Tourisme urbain

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Colloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 1

L

e colloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe sest droul lhtel de Rennes Mtropole, les 26 et 27 mars 2009. Il tait organis par la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain (CNPTU)1 et lAlliance de Villes Europennes de Culture (AVEC)2, en partenariat avec la Communaut dAgglomration et lOffice de Tourisme et des Congrs de Rennes Mtropole, avec lappui technique de Maison de la France, ODIT France (dsormais Atout France), et le soutien du Conseil Rgional de Bretagne et de la Sous-direction du tourisme (Direction gnrale de la comptitivit, de lindustrie et des services). Rflchir sur le renouveau du tourisme urbain travers celui des villes, dans un contexte de lhyper concurrence europenne et mondiale, supposait - danalyser limportance de lenjeu dun patrimoine urbain - de revisiter la notion de dplacement et de proximit - dvoquer cette urbanit bicphale : lune fonctionnelle, efficace, rentable, et lautre celle de la lenteur, de la dcouverte pour des touristes et/ou des habitants enfin, de permettre une rflexion au-del des frontires de lhexagone par les expriences et tmoignages des villes du rseau AVEC .

_____

1.

La CNPTU est une fdration de collectivits territoriales (villes et/ou structures communautaires). Le secrtariat gnral est port par lOffice de Tourisme et des Congrs de Rennes Mtropole. La confrence se runit 4 5 fois par an. Elle travaille en outre, en commissions spcialises charges dapprofondir les sujets considrs comme prioritaires par les membres.

2.

Le rseau AVEC est un rseau europen de villes et de collectivits territoriales historiques dont la volont commune est ddifier une Europe des rgions, base sur le respect des diffrentes cultures. Pour ses membres, les patrimoines matriels et immatriels sont des vecteurs didentit, de partage et de dveloppement durable.

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Sommaire

Allocution de bienvenue par Jean-Yves CHAPUIS, Vice-prsident de laCommunaut dAgglomration Rennes Mtropole, Prsident de la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain, Vice-prsident de lAlliance de Villes Europennes de Culture

p. 4

" Les villes touristiques patrimoine en Europe" par Rmy KNAFOU,Professeur mrite lUniversit Paris 1- Panthon-Sorbonne, Prsident de lADRETS (Association pour le Dveloppement de la Recherche et des Etudes sur les Tourismes), Chef de projet du Mmorial du Camps des Milles (Aix-en-Provence)

p.6

Table ronde " Nouveaux temps, nouveaux territoires touristiques urbains" anime par Jean-Franois CROLA, Bureau de la prospective et de lvaluationconomique, Direction Gnrale de la Comptitivit, de l'Industrie et des Services (DGCIS), Ministre de lconomie, de lindustrie et de lemploi

p.16

- " La ville phmre, festive et vnementielle" par Luc GWIAZDZINSKI,Gographe, enseignant-chercheur lUniversit J. Fournier, UMR PACTE 5194, Grenoble. Cofondateur de lagence Sherpaa, Prsident du Ple des arts urbains (POLAU)

p.19 p.26 p.30

- " Quest-ce quune ville ludique et surprenante" par Stphane JUGUET,Anthropologue, Socit "What Time Is It"

- " Vers la ville augmente" par Hugues AUBIN, Membre du groupe national deprospective de la DIACT Cyberterritoires, Mission Technologies de lInformation et de la Communication, Ville de Rennes

" La qualit dusage des espaces publics en France" par Michel WASTIAUX,Directeur des Espaces et Filires, ODIT France (dsormais Atout France)

p.40 p.44 p.50

" Le label Qualicities" par Antonio VALENTIM, Dpartement Environnement etqualit de la Ville dEvora, Portugal

" La re-fonctionnalisation des espaces dans la ville : le rle des Jeux Olympiques de Turin 2006" par Mario BURGAY, Directeur du service TourismeSport de la Province de Turin, Italie

" Le nouveau marketing touristique et culturel" par Jol GAYET, Directeur deCo-Managing

p.55 p.64

" Le projet Euriage, plate-forme mutualise de promotion touristique des membres du rseau AVEC" par Jean-Pierre BUF, Directeur de lOffice deTourisme dArles

- ANNEXES Lettre de Daniel DELAVEAU, Maire de Rennes, Prsident de la CommunautdAgglomration de Rennes Mtropole

p.68

Lettre de Christian MOURISARD, Adjoint au Maire dArles, dlguau patrimoine et au tourisme, Prsident de lAlliance de Villes Europennes de Culture

Documents prsents par Rmy KNAFOU : " Tourisme urbain en Europe" et "Une hirarchie du tourisme urbain en Europe" Prsentation de la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain Prsentation de lAlliance de Villes Europennes de Culture et du label Qualicities Liste des participants au colloque

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IntroductionAllocution de bienvenue de Monsieur Jean-Yves CHAPUISVice-prsident de Rennes Mtropole dlgu aux formes urbaines, Prsident de la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain, Vice-Prsident de lAlliance de Villes Europennes de Culture Je vous souhaite la bienvenue, et, dans un premier temps, vous prie de bien vouloir excuser Monsieur Daniel DELAVEAU, Maire de Rennes et Prsident de Rennes Mtropole, retenu Paris par un rendez-vous avec le Premier Ministre, ainsi que Monsieur Christian MOURISARD, Adjoint au Maire de la Ville dArles dlgu au patrimoine et au tourisme, et Prsident de lAlliance de Villes Europennes de Culture, retenu pour des raisons personnelles (voir leurs communications en annexe). Pour ma part, je voudrais, en introduction, insister sur un point : Demain, on fera du tourisme dans sa ville . Je pense que nous allons connatre de profondes mutations dans les annes venir, sujet quaborderont la table ronde et les interventions au cours de ce colloque. Le tourisme de proximit nimplique pas que lon ne se dplacera plus, mais que lon se dplacera autrement. Ainsi se dveloppera le tourisme immatriel, la rencontre dun certain nombre dides, de concepts travers les hommes. Nous en avons fait lexprience rcemment lors du forum Libration qui sest droul Rennes du 20 au 22 mars 2009 et a donn lieu 50 dbats. Deux dentre eux ont t particulirement apprcis : Alexandre ADLER, philosophe et spcialiste de lURSS, avec Bernard GUETTA, journaliste au Monde, propos de lvolution de la Russie ; et Hubert VEDRINE, ancien Ministre des Affaires Etrangres du Gouvernement Jospin avec Bruno LE MAIRE, secrtaire dEtat aux Affaires Europennes, au sujet des relations USA-Europe. A travers ces deux dbats, on voyageait dans le monde entier, en comprenant, grce ces spcialistes, les relations futures entre lEurope, les USA et la Russie. Ce tourisme immatriel qui se passe dans la ville est un tourisme de proximit. Ce forum, ouvert particulirement ceux qui habitent Rennes et Rennes Mtropole, mais aussi ailleurs, constitue une forme de tourisme qui se dveloppera. Dans toutes les villes, les quartiers des gares vont beaucoup changer, grce lintermodalit (lun des grands projets de Rennes). Le rseau TGV va compltement changer les relations entre les villes : Rennes sera bientt 1h30 de Paris et 3h30 de Strasbourg. La rduction des temps de transport rapprochera les villes, instaurant une nouvelle forme de tourisme de proximit. Les transports en commun voluent, comme le bus dont la conception va beaucoup changer. Il en est de mme pour la voiture. Il ne sagit pas dun rejet des moyens de se dplacer mais de mutations de ces moyens. Je dfends galement beaucoup lide d tre en vacance dans sa ville . Notre dmarche de tourisme urbain, de patrimoine, de qualit urbaine sintgre dans une approche plus large : lorsque nous concevons la ville-archipel , une ville qui intgre la campagne, le paysage dans sa conception urbaine, lorsque nous disons quil faut conserver lagriculture priurbaine, quil faut lutter contre ltalement urbain en redensifiant nos centres, nous rpondons lvolution des modes de vie, lallongement de la dure de vie. Pour ce faire, il est ncessaire deColloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 4

dvelopper un cadre agrable dans son agglomration en reliant tous ces paysages et en crant les services de proximit. Cela permettra, quand on a du temps libre, de pouvoir trouver dans sa propre ville ou agglomration des espaces de dtente. Monsieur JUGUET, anthropologue, voquera tout lheure le concept de City Break - court sjour en ville. On peut chercher faire des breaks dans sa propre ville. Je citerai ici trois exemples damnagement qui ont contribu renforcer lattrait du centre-ville : les quais de la Garonne Bordeaux les berges du Rhne Lyon le quai des Antilles Nantes.

Leur mutation en fait presque des espaces de vacance, dagrment. Le tourisme envahit notre manire de vivre, de consommer. A lheure o se mettent en place les mtropoles, nous devons prendre conscience que la ville dans laquelle nous vivons sest fortement agrandie. Elle intgre la campagne mais aussi la mobilit avec tous les modes possibles. Elle permet aussi davoir une diversit doffre de logements que seul le grand territoire peut accueillir. Elle dveloppe un nouveau paysage fait de bti, de nature et dagriculture : une trame bleue et verte qui participe ce nouveau paysage. Il nous faut inventer la citoyennet mtropolitaine, notre nouvelle condition mtropolitaine. Je terminerai par une phrase du sociologue Gilles LIPOVETSKY qui dit : Nous sommes arrivs la consommation motionnelle , c'est--dire quaujourdhui, nous consommons pour notre bien-tre, pour essayer dtre plus libres. Noublions pas, quen moyenne, nous vivons 700 000 heures, dormons 200 000 heures, travaillons 69 000 heures, et avons prs de 350 000 heures nous. Cest un changement prodigieux. En un sicle, nous avons gagn 35 ans de vie. Ainsi cela change notre mode de vie, notre manire de vivre la ville dans laquelle vit la majorit de la population mondiale. La notion de tourisme urbain doit donc slargir toute cette conception de la ville. Enfin, je remercie Madame IRVOAS-DANTEC, Directrice de lOffice de Tourisme et des Congrs de Rennes Mtropole et Secrtaire gnrale de la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain sans laquelle ce colloque naurait pu avoir lieu, ainsi que toute son quipe, qui a fait un travail remarquable. Nous restons galement votre disposition pour que cette rencontre se droule bien. Merci de votre prsence. Jean-Yves Chapuis

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" Les villes touristiques patrimoine en Europe "Intervention de Monsieur Rmy KNAFOUProfesseur mrite lUniversit Paris 1 Panthon-Sorbonne. Prsident de lADRETS (Association pour le Dveloppement de la Recherche et des Etudes sur les Tourismes). Chef de projet du Mmorial du Camps des Milles (Aix-en-Provence)

