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Titres originaux - exultet.net · Titres originaux:L’obedianza, ... aimer autrement MEP 5/05/09 9:51 Page 2. Raniero Cantalamessa Aimer autrement 2e édition Éditions des Béatitudes

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  • Titres originaux : Lobedianza, Ancora, 1986.Verginit, Ancora, 1986.Povert, Ancora, 1986.

    Traduction de litalien : Sur Marie du Cur Immacul, clarisse.

    ISBN 978-2-84024-202-4

    ditions des BatitudesSocit des uvres Communautaires / janvier 2004

    Burtin - F 41600 Nouan-le-Fuzeliered.beatitudes@wanadoo.frwww.editions-beatitudes.fr

    photos de couverture : Communaut des Batitudes

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  • Raniero Cantalamessa

    Aimer autrement2e dition

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  • ment sur la cause premire, sur Dieu, non sur les causessecondes. Et cest lpoux qui distribue leurs fruits ses amis.Avec lpouse du Cantique, elle dit au Christ : Tous mesfruits exquis... je les ai gards pour toi, mon Bien-aim. (Ct 7, 14) Et lpoux dit : Jentre dans mon jardin, ma sur fiance, je rcolte ma myrrhe et mon baume . Puis sadres-sant aux pcheurs, il dit : Mangez amis, buvez, enivrez-vousmes bien-aims (Ct 5, 1). Lpouse ne veut pas savoir quivont les fruits de sa prire et de sa souffrance. Ils sont l-poux qui les donne qui il veut. Les autres doivent se proc-cuper comment les distribuer et les administrer, elle non.Vraiment, le Seigneur installe en sa maison la femme strile,heureuse mre au milieu de ses fils (Ps 113, 9).

    Celui qui nest pas mari a soucides affaires du Seigneur

    Le deuxime grand texte du Nouveau Testament sur la vir-ginit, ct de Matthieu 19, est le texte de saint Paul dans lapremire lettre aux Corinthiens. Voici ce quil dit : Ellepasse la figure de ce monde. Je voudrais vous voir exempts desoucis. Lhomme qui nest pas mari a souci des affaires duSeigneur. Celui qui sest mari a souci des affaires du monde,des moyens de plaire sa femme ; et le voil partag. Demme la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci desaffaires du Seigneur ; elle cherche tre sainte de corps etdesprit. Celle qui sest marie a souci des affaires du monde,des moyens de plaire son mari. Je dis cela dans votre propreintrt, non pour vous tendre un pige, mais pour vous porter ce qui est digne et qui attache sans partage au Seigneur (1 Co 7, 31-35).

    premire vue, la motivation que saint Paul nous donnede la virginit semble diffrente de celle donne par Jsus.Une motivation, dirait-on subjective, quasi psychologique,

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  • qui a pour centre le bien de lindividu et sa tranquillit, plusque le Rgne de Dieu. Mais il nen est pas ainsi. Il sagit de lamme motivation objective et thologique qui a pour fin Dieuet non nous-mmes. Tous les motifs allgus par lAptrepour choisir la virginit et le clibat se rsument dans lex-pression pour le Seigneur ; ce qui est lquivalent exactaprs la Pque, de lexpression Royaume des Cieux . Onsait quaprs la Pque, lexpression Royaume des Cieux ou Royaume de Dieu si centrale dans la prdication deJsus, disparat presque compltement de la prdication chr-tienne. Nous trouvons sa place le krygme apostoliqueChrist est mort ; il est ressuscit ; il est le Seigneur ! En effet, prsent, cest en cela que consiste justement le Royaume oule Salut. Avant la Pque, Jsus disait : Le temps est accom-pli et le Royaume de Dieu est tout proche ; repentez-vous etcroyez lvangile. (Mc 1, 15) Aprs la Pque, cette annon-ce fondamentale faite dune nouvelle ( le Royaume est arri-v ! ) et dun commandement ( convertissez-vous ), rson-ne dsormais ainsi : Dieu a fait Seigneur et Christ, Jsus... :repentez-vous et que chacun se fasse baptiser... (Ac 2, 36-38).

    Le motif par lequel Paul justifie son exhortation la virgi-nit elle passe la figure de ce monde ! , rappelle ce quenous avons considr plus haut, cest--dire que le temps estaccompli , que dsormais le temps de la fin est inaugur odj il est possible de vivre comme fils de la rsurrection ,selon les modalits du sicle futur.

    Toutefois, il y a une diffrence entre les deux textes, celuide Jsus et celui de Paul, quil est important de noter. Selon lepremier, on ne se marie pas cause du Royaume desCieux , cest--dire pour une cause ; selon lautre, on ne semarie pas pour le Seigneur , cest--dire pour une person-ne. Cest un progrs dans lide de virginit ; il nest cepen-dant pas, d saint Paul, mais Jsus lui-mme qui, entre-

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  • temps, en mourant et ressuscitant pour nous est devenu leSeigneur , lpoux et la tte de lglise, celui qui a aimlglise et sest livr pour elle, afin de la sanctifier en la puri-fiant par le bain deau quune parole accompagne ; car ilvoulait se la prsenter lui-mme toute resplendissante, sanstche ni ride ni rien de tel, mais sainte et immacule (p 5, 25-27).

    Examinons prsent dun peu plus prs les paroles delAptre sur la virginit. Il commence en disant quil voudraitvoir ses fidles exempts de soucis (amerimnous). Si lonsarrte ici, il y a danger ne voir dans la virginit et le cli-bat, quune magnifique occasion davoir une vie tranquille,sans problmes ni soucis. Comme saint Pierre qui, un jour, enentendant les exigences austres du mariage proclames parJsus, scria : Sil en est ainsi, il vaut mieux ne pas semarier ! (cf. Mt 19, 10). Jsus aussi tait de lavis quil y aavantage ne pas se marier, mais pour un motif trs diffrentdu motif goste tel que lentendait lAptre. Et il lexpliqueaussitt en parlant de ceux qui ne se marient pas cause duRoyaume des Cieux.

    En effet, qui ne mettrait sa signature une vie sans soucis ?Les stociens et les picuriens eux-mmes, au temps de Paul,poursuivaient un idal de ce genre quils appelaient de lapa-theia ou de latarassia, cest--dire vivre sans secousses mo-tionnelles ou passionnelles, prts tout sacrifier pour cela jus-quaux joies et aux plaisirs trop intenses.

    Mais faisons attention ce que lAptre ajoute immdiate-ment : Lhomme qui ne sest pas mari, a souci (merimn)des affaires du Seigneur. Singulier contraste et paradoxe : ilvient de dire quil veut ses fils sans soucis , et prsent ildit quil les veut au contraire, tous proccups - et il le ditdeux fois - une fois pour lhomme qui nest pas mari et unefois pour la femme qui nest pas marie. Donc, eux aussi doi-vent se proccuper, mais des affaires du Seigneur . Ce nest

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  • escorte vers Rome pour y subir le martyre, crivait : Il estbon pour moi daller vers mon dclin, en quittant ce mondepour rejoindre Dieu, afin de me lever en lui... Mes passionsterrestres (ros) ont t crucifies. Il ny a plus en moi de dsirqui brle pour les choses terrestres18

    Aussi, il ne faut pas nous tonner si dans la tradition asc-tique et mystique de lglise, la croix a t souvent dfiniecomme lit nuptial o lme sunit son poux divin. Dans ta croix, jai plac mon lit , disait au Christ laBienheureuse Angle de Foligno. Cest laccomplissement dela parole de Jsus : Et moi, une fois lev de terre, jattire-rai tous les hommes moi (Jn 12, 32). Jsus attire les mesqui lont choisi comme poux sur la croix. L se passe la mys-trieuse treinte dont parle le Cantique des cantiques : Sonbras gauche est sous ma tte, et sa droite mtreint (Ct 8, 3).L, se ralise aussi la parole prophtique que nous lisons dansJrmie : Le Seigneur cre du nouveau sur la terre : lafemme recherche son mari (Jr 31, 22). Cette parole se rf-re la communaut de la Nouvelle Alliance, vue commelpouse de Dieu qui nchappera plus son poux pour cou-rir aprs les idoles ; mais ce sera plutt elle qui le recherche-ra, afin de ne plus jamais en tre spare. Cest un vnementqui sest ralis pour lglise entire, dans ce quun Preappelle lextase de la croix , do est ne la nouvelle ve19 ;et qui se renouvelle mystiquement en chaque me pouse duCrucifi, donnant ainsi limage et le symbole de la nouvellealliance nuptiale entre Dieu et son peuple.

    Cet idal de crucifier sa propre chair nest certes pas propreexclusivement aux vierges - loin de nous de le penser ! -, maisil est ouvert tous ceux qui ont reu lEsprit de Dieu. Ceuxqui sont maris doivent aussi passer par le feu de la Pque du

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    18. Saint Ignace dAntioche, Aux Romains 2 et 7.19. Saint Mthode dOlympe, Banquet des dix vierges, 3, 8 ; PG 18, 73 A.

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  • Christ, sils veulent que leur mariage soit vraiment ce grandmystre qui symbolise lunion entre le Christ et lglise. Oet comment cette union se ralise-t-elle entre le Christ et l-glise ? Est-ce dans le lit des dlices, ou nest-ce pas plutt,comme dit saint Paul, dans le sang, sur la croix ? Aussi, luni-t la plus parfaite entre les poux nest pas celle quils exp-rimentent lorsquils se rjouissent ensemble ; cest celle quilsexprimentent lorsquils souffrent ensemble, lun pourlautre, lun avec lautre ; lorsquils saiment dans la souf-france et malgr la souffrance. La premire unit doit servir rendre possible la seconde.

    Je disais donc que crucifier sa propre chair nappartient pasexclusivement aux vierges ; cependant, il leur appartient titre diffrent et plus fort, car ils en ont fait leur forme de vie.Ici rside limmense potentiel asctique deffort, de lutte, demort, de la virginit cause du Royaume. Crucifier sa proprechair avec ses passions et ses dsirs, surtout le dsir sexuelentre tous le plus imprieux, nest pas une plaisanterie, carla chair convoite contre lEsprit (Ga 5, 17). Cest un enne-mi intrieur qui nous poursuit sans trve, de jour comme denuit, seuls ou en compagnie. Il a un alli trs puissant - lemonde - qui met sa disposition toutes ses ressources, tou-jours prt lui donner raison et dfendre ses droits, au nomde la nature, du bon sens, de la bont fondamentale de touteschoses... Cest vraiment ce champ o plus quotidienne est labataille et plus rare la victoire20 . Ils en ont fait lamre exp-rience ces asctes de lesprit de feu, qutaient les moines dudsert, dont certains sous leffet de tentations de la chair,furent pousss jusquau bord du dsespoir. Lun deux racon-te : Durant douze ans, aprs ma cinquantime anne, ledmon na pas laiss de trve ses assauts, ni de jour, ni denuit. Pensant que Dieu mavait abandonn, et que prcisment

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    20. Saint Csaire dArles, Sermon 41, 2 ; CCL, 103, p. 181.

