Tortajada Archeologie Du Cinema, Histoire e Epistemologie 2004

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    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Maria TortajadaCinmas : revue d'tudes cinmatographiques / Cinmas: Journal of Film Studies, vol. 14, n 2-3, 2004, p. 19-

    51.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/026003ar

    DOI: 10.7202/026003ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

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    Archologie du cinma : de lhistoire lpistmologie

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    Archologie du cinma :

    de lhistoire lpistmologie

    Maria Tortajada

    RSUM

    Dans les histoires du cinma, ltude des dispositifs devision est envisage sous langle du pr-cinma. Orlinterrogation dveloppe ici tente de dplacer la pers-pective dune histoire gnalogique vers une pist-mologie dinspiration foucaldienne, accordant aucinma un rle de modlisateur. Cette hypothse estconfronte des travaux principalement ceux de F.

    A. Kittler, M. Milner et J. Crary qui abordent lesdispositifs de vision, dont le cinmatographe, partir deprsupposs thoriques comparables. Le dialogue avecces auteurs conduira redfinir la notion de schmepistmique, ou pistm, et montrera la ncessit decombiner lanalyse des discours et celle des dispositifsdans la multiplicit des traits qui les caractrisent.

    ABSTRACT

    In histories of cinema, the study of optical apparatusesfalls under the category of pre-cinema. The inquirydeveloped here attempts to displace the perspective of ageneological history towards that of an epistemology,inspired by the work of Foucault, that gives the cinema arole as a model-maker. This hypothesis engages with the

    work of theoristssuch as F. A. Kittler, M. Milner, and J.Crarywho make claims about the apparatuses ofvision, including the cinematograph, using similar theo-retical presuppositions. The dialogue with these authorswill bring about a redefinition of the epistemic schemaor episteme, and will show the necessity of combiningdiscursive analysis with considerations regarding the mul-tiple characteristics of the apparatuses of vision.

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    Il est aujourdhui admis que lcriture de lhistoire ducinma doit sortir du discours linaire et gnalogiquestructur partir dune origine, dune naissance , qui viendraitdonner sens au dveloppement dun mdia ou dun art. Leproblme reste cependant : comment parler de cette histoire ,quelle mthodologie substituer larticulation logico-temporelledes donnes ? Et pour construire quel objet si ce nest plus proprement parler une histoire du cinma?

    En abordant les dispositifs visuels qui appartiennent ce quonappelle le pr-cinma et qui sont fort nombreux la fin duXIXe sicle, on peut faire clater lobjet mme cinma pour lesaisir dans sa dispersion temporelle, matrielle et discursive. Cequi, selon notre perspective, peut tre alors construit, cestl pistm cinma autour de 1900, un schme de relationssignifiantes dans le contexte de lpoque et capable de modliserune certaine approche du savoir et de lexprience au-del mmedes dispositifs de vision, mais prcisment partir deux. Au curdun projet de recherche men lUniversit de Lausanne 1, cettehypothse conduit dgager, partir de diffrentes sources, leslments et relations qui appartiennent au contexte scientifique outechnique de lpoque comme au modle cinmatographique, qui,dans ce sens, participent de la mme formation pistmique 2.Notre tude prsuppose lexploration des possibles du cinma,au-del mme des actualisations historiques du dispositif, jusquenvisager le cinma dans ses dimensions purement modlisantes,imaginaires, conceptuelles, etc.

    La rfrence LArchologie du savoirde Michel Foucault, quifournit les bases de nombre doutils thoriques ncessaires notre recherche, est prsente galement dans des travaux qui,hors de la tradition des historiens du cinma, se sont intresss certains de ces dispositifs visuels. On peut mentionner ainsiMax Milner, La Fantasmagorie (1982), Friedrich A. Kittler,Gramophone, Film, Typewriter (1999), Jonathan Crary, LArt delobservateur (1994). Tous sappuient sur Foucault et, malgrleurs diffrences, tous entreprennent une exploration qui entre-tient certains rapports avec larchologie telle quil la dfinit.Llment qui retient demble notre attention est que, pourconstruire leur objet, ces trois ouvrages accordent une place

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    privilgie lanalyse des discours, la traverse de sourcescommentes en vue de mettre en vidence le statut desdispositifs tudis. Ce rapport aux textes est le prsuppos

    premier du type de recherche qui nous intresse.Ces travaux parcourent une partie du XIXe sicle en sint-

    ressant certains dispositifs de vision, mais ils diffrent par leurprojet et leur dcoupage du champ dtude. Bien sr, leur objetnest pas proprement parler le cinma, ni dans le sens largio nous lentendons, ni dans le sens strict de lhistoire du ci-nma traditionnelle. Il est cependant abord diversement par les

    trois auteurs et trouve une place plus ou moins grande dansleurs analyses. En plongeant dans des recherches en rapport avecltude des mdias (Kittler), de la littrature (Milner) ou avecune histoire de la vision et de la perception (Crary), approchesqui dailleurs ne senferment pas strictement dans ces champs,cet article fait appel des propositions permettant de dcentrerlediscours sur le cinma : des modles, des interrogations quil

    est possible de partager, des mthodes quil convient de sappro-prier ou de transformer, etc. Il sagira notamment de se deman-der, dans chaque cas, quelle place est accorde au cinma, pourtenter de dcrire la mthodologie utilise et mesurer son effi-cacit pistmologique. Le but poursuivi, ici, est de voir com-ment chacune des propositions permet de sortir du rcit histo-rique pens selon une logique causale. En envisageant plusieurs

    tudes sur les dispositifs de vision partir des interrogations quisont les ntres, je voudrais tenter de reformuler notre propreprojet afin dexpliciter ce que l pistm cinma autour de1900 permet de construire et de savoir.

    pistmologie, analyse des discours et analyse textuelleLapproche de Kittler est intressante, car le dplacement

    quelle effectue par rapport lhistoire du cinma permet deconserver ce dernier une place explicite : des trois auteursconsidrs, il est celui qui rend la plus vidente lentit film en lui accordant un chapitre entier de son ouvrage et en int-grant le terme dans son titre.

    Il est certainement enrichissant denvisager le cinma enrapport avec des dispositifs qui ne sont pas directement lis la

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    vision mais qui, sous certains aspects, ont voir avec lui, dupoint de vue du moment de leur mergence, dune part, et, selonla thse de Kittler, du point de vue de la structuration concep-tuelle quils ont apport notre culture et qui a modifi notreperception de la ralit. Le cinma est donc pour Kittler lun destrois mdias fondamentaux qui inaugurent lre des mdias ,aux cts du phonographe et de la machine crire. Ils sonttraits sparment dans louvrage, bien que mis en relation diverses occasions, chacun tant saisi dans son volution proprecomme dans ses caractristiques distinctives partir des diverstextes abords et des considrations technologiques utilises pourexpliquer leur volution. La caractristique majeure des mdiasest de fournir une reproduction de la ralit. Selon Kittler, ilschappent ainsi aux contraintes du symbolique :

    In contrast to the arts, media do not have to make dowith the grid of the symbolic. That is to say, theyreconstruct bodies not only in a system of words orcolors or sound intervals. Media and media only fulfillthe high standards that (according to Rudolph

    Arnheim) we expect from reproductions since theinvention of photography (Kittler 1999, p. 11).

    Il sagit de garantir la ressemblance par le processus de pro-duction technique 3 : de ce point de vue, le phnomne dindi-cialit devient essentiel largumentation. Lre des mdias est, selon Kittler, dfinie par la sparation mme des troismoyens de reproduction en question, ce qui dtermine larupture par rapport lre de lcrit , caractrise, elle, par sonunit 4. La concidence historique de lmergence des troismdias la fin du XIXe sicle fait que, dans le registre de lareproduction de la ralit, les informations acoustiques, visuelleset crites acquirent une existence autonome. Les possibilits deleurs combinaisons ultrieures dans lhistoire ne modifient pas leconstat de leur diffrenciation.

    Un deuxime niveau essentiel cette thse vient caractriserce jeu de diffrenciations. Les trois mdias sont distingus lesuns des autres partir des catgories lacaniennes : le rel, pour lephonographe, qui enregistre la continuit des ondes sonores, lamatire de la voix5 ; limaginaire, pour le cinma, qui renvoie au

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    miroir, au jeu de doubles, toutes les illusions optiques ducinma des premiers temps ; le symbolique, pour la machine crire, qui dissque les signes et les discours en lments discrets,

    les lettres, les mots, spars par les espaces quimpose la frappemcanique au moment de leur reproduction 6.

    Ltude de Kittler permet de saisir certaines caractristiquesdes dispositifs qui tiennent deux des grandes catgories de lathorie des mdias : les notions de stockage et de diffusionde linformation. Peu mentionnes par les historiens du cinma,elles dfinissent des qualits du dispositif cinmatographique en

    relation avec son accessibilit ou sa capacit sinscrire dans latemporalit, conserver le temps enregistr plutt que de lelivrer dans linstant, par exemple. Il est certain que ces termespourraient faire partie de la rflexion sur les dispositifs de visionet sajouter toute autre caractristique dfinissant la machine-rie ou la place du spectateur, notamment 7.

    tant donn ces propositions et interprtations, le discours de

    Kittler nous permet-il de renouveler lapproche gnalogique delhistoire du cinma ? Le parti pris de la confrontation et de lasparation des trois mdias ouvre-t-il sur un renouvellement ? Larfrence Foucault, larchologie du savoir et au type dana-lyse quelle implique, pourrait tmoigner dun tel projet 8.

