aurait continué tranquil lement sa marche , si le nom de sa mère prononcé par l 'une des voix, n'avait frappé son orei l le . Instinctivement e l l e s'arrêta... et les p r e ­mières paroles qu 'el le distingua la c louèrent à sa p l a c e ! L'une des voix, qu 'el le reconnut pour être celle d'Annibal, disait :

« Pas plus de pitié pour celle-là que pour les autres ! C h l o é n'est plus avec les noirs ; puisqu'el le aime les b l a n c s , qu 'el le m e u r e avec e u x !

— Mais, reprit l 'autre voix. es - tu sûr au m o i n s de que lques -uns des noirs qui servent d a n s l 'ha-bitation, et peut -on les avertir du m o m e n t ? S o n g e qu'il ne faut prévenir dans l ' intérieur que ceux qui sont décidés à n o u s prêter main-forte et à n o u s o u v r i r les portes .

— Je réponds de tout : et au j o u r dit, mes hommes ne seront pas les derniers à m a r c h e r !

— C 'est b ien . Je m e lie à loi. Le mot d 'ordre

est donné dans toutes les plantations : vigilance donc, mais s i lence ! »

Ici les voix se lurent . Bouleversée de ce qu ' e l le avait entendu, Vola deméurait tremblante à sa place, lorsque des craquements de branches et un bruit de pas de plus en plus distinct lui firent

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Instinctivement elle s'arrêta.

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INDICES DE RÉVOLTE 129 comprendre qu'on s'approchait de l'allée où elle se trouvait. Sans avoir le temps de raisonner ses impress ions , elle sentit le danger qu'el le c o u r ­rait si elle venait à ètre découverte et soupçonnée d'avoir entendu ce qui avait été dit. Cherchant du regard avec angoisse un lieu de re fuge , elle reconnut avec bonheur que la case devant laquelle elle se trouvait était l 'ancienne demeure de sa mère, inhabitée en ce moment , car sa grand'mère était morte . Se glissant c o m m e une ombre le long du mur, elle en fit le tour et put pénétrer à l ' intérieur avant d'avoir été aperçue. Bien que hors de danger, elle ne songeait plus qu'à regagner le plus promptement possible l 'habi­tation, niais il lui fallait d'abord attendre que ceux qu'el le redoutait se fussent é lo ignés . Elle écoula donc et entendit bientôt quelqu 'un s 'ap­procher du côté des cases. On passa devant la porte et on s 'éloigna. La pauvre enfant n'osait faire le moindre mouvement et respirait à

peine. Enfin, lorsqu'el le se fut assurée que tout était

redevenu silencieux autour d'elle, elle entr 'ouvrit la porte, regarda avec précaution de tous côtés et, ne voyant personne, s'élança dans la direction de la maison. La nuit était c omplè tement arrivée et achevait d'effrayer la pauvre petite. Elle allait atteindre l 'habitation, quand elle se trouva tout

9

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130 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE à coup en présence de sa mère , qui la cherchait, étonnée de son absence à pareille heure . Yola, haletante, se précipita dans ses bras et lui dit d 'une voix entrecoupée :

« Rentrons vite : j 'a i que lque chose à vous dire.» Et entraînant sa mère dans la chambre qu'el le

occupait , elle lui raconta ce qui venait de lui arriver.

Elle finissait son récit, lorsqu'elle entendit Thérèse l 'appeler du bas de l 'escalier. Pressée de savoir si son médaillon était retrouvé, elle venait le lui demander .

Yola présenta le médaillon à Thérèse ; sa main tremblante, son silence et sa ligure bouleversée frappèrent celle-ci, qui lui demanda ce qu'el le avait.

Chloé, craignantd ' impress ionner Thérèse, v o u ­lait répondre évasivement pour sa f i l le ; mais Yola, habituée à tout dire à sa petite maîtresse, ne lui en laissa pas le temps et eut bientôt tout raconté à Thérèse.

Celle-ci ne comprit pas plus que Yola la s igni ­fication exacte des paroles qu'on lui rapportait, mais elle fut surtout frappée, c o m m e Vola l'avait été, des menaces proférées contre Chloé; et elle dit aux deux négresses de la suivre dans l 'appar­tement de sa mère , à laquelle elle voulait tout apprendre.

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INDICES DE RÉVOLTE 131 Mme de Vernoux écouta attentivement le

récit de Yo la ; et après lui avoir fait redire exactement les paroles qu 'el le avait entendues , elle fut confirmée dans la conviction qu'el le avait toujours gardée, que les noirs n'avaient pas abandonné leurs projets de révolte contre les blancs.

Toutefois, voulant, avant tout, calmer la frayeur excessive des enfants, elle leur per ­suada que souvent des menaces étaient pro ­férées dans des moments de colère contre des personnes absentes, mais qu'il y avait heureusement bien loin entre des paroles et des actes. Elle leur recommanda cependant de n'en rien dire à personne, pas m ê m e à Gabrielle, leur expliquant que si les méchants nègres en question venaient à savoir qu 'on les avait entendus, ils pourraient, pour préve ­nir une punition, se porter à des violences très regrettables envers ceux qu' i ls soupçonneraient de les avoir trahis : le mieux était donc , ajoutâ­t-elle, de laisser tomber ces propos sans c o n ­séquence .

Renvoyant ensuite les enfants clans leur chambre, elle lit s igne à Chloé de rester. Quand elles furent seules , elle lui dit qu'el le atta­chait au contraire une très grande importance à tous ces symptômes de rébell ion, lui r e c o m -

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132 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE manda de ne pas s 'éloigner dé l 'habitation, non plus que Yola, puisqu 'on leur en voulait de leur attachement à leurs maîtres, et lui dit qu'el le allait prévenir de tout cela M. de Monrémy.

Elle se rendit en effet chez son oncle , et lui fit part de ce qu'el le venait d 'apprendre. Mais M. de Monrémy reçut cette communicat ion plus mal encore, que la première , disant qu 'après la fausse alerte donnée déjà une fois par Chloé, il fallait encore bien moins tenir compte des paroles rapportées par une enfant, ajoutant que toutes les mesures g é ­nérales de précaution étaient prises dans chaque plantation, maintenant armée, et que pour les mesures particulières il ne voulait pas en prendre d'inutiles, c omme cela avait déjà eu lieu : d'ailleurs on surveillait, dit-il , les menées des noirs avec une grande attention.

Mme de Vernoux, voyant qu'el le ne pouvait faire partager ses craintes, et n'ayant pas d'autres preuves meil leures à donner, ne put insister davantage, et sortit pensive et décidée à saisir toutes les occasions de mettre son oncle sur ses gardes.

Cependant l 'événement sembla donner raison à M. de Monrémy : quinze j o u r s s 'écoulèrent

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INDICES DÉ RÉVOLTE 133 sans qu'on entendît parler de rien, et les enfants e l l es -mêmes oublièrent en partie la pénible impression de cette soirée.

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IX

L'incendie

Chloé avait g a r d é c omme sa maîtresse q u e l ­ques appréhensions. Depuis l 'aventure de Yola elle passait u n e partie de ses nuits éveil lée, é c o u ­tant les bruits du dehors, et même avant de se coucher , faisant l 'inspection des abords de la m a i s o n , s u r t o u t du côté de l 'appartement habité par Mme de Vernoux. Celle-ci veillait plus tard aussi, redoutant instinctivement que l ­que événement i m p r é v u .

Un soir, par une lourde c h a l e u r qui pormettait de laisser les fenêtres ouvertes, Chloé, qui réflé-

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chissait, pensive, auprès de sa fille endormie , crut entendre du bruii dans un bosquet placé à peu de dislance de la partie de l'habitation qu'el le occupait. Chloé avait éteint sa lumière , et, pouvant écouler sans être vue, elle se pencha à la fenêtre. La nuit était s o m b r e ; la lune ne se mollirait pas encore , et le silence semblait régner au dehors . Elle crut s'être trompée. Mais que lques minutes après, elle entendit des pas, paraissant venir du bois , se diriger du côté de la cour qui donnait dans les cases des noirs . . . . Bientôt Chloé, dont le regard restait fixé avec anxiété dans la direction des cases, vit une lumière briller, puis disparaître. Nul bruii du reste au loin, et Chloé, après un moment d'incertitude, se calma en pensant que c'était peut-être l ' indisposition d'un noir qui avait causé ce mouvement inusité. Après être demeurée que lques minutes encore dans l'attente, elle, se décida à refermer la fenêtre; cl s'étendit sur son lit, sans oser toutefois se déshabil ler.

Elle était à demi engourdie par le, sommei l , l orsque , entr 'ouvrant machinalement les yeux, elle crut voir une lueur rougeâtre éclairer la fe-nêtre! Se levant précipitamment, elle y courut, l 'ouvrit et fut saisie d'effroi en voyant les arbres qui avoisinaient l 'extrémité opposée de la mai­son, enveloppés de la même teinte rougeâtre.

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L'INCENDIE 137 Se penchant en dehors de la fenêtre, elle vit alors des lueurs sinistres sortir des fenêtres du rez-de-chaussée de l 'habitation, au-dessous des appartements de M. de Monrémy et de son fils! Epouvantée devant ce c ommencement d ' incen­die, Chloé, saisissant sa fille, l 'enveloppa d'un vêlement, et, l 'entraînant avec elle, courut vers l 'appartement de Mme de Vernoux. De ce côté, tout était sombre et silencieux encore .

Pénétrant dans la chambre de sa maîtresse. Chloé la trouva heureusement levée.

« Le f eu ! . . . Le feu est à la maison! s'écria la négresse ; mais il n'est pas encore de ce côté . . . . Vite, vite, habillez la petite maîtresse pour v o u s sauver ! Je cours éveiller les noirs de la maison. . . . Je reviendrai avec eux. . . . Gardez-moi Yola! »

Et, sortant précipitamment, elle disparut. Mme de Vernoux, d'abord terrifiée, eut bientôt

retrouvé toute son énergie et préparé en que lques minutes les enfants à la fuite. Les pauvres petites, saisies par ce terrible réveil , étaient pâles et tremblantes ainsi que la pauvre Yola, qu 'e l les achevèrent pourtant d'habiller en m ê m e temps qu 'e l les . Lorsque Gabrielle avait compris le dan­ger , elle avait témoigné une grande frayeur pour son père et son frère, et avait voulu suivre Chloé pour savoir ce qu'i ls devenaient. Mais Mme de Vernoux l'avait retenue en lui représentant que

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sa présence serait un embarras plutôt qu'une aide pour les personnes qui leur porteraient secours, et elle lui avait d'ailleurs promis que dès que Chloé reviendrait près d'elles, elle irait aussitôt chercher el le-même Ernest et son père . Mme de Vernoux avait terminé ses préparatifs précipités et allait sortir avec les enfants, lors ­qu'elle eut la présence d'esprit de courir à son secrétaire et de saisir l'or et quelques bijoux de valeur qui s'y trouvaient. Déjà des clameurs confuses relentissaient au loin, et Mme de Ver­noux se demandait si elle devait attendre le re­tour de Chloé, quand des pas précipités se liront entendre, et celle-ci apparut, la terreur peinte sur le visage. Elle était suivie du nègre Scipion (le père du petit César, sauvé autrefois par les soins de Mme de Vernoux, mais qui avait suc­combé récemment à une nouvelle maladie).

« Vite, bonne maîtresse! . . . lesf lammes gagnent et seront bientôt de notre côté : fuyons le feu... et les noirs qui l'ont a l lumé! . . . ils ne sont pas encore ic i ; sortons vite, gagnons le bois, par derrière !

— Et mon père ? et Ernest? où sont-ils? s'écria Gabrielle avec effroi.

— Le maître est sorti; ils ont échappé au feu; mais il se défend avec les nègres (idoles contre les autres noirs.

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L ' I N C E N D I E 139

— Mais Ernest? dit avec anxiété Mme de Vernoux.

— Il ne veut pas quitter son père, mais Pompée est près de lui!

— Pauvre enfant! s'écria Mme de Vernoux ; au nom de sa pauvre mère, je le sauverai malgré lu i ! . . . Chloé, j e vous confie les enfants : emmenez-les vite avec Scipion : Pompée nous guidera vers vous dans la forêt! »

A ce moment on entendit des clameurs à l 'ex­trémité de la maison, puis des coups de l'eu.

« Ils se rapprochent! Chloé, partez; sauvez-les! » dit Mme de Vernoux; et elle disparut dans le corridor, qui se remplissait de fumée.

En voyant s'éloigner sa mère, Thérèse poussa un cri et s'élança pour la suivre : niais Chloé la retint, fit un signe à Scipion. qui enleva dans ses bras la pauvre enfant à demi évanouie ; puis, saisissant Yola et Gabrielle en larmes, elle suivit le nègre, qui descendait en courant par un esca­lier dérobé.

Mme de Vernoux se rapprocha, sans rencontrer d'obstacles, du côté d'où venait le tumulte. Les flammes n'avaient pas encore gagné l'endroit où elle se trouvait, mais une épaisse fumée l 'entou-raitet l 'empêchait de distinguer clairement autour d'elle. A un tournant du corridor elle aperçut même les flammes qui avaient envahi l 'appai-

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tement de son onc le ! Se souvenant alors que Chloé lui avait dit qu'on se battait en dehors de l'habitation, elle revint sur ses pas et gagna la cour par une petite porte de sortie. Là elle resta saisie d 'horreur! Tout ce côté de la maison était embrasé; des ombres noires couraient le long des fenêtres, et semblaient être les démons du feu ; l'air retentissait de vociférations, et les décom­bres enflammés de la maison qui croulait, tom­baient tout autour d'elle! Malgré le danger, elle s'avançait, cherchant toujours à reconnaître son oncle et Ernest parmi les combattants, lorsqu'un craquement épouvantable se fit entendre : le toit de la partie embrasée de l'habitation s'effondrait ! Aux coups de feu succédèrent des cris d'horreur et de douleur ; et avant qu'elle eût le temps de s'éloigner, Mme de Vernoux fut v io lemment jetée à terre : un morceau de poutre, détaché, l'avait atteinte. Elle éprouva une vive douleur, niais conserva pourtant sa connaissance. Seu­lement elle se sentit incapable de se re lever ! . . .

Quelques minutes se passèrent : les projectiles enflammés lancés du toit avaient mis le feu en tombant sur les autres parties de l'habitation ; et, au milieu de ses angoisses, Mme de Vernoux bénit le ciel de savoir sa fille et les autres fugitifs déjà loin de cet incendie qui dévorait tout!

Le combat avaitrepris; mais, heureusement pour

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L'INCENDIE 141 la pauvre blessée, elle s'en trouvait séparée par des amas de décombres qui formaient comme un mur entre elle et les combattants : la fumée épaisse qui s'en échappait contribuait aussi à la dérober aux yeux des misérables, qui n'au­raient probablement pas eu plus de pitié pour elle que pour les autres blancs.

Après les premières minutes de saisissement qui avaient suivi sa chute, l 'idée de sauver Ernest donna a Mme de Vernoux le courage de faire un effort pour sortir de l'endroit où elle se trouvait. Chaque mouvement lui causait une vive douleur, mais elle parvint à se relever et con ­stata qu'aucun membre n'avait été brisé dans sa chute, et qu'elle pouvait marcher. Avançant donc péniblement, elle se dirigea du côté des murs de l'habitation restés debout et où le bruit qu'elle entendait lui faisait supposer que son oncle et Ernest se trouvaient alors. Au moment où elle se disposait à tourner le mur et allait se découvrir ainsi imprudemment aux assaillants, elle entendit quelqu'un s'approcher en courant, et bientôt elle aperçut un noir qui se dirigeait de son côté. Elle pensa que c'était un des révoltés, c l l'instinct de la conservation la fit s'effacer contre le mur . . . . Mais quand le noir passa près d'elle, elle reconnut aux lueurs sinistres de l 'incendie la figure de Pompée ; c'est alors seu-

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142 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE lement qu'elle s'aperçut qu'il portait quelqu 'un entre ses bras.

Elle s'élança vers lui, et poussa une exc lama­tion douloureuse en reconnaissant que c'était Ernest qu'il emportait, inanimé et couvert de sang!

« Est-il mort? s'écria-t-elle. — Non, pas mort, . . . b l e s s é . Je l 'emporte, car

ils voudront le tuer, comme ils ont tué le maître !... Laissez-moi courir !

— Mort!... mon oncle, mort!... dit-elle avec horreur.... Pompée, en êtes-vous sûr? . . . S'il respirait encore? . . .

— Oh non ! le maître est bien mort. Laissez-moi sauver l'enfant,... pas une minute à perdre, pour vous non plus ; . . . suivez-moi avant qu'ils viennent ! »

Et il reprit sa course, franchissant les décom­bres et courant vers le bois le plus rapproché. Bouleversée, Mme de Vernoux rassembla foutes ses forces pour suivre le nègre qui emportait Ernest.

Tout en s'éloignant d e ce lieu sinistre, la pensée que son malheureux oncle gisait mort au milieu de ces misérables la remplissait de douleur; mais elle se devait maintenant à sa fille et aux enfants de ses infortunés parents, et une impru­dence inutile ne lui était plus permise. Le br ise -

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L'INCENDIE 143 ment qu'el le ressentait dans tout son corps l 'em­pêchait de suivre Pompée de près, mais elle avait vu l'endroit vers lequel il s'était dirigé et elle atteignit à son tour l'entrée du bois. Là, se sentant à l'abri d'une poursuite, immédiate du moins , elle céda à la faiblesse qui l'accablait, et se laissa tomber à terre.

Elle attendit quelque temps et écouta, espérant que Pompée, après avoir mis l'enfant en sûreté, viendrait aussi à son secours. Une heure, qui lui sembla un siècle, s'écoula. Le bruit et l'agitation avaient diminué du côté de l'habitation, mais l'incendie devait continuer ses ravages, car le ciel avait toujours une lueur sinistre.

La mort tragique de M. de Monrémy avait assuré la victoire aux rebelles, que les quelques serviteurs restés fidèles au maître n'avaient plus combattus, voyant leurs efforts devenus inutiles; et ceux qui avaient survécu à ce massacre étaient évidemment en fuite, profitantdu moment où les nègres vainqueurs étaient absorbés par le pillage de ce qui n'était pas encore devenu la proie de l ' incendie.

Mme de Vernoux, soutenant son courage par la prière, attendait toujours. Enfin elle crut entendre des pas à quelque distance dans le bois . . . . Elle n'osa appeler, craignant que ce ne fût pas Pompée. Une forme humaine se détacha

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144 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE bientôt de la lisière du bois, et ses yeux anxieux reconnurent avec bonheur le vieux nègre, qui s'avançait lentement en regardant tout autour de lui.

« Pompée ! àppela-t-ellé d'une voix affaiblie: je suis ici , . . . venez à moi où est Ernest?. . .

— En sûreté, répondit le nègre, qui était ac­couru près d'elle. Je viens vous chercher aussi, car il faut nous hâter de nous enfoncer dans la forêt : appuyez-vous sur moi et voyez si vous pouvez vous soutenir. »

La pauvre femme fit un nouvel effort et, aidée par son fidèle compagnon, elle put continuer sa marche. Elle aurait voulu se diriger immé­diatement du côté par où les enfants avaient dû fuir, mais Pompée lui fit observer qu'ils ne pourraient en ce moment gagner sans danger les bois opposés , dont ils étaient séparés par les révoltés, et qu'il fallait au moins attendre le j our pour prendre un parti. Elle se résigna et suivi Pompée, qui s'engagea dans un sentier du bois.

« A qui avez-Vous laissé Ernesl? demanda Mme de, Vernoux, et où avez-vous pu trouver pour lui un asile dans ces bois?

— 11 est avec ma femme et mon fils, qui le soignent en m'attendant : soyez tranquille.

— Les vôtres ont donc pu sortir sains et saufs de cette nuit d'horreur?

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La pauvre femme put continuer sa marche. 10

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L'INCENDIE 147

— Quand j 'ai vu l ' incendie, j 'ai couru vers le maître; mais j 'ai envoyé mon fils chercher sa vieille mère dans la case et la conduire en sûreté dans une hutte abandonnée de la forêt, connue de nous seuls, car les autres l'auraient tuée, sachant que je défendais le maître. L'enfant devait revenir ensuite combattre avec nous; mais il était trop tard pour cela quand je l'ai rencontré tout à l 'heure en rapportant le j eune maître.

— brave Pompée ! s'écria avec émotion Mme de Vernoux. Son père, que vous avez servi si ad­mirablement jusqu'à la fin, vous remercie d'en haut de votre dévouement à son f i ls ! . . . Le pauvre enfant est-il gravement blessé?

— Je ne le crois pas ; la halle qui l'a atteint ne paraît pas avoir produit une profonde b les ­sure ; mais je l'ai relevé à demi étouffé sous le poids d'un cadavre dont le sang l'inondait !

— Il n'a pas encore repris connaissance! . . . Pauvre enfant, c'est beau d'avoir risqué sa vie pour ne pas quitter son père !

— Le petit maître était dur, mais je savais bien, moi , qu'il était courageux, et je suis coutent de l'avoir sauvé.

— Et ma pauvre Thérèse?. . . Chloé et Scipion l'ont emmenée avec Gabrielle pour les sauver ; mais de quel côté se sont - i l s dirigés, grand Dieu! . . .

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148 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE — Nous les chercherons, bonne madame, ré-

pondit Pompée ; mais à p r é s e n t il faut attendre le j our et la fin du pillage : pour eux, comme pour nous, il faut rester cachés maintenant.. . . Mais ne craignez rien : Scipion est sûr comme nous-mêmes ! »

Un peu calmée par cette assurance, Mme de Vernoux, épuisée, se tut, et ce fut avec mille peines qu'elle atteignit enfin la hutte où le nègre la conduisait.

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X

Suites de l'incendie

C'était une simple petite cabane en feuillage, construite sans doute par quelque nègre marron qui avait réside dans la forêt; des morceaux de bois grossièrement laillés servaient de sièges et de table. Dans un coin, sur un lit de fougères et de feuilles sèches, Ernest était étendu. Une vieille, couverture de laine l 'enveloppait, car la femme de Pompée, au moment de sa fuite, avait heureusement emporté, avec des vivres, quelques objets les plus nécessaires pour les premiers moments de ce séjour dans les bois . Elle se tenait

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150 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE assise, près d'Ernest, qui avait repris connais­sance et avait pu avaler quelques gouttes d'eau.

Avant de le quitter pour chercher Mme de Vernoux, Pompée avait enlevé le sang qui couvrail le pauvre enfant, et ne lui avait trouvé que des contusions au visage, sur lesquelles il avait appliqué un premier pansement de s imples, faciles à trouver dans les hois.

En voyant qu'Ernest n'était plus inanimé, Pompée se mit en devoir de préparer un breuvage fortifiant, pendant que Mme de Vernoux était tombée à genoux près de la couche où l'enfant semblait à peine revenu à la vie.

Il parut la reconnaître : en effet il murmura son nom, et y ajouta faiblement celui de son père: mais cet effort était déjà au-dessus de ses forces, car ses yeux se refermèrent el il retomba dans son immobilité !

L'assurance qu'il n'avait reçu aucune blessure grave avait calmé, en grande partie, l ' inquiétude de Mme de Vernoux; et elle savait aussi l 'habi­leté de Pompée pour guérir bien des maux. Elle le laissa donc soigner Ernest comme il l 'entendit, et consentit e l le -même à prendre un peu de riz bouilli dans de l'eau, que la vieille né­gresse prépara pour ce premier el maigre repas dans la forêt.

Celle triste nuit s'acheva sans que la pauvre

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SUITES DE L'INCENDIE 151

femme pût songer à se reposer, et elle la passa tout entière assise près du lit où Ernest gisait. Peu à peu elle avait vu l ' immobilité faire place à une agitation qui indiquait la f ièvre; mais le breuvage de Pompée lui avait évidemment rendu quelques forces : le sang ne coulait p lus de la blessure, et l'enfant ne paraissait souffrir que de la lièvre.