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  • pour cela jtais sous lemprise de lEnnemi, je dcidai defaire une mort draisonnable, plutt que de tomber dans lahonte cause de passions charnelles. Je sortis, et aprs avoirerr dans le dsert, je trouvais lantre dune hyne ; dans cettetanire, je me tins nu durant le jour, afin que les btes frocesen sortant me dvorent . Aprs diverses tentatives de cettesorte, il entendit une voix lui venir lesprit lui disant : Va,Pacme, lutte ; jai fait en sorte que tu sois domin parlEnnemi, afin que tu ne tenorgueillisses pas en pensant trefort ; mais au contraire, que tu reconnaisses ta faiblesse, et quesans trop te confier ton rgime de vie, tu recoures laide deDieu21.

    Aujourdhui, cette lutte asctique est vue par certains avecsoupon et taxe de masochisme. Cette accusation nest pas sous-estimer. Mais elle na aucune raison dtre lorsque cettelutte est accepte en toute libert, pour des motifs aussi objec-tifs et profonds que ceux que nous avons mentionns jus-quici. Ne faut-il pas que mme celui qui est mari une cra-ture, lutte et renonce beaucoup de choses, pour dfendre cetamour et lui tre fidle ? Quy a-t-il donc dtrange ce quecelui qui est appel tre poux ou pouse de la Majest deDieu doive affronter une lutte et un renoncement plus radicalet plus exigeant ?

    Ce nest pas ici, le lieu de mtendre sur les formes et lesaspects concrets que doit assumer cette lutte pour la chastet(jy reviendrai plus loin) ; limportant, cest de clarifier sesfondements et sa motivation biblique. Je disais que laspectasctique de renoncement quil y a dans la virginit et le cli-bat, se fonde sur le mystre pascal. Je crois vraiment que rsi-de ici le pourquoi ultime du clibat et de la virginit. Et lecomprendre aide normment surmonter tous ces doutes etces rserves qui ont t mis en avant contre cet tat de vie

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    21. Pallade, Histoire lausiaque, 23, 1981.

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  • chrtiennes. La virginit est un charisme, et le mariage estaussi un charisme. Tous deux sont donc une manifestationparticulire de lEsprit . Comment peut-il y avoir oppositionou incompatibilit, sils viennent tous deux du mmeEsprit ? Dans la notion de charisme et celle, si proche, devocation, les deux formes de vie peuvent finalement saccor-der ensemble et mme sdifier rciproquement. Lune confir-me lautre et ne la dtruit pas. Cest justement parce que lemariage, dans la vision chrtienne, est estim comme unebonne chose et un don spirituel, que la virginit et le clibatsont quelque chose de beau et de grand. Quel mrite y aurait-il, en effet, ne pas se marier, si le mariage tait quelquechose de mauvais ou simplement quelque chose de dangereuxet dconseiller ? Sen abstenir serait un devoir et rien deplus, comme il en est de nimporte quelle occasion de pch.Mais cest prcisment parce que le mariage est beau et bon,quil est encore plus beau dy renoncer pour un motif sup-rieur. Celui qui va entendre un beau concert fait une chosebonne et saine. Mais celui qui renonce y aller par amour,bien que trs attir - par exemple pour rester ct dune per-sonne chre pour quelle se sente moins seule - fait une choseencore meilleure. Cest dans ce sens que saint Paul dit : Celui qui se marie avec sa fiance fait bien, mais celui quine se marie pas fait mieux encore (1 Co 7, 38).

    bien y penser, seul le mariage fait de la virginit unchoix, et seule la virginit fait du mariage un choix. Sans lunede ces deux choses, il ny aurait plus de choix. Et sil y avaitun choix - comme entre le mariage et le prtendu amour libre,entre se marier ou rester clibataire par amour de la libert etdune vie tranquille -, ce serait moralement inacceptable.

    Nous ne disons l rien de nouveau ni de rvolutionnaire.Nous nous rapprochons seulement de la pense et de lattitu-de de Jsus, en dpassant des conditionnements lis des cul-tures et des moments historiques particuliers. LEsprit Saint

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  • ne cesse jamais, dans tous les domaines, de guider lglisevers la connaissance de la vrit toute entire. Saint Irnedisait : Par luvre de lEsprit Saint, la rvlation telle uneliqueur prcieuse renferme dans un vase de valeur, rajeunitcontinuellement et fait aussi rajeunir le vase qui lacontient30 . LEsprit Saint, comme je le disais plus haut, nefait pas de choses nouvelles, mais renouvelle toutes choses. Illes fait rajeunir, il les ramne leur splendeur premire, et ilfait de mme avec le charisme de la virginit consacre.

    Concernant ce rapprochement lesprit et la pense deJsus, je suis trs frapp par le fait que dans lvangile deMatthieu, immdiatement aprs ce quon lit au sujet de ceuxqui ne se marient pas cause du Royaume des Cieux, viennesans transition, et mme relies par un adverbe de temps, lesparoles de Jsus sur les enfants : Alors (!) des petits enfantslui furent prsents pour quil leur impost les mains enpriant ; mais les disciples les rabrourent. Jsus dit alors :Laissez les petits enfants venir moi (Mt 19, 13-14).

    Ainsi les paroles sur la continence volontaire sont inclusesentre les deux grands enseignements de Jsus sur le mariage :lindissolubilit du mariage ( Navez-vous pas lu que leCrateur, ds lorigine, les fit homme et femme... ) et lac-cueil des petits enfants. Ceux-ci sont le fruit du mariage ; ilssont lamour fait chair des deux poux. Accueillir les petitsenfants, comme le fait Jsus, cest accueillir de la manire laplus totale et dans ses implications les plus intimes, la ralitdu mariage. Dire Laissez les petits enfants venir moi ,cela revient dire : Laissez les poux, les papas et lesmamans venir moi . Un papa et une maman savent bienquaccueillir leurs petits enfants, cest comme les accueillireux-mmes, et mme encore plus. Naturellement, tout cela

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    30. Adv. Haer III, 24, 1.

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  • vaut lorsque le mariage lui-mme est vcu dans la foi et selonla volont de Dieu.

    Ce nest que dans la foi que les deux charismes se rencon-trent et sclairent mutuellement. Aussi, le martyr saint Ignaceque nous avons entendu exhorter les vierges tre humbles,exhorte, dans ce mme texte, ceux qui se marient se marier selon le Seigneur . Il crit (nous sommes au dbut du IIesicle) : Il convient que les hommes et les femmes qui semarient contractent leur union avec lapprobation delvque, pour que tout se fasse selon le Seigneur et non selonla convoitise, et que tout se fasse pour lhonneur de Dieu31 .Tout est toujours ramen la mme source, la Seigneurie duChrist. La virginit na de valeur que si elle est embrasse cause du Seigneur ; le mariage na de valeur religieuse quesil est clbr et vcu selon le Seigneur .

    En vue du bien commun

    Mais faisons encore un pas en avant dans cette ligne de ladoctrine des charismes. Le charisme, dit saint Paul, est unemanifestation particulire de lEsprit, en vue du bien com-mun (1 Co 12,7). Saint Pierre affirme la mme chose quandil crit : Chacun selon sa grce (charisma) reue, mettez-vous au service les uns des autres (1 P 4, 10).

    Que signifie tout cela appliqu ce qui nous concerne ?Que le clibat et la virginit sont aussi pour ceux qui semarient et que le mariage est aussi pour ceux qui sont vierges,cest--dire leur avantage. La virginit consacre nest doncpas une affaire prive, un choix personnel de perfection. Aucontraire, elle est en vue du bien commun et au service desautres . Les destinataires du don ne sont que quelques-uns,

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    31. Polycarpe, 5, 2.

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  • tifie ainsi la femme. De compagne et daide semblable lui,la femme devient alors le remord de lhomme, une menaceobscure et un pige. Mais ceci vient du pch et non de Dieu.

    Il faut plutt faire de cet appel dont je parlais, et de cetattrait de lautre sexe, la meilleure part de notre vivant sacri-fice . Se dire soi-mme : Eh bien ! Voil justement ce queje choisis doffrir pour le Royaume et pour le Seigneur ! Etsi, certains moments, surtout dans la jeunesse, cet appel setransforme en tentation, slancer alors courageusement dansla lutte, avec le nom de Jsus dans le cur et sur les lvres,comme de braves soldats vont lassaut, en criant le nom deleur souverain dans la mle.

    Je voudrais, dans ce contexte, dire un mot du problmedlicat de la virginit physique, ou extrieure, et de la virgini-t spirituelle ou intrieure. Lglise a toujours honor la vir-ginit dans son aspect physique et corporel, en lappelant la sainte virginit (sancta virginitas). Il est clair que ce nestpas la virginit en tant que telle qui est sainte , du momentque lon peut demeurer intgre et vierge pour de nombreuxmotifs qui nont rien voir avec la saintet. Dans ce cas, cequi permet de parler de saintet, cest lintention ou le but quipousse rester vierge.

    Quelquefois, on a pu tomber dans lerreur de surestimerlaspect physique dintgrit aussi bien chez la femme quechez lhomme. Par raction, une certaine culture actuelle,comme je le rappelais au dbut, en est arrive lexcs oppo-s de lui dnier toute valeur et mme de la tourner en ridicu-le.

    Que pouvons-nous dire en nous basant sur la Parole deDieu ? Saint Paul nous a dit plus haut que la femme sans mari,cest--dire la vierge, a souci des affaires du Seigneur : ellecherche tre sainte de corps et desprit (1 Co 7, 34).Ntre vierge que dans son corps, cest peu de chose, oumme rien ; tre vierge desprit, cest une belle chose ; mais

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  • tre vierge de corps et desprit, cest une trs belle chose.Dans ce cas, le signe et la signification se rencontrent et secompltent, comme le font entre elles la nature et la grce. ceux-l, lApocalypse rserve le singulier privilge de suivre lAgneau partout o il va (Ap 14, 4) en faisant deuxle symbole des mes totalement fidles qui ne se sont pascompromises avec lidoltrie.