    Si Kittler renvoie Foucault plusieurs reprises, ce nest paspour retenir sa mthodologie, ni mme les prmisses thoriques

    de son approche des discours. vrai dire, le statut des rfrences Foucault est trs variable. Lintroduction propose dembleune mise distance : dernier historien et premier archologue (Kittler 1999, p. 5), Foucault est cantonn au domaine delcrit. Les discours quil analyse, selon Kittler, sont perus endehors de toute conscience du mdium, du moyen de commu-nication que reprsente lcriture. Pour cette raison mme,

    Foucault sarrte dans ses analyses avant lre des mdias, avantla diversification de ces supports du discours. Et Kittler conclut : Lanalyse des discours ne peut tre applique aux archivessonores ni au film 9. Il est certain que les poques abordes parFoucault dans son travail sur lpistmclassique, sur le discoursde lenfermement ou sur le discours psychiatrique, prennentracine dans un temps historique antrieur celui que Kittler

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    dfinit comme lge des mdias. Cela veut-il dire pour autantque les mthodologies utilises ne pourraient sappliquer cesnouveaux mdias, eux-mmes supports de systmes de signes etde diffrents langages, eux-mmes instruments qui actualisentdiverses modalits discursives, eux-mmes vhicules possiblesdun discours, dans le sens complexe que Foucault (1969,p. 153) accorde ce terme : [] un nombre limit dnoncspour lesquels on peut dfinir un ensemble de conditionsdexistence 10 ?

    La notion de mdia, dans sa dimension technologique, et lesimplications conceptuelles qui en dcoulent, semblent oblitrerchez Kittler celle de discours, mme dans sa conception plusclassique hrite de la linguistique et tendue lespace visuelnotamment. Le film nest pas seulement un mdia, il est aussi lesupport dun langage. Il parat difficile de faire limpasse sur toutun pan du savoir concernant les images, les reprsentations et lesdispositifs de vision. Il serait plus intressant, au contraire,darticuler ensemble lapproche technologique et celle qui tientcompte du langage et des discours, pour rendre plus productifsleurs acquis. Mais, cet oubli de la dimension discursive desmdias est sans doute ncessaire la thse de Kittler: cet efface-ment lui permet en effet doprer un saut conceptuel en rappro-chant chaque mdia dune des trois catgories lacaniennes vo-ques plus haut. Effectivement, si Kittler admettait que chaquemdia, dans ses caractristiques technologiques, a affaire desdiscours de divers types, il serait impossible de cantonner lesymbolique de Lacan, soit lcriture, soit la machine crire.Rien de plus riv au discours et au langage, en effet, que ladfinition lacanienne du symbolique 11. Si tous les mdias ontaccs au discours, alors comment admettre que la notion dimagi-naire soit suffisante pour dcrire le cinma, les effets du dispositifcinmatographique ? Pour oprer ce rapprochement restrictif, ilfaut ncessairement suspendre certaines donnes des dispositifseux-mmes, qui lient les mdias aux processus de reprsentation,au sujet rcepteur ou spectateur et aux phnomnes culturels, cequi parat contradictoire avec la vise mme de lauteur.

    Foucault rapparat dans le texte de Kittler diverses reprises et des places diffrentes : par exemple, il sera cit comme rfrence

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    propos de son analyse de la psychanalyse 12 ; comme source, poursa mention de la machine crire (Kittler 1999, p. 229). Samthode danalyse des discours sera le comparant dune figuration

    littraire analyse par Kittler dans le rcit de Salomo Friedlander,Goethe spricht in den Phonographen(1916) (p. 76), ou encore lecomparant de la discontinuit instaure par le montage cinmato-graphique (p. 117). Ces rapprochements, pour intressants quilssoient, naccordent pas un statut de rfrence mthodologique larchologie telle que la dfinit Foucault. Cest mme explicite-ment une mise distance que pratique Kittler, malgr sa frquen-

    tation des textes sources et llaboration conceptuelle quil tente propos de lre des mdias.

    Quen est-il alors de lapproche concrte de ces mdias, etplus particulirement du cinma ? Le chapitre sur le film com-mence par poser les caractristiques originelles de ce moyen dereproduction : le montage et le trucage. Cest justement, selonKittler, ce qui fonde le lien du cinma limaginaire lacanien.

    Les rfrences suivront, Muybridge, Marey, Mlis. Contraire-ment au phonographe, qui se dfinit par son appartenance audomaine du rel en ce quil enregistre des ondes continues dansun mdium qui respecte cette continuit, en ce quil grave lematriau brut de la ralit sans laltrer, en somme, en ce quilenregistre la signature du rel 13 , le cinma coupe dans le fluxdes ondes optiques. Il est incapable de capter lamplitude de ces

    ondes : cest ce qui lautorise couper pour pouvoir stocker delinformation. Et cest ainsi que Kittler (1999, p. 119) en vient expliquer le passage limaginaire :

    Stop trick and montage, slow motion and time lapseonly translate technology into the desires of theaudience. As phantasms of our deluded eyes, cutsreproduce the continuities and regularities of motion.

    Phonography and feature film correspond to oneanother as do the real and the imaginary. But thisimaginary realm had to be conquered 14.

    Suivant sa mthode, qui consiste appliquer un caractretechnologique repr un sens mtaphorique ou conceptuel pourdcrire limaginaire de la modernit dans le sens non laca-nien ici , faisant fi de tout autre aspect complmentaire ou

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    des diffrents niveaux intermdiaires qui relient la dimensiontechnique aux rcepteurs de linformation, Kittler traduit parla catgorie lacanienne de limaginaire, associe ici aux fantasmesdes spectateurs et leurs dsirs, un trait formel appartenant aumdia. La rapidit de lassociation mtaphorique tonne. Ce quiest pourtant bien moins surprenant, cest de rapprocher lecinma du fantasme : nous ne sommes pas loin ici dun topos delhistoire du cinma, souvent rsum par le cinma est unrve . La dimension illusionniste du film a t perue en effetdemble par les contemporains de son mergence. Les annes1920 ont connu des tentatives de thorisation du rapport entrele cinma et les phnomnes psychiques ou de pratiquesfilmiques exprimentant un langage associ au rve. Dans ledomaine de la thorie du cinma, les annes 1970 ont vuapparatre des thses, sous la plume de Christian Metz, de Jean-Louis Baudry, notamment, dfinissant certains traits du specta-teur partir de la catgorie lacanienne de limaginaire pourparler de lidentification la camra mais leur dmonstrationprocde sur des bases diffrentes.

    La particularit de Kittler est de construire, partir dunlment de lhistoire du cinma, une catgorie dans laquelle toutle cinma va trouver son principe ; une catgorie que lhistoiredu cinma va tre amene, en somme, constituer, conqu-rir . Ce dernier terme ouvre sur une organisation rationnelle dela dmonstration construite sur la notion dvolution. Il sagirabien sr de passer par lillusion du mouvement, par les tech-niques de sa reproduction et de sa dcomposition. Si le chapitreconcernant le phonographe fait preuve dune plus forte orga-nisation causale de lhistoire 15, la partie traitant du film va seconcentrer sur deux grands thmes. Le premier concerne le lienqui sest instaur entre la guerre et le cinma, lien que le fusilphotographique de Marey illustrerait parfaitement selon lau-teur. Ce thme, qui sera dvelopp travers un grand nombredexemples, est suivi dun autre grand sujet du cinma : lafolie 16, qui ouvre lanalyse des discours psychiatriques et psycha-nalytiques sur la question.

    Avec le sujet, ou le thme, nous entrons dans une catgorisa-tion qui permet de spcifier diffrents aspects du mdia dpassant

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    le technologique ou mme le dispositif de vision. Sont ainsirunies des analyses qui touchent des niveaux de descriptionhtrognes et qui ont fait lobjet de diffrentes tudes, dont bon

    nombre manent de lhistoire du cinma. Lanalogie dveloppeentre le dispositif du cinma et celui du fusil, des armes feu,traite par Paul Virilio 17 et thmatise par Jean-Luc Godard dansHistoire(s) du cinma (1989) 18, ctoie des considrations sur laguerre comme moyen de dveloppement de lindustriecinmatographique; ainsi en va-t-il de laction de Luddendorf enAllemagne. Cette question, traite par Georges Sadoul, est

    dveloppe dans nombre dtudes sur le cinma allemand 19. Ontrouve aussi mention de la pratique documentaire pendant laguerre et limportance quy prend la vue arienne. Tous cesniveaux de comprhension qui chappent la dimensiontechnologique du mdia, et qui ont voir avec les discours et lesreprsentations vhiculs, sont finalement ncessaires pourconstruire sa fonction culturelle, mais il sont aussi soumis la

    dtermination dj commente: limaginaire lacanien.En somme, Kittler propose une approche historique qui

    articule une dimension volutive et des grands thmes lintrieur dune partition originale (les trois mdias), mais dontil est difficile dadmettre la catgorisation : le modle lacanienest impos sans tre lui-mme analys dans sa validit pistmo-logique. Comment conformer une poque, ou diffrentes

    poques, ce schma dtermin historiquement et scientifique-ment ? La mthode danalyse de Kittler, qui travaille dassez prsles textes sources, et qui a la qualit doffrir ses lecteurs delongs extraits partir desquels construire une analyse des dispo-sitifs mentionns se situe donc aux antipodes de lpistmologie,puisque le primat technologique devient la grille explicative dela culture, grille elle-mme construite partir dune catgo-

    risation hautement culturelle les trois domaines lacaniens dela constitution du sujet dont la fonction reste pour sa partnon analyse.