Aux premières lueurs du jour , Mme de Vernoux fit un signe à Pompée et. sortit avec lui de la hutte.

« Avant que ce pauvre enfant puisse nous e n ­tendre, lui dit-elle, racontez-moi comment son malheureux père a succombé et ce qui s'est passé dans cette affreuse nuit ; car vous étiez près d'eux et vous devez tout savoir. Comment la révolte a-t-elle commencé?

— C'est le misérable Annibal qui a tout conduit, répondit Pompée. Depuis longtemps j 'avais peur de lui : j e voyais en effet combien il détestait les maîtres, et j 'avais entendu souvent ses mauvaises paroles. Je n'osais rien lui dire, pour ne pas le fâcher davantage; mais j e l'avais vu plusieurs fois le soir rentrer lard dans sa case, car je veillais souvent autour de l'habitation. Hier soir cependant, fatigué d'une longue course que j 'avais faite dans la plantation, et ne me doutant de rien, je m'étais couché, comme toujours, dans

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la pièce qui louchait la chambre du jeune maî­tre. J'avais entendu le maître rentrer dans sa chambre après avoir fait son inspection habi­tuelle dans la maison. Je m'étais endormi, lors­que j e fus éveillé par quelque chose qui m'é-touffait; je regardai autour de moi : je ne vis personne, mais une fumée épaisse remplissait la chambre. Me levant à la hâte, je courus chez le jeune maître : au moment où j ' y entrais, son père arrivait de l'autre côté.

« La fumée montant d'en bas et les parquets qui devenaient chauds nous montrèrent vile que le l'eu était sous l 'appartement. Nous arra­châmes le jeune maître de son lit, et, pendant qu'il saisissait quelques vêtements, le maître voulut descendre.

« Mais les nègres fidèles entrèrent en ce m o ­ment et nous apprirent que c'étaient les nègres des cases qui avaienl mis le feu, attendant au dehors que les maîtres sortissent pour les mas ­sacrer. Lorsque le maître connut leur grand nombre , il vit que tout était perdu, c l ordonna la fuite par un escalier de service; mais d'abord il me commanda de marcher en arrière avec le petit maître. Une l'ois dehors, nous devions lâcher de nous réunir à vous , pour fuir ensemble. Avant de quitter sa chambre, le maître fit ouvrir les fe­nêtres et décharger en l'air quelques fusils pour

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retenir de ce côté les noirs révoltés, en leur faisant croire à un commencement de défense : pendant ce temps nous fuyions de l'autre côté . Des clameurs répondirent en effet aux coups de feu. Nous courûmes vers le passage dérobé qui conduisait à une petite porte de sortie. Au moment où le maître, qui marchait le premier, la fran­chissait, il fut vivement rejeté en arrière par l'un des nôtres, qui referma brusquement la porte et la barricada.

« Il est trop tard, dit-il bas au maître : j 'ai « vu Annibal nous guettant à quelques pas. . . et il « n'est pas seul ! »

« Le maître jeta un regard désespéré sur son fils, puis il réfléchit un instant. Nous entraînant rapidement ensuite, il se dirigea vers une autre petite porte de sortie, la seule libre désormais, qui donnait malheureusement sur le devant de la maison. Les rebelles ne la gardaient peut-être pas encore, étant occupés du côté de l ' incendie, c'est-à-dire du grand escalier. En effet, la porte paraissait libre : tout était encore sombre de ce côté ; nous sortîmes à la suite du maître, qui s'élança dans la direction d'un petit bois voisin. . . . Mais à peine av ions -nous fait quelques pas, que nous nous vîmes découverts et poursuivis . Annibal avait tourné cette partie de la maison et était sur nos traces. Le maître

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154 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE se retourna et fit fеu sur lui : le nègre chancela, niais avança toujours. Quelques-uns de nos compagnons qui avaient des armes tirèrent aussi et un des ennemis tomba. Mais le bruit de coups de feu avait attiré les autres révoltés, qui accou­raient en foule. Le maître se sentit perdu. Il me dit de ne penser qu'à sauver son fils, que je voulus entraîner, mais il refusa de quitter son père, et, saisissant un fusil tombé à terre, il lira à son tour. Quoique le mailre fût blessé, il se battait toujours, entouré de ses nègres fidèles. Tout à coup le jeune maître, que je ne quittais pas, chancela et tomba : une balle venait de l'atteindre ! Je me précipitai pour le relever, et je n'aurais pu l 'emporter sans être poursuivi, si à ce moment-là même, le maître ne fût, lui aussi, tombé : il cherchait à se relever, lorsque je vis Annibal se précipiter sur lui et lui décharger son fusil à bout portant : le maître retomba inanimé! . . . De féroces cris de joie retentirent, et tous s'achar­nèrent autour de lui. C'est alors que je me mis à fuir avec le jeune maître, dont la chute n'avait heureusement pas été très remarquée, parce que nos nègres l'entouraient de près. Vous savez le reste.

— Et lui, sait-il la mort de son pauvre père? — Non. 11 avait perdu connaissance avant.

Laissons-lui croire d'abord qu'il a pu s'échapper :

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SUITES DE L'INCENDIÉ 155 la vérité le tuerait peut-être, si on la lui disait maintenant. »

Mme de Vernoux serra la main de ce brave Pompée, qui personnifiait si bien le dévouement admirable de ceux de ces pauvres nègres qui s'at-tachent à leurs maîtres, comme elle l'avait fait comprendre à sa tille.

Tous deux rentrèrent dans la hutte, et Pompée supplia Mme de Vernoux de prendre quelque repos sur un autre lit de fougères qu'il avait préparé.

Mais elle lui dit qu'el le ne pouvait penser qu'à une, chose maintenant : à retrouver sa fille; et elle lui demanda si son fils connaissait assez bien la forêtpour s'orienter avec elle à la recherche des autres fugitifs. Pompée lui répondit qu'il ne se fierait qu'à lui-même pour y réussir, et voulut lui persuader de rester au contraire avec Ernest sous la garde de son lils et de sa femme, pendant qu'il ferait une première reconnaissance dans les bois avoisinant la plantation. Mais Mme de Ver­noux lui répliqua que , sachant Ernest bien soi­gné et entouré, elle voulait absolument l 'accom­pagner, ne se sentant pas le courage de retarder sa réunion avec sa fille, qui n'était peut-être pas très éloignée d'eux.

Pompée la voyant décidée ne fit plus d 'objec­tions. Avant de partir, il prépara un nouveau

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pansement, que sa femme devait placer sur la blessure d'Ernest quand l'enfant se réveillerait, et il composa également une potion rafraîchis­sante. Confiant alors à son fils la garde de la bulle jusqu 'à son retour, il s 'éloigna avec Mme de Vernoux.

Ils reprirent le chemin parcouru déjà par eux la veille. Pompée voulait d'abord s'assurer de loin si les rebelles étaient encore aux alentours de la plantation. Dès qu'ils atteignirent la lisière du bois, il recommanda à Mme de Vernoux de rat -tendre, pendant que lui s'avancerait avec pré­caution, pour explorer les environs. Il marchait lentement, s'arrêtant souvent, et regardant au­tour de lui. Mais aucun mouvement ne se faisait entendre, et Pompée s'étonnait de ce silence pro­fond. On ne voyait plus de flammes s'élever au-dessus du bois qui le séparait encore de l'habita­tion, mais une épaisse fumée arrivait jusqu 'à lui. Lorsqu'à un détour il put voir l 'emplacement des bâtiments, un spectacle navrant se présenta à ses yeux. L'incendie avait tout détruit, sauf quelques pans de murs , restés debout, mais tout calcinés. Les monceaux de décombres encore fu­mants indiquaient seuls le lieu où, la veille encore, s'offrait aux regards l'élégante habitation de M. de Monrémy. Aucune forme humaine ne se montrait dans ce lieu sinistre; cependant, du côté

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SUITES DE L'INCENDIE 157 des cases, Pompée entendit un bruit vague, c l , s'avançant encore, il perçut plus distinctement des sons de voix. 11 redoubla de précautions, pensant que ce ne pouvaient être que que lques -uns des révoltés demeurés du côté de leurs habi­tations. 11 s'était arrêté, lorsqu'un éclat de voix beaucoup plus élevé arriva jusqu 'à lui . . . . Il tres­saillit de jo ie : la parole était un commandement, et la voix celle d'un Français : il se sentait en pré ­sence de la force a n n é e ! Reprenant sa marche, avec rapidité cette fois, il fut en peu d'instants au milieu des cases, dont la plus grande partie avaient été brûlées en même temps que la maison du c o m ­mandeur, où les nègres avaient mis le feu tout d'abord. Un régiment de la garde française était activement occupé à relever les cadavres, à demi calcinés, restés sous les décombres. Deux ou trois noirs seulement étaient avec eux, et Pompée reconnut en eux d'anciens serviteurs fidèles de son maître.

L'arrivée de Pompée avait causé un premier mouvement d'étonnement, mais les noirs, heu ­reux de le revoir, expliquèrent au commandant qu'il était un des leurs, et lui firent raconter comment il avait sauvé leur jeune maître.

A leur tour, ils expliquèrent à Pompée qu'après la mort de M. de Monrémy ils s'étaient jetés sur ses meurtriers et en avaient tué plusieurs,

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158 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE entre autres Annibal, déjà blessé avant. Mais, voyant ensuite qu'ils, étaient en trop petit nombre pour ne pas être tous écrasés dans la lutte, quelques-uns d'entre eux avaient profité du désarroi momentané qui avait suivi la mort du chef des insurgés pour fuir dans la direction de la ville voisine, le Cap-Haïtien, où ils n'avaient pu arriver qu'après bien des détours, car l ' in­surrection avait également gagné les planta­tions qu'ils devaient traverser. Ils avaient vu des incendies de divers côtés. A leur entrée dans la ville, ils avaient rencontré des troupes en­voyées en toute hâte au secours des colons, car la révolte venait d'être connue. Un détachement les suivit immédiatement dans la plantation de M. de Monrémy. Mais lorsqu'ils y arrivèrent, au point du jour , la place était déserte : les nègres, qui avaient prévu l'envoi de troupes contre eux, avaient fui la plantation pour rejoin­dre probablement d'autres bandes d' insurgés. Les cadavres avaient été abandonnés; dans le nombre on venait de reconnaître celui de l'in­fortuné M. de Monrémy et, gisant à quelques pas de lui, celui de son plus mortel ennemi, Annibal I

On se demandait ce qu'était devenu le comman­deur ; on avait fouillé inutilement les décombres de la maison qu'il avait habitée, lorsque Pompée,

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La garde française était occupée à relever les cadavres.

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SUITES DE L'INCENDIE 161 soupçonnant un raffinement de vengeance envers le trop sévère commandeur si haï des noirs, se dirigea instinctivement vers le terrible poteau qui servait à attacher les nègres destinés à être fustigés. Là il reconnut en effet avec horreur le corps du commandeur, lié au poteau, et ayant encore planté dans le cœur le poignard qui lui avait donné la mort ! Les cadavres furent tous enterrés dans une grande fosse: mais ceux des nègres morts en combattant pour leurs maîtres furent ensevelis à part. Quant au corps du mal­heureux colon, il fut déposé sur une civière, pour être transporté au Cap-Haïtien, où était le cimetière de sa famille.

Pompée demanda aux noirs si, en revenant sur le théâtre de l ' incendie, ils n'avaient recueilli aucun renseignement sur la fille de Mme de Vernoux et ses compagnons de fuite, qui, pensait-il, auraient pu chercher à se rapprocher comme lui de l'habitation lorsque le calme aurait succédé aux scènes de carnage. Personne ne les avait vus.

Pompée lit alors part au commandant français de la situation de son jeune maître sauvé par lui, et des recherches qu'il avait promis de faire pour retrouver la fille et la nièce de Mme de Vernoux.

Réfléchissant un instant, le commandant décida qu'il laisserait à quelques-uns de ses

11

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162 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE hommes le soin d 'accompagner Mme de Vernoux et son neveu au Cap-Haïtien, seul lieu de refuge possible pour eux, tandis que lui -môme, dirigé par Pompée, se chargerait de commencer immé­diatement, avec le reste de son détachement, la recherche des autres fugitifs dans les bois environnants. Il se rendit aussitôt auprès de Mme de Vernoux, à laquelle il fit part de son plan. La pauvre femme, dont l 'angoisse au sujet de sa fille allait toujours croissant, se récria d'abord, disant qu'elle voulait absolument se jo indre à ceux qui chercheraient les fugitifs. Mais le commandant, qui lui avait témoigné autant de compassion que de déférence, lui répondit avec fermeté que , si elle les accompa­gnait, ils ne pourraient opérer leurs recherches avec toute la célérité désirable, en admettant même, chose improbable, que ses forces lui permissent de les suivre jusqu 'au bout. Voyant que ces raisons ne parvenaient pas encore à vaincre la résistance de la pauvre mère, il fut obligé d'ajouter que des rencontres avec les révoltés étaient inévitables et qu'il ne voulait pas avoir à répondre d'une femme dans une pareille entreprise. Pompée alors prenant la parole déclara qu'il suivrait la petite troupe dans ses recherches, et qu'au moindre indice il v ien­drait aussitôt le faire connaître à sa maîtresse.

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SUITES DE L'INCENDIE 163 Mme de Vernoux, sentant que la lutte était inu­tile, se laissa ramener vers Ernest. Quelques heures après, ils étaient tous deux transportés au Cap-Haïtien, où l'état d'accablement phy­sique et moral de la pauvre femme causa autant de pitié que celui d'Ernest.

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XI

La fuite dans la forêt

En fuyant l'habitation, Scipion et Chloé n'avaient eu que le temps de se jeter dans le bois le plus rapproché, pour échapper aux regards des noirs qui ne pouvaient tarder à envahir la maison de tous les côtés. Mais cette partie de la forêt était justement opposée à celle où Pompée devait se réfugier quelques instants après avec Ernest. Ils s'enfoncèrent d'abord le plus rapide­ment possible dans les bois , jusqu 'à ce qu'ils n'entendissent plus les cris des révoltés ni le bruit du combat. Scipion avait toujours Thérèse

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dans ses bras ; niais Gabrielle et Yola, entraînées par Chloé, furent bientôt incapables de continuer celte course rapide, et l'on dut s'arrêter un instant. Les larmes n'avaient cessé de couler des yeux de la pauvre Gabrielle. Pour Thérèse, lorsque Scipion la posa doucement à terre, elle rouvrit les yeux, car la fraîcheur de la nuit l'avait un peu ranimée. Quand elle vit les p leurs de sa cousine, elle se rappela tout à coup ce qui venait de se passer, et les deux pauvres enfants se jetèrent dans les bras l 'une de l 'autre.

« Où est maman? s'écria Thérèse. — Et papa! . . . et Ernest! sanglota Gabrielle. — Retournons les chercher ! dit Thérèse à

Chloé, d'une voix suppliante : il faut les sauver avec nous ! »

Et, quoique ses jambes eussent encore de la peine à la supporter, elle tirait la main de Chloé pour revenir sur leurs pas.

« Nous les chercherons, bien sûr, pauvres petites maîtresses, répondit Chloé tout émue aussi. Mais il faut attendre un peu, pour ne pas être vus par les misérables, qui pourraient nous prendre et nous empêcher de jamais retrouver vos pauvres parents.

— Mais où sont-i ls? répéta Thérèse : j e veux savoir ce qu'est devenue maman.

— Vous savez bien, ma petite maîtresse, reprit

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LA FUITE DANS LA FORÊT 167 Chloé, que c'est elle qui a voulu que nous vous emmenions , et elle devait retrouver Pompée , qui ne quittait pas les maîtres et qui, certainement, les aura sauvés aussi. Vous savez bien qu' i ls étaient entourés de nègres fidèles, et ils ont dû s'échapper comme nous , mais par un autre côté. Quand le j o u r viendra, je me rapprocherai de l'habitation pour avoir des nouvelles : nous tâche-rons de les retrouver le plus tôt possible , soyez tranquilles, mes bonnes petites maîtresses. »

Les pauvres enfants n'insistèrent plus, et, accablées de chagrin, elles se laissèrent conduire par leurs fidèles guides . On se trouvait alors dans une petite clairière, et Chloé, aidée de Sci-pion, ramassa quelques fougères qu'el le mil au pied d'un arbre ; les enfants s'y assirent. Chloé, les enveloppant de leurs châles, qu 'e l les avaient heureusement emportés, tâcha de les calmer, et, la fatigue aidant, elles finirent par s 'engourdir et tomber dans un demi-sommei l .

Chloé et Scipion veillaient près des enfants et n'échangeaient tout bas que que lques mots tristes, car tous deux sentaient que la confiance qu'i ls feignaient d'avoir, pour les rassurer, n'était malheureusement pas aussi fondée qu'i ls le disaient. Ils connaissaient la rancune profonde des noirs qui s'étaient révoltés et les vengeances qu'i ls étaient capables d'exercer. Aussi ne c o m p -

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taient-ils guère retrouver le maître vivant ; mais ils espéraient que Mme de Vernoux et Ernest avaient peut-être pu échapper au danger. Cepen­dant leur perplexité était grande : Scipion sentait l ' impossibilité de laisser les enfants et Chloé seuls pendant qu'il ferait une reconnaissance du côté de l 'habitation; et il était tout aussi impossible de rapprocher les enfants du lieu du danger . Et cependant comment s 'éloigner encore , sans connaître le sort de ceux qui étaient restés?

Pendant qu'i ls cherchaient ainsi le parti à prendre, ils entendirent tout à coup à peu de distance un léger craquement et un froissement de branches. Scipion avait déjà cru entendre, que lques moments auparavant, un bruit du m ê m e genre , niais plus é l o igné ; il fit s igne à Chloé de se taire, et, la main sur un poignard qu'il portait toujours , il se glissa du côté où il entendait du mouvement . Il craignait d'abord l 'approche de quelque animal sauvage ; mais il reconnut bientôt un bruit de pas qui s'approchaient : c'était donc un homme, mais était-ce un ennemi? . . . Peu après, une forme humaine se détacha au milieu des branches, et Scipion distingua une femme, qui s'arrêta, étonnée, en l 'apercevant. Lui, l 'eut bientôt reconnue : c'était la femme d'un des noirs révoltés, mais qu'il savait heureusement

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LA FUITE DANS LA FORÊT 169 d'un naturel moins cruel que celui des autres.

« C'est loi, Scipion? lui demanda-t-elle avec ironie ; c'est ainsi que tu sers les maîtres à l'heure, du danger? . . . Elle est grande la fidélité!

— Je sers mes maîtres plus que lu ne penses : j e sauve, leurs enfants qu'ils m'ont confiés.

— Et tu as pu les faire sortir de la plantation? reprit-elle d'un air de doute. Comment as-tu pu fuir avec eux sans rencontrer les nôtres?

— Le ciel protège les innocents, et ceux-là le sont.

— Et où sont-ils? — Pourquoi te le dire? Tu ne les sauverais

pas. — Et t o i - m ê m e , les sauveras-tu jusqu 'au

bout? . . . Ils sont dans la forêt, et la forêt est à nous !

— Que veux-tu dire? interrompit Scipion, se troublant malgré lui.

— Avant que le soleil soit levé, nos frères et nos maris vainqueurs nous auront rejoints. Nous les attendons avec, nos enfants, ici, où ils nous ont envoyés quand l 'heure de la justice allait arriver pour eux. »

À ce moment , Chloé parut : son inquiétude l'avait poussée à rejoindre Scipion.

« Indiana! — Oui, Indiana, et qui vient de m'apprendre

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que dans peu d'heures ceux que nous fuyons seront ici, car ces bois sont leur lieu de rendez-vous !

— Oh! nos pauvres enfants! murmura Chloé avec angoisse. Fuyons, fuyons, Scipion, pendant qu'il en est temps encore !

— Oui, mais . . . . » Il s'arrêta, désignant du regard la négresse à Chloé. Celle-ci devina sa pensée, et, après une seconde d'hésitation, elle lui dit :

« Indiana ne voudra pas causer la mort de pauvres enfants, elle ne les trahira pas ; elle sait bien que ma pauvre maîtresse n'aurait jamais voulu , elle, faire du mal aux noirs . . . . In­diana, tu ne diras pas ce que tu viens de voir? »

L'accent de Chloé, convaincu et suppliant à la fois, toucha évidemment la négresse, qui , après un instant de silence, dit à voix basse, c o m m e si elle eût craint d'être entendue :

« Je ne dirai r ien; fuyez; mais vous non plus, ne dites jamais que vous m'avez parlé. »

Et elle s 'enfonça vivement dans la forêt. « Nous pouvons nous fier à son silence, dit

aussitôt Chloé à Scipion, mais pas un instant à perdre pour nous éloigner. »

Et elle courut réveiller les enfants. Quand elles surent que leurs persécuteurs pouvaient bientôt arriver, elles se levèrent avec une précipitation empreinte de terreur, et ils allaient

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LÀ FUITE DANS LA FORÊT 171 tous s 'éloigner rapidement, lorsque Thérèse, s'arrêtant tout à coup, s'écria :

« Mais si nous nous enfonçons plus loin, comment retrouver maman? Scipion m'a dit qu' i l la chercherait ; j e veux l'attendre ici !

— Oui, nous la chercherons ! répondit vivement le bon n è g r e ; mais nous n'arriverons plus à elle de ce côté, puisque les noirs nous en séparent maintenant.. . . E l l e -même ne peut pas être dans celle partie des bo i s ; il faut d'abord vous mettre en sûreté : quand nous serons sortis de la forêt, nous verrons de quel côté nous pourrons les rejoindre. »

Et comme Thérèse résistait encore, Chloé ajouta :

« Scipion sera pris par nos ennemis s'il re ­tourne maintenant vers la plantation : il serait donc séparé de votre mère aussi bien que de nous et probablement tué pour sa fidélité.... Vous voyez donc bien, ma petite maîtresse, qu'il ne peut pas nous quitter en ce moment . Croyez-moi , venez ; . . . chaque minute de retard peut nous perdre tous ! »

L'idée d 'empêcher, même involontairement, ses compagnons d'être sauvés sans pouvoir assurer par là le salut de sa mère ébranla enfin la pauvre Thérèse, qui prit tristement la main de Gabrielle, et l 'on se mit en marche sans plus tarder.

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Scipion était en avant, suivi par les enfants; Chloé fermait la marche. On avançait aussi rapidement que possible par des sentiers c on ­tournés, qui s 'entre-croisaient dans la forêt : le j o u r était l evé ; et Scipion, un bâton à la main, lâchait, en frayant un passage dans les endroits fourrés qu 'on devait quelquefois traverser, de rendre le chemin moins pénible aux enfants. Yola, quo ique plus j eune que ses petites maî­tresses, montrant une grande énergie et, s'oubliant e l l e -même, ne pensait qu'à les encourager .

Scipion ne craignait pas l 'approche des ani­maux sauvages , rarement à craindre dans le j o u r , et qu'il savait d'ailleurs peu nombreux dans celte partie de la forêt où l'on ne voyait de jaguars qu'à de rares intervalles. Les enfants ne pensaient pas à ce genre de dangers, ayant l ' imagination trop remplie par celui que leur faisaient courir les nègres révoltés. Quant aux reptiles, rarement venimeux dans le pays, Scipion, pour les éloigner, frappait de son bâton les buissons qui se trouvaient sur le passage des petites filles.