    On doit donc encourager ces mes consacres qui certesnon pas par leurs mrites, mais par un don de Dieu, ont puconserver leur puret et offrir au Seigneur un don intgre. Il ya en effet, en cela, un degr de gloire de Dieu qui nexiste pasailleurs, puisque dit notre ami pote : Ce qui est regagn,dfendu pied pied, repris, gagn, nest point le mme que cequi na jamais t perdu. Et un papier blanchi nest point unpapier blanc. Et un tissu blanchi nest pas une blanche toile.Et une me blanchie nest point une me blanche38 . Il nesagit pas dun tabou, comme le pense lhomme incroyant, ninon plus dun simple privilge ou honneur dont ordinairementest fier celui qui la. Il sagit, au contraire - quand il est libre-ment accueilli - dun sacrifice qui rappelle le sacrifice pri-mordial demand par Dieu ses cratures, de renoncer vou-loir connatre par elles-mmes et par exprience, le bien etle mal . Une chose, en effet, est de renoncer lusage de sasexualit et au plaisir de la chair, aprs lavoir prouv unefois, et autre chose, beaucoup plus exigeante, est de renoncer vouloir lprouver, accepter une exprience fondamentalepour les autres hommes et pour les autres femmes, que toi,librement, pour le Seigneur, tu renonces vouloir connatre.Dieu seul connat le parfum de ce sacrifice qui touche nonseulement le cur ou le corps, mais ltre mme de la cratu-re.

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    38. Charles Pguy, Le mystre des saints Innocents, uvres Potiques, p.804.

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  • Ceci dit, il faut affirmer aussi que la virginit la plusimportante est la virginit spirituelle et que plus quun donreu conserver, elle est quelque chose que lon peut conqu-rir jour aprs jour. Dieu, par sa grce, a transform des pche-resses en ses pouses les plus aimantes et les plus aimes.Cest pourquoi,celui qui na pas pu garder son intgrit phy-sique et son innocence baptismale pour un motif quelconque,ne doit pas passer sa vie de consacr revenir continuellementsur le pass pour examiner en long et en large ses fautes eterreurs commise. De cette manire la situation ne fait quem-pirer, telle la femme qui chemine une cruche deau sur la tte :plus elle y pense et fait attention, plus en fait tomber par terre.

    Il faut au contraire sefforcer de grandir dans la virginitintrieure en laissant tomber de notre cur les dsirs et lesaffections inutiles, parce que la puret du cur peut restituer lme une nouvelle virginit. En un certain sens, on ne natpas vierge, on le devient. Cela ne signifie pas quon puisseaccepter tranquillement nimporte quelle situation, en atten-dant de lamliorer. Au contraire, si une personne na pasatteint un certain quilibre, ni une certaine matrise dans ledomaine de la sexualit, la bonne norme reste celle de luidconseiller un engagement dfinitif dans le clibat ou la vir-ginit.

    Cest justement parce que la virginit essentielle est celledu cur, que la voie de la virginit est en quelque sorte ouver-te tous, mme celui qui est mari ou la t. Sil y en a qui ne se marient pas cause du Royaume des Cieux , il y ena dautres qui pour le mme motif - cest--dire cause duRoyaume des Cieux - ne se remarient pas bien que pouvantle faire. Dans lglise un certain veuvage consacr la famil-le ou aux bonnes uvres, a toujours t grandement honor etplac tout de suite aprs la virginit.

    ce sujet, je veux dire aussi un mot dune autre situationhumaine : celle de personnes qui, sans lavoir choisi, et mme

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  • 1Un renouvellement

    de lobissance dans lEsprit

    Le chapitre 13 de la lettre aux Romains souvre sur untexte clbre sur lobissance : Que chacun, dit-il, se sou-mette aux autorits en charge. Car il ny a point dautorit quine vienne de Dieu, et celles qui existent sont constitues parDieu. Si bien que celui qui rsiste lautorit se rebellecontre lordre tabli par Dieu (Rm 13, 1). La suite du texte,qui parle de glaive et dimpt, ainsi que la comparaison avecdautres textes du Nouveau Testament (comme Tt 3, 1 et 1 P2, 13-15), indiquent clairement que laptre ne parle pas ici delautorit en gnral ou de toute autorit, mais uniquement delautorit civile et de ltat. Il entend donner aux chrtiens desdirectives au sujet de leur insertion correcte dans le monde quiles entoure, o ils sont appels vivre leur vocation. Il y a destraductions modernes de la Bible tout fait autorises(comme la traduction allemande, faite conjointement par lesglises Catholique et Luthrienne) qui prcisent opportun-ment ce sens du texte, en traduisant : Que chacun prtelobissance due aux reprsentants de lautorit de ltat, car

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    1. Voir saint Irne, Adv. Haer. V, 24, 1-4 et Origne, Comm. In Rom., PG 14,1226.

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  • il ny a pas dautorit de ltat qui ne vienne de Dieu. Dailleurs, cest ainsi que ce texte tait compris, au dbut, parles Pres de lglise, lorsque lautorit politique laquelle serfrait saint Paul tait encore en charge1 mme si par la suiteil sest volontiers tendu, de fait et en pratique, toute autori-t, jusqu en faire, en beaucoup de manuels, le fondementmme et, pour ainsi dire, la grande charte de lobissancechrtienne.

    Mais, mme ainsi limit lautorit de ltat, le texte pau-linien na jamais cess dinquiter trs profondment tousceux qui ont cherch le prendre au srieux et en tirer lesconsquences ncessaires, surtout aprs que Luther fonda surcelui-ci la thorie des deux rgnes qui, en pratique, met lepouvoir civil sur le mme plan que celui de lglise, commeune des deux manires - diffrentes mais dgale dignit - parlaquelle Dieu gouverne et dirige directement les affaires de cemonde. En effet, ainsi compris, le texte de Romain 13 cre cequon a appel le point fatal de compromission de la foiavec ce monde (M. Dibelius), et il ouvre la route cettesorte de mtaphysique de ltat qui a souvent conduit, lpoque moderne, idaliser et absolutiser, avec des cons-quences nfastes, lautorit de ltat. Comment peut-on affir-mer que toute autorit de ltat est institue par Dieu, quesopposer elle cest sopposer Dieu, sans arrter ainsi duncoup, ou rendre incomprhensible, tout le cours de lhistoireet lagir mme des chrtiens jusqu nos jours ? Et commentensuite concilier cette vision, tout aussi autorise,dApocalypse 13, o, au sujet de la mme ralit de ltat defait existante (qui est lempire de Rome) on dit clairementque son pouvoir vient de Satan ? De cette manire, ne conf-re-t-on pas lautorit sculire - mme lorsquelle se conoitelle-mme sans Dieu, ou contre Dieu - une dangereuse basereligieuse qui engage les consciences et dont on peut faire unusage trs dangereux ? Cest dsormais devenu un fait diversde tous les jours que celui de ces fonctionnaires de rgimes

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  • politiques qui, une fois conduits en jugement, justifient deshomicides, des tortures et des vexations de tous genres par lefait davoir obi aux autorits suprieures .

    En ralit, je suis convaincu que lon ne vient absolumentpas bout de cette difficult, si lon ne considre pas le textede Paul la lumire de ce qui a t dit prcdemment, au sujetde lobissance ; et si lon fait de celui-ci le fondement delobissance, au lieu dy voir - comme cest en ralit - un casparticulier dans le cadre dune autre obissance bien plusessentielle qui est lobissance lvangile . Aussi, nousdevons comprendre lobissance chrtienne partir dautresprliminaires qui - nous le verrons - nous permettront alors decomprendre aussi ce fameux texte.

    Il y a en effet une obissance qui nous concerne tous -suprieurs et sujets, religieux et lacs - la plus importante detoutes, et qui rgit et vivifie toutes les autres ; cest cetteobissance de lhomme Dieu. Voil lobissance que nousvoulons dcouvrir, ou redcouvrir, lcole de saint Paul et detoute la Bible. Lobissance Dieu est comme le fil denhaut qui rgit la splendide toile daraigne suspendue unehaie. En descendant par ce fil quelle-mme a produit, la bes-tiole a construit toute sa toile qui, prsent est parfaite et ten-due chaque angle. Toutefois, ce fil den haut qui lui a servi construire sa toile nest pas rompu une fois le travail termi-n, mais il reste. Cest mme lui qui, partir du centre, sou-tient tout lentrelacement ; sans lui, tout seffiloche. Si lunquelconque de ses points latraux est touch, laraigne saf-faire alors rapidement rparer sa toile ; mais peine le filden haut est coup quelle sloigne comme sil ny avaitdsormais plus rien faire. Cest quelque chose de semblablequi se passe propos de la trame de lautorit et de lobis-sance dans une socit, dans un ordre religieux, dans lglise.Lobissance Dieu est le fil den haut : tout sest construit partir de celle-ci ; mais elle non plus ne peut tre oublie une

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  • lus selon la prescience de Dieu le Pre, dans la sanctifica-tion de lEsprit, pour obir... Jsus-Christ (1 P 1, 2). Leschrtiens ont t lus et sanctifis pour obir ; la vocationchrtienne est une vocation lobissance ! Un peu plus loin,dans la mme lettre, les fidles sont dfinis par une formuletrs suggestive, fils de lobissance : En enfants obis-sants ( la lettre : comme fils de lobissance) ne vous laissezpas modeler par vos passions de jadis (1 P 1, 14). Il nestpas suffisant de traduire lexpression par fils obissants (comme sil sagissait dun simple hbrasme), car ici il estfait rfrence au baptme, comme le montre clairement lecontexte. Fils de lobissance est lquivalent de sancti-fis dans lobissance que nous lisons immdiatement aprs(cf. 1 P 1, 22). Le contenu nest donc pas asctique mais mys-trique. Laptre parle de la rgnration par la Parole de Dieu(cf. 1 P 1, 23). Les chrtiens sont fils de lobissance, parcequils sont ns de lobissance du Christ et de leur propredcision dobir au Christ. De mme que les petits poissons,ns dans leau, ne peuvent survivre que dans leau ; ainsi leschrtiens ns de lobissance, ne peuvent vivre spirituelle-ment quen demeurant dans lobissance, cest--dire dans untat de constante et amoureuse soumission Dieu, en contactavec le mystre pascal du Christ. En effet, le contact sacra-mentel avec lobissance du Christ ne spuise pas avec lebaptme, mais se renouvelle quotidiennement danslEucharistie. En clbrant la sainte Messe, nous faisonsmmoire - et plus que mmoire - de lobissance du Christjusqu la mort, nous nous revtons de son obissancecomme dun manteau de justice et ainsi nous nous prsentonsau Pre comme des fils de lobissance . En recevant lecorps et le sang du Christ, nous nous nourrissons de son obis-sance.