Je vous remercie tout dabord pour votre accueil. Je vais vous prsenter un expos de cadrage gnral, en tant que gographe spcialiste du tourisme mais aussi en tant que photographe ayant eu loccasion de frquenter beaucoup de lieux touristiques en Europe et dans le monde. Ce voyage sera trs visuel. Parler des villes touristiques patrimoine en Europe suppose dabord de donner une brve dfinition du patrimoine. Il y a une dfinition de base tymologique : lhritage de nos pres. Cest la dimension historique du patrimoine. Le patrimoine est vivant, pas simplement parce quon le restaure et lui donne un souffle nouveau, cest aussi parce que nos socits et nos villes produisent aujourdhui du patrimoine. Ce nest pas simplement lhritage du pass cest aussi ce que notre capacit dinnovation et de cration est capable dapporter comme valeur ajoute supplmentaire la ville daujourdhui. La qualit dun patrimoine bien mis en valeur est lun des deux ressorts de la frquentation touristique des villes (lautre tant lanimation de la grande ville, se fondre dans la population urbaine, les loisirs urbains, et le champ des possibles quelle ouvre). La qualit du patrimoine urbain est aujourdhui un enjeu important. Si le tourisme peut tre un prtexte pour justifier un certain nombre damnagements urbains destins avant tout la population locale, le tourisme est de plus en plus souvent un moyen de financer ou de justifier le financement de la restauration du patrimoine. Du reste, de nos jours, le patrimoine non touristique est en grand danger, le plus souvent en ruine ou en voie de le devenir. Donc largent du tourisme est ncessaire, quil y ait ou non du tourisme. Aujourdhui le tourisme influence nos socits, lexprience touristique est directement implique dans la qualit de la vie urbaine au quotidien. Pour terminer lintroduction, je souhaite insister galement sur quelque chose dimportant : il sagit du fait que les touristes sont aussi des habitants des villes. Dans celles-ci il y a les habitants, dits permanents, mme sils sortent souvent et quils ont une grande mobilit ; ils sont rejoints par des populations de visiteurs qui sont des habitants temporaires. De ce fait il y a tout intrt, dans les politiques de dveloppement touristique, les considrer comme des habitants au sens plein du terme, mme sils ne font que passer.

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I- Types de villes touristiques patrimoine : de quoi parle-t-on ?Je distinguerai trois types de villes touristiques patrimoine : les mtropoles, les villes dites touristifies, les autres villes. 1- Les mtropoles internationales Tim Freytag, chercheur allemand, qui a travaill dans notre laboratoire Paris durant un an, a tabli une carte du Tourisme urbain en Europe (voir ci-contre). Il a ralis un travail de collecte et dhomognisation des statistiques de frquentation du tourisme dans les villes europennes, partir du nombre de nuites pour les grandes villes, puis remis ltude de ces statistiques sous la forme dune carte et dune pyramide. Paris et Londres, apparaissent en tte, puis viennent Prague, Berlin, Madrid, Amsterdam, Rome Nous sommes ici sur un terrain o la concurrence est extrmement vive, car il sagit dun rseau de villes qui ont toutes ou presque des lments de patrimoine importants et des stratgies de dveloppement touristique qui se veulent dynamiques. La hirarchie du tourisme urbain en Europe. Cette hirarchie est importante car elle permet de situer les grandes ingalits de frquentation et de mettre en vidence les mtropoles internationales. Rome, avec ses 20 millions de touristes lanne, est un exemple de frquentation du patrimoine ancien, alors que Londres, qui a une frquentation suprieure, lest davantage pour ses animations et ses innovations (exemple : la grande roue). Londres possde un patrimoine qui sest tourn vers lavenir. Au dbut du 19e sicle, il y avait une comparaison entre Londres et Paris, les Anglais disant que Londres cultivait lavenir, tandis que Paris cultivait le pass. Cela montre bien la tonalit de la comptition entre ces deux mtropoles. Concernant la frquentation des grandes villes, il sagit souvent de courts-sjours (exemple de Londres notamment avec lEurostar). Dans les grandes villes on marche beaucoup : la premire forme de frquentation de la ville est la marche. Tout comme se faire photographier devant un lieu important fait partie des conditions du sjour touristique, mme bref. 2- Les villes touristifies Une ville touristifie est une ville ou une portion de ville, gnralement le centre compltement investie par le tourisme. Le centre-ville de Venise est le prototype de ces villes touristifies qui vivent presque entirement du tourisme. Cela prsente des avantages, comme les ressources, mais aussi des inconvnients : les problmes qui se dveloppent sont ceux dune population qui rgresse (en 35 ans, celle du centre de Venise a t divise par trois), remplace par une population temporaire, des commerces et des services du quotidien qui se rarfient, remplacs par dautres commerces destination des touristes. Cest une volution assez classique de lieux domins par le tourisme. Il en est de mme pour le centre de Florence en Italie, Tolde en Espagne, Bruges en Belgique, investies par les touristes et les services qui leurs sont destins. Lexemple de Bruges est intressant du fait du dveloppement du tourisme partir du dbut du 20e sicle. Cest un dveloppement assez tardif par rapport celui des mtropoles, et cela a permis la reconversion dune conomie urbaine qui tait en crise profonde. Au dbut du 20e sicle, elle tait considre comme lune des villes les plus pauvres de Belgique, et aujourdhui comme lune des plus riches.

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Rothenburg, en Allemagne est un autre exemple de ville touristifie. Il sagit dune ville moyengeuse, dbut Renaissance qui a chapp miraculeusement toutes les guerres et aux oprations de rnovations urbaines du 20e sicle. Aprs avoir vgt jusquau 19e sicle, elle a connu une frquentation touristique prsent importante, voire intense, caractrise par la prsence des touristes japonais (la ville est incluse dans les circuits des tour-oprateurs japonais). Le bti y est bien prserv et possde quelque chose dassez exceptionnel en Europe : tous les remparts, les tours et les portes ont t conservs. Autres exemples : en Europe centrale, Cesky Krumlov, (situe en Bohme du Sud, 170 km de Prague), ville classe au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1992, accueille chaque anne 1,5 million de touristes. esk Budjovice en Rpublique Tchque se caractrise par la plus grande place dEurope centrale. Ces villes, bien prserves ou bien rhabilites, sont prsent intensment frquentes par les touristes, avec des produits touristiques et spcifiques de mise en valeur. 3- Les autres villes touristiques patrimoine, peu ou pas mis en valeur Il existe beaucoup de villes patrimoine. Presque toutes les villes europennes ont un patrimoine faire valoir. Mais certaines, comme par exemple Beaucaire, ont une frquentation touristique assez modeste par rapport au potentiel du lieu, tout dabord parce que la concurrence est forte, et ensuite parce que les rnovations urbaines navancent pas du mme pas. Ceci pour dire quil y a de la marge de progression dans la mise en valeur du tourisme et dans les concurrences venir.

II- Processus de touristification patrimonialiseLe patrimoine nest pas seulement, comme ltymologie le rappelle, lhritage de nos pres, mais peut aussi tre le rsultat de crations contemporaines. Les politiques urbaines actuelles produisent aussi du patrimoine. 1- La restauration et la mise en valeur par le tourisme Les conditions de restauration passent par la dcouverte du lieu : il a fallu que passe linformation selon laquelle il y avait des lieux de qualit qui ne demandaient qu tre visits. Prenons lexemple de Bruges qui a t un lieu du dclin conomique lent et long aprs son ge dor du 14e sicle. La ville sest rtracte lintrieur de ses remparts, la population est partie et sest appauvrie. Il a fallu relancer lintrt du lieu la fin 19e sicle; le roman La morte de Georges Rodenbach, a t lun des lments dclencheurs la prise de conscience du potentiel de ce lieu. Les lieux anciens moyengeux sont devenus la mode au 19e sicle. Un autre exemple, Rothenburg, voque prcdemment, est aussi une dcouverte de la fin du 19e sicle : cest au moment o il y a eu des relations de voyage du premier visiteur quest ne lexploitation du potentiel touristique du lieu. 2- Reconstructions, reconstitutions Je prends lexemple de Wroclaw (Breslau) en Pologne : le centre de cette ville a t compltement dtruit durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce qui est intressant cest que la population aColloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 8

compltement chang : ctait une ville allemande. Cette population survivante a t chasse et remplace par une population polonaise : il y a eu un transfert de population une chelle massive, et pendant que celle-ci changeait, on a reconstitu lidentique le centre-ville dtruit. Lapparence formelle, lenveloppe de la ville a t reconstruite lidentique alors que la population a compltement chang. Le mme choix a t fait pour Saint-Malo. En aot 1944, pendant une semaine, la cit est prise sous les feux croiss des artilleries allemande et amricaine. La cit brle presque entirement (elle est dtruite 80 %). On a pris la dcision, qui a t touristiquement trs importante, de la reconstruire lidentique, ce qui na pas t le cas partout en Europe. De mme, il a t dcid de reconstruire lidentique la Frauenkirche de Dresde, en Allemagne, glise baroque de la premire moiti du 18e sicle (elle fait partie du centre de Dresde qui a t bombard) dont il ne restait que 2 murs latraux qui se sont finalement effondrs. La reconstruction lidentique est une dcision politique damnagement urbain. 3- Production contemporaine La troisime possibilit est de produire du neuf dans de lancien, ce que lon voit dans de nombreuses villes. Par exemple, le Centre Pompidou Paris, inaugur en 1979, a, ds le dbut, accueilli beaucoup de visiteurs. Aujourdhui, il en est prs de 7 millions de visiteurs annuels. Ce lieu fait contraste avec le vieux Paris, mais cest la fois un muse, un centre dexpositions, une bibliothque, conformment sa mission dorigine. A Londres, beaucoup dquipements nouveaux ont t crs partir de la rcupration de btiments anciens, comme une centrale thermique transforme en muse dart moderne (la Tate Modern). Cest lun des processus classiques dvolution du patrimoine. Il existe, en Europe, de nombreux exemples de patrimoine industriel devenu touristique. En Grande-Bretagne, un quartier nouveau de Manchester, The Lowry, a permis la fois de faire de lhabitat, des loisirs, des services nouveaux, du tourisme. Il sagit dun amnagement nouveau dans une ville sinistre par la dbcle de lindustrie, dune reconversion profonde dun site, qui devient un nouveau centre daffaires, danimations et aussi un centre touristique. Lexemple-type de ces productions ex nihilo qui permettent la relance de lconomie urbaine, est le muse Guggenheim Bilbao (Espagne) : cest celui qui a connu le plus grand succs dans le laps de temps le plus court. Bilbao avait galement une conomie sinistre par le recul de la mtallurgie et des chantiers navals, tout ce qui constituait la richesse de lconomie industrielle classique du pays basque. Dans cette ville en crise, il a t dcid de modifier lapparence urbaine, de la transformer profondment et de sappuyer sur la culture comme nouveau moteur de lconomie urbaine. La communaut autonome basque et la ville de Bilbao ont choisi de raliser un gros investissement avec, en particulier, ce muse Guggenheim. On attendait, la 1re anne, 400 000 visiteurs : il y en a eu 1.5 million. Depuis, Bilbao attire environ 1 million de visiteurs par an. Cela a compltement chang la physionomie et lattraction du lieu. Bilbao est ainsi devenu un lieu touristique. Ceci est un exemple trs spectaculaire de rentabilisation sur un trs court dlai, grce un quipement qui a eu demble une renomme mondiale.

