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1ères DOCTORIALES du Tourisme
de la Chaire « Culture, Tourisme, développement »
TOURISME / TOURISM
Concepts et méthodes à la croisée des disciplines
Concepts and methods at the disciplinary crossroads
14-16 septembre 2011
David Amiaud - Tourisme et handicap : vers un habiter pour tous
Tourism and disability : mode of touristic inhabit for all
Résumé
Cet article se propose de questionner l’accessibilité des pratiques touristiques pour les
personnes à mobilité réduite. Le handicap est peu investit par la géographie alors qu’il permet
d’entrevoir des réflexions sur la mobilité et l’habiter les lieux géographiques. Notre
investigation s’appuie sur des enquêtes et la réalisation de diagnostics d’accessibilité à l’aide
de SIG. De plus la notion de liminalité sera explorée pour rendre compte de l’évolution de
l’écoumène des personnes à mobilité réduite liée à l’émergence de territoires touristiques pour
tous.
Mots clés
Tourisme, handicap, liminalité, habiter, écoumène
Abstract
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This article intends to question about accessibility of tourist practices for disabled persons.
Disability is not very invested by the french geography. However the disability concept of
allows thinking about mobility and dwelling geographic location. Our investigation is based
on surveys and production of diagnostics accessibility using GIS. More the liminality concept
will be explored to report the evolution of the ecumene of disabled people due to the
emergence of tourism territory for all.
Key words
Tourism, disability, liminality, inhabit, ecumene
« L’histoire de l’émancipation des personnes handicapées est aussi l’histoire de la conquête
d’espaces. »
(Otto Schantz, 2011)
Introduction
Les déficiences et la morphologie urbaine imposent aux personnes handicapées des difficultés
d’accès aux mêmes aménités re-créatives que les individus valides. En France, la loi du 11
février 2005 a permis le déploiement d’une politique publique du handicap imposant des
aménagements urbains. Cependant, l’accès aux pratiques touristiques pose encore de
nombreuses difficultés aux touristes handicapés.
Si les Sciences Humaines et Sociales ont largement investi le tourisme comme objet d'étude,
la problématique de recherche combinant tourisme et handicap reste, quant à elle, marginale
et constitue un nouveau champ à explorer. Le tourisme implique un déplacement dans le
temps et dans l’espace. Il s’agit « d’un système d’acteur, de pratiques et d’espaces qui
participent à la « recréation » des individus par le déplacement et l’habiter temporaire hors
des lieux du quotidien » (Knafou & Stock, 2003). Cependant les personnes à mobilité réduite
font face à des aménagements comportant des obstacles d’accessibilité facteurs de rugosités
spatiales qui limitent les formes de mobilités touristiques. D’ailleurs, à coté des adaptations
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spécifiques favorisant l’accès à certaines pratiques touristiques subsistent de nombreuses
oppressions spatiales et sociales sources d’exclusion des touristes handicapés. Aussi, la
position sociale « d’entre-deux », c'est-à-dire liminale, des personnes handicapées (Murphy,
1990) semble pourvoir être mise en relief par l’analyse spatiale des capacités touristiques des
personnes à mobilité réduite.
Depuis 2001 les pouvoirs publics français, à travers le label " Tourisme et Handicap ",
contribuent à promouvoir une démarche d’intégration des personnes handicapées par la mise
en accessibilité des équipements touristiques. Cette politique est renforcée depuis Janvier
2011 avec le lancement du nouveau label d’Etat, " Destination pour tous ". La stratégie
touristique consiste à dépasser la labellisation de lieux touristiques pour identifier des
territoires afin de structurer une offre globale adaptée. Nous pouvons donc nous demander en
quoi une approche territoriale de l'offre touristique adaptée permet-elle à la fois une meilleure
accessibilité des pratiques touristiques et la formation d'un mode d’habiter touristique pour
tous ?