    Le discours psychanalytique est trait par ailleurs comme unesource dans le chapitre concernant le film. Revenir brivement lun de ces passages me permettra dexposer a contrario le typedinterrogation quil nous importe de dvelopper dans une

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    recherche de nature pistmologique tel quil sagit de laredfinir ici.

    propos des tudes sur lhystrie 20, Kittler passe dunedescription de la pratique de Charcot avec ses patientes AlbertLonde, qui tente la photographie de leurs poses, dmarche queKittler situe dans le prolongement de Muybridge et de Marey21.Freud est ensuite prsent pour sa position contraste avec cessavants et chercheurs qui utilisent limage concrte de naturephotographique. Un extrait montre comment, dans la curefreudienne, le discours verbal se substitue limage intrieurepour en librer le patient :

    Le retour des images nous donne gnralement moinsde peine que celui des ides. [] Lorsquune image arapparu dans le souvenir, le sujet dclare parfoisquelle seffrite et devient indistincte mesure quil enpoursuit la description. Tout se passe, quand il transposela vision en mots, comme sil procdait un dblaiement.

    Limage mnmonique elle-mme fournit lorientation,indique dans quelle direction le travail devra sengager. Regardez encore une fois limage. A-t-elle disparu ? Dans son ensemble, oui, mais je vois encore undtail (Freud 1986, p. 226-227) 22.

    Kittler met distance les pratiques orientes de Charcot et deFreud parce quelles orientent les comportements ou les discoursdes patients, ce qui lamne dvelopper une critique du statutde la femme lintrieur du discours et de la pratique psychia-trique. Pourtant, partir de la citation de Freud, il enchaneainsi : Naturally, such sequences of images in hysterics orvisually oriented people are an inner film (Kittler 1999,p. 142). Malgr lintrt de la position de Kittler sur le discourspsychiatrique, le statut quil rserve au cinma reste problma-tique car, bien que le lecteur soit pris pour complice par le naturellement , le cinma ne va nullement de soi dans cepassage. En effet, si Freud parle explicitement dimageintrieure, en lintgrant un dispositif de vision par la mentiondun il intrieur, il ne fait pas du tout allusion au cinma ou un processus pouvant renvoyer ce dispositif tel quil a tenvisag par Kittler travers la rfrence Muybridge et Marey.

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    Freud ne sintresse pas du tout une srie dimages, mais uneseule image, isole, qui se prsente au patient, se brouille oudisparat, dans un processus mmoriel complexe. Ce qui est peu

    surprenant en 1895 se confirme dans les annes 1920. Contrai-rement Karl Abraham et Hanns Sachs, Freud refuse de col-laborer au scnario du film Les Mystres dune me(Geheimnisseeiner Seele, Georg Wilhelm Pabst, 1926). Il adopte cetteposition malgr les comparaisons optiques quil propose lorsquilaborde, dans LInterprtation des rves(1926), sa rflexion sur le lieu psychique . Il sagit alors pour lui de rpondre la

    question : o se forme limage ? Toutes ces rticences semblentmontrer son refus de passer limage concrte pour signifierlimage mentale 23.

    Pour fonder un savoir sur la fonction du dispositif cinma-tographique, il faut tablir le statut des dispositifs mentionnsdans les sources. Il convient de se demander, dans ce cas prcis,pourquoi, justement, ce qui est pour nous aujourdhui un lieu

    commun, cest--dire la comparaison des images intrieures auflux de limage cinmatographique, comparaison que la thoriepsychanalytique sest approprie de multiples manires 24, ne vajustement pas de soi dans le texte de Freud. Il ne sagit pas ici decontester que le dispositif cinmatographique ait pu tre consi-dr comme un modle de lappareil psychique, mais le glissement interprtatif opr par Kittler se rvle tre un trait

    fondamental de sa mthode. La lecture des sources doit passerpar une analyse textuelle afin de dgager le discours des sourcesavant de postuler toute traduction , qui correspond en fait un processus de mtaphorisation. Ce jeu de la mtaphore-traduction est ce qui spare la dmarche de Kittler dune inter-rogation de type pistmologique qui passe, elle, par la cons-titution dun schme de relations signifiantes entre diffrents

    lments discursifs permettant de dgager un ou plusieursaspects des dispositifs de vision et de les intgrer leur contextepistmique. Il ne sagit pas dans cette dmarche de plaquer oude reconnatre derrire une mention tel ou tel dispositif, pourpromouvoir telle analogie, mais de reprer les caractres de telschme pistmique qui, sans dcrire un dispositif de visionspcifique, peut pourtant linclure ou limpliquer. Il ne sagit pas

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    non plus de prendre la lettre les textes, de ne reprer littrale-ment que les mentions de dispositifs : ce serait totalementcontraire notre propos. Quoique Freud ne mentionne pas lecinma, il serait peut-tre possible de reprer les conditions qui lerendent possible dans les dispositifs quil dcrit. Cela requerraitbien sr une analyse dtaille de plusieurs passages en relation lesuns avec les autres pour dgager, par lanalyse textuelle, lescaractres spcifiques susceptibles de construire quelque chose qui,en filigrane, ait voir avec le dispositif cinmatographique. Unetelle dmarche permet de faire des rapprochements surprenants.Prenons le cas du phonographe, cit par Kittler, notamment, dansle texte dAlfred Jarry, Les Minutes de sable mmorial (1894).Lappareil y est effectivement renvoy lme humaine 25. Cepen-dant, si nous allons plus loin dans lanalyse de ses occurrences chez

    Jarry, nous ne pouvons manquer lune des figures essentielles quifait du phonographe un cinmatographe, un grand il partirduquel semble se jouer une scne sonore du cinma muet 26. Letexte met ainsi en place un dispositif qui a voir avec le dispositifcinmatographique, il en construit le schme implicite. Il nousamne alors envisager les dispositifs dans leurs interactions, etnon plus sparment, dans leurs logiques historiques volutives oudans leurs thmatiques indpendantes.

    Le schme pistmiqueLouvrage de Max Milner, La Fantasmagorie, ne fait pas du

    cinma le fil conducteur de son discours. Il nest pas le fruitdun travail dhistorien des mdias, mais dun spcialiste de lalittrature. Il apporte cependant une contribution enrichissantepour une recherche pistmologique sur les dispositifs de vision,ne ft-ce que par le statut quil accorde la mthodologie. Dslintroduction, Milner situe sa dmarche par rapport Foucault :son travail, dit-il, prsente un cas particulier, mais particulire-ment significatif, de cette archologie du savoir dont MichelFoucault a tent lexploration dans dautres domaines (Milner1982, p. 6). Contrairement Kittler, Milner revendique donccette rfrence.

    Quel savoir vise constituer sa recherche ? On pourraitcommencer par rsumer son objet de manire lapidaire par le

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    terme d optique. Mais cela requiert demble une spcifica-tion. Ltude de loptique se situe en effet lintrieur dungenre littraire qui donne sa cohrence au corpus tudi : la

    littrature fantastique, ouverte au roman danticipation. Latranche historique parcourue va ainsi de la fin du XVIIIe sicle aumilieu du XXe sicle environ. Il sagit pour Milner dtudiercomment la reprsentation des dispositifs de vision lintrieurdune srie duvres littraires permet de construire un nouveau rgime de limaginaire (Milner 1982, p. 24), quilsitue dans une histoire de limagination de notre culture :

    Cette nouvelle forme dimagination, seuls les dispositifsoptiques perfectionns au cours du dix-huitime sicleet transfrs par Robertson, entre autres, du domainede la physique amusante au domaine du spectacle,permettaient de la dcrire, parce quils permettaient depenser le rapport fascinant et dceptif qui existe entrela ralit et la conscience qui la reflte, la dforme ou latransfigure (Milner 1982, p. 23-24).

    Ces instruments permettent en quelque sorte de dcrire lespouvoirs ambigus de limagination. Si le terme de fantasmagoriedsigne le spectacle optique mis en place par Robertson et fondsur des exprimentations scientifiques dans le domaine deloptique, il renvoie aussi des sens mtaphoriques varis,fonction de lincertitude perceptive que les diffrentes illusions

    optiques provoquent. Il sagit, lintrieur des modalits dufantastique moderne, de construire la reprsentation du mondeque se donne le sujet, contraint un point de vue incertain pourlequel les images se projettent, se mtamorphosent et sesuccdent avec lillogisme du rve (Milner 1982, p. 23).

    Loptique est envisage comme le cadre culturel lintrieurduquel se constituent les reprsentations. Elle est aussi saisie en

    rapport avec un oprateur interprtatif fourni par la psycha-nalyse. Ainsi les mtaphores optiques peuvent ouvrir sur lautrescne (Milner 1982, p. 23) et sont analyses en fonction denotions comme le dsir de voir (p. 44-47), le ftichisme ou linquitante tranget (p. 43 et 95). Ces rfrences, et enparticulier cette dernire, sont logiquement amenes, puis-quelles participent la dfinition mme du genre fantastique :

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    le dplacement subjectif engendr par les phnomnes optiquesest li leffet dinquitante tranget.

