Upload
mariuscozma
View
64
Download
1
Embed Size (px)
DESCRIPTION
These Alimentation Maroc Crise Alimentaire
Citation preview
THSE Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE GRENOBLE Spcialit : Sciences conomiques Arrt ministriel : 7 aot 2006
Prsente par
Abdelmajid SAIDI Thse dirige par Ivan SAMSON Prpare au sein du Laboratoire Centre de Recherche Economiques sur les Politiques Publiques dans une Economie de March dans l'cole Doctorale Sciences conomiques Les Systmes Agroalimentaires Localiss face linscurit alimentaire : le cas du Systme Olicole dans lEspace de Sas-Mekns au Maroc Thse soutenue publiquement le 21 dcembre 2011, devant le jury compos de : Monsieur Denis, REQUIER-DESJARDINS Professeur, Institut dtudes Politiques de Toulouse, rle (Rapporteur) Monsieur Mauro, SPOTORNO Professeur, Universit de Gnes, Italie, rle (Rapporteur) Monsieur Ivan, SAMSON Matre de confrences, HDR, Universit Pierre Mends-France de Grenoble, rle (Directeur de thse) Monsieur Claude, COURLET Professeur, Universit Pierre Mends-France de Grenoble, rle (Prsident) Monsieur Bernard, PECQUEUR Professeur, Universit Joseph Fourier de Grenoble, rle (Membre) Monsieur Jean-Marc, TOUZARD Directeur de recherche, HDR, Institut national de la recherche
agronomique de Montpellier, rle (Membre)
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
LES SYSTMES AGROALIMENTAIRES LOCALISS
FACE LINSCURIT ALIMENTAIRE :
Le cas du Systme Olicole dans lEspace Sas-Mekns au Maroc
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
Remerciements
Je tiens tout dabord adresser mes plus vifs remerciements mon directeur de thse, Ivan
SAMSON, qui a su avec rigueur et amiti diriger et orienter cette recherche. Ses contributions
scientifiques et sa qualit humaine ont t dterminantes pour sa russite.
Gabriel COLLETIS pour mavoir ouvert la porte du Master Economie Applique,
Entreprises, comptences et territoires, qui a t la base de cette thse.
Bernard PECQUEUR et Claude COURLET pour les discussions trs fructueuses pour
lavancement de la thse.
Aux agents de la Direction Provinciale de lAgriculture et aux chercheurs de lINRA de
Mekns au Maroc qui mont toujours bien accueilli et aid Mekns.
mes parents, lensemble des membres de ma famille ainsi qu mes amis les plus proches,
sans laide et le soutien desquels je naurais jamais pu venir bout de ce priple sem
dembches. toutes et tous, je tiens leur faire part de ma gratitude pour leur gentillesse et
leur comprhension.
Merci enfin toutes les personnes dont le soutien lors des derniers mois de rdaction a permis
que ce travail voie le jour.
toutes celles et tous ceux qui mont toujours aid et soutenu mais dont jaurais oubli de
citer le nom ici, quils ne men tiennent pas rigueur et quils me prient de les excuser
sincrement. Mille mercis vous tous.
Bien videmment, je reste le seul responsable de toutes les erreurs que comporterait ce
document.
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
mes parents
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE :
LA CRISE ALIMENTAIRE, LA CRISE ECONOMIQUE, DEFIS MAJEURS DU XXIe
SIECLE
PREMIERE PARTIE :
LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LEVOLUTION DU SECTEUR
AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
CHAPITRE 1 :
LAGRICULTURE FAMILIALE COMME VECTEUR PRINCIPAL DE LA SECURITE
ALIMENTAIRE
CHAPITRE 2 :
LEVOLUTION DE LENRACINEMENT TERRITORIAL DE LECONOMIE AGRICOLE
ET AGROALIMENTAIRE
DEUXIEME PARTIE :
LES SYAL FACE A LINSECURITE ALIMENTAIRE, LE CAS DU
SYSTEME OLEICOLE DANS LESPACE SAS-MEKNES AU MAROC
CHAPITRE 3 :
LES CONTRAINTES DE LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LA DYNAMIQUE DES
SYAL
CHAPITRE 4 :
LINDUSTRIALISATION DU SOM ET LA QUALITE DE LHUILE DOLIVE
CONCLUSION GENERALE
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
LISTE DES SIGLES ACRONYMES ET ABREVIATIONS
ADMPC : Analyse des Dangers, Matrise des Points Critiques
ADPIC : Accord sur les aspects des droits de proprit intellectuelle qui touchent au commerce
AMAP : Association pour le Maintien dune Agriculture Paysanne
AMPOC : Association Marocaine de Protection et dOrientation du Consommateur
AF : Agriculture Familiale
AOC : Appellation dOrigine Contrle
AOP : Appellation dOrigine Protge
BM : Banque Mondiale
CAPM : Centre Anti-Poisons du Maroc
CCP : Certificat de conformit du produit
CES : Conseil Economique et Social (FRA)
CE : Commission Europenne
CRISES : Centre de recherche sur les innovations sociales
CIHEAM : Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Mditerranennes
CIRAD : Centre de coopration Internationale en Recherche Agronomique pour le Dveloppement
CNSDOQ : Commission Nationale des Signes Distinctifs dOrigines et de Qualit
CNUCED : Confrence des Nations unies sur le commerce et le dveloppement
COI : Conseil Olicole International
OMPIC : Office Marocain de la Protection Intellectuelle et Commerciale
EU : Etats-Unis
FAO : Organisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture
FDA : Food and Drug Administration
FEAGA : Fonds europen agricole de garantie
FEADER : Fonds europen agricole pour le dveloppement rural
FIPA : Fdration Internationale des Producteurs Agricoles
FMI : Fonds Montaire International
FRA : France
GATT : Accord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce
GSA : Grande Surface Alimentaire
HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point
IAA : Industries agroalimentaires
INRA : Institut national de la recherche agronomique (France)
INRAM : Institut national de la recherche agronomique au Maroc
ENA : cole nationale dagriculture de Mekns au Maroc
INSEE : Institut National de la Statistique et des tudes conomiques
ISO : International Organization for Standardization
IG : Indication Gographique
IGP : Indication Gographique Protge
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
MAR : Maroc
MCA : Modle de Consommation Alimentaire
MAPM : Ministre de lAgriculture et de la Pche Maritime au Maroc
MOA : Maladies dOrigine Alimentaire
NM : Norme Marocaine
NPI : Nouveaux Pays Industrialiss
NU : Nations-Unies
OCDE : Organisation de coopration et de dveloppement conomiques
OGM : Organismes Gntiquement Modifis
OIE : Organisation mondiale de la sant animale
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
OMS : Organisation Mondiale de la Sant
OMPI : Organisation Mondiale de la Proprit Intellectuelle
ONU : Organisation des Nations Unies
ONUDI Organisation des Nations Unies pour le dveloppement industrie
PAC : Politiques Agricole Commune
PD : Pays Dvelopps
PDRN : Plan de Dveloppement Rural National Franais
PED : Pays En Dveloppement
PMA : Pays les Moins Avancs
PME : Petites et Moyennes Entreprises
PNNS : Programme national de nutrition et sant du gouvernement franais
PNAN : Programme tunisien dalimentation et de nutrition
PPLPI: Pro-poor Livestock Policy Initiative
PSEM : Pays du Sud et de lEst mditerranen
SFER : Socit Franaise dEconomie Rurale
SPL : Systme Productif Localis.
SYAL : Systme Agroalimentaire Localis
SYALA : Systme Agroalimentaire Localis Agricole
SYALI : Systme Agroalimentaire Localis Industriel
SOM : Systme Olicole dans lEspace de Sas- Mekns
ESM : Espace de Sas- Mekns
TIAC : Toxi-infections alimentaires collectives
UE : Union europenne
SDOQ : Signe Distinctif dOrigine et de Qualit
UDOM : Union pour le Dveloppement de lOlivier de Mekns
USA : United States of America
USAID : Agence amricaine pour le dveloppement international
USDA: United States Department of Agriculture
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
INTRODUCTION GENERALE :
LA CRISE ALIMENTAIRE, LA CRISE CONOMIQUE,
DFIS MAJEURS DU XXIe SICLE
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
8
1. CADRAGE HISTORIQUE ET CONTEXTUEL
Aprs la priode de stabilit et de croissance qua connu le monde ds la fin de la deuxime
Guerre Mondiale jusqu la fin des annes 1960 a succd une priode dincertitude et de
perturbation, notamment dans les pays avancs (Boyer, 1986). Celle-ci se caractrise par une
faible croissance conomique, un chmage de masse, une forte inflation, une domination de la
sphre financire, ainsi quune dpendance accrue des conomies lexportation et une
concurrence de plus en plus intense avec larrive des Nouveaux Pays Industrialiss (NPI).
Pour expliquer cette situation, plusieurs facteurs ont t avancs : la hausse du prix des
matires premires, notamment le ptrole ; les gains de productivit occasionnant une
substitution du capital au travail ; la saturation des marchs ; la spculation et les bulles
financires. Cependant, depuis 2007, le capitalisme financier est entr dans une crise
profonde. Cette crise, la base bancaire et ne sur le march du crdit immobilier amricain1,
est rapidement devenue financire et conomique au niveau mondial. Fin 2008, les conomies
dveloppes taient en rcession et celles des pays mergents ralentissaient fortement (FMI,
2010).
