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Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Thèse pour le doctorat de l’Université de Genève Mention Sciences de l’éducation Présentée par Thérèse Thévenaz-Christen Les prémices de la forme scolaire. Etudes d’activités langagières orales à l’école enfantine genevoise. Thèse no 355 Directeur: Bernard SCHNEUWLY, Professeur en Sciences de l’éducation, Université de Genève

Thèse pour le doctorat de l’Université ... - doc.rero.ch · A mon entourage du côté du vallon de l’Avançon ou des rives du Lavaux, à Pooja, à mes enfants, Jérôme et Muriel,

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  • Universit de Genve, Facult de psychologie et

    des sciences de lducation

    Thse pour le doctorat de lUniversit de Genve

    Mention Sciences de lducation

    Prsente par Thrse Thvenaz-Christen

    Les prmices de la forme scolaire.

    Etudes dactivits langagires orales

    lcole enfantine genevoise.

    Thse no 355

    Directeur: Bernard SCHNEUWLY, Professeur en Sciences de lducation, Universit de Genve

  • A Monsieur K.

    Tu pourrais mieux faire, dit le matre son lve quand il vit que son lve russissait quelque chose

    quil navait pas encore appris du tout, son lve. On pourrait penser prsent que le matre avait tort.

    P. Bichsel, A la ville de Paris

  • Mes remerciements sadressent : Bernard Schneuwly qui a su la fois me conduire et me suivre dans mon investigation. Sa rigueur intellectuelle, sa capacit cerner lessentiel, son accompagnement empathique, ainsi que les tincelles de plaisir dans ses yeux lorsquune ide nouvelle surgit ont constitu des stimulations essentielles et inoubliables. Maria-Luisa Schubauer-Leoni qui ma mis le pied ltrier de la recherche. Lquipe de recherche du Graf, Groupe romand danalyse du franais enseign, interlocutrice plurielle et nutriment actif de mon questionnement, par ordre alphabtique, Sandrine Aeby, Daniel Bain, Sandra Canelas-Trevisi, Glas Cordeiro Sales, Stphane Germanier, Fabio Di Giacomo, Sylvie Haller, Joaquim Dolz-Mestre, Serge Erard, Marianne Jacquin, Jean-Paul Mabillard, Christiane Moro, Vronique Pfeiffer, Nathalie Rey, Christophe Ronveaux, Anne Soussi, Simon Toulou et Martine Wirthner. La dlgue aux questions fminines, Genevive Billeter, ainsi que la Prsidente de la commission galit de la Facult de Psychologie et des Sciences de lducation, Susanne Hagemann, qui grce Carrire Acadmique mont offert ce prcieux temps si indispensable une criture longue. Martin Schwartz dont la relecture attentive et les commentaires revigorants ont ponctu lcriture; Sandrine Aeby et Carole-Anne Deschoux pour leur part de relecture partielle. Aux enseignantes qui se sont prtes lobservation de leurs pratiques et sans lesquelles mon projet ne se ralisait pas. Aux nombreux amis qui mont encourage, stimule de leurs changes ou remplace pendant mon cong acadmique, en particulier Christophe, Joaquim, Christiane, Glas, Sandra. A ceux qui sont dj partis et auxquels je dois une curiosit inaltrable pour les outils et les uvres, leur transmission et leur appropriation. A mon entourage du ct du vallon de lAvanon ou des rives du Lavaux, Pooja, mes enfants, Jrme et Muriel, qui ont su prendre le large et mon compagnon Armin.

  • TOME I

    TABLES DES MATIRES INTRODUCTION 1 Lcole enfantine comme sas 1 dune cole primaire vocation disciplinaire 2 Le langage oral ou parl comme rvlateur de la socialisation luvre 3 Prsentation de louvrage 4

    PREMIRE PARTIE DUQUER, ENSEIGNER ET APPRENDRE LA PETITE ECOLE

    CHAPITRE 1 LA MISSION DE LA PETITE COLE 10 Lcole enfantine, un sas vers lcole primaire 12

    Une mission de socialisation lcole 16 Un programme indicatif: place au jeu! 18 Le discours sur lenfant 20 Le discours sur lenseignant 23

    Les situations dapprentissage lcole premire 25 Une socialisation dj scolaire 26 CHAPITRE 2 LES FIGURES DE LENFANT APPRENANT LA FIGURE DE LCOLIER 30 Du sentiment de lenfance lducation de lenfant 31

    Le sentiment de lenfant, une invention des temps modernes 32 Re-connatre le dveloppement de lenfant 33 Un enfant connatre et duquer 38 Lenfant du point de vue de son dveloppement 39 Le sujet cognitif de Piaget 40 Le dveloppement de la conscience de Vygotski 43 Un sujet solipsiste ou un futur colier encore syncrtique 46

    Lenfant-lve dans la bouche du pdagogue 48 Le dveloppement de lenfant vu par le discours pdagogique 49 La mission de lducation 53 Un enfant lev 56

    Des figures du jeune apprenant lcolier en herbe 58 Le dveloppement de lenfant et ses capacits 59 La mission de lducation 60

    DEUXIME PARTIE APPRENDRE LCOLE ENFANTINE

    CHAPITRE 3 LA FORME SCOLAIRE 67 Au fondement de la forme scolaire 68

    Un rapport secondaris au monde 69

  • Une relation didactique 71 La disciplinarisation des contenus 73

    Les choix des contenus denseignement et leurs enjeux 74 Le processus de disciplinarisation 76 La mdiation scolaire 81 Un difice complexe 83

    CHAPITRE 4 LECOLE ENFANTINE ET LA FORME SCOLAIRE 85 Les capacits des enfants, une limitation objective 86 Une mission et une disciplinarisation partiellement scolaire 88

    Canon disciplinaire et disciplines scolaires 88 La mdiation en classe 91 Une ducatrice-mre et enseignante 94

    Une forme scolaire mergente 96 Une thse, des questions et des hypothses sur les prmices de la forme scolaire 98

    TROISIME PARTIE UN RVLATEUR DES PRMICES DE LA FORME SCOLAIRE:

    APPRENDRE PARLER CHAPITRE 5 LE LANGAGE ORAL LCOLE DES GRANDS 106 Les programmes et les moyens pour enseigner le langage oral selon les priodes 106 Premire priode: apprendre le franais en reproduisant des textes crits 107

    Premire sous-priode: le parler franais scolaire 108 Seconde sous-priode: approfondissement et changements annonciateurs 111 La disciplinarisation du parler en France et Genve de 1880 la fin des annes 1960 114

    Seconde priode: apprendre communiquer dabord 115 Premire sous-priode: les dbuts dun profond changement 116 Seconde sous priode: rorientations 121 A la suite de la rnovation, apprendre communiquer 129

    Les orientations marquantes de lenseignement du langage oral lcole primaire 130

    CHAPITRE 6 LE LANGAGAGE ORAL DANS LES COLES MATERNELLE ET ENFANTINE 133 Premire priode: apprendre parler 135

    Premire sous-priode: apprendre parler correctement 135 Seconde sous-priode: le sentiment de lenfant lcole 138 De lenseignement/apprentissage vers lexpression de lenfant 141

    Seconde priode: apprendre communiquer 141 Premire sous-priode: le tournant 142 Seconde sous-priode: approfondissement et rorientation du tournant communicatif 145 Une rnovation en mouvement 150

    Les contenus de lenseignement de loral lcole des petits 151 Le langage oral, un exemple de la forme scolaire et de son mergence 153

    Premire priode: apprendre le parler de lcole 153 Seconde priode: apprendre communiquer 155

    Une cohrence complexe 157

  • CHAPITRE 7 LA RECHERCHE SUR LE FRANAIS PARL ET SON ENSEIGNEMENT 160 Le parler dans les sciences du langage 162

    Le franais parl 162 Linteractionnisme linguistique 163 La sociolinguistique et lethnographie de la communication 164

    Le langage et son dveloppement 165 Le dveloppement par auto-mouvement 166 La mdiation active de lentourage 168 La communication orale, crite et la cognition 173

    Lapprentissage du langage comme mdiation sociale 174 Une mdiation en situation 175 Les recherches sur lenseignement/apprentissage formel 176 Interagir verbalement pour communiquer 180 Des recherches rcentes rsistant une didactisation 187

    La didactisation de loral lcole des petits 189 Les niveaux de scripturalisation et la didactisation 192 Un contenu denseignement lexercisation difficile 193

    QUATRIME PARTIE INSTRUMENTS MTHODOLOGIQUES

    CHAPITRE 8 MTHODOLOGIE 197 Situation denseignement/apprentissage et contenu 199

    La situation denseignement/apprentissage comme squence pour apprendre 199 Des contenus ducatifs potentiels 200 Des contenus langagiers potentiels 201 Le genre de texte 203

    Les genres oraux rgle de jeu et rgle de fabrication dun bricolage 204 Lexplication orale dune rgle de jeu ou de fabrication dun bricolage 207

    CHAPITRE 9 MTHODE 210 Une observation en milieu ordinaire 210

    Le matriau empirique 212 La population et les contraintes de lobservation 212 Un contrat dobservation 213

    Le recueil des informations 214 La constitution des donnes 216 Lanalyse: ordre, units et catgories 219

    Lordre 219 La mthode danalyse et choix dunits pour les sances en classe 221 La mthode danalyse dune squence denseignement 223 La mthode danalyse des entretiens 223 Les catgories danalyse 224

    CINQUIME PARTIE TUDES EMPIRIQUES DACTIVITS LANGAGIRES ORALES

  • CHAPITRE 10 TUDES DES ACTIVITS LANGAGIRES CONDUITES PAR M5 231 Lenseignement du langage parl selon les dires de M5 231

    Rsum 231 Analyse 233

    Observation en classe en dbut danne 233 Description et analyses chronologiques de la sance Colin Maillart 234 Description et analyses transversales 237 La sance travers le regard de M5 243 Synthse et interprtation 245 Une forme non scolaire 247

    Observation en classe en fin danne 248 Description et analyses chronologiques de la sance la tour infernale 248 Description et analyses transversales 252 La sance travers le regard de M5 258 Synthse et interprtation 259 Une forme non encore scolaire 262

    Interprtation propos des deux observations 262 La structure des activits et les situations amnages 263 Une situation de jeu pour permettre des explications locales 264 Une textualisation dans lactivit de jouer 265 Une forme-contenu globale non scolaire 265

    CHAPITRE 11 TUDES DES ACTIVITS LANGAGIRES CONDUITES PAR M4 268 Lenseignement du langage parl selon les dires de M4 268

    Rsum 268 Analyse 270

    Observation en classe en dbut danne 271 Description et analyses chronologiques de la sance la fabrication dun escargot 271 Description et analyses transversales 277 La sance travers le regard de M4 283 Synthse et interprtation 284 Une forme qui table sur la mmoire 286