    Lapproche des dispositifs est totalement rive la fonctionquils occupent dans le texte, fonction qui est dfinie demblepar le but de la dmonstration : leur capacit signifier, dsigner,mtaphoriser lactivit imaginaire de lhomme. Chaque chapitre,bien que le titre ne lindique pas, aborde des dispositifs concrets,tels que reprsents dans les textes : miroir, lunette, lorgnette,loupe, lanterne magique, microscope, tlescope, photographie,cinma. Ainsi, un dispositif de vision est-il systmatiquement li un sens culturel associ avec le genre du fantastique. Unprocessus signifiant similaire peut fonctionner dans dautrescohrences discursives luvre dun philosophe, parexemple , comportant dautres vises : ainsi, sous la plume deBergson, tel dispositif de vision comme le cinma ou laphotographie aura pour fonction de renvoyer au fonctionnementde la pense ou au processus de la mmoire. En constituant unsavoir partir des dispositifs de vision et en rfrence un genrelittraire, lentreprise de Milner peut tre associe une analysepistmologique plus globale : il sagit bien l, comme lentendlauteur, dun cas particulier de larchologie selon Foucault.En somme, la dmonstration est parfaitement convaincante : elleutilise lanalyse textuelle pour dgager le concept ou le sensajout associs aux dispositifs dmarche qui fonde sa fiabilit.

    Dun point de vue mthodologique, nous sommes cependantamens nous dmarquer de cette dmarche sur deux points. Lepremier concerne la place accorde au dispositif cinmato-graphique. Il est abord ponctuellement par lauteur, toujoursselon la mme problmatique, partir de diffrents textes parusaussi bien au XIXe quau XXe sicle 27. Cela implique de concevoirle dispositif du cinma comme un tout homogne ds lors quedes textes sy rfrent et avant mme quil nexiste comme telpour un public. En somme, la cohrence du genre analys parMilner masque une possible diffrenciation et une transfor-mation, non seulement du dispositif lui-mme, mais des termesretenus pour le dfinir et des concepts pouvant lui tre associsen dehors de la dimension imaginaire dj dfinie. Toutdveloppement pistmologique est ainsi cart du champ de la

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    recherche, au risque de passer ct de quelque modification dela notion mme de cinma, de dispositif cinmatographique,dans lpoque tudie. De plus, certaines mentions ponctuelles

    renvoient une approche des dispositifs qui relve de lagnalogie: par exemple, tel texte annonce ou prfigure lecinma28.

    Cette approche dlibrment partielle du dispositif cinma-tographique comme des autres appareils de vision trace leslimites de la dmarche. Son dveloppement proprement pist-mologique, au sens o nous lentendons, est lui-mme dpen-

    dant de larticulation que Milner propose avec une autre rf-rence mthodologique, dont La Relation critiquede JeanStarobinski est le modle. Ce qui permet lauteur de revendi-quer ensemble les deux mthodes, cest leur vise de typeculturel. Dans la mesure o elle permet de construire lun descadres culturels travers lesquels nous nous reprsentons notrepossibilit daccder la vrit ou dinstituer un spectacle men-

    tal , lpistmologie peut rejoindre ltude de lincidence desphnomnes culturels sur le rgime de limagination cratrice une poque donne et sur la manire dont cette poque elle-mme en a pris conscience (Milner 1982, p. 6-7), ce pour quoiluvre de Starobinski propose plusieurs exemples remarquables.

    Pourtant, au-del du cadre ou du contexte culturel, unediffrence simpose entre ces deux mthodes. Elle concerne un

    prsuppos apport par la mention de La Relation critique, bienque Milner ne le reprenne pas son compte, puisque celui-cisemble en effet peu compatible avec une dmarche inspire deFoucault. Dans cet ouvrage, lobjet de rfrence est luvre,situe dans un contexte culturel, et dans laquelle est impliquun auteur 29. Mme si les travaux de Starobinski, comme ceux deMilner, sortent des frontires de luvre, derrire la notion

    dimagination cratrice se dessine une instance subjectiveimplicite que lpistmologie de Foucault congdie. Cette ins-tance apparat de nouveau lautre extrme du parcours critiquedcrit par Starobinski pour dfinir linterprtation: la parole ducritique, apportant de lextrieur une explication lobjet deltude, permet certes de sortir du commentaire immanent lobjet, mais la condition de maintenir linstance du sujet

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    critique 30. Le double mouvement qui sorganise entre le critiqueet le texte garantit la construction dun savoir, mais il passe parune sorte de participation que les termes d absorption ,d assimilation rendent manifeste.

    La dmarche pistmologique nest pas une dmarche decritique ; elle ne revendique pas linterprtation. Entre lessources et le chercheur, elle introduit au contraire un termeintermdiaire qui, nous semble-t-il, est reprsent par le schmepistmique: lobjet de savoir construire. Elle envisage lessources selon une certaine cohrence le genre, lauteur, lesdiscours manant des institutions, etc. , sans pour autant les expliquer par cette cohrence : les diffrents discours severront confronts pour leurs propositions respectives. Dans lecas prcis de notre projet, lanalyse vise cerner les caractresdivers des dispositifs de vision ; plus encore, les expliciter silsne sont quimplicitement voqus pour en faire apparatre lastructure. Cependant, il ne suffit pas de mettre en vidence lesdispositifs en tant que tels ni les concepts qui y sont associs. Leschme pistmique nest pas proprement parler tel ou teldispositif historiquement repr. Cest une construction abs-traite, thorique, qui runit nombre de caractres spcifiques, denature concrte ou conceptuelle, partags mme partielle-ment par un certain nombre dappareils de vision dans lestextes sources analyss. Le schme ainsi construit ne peut tre rsum en un dispositif singulier qui aurait t ralis concr-tement dans lhistoire. Il est un ensemble de donnes et derelations qui dfinissent les conditions de possibilit non seule-ment de lexistence effective des dispositifs, mais encore de leurutilisation culturelle, institutionnelle aussi bien que textuelle.

    Ainsi, la modlisation de limaginaire que propose Milner partir dune relation binaire entre tel dispositif avr et tel sensdsign (par exemple, les mirages de lhallucination ou dufantasme dans un certain rapport au sujet qui les prouve), bienque prsentant une partie des lments dun schme pis-tmique, ne permet pas de dgager les prsupposs culturels quesupposent ces dispositifs nombreux auxquels il se rfre. Laquestion laquelle il sagirait de rpondre dans ce cas est : quelssont les traits et relations rcurrents dans les dispositifs de

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    vision, tels quils sont voqus dans ce corpus, susceptibles departiciper un schme qui les dpasse tous en mme temps quilles prsuppose ? Dans ce sens aussi, il est possible daffirmer,

    qu laune pistmologique, la dmarche de Milner prsente uncas particulier.

    Analyse des discours/analyse des dispositifs :fonction du schme pistmique

    Pour constituer le schme pistmique des dispositifs devision, il convient dlargir le corpus de manire confronter

    plusieurs types de discours relevant de diverses manires depenser, lies aux pratiques sociales, institutionnelles, rhtoriques,etc., tous tant pris dans diffrents espaces dnonciation 31. Deplus, il sagit de viser les dispositifs eux-mmes, pour dgager partir deux et des textes qui les dfinissent, tel ou tel conceptassoci. Cette dmarche, essentielle pour notre projet, est prochede lentreprise de Crary, qui part dune vritable hypothse pis-

    tmologique, assumant pleinement la ligne foucaldienne.Le but de Crary est de montrer la transformation du modle

    de sujet observateur 32 entre les annes 1810 et 1840 et la cons-titution dun nouveau mode de vision. Il montre que, ant-rieurement dvolus un sujet dsincarn 33 , les dispositifs devision participent ds la premire partie du XIXe sicle laconstitution dun sujet dfini par son corps, sa perception et

    lappareillage quil subit. En somme, il pose le moment dunerupture pistmologique. cette fin, Crary entend donc travail-ler selon un principe pistmologique qui consiste construirelobjet culturel lobservateur comme un effet des rapportsde diffrents facteurs, discursifs, sociaux, technologiques etinstitutionnels 34. Autant dire que nous nous situons ici au plusprs du schme pistmique qui nous intresse.

    Lpoque o Crary situe la transformation pistmologiquelaisse le cinma hors champ : il ne sera jamais abord dans sadimension de dispositif. Pourtant, les appareils de vision rete-nus, notamment le zootrope, le phnakistiscope, le diorama,etc., font partie des objets dtude du champ cinmatogra-phique. Pour rgler certaines questions mthodologiques, Craryfait allusion lhistoire du cinma en la remettant en question,

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    en raison, justement, de la causalit : il critique une certainemanire dcrire lhistoire, guide par un dterminisme techno-logique qui laisse apparatre le cinma comme un aboutissementdu dveloppement des appareils 35. cela sajoute une autrecritique, qui porte sur une histoire de la vision donne commecontinue et qui fait du cinma, aprs la photographie, labou-tissement dune ambition raliste, fonde depuis le XVe sicle surlutilisation de la perspective 36. Nous ne pouvons que nous

    joindre cette approche, en ajoutant cependant quil existe destentatives de la part dhistoriens du cinma de dvelopper unecritique analogue.

    Une autre qualit de lapproche de Crary est darticulerlanalyse des discours et celle des dispositifs de vision eux-mmes. Deux avantages majeurs en procdent : le premier tient ce que ltude des discours peut tre confronte aux possibi-lits concrtes des appareils, aux objets matriels comme auxlments constitutifs des diffrents dispositifs dans leur dimen-sion historique et structurale (la socialit spectatorielle), et cela,mme si certains textes sources tudis ignorent telle ou telle deces caractristiques. Le second dcoule de ce que lapproche delobservateur trouve une raison de plus de sortir du dbat clos li la reprsentation. Cest un aspect auquel Crary est particu-lirement attach 37. Le chapitre IV, intitul Les techniques delobservateur , concerne spcifiquement les dispositifs dits pr-cinmatographiques en histoire du cinma. Il nous parat doncimportant de le relire ici pour tenter daffiner le rapport mtho-dologique quentretiennent lanalyse des discours et lanalyse desdispositifs concrets.