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III- Dynamiques et stratgies1- La concurrence - Une offre croissante en Europe - Un march quasi-unique et concurrentiel : lEurope et sa priphrie low cost La concurrence existe entre les villes europennes, mais elle ne sarrte pas la seule Europe. Les vols low cost mettent, par exemple, les villes du Maroc, les villes patrimoine, en concurrence avec les villes europennes. Aujourdhui le cot des transports ariens est relativement bas. Cela a permis Marrakech dtre relie lEurope. Lexotisme de la place Djema el Fnaa, de ses souks, de sa qualit dhbergement font que dsormais, Marrakech principalement, mais aussi secondairement Essaouira ou Fs qui sont en croissance, ainsi que dautres lieux, font partie de cette concurrence qui anime les villes patrimoine. 2- Mises aux normes : des standards de qualit de plus en plus levs : de la chambre dhte ou dhtel au quartier rhabilit Ce fini touristique, ce fini urbain, cette qualit de lespace public dans les lieux touristiques, le visiteur la retrouve et lattend partout. Aussi, il faut que ces lieux soient tenus et entretenus. Dsormais, on ramasse les djections des chevaux qui tirent les calches, que ce soit Marrakech, Bruges, Vienne ou dans dautres villes. Les trottoirs sont entretenus, refaits Ce processus de touristification influe beaucoup sur la qualit gnrale de lespace public et fait partie de ce que les touristes sont maintenant en situation dattendre. A Vienne, en Autriche, le patrimoine fait lobjet dun entretien et en mme temps dune mise en couleur trs soigne et trs travaille. Cela fait partie des politiques urbaines un peu partout en Europe, dans les pays riches. Il y a galement des fonctionnalits pratiques assurer. A Palma de Majorque, il existe un systme complexe et fonctionnel de botes ordures branches sur des tuyaux compression permettant dexpdier les dchets vers des sorties priphriques. A lintrieur de lhabitat touristique, les progrs sont galement spectaculaires et le dveloppement des chambres dhtes en est aussi lun des moteurs. Lhtellerie, y compris lhtellerie de luxe, a du souci se faire avec la concurrence des chambres dhtes. Cette mise en tourisme de nombreuses maisons familiales complte loffre touristique, ravive la concurrence et lve les standards de qualit. A prsent, dans les chambres dhtes, on atteint une esthtique qui est en gnral trs en avance sur celle des htels 4 toiles y compris les 4 toiles luxe. 3- Complmentarits, diffrenciations et spcificits - Cultiver sa spcificit : chaque ville essaie de se prsenter diffremment des autres, en fonction de sa catgorie. Ainsi, Madrid se prsente lchelle internationale comme la ville entre le ciel et la terre . Une ville comme Nice nentend plus tre uniquement une ville de bord de mer depuis longtemps, et sa communication porte maintenant sur le patrimoine urbain et le dveloppement durable. - Le rle des nouveaux htels comme moteur de limage renouvele de la ville. LEspagne en a beaucoup jou en particulier Madrid o lhtel Puerta Amrica est un exemple assezColloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 10

caractristique. Le dessin de la faade extrieure a t confi Jean Nouvel, et chaque tage de lhtel a t confi un architecte ou un bureau de design diffrent et de renom international. Si bien que lon peut revenir plusieurs fois dans cet htel et chaque fois tre hberg dans une ambiance totalement diffrente. Cest un exemple de ces quipements phares qui veulent illustrer la capacit dun lieu toujours tre dans le mouvement. - Commercialiser le patrimoine sous toutes ses formes, y compris le patrimoine hrit. Amsterdam, par exemple, sest spcialise dans la commercialisation de son hritage du Sicle dor et de la peinture de Rembrandt et Vermeer. La Ronde de Nuit , lun des chefs duvres de Rembrandt, expos au Rijksmuseum, apparat partout : un immense calicot, des statues grandeur nature sur la place Rembrandt Des dtails de Vermeer servent aussi dlment publicitaire, comme La laitire , dmesurment grossie sur la faade du muse national. On retrouve partout dans la ville les motifs de Rembrandt et Vermeer, ce qui montre la manire dont on entend exploiter cette source dimage pour le tourisme (depuis cette anne, Rouen fait de mme avec Claude Monet). - Etre dans les circuits des lieux o il se passe quelque chose ; organiser des rseaux de complmentarit tel le rseau de lAlliance de Villes Europennes de Culture. Les changes dinformations, dexpriences sont ncessaires pour faire vivre ce type de lieux. 4- Fuites en avant - La nouvelle injonction : la ville doit tre ludique, festive et durable tout prix (parade Londres avec un temps maussade) : le nouvel impratif festif renvoie aux ncessits et aux difficults de se diffrencier. Il existe aujourdhui des rassemblements qui peuvent atteindre un millier de personnes, telle la Love Parade Berlin. De nombreuses mtropoles veulent avoir des activits et des vnements de ce type. Paris sest galement lance dans une politique vnementielle ambitieuse : Paris plage, initialement destine ceux qui ne partaient pas en vacances, a rapidement attir des touristes trangers. Certains sont mme venus spcialement pour voir cette opration, qui a t ensuite copie dans dautres villes dEurope. Linflation de linscription au patrimoine mondial de lUNESCO va dans le mme sens. Sur les 878 inscrits, 330 en Europe sont essentiellement des sites dits culturels. Chaque anne, de nouveaux lieux sont inscrits. Limage de linscription lUNESCO va devenir de plus en plus difficile commercialiser, car elle est de moins en moins diffrenciatrice, ce qui ne lempche pas de rester trs convoite. - Divergences stratgiques : lexemple des stag parties (week-ends bires et sexe ), notamment Prague : on entre Prague stag sur Google, on reoit 3 740 000 liens. Ce phnomne existe aussi Budapest, Bratislava et dans de nombreuses villes dEurope centrale. Beaucoup de jeunes Britanniques viennent ainsi dans ces villes, leur voyage tant facilit par les vols low-cost. Lampleur du phnomne gnre des difficults, do la volont de certaines entreprises touristiques de se diffrencier : par exemple, Prague, certains bars ou discothques affichent no stag parties car ils ne souhaitent pas accueillir ce type de clientle. Prague a maintenant une image cartele entre des ralits diffrentes qui ne font pas bon mnage et correspondant des clientles de profil trs loign : celle du tourisme culturel et celle des stag parties . Ainsi, certains lieux touristiques sont confronts la ncessit et la difficult davoir reconstruire une cohrence et, en premier lieu, une image cohrente.

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ECHANGES AVEC LA SALLEThodoulitsa KOULOUMBRI, charge dAgglomration St-Denis Plaine Commune de mission tourisme, Communaut

De quelle ville et de quel tourisme parlons-nous ? Les villes touristifies sont souvent aseptises, comme Marrakech qui na plus dodeur. Le tourisme doit aussi tre une rencontre avec les habitants. Comment faire pour le rendre participatif, durable et solidaire ? Comment prendre en compte cet aspect des choses dans le cadre de la confrence ? Rmy KNAFOU A propos de Marrakech, effectivement il y a une volution des odeurs. Le fait que lon sente moins les djections animales permet davantage de sentir le jasmin. Aller la rencontre des populations, oui, la fois en thorie et en pratique. En tant quobservateur ou analyste du phnomne touristique, je remarque que lessentiel du flux touristique lchelle internationale ne va pas la rencontre des populations. Je ne porte pas de jugement de valeur en le disant, cest un constat. Les lieux touristiques du tourisme de masse, que ce soient les grandes villes ou les grandes stations touristiques, ne crent pas de rencontre avec la population, car on ne ly voit pas. En revanche, on va rencontrer les autres touristes. Le tourisme cest une rencontre humaine, une rencontre avec lautre, mais lautre nest pas forcment lhabitant local, ce qui peut tre regrettable. Cest une vie de socit qui sorganise, et que le lieu cre. Dans la grande mtropole, cest diffrent car le tourisme, mme lorsquil est trs prsent, est minoritaire, aussi peut-on avoir des chances de rencontrer la population locale. Mais, il sagit de rencontres assez fugitives et trs superficielles. Dans ce contexte, sont apparues des initiatives de tourisme dit participatif , mais elles ne concernent quune petite partie du flux touristique. Toutefois, elles ne sont pas ngligeables car toutes les parts minoritaires sont importantes et dignes dintrt.

Hugues AUBIN, membre du groupe national de prospective de la DIACT Cyberterritoires, Mission TIC, Ville de Rennes Un prolongement sur la question du tourisme participatif : le couch surfing , le fait de partager un appartement ou dhberger des globetrotteurs est un lien cr dans les salons, et pas sur les lieux touristiques. Je ne sais pas si cela reprsente un faible pourcentage au regard de ce qui est mesur en termes doccupation dhtels. Cela ny apparat pas, mais en termes de trafic arien ou automobile cela doit apparatre car les gens se dplacent. En revanche, en termes de mesure du nombre dinscrits sur ces sites participatifs dchange dhbergement de globe-trotters, on peut constater une croissance forte. Est-ce que l nest pas le signal faible du processus dans lequel les gens vont sentraider compte-tenu de la hausse du cot du carburant, des packages touristiques ? Est-ce le signal dun poids plus grand de la donne participative ? Rmy KNAFOU Effectivement, lheure actuelle, cest trs faible, presque anecdotique, mais pas entirement, cest-dire que tous ces mouvements existent. Ils sont trs favoriss par les changes sur Internet et sinscrivent dans un contexte qui leur donne un poids particulier. Ce quil ne faut pas oublier, cestColloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 12