    Observation en classe en fin danne 287 Description et analyses chronologiques de la sance la tour infernale 287 Description et analyses transversales 293 La sance travers le regard de M4 299 Synthse et interprtation 301 Une forme cooprative avec des traces de forme scolaire 303

    Interprtation propos des deux observations 304 Une structuration simple assortie de situations parfois simules 305 Dune smiotisation du bricolage une smiotisation de lexplication 306 Essentiellement une textualisation dans lactivit 306 Une forme-contenu scolaire naissante 307

    CHAPITRE 12 TUDES DES ACTIVITS LANGAGIRES CONDUITES PAR M2 309 Lenseignement du langage parl selon les dires de M2 309

    Rsum 309 Analyse 310

    Observation en classe en dbut danne 311 Description et analyses chronologiques de la sance la course descargots 311 Description et analyses transversales 315

  • La sance travers le regard de M2 319 Synthse et interprtation 321 Une forme trs partiellement scolaire 323

    Observation en classe en fin danne 325 Description et analyses chronologiques de la sance la tour infernale 325 Description et analyses transversales 327 La sance travers le regard de M2 332 Synthse et interprtation 333 Une forme partiellement scolaire 337

    Interprtations propos des deux observations 339 Une structuration simple de lactivit travers des mises en scne 339 Une smiotisation langagire double 340 Une textualisation dans lactivit 341 Une forme-contenu transversale et localement disciplinaire 342

    CHAPITRE 13 TUDES DES ACTIVITS LANGAGIRES CONDUITES PAR M3 345 Lenseignement du langage parl en 1re enfantine travers les dires de M3 345

    Rsum 345 Analyse 346

    Observation en classe en dbut danne 348 Description et analyses chronologiques de la sance le jeu des coccinelles 348 Description et analyses transversales 353 La sance travers le regard de M3 357 Synthse et interprtation 359 Une forme de mdiation avec quelques composantes disciplinaires 361

    Observation en classe en fin danne 362 Description et analyses chronologiques de la sance Colin Maillart 363 Description et analyses transversales 368 La sance travers le regard de M3 373 Synthse et interprtation 375 Lmergence dune forme scolaire 377

    Interprtations propos des deux observations 379 Une structure simple avec une diffrenciation des formes de travail 379 Une smiotisation langagire double 380 Une textualisation dans lactivit 381 Une forme empreinte des limites du prscolaire annonciatrice du scolaire 381

    CHAPITRE 14 LA FORME-CONTENU LUVRE LCOLE ENFANTINE 383 La forme dans son mouvement 383

    La structuration de lenseignement/apprentissage 384 Le contenu smiotis et la textualisation 386

    Une forme en transition 388 Retour sur nos hypothses 391

    CONCLUSION GENERALE 394 Nouvel clairage sur le processus de disciplinarisation 395

    La structure et la fonction de la scripturalisation 397 La forme-contenu de lcole des petits 398

    Porte du prsent ouvrage 401 Formes sociales de travail dans les pratiques provoques et ordinaires 402 Diffrences de contenus langagiers dans les pratiques provoques et ordinaires 403

  • BIBLIOGRAPHIE 407 ANNEXES 428 Annexe 1: Matriau empirique 429 Annexe 2: Entretien initial (entretien 1) 432 Annexe 3: Entretien dexplicitation (entretien 2) 434 Annexe 4: Convention de transcription 435 Annexe 5: Rgulation de lactivit et des tches 436 Annexe 6: Expliquer catgories danalyse 437

    TOME II1

    PREMIRE PARTIE TRANSCRIPTIONS M2

    DBUT DANNE M2 ENTRETIEN 1.1. M2 ET 2 LVES, SANCE FILME 1 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.1. FIN DANNE M2 ENTRETIEN 1.2. M2 ET 2 LVES, SANCE FILME 2 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.2.

    DEUXIME PARTIE TRANSCRIPTIONS M3

    DBUT DANNE M3 ENTRETIEN 1.1. M3 ET 4 LVES, SANCE FILME 1 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.1 FIN DANNE M3 ENTRETIEN INITIAL 1.2. M3 ET 4 LVES, SANCE FILME 2 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.2.

    1 Les transcriptions sont disponibles sous forme de CD-ROM auprs de Th. Thvenaz-Christen, FPSE, 42, Bd Pont dArve, 1205 Genve, courriel: [email protected].

  • TROISIME PARTIE TRANSCRIPTIONS M4

    DBUT DANNE M4 ENTRETIEN 1.1. M4 ET 3 LVES, SANCE FILME 1 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.1 FIN DANNE M4 ENTRETIEN 1.2. M4 ET 3 LVES, SANCE FILME 2 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.2.

    QUATRIME PARTIE TRANSCRIPTIONS M5

    DBUT DANNE M5 ENTRETIEN 1.1. M5 ET 6 LVES, SANCE FILME 1 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.1. FIN DANNE M5 ENTRETIEN 1.2. M5 ET 4, PUIS 5 LVES, SANCE FILME 2 ENTRETIEN DEXPLICITATION 2.2.

  • Lcole organise lentre dans certains domaines de la culture avec les valeurs[] qui leur sont lies. Elle permet ltude systmatique de savoirs. Elle sattache le faire avec une forme particulire (dont

    la systmaticit est le point central), et, point dcisif ici, elle le fait pour le grand nombre, voire pour tout le monde dans le cas de lcole obligatoire. Elle dispose de jalons principaux, elle lmente les

    parcours, elle transmet des techniques (singulirement celles qui sont lies aux pratiques crites). Rompant avec la culture de limmdiatet, elle aide chacun mettre de lordre dans son environnement naturel et social; elle permet de disposer du moyen terme, de lexercice, de

    lentranement, de la prise de distance. Si cela russit, on peut esprer obtenir la fois une matrise du champ soumis ltude, et un dgagement de ce champ, lappropriation personnelle de ces

    cultures et les fondements de lautonomie. S. Johsua, Lcole entre crise et refondation (1999, pp. 111-112.)

    Introduction Les recherches sur lcole enfantine et sur lcole maternelle mettent systmatiquement en vidence le caractre ncessairement global, ducatif et non disciplinaire des apprentissages. Le jeune enfant en plein dveloppement psychique et physique au moment o il entre dans les institutions ducatives exige une prise en compte de cette ralit de nature dveloppementale laquelle la petite cole nchappe pas. Quelques annes plus tard, 8 ou 9 ans, lenfant est suppos capable de sinvestir dans des activits diverses, dans des squences denseignement organises en disciplines scolaires distinctes, activits et squences ncessitant de sa part attention, implication et actes volontaires pour apprendre. Quest-ce qui permet une telle transformation de lenfant en colier? Comment partir dune socialisation gnrale et globale passe-t-on une socialisation supposant un mode de penser et dagir de nature disciplinaire? Quels contenus et quelles formes de mdiation rendent une telle (r)volution possible? Toutes ces questions posent la question plus gnrale de la manire de concevoir la relation entre des modes distincts de socialisations. Qui plus est, ces interrogations dcoupent des champs disciplinaires acadmiques qui se parlent peu et ne semblent premire vue gure conciliables, tels que la psychologie du dveloppement, la sociologie de la petite enfance et la didactique des disciplines. Quel cadre danalyse et quel point de vue adopter pour cerner la transformation dune socialisation partir de contenus globaux et ducatifs vers une socialisation organise partir de contenus structurs en disciplines scolaires? Dailleurs question cruciale , comment apprhender le cur de la socialisation que constituent les disciplines et leur organisation? Ces questions supposent de sintresser lmergence du processus, savoir observer o il prend naissance. En nous inscrivant dans la perspective des sciences de lducation et, plus particulirement, de la didactique du franais, la suite de Chervel (1998), nous adoptons le point de vue que la forme scolaire reprsente la forme-contenu propre lenseignement/apprentissage scolaire. Schmatiquement rsum, la forme-contenu dsigne le contenu denseignement /apprentissage mdiatis en classe tels quil est structur pour lapprentissage. En observant les dbuts de la socialisation lcole enfantine, moyennant une dfinition de cette forme-contenu pour lcole enfantine, il parat possible dtudier la forme-contenu qui sy manifeste afin dlucider sil sagit des prmices de la forme scolaire. Prcisons demble que notre tude porte sur des donnes recueillies lcole enfantine genevoise, en particulier durant la premire anne de scolarit des enfants. Bien que non obligatoire, la premire enfantine accueille presque la totalit des enfants de 4 5 ans vivant dans le canton de Genve. La partie empirique de notre tude est locale, mais nos rfrences

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    et nos analyses sappuient sur des recherches dpassant largement le cadre local. En guise de clin dil, pour signaler une rflexion plus gnrale sur la socialisation des jeunes enfants reposant sur un choix politique et institutionnel de socialisation dans un cadre communautaire dj scolaire, nous utilisons le terme de petite cole ou encore dcole enfantine1 pour dsigner une institution qui accueille les enfants de 3 5 ans dans le cadre de lcole publique.

    Lcole enfantine comme sas Notre perspective consiste considrer la petite cole comme un sas qui permet la transformation de lenfant en colier en herbe. Cette perspective suppose la prise en compte de deux mondes en tension. Dun ct, le monde de ce qui appartient en propre lducation et la socialisation du jeune enfant et dun autre ct le monde de lcole, de lcole primaire en particulier. Le prsent ouvrage se situe au cur de cette tension. Ceci nous conduit analyser la mission spcifique de la petite cole tant dans les programmes officiels rcents que dans lhistoire de lcole maternelle franaise et enfantine genevoise. Nous retournons aux origines de la petite cole apprhendes dans les discours des premiers pdagogues tels que Frbel, Kergomard ou dans les rfrences de lcole du travail en Allemagne, ou encore dans les travaux des historiens de lducation. Ce sondage dans lhistoire institutionnelle est certes important, mais il ne rpond pas toutes les interrogations concernant lenfant et ses capacits. Il sagit dlargir le point de vue pour cerner ce que reprsente lenfant dont il est si souvent question dans lducation du jeune enfant. Qui est-il? Comment le dcrit-on? Quelles sont ses spcificits et ses capacits? Diffrents discours manant le plus souvent de la recherche sont analyss de faon forger une image de ce jeune enfant en devenir dlve; par exemple, Apprentissage et dveloppement lge prscolaire de Vygotski (1935/1995) montre les potentialits et les limites de lducation du jeune enfant dans un cadre non encore scolaire. Les lments jusquici numrs esquissent des directions qui ne disent rien des contenus ducatifs et ne permettent gure dapprhender les parts ducatives et disciplinaires qui se manifestent dans la forme scolaire. Se fixer pour but de cerner son mergence exige une observation de nature disciplinaire, portant spcifiquement sur les contenus disciplinaires de lcole. Cette perspective est celle que nous adoptons systmatiquement pour toutes les analyses concernant la petite cole et lenfant en ge de la frquenter. Malgr une analyse pluridisciplinaire intgrant les lments prsentement mentionns, elle ne permet pas de dceler ce qui doit prcisment merger, savoir ce qui constitue les prmices de la forme scolaire. Une telle perspective implique dintgrer lautre versant de la tension mentionne plus haut, la part disciplinaire de la forme propre lcole vers laquelle tend la petite cole.