En 2009, la situation sest aggrave : les conomies avances ont travers la plus forte
rcession depuis laprs-guerre2. Pour redresser cette situation, les tats des pays avancs ont
augment leurs dpenses budgtaires pour relancer lconomie et sauver les banques en
difficult3. Or, ces dpenses excessives, conjugues la chute des impts, ont fait exploser les
dficits budgtaires, au point de menacer certains tats de dfauts de paiements. On cite en
particulier lIslande, lIrlande, le Portugal et la Grce, qui a ncessit elle seule la
mobilisation dun prt de 158 milliards deuros pour lutter contre la crise de sa dette4. En
1 Il sagit dune hausse des impays au titre de crdits hypothcaires risque (subprimes) au dbut de lt 2007.
Ce krach sest transform en vritable crise financire mondiale la mi-septembre 2008 et sest traduit par une perte de confiance dans le systme financier. Cette situation a entran un manque de liquidits sur le march
interbancaire. Les banques sont devenues extrmement rticentes se prter de largent et les liquidits se sont taries rapidement, faisant grimper des niveaux sans prcdents les carts entre les taux dintrt que les banques se versent entre elles et ce quelles sattendent payer aux banques centrales (Source : Banque mondiale, 2009,
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/EXTDECPGFRE/EXTPROSCPECTFRE/E
XTGBLPROSPECTAPRILFRE/0,,contentMDK:22207750~menuPK:6195147~pagePK:64647140~piPK:64647
812~theSitePK:659190,00.html, page consulte le 26/09/2010). 2 Source : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ecofra10b, (page consulte le
19/07/2011). 3 Selon lAgence fdrale amricaine de garantie des dpts bancaires (FDIC), depuis janvier 2008, 408 banques
amricaines ont ferm (Source : http://www.fdic.gov/bank/individual/failed/banklist.html, page consulte le
06/09/2011). 4 Source : http://europa.eu/news/economy/2010/05/20100430b_fr.htm (page consulte le 02/09/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
9
gnral, dans les pays avancs notamment ceux qui ont t le plus durement touchs par la
crise , ltat et les mnages restent lourdement endetts, des degrs divers, et la sant des
institutions financires ne sest pas totalement rtablie. Lincertitude grandissante lie la
crise a ainsi entran une diminution des embauches. Le nombre de chmeurs estim au
niveau mondial en 2010 a t de lordre de 205 millions, contre 184,6 millions en 2006 (OIT,
2011). Dans les conomies dveloppes et lUnion europenne, le taux de chmage est pass
de 6,3 % en 2006 9,1 % en 2010. Selon lOrganisation Internationale du Travail (OIT)
(2011), lespoir de voir ce taux revenir dans un avenir proche aux niveaux davant la crise est
trs faible.
Quant aux pays en dveloppement (PED), limpact de la crise financire et conomique
diffre selon le degr de dveloppement de chacun de ces pays, de sa richesse en matires
premires et de son insertion dans lconomie mondiale5. Dune manire gnrale, tous ces
pays devraient tre touchs par la chute plus ou moins prononce des investissements directs
trangers (IDE) et par la baisse de leur exportation de biens et de services6. Selon le Fond
Montaire International (FMI, 2011), labsence de plans spcifiques moyen terme dans
plusieurs pays suscite des craintes de plus en plus srieuses, en particulier pour les Etats-Unis
(EU) et, par consquent, aboutit un ralentissement de la croissance potentielle dans les pays
avancs. Une telle perspective dans les pays mergents et en dveloppement nest pas non
plus totalement carte.
La crise des subprimes a t tenue indirectement pour responsable de la crise alimentaire de
2007-2008, la plus importante depuis 1974. En effet, les marchs de matires premires en
plein boom ont t considrs comme des valeurs refuges pour les spculateurs et une
opportunit deffacer une partie de leurs dettes et de leurs crances douteuses (Berthelot,
2008 ; Voituriez, 2009). La spculation avec des denres alimentaires de base (crales,
olagineux, produits laitiers, viande et sucre) a entran une flamb de leurs cours
5 Source : http://www.oecd.org/document/26/0,3746,fr_2649_33731_41826458_1_1_1_1,00.html
(page consulte le 02/08/2010). 6 Les 49 pays en dveloppement les plus pauvres (majoritairement en Afrique) ont ainsi vu leurs recettes
dexportation diminuer, lors du premier semestre 2009, de 43,8 % par rapport la priode quivalente de lanne prcdente (Source : http://poldev.revues.org/131#ftn10, page consulte le 05/08/2011). Par consquent, les
conditions de vie de leur population se sont dgrades. Selon lOrganisation des Nations unies pour lducation, la science et la culture (UNESCO), la crise a fait subir, en 2009, aux 390 millions de personnes les plus pauvres
en Afrique un manque gagner totalisant 18 milliards de dollars US, soit 46 dollars US par personne. Cela
quivaut une diminution dun cinquime du revenu moyen par habitant, chiffre qui dpasse de trs loin les pertes subies dans le monde dvelopp selon lOrganisation (Source : http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/global_crisis_hits_most_vulnerable/browse/5/back/18276/, page consulte le
12/05/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
10
(graphique 1). Cette priode a, de plus, concid avec des faibles niveaux de stocks craliers7
(graphique 2).
Graphique 1. volution de lindice des prix FAO des produits alimentaires.
2000-2010
0
50
100
150
200
250
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Ind
ice
des
pri
x
Source : Fait partir des donnes de la FAO.
Graphique 2. Production, utilisation et stocks de bl
Source : FAO, 2008e.
En juin 2008, lindice des prix a atteint 214 points, 139 % au-dessus de la moyenne de lanne
2000. Aprs une lgre baisse des prix dans la premire moiti de 2009, les prix sont repartis
lhausse pour enregistrer un nouveau record : 238 points en fvrier 2011. Cette tendance la
7 94 % de la baisse des stocks craliers, notamment lie lessor des agrocarburants, sont imputables en 2006 et
2007 aux Etats-Unis et lUnion Europenne (Berthelot, 2008).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
11
hausse des prix, qui semble sinstaller dans la dure, sexplique galement par des rcoltes en
baisse dans les principaux pays exportateurs, une demande en augmentation rapide sur les
produits utiliss pour les agrocarburants et une hausse des prix du ptrole (FAO, 2008d).
Dune manire globale, selon Voituriez (2009), une srie de dix causes hypothtiques, plus ou
moins controverses, peut tre avance : hausse des cots de production agricole en raison de
la hausse du prix de lnergie, hausse de loffre de biocarburants, croissance de la demande
des pays mergents, spculation, alas climatiques, restructuration des marchs (baisse des
stocks), sous-investissement dans le secteur agricole, baisse du dollar, enfin politiques de
restriction aux exportations.
La hausse du prix des denres alimentaires sur le march international, en particulier du bl,
du riz, du soja et du mas, a entran une augmentation sans prcdent du nombre de
personnes sous-alimentes (Golay, 2010) et laugmentation des meutes urbaines dans une
quarantaine de PED, notamment en Afrique (Galtier, 2009). Selon la Confrence des Nations-
Unies sur le Commerce et le Dveloppement (CNUCED) (2009), sur 36 pays qui ont subi une
crise alimentaire en 2009, 21 sont africains, soit prs de 300 millions de personnes (le tiers de
la population du continent). Ces populations sont trs affectes par la hausse des prix des
denres de base, et ce en raison de la part importante (plus de 50 %) de ces dernires dans leur
budget. Cette crise alimentaire a remis la lutte contre la faim au cur des proccupations
mondiales. Par ailleurs, le premier Objectif du Millnaire pour le dveloppement, qui vise
rduire de moiti, dici 2015, la proportion des personnes qui souffrent de la faim et de la
malnutrition, est devenu clairement irralisable8. Dix ans aprs la dclaration du Millnaire, le
nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition a augment de 133 millions :
ce chiffre est en effet pass de 792 millions en 2000 925 millions en 2010. Selon le Fond
des Nations-Unies pour lEnfance (UNICEF), sur les 195 millions denfants de moins de cinq
ans souffrent dun retard de croissance dans le monde, 90 % dentre eux vivent en Afrique
subsaharienne et en Asie ; paralllement, prs de la moiti des dcs denfants de moins de
cinq ans est due la malnutrition associe aux maladies infectieuses (rougeole, diarrhe,
paludisme, pneumonie)9.
En 2011, la situation mondiale de la scurit alimentaire ne devrait pas samliorer en raison
des famines qui frappent actuellement toute la Corne de lAfrique, y compris le nord du
8 Source : http://www.un.org/french/millenaire/ares552f.htm (page consulte le 29/04/2007).
9 Source : UNICEF, http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/la-malnutrition-dans-le-monde-
les-plus-vulnerables-dans-le-viseur-2011-08-18 (page consulte le 07/09/2010).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
12
Kenya et les rgions mridionales de lEthiopie et de Djibouti o de vastes zones sont
classes en tat durgence humanitaire10. En Somalie, pays le plus touch, la famine stale
pratiquement sur tout le territoire, y compris la rgion de Bay qui produit plus de 80 % du
sorgho du pays. Selon la FAO, des niveaux record de malnutrition aigu ont t enregistr
dans cette rgion, avec 58 % des enfants de moins de cinq ans en tat de grave dnutrition et
un bilan de plus de deux morts par jour pour 10 000 habitants11
. Au del de la flambe des
prix mondiaux des produits alimentaires, cette rgion subit la pire scheresse depuis 60 ans et
enregistre son plus bas niveau de rcolte cralire depuis 17 ans. Sajoutent cela les conflits
et les dplacements de population qui touchent une partie de ces pays, notamment la Somalie.
A ce niveau, il faut noter galement la baisse en termes absolus de lAide Publique au
Dveloppement (APD) des pays de lOrganisation de Coopration et de Dveloppement
Economiques (OCDE)12
et celle des transferts de revenus des travailleurs migrs vers leur
pays dorigine de lordre de 6 % en 2006, selon lObservatoire des politiques conomiques en
Europe (Mainguy, 2010).
Pareillement, la crise conomique a contraint la Commission Europenne (CE) rduire de
500 millions 113 millions deuros le montant des fonds allous dans le cadre du programme
2012 de distribution de denres alimentaires aux personnes les plus dmunies dans lUE13.