que le tourisme non-marchand est majoritaire : les changes de logement de ville ville fonctionnent de plus en plus entre mtropolitains (on va changer plus facilement un appartement entre NewYork et Paris par exemple quentre des localits de niveau diffrent). Il sagit dun processus qui sinscrit dans la dominante des changes non marchands, qui par ailleurs alimentent des changes marchands. Mme si cela semble trs faible lheure actuelle, il parait vident que cela augmente de manire assez vive et peut devenir une tendance non ngligeable. Ce sont des lieux mtropolitains et des lieux trs connus lchelle internationale qui sont favoriss. La phase de diffusion vers dautres types de lieux prendra davantage de temps, mais elle est dj bien engage pour des lieux de notorit importante. Mario BURGAY, directeur du service tourisme et sports, Province de Turin, Italie Je partage lide quil y a un risque dans la touristification : un contraste entre touristification et authenticit. On risque de banaliser les destinations touristiques. Je crois galement quil est possible de faire des choix stratgiques hors du champ du tourisme de masse. Le tourisme tant un phnomne conomique, il faut prendre en compte ce quil rapporte : la multiplication du nombre des touristes par leur budget quotidien. Je peux chercher inverser ce rapport : moins de touristes qui dpensent davantage, ou beaucoup de touristes qui dpensent peu. Pour les destinations nouvelles, on pourrait faire un choix mariant la qualit de loffre la qualit de la demande, donc chercher une cible de touristes qui pourraient tre attentifs aux gens, lesprit du pays, dun point de vue culturel. Je pense que cest lessentiel du tourisme. Rmy KNAFOU Ce que vous dites est le rve, voire le fantasme de beaucoup de lieux touristiques : avoir moins de touristes qui rapportent plus. Il y en a mme qui aimeraient, cest un fantasme total, avoir largent des touristes sans les touristes ! Lide davoir davantage de touristes qui rapportent plus et qui sintressent ce qui constitue lauthenticit du lieu est une stratgie de nombreux lieux touristiques, y compris des lieux de tourisme de masse. Par exemple, jai pu analyser que Majorque a russi en partie reconvertir son conomie touristique de lintrieur des terres vers un tourisme de type litiste haut revenus, et mise sur les deux tableaux : un tourisme populaire et de masse sur le littoral et un tourisme rserv des catgories aises dans lintrieur des terres, avec des chambres dhtel ou des maisons dhtes qui sont maintenant deux fois plus chres dans lintrieur que sur le littoral : on assiste une inversion des valeurs. En mme temps, cela permet aussi au tourisme dinvestir presque la totalit du territoire, pas uniquement le littoral. Il y a de la place pour tous les types de tourisme, et la mme ncessit de tous les types de tourisme. Le tourisme de masse na pas quune fonctionnalit conomique mais galement une fonctionnalit sociale : il y a aujourdhui, dans le monde, de plus en plus de populations qui aspirent prendre des vacances et pratiquer le tourisme, du fait de la hausse de leur pouvoir dachat. Il faudra quil y ait de plus en plus de lieux de tourisme de masse pour accueillir cette demande nouvelle. Dans le monde, le nombre de touristes est en voie daugmentation assez rapide ; mme si 2009 connatra un ralentissement des arrives internationales. Il faut des lieux capables daccueillir diffrentes demandes sociales, puisque nous sommes sur la voie dune diffrenciation des demandes de sjours touristiques de plus en plus grande.

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Jean-Pierre NUZILLAT, adjoint au maire ville de Chalon-sur-Sane Chez nous, jai lhabitude de dire, par drision, il ny a pas la mer . Nous aimerions faire venir les touristes, car nous avons conscience que notre patrimoine existe, que nous avons aussi une exception culturelle. Mais je me dis que nous pourrions galement reconqurir les habitants de notre territoire pour les transformer en touristes, car, souvent je maperois que les habitants ne connaissent pas vraiment leur patrimoine et mme quils ont du mal participer notre culture. Alors que faut-il faire pour reconqurir dabord nos habitants qui constituent une clientle potentielle ? Rmy KNAFOU Lune des manires de rpondre votre attente passe aussi par la frquentation touristique. Le Havre est un exemple intressant, car, cette ville a t compltement dtruite durant la Seconde Guerre Mondiale, puis reconstruite par larchitecte Auguste Perret. Cette ville moderne ntait, semble-t-il, pas apprcie par les habitants. Car on avait reconstruit une ville qui navait rien voir avec lancienne, ce qui tait un traumatisme profond pour la population. Alors que, depuis une vingtaine dannes, elle tait de plus en plus apprcie par les visiteurs, mme sils ntaient pas trs nombreux. Cette ville en reconstruction a t classe au patrimoine mondial de lUNESCO. Lune des consquences de ce phnomne, est quil y a davantage de visiteurs au Havre, ce qui permet aux habitants de porter un regard diffrent sur leur patrimoine. De mme, les habitants de la valle de Chamonix, lorsquils voyaient les premiers touristes arriver, se demandaient pourquoi ces gens-l venaient voir ce qui pour eux navaient aucune valeur. Donc le regard de lautre est essentiel pour la constitution de son propre regard sur le lieu. Jean-Yves CHAPUIS, vice-prsident de la Communaut dAgglomration Rennes Mtropole, prsident de la Confrence Nationale Permanente du Tourisme Urbain, vice-prsident de lAlliance de Villes Europennes de Culture Au Havre, il y a deux lments importants dans le dbat urbain : dune part, Perret avait construit sa ville avec beaucoup despaces verts, ce qui tait mal peru lpoque mais qui prend aujourdhui une valeur phnomnale. Le thme de la nature dans la ville est essentiel aujourdhui. Dautre part, il y a de nombreux amnagements effectus par des quipes darchitectes franais et trangers autour de leau. De ce fait, il y a redcouverte dune ville moderne, et mme contemporaine : nos concitoyens redcouvrent la nature dans la ville. Cest ce que lon voit galement pour les quais de la Garonne Bordeaux, les berges du Rhne et les quais de la Sane Lyon. Sabrina LACONI, adjointe au maire, Ville de La Rochelle Jai relev deux termes de votre expos : le patrimoine et lhritage. Ce sont deux choses bien distinctes, qui pourtant se rejoignent, et qui ont faire notre tourisme, presque industriel aujourdhui selon les villes. Aujourdhui, le tourisme devrait semparer de ce volet-l car, comme vous le dites, il a un rle social et pourrait aussi avoir un rle pacificateur. Par exemple, la ville de La Rochelle sest btie sur lesclavage, et pourtant, si lon va dans cette ville aujourdhui, trs peu de gens citent cette tape. Cette rconciliation avec notre histoire, entre les peuples, cette acceptation de certaines erreurs fait aussi partie du rle du tourisme, tout du moins des professionnels du tourisme, car ils peuvent tre vecteurs de beaucoup de donnes et dune certaine thique. Je pense que lhistoire raconte doit semparer de ces donnes, pour devenir un peu plus quitable elle-mme. Je souhaiterais votre avis sur cette question.

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Rmy KNAFOU Je vous rejoins compltement sur le rle pacificateur du tourisme. Il est vrai que dans le tourisme, on utilise beaucoup de mtaphores guerrires, notamment lorsque lon parle dinvasions touristiques. Jai beaucoup fait la chasse au vocabulaire auprs de mes tudiants en leur disant quil valait mieux appliquer les bons mots, car ils ont un poids qui peut toucher ou blesser. Employer des mtaphores guerrires, cest oublier la spcificit du mouvement touristique dans son histoire, depuis le 18e sicle. Quest-ce que le tourisme ? Cest le plus grand mouvement de masse de populations venant pacifiquement chez les autres, et sur le long terme, ce qui est sans prcdent. Lhistoire humaine nest faite que dinvasions au sens militaire et guerrier du terme. La plupart du temps, le tourisme nest pas ainsi, mme sil est vrai que dans la population touristique qui reprsente presque toute la population, il existe des comportements dlinquants. Aujourdhui, il y a plus de deux milliards de touristes. Ce sont donc des flux considrables. La dimension pacifique, qui permet de renouer des liens avec son histoire, de mieux lassumer travers la visite des autres, est quelque chose dimportant mais qui ne se fait pas naturellement : cela demande un travail la fois individuel et collectif pour permettre dassumer diffremment lhistoire dont on est porteur et de mieux la communiquer aux autres. Sabrina LACONI Cela montre bien que le tourisme ne permet pas de faire nimporte quoi. La formation des agents touristiques doit tre beaucoup plus pousse que ce quelle est aujourdhui, et souvent, les petites histoires racontes ne sont pas la hauteur du lieu et de lhritage. Vronique RODHERER-THEIS, prsidente de lOffice de Tourisme de Metz Je voudrais galement parler du traumatisme dune ville : Metz. Etant responsable aujourdhui de lOffice de tourisme de Metz, je me rends compte quil y a un poids du pass trs lourd, et un travail norme raliser pour rhabiliter la ville. Par exemple, quand on parle de TGV Est, on parle de Reims, Nancy, Strasbourg mais pas de Metz. La population a t traumatise par lannexion allemande entre 1870 et 1914 : aussi, alors quil y a un quartier imprial tout fait remarquable, on nen parle pas, cela commence seulement. La ville a mauvaise rputation : on y faisait son service militaire, et peut-tre cause du climat, de labsence de la mer Pourtant, cest une ville romaine qui a une histoire extraordinaire avec une cathdrale. Il va y avoir un Centre Pompidou Metz exceptionnel Mais le handicap est difficile remonter, et jaurais besoin de vos conseils. Rmy KNAFOU Effectivement, ce que jai remarqu dans mes rflexions sur le tourisme, cest la durabilit des traumatismes. Les traumatismes lis lhistoire ne disparaissent pas. Ici nous sommes sur une histoire qui a plus dun sicle et qui laisse encore des traces, mme dans le paysage. Par exemple, la gare de Metz a une architecture remarquable mais typique de la priode allemande. La remarque que je peux formuler est que ce que vous dites est dj le dbut de la solution, car cest par lnonc du problme et par sa prise de conscience conscutive que lon commence traiter le problme. Cest partir du moment o lon assume son histoire que lon peut porter la mmoire, que lon peut se prsenter plus sereinement aux autres et, partir de l, faire davantage venir les autres vers soi.