11 y avait bien deux heures que l 'on marchait ainsi et les enfants commençaient à n'avancer que péniblement. La faim se faisait aussi cruel lement sentir, car dans leur fuite précipitée ils n'avaient pu emporter aucunes provisions. Voyant Thérèse

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LA FUITE DANS LA FORÊT 173 etGabrielle pâles et exténuées, Chloé dit à Scipion qu'el les ne pourraient marcher plus longtemps sans prendre un peu de nourriture, et elle lui demanda de chercher que lque racine ou que l ­que palmier -chou qui pût leur fournir un ali­ment. Il se mit aussitôt en quête de ce qu'el le demandait, et pendant ce temps Chloé fil asseoir les enfants au pied d'un arbre immense dont les larges feuilles répandaient une belle ombre . Encore plus accablées par le sentiment de leur malheureuse situation que par la fatigue, Thé ­rèse et Gabrielle n'avaient pas le courage de parler el se regardaient tristement de temps à autre, car leurs pensées se rencontraient. La pauvre Thérèse, surtout, ne pouvait se consoler à l 'idée qu'elle s'éloignait ainsi de plus en plus de sa mère sans savoir ce qu'el le était devenue .

L'absence de Scipion se prolongeait , et Chloé se demandait avec inquiétude s'il reviendrait sans avoir au moins trouvé un palmier-chou, arbre qui, cependant, vient facilement et se ren­contre f réquemment dans les forêts de Saint-Domingue.

« J'ai soif, murmura Thérèse. — Hélas! pauvre petite maîtresse, répondit

Chloé, nous n'avons pas d'eau en ce m o m e n t ; mais j e sais qu'il y a des sources dans la forêt, et peut-être en découvrirons-nous une. »

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174 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE A ce moment , la figure de Yola s'éclaira subi ­

tement : courant à un endroit qu'el le venait de quitter un instant auparavant, elle ramassa que lque chose et revint promptement vers les petites filles.

« Tenez, prenez, petite maîtresse, dit-elle à Thérèse en lui mettant dans la main une large feuille d'arbre contenant de petits fruits assez semblables à des mûres .

— Où as-tu trouvé cela? lui demanda Thérèse avec êtonhement.

— Je connais bien ces petits fruits qu 'on trouve souvent dans la forêt, répondit la petite négresse, et lorsque j 'en ai vu en passant devant les buissons, j 'ai pensé que vous seriez contente de les avoir quand vous auriez soif.

— Comment, tu pensais à moi dans noire marche, ma bonne Yola? Que j e le remerc ie ! . . . Nous allons partager ce que tu as cueill i . »

Et, après avoir donné une partie des fruits à sa cousine , elle en offrit à Yola : mais celle-ci recula.

« Non, non. petite maîtresse! C'est pour vous que j e les ai cuei l l is ; moi j e n'en ai pas besoin. . . . Je peux avoir soif bien plus longtemps que vous sans être malade : mangez toutes deux, vous n'en avez pas trop. »

Malgré les instances de Thérèse. Yola ne

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LA FUITE DANS LA FORÊT 175 voulut rien accepter et se cacha derrière sa mère , qui la récompensa par un regard d'affection.

« Tu vois , dit tout bas Thérèse à sa cousine, c o m m e ces pauvres nègres ont bon cœur et savent se dévouer : même cette pauvre petite négresse !

— C'est vrai, dit Gabrielle touchée aussi : je vois que j e me suis bien trompée autrefois! »

Scipion reparut enfin, ayant heureusement trouvé, quoique assez loin de là, un palmier-chou, dont il rapportait plusieurs gros fruits entre ses bras. Il partagea la moitié de sa provision entre tous, réservant le reste pour la fin de la j ournée , et craignant de ne plus retrouver au moment voulu cette précieuse ressource . Ce repas si frugal apaisa cependant la faim des enfants, et Scipion dit qu'il fallait reprendre la marche pour s 'éloi­gner plus sûrement des noirs ennemis et pour avancer le plus possible vers l'autre extrémité de la forêt, qu'il supposait être à trois ou quatre lieues encore.

Pour moins fatiguer les enfants, il chercha à gagner l'un des sentiers frayés par les gens du pays qui traversaient la forêt. La distance qu'il supposait entre eux et leurs ennemis leur per ­mettait de diminuer un peu les précautions à prendre. Il recommandait cependant aux enfants de parler bas, et s'arrêtait de temps à autre pour

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176 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE écouter s'il n'entendait rien d'alarmant autour d'eux.

On se reposait quelques moments quand les peliles filles sentaient trop la fatigue; niais Scipion et Chloé tâchaient de les entraîner le plus possible avant de l'aire une vraie halte. Malgré l 'ombre du feuillage, la chaleur devenait grande, et on avais atteint le milieu de la j ournée , lorsqu'on arriva dans une clairière où l 'herbe touffue poussait sous de beaux arbres : celle fraîcheur du sol donna à Scipion l ' espé­rance qu'on n'était pas é lo igné d'une source : il fit quelques pas et trouva en effet à peu de dis-tance un petit ruisseau, où ils purent tous SC

désaltérer. Ils revinrent ensuite dans la clairière, et mangèrent encore une partie de leur maigre provision. Mais leur soif était apaisée, et les enfants furent bientôt endormies sous la garde des fidèles nègres.

« Nous ne serons pas encore sortis de la forêt avant la nuit, dit Scipion d'une voix basse pour ne pas réveiller les enfants, et pendant celle halte je vais chercher autour de nous que lque nouvel aliment pour le repas du soir : j e ne m'éloignerai pas: les animaux de la forêt ne sont pas redoutables en plein j our , el au premier appel je reviendrai aussitôt. »

l,e bon nègre s 'éloigna. . . . Ses recherches ne

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LA FUITE DANS LA FORÊT 177

furent malheureusement pas aussi fructueuses qu'il l 'espérait : il ne trouva aucun palmier-c h o u ; il découvrit seulement quelques fruits sauvages, dont il fit une abondante cueillette, et arracha quelques racines qu'il connaissait et dont on pouvait manger la partie tendre demeurée en terre.

Tout en continuant ses recherches, il se rap­prochait de l 'endroit où il avait laissé les enfants, lorsqu 'un cri partant de leur côté lui fit hâter sa course ; . . . sa frayeur allait être promptement dissipée !

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Alertes dans la forêt

En arrivant à la clairière, il s'arrêta, étonné : deux ou trois singes d'assez forte taille s'ébat-taieht sous les arbres à quelque distance des enfants, qui se pressaient, effrayées, autour de Chloé.

Thérèse et Gabrielle détournaient la tête pour ne pas voir ces animaux, qui semblaient se quereller entre eux et faisaient des sauts et des gambades en poussant des cris de colère. Scipion, en rejoignant Chloé, lui demanda d'où venait le cri qu'il avait entendu; et Chloé,

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souriant à moitié, lui expliqua, que Gabrielle avait été réveillée en sursaut par la chute d'une grosse noix de coco lancée vers elle, et qu'au même instant un singe s'était précipité pour ramasser le fruit. La présence subite de cet animal avait tellement effrayé la petite, qu'elle n'avail pu s 'em­pêcher de crier ; et lorsque Chloé s'était appro ­chée d'elle pour la rassurer, le s inge, effrayé à son tour, s'était é lo igné ; mais deux autres singes étaient survenus et s'efforçaient d'enlever au premier la noix de coco qu'il tenait serrée entre ses bras, tout en cherchant à se sauver. Thérèse avait peur aussi que les singes ne se rappro­chassent .

Elle fut donc fort étonnée d'entendre Scipion s'écrier :

« Quel bonheur ! . . . une noix de coco , . . . il y a donc des cocotiers près d'ici, tandis que je cher ­chais inutilement de la nourriture au lo in !

— Mais ces vilains s inges ! . . . Est-ce qu'ils vont nous faire du mal? demanda avec angoisse Thérèse, encore plus effrayée que sa cousine.

— Ils ne sont pas méchants, n'ayez pas peur, petites maîtresses, répondit Scipion : il faut au contraire les suivre, pour découvrir l'endroit où ils ont trouvé cette noix de coco , car ils vont, bien sûr , y retourner pour en chercher d'autres. »

Tranquill isées alors, les enfants regardèrent

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Scipion qui s'avançait doucement vers les singes ; ceux-c i l 'apercevant cessèrent de se battre et s 'en­foncèrent dans les bois . Scipion les poursuivit , craignant de perdre leur trace, car déjà il ne les distinguait plus que par intervalles entre les branches, lorsqu'i l les vit s'élancer sur de grands arbres.

D'autres cris de singes se firent alors entendre, et Scipion, avançant, vit que toute une troupe de ces animaux était installée dans les branches, et, c omme il l'avait espéré, les arbres sur lesquels ils se trouvaient étaient des cocotiers. Mais pas une noix de coco ne se voyait à t e r re ; d'autre part, ces arbres étaient difficiles à escalader. Une idée subite frappa l'esprit du vieux nègre , qui , revenant sur ses pas, courut chercher Chloé et les enfants : ceux-ci attendaient impatiemment son retour.

« Venez vite, leur dit-il, m'aider à faire une bonne provision de noix de coco , qui vont nous être bien uti les! »

Et il les conduisit vers les cocotiers. Thérèse et Gabrielle n'étaient plus effrayées à la vue de ces s inges, dont les gestes et les grimaces les égayaient m ô m e malgré elles.

« Mais comment faire pour avoir ces grosses noix qui se trouvent tout au haut de ces grands arbres? demanda Thérèse à Scipion.

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182 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE — Vous allez bientôt en voir tomber une grêle

à terre, répondit-i l en souriant, et vous n'aurez qu'à vous baisser pour les ramasser. Ne bougez pas, mais regardez. »

Il avait ramassé en chemin quelques grosses pierres qu'il avait mises dans ses poches . Grim­pant sur un arbre moins haut et plus facile à escalader que les cocotiers, il s'assit sur une branche et se mit à lancer vigoureusement que l ­ques -uns de ses cailloux aux singes perchés sur la c ime des cocotiers voisins. Visiblement agacés, les animaux commencèrent à s'agiter. Lorsqu'il eut ainsi attiré leur attention, Scipion lança vers l 'un d'eux une de ses grosses pierres et cela si adroitement, que la bête fut atteinte. Furieux, le s inge chercha à riposter et, n'ayant autour de lui d'autres projectiles que des noix de coco , il en saisit une , qu' i l lança sur son e n n e m i ; Scipion évita ce boulet d'un nouveau genre : la noix tomba à terre, et Yola l 'eut bientôt ramassée. Scipion recommença son attaque de divers côtés, et, c o m m e on le sait , les singes cherchant toujours à imiter ce qu' i ls voient, ceux mêmes qui n'étaient pas attaqués se mirent à lancer dans tous les sens des noix de coco . Après quelques minutes , Scipion put cesser son manège et descendit pour aider Chloé et les enfants à ramasser les plus belles

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ALERTES DANS LA FORÊT 183 des noix, qu'i ls n'avaient plus qu'à récolter.

Quand chacun en eut pris autant qu'il pouvait en porter, ils regagnèrent la clairière, où Sci -pion voulait en ouvrir que lques -unes pour faire goûter aux enfants le lait rafraîchissant qu 'el les contenaient. Mais, arrivés à l 'endroit où ils avaient d'abord fait halte, un bruit sourd, lo in­tain, mais distinct, se fit entendre : on s'arrêta, et Scipion écouta. . . . Il n'y avait plus à en douter : un murmure de voix é lo ignées et un bruit de pas arrivèrent jusqu 'à eux ! Étaient-ce des nègres marrons traversant la forêt, ou une bande de noirs révoltés? . . .

A voix basse, Scipion dit ses craintes à Chloé ; il n'y avait pas un instant à perdre pour se mettre à l'abri du danger . A tout événement , il cacha précipitamment leur précieuse provision de noix sous un amas de feuilles sèches, et chercha des yeux des arbres dont les branches permis ­sent aux enfants et à Chloé de se dissimuler dans leur feuil lage. Il en découvrit deux, h e u ­reusement à peu de distance l 'un de l 'autre. Il dit à Chloé de monter dans l'un avec sa fille, en tâchant d'atteindre les branches les plus touffues, et ajouta qu'il se chargeait de préserver Thérèse et Gabrielle en les cachant dans l'autre arbre. Il fit gr imper devant lui les deux pauvres p e ­tites, les encourageant et les soutenant de son

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184 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE mieux : il les pressait, car les voix se rappro ­chaient, tout en étant encore à une certaine d is ­tance. La peur donnait des forces et de l 'énergie aux enfants, qui eurent bientôt gagné un endroit touffu du gros arbre, où les branches, en se sépa­rant, formaient un espace assez large et profond pour qu'el les pussent s'y asseoir et s'y c ram­ponner sol idement. Scipion redescendit quelques branches pour s'assurer qu 'on ne les voyait pas d'en bas , car les arbres de ces pays chauds ont un feuil lage et des branches bien autrement développés que dans nos contrées, ce qui les fait souvent servir d'asile aux fugitifs des forêts. Chloé et Yola étaient aussi parfaitement dissi­mulées , et le nègre fidèle remonta plus tranquille près des deux petites filles qu'il ava i tà protéger . Il les rassura en leur disant que , si elles ne faisaient aucun mouvement , on ne pourrait les découvrir . Tous attendirent donc dans un p r o ­fond si lence.

Pendant quelques instants, les voix étrangères se firent entendre à la m ê m e distance; puis elles se rapprochèrent tout à coup , et l 'on entendit distinctement les pas d'une troupe assez n o m ­breuse arrivant dans la clairière que nos fugitifs venaient d 'abandonner. Ceux-ci étaient assez éloignés pour ne pas pouvoir percevoir c laire­ment le son des voix, mais l 'oreille exercée de

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ALERTES DANS LA FORÊT 185 Scipion reconnut à certaines exclamations et au bruit que faisait la troupe, que c'était une bande de noirs. Ce devaient être des révoltés, cherchant à rejoindre les rebelles des autres plantations. Bientôt le doute ne fut plus possible , car p lu ­sieurs des nègres , se détachant de la bande, s'avancèrent un peu dans le bois , et leurs voix se trouvèrent à portée de Scipion, qui put distinguer leurs paroles : c'étaient des imprécations contre les blancs, un triomphe barbare des massacres déjà commis , et des menaces qui, par bonheur, étaient prononcées dans le langage nègre, inconnu aux enfants. Un geste expressif de Scipion leur avait fait comprendre qu'il ne fallait faire aucun mouvement , et elles se serraient, toutes trem­blantes, contre les branches qui les soutenaient. Ces nègres, heureusement, ne restèrent pas long­temps si près d 'eux; et on les entendit bientôt rejoindre leurs c o m p a g n o n s ; mais, au lieu de continuer sa route, toute la bande se disposa à faire halte dans la clairière! Ils s'étaient évi ­demment assis pour se reposer , car leurs voix venaient toujours du m ê m e point.

« Vont-i ls rester ici l ongtemps? demanda bien bas la pauvre Thérèse à Scipion.

— J'espère que non » , répondit le bon nègre , qui redoutait cependant le contraire, mais ne voulait pas effrayer les enfants.

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186 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Une heure s 'écoula, et les deux petites filles

n'osaient changer de position. Scipion les sou ­tenait et tâchait de les encourager .

Un instant cependant, le pauvre nègre cu l bien peur, car il entendit quelqu 'un s'avancer du côté de l 'arbre où ils étaient, et à travers le feuil lage il entrevit un j eune nègre armé d'un arc et de flèches, et qui semblait chercher que lque chose dans les arbres. Scipion savait qu 'on ne pouvait les vo i r ; mais sa frayeur fut grande quand il vit le noir bander son arc et viser de leur cô té ! . . . C'était un gros oiseau, qui s 'envola avant que la flèche ne fût lancée, et le petit nègre, désappointé, continua sa chasse d'un autre côté.

Il était â que lques pas, lorsqu' i l s'arrêta de nouveau, visa, et cette fois l 'oiseau tomba à ses pieds. 11 le ramassa avec vivacité, et, posant à terre son arc et ses flèches, il se mit à regarder son gibier.

A ce moment , un grand mouvement se fit entendre dans la c lair ière ; on parlait haut, on s'appelait : év idemment on allait se remettre en marche . Bientôt en effet on entendit des pas nombreux qui s'éloignaient peu à peu. Le j eune nègre écoutait aussi ; et quand il comprit que ses compagnons s'éloignaient, il s'élança dans leur direction, emportant l 'oiseau qu'i l tenait ; dans sa précipitation, il oublia de ramasser son arc.

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ALERTES DANS LA FORÊT 187 « Ils partent, dit alors Scipion aux enfants ;

attendons encore quelques moments , puis nous pourrons enfin descendre. »

Lorsqu'i l se fut assuré qu 'on n'entendait plus aucun bruit dans le lointain, il fit descendre les petites filles l 'une après l 'autre, les soutenant de branche en branche, car leurs membres étaient engourdis par cette longue immobil i té . Scipion courut alors à l'arbre qui avait servi de refuge à Chloé et à sa fille, et les appela en leur assurant qu'el les pouvaient descendre, le danger étant éloigné. Thérèse et Gabrielle, en se retrouvant en sûreté avec leurs fidèles compagnes , se j e ­tèrent dans leurs bras, remerciant Dieu qui les avait sauvés de ce nouveau péril .

« Il faut maintenant nous é lo igner sans perdre de temps, dit Scipion. Sortons au plus vite de cette forêt où nous rencontrons tant d 'ennemis : marchons jusqu 'à la nuit, et demain, je l 'espère, nous nous trouverons en pays ami. »

Mais avant de partir il alla chercher les noix de coco , qui , heureusement , n'avaient point été découvertes et qu'i ls emportèrent. La petite caravane s 'éloignait, lorsque Yola s'élança en poussant une exclamation de surprise : elle venait d 'apercevoir à terre l'arc et les flèches oubliés par le j eune nègre , et elle les rapporta à Scipion. Il s'en empara avec j o i e , c o m p r e -

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188 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE riant combien cette arme pourrait leur être utile.

Les pauvres enfants, surexcitées par le danger qu'el les venaient de courir , marchaient rapi­dement et parlaient bas. Scipion s'arrêtait par moments , craignant toujours l 'approche de que lque nouvel ennemi. Rien heureusement ne vint troubler leur marche, et, sauf quelques gros oiseaux, quelques singes qui s'enfuyaient à leur approche, nos fugitifs ne firent aucune rencontre.

Le j our baissait à travers les arbres et l'on ne voyait plus distinctement dans le sentier à moitié frayé que l'on suivait. Scipion et Chloé jugèrent donc prudent de choisir un endroit favorable pour y passer la nuit, et, ayant trouvé un vieil arbre dont le tronc immense avait une cavité large et peu profonde, ils s'y arrêtèrent. Scipion explora d'abord l 'intérieur de l 'arbre pour s'as­surer qu'il ne renfermait aucun reptile ni bête nuisible ; et alors Chloé y plaça une couche de branches et de feuilles sèches pour que les enfants pussent s'y asseoir et être ainsi installées à l'abri pour la nuit. Pendant ce temps Scipion ramassait une provision de branches sèches pour entretenir autour de l'arbre un feu qui les préserverait de l 'approche des animaux m a l ­faisants, s'il s'en trouvait de ce côté. En chemin il avait tué, grâce à son arc, des oiseaux assez

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Scipion n'eut plus qu'à tourner de temps à autre. (Page 192.)

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ALERTES DANS LA FORÊT 191 gros qui devaient faire leur souper : il se mit donc à les préparer.

« Mais comment a l lez -vous les faire cuire? de ­mandèrent les enfants; nous n'avons rien ici pour al lumer le feu. »

Scipion se mit à rire et Yola dit aussitôt : « Oh! vous allez voir , petites maîtresses ! C'est

très facile de faire du feu dehors quand il fait sec comme aujourd 'hui ; j ' en ai fait quelquefois pour m'amuser dans les bois et ce n'est pas bien long . »

Thérèse et Gabrielle regardèrent faire Scipion, qui tira de sa poche une pierre dont les bords étaient a n g u l e u x ; puis, prenant le couteau de chasse qu'il avait à la ceinture, il frappa v ive­ment la pierre avec le dos de la lame. Les petites ouvraient de grands y e u x ; bientôt elles virent quelques étincelles jaillir de la pierre au moment du choc . Scipion, déchirant alors un morceau de sa chemise, faite en coton grossier , l 'approcha de la pierre et redoubla la vitesse des coups de briquet l'étoffe était parfaitement sèche et un peu usée; bientôt on la vit fumer, et, sous la pluie d'étin­celles jaillissant du caillou, cet amadou improvisé finit par prendre feu. Le nègre approcha d'un petit tas de feuilles sèches le morceau de coton embrasé et, attisan le feu en soufflant l égè ­rement , il produisit une flamme qui ne tarda pas à consumer l 'amas de feuil les. Plaçant alors au -

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dessus quelques branches mortes , il activa la combust ion, et on vit ensuite bril ler un feu clair. Scipion se hâta de planter en terre, de chaque côté de la flamme, une branche fourchue, puis, traversant le corps des oiseaux au moyen d'un petit bâton taillé en pointe, il plaça sur les deux fourches les deux extrémités de cette broche d'un nouveau genre . De la sorte, les oiseaux se trouvèrent suspendus au-dessus du feu, et Scipion n'eut plus qu'à tourner de temps à autre le bâton pour exposer à la flamme toutes les parties du corps des deux oiseaux. Les enfants suivaient avec intérêt cette ingénieuse manière de p r é ­parer le repas, et, lorsque le nègre leur eut fait goûter ce rôti inaccoutumé, elles le trouvèrent un peu brûlé , un peu calciné, faute de j u s , mais en somme très bon , et elles se sentirent restau­rées . Les deux fidèles serviteurs refusèrent ab ­solument d'y toucher, et Yola seule, contrainte par ses jeunes maîtresses, prit sa part de ce gibier sur lequel personne n'avait compté.

On ouvrit ensuite quelques noix de coco , dont le lait rafraîchissant acheva de réconforter la petite troupe; puis , la nuit étant tout à fait venue, les enfants s'installèrent dans le creux de l 'arbre. Chloé s'assit devant elles pour mieux les garder, et Scipion, son couteau de chasse à la ceinture et son arc à ses côtés, entassa autour du campement

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des branches enflammées qui , bientôt, formèrent un cercle de feu, que le brave nègre devait en­tretenir so igneusement .

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XIII

Premier espoir de salut

Les trois petites tilles s 'endormirent p r o m p -tement. Scipion entretenait le feu et avait c on ­seillé à Chloé de prendre aussi quelque repos pendant qu'il veillerait sur tous. Mais la bonne négresse répondit qu'el le voulait l 'aider à garder les enfants. Pour ne pas les réveiller, tous deux parlaient peu et à voix basse.

Vers le milieu de la nuit, Chloé se sentit gagner peu à peu par le sommeil : ses yeux appesantis se fermèrent malgré tous ses efforts et elle fut bientôt endormie . Scipion était resté

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196 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE debout, à demi appuyé contre l 'arbre; niais, insensiblement accablé de fatigue, il s 'engourdit à son tour, et ses yeux se fermaient par instants, quoique sa lutte contre le sommeil l 'empêchât de dormir complètement . Aussi cette somnolence fut-elle immédiatement dissipée par le bruit d'un craquement qui se fit entendre à peu de distance.

Regardant dans cette direction, il vit que le feu était à demi éteint. Il s'avançait pour le ranimer, lorsque le craquement déjà entendu se renouvela, très près cette fois, et le nègre vit, que lque chose s'agiter confusément dans un fourré voisin. Il se demandait avec anxiété si c'était un ennemi, et saisissait déjà son arc, quand le buisson s'entr'ouvrit et le corps d'un jaguar en sortit à demi.

Ne voyant pas de feu de ce côté, l 'animal s'était enhardi et cherchait évidemment le m o m e n t de s'élancer sur la proie qu'il venait de découvrir . Saisissant l 'extrémité d'une de ces branches enflammées, Scipion se mit à la brandir devant le j aguar ; puis , appelant Chloé d'une voix forte, il lui cria de ral lumer promptement le feu éteint à ses pieds .