    dune cole primaire vocation disciplinaire Lanalyse du monde scolaire, cet autre versant, suppose une conceptualisation du point de vue de la discipline scolaire conue comme contenu-forme susceptible de transformer la jeune gnration. Selon Chervel (1998), la discipline scolaire reprsente llment constitutif de la forme scolaire. Cette question complexe de la discipline scolaire, une question cruciale de

    1 Il sagit de dsigner une entit institutionnelle qui nest plus une crche; une entit qui porte un nom distinct dans chacun des pays occidentaux, qui se diffrencie de lcole primaire et qui est dj une cole. Ces noms sont: lcole maternelle en France et en Belgique, la Scuola infantile en Italie, Scuola dellinfanzia au Tessin ou de lcole enfantine en Suisse romande, linfant school anglaise. La plupart des coles des petits recourt au terme enfant; cest aussi le cas des Kindergrten dans les pays germanophones qui cherchent signaler leurs diffrences par rapport lcole par le terme jardin. Pour viter la rfrence une unique institution et sans vouloir rendre plus homogne une ralit htrogne, nous avons adopt pour le nom dcole enfantine, dcole des petits ou encore de petite cole, par contraste avec lcole des grands.

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    notre ouvrage, nous conduit au cur de la construction de la forme scolaire, qui sancre dans les fondements de lcole obligatoire publique, savoir sur la mission et les objectifs dducation et dinstruction que lEtat a reu pour tche dassumer. La forme scolaire exige une dfinition des principaux systmes qui la dterminent, savoir ltude du processus de transposition didactique (Verret, 1975). Ce processus sanalyse deux niveaux. Le premier niveau comprend les processus complexes de disciplinarisation qui rendent possible une traduction de la mission et des objectifs de lcole en contenus denseignement/apprentissage, alors que le second niveau porte sur la mdiation de ces contenus pour agir sur les capacits des lves. Nous cernons le premier niveau, qui concerne les choix de contenus enseigner, leur laboration dans une perspective curriculaire sur la base des savoirs constitus disponibles, ainsi que leur transformation en activits ou squences denseignement. La prsentation du second niveau comprend la mdiation de ces contenus des lves; il porte sur ltude des moyens de mdiation que mobilise un enseignant pour matriellement transformer les manires de penser, de parler et dagir des lves. Cette transformation sopre par une smiotisation des contenus. Sur la base de lhypothse dune double smiotisation de Schneuwly (2000), nous considrons que la transformation des capacits des lves passe par une configuration matrielle et symbolique du contenu qui consiste le rendre prsent premire smiotisation et seconde smiotisation y oprer des pointages sur des composantes lmentarises. Cette hypothse est reprise dans le prsent ouvrage pour analyser le contenu-forme de la mdiation de la petite cole. Chercher cerner les prmices de la forme scolaire dans la double smiotisation du contenu suppose une rflexion sur le processus de disciplinarisation des contenus jusqu la petite cole. Il sagit de se donner les moyens de concevoir tout ldifice disciplinaire. Nous nous appuyons essentiellement sur des recherches historiques et sociologiques pour dlimiter un cadre danalyse pertinent et rpondre la question: en quoi consiste une discipline scolaire? Le cadre thorique densemble ainsi schmatiquement trac montre ce qui diffrencie la socialisation scolaire de la socialisation de la petite enfance. Ce cadre et ces catgories ne nous permettent cependant pas encore dapprhender empiriquement quels contenus ducatifs ou disciplinaires peuvent jouer le rle de rvlateur des prmices de la forme scolaire.

    Le langage oral ou parl comme rvlateur de la socialisation luvre Quel contenu choisir? Dans le prsent ouvrage, le langage oral joue le rle de rvlateur des prmices de la forme scolaire. Pourquoi? Sa porte est ducative dans la mesure o lapprentissage du langage est spontan. Il permet de constituer le collectif partir de lindividuel et du personnel. Il mdiatise lexpression des sentiments, le rglage des comportements, ainsi que les premiers apprentissages sociaux. A lcole enfantine, il structure les modes dinteraction et de questionnement pour apprendre. Sa porte stend au disciplinaire et sinscrit dans la perspective de la discipline franais et de sa didactique. A travers une tude historique du contenu langage oral ou parl et des moyens denseignement y relatifs nous pensons nous doter des connaissances sur ce contenu. Comment se dfinit-il lcole primaire? Comment est-il dfini la petite cole? Quel rapport peut-on dceler entre les deux? Comment les contenus voluent-ils? Cette volution est-elle convergente ou non? Les rponses ces questions donnent une premire rponse concernant la manifestation de prmices de la forme scolaire la petite cole. Lanalyse historique du contenu langage oral ou parl fournit les catgories pour dceler les manifestations dune ventuelle forme scolaire lcole enfantine. Pour examiner la pertinence de notre cadre thorique et plus concrtement observer la forme-contenu que prend lenseignement/apprentissage la petite cole, nous procdons une observation dactivits langagires orales dans quatre classes de lcole enfantine genevoise.

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    Pour saisir le caractre mergent dans son mouvement, notre observation porte sur le dbut et la fin de la premire anne de scolarisation des enfants. Nous devrions ainsi tre en mesure de rpondre la question: est-ce que des prmices de la forme scolaire sobservent lcole enfantine ds les dbuts de lentre lcole? Si oui, quand et comment se manifestent-elles?

    Prsentation de louvrage Dans une premire partie (chapitres 1 et 2), nous analyserons la mission de lcole maternelle franaise et lcole enfantine suisse romande pour montrer quels sont les principaux contenus et leur organisation. Nous en dgagerons les principaux traits pour mettre en vidence quel est le discours sur lenfant et son dveloppement, ainsi que sur le caractre scolaire ou non de la socialisation. La nature de la socialisation assigne un rle particulier lducateur ou lenseignant, tout comme elle dlimite les caractristiques de la situation ducative ou denseignement/apprentissage. Ces lments constitueront un premier point de vue. Nous nous attacherons dcrire lenfant tel quil est vu dans les discours des historiens, du point de vue de la psychologie dveloppementale plus particulirement Piaget et Vygotski et pour finir dans le discours des principaux pdagogues qui se sont penchs sur lducation du jeune enfant la petite cole. Ce tour dhorizon permettra desquisser les conceptions du dveloppement, de lenseignement et de lapprentissage; de reprer les objectifs et la mission ducative et, plus particulirement, les contenus identifis comme composantes de lducation. La deuxime partie (chapitres 3 et 4) consistera conceptualiser ce quest la forme scolaire et ce qui la compose. Ceci suppose la prise en compte de lensemble du processus de disciplinarisation. A la lumire des apports de la transposition didactique, nous dcrirons chacun des plans du processus pour mettre en vidence son caractre minemment complexe. Les controverses apparues lors de la constitution de lcole publique nous permettront de revenir aux fondements de lducation scolaire de la jeune gnration travers un enseignement disciplinaire. En tant que principe fondateur, lide de canon disciplinaire et de discipline comme fondement de la transformation des capacits de penser, de parler, dcrire et dagir sera reprise. Les modalits des apprentissages de la petite cole comportent leurs logiques propres: elles se conoivent partir des capacits des jeunes enfants pour qui la mmoire des sens et du corps est constitutive des premiers apprentissages. Entre trois et cinq ans, la composante perceptive sattnue au profit de la mmoire verbale. Cet important changement ouvre de nouvelles possibilits dapprentissages plus systmatiques et programms par lentourage. Ce changement augure dune tension entre ce qui appartient un apprentissage spontan et ce qui appartient un apprentissage programm, plus forte raison lorsquil sagit dobjectifs et des contenus socialement et institutionnellement dfinis, comme le prvoit la mission de la petite cole. Cette deuxime partie, dans sa conclusion, noncera la thse du prsent ouvrage, les questions et les hypothses. La troisime partie (chapitres 5, 6 et 7) se conoit comme une rfraction de la partie deux. A la lumire des conceptualisations dveloppes sur le processus de disciplinarisation, il sagit en effet de se rfrer ces conceptualisations pour ltude dun contenu disciplinaire prcis, le langage oral ou parl. Nous nous appuierons sur des travaux dhistoriens pour dlimiter les grandes priodes marquantes de lenseignement du franais. Les programmes et moyens denseignement du langage oral feront dabord lobjet dun reprage systmatique pour ce qui concerne lcole lmentaire franaise et primaire genevoise. Dans un second temps, les programmes et moyens denseignement du langage oral lcole maternelle franaise et