    Nous dcouvrons par l que lobissance, avant dtre unevertu, est un don ; avant dtre une loi est une grce. La diff-rence entre les deux, cest que la loi ordonne de faire, tandis

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  • que la grce donne de faire. Lobissance est dabord uvrede Dieu dans le Christ, ensuite elle est donne au croyant pourquil lexprime son tour dans sa vie, par une fidle imitation.En dautres termes, nous navons pas seulement le devoirdobir, mais dsormais nous avons aussi la grce dobir !

    Lobissance chrtienne senracine donc dans le baptme.Par le baptme, tous les chrtiens sont vous lobissan-ce ; en un certain sens, ils en ont eux aussi fait le vu .Lorsque nous disons aujourdhui que la profession religieusese fonde sur le baptme, quelle est une explication du bapt-me, quelle en prend particulirement au srieux les implica-tions11, nous disons quelque chose de trs vrai. Durant plu-sieurs sicles, avant que ne saffirme lide de vu reli-gieux et d tat religieux (ce qui est arriv au Moyen ge),lintention pour laquelle on entrait dans la vie consacre taituniquement de mieux observer et plus radicalement les exi-gences de la vie chrtienne. Saint Basile appelait les moinessimplement les chrtiens 12. De son temps (comme celarevient de nos jours !) la sparation vraiment importantentait pas celle entre les moines et le reste de la communau-t ecclsiale, mais la sparation entre cette communaut prisedans son ensemble, et le monde extrieur qui ne vivait passelon lvangile13. La Parole de Dieu nous pousse aujourdhui redcouvrir ce fondement commun tous les chrtiens. Ellenous pousse rechercher davantage ce qui nous unit plusque ce qui divise et ceci non seulement dans les relationsentre les diverses glises, mais aussi entre les diffrentes cat-gories lintrieur de lglise. En effet, ce qui distingue nestque la faon de le vivre.

    Cette redcouverte de lobissance fondamentale aidenormment les religieux eux-mmes. En effet, de nos jours,

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    11. cf. par exemple Lumen Gentium, 44.12. cf. Reg. fus. 22 ; PG 31, 977 A.13. cf. Saint Basile, De bapt., PG 31, 1513 ss.

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  • ils prennent toujours plus conscience que le renouvellementde lobissance ne vient pas du perfectionnement linfini deleurs propres lois et constitutions, ni mme dun simple retour leurs propres sources - si lon entend par cela les sources delordre religieux auquel on appartient - mais ne vient que delEsprit qui opre dans la Parole et dans les sacrements. Ilvient du retour la source des sources , cest--dire auChrist.

    La loi, dit saint Jean, fut donne par Mose ; la grce etla vrit sont venues par Jsus-Christ (Jn 1, 17). Cette paro-le est encore vraie et veut dire que la loi ou la rgle dobirnous fut donne par Basile, ou par Benot, ou par Franois, oupar Ignace, ou par Thrse..., mais que la grce dobir nenous vient - comme elle leur est venue - que de Jsus-Christ.

    Saint Paul nous dit que ce nest pas dtre circoncis ouincirconcis qui importe, mais dtre une crature nouvelle (cf. Ga 6, 15). De la mme manire, ce nest pas dtre lac ouclerc, de faire partie dun ordre religieux plutt quun autrequi importe, mais dtre une crature nouvelle. Si cela estinclus, tout le reste importe - et beaucoup - sinon, rien necompte. Les couleurs existent et sont merveilleuses, mais uni-quement lorsquil y a la lumire qui les produit et les anime...

    La redcouverte de cette donne commune tous, fondesur le baptme, rpond un besoin vital des lacs dans lgli-se. Le concile Vatican II a nonc le principe de l appel uni-versel la saintet du peuple de Dieu14. Mais comme il nya pas de saintet sans obissance, affirmer que tous les bapti-ss sont appels la saintet revient dire que tous sont appe-ls lobissance et quil y a galement un appel universel lobissance. Cependant, il faut maintenant prsenter aux bap-tiss une saintet et une obissance leur porte, qui ne soientpas marques de caractres trop particuliers, ni lies des

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    14. Lumen Gentium, 40.

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  • dans lglise - si lon est intimement convaincu quaujour-dhui encore, comme le dit le psaume, il parle le Seigneur,le Dieu des dieux, il ne se taira pas (Ps 50) - qualors, maisalors seulement, on sera en mesure de comprendre la ncessi-t et limportance de lobissance Dieu. Elle est une atten-tion Dieu qui parle dans lglise, par son Esprit, lequelclaire les paroles de Jsus et de toute la Bible et leur confreautorit en en faisant des canaux de la vivante volont de Dieupour nous.

    Lobissance Dieu et lglise tait ncessairement miseun peu dans lombre, du moins au niveau de la rflexion tho-logique, au temps o lon pensait lglise surtout en termesdinstitution, comme une socit parfaite , dote depuis lecommencement de tous les moyens, pouvoirs et structuresaptes apporter aux hommes le salut, sans que de nouvellesinterventions de Dieu soient ncessaires. partir du momento lglise est nouveau et clairement conue la foiscomme mystre et institution , lobissance redevient,automatiquement, obissance lEsprit, et non plus seulementinstitution ; obissance non plus seulement aux hommes, maisaussi et avant tout Dieu, telle quelle ltait pour Paul.

    Mais de mme que dans lglise, institution et mystre nesont pas opposs mais unis, ainsi devons-nous montrer pr-sent, que lobissance spirituelle ne dtourne pas de lobis-sance aux autorits visibles et institutionnelles mais aucontraire, quelle la renouvelle, la renforce et la vivifie, aupoint que lobissance aux hommes devient le critre pourjuger de lexistence et de lauthenticit de cette obissance Dieu. Voici, en effet ce qui se passe lorsque dans un cas dter-min, il sagit dobir Dieu : Dieu te fait entrevoir sa volon-t sur toi. Cest une inspiration qui, ordinairement, natdune parole de Dieu entendue ou lue dans la prire. Tu nesais pas do elle vient ni comment une certaine pense sestforme en toi, mais elle est l en toi comme un germe encore

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  • fragile qui peut tre touff comme rien. Tu te sens inter-pell par cette parole ou cette inspiration ; tu sens quelle te demande quelque chose de nouveau et tu dis oui . Cestun oui encore vague et obscur en ce qui concerne ce quil y a faire et quant la manire de le faire, mais trs clair et fermequant la substance. Cest comme si tu recevais une lettrecachete que tu accueilles avec tout son contenu, faisant l tonacte de foi. Puis, la clart intrieure perue sur le moment dis-parat ; les motivations auparavant si videntes sestompent. Ilne te reste quune seule chose dont pourtant tu ne peux dou-ter, mme en le voulant : cest quun jour tu as reu un ordrede Dieu et que tu as rpondu oui . Que faire en cette cir-constance ? Cela ne sert rien de multiplier les efforts de tammoire et les analyses. Cet appel nest pas n de la chair ,cest--dire de ton intelligence. Tu ne peux donc pas le retrou-ver par ton intelligence. Il est n de lEsprit et ne peut treretrouv que dans lEsprit. Mais lEsprit, prsent, ne te parleplus comme la premire fois, directement et au-dedans de toi.Il se tait et te renvoie lglise et ses canaux institus. Tudois remettre ton appel entre les mains des suprieurs et deceux qui ont, de quelque manire, une autorit sur toi, et croi-re que sil vient de Dieu, Dieu lui-mme le fera reconnatrecomme tel par ses reprsentants.

    ce sujet, lexprience des Mages me vient lesprit. Ilsvirent une toile et dans leur cur, ils perurent un appel. Ilsse mirent en route, mais entre-temps ltoile avait disparu. Ilsdurent se rendre Jrusalem, interroger les prtres, et cestdeux quils apprirent lendroit prcis : Bethlem ! Aprs cettehumble recherche seulement, ltoile reparut. Cest ainsiquils devaient devenir un signe pour les prtres de Jrusalemeux-mmes.

    De l, on voit comment il est possible de dsobir, mmeen obissant . Cela arrive lorsquon se rfugie dans lobis-sance aux hommes pour fuir lobissance Dieu. Quelquun

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  • sent sur lui une volont de Dieu, un appel qui exige un certainchangement et une rupture avec le pass, avec son propre tra-vail, avec son office... Mais il nest pas prt ; il a peur de direoui car il ne sait o cela aboutira. Il sen remet alors la dci-sion de ses suprieurs, lesquels ignorants de cette volont deDieu, le destineront une des tches et un des lieux habi-tuels aux religieux. Certes, il devait sen remettre lobis-sance de ses suprieurs, mais aprs leur avoir manifest lavolont de Dieu quil sentait sur lui. Combien de saints neseraient pas tels sils navaient fait ainsi ! Combien lgliseserait maintenant plus pauvre, si dans le pass, tous staientlimits obir toujours et uniquement ce que demandaientleurs suprieurs !

    Mais que faire lorsquun conflit se profile entre les deuxobissances et que le suprieur humain te demande de faireune chose diffrente et oppose celle qui, tu le crois, testcommande par Dieu ? Il suffit de se demander : que fit Jsusdans un tel cas ? Il accepta lobissance extrieure et se sou-mit aux hommes ; mais, ce faisant, loin de renier son obis-sance au Pre, il laccomplit au contraire. Ctait cela, prci-sment, que le Pre voulait. Sans le savoir et sans le vouloir,parfois en toute bonne foi, parfois non, les hommes - commeil en fut jadis de Caphe, Pilate et la foule - deviennent des ins-truments, pour que saccomplisse la volont de Dieu et non laleur. Toutefois, mme cette rgle nest pas absolue : la volon-t de Dieu et sa libert peuvent exiger de lhomme - ainsi pourPierre, face linjonction du Sanhdrin - quil obisse Dieu,plutt quaux hommes (cf. Ac 4, 19-20).