    Au moment o il aborde ces dispositifs, Crary a principa-lement dfini le nouveau sujet observateur partir des textessources et selon les critres suivants : par rapport au sujet libremais dsincarn de la chambre noire, le modle de lobser-vateur qui se met en place est dfini dans sa subjectivitphysique: il est le lieu o sengendrent les reprsentations. Il estriv son corps, lexprience de ses sens, pris dans la tempo-ralit 38. Ce constat implique trois thses sur le statut du sujet.loign de la stabilit et de la fixit quimpose la chambre noire,le sujet dfini par sa perception est vou la mobilit : Tout se

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    passe alors comme si on se mettait valuer lexprience visuellesous un jour nouveau, lui confrer une mobilit et unecapacit dchange quelle na jamais eues, labstraire de tout

    lieu, de tout rfrent fondateur (Crary 1994, p. 37 et 135).La mobilit est lie un phnomne de dstabilisation 39.

    Cest un sujet assujetti , au sens foucaldien, qui se met enplace. partir des thories de Johannes Mller, Crary remarqueen effet que le systme physiologique de lobservateur se rvle dfectueux, incohrent, victime dillusions et, chose capitale,sujet des procdures extrieures de manipulation et de stimu-

    lation capables par-dessus tout deproduire lexprience du sujet,celui-ci tant en mme temps objet de savoir et objet demthodes de contrle et de normalisation (Crary 1994,p. 136). Cette deuxime thse, inspire par lanalyse du Panop-ticon de Foucault, nous semble la fois intressante et troprapidement pose, dautant plus que la manipulation et lexp-rience produite de lextrieur semblent mal saccorder avec un

    sujet do manent les reprsentations.La troisime thse consiste dans la dfinition dune percep-

    tion autonome prive de tout rfrent extrieur . Cette coupureimpose entre le sujet et le monde se fonde notamment, selonlauteur, sur la thorie de la persistance rtinienne, qui dmontre la prsence dune sensation en labsence dun stimulus (Crary1994, p. 144), ainsi que sur la dimension temporelle de

    lobservation. Lorsquil aborde les dispositifs de vision, la durede la perception et sa dliaison par rapport lobjet regard sontessentielles. Ce qui semble runir les appareils quil tudie est lamultiplicit des images produites par le dispositif, comme cest lecas notamment pour les images conscutives , dont leffet estenvisag lpoque comme fond sur la persistance rtinienne.Sous cet angle, il traite du thaumatrope, du phnakistiscope, du

    stroboscope et du zootrope, ou, tout au moins, les mentionne.Si, ce titre, cette mise en srie nest pas contestable, lesrapprochements des diffrents systmes machiniques reprs nenous paraissent pas toujours convaincants : lorsque Crary abordela description des dispositifs concrets, la mthode savre nosyeux incomplte. En effet, un autre groupe de dispositifs se des-sine, qui soulve la thse de lassujettissement de lobservateur :

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    sy trouvent runis le phnakistiscope, avec sa structure rigideet disciplinaire (Crary 1994, p. 164), et le diorama. Aprs lapersistance rtinienne, le second aspect retenu pour dfinir lephnakistiscope est la relation disomorphisme entre lesphnakistiscopes, jouets optiques, et ces mmes appareils dansleur fonction dinstruments scientifiques, utiliss pouraccrotre le savoir sur lobservateur , avec, pour consquence,que la position physique de lobservateur dnote prcismentune confusion de trois modes dtre : le corps de lindividu est la fois spectateur, sujet de la recherche et de lobservation empi-riques, et lment dune production mcanise (Crary 1994,p. 161-162). Placer le sujet, grce cet isomorphisme, la foisen position de spectateur et dobjet de savoir, devient unargument pour tablir lemprise quil subit, en appliquant lathse de lassujettissement au domaine du spectacle 40.

    Crary en vient conclure ce bref dveloppement par undeuxime argument qui est aussi un constat :

    La production de lobservateur au dix-neuvime sicleconcide avec de nouvelles procdures de discipline etde gestion. Chaque mode dtre mentionn ci-dessuspostule un corps qui saligne sur un agencement deroues animes dun mouvement uniforme, et quil faitfonctionner (Crary 1994, p. 162).

    Cependant, la dmonstration ne nous parat pas suffisantepour dployer toute la thorie foucaldienne de lassujettis-sement. Si Crary vise lorganisation mme du dispositif dans saspatialit et les rapports qui y sont luvre ce qui nousparat essentiel , il ne passe pas par une analyse dtaille de seslments constitutifs et de leurs relations, contrairement Foucault. Il convient de remonter aux prmisses thoriques

    exposes en introduction o est applique la lettre lanalysefoucaldienne:

    Les appareils doptique du dix-neuvime sicle quejanalyse impliquent autant que le Panopticon unedisposition particulire du corps dans lespace, unegestion du mouvement, un dploiement des corpsindividuels, tous corrlats qui codifient et normalisent

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    lobservateur lintrieur de systmes de consom-mation visuelle rigoureusement dfinis (Crary 1994,p. 143).

    Il faudrait relativiser cette analogie. Dune part, parce que lePanopticon est analys par Foucault comme un dispositifinstitutionnellement rpressif, du point de vue de sa fonctionsociale. Dautre part, parce que le mcanisme et la structure dudispositif permettent cette fonction sociale et cela est dmon-tr par Foucault en ce que lindividu qui se trouve pris dansle Panopticon est soumis un regard 41. Lassujettissement est

    explicite dans deux aspects fondamentaux de lanalyse desdispositifs. Or, on ne saurait nullementen dire autant duphnakistiscope ou autres jeux de vision. Ce qui nous manque,cest la construction effective de la dimension assujettissante dela fonction sociale ou culturelle de ces dispositifs, mais aussi ladmonstration de la soumission physique du sujet un aspectconcret du dispositif analys.

    Ainsi, pour ce qui concerne la dimension sociale, il ne noussuffit pas de poser, travers lisomorphisme culturel du phna-kistiscope, une analogie entre domaine de la science et domainedu spectacle, pour transposer lassujettissement du premier ausecond et, en somme, faire des annes 1810-1840 les prmisses( la prhistoire ) de la socit du spectacle telle que la dcritGuy Debord. Sil sagit ici de situer ces dispositifs de vision dans

    la socit de consommation visuelle, celle-ci devrait elle-mmetre dfinie dans le contexte de lpoque partir de sources sp-cifiques et dans son rapport historique et social aux dispositifs.De plus, avancer que le dispositif est utilis par le domainescientifique pour construire un savoir sur le sujet-homme-spectateur, devenu par l mme objetde savoir, parat une argu-mentation ambigu et somme toute peu fonde pour dmontrer

    cet assujettissement dans plusieurs fonctions sociales du dispo-sitif en question.Du point de vue de lanalyse concrte des places lintrieur

    du dispositif lui-mme, auquel semble tenir Crary, lisomor-phisme impliqu ne rsout rien : le rapprochement mise sur lacomparaison des places occupes par le sujet dans deux fonc-tions sociales diffrentes du mme appareil, mais fait lconomie

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    dune relle analyse du rapport de ce sujet la machinerie et lareprsentation dans chacun des cas. La question des places, despositionnements attribus au sujet, semble devenir un argumentpour dmontrer lassujettissement du spectateur. Or, si on nedveloppe pas une analyse prcise de leffet de positionne-ment , si on se contente de le mentionner, on ne fait quexpli-citer la condition de toutdispositif de vision. La dfinition desplaces pour un sujet lintrieur dun systme de relations entrediffrents lments (appareillage, reprsentation), quelle que soitla dfinition mme de ce sujet, est la fonction mme de chaquedispositif de vision : la perspective, comme la chambre noire,nchappe pas cela, sans quoi, le terme de dispositif nauraitplus de sens. La dimension machinique ne change rien cetteexigence : cest elle, justement, quil serait intressant de mieuxprciser en analysant plus attentivement ce quimposent lesrouages, par exemple, selon leur place, leur fonction par rapportau spectateur, etc. 42.

    Lanalyse de Crary ne montre pas vraiment comment lesdispositifs soumettent le corps du spectateur une forme depouvoir : dans le Panopticon, le lieu du regard et son objet sontdfinis par certaines conditions architecturales qui dterminentmatriellement les modalits du dispositif : position de visionsans entraves, capacit de voir partout, et, par ailleurs, obliga-tion dtre vu, ce qui impose une certaine dfinition matrielleou machinique du dispositif (ouvertures et disposition desfentres, etc.). Crary nentre pas dans une analyse quivalente.En somme, le phnakistiscope, dont le fonctionnement estdabord brivement dcrit, naura t abord dans son ouvrageque sous langle de la persistance rtinienne et celui de la posi-tion du sujet, en tant que celui-ci est dduitde donnes externesau fonctionnement du dispositif lui-mme, cest--dire,lisomorphisme entre deux types institutionnels de phnakis-tiscopes. Il manque une analyse interne du dispositif, telle queFoucault la produit pour le Panopticon.