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    lcole enfantine genevoise seront rpertoris. Les chapitres 5 et 6 montreront comment les contenus disciplinaires voluent entre lcole des grands et celle des petits. A la fin du chapitre 6, les convergences et les contrastes de la disciplinarisation du langage oral ou parl seront mis en vidence. Afin de rfracter les diffrents plans du processus de disciplinarisation et intgrer la part des savoirs constitus, nous prsenterons la recherche portant sur les composantes du langage parl, ainsi que sur le processus de didactisation du langage parl depuis que la rnovation de lenseignement du franais place la communication comme fondement de lenseignement/apprentissage. Le chapitre 7 prsente les orientations adoptes dans la didactisation des contenus, en particulier pour la petite cole. La quatrime partie (chapitres 8 et 9) consiste expliciter les principes mthodologiques la base des choix de ltude empirique des activits observes dans quatre classes de lcole enfantine genevoise. Pour rpondre au prsuppos du prsent ouvrage, les activits pour lobservation devront permettre le dveloppement de contenu la fois ducatif et/ou disciplinaire (langagier). Selon les conceptualisations dgages dans les chapitres prcdents, des jeux et un bricolage servant jouer, ainsi que les genres de textes explication dune rgle de jeu ou dun bricolage rpondent, de notre point de vue, cette double exigence. Nous prciserons plus particulirement quelles sont les composantes ducatives et langagires qui permettront de reprer la manifestation des prmices de la forme scolaire. Conformment aux exigences de clart et de visibilit, le chapitre 9, Mthodes, dcrira les conditions de la recherche conduite en milieu ordinaire. Diffrents points feront lobjet dune explicitation: le matriau empirique, le contrat dobservation, le dispositif pour le recueil des informations, la constitution des donnes. Lordre, les units et les catgories danalyse seront galement exposs. Dans la perspective de cerner lmergence dune forme, la chronologie dans le droulement des squences denseignement/apprentissage est prserver. Ceci suppose de se doter dune mthode de rduction des donnes qui mette clairement en vidence la structure des squences denseignement en rapport avec le contenu. Par ailleurs, une analyse transversale du contenu ducatif ou langagier doit permettre de discriminer les contenus du point de vue de leurs composantes ducatives ou disciplinaires. La cinquime partie (chapitres 10, 11, 12 et 13) runira les quatre tudes dont la prsentation sera organise de faon mettre en vidence le mouvement qupouse la forme-contenu. Pour montrer ce mouvement et les formes mergentes du contenu qui sy manifestent, nous prsenterons les tudes en fonction du contenu mdiatis: ltude se caractrisant par un contenu plus ducatif et moins disciplinaire sera prsente dabord au chapitre 10, celle montrant un contenu moins ducatif et plus disciplinaire dans le chapitre 13. Lexposition de chaque tude seffectuera selon le mme canevas, tant pour lobservation conduite en dbut quen fin danne. Aprs une description du cadre de chaque classe, nous dcrirons les activits langagires habituellement conduites, ensuite nous les analyserons. Suivront, tant pour lobservation en dbut danne quen fin danne, les descriptions et analyses chronologiques, puis les analyses transversales qui dboucheront sur une synthse. Chaque chapitre sachvera par une synthse et une interprtation conclusive. Une conclusion des quatre tudes sera effectue la fin de la cinquime partie. Nous ferons apparatre la finalit de lactivit, sa part langagire sil y en a une. Nous essaierons de montrer comment le disciplinaire sancre dans lducatif. Nous tenterons de mettre en vidence quune part disciplinaire merge aprs la premire anne de scolarisation des lves. Une discussion des hypothses terminera cette cinquime partie.

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    La conclusion gnrale consistera en une discussion de certains points cruciaux concernant en particulier le processus de disciplinarisation du langage parl. Nous chercherons dgager les mouvements complexes affrant ce processus, ainsi que la forme-contenu de lenseignement/apprentissage la petite cole. Nous essaierons de mettre en vidence les tensions qui se manifestent, entre autres, entre la part spontane et cre, libre et dirige, ainsi que, et surtout, entre la part spontane et ractive une distinction originale propre lmergence de la forme scolaire. Nous dfendrons lide que la composante ractive du contenu constitue une forme de socialisation supposant une secondarisation dont la porte nest pas encore disciplinaire. La porte du prsent ouvrage sera discute de faon mesurer la validit gnrale de nos rsultats pour la petite cole.

  • PREMIRE PARTIE

    DUQUER, ENSEIGNER ET APPRENDRE

    LA PETITE ECOLE

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    Mme sil nest pas dapprentissage, y compris chez les animaux, qui ne fasse une place au jeu (et de plus en plus grande mesure que lon avance dans lvolution), cest seulement avec lcole que

    sinstituent les conditions trs spciales qui doivent tre runies pour que les conduites enseigner puissent tre accomplies, en dehors des situations o elles sont pertinentes, sous la forme de jeux

    srieux et dexercices gratuits, actions vide et blanc, sans rfrence directe un effet utile et sans consquences dangereuses. Lapprentissage scolaire qui, tant affranchi de la sanction directe du rel, peut proposer des dfis, des preuves, des problmes, comme les situations relles, mais en

    laissant la possibilit de chercher et dessayer des solutions dans des conditions de risque minimal, est loccasion dacqurir par surcrot, avec laccoutumance, la disposition permanente oprer la mise

    distance du rel directement peru qui est la condition de la plupart des constructions symboliques. P. Bourdieu, Mditations pascaliennes (1997, p. 29).

    A travers le triplet, duquer, enseigner et apprendre, nous cherchons mettre en vidence lactivit permettant au jeune enfant dadvenir comme personne. Centre sur les dbuts de lcole, sur la transformation de lenfant en colier, nous nous intressons lactivit de lenseignant et de lenfant en devenir dlve. Partant du prsuppos que cest lducation qui construit la personne, notre point de vue ne sera pas celui du dveloppement spontan de lenfant. Par une investigation, nous le rappelons, ancre en sciences de lducation et plus particulirement en didactique du franais, nous cherchons lucider quels sont les activits et les contenus qui rendent une telle transformation possible et, plus prcisment, en quoi consiste cette transformation. Nous visons galement lobservation des conditions qui sont faites aux apprentissages. Parmi les termes numrs dans le titre, le terme apprendre ne suffirait-il pas? Apprendre dsigne prioritairement lactivit dappropriation dun savoir ou dun savoir-faire. Comme nous ne cherchons pas nous centrer sur ce seul processus, nous avons voulu le signaler demble. Nous nous intressons plus particulirement aux activits denseignement/apprentissage de lcole, plus particulirement de la petite cole, qui comprennent ncessairement les interventions de lenseignement. Avec duquer, enseigner et apprendre, nous voulons clairement dsigner les deux ples enseignant et lve. Pourquoi alors diffrencier duquer et enseigner? Il parait lgitime de considrer que de 3 5 ans, il est surtout question dducation. Pourtant, il sagit de sinterroger si des contenus prfigurant des composantes disciplinaires ne se mdiatisent pas dj cet-ge-l. Pour ne pas anticiper le rsultat de notre investigation, et surtout dviter de fixer notre regard sur les seules dimensions ducatives, nous prfrons faire explicitement figurer les deux termes. Signalons que le verbe former est volontairement absent, ce qui peut tonner puisquil a t fait rfrence la personne et quil est dusage de parler de la formation de la personne. Le sens de donner une forme, entre certes en rsonance avec le titre du prsent travail, il dsigne laboutissement de lducation. Mais il renvoie aussi des modalits spcifiques dapprentissage qui sont celles de lapprentissage professionnel, de la formation professionnelle. Cette dernire, oriente vers une acculturation un milieu professionnel, vers des savoir-faire techniques avec leurs formes particulires dapprentissage, sadresse une tranche dges qui nest pas la ntre. Tout en favorisant une socialisation la vie professionnelle, lapprentissage professionnel doit tenir par exemple compte de la valeur et des cots des supports de la formation. Les matires premires nobles, les machines complexes coteuses rendent dlicates la libre manipulation pour apprendre; lexercice avec les risques derreurs quil suppose savre difficile. La forme dapprentissage sen trouve influence. De plus, alors quil sagit de formation, une certaine efficacit est exige. Dans le

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    monde de la formation professionnelle, on parle de travail. Il ne saurait y tre question de jeu pour apprendre, le terme renvoyant au loisir. Bref, la formation professionnelle ne constitue pas ici notre rfrence2. Mais retenons cependant que la situation matrielle et sociale, ainsi que les positions du form et de ce celui qui forme constituent des lments dcisifs dans la dfinition des formes de lapprendre. Nous adoptons la perspective du learning et non de lapprenticeship, une distinction que le terme apprentissage ne reproduit pas. De ce point de vue, les termes duquer, enseigner et apprendre nous semblent mieux appropris pour indiquer lorientation de notre travail. Comme entre en matire et demble nous focaliser sur la forme de lenseignement /apprentissage scolaire, nous cherchons clarifier quels sont les contenus en jeu la petite cole. Dans ce but, nous analysons les attentes et les finalits institutionnelles dfinies dans les programmes officiels. En plus des contenus, nous nous sintressons en particulier aux fonctions et la mission de lcole des petits. Devant la disparit des systmes ducatifs et de prise en charge3, face lclatement des sources, nous avons d effectuer des choix et nous concentrer sur ltude des programmes franais et suisse romands les plus rcents. Ce qui figure dans les programmes tudis nous semble bien illustrer des orientations actuelles de la petite cole et la forme de lapprendre. Pour mettre en vidence les attentes institutionnelles, nous tudions plus particulirement les contenus des programmes, la dfinition des situations dapprentissage, les activits denseignement/apprentissage, le jeu activit spcifique de lcole des petits, ainsi que les figures de lenfant/lve et de lenseignant qui se peroivent dans le discours officiel. Le second chapitre porte son attention sur lenfant. Nous reprons les discours que diffrentes disciplines des sciences humaines et sociales tiennent sur lenfant, sur son ducation, son instruction et ses apprentissages. Nous mettons en vidence tant les convergences que les aspects contradictoires et nous tablissons une relation entre dune part les figures de lapprenant traces par les disciplines de rfrence des sciences de lducation et dautre part les attentes institutionnelles. Le second chapitre nous amne galement prciser notre point de vue.

    2 Voir par exemple, Apprendre un mtier dans un contexte de mutation technologique (Perret & Perret-Clermont, 2001). Louvrage donne une bonne mesure des contraintes de la formation professionnelle. Nous y renvoyons le lecteur intress. 3 Louvrage Politique de lducation prscolaire et de laccueil socio-ducatif de la petite enfance en Suisse (Meyer, Spack & Schenk, 2002) donne un bon aperu des disparits de prises en charge en Suisse, dans la mesure o les auteurs ont voulu intgrer laccueil des enfants suisse allemand, suisse romand et tessinois.