    Cette obissance Dieu, objecteront certains, est facile :Dieu ne se voit pas, on peut lui faire dire ce quon veut... Cestvrai. Mais si quelquun est capable de se faire commander parDieu lui-mme ce quil veut, celui-ci sera encore plus capablede se faire commander par les hommes, cest--dire par lessuprieurs, ce quil veut ! Lcriture nous offre le critre pour

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  • 7Marie, lobissante

    Nous avons la joie, prsent, avant de terminer nos consi-drations sur lobissance, de contempler licne vivante delobissance, celle qui non seulement a imit lobissance duServiteur, mais la vcue avec lui. Saint Irne crit : Paralllement (il sentend, paralllement au Christ, NouvelAdam), il se trouve que la Vierge Marie aussi est obissantelorsquelle dit : Je suis la servante du Seigneur ; quil mad-vienne selon ta Parole (Lc 1, 38) ; de mme quve, endsobissant devint cause de mort pour elle et pour tout legenre humain ; ainsi Marie en obissant, devint cause de salutpour elle et pour tout le genre humain25 . Voulant trouver unpivot sur lequel baser dun ct le paralllisme Jsus-Marie etde lautre lantithse ve-Marie, saint Irne le trouve danslobissance. Cest sur ce terrain de lobissance que Mariesapproche de Jsus et soppose ve, dans les trois textes oce thme apparat26. Le saint a clairement saisi le noyau de ladoctrine de saint Paul, exprime en Romains 5, 19 et la ten-du de faon cohrente Marie, et en elle, lglise. Marie enfait dobissance sert de charnire entre le Christ et lglise.Son obissance a t une imitation exemplaire ou prototy-pique qui, son tour sert de modle toute lglise. On sait,en effet, que pour Irne, comme pour le reste de la Traditionaprs lui, lexpression Nouvelle ve dsigne en mmetemps Marie et lglise - lune dans un sens personnel outypique, lautre dans un sens gnral - au point quil est sou-vent difficile de distinguer dans des cas concrets de laquelledes deux ralits on parle. Marie se prsente donc larflexion thologique de lglise - nous sommes en effet, en

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    25. Adv. Haer. III, 22, 4.26. Adv. Haer. V, 19, 1 ; Dem. Prd. Apost. 33.

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  • prsence de la premire bauche de mariologie - commelobissante. Cest sa prrogative personnelle, la part qui luirevient, qui lapparente le plus au Christ. Le concile VaticanII a de nouveau propos cette vision de saint Irne, en encitant les principales affirmations. Il dit, entre autre, que parson obissance, Marie coopra au salut des hommes , quesous la croix, elle est devenue par son obissance et sa foi, mre dans lordre de la grce et modle de lglise27.

    Je disais au commencement quil est relativement facile dedcouvrir la nature de lobissance chrtienne : il suffit devoir partir de quelle conception de lobissance le Christ estdfini par lcriture, comme lobissant. Ici jajoute : il suffitde voir partir de quelle conception de lobissance Marie estdfinie par la Tradition, comme lobissante. Marie - nouslavons entendu par saint Irne - se montra obissante lors-quelle dit : Je suis la servante du Seigneur, quil madvien-ne selon ta parole .

    De mme que par luvre de la vierge dsobissante,crit encore saint Irne, lhomme fut frapp, et prcipit ilmourut ; ainsi par luvre de la Vierge obissante la Parolede Dieu, il reut nouveau la vie (Dm. Pr. Apost. 33). Sonobissance est lexacte antithse de la dsobissance dve.Mais, encore une fois, qui ve a-t-elle dsobi pour treappele la dsobissante ? Certes pas aux parents, quellenavait pas, ni son mari ou quelque loi crite. Elle dsobit la Parole de Dieu ! Comme le fiat de Marie dans lvangilede Luc fait pendant au fiat de Jsus Gethsmani (cf. Lc 22,42) ; ainsi, pour saint Irne, lobissance de la Nouvelle ve,fait pendant lobissance du Nouvel Adam.

    Rflchissons un peu sur cette obissance de Marie la Parole de Dieu. Par les paroles : voici la servante duSeigneur..., crit Origne, cest comme si Marie disait : je

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    27. Lumen Gentium, 56, 61, 63.

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  • suis une tablette pour crire ; que lcrivain crive cequil veut ; que le Seigneur de tout, fasse de moi ce quilveut28 . Il compare Marie la tablette de cire que lon utili-sait de son temps pour crire, pour montrer la docilit absoluede Marie. Marie soffre elle-mme Dieu comme une pageblanche sur laquelle on peut encore tout crire. Elle restitue Dieu cette libert absolue quil avait sur elle linstant mmede la crer, quand elle ntait encore quune pense de soncur et quil pouvait faire delle sans son consentement,tout ce quil voulait. La parole de Marie, crit un exgtemoderne, a toujours eu une importance fondamentale pour larflexion pieuse ; elle la comprise comme le sommet de toutcomportement religieux face Dieu, puisquelle exprime dela manire la plus leve la disponibilit passive unie lapromptitude active29 .

    Lobissance de Marie ne finit pas avec lAnnonciation. Enun certain sens, ce ne fut que le commencement. la prsen-tation au Temple il est arriv pour Marie, quelque chose quirappelle ce qui est arriv pour Jsus, dans son baptme auJourdain. cette occasion, par les paroles du Pre, la vocationde Messie se prcisa la conscience de Jsus - en tant quectait aussi une conscience humaine - comme la vocation tre un Messie souffrant, tre le Serviteur du Seigneur reje-t ; et Jsus rpondit par lobissance, en renouvelant son Me voici ! la prsentation, la vocation de Marie, par lesparoles de Symon Et toi-mme, un glaive transpercera tonme , se prcisa comme la vocation tre la mre dunMessie contredit et rejet, cest--dire comme une vocationardue et douloureuse. Marie aussi a rpondu par lobissancesilencieuse.

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    28. Origne, Comm. In Luc, framm. 18 ; GCS, 49, p.227.29. H. Schrmann, Das Lukasevangelium, Freiburg i.Br. 1982, ad loc.

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  • 1 - une pauvret matrielle ngative, qui dshumanise etqui est combattre : la pauvret en tant que condition socialesubie.

    2 - une pauvret matrielle positive, qui libre et lve : lapauvret en tant quidal vanglique cultiver.

    3 - une pauvret spirituelle ngative, qui est absence debiens de lesprit et des vraies valeurs humaines : la pauvretdes riches.

    4 - une pauvret spirituelle positive, faite dhumilit et deconfiance en Dieu qui est le plus beau fruit fleuri sur larbrede la pauvret biblique : la richesse des pauvres.

    En quatre chapitres - correspondant aux quatre mditationsdonnes la Maison Pontificale durant lAvent 1994 - noustraiterons donc de ces diverses formes ou aspects de la pau-vret, en conservant lambiance originaire du temps de Nolsi utile pour comprendre le message lui-mme de la pauvretchrtienne.

    Que lEsprit Saint, invoqu par la liturgie comme predes pauvres (pater pauperum), nous aide accueillir avecjoie le joyeux message apport aux pauvres, en crant en nousun esprit ferme dcid le mettre en pratique.

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  • 1 Heureux qui pense au pauvre

    La pauvret matrielle comme phnomne social combattre

    Les pauvres, ils existent !

    Le thme de cette premire mditation est la pauvretmatrielle ngative, celle qui nest pas voulue par Dieu, maisle fruit du pch ou des circonstances ; la pauvret non choi-sie, mais subie, fait social qui dshumanise celui qui le subitet qui dshonore la socit qui le provoque ou le tolre. Ensomme, le thme des pauvres, dans lacception la plus com-mune du terme.

    Voici le thme. Et quelles sont les paroles de Dieu qui nousserviront de phare ou de miroir ? Il y en a surtout deux. Lapremire est le dbut du psaume 41 : Heureux qui pense aupauvre et au faible . La deuxime est la parole bien connuede Jsus : Cest moi que vous lavez fait et : moi nonplus, vous ne lavez pas fait (Mt 25, 40. 45).

    Je voudrais dire tout de suite comment est ne la rflexionque je vais dvelopper, car cela nous aidera mieux que touteautre considration saisir lme du message. Je venais peine de terminer dcrire le livre La monte au Sina ojavais essay dutiliser tous les moyens mis ma dispositionpar la Bible, la Tradition et la culture, afin de susciter le sen-timent que Dieu existe, quil est vivant, quil est une ralit etnon une abstraction. En somme, pour stimuler lhomme dau-jourdhui sapercevoir de Dieu. Quand, tout coup,toutes les paroles et les arguments utiliss se sont, pour ainsidire, retourns contre moi, en se dplaant sur un autre objec-tif : les pauvres. Comme si quelquun me criait avec mes

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  • paroles elles-mmes : les pauvres aussi existent ! Deux aussiil faut sen apercevoir !

    Le nom divin Moi je suis , devenait prsent le nom despauvres : Nous, nous sommes . Nous sommes une ralit,non une abstraction. La prire de saint Augustin par laquelleje concluais ce livre : Bien tard je tai aime, beaut siancienne et si nouvelle... , prsent montait mes lvresquelque peu modifie : Bien tard je tai aime, pauvret siancienne et si nouvelle. Tu tais avec moi, tu mentourais detoutes parts, mais je ntais pas avec toi, je ne te voyais pas,ou je ne te voyais quavec les yeux, non avec le cur. Tu asappel, tu as cri et tu as bris ma surdit. Ctait vraiment en avoir le souffle coup , comme disait le philosophe qui un jour lexistence des choses stait soudainementrvle 7.

    Le plus grand pch contre les pauvres est peut-tre lin-diffrence, de faire semblant de ne pas voir, de passer outre,de lautre ct de la route (cf. Lc 10, 31). Ce que Jsus, dansla parabole, reproche au mauvais riche, cest son indiffrenceenvers le pauvre qui gisait sa porte, encore plus que son luxeeffrn. Sa duret de cur et son insensibilit.

    Nous avons tendance mettre, entre nous et les pauvres,du double vitrage. Leffet du double vitrage, si utilis de nosjours, est dempcher le passage du froid et du bruit, de touttemprer, de tout faire parvenir attnu, ouat. Et de fait nousvoyons les pauvres se soulever, sagiter, hurler derrire noscrans de tlvision, sur les pages des journaux et des revuesmissionnaires, mais leur cri nous parvient comme de trs loin.Il ne pntre pas dans notre cur. Nous nous mettons labrides pauvres. Lcriture appelle tout cela : voir sans faireattention, avoir les oreilles, mais ne pas entendre (cf. Is 42,20).

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    7. Cf. J.-P. Sartre, La nause, Gallimard, 1938, p.181 s.

    LA PAUVRET

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  • Il ne faut pas sen prendre Dieu face la misre dumonde, mais nous-mmes. Un jour, en voyant une petitefille tremblant de froid et pleurant de faim, un homme fut prisdun mouvement de rbellion et cria : Dieu, o es-tu ?Pourquoi ne fais-tu pas quelque chose pour cette cratureinnocente ? Mais une voix intrieure lui rpondit : Certes,jai fait quelque chose. Je tai fait toi ! Et il comprit imm-diatement.

