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Tribunal administratif N° 32547 du rôle
du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2013
1re chambre
Audience publique du 19 mai 2014
Recours formé par
Madame ..., …,
contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration
en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
_______________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32547 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif le 21 mai 2013 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, assisté de Maître
Christine FREYMUTH, avocat à la Cour, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à
Luxembourg, au nom de Madame ..., née le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne,
agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom de son enfant mineur ..., né le … à …(Russie),
demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du
ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 15 avril 2013 rejetant sa demande en
obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à
l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 7 août 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mariana LUNCA, en
remplacement de Maître Olivier LANG, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline
JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mars 2014.
______________________________________________________________________________
En date du 28 juillet 2011, Madame ..., introduisit en son nom personnel, ainsi qu’au
nom de son fils mineur ..., auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et
de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai
2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après
par « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du 1er août 2011, Madame ... fut entendue par un agent du service de police
judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et
sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
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Madame ... fut entendue en date des 19 juillet, 8 août et 17 août 2012 par un agent du
ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se
trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 15 avril 2013, expédiée par courrier recommandé du 19 avril 2013, le
ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après « le ministre », informa Madame
... de ce que sa demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme
non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette
décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection
internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes
complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du
ministère des Affaires étrangères en date du 28 juillet 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection
internationale a été évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de
celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er août 2011 et le rapport
d’entretien de l’agent du ministère des Affaires étrangères du 19 juillet, du 8 août et du 17 août
2012.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté la Géorgie en
1994 pour la Russie où vous auriez rencontré le père de votre fils de nationalité syrienne. Cet
homme vous aurait pourtant abandonnée et serait retourné en Syrie. Vous auriez vécu
entretemps en Russie, respectivement en Ukraine. En 2011, vous vous seriez rendue en Syrie à la
recherche du père de votre fils, mais vous auriez dû constater qu’il se serait fiancé entretemps
avec une autre femme. Comme sa famille ne vous aurait pas voulu accueillir, vous auriez dû
quitter la Syrie. Une famille arménienne vous aurait aidé à gagner le Liban où vous auriez
rencontré une personne qui vous aurait proposé de vous emmener pour 1.000,-€ au Luxembourg.
Vous seriez entrée dans l’Union européenne dans un camion à bord d’un cargo. Le voyage
aurait duré 6 jours et le camion aurait encore roulé 4 heures jusqu’au Luxembourg. Vous ne
présentez aucune pièce d’identité.
Il résulte de vos déclarations transcrites dans le rapport d'entretien que vous auriez vécu
à...en Abkhazie et que vous vous seriez réfugiée fin 1993 avec votre frère dans la vallée de ...
pendant que votre père aurait participé à la guerre. Vous auriez quitté la Géorgie au début de
l’année 1994 avec votre père et votre frère pour aller à Moscou où vous auriez habité jusqu’en
2002. Vous auriez alors décidé d’aller à ... pour faire des études à l’Université polytechnique de
... que votre père et votre frère auraient financées. Vous n’auriez étudié que trois semestres
parce que vous seriez tombée enceinte de ..., de nationalité syrienne et étudiant à l’Académie de
médecine.
Votre père et votre frère n’auraient pas pu accepter que vous soyez enceinte sans être
mariée et que le père de l’enfant serait musulman et arabe. Ils seraient très conservateurs et
auraient coupé tout contact avec vous depuis la naissance de ... en 2005. Vous n’auriez plus reçu
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d’argent de leur part. Le père de l’enfant aurait vécu avec vous jusqu’à la fin de ses études en
2009. Puis, il serait retourné en Syrie. Comme il aurait su que vous seriez abandonnée par votre
famille, il aurait promis de continuer à vous soutenir, mais il ne l’aurait pas fait.