Nous proposons d'interroger les habitudes touristiques des personnes déficientes et les freins
socio-spatiaux auxquels elles sont confrontées. Ainsi, les enquêtes conduites auprès de
touristes en situation de handicap et les diagnostics d'accessibilité au format SIG entre 2009 et
2011 sur des territoires touristiques du littoral Atlantique français mettent en évidence le fait
que les touristes handicapés sont contraints de se déplacer dans des espaces qui leur sont
réservés. Nous proposons donc de réinvestir le concept de liminalité dans le champ de la
géographie pour désigner la forme archipélagique de l'espace de vie des personnes handicapé.
La projection récente du corps déficient dans l'agencement spatiale permet une mise en
accessibilité progressive des territoires de l'habiter touristique. Ainsi, pour analyser ce
processus nous formulons le concept exploratoire « d'écoumène liminale ». Aussi, en se
penchant sur les initiatives et les actions d'adaptation mises en places à plusieurs échelles par
les acteurs du tourisme au sein de collectivités comme Bordeaux, La Rochelle, Saint-Gilles-
Croix-de-Vie ou Barcelone, notre démarche vise à interroger le territoire touristique adapté
comme un modèle d'habiter pour tous.
I. Le tourisme liminal des personnes à mobilité réduite
Le tourisme adapté des personnes déficientes : un tourisme de l’entre-deux
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Quelle est la place de la personne handicapée dans la société ? Voilà une question à laquelle la
géographie française apporte peu de réponse. Pour avoir des éléments de réponse il est
nécessaire de se tourner vers la sociologie, l’ethnologie et l’anthropologie. La théorie la plus
souvent reprise est celle du « stigmate » d’Erving Goffman (1963) qui cherche à démontrer
que l’infirmité est un marquage dont la conséquence est l’évitement du stigmatisé par la
communauté. Mais la théorie sur laquelle s’appuie plus particulièrement notre réflexion est
celle établie par Robert F. Murphy (1990) qui avance l’hypothèse, tout en reprenant les
travaux E. Goffman, selon laquelle les personnes en situation de handicap seraient dans un
état de liminalité permanente. La notion de liminalité renvoie aux travaux de l’ethnographe
français Arnold Van Gennep (1909). A partir de ses observations il a identifié des séquences
de passages que doit vivre un individu pour passer d’un statut social à un autre. Les rites de
passage peuvent être le mariage, le baptême, une cérémonie pour l’attribution d’une fonction
et ont tous pour rôle de faire franchir des seuils sociaux. L’anthropologue américain Robert F.
Murphy qui fut atteint de tétraplégie utilisa son expérience vécue pour caractériser la situation
sociale des personnes handicapées. Dans son livre « The body silent » Robert F. Murphy
décrit le comportement de ses collègues de travail à son égard lorsqu’il reprit ses fonctions
après être devenu handicapé. Il remarqua que sa position sociale avait changé ce qui l’incita à
réinvestir les travaux de Arnold Van Gennep. Il en est venu à caractériser « d’entre deux » la
place sociale des personnes en situation de handicap. Pour lui son état et le comportement de
la société faisait qu’il ne se sentait ni totalement exclu, ni totalement rejeté. La personne
handicapée étant condamnée à rester sur le seuil. Henri-Jacques Sticker (2005) parle même de
« cristallisation, gel, de la situation intermédiaire ».
Dans ce contexte de traitement social du handicap nous pouvons nous interroger sur les
conséquences en matière d’exercice de pratiques des lieux touristiques. N’y aurait-il pas d’une
certaine manière un tourisme de l’entre-deux ? Les travaux de Frédéric Reichhart (2011, p.
20) sur « la constitution et l’évolution des loisirs touristiques des personnes déficientes »
semblent pouvoir nous apporter des éléments de réponse. L’analyse historique du « tourisme
adapté », c'est-à-dire un tourisme qui apporte des réponses spécifiques aux besoins des
personnes souffrants de déficiences cognitives, motrices, auditives ou visuelles, permet de
saisir la « manière dont la société conçoit le « handicap » » Frédéric Reichhart (2011, p. 19).