Bien qu'il ne lui eût pas n o m m é , pour ne pas trop l'effrayer, l 'ennemi terrible auquel ils avaient affaire, elle devina l 'étendue du danger en

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PREMIER ESPOIR DE SALUT 197 apercevant le visage altéré du nègre éclairé par la lueur du brandon qu'il agitait dans sa main. Son regard suivit la direction du sien ; mais elle ne distingua r ien. . . . Effrayé par la torche que Scipion brandissait d'une main v igoureuse , le jaguar était rentré dans le fourré.

« Vite, du feu! répéta le nègre. Une bête fauve est là. » Et il lui désigna l 'endroit.

Quoique tremblante, Chloé obéit immédia­tement et eut bientôt reformé autour d'eux le cercle de feu destiné à les protéger. Tout en l'aidant à attiser la flamme, Scipion ne quittai pas des yeux l'endroit où le jaguar s'était montré, craignant toujours de le voir reparaître. Soudain Chloé vil une ombre passer derrière elle : se retournant vivement, elle aperçut Yola portant autant de branches sèches que ses petits bras p o u ­vaient en contenir : elle les jeta sans mot dire aux pieds de sa mère . Elle était toute frissonnante.

« Tu as donc entendu? lui dit Scipion. — Je l'ai vu, répondit tout bas la petite d'une

voix haletante, et j e veux aider à l 'empêcher de tuer maman c o m m e il a tué papa! » Bien qu'el le eût parlé très bas, Chloé l'avait entendue, et, ses derniers mots lui faisant comprendre toute l 'étendue du danger qu' i ls venaient de courir , elle tressaillit et serra dans ses bras la coura­geuse enfant, qui n'avait pensé qu'à sa mère .

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Ensuite elle jeta les yeux sur les deux autres en ­fants, qu'el le ne songeait qu'à défendre : Gabrielle donnait toujours dans le creux de l 'arbre; mais Thérèse, à genoux et penchée en avant, pâle c o m m e la mort , les regardait d'un air terrifié!

Les premiers mouvements de Scipion l'avaient éveillée ainsi que Yola, et toutes deux avaient vu la terrible apparition du jaguar ! A l'aspect de celte grosse tête et de ces yeux flamboyants, la mal­heureuse Thérèse avait failli s 'évanouir ; mais la petite main de Yola s'était emparée de la sienne et la serrait c o m m e pour l ' encourager . Ce mouvement et surtout l 'expression d'énergie peinte sur le visage de la petite négresse avaient ranimé le courage de Thérèse, et, quand elle vit ensuite l'air de résolution avec lequel cette enfant de neuf ans s'avançait pour aider à les défendre, elle voulut m ê m e l 'accompagner : mais son énergie ne pouvait égaler celle que Yola puisait dans sa race, et, ses forces la trahissant, elle était tombée à genoux , c o m m e on l'a vu, se contentant de murmurer avec ferveur les prières qu'el le avait si souvent dites avec sa mère !

« Rassurez-vous, pauvre petite maîtresse, lui dit doucement Chloé ; ce grand feu va empêcher la bête fauve de nous approcher : ne craignez plus rien, nous allons veiller sur vous . »

En disant ces mots , ses yeux rencontrèrent

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PREMIER ESPOIR DE SALUT 199 ceux de Scipion, et elle comprit qu'il se r e p r o ­chait c o m m e elle d'avoir cédé un moment à une fatigue plus qu 'excusable . Le danger était passé cette fois, car bientôt on entendit le jaguar s 'éloigner par bonds dans la profondeur des halliers.

Jusqu'au point du j our les deux pauvres nègres ne cessèrent d'attiser les f lammes, et Yola, avec une sollicitude touchante, passa le reste de la nuit a s 'occuper de Thérèse, achevant de la rassurer.

Gabrielle fut donc la seule qui n'eût pas partagé les émotions de cette pénible nuit, q u o i ­qu 'el le se montrât fort impressionnée quand sa cousine lui en fit le récit.

Scipion attendit le grand j our pour cesser les précautions, devenues heureusement inutiles, en effet les bêtes fauves ne sortent que la nuit de leurs repaires et sont rarement rencontrées le j o u r par les h o m m e s . On pouvait donc se remettre en marche . Le nègre ne voulut pas s 'éloigner, m ê m e pour renforcer leurs maigres provis ions, car les enfants, et surtout Thérèse, étaient demeurées trop impressionnées pour qu'i l osât ajouter à leur frayeur en les quittant.

Il entraînait les pauvres petites aussi rapide­ment que possible , ayant hâte d'atteindre la lisière de la forêt avant la fin de la j ournée . Cet

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espoir , du reste, les encourageait tous, et l'on marchait sensiblement plus vite que la vei l le . Le chemin frayé que suivait la petite troupe s'élar­gissait et était év idemment plus fréquenté que les sentiers parcourus précédemment : indice certain qu 'on approchait des confins de la forêt.

On s'était reposé une heure vers midi pour manger , mais la journée s'avançait sans que les bois commençassent à s'éclaircir. Scipion et Chloé se demandaient déjà s'ils ne seraient pas encore obligés de coucher dans la forêt, lorsque, soudain, une bruyante détonation retentit à peu de distance. Tous tressaillirent et s 'arrêtèrent.. . .

Peu de secondes après, une antilope blessée passait rapidement devant eux et allait s'abattre à quelques mètres de là. Presque aussitôt ils entendirent des pas précipités, des froissements de branches, et un h o m m e parut en leur pré­sence . . . . Scipion avait déjà bandé son arc, mais à la vue de l 'étranger il le laissa retomber.

Ce n'était pas un noir . il avait le teint brun et foncé des mét is ; ses cheveux n'étaient pas crépus et ses traits étaient plus régul iers que ceux des nègres . Il portait des guêtres et des culottes en cuir et un vêtement court en peau de bête. Son fusil à la main, il s'était arrêté étonné, devant eux.

« Qui êtes-vous? que faites-vous ici? » deman-

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PREMIER ESPOIR LE SALUT 201 da-t-il on français, mais avec un accent assez prononcé . Et c o m m e Scipion hésitait à répondre, il reprit d'un ton plus impératif :

« Où emmenez-vous ces petits blancs? — Je vois à ta couleur , répondit Scipion, que

lu n'es pas avec ceux qui veulent chasser les blancs de leurs plantations : j e peux te parler parce que tu ne nous trahiras pas.

— Parle, dit laconiquement l 'étranger. — Nous sauvons les enfants de nos maîtres, qui

nous les ont confiées au moment de la révolte , l'autre nuit. Nous avons fui. et nous ne savons ce qu'i ls sont devenus.

— Et où les conduis-tu? reprit l 'homme. — Je ne sais. Je cherche seulement à sortir

de la forêt, du côté où ne sont pas les noirs ennemis .

— Tu ne sais donc pas que la révolte est par­tout? dit le métis d'un ton ironique.

— Quoi ! . . . on tue les blancs de ce côté aussi? s'écria Chloé avec effroi. Où conduire nos pau­vres petites maîtresses alors? »

Et elle serrait contre elle les enfants, tout effrayées.

« N'y aurait-il pas un endroit par où l'on pourrait sortir de la forêt sans danger? demanda Scipion à l 'étranger.

— Du côté de la colonie espagnole , si, répondit

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202 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE celui-ci . Mais il faudrait traverser encore une grande étendue de bo is . »

Scipion hésita un instant. « Es-tu seul ici? demanda-t-il enfin. — Seul?. . . les nôtres sont nombreux dans la

forêt! » A cette réponse, la figure de Scipion s'éclaira.

Il savait que les métis, indépendants des blancs et des noirs, s'établissaient souvent pendant p lu ­sieurs semaines dans les bois , pour y chasser les animaux de toute sorte, sauvages et autres, et pour aller ensuite en vendre les peaux dans les villes des colonies . Il voyait donc un moyen , en s'adjoi-gnant à eux, de conduire les enfants en sûreté.

« Veux-tu nous mener au milieu des tiens? demanda-t- i l au métis.

— Que veux-tu y faire? — Nous mettre sous votre protection. » Le métis hocha la tête d'un air négatif; mais

Chloé, devançant une réponse qu'elle redoutait, lit avancer les enfants vers lui et lui dit d'un ton suppliant :

« Tu ne nous empêcheras pas de sauver ces pauvres petites qui n'ont pas fait de mal , et qui seront peut-être prises par leurs ennemis si tu les repousses maintenant! »

Le métis jeta un regard sur les enfants, puis dit d'un ton moins brusque :

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PREMIER ESPOIR DE SALUT 203 « Que veux-tu que nous fassions de ces enfants

parmi nous? Crois-tu que notre chef voudra s'en charger?

— Essaye au moins , reprit Chloé, et conduis -nous vers lui ! »

Les regards tristes et inquiets des petites filles qui écoutaient avec anxiété les paroles échan­gées , parurent toucher un peu le métis : il hésita encore Un instant, puis il dit soudain à Scipion :

« Suivez-moi. Je vais vous mener à notre campement ; mais le chef seul décidera ce qu'i l veut faire de vous . »

Allant ensuite vers l 'antilope étendue morte à quelques pas, il la chargea sur son épaule , puis , faisant signe aux pauvres fugitifs de le suivre, il rentra dans l 'épaisseur des bois .

Ce n'était que par moments qu 'on rencontrait un chemin frayé, et, quo ique Scipion et Chloé aidassent de leur mieux les enfants à marcher , les pauvres petites avaient peine à suivre leur conducteur.

Scipion fut m ê m e obl igé plus d'une fois de, porter Thérèse et Gabrielle, moins habituées que la petite Yola à surmonter la fatigue.

Le j our baissait déjà lorsqu'on arriva enfin à un chemin plus large, et, quelques minutes après, on entrait dans une vaste clairière où deux grandes tentes étaient dressées contre de gros

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204 THÉRÈSE À SAINT-DOMINGUE

arbres. Plusieurs hommes allaient et venaient ; tous étaient des métis, c o m m e leur guide . Ils regardèrent la petite troupe d'un air surpris . Le métis qui l'avait amenée leur dit quelques mots en passant; puis , après s'être débarrassé de son gibier, il se dirigea vers la principale tente, et, arrivé à l 'entrée, il dit à Scipion de l 'attendre, car il allait prévenir le chef. Bientôt il revint suivi d'un métis vêtu comme lui, niais portant, proba­blement en signe de distinction, une large ce in­ture en étoffe rouge et une p lume à sa toque. C'était un homme de haute taille et ayant un air d'autorité qui le distinguait de ses c ompa­gnons . Il regarda d'un air froid les étrangers qu 'on lui amenait, arrêtant plus longtemps toutefois ses regards sur les deux petites filles blanches.

« Tu m'amènes ces enfants, dit-il à Scipion; mais que prétends-tu donc obtenir de m o i ?

— Votre aide pour les conduire hors de la forêt et de la colonie française, où elles ne sont pas en sûreté.

— Et crois-tu que nous sommes venus ici pour servir de guides à des gens égarés? ré ­pondit le chef d'un ton brusque . D'ailleurs nous ne nous mêlons ni des blancs ni des noirs.

— Je sais, continua Scipion, que vous vendez des peaux de bêtes dans la colonie espagno le ; et puisque sans protection nous ne pouvons les y

Page 217: Thérèse à Saint-Domingue

PREMIER ESPOIR DE SALUT 205 conduire sans danger, je vous demande de nous laisser nous joindre à vous pour l'aire ce voyage.

— Noire chasse n'est pas terminée, reprit le chef métis, et nous ne partirons que dans quel­ques jours.

— Nous attendrons le temps qu'il faudra, plutôt que d'exposer ces enfants », dit Scipion.

Le chef sembla hésiter. Pendant ce temps Thérèse dit tout bas à Chipé :

« Oh ! ne les attendons pas, et partons vite pour retrouver ma pauvre maman, qui ne sait pas où je suis! »

Gabrielle insistait aussi en pensant à son père et à son frère, mais Chloé leur répondit douce­ment, à voix basse également :

« Mes pauvres petites maîtresses, il faut avant tout que nous soyons sûrs d'arriver dans une ville sans être arrêtés par nos ennemis. Ils ont déjà manqué nous prendre hier, et maintenant vous savez que si nous continuons à fuir seuls, nous serons probablement perdus! Laissez-nous donc faire : votre mère elle-même le voudrait, ma petite maîtresse. »

Thérèse et Gabrielle, quoique consternées, se turent devant ces paroles. A ce moment le chef métis dit à Scipion :

« Que feras-tu de ces enfants jusqu'au départ? Nous n'avons pas de place pour vous dans ma

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206 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE tente ; et dans l'autre nous mettons nos chevaux et tout le produit de nos chasses.

— Si vous voulez seulement nous garder au milieu de vous , j e trouverai un abri ; et à l'aide de mon arc j e chercherai de quoi nous nourrir .

— Et pendant la route que nous ferons en ­semble , si nous rencontrons, c o m m e c'est p ro ­bable, les noirs révoltés, il faudrait donc vous défendre contre eux? . . . Quelle compensation t rouverons -nous pour ce service qui nous ex ­pose n o u s - m ê m e s ? »

Chloé l ' interrompit v ivement : « Ces enfants blanches ont des parents riches,

et si vous nous aidez à les leur rendre, ils r é c o m ­penseront bien un service aussi g rand ! Je puis vous le promettre . »

Le métis, qui comptait précisément trafiquer avec les grandes villes de la co lonie espagnole , réfléchit que les enfants qu'il avait devant lui avaient en effet de grandes chances de retrouver leurs familles par l 'entremise des autorités e s ­pagnoles , et la perspective d'un bénéfice presque assuré le décida.

« Eh bien, j e vous garde , c l vous nous ac com­pagnerez jusqu 'à la première ville où nous nous rendrons. Mais jusque - là ne sortez pas de notre campement , car nous ne pouvons répondre de vous si vous vous é lo ignez. »

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PREMIER ESPOIR DE SALUT 207 Il s'apprêtait à rentrer dans la tente, mais ,

après un regard jeté sur les enfants, il ajouta : « Pour ce soir, étant sans provis ions , vous

pourrez partager notre repas. » Lorsque le chef se fut retiré, Scipion et Chloé

montrèrent aux enfants combien ils devaient être heureux d'avoir trouvé ces h o m m e s qui leur donnaient la sécurité d'échapper à un danger plus grand encore qu'i ls ne l 'avaient pensé ; et les pauvres petites furent un peu remontées . Il s'agissait maintenant de préparer un premier abri pour la nuit, qui approchait, et Scipion commençait en toute hâte à chercher quelques branches avec lesquelles il comptait faire une sorte de cabane, lorsqu'un j eune métis s 'appro­cha en lui disant qu'il était envoyé par le chef pour l'aider.

En deux ou trois heures ils eurent fabriqué grossièrement une sorte de cabane, faite de branches de feuillage entrelacées et mainte­nues par quatre gros pieux formant les quatre coins de la hutte. Une couche de branches plus épaisse formait le dessus. Tel qu'il était, cet abri grossier pouvait préserver de la fraîcheur des nuits; quant à la pluie et au froid, ils n'étaient heureusement pas à redouter, car on était dans la saison sèche. Les amas de feuilles mortes devaient servir de couches , au fond de la

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208 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

cabane; et le j eune métis, que son âge rendait plus susceptible de compassion, y apporta aussi quelques couvertures et peaux de bêtes, qui devaient achever de rendre ce campement un peu plus confortable. Il indiqua à Scipion une source voisine de la clairière. Ce fut lui encore qui leur apporta le soir, dans une large cale­basse, un morceau de gibier rôti, froid, avec un pain grossier , qui formaient, ce soir-là, le repas des chasseurs.

Avant de prendre leur repos , les petites lilles remercièrent Dieu de les avoir ainsi secourues, et, pour la première fois depuis leur fuite, tous purent se livrer sans crainte au sommei l , car des sentinelles vigilantes entretenaient des feux et veillaient sur le campement.

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X I V

Dernière étape dans la forêt

Le lendemain au point du j our , un grand mouvement autour dos enfants les réveilla. Thérèse et Gabrielle. assises sur leurs lits de feuillage, regardaient avec étonnemenl ce qu 'el les voyaient par l 'ouverture de la hutte, dont Scipion avait soulevé la couverture servant de porte. Debout devant sa tente, le chef métis donnait des ordres à ses h o m m e s , dont la plus grande partie s'apprêtaient pour la chasse, tandis que d'autres attisaient le feu sous de grandes mar­mites qui contenaient le premier repas des

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chasseurs. Ceux-ci, après avoir mangé à la hâte et s'être munis de prov is ions , partirent, par petites bandes de deux ou trois, dans différentes directions. Ceux qui étaient restés dans le campe ­ment entrèrent dans la tente, qui était située en face de celle du chef, et le silence se rétablit.

Lorsque les enfants furent sorties de leur hutte de feuil lage, Scipion dit à Chloé de rester près d'elles, pendant qu'il irait tuer que lque gibier pour les repas de la j ournée . Mais le chef, les apercevant en ce moment , vint à eux et, avec p lus de douceur que la veil le, leur dit qu'il leur ferait donner le pain qu' i ls ne pouvaient se procurer ; on leur remit en effet une sorte de pain grossier que les métis cuisaient eux-mêmes sous la cendre.

Quand Scipion se fut é lo igné, les enfants et Chloé s'avancèrent un peu dans la clairière pour voir ce qui se passait autour d'eux. Au dehors ils ne voyaient personne, mais ils entendaient des bruits de voix dans une des tentes : les petites n'osaient en approcher , lorsque l 'une des toiles qui fermaient l 'ouverture de la tente se souleva, et elles virent paraître le j eune métis qu'el les avaient vu la vei l le . Son air moins froid et moins rude que celui de ses autres compagnons avait déjà établi une sorte de familiarité entre lui et les enfants, qui s'avan-

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DERNIÈRE ÉTAPE DANS LA FORÊT 211

cèrent en l 'apercevant. Gabrielle, moins timide que sa cousine, osa m ê m e l 'aborder en lui de ­mandant ce qu 'on faisait dans l 'intérieur de la tente.

« Nous avons soigné les chevaux, répondit- i l , et nous allons maintenant nous occuper des bêtes qu 'on a tuées hier.

— Est-ce qu 'on en a tué beaucoup? continua Gabrielle.

— Trois ou quatre antilopes, et deux belles panthères.

— Ah ! mon Dieu ! s'écria Thérèse, des p a n ­thères! . . . Gomment osez -vous aller les chasser?

— Bah! c'est ce qu'il y a de meil leur dans nos chasses, répliqua le métis. C'est cela qui nous rapporte le plus d'argent.

— Comment, de l 'argent! reprit Gabrielle. — Mais oui : nous vendons leurs peaux un

bon prix dans les vi l les. — Et la peau des antilopes est vendue aussi ?

demanda Thérèse. — Oui; mais bien moins cher, car on s'en

procure plus facilement, vous pensez ! . . . Dans la tente nous avons déjà beaucoup de peaux préparées, et vous pouvez venir les voir si vous voulez. »

Les enfants interrogèrent Chloé du regard; elle vit leur désir et suivit le métis qui se dirigeait

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212 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

vers la tente. Lorsqu'el les se trouvèrent dans l ' intérieur, les petites filles s'arrêtèrent interdites. Dans un coin huit ou dix chevaux étaient attachés à des pieux ; et au fond de la tente, du côté opposé , plusieurs métis étaient occupés d'une façon qui sembla étrange aux enfants : des cadavres de bêtes gisaient à terre devant eux, et les métis, armés de larges couteaux, les écorchaient pour en avoir la peau. Leurs mains teintes de sang, et la terre rougie également du sang de ces animaux étaient un spectacle si répugnant que les trois enfants et m ê m e Chloé reculèrent avec dégoût. Mais le j eune métis les dirigea aussitôt dans une autre partie de la tente, où des peaux de bêtes, anciennement préparées, étaient entassées en provision, tandis que d'autres, suspendues, achevaient de sécher. Il leur fit voir alors les belles fourrures fournies par leurs chasses, et qui n'avaient plus rien de répugnant. Les enfants regardèrent avec intérêt ces choses si nouve l l es ; mais l'idée de ce qui se passait si près d'elles leur donnait un sentiment de malaise, que Ghloé compri t ; aussi les e m m e n a - t - e l l e dès qu'el le put le faire sans froisser le j eune métis, qui leur montrait avec un orgueil visible le p r o ­duit de ces chasses. 11 leur avait donné la veille que lques noix de coco , que les enfants aidè­rent Chloé à ouvrir en attendant le retour de

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Les métis les écorchaient.

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DERNIERE ÉTAPE DANS LA FORÊT 215 Scipion, et elle les laissa ensuite se promener dans l 'enceinte formée par la clairière et qui était à l'abri de tout danger : Yola y eut bientôt dé­couvert des fleurs et des fruits sauvages qui poussaient sous les arbres entourant la clairière. Vers le mil ieu du j our , Scipion revint, ayant fait assez bonne chasse, et rapportant non seulement quelques oiseaux, mais des agoutis, sorte de lièvres qu 'on trouve dans ces forêts. Chloé, ayant cette fois des calebasses à sa disposition, se m o n ­tra habile à préparer un repas que les pauvres fugitifs firent avec un peu moins d'abattement. Dans l 'après-midi, les enfants assistèrent aux préparatifs que les métis du campement faisaient pour le retour de leurs chasseurs : ils firent cuire la chair des antilopes dépecées en quartiers, et préparèrent une nouvel le provision de leurs pains, dont la fabrication singulière intéressa les petites filles. Quelques coups de feu, plus ou moins rapprochés, se faisaient entendre, et la monotonie de la journée était parfois rompue par l 'arrivée d'un ou deux métis, rapportant du gibier qu' i ls avaient eu la chance de rencontrer aux environs. Mais le spectacle vraiment amusant pour les enfants fut le retour général des chasseurs avec leur gibier de différentes sortes. Un ou deux d'entre eux rapportaient de m a g n i ­fiques perroquets aux couleurs éclatantes, parti-

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216 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE culiers à ces co lonies , et qu 'ils empaillaient pour les vendre. Le chef décernait des é loges aux plus adroits ; de temps à autre, du reste, il prenait part aussi aux chasses.

Huit jours se passèrent à peu près de la même manière, et, quoiqu ' i ls fussent traités en somme avec assez d'égards par leurs singuliers protec ­teurs, le temps semblait bien long aux pauvres enfants et à leurs lidèlcs nègres . Thérèse surtout pleurait presque chaque soir, en voyant une j ournée de plus écoulée sans l 'avoir rapprochée de sa mère !

Enfin les inélis commencèrent à parler de départ, et un soir le chef ordonna à ses hommes de charger toutes les peaux de bêtes sur les chevaux le lendemain matin, de bonne heure, afin de pouvoir faire une première étape avant la chaleur. En effet, le lendemain au point du j our , les enfants trouvèrent à leur réveil les tentes défaites et roulées, tous les chevaux chargés, c l les vingt-cinq ou trente métis qui composaient la caravane, armés de leurs fusils en cas de sur­prise, c l prêts à partir. Une partie d'entre eux devaient précéder, c l les autres suivre, les che­vaux, conduits chacun par la bride. En considé­ration de leur faiblesse, les enfants et m ê m e Chloé furent placées sur deux des chevaux laissés libres à cet effet, et qui furent rangés au

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DERNIÈRE ÉTAPE DANS LA FORÊT 217

milieu de la caravane, conduits par Scipion et le jeune métis.