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    Chapitre 1

    La mission de la petite cole Dans le prsent chapitre, il est tout dabord question de la mission gnrale de lcole. Pourquoi ce choix, alors que le titre de louvrage annonce quil porte sur la petite cole? En quoi est-il ncessaire de cadrer la comprhension de la petite cole par une comprhension gnrale de lcole primaire? Nous considrons que lcole comme institution sociale denseignement, marque par des exigences de lacit4, obligatoire, mixte et gratuite a grandement influenc lducation et linstruction jusqu lcole enfantine. Lcole primaire a progressivement intgr la petite cole jadis la salle dasile, aujourdhui le Kindergarten; ce processus est le rsultat dun double mouvement constitutif dont le premier va du secondaire (voire du tertiaire), vers le primaire (Chartier & Hbrard, 1989; Lelivre & Nique, 1994). Lextension de lcole pour tous a entran un second mouvement: le dveloppement de la pdagogie curative ou de lenseignement spcialis. Obligatoire, lcole se devait de rpondre aux besoins particuliers de lenfance arrire, inadapte ou des enfants turbulents; une fois le philanthropisme du prscolaire dpass (Chalmel, 1996), la connaissance dun point de vue particulier du dveloppement de lenfant et la pdagogie spcialise ont influenc lcole des petits, comme lcole des grands. Ce second mouvement, plus tardif, intgrant les apports de la pdagogie curative ou de lducation spcialise part lui du primaire pour influencer le secondaire (Ronveaux, 2003). Cette hypothse dun double mouvement ne sera pas dveloppe dans le prsent travail, dont le propos ne se veut pas historique. Elle justifie cependant notre choix de prendre dabord la mission de lcole primaire en compte pour mettre en vidence quelle englobe celle de lcole des petits, qui garde cependant une certaine spcificit. Outre lhypothse formule ci-dessus, quest-ce qui lgitime un tel choix? Regardons trs schmatiquement pourquoi. Tout dabord, linstitution est la mme. Directement ne de la constitution de lappareil dEtat un Etat rpublicain en France, comme en Suisse (Verret, 1975; Chalmel, 1996, Hofstetter, 1998 ; Hofstetter, Magnin, Criblez & Jenzer, 1999), linstitution scolaire enfantine, primaire et secondaire est rglemente par lui: il dcide de larchitecture des btiments, des horaires comme des programmes. Toute lorganisation de linstitution dpend des mmes administrations fatires et revendique une mme cohrence. Ensuite, le mouvement structurel de la cration de cycles dapprentissage mouvement qui notons-le dpasse les limites dun seul pays atteste dune volont de continuit et dorientations communes entre la petite cole et la grande. Enfin, les attentes des partenaires de lcole, aussi contradictoires puissent-elles tre, convergent en ce qui concernent la qualit ducative et le dveloppement cognitif optimal des enfants ds le plus jeune ge. Pour finir, on peut constater que les composantes principales de la mission de lcole primaire intgrent celle de lcole enfantine. Quelles sont-elles? Dans les pays occidentaux, partir du milieu et surtout de la fin du 19me sicle, ds que lcole doit rassembler une gnration dlves dans les limites dun Etat, dune rgion ou dun canton, sa mission est officiellement dfinie. prement ngocie par les principaux acteurs politiques, religieux, conomiques, cette mission est objet controverses par les attentes contradictoires auxquelles lcole doit rpondre. En consquence, sa mission se dfinit la fois comme consensuelle puisque aprs concertation et dlibration, une dcision intervient et contradictoire puisque fruit dune ngociation, en particulier ds linstant o lcole est obligatoire, et, surtout, gratuite. En tant que service public, orientation aujourdhui grandement dbattue et mise en cause dans ses fondements (Johsua, 1999), elle rpond aux

    4 Elle nest pas vraiment laque en Suisse!

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    nombreuses exigences dun Etat qui se veut (post)moderne. Par un jeu dquilibration en constant mouvement influenc par une disparit dlments, comme la recherche scientifique, la conjoncture et le march du travail, les rapports de forces financiers et sociaux, les conflits sociaux et les guerres, les accents et les pondrations de la mission de lcole varient certes mais perdurent dans leur fondement. numrons schmatiquement ses composantes principales. La mission spcifique et principale de lcole est dassurer la transmission dune gnration une autre des savoirs constitus dune socit un moment historique donn. Cet ensemble de savoirs, de techniques, labor et runi dans des institutions de recherches, de production et de services, rassembl par une technologie et des techniques de linformation, est organis en vue de leur dveloppement, mais galement de leur ncessaire diffusion et appropriation par les gnrations prsentes et venir. Cette transmission est constitutive du dveloppement conomique et social des socits. La mission transmissive des savoirs, des techniques et de valeurs engendre une tension permanente entre changement et rsistance. Lvolution conomique et scientifique suivant son mouvement propre impose des changements lcole, laquelle sen nourrit, en engendrant un mouvement dinnovation rcurrent auquel la force et linertie de lappareil scolaire opposent une rsistance. Deuximement, lcole vise une ducation citoyenne de tous dans le but dune intgration la vie sociale, civique, conomique et politique. Cette ducation passe par une socialisation la (aux) langue(s), aux valeurs et coutumes dune entit gographique dlimite et se ralise travers des contenus disciplinaires variables: ducation morale et instruction civique; littrature, chant et musique; connaissances gographiques, etc. Aujourdhui centrs sur lindividu, sur lenfant ou encore sur lintgration ethnique, jadis sur le collectif, la nation, lhomme citoyen, le travailleur intgre, les enjeux ducatifs voluent, mais restent prsents: jadis connotation fortement morale, aujourdhui orientation citoyenne. A ct de ces missions premires, on note galement une vise de sant publique: on repre systmatiquement des objectifs de protection de lenfant et des mineurs, des recommandations dhygine et de prvention. Corollairement ces missions officiellement dclares, lcole a pour fonction la reproduction au niveau dune gnration de la division sociale et technique du travail (Bourdieu & Passeron, 1970; Baudelot & Establet, 1975). Elle se manifeste travers une structuration en curricula cloisonns ou ramifis et travers la certification, cest--dire la distribution des titres. Cette reproduction est elle aussi sujette des volutions selon les exigences de dmocratisation; elle est particulirement manifeste en ce qui concerne la scolarisation des filles (Baudelot & Establet, 1992). De par sa fonction et sa mission plurielle, lcole est une institution forte, bureaucratique et contradictoire. Porteuse la fois dmancipation par la diffusion des savoirs et des valeurs et de sgrgation, puisque reproductrice de la division du travail et partant dingalits, voire productrice dexclusion, lcole primaire a galement une mission compensatrice des diffrences, savoir la dmocratisation des tudes. Dans le canton de Genve, elle figure explicitement dans la loi de linstruction publique: tendre corriger les ingalits de chance de russite scolaire des lves ds les premiers degrs de lcole (Objectifs de lcole publique, 1977). La mission de lcole primaire, la fois contradictoire, controverse et consensuelle, est dfinie de sorte systmatiquement intgrer lcole enfantine. Cette dernire nen est pas moins spcifique dans la mesure o elle constitue le sas dentre de lcole primaire. En tant que sas dentre, elle porte des marques de transition: de cette transition vers lcole primaire, mais galement de ce qui prcde, lducation familiale ou autres institutions de garde de lenfant. Ces marques intgrent des continuits dans les apprentissages et anticipent des ruptures. Pour en prendre la pleine mesure, nous allons dans un premier temps observer la

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    mission de lcole enfantine telle quelle apparat dans les programmes. Nous verrons dans quelle mesure elle est spcifique ou en continuit avec celle de lcole primaire.

    Lcole enfantine, un sas vers lcole primaire Pour mettre en vidence la mission spcifique de lcole enfantine, nous nous appuyons sur des documents officiels rcents franais (du Ministre de lEducation Nationale, MEN)5 et suisses romands (de la Confrence des Directeurs de linstruction Publique, Suisse romande et Tessin, CDIP, du Dpartement de lInstruction publique genevois, de la Confrence Intercantonale de lInstruction publique de la Suisse romande et du Tessin, CIIP)6. Les documents, suisses ou franais, donnent le cadre de la mission de lcole enfantine en loprationnalisant divers niveaux en contenus, en objectifs, en activits, voire en attentes de fin de cycle souvent exprimes en termes de comptences. Ils sont officiellement dits par lautorit scolaire et prioritairement, mais non exclusivement, destins aux enseignants. Bien que diffrents, ne serait-ce que par leur organisation, ces documents convergent sur de nombreux points. Avant dentrer en matire sur les convergences, il sagit de prciser une dimension institutionnelle concernant la Suisse romande, dont lorganisation rend une dmarche comparative dlicate. On observe que lcole primaire en France sorganise en deux entits bien distinctes et historiquement marques: lcole maternelle et lcole lmentaire. Les cycles dapprentissages respectent ce dcoupage. Au nombre de trois, lcole maternelle constitue le premier cycle: le cycle des apprentissages premiers. Cela implique que les enfants de 2 5ans se trouvent runis dans un cycle, et quun programme concerne explicitement ce cycle depuis 1995. Prcisons que les deux autres cycles sont le cycle des apprentissages fondamentaux et celui des approfondissements. En Suisse romande, lcole primaire est obligatoire au niveau fdral, mais son organisation et son programme incombent aux cantons. Elle commence ds 6 ans; ce qui prcde relve de la scolarit facultative, lcole enfantine, ou dinstitutions prscolaires supposant diffrentes modalits de garde, comme les jardins denfants. Seule lcole enfantine est rattache lcole primaire. Prsente depuis une quinzaine dannes seulement dans tous les cantons romands, lcole enfantine, toujours facultative, accueille les enfants de 5 ans et, dans certains cantons seulement, ds 4 ans (cest le cas dans le canton de Genve). La ralit institutionnelle de lcole enfantine implique que son histoire est parfois rcente ou dj ancienne, comme cest le cas Genve, o lcole des petits devient obligatoire en mme temps que lcole primaire, cest--dire en 1872. La parution, en 1992, dun programme romand de vingt-huit pages constitue de ce point de vue un vnement marquant (CDIP, 1992). Avec lorganisation de lcole romande7 en cycles, les lves de 4 8 ans se trouvent dsormais runis. En consquence, les objectifs et les attentes du premier cycle fournissent des balises8 qui indiquent ce que les lves doivent matriser 8 ans. Il nest pas spcifi ce qui est attendu des lves de 4 ou 5 ans. En consquence, entre les programmes franais et

    5 La mission de lcole maternelle franaise est tudie travers les ouvrages Programmes de lcole primaire (MEN, 1995) et Quapprend-on lcole maternelle? (MEN, 2002). 6 Pour la Suisse romande, Objectifs et activits prscolaires (CDIP, 1992), Les objectifs dapprentissage de lcole primaire genevoise (DIP, 2000) et Le Plan Cadre Romand, dit le PECARO (CIIP, 2004). Les deux derniers documents dfinissent les orientations, pour le premier, de lcole primaire genevoise et, pour le second, de lcole obligatoire suisse romande. 7 Prvu par les conditions cadres du PECARO, le cycle 4-8 ans reste programmatique pour certains cantons. Dans le canton de Genve, il est officiel depuis 2001 (Objectifs dapprentissage de lcole genevoise, lettre de la Prsidente du Dpartement de lInstruction Publique, DIP, 2000). 8 Dans le langage courant, une balise marque un trac pour signaler quelque chose, un ventuel danger ou dlimiter une voie. Dans le prsent texte, une balise constitue une description des savoir-faire dont llve doit tre capable la fin dun cycle.