    Mais aujourdhui la simple aumne ne suffit plus. Le pro-blme de la pauvret est devenu, cause des nouvelles possi-bilits de communications, plantaire. Quand les Pres de l-glise parlaient des pauvres, ils pensaient aux pauvres de leurville, ou tout au plus de la ville voisine. Ils ne connaissaientgure autre chose, sinon de manire trs vague et, dailleurs,mme sils lavaient connu, faire parvenir de laide aurait tencore plus difficile, dans une conomie comme la leur. Oncomprend donc comment Chrysostome, partir dun calcul detant de riches et de tant de pauvres prsents en son temps Constantinople, ait pu laborer un plan qui, selon lui, auraitrsolu de faon stable le problme de la pauvret, par le seulmoyen de laumne.

    Aujourdhui nous savons que cela ne suffit pas, mme sirien ne dispense de faire ce que nous pouvons aussi ceniveau individuel. Sans devoir en arriver prendre le fusilpour combattre par la violence linjustice (ce qui nous situe-rait aussitt hors de la ligne du Christ), lexemple de beau-coup dhommes et de femmes de notre temps, comme DomHelder Camara, lAbb Pierre, Marcello Candia et tantdautres, nous montre quil existe bien des manires poursecourir, chacun selon ses propres moyens et possibilits, lespauvres et en promouvoir llvation. On peut tre appel employer en faveur des pauvres ses ressources culturelles, sonesprit dinitiative, le prestige ou le pouvoir politique dont onjouit. Une manifestation importante de ce tre pour les

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  • pauvres a t aussi srement la thologie de la libration quia fleuri en Amrique Latine, malgr les limites qui, en certainscas, lont accompagne.

    Parlant du cri des pauvres , dans Evangelica testificatio,Paul VI disait en particulier aux religieux : Il a conduit cer-tains dentre vous rejoindre les pauvres dans leur condition, partager leurs angoisses lancinantes. Il invite, par ailleurs,nombre de vos instituts reconvertir en faveur des pauvrescertaines de leurs uvres17 .

    Ce quil faudrait aujourdhui, cest une nouvelle croisade,une mobilisation de toute la chrtient et mme de tout lemonde civil pour librer les tombeaux vivants du Christ quesont les millions et millions de personnes qui meurent defaim, de maladies et de privations. Ce serait une croisadedigne de ce nom, savoir digne de la croix du Christ. Il fautnous rjouir et remercier Dieu parce que, au moins pour unepetite part, cette croisade est dj en acte de la part de tantdindividus, dinstitutions, de communauts paroissiales, reli-gieuses et dassociations humanitaires. Pour qui sait le voir,de nos jours aussi il existe un Pierre lErmite qui parcourtle monde, nous incitant tous cette croisade. Cest le pape.

    liminer ou rduire labme injuste et scandaleux qui exis-te entre riches et pauvres dans le monde est le devoir le plusurgent et le plus considrable que le millnaire pass a durendre au sicle qui commence.

    vangliser les pauvres

    Enfin, aprs aimer et secourir, vangliser les pauvres. Cefut la mission que Jsus reconnut comme sienne par excellen-

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    17. Paul VI, Evangelica testificatio, 18 (EV, 4, p.651).

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  • ce (cf. Lc 4, 18) et quil confia lglise. Nous ne devons paspermettre que notre mauvaise conscience nous entrane commettre lnorme injustice de priver de la bonne nouvelleceux qui en sont les premiers et les plus naturels destinataires.Mme, en allguant, pour notre excuse, le proverbe que ventre affam na pas doreilles .

    Jsus multipliait les pains et aussi la parole, et mme enpremier il leur administrait la parole, parfois pendant troisjours de suite, et ensuite il se proccupait aussi du pain. Lepauvre ne vit pas seulement de pain, mais aussi desprance etde toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Les pauvres ontle droit sacro-saint dentendre lvangile intgral, non dansune dition rduite, adapte et mouille.

    Ils ont droit de nos jours aussi dentendre la bonne nou-velle : Bienheureux vous, les pauvres . Oui bienheureux,malgr tout. Parce que souvre devant vous une possibilit immense, ferme ou trs difficile pour les riches : leRoyaume. Certes, ladhsion de foi lvangile, ou au moinsune vie vcue en accord avec les conseils de sa religion ou desa propre conscience, est ncessaire pour entrer, de fait, enpossession du Royaume pour qui na pas la possibilit deconnatre lvangile. Mais nest-ce pas dj une fortune et unmotif de batitude que davoir ouverte devant soi, ne serait-ceque cette possibilit, sil ne dpend que de toi de la faire deve-nir ralit ? Lhomme, dit une certaine philosophie daujour-dhui, nest pas que possibilits ; il est dautant plus richeque sont riches les possibilits quil possde. Et vous lespauvres, vous avez la possibilit qui inclut en elle toutesles possibilits, et sans laquelle toutes les autres possibilitsne sont rien.

    Concluons, en nous rappelant les deux paroles principalesde Dieu qui nous ont servi de guide. Heureux lhomme quipense au pauvre ! Cette parole est suivie immdiatement,dans le Psaume, dune promesse que la liturgie a utilise sous

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  • dpouillement, dans lIncarnation. La phrase rappelle aussi lepassage o lon dit que le Christ est devenu pch pour quenous devenions justes (cf. 2 Co 5, 21).

    La pauvret du Christ a dabord un aspect concret, exis-tentiel, qui laccompagne de sa naissance sa mort. La bien-heureuse Angle de Foligno a une page trs profonde sur cettepauvret du Sauveur : La pauvret a trois formes. Le pre-mier degr de la parfaite pauvret du Christ fut quil voulutvivre et tre pauvre de tous les biens de ce monde. Il ne vou-lut pour lui ni maison, ni terrain, ni vigne, ni aucune propri-t, ni or, ni argent. Il fut pauvre, il eut faim, il eut soif, il eutfroid, il eut chaud, il travailla, il endura toute privation etbesoin. Il ne disposa pas de ce qui est raffin et de prix. Laseconde pauvret fut quil voulut tre pauvre de parents etdamis. La troisime pauvret fut quil voulut se dpouiller delui-mme, il voulut se faire pauvre de sa puissance divine elle-mme, de sa sagesse et de sa gloire33 . Donc, pauvre de biens,pauvre dappuis, pauvre de prestige.

    Cette troisime pauvret est la plus profonde parce quelletouche la sphre de ltre, et plus seulement celle delavoir. Elle a consist, pour le Christ, dans le fait mme de sefaire homme, de se dpouiller, sinon de sa nature divine, aumoins de tout ce que cette nature aurait pu revendiquer pourelle en fait de gloire, de richesse et de splendeur. Quy a-t-il, scriait saint Grgoire de Nysse, de plus pauvre pour Dieuque la forme desclave ? Quy a-t-il de plus humble que lacommunion avec notre nature ?34 Dans le Christ, la pauvre-t brille de sa forme la plus sublime qui nest pas celle dtrepauvre (ce qui peut tre un vcu impos ou dont on a hrit),mais celle de se faire pauvre, et de se faire pauvre par amour,pour rendre riches les autres.

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    33. Le livre de la Bienheureuse Angle de Foligno, Quaracchi,Grottaferrata 1985, pp. 642 s.

    34. St. Grgoire de Nysse, Sur les batitudes, 1 (PG 44, 1201B).

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  • Toutefois, au sujet de la pauvret matrielle de Jsus, il y apeut-tre des lieux communs rectifier partir dun examenplus attentif des vangiles. Pour autant que nous sachions,Jsus nappartenait pas, par condition sociale, au proltariatde son temps, cest--dire la classe pauvre de la socit.Ctait un artisan, et il gagnait sa vie par son travail, ce quitait sans aucun doute une condition meilleure que celle dutravail dpendant. Mme durant sa vie, le prestige de rabbidont il bnficiait, les invitations quil recevait aussi de per-sonnes aises, les amitis dont il jouissait, comme celle deLazare et de ses surs, laide quil recevait de quelquesfemmes disposant de biens (cf. Lc 8, 2 ss), font que cela nousempche de voir en lui le dernier des pauvres. La phrase elle-mme : Les renards ont des tanires et les oiseaux du cielont des nids ; le Fils de lhomme, lui, na pas o reposer satte (Lc 9, 58) sexplique davantage en pensant sa condi-tion de prdicateur itinrant sans demeure fixe, quau manquede toit, mme si on peut ly inclure aussi.

    Du point de vue strictement matriel, il y avait certaine-ment, de son temps, des personnes plus pauvres que lui, desmasses entires de dshrits, dont lui-mme avait compas-sion, en les voyant las et prostrs (Mt 9, 36). Mme parmises futurs disciples, par exemple parmi les asctes et lesermites du dsert, il y en eut qui surpassrent le Matre en faitdaustrit et de pauvret purement matrielle.

    Lquivoque provient quon attribue une valeur excessiveaux manifestations extrieures et matrielles de la pauvret.Jsus na jamais revendiqu pour lui le primat de la pauvretcomme il la revendiqu au contraire pour la charit, en disantquil ny a pas de plus grand amour que de donner sa vie pourses amis (cf. Jn 15, 13). Il tait libre face sa pauvret,comme il tait libre dans le manger et le boire, au point depasser, sans trop sen irriter, pour un ivrogne et un glouton. Enmatire dascse, le Prcurseur tait beaucoup plus austre

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  • que lui. Jsus nest pas tomb dans le pige o sont tombs,aprs lui, quelques-uns de ses imitateurs, de faire de la pau-vret matrielle un absolu, en faisant delle un idal de per-fection, et en finissant ainsi par devenir riches de la pire chosequi soit : deux-mmes et de leur propre justice. Il ne peut yavoir dabsolu dans les choses matrielles, un point au-delduquel on ne puisse aller. Pour autant que lon veuille trepauvre, on dcouvrira toujours quelquun de plus pauvre quesoi. La pauvret matrielle na pas de fond.

    Tournons plutt notre attention vers les raisons de la pau-vret du Christ, vers le pourquoi il sest fait pauvre. Le sensde ce choix nous est rvl par ce que lAptre dit au com-mencement de la premire lettre aux Corinthiens : Puisqueneffet le monde, par le moyen de la sagesse, na pas reconnuDieu dans la sagesse de Dieu, cest par la folie du messagequil a plu Dieu de sauver les croyants (1 Co 1, 21).Cest--dire : puisque le monde na pas reconnu et honorDieu quand il sest rvl dans la splendeur, la puissance, lasagesse et la richesse travers le cr, voici qu prsent il adcid de sauver lhumanit dchue par un moyen oppos, parla pauvret, la faiblesse, lhumilit et la folie. Il a dcid de servler sous son contraire , pour contester lorgueil et lasagesse humaine.