Ainsi, Frédéric Reichhart souligne que « l’offre touristique et de loisirs destinée aux
personnes déficientes se caractérisent par deux logiques » avec d’un côté le « tourisme
sectoriel » et de l’autre « le tourisme intégré ». Durant le XXème siècle, les associations de
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personnes déficientes comme l’Association des Paralysées de France (APF) ou l’Association
pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH), pour ne citer qu’eux, ont progressivement
structuré des séjours adaptés sectoriels, c'est-à-dire « proposés uniquement à des personnes
déficientes » (Reichhart, 2011, p. 27). Ces services participent pleinement à l’enjeu de la
politique d’accès aux vacances pour tous inscrites dans la loi d’orientation du 30 juin 1975 en
faveur des personnes handicapés. Cependant l’exercice des pratiques touristiques se fait
majoritairement dans des structures d’accueils spécialisés et les activités proposées ne
permettent pas toujours la cohabitation avec les personnes dites « valides », ce qui ne favorise
pas l’intégration sociale. C’est à partir de ce constat que la notion de liminalité permet de
clarifier la pratique des lieux touristiques des personnes déficientes. Car si la société accorde
un droit aux vacances, le tourisme « intégré », qui définit un séjour en autonomie dans le
« cadre touristique ordinaire » (Reichhart, 2011, p.26), n’est pas encore suffisamment
structuré et accessible pour qu’un nombre important de personnes déficientes puissent profiter
de manières inclusives des aménités.
Le tourisme comme rite d’inclusion
Dans son œuvre « Les rites de passages » Arnold Van Gennep (1909) propose un découpage
en trois étape : préliminaire (séparation), liminaire (transition) et postliminaire (réintégration).
A propos des rites de passage, Jeffrey Willet et Mary jo Deegan (2001) présice que « rites of
separation symbolically detach the individual from an existing point in the social structure.
After this separation, the former social status no longer applies to the individual. In the
transition or luminal stage, the individual is a symbolic outsider with no clearly defined status
or role. The liminal personae (or « liminar ») resides at the margins of society while they
prepare to adopt a new role. The final stage of incorporation allows the individual to adopt a
new social status and re-enter society. If this re-entry does not occur, liminality does not end,
a status possible in hypermodern society but not in small-scale society » Tout comme la
grossesse ou le mariage ont pu être qualifié de rite de passage, Dean McCannel indique que le
tourisme est une forme de « rituel moderne » (1976). En effet, ne pas avoir la capacité de
partir en vacances est devenu un problème, s’apparentant même à une forme de déviance.
Ainsi, nous suggérons que l’exercice de la pratique touristique est un moyen pour les
personnes à mobilité réduite de se sentir intégrer dans la société. Les entretiens menés auprès
de personnes handicapées entre 2009 et 2011i montrent que partir en vacances revêt une
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importance cruciale pour le sentiment d’appartenance au reste de la société. Être vacanciers
s’est « être comme tout le monde ». Le changement de statut que peut entrevoir le tourisme,
en tant qu’étape liminale, a pu être saisi lorsque certaines personnes ont évoqué leur premier
voyage. A titre d’exemple, des entretiens réalisés auprès de personnes devenus paraplégique,
après un accident, ont permis de dévoiler en quoi partir en voyage pouvait être une expérience
changeante. Avoir eu un accident, et se retrouver dans une chaise roulante, a souvent
engendré la perte du désir de sortir. Et c’est souvent lors du premier voyage en tant que
touriste en situation de handicap que les personnes ont retrouvé goût à se déplacer. La réussite
d’un premier séjour touristique a permis à certains de se rendre compte de leur capacité à
prendre du plaisir dans l’exercice de pratiques récréatives et à se mouvoir malgré le handicap.
Le tourisme peut ainsi être vu à la fois comme un rite d’inclusion dans les sociétés
contemporaine et un espace liminal avant une réincoporation en tant qu’ « individu mobile »
(Stock, 2006) à part entière.
II. Ecoumène touristique liminale
La nécessaire mise en accessibilité
Le rapport de Michel Gagneux (1999) sur l’offre touristique dédiée aux personnes
handicapées pointe du doigt les lacunes du secteur touristique à structurer une offre adaptée.