On se dirigeait vers la frontière espagnole la plus rapprochée de la ville de Saint-Domingue, où les métis devaient faire leur trafic de peaux de bêtes; pour y arriver, il fallait traverser une assez grande étendue de forêt et camper même une nuit encore dans les bois. La première journée ne présenta pas d'incidents : vers midi on fit une halte de deux heures pour manger et se reposer, et le soir, choisissant un endroit favorable, on dressa une tente, où chacun s'in­stalla de son mieux, sauf les quelques hommes chargés de garder les chevaux et d'entretenir les feux.

Chloé avait placé dans un coin les trois pauvres petites filles, sur lesquelles elle veilla toute la nuit, mais qui ne dormirent guère dans ce milieu si étrange pour elles !

Le lendemain matin, on reprit la marche, dans le même ordre que la veille; et à la lin de celle matinée on sortait enfin de cette forêt traversée avec tant de peines par nos malheureux fugitifs!

On était encore à deux ou trois lieues des fron­tières de la colonie espagnole, et on ne s'arrêta que le temps d'un court repas, car le chef des métis voulait atteindre le plus rapidement pos­sible Saint-Domingue. On était dans un pays

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218 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

découvert, peu fréquenté heureusement, et où les plantations étaient assez rares. Cependant, dans la crainte d'une rencontre avec les noirs révoltés de la colonie française, qu' i l ne redoutait pas pour lui, mais pour ses protégés, le chef métis avait revêtu Scipion d'un de leurs vêtements de chasseurs et lui avait recommandé , à l 'approche de noirs, de rabattre sur son visage un large pan d'étoffe qui pouvait , en le faisant passer pour blessé, aider à cacher sa couleur . Il se chargeait, en cas de danger, de masquer la présence de Chloé et des enfants.

Ou voyait de loin la frontière, et ces précautions semblaient devoir être inutiles, lorsqu'un des métis, qui marchait un peu en avant, en éclaireur, revint précipitamment annoncer au chef que dans un petit bouquet d'arbres, situé à une faible d i s ­tance, il avait distingué des nègres . Les enfants et Chloé étaient déjà tout é m u e s ; mais le métis, les plaçant vivement chacune sur un cheval, leur dit de se pencher le plus possible sur le cou de l 'animal, de façon à s'y tenir presque couchées . Jetant ensuite sur elles plusieurs peaux de bêtes qui les dissimulèrent complètement , il leur recommanda de ne faire aucun mouvement , quoi qu'il arrivât. Plusieurs métis les entourèrent sans affectation et l 'on poursuivit la marche. Quelques minutes après on se trouvait en pré -

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DERNIÈRE ÉTAPE DANS LA FORÊT 219 sence d 'une petite troupe de noirs dont que lques -uns étaient armés, et qui taisaient évidennnent partie de la bande des insurgés.

Ils étaient sortis du bois en voyant arriver la caravane, mais, en reconnaissant des métis, ils laissèrent tomber leurs armes, et les regardèrent s 'approcher, d'un air indifférent. D'après l 'ordre de leur chef, ceux-ci avançaient le p lus rapide­ment possible , et les noirs ne distinguèrent pas Scipion de ceux qui l 'entouraient.

Mais lorsque les chevaux passèrent devant eux, l'un des noirs dit aux métis les plus rapprochés de lui, qu'i ls n'avaient jamais dû faire une chasse aussi bel le , d'après le grand nombre de peaux qu'i ls rapportaient; et, s'avançant sur la route, lui et quelques noirs semblaient vouloir les examiner de plus près . Les enfants, qui enten­daient tout, tremblaient d'être découvertes ; le chef des métis, s 'interposant, dit aux nègres qu'il n'avait pas le temps de s'arrêter pour laisser examiner sa chasse, et il précipita le pas des chevaux; aussi furent-ils bientôt hors de la por ­tée des noirs. Ceux-ci murmurèrent un instant contre l 'arrogance des mét is ; mais, habitués à les regarder c o m m e une caste neutre et indé ­pendante, ils ne s'arrêtèrent pas à leur chercher querel le et les laissèrent s 'éloigner. Lorsqu' i ls furent à l'abri de tout danger de ce côté, le chef

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220 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

mélis rendit la liberté de leurs mouvements aux malheureux fugitifs, pour lesquels celle petite alerte devait enfin être la dernière, car peu après on entrait sur le territoire espagnol , où ils se trouvèrent en sûreté.

Avant la chute du j our , la petite caravane arrivait aux portes de Saint-Domingue.

Le chef mélis fil arrêter ses hommes dans un faubourg extérieur et dit à Scipion qu'il allait les conduire immédiatement au palais du gouver ­neur . Pour y arriver, il fallait traverser une assez grande partie de la ville, et, malgré leur fatigue, les enfants remarquèrent la singulière construc­tion des maisons, bâties à l 'espagnole, avec des p ignons qui donnaient sur la rue. Ils regar­daient aussi avec étonnement les costumes des h o m m e s du peuple avec leurs culottes courtes, leurs vestes collantes et leurs larges ceintures.

En arrivant au palais, le métis demanda à être introduit auprès du gouverneur . On fit d'abord quelques difficultés; mais les explications qu'il put donner en mauvais espagnol , et surtout la présence des deux petites Françaises qui en attes-tait la vérité, décidèrent un employé du palais à les annoncer. Après quelques moments d'attente il revint les chercher, et ils se trouvèrent bientôt en présence du gouverneur .

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Le métis prit d'abord la parole et raconta sa rencontre dans la forêt avec les enfants et leurs nègres . Le gouverneur regardait attentivement les petites filles : la phys ionomie honnête et simple des deux nègres, et surtout l'attitude et l 'expression des deux enfants blanches le c on ­vainquirent qu'il avait en effet devant lui des victimes d'une des scènes dramatiques qui se pas ­saient en ce moment sur le territoire français. De plus , le nom de M. de Monrémy ne lui était pas inconnu, et, aux premières questions qu'il adressa aux deux petites filles, il se sentit saisi de pitié en envisageant leur affreuse situation. Les premiers détails de la révolte lui étaient à peine parvenus, el, pas plus que les pauvres enfants, il ne connaissait l 'étendue de leur malheur. Mais, de toute manière, il était décidé à les protéger et à leur venir en aide de tout son pouvoir .

Il voulut d'abord, en tenant l 'engagement que les deux nègres avaient pris envers le chef des métis, les délivrer de l 'espèce de dépendance où ils se trouvaient envers lui. Lui remettant donc une assez forte somme d'argent, il lui dit de regarder sa mission comme terminée, car le gouverneur espagnol se chargerait désormais des fugitifs. Le inélis se retira, fort satisfait, e m p o r ­tant en outre les vifs remerciements de ceux qu'il

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222 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

avait protégés et pour lesquels il avait eu, en somme , certains égards, malgré le motif intéressé qui avait d'abord déterminé chez lui le service rendu.

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XV

Réunion et adieu

Scipion c l Chloé avaient été touchés de l ' impul­sion généreuse du gouverneur espagnol ; c epen­dant leur timidité naturelle à l 'égard des blancs leur était revenue , maintenant qu'i ls ne se sen­taient plus chargés seuls du salut de leurs petites maîtresses : aussi demeuraient-i ls si lencieux. Mais Thérèse, que ses malheurs et son éducation avaient déve loppée moralement plus que ne le sont en général les enfants de son âge , comprit que , tout en étant reconnaissante envers leur généreux protecteur, Gabrielle et elle ne devaient

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224 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE pas accepter c o m m e un don la riche récompense qu'il venait d'accorder en leur n o m ; et, s'avançant t imidement, elle lui dit d'un ton ému :

« Merci, mons ieur : . . . que vous êtes bon ! . . . et c omme nos parents seront heureux de vous remercier eux -mêmes , en vous rendant ce que vous avez bien voulu donner pour n o u s ! »

Comprenant le sentiment de délicatesse qui faisait parler cette enfant, le gouverneur lui répondit avec bonté :

« C'est de bien bon cœur que j e vais m'oceuper de vous , ma chère enfant, je vous l 'assure; et cette petite avance dont vous parlez est bien naturelle en une pareille circonstance. »

Rassurée sur la manière dont il envisageait la chose, Thérèse se sentit plus à l 'aise, et elle et sa cousine répondirent aux questions que le gouverneur leur faisait, avec une simplicité qui acheva de leur gagner l'intérêt de cet h o m m e excellent.

Sachant les massacres qui avaient accompagné la révolte dans plusieurs plantations, il avait des craintes sérieuses sur M. de Monrémy, quo i ­qu'il rassurât de son mieux la pauvre Gabrielle. Quant à Thérèse, il continua les espérances qu'el le avait de retrouver sa mère, qui avait pu, c omme elle, échapper aux dangers et être sau­vée par le nègre Pompée dont on lui parlait.

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RÉUNION ET ADIEU 225

Comprenant combien les petites filles avaient hâte de savoir le sort de leurs parents et de les rejoindre, il leur promit de les faire partir le plus promptement possible pour le C a p - H a ï ­tien, résidence du gouverneur français, où elles seraient sûrement informées de ce qui s'était passé, car la plantation de M. de Monrémy n'en était pas très é lo ignée. De plus il se disait inté­rieurement que si les pauvres enfants étaient devenues orphel ines , c'était au gouverneur fran­çais que revenait la mission de les mettre en relation avec leurs parents ou amis de France et de les rapatrier.

Calmées par ces assurances, Thérèse et Gabriel le se laissèrent conduire dans les chambres qui leur avaient été préparées, et où le gouverneur leur dit qu'el les recevraient bientôt la visite de sa femme, absente au m o m e n t de leur arrivée. Et en effet elles avaient à peine eu le temps de se remettre de toutes les scènes si différentes qui avaient rempli pour elles celle j ournée , lorsque la porte de la chambre s'ouvrit devant une femme j eune encore, élégante, mais qui leur parla tout do suite avec tant de bonté et de sollicitude, qu'el le les mit promptement à leur aise. Elle vit bien vite que ces pauvres enfants abandonnées étaient dépourvues des choses les plus nécessaires, et leur eut bientôt fait remettre

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226 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE le l inge et les vêtements dont elles étaient pri ­vées depuis leur fuite précipitée. Elle s 'occupa aussi avec égards des nègres fidèles et s'intéressa particulièrement à la petite Yola, dont Thérèse lui avait parlé avec affection.

Chloé était heureuse de voir ses petites maîtresses si bien accueillies dans leur malheur, et le soir, avant de prendre le repos dont elles avaient un si grand besoin, les deux petites tilles remercièrent Dieu avec ferveur de les avoir sauvées de tant de dangers , et prièrent de tout cœur pour leurs bienfaiteurs en m ê m e temps que pour leurs pauvres parents.

Le lendemain malin, le gouverneur vint leur dire qu'il pensait pouvoir les faire partir le j our suivant; et c o m m e la physionomie de la pauvre Thérèse indiquait clairement que ce court délai lui semblait pourtant long, il lui dit que la m a ­nière la plus prompte et la plus sûre de se rendre à la capitale de la colonie française était de s 'embarquer sur un vaisseau qui ne pouvait lever l 'ancre que le lendemain matin. Vingt-quatre heures devaient suffire pour la traversée : il n'y avait donc plus que deux j ours d'attente avant la réunion.

Cette j ournée passée à Saint-Domingue s'écoula plus rapidement que les enfants ne l'avaient d'abord supposé , grâce à la bienveillance de

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RÉUNION ET ADIEU 227

leurs généreux hôtes. La femme du gouverneur conduisit elle-même les petites filles (suivies de leurs noirs qui ne les quittaient pas) visiter la ville et le port, si différents de tout ce qu'elles avaient vu jusque-là. Le langage espagnol employé autour d'elles leur semblait surtout étrange. On leur fit admirer dans l'arsenal un souvenir histo­rique qui les frappa : une ancre d'un navire de Christophe Colomb; elles devaient emporter d'ailleurs un souvenir plus impressionnant de ce grand homme, car on les conduisit dans l'église gothique où ses restes étaient encore conservés.

Le moment du départ arriva enfin, et le gou­verneur les fit embarquer sous la protection d'un de ses chargés d'affaires, mis au courant de la situation si intéressante des enfants qu'il devait remettre entre les mains du gouverneur français, et qui avait mission de ne les quitter que lors­qu'elles seraient en sûreté, afin d'en rapporter ensuite des nouvelles au gouverneur espagnol. Thérèse et Gabrielle quittèrent avec une vraie émotion ceux qui les avaient si affectueusement traitées et qui, eux-mêmes, ne les virent pas s'éloigner sans regrets.

Thérèse, les yeux fixés sur le rivage, leur fit longtemps des signes d'adieux, et des larmes de reconnaissance mouillèrent ses yeux en pensant que c'était à leur intervention qu'elle devrait son

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rapatriement et la faculté de pouvoir dire bientôt à sa mère la bonté dont elle et ses compagnons avaient été l 'objet. Gabrielle, plus facile à d i s ­traire, vint bientôt la chercher pour lui m o n ­trer l 'ébahissement de Yola , qu i , se trouvant pour la première fois sur un navire, était stupé­faite de tout ce qui l 'entourait. Elle s'accrochait à sa mère et n'osait marcher sur le plancher mouvant du vaisseau. Les deux cousines s'en amusèrent d 'abord, pu i s , rassurant la petite

négresse , elles l 'entraînèrent avec elles pour assister aux manœuvres des matelots, qui les intéressèrent. La mer étant calme, le temps splen-dide, on dressa une tente sur le pont pour le repas des passagers, peu nombreux du reste. Le chargé d'affaires espagnol avait raconté la triste histoire des petites Françaises, et tous leur m o n ­traient un réel intérêt.

Le navire suivait les côtes de l ' î le, dont la riche végétation était admirée m ê m e des enfants. Elles couchèrent la nuit dans les hamacs des cabines intérieures. Quoiqu'el les se fussent ser­vies de ces hamacs en guise de j eu dans la p lan­tation, elles ne dormirent guère dans ces lits d'un nouveau g e n r e ; du reste leur esprit était trop rempli de la perspective prochaine de l 'arrivée pour qu'el les pussent goûter un vrai repos .

Vers le malin cependant elles s'étaient endor -

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Le navire suivait les côtes.

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RÉUNION ET ADIEU 231 mies, lorsqu'el les entendirent un grand m o u v e ­ment sur le navire. Chloé, déjà debout, leur dit qu 'on commençait à voir de loin le Cap-Haïtien et qu 'on faisait les premiers préparatifs pour le débarquement. En un instant les petites filles furent sur le pont, où elles retrouvèrent Scipion qui leur montra en effet à l 'horizon la vi l le , dont on approchait rapidement.

Les maisons blanches devinrent peu à peu visibles, et Thérèse reconnut le port où elle avait abordé avec Mme de Vernoux, il n'y avait pas deux ans encore. A ce souvenir , la pensée de sa mère lui revint si v ivement à l 'esprit que l 'idée qu'el le n'allait peut-être pas la retrouver i m m é ­diatement en débarquant la fit fondre en larmes. Son émotion gagna la pauvre Gabrielle, agitée aussi par une incertitude cruel le , et Chloé eut mil le peines à les calmer par ses encourage ­ments : elle fut aidée dans sa tâche par l 'envoyé espagnol , qui s 'approchait d'elles voyant qu 'on allait aborder. Aussitôt après le débarquement , il les conduisit tous directement au palais du gouverneur français, avec lequel il s 'entretint d'abord seul pendant quelques instants dans une pièce vois ine.

Quand la porte se rouvrit , le gouverneur parut avec lui : une f emme en grand deuil les accom­pagnait. Elle se précipita dans l 'appartement, et

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232 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Thérèse, levant les yeux, poussa un cri et tomba dans les bras de sa mère !

Après une première étreinte convulsive , Mme de Vernoux demeura comme accablée par ce dénouement si imprévu et si inespéré, succé -dant brusquement à des heures de mortel les angoisses .

Absorbée dans la contemplation de sa fille, elle ne songeait plus à rien, quand, en levant les yeux, elle aperçut Gabrielle restée tremblante et muette devant e l l e ; faisant alors un violenl effort sur e l l e -même, elle l'attira à elle aussi.

« Ton frère est avec moi , en sûreté, ma pauvre enfant, se hâta-t-elle de dire, prévenant toute question de la part de sa nièce. Il est sauvé comme v o u s ; allons vite le retrouver ! »

Elle entendil alors la pauvre Gabrielle balbu­tier d'une voix que l 'émotion rendait inintelli­gible le nom de son père. Elle réprima un d o u ­loureux tressaillement, et, refoulant les larmes qui la gagnaient à la vue de celle pauvre petite orphel ine, elle lui répondit aussitôt :

« T o n pauvre père n'est pas avec nous, ma pauvre pet i te ; . . . le bon Dieu a permis qu'il soit blessé en combattant les nègres révoltés, . . . il est très malade, . . . on n'a pu le transporter jusqu ' i c i . Mais, ajouta-t-elle, voyant la pâleur subite qui

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avail recouvert le visage de Gabrielle, viens voir au moins ton pauvre frère, si anxieux de te retrouver et qui t'attend à la maison où nous nous sommes refugiés avec le fidèle Pompée . »

Et sans laisser à la pauvre enfant le temps de la questionner de nouveau, elle prit rapidement congé du gouverneur , à qui elle avait jeté un regard significatif, et sortit en entraînant les e n ­fants et suivie des nègres, auxquels elle n'avait pu que serrer les mains, mais d'une manière qui leur en avait dit plus long que des paroles. Plus perspicaces que Gabrielle, ils avaient de ­viné c'e que la pauvre enfanl n'avait pas encore compris !

Pendant le trajet, Mme de Vernoux et les enfants, dominées par leurs émotions diverses, n'échangèrent que peu de paroles ; mais Mme de Vernoux put cependant avoir déjà quelque idée des journées émouvantes traversées par les fu­gitifs et du dévouement admirable des nègres fidèles.

La maison qu'el le habitait était une modeste demeure , où elle avail dû s'estimer encore heureuse de pouvoir trouver deux chambres pour elle et Ernest, blessé; car la ville était envahie par les familles des planteurs échappées au massacre, et qui s'étaient réfugiées sous la pro ­tection des autorités françaises.

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234 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Mme de Vernoux avait appris en quelques

mots aux enfants la blessure d'Ernest, en pleine voie de guérison alors. En arrivant chez el le , elle les conduisit dans sa chambre à elle, prétex­tant qu'el le allait d'abord préparer Ernest à l 'émotion de leur retour ; en réalité, c'était pour dire à celui-ci que Gabrielle ignorait encore la triste mort de leur père, qu'il fallait lui ap ­prendre avec ménagements . Mais lorsque les deux pauvres enfants se retrouvèrent après une séparation si cruelle , la pensée de leur père les saisit tous deux : Gabrielle en parla aussitôt, et Ernest, encore faible, fondit en larmes. Gabrielle ne put contenir son émot ion , et , commençant à soupçonner la triste vérité, elle regarda avec une telle anxiété Mme de Vcrnoux , que celle-ci vit qu'il n'y avait plus à dissimuler, et, l'atti­rant dans ses bras, elle lui dit :

« Tu l'as compris , ma pauvre enfant. . . . Ton père, avec bien d'autres, hélas ! a succombé dans cette affreuse nuit de révolte. C'est pour vous défendre qu'il a voulu combattre, et ce doit vous être, du moins , une consolation de penser que votre souvenir le suivait jusque dans ses derniers m o m e n t s ! Ernest peut même se rendre le témoignage qu'il s'est exposé, lui qui pouvait être de que lque secours dans le combat. . . . Votre malheur est grand, mes pauvres enfants! mais

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RÉUNION ET ADIEU 235 cependant j e bénis la Providence, qui m'a amenée près de vous il y a deux ans pour qu'après vous avoir connus tous j e puisse maintenant rendre à vos pauvres parents l'affection qu'i ls m'ont montrée, en vous témoignant aujourd'hui la mienne ! . . . Vous n'êtes pas seuls , mes chers enfants : désormais nous ne nous quitterons p lus . . . . Ma petite Thérèse vous comprendra trop bien aussi ! » Et, vaincue par l 'émotion du présent et des souvenirs passés, elle s'arrêta.

Thérèse, qui avait écouté avec une figure bouleversée les paroles de sa mère , se jeta au cou de Gabrielle et lui dit d 'une voix entre­coupée :

« Nous prierons ensemble pour nos deux paurves pères ! . . . Nous étions presque c o m m e deux sœurs, tu sais ; nous le serons maintenant tout à fait! »

Cet appui, qu'el le sentait si réel, calma un peu la pauvre Gabrielle, et Ernest, déjà profondément touché par les soins dont Mme de Vernoux l'avait entouré, se montra très ému aussi de ces témoi ­gnages d'une affection si vraie. La manière dont il raconta à sa sœur tout ce qu'i l devait à celle qui allait être leur seconde mère , n'avait plus rien de son ancienne froideur.

Mme de Vernoux donna ensuite à la pauvre Gabrielle tous les détails qu'el le savait sur la fin

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236 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

de son père, sur la manière dont Pompée avait sauvé son frère et comment ils avaient pu échapper au danger. Elle raconta avec quel dévouement Ernest avait été soigné par le brave nègre et comment , deux ou trois j ours après leur arrivée dans la ville, celui-ci s'était adjoint aux quelques soldats qu 'on avait chargés d'aller à la recherche des enfants. On avait rencon­tré quelques colons fugitifs, mais ils venaient d'autres plantations et n'avaient pu donner de renseignements sur ceux que cherchait la petite troupe.

Après des perquisitions qui , malheureusement , n'avaient pas été dirigées dans le bon sens, les soldais, après avoir visilé les environs de la plantation, avaient dû regagner leur poste, et Pompée s'était vu obligé de revenir avec eux sans pouvoir apporter aucune nouvelle à Mme de Vernoux. On j u g e quel les j ournées affreuses passa la pauvre femme, qui, dévorée d' inquiétude, ne sachant plus par qui elle aurait des nouvel les des enfants, voyait les j ours se succéder aux j ours sans qu'on entendit parler d 'eux. Aussi en était-elle arrivée aux plus noirs pressentiments. Malin et soir elle se rendait chez le gouverneur , dans l 'espoir d'y apprendre que lque nouvel le . . . . La Providence permit qu'el le s'y trouvât au m o ­ment où les enfants y arrivèrent enfin!

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RÉUNION ET ADIEU 237 Cette j ournée s'acheva dans les récits é m o u ­

vants que Thérèse et Gabrielle firent de leur fuite, c l Mme de Vernoux ne savait comment exprimer sa gratitude aux protecteurs si dévoués de ses enfants.

« Vous n'avez plus de famille ici, leur dit-elle, je vous regarde maintenant comme de la mienne : il ne dépendra que de vous de ne jamais nous quitter. »

A ces mots , les pauvres nègres se jetèrent à genoux , et pour toute réponse baisèrent la main que leur tendait leur nouvel le maîtresse : elle les releva avec bonté, et, voyant Chloé tout en larmes, elle la serra dans ses bras.

Pompée , très ému aussi, assistait à toutes ces scènes et avait sa part de la reconnaissance témoignée. La petite Yola était traitée avec un redoublement d'affection.

Le soir même, Mme de Vernoux voulut r e ­tourner au palais du gouverneur pour remercier l 'envoyé espagnol qui avait accompagné les enfants, de la sollicitude qu'il leur avait montrée. Et le lendemain, lorsqu'il vint prendre congé d'eux tous, elle lui remit, avec la s o m m e donnée au métis par le gouverneur espagnol , une lettre qui exprimait toute sa gratitude aux généreux protecteurs que les enfants avaient rencontrés à Saint-Domingue.

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238 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE Pendant quelques j ours , les enfants et Mme de

Vernoux se ressentirent de tant d 'émotions et curent besoin de calme et de repos . Ernest aussi achevait de se remettre des suites de sa blessure.