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TABLE RONDE :

" NOUVEAUX TEMPS, NOUVEAUX TERRITOIRES TOURISTIQUES URBAINS "

Avec la participation de :Luc GWIAZDZINSKI. Gographe, matre de confrences lUniversit J. Fournier. UMR PACTE 5194, Grenoble. Co-fondateur de lagence Sherpaa. Prsident du Ple des arts urbains (POLAU) Hugues AUBIN. Membre du groupe national de prospective de la DIACT Cyberterritoires. Mission Technologies de lInformation et de la Communication, Ville de Rennes Stphane JUGUET. Anthropologue. Socit What Time Is It

Anime par :Jean-Franois CROLA. Bureau de la prospective et de lvaluation conomique, Direction gnrale de la Comptitivit, de l'Industrie et des services (DGCIS), Ministre de lEconomie, de lIndustrie et de lEmploi

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Intervention de Monsieur Jean-Franois CROLABureau de la prospective et de lvaluation conomique, Direction gnrale de la Comptitivit, de l'Industrie et des Services (DGCIS), Ministre de lEconomie, de lIndustrie et de lEmploi

Bonjour tous et bienvenue nos amis du rseau AVEC. Dans cette table ronde, nous allons voquer le renouveau des villes , dans le prolongement de ce qui a t fait ce matin. Nous aurions pu galement utiliser les termes de r-enchantement , renaissance , reconqute . Les mots fleurissent pour qualifier lapparition, dune part de nouvelles villes dans la comptition touristique (cest lhyper concurrence touristique europenne et mondiale), et dautre part, lintrieur de ces villes, la multiplication despaces urbains reconquis comme, par exemple, les friches portuaires. Nouveaux espaces donc, mais aussi nouveaux rythmes, nouveaux temps de vie du tourisme. Ce renouveau du tourisme urbain se fait au profit des visiteurs et des touristes, au travers du city break, mais aussi du tourisme de proximit, celui des citoyens, des habitants. Ce tourisme se dveloppe dautant plus en temps de crise comme aujourdhui. On pourrait galement voquer le poids du tourisme daffaires : en France, 30 40 % des nuites htelires sont imputables ce tourisme daffaires dans lequel il y a galement une part patrimoniale importante. Et puis, il y a un renouveau du tourisme au profit des habitants, qui sont assez souvent les premiers clients de cette offre touristique urbaine, et surtout des acteurs de loffre, notamment au travers dInternet. Quels enjeux pour les offices de tourisme, pour les villes et pour lorganisation du tourisme dans les villes ? On peut citer quelques pistes : Comment rpondre au mieux ces attentes diverses et nouvelles ? Comment concilier les demandes des habitants et des touristes extrieurs ? Comment associer et impliquer les habitants, pour ce qui concerne leurs propres pratiques touristiques, mais aussi dans laccueil des visiteurs extrieurs ? Quelles ralits derrire le beau mot dhabitant ambassadeur de sa ville ? Comment prendre en compte ces volutions ds la conception et dans la gestion du patrimoine de la ville ? Comment tirer les consquences de ces volutions en matire de combinaison doffres, non seulement patrimoniales et culturelles, mais galement incluant la dimension loisir et divertissement, voire la dimension commerciale ? Comment combiner offre de services aux touristes et aux habitants, pour leur faciliter la vie, comment doser flexibilit des horaires et des offres ? Comment grer les tensions nouvelles que ces volutions provoquent ? Tensions entre une ville qui doit rester fonctionnelle, efficace, rentable et la ville touristique de la lenteur, de la dcouverte. Ces deux dimensions sont recherches par les habitants et par les touristes. Tensions galement possibles entre usages festifs et usages rsidentiels, avec des initiatives comme celles du bureau des Temps de Rennes, avec la Nuit des 4 Jeudis.

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Pour traiter ces sujets, il y aura trois interventions complmentaires : La ville festive que va voquer Luc GWIAZDZINSKI. Il travaille depuis plusieurs annes sur les rythmes de la ville, notamment nocturne. Il abordera le renouvellement continu de la mise en scne touristique des espaces urbains qui crent de nouveaux temps pour la ville, le temps de la nuit en particulier, et galement le temps de lphmre. Il voquera aussi cette comptition entre les villes, ce concours de beaut culturel et festif qui renouvelle le patrimoine urbain et sa gestion. Ensuite Stphane JUGUET, anthropologue des mobilits touristiques et quotidiennes, nous parlera des courts-sjours des touristes europens que lon a qualifis de City break. Depuis une dizaine dannes, aids par les vols low-cost et le TGV, ces sjours autour dun week-end se sont dvelopps. Il reviendra aussi sur le fait que ces City break peuvent seffectuer par les habitants dans leur propre ville. Touristes et habitants ont en commun de porter un nouveau regard sur la ville, la recherche dun nouvel univers urbain et personnel. Enfin, Hugues AUBIN traitera de la ville numrique. Il est charg de mission la Ville de Rennes sur les dimensions des nouvelles technologies de rseau : le web, lInternet mobile Ces outils apportent des services dinformation mais aussi des services de paiement ou de rservations qui vont permettre une meilleure itinrance des touristes en City break. On pourrait parler de nouvelles possibilits dadhrence aux territoires et aux cultures locales. Lensemble de ces volutions appelle de nouvelles faons de penser la ville, vers un urbanisme des temps et des espaces ; de nouvelles faons de penser le tourisme au sein de la ville et donc de grer lactivit des offices de tourisme. Dans cette table ronde, nous partirons donc des modes de vie des touristes et des habitants, avec une conception largie du patrimoine, de la ville culturelle et monumentale vers la ville des loisirs et des divertissements, jusquau nouveau patrimoine immatriel en cours de construction grce aux technologies de rseau.

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" LA VILLE EPHEMERE, FESTIVE ET EVENEMENTIELLE "

Intervention de Monsieur Luc GWIAZDZINSKIGographe, enseignant-chercheur lUniversit J. Fournier, UMR PACTE 5194, Grenoble. Cofondateur de lagence Sherpaa et Prsident du Ple des arts urbains (POLAU)

La ville est notre espace et nous nen avons pas dautre Georges Perec

Cest en tant que gographes que nous nous proposons daborder la question du tourisme urbain, en nous appuyant notamment sur les recherches menes depuis une dizaine dannes sur la ville, les temps, les mobilits et les nuits urbaines. Notre seule ambition est de tenter de vous faire changer de regard sur les villes et leurs habitants temporaires, et de dvelopper quelques pistes de rflexion linterface entre lurbanisme et le tourisme. Puisque la ville est notre seul espace1 et horizon, lavenir passe ncessairement par sa redcouverte. Nul besoin dinsister sur lintrt dune telle articulation entre une activit conomique majeure et un mode dorganisation et de vie dominant. Nous sommes persuads que le croisement de ces deux questions permet de repenser autrement les espaces et les temps de notre vie quotidienne, et dimaginer dautres manires dhabiter les mtropoles et de vivre en socit. Le tourisme a beaucoup de choses nous dire sur la ville et vice versa. Notre proposition sappuie sur quelques convictions fortes. En premier lieu, nous croyons la ville comme un lieu de frottements et non comme un univers aseptis sans odeurs, bruits ou conflits. Nous savons que la cit idale na jamais exist sauf dans lesprit des philosophes ou sur les crans de cinma. La ville a toujours t un lieu paradoxal de maximisation des interactions et de sparation. Cest lchelle spatiale des mtropoles qui a chang. Par ailleurs nous ne sommes pas nostalgiques dun improbable ge dor urbain. Celles et ceux qui vous disent que ctait mieux avant oublient quavant ils avaient 20 ans. Enfin, nous savons quil ny a pas de bon et de mauvais tourisme, pas de vrais voyageurs et didiots du voyage2. Tout est question de point de vue.

La ville et le tourisme nexistent plusParler de tourisme urbain, cest ncessairement voquer la question de la ville et du tourisme, deux concepts remis en question par les volutions actuelles. Par provocation, nous pourrions avancer deux propositions : la premire est que la ville nexiste plus car tout est devenu ville, ce qui est pour la ville une autre faon de disparatre ; la seconde est que le touriste nexiste plus, car nous sommes tous devenus des touristes ce qui est galement une faon pour cette catgorie spcifique de disparatre.

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PEREC G., 1974, Espces despaces, Editions Galile Daprs le titre de louvrage de Jean Didier Urbain. Jean Didier URBAIN, 2002, Lidiot du voyage, Payot, 353p. Colloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 19

Un questionnement ncessaireLa ville a chang et nous-mmes avons largement modifi nos usages et nos comportements. Les volutions actuelles nous invitent nous engager sur des pistes fcondes linterface entre la ville et le tourisme. Les questionnements sont multiples. Peut-on encore parler de ville et de vivre ensemble alors que nous vivons dsormais dans des ensembles mtropolitains de plusieurs dizaines de kilomtres ? Peut-on parler dailleurs quand lurbanisation se gnralise et transforme le monde en une ville globale et multi-site o sentasse dj la moiti de la population de la plante ? Peut-on encore parler de touriste - dfini comme celui qui passe une nuit hors de chez lui-, quand de plus en plus de personnes habitent plusieurs lieux la fois, passent une partie de leur vie en mobilit pour leur travail et dorment lhtel ? Que penser des comptages en termes de lits et de nuites quand certains oprateurs ont pour slogan : Si tu dors, tes mort ! ? Peut-on croire quil suffit de se dplacer pour voyager alors que nous faisons dj en moyenne 20 kilomtres par jour pour rejoindre notre travail ? Peut-on encore parler de dcouverte quand une grande partie de notre environnement est dj mis en spectacle, patrimonialis , et transform en dcor par et pour un tourisme en mal dauthentique : le littoral, la montagne, une partie du monde rural, les centres-villes et dsormais les symboles de lindustrie et du monde ouvrier cits, chevalets de mines, hauts fourneaux - comme autant de nouvelles cathdrales ? Le touriste franais en short safari ne fait-il pas davantage partie du patrimoine vivant de Marrakech que les vendeurs et autres charmeurs de serpents subventionns de la place Jamaa Lafna ? Faut-il encore vraiment se dplacer alors que les technologies de linformation et de la communication nous donnent la possibilit dengager des conversations, de nouer des amitis distance et de visiter le monde entier sans bouger ? Peut-on imaginer un tourisme immobile ? Peut-on encore longtemps mettre en avant les principes du dveloppement durable et courir le monde moindre cot dans les avions des compagnies ariennes bas prix ? Les contraintes conomiques et environnementales ne conduisent-elles pas ncessairement une redcouverte de nos villes dans une logique no-situationniste , ici et maintenant ? Faut-il encore se dplacer au loin quand lautre est dsormais au cur de nos mtropoles multiculturelles ? Lexotisme et linconnu ne sont-ils pas au cur de mtropoles dont nous connaissons bien peu de choses et pratiquons toujours les mmes lieux et mmes espaces ? Peut-on vraiment dcouvrir lautre et se laisser pntrer par limprobable ailleurs , ses espaces et ses rythmes quand les temps de sjours sont devenus si courts ? Quest-ce encore quun campeur quand plusieurs dizaines de milliers de Franais habitent dsormais un terrain de camping lanne ? Quelle est vraiment notre libert et la part de dcouverte de lailleurs et des autres quand, partout, nous subissons lespace impos des parcours touristiques flchs, des lieux quil faut avoir vu, de ceux quil faut viter ? Sommes-nous encore capables de dcouvrir lautre quand, tant du ct accueil que du ct arrivants, chacun est tent de sur-jouer son rle dans un rapport avant tout mercantile ? En un mot, le tourisme vaut-il encore le voyage ? La ville est-elle la nouvelle destination du tourisme, la forme de son enfermement ou de son ressourcement ? Au-del de la provocation et des questionnements, le propos demande tre tay. Puisque nous habitons en majorit dans les villes, puisque la ville est partout et que les contraintes conomiques et lidologie du dveloppement durable nous imposent de repenser et de limiter nos dplacements, la

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ville est bien lavenir du tourisme. Pour le meilleur et pour le pire. Habitant, touriste, urbain, ailleurs et ici-mme, autre et semblable. Les frontires se brouillent et nous obligent changer de paradigme.