Ainsi, il est mentionnée que « la difficile traduction des normes légales d'accessibilité dans les
faits, la prédominance d'une accessibilité conçue a minima, les lacunes de l'information et la
réticence de nombre d'opérateurs à communiquer en ce domaine, peuvent être interprétées
comme les symptômes d'une certaine frilosité de notre société toute entière vis-à-vis de
personnes handicapées, perçues comme différentes, voire dérangeantes. » (Gagneux, 1999,
p.10) La conception de l’environnement bâti à partir de l’anthropométrie de l’Homme valide
augmente les difficultés de déplacement et génère des situations handicapantesii. Afin de
rompre les obstacles d’accessibilité les aménageurs peuvent se référer au paradigme de la
conception universelle. Il s’agit de concevoir l’aménagement de l’espace et de n’importe quel
équipement de façon à ce qu’il convienne à tous sans nécessiter d’adaptation pour les
personnes ayant une incapacité. Pour cela nous avançons l’idée que l’agencement spatial doit
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reposer sur une anthropométrie systémique, c'est-à-dire un modèle anthropométrique basé sur
les difficultés de déplacement des personnes atteintes d’une réduction permanente ou
temporaire de leurs capacités à se mouvoir.
La politique d’aménagement universelle de la voirie, de l’espace public, des bâtiments et des
transports instaurée par la loi du 11 février 2005 a rendu obligatoire la réalisation de
diagnostics d’accessibilité et la rédaction de plans d’actions comme le Plan de Mise en
Accessibilité de la Voirie et des Espaces publics (PAVE) ou le Schéma Directeur
d’Accessibilité des transports (SDA). Si, la précédente loi n°75-534 du 30 juin 1975 appelée
Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées posait comme obligation nationale
l’intégration des personnes handicapées en identifiant clairement l’engagement des pouvoirs
publics, elle n’a eu cependant que des effets limités sur l’agencement de l’espace public.
Ainsi, depuis loi de 11 février 2005, il est possible de voir à l’échelle micro-territoriale de
nombreux aménagements facilitant les déplacements des personnes à mobilité réduite comme
les « bateaux », qui permettent un abaissement des trottoirs au droit des traversées, les dalles
podotactiles qui servent de repère spatial pour les personnes aveugles, ou encore les feux
sonore et les chemins de guidage.
Les terrains touristiques étudiés ont permis de mettre en évidence que les adaptations spatiales
tiennent compte de la corporéité des personnes handicapées. Tous les territoires ne sont pas
adaptés et pourtant il existe des personnes qui partent en vacances. Selon le degré de
déficience il n’est pas toujours nécessaire de partir dans des lieux adaptés. Toutefois, dans les
sites touristiques adaptés, les touristes à mobilité réduite peuvent bénéficier d’un
environnement de qualité leur permettant de se recréer. Ces équipements peuvent être de
différentes natures. Il peut s’agir d’ascenseurs, de toilettes adaptées, de bandes de guidage, de
tablettes tactiles, d’accueils adaptés ou encore des équipements d’aide à la mobilité comme la
Joëlette qui permet de transporter des personnes déficientes sur des sentiers accidentés
(Fig.1). A bordeaux, l’équipe municipale à par exemple financer l’achat de trois plans en
relief permettant aux touristes non-voyant de se représenter des quartiers du centre historique
comme par exemple la place de l’Hôtel de ville ou encore la célèbre place de la Comédie
(Fig.2).
Les sites touristiques littoraux étudiés en Charente-Maritime et à l’étranger ont également mis
en évidence des équipements temporaires dont les collectivités disposent durant la saison
estivale. Ainsi, il a été possible d’observer l’installation de toilettes adaptées supplémentaires,
de vestiaires accessibles (Fig.3), de douches adaptées, ou de totems sur les plages qui sont
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utiles pour l’orientation des personnes ayant un handicap mental. Les totems sont également
très utiles comme repère spatial pour les enfants.