Le père n’aurait jamais officiellement reconnu l’enfant et vous n’auriez pas déclaré sa
naissance auprès du Consulat géorgien parce que vous auriez dû vous déplacer à Moscou. Ainsi,
vous n’auriez pas de papiers pour votre fils, sauf un certificat émis par l’hôpital à .... La
personne qui aurait délivré ce certificat vous aurait dit que vous devriez faire enregistrer votre
mariage afin que le père puisse reconnaître l’enfant. Mais vous n’auriez pas pu vous marier en
Russie à cause de vos papiers géorgiens dont beaucoup seraient restés à...et le consulat de la
Géorgie aurait été parfois fermé. En plus, la procédure pour obtenir les papiers nécessaires
aurait été très longue et, de toute façon, le père de votre fils n’aurait pas osé avouer à sa famille
qu’il serait devenu père en Russie.
Vous dites également que vous auriez vécu illégalement en Russie et que vous ne vous
auriez jamais fait enregistrer auprès d’une ambassade ou d’un consulat de votre pays à
l’étranger.
En 2011, vous auriez pris la décision de suivre le père de votre enfant en Syrie et vous
auriez acheté un faux passeport géorgien. Vous dites que la situation en Russie serait devenue
insupportable : La police aurait souvent arrêté les gens d’apparence caucasienne pour leur
extorquer de l’argent. Vous auriez été arrêtée vous-même deux fois et vous auriez donné 50
dollars à la police. Vous ne seriez pratiquement plus sortie à cause des contrôles policiers et du
fait que vous y étiez de façon illégale. Vous dites ne pas avoir essayé d’obtenir un passeport au
Consulat géorgien à Moscou, comme cela vous aurait coûté beaucoup de temps et d’argent. De
toute façon, même avec un passeport légal, vous auriez été considérée comme illégale en Russie
parce qu’une obligation de visa existerait entre la Géorgie et la Russie.
Vous seriez partie pour la Syrie au début du mois de mars 2011 et vous seriez repartie
après le 21 mars 2011 après avoir eu des désaccords avec la famille du père. Vous auriez
contacté un ami du père de votre fils, ..., qui habiterait avec son frère à .... Il vous aurait donnée
les coordonnées du maire d’EI Koura au Liban, ..., qui vous aurait accueillie pendant trois mois
et demi.
Vous auriez quitté le Liban le 19 ou 20 juillet 2011 par voie maritime en destination du
Luxembourg. Vous auriez monté le cargo à Tripoli (un des deux ports principaux du Liban). Le
voyage aurait duré 7 ou 8 jours, puis le camion sur lequel vous étiez cachée aurait encore roulé
pendant 4 ou 5 heures. Vous dites avoir payé 2.000,- dollars américains, plus un ordinateur et
votre téléphone portable. Vous dites que vous auriez pu épargner cette somme parce que vous
seriez issue d’une famille assez riche, vous auriez eu beaucoup de bijoux en or et votre père et
votre frère auraient toujours eu beaucoup d’argent.
Vous dites que vous espérez vivre normalement au Luxembourg et que votre fils puisse
obtenir une éducation appropriée. Vous dites que vous seriez discriminée en Russie et en
Géorgie ainsi que par votre famille parce que vous auriez eu une relation avec un musulman et
parce que vous auriez eu un enfant sans être mariée. Le prénom arabe de votre fils ne serait pas
non plus accepté par votre famille.
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Si vous devez retourner en Géorgie, vous dites que vous craigniez que votre père et votre
frère ne vous pardonnent jamais. Vous dites d’abord que vous ignoreriez ce qu’ils vous feraient,
puis vous dites que vous seriez convaincue qu’ils commettraient un crime d’honneur. Selon vos
dires, les crimes d’honneur seraient fréquents en Géorgie et resteraient impunis.
En cas de violence de la part de votre famille, vous dites ne pas pouvoir trouver une
protection auprès d’une ONG, car la Géorgie serait un petit pays où tout le monde se connaît.
Vous ne pourriez pas non plus porter plainte contre un membre de votre propre famille, car cela
ne se ferait pas, étant donné que les liens familiaux seraient très importants en Géorgie. Vous
croyez que la police se moquerait de vous, si vous portez plainte.
Vous dites également craindre des problèmes de la part de la société géorgienne : Les
racines familiales seraient très importantes ainsi que la religion orthodoxe. Vous craigniez qu’on
se moque de votre fils à cause de son prénom arabe combiné avec un nom de famille géorgien.