Selon les statistiques de lUE, 43 millions de personnes risquent de manquer de nourriture,
ce qui signifie quelles ne peuvent pas soffrir un vrai repas un jour sur deux , dclare la
Fdration Europenne des Banques Alimentaires (FEBA)14
. Celle-ci affirme que 79 millions
de personnes vivent en dessous du seuil de pauvret et 30 millions souffrent de malnutrition
en Europe15
. En France, selon le rseau des Banques Alimentaires (2011), 3 millions de
10
Prs de 12 millions de personnes sont menaces par la famine dans cette rgion. Par ailleurs, la crise aurait
provoqu la mort de 29 000 enfants de moins de cinq ans en Somalie et plong dans une situation prcaire
600 000 enfants dans la rgion (Sources : http://www.fao.org/news/story/fr/item/89223/icode/,
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/NEWSFRENCH/0,,contentMDK:22982460
~pagePK:64257043~piPK:437376~theSitePK:1074931,00.html, pages consultes le 06/09/2011). 11
Source : FAO, http://www.fao.org/news/story/fr/item/89223/icode/ (page consulte le 06/09/2011). 12
En raison de difficults budgtaires, certains pays ont revu leurs promesses la baisse ou repouss les
chances. En 2009, lAPD a baiss de manire significative pour les pays suivants : la Grce (-12 %), lIrlande (-18,9 %) et lItalie (-31,1 %), ainsi que lAllemagne (-12,0 %), lAutriche (-31,2 %) et le Portugal (-15,7 %) (Source : OCDE, http://www.oecd.org/document/11/0,3343,fr_2649_34447_44995507_1_1_1_1,00.html,
page consulte le 06/05/2011). 13
Source : Commission Europenne,
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/756&format=HTML&aged=0&language=FR&g
uiLanguage=en (page consulte le 1/09/2011). 14
Source : FEBA,
http://www.eurofoodbank.eu/portail/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=2&Itemi
d=27&lang=fr (page consulte le 1/09/2011). 15
Source : http://www.eurofoodbank.org/ (page consulte le 01/09/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
13
personnes ont eu recours laide alimentaire en 2010 (contre 2,8 millions en 2008), et
8 millions vivent actuellement sous le seuil de pauvret, soit 13 % de sa population16
.
La population europenne souffre galement de la suralimentation qui entrane toute une
gamme de maladies chroniques non infectieuses (non transmissibles) telles que lobsit, le
diabte, les maladies cardiovasculaires, le cancer, etc. Selon lOrganisation Mondiale de la
Sant (OMS)/Europe, ces maladies lies au rgime alimentaire occasionnant des maladies
respiratoires chroniques et des troubles mentaux , sont responsables de 86 % des dcs en
Europe17. Au niveau mondial, lobsit et le diabte ont atteint les proportions dune pidmie
mondiale, selon lOMS18. En 2008, le surpoids concernait 1,5 milliards de personnes de
20 ans et au moins 2,6 millions de personnes dcdent chaque anne du fait de leur surpoids
ou de leur obsit. Lobsit est la maladie nutritionnelle sur laquelle lattention porte est la
plus forte (carte 1) : il sagit de lpidmie de surpoids (IMC19 compris entre 25 kg/m et 30
kg/m) et de lobsit (IMC suprieur 30 kg/m). La progression de cette pandmie
(pidmie lchelle mondiale) est exponentielle, cest--dire que chaque anne le
pourcentage de personnes passant en situation de surpoids et dobsit est plus important que
celui de lanne prcdente20.
16
Source : Institut national de la statistique et des tudes conomiques (INSEE),
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATSOS04402 (page consulte le 06/09/2011). 17
Source : OMS/Europe, http://www.euro.who.int/fr/what-we-do/health-topics/noncommunicable-diseases (page
consulte le 19/05/2011). 18
Les chiffres voqus ici et concernant les maladies non transmissibles sont fournis par lOMS (Source : http://www.who.int/topics/chronic_diseases/fr/, page consulte le 01/09/2011). 19
IMC : Indice de Masse Corporelle, http://www.doctissimo.fr/asp/quizz/visu_form_bmi.asp. 20
Source : www.invs.sante.fr (page consulte le 19/05/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
14
Carte 1. Le pourcentage dobses dans le monde
Source : Creapharma (2010)21
En 2010, le monde comptait plus de 42 millions denfants en surpoids, dont 35 millions
vivent dans des pays en dveloppement. Quant au diabte, 220 millions de personnes dans le
monde sont atteintes par cette maladie qui a tu environ 3,4 millions de personnes en 2004.
Plus de 80 % des dcs par le diabte se produisent dans des pays revenu faible ou
intermdiaire. Prs de 30 % des personnes qui meurent de maladies non transmissibles
dans les pays revenu faible ou moyen sont ges de moins de 60 ans et sont dans leurs
annes les plus productives. Ces dcs prmaturs sont dautant plus tragiques quils sont en
grande partie vitables , a dclar Mr Ala Alwan, Sous-Directeur gnral de lOMS charg
des maladies non transmissibles et de la sant mentale22. Cette situation sexplique entre
autres par les consquences de limportation du rgime alimentaire occidental inappropri au
style de vie des pays concerns et le faible accs aux soins adquats dans ces pays (OMS,
2003).
Il faut aussi noter que, malgr les progrs scientifiques et industriels, certaines pathologies
transmissibles lies lalimentation perdurent, telles que les affections diarrhiques
(Kindhauser, 2003 ; OMS, 2010). Ces dernires ont caus, rien que pour la seule anne 2005,
la mort de 1,8 millions de personnes dans le monde, une grande proportion de ces dcs
21
Source : http://www.creapharma.fr/N1419/statistiques-surpoids.html (page consulte le 09/06/2011). 22
Cette dclaration a t prsente lors Forum mondial de lOMS, le 27 avril 2011, sur les maladies non transmissibles, qui se tient aujourdhui Moscou, en Fdration de Russie (Source : www.who.int/mediacentre/news/releases/2011/ncds_20110427/fr/index.html, page consulte le 01/09/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
15
provenant de la consommation deau ou daliments contamins. La diarrhe est en outre une
cause importante de malnutrition chez le nourrisson et le jeune enfant et elle tue 1,5 millions
denfants chaque anne23. Selon le service de la qualit des aliments et des normes
alimentaires de la FAO (AGNS), environ 3 millions de personnes meurent chaque anne
cause des toxi-infections dorigine alimentaire et des millions dautres souffrent de ces
maladies24
. Parmi ces toxines, qui ont marqu les dernires dcennies, on trouve
lencphalopathie spongiforme bovine (ESB ou maladie de la vache folle ), maladie lie
la prsence de protines animales provenant des aliments pour animaux, laquelle a t
diagnostique pour la premire fois au Royaume-Uni en 1986, a pos dabord un problme
lchelle europenne puis au niveau mondial (Joly, 2003).
On constate galement la rapparition, ces dernires annes, des virus grippaux de type H1N1
(dorigine porcine) et de type H5N1 (aviaire). A propos de ce dernier, la FAO met en garde
contre sa rsurgence, au moment o une souche mutante de ce virus mortel se propage en
Asie et au-del, avec des risques imprvisibles pour la sant humaine25
. Depuis 2003, le virus
H5N1 a tu 331 personnes et a conduit labattage de plus de 400 millions de volailles. Prs
de 20 milliards de dollars de dommages conomiques dans le monde lui taient imputables
avant quil ne soit limin dans la plupart des 63 pays infects lors de son pic en 2006. Cela a
entran une baisse des moyens de subsistance des populations pauvres de ces pays du fait de
la diminution du volume des denres alimentaires disponibles pour la consommation
intrieure et de la fermeture des marchs dexportation.
Daprs lEFSA et la FAO, de nombreux travaux scientifiques affirment que des volailles
leves de manire extensive (les volailles domestiques) offrent un terrain favorable la
pntration, la propagation et la mutation des virus de la grippe26. Il sagit de 200 millions
de petits aviculteurs, chacun disposant de 5 15 volatiles (canards, poulets, oies, dindes et
cailles principalement). Ils sont accuss de laisser leur volaille se dplacer librement pour
rechercher leur nourriture et de les enclore en plein air, ce qui les expose aux virus vhiculs
par les oiseaux sauvages. Ce constat et les conclusions de lEFSA concernant la dernire
23
Source : UNICEF, http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/la-diarrhee-tue-encore-2009-10-
14 (page consulte le 01/09/2011). 24
Les toxi-infections alimentaires sont dues des microorganismes, tels que les bactries, les virus et les
parasites, ou bien aux toxines quils scrtent, prsentes dans des denres alimentaires contamines (Source : Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA),
http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/foodbornediseases.htm, page consulte le 14/08/2011). 25
Source : FAO, http://www.fao.org/news/story/fr/item/87249/icode/ (page consulte le 07/09/2011). 26
Sources : EFSA, http://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/357.htm et FAO,
http://www.fao.org/avianflu/fr/qanda_fr.html#5 (pages consultes le 07/09/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
16
pidmie lie la bactrie Escherichia coli en Europe27
et qui imputent le dveloppement de
cette bactrie des graines germes bio , remettent en cause la logique de production du
modle agricole dit alternatif (agriculture de terroir, agriculture biologique, agriculture
paysanne,).
Il sagit dun modle qui vise amliorer directement les revenus des agriculteurs en se
basant sur le dveloppement des cultures locales non productivistes et fournir aux
consommateurs des aliments sains luttant contre lobsit et les effets nfastes de lagriculture
industrielle sur la sant publique. Ce mouvement est n la fin des annes 1980 pour faire
face la crise multidimensionnelle du modle agricole productiviste : la surproduction, la
mvente des produits agricoles, labaissement du niveau de vie des agriculteurs provoquant
des exodes ruraux, la dgradation de lenvironnement, les crises sanitaires renforant la
mfiance des consommateurs ainsi que la dterritorialisation de lagriculture (Dedeire, 1997).