    Prenons le second exemple trait sous cet angle : le diorama,qui requiert un observateur immobile dans un dispositifmcanique et son assujettissement une exprience optiquedont le droulement temporel est prtabli (Crary 1994,

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    p. 162). Pour lanalyse concrte du dispositif, Crary faitrfrence son caractre mcanique cela, aprs avoir utilistrs prcisment le mouvement du spectateur dans le panorama

    comme contre-exemple. Cest essentiellement en vertu de sonmcanisme que le diorama sera associ au phnakistiscope et auzootrope : comme ces derniers, le diorama est une machinecompose de roues en mouvement, et lobservateur en est unlment part entire (Crary 1994, p. 163). Lanalyse dtailledu dispositif sarrte l. Mais comment ne pas voir quelexprience que propose le diorama nest absolument pas

    comparable celle que permet le phnakistiscope pour ce quiconcerne le rapport la mcanique ? En effet, le spectateurnobserve pas les roues en mouvement, bien quil doive mani-puler la machinerie, alors que cest le cas avec les jouets op-tiques, o les mouvements mcaniques circulairesfont partie duspectacle. Lexprience du sujet, une fois pose comme lmentpistmique propre lpoque, ne peut faire abstraction de cette

    diffrence. Comment ne pas voir aussi que le rapport duspectateur la machinerie change radicalement sil se trouveinclus dans un espace mcanique, comme dans le diorama, ou silse trouve tre lutilisateur, le manipulateur dun objet mcanique,le phnakistiscope, qui peut mme, dans certains cas, devenirune sorte de prothse, comme une lunette, un kalidoscope 43 ?Le rapport dassujettissement sen trouve compltement trans-

    form, peut-tre mme invers, et ce, grce une argumentationqui relve du mme aspect descriptif que celui assum parFoucault pour le dispositif du Panopticon. Comment ne pasvoir encore, propos dun terme essentiel largumentation deCrary, la mobilit du spectateur, que tous ces dispositifs varient ce sujet ? Si le spectateur est immobile dans le diorama remarquons quil est ostensiblement mis en mouvement par

    la machine deux ou trois reprises , si le spectateur du phna-kistiscope devant le miroir est a prioriimmobile aussi, bien quele mouvement ne lui soit pas interdit, celui qui observe le zoo-trope est invit tourner autour de la mcanique en rotation :toutes les places autour du cylindre lui sont en quelque sorteoffertes. Ce qui frappe, ce sont les diffrences subtiles entre cesdispositifs particuliers. Dun point de vue pistmologique, il

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    conviendrait dobserver les implications de cette variabilit delexprience ; non pour infirmer la thse qui met en relation lesujet avec la machine, mais pour dcouvrir et complexifier cerapport. Il est en effet difficile dadmettre quau moment mmeo il sagit denvisager le sujet dans sa dimension physique,phnomnologique, telle que lentreprend Crary, lon nglige dedfinir les limites de lexprience concrte du spectateur partirdes possibilits structurelles dynamiques de ces dispositifs.Malgr le reproche que fait lauteur aux historiens du cinmadenvisager leur objet dtude comme un dispositif qui nie oudissimule certains traits des premiers appareils (Crary 1994,p. 159), il apparat que sa mthode masque nombre de carac-tres spcifiques des dispositifs de vision quil est absolumentessentiel de relever : ces diffrents lments permettent en effetde mettre lpreuve les thories exposes dans les discours, demesurer, sans doute, le degr de gnralisation qui peut en trefait.

    La critique de lanalyse de Crary en ce qui concerne les dispo-sitifs concrets pourrait tre reprise dans le dtail pour le stro-scope, dont les vues sont dsignes comme la forme la plusimportante des images visuelles au dix-neuvime sicle (Crary1994, p. 167), lexception des photographies. Crary passecette fois par les textes. Appareil associ lillusion de ralit dssa conception, le stroscope produit une reprsentation partirde deux images diffrentielles (selon une parallaxe). Le reliefapparent, comme le montre Crary dans une intressante analysedes principes de reprsentation de ce dispositif, dtruit la scneperspectiviste. Il en conclut que le spectateur plac devant lestroscope est un spectateur dcentr et que la dissmination,la multiplication du signe stroscopique , sy trouve cou-p[es] de tout rfrent extrieur (Crary 1994, p. 181). Or,cette deuxime affirmation parat particulirement discutable,car je nentrerai pas ici dans les dtails les deux images qui servent construire le relief dans la perception du specta-teur, mme si elles peuvent constituer deux signes diffrents 44,ne dsignent ensemble et sparment quun seul rfrent, cest--dire le mme objet. On ne saurait affirmer avec Crary (1994,p. 181-182) qu il ny a tout simplement rien en dehors de

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    lobservateur en faisant appel au caractre atopique des deuximages parallactiques dont le dispositif de Wheatstonefournit lexemple car, dans la mesure o une image figura-

    tive, une reprsentation, est construite, elle comporte un rf-rent, produit dune illusion appele justement lillusion rf-rentielle 45. Il faudrait en somme claircir la diffrence entrelobjet du monde rel le reprsent qui se donne en relief(de lordre du signe), le reprsent dans le processus de fabrica-tion du relief (les deux images parallactiques, de lordre du signesi elles se donnent voir au spectateur) et lobjet du monde

    fictionnel, tel que construit par lillusion (le rfrent).Notre dsaccord porte sur cet aspect spcifique des dispositifs

    qui est rgi par la thorie de la reprsentation. Les conclusionstires des thories de la perception qui ont permis Crary deconstruire, partir de lanalyse des discours, un sujet dfini parson corps et ses sens, doivent tre transposes avec dlicatesseds que lon aborde la reprsentation qui, par dfinition, com-

    plexifie le rapport lobjet peru en mdiatisant ce rapport parun tenant lieu de lobjet.

    Dun point de vue thorique et mthodologique apparat,dans cette approche des dispositifs, une difficult dans le pro-cd danalyse pistmologique qui tient lpreuve rciproque laquelle doivent tre soumis les discours analyss et les poten-tialits de fonctionnement de chaque dispositif spcifique histo-

    riquement avr. Lun ne va pas sans lautre. Il parat ici videntquil est difficile dappliquer de manire immdiate les conclu-sions de lanalyse des discours, telles quelles sont formules parCrary, aux dispositifs eux-mmes. Les dfinitions du sujetproposes partir dun corpus de textes centr sur lapprochescientifique et dont lobjet dtude est justement la perceptionproduit effectivement une transformation dans le champ

    pistmologique. Sous la plume de Crary, lobservateur devientun sujet phnomnologique, le point de vue tant centr sur soncorps, sur son exprience et sa perception. Il sagit l dune dfi-nition pleine et conceptuelle. Cependant, il est absolumentimpossible de dduire de manire fonde une telle dfinition delanalyse des dispositifs concrets, car il faudrait postuler unehypothse sur la nature mme de la perception de

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    lobservateur en fonction des appareillages 46. Lanalyse doit seconstruire partir des places et des relations cres par cesdispositifs : il faut viser le sujet comme le produit dune srie derapports (temps, espace, machinerie, positionnement). Ladfinition conceptuelle du sujet qui par ailleurs gagnerait seconstruire travers des corpus institutionnellement diversifis 47

    devrait sarticuler ces lments comme une donne de plus,et non pas se substituer la construction de ce sujet desniveaux divers. Pour prserver au mieux le passage de lanalysedes discours lanalyse des dispositifs, et vice versa, ilconviendrait donc dappliquer la premire le mme principequ la seconde : tenir compte des rapports entre lments,construire chaque terme du dispositif en relation avec les autreset partir des autres. Lutilit du schme pistmique laborertient notamment cela : au lieu disoler lune des parties dudispositif pour en produire la dfinition, il met en vidence lerseau de relations dans lequel chaque lment est pris. Ansi, ladfinition du sujet spectateur ne peut chapper sa situation et son rapport aux autres termes actualiss, quils soient de natureconceptuelle ou concrte.

    Ces trois ouvrages dveloppent une rflexion originale sur laquestion des dispositifs de vision en accordant au cinma unecertaine place. Chacun cerne son champ dtude diffremment,mais tous trois sappuient sur une mthodologie qui renvoie demanire plus ou moins explicite une interrogation voisine delarchologie foucaldienne, ne ft-ce que par leur volont de serapporter des sources primaires qui nappartiennent pas audiscours historique tabli. La lecture quon en a faite ici a cepen-dant mis le doigt sur les limites qui les affectent de notre point devue. Dans la perspective dun renouvellement du discours histo-rique, ces trois parcours thoriques nous ont paru buter sur desdifficults de dfinition dobjet ou de mthode.