Fig.1 – Joëlette
Source : David AMIAUD, 2010
Fig.2 – Plan en relief de la Place de la Comédie à Bordeaux
Source : David AMIAUD, 2011
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Fig.3 – Vestiaire et douche adaptés à Châtelaillon-Plage
Source : David AMIAUD, 2010
De nombreuses collectivités littorales européennes ont également investi dans l’achat de
chemins de plage (en textile, en bois ou en plastique). Il est ainsi possible de retrouver des
équipements comme les fauteuils de baignade (les « hippocampes » et les « tiralo ») aussi
bien sur la plage de la Concurrence à La Rochelle (Fig. 4) que sur la plage de Nova Icaria de
Barcelone (Fig.5). La plage, lors de la saison estivale est un espace public qui subit des
modifications. Nos observations ont également permis de constater que les agencements de
spécifiques de l’environnement ont une incidence positive sur les possibilités qu’ont les
personnes à mobilité réduite de réaliser des pratiques touristiques comme se baigner, visiter
un musée, se promener.
L'enjeu de la mise en accessibilité répond à une véritable demande sociale et les
aménagements conçus pour faciliter les déplacements des personnes souffrant de déficiences
participent à l’amélioration de la qualité d'usage d'un site touristique.
Pour une théorie de l’ « écoumène touristique liminale »
Si l’espace social des personnes handicapées est liminal, peut-on affirmer que l’espace vécu
est également liminal ? La notion de liminalité utilisée par l’anthropologie a un sens social
mais aussi spatial. En effet, la liminalité interroge des espaces de marge ou des espaces de
passage comme le purgatoire ou un hall d’immeuble. Dans ces exemples l’usage de la notion
de liminalité désigne bien des situations de transitions courtes dans le temps. Hors dans le cas
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de l’utilisation de la notion dans le champ du handicap, la liminalité évoque un état qui
s’inscrit dans la durée. De plus, l’analyse géo-historique du handicap nous montre que les
personnes handicapées habitent ou ont habité dans des lieux spécialisés comme peuvent l’être
l’aumônerie, l’hôpital, l’asile, le centre d’accueil spécialisé. Ces « hétérotopies » (Foucault,
1967) conditionnaient physiquement et durablement dans un entre-deux les personnes
déficientes. La loi de 2005 a impulsé l’élargissement de l’écoumène des personnes
handicapées mais elle se fait principalement par la spécialisation des lieux (place de parking
réservé, toilette adapté, itinéraires accessibles). La mise en accessibilité n’entraînerait-elle pas
la formation d’un habiter pour, et non un habiter avec, qui donnerait un caractère liminal à
l’espace ? En partant du constat que socialement les personnes déficientes souffrent
d’insularité sociale nous émettons l’hypothèse que cet état se traduit par une insularité
spatiale. En effet, pour les personnes à mobilité réduite il est difficile d’assurer la continuité
de leurs déplacements. Pour répondre à l’enjeu de la discontinuité spatiale la loi de 2005 met
avant le concept de « chaîne de déplacement ». La chaîne de déplacement consiste à relier les
différents espaces de vie et de circulations. Malheureusement cette chaîne est dans les faits
souvent rompues. Au sein des territoires touristiques où nous avons réalisé des diagnostics
d’accessibilité avec l’utilisation des SIG, comme à La Rochelle, il a pu être constaté que les
lieux touristiques adaptés sont difficilement connectables (Fig.6). La voirie étant que
partiellement accessible, les personnes à mobilité réduites sont contraintes de se mouvoir dans
des sas spatiauxiii . L’espace morcelé des lieux géographiques touristiques, tout comme les
territoires du quotidien des personnes handicapées, renvoie à la figure du labyrinthe. Pour une
personne dite valide il est théoriquement possible d’aller et venir où bon lui semble. Mais les
territoires de l’habiter n’étant pas équitablement accessibles, ils n’offrent pas la possibilité aux
gens à mobilité réduite de se mouvoir librement. Dans les lieux diagnostiqués nous avons pu
identifier des zones d’accessibilité composées de sites, de places de stationnement et de
couloirs de circulations adaptés. La traduction cartographique que nous avons pu faire montre
que l’écoumène des personnes en situation de handicap à la forme d’un archipel. C'est-à-dire
que les territoires de l’habiter ne sont pas totalement adaptés mais qu’il est possible dans
certaines mesures de pouvoir se déplacer entre des îlots d’accessibilité en utilisant des
transports adapté, des trottoirs adaptés, ou se déplacer d’une place de parking réservé à une
autre.