    Ce qui, de cette manire, est ni nest pas la bont de lacration ni de tous les biens qui la composent, cest--direluvre de Dieu, mais le pch que lhomme y a ajout. Cenest pas, dirions-nous aujourdhui, la structure, mais lasuperstructure. Dans lIncarnation le Verbe ne se limite pas prendre la nature humaine, pour llever telle quelle est, maisen premier lieu il conteste, il corrige, il redresse cette nature,en rvlant lintime corruption dont elle sest surcharge. Decette manire, la renonciation aux biens, son corps et savolont, savoir les conseils vangliques de pauvret, chas-tet et obissance, sont situs sur un plan tout fait nouveau,

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  • car il aide garder le choix du cur. Ainsi au moins devrait-il ltre et lest-il encore pour beaucoup.

    Voici pourquoi je ne mtends pas beaucoup, au terme decette mditation, descendre la pratique et suggrer desvoies et des manires concrtes dexercer la pauvret mat-rielle. Les voies concrtes sont en effet infinies, diverses selonltat et la profession de chacun et il serait mme dangereuxde tracer un ensemble de rgles valables pour tous. Les rgleset les indications pratiques existent dj, comme je le disais :ce sont celles que chacun de nous a prises avec sa profession.Chacun, dans la prire et le discernement de son pre spiri-tuel, ou des suprieurs, peut dcouvrir facilement ce quelEsprit lui demande dans le concret.

    lun, par exemple, je sais que de cette manire, leSeigneur demand de se dpouiller, de temps autre, de lachose non strictement ncessaire, laquelle il voit son curun peu attach ; ceci comme moyen de garder vivante sa dci-sion et son cur libre. dautres, face toute dcision dunecertaine importance matrielle (un achat, un voyage, le choixdune marque dauto, de vtements, de mobilier son usage),il inspire le besoin de demander non seulement la permissiondu suprieur, sil vit dans une communaut, mais aussi, dansla prire, celle de Jsus. Celui-ci peut parfois exiger ce quunsuprieur humain noserait peut-tre pas demander. Nous nedevrions pas tre du nombre de ces pauvres dont saintBernard disait quils veulent tre pauvres, condition quil neleur manque rien.

    Dans un contexte social domin par la consommation uneparole de lcriture simpose aujourdhui spontanment, lors-quon parle de pauvret : sobrit. Cest un de ces mots, asso-ci dhabitude vigilance, qui revient le plus souvent dans leNouveau Testament. Il indique la capacit de se modrer,duser sagement des biens, de sen servir sans tre asservi.

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  • Cest une valeur biblique qui peut avoir une application com-bien pratique de nos jours.

    Pour nous religieux il importe en particulier de nous rendrecompte du danger que constitue pour notre pauvret le fait dene pas avoir denfants. Les enfants sont pour les parents unmotif constant de privation, de renoncement, dpargne ; enun certain sens, de pauvret. combien de choses ne renon-cent pas un papa et une maman, sans mme y penser, pourleurs enfants, afin de leur donner la possibilit dun lendemainmeilleur que celui quils ont eu eux-mmes ! Avant de faireune dpense qui nest pas strictement ncessaire pour eux-mmes, ils y regardent plusieurs fois. Nayant pas ce puis-sant aiguillon naturel et ne devant mme pas nous proc-cuper de notre vieillesse, ayant derrire nous une communau-t, nous sommes exposs nous accorder beaucoup de chosesdont la plus grande partie des personnes se privent. Lespauvres, les ncessiteux, les missions devraient tre pour nousce que sont les enfants pour les parents : la raison proche denotre renoncement, un rappel constant des exigences de notrepauvret.

    Je disais plus haut que, de lEsprit de Jsus vivant danslglise, partent les tincelles qui priodiquement rallumentlidal de la pauvret dans lglise. Aujourdhui aussi nousassistons cet allumage, ici et l travers lglise, dequelques nouveaux foyers de pauvret. Ce sont parfois descommunauts religieuses de fondations rcentes ou renouve-les, o lamour pour la pauvret et lamour pour les pauvresvont de pair, salimentant lun de lautre. Ce sont, parfois, descommunauts de type nouveau, o consacrs et gens marisvivent au coude coude un choix de pauvret joyeuse et fra-ternelle, tout oriente vers lannonce du Royaume et o toutesles ressources disponibles sont employes pour lvanglisa-tion et lanimation spirituelle. Me trouvant un soir table chezlune delles, en voyant la frugalit du repas et la joie des

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  • visages, jeus la nette perception du climat qui devait rgnerautour de saint Franois dAssise et de ses premiers compa-gnons. Mais ce sont aussi de simples familles qui, ayant choi-si Jsus comme Seigneur, ont dcid dadopter un style de viesimple et pauvre, refusant de sacrifier au travail et la carri-re tout le reste. Il sagit de petits bourgeons qui pointent sur letronc sculaire de la pauvret dans lglise et qui font prsa-ger, aussi dans ce champ, un nouveau printemps.

    Je termine avec une parole de Paul VI qui fait partie de sontestament spirituel : Et lglise, qui je dois tout et qui futmienne, que dirai-je ? Que les bndictions de Dieu soient surtoi ! Que tu aies le sens des besoins vrais et profonds de lhu-manit, et que tu chemines pauvre, cest--dire, forte et amou-reuse vers le Christ44 .

    3 Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon

    La pauvret spirituelle combattre

    Le rcit de la naissance de Jsus nous fait entrevoir deuxmondes en opposition criante entre eux, symboliss lun parune auberge, lautre par ltable o il naquit. Dans le premiermonde, tout est lumire, facilit, animation : on mange, onboit et on est joyeux. Les riches y entrent et en sortent ensomptueux vtements et avec de pesantes bourses rempliesdargent leur ceinture, accompagns de leur monture. Dansle second, au contraire, tout est pauvret, obscurit, froid et

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    44. Paul VI, Pense la mort, Libreria Editrice Vaticana, 1979.

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  • Et tout ceci dans quel but ? Saint Franois dAssise dcrit,avec une svrit insolite sous sa plume, la fin dune person-ne nayant vcu que pour augmenter son capital . La mortapproche ; on fait venir le prtre. Celui-ci demande au mori-bond : Veux-tu recevoir le pardon de tous tes pchs ? , etlui rpond : oui . Et le prtre : Es-tu prt rparer les tortscommis, en restituant ce dont tu as frustr les autres ? Et lui : Je ne peux pas. Pourquoi ne peux-tu pas ? Parce quejai dj tout remis entre les mains de mes parents et amis. Et ainsi il meurt impnitent et, peine mort, ses parents etamis disent entre eux : Maudite son me ! Il pouvait gagnerdavantage et nous le laisser, et il ne la pas fait !56

    Lavare est lhomme le plus malheureux. Souponneux detous, il sisole. Il na pas daffection, pas mme parmi ceux deson sang quil regarde toujours comme des exploiteurs et quine nourrissent son gard quun seul vrai dsir : quil meurevite pour hriter de ses richesses. Tendu dans ce dsir foudpargner, il se refuse tout dans la vie et ne jouit ainsi ni dece monde ni de Dieu, ses renoncements ntant certainementpas faits pour Dieu. Au lieu dobtenir scurit et tranquillit,il est un ternel otage de son argent. Au terme, lavarice estune vraie maladie, une manie, mais dhabitude on ne nat pasavec : on y tombe peu peu par ses propres actes et ses choix.Il est bien vrai quelle est parfois la raction instinctive uneenfance pnible et marque par la privation de biens, mais ilest facile, dans ce cas, de le reconnatre et dtre plus indul-gent dans le jugement.

    Si nous considrons lglise la lumire de ce qui arrivedans le monde, nous remarquons combien de maux aussi y aprovoqus, au cours des sicles, lattachement largent.Quy a-t-il derrire les luttes sculaires, extnuantes entre l-

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    56. St. Franois, dAssise, Lettre tous les fidles (II), IV (documents,pp. 116 s.).

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  • glise et lempire durant tout le Moyen ge ? Et derrire ladcadence, certaines priodes, de diocses, abbayes etmonastres ? O que soit le cadavre, l se rassembleront lesvautours, avait dit Jsus (cf. Mt 24, 28). O se concentre larichesse, l se donnent rendez-vous les cupidits des rois etdes seigneurs du monde. Le systme des bnfices et des pr-bendes faisait que les charges ntaient pas assignes partirde la saintet et du mrite des personnes, mais partir dedroits et dhabitudes tout fait trangers la vie et aux int-rts de lglise. Les offices ecclsiastiques taient rduits des bnfices ecclsiastiques, occups par des personnes quisouvent ne mettaient jamais les pieds dans le diocse ou lab-baye dont ils taient titulaires, nenvoyant que leurs inten-dants pour toucher, en temps voulu, leurs rentes. DanteAlighieri reprsenta cette plaie dans la louve famlique, laplus irrductible des btes froces qui barrent laccs au salut,la bte sans paix , qui aprs le repas a plus faimquavant57 .

    Le pape Grgoire VII avait soutenu une lutte pique aveclempereur pour soustraire les charges ecclsiastiques au pou-voir sculier, la lutte pour les investitures. Mais labus rap-parut vite sous une autre forme, au sein des ralits nationalesqui se formaient en Europe. On sait que la rforme protestan-te elle-mme prit cette tournure que nous connaissons, aussi cause des questions financires, parce que beaucoupdvques taient conditionns par leurs riches possessions etdevaient obir dautres lois que celles du Christ.

    Je ne dsire rien en dehors de Toi sur la terre

    Mais venons-en la partie la plus importante de cettemditation. Quelle utilisation faire de nos jours de toute cette

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    57. Dante Alighieri, Enfers, I, 49 s.

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  • partie de lvangile qui dnonce le pouvoir alinant et des-tructif de Mammon ?

    La premire chose faire est de la vivre, de nous laisserinterpeller et juger par elle. Nous librer de Mammon, pouraider les autres se librer de Mammon ! Il nous faut remer-cier Dieu pour ltat actuel de lglise et du clerg sur cepoint. Nous nous lamentons souvent des temps mauvais onous vivons, de la baisse de la foi. Cest vrai. Cependant nousidalisons facilement le pass. Nous ne pensons pas ce quat la vie de lglise durant plusieurs sicles, lorsque lglisepossdait aussi un tat , ltat de lglise , et que lesvques taient aussi des princes. Les offices de lglisesont, depuis longtemps, revenus ce quils doivent tre : desministres, des services et non des charges ambitionnes pourles bnfices terrestres quelles comportent.