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    suisses romands, les informations les plus rcentes dont nous disposons ne se recouvrent pas du point de vue de lge. A souligner que les programmes romands rcents ne font aucune mention des lves les plus jeunes, comme si aucune spcificit ne caractrisait leur accueil. Notre perspective tant justement de cibler cette tranche dge prcdant un enseignement systmatique, nous nous centrons prioritairement sur le mince fascicule Objectifs et activits prscolaires (CDIP, 1992) afin danalyser la mission de lcole premire. La mission ducative de socialisation la vie communautaire, complmentaire aux familles et en collaboration avec elles, est tout fait centrale. Vivre ensemble (MEN, 1995; 2002, p. 64), la socialisation de lenfant [] dans la classe (CDIP, 1992, p. 5) amnent le jeune colier en herbe changer, cooprer avec ses pairs. Il prend conscience de sa place dans un groupe avec un enseignant. Il apprend exister dans une communaut, car moins immdiatement et seulement centr sur ses besoins individuels. Il sinitie la patience, lattention et la concentration. Par lapprentissage de lautonomie pour shabiller, pour se dplacer dans lcole, pour le choix des activits scolaires, il construit sa personnalit dans un espace protg et rgl. Ces rgles se vivent, se discutent et slaborent ensemble. Selon les moments de la journe et les rgles dictes, lespace de la classe sorganise en activits diverses spatialement signales faisant place des occupations individuelles ou de groupe que les lves peuvent librement choisir. Occasions dexpriences sensorielles, motrices et langagires, les activits langagires, artistiques, physiques, de dcouverte du monde contribuent conjointement au dveloppement affectif, psychomoteur et cognitif de lenfant. La mission essentiellement ducative est dfinie de manire holistique favorisant le dveloppement global de lenfant. Accueillant en principe et de fait la grande majorit des lves dune ou de plusieurs classes dge, lcole enfantine joue un rle de dtection et de prvention de difficults psychophysiologiques ou des handicaps. Par rapport la sant, le dveloppement optimal harmonieux (MEN, 2002, p. 58) de lenfant, son panouissement (CDIP, 1992, p. 3) passe par des aides dautres professionnels, que lcole nassume pas elle-mme, mais facilite. Ce dveloppement passe par une ducation lhygine et la propret. Lhoraire indique les principales bornes, telles que les heures douverture et de fermeture de lcole, la part de jeux extrieurs et le moment des repas. Il ne se dcompose pas en tranches horaires plus prcises. Des regroupements dactivits doivent tre respects; on prcise des pondrations indiquant la part que chacun de ces regroupements doit occuper. Le programme est indicatif et ne dlimite pas des notions acqurir. Dans les programmes tudis, ces regroupements sorganisent par champs dactivits (CDIP, 1992, p. 7) ou en domaines dactivits (MEN, 2002, p. 61) entre eux inter relis. Champs ou domaines, ils sont essentiels au dveloppement de lenfant et constituent un socle pour les apprentissages prsents. Ces premiers apprentissages profilent les apprentissages ultrieurs de lcole primaire organiss en disciplines scolaires. Pour montrer les logiques, les convergences et les diffrences de contenus dapprentissage, nous exposons lessentiel des deux programmes spcifiques: dabord celui de lcole maternelle franaise, ensuite celui de lcole enfantine suisse romande. Lcole maternelle. Le programme de lcole maternelle dfinit cinq domaines dactivits: 1. Le langage au cur des apprentissages; 2. Vivre ensemble; 3. Agir et sexprimer avec son corps; 4. Dcouvrir le monde; 5. La sensibilit, limagination, la cration.

    1. Le langage au cur des apprentissages se dcompose en diffrents lments plus ou moins organiss. Mme si la dimension transversale du langage et de la communication en classe saffirme travers le terme au cur, on identifie cependant un domaine disciplinaire du franais constitu par la prise de parole en classe, le rappel et lvocation, la description; par lentre dans lcrit, la familiarisation avec

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    ses fonctions; par la construction dune culture littraire; la matrise du franais pour les allophones.

    2. Vivre ensemble illustre un aspect de la mission ducative: accueillir lenfant pour quil trouve sa place; crer les conditions la construction de sa personnalit dans un collectif; changer et communiquer part entire dans les diffrentes situations.

    3. Agir et sexprimer avec son corps contribue au dveloppement psychomoteur et la sant physique. Les lves apprennent se dplacer, sorienter dans lespace et connatre leur corps. Ils expriment leurs sensations et leurs sentiments travers le langage, mais galement travers lexpression plastique.

    4. Dcouvrir le monde est un domaine trs composite. A travers des expriences diversifies, lenfant dcouvre activement ce qui lentoure. Le rle de ladulte consiste anticiper ces possibles expriences et servir de mdiateur propos de divers matriaux, documents et images. Ce domaine regroupe la fois lducation des perceptions, la dcouverte du monde du vivant et de lenvironnement, lducation la sant, la scurit routire et lhygine. A remarquer que linitiation aux mathmatiques en fait galement partie. Mme si la matire nest pas explicitement nomme, les contenus cits ne laissent aucun doute, car il sagit de faire construire une reprsentation de lespace, de dcouvrir les formes et les grandeurs, ainsi que dune approche des quantits et des nombres.

    5. La sensibilit, limagination et la cration runissent le regard et le geste et lcoute et la voix, cest--dire des sollicitations sensorielles complmentaires (p. 138), dune part visuelles et tactiles et dautre part auditives et vocales. Lapproche sensible est un moyen dapprendre non encore diffrenci de lapproche rationnelle et qui favorise la diffrenciation, notamment travers lvocation et lexpression des sensations et sentiments.

    Jadis regroupes par matires (Luc, 1982), les cinq domaines sont dfinis de manire trs globale tout en intgrant dj des composantes disciplinaires. Sans les nommer en termes de contenus prcis denseignement/apprentissage, le mode dexposition engendre tout de mme leur identification par le lecteur. Cette manire de fdrer des contenus entre eux montre des rapprochements possibles lintrieur dun mme domaine ou entre domaines. De plus, exprimer les finalits et objectifs du programme de manire regroupe favorise lnumration des comptences que llve devrait matriser la fin de lcole maternelle, cest--dire la fin du cycle 1. Une telle numration conclut chacun des chapitres prsentant chacun des domaines. Ce qui signifie qu la fin de lcole maternelle dj, tout comme lcole lmentaire, llve devrait pouvoir attester de ses apprentissages. Il est cependant prcis quil sagit dindication et que cest la progression de llve qui importe. Ce qui est souligner, cest le caractre public du programme, ainsi que les attentes de fin de cycle. Autre lment souligner, chacun des domaines comporte un paragraphe sur les activits langagires dvocation ou dexposition. Le dveloppement des capacits langagires traverse toutes les activits. Le franais est prsent partout sans quil apparaisse en tant que matire scolaire, puisque Quapprend-on lcole maternelle renonce une prsentation explicite des contenus et des notions. Cette omniprsence du franais est galement souligne dans la prface. En montrant ce quil y a de neuf dans les programmes, le Ministre de lducation Jack Lang met, sa faon, un accent particulier sur la matrise de la langue franaise: la langue nationale nous construit et nous runit. Chaque enfant doit pouvoir entrer dans cette maison commune, sy sentir laise, chez lui (MEN, 2002, p. 8). Le pouvoir dintgration civique et le sentiment dappartenance nationale sont incontestablement attribus la langue franaise, qui reste une valeur indiscute et indiscutable, indpendamment des ethnies et des communauts vivant en France. On note cependant une ouverture aux langues par une rfrence des activits interculturelles.

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    Lcole enfantine. Dcomposs en 6 champs dactivits, dgales importances, ces champs dfinissent des contenus denseignement. Enumrs lun la suite de lautre, nous dit-on, dans le seul ordre impos par leur exposition, ils sont complmentaires. Il incombe lenseignant de les intgrer dans des activits significatives pour lenfant.

    1. Les activits de socialisation visent des finalits ducatives telles que lautonomie de lenfant. Capable dinitiative et de rsolution de tche quant son propre bien tre, lenfant est acteur de sa vie. Dautres finalits sont diriges vers les autres: le respect dautrui et le dveloppement de lesprit de solidarit (CDIP, 1992, p. 8). La prise en compte progressive de lautre et la diffrenciation des points de vue sont des valeurs dintgration garante du lien social. Apprendre vivre dans une communaut participe la transmission de valeurs sociales tout en affirmant la place de lindividu responsable de lui-mme.

    2. Les activits langagires se fixent le dveloppement dune comptence langagire dj acquise par lenfant dans son milieu familial. Expression orale libre, approche du monde de lcrit, intrt pour le langage crit reprsentent les accents principaux de ce champ. La fonction communicative de lcrit et la dcouverte de toutes sortes dcrits doivent susciter lintrt pour le sens de lcrit qui conduit lenfant vers lcrit personnel. Largument pour le dveloppement des connaissances langagires nouvelles sappuie sur le dveloppement personnel de lenfant.

    3. Les activits artistiques regroupent les activits cratrices manuelles et musicales. Stimuler limagination cratrice de lenfant, dcouvrir un registre aussi vaste que possible de moyens dexpression (CDIP, 1992, p. 12) et sexprimer personnellement constituent les objectifs essentiels. Surtout orientes vers lexpression de soi lcoute de soi, le dveloppement harmonieux de la personnalit et du corps, les activits artistiques participent la construction de la vision du monde de lenfant. Ainsi nommes par les prescripteurs, les activits cratrices manuelles, pointent dune part la crativit dont lenfant se voit dot ds le dbut du 20e sicle et dautre part lducation de la main dont lorientation est artisanale et professionnelle: plus ancienne, lorigine remonte Pestalozzi et Frbel.

    4. Les activits dexploration de lenvironnement sont loccasion dune approche du milieu social et naturel, dans la perspective de mieux le comprendre et de le respecter. La dcouverte de phnomnes physiques aiguisant la curiosit enfantine et louverture des cultures loignes engendrent une prise de conscience de la ralit entourant lenfant. Lobservation fine, la recherche et la consultation de documents, ainsi que lorganisation de systmes de notation ouvrent lhorizon et offrent des possibilits de communiquer les dcouvertes et de dcouvrir les fonctions de lcrit.

    5. Les activits mathmatiques [] participent au dveloppement et la structuration des potentialits intellectuelles de lenfant. Raisonnement logique, capacit se situer, classement et reprsentation symbolise sont cits comme lment de structuration. Il est question daider laborer un langage mathmatique et se forger des outils de pense. Comme pour le champ prcdent, la sensibilisation de lenfant la reprsentation et lusage pertinent dune symbolisation apparat galement dans le chapitre des activits mathmatiques.

    6. Les activits corporelles se dfinissent dans une perspective de dveloppement psychomoteur global et contribuent lpanouissement complet de la personnalit de lenfant. Activits de motricit globale en vue de dvelopper lagilit, lquilibre et

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    denrichir lexpression corporelle. Il sagit galement de promouvoir une bonne tenue et ventuellement de corriger une mauvaise posture. Quant aux activits de motricits fines, elles visent lducation de la prcision du geste et de lhabilet. La familiarisation de lenfant des outils: aiguilles, ciseaux, marteaux et instruments scripteurs est prconise. Lducation de la main travers lutilisation doutils ressort comme une finalit spcifique par rapport celle du corps. Dans la prsentation de ce champ, associ la crativit et lexpressivit, on mentionne la volont et le courage, deux valeurs morales prise lcole, comme dans le monde civil.