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L’habiter des personnes handicapées étant marqué spatialement (panneau, fléchage, zones
réservés) nous en venons à la conclusion qu’il existe bien un espace d’entre-deux. Les
personnes en situation de handicap peuvent circuler, côtoyer le reste de la population, sortir de
leur enfermement intérieur pour intégrer un enfermement du dehors où le déplacement du
corps est contraint de se mouvoir dans des espaces réservés. La place réservée dans les
transports en commun traduit bien un phénomène de rapprochement entre les corps valides et
les corps blessés mais sans qu’il y soit réellement question d’une inclusion complète. La place
réservée est stigmatisante et souvent à l’écart comme s’il était encore nécessaire d’éviter
soigneusement le corps malade. Mais pour identifier l’espace de vie des personnes en
situation de handicap dans les sociétés contemporaines nous préférons parler d’écoumène
liminale plutôt que d’espace liminal. Jusqu’au lendemain de la second guerre mondial le sort
des personnes handicapées dépendait de la volonté des valides. Cependant à partir des années
1950 différentes associations de personnes handicapées ont commencé à faire entendre leur
voix, à imposer leur vision et à faire inscrire dans l’agenda politique l’obligation de répondre
à leur demande sociale d’intégration. En partant des travaux d’Augustin Berque (1996) sur
l’ écoumèneiv et la médiance nous proposons la notion d’écoumène liminale qui peut être
évoquée à partir du moment où il y a projection du corps handicapé dans l’espace et que cela
impact l’habiter des lieux communs. Le corps handicapé est devenu une référence
anthropométrique pour l’agencement spatial des territoires de l’habiter. Mais actuellement les
lieux touristiques ne sont pas totalement accessibles et c’est pour cela que nous caractérisons
l’espace touristique d’écoumène touristique liminale. Pour nous l’écoumène touristique
liminale est bien transitoire. Sauf que cette transition ne peut être courte car le réagencement
spatial, essentiel à l’inclusion socio-spatiale des personnes en situation de handicap, ne peut
que s’inscrire dans le temps long des territoires.
III. Vers un habiter touristique pour tous ?
Des pratiques touristiques pour tous
Malgré les difficultés de mise en accessibilité auxquelles peuvent être confrontés les
gestionnaires d’espace touristique, les expériences d’adaptation des sites et territoires
touristiques que nous avons pu observer nous obligent à nous demander si le lieu touristique
ne serait pas, d’une certaine mesure, un modèle d’espace d’inclusion des personnes dites
handicapées ? Pour étayer nos propos nous pouvons prendre l’exemple d’initiatives louables
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mettant au jour que les adaptations ne servent pas seulement aux personnes handicapées mais
à tous. A Saint-Gilles-Croix-de-Vie, des chars à voile utilisables à la fois pour personnes
valides et déficientes donnent la possibilité de créer des moments de plaisirs partagés autour
d’une même pratique divertissante. D’autres exemples peuvent illustrer nos propos comme
dans la tour de la Lanterne située à La Rochelle, où une salle a été adaptée afin de répondre à
différentes incapacités. La salle propose aux visiteurs de toucher des moulages des bas reliefs
(Fig 7). Cette scénographie visuelle et tactile est complétée par un dispositif d’accueil des
personnes souffrant d’un handicap visuel. Ainsi, en plus des moulages, le texte des cartels est
doublé d’une inscription en braille, une maquette tactile de la tour est disponible au rez-de-
chaussée et un document de présentation en braille est disponible à l’accueil. Mais la réussite
de cet aménagement s’exprime à travers le fait que les adaptations sont très utilisées, non
seulement par les personnes souffrant de handicap visuel ou mental, mais aussi par les enfants
ou par n’importe quel visiteur. La même observation de conception transgénérationnelle des
lieux touristiques a pu être observée Musée de Nantes situé dans le Château des Ducs de
Bretagne. Il s’agit là d’un lieu touristique innovant en matière d’approche intégrée des
handicaps et de compromis entre respect du patrimoine bâti historique et réglementation de
mise en accessibilité inscrite dans la loi du 11 février 2005. Situé dans un quartier historique
ancien avec de fortes contraintes d’accessibilité (trottoirs étroits, pavés,…) le château ne
souffre pourtant pas d’une mauvaise accessibilité physique grâce aux nombreux
aménagements favorisant l’accessibilité multimodale (tramway, parking, cheminement
piéton) et des adaptations (ascenseur, sol stabilisé non meuble, rampe d’accès, signalisation)
facilitant la circulation interne pour accéder aux douves, aux remparts ou au Musée.