La ville classique nexiste plusLes temps, les espaces et les mobilits de nos vies et de nos villes changent rapidement et laissent apparatre quelques figures particulires de la ville post-moderne que nous avons pu dcrire par ailleurs. La ville stale dans lespace autour de la figure de la ville diffuse alors que lactivit conomique grignote les temps morts, la nuit, le week-end ou les vacances autour de la figure de la ville en 24/7 . La ville clate en quartiers fonctionnels o lon dort, on travaille, on samuse ou on sapprovisionne autour de la figure de la ville clate comme les temps sociaux qui se fragmentent pour donner vie une ville polychronique ou plusieurs temps. Les consommateurs veulent tout, partout et nimporte quelle heure, et attendent une ville la carte qui rponde leurs besoins, dans une double injonction durgence temporelle et de proximit spatiale.

La ville vnementielle simposeUne figure particulire de la ville contemporaine simpose en relation avec le tourisme : la ville vnementielle. Il suffit de parcourir la France et lEurope pour constater que les villes se donnent de plus en plus en spectacle. Du vide grenier de quartier la fte des lumires , les vnements envahissent la scne mtropolitaine. Les calendriers de nos saisons urbaines se noircissent de manifestations, ftes ou festivals. Face lclatement de nos espaces et de nos temps de vie quotidiens, ces vnements permettent aux habitants dun quartier, dune ville ou dun territoire de se retrouver et de rinventer un nous, un moment, une bulle o lon puisse faire famille, socit, ville, temps et lieu. La nature de ces vnements est variable et souvent mixte : artistiques, culturels, sportifs, festifs. Lchelle de ces vnements est variable, de la rue (fte de quartier, vide grenier) la ville qui devient scne (sons et lumires). Les priodes privilgies sont le week-end, les priodes de vacances, lt et les ftes de fin danne, avec un creux doctobre novembre. La dure de lvnement est variable, de laprs-midi la quinzaine, et tous les chelons de lorganisation urbaine sont dsormais concerns : du village la mtropole. Ils peuvent tre mobiles (parades) ou fixes, avoir lieu lintrieur ou dans la rue. Ils peuvent tre participatifs ou de simple consommation. Ils clbrent la fois la mmoire, lidentit et lappartenance renouvele la ville. Ils positionnement la ville dans une joute territoriale. Linitiateur de ces vnements est divers : collectivits, entreprises, associations (). Lorigine de ces vnements, leur point de dpart varie : du niveau local vers linternational, du territoire vers la scne mdiatique (nuit des arts), de la scne mdiatique a-territoriale vers le territoire (tlthon), de la mmoire nationale lancrage territorial (14 juillet). Lorigine se veut soit ancre dans le pass soit trs technologique et prospective (numrique). Lart, la culture et lhistoire sont souvent convoqus. La dimension conomique est omniprsente, soit directement ds le lancement de lExposition universelle aux vide greniers en passant par les foires ; soit de faon indirecte par la mise en marchandise de lvnement, son positionnement dans un environnement concurrentiel. Elle devient parfois envahissante comme l Hypermarchs de Nol ou la fte dHalloween. Enfin, le rayonnement de ces vnements est variable, du village la plante. Lvnement est localis avec trois tendances reprables : la tentation ritualiste avec installation prenne dans les calendriers locaux et extra-locaux ; la tentation ubiquiste et synchronisatrice (fte de la musique, fte des voisins, Nuits blanches) et la tentation colonisatrice par envahissement de lespace local et volont de diffusion universelle.

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Les initiateurs attendent toujours de ces vnements des retombes (impacts) directes et indirectes permettant de valoriser la ville : tourisme, urbanisme, espace, urbanit, conomie, identit, image et dynamiques locales. Le rsultat nest malheureusement pas toujours la hauteur des esprances Dans ce cadre, la nuit est devenue un temps particulier de la ville vnementielle avec des manifestations dsormais incontournables dans nos calendriers : Ftes de la musique ou du cinma, Nuits blanches (Rome, Madrid, Paris, Bruxelles, Riga), Nuit des arts (Helsinki), Nuit des muses (Munich) mais aussi march de nuit ou nuit du foot . On vient l dans les nuits se ressourcer ou y puiser des nergies particulires. La nuit semble une dernire frontire pour lvnement, le lieu par excellence du rve, de linvention et de la manipulation.

Les technologies voluent et dautres pratiques apparaissent.Les TIC permettent la golocalisation, une relecture thmatique et individualise de la ville ainsi que le dveloppement de la ralit augmente. On voit merger des vnements comme les TAZ, Zones dautonomies temporaires qui prennent les formes varies, festives ou plus politiques de rave party ou flash mobs . Les parcours de dcouverte urbains se multiplient. Les jeux urbains se dveloppent. Partout les artistes sont convoqus pour rinventer la ville de faon temporaire.

La demande de ville se modifieOn peut reprer quelques tendances de cette demande de ville multiforme, complexe et parfois contradictoire qui modle des formes et figures urbaines particulires : la ville intense lie la rduction du temps de sjour et demande dintensification du produit ; la ville pas lent lie la demande de lenteur, de matrise du temps ; la ville muse vivant lie la demande de patrimoine ; la ville festive lie la demande dvnements ; la ville la carte lie la demande dautonomie ; la ville ludique lie la demande de jeu et dapprentissage ; la ville salon lie la demande de rencontre et de relation vraie avec lhabitant ; la ville cocon lie la demande dambiance et la ville bulle lie la demande de rencontre privilgie avec les siens pour faire famille ou faire territoire : ()

Lhabitant changeSi la ville change, lhabitant se transforme galement autour de quelques figures souvent contradictoires : Nomade , il bouge de plus en plus par ncessit et par contrainte, mais aime voquer ses racines et son territoire Htrotopique , il habite de plus en plus souvent plusieurs lieux, mais aime parler de sa maison comme sil y passait sa vie ; Zappeur , il supporte de moins en moins les habitudes et lennui, mais aime certains grands rites collectifs ; Individualiste , il aime lautonomie, la libert de mouvement, mais court certains rassemblements ; Acteur , il change en permanence de costume et tente de jouer parfaitement tous les rles (pre, mari, amant, copain, patron, automobiliste, piton) en se plaignant de la fatigue dtre soi ; Ubiquiste , il est ici et maintenant mais les technologies lui donnent lillusion dtre ailleurs et tout le temps.

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Le tourisme urbain doit sadapter ces mutations. Il est possible de rinventer la ville et le tourisme en jouant sur les hybridations et les mouvements apparemment contradictoires. Alors que certainesColloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 22

stations touristiques des Alpes ou de Mditerrane se peuplent dhabitants permanents, des villes touristiques perdent leur population.

Rinventons la ville et le tourismePuisque la ville nest plus vraiment une ville et le touriste plus vraiment un touriste, il faut changer de paradigme, chausser dautres lunettes et esquisser quelques propositions pour des villes plus humaines, accessibles et hospitalires.

Changement de regard ncessaireNous invitons chacun penser la ville diffremment. Il faut imaginer la ville comme une pulsation dune heure autour du centre et non comme une entit gographique limite ; un systme de flux plus quun systme de stocks, une ville en mouvement plus quun espace fig, une entit trois dimensions (x, y, z) et non un simple plan, un systme de temps, de calendriers, dagenda et dhoraires, une entit trois dimensions qui volue dans le temps selon les saisons, les semaines, les jours et les heures (t). Si la matrialit est la mme, nos villes se transforment au cours des saisons, des mois, des semaines, des jours et des heures. La ville est un espace qui nest pas utilis par ses seuls rsidents mais aussi par lensemble des travailleurs, visiteurs et usagers que nous proposons dappeler usagers temporaires . Enfin, nous suggrons dutiliser le terme de population prsente pour repenser le statut de ces rsidents temporaires et dappeler ville mallable , cette entit urbaine qui se modifie dans ses espaces et ses temps.

Nouvelles frontires et nouveaux territoiresPrendre soin du touriste, cest prendre soin de lensemble des habitants de la ville, rsidents ou habitants temporaires de nos cits. Les enjeux sont multiples : Les chantiers ne manquent pas pour les professionnels, les collectivits et les chercheurs : demande de pratiques ludiques ; dveloppement des technologies de linformation et de la communication ; capacit vivre ensemble en horaires clats, capacit faire territoire et socit de manire temporaire ; habiter temporairement ; ralit augmente et nouveaux temps ouverts comme la nuit. La ville elle-mme et le city user , usager temporaire de la ville, sont au cur de ces enjeux. Lamnageur doit grer lphmre dans une ville construite, viter les conflits dusages entre les habitants temporaires, entre les vitesses des visiteurs et celles des habitants, entre la ville qui samuse et celle qui dort. Il faut tenter de concilier la demande de consommation touristique des espaces et lhabiter plus durablement, trouver le bon dosage entre la mise en lumire et la pollution lumineuse. Il sagit galement dassurer lquilibre des populations et des services et dviter le syndrome de Venise, avec ses millions de touristes et visiteurs et sa population vieillissante de 40 000 habitants qui ne dispose bientt plus de services urbains de base. Les oprateurs du tourisme, les organisateurs dvnements doivent enchanter la ville sans lalourdir, ritualiser sans perdre la spontanit, organiser sans marchandiser , valoriser sans gadgtiser ni ringardiser et chercher mlanger les publics sans tirer vers le bas . Les professionnels sont pousss linvention. Ils pourraient, par exemple, imaginer de faire des htels de vrais lieux de rencontre entre habitants et visiteurs du monde entier, ce que lONU na pas russi faire.

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Lhabitant est interpel et pourrait sriger en mdiateur entre la ville et ses visiteurs. La dmocratie est questionne par ces mutations. Il faudrait permettre au touriste daccder au statut de citoyen temporaire l o il est, au moment o il lest, et chercher associer les touristes et lensemble des rsidents temporaires la dmocratie locale, mme sur des thmes limits comme lamnagement de lespace public par exemple.