    Le programme suisse romand fait directement rfrence aux matires scolaires travers lnumration dactivits. Non seulement expose du point de vue de lenfant, lapproche se veut galement interdisciplinaire (p. 20). A titre dexemple, certaines activits sont illustres; larges et porteuses de sens, elles consistent en activits finalises dont le produit est perceptible et comprhensible pour le jeune lve: parmi elles, la fabrication dune salade de fruits pour des invits (parents ou correspondants). Cette activit intgre les objectifs de socialisation, se prte des activits langagires (tablir la liste des achats, comprendre et utiliser un lexique spcifique), mathmatiques (valuer des quantits, partager, compter), corporelles (matriser les gestes pour couper, peler, etc.) et dexploration de lenvironnement (dcouvrir les proprits physiques des fruits et affiner les perceptions). Linterdisciplinarit entre champs voulue par les concepteurs se prcise ainsi: Leurs complmentarits [celles des champs] priment leurs spcificits. (p. 6). Elle nest pas ici une mobilisation des savoirs spcifiques de plusieurs disciplines, qui participe la construction de nouveaux savoirs. Ce sont les dimensions complmentaires, en relation les uns avec les autres, que lenseignant a pour charge de faire comprendre et accepter. Lactivit exemplifie ci-dessus renvoie davantage aux centres dintrts qui autour dun mme thme se prtent des approches coloration disciplinaire. Une diffrence notable cependant: en fdrant diverses sous activits entre elles, lactivit, dfinie comme une situation dapprentissage, dbouche sur un produit visible qui dans lexemple voqu se savoure de manire conviviale et partage, ralisant une finalit socialisatrice. Une mission de socialisation lcole La prsentation des deux programmes montre des diffrences et des convergences indicatives de lapprendre lcole enfantine. Commenons par mettre plus particulirement en vidence certaines diffrences. La diffrence la plus notable concerne la place de la langue franaise, en particulier par rapport celle des activits mathmatiques. Dans le programme de lcole maternelle franaise, le langage et le franais constituent une priorit systmatiquement affirme dans tous les domaines. En Suisse romande, mme si les activits langagires sont transversales, laccent est nanmoins diffrent. La rfrence au code de lcrit saccompagne dautres activits de symbolisation. La construction de divers systmes de notation pour communiquer travers des dessins, des tiquettes, des symboles est un choix explicit plusieurs reprises: les activits aident lenfant [] communiquer en utilisant quelques techniques appropries, laborer un langage mathmatique et se forger des outils de penses (CDIP, 1992, p. 16). Ou encore les activits permettent [] dorganiser progressivement des systmes de notations lui [ lenfant] permettant de stabiliser et de communiquer ses dcouvertes (CDIP, 1992, p. 15). Le programme franais laisse les activits mathmatiques larrire plan au profit des activits langagires. Ainsi dans louvrage franais, se reprer dans lespace figure dans le domaine Le langage au cur des apprentissages et donne lieu des activits de

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    dnomination. Le thme est repris dans le domaine dcouvrir le monde; il y est question de dplacement, de reprsentations dobjets et de codage. Dans le mme paragraphe, on passe de se situer dans lespace gographique se situer dans un texte et dans un document. On ne vise pas la construction dune reprsentation de lespace dans une perspective disciplinaire dinitiation aux mathmatiques. Le fascicule suisse romand mentionne ces activits dans le champ mathmatique avec pour objectifs: dcouvrir, explorer lespace et sy orienter en variant les points de rfrence (positions relatives, dplacement, parcours). Lexploration de lenvironnement et les mathmatiques ont une importance gale aux activits langagires dans le programme romand9, alors que le franais domine dans le programme franais. Dans Objectifs et activits prscolaires (CDIP, 1992), une trs grande place est accorde lexpression de lenfant en tant que personne subjective. Sexprimer et apprendre mieux sexprimer est un leitmotiv; la construction de sa propre subjectivit un thme rcurrent. Rien de tel en ce qui concerne lcole maternelle franaise. Certes la construction de la personnalit de lenfant est un objectif affirm, mais il est moins question de sa subjectivit ou de lexpression de sa subjectivit. On parle de manire gnrique de lenfant. Laccent est davantage mis sur la classe, le groupe et sur lcole maternelle. La socialisation comporte une dimension communautaire. Cette diffrence pourrait sexpliquer par la diffrence de gnration des documents; en dix ans, les attentes concernant lintgration sociale ont chang. On note dans le rcent projet de programme officiel de lcole primaire romande lentre de lducation citoyenne comme un domaine socital de formation de la personne. La conception des objectifs en champs ou domaines dactivits est proche, de mme que les groupes dactivits dlimits; ce qui diffre cependant cest laffirmation dune approche interdisciplinaire. Dans le programme franais rien de tel, les activits sont conues de manire globale, non disciplinaire (MEN, 2002, p. 121) et donnent lieu des expriences. Chaque domaine est loccasion, pour lenfant, dorganiser le monde dans lequel il vit, de construire les catgories qui rassemblent ou diffrencient les objets qui lentourent en apprenant tenir compte des critres qui les distinguent (MEN, 2002, p. 62). Le mouvement qui se dgage de la conception franaise est un mouvement dun tout peu diffrenci et qui se diffrencie peu peu par laction de lenfant et par son exprience. La structuration disciplinaire progressive fait partie du programme de lcole primaire: Les divers champs disciplinaires nmergent que progressivement tout au long de lcole primaire. Ils nexistent pas lcole maternelle (prambule commun aux trois cycles, MEN, 2002, p. 48). Cette conception se manifeste galement dans le programme suisse romand: partir de situations larges, ouvertes et authentiques, lenfant dveloppe ses capacits qui se spcifient dans des sous-activits. Le terme interdisciplinaire semble plus dordre mtaphorique; il ne constitue pas un principe organisateur de lcole enfantine. Mis part une certaine convergence des contenus et leurs regroupements en thmatiques globales qui favorisent une proximit avec lexprience des lves tout en ouvrant la porte des possibles spcifications, on peut relever que lorientation dominante concerne les apprentissages cognitifs. Ces apprentissages cognitifs se structurent en vue des disciplines scolaires de lcole primaire. De plus, il ressort clairement que les domaines ou champs dactivits entrent dans le canon habituel des disciplines scolaires (le terme de canon est emprunt Tenorth, 1999 ): ce canon tend diffrencier le domaine des langues, des mathmatiques, des sciences de la nature, des sciences sociales, de lducation artistique et manuelle, de lducation physique. Dautres aspects montrent des convergences propres lcole enfantine: un programme officiel indicatif, non contraignant pour llve, qui fait place au jeu; une conception de

    9 Cette gale importance dans les programmes ne se retrouve pas dans les indications de temps horaires donnes aux enseignants. Et encore moins dans le temps effectif allou aux diffrentes activits dans les classes.

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    lenfant, du rle de lenseignant, ainsi que des situations dapprentissage. Nous allons les reprendre un un. Un programme indicatif: place au jeu! Pour la Suisse romande, le programme se dfinit comme non rigide, lcole enfantine nayant pas le suivre la lettre. Elle doit sadapter aux possibilits et aux motivations de lenfant (CDIP, 1992, p. 6). Concernant la France, Le programme de lcole maternelle nest pas encadr par un horaire contraignant, [] il fixe les objectifs atteindre , (MEN, 2002, p. 16). Lide de dveloppement de lenfant se conoit partir de lui; elle soppose celle de programme ou dune quelconque programmation manant dune instance extrieure. A ce titre, le programme, tout officiel quil soit, ne peut tre quindicatif. Cest dire que les activits de lcole des petits sont les activits de lenfant. Impulse par lui ou partir de lui, suivant ses motivations et dcouvertes, son activit se droule selon un programme qui est surtout le sien. Puisquun programme cadre tout de mme les activits, il sagit pour lenseignant dagir en sorte que llve y entre afin que les activits soient compatibles avec un projet ducatif officiellement et institutionnellement conu. Parmi ces activits et pour faire aussi une place lactivit libre de llve, il est fait rfrence des jeux. Elle nous semble indicatrice du caractre particulier du programme de lcole des petits. Regardons comment lactivit de jeu apparat dans les programmes officiels tudis. Le jeu lcole maternelle. Dans Quapprend-on lcole maternelle? (2002), on peut lire:

    Le jeu est lactivit normale de lenfant. Il conduit une multiplicit dexpriences sensorielles, motrices, affectives, intellectuelles Il permet lexploration des milieux de vie, laction dans ou sur le monde proche, limitation dautrui, linvention de gestes nouveaux, la communication dans toutes ses dimensions verbales ou non verbales, le repli sur soi favorable lobservation et la rflexion, la dcouverte des richesses des univers imaginaires Il est le point de dpart de nombreuses situations didactiques proposes par lenseignant. Il se prolonge vers des apprentissages qui, pour tre plus structurs, nen demeurent pas moins ludiques. (MEN, 2002, p. 61-62)

    Cette longue citation met en vidence deux choses essentielles: la premire concerne lenfant. Le jeu permet lexploration, les dcouvertes, linvention de lenfant. Il est la base de toute exprience, caractrise le mouvement de lenfant vers le monde extrieur. Par lactivit que lenfant dploie travers le jeu, il extriorise ses gestes et montre ses capacits. Comme le jeu permet limitation, le repli sur soi pour observer et rflchir, il rgit linteraction monde matriel / social et lenfant. En tant que jeu finalis par lui-mme, il peut devenir exercice moteur et contribuer la maturation (MEN, 2002, p. 59) biologique du tout petit. Tout aussi essentielle, la deuxime chose concerne lautre, ladulte, lenseignant dans notre cas. Il greffe son action sur les capacits manifestes par lenfant et propose des activits dites didactiques, cest--dire plus structures, favorisant les apprentissages. Il sagit de linteraction enfant adulte ou lve enseignant. Laction de lenseignant se situe dans le prolongement de lactivit de llve, dans une continuit qui rompt la logique qui lui est propre, mettant ses capacits en tension avec des exigences extrieures. Ce mouvement dinterrogation de lentourage montre une autre fonction du jeu: celle dancrer laction de lentourage. Espace daction et dappropriation intriorisante, le jeu favorise galement un mouvement de dcouverte organis de lextrieur. Toujours dans le programme franais, le jeu dsigne une activit ludique individuelle ou partage. Jouer pour avoir du plaisir, le jeu ntant considr quen seconde instance. Parfois, il est fait rfrence lorganisation des activits: des situations organises comme des jeux (MEN, 2002, p. 110). Il est alors question des rgles et de leur caractre itratif. Le sens du