    Mais il est clair que nous navons pas encore atteint la per-fection vanglique, et que nous ne la rejoindrons jamais.Peut-tre faudrait-il faire ressortir la ncessit dviter desdemandes rptes dargent de la part du clerg, que ce soit auniveau paroissial, local ou national, car elles provoquent sou-vent leffet inverse, donnant une image fausse de lglise etlui enlevant beaucoup de sympathies. Lexprience prouveque lorsque le rapport entre le peuple et son pasteur est bon,lorsque le prtre donne vraiment sa vie pour le troupeau,celui-ci non seulement ne le fait pas manquer du ncessaire,mais mme il prvient ses besoins et y pourvoit au-del de cequi lui manque, et ce, avec joie. Il est si triste dapprendre que,dans certains pays, les gens quittent lglise par centaines demilliers chaque anne, pour ne pas payer le denier du culte,mme si je me rends compte que le phnomne est complexeet ne peut tre imput qu une seule cause.

    Saint Pierre rappelle que ce nest par rien de corruptible,argent ou or que nous avons t rachets (cf. 1 P 1, 18). Ceschoses-l devraient donc dautant moins tenir les hommes

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    peut-tre mise en relation avec une ralit spirituelle commele Royaume. Que la pauvret relle soit un chemin privilgivers la pauvret en esprit est trs vrai et Jsus le rpte demille manires. Toutefois il ne faut pas penser que soient enjeu, dans la batitude, les proltaires ou les dits hommes dela terre du judasme du temps. Le vrai pauvre vanglique atout pari sur Dieu, dans la foi. Dans le judasme de lpoque,le terme pauvre tait pratiquement synonyme de saint (hasid) et de pieux 63.

    Dautres ont ragi face cette interprtation qui mettraittrop laccent sur les dispositions intrieures du pauvre et troppeu sur la nature du Royaume venir. Les batitudes, disent-ils, sont dabord une rvlation sur la misricorde et sur la jus-tice qui doivent caractriser le royaume de Dieu. Ellescontiennent davantage une rvlation sur Dieu que sur lhom-me ou sur le pauvre. Le terme pauvre utilis dans lvangile(ptochos) indique les indigents, les malheureux, les affams,qui ont besoin de laumne pour vivre. Le terme hbraquecorrespondant, anawm, indique lorigine, les personnes courbes , cest--dire abaisses, humilies, opprimes.Elles sont obliges de se courber devant les plus forts et lesplus riches.

    Pour quelle raison, se demande-t-on, est-ce que ceux-cidevraient tre les favoris de Dieu ? Ce nest pas pour leurs mrites religieux particuliers, ni pour leur bonne disposi-tion, mais parce que Dieu se doit lui-mme, en tant que roijuste, de prendre la dfense de celui qui na pas de dfense.Les pauvres, selon la mentalit de lAncien Testament sont les protgs du roi . Il ne sagit pas dune justice rtributivequi devrait rcompenser les mrites que les malheureuxauraient acquis, mais dune justice de type royal. Dieu est

    63. Cf. A. Gelin, Les pauvres de Jahv, 1953; cf. aussi du mme auteur,Les pauvres que Dieu aime, 1968.

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  • oblig, face lui-mme, de garantir le bon droit des hommesqui ne sont pas en mesure de le faire triompher par leurspropres moyens.

    Et comment sexplique-t-on, dans ce cas, la persistance deltat de pauvret et doppression des pauvres mme enIsral ? Le dmenti des faits ne conduit pas abandonner laconviction de la justice royale de Dieu, mais la projeter dansle futur, dans le Royaume des derniers temps. Alors lespauvres seront vengs de tous ceux qui les opprimaient, alorsils jouiront vraiment des bienfaits de la sollicitude de Dieu. LeDieu qui renverse les puissants de leurs trnes et lve lesgens qui ne comptent pas , qui comble de biens les affamset renvoie les riches les mains vides apparatra comme laralisation parfaite du roi idal.

    La signification religieuse des batitudes demeure, mais ilsagit dune signification thologique et non anthropologique,elle se fonde sur Dieu et non sur lhomme64.

    Le cardinal Lercaro, qui eut un rle dterminant dans lin-troduction du thme de la pauvret dans les discussions conci-liaires, disait prcisment cette occasion, quil fallaitentendre pauvres au sens commun du terme ; que Jsusnentendait pas reconnatre les mrites de quelques-uns deses auditeurs et leur promettre une rcompense , mais quilsagit dun enseignement sur la misricorde totalement gra-tuite de Dieu , o les dispositions morales nont aucuneimportance, mais seulement le fait que le Christ a t envoypour les consoler65.

    Voici donc les deux interprtations principales de la bati-tude des pauvres. Lune, comme on le voit, prend appui sur lapauvret comme tat dme , lautre davantage sur la pau-

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    64. Cf. J. Dupont, Les Batitudes, 2 vol., 1969.65. Cit par J. Dupont, I, dans La Chiesa del Vaticano II, 1965, p.410,

    n76.

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  • vret comme tat social . Dans les deux cas, la librationde la pauvret vient par le Royaume de Dieu, mais dans lepremier cas, elle suppose une disposition qui est dans lhom-me et dans le second cas, uniquement lexigence de Dieuenvers lui-mme. Prise isolment, chacune de ces interprta-tions ne satisfait pas pleinement. La premire parce quelletend trop exclure la rfrence au social, la ralit de la pau-vret ; la seconde parce quelle exclut de manire trop draco-nienne les dispositions intrieures du pauvre.

    Je voudrais souligner, en particulier, les inconvnients dela seconde interprtation qui me paraissent les plus graves.Elle nexplique pas la parent troite qui existe dans lvan-gile entre le concept de pauvret et celui dhumilit, entre leprivilge des pauvres et celui des enfants. Dailleurs, cest uneexplication qui en fait ne dbouche sur rien. La grande libra-tion des pauvres, sociologiquement tels, devrait tre consti-tue par le Royaume de Dieu, mais ensuite, en analysant lanature de ce Royaume, on voit quil napporte rien de nou-veau pour leur situation relle, car il ne les fait ni plus riches,ni plus rassasis sur le plan matriel. Ce nest donc quenapparence que cette interprtation moderne est plus attentiveau social. Il y a mme le risque dinstrumentaliser la pauvre-t, nen faisant quune occasion qui permette Dieu dedmontrer sa souveraine justice. Sans compter que, mmedans ce cas, la ralisation se situerait sur un plan tout faitdiffrent de celui de la promesse et de lattente : on promet aupauvre une libration de sa pauvret matrielle, mais une lib-ration qui se rvle, finalement, ntre que de nature spirituel-le.

    Jsus se proccupe certainement des pauvres rels, mais nele fait pas tant lorsquil proclame les pauvres heureux , quelorsquil considre fait lui-mme ce qui leur est fait ou non,et quand il menace de lenfer, comme dans la parabole dumauvais riche, ceux qui ne se soucient pas du pauvre.

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  • silence, dans la quitude et la paix la plus profonde, alors pourla premire fois la Parole toute-puissante descendit de sontrne royal, la lumire brilla dans les tnbres. Ceci nous rap-pelle quelles sont les conditions pour que le Nol se rptedans notre me.

    Marie, dit un texte de Vatican II, est au premier rang deshumbles et des pauvres du Seigneur, qui avec confiance atten-dent et reoivent de lui le salut89. En dautres termes, elle estla ralisation parfaite de cet idal de la pauvret en esprit quenous avons essay de reconstruire. Elle marche en tte de cereste d humbles et pauvres qui mettent leur confiance dansle Seigneur . Elle navait pas besoin de revenir soncur , parce quelle nen sortait jamais. Son regard et toutesses penses, surtout lorsquelle portait Jsus dans son sein,taient tout tourns vers lintrieur, car en son intrieur habi-tait vraiment, et pas seulement spirituellement, la Vrit .

    Durant tout le temps o je prparais ces rflexions, jaigard devant mes yeux une icne de la Vierge Marie aveclEnfant Jsus sur son bras en habit royal. Son visage inclinvers son Fils dans une attitude dhumilit et dadoration infi-nies exprimait la quintessence mme de la pauvret vang-lique. Sil y a eu, ne serait-ce quune seule pense valide dansles rflexions que jai proposes sur la pauvret, elle est, jensuis convaincu, venue delle. Cette icne a t mon livredcole sur la pauvret.

    Quelle nous obtienne la grce daimer la pauvret etdtre, sa suite, du nombre de ces pauvres et humbles quine se confient que dans le Seigneur .

    89. Lumen gentium, 35.

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  • Table des matires

    Avant-propos de lditeur......................................................5

    - I -La Virginit

    1. Introduction.................................................................. 9

    2. Les motivations bibliques de la virginit......................13Il y en a qui ne se marient pas cause du Royaume des Cieux................................................. 13Celui qui nest pas mari a souci des affaires duSeigneur.....................................................................25Virginit et Mystre pascal........................................... 39

    3. Comment vivre la virginit......................................... 49Mariage et virgini : deux charismes............................49

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  • Les moyens pour entretenir le charisme du clibat..... 61La Vierge Marie............................................................ 75

    4. Conclusion................................................................. 79

    - II -LObissance

    1. Renouvellement de lobissance dans lEsprit.............. 85

    2. Lobissance du Christ................................................ 90

    3. Lobissance comme grce : le baptme...................... 98

    4. Lobissance Dieu comme un devoir........................103

    5. Lobissance Dieu dans la vie chrtienne.....;...........112

    6. Obissance et autorit................................................126

    7. Marie lobissante.....................................................130

    8. Voici, je viens Dieu............................................134

    - III -La pauvret

    1. Heureux qui pense au pauvre.................................... 146Les pauvres, ils existent !............................................146 Cest moi que vous lavez fait .......... ................ 150Aimer, secourir, vangliser les pauvres.....................156

    2. Pour vous Il sest fait pauvre......................................163tre pour les pauvres et tre pauvre ............... 163Un renouvellement de la pauvret dans lEsprit ...168La pauvret dans la vie du Christ............................... 174 Heureux vous les pauvres ..................................... 179

    AIMER AUTREMENT

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  • Nous avons trouv le vrai pauvre............................... 184Voici, que nous, nous avons tout laisset nous tavons suivi.................................................. 187

    3. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon.....................192La pauvret spirituelle combattre............................ 192Tu es pauvres.............................................................. 194Lidoltrie de largent, racine de tous les maux......... 199Je ne dsire rien en dehors de Toi sur la terre............ 206Pleurez, vous les riches.............................................. 210

    4. Heureux les pauvres ........................................216 Pauvres et pauvres en esprit ............................218Lidal biblique de la pauvret desprit...................... 225Comment vivre la batitude des pauvres.................... 228Pauvret et retour lunit..........................................233 Rentre en toi-mme ...............................................240

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