Des propositions pour habiter ensemble lespace et le tempsQuand lespace collectif de la ville devient une salle polyvalente , les questions de gouvernance, doccupation, de scurit, de gestion et de responsabilit deviennent centrales : En premier lieu, nous proposons de passer de la notion dvnement et de calendrier touristique celle plus oprationnelle durbanisme des temps que nous dfinirons comme lensemble des plans, organisations des horaires, et actions cohrentes sur lespace et le temps qui permettent lorganisation optimale des fonctions techniques, sociales et esthtiques de la ville pour une mtropole plus humaine, accessible et hospitalire . En second lieu, nous proposons de passer de la ville festive et durable la ville mallable que nous appelons de nos vux dans le cadre dune matrise de lurbanisation et dun dveloppement urbain soutenable. Aux figures cules de la ville clate qui peine trouver des limites et une cohsion, celle de la ville en continu , qui risque lessoufflement faute de rythme, nous souhaiterions opposer une cit durable que lon puisse faonner sans quelle ne se rompe . Aux modles rigides, nous prfrons conjuguer la souplesse et la richesse dune rflexion qui croise les espaces et les temps. Enfin, nous pensons quil est indispensable dassocier les artistes qui imaginent des vnements dans le r-enchantement de la ville, la dfinition de loffre touristique, lurbanisme et dans la production urbaine, et dassocier les chorgraphes la dfinition des nouvelles danses de la ville .

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Quand lailleurs est dsormais ici, quand lurbain est devenu touriste et la ville station touristique, nous sommes toutes et tous convoqus changer de paradigme pour explorer plus avant nos modes de vie, dagir et de penser. Il est difficile de clore cette premire approche de la ville et du tourisme sans interpeler une dernire fois les professionnels, politiques et chercheurs dun secteur en pleine mutation sur une autre tendance, un autre signal faible. Nest-on pas en train de patrimonialiser les temps de la ville (dimanche, nuit) comme des reliques dune poque rvolue o tout sarrtait la nuit et le dimanche ? Dans la pratique rcente des manifestations et dfils politiques et syndicaux, nest-on pas de plus en plus spectateurs et touristes dun spectacle social en voie de disparition ? En clair, la guerre du faux identifie par Umberto Eco atteint-elle dsormais les marqueurs temporels de notre socit ?

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BIBLIOGRAPHIEGWIAZDZINSKI L., 2009, Chronotopies. Lvnementiel et lphmre dans la ville des 24 heures , in communication au colloque Lvnementiel et les villes touristiques, AGF, Paris 4 Sorbonne, 6 Dcembre 2008, actes paratre, revue BAGF, juin 2009 GWIAZDZINSKI L., 2009, Ambiances nocturnes des villes. Premires relectures en mouvement , Communication au colloque Ambiances architecturales et urbaines, CRESSON UMR CNRS/MCC 1563, Grenoble, 10 au 12 septembre 2008., actes en ligne www.cresson.archi.fr/elements/FAIREamb8/amb8S2-GWIAZDZINSKI.pdf GWIAZDZINSKI L., RABIN G., 2007, La fin des maires. Dernier inventaire avant disparition, FYP Editions GWIAZDZINSKI L., 2007, Nuits dEurope, Pour des villes accessibles et hospitalires, UTBM Editions GWIAZDZINSKI L. RABIN G., 2007, Priphries, Editions lHarmattan GWIAZDZINSKI L., RABIN G. 2007, Si la route mtait conte, Un autre regard sur la route et les mobilits durables, Editions Eyrolles GWIAZDZINSKI L., 2007, la ville europenne et le temps contemporain , in L. Molinari, Reggio Emilia. Scenari di qualit urbana, Skira editore, Milano GWIAZDZINSKI Luc, 2007, Un possible voyage, GRAS P. (Dir.), Villes et voyageurs, Paris, Editions lHarmattan GWIAZDZINSKI L., 2007, Redistribution des cartes dans la ville mallable , Revue Espace, Population, Socits n2007-3 GWIAZDZINSKI L. 2007, Larchipel des mobilits nocturnes , in M.-F. Mattei, D. Pumain, Donnes urbaines n5, Paris, Economica-Anthropos GWIAZDZINSKI L., RABIN G., 2005, Si la ville mtait conte, Editions Eyrolles GWIAZDZINSKI L., 2005, La nuit dernire frontire de la ville, Editions de lAube, Le Seuil GWIAZDZINSKI L., 2003, La ville 24h/24 ? Regards croiss sur la socit en continu (dir.), Editions de lAube, DATAR, 252p. GWIAZDZINSKI L., 1998, La ville la nuit : un milieu conqurir , in REYMOND H., CAUVIN C., KLEINSCHMAGER R., 1998, L'espace gographique des villes, Anthropos, p.347-369

Courriel : [email protected]

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" QUEST-CE QUUNE VILLE LUDIQUE ET SURPRENANTE ? "

Intervention de Monsieur Stphane JUGUETAnthropologue, socit What Time Is It

Je suis anthropologue ; Je ne suis pas expert du tourisme mais de la mobilit. Vous aurez donc certainement un regard plutt professionnel et prospectif sur le sujet qui nous anime. Jai tout de mme fait deux tudes sur le tourisme : une tude de terrain lie la mobilit vnementielle et une tude prospective sur le city breaker. Cest de cette dernire tude que je vais traiter, en me rattachant la problmatique du colloque. 1. Dans un premier temps, nous tacherons de dfinir le city-breaking que je traite comme une exprience. 2. Dans un second temps nous dfinirons les 4 profils du citybreaker. 3. Enfin, nous voquerons les nouveaux mtiers que cette pratique fait merger. Pour rpondre ces nouvelles attentes, les mtiers du tourisme sont en train de muter. Je fais lhypothse que les acteurs du tourisme deviennent progressivement des diteurs de contenus urbains. En prambule, le city-breaking se dfinit comme une exprience que sincarne dans un dispositif technique et relve du registre motionnel. Cette pratique du citybreaking ncessite effectivement de la logistique, de linfrastructure, du rseau... Le pratique du voyageur est enchsse dans une matrialit. Les professionnels ont conscience quil faut traiter cette matrialit pour viter les ruptures de charges, garantir un voyage fluide, fiable Lautre dimension est plus onirique. Elle relve de limaginaire et des motions. Je mattarderai beaucoup moins sur la dimension technique que sur la partie motionnelle.

I- Nouvelle forme de pratique urbaine : le city-breakingUne nouvelle figure touristique est en train de naitre : le city-break. En France, plusieurs raisons expliquent ce phnomne : la rduction du temps de travail (RTT) par exemple. De ce fait, nous sommes dans une temporalit beaucoup moins ritualise, avec lapparition, par exemple, du concept du jeudredi en raison de ces dparts prcipits en fin de semaine. Une nouvelle pratique touristique est en train de naitre, le court-sjour. On part en Europe, en France, deux jours, une nuit pour faire un break . Les salaris ressentent le besoin de rompre avec leur quotidien, avec ces rythmes toujours plus effrns de nos socits industrialises. Comme le souligne Monsieur CROLA, le city breaker tait une figure quasi-politique. En raison dun temps limit, ces profils ont de fortes exigences en terme de services ce qui oblige les acteurs de loffre touristique tre trs performants. a) Les attentes : Des attentes qui relvent du technique : de larchitecture technique et des rseaux. Le citybreaker a peu de temps et souhaite accder un monde relativement fluide. Il faut lui garantir laccessibilit, soigner les ruptures de charges Cet aspect technique est trs bien identifi par les acteurs de loffre qui savent le traiter.Colloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 26

Des attentes qui relvent du ressenti, de lmotionnel. Lors dun voyage, aussi court soit-il, le voyageur a besoin de rompre avec le quotidien. Cette dimension est plus difficile a apprhender. Le voyage est donc une qute du r-enchantement. Nous verrons sous quelle forme il peut natre, se concrtiser. De plus, la pratique du city-breaking ne sinscrit pas uniquement dans le souvenir, c'est--dire dans un rapport patrimonial la ville. Il faut valoriser ce quil advient au quotidien et ajouter la notion du survenir . Enfin, il convient aussi de traiter du concept dhospitalit servicielle : comment accueillir ces touristes dans notre ville, et pouvons-nous mettre en place des packages servant construire cette hospitalit servicielle ?

b) Les profils du city-breaker : A partir de ces lments, nous avons identifi 4 profils de city-breaker : Impulsif : dpart dcid spontanment, tardivement, suscit par une offre dernire minute . Aventurier : errance motionnelle et gographique. Cette valeur de lerrance, du vagabondage potise le break. Anxieux : en attente de rassurance sur la fluidit, de ponctualit de son parcours, avec un maximum de garanties (ex : savoir avant darriver laroport quune place de parking est dj rserve et donc disponible). Fut : il dniche loffre exceptionnelle, maximise le rapport qualit/ prix, optimise son sjour sur le plan du plaisir (ex : part en priode creuse pour profiter des bons plans ).

Ces quatre figures nous permettent de poser une srie de questions fondamentales en lien avec la thmatique du colloque : Comment construire des offres de service qui permettraient au city-breaker de vivre la ville comme une exprience enrichissante ? Comment revitaliser et r-enchanter ce concept de patrimoine ? Comment transformer les acteurs du tourisme en diteurs urbains ?

II- Cette figure du city-break questionne la ville et le patrimoine :A ces 4 figures du city-breaking correspondent 4 villes : Pour limpulsif : la ville magique, qui tonne, qui enchante. Pour laventurier : la ville fantastique ou quasiment fantasmagorique, la ville extraordinaire, qui nous permet de sortir de notre quotidien. Pour lanxieux : la ville pratique avec un certain nombre de services, la ville commode et efficace. Pour le fut : la ville ludique, divertissante et rcrative.

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Les quatre profils du city-breaker

Dpart dcid spontanment, tardivement, suscit par une offre dernire minute

En attente de rassurance sur la fluidit, ponctualit de son parcours (ex : savoir avant darriver laroport quune place de parking est dj rserve et donc disponible)

motion

Raison

Errance motionnelle, cognitive, physique, gographie (errance : valeur/ potisation du break)

Dnicher loffre exceptionnelle, maximisation du rapport qualit/ prix, optimisation de son sjour sur le plan du plaisir (ex : partir en priode creuse pour profiter des bons plans )

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Derrire ces 4 villes se cachent des concepts : La ville magique pourrait ressembler aux livres pop-up (qui souvrent, prennent du volume et derrire une fentre ou une faade, on raconte une histoire). Cette ville pop-up tonne. Demain le patrimoine peut devenir une fentre urbaine ou une fentre historique et, via des outils technologiques varis, on russira peut-tre faire reparler les murs. La ville de laventurier est la ville dont nous sommes les hros. Laventurier a envie de dessiner ses propres itinraires, davoir limpression que la relation quil noue avec le territoire lui est singulire. Il veut sortir du tourisme de masse. Cest le support de nouvelles lgendes urbaines. La ville du fut est la ville jeu de piste : les parcours sont une succession de plaisirs et de rencontres surprenantes. La ville devient un terrain de jeu mais doit aussi rvler des itinraires bis . Pourquoi ne pas imaginer de nouvelles cartographies urbaines, de nouveaux supports touristiques ? Mais comment orchestrer les parcours dans la ville et thtraliser le territoire ? Le monument, dans ce schma, devient un relais du parcours. La ville de lanxieux cest la ville mode demploi. Le city-breaker a besoin dtre rassur, davoir accs des services qui marchent, car il a peu de temps et ne peut se permettre dtre uniquement en errance. Les lieux touristiques, les monuments patrimoniaux peuvent tre des lieux ressources qui dlivrent une information pratique. Loffice de tourisme doit se distribuer dans le territoire.