Mme de Vernoux avait réfléchi, pendant ce temps, au parti qu 'el le devait prendre pour elle et les pauvres enfants qui se trouvaient confiés à sa garde. Ernest et Gabrielle n'avaient aucun proche parent dans l ' î le; rien ne les attachait donc particulièrement a Saint Domingue , et tout ce que Mme de Vernoux entendait dire autour d'elle lui faisait craindre que cette révolte des noirs, même si elle était complètement réprimée, ne fût pas la dernière : l 'avenir ne devait que trop justifier cette appréhension ! Elle connais ­sait le banquier qui s'occupait des affaires de son malheureux oncle , et chez qui elle avait aussi dé ­posé sa petite fortune. Elle alla causer avec lui des ressources qui restaient aux orphel ins . Comme la plupart des co lons , M. de Monrémy avait voulu avoir toute sa fortune en terres; et dans les der­niers temps il avait réclamé à son banquier des sommes considérables destinées à agrandir la plantation, mais qui, n'ayant pas eu le temps d'être employées , avaient dû malheureusement devenir la proie des f lammes! Le banquier n'avait donc en ce moment que peu de fonds placés chez lui. Mais c'était assez pour attendre

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RÉUNION ET ADIEU 239

l'instant où l'on pourrait vendre ce qui restait de la plantation, après que l 'ordre serait rétabli dans l ' île. Mme de Vernoux confia donc le soin de cette vente au banquier dévoué depuis long temps aux intérêts de la famille, et elle se décida à retourner en France par un bâtiment qui met ­trait à la voile sous peu de j ours .

Scipion, Chloé et Yola devaient la su ivre ; mais le vieux Pompée , qui avait sa femme et son fils, était retenu dans l ' île, à laquelle il était trop attaché d'ailleurs pour ne pas vouloir y finir sa vie. Il y eut donc dans le départ deux moments douloureux : celui où les pauvres orphelins allèrent dire un dernier adieu aux tombes de leurs parents ; et celui où il fallut se séparer du nègre fidèle qui avait vu naître les enfants et venait de sauver Ernest.

Il avait voulu rester avec ses j eunes maîtres jusqu 'à la fin. Dans les derniers j ours , Ernest et Gabrielle avaient dit à Mme de Vcrnoux leur vif désir de témoigner au vieux nègre leur r e ­connaissance d'une manière durable. Heureuse de ces sentiments généreux et voulant s'y as­socier, elle leur conseilla de lui destiner une certaine s o m m e , sur la vente prochaine de leur plantation, qui lui permît de finir sa vie libre et indépendant. On convint donc avec le banquier chargé des affaires qu'il remettrait à

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240 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

Pompée vingt mille francs sur le prix de vente, auxquels Mme de Vernoux ajouta pour sa part une pelile somme destinée à prouver au bon ser­viteur qu 'el le , non plus , n'était pas indifférente.

Le malin du départ, lorsque le moment de la séparation fut venu et que le courage du pauvre nègre commença à faiblir, Mme de Vernoux lui dit :

« Vous quittez vos jeunes maîtres, mon brave P o m p é e ; mais ils ne veulent pas que vous en serviez jamais d'autres : l 'attachement qu'i ls ont pour N O U S leur rendrait celle pensée trop péni­ble , et pour celle raison j e puis vous dire qu'i ls ont pris d'avance les moyens de vous assurer un avenir libre et indépendant Vous accepterez aussi que je j o igne une petite preuve de mon affection bien réelle à celle que leurs cœurs reconnaissants leur ont dictée pour vous. Notre banquier vous donnera de plus longs détails, mais j 'ai voulu que cette assurance vous fût donnée par moi , avant noire pénible séparation. »

Les enfants, qui étaient présents, entourèrent aussitôt le vieux serviteur, qui , dans sa surprise et dans sa reconnaissance, ne pouvait parler. Gabrielle l 'embrassa et lui dit :

« Je t'assure, mon bon Pompée , que nous s o m m e s si heureux de pouvoir te montrer un peu combien nous t'aimons pour tout ce que tu as fait pour nous ! »

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RÉUNION ET ADIEU 241

16

EL Ernest, qui avait appris ce qu 'on pouvait rencontrer quelquefois de sentiments dévoués et délicats chez ces noirs qu'il méprisait te l le­ment si peu de temps auparavant, prit les mains de Pompée et lui témoigna aussi son affection dans des termes émus . Pompée refusa d'abord de rien accepter; mais lorsque Mme de Vernoux lui fit songer que l ' indépendance de sa femme et de son fils allaient dépendre de son acceptation, et combien il lui serait pénible à lu i -même d'avoir de nouveaux maîtres qu'i l ne pourrait aimer c o m m e ceux qu'i l avait si fidèlement ser­v is , sa résistance faiblit. Mme de Vernoux, lui désignant les enfants, ajouta alors :

« Leur père vous le demande aussi : écoutez-le une dernière fois. »

Vaincu par ces paroles , Pompée tomba à genoux et fondit en larmes, en murmurant : « Merci! » Puis, saisissant les mains des enfants, il les baisa une dernière fois, et, se levant b rus ­quement , il sortit précipitamment de la c h a m ­bre : il ne se sentait pas la force de pro longer cette scène d 'adieux!

Une heure après, un bâtiment levait l 'ancre, faisant voile pour la France; et les spectateurs qui le regardaient s 'éloigner purent remarquer sur le pont un petit g roupe de passagers en deui l , qui restèrent longtemps tournés vers le r ivage.

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242 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

Deux enfants surtout semblaient ne pouvoir détacher leurs regards de cette côte qu'i ls fuyaient : c'étaient les pauvres orphel ins , qui , c omme autrefois Thérèse et sa mère à leur départ de France, quittaient avec peine leur pays natal!

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ÉPILOGUE

Pendant la traversée, Mme de Vernoux avait souvent entendu parler autour d'elle des événe ­ments qui commençaient à bouleverser la France, et ses préoccupations augmentaient à mesure qu'on approchait de l 'arrivée. Elle avait songé à se diriger sur Paris ; mais que lques passagers, qui s'intéressaient à cette famille si éprouvée , semblaient s'effrayer de voir Mme de Vernoux penser à s'établir au centre même de tant de commotions .

L'un d'eux, qui devait se rendre en Angleterre, l'avait engagée à y aller aussi, en attendant que

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244 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

les événements lui permissent de se Fixer en France. Мme de Vernoux avait eu, d'abord, de la peine a. s 'habituer à l'idée d'un nouveau sé­j o u r à l 'étranger; mais, à la suite de plusieurs conversations avec ce passager dont le j u g e m e n t calme et l'intérêt bienveillant lui inspiraient toute confiance, elle se décida à modifier ses p re ­miers projets. Acceptant donc la protection de ce nouvel ami, elle consentit à se laisser conduire par lui à Londres, où il devait la mettre en rela­tion avec des émigrés français qui avaient fui la Révolution.

Ce retour en France fut donc douloureux pour Mine de Vernoux qui ne touchait le sol de la patrie que pour s'en é lo igner de nouveau ! Le débarquement en Angleterre fut triste aussi ; il fut cependant adouci par la présence et les soins délicats de celui qui l'y avait amenée . Guidée par lui, elle s'installa à Londres dans un modeste appartement, où Scipion et Chloé conti ­nuèrent à les servir avec un grand dévouement ; la petite Yola e l l e -même rendait mille services à ses j eunes maîtresses.

Mme de Vernoux eut bientôt l'ait la connais ­sance de quelques familles françaises, et une c o m m u n e sympathie ne tarda pas à adoucir le triste sort des exilés. Mme de Vernoux continu à s 'occuper e l l e -même de l 'éducation des petites

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ÉPILOGUE 245

filles. Mais ¡1 fallait aussi songer à Ernest : voyant que l'état de la France devenait de plus en plus grave et qu'en présence d'une telle crise le séjour en Angleterre était une question non plus de mois , mais d'années, elle pensa sérieusement à assurer son éducation.

La plantation de Saint-Domingue avait été vendue à un prix fort peu élevé, c omme toutes les terres des colons français à celle, époque de bouleversement : la petite fortune de Mme de Vernoux, jo inte aux débris de celle de M. de Monrémy, suffisait cependant pour subvenir aux frais de l 'éducation des enfants.

Ernest avait un goût prononcé pour la marine. Ne pouvant le faire entrer dans une école navale anglaise, elle lui lit donner des maîtres spéciaux pour le mettre en état de suivre plus tard cette carrière à son retour en France. Les succès d'Ernest dans ses éludes la récompensèrent des sacrifices faits pour lui.

Quelques années se passèrent ainsi, c l elles eussent été relativement douces pour les pauvres exilés, sans les émotions trop fréquentes que leur causaient les terribles nouvel les de France.

Enfin, lorsque après la Terreur les émigrés purent songer à regagner leur patrie, Mme de Vernoux quitta l 'Angleterre, et ce fut à Paris qu 'el le vint se fixer. Ernest fut placé dans une

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246 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE école de marine préparatoire, et Mme de Ver -noux put être tranquille sur son avenir.

Mais il n'en était pas de m ê m e pour celui de sa fille et de Gabrielle, dont la fortune devait être bien modeste, malgré la stricte économie observée j u s q u e - l à . Elles devenaient de grandes j eunes filles. Thérèse avait tenu tout ce qu 'el le p r o ­mettait et avait conservé la grâce et la bonté de son enfance. Gabrielle, sous la direction de sa seconde mère, avait acquis de bonnes et sérieuses qualités, et témoignait à Mme, de Vernoux la plus grande reconnaissance. Les deux cousines étaient très unies, et, ne songeant pas à l 'avenir, c o m m e Mme de Vernoux, étaient heureuses dans leur existence si s imple. Elle n'était pourtant pas exempte de privations, ce qui faisait souvent souffrir Mme de Vernoux.

Un j our que ce sentiment la rendait un peu pensive, la porte de sa chambre s'ouvrit, et Yola lui remit une lettre. Le courrier n'en apportait pas souvent à cette famille isolée. Mme de Ver ­noux, jetant les yeux sur l 'enveloppe, vit qu 'el le était timbrée du Cap-Haïtien. Depuis longtemps elle n'avait plus de communications avec les co l o ­nies, et elle ouvrit cette lettre avec une certaine curiosité.

Regardant d'abord la signature, elle vit que c'était celle de l 'ancien banquier de M. de Mon-

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ÉPILOGUE 247 rémy. La lettre était l o n g u e ; à mesure qu 'el le la lisait, sa physionomie marquait un intérêt croissant; et tout à coup Yola, restée clans l 'ap­partement, l 'entendit murmurer en jo ignant les mains :

« Mon Dieu! merc i ! vous veillez toujours sur ces pauvres orphel ins ! »

Elle reprit la lettre et la relisait avec p lus d'attention encore , lorsqu'el le entendit quelqu 'un s 'approcher doucement d'elle : c'était Thérèse, qu'el le n'avait pas entendue entrer, c l qui lui dit :

« Vous avez reçu de bonnes nouvel les , chère maman? Yola est venue me dire que vous avez l'air si contente, que , sans savoir pourquo i , la pauvre petite en était déjà heureuse !

— Oh! ma chère enfant! quel bonheur inat­tendu arrive à tes cousins ! Leur fidèle Pompée vient encore de leur rendre un bien grand ser ­vice : cours les chercher, et j e suis heureuse qu'Ernest se trouve actuellement au mil ieu de nous et puisse apprendre sans retard cette bonne nouve l l e ! »

Quelques instants après, Mme de Vernoux, en­tourée des trois enfants, leur lisait la lettre de Saint-Domingue.

Le banquier écrivait que l'ancien serviteur de la famille, le nègre Pompée , qui, avec l 'argent donné par ses bienfaiteurs, avait acheté un petit

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248 THÉHÈSE A SAINT-DOMINGUE

terrain touchant à l 'ancienne plantation de M. de Monrémy, venait d'y l'aire une découverte bien précieuse pour les héritiers de celui-ci : c'était une cassette contenant près de deux cent mille francs de valeurs ayant appartenu à. M. de Mon-rémy, dont le n o m était gravé sur la cassette : d'ailleurs l'authenticité en avait été prouvée de la manière suivante.

En apportant la cassette au banquier , Pompée lui avait raconté que peu de j ours auparavant il avait été appelé auprès d'une vieille négresse qui se mourait dans une cabane é lo ignée et avait, disait-elle, un secret important à lui c o m ­muniquer . Pompée , étonné, s'y était rendu ; à sa surprise, il avait reconnu dans la vieille né ­gresse mourante la veuve du misérable Annibal ! Cette femme lui avait alors dit que , le soir de l ' in­cendie, lorsque les appartements de M. de Monrémy étaient en feu, Annibal , pensant que son maître devait avoir chez lui de l 'argent, y avait pénétré et avait en effet découvert dans un meuble que les flammes n'avaient pas encore atteint une cassette qu'i l j u g e a devoir contenir des valeurs. Il avait couru la porter à sa femme, qui était encore dans les cases, et lui avait recommandé , avant de fuir avec les autres négresses , d'enfouir cette cassette, qu'i ls retrouveraient plus tard; puis il était allé rejoindre les révoltés.

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ÉPILOGUE 249 La négresse avait en effet accompli cet ordre.

La mort d'Annibal, la défaite des nègres et les poursuites dirigées contre eux dans toute la colonie avaient d'abord empêché celte misérable femme de se rapprocher de l 'ancienne planta­tion, et, avant que le calme se fût rétabli, elle avait été frappée par une maladie qui avait peu à peu dégénéré en langueur et l'avait retenue depuis lors clouée sur un lit de souffrances. Elle n'avait pas de famille proche, et ne voulait révéler à personne son secret, espérant toujours se remettre assez pour pouvoir aller chercher le trésor qu'el le ne voulait partager avec personne . Les mois , les années m ê m e s'écoulaient, et la vieille négresse devenait de plus en plus para­lysée. Enfin, sentant sa fin approcher, un combat étrange s'éleva en elle. D'un naturel farouche, et détestant môme ses semblables, elle était tentée parfois de mourir avec son secret pour que personne ne profitât d'un trésor dont elle n'avait pu j ou i r e l l e - m ê m e ; mais, sachant que le noir Pompée, qu'el le haïssait c o m m e par le passé, se trouvait avoir acheté le terrain m ê m e où était enfouie la cassette, la crainte que le hasard ne la lui fît découvrir et qu'il ne la rendît aux enfants de son ancien maître, lui fit prendre soudain une singulière détermination.

Depuis le j o u r où Thérèse et Mme de Vernoux

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250 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE étaient venues visiter Annibal blessé, et lui avaient seules montré de l'intérêt, la vieille négresse , quoiqu 'e l le eût repoussé à ce moment leur bienveil lance, avait senti s 'éveiller en elle, surtout à l 'égard de Thérèse, un sentiment qu'el le ne s'expliquait pas e l le -même. Aussi, depuis sa maladie et pendant ses longues nuits d ' insomnie, le souvenir de la petite fille blanche lui était souvent revenu, et elle croyait voir par moments la douce et compatissante figure de l 'enfant. Les autres traits de bonté de Thérèse envers les noirs remplissaient aussi souvent sa pensée , et ce souvenir constant, se jo ignant dans son esprit à sa préoccupation au sujet du trésor caché , l 'amena peu à peu à une conclusion qui , seule , parvenait à la satisfaire : elle ne se déferait de son trésor qu'au profit de Thérèse. C'est alors que , se sentant plus mal , elle se décida à faire venir Pompée . Elle connaissait assez le caractère loyal du vieux nègre pour savoir qu'il ne trahirait pas la promesse faite à une mourante ; et, en lui révélant l 'existence d'un trésor caché, elle lui fit jurer , avant de lui expl iquer l 'endroit où il le trouverait, de ne le remettre qu'à Thérèse seule , à qui elle voulait le faire parvenir .

Voyant qu'il s'agissait des biens de M. de Monrémy, Pompée , troublé, hésita d'abord à faire une promesse qui était préjudiciable à ses j eunes

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ÉPILOGUE 251 maîtres. Mais, voyant la résolution inébranlable de la mourante de ne parler qu'à cette condition, il réfléchit qu'il fallait avant tout ne pas renoncer à ce qui pouvait être une fortune pour eux, et, se fiant aux sentiments de justice et de droiture de Thérèse et de sa mère lorsqu'el les seraient en possession de ce trésor, il fit la promesse exigée. C'est ainsi qu'il avait trouvé la cassette que son premier soin avait été de remettre à l'ancien banquier de M. de Monrémy, le chargeant de faire connaître à Mme de Vernoux l 'étrange testament de la vieille négresse. Le banquier ajoutait que celle femme était morte peu de j o u r s après ; c l il annonçait l 'envoi , par le courrier suivant, des fonds si inopinément retrouvés. II disait aussi à Mme de Vernoux qu'outre les preuves évidentes il n'y avait pas lieu de douter que cette somme ne fût celle remise par lui à M. de Monrémy peu avant la révolte, et qu'il avait crue détruite par les f lammes, c o m m e il l 'avait dit à Mme de Vernoux avant qu'el le quittât l ' île. Cette fortune devait donc revenir légalement aux héritiers de M. de Monrémy; m a i s , à cause de la promesse faite par Pompée , il l'adressait à Mme de Vernoux pour la remettre à sa fille.

La lecture de cette lettre achevée, et avant que Mme de Vernoux eût le temps de parler, Thérèse se jeta dans les bras de Gabrielle, en s'écriant :

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252 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE « Quel bonheur , mes ehers cous ins ! Vous

allez donc retrouver un peu de la fortune dont la privation nous rendail si tristes pour vous !

— Mais c'est à loi . . . . commençait Gabrielle qu'Ernest interrompit.

— Tu n'as pas compris , Thérèse, dit-il : cette fortune t'est dest inée; et j e connais assez Ga­brielle pour pouvoir le dire, en son nom c o m m e au mien , que nous remercions la Providence d'avoir arrangé les choses de Cette manière, et de nous enlever ainsi le sentiment pénible de ne pouvoir vous faire jouir d'une aisance que mon pauvre père était si heureux de pouvoir partager avec vous ! »

Thérèse les regarda d'abord l'un après l'autre avec stupéfaction, puis tout à coup :

« Comment ! s 'écria-t-elle avec véhémence , parce que cette malheureuse l'emine aveuglée par sa haine pour vos pauvres parents et par un sentiment contraire, exagéré, pour moi, a com­mis une mauvaise action, vous supposez que j e pourrais en profiter, quand il ne dépend que de moi de réparer cette faute! . . . Oh! mes cous ins ! c omment avez-vous pu penser cela de moi!... Mais j e ne mériterais plus ni estime ni affec­tion si j 'étais capable de faire ce que vous dites! »

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ÉPILOGUE 253

Les deux cousins l 'avaient écoutée avec é m o ­tion. Mais, malgré la conviction avec laquelle Thérèse avait parlé, Gabriclle allait insister de n o u v e a u ; Thérèse se tourna vers sa mère , restée muette jusque - là :

« Oh! maman, aidez-moi à les convaincre ! dit-elle d'un air suppliant.

— Thérèse a raison, mes enfants, dit alors gravement Mme de Vernoux ; j e suis heureuse qu'el le ait compris la seule manière dont elle doit agir en celte circonstance : et si en fait cette fortune lui a été destinée, moralement, sachant qu 'e l le vient de votre père , elle ne peut s'en considérer que c o m m e la dépositaire.

— Mais, s'écria Gabriclle avec animation, sans e l l e , l 'aurions-nous jamais retrouvée, celle for­tune? Et moralement aussi ne devons-nous pas nous dire qu'el le lui appartient, puisque c'est grâce à elle seule que cet argent a élé décou ­vert? . . . C'est toujours la bonté de ma chère Thé­rèse qui porte ses fruits, vous voyez ! »

Et elle se jeta en pleurant au cou de sa c o u ­sine.

Mme de Vernoux, que celle lutte de sentiments généreux remuait profondément, sentait ce qu'il y avait de vrai dans cet argument de Gabricl le ; aussi lorsqu'el le vit que le frère et la sœur s e m ­blaient de plus en plus fermes dans leur déter-

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254 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE mination de tout refuser, elle dit après un instant de réflexion :

« Il y à une seule chose que tu peux faire, selon moi , Thérèse, en présence de cette réso ­lution généreuse de tes cousins : c'est d'accepter d'eux un don sur cette fortune que lu dois d'abord leur remettre. De cette manière, tu leur per­mettras de satisfaire le besoin de leurs cœurs , que j e comprends et dont j e suis bien touchée avec toi ! »

11 fallut encore que lque temps à Mme de Ver -houx et à sa fille pour contraindre Ernest et sa sœur à admettre cette conc lus ion ; mais ils d é ­clarèrent qu'i ls voulaient au moins donner à Thérèse la moitié de la s omme retrouvée ; celle-ci refusa cette trop grande générosité , et tout ce que ses cousins parvinrent à lui faire accepter fut le partage égal de celte fortune entre eux trois ; et encore ne se décida-t-elle que lorsque Gabrielle lui eut dit :

« Nous s o m m e s devenus connue des frères et sœurs : tout doit être semblable entre nous maintenant. »

La lin de cette j ournée se passa calme et h e u ­reuse pour cette famille si unie ; mais la personne dont le bonheur était peut-être le plus complet fut Mme de Vernoux, qui pouvait se rendre le témoignage que c'était sa sage direction et la

Page 267: Thérèse à Saint-Domingue

ÉPILOGUE 255 douce influence de sa fille qui avaient ainsi transformé la nature, jadis si défectueuse, de ces deux pauvres enfants que la Providence lui avait confiés.

A dater de ce moment ses préoccupations pour l 'avenir disparurent. Thérèse et Gabrielle firent en effet toutes deux d 'heureux mariages : Thé­rèse surtout continua à faire le charme de son entourage. Sa mère n'eut jamais d'autre demeure que la sienne, sauf les visites qu'el le faisait à Ga­brielle qui la réclamait souvent. Les deux nègres étaient restés fidèlement attachés à Mme de Ver-noux, et Yola ne se séparait jamais de son an­cienne petite maîtresse, qui la traitait avec une affection toute spéciale.

Ernest ne se maria pas, car son caractère, si heureusement changé, avait gardé que lque chose de raide et de froid qui le portait vers un genre de vie indépendant. Intelligent et c o u ­rageux, c o m m e son enfance l'avait annoncé, il gagna brillamment ses grades dans sa carrière de marin ; et lorsqu'un j o u r le hasard fit relâcher son navire au Cap-Haïtien, et qu' i l se rencontra avec son ancien et fidèle serviteur Pompée, le pauvre noir fut tout heureux et tout fier de re­trouver son ancien jeune maître en un brillant officier de marine !

Thérèse de Vernoux, après une enfance si

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256 THÉRÈSE A SAINT-DOMINGUE

éprouvée , finissait donc sa vie heureuse et pa i ­sible, et la Providence semblait vouloir la r é c o m ­penser dès ce monde du bien que sa bonté et ses douces vertus avaient répandu autour d'elle.