De plus, le Musée de Nantes bénéficie d’une véritable accessibilité culturelle à destination des
touristes handicapés. La médiation et les scénographies mises en place pour accueillir tous les
publics donnent aux visiteurs des outils variés pour comprendre le patrimoine du Château et
interpréter le message culturel dispensé par l’équipe de médiateurs du Musée d’Histoire de
Nantes. Durant le parcours de visite tous les touristes peuvent bénéficier d’un grand nombre
de supports et d’outils techniques facilitant les apprentissages (tables tactiles, dispositifs
audiovisuels, boucles magnétiques, guide en langue des signes). Tous ces équipements
permettent de multiplier les sources d’information : sonores, visuelles, tactiles. Certaines
tables tactiles recensent en outre des informations historiques qui ne sont présentées sur aucun
autre support ce qui incite tous les visiteurs à utiliser cet outil. La conception du Musée a donc
permis d’aménager un espace touristique multisensoriel et accessible à tous. En somme,
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l’agencement spatial du Musée et la scénographie autorisent à la fois de nouvelles pratiques
du lieu et une expérience d’apprentissage totalement récréative et singulière.
Le lieu touristique : un modèle de territoire inclusif ?
Structurer une offre touristique de qualité à l’égard des personnes à mobilité réduite ne peut
pas se limiter à un lieu. Il est nécessaire de porter une réflexion sur l’environnement du site, et
donc adopter une approche territoriale. Le gouvernement français a d’ailleurs décidé de mettre
en place un nouveau label, Destination pour tous, dédié à identifier des territoires touristiques
adaptés. L’objectif est de favoriser la structuration d’une offre globale permettant aux
touristes à mobilité réduite de mieux appréhender l’accessibilité générale du lieu de leur
séjour. La ville de La Rochelle a entamé sur ce sujet une démarche volontariste de réflexion
pour structurer une offre touristique accessible de son cœur historique et de ses promenades
littorales urbaines. De leur côté, les villes de Bordeaux et de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ont été
retenues comme territoires pilotes à la phase de test du label Destination pour tous. Dans les
deux cas de figure, territoire pilote ou démarche volontariste, l’objectif est de mobiliser des
acteurs du handicap (élus, aménageurs, association de personnes en situation de handicap) et
du tourisme afin d’élaborer un offre touristique globale adaptée. Les diagnostics
d’accessibilité axée sur la politique Tourisme et Handicap permettent, comme le demande le
cahier des charges du label pilote, de faire le lien entre les prestations touristiques, les services
de la vie quotidiennes (pharmacie, bureau de poste, cabinet médical,…), les hébergements, les
restaurants, les transports, la voirie et les espaces publics. Ainsi, contrairement aux
réalisations de diagnostics d’accessibilité sectorisés, avec un impact très faible sur les
discontinuités spatiales au niveau des interfaces entre la voirie, les espaces publics, les
bâtiments et les transports, les nouvelles stratégies d’adaptations universelles développées
dans certains territoires touristiques permettent l’élaboration de plans d’actions de mise en
cohérence d’accessibilité. Il s’agit là de véritables outils pour lutter contre le caractère liminal
de l’écoumène de la population des personnes déficientes.
Ainsi, la structuration d’une offre touristique globale adaptée ne semble avoir d’impact qu’à
l’échelle d’un territoire et cela peut s’entrevoir dans le cadre d’une mise en perspective au
niveau européen par exemple. Les villes comme Brighton ou Barcelone ont par exemple été
très souvent citées par les touristes à mobilité réduite questionnés en France entre 2009 et
2011 comme destinations touristiques accessibles. Les résultats des diagnostics d’accessibilité
touristiques effectuées sur ces territoire permettent de formuler l’hypothèse que la
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structuration d’un maillage de prestations touristiques sur un territoire de type « aire urbaine »
permet de faciliter la cohérence des opérations de mise en accessibilité, la participation des
administrés en situation de handicap et de favoriser l’inclusion socio-spatial.