III- Concept dditeur urbainOn voit merger de nouvelles fonctions dans le domaine touristique : les acteurs doivent informer et devenir des diteurs urbains. Ils doivent ditorialiser le territoire. La ville est un livre de pages blanches quil faut continuellement rcrire. Tout dun coup, loffre touristique ne sadresse pas uniquement ltranger ou au touriste de passage. La ville devient potentiellement un territoire dexploration pour celui qui lhabite : nous sommes tous touristes dans nos villes. Les offices du tourisme vont donc largir considrablement leurs audiences. Cet largissement de laudience (touristes + habitants) est indispensable pour concevoir un modle conomique soutenable, pour amortir des investissements en termes doffre. Les offices de tourisme vont devenir des diteurs urbains qui mettent disposition des outils et des services permettant au city-breaker de se raconter sa propre histoire, mais galement de vivre des expriences dpaysantes. Les acteurs de loffre deviennent aussi des diteurs de lgendes urbaines, de jeux urbains, des metteurs en scnes Enfin, nous dfinirons les professionnels du tourisme urbain comme des mdiateurs. Ils mdiatisent notre rapport entre le souvenir (le patrimoine) et le survenir (le quotidien). A limage des offices de tourisme de New York, demain, les offices de tourisme ressembleront des mdiathques o lon viendra chercher des programmes cratifs, pour consommer des visites en fonction de son profil, de ses dsirs, de son humeur

ConclusionLes acteurs du tourisme urbain sont des mdiateurs qui mettent disposition des city-breaker des outils pour quils puissent se raconter des histoires. Les acteurs de loffre touristique sont des diteurs urbains. Il ny a pas, pour ce faire, que le support papier, mme sil reste trs important. Il y a aussi les supports numriques (le mobile). Enfin, le patrimoine est un entremetteur qui fait le lien entre la petite histoire, celle du quotidien, et la grande histoire, celle qui saffiche dans les muses et sincarne dans le patrimoine. Cest galement un entremetteur entre le souvenir et le survenir.Colloque Tourisme urbain, patrimoine et qualit urbaine en Europe 29

" VERS LA VILLE AUGMENTEE "Intervention de Monsieur Hugues AUBINMembre du groupe national de prospective de la DIACT Cyberterritoires Charg de mission TIC la Ville de Rennes.

Je suis charg de mission aux Technologies de lInformation et de la Communication la Ville de Rennes. Je ne suis pas un spcialiste du tourisme, mais il y a actuellement une forte pousse du numrique dans les usages, les infrastructures, les rseaux et les contenus relatifs la ville. Il ne faut plus opposer la dimension numrique et la dimension physique des territoires, pas plus quil ne faut opposer le pseudonyme de quelquun sur une page Internet et la vraie personne qui va dans une boutique ou dans la rue. Je vais essayer de vous montrer que nous vivons les prmices de lvidence de cette dimension numrique dans notre quotidien, sous deux angles : le premier au travers de lutilisation des tlphones mobiles go-localiss et relis Internet (plus de 3 milliards de personnes sont quipes de tlphones portables) et le second travers la capacit de ces personnes crer des contenus, des services mais surtout se runir physiquement pour avoir un impact dans les vraies villes.

LInternet 1.0Si lon numre la palette des supports et outils de reprsentation du territoire qui peut tre utilise aussi bien destination des locaux que des touristes, il y a avant tout le territoire avec son patrimoine ; il y a galement lanctre du bouche oreille distant : la carte postale ; les cartes figes sur lesquelles on place des points qui tracent des parcours ; les brochures qui promettent de devenir des discours de marketing promotionnel ou dinformations utiles ; la signaltique sur place et laccueil physique avec la mdiation humaine qui est capable de sadapter la personne pour la guider. Il y a aussi des logiques plutt anciennes et dont certaines parties sont dj impactes trs fortement, par exemple le one to many, c'est--dire la ralisation dune brochure pour 10 000, 20 000 personnes, dcline en diffrentes langues : la mme pour tout le monde. Ctait un mode de relation asynchrone : on prparait une promotion, on rservait lavance ; il y avait une logique de package avec systmes sur tagres et tiroirs dassemblage, des packages par brique. Ce sont les agences rceptives, marques par une utilisation assez forte du papier et une logique avant/ pendant/ aprs . Au dpart dInternet, nous avons eu cette logique de one to many (un site Internet avec un contenu unifi en direction de tous les publics, avec des dclinaisons linguistiques), lintgration de la logique transactionnelle de ces packages dj dploys par le biais du tlphone et du papier. Des outils de promotion patrimoniale vont utiliser le potentiel du numrique pour valoriser la dimension esthtique, historique avec la vido, le son, le mp3, le 3D : logique mono-utilisatrice. Aujourdhui nous allons entrer dans une phase massive dusage multi-utilisateur des plateformes. Les services de comparaison existaient. Ils sont aujourdhui trs importants. Dans le domaine du tourisme, la transaction s'opre entre la prise dinformation, la comparaison et lachat.

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Le web 2.0De nouvelles cartes mergent : la no-gographie participative Aujourdhui, nous sommes dans une dmarche dvanglisation de ce quon appelle le web 2.0. Dans ce phnomne, notons limportance de la cartographie participative ou de la no-gographie : cela nous concerne car le plus grand systme de cartes consult sur Internet, Google map, provoque un changement de paradigme dans la mesure o les cartes ne sont plus pour les spcialistes, mais pour tout le monde, et o les gens posent les points sur les cartes. Les cartes participatives ont un certain nombre de fonctions trs importantes : notamment, elles redessinent limage des territoires. Par exemple, le site Internet gratuit Flickr, la plus grosse base photographique partage, permet de se constituer en groupes. En indiquant une adresse, la photo poste y est go-localise. Un autre exemple est le city guide de Marseille, fait par des city breakers, destination de tout le monde. Loutil cartographique Google y est utilis pour poster des articles et photos insolites. Il y a galement les cartographies de services dans lesquels on trouve notamment le couch surfing (hbergement des internautes les uns par les autres). Cette no-gographie participative va exploser dans la mesure o lon peut dornavant alimenter, en srie et gratuitement, des contenus multimdia sur le net (Wikipedia, dans le top 10 mondial des sites Internet, encyclopdie collaborative des internautes). Le many to many On entre dans le many to many , ce qui ne veut pas dire que tout le monde cre. Trs peu dinternautes crent, mais beaucoup vont modifier, remixer, commenter Ce qui est nouveau, cest que sur ces plateformes, beaucoup de gens sadressent dautres, et peuvent scrire sans connatre leur e-mail. Cest ce quon appelle la socialisation dobjets. Lobjet est une vido, un son, un texte, une fiche descriptive dun btiment patrimonial. Les gens peuvent donner leur avis, laisser une trace, recommander lobjet, voir qui la aim, lui donner une nouvelle valeur, savoir sa capacit relier les gens entre eux. Par exemple, le site Internet Dismoio , guide de restaurants aliment par des diteurs. La manire dont les restaurants sont rpertoris dpend de lopinion des personnes qui peuvent apporter leurs avis et commentaires. La stratgie de marketing viral : tre repris Il est possible, pour des questions de stratgie, que lon veuille que le contenu propos puisse tre repris par dautres sites. Aujourdhui, une personne qui cre gratuitement un blog, par exemple sur une plateforme de Google, peut automatiquement voir les informations quil met reprises par dautres blogueurs ou sites dinformation. Hlas nous, acteurs publics, ne lavons pas forcment intgr. Ce sont des choix tactiques : le site du musum de Toulouse a un fil contributeur mobile : quand il envoie une information sur son site Internet, celle-ci alimente son compte Facebook, une srie donglets avec des informations locales, et elle est accessible tous ceux qui le suivent dans la communaut mobile Twitter (oriente sur des petits messages changs par des personnes sur des mobiles). Le musum envoie toutes ses informations en mme temps dans tous ses canaux, et est capable de rpondre aux personnes qui lui parlent.

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La dimension numrique Territoires augments On entre dans des logiques qui sont actuellement analyses dans les stratgies de marques. Nous navons plus uniquement un discours institutionnel en one to many , mais une logique dans laquelle on pourra avoir une identit en ligne qui nous rendra capable de converser, de dissminer et de partager des contenus. Par exemple, si lon a de belles photos de notre patrimoine et qu'elles sont libres de droit (en creative commons par exemple), le fait de les verser sur la toile fera signaler notre initiative par les blogueurs ravis. En permettant aux habitants ou aux touristes de contribuer lagrgation des contenus pour valoriser le territoire, on obtient un effet communautaire dimage.

Les rseaux sociauxIls ne sont pas nouveaux : on a toujours eu et cultiv des liaisons avec des personnes, la famille, des amis. En revanche, lextension, qui en a t faite sur Internet, dcoule dune thorie un peu schmatique sur laquelle se sont bass les rseaux sociaux : je suis 6 relations de distance en moyenne de nimporte quel humain sur la plante (je connais quelquun qui connat quelquun, etc., 6 fois). Lide est quen permettant aux personnes de savoir qui connat qui, on rduit la taille du monde et des liens entre les personnes. Cela veut dire quelles peuvent se rencontrer en changeant des profils, en tant prsentes. Cela repose sur des valeurs qui ont t aujourdhui identifies et recoupes par un certain nombre dtudes : la rputation en est la principale. Dans les rseaux sociaux en ligne sur Internet, dans le monde des blogueurs, la premire valeur nest pas un titre institutionnel, mais la rputation. Elle se btit par les exploits que lon accomplit, la qualit de ce que lon partage, la contribution la communaut, la confiance que lon inspire. Or lles officies du tourisme ont un important crdit de confiance. Face une offre disparate, avoir une image de qualit qui nous positionne favorablement constitue un atout trs fort. Une