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TABLE DES MATIERES

I. Départ pour Saint -Domingue 1

II. Thérèse et les nègres 15

III. Yo la 3 3

IV. Les perroquets et le serpent 51

V . Annibal et le commandeur 7 3

VI . Un incident dans la forêt 87

VII. Triste récit et triste événement 1 0 3

VIII. Indices de révolte 115

IX. L'incendie 1 3 5

X . Suites de l'incendie 1 4 9

X I . La fuite dans la forêt 165

XII. Alertes dans la forêt 179

XIII. Premier espoir de salut 1 9 5

XIV. Dernière étape dans la forêt 209

XV. Réunion et adieu 223

ÉPILOGUE 2 4 3

17

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Page 271: Thérèse à Saint-Domingue

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Ce nouveau recueil est une des lectures les plus attrayantes que l'on puisse mettre entre les mains de la jeunesse. 11 contient des nouvelles, des contes, des biographies, des récits d'aventures et des voyages, des causeries sur l'histoire naturelle, la géographie, les arts et l'industrie, etc., par

Mmes S. BLANDY, COLOMB, GUSTAVE DEMOULIN, EMMA D'ERWIN, ZÉNAÏDE FLEURIOT, ANDRÉ GÉRARD, JULIE GOURAUD, MARIE MARÉCHAL

L. MUSSAT, P. DE NANTEUIL, OUIDA, DE WITT NÉE GUIZOT, MM. A. ASSOLLANT, DE LA BLANCHÈRE, LÉON CAIIUN,

RICHARD CORTAMBERT, ERNEST DAUDET, DILLAYE, LOUIS ÉNAULT, J. GIRARD1N, AIMÉ GIRON, AMÉDÉE GUILLEMIN, CH. JOLIET, ALBERT LÉVY,

ERNEST MENAULT, EUGÈNE MULLER, PAUL PELET, LOUIS ROUSSELET, G. TISSANDIER, P. VINCENT, ETC.

et est

ILLUSTRÉ DE 9000 GRAVURES SUR BOIS d'après les dessins de

É . BAYARD, BERTALL, BLANCHARD, CAIN, CASTELLI, CATENACCI, CRAFTY, C. DEL0RT,

FAGUET, FÉRAT, FERDINANDUS, GILBERT, GODEFROY DURAND, HUBERT-CLERGET, KAUFFMANN, LIX, A. MARIE

MESNEL, MOYNET, MYRBACH, A. DE NEUVILLE, PHILIPPOTEAUX, P01RS0N, PRANISHNIKOFF, RICHNER, RIOU,

RONJAT, SAHIB, TAYLOR, THÉR0ND, TOFANI, TH. WEBER, E. ZIER.

Page 272: Thérèse à Saint-Domingue

CONDITIONS DE VENTE ET D'ABONNEMENT

LE JOURNAL DE LA JEUNESSE paraît le samedi de chaque semaine. Le prix du numéro, comprenant 16 pages grand in-8°, est de 4 0 centimes.

Les 52 numéros publiés dans une année forment deux volumes.

Prix de chaque volume, broché, 1 0 francs; cartonné en percaline rouge, tranches dorées, 13 francs.

Pour les abonnés, le prix de chaque volume du Journal de la Jeunesse est réduit à 5 francs broché.

P R I X D E L ' A B O N N E M E N T

POUR PARIS ET LES DÉPARTEMENTS

UN AN ( 2 volumes) 20 FRANCS SIX MOIS (1 volume) 10 —

Prix de l'abonnement pour les pays étrangers qui font partie de l'Union générale des postes : Un an, 22 fr. ; six mois, 11 fr.

Les abonnements se prennent à partir du 1e r décembre et du 1er juin de chaque année.

2

Page 273: Thérèse à Saint-Domingue

- 3 —

M O N J O U R N A L S I X I È M E ANNÉE

NODVEAD RECUEIL MENSUEL ILLUSTRÉ

POUR L E S E N F A N T S D E 5 A 10 A N S

PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DE

Mme Pauline KERGOMARD et de M. Charles DEFODON

CONDITIONS DE VENTE ET D'ABONNEMENT :

11 parait un numéro le 15 de chaque mois depuis le 15 octobre 1881.

Prix de l'abonnement : Un an 1 fr. 80; prix du numéro, 15 centimes.

Les sept premières années de ce nouveau recueil forment sept beaux volumes grand in-8°, illustrés de nombreuses gravures. La première année est épuisée ; la huitième est en cours de publication.

Prix de l'année, brochée, 2 fr. ; cartonnée en percaline gaufrée, avec fers spéciaux à froid, 2 fr. 50.

Prix de l'emboîtage en percaline, pour les abonnés ou les acheteurs au numéro, 50 centimes.

Page 274: Thérèse à Saint-Domingue

4

N O U V E L L E C O L L E C T I O N I L L U S T R É E P O U R L A J E U N E S S E E T L ' E N F A N C E

1re SÉRIE, FORMAT IN-8° JÉSUS Prix du volume : broché, 7 fr. ; cartonné, tranches dorées, 10 fr.

A b o u t (ED.) : Le roman d'un brave homme. 1 vol . i l lustré de 52 c o m p o ­s i t ions par Adrien Marie

— L'homme à l'oreille cassée. 1 v o l . i l lustré de 51 compos i t ions par E u g . Courboin.

C a h u n (L.) : Les aventures du capitaine Magon. 1 vo l . i l lu s t ré de 72 gravures d'après P h i l i p p o t e a u x .

— La bannière bleue. 1 vol . i l lustré de 73 gravures d'après Lix.

D e s l y s (CHARLES) : L'héritage de Charlemagne. 1 vo l . i l lustre de 127 gravures d'après Z ier .

D i l l a y e ( F r . ) : Les jeux de la jeu­nesse, leur o r i g i n e , leur h is to ire , avec l ' indication des règ les qui les rég issent , 1 vol . i l lustré de 203 g r a ­vures .

D u C a m p (MAXIME) : La vertu en France. 1 vo l . i l lustré do gravures d'après Direz, MYRBACH, TOFANI et E. ZIER.

R o u s s e l e t (Louis) : Nos grandes écoles militaires et civiles. 1 vol . illustré do gravures d'après A. L E -M A I S T R E , F R . R É G A M E Y e t P. RENOUARD.

2° SÉRIE, FORMAT IN-8° RAISIN Prix (lu volume : broché, 4 fr.; cartonné, tranches dorées, 6 fr. A s s o l l a n t (A.) : Montluc le Rouge.

2 vol. avec 107 grav. d'après Sahib.

— Pendragon. 1 vo l . a v e c 42 g r a ­vures d'après G. Gi lbert .

A u e r b a c h : La fille aux pieds nus. Nouve l l e imi t ée de l 'allemand par J. Gourdault . 1 vol . avec 7 2 g r a ­vures d'après Vaut ier .

B a k e r (S. W . ) : L'enfant du nau­frage, traduit de l 'angla is par Mme F e r n a n d . 1 vol . avec 10 gravures .

B l a n d y (Mme S.) : Rouzétou. 1 vol . i l lustré do 112 gravures d'après E . Z ier .

C a h u n (L.) : Les pilotes d'Ango. 1 vol . avec 45 gravures d'après S a h i b .

— La mercenaires. 1 vol . avec 5 4 gravures d'après P . F r i t e l .

C h é r o n d e la B r u y è r e (Mme) : La tante Derbier. 1 vol. i l lustré de 50 g r a v u r e s d'après Myrbach.

C o l o m b (Mme) : Le violoneux de la sapinière. 1 vol . avec 85 gravures d'après A . Marie.

— La fille de Carilis. 1 vol . avec 9G gravures d'après A . Marie.

Ouvrage couronné par l 'Académie frança i se .

— Deux mères. 1 vol . avoc 133 g r a ­vures d'après A . Mario.

— Le bonheur de Françoise. 1 vol . v e c 112 gravures d'après A . Marie.

— Chloris et Jeanneton. 1 vo l . avec 105 gravures d'après S a h i b .

— L'héritière de Vauclain. 1 vo l . avec 104 grav . d'après C. Delort.

— Franchise. 1 vo l . avec 113 gravures d'après G. Delort.

— Feu de paille. 1 vol. avec 98 g r a ­vures d'après Tofani.

— Les étapes de Madeleine. 1 vol . avec 105 gravures d'après Tofani.

Page 275: Thérèse à Saint-Domingue

5

C o l o m b ( M m e ) : Denis le tyran. 1 vol . avec 1 1 5 gravures d'après Tofani.

— Pour la muse. 1 vol . avec 1 0 5 gra­vures d'après Tofani .

— Pour la patrie. 1 vol . avec 1 1 2 gravures d'après E . Zier.

— Hervé Plémeur. 1 vol . avec 1 1 2 gravures d'après E . Zicr .

— Jean l'innocent. 1 vol. i l lus tré do 112 gravures d'après Zier.

— Danielle. 1 vol. i l lustré de 1 1 2 gravures d'après Tofani.

C o r t a m b e r t (E.) : Voyage pitto­resque à travers le monde. 1 vo l . avec 8 1 gravures .

— Mœurs et caractères des peuples ( E u r o p e Afrique). 1 vol . avec 69 gr .

— Mœurs et caractères des peuples ( A s i e , Amér ique , Océanie) . 1 vol . avec 0 0 gravures .

C o r t a m b e r t c l D e s l y s : le pays du soleil. 1 vol . avec 3 5 gravures .

D a u d e t (E.) : Robert Darnetal. 1 vol . a v e c 8 1 grav. d'après Sahib .

D u m o u l i n (Mme G.) : Les animaux étranges, 1 vol . avec 172 g r a v u r e s .

— Les gens de bien. 1 vo l . avec 3 2 gravures d'après Gilbert .

— Les maisons des bêtes. 1 vol . avec 7 0 gravuros.

D e s l y s (CH.) : Courage et dévoue­ment. His to ire de trois j e u n e s filles. 1 vol. avec 3 1 gravuros d'après Lix e t Gilbert .

— L'Ami François. 1 vol . avec 3 5 gr . — Nos Alpes, a v e c 39 gravures d'a­

près J. David . — La mère aux chats. 1 vol . avec

5 0 gravuros d'après 11. David.

É n a u l t (L.) : Le chien du capitaine. 1 vol. avec 4 3 gravures d'après E . R i o u .

E r w i n (Mme E . d') : Heur et mal­heur. 1 vo l . avec 5 0 gravures d'a­près H. Castel l i .

F a t h (G.) : Le Paris des enfants. 1 vol . avec 6 0 gravuros d'après l'auteur.

Fleuriot (Mlle Z.) : M. Nostradamus. 1 vol . avec 3 6 gravures d'après A. Marie.

— La petite duchesse. 1 vol . avec 7 3 gravures d'après A. Marie .

— Grandcœur. 1 vol . avec 4 5 g r a ­vures d'après C. Delort.

— Raoul Daubry, chef de fami l le . 1 vol . avec 3 2 g ravures d'après C. D e l o r t .

— Mandarine. 1 vol . avec 9 5 g r a ­vures d'après C. Delort .

— Cadok. 1 vol . avec 2 1 gravures d'après C. Gi lbert .

— Câline. 1 vol. avec 1 0 2 grav . d'a­près G. Fraipont.

— Feu et flamme. 1 vol . avec 8 0 g r a ­vures d'après Tofani .

— Le clan des têtes chaudes. 1 vol . i l lustré de 0 5 gravures d'après Myrbach.

— Au Galadoc. 1 vol . i l lustré de G0 gravures d'après Zicr.

Girardin (J.) : Les braves gens. 1 vol. avec 1 1 5 gravures d'après E . Bayard. Ouvrage couronné par l 'Académie

frança i se . — Nous autres. 1 vo l . avec 1 8 2 g r a ­

vures d'après E . Bayard. — Fausse route. 1 vol. avec 5 5 grav .

d'après H. Castelli . — La toute petite. 1 vol . avec 1 2 8

gravures d'après E . Bayard. — L'oncle Placide. 1 vol . avoc 1 3 9

gravures d'après A . Mar ie . — Le neveu de l'oncle Placide.

3 vo l . i l lus trés de 367 gravures d'après A . Mario, qui se vendent s é p a r é m e n t .

— Le neveu de l'oncle Placide, — Grand-pire. 1 vol . avec 9 1 gra ­

v u r e s d'après C. Delort . Ouvrage c o u r o n n é par l 'Acadé­

mie frança i se .

Page 276: Thérèse à Saint-Domingue

6

G i r a r d i n (J.) : Maman. 1 vo l . avec 112 gravures d'après Tofan i .

— Le roman d'un cancre. 1 vol . avec 119 g r a v u r e s d'après Tofani .

— Les millions de la tante Zézé. i vol . avec 112 grav. d'après Tofani.

— La famille Gaudry. 1 vol . a v e c 112 gravures d'après Tofani.

— Histoire d'un Berrichon. 1 vol. avec 112 gravures d'après Tofani .

— Le capitaine Bassinoire. 1 vol . i l lustré de 119 g r a v u r e s d'après Tofani.

— Second violon. 1 vol . i l lustré de 112 gravures d'après Tofani .

G i r o n (AIMÉ) : Les trois rois mages. 1 vol . i l lustré de 60 gravures d'après Fraipont et Pranishnikoff .

G o u r a u d (Mlle J.) : Cousine Marie. 1 vol . avec 36 gravures d'après A . Marie .

H a y e s (le Dr) : Perdus dans les glaces, traduit de l ' a n g l a i s , par L. Renard. 1 vol . avec 58 gravures d'après Crépon, e t c .

H e n t y (C.) : Les jeunes francs-tireurs, traduit de l 'anglais , par Mme Rousseau . 1 vol . avec 20 g r a ­vures d 'après Jane t -Lange .

K i n g s t o n ( W . ) : Une croisière autour du monde, traduit de l'an-g l a i s par J. Bel in de Launay. 1 vol . a v e c 44 gravures d'après R iou .

N a n t e u i l (Mme P . d e ) : Capitaine. 1 vol . i l lustré de 7 2 gravures d'après Myrbach.

P a u l i a n ( L . ) : La hotte du chif­fonnier. 1 vol . avec 47 gravures d'après J. Férat .

R o u s s e l e t (L.) : Le charmeur de ser­pents. 1 vol . avec 08 gravures d'a­près A. Marie.

— Le fils du connétable, 1 vol . avec 113 gravures d'après P r a n i s ­hnikoff.

— Les deux mousses. 1 v o l . avec 9 0 gravures d'après Sah ib .

R o u s s e l e t (L.) : Le tambour du Royal-Auvergne. 1 vol . avec 115 gravures d'après P o i r s o n .

— La peau du tigre. 1 vol . avec 102 gravures d'après Bellecroix et Tofani .

S a i n t i n e : La nature et ses trois règnes, ou la mère Gigogne et ses trois filles. 1 vol . avec 171 gravures d'après Foulquier et F a g u e t .

— La mythologie du Bhin et les contes de la mère-grand. 1 vol . avec 160 gravures d'après G. Doré .

S t a n l e y ( H . ) : La terre de servitude, traduit de l 'anglais par Levois in . 1 vol . avec 21 gravures d'après P . Phi l ippoteaux.

T i s s o t e t A m é r o : Aventures de trois fugitifs en Sibérie. 1 vol . avec 72 gravures d'après P r a n i s h ­nikoff.

T o m B r o w n , scènes de la v ie de co l l ège en A n g l e t e r r e . Imi té de l 'anglais par J. Girardin. 1 vol . a v e c 69 grav . d'après G. Durand,

W i t t (Mme de) , n é e Guizot : Scènes historiques. 1re sér ie . 1 vol . avec 18 gravures d'après E . Bayard.

— Scènes historiques. 2 e s é r i e . 1 vol . avec 28 gravures d'après A . Marie.

— Lutin et démon. 1 vol . avec 36 g r a v u r e s d'après Pranishnikof f et E . Z i e r .

— Normands et Normandes. 1 vol. avec 70 gravures d'après E . Zier.

— Un jardin suspendu. 1 vol . avec 39 gravures d'après G. Gilbert.

— Notre-Dame Guesclin. 1 vol . avec 70 g r a v u r e s d'après E . Z ier .

— Une sœur. 1 v o l . avec 65 gravures d'après E . Bayard.

— Légendes et récits pour la jeu­nesse. 1 vol . avec 18 g r a v u r e s d'a­près Phi l ippoteaux .

— Un nid. 1 vo l . avec 63 gravures d'après Ferdinandus .

— Un patriote au quatorzième siècle. 1 vol. i l lustré de gravures d'après E . Zier.

Page 277: Thérèse à Saint-Domingue

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B I B L I O T H E Q U E DES P E T I T S E N F A N T S D E 4 A 8 A N S

FORMAT GRAND IN-16

C H A Q U E V O L U M E , B R O C H É , 2 F R. 2 5 CARTONNÉ EN PERCALINE-BLEUE, TRANCHES DORÉES, 3 FR. 50

Ces volumes sont imprimés en gros caractères.

C h e r o n d e l a B r u y è r e ( M m e ) : Con­tes à Pépée. 1 vol . avec 2 4 g r a ­vures d'après Grivaz.

— Plaisirs et aventures. 1 vol . avec 30 gravures d'après Jeanniot .

— La perruque du grand-père. 1 vol. i l lustré de 30 gravures , d'après Tofani .

— Les enfants de Boisfleuri. 1 vol . i l lustré de 30 gravures d'après S e m e c h i n i .

C o l o m b ( M m e ) : Les infortunes de Chouchou. 1 vol . avec 4 8 gravures d'après Riou.

D e s g r a n g e s ( G u i l l e m e t t e ) : Le chemin du collège. 1 vol . i l lustré de 3 0 gravures d'après Tofani .

D u p o r t e a u ( M m e ) : Petits récits. i vol . avec 2 8 gravures d'après Tofani .

E r w i n (Mme E . d') : Un été à la campagne. 1 vol . avec 39 gravures d'après S a h i b .

F r a n c k (Mme E.) : Causeries d'une grand'mère. 1 vol. avec 72 gravures d'après C. Delort .

F r e s n e a u (Mme), née de S é g u r : Une année du petit Joseph. Imité de l 'anglais . 1 vol. avec G7 gravures d'après Jeanniot .

G i r a r d i n (J.) : Quand j'étais petit garçon. 1 vol . avec 52 gravures d'après F e r d i n a n d u s .

— Dans notre classe. 1 vol . avec 2 0 gravures d'après Jeannio t .

L e B o y ( M m e F.) : L'aventure de Petit Paul. 1 vo l . i l lustré de 4 5 g r a ­vures , d'après Ferdinandus,

M o l e s w o r t h (Mrs) : Les aventures de M. Baby, traduit de l 'anglais par Mme de W i t t . 1 vol . avec 12 gravures d'après W . Crane.

P a p e - C a r p a n t i e r (Mme) : Nou-velles histoires et leçons de choses. 1 vol. avec 42 gravures d'après S e m e c h i n i .

S u r v i l l e (André) : Les grandes va­cances. 1 vol. avec 30 gravures d'après Semech in i .

— Les amis de Berthe. 1 vol . avec 3 0 gravures d'après Ferd inandus .

— La petite Givonnette. 1 vol . i l lus­tré de 34 gravures d'après Grigny.

— Fleur des champs. 1 vol. i l lus tré de 32 gravures d'après Zier.

W i t t (Mme d e ) , née Guizot : His­toire de deux petits frères. 1 vol . avec 45 grav . d'après Tofani .

— Sur la plage. 1 vol . avec 55 g r a ­vures, d'après Ferdinandus .

— Par monts et par vaux. 1 vol . avec 54 grav . d'après F e r d i n a n d u s .

— Vieux amis. 1 vol . avec 60 gra­vures d'après Ferd inandus .

— En pleins champs. 1 vol. avec 45 gravures d'après Gilbert.

— Petite. 1 vo l . avec 56 gravures d'après Tofani .

— A la montagne. 1 vol . i l lustré de 5 gravures d'après Ferdinandus .

— Deux tout petits. 1 vol . i l lustré de 32 gravures d'après Ferdinandus.

Page 278: Thérèse à Saint-Domingue

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B I B L I O T H È Q U E R O S E I L L U S T R É E FORMAT IN-16

C H A Q U E V O L U M E , B R O C H É , 2 F R. 25

CARTONNÉ EN PERCALINE ROUGE, TRANCHES DORÉES, 3 FR. 50

Ire SÉRIE, POUR LES ENFANTS DE 4 A 8 ANS

A n o n y m e : Chien et chat, traduit de l 'anglais . 1 vol . avec 45 g r a ­vures d'après E . Bayard.

— Douze histoires pour les enfants de quatre à huit ans, par u n e mère de famille. 1 vol . avec 8 g ravures d'après Bertall .

— Les enfants d'aujourd'hui, par le même auteur. 1 vol. avec 40 g r a ­vures d'après Bertal l .

C a r r a u d (Mme) : Historiettes véri­tables, pour l e s enfants de quatre à huit ans . 1 vol . avec 94 gravures d'après G. Fath.

F a t h (G.) : La sagesse des enfants, proverbes . 1 vol. avec 100 gravures d'après l'auteur.

L a r o q u e (Mme) : Grands et petits. 1 vol . avec 01 gravures d'après Bertal l .

M a r c e l (Mme J.) : Histoire d'un che­val de bois. 1 vol . avec 20 gravures d'après E. Bayard.

P a p e - C a r p a n t I e r (Mme Histoire et leçons de choses pour les en­fants. 1 vol . avec 85 g ravures d'après Bertall .

Ouvrage couronné par l'Acadé­mie frança i se .

P e r r a u l t , M M m e s d ' A u l n o y et L e -p r i n c e d e B e a u m o n t : Contes de fées. f vol. avec 65 gravures d'après Bertall e t Forest .

P o r c h a t (J.) : Contes merveilleux. 1 vol . avec 21 g r a v u r e s d'après Bertal l .

S c h m i d (le chanoine) : 100 contes pour les enfants, traduit de l'al­lemand par A n d r é Van Hassel t . 1 vol. avec 29 gravures d'après Bertall .

S è g u r ( M m e la comtesse de) : Nou­veaux contes de fées. 1 vol . avec 46 gravures d'après Gustave Doré e t 11. Didier.

IIe SERIE, POUR LES ENFANTS DE 8 A 14 ANS A c h a r d (A.) : Histoire de mes amis.

\ vol . avec 25 gravures d'après Bel -lecroix .

A l c o t t (Miss) : Sous les lilas, tra­du i t de l 'anglais par Mme S . Lepage . i vol . avoc 23 gravures .

A n d e r s e n : Contes choisis, traduits du danois par Soldi . 1 vol . a v e c 40 gravures d'après Bertal l .

A n o n y m e : Les fêtes d'enfants, s c è ­nes et d i a l o g u e s . 1 vol. avec 41 g r a ­vures d'après Foulquier.

Page 279: Thérèse à Saint-Domingue

9

A s s o l l a n t (A . ) . Les aventures mer­veilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran. 2 v o l . avec 50 gravures , d'après A . de N e u v i l l e .

B a i r a u (Th.) : Amour filial. 1 vol. avec 41 gravures d'après F e r o g i o .

B a w r ( M m e de) : Nouveaux contes. 1 vol . avec 40 g r a v u r e s d'après Berta l l .

Ouvrage couronné par l 'Académie frança i se .

B e l e z e : Jeux des adolescents. 1 vol. avec 140 gravures .

B e r q u i n : Choix de petits drames et de contes. 1 vol . avec 36 g r a v u r e s d'après Foulquier , e t c .

B e r t h e t (E.) : L'enfant des bois.

1 vol . avec 01 gravures .

B l a n c h è r e (De la) : Les aventures de la Ramée. 1 vol . avec 3G g r a ­vures d'après E. F o r e s t .

— Oncle Tobie le pécheur. 1 vo l . avec 80 gravures d'après Foulquier et Mesne l .

B o i t e a u (P.): Légendes recue i l l i e s ou composées pour l e s en fant s . 1 vol .

avec 42 gravures d'après Bertall .

C a r p e n t i e r (Mlle E . ) : La maison du bon Dieu. 1 v o l . avec 58 gravures d'après R i o u .

— Sauvons-le I 1 vol . avec 0 0 g r a ­vures d'après R i o u .

— Le secret du docteur, ou la maison fermée. 1 vol. avec 4 3 gravures d'après P . Girardet .

— La tour du preux. 1 vol . a v e c 59 gravures d'après Tofani .

— Pierre le Tors. 1 vo l . avec 64 g r a ­vures d'après Z i e r .

C a r r a u d (M m e Z.) : La petite Jeanne, ou le devoir. 1 v o l . avec 21 g r a ­vures d'après Forest .

Ouvrage couronné par l 'Académie française.

C a r r a u d ( M m e Z.) : Les goûters de la grand'mère. 1 vol . avec 18 g r a ­vures d'après E. Bayard.