Dans cette perspective, on a assist au dveloppement de pratiques culturales respectueuses de
lenvironnement (conduite extensive, exclusion de lusage dorganismes gntiquement
modifis et de produits de synthse : pesticides, engrais,), la revalorisation de lagriculture
familiale et la promotion des produits sains et/ou lis leur origine territoriale. Avant
dvoquer toutes les questions que suscite cette relation entre les exigences actuelles en
matire de scurit alimentaire et le modle agricole alternatif, nous allons prsenter
brivement les grands traits de lvolution de la filire agricole et agroalimentaire.
2. CRISE ET MUTATION DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
Lagriculture et les industries agroalimentaires nchappent pas non plus au mouvement qui a
marqu la fin des annes 1960 (voqu plus haut). Rappelons que la structure du secteur
agroalimentaire tait, cette poque, marque par le dclin de la part de lagriculture au profit
de lindustrie et des services. Cela signifie, selon Malassis (1973), que les mthodes de
production et dorganisation, formes dans les secteurs avances de lconomie occidentale,
se rpandent dans toute la chane agro-alimentaire y compris lagriculture. Distribution et
production de masse sous-entend la consommation de masse (p. 371). Cette industrialisation
de lconomie agroalimentaire sest galement accompagne dun mouvement de
27
La bactrie Escherichia coli a fait plus de 40 dcs et 4 000 hospitalisations en Europe depuis son
dclenchement en Allemagne, fin avril 2011. Dans un premier temps, les experts allemands ont imput, tort,
cette pidmie des concombres espagnols
(Sources : http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/ecolioutbreak2011.htm,
http://www.agriculture-environnement.fr/spip.php?article753, pages consultes le 07/09/2011).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
17
concentration puisque 50 % de la production agro-industrielle mondiale a t produite par les
100 premires firmes, majoritairement des multinationales (Malassis, 1977). La majorit des
agriculteurs ont ainsi cess leurs activits de transformation la ferme et de
commercialisation directe et sont devenus des simples fournisseurs/livreurs de matires
premires. Par ailleurs, ils ont t contraints daccrotre leurs volumes de production, en
agrandissant leurs exploitations et en employant des techniques productivistes (conduite
intensive, recours la mcanisation et aux produits chimiques) pour compenser la baisse des
prix de leurs matires premires, impose par laval de la filire (IAA et grande distribution)
(Bonny, 2005).
Cependant, partir de la crise du fordisme des annes 1970, ce schma a t fortement remis
en cause. En effet, diverses critiques, notamment en Europe, sont adresses lencontre de ce
systme de production agricole et agroalimentaire, critiques qui stigmatisent
luniformisation gntique des races et varits, lagrandissement des ateliers animaux
avec une forte concentration du btail ou de la volaille, les pollutions, une dtrioration de la
qualit de lalimentation, un appauvrissement des paysages (Bonny, 2005, p. 91). Pour faire
face ces difficults, le secteur agricole et agroalimentaire a t oblig de revoir son systme
de production, ses problmes dinformation et de qualit ainsi que les formes dorganisation
interne et les relations externes des entreprises du secteur. Par consquent, dautres formes et
dispositifs de coordination ont t dvelopps en dfinissant des rgles daccs au march, au
crdit, la profession ou encore en fixant des normes de qualit (Allaire et Boyer, 1995).
Le cur de cette dynamique a t constitu autour des nouvelles attentes de la socit, des
consommateurs et des citoyens, savoir la production de denres alimentaires saines et de
qualit, la prservation de lenvironnement, lentretien des espaces, etc. Cela implique une
reconsidration de la position de lagriculture dans la chane agroalimentaire, en particulier, et
de sa fonction dans la socit, en gnral. En effet, depuis la fin des annes 1980, un nouveau
concept a t dvelopp pour rpondre cette problmatique, celui de multifonctionnalit
(Mollard, 2003). Ce dernier signifie lassociation de lactivit agricole des objectifs
multiples qui concernent non seulement ses fonctions de production alimentaire, mais
galement ses fonctions environnementales (entretien des paysages, prservation de la
biodiversit, etc.) et sociales (contribution positive la cohsion conomique et sociale au
travers notamment du maintien demplois ruraux) (Aumand et al., 2001 ; Maxime et al.,
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
18
2003). Pour faire sens, ces diffrentes fonctions doivent imprativement tre apprhendes
globalement (Hervieu, 2002).
En dautres termes, en produisant des denres alimentaires, les agriculteurs sont censs
respecter la nature : sol, ressource en eau, biodiversit, espace rural et atmosphre. Par
ailleurs, ils doivent prendre en considration les inquitudes et les souhaits des
consommateurs en matire de qualification des produits alimentaires. Ces contraintes se sont
traduites par des pratiques culturales moins intensives et un largissement de la notion de
qualit pour quelle intgre, au-del des lments intrinsques au produit, de nouveaux
critres, notamment les mthodes culturales et dlevage, lhistoire, la culture, limage et le
paysage du lieu de production. Autrement dit, la diffrenciation des produits se ralise par la
mobilisation de composantes du territoire de diverses natures (Lacroix et al., 1998). En
somme, lvolution du monde agricole et agroalimentaire peut se traduire par le passage dune
logique productiviste, pilote uniquement par des rfrences quantitatives, une autre logique
fonde sur le principe du produire peu et mieux .
Les acteurs (agriculteurs, instances publiques,...) qui se sont rfrs cette nouvelle logique
ont t amens dvelopper des signes particuliers pour se diffrencier de lagriculture
conventionnelle aux yeux des consommateurs. Parmi ces signes, on trouve le modle
dindication gographique (IG), n en Europe et de plus en plus rpandu au niveau mondial
(Allaire, 2009 ; Brard et Marchenay, 2006). Concrtement, il sagit de diffrencier loffre en
donnant de la valeur un signe distinctif, garanti de manire crdible par des institutions
locales et globales reconnues (Label, Appellation dOrigine Contrle,) ou par des
conventions fondes sur la confiance entre les consommateurs et les agriculteurs, comme en
tmoigne le cas des produits fermiers. La qualit du produit est dtermine, de plus en plus,
par le lien que le client peut tablir entre les caractristiques du produit et son origine. Elle est
lie ici raret et particularit, petite srie et crneau commercial, rente de march
et prix lev (Nicolas et Valceschini, 1995, p. 15). Dans ce cadre, la qualit dun produit
est le rsultat dun processus social (Sylvander, 1995 ; Valceschini, 1993) et territorial qui
ncessite un minimum de proximit organisationnelle (similitude et coopration) et
institutionnelle (valeurs et normes communes) entre les acteurs concerns par ce produit
(Delfosse et Letablier, 1995).
Cette volution de la filire agricole et agroalimentaire a donc t faite avec et grce
lapparition du territoire en tant quorganisation productive, rsultat de jeux dacteurs. Le
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
19
territoire nest plus seulement conu comme un rservoir (ingalement dot) de ressources
gnriques, appropriables sur un march ouvert, imitables et transfrables (Colletis et
Pecqueur, 1993), mais il est dornavant considr comme un lieu actif o des acteurs proches,
sappuyant sur une forte volont de valoriser en commun les ressources locales, sont capables
dlaborer des projets de faon assurer un dveloppement solide et durable (Gumuchian et
Pecqueur, 2007). Lide centrale est que la force du territoire provient principalement de sa
capacit rpondre aux besoins du systme productif, par une action collective et organise,
par la mise en place de partenariats et de modes de coopration de toutes sortes (Courlet,
2008).
Le rapprochement entre les deux volutions celle de lactivit agricole et agroalimentaire,
dun ct, et celle du territoire, de lautre a t particulirement incarn par une organisation
productive territoriale : le systme agroalimentaire localis (Syal), lequel intgre davantage de
dimensions dordre conomique, social, technique et naturel (pdoclimatique) que dautres
concepts (par exemple, le bassin de production). Il permet notamment de remettre en vidence
le maillon central, les agriculteurs, dans la chane de valeur dun produit alimentaire. Il
regroupe les agriculteurs, les industriels et les consommateurs ainsi que les acteurs publics.
Les Syal expriment linscription spatiale de la filire agroalimentaire et ils sont dfinis
comme des organisations de production et de service (units de production agricole,
entreprises agroalimentaires, commerciales, de services, restauration) associes de par leurs
caractristiques et leur fonctionnement un territoire spcifique. Le milieu, les produits, les
hommes, leurs institutions, leurs savoir-faire, leurs comportements alimentaires, leurs
rseaux de relations, se combinent dans un territoire pour produire une forme dorganisation
agroalimentaire une chelle spatiale donne (CIRAD-sar, 1996, p. 5).
Il faut mentionner que cette notion a t labore partir des travaux mens par le Centre de
coopration internationale en recherche agronomique pour le dveloppement (CIRAD) dans
les pays du Sud, en Amrique latine et en Afrique subsaharienne (Lopez et Muchnik, 1997 ;
Boucher, 1989). Ces travaux ont mis en vidence le rle important de lartisanat alimentaire
dans certaines villes africaines et celui de lagro-industrie rurale en Amrique latine dans
lalimentation de leurs populations et la lutte contre la pauvret (Requier-Desjardins, 1989,
2010a). Il sagit de rseaux localiss de petites units familiales, souvent spcialises dans la
production dun produit agroalimentaire (par exemple, le cas du manioc au Cameron ou celui
de lattik au Bnin). Cette dmarche a permis dadopter une vision intgre et systmique
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
20
du fait alimentaire car elle ne spare pas, dans son analyse, la consommation des activits de
production agricole et agroalimentaire ou le rural de lurbain (Devautour et al., 1998). En
gnral, les Syal associent troitement produits, techniques, styles alimentaires, territoires et
organisation des units de production (CIRAD-sar, 1996). Sur cette base conceptuelle,
plusieurs tudes de recherche ont t dveloppes, notamment en Europe, en Amrique latine
et, plus rcemment, aux Etats-Unis28
. Cependant, ces tudes sont marques par trois
principaux courants scientifiques. Le premier concerne les systmes productifs localiss
(SPL), cest--dire des rseaux localiss de petites entreprises (Fourcade, 2006a ; Requier-
Desjardins et al., 2003). Le deuxime renvoie la qualification territoriale des produits
alimentaires (Allaire et Sylvander, 1997 ; Nicolas et Valceschini, 1995 ; Hirczak et al., 2004 ;
Lacroix et al., 2000). Le troisime est attach la question du dveloppement durable (Audiot
et al., 2008 ; Requier-Desjardins, 2010b).