    Cest en se tournant vers la constitution dun schme pist-mique quon peut lever certains de ces obstacles. Bien que lesdispositifs de vision soient au cur de son interrogation, lobjetde lenqute pistmologique est construire. Il requiert laconnaissance des multiples dispositifs actualiss dans les textes etayant exist dans les faits, mais il ne correspond aucun deux

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    exactement : le schme pistmique les prsuppose tous lintrieur dune cohrence historique et se prsente comme unrseau qui met en relation divers lments, des machines, des

    lieux, des pratiques sociales, des noncs et mme des modalitsde discours (mtaphores rcurrentes, par exemple), des conceptsdfinissant aussi bien des lments des dispositifs tel lespectateur que leur fonction le cinmatographe considrcomme modle de la pense chez Bergson, par exemple. Il permetde comprendre ce qu a t le dispositif cinmatographiqueautour de 1900, partir des relations qui sinstaurent entre diff-

    rents lments du savoir. Il remplace ainsi le modle historiogra-phique de lavnement, de lorigine, qui isole le cinmatographe sa naissance tout en le situant dans une gnalogie desdispositifs de vision. lorganisation linaire des faits, desvnements ou des ides, se substitue alors le trac dun certainnombre de relations et dimbrications qui ne nient pas lhistoiremais la font apparatre comme un champ de possibles pour un

    certain nombre daccomplissements techniques et symboliques.Le degr dabstraction que peut atteindre le schme pist-

    mique ne se justifie que par le caractre extrmement concret deses constituants. Simpose alors un type danalyse particulier,trs diffrent dune qute interprtative rvlant un sens cachou dune approche qui procderait dune inspiration mtapho-rique. Il sagit dentreprendre, selon les termes de Foucault, un

    travail de rcriture par une tentative de descriptionet de miseen relationdes lments discursifs. Que les sources renvoient des machines historiques ou des dispositifs imaginaires tels quela littrature les produit, lanalyse doit se plier une prsenta-tion prcise qui sattache aux moindres lments pour permettede reconstituer les dispositifs dans leur dimension la foisconcrte et symbolique. Lessentiel est de prendre en compte

    lensemble des points dterminants, de considrer aussi bien lamachinerie et le spectateur que la reprsentation, en spcifiant lesens de chaque terme.

    Une telle approche ne vise pas construire un imaginaireculturel en associant un sens tel ou tel dispositif. Si les dis-positifs deviennent les supports de significations diverses, cestque les sources elles-mmes les abordent en leur accordant une

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    fonction discursive qui dpasse leur rle en tant quobjets,machines ou pratiques sociales. Les concepts proposs par lesdiscours analyss entrent eux aussi dans le schme pistmiqueet contribuent ce que lhistoire des dispositifs ne scrive passeulement partir de leurs apparitions successives ou simulta-nes, mais par la construction dun schme qui dtermine leursconditions de possibilit.

    Universit de Lausanne

    NOTES1. Le projet a t prsent au colloque Domitor 2002 : voir Albera et Tortajada

    2004. Nombre dtudes ponctuelles tmoignent de cette recherche (ibid., note 1).2. [] par pistm, on entend, en fait, lensemble des relations pouvant unir,

    une poque donne, les pratiques discursives qui donnent lieu des figurespistmologiques, des sciences, ventuellement des systmes formaliss [].Lpistm, ce nest pas une forme de connaissance ou un type de rationalit qui,

    traversant les sciences les plus diverses, manifesterait lunit souveraine dun sujet,dun esprit ou dune poque ; cest lensemble des relations quon peut dcouvrir, pourune poque donne, entre les sciences quand on les analyse au niveau des rgularitsdiscursives (Foucault 1969, p. 250).3. A reproduction authenticated by the object itself is one of physical precision

    (Kittler 1999, p. 12).4. Que Kittler dsigne par the Marvelous One . Plus loin, propos de la machine

    crire, il marque ainsi le nouveau rgime qui commence avec les trois mdias : Instandardized texts, paper and body, writing and soul fall apart (Kittler 1999, p. 14).5. [] the physiological accidents and stochastic disorder of bodies (Kittler 1999,

    p. 16).6. Voir Kittler 1999 (p. 115-116). Prcisons brivement un autre point de la thse

    de Kittler que nous ne discuterons pas ici : la diffrenciation des trois mdias com-porte un corollaire important pour lauteur qui veut que lre des mdias corresponde la fin de la littrature. Celle-ci est saisie avant tout selon le modle de lalittrature romantique allemande : une coupure sopre avec lme de la posie ,dont les effets sont dplacs vers les produits des mdias, tels les hit parades. Remar-quons ici que lpoque aborde travers une telle comparaison se situe en plein

    XXe sicle Kittler (1999, p. 103-104) nhsite pas renvoyer aux Beatles, par

    exemple , et que par consquent, lre des mdias est donne comme homogne dsla sparation des trois termes tudis dans son ouvrage. Dans lre des mdias, ensomme, tout se tient, malgr les diffrences mises en vidence par lvolution his-torique.7. Les dispositifs de vision se dfinissent par la mise en relation de trois termes : le

    spectateur, la reprsentation (ou ce qui est donn voir) et la machinerie . Cedernier renvoie, au-del de la machine elle-mme, tout larrangement matriel quipermet dassigner une place au spectateur par rapport la reprsentation. Nous avonstabli lbauche dune grille de travail pour apprhender les dispositifs de vision de lamanire la plus complte. Voir Albera et Tortajada 2004.

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    8. Dans LArchologie du savoir, il sagit demble doprer un travail de mise distance des notions de dveloppement , d volution , d origine (voirFoucault 1969, p. 31-32).9. Discourse analysis cannot be applied to sound archives or towers of film rolls.

    10. O nonc est entendre comme une fonction qui porte sur des ensemblesde signes, qui ne sidentifie ni avec lacceptabilit grammaticale ni avec la correctionlogique, et qui requiert, pour sexercer : un rfrentiel [] ; un sujet [] ; un champassoci []; une matrialit (Foucault 1969, p. 150-151).11. Kittler renvoie en effet au jeu des signifiants linguistiques dcrit par Lacan etfond sur les relations rciproques, plutt que sur le rapport du signifiant au signifi.Il souligne leur matrialit et leur technicit et, citant le Sminaire XI : Les quatreconcepts fondamentaux de la psychanalyse (1973), il opre un rapprochement entre lemonde du symbolique et la machine. La comprhension du symbolique reste partielle

    si lon ne souligne pas quil est une structure renvoyant au langage : les signifiantsne sont pas seulement des donnes discrtes, mais appartiennent un systme derelations. Et cest travers ce systme que le sujet a accs la socialit et la loi, quifonde lordre symbolique. On pourrait dire que le langage est le principe du symbo-lique.12. Voir Kittler 1999 (p. 94). Mais Kittler reformule ici la mme critique que dansson introduction : lvitement de la dimension technologique du mdia.13. The continuous undulations recorded by the gramophone and the audiotape assignatures of the real (Kittler 1999, p. 118).14. Selon cette logique, le passage au son optique et, a fortiori, au numrique

    devraient faire passer lenregistrement sonore du rel limaginaire15. Entre les analyses de textes sources, Kittler (1999, p. 98-105) en vient en effet raconter lvolution du mdia partir de ses innovations technologiques.16. Le lien est ainsi tabli pour articuler la partie sur la guerre et celle qui commencesur la folie : War has already been madness, films other subject (Kittler 1999,p. 140).17. Kittler renvoie Guerre et Cinma. Logistique de la perception(Virilio 1984) et LInscurit du territoire(Virilio 1976).18. Il sagit par ailleurs dun topos qui accompagne le cinma depuis ses dbuts :

    lexpression chasseur dimages le laisse entendre, comme telle scne du Lotus bleude Herg (1936) o un photographe tente dassassiner Tintin en le prenant enphoto.19. Voir Sadoul 1949 (p. 135-138) et 1974 (p. 462-464). Voir aussi : Jacobsen, Kaeset Helmut Prinzler 1993 (p. 36-37) ; Hake 2002 (p. 22-25). Remarquons que ce quitait vrai pour lAllemagne ne la pas t pour la France, dont lindustriecinmatographique a dclin durant les hostilits. Cela devrait permettre de relativiserla dimension modlisatrice du mdia cinma dans ce domaine, en montrant que lephnomne constat en Allemagne dpasse les considrations technologiques etsymboliques. Il sagirait de se demander, en suivant lexemple de Pierre Bourdieu, qui

    dtient la matrise du mdia et quelles fins il lexerce.20. Voir Kittler 1999 (p. 140-142).21. Il faudrait reconsidrer cette gnalogie relative la mise en srie dimages, eugard la notion dinstant quelconque, qui fonde le dispositif cinmatographique : lephotogramme est enregistr 16 ou 24 images par seconde selon un principe dergularit qui le soustrait au choix de linstant dcisif . Sil a, en effet, t montrque la pratique de Muybridge renvoie linstant quelconque, Marey articule, entre sathorie et sa pratique, un instant remarquable et quelconque (voir Albera 2002). Leurrapport au dispositif cinmatographique ne peut tre exactement le mme. Il sagit ici

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    dun point important qui appartient la technique mme des dispositifs utiliss parces exprimentateurs. Cela montre quel point une pistmologie des dispositifs devision ne peut se contenter dun seul trait technique ou technologique mais doitassocier plusieurs de leurs caractristiques.

    22. Le texte allemand, cit par Kittler dans sa premire dition, est le suivant : Beider Wiederkehr von Bildern hat man im allgemeinen leichteres Spiel als bei der vonGedanken. [] Ist einmal ein Bild aus der Erinnerung aufgetaucht, so kann man denKranken sagen hren, dass es in dem Masse zerbrckle und undeutlich werde, wie erin seiner Schilderung desselben fortschreite. Der Kranke trgt es gleichsam ab, indem eres in Worte umsetzt. Man orientiert sich nun an dem Erinnerungsbilde selbst, um dieRichtung zu finden, nach welcher die Arbeit fortzusetzen ist. Schauen Sie sich dasBild nochmals an. Ist es verschwunden? Im ganzen ja, aber dieses Detail seheich noch (S. Freud, J. Breuer, Studien ber Hysterie, 1895).