Conclusion
Être touriste en situation de handicap est une expérience sociale et spatiale que la géographie
ne peut ignorer car elle questionne de front la capacité d’accès aux aménités et le droit des
individus de se « re-créer » sans distinction corporelle.
Aussi l’analyse des pratiques touristiques des personnes en situation de handicap baser à la
fois sur une approche corporelle, permettant de cerner les relations qu’un individu entretien
avec l’espace, et sur une analyse territoriale, faisant appel à la notion de liminalité, permet
d’apporter des réflexions nouvelles sur les capacités des individus à pratiquer les lieux
géographique. Mais pour apporter une réponse globale à la question de l’habiter des
personnes en situation de handicap il est nécessaire de proposer une définition opérationnelle
du handicap dans le champ de la Géographie. Ainsi, à l’échelle d’un individu le handicap peut
se définir géographiquement comme un déficit d’inclusion socio-spatiale lié aux capacités
corporelles et à la pénibilité des pratiques de mobilités - sociales et spatiales - au sein de
territoires de l’habiter marqués par des contraintes d’accessibilité.
Au final la démarche tourisme et handicap permet d’entrevoir de nouvelles formes de
pratiques multisensorielles et « re-créatives » ouvertes à tous au sein de territoire dont la
forme de l’habiter touristique favorise l’inclusion socio-spatiale de tous à tous les âges de la
vie.
Bibliographie
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Présentation de l’auteur
David AMIAUD est doctorant en Géographie à l’Université de La Rochelle. Ses recherches
portes sur la question de l’équité d’accès aux sites touristiques littoraux pour les personnes à
mobilité réduite. Le sujet vise à explorer la relation entre tourisme et handicap par
l’approfondissement des notions de handicap, de justice spatiale, d’accessibilité et de
liminalité. Les travaux d’investigation s’inscrivent également dans une logique de recherche
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appliquée à travers l’utilisation des SIG et la conduite d’études menées conjointement avec
des collectivités territoriales.
i Entre 2009 et 2011 des enquêtes et des observations ont été conduites auprès des personnes en situation de handicap. L’objectif des entretiens était de saisir sur le lieu touristiques le ressentit des touristes à mobilité réduite sur les conditions d’accès aux pratiques touristiques. Pour cela les entretiens ont été mené à proximité de lieux touristiques connu pour leur accessibilité.
iiA ce propos Robert Imrie et Peter Hall (2000) font le lien entre l’accessibilité et le lien social. Ils précisent notamment que « The physical configuration of the built environment is particularly problematical for disabled people who regard it as signicant in in uencing their social and economic opportunities. »
iii Les diagnostics d’accessibilité ont été réalisés à partir d’une grille d’observation combinant les obligations de la loi du 11 février 2005 et des critères de qualité d’usage recensé suite à des entretiens réalisé auprès de personnes à mobilité réduite. Les diagnostics d’accessibilité permettent d’évaluer le niveau d’accessibilité d’un territoire. Il a ainsi pu être remarqué des écarts entre certaines communes du littoral en matière d’accessibilité de la voirie et des espaces publics (incluant les plages urbaines). Cependant la majorité des diagnostics révèlent des discontinuités majeures au niveau des cheminements piétons des personnes à mobilité pouvant être un frein à l’exercice de pratiques touristiques.
iv Pour notre démarche nous faisons référence à la définition d’Augustin Berque (1996) pour qui « l’écoumène, c’est à la fois la Terre et l’humanité ; mais ce n’est pas que la Terre plus l’humanité, ni l’inverse ; c’est la Terre en tant qu’elle est habité par l’humanité, et c’est aussi l’humanité en tant qu’elle habite la Terre. L’écoumène est donc une réalité relative, ou plus exactement dit, relationnelle ; d’où notre définition : l’écoumène, c’est la relation de l’humanité à l’étendue terrestre. »