Pour valoriser leurs produits, les Syal se rfrent, dune part, au paysage, lidentit,
lhistoire et aux pratiques alimentaires dun territoire bien dlimit gographiquement et,
dautre part, la capacit de certains paysans et producteurs agroalimentaires artisanaux
dvelopper des savoir-faire locaux spcifiques. Lensemble doit tre effectu dans une vision
durable du dveloppement, troitement lie la multifonctionnalit de lagriculture.
3. LA PROBLMATIQUE
3.1. Les problmes soulevs
Il semble que les Syal contribuent la lutte contre la malnutrition, rsultant aussi bien de la
sous-alimentation que de la suralimentation, grce la dmarche de qualification des produits
quils mettent en uvre (prsente ci-dessus). Par ailleurs, cette dmarche permet de rduire
le risque de toxi-infection en raison de la faible prsence de produits chimiques dans son
processus de production et de ses modes extensifs de dveloppement. Nanmoins, le dbat
contrast autour des causes de la grippe aviaire (les pratiques domestiques des aviculteurs) et
lpidmie lie la bactrie Escherichia coli (les graines germes bio ) ont mis en doute
ou, tout du moins, relativis les vertus du systme de production extensif et bio en matire
de qualification des produits alimentaires.
28
La majorit de ces travaux ont t prsents dans le cadre du colloque international de Gis-Syal, organis tous
les deux ans (http://www.gis-Syal.agropolis.fr), ou dans des numros spciaux de revues scientifiques (comme,
par exemple, Cahiers Agricultures, Vol 17, N 6, 2006).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
21
La logique non productiviste de ce systme va galement lencontre des recommandations
des organismes internationaux (FAO, Banque mondiale, ) qui insistent sur lamlioration
de la productivit du secteur agricole pour lutter contre la faim et satisfaire les besoins
alimentaires dune population mondiale en croissance. Pour nourrir les 9 milliards de
personnes dici 2050, il faudra augmenter la production agricole mondiale de lordre de 70
100 % (Burney et al., 2010 ; ONU, 2010). La question qui simpose ds lors est de savoir si le
modle du dveloppement Syal est soutenable long terme.
Nous nous interrogeons donc sur la capacit des Syal fonds, rappelons-le, sur une logique
produire peu et mieux rpondre aux exigences de la scurit alimentaire, notamment
dans sa dimension quantitative. Les Syal sont-ils en mesure de relever les dfis imposs par
ces changements ? Ceci nous renvoie la question de la dynamique historique et des
trajectoires dvolution des systmes locaux. Ces derniers doivent en effet constamment
dmontrer leur capacit rebondir en fonction des contraintes intrieures et extrieures
(Courlet et Dimou, 1995 ; Garofoli, 1992). Toutefois, nous nous demandons comment ces
systmes peuvent voluer tout en conservant leur identit. Quelles sont, dans ce cas, les voies
que pourraient emprunter les Syal ?
Cette question de lvolution des Syal a t traite plus particulirement au sein dun ouvrage
collectif, intitul Coopration, territoires et entreprises agroalimentaires (Fourcade et al.,
2010), dans lequel lide tait de savoir quelles sont les nouvelles formes de coopration qui
peuvent aider les entreprises des filires de production sadapter un environnement en
mutation et en quoi le territoire peut intervenir comme variable significative dans ce
processus. Le cadre environnemental voqu renvoie aux exigences relevant du
dveloppement durable, lvolution des socits rurales et aux interactions entre le monde
industriel et le monde rural, aux attentes des consommateurs en matire de qualit sanitaire
des produits et des cultures alimentaires, ainsi quaux rles que peuvent jouer les Syal dans
les dynamiques territoriales. La question des exigences quantitatives de la scurit alimentaire
ne faisait donc pas partie de ce cadre environnemental, et ce parce que les tudes de cas
autour des Syal prsents dans cet ouvrage se sont droules en France.
Notre principale interrogation porte alors sur la capacit des Syal satisfaire des besoins
alimentaires accrus compte tenu de conditions naturelles de moins en moins favorables la
production agricole, de la croissance dmographique et de lvolution des niveaux de
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
22
consommation associe laccroissement de lurbanisation et llvation des revenus des
mnages. Est-il en effet possible de substituer la logique du produire assez et mieux
celle du produire peu et mieux sans reproduire le modle agricole productiviste ?
3.2. La thse
Pour apprhender cette problmatique, nous avons observ le Systme Olicole dans lEspace
de Sas-Mekns (SOM) au Maroc. Ce dernier a pour particularit dtre en train de se
transformer en mettant laccent sur lindustrialisation de sa phase de transformation avec deux
objectifs principaux : 1) augmenter sa production ; 2) rendre son huile dolive exportable en
respectant les normes internationales de qualit. Cette tude prsente un grand intrt, tant sur
le plan thorique que mthodologique. En effet, elle nous permet de suivre de prs lvolution
dun Syal soumis des contraintes internes et externes et dobserver les changements tant
structurels que fonctionnels qui peuvent se rvler au cours de ce processus. La question qui
simpose est de savoir sil ny a pas un risque de dterritorialisation des ressources
attaches, en grande partie, au monde rural et aux modes artisanaux de transformation et
donc le risque de perdre le caractre local de ses produits, pourtant pice matresse des Syal.
Nous pouvons galement nous demander si ce dernier est au contraire capable de requalifier
et/ou de dvelopper de nouvelles ressources territoriales, qui garantissent cependant toujours
une couleur locale ses produits. Le cas du SOM peut nous aider valuer limpact de
lindustrialisation de la transformation dhuile dolive sur son processus de qualification
territoriale. Lobservation du SOM a t ralise partir dune enqute de terrain et
dentretiens avec les acteurs principaux du SOM. Nous verrons alors dans quelle mesure
lindustrialisation voulue par la filire olicole locale modifie le processus de valorisation des
ressources territoriales et, par consquent, celui de la requalification de son produit principal,
en loccurrence lhuile dolive. En dautres termes, toute industrialisation des Syal visant
laugmentation de leur productivit conduit-elle faire perdre la qualit territoriale de
leurs produits alimentaires ? Plus simplement, est-il envisageable et possible de produire
plus et mieux ?
Nous pensons que ce processus sera modifi par ladaptation de ses ressources aux mutations
de son environnement et, surtout, de la territorialisation des nouveaux intrants. Ceci nous
permet alors de voir si le dveloppement dun Syal ne tient qu lexistence des ressources
territoriales lies la rentre rurale et aux techniques artisanales ou si, linverse, un Syal est
capable de dvelopper des ressources territoriales en termes de comptences et dorganisation
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
23
technique et sociale davantage lies une conomie de production. Peut-on donc avancer
lhypothse de lexistence deux grandes familles de Syal ? Dun ct, les Syal que nous
qualifions dagricoles, o sarticulent deux lectures : celle de lconomie rurale et celle de
lconomie spatiale. De lautre, les Syal dits industriels, partir desquels est entreprise une
rflexion relative aux relations entre dynamique agro-industrielle et dynamique spatiale.
Lobjectif est, dune part, de parvenir une lecture articule des dynamiques agricoles et
agro-industrielles et des dynamiques territoriales. Il sagit, dautre part, de saisir, partir
de ltude des Syal, la nature des relations dinterdpendances qui se nouent entre la
scurit alimentaire (avec ses dimensions quantitatives et qualitatives) et leur dynamique
volutive. Pour mettre en vidence cette relation, il est ncessaire dvoquer ltat actuel de la
scurit alimentaire avant de traiter les fondements conceptuels et thoriques du Syal. Ces
deux premiers temps de la rflexion constituent un pralable ltude du SOM, lequel permet
de montrer comment le Syal fait face la nouvelle exigence du Produire plus mais mieux .
Le premier chapitre est consacr la scurit alimentaire au niveau mondial et, plus
prcisment, la particularit des crises alimentaires qui ont marqu le dbut du XXIme
sicle. Nous verrons que, parmi les causes principales de ces crises, nous trouvons les
dsquilibres au niveau du commerce international agricole et la marginalisation des
agricultures familiales (la majorit des pauvres souffrant de la faim sont des paysans
familiaux). Nous indiquerons que lissue de la crise alimentaire passe ncessairement par la
revalorisation de ces agricultures, et ce en raison des rles minemment sociaux et
conomiques quelles jouent. Les agriculteurs familiaux sont en effet aussi les garants de
lauthenticit et de lancrage local des pratiques agricoles et des transformations
alimentaires, cette garantie tant considre en gnral comme un lment de base de
lenracinement territorial de la filire agricole et agroalimentaire. Cette dimension est
lobjet du deuxime chapitre. Dans le troisime chapitre, nous abordons lhypothse de
plusieurs processus de qualification et de spcification des produits alimentaires dans le cadre
du Syal. Par consquent, nous essayerons de prsenter une nouvelle typologie des Syal qui
constituera, dans le quatrime chapitre, la base de notre grille de lecture du Systme Olicole
dans lEspace de Sas-Mekns (SOM), notamment son processus de production et de
qualification de lhuile dolive.