— Les métamorphoses d'une goutte d'eau. 1 vol . avec 50 gravures d'après E . Bayard.

C a s t i l l o n (A.) : Les récréations phy-siques. 1 vol. avec 36 gravures d'après Castclli .

— Les récréations chimiques, faisant su i te au p r é c é d e n t . 1 vo l . avec 34 gravures d'après H. Castclli .

C a z i n ( M m e J . ) : Les petits monta­gnards. 1 vol . avec 51 g r a v u r e s d'après G. Vuil l ier.

— Un drame dans la montagne. 1 vol. avec 33 grav . d'après G. Vuil l ier .

— Histoire d'un pauvre petit. 1 vol . avec 40 gravures d'après Tofani.

— L'enfant des Alpes. 1 vol . avec 33 gravures d'après Tofani.

— Perlette. 1 vol . i l lus tré de 54 gra­vures d'après MYRBACH.

— Les saltimbanques. 1 vol . avec 60 gravures d'après Girardet,

C h a b r e u l ( M m e de) : Jeux et exer­cices des jeunes filles. 1 vol . avec 62 gravures d'après F a t h , et la mus ique des r o n d e s .

C o l e t (Mme L.) : Enfances célèbres. 1 vol. avec 57 grav. d'après Foulquier .

C o n t e s a n g l a i s , traduits par Mme de W i t t . 1 vol . avec 43 gravures d'après Morin.

D e s l y s (Ch.) : Crand'maman. 1 vol . avec 29 gravures d'après E . Zier.

E d g e w o r t h (Miss : Contes de l'adolescence, traduits par A . Le François . 1 vo l . avec 42 gravures d'après Morin .

— Contes de l'enfance, traduits par le m ê m e . 1 vol . avec 26 gravures d'après Foulquier .

Page 280: Thérèse à Saint-Domingue

10

EDGEWORTH (Miss) : Demain, suivi de Mourad le malheureux, contes traduits par H. J o u s s e l i n . 1 vo l . avec 55 gravures d'après Ber ta l l .

FATH ( G . ) : Bernard, la gloire de son village. 1 vol. avec 56 gravures d'après MME G. F a t h .

FÉNELON : Fables. 1 vo l . avec 2 9

grav . d'après Fores t et É. Bayard. FLEURIOT (M l l e ) : Le petit chef de

famille. 1 vol. avec 57 gravures d'après H. Caste l l i .

— Plus tard, ou le jeune che f do famil le . 1 vo l . avec 00 gravures d'après E . Bayard.

— L'enfant gâté. 1 vol . avec 48 gra­vures d'après Ferdinandus .

— Tranquille et Tourbillon. 1 vol. avec 45 g r a v . d'après C. Delort.

— Cadette. 1 vol . avec 52 gravures d'après Tofani.

— En congé. i vol . avec 01 gravures d'après Ad. Marie.

— Bigarette. 1 vol . avec 4 8 gravures d'après Ad. Marie.

— Bouche-en-Cœur. 1 vo l . a v e c 45 gravures d'après Tofani.

— Gildas l'intraitable, 1 vol . avec 56 gravures d'après E . Zier.

— Parisiens et Montagnards. 1 vol . a v e c 49 g r a v u r e s d'après E . Z i e r .

F O Ë (de) : La vie et les aventures de Robinson Crusoé, traduites de l 'anglais . 1 vol. a v e c 40 gravures .

F O N V I E L L E (W. de) : Néridah. 2 vol . avec 45 gravures d'après Sahib.

F R E S N E A U ( M m e ) , née de Ségur : Comme les grands! 1 vol . i l lustré de 4 0 g r a v u r e s d'après Ed . ZIER.

G E N L I S (Mme de) : Contes moraux. 4 vol . avec 40 gravures d'après Foulquier, e t c .

G É R A R D ( A . ) : Petite Rose. — Grande Jeanne. 1 vol . avec 2 8 g r a -vuros d'après Gilbert .

G i r a r d i n (J.) : La disparition du grand Krause. 1 vol . avec 70 gra­vures d'après Kauffmann.

G i r o n (A.) : Ces pauvres petits. i vol . a v e c 2 2 gravures d'après B. N o u v e l .

G o u r a u d (Mlle J.) : Les enfants de la ferme. 1 vol. avec 59 grav. d'après É . Bayard.

— Le livre de maman. 1 vo l . avec 08 grav . d'après É . Bayard.

— Cécile, ou la petite sœur. 1 v o l . avec 2 0 grav. d'après Desandré.

— Lettres de deux poupées. 1 vol . avec 59 gravures d'après Olivier.

— Le petit colporteur. 1 vol. avec 27 g r a v . d'après A . d e Neuv i l l e .

— Les mémoires d'un petit garçon. i vol . avec 8 0 gravures d'après É . Bayard .

— Les mémoires d'un caniche. 1 vol. avec 75 gravures d'après É . Bayard.

— L'enfant du guide. 1 vol . avec 00 gravures d'après É . Bayard.

— Petite et grande. 1 vol . avec 48 gravures d'après É . Bayard.

— Les quatre pièces d'or. 1 vol . avec 5 4 gravures d'après É . Bayard.

— Les deux enfants de Saint-Domingue. 1 vo l . avec 54 gravures d'après É . Bayard.

— La petite maîtresse de maison. 1 vol. avec 37 grav. d'après Marie.

— Les filles du professeur. 1 vol . avec 30 grav. d'après Kauffmann.

— La famille ilarel. 4 vol . avec 44 gravures d'après Valnay .

— Aller et retour. 1 vol . avec 40 gravures d'après Ferdinandus .

— Les petits voisins. \ v o l . avec 39 gravures d'après G. Gilbert.

— Chez grand'mère. 1 vol, avec 98 gravures d'après Tofani .

— Le petit bonhomme. 1 vol . avec

45 grav. d'après A . Ferdinandus.

Page 281: Thérèse à Saint-Domingue

— 11 -

G o u r a u d (Mlle J.) : Le vieux châ­teau. 1 vo l . avec 28 gravures d'a­près E . Zier .

— Pierrot. 1 vol. avec 31 gravures d'après E . Zier .

— Minette. 1 vol . i l lustré de 52 g r a ­

vures d'après TOFANI.

— Quand je serai grande ! 1 vol . avec

GO gravures d'après Ferd inandus .

G r i m m (les frères) : Contes choisis, traduits par Ford. Baudry. 1 vol. avec 40 gravures d'après Bertal l .

H a u f f : La caravane, traduit par A . Talon. 1 vol . avec 40 gravures d'après Bcrtall.

— L'auberge du Spessart, traduit par A . Talon. 1 v o l . avec 61 gra­vures d'après Bcrtal l .

H a w t h o r n e : Le livre des mer­veilles, traduit de l 'anglais par L. Rabi l lon. 2 vol . avec 40 g r a ­vures d'après Bcrtal l .

H é b e l et K a r l S i m r o c k : Contes allemands, traduits par M. Martin. 1 vol . avec 27 grav. d'après Berlal l .

J o h n s o n (R. B.) : Dans l'extrême Far West, traduit de l 'anglais par A. Talandier . 1 vol . avec 20 g r a ­vures d'après A. Marie.

M a r c e l (Mme J.) : L'école buisson-nière. 1 vol. avec 2 0 gravures d'a­près A . Marie .

— Le bon frère. 1 vol. avec 21 g r a ­vures d'après É. Bayard.

— Les petits vagabonds. 1 vol . avec 25 gravures d'après É. Bayard.

— Histoire d'une grand'mère et de son petit-fils. 1 vol . a v e c 36 g r a ­vures d'après C. Delort.

— Daniel. 1 vol . a v e c 45 gravures d'après Gilbert.

— Le frère et la sœur. 1 vol . avec 4 5 gravures d'après E . Zier .

— Un bon gros pataud. 1 vol. avec 45 gravures d'après Jeanniot .

M a r é c h a l (Mlle M.) : La dette de Ben-Aïssa. 1 vol. avec 20 gravures d'après Bertall.

— Nos petits camarades. 1 vol . avec 18 gravures d'après E . Bayard et H. Castel l i , e tc .

— La maison modèle. 1 vo l . avec

4 2 gravures d'après Sahib.

M a r m i e r (X.) : L'arbre de Noël. 1 vol. avec G8 grav. d'après Bertall .

M a r t i g n a t (Mlle de) : Les vacances d'Élisabeth. I vol. avec 36 g r a v u r e s d'après Kauffmann.

— L'oncle Boni. i vol . avec 42 g r a ­vures d'après Gilbert .

— Ginette. 1 vol . avec 50 gravures d'après Tofani.

— Le manoir d'Yolan. 1 vol . avec 50 gravures d'après Tofani .

— Le pupille du général. 1 vol . avec 40 gravures d'après Tofani.

— L'héritière de Maurivèze. 1 vol . avec 39 g r a v . d'après Po irson .

— Une vaillante enfant. i vol. avec

43 gravures par Tofani .

— Unepetite-nièce d'Amérique. 1 vol . avec 43 gravures d'après Tofani.

— La petite fille du vieux Thêmy. 1 vol. i l lustré de 42 gravures d'après TOFANI.

M a y n e - R e i d (le capitaine) : Les chasseurs de girafes, traduit de l 'anglais par H. Vattemare. 1 vol . avec 10 grav. d'après A. de N e u v i l l e .

— A fond de cale, traduit par Mme H. Loreau. 1 vol . avec 12 gravures.

— A la mer! traduit par Mme H. Lorcau. 1 vol . a v e c 1 2 g r a v u r e s .

— Bruin, ou les chasseurs d'ours, traduit par A. Letellier. 1 vol . a v e c 8 g r a n d e s gravures .

— Les chasseurs de plantes, traduit par Mme H. Loreau. 1 vo l . avec 2 9 g r a v u r e s .

Page 282: Thérèse à Saint-Domingue

— 12 —

M a y n e - R e i d (le capitaine) : Les exi­lés dans la forêt, traduit par Mme H. Loreau . 1 vol . avec 12 gravures .

— L'habitation du désert, traduit par A . Le Franço i s . 1 vol . avec 24 g r a v u r e s .

— Les grimpeurs de rochers, traduits par Mme II. Loreau. 1 vo l . avec 20 g r a v u r e s .

— Les peuples étranges, traduits par Mme H. Loreau. 1 vol . avec 2 4 gravures .

— Les vacances des jeunes Boërs, traduites par M m e H. Loreau. 1 vol. avec 12 gravures .

— Les veillées de chasse, traduites par H . - B . R é v o i l . 1 v o l . avec 4 3 gravures d'après F r e e m a n .

— La chasse au Lévialhan, traduite par J. Girardin. 1 vol . avec 51 g r a ­vures d'après A . Ferdinandus c l Th . W e b e r .

— Les naufragés de la Calypso. 1 vol. traduit par Mme GUSTAVE DUMOULIN et i l lustré de 55 g r a v u r e s d'après PRANISINIKOFF.

M u l l e r (E.) : Bobinsonnette. 1 vol .

avec 2 2 gravures d'après Lix .

O u i d a : Le petit comte. 1 vo l . avec 3 4 gravures d'après G. Vul l ier ,

Tofani , e tc .

P e y r o n n y (MME de), née d'Isle : Deux cœurs dévoués. 1 v o l . avec 53 gravures d'après i. Devaux.

P i t r a y ( M m e do) : Les enfants des Tuileries. 1 vol. avec 2 0 gravures d'après É . Bayard.

— Les débuts du gros Philéas. i vol . avec 57 grav . d'après II. Castelli .

— Le château de la Pétaudière. 1 vol. avec 78 grav. d'après A. Marie.

— Le fils du maquignon. 1 vol . avec 6 5 gravures d'après R iou .

— Petit monstre et poule mouillée. 4 vol . avec 66 grav. par E . Girardet.

R e n d u ( V . ) : Mœurs pittoresques des insectes. 1 vo l . avec 49 grav.

R o s t o p t c h i n e ( M M E la comtesse ) : Belle, Sage et Bonne. 1 vol . avec 39 gravures d'après Ferdinandus .

S a n d r a s ( M l l e ) : Mémoires d'un la­pin blanc. 1 vol . avec 20 gravures d'après E . Bayard.

S a n n o i s ( M l l e la comtesse do ) : Les soirées à la maison. 1 vol . avec 42 gravures d'après É . Bayard.

S é g u r (Mme la comtesse de) : Après la pluie, le beau temps. 4 vol . avec 128 grav. d'après É . Bayard.

— Comédies et proverbes. 1 vol . avec 60 gravures d'après É. Bayard.

— Diloy le chemineau. 1 vol. a v e c 90 gravures d'après H. Castolli .

— François le bossu. 1 vol . avec 114 gravures d'après É . Bayard.

— Jean qui grogne et Jean qui rit. 4 vol. avec 70 grav . d'après Castelli .

— La fortune de Gaspard. 1 vo l . avec 52 g r a v u r e s d'après Gerlier.

— La sœur de Gribouille. 1 v o l . avec 72 grav. d'après H. Castolli.

— Pauvre Biaise! 1 1 vol . avec 65 gravures d'après H . Castel l i .

— Quel amour d'enfant! 1 vol . avec 79 gravures d'après E . Bayard.

— Un bon petit diable. 4 vol . avec 100 gravures d'après H. Castolli.

— Le mauvais génie... 1 vo l . avec 9 0 gravures d'après É . Bayard.

— L'auberge de l'ange gardien. 1 vo l . avec 7 5 grav . d'après Foulquier.

— Le général Dourakine. 1 vol. avec 100 gravures d'après E . Bayard.

— Les bons enfants. 1 vol. avec 70 gravures d'après F e r o g i o .

— Les deux nigauds. 1 vo l . avec 76 gravures d'après H. Caste l l i .

— Les malheurs de Sophie. 1 vol . avec 48 grav . d'après 11. Castel l i .

Page 283: Thérèse à Saint-Domingue

13

S é g u r (Mme a comtesse de) : Les petites filles modèles. 1 vol . avec 21 gravures d'après Bertall .

— Les vacances. 1 vol . avec 36 gra­vures d'après Bertall .

— Mémoires d'un Ane. 1 vol . a v e c 75 grav . d'après H. Castel l i .

S t o l z (Mme de) : La maison roulante. 1 vol. avec 2 0 grav . sur bois d'après É . Bayard.

— Le trésor de Nanette. 1 vol . avec 24 gravures d'après É . Bayard.

— Blanche et noire. 1 vol . avec 54 gravures d'après É . Bayard.

— Par-dessus la haie. 1 vol. avec 56 gravures d'après A . Marie.

— Les poches de mon oncle. 1 vo l . avec 20 gravures d'après Bertal l .

— Les vacances d'un grand-père. 1 vol. a v e c 4 0 gravures d'après G. Delafosse.

— Quatorze jours de bonheur. 1 vol . avec 45 gravures d'après Bcrtal l .

— Le vieux de la forêt. 1 vol . avec 32 gravures d'après Sahib .

— Le secret de Laurent. 1 vol . avec 32 gravures d'après Sahib.

— Les deux reines. 1 v o l . avec 32 gravures d'après Delort .

— Les mésaventures deMlle Thérèse 1 vol. a v e c 29 grav. d'après Charles

— Les frères de lait. 1 vo l . avec 4 2 gravures d'après E . Zier.

S t o l z (Mme de): Magali. 1 vol . avec 36 gravures d'après Tofani .

— La maison b lanche. 1 vol . avec 35 gravures d'après Tofani .

— Les deux A n d r é . i vol . avec 45 gravures d'après Tofani .

— Deux tantes. 1 vol . avec 43 gra­vures d'après Tofani. • Violence et bonté. 1 vol . avec 36 gravures par Tofani.

S w i f t : Voyages de Gulliver, traduits et abrégés à l'usage des enfants . 1 vol . avec 57 gravures d'après Delafossc .

T a u l i e r : Les deux petits Robin-sons de la G r a n d e - C h a r t r e u s e . 1 vol . avec 6 9 gravures d'après É . Bayard et Hubert Clerget .

T o u r n i e r : Les premiers chants, p o é s i e s à l 'usage de la j e u n e s s e , 1 vol . avec 20 gravures d'après Gustave Roux .

V i m o n t (CH.) : Histoire d'un na­vire. 1 vol . avec 4 0 gravures d'après Alex . V imont .

W i t t ( M m e de), née Guizot : Enfants et p a r e n t s . i vol . a v e c 34 gravures d'après A . de N e u v i l l e .

— La petite-fille aux grand'mères. 1 vol . avec 36 grav. d'après Beau.

— En quarantaine. 1 vo l . avec 4 8 gravures d'après Ferdinandus .

IIIe SÉRIE, POUR LES ENFANTS ADOLESCENTS

ET POUVANT FORMER UNE BIBLIOTHÈQUE POUR LES JEUNES FILLES DE 14 A 18 ANS

VOYAGES

A g a s s i z (M. et M m e ) : Voyage au Brésil, traduits et abrégés par J . Belin de Launay. 1 vo l . a v e c 16 gravures e t 1 car te .

A u n e t ( M m e d') : Voyage d'une femme au Spitzberg. 1 vol . avec 34 g r a ­v u r e s .

B a i n e s : Voyages dans le sud-ouest de l'Afrique, traduits et abrégés par J. Belin de Launay. 1 vol . avec 2 2 gravures e t 1 car te .

Page 284: Thérèse à Saint-Domingue

— 14 —

B a k e r : Le lac Albert N'yanza. N o u ­veau voyage aux sources du Nil , a b r é g é par B e l i n d e Launay. 1 vo l . avec 16 gravures et 1 carte.

B a l d w i n : Du Natal au Zambèze (1861-1865) . R é c i t s de c h a s s e s , a b r é g é s par J . Bclin de Launay. 1 v o l . avec 2 4 gravures et 1 carte.

B u r t o n (le cap i ta ine) : Voyages à la Mecque, aux grands lacs d'Afri­que et chez les Mormons, abrégés par J. Belin de Launay. 1 v o l . avec 12 gravures e t 3 cartes .

Cat l in : La vie chez les Indiens, tra­du i t de l 'anglais . vol . avec 2 5 g r a v u r e s .

F o n v i e l l e ( W . de) : Le glaçon du Polaris, aventures du capitaine T y s o n . 1 vol . a v e c 19 gravures et i carte.

H a y e s (D r ) : La mer libre du pôle, traduit par F . do Lanoye , cl abrégé par J. Bclin de Launay. 1 vo l . avec 44 gravures e t 1 carte.

H e r v é et de L a n o y e : Voyages dans les glaces du pôle arctique. i vo l . avec 40 g r a v u r e s .

L a n o y e (F. d e ) : Le Nil et ses sources. 1 vol . avec 32 g r a v u r e s et d e s cartes .

— La Sibérie. 1 vol . avec 48 g r a ­vures d'après Lebreton, e t c .

— Les grandes scènes de la nature. 1 vo l . avec 40 gravures .

— La mer polaire, v o y a g e de l 'Érèbe et de la Terreur, et expéd i t ion à la recherche de F r a n k l i n . 1 vol . avec 2 9 gravures e t d e s c a r t e s .

— Ramsès le Grand, ou l 'Egypte il y a trois mil le trois c e n t s ans . 1 vol . avec 3 9 gravures d'après Lancelot , E . Bayard, e t c .

L i v i n g a t o n e : Explorations dans l'Afrique australe, abrégées par J. Bclin de Launay. 1 vol . avec 2 0 gravures e t 1 car te .

L i v i n g a t o n e : Dernier journal abrégé par J . Bclin do Launay. 1 vol . avec 16 gravures e t 1 carte.

M a g e (L.) : Voyage dans le Soudan occidental, a b r é g é par J. Belin do Launay. 1 vol . avec 16 gravures e t 1 c a r t e .

M i l t o n et C h e a d l e : Voyage de l'At­lantique au Pacifique, traduit et abrégé par J. Belin d e Launay. 1 vol . avec 16 gravures e t 2 cartes .

M o u h o t (CH.) : Voyage dans le royaume de Siam, le Cambodge et le Laos. 1 vol . avec 28 gravures et 1 car te .

P a l g r a v e ( W . G.) : Une année dans l'Arabie centrale, t radui te e t abrégée par J . Be l in de Launay. 1 vol . avec 1 2 g r a v u r e s , 1 portrait e t 1 carte .

P f e i l l e r ( M m a ) : Voyages autour du monde, abrégés par J. Bel in de Launay. 1 vol . avec 1G g r a v u r e s et 1 carte.

P i o t r o w s k i : Souvenirs d'un Sibé­rien. 1 vol . a v e c 10 g r a v u r e s d'après A . Marie.

S c h w e i n f u r t h (D r ) : Au cœur de l'Afrique (1806-1871) . Traduit par Mme H. Loreau, et abrégé par J. Bel in de Launay. 1 vol . avec 16 gravures e t 1 car te .

S p e k e : Les sources du Nil, édit ion abrégée par J. Bel in de Launay. 1 vol . avec 2 4 gravures e t 3 c a r t e s .

S t a n l e y : Comment j'ai retrouvé Livingstone, traduit par Mme Loreau, et a b r é g é par J. Bel in de Launay. 1 vol. a v e c 16 gravures et i carte .

V a m b é r y : Voyages d'un faux der­viche dans l'Asie centrale, traduits par E D . Forgues , e t abrégés par J. Bclin de Launay. 1 vol . avec 18 gravures et uno carte.

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15

HISTOIRE

L e l o y a l s e r v i t e u r : Histoire du gentil seigneur de Bayard, revue e t abrégée , à l 'usage de la j e u n e s s e , par Alph . Fei l le t . 1 v o l . a v e c 3 6 gravures d'après P . S e l l i e r .

M o n n i e r (M.) : Pompéi et les Pom­péiens. Édi t ion à l 'usage d e la j e u ­n e s s e . 1 vol . avec 25 gravures d'après T h é r o n d .

P l u t a r q u e : Vie des Grecs illustres, é d i t i o n abrégée par A . Fe i l l e t . 1 vol . avec 53 gravures d'après P . Se l l i er .

— Vie des Romains illustres, édit ion a b r é g é e par A. F e i l l e l . 1 vo l . avec 69 gravures d 'après P . Sel l ier .

R e t z (Le cardinal de) : Mémoires a b r é g é s par A. F e i l l c t . 1 vol . avec 3 5 gravures d'après Gilbert, e tc .

LITTÉRATURE

B e r n a r d i n d e S a i n t - P i e r r e : Œu­vres choisies. 1 v o l . a v e c 1 2 gravures d'après É . Bayard.

C e r v a n t è s : Don Quichotte de la Manche. 1 vol . avec 6 4 gravures d'après Bcrtall et Forest .

H o m è r e : L'Iliade et l'Odyssée, tra­d u i t e s par P . Giguet e t abrégées par Alph . Fe i l l e t . 1 v o l . avec 33 gravures d'après Olivier.

L e S a g e : Aventures de Gil Blas, édit ion des t inée à l 'adolescence . 1 vol . avec 50 gravures d'après Leroux.

M a c - I n t o s c h (Miss) : Contes amé­ricains, traduits par Mme D i o n i s . 2 vo l . avec 5 0 gravures d'après É . Bayard.

M a i s t r e (X. de) : Œuvres choisies. 1 vol . avec 15 gravures d'après É . Bayard.

M o l i è r e : Œuvres choisies, a b r é ­gées à l 'usage de la j e u n e s s e . 2 vol . avec 2 2 g r a v u r e s d'après Hi l lemacher .

V i r g i l e : Œuvres choisies, traduites e t abrégées à l 'usage de la j e u n e s s e , par Th . Barrau. 1 vol . avec 20 gravures d'après P . Se l l i er .

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— 16 —

A T L A S M A N U E L D E G É O G R A P H I E M O D E R N E

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BIBLIOTHEQUE SCHOELCHER

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