Vous êtes sûre que vous seriez rejetée par la société géorgienne et que votre fils serait «
traumatisé psychologiquement » (p. 14/16) par les autres.
En même temps, vous dites ignorer ce qui pourrait vous arriver concrètement en Géorgie
: Vous déclarez ne pas être au courant de la situation actuelle, car votre père vous aurait
toujours conseillé de rester hors du pays pour votre propre sécurité. Vous seriez quand même
convaincue que la Géorgie ne pourrait vous offrir aucune protection et la justice n’existerait pas
sous l’actuel gouvernement. D’après ce que vous auriez lu, la Géorgie ne parviendrait pas à
protéger ses citoyens.
En plus, vous craigniez des problèmes à cause de l’appartenance de votre père au parti
politique « Union d’Helsinki « table ronde » » (p. 11/16), dirigé par Zviad GAMSAKHURDIA.
Vous dites que beaucoup de membres de ce parti auraient quitté la Géorgie pour la Finlande.
Vous croyez votre père en Géorgie, mais vous ignorez s’il a pu faire son passeport. Vous sauriez
que votre frère aurait pris le nom de famille de votre mère sinon il n’aurait pas pu rentrer en
Géorgie. Vous dites ne pas savoir s’il a fait ce passeport légalement, mais vous seriez sûre qu’il
ne se soit pas adressé au Consulat à Moscou.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas
uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la
situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle
est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de
Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la
reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef
une crainte fondée d’être persécutée dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre
religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions
politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que
les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
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Je relève d’abord que jusqu’au moment présent, vous n’avez déposé aucun document
permettant d’établir votre identité ou celle de votre fils. Etant donné que vous admettez avoir
déjà possédé un faux passeport, votre identité est sujette à caution.
A cela s’ajoute quelques contradictions dans vos récits qui jettent un doute sur la véracité
des faits relatés. Premièrement, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire qu’après le
départ du père de votre fils en Syrie, vous auriez vécu en Russie et en Ukraine, mais vous
n’évoqueriez plus ce séjour en Ukraine dans l’entretien avec l’agent du ministère.
Deuxièmement, vous dites à la Police Judiciaire que vous auriez payé 1.000,-€ pour votre voyage
dans l’Union européenne, mais lors de l’entretien vous parlez de 2.000 dollars américains, d’un
ordinateur et d’un portable.
De plus, comme vous avouez avoir séjourné illégalement en Russie, il est assez douteux
que vous auriez pu vous inscrire à l’Université polytechnique de .... Comme la majorité des
universités, celle-ci demande explicitement aux étudiants, russes de même qu’étrangers, de
fournir des documents d’identité et une preuve de citoyenneté lors du processus d’admission
ainsi que lors de l’inscription.
En effet, en l’espèce, vous avez déposé une demande de protection internationale par
crainte de violences de la part de votre famille, notamment de la part de votre père et de votre
frère, et par peur que vous et votre fils seriez rejetés par la société en Géorgie parce que vous
êtes mère sans être mariée, parce que vous auriez eu une relation avec un musulman et parce
que votre enfant porte un nom arabe. Nonobstant le fait que vous dites vous-même ignorer la
situation actuelle en Géorgie, vous seriez convaincue que la Géorgie serait incapable de
protéger ses citoyens et que vous seriez rejetée par la société géorgienne.
Il convient d’abord de souligner que vous n’étiez plus en Géorgie depuis 1994 et que
vous n’êtes pas forcée de retourner en Abkhazie, la région d’où vous êtes originaire et qui
n’autorise toujours pas le rapatriement des réfugiés internes de la guerre de 1992-93.
Concernant votre peur d’être méprisée comme « pute » (p. 12/16) par la société
géorgienne et même par votre propre famille, il convient de citer un rapport de voyage en
Géorgie d’ACCORD de 2003 : « Nur in außergewöhnlichen Fällen komme es dazu, dass Frauen
von ihren Familien verstoßen würden. Ehebruch und anschließende Scheidung würden nach
Ansicht der UNAG meist nicht zur sozialen Ächtung der Betroffenen führen. »
Supposant établi que la société géorgienne rejette les mères célibataires et les relations
entre géorgiens et arabes, vous dites avoir vécu avec le père de