    23. Voir Lacoste 1990 et Tortajada 2002.24. Voir Berton 2002.25. Voir Kittler 1999 (p. 28).26. Alfred Jarry, Le Surmle(1901). Voir notre tude Lombre projete de la vitesse.Le cinmatographe et la course des dix mille milles dans Le SurmledAlfred Jarry (Tortajada 2000).27. loccasion de son commentaire sur Ltudiant de Prague (faisant allusion auxtrois versions du film [Milner 1982, p. 115-116]) ou sur le roman de Maurice Leblanc,Les Trois Yeux (1920) (p. 171-173), propos de La Cit des asphyxis(1938) de Rgis

    de Messac (p. 173) et, dune manire plus fouille, propos de Lumen (1883) deCamille Flammarion (p. 174-178), de Lve future (1885) de Villiers de lIsle-Adam(p. 204-215) et du Chteau des Carpathesde Jules Verne (p. 224-233). Ajoutons encoreune mention du cinma, qui le dissocie de lillusion de ralit (p. 22, note 23).28. Voir notamment Milner 1982 (p. 207 et 230).29. La structure structurede luvre nous renvoie un sujet structurant, de mmequelle nous renvoie un monde culturel auquel elle sajoute en y apportant le plussouvent le trouble et le dfi. [] Quand bien je sais ne pouvoir jamais atteindrelauteur antrieur son uvre, jai le droit et le devoir dinterroger lauteur dans sonuvre en demandant : qui parle ? (Starobinski 1970, p. 23).30. Le cercle aura pass par ma parole explicative, par le travail de la raison,lesquels reviendront finalement enrichir lobjet. [] Dans cette perspective-l, cenest plus mon discours qui assimile et absorbe lobjet, mais cest au contraire lobjetqui appelle et absorbe mon discours (Starobinski 1970, p. 165).31. Nous pouvons ainsi envisager des sources manant de discours scientifiques,dingnieurs, de discours de vulgarisation, de discours techniques, commerciaux,littraires, philosophiques, de discours dutilisateurs (spectateurs, critiques, exploi-tants), de discours du spectaculaire (magie, prestidigitation). Tous peuvent tresaisis dans des cohrences internes, la notion dauteur pouvant notamment fonc-

    tionner comme telle dans plusieurs de ces catgories, non pour y rintroduire le sujet,mais pour rendre reprables et productifs des chos et des rapports textuels, sansimposer la ncessit dunifier ces discours au nom de cette cohrence.32. Crary (1994, p. 25-26) distingue observateur et spectateur , qui, ailleurs,ont valeur de synonymes. Nous utiliserons les deux termes indistinctement.33. Le terme de la version anglaise est disembodied (Crary 1991, p. 41). Nousprfrerions plutt parler de sujet absent ou abstrait . Dsincarn prsuppose,en effet, une sorte deffacement du corps, dont il ne peut tre question lpoque dela perspective et de la camera obscura dun point de vue pistmologique. Le corpscomme donne phnomnologique est un lment qui nest simplement pas postul

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    dans le systme de la reprsentation classique, auquel lacamera obscuranchappe pas. cet gard, largumentation de Crary, qui insiste sur la prdominance de cettedernire par rapport la premire, ne nous parat pas un dtour indispensable,dautant plus que pour montrer labsence du sujet, Crary recourt lanalyse des

    Mninesde Foucault, cest--dire au parangon de la reprsentation classique (Crary1991, p. 73). Ce qui distingue la camera obscura, et qui intresse particulirementCrary, cest la position intrieure du sujet par rapport au monde extrieur reprsent.Milner souligne galement cet aspect dans La Fantasmagorie (1982, p. 13), encomparant camera obscuraet lanterne magique.34. Si lon peut dire quil existe un observateur propre au XIXe sicle, comme nimporte quelle autre poque, cest seulement en tant queffetdun systme irrduc-tiblement htrogne de rapports discursifs, sociaux, technologiques et institution-nels. ce champ en mutation constante ne prexiste pas de sujet observateur. Etencore : Il serait tout fait malvenu de chercher savoir si la perception ou la vision

    changent rellement, car ni lune ni lautre nont dhistoire autonome. Ce qui change,ce sont les forces et les rgles plurielles qui composent le champ o ont lieu des actesde perception. tel ou tel moment donn de lhistoire, la vision [est dtermine] []par une collection dlments disparates qui fonctionnent ensemble sur un mmeplan social (Crary 1994, p. 26-27).35. De toute vidence, mon point de vue va lencontre de nombreuses analysesde lhistoire de la photographie et du cinma qui continuent faire autorit : celles-cise caractrisent par un dterminisme technologique plus ou moins avou et postulentune dynamique autonome dinvention, de modification ou de perfectionnementmcaniques qui viendrait se plaquer sur un champ social et le transformer delextrieur (Crary 1994, p. 29).36. Voir Crary 1994 (p. 23-24).37. Voir Crary 1994 (p. 22).38. Crary commente notamment des textes de Johann Wolfgang von Goethe,dArthur Schopenhauer, avant daborder des auteurs qui interviennent dans le champde la physiologie, tel Johannes Mller, Hermann von Helmholtz (voir Crary 1994,chapitre III, La vision subjective et la sparation des sens ).39. Il sagit, au dbut des annes 1830, dun sujet percevant dont la nature empi-rique dstabilise les identits, les met en mouvement, et pour qui les sensations sont

    interchangeables. En fait, la vision se dfinit comme la facult dprouver dessensations qui ne sont pas ncessairement lies un rfrent (Crary 1994, p. 135).40. Crary (1994, p. 162) prend ici position explicitement contre Foucault.41. Voir Foucault 1989 (p. 201-206). Dans un entretien avec J.-P. Barrou et MichlePerrot, Foucault dcrit ainsi de manire synthtique et prcise les principes dudispositif : Le principe tant : la priphrie, un btiment en anneau; au centre, unetour ; celle-ci est perce de larges fentres qui ouvrent sur la face intrieure delanneau. Le btiment priphrique est divis en cellules, dont chacune traverse toutelpaisseur du btiment. Ces cellules ont deux fentres : lune ouverte vers lintrieur,correspondant aux fentres de la tour ; lautre, donnant sur lextrieur, permet lalumire de traverser la cellule de part en part. Il suffit alors de placer un surveillantdans la tour centrale, et dans chaque cellule denfermer un fou, un malade, uncondamn, un ouvrier ou un colier. Par leffet du contre-jour, on peut saisir de latour, se dcoupant dans la lumire, les petites silhouettes captives dans les cellules dela priphrie. En somme, on inverse le principe du cachot ; la pleine lumire et leregard dun surveillant captent mieux que lombre, qui finalement protgeait ( Lildu pouvoir , dans Bentham, Le Panoptique, Paris, Belfond, 1977, repris dansFoucault 2001, p. 190-191). Il faut souligner que dans cet exemple, le sujet duregard se trouve du ct du surveillant.

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    42. De plus, on ne saurait infrer du fait que lon traite dun sujet phnomnolo-gique que lassujettissement est plus ou moins fort. Celui-ci doit en effet tre comprisdans la pluralit des donnes propres un contexte pistmologique prcis. La valeurpistmologique de lassujettissement, comme celle du pouvoir, peut varier elle aussi.

    43. Le kaldoscope est galement retenu par Crary (1994, p. 164) pour ses imagesmultiples, mais travers lanalyse de sources (notamment de Charles Baudelaire).44. Lorsquelles sont perues en tant que telles par le spectateur, comme cest parfoisle cas dans le stroscope, qui demande daccommoder la vision.45. Or, empruntant le terme Roland Barthes, cest justement ce que nie Crary(1994, p. 181) : Contrairement au stroscope de Brewster, invent la fin desannes 1840, ou lappareil plus connu de Holmes, invent en 1861, le modle deWheatstone manifeste la nature atopique [ the atopic nature ] de limage strosco-pique perue, la disjonction entre la cause et leffet. Les deux autres modles

    permettent au spectateur de croire quil regarde quelque chose qui se trouve l,devant lui ; mais le modle de Wheatstone expose pleinement la nature hallucinatoireou artificielle de la vision et ne soutient nullement ce que Barthes a appel lillusionrfrentielle. Selon Barthes, lillusion rfrentielle dcoule de leffacement illusion-niste du signifi, dune partie du signe en somme, pour mettre en avant le rfrentconstruit par lillusion. Pour le spectateur, le rapport au rfrent est dautant plusdirect et concret que lillusion rfrentielle opre (voir Barthes 1982, p. 88-89). Or,cest justement le cas dans le stroscope, dfini demble dans sa vise raliste. On nestonnera pas de constater avec Crary que le stroscope, comme la photographie, aitt largement utilis pour diffuser des images pornographiques. Le plaisir ftichiste

    procur par ce spectacle prouve limportance accorde au rfrent , objet duneralit illusoire laquelle le spectateur accepte de croire, grce sa matrialit appa-rente, offerte au regard et presque au toucher, comme le recherche dj Wheatstone.Ce plaisir ne pourrait tre obtenu si, pour le spectateur, lillusion apparaissaituniquement comme le produit de son imagination.46. Cest ainsi que lon pourrait en arriver classer certaines sortes de cameraobscura, du point de vue de la machinerie par exemple, dans la mme classe que lesdispositifs optiques du dbut du XIXe sicle ce serait toutefois ignorer les discours.47. Il serait bon dtudier la mme poque partir dautres corpus de textes,

    notamment populaires, tels des modes demploi, des chroniques, des manuels, etc.,pour en dduire la nature du sujet constitu cette poque, et la confronter auxsources auxquelles se rfre Crary.

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