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
24
PREMIERE PARTIE :
LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LEVOLUTION
DU SECTEUR AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
25
Bien que la crise alimentaire de 2008 nait pas eu cette fois-ci la rupture de stock comme
lment dclencheur, elle a rvl la fragilit du secteur agricole qui subit une crise profonde
et rencontre de srieux problmes de dveloppement un peu partout dans le monde. Jusqu
rcemment, le modle de fonctionnement agricole, bas sur des structures de productions
industrielles et individuelles, sest impos comme seul modle de rfrence pour transformer
lagriculture et permettre son panouissement la fois conomique et social. Autrement dit, le
plus souvent, la modernisation agricole est rduite ses dimensions techniques et se confond
avec ladoption dun modle productiviste, trs li au dveloppement du capitalisme,
ncessitant des financements importants et permettant une production de masse des cots
peu levs.
On constate que le trait marquant de cette volution rside dans lmergence dune gographie
agricole fortement tourne vers la dimension conomique. Il en rsulte que tous les pays du
Nord ont vu se substituer la culture paysanne un systme plus complexe o une agriculture
modernise et bien insre dans le complexe agro-industriel se taille une place croissante.
Quant aux pays du Sud, on assiste au dveloppement des entreprises agricoles exportatrices
au dtriment de lagriculture vivrire. Ce modle dentreprise agricole doit en permanence
faire face lincertitude et linstabilit des marchs dans la mesure o il se caractrise par
une situation de forte dpendance des pays importateurs et des spculateurs. Dpendance au
niveau de la production, car ces agriculteurs produisent essentiellement pour le march de
masse et investissent constamment, quand cest possible, pour amliorer leurs moyens de
production, jusqu se mettre en situation financire difficile. Dpendance, aussi, pour
satisfaire leur niveau de consommation, et, en particulier, les besoins alimentaires de la
famille (Lamarche, 1992).
Lobjectif nest donc plus dassurer la scurit alimentaire des pays mais damliorer les
rsultats financiers de lentreprise agricole dans le secteur agricole et agroalimentaire, dont la
particularit repose sur la complexit de ses rles conomiques et sociaux. Cette stratgie na
pas seulement contribu la dgradation environnementale de notre plante mais aussi
laccroissement de la volatilit des cours alimentaires, soit la baisse en provoquant des
exodes ruraux massifs, soit la hausse en entranant des meutes de la faim. Ce mode de
rgulation sest avr inefficace et inadquat face aux nouvelles logiques de changements. Il
est incapable de maintenir les distorsions et les dsquilibres qui naissent en permanence du
systme lui-mme. Autrement dit, ses mcanismes et ses institutions, qui ont permis le
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
26
fonctionnement du systme dans des priodes plus moins stables, sont incapables de rsorber
ou, au moins, dtaler dans le temps les distorsions produites par laccumulation au sein du
systme capitaliste agricole (Allaire et Boyer, 1995).
Ces diffrents lments ont pouss lmergence dun nouveau mode de pratiques agricoles
dont la formation des traits et des rgles nest pas encore totalement acheve, mais on peut
dj constater un mouvement de retrait de la part de certains agriculteurs dans les pays
dvelopps avec le retour des pratiques agricoles anciennes comme lagriculture biologique,
ou la vente de proximit. Lobjectif est de consommer des produits alimentaires de qualit et
en mme temps de rduire les effets nfastes de la malnutrition. On peut galement remarquer
de plus en plus un engouement pour promouvoir lagriculture familiale afin de rduire
linscurit alimentaire, notamment dans les pays du Sud : cest une tendance oriente vers
des pratiques agricoles bases sur deux principes. Le premier est celui de produire peu avec
une grande qualit. Quant au deuxime, il sappuie sur des transactions commerciales
quitables. Ds lors, comment la promotion de lagriculture familiale pourrait-elle tre un
vecteur de la scurit alimentaire (chapitre 1) ? Plus prcisment, comment les agricultures et
les productions agroalimentaires, bases notamment sur la qualification territoriale des
produits, peuvent-elles affecter la scurit alimentaire (chapitre 2) ?
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
27
CHAPITRE 1 :
LAGRICULTURE FAMILIALE COMME
VECTEUR PRINCIPAL DE LA SECURITE
ALIMENTAIRE
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
28
Lobjet du prsent chapitre sera focalis, dans un premier temps, sur lanalyse de la
particularit des crises alimentaires : causes et solutions. Nous tenterons dexposer les
principaux facteurs structurels et conjoncturels de linscurit alimentaire, notamment ceux
qui concernent le choc alimentaire de 2008. Il sera aussi question de traiter limpact des
diffrentes stratgies de commerce agricole international dans un contexte de
drglementation des changes agricoles (section 1). Dans un deuxime temps, nous mettrons
en vidence le rle important que pourrait jouer lagriculture familiale dans lamlioration de
la scurit alimentaire (section 2).
SECTION 1: LA SCURIT ALIMENTAIRE, ENTRE DISPONIBILIT
ET LIBRE CHANGE
Dans cette section nous allons, dans un premier temps, prsenter et discuter les principales
analyses qui ont trait la question de linscurit alimentaire et qui nous servirons par la suite
cerner la dernire crise alimentaire de 2008 dans laquelle la question de la spculation a jou
un rle crucial. Nous dvelopperons alors, dans la deuxime partie de cette section, la
question de la spculation qui ne cesse de se dvelopper du fait de la nature et de lvolution
du commerce international des produits alimentaires.
1.1. Les crises alimentaires du XXIme sicle : rupture ou continuit ?
Il nous semble quun dtour sur la notion de la scurit alimentaire est ncessaire pour
comprendre, dans un deuxime temps, la nature et les caractristiques des crises alimentaires
qui frappent dj le dbut du XXIme
sicle.
1.1.1. La scurit alimentaire : concept et volution
La notion de scurit alimentaire est apparue lors de la Confrence alimentaire mondiale
Rome, en 1975, en rponse au nombre de plus en plus important de personnes affectes par la
faim au dbut des annes 1970. Au dbut, la notion a t limite aux disponibilits
alimentaires et il a fallu attendre la Confrence internationale FAO/OMS sur la nutrition
(FAO-OMS, 1992) pour largir le champ thorique du concept de la scurit alimentaire en le
dfinissant comme laccs de tous, tout moment, une alimentation suffisante pour mener
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
29
une vie saine et active29
. En plus de laccs aux denres, cette dfinition a ajout une autre
dimension : celle de droit humain une alimentation adquate30
. En 1996, le Sommet mondial
de lalimentation a parachev la dfinition prcdente en intgrant dautres critres de nature
socio-conomique qui affirment le caractre multidimensionnel de la scurit alimentaire.
Pour les 181 pays signataires de la dclaration du Sommet, la scurit alimentaire est
assure quand toutes les personnes, en tout temps, ont conomiquement, socialement et
physiquement accs une alimentation suffisante, sre et nutritive qui satisfait leurs besoins
nutritionnels et leurs prfrences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et
saine31
.
Cette dfinition a t le rsultat des diffrents travaux thoriques et empiriques, savoir les
diffrents rapports des organismes internationaux, notamment ceux de lOrganisation des
Nations-Unies pour lAlimentation et de lAgriculture (FAO), de lOrganisation Mondiale de
la Sant (OMS) ou de la Banque Mondiale (BM), ainsi que les diffrents apports conceptuels
et thoriques dvelopps, principalement, par Amartya Sen(1981) avec sa thorie de la famine
ou Chambers et Conway (1992) avec le concept de Sustainable Livelihoods . En
consquence, aujourdhui, la notion de la scurit alimentaire implique lentre dune varit
de disciplines comprenant lconomie agricole, lconomie industrielle, la science politique,
lagronomie, la botanique, la nutrition, la sant, la sylviculture, la gographie et
lanthropologie, entre autres.
Nous ne retournons pas sur les diffrentes mrits de ce rsultat de travail pistmologique,
mais au moins une mrit vaut dtre distingue savoir lintgration de la malnutrition dans
linscurit alimentaire. Si la famine entrane souvent la mort de milliers de personnes, la
malnutrition a galement dautres consquences nfastes. La malnutrition32 (la faim
insouponne) peut causer la maladie, la ccit et la mort prmature, ou altrer le
dveloppement cognitif des survivants. Il en rsulte que la nourriture ne doit pas seulement
tre disponible et accessible mais doit aussi prsenter une qualit et une diversit adquates en
en termes de densit nergtique.
29
Source : http://www.fao.org/docrep/003/w3613f/w3613f00.HTM, (page consulte le 24/07/08). 30
Une alimentation adquate : est une alimentation qui prsente une qualit et une diversit adquates en termes
de densit nergtique. 31
Source : http://www.fao.org/docrep/003/w3613f/w3613f00.HTM (page consulte le 24/07/08). 32
Ce concept renvoie souvent au bilan nutritionnel qui est tabli sur la base du bilan alimentaire (lensemble des produits utiliss pour la consommation humaine dans un pays donn), en transformant les quantits physiques de
produits en calories et en nutriments, laide des tables de composition des aliments (Malassis, 1973).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
30
Depuis, la prise de conscience de limportance de la scurit alimentaire, il y a presque
quarante ans, le monde a multipli la production alimentaire et compte assez de nourriture
pour nourrir lintgralit de la population mondiale. Entre 1961 et 2005, la production
agricole a pratiquement tripl en termes rels, avec une hausse moyenne de 2,3 par an, soit un
rythme trs suprieur celui de la croissance dmographique mondiale (Carfantan, 2009). En
dpit de ces bons rsultats, le monde compte 925 millions de personnes souffrant de la faim
malnutries en 2010 (graphique 3).
Graphique 3. Le nombre de personnes (en millions) souffrant de la faim par rgion en 2010
Source : FAO (2010a).