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    jeu comme structure donner aux situations denseignement/apprentissage apparat dans le chapitre Agir et sexprimer avec son corps. Le jeu semble galement parfois sujet controverses. Dans le programme de 1995, le rle organisateur du matre est affirm. Il ne sagit visiblement pas de laisser les lves livrs leurs jeux propres. Sans tre exclusive, lactivit de jeu est fondamentale cet gard [ lgard du dveloppement global de lenfant]. Tous les types de jeux nont cependant pas la mme fonction et il incombe au matre de dfinir clairement la nature et la finalit de lactivit retenue (MEN, 1995, p. 17). La mise en garde en rfrence au rle du matre et la finalit de lactivit montre quen maternelle la finalit du jeu nest pas le seul jeu libre. Le jeu lcole enfantine. Il est question du jeu deux reprises dans le fascicule romand Objectifs et activits prscolaires (CDIP, 1992). Dans la partie dfinissant les principes didactiques, le jeu renvoie une activit gnrique de lenfant. Le jeu, mode daction le plus spontan de lenfant, est privilgier. Il sert notamment lapproche du symbolisme sous ses diffrentes formes: projection du vcu de lenfant, expression de son imaginaire, confrontation entre son monde intrieur et la ralit (CDIP, 1992, p. 6). Prsent ainsi, le jeu constitue un but en soi. Le monde intrieur de lenfant sy exprime. Le jeu participe de ce mouvement dj mis en vidence plus haut de lintrieur vers lextrieur. A travers cette activit, lenfant se confronte au monde extrieur, au monde matriel/social; la relation autrui, en loccurrence lenseignant, est efface. Cependant prsent, sous forme passive travers le prdicat privilgier, le rle de lenseignant consiste mettre en place des jeux sans ncessairement y intervenir. Relevons galement que lapproche symbolique laquelle il est fait rfrence semble consister en une symbolisation spontanment gnre par lenfant. Son caractre conventionnel et donc culturel et social qui indiquerait un mouvement de lextrieur vers lintrieur napparat pas. Toujours dans le mme fascicule, la seconde fois o il est question du jeu, cest dans le chapitre sur les Activits mathmatiques. Le jeu y prend un sens plus large. A ct du jeu spontan, dautres jeux renvoyant des pratiques sociales sont voqus: A travers le jeu spontan comme par le canal de jeux de socit et de jeux ducatifs, lenfant est amen dvelopper son raisonnement logique, sa capacit de situer, classer, ordonner, comprendre et reprsenter une situation (CDIP, 1992, p. 16). Dans cette dernire citation, largumentation par rapport lintrt du jeu est moins solipsiste, plus ducative et plus sociale. Cependant linteraction prise en compte reste celle de lenfant et dun milieu qui rtroagit; ce milieu semble inanim. Lenfant y agit ce qui lamne spontanment classer, comprendre et surtout se reprsenter une situation. Lentre dans le monde de la reprsentation et du raisonnement ne semble pas faire lobjet dune ncessaire mdiation extrieure et intentionnelle. Si lon peut observer des convergences concernant la fonction psychologique du jeu et la relative polysmie du terme qui renvoie des activits multiples et diffrentes, on constate galement dimportantes diffrences dorientations. Dans la conception du programme de lcole maternelle franaise, la relation enfant-adulte-jeu est triadique, alors que pour lcole enfantine romande, elle apparat comme dyadique: lenfant et le jeu. La symbolisation semble sy construire delle-mme, par maturation ou par adaptation. Dans les programmes franais, il nest pas fait explicitement rfrence la construction des symboles et des signes. Par contre, la mise en garde du programme franais de 1995 porte sur cet automatisme naturel, spontan, de la construction des notations. Cest au matre de dfinir la finalit de lactivit de jeu et de limiter la part dvolue au jeu spontan. Porteur des intentions ducatives, il est lorganisateur des activits en classe. Le rapport jeu libre et jeu dirig montre une tension entre ce qui mane de lenfant, son programme dveloppemental et ce qui incombe linstitution dj scolaire, son programme

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    institutionnel. Cette tension entre ce qui appartient la maturation de lenfant et la mdiation sociale nous parat propre la petite cole. Poursuivant notre analyse, nous reprons ce qui est dit de lenfant, de son dveloppement et de ses apprentissages. Quel enfant se dessine-t-il dans les programmes? Cette analyse approfondira la nature du rapport enfant-jeu, enfant-monde. Le discours sur lenfant Dans les programmes, il est constamment fait rfrence lenfant. A travers les discours, quelles sont les principales caractristiques de lenfant de lcole maternelle ou enfantine? Comment apprend-il? Quel rle les autres lves et les adultes ont-ils dans les apprentissages? Les traits de lenfant sont-elles les mmes en France et en Suisse romande? Regardons plus prcisment ce quil en est. Lenfant de lcole maternelle. Commenons par observer comment lapprenant est dsign dans les programmes de lcole maternelle franaise. Largement dominant, le nom denfant jalonne les deux programmes de 1995 et de 2002; il est parfois question du petit enfant, du jeune enfant, des tout-petits ou des petits lorsquil sagit de dsigner ceux de 2 ou 3 ans qui entrent lcole maternelle. Rare dans la partie prsentation gnrale de la mission de lcole maternelle, lve apparat plus frquemment, mais nettement moins souvent quenfant, dans la partie des domaines dactivits. lves, au pluriel est aussi utilis pour dsigner le collectif au mme titre qulve ou pour spcifier un sous-groupe par exemple les allophones. On relvera lusage: devenir lve (MEN, 2002, p. 100) qui sert dcrire le comportement attendu consistant participer la ralisation de projets, la prise de responsabilit et la capacit de collaboration. Limportante transformation de lenfant en lve que lcole maternelle engendre est exprime ainsi: il deviendra progressivement un colier qui aime apprendre (MEN, 2002, p. 57). Les traits principaux de cet colier en devenir sont les suivants. Lenfant de lcole maternelle est fragile. Il a besoin de protection et daccompagnement. Cest un tre de perception qui sent et capte ce qui lentoure de tout son corps. Ouvert, il est sensible ce qui lentoure et attire son attention. Son apprhension du monde travers tous ses sens, globale, est encore peu diffrencie. Mallable, sa perception est rceptive au dveloppement. Lenfant a besoin dactivit physique pour laborer son rpertoire moteur de base. Peu coordonne, celle-ci doit se structurer et saffiner dans la prcision des mouvements. Lenfant de lcole maternelle est actif: on le dcrit explorateur, susceptible dlargir ses expriences et de faire des dcouvertes. Une srie de verbes dactions dsigne cette capacit lactivit: il cherche, invente, transforme, range, classe, manipule, observe, cherche, distingue, compare, sinterroge, sexprime La liste nest pas exhaustive. Cet veil aux expriences sensibles et cette curiosit vivre doivent cependant tre canaliss pour tre dpasss. En particulier par lvocation de ses expriences et le dveloppement des capacits communicatives. Cette magnifique disponibilit et ouverture au monde comporte cependant des limites. Habitu communiquer avec un entourage familier, lenfant ne se fait pas comprendre dans lunivers nouveau que reprsente lcole maternelle. Son langage, peu labor, gestuel et surtout implicite, se heurte lincomprhension dautres enfants et adultes qui ne partagent pas les mmes expriences et les mmes connaissances. Egalement limit dans les expriences vcues, son univers ncessite un largissement travers des rencontres avec dautres pairs et adultes et des environnements matriels nouveaux et diversifis. Pris par son propre rythme de dveloppement et des besoins limits son univers familier, lenfant de 3 5 ans dcouvre les rythmes et les besoins dun autre milieu. Il se confronte aux exigences

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    dun lieu organis, dune institution avec ses rgles et ses codes. Capable dimitation, il dcouvre ses propres limites, quil apprend exprimer. Encore indiffrencies, la sensibilit, la comprhension, limagination et lintelligence rationnelle sont des capacits qui se nuancent travers lapprentissage lobservation, la patience, lattention et la formulation des interrogations. Lenfant, par la frquentation de lcole maternelle, se dote dune premire mthodologie pour apprendre (p. 67) pour devenir cet colier qui aime apprendre. Lenfant de lcole maternelle est un colier apprenant. Dot dun potentiel et dune dynamique propres, lenfant se transforme en apprenant par sa participation et son intgration cette premire cole. Retenons lide dun dveloppement propre et interne lenfant aliment par sa confrontation un monde extrieur organis qui rend possible une telle transformation. Par monde extrieur, il faut entendre conjointement le monde physique matriel, le monde culturel des arts, des savoirs et le monde des autres, pairs et adultes. Lenfant apprend par les autres, en particulier mieux parler, mais nous reviendrons plus loin plus systmatiquement sur le rle mdiateur des autres. Dans Quapprend-on lcole maternelle? (MEN, 1995), le terme maturation est trs rarement utilis, mais nanmoins prsent. Il dsigne la maturation motrice, le dveloppement physique de lenfant. Cette part biologique reste cependant larrire-plan. Dernier lment que nous voudrions souligner: dans les programmes franais pour lcole maternelle, lentre dans la symbolisation et la construction de la notation des symboles et des signes napparat pas explicitement. Il est parfois question de construction de reprsentations. Cette construction est prise dans un sens gnral et semble se dvelopper par une activit dnonciation et dvocation de la part de llve. Llve est appel rencontrer des uvres dart, littraires, dire la suite numrique, utiliser des instruments de mesure du temps. Il nest toutefois pas conduit se centrer sur la construction de leurs codes10. Visiblement, la reprsentation symbolique canonique nappartient pas lcole maternelle et justifie pourquoi la symbolisation, en particulier la diffrence entre symbole et signe et lobstacle cognitif spcifique quils peuvent constituer, ne sont pas plus amplement thmatiss. Lenfant de lcole enfantine. Par son appellation mme, lcole enfantine montre la place faite lenfant. Cest lcole destine aux enfants. Ce terme apparat frquemment dans objectifs et activits prscolaires (CDIP, 1992). Trs localement, on repre le terme lves (par ex. p. 10). Ecolier nest jamais utilis. Cest un enfant en pleine maturation dont on trace les traits. Dj riche dexpriences, il matrise des capacits langagires acquises. Il est dot dune personnalit. Partir de ce quil est et ce quil sait constitue lide organisatrice du texte dans la perspective de lpanouissement et de la socialisation de lenfant. Lducateur est rendu attentif une ncessaire bonne image de soi de lenfant dans ses rapports soi-mme et avec les autres. La confiance en soi, le respect des autres et la solidarit sont les attitudes acqurir pour lintgration la vie communautaire. Actif, lenfant dcouvre, recherche, explore, exprimente, ttonne, invente. Il labore des projets et enrichit le monde de ses reprsentations. Lenfant est acteur de son apprentissage; son autonomie intellectuelle dans la vie courante et lcole en constitue une condition. Etre de perception et de sens, son exprience avec lenvironnement proche favorise

    10 A propos de la