Ces chiffres illustrent bien la difficult de tenir lengagement pris par la communaut
internationale lors de lAssemble gnrale des Nations-Unies en 2001, savoir rduire de
moiti lincidence de la faim lhorizon 2015. En effet, aprs une tendance la baisse de la
proportion de personnes sous- alimentes dans les pays en dveloppement, on remarque de
plus en plus de personnes qui souffrent dune inscurit alimentaire transitoire cause par des
chocs conomiques ou naturels et qui rejoignent celles qui tombent sous les niveaux de
consommation adquats durant la basse saison voire celles qui ne reoivent jamais manger
en suffisance (graphique 4).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
31
Graphique 4. Nombre de personnes sous-alimentes dans le monde, entre 1969-1971 et 2010
Source : FAO (2010a).
Il en rsulte que la question de linscurit alimentaire nest pas encore rgle et que la
question de lalimentaire reste donc un enjeu majeur, culturel, sanitaire, politique,
conomique et agronomique. Plusieurs facteurs ont t avancs pour expliquer cette situation
contradictoire entre les gens qui souffrent du manque de nourriture et labondance de la
production alimentaire. Des facteurs quon peut classer selon leur endognit ou leur
exognit par rapport au systme alimentaire. Les premiers facteurs concernent tous les
lments internes au systme alimentaire : on trouve en premier lieu, la production agricole,
savoir la capacit du secteur agricole fournir suffisamment de denres alimentaires ; en
corrlation avec cet important facteur, on trouve, les conditions climatiques qui ne cessent de
se dgrader en raison du drglement climatique. Quant aux facteurs dits exognes, ils
concernent les autres dimensions de linscurit alimentaire, en particulier les dimensions
sociales (dmographie, comportement des consommateurs, urbanisme) et les dimensions
conomiques (accessibilit la nourriture, revenu,).
A) Production alimentaire et scurit alimentaire
Mme si, la plante produit assez de nourriture pour satisfaire les besoins alimentaires de sa
population totale actuelle et si elle pratique, dans certaines rgions, des politiques visant
rduire la production (quotas, jachre pour limiter les excdents,), la scurit alimentaire de
certaines populations et des futures gnrations ne doit pas tre considre comme acquise, du
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
32
fait notamment du manque de moyens financiers ou techniques (infrastructure) et
dincertitudes lies aux pnuries croissantes en ressources naturelles. La production intrieure
par habitant de denres alimentaires de base est en dclin. Selon le rapport de la Banque
Mondiale de 2008 sur linscurit alimentaire, certains pays33 ont tous affich, entre 1995 et
2004, des taux de croissance annuels par habitant ngatifs pour les denres alimentaires de
consommation courante. Sans aucun doute, la baisse ou dans le meilleur des cas la stagnation
de la production intrieure pose un problme rel de disponibilit alimentaire au niveau
national.
Pour faire face linscurit et lindpendance alimentaire, les populations de ces pays
devront augmenter leurs productions alimentaires. Pour y arriver, il faut absolument associer
dune faon harmonieuse les facteurs : la terre, leau et les ressources gntiques animales et
vgtales avec des technologies appropries, des capitaux, de la main duvre, des
infrastructures et des institutions. En effet, cette association a permis beaucoup de pays de
multiplier leur production alimentaire en dpit de la baisse des disponibilits en ressources
naturelles, dun ct, et damliorer les conditions de vie de leurs paysans et pcheurs, de
lautre. Malheureusement, les paysans et les pcheurs sont gnralement les premires
victimes en cas dinscurit alimentaire : les trois-quarts des personnes qui souffrent de la
faim sont en effet des paysans ou danciens paysans condamns auparavant par la pauvret
migrer vers les bidonvilles des agglomrations urbaines ou parfois dans des camps de
rfugis (Conseil Economique et Social, 2008). Au Maroc, par exemple, 15 % de population
rurale est pauvre contre seulement 5 % dans le milieu urbain. Mais, cest le Soudan qui
illustre bien cette situation contradictoire : 85 % de sa population rural est pauvre alors quil
dispose de 84 millions dhectares de terres cultivables et 80 millions dhectares de
pturages34
, soit 30 % des terres arables des pays arabes (Banque Mondiale, 2009).
Il ne suffit pas donc de disposer des grands potentiels agricoles et dtre producteurs de
denres alimentaires pour ne pas souffrir de la faim. Les petits producteurs pauvres,
majoritairement des paysans, nont pas les moyens dinvestir en matriel technique, en
matires premires, en logistique. Cest la raison pour laquelle ils ne disposent que doutils
main (des machettes, des bches et des faucilles) pour travailler et, par consquent, ils ne
33
Parmi ces pays on trouve principalement : le Burundi, lEthiopie, le Kenya, Madagascar, le Nigria, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie, le Niger, le Malawi, le Rwanda, le Burkina Faso, le Tchad, le Kenya, lOuganda et le Ymen. 34
Source : http://www.fao.org/ag/AGP/AGPC/doc/Counprof/frenchtrad/sudan_fr/Sudan_fr.htm (page consulte
le 2/02/2010).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
33
cultivent que des petites surfaces (moins de 1 ha), souvent sans engrais, semences
slectionnes ou produits phytosanitaires pour lutter contre les ravageurs de leurs rcoltes. 32
pays (tableau 1) dont la majorit souffre de la malnutrition emploient entre 0 et 1 tracteur par
hectare. Dans le monde daujourdhui, lcart de productivit entre la culture manuelle la
moins performante et la culture mcanise la plus performante est de lordre de 1 1 000 et
mme plus (Conseil Economique et Social, 2008).
Tableau 1. Nombre de tracteurs par 1000 ha en 2006
Pays Nombre de tracteurs par 1000ha
Niger 0,0 Gambia 0,3
Central African Republic 0,0 Bangladesh 0,4
Togo 0,0 Burkina Faso 0,4
Chad 0,0 Malawi 0,5
Rwanda 0,0 Timor-Leste 0,5
Guinea-Bissau 0,1 Mali 0,6
Comoros 0,1 Solomon Islands 0,6
Afghanistan 0,1 Eritrea 0,7
Cameroon 0,1 Bhutan 0,8
Sierra Leone 0,1 Mauritania 0,8
Haiti 0,2 Nigeria 0,8
Burundi 0,2 Liberia 0,8
Madagascar 0,2 Uganda 0,9
Ethiopia 0,2 Ghana 0,9
Indonesia 0,2 Lao Peoples Democratic Republic 0,9
Senegal 0,2 Sudan 1,0
Source : Banque Mondiale (2008).
Il existe un clivage important entre une culture moderne, connecte aux marchs globaux,
largement soutenue financirement par les pouvoirs publics et recourant des techniques trs
intensives en capital mais employant trs peu de main-duvre, et une agriculture paysanne
traditionnelle, base de petites exploitations, subsistant difficilement et ne parvenant se
brancher ni sur les marchs urbains nationaux ni vendre linternational. La culture
motorise bnficie galement des investissements massifs en recherche et dveloppement
(R&D) agricole. Les pays en dveloppement investissent neuf fois moins que les pays
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
34
industrialiss en R&D agricole (Banque Mondiale, 2008). Les petits agriculteurs pauvres
produisent ainsi peu, ce qui ne correspond pas la demande croissante locale (rgionale ou
nationale), voire leurs propres besoins.
De toute vidence, linvestissement en R&D et lemploi des techniques modernes sont une
ncessit pour augmenter la productivit des petites exploitations agricoles et, par consquent,
rcompenser les pertes de production des terres (souvent les plus fertiles) victimes des
pratiques intensives, de lurbanisation accrue, du dveloppement des infrastructures, du
dtournement croissant des ressources en eau vers lindustrie et particulirement de la
scheresse, ainsi que lavancement des biocarburants. Et cette tendance semble irrmdiable
avec la baisse des innovations technologiques et de la productivit, laugmentation des
contraintes physiques par lrosion des sols, la pollution, lpuisement des nappes, la
disparition des matires organiques et laugmentation des salinits des terres irrigues
(Azoulay, 1998, p.26).
Effectivement, on constate un recul des terres cultives, notamment celles destines
produire des aliments consomms localement et dtenues majoritairement par les petits
propritaires. LInde, deuxime pays aprs les Etats-Unis en termes de surfaces cultives, a vu
ses surfaces moyennes par exploitation diminuer de 40 % depuis 1970-71 pour atteindre 1,4
hectare en 1995-96 (Pontvianne, 2007). Sa production de crales na progress que de 46 %
depuis le milieu des annes quatre-vingt, au lieu de 88 % vingt-cinq ans avant. La Chine voit
galement un recul important de ses terres exploitables du fait du dveloppement
dinfrastructures et de lexplosion dmographique. Ainsi, depuis 1979, la Chine perd en
moyenne 500 000 hectares de terres agricoles par an. Les seules surfaces rizicoles perdues
reprsentent en moyenne 100 000 hectares, soit lquivalent dune production susceptible de
satisfaire les besoins de la moiti de laccroissement de la population chaque anne
(Carfantan, 2008, p.37).
Le mme constat peut tre fait au Maghreb et dans une grande partie de lAfrique, o
lagriculture contribue encore pour beaucoup aux variations du PIB, en raison notamment de
la scheresse (FAO, 2010b). Quant aux pays dAmrique latine, il est vrai quils disposent
encore de grandes terres arables, mais elles sont, soit malheureusement sous exploites
cause du systme agraire, soit destines de plus en plus aux agrocarburants la place des
cultures vivrires. Cette tendance la baisse des terres arables devrait continuer. Dans le
monde arabe par exemple, on estime que la superficie de terre arable par habitant devrait tre de
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
35
0,12 hectares en 2050, en chute de 63 % par rapport son niveau des annes 1990 (Banque
Mondiale, 2009).
Un constat similaire vaut pour les pays occidentaux et ceux de lex-URSS. Pour les premiers,
les emblavements35
sont plus instables aux tats-Unis (60 au lieu de 65 millions dhectares
enregistres au dbut des annes quatre-vingt-dix) ou volontairement rduits en raison de la
politique de jachre pratique par lUE (la superficie des terres arables a diminu en Europe
de 0,9 % par an entre 1961-1963 et 2006-07) (Carfantan, 2008). Pour les pays de lex-URSS,
la production a connu une chute, due notamment au passage lconomie de march et aux
soutiens massifs leurs agriculteurs. Au cours des vingt dernires annes, une tendance
inverse a t observe dans nombre dtats nouvellement indpendants, la transformation
conomique ayant entran une diminution significative de la superficie utilise pour la
production agricole. Ainsi, entre 1990 et 2007, la superficie totale ensemence en cultures a
diminu de 117,7 millions 76,4 millions dhectares en Russie et de 32,4 millions 26,1
millions dhectares en Ukraine (OCDE, 2009a).
La progression de la production alimentaire (mentionne au-dessus) nest pas donc due une
extension sensible des terres cultives mais plutt au systme des rcoltes multiples
(intensification des cultures) et au dveloppement de lagrochimie. Le taux dintensification a
connu une croissance rgulire entre les annes 1961-1963 et 2006-2007 : plus de 25 % pour
lAfrique et plus de 16 % pour lOcanie (FAO-OCDE, 2009). La production mondiale de
crales, par exemple, a connu une hausse de plus de 19 % entre 1994-1996 et 2007 avec
pratiquement la mme superficie (tableau 2).
Tableau 2. Superficie rcolte et production de crales Superficies cultives
(1000ha)
Production
(1000 tonnes)
1994-1996 1999-2001 2005 2006 2007 1994-1996 1999-2001 2005 2006 2007
695 251 672 078 690 589 684 551 695 599 1 975 419 2 084 410 2 267 177 2 239 236 2 351 396
Source : FAO (2009a).
Le peu dextension des terres cultives ralis entre 1961 et 2005, environ 13%
daugmentation, est d principalement la dforestation : 13 millions dhectares dboises
chaque anne lchelle mondiale, selon la Banque Mondiale (2008). Lextension des terres
35
Cest--dire : terre o du bl (ou autre graine) a t nouvellement sem (le petit Larousse, 2006).
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
36
cultives est plutt le fait de pays qui, confronts des besoins croissants en denres
alimentaires et en emplois, ne disposent que dun accs limit aux technologies susceptibles
de faciliter les cultures intensives. Au niveau mondial, on constate une rduction drastique de
la superficie des terres cultivables par tte (figure 1).
Figure 1. La rduction drastique des surfaces agricoles par tte
Source : FAO (2008a).
En 2006-2007, la superficie des terres cultivables tait estime 1,42 milliards dhectares,
soit 135,6 millions dhectares de plus quen 1961-63 (+ 10,5 %), ce qui reprsente une
augmentation annuelle moyenne de 0,2 % seulement. Les experts de la FAO tablent tout de
mme sur la poursuite de la progression alimentaire, avec un rythme de croissance toutefois
de moins en moins soutenu, notamment dans les pays dvelopps. Effectivement, diverses
tudes indiquent que les rendements naugmentent plus aussi vite, do limpression gnrale
que la mise au point de nouvelles technologies ne se fait plus au mme rythme quautrefois
(FAO-OCDE, 2009). Un ralentissement de la croissance des rendements d, en partie, une
moindre efficacit des apports dengrais. La dgradation de lenvironnement (rosion et
salinisation des sols, pollution de latmosphre) et lpuisement des ressources en eau, ainsi
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
37
que le rchauffement du climat, vont peser des menaces srieuses dans certaines rgions.
Quant aux biotechnologiques, malgr des applications prometteuse dans certains domaines
(mas en particulier), elles ne devraient pas permettre un saut spectaculaire de la productivit
agricoles dans les prochaines dcennies (Beauval et Dufumie, 2006). Ce sont ces constats qui
ont amen Brown et Kane (1995) du Worldwatch Institute de conclure que le temps des
excdents est rvolu. Le monde sachemine vers des graves crises alimentaires rsultant,
notamment, de lincapacit des pays exportateurs rpondre lexplosion de la demande de
la Chine. Il faut donc sattendre une envole des prix agricoles dans les premires dcennies
du XXIme
sicle.
B) Changement climatique et scurit alimentaire
En plus de lurbanisation, de lemploi des mthodes archaques, certaines rgions (Afrique de
lEst et Maghreb notamment) souffrent galement du manque des ressources hydriques. Ce
phnomne trouve principalement ses raisons dans la scheresse que connaissent certains
pays depuis le dbut des annes 1970. La scheresse, dfinie comme une anomalie climatique
caractrise par le manque ou labsence totale de prcipitations, dbouche sur une baisse des
ressources hydriques des rivires, des fleuves, des lacs, des puits et des cours deau, voire des
nappes phratiques (Balaghi et Jlibene, 2009). Linsuffisance de leau peut amener, surtout
dans les zones semi-arides, une baisse de la production agricole ainsi que de la superficie
des ptures ncessaires pour les animaux. La scheresse ou de la pnurie de leau fait partie
dune srie infinie des consquences du drglement climatique ou du rchauffement de la
plante caus par la croissance incontrle des missions de gaz effet de serre. Le
rchauffement climatique est tenu, selon IFPRI (2009), comme principal responsable des
changements actuels :
Retrait des glaciers entranant une lvation du niveau moyen des
ocans qui aurait des rpercussions sur les disponibilits en eau douce
dans de nombreux pays dAmrique Latine, dAsie de lEst et du Sud ;
Drglementation des rgimes de prcipitations entranant inondations et
scheresses ;
Multiplication de phnomnes mtorologiques extrmes comme les
ouragans ou les cyclones ;
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
38
Modification de la circulation de courants marins comme le Gulf Stream
et la drive Nord-Atlantique qui pourrait conduire au refroidissement de
certaines rgions (Ouest de lEurope,).
Concrtement, on perd chaque anne jusqu 10 millions dhectares de surfaces cultives,
cause de la dgradation de lenvironnement (ONU36, 2010). Par ailleurs, le secteur agricole
est extrmement sensible aux changements climatiques. Des tempratures plus leves (ou
plus basses) hors saisons diminuent les rendements des cultures utiles tout en provoquant une
perturbation des rcoltes et une prolifration des mauvaises herbes et des parasites (p.ex37
: la
date de vendange Chteauneuf-du-pape a t avance dun mois entre1945 2003, comme
le montre (graphique 5).
Graphique 5. volution de la date de vendange Chteauneuf-du-pape de 1945 2003
Source : Ganichot (2002).
Une baisse de la pluviomtrie, entranant une rduction des disponibilits en eau de centaines
de rgions (principalement en Afrique et en Asie), rend la production agricole de plus en plus
alatoire et augmente la probabilit de mauvaises rcoltes court terme et une baisse de la
production long terme (IFPRI, 2009). Les rendements de lagriculture pluviale pourraient
chuter jusqu 50 % dans certains pays dici 2020 (Conseil Economique et Social, 2008).
Selon le 4me rapport du Groupe international sur ltude du climat (GIEC, 2007), ces
modifications des rgimes de prcipitations devraient sajouter de plus forts carts saisonniers
et extrmes dans certains pays avec des saisons sches plus longues, des scheresses plus
fortes, davantage dvnements pluvieux extrmes. Autre effet indirect, lorsque des pluies
violentes tombent sur un sol totalement dessch incapable dabsorber leau, leau ruisselle
36
ONU : Organisation des Nations Unies. 37
p.ex : par exemple.
tel-0
0682
764,
ver
sion
1 - 2
6 M
ar 2
012
39
sen va grossir les rivires et les fleuves. Ceux-ci, sous cet afflux brutal deau, dbordent de
leur lit et inondent les rgions agricoles avoisinantes, engendrant une autre catastrophe.
Lagriculture pratique dans les pays dvelopps et dans certains pays en dveloppement
(Chine, Inde, Brsil notamment) est responsable en partie de la dgradation de notre plante
du fait son aspect intensif et productif. Effectivement, lagriculture dite productiviste est
souvent responsable de la dgradation de lenvironnement, travers la pollution des eaux
souterraines, provenant principalement des engrais et pesticides, ainsi que du taux de salinit
et lorsque les cosystmes sont excessivement exploits ou encore du fait de lpuisement des
ressources naturelles. Il sagit l dun aspect proccupant, en particulier dans les zones o ces
nappes fournissent lessentiel de leau potable ncessaire la consommation humaine et aux
activits agricoles. Dans les pays en dveloppement et les pays les moins avancs (PMA),
cest plutt le gaspillage considrable de leau qui marque leur systme agricole, cause des
mthodes archaques dirrigation utilises. Lirrigation vient en complment aux
prcipitations. Selon le rapport mondial de lUNESCO (2003), sur la mise en valeur des
ressources en eau, lirrigation joue un rle dterminant pour lagriculture et donc pour la
scurit de lalimentation. Il est important de rappeler que, selon le Rapport de la Banque
mondiale (2008) sur le dveloppement, le taux de pauvret est de 20 40 % moins lev
lintrieur des rseaux dirrigation qu lextrieur.
Pour que les zones irrigues puissent stendre lavenir et, par consquent, les volumes de
production agricole saccroissent, il faut une utilisation rationnelle et productive des
ressources hydriques dans le domaine agricole. Cela ncessite lemploi des technologies plus
efficaces (comme lirrigation au goutte--goutte et la planification de lirrigation en fonction
des besoins des plantes), des rgimes dcoulement plus rapide, des rseaux de canaux en
btonns dirrigation et ladoption de pratiques agricoles moins gourmandes en eau (OCDE,
2009c ; OCDE, 2008a). Face ces impratifs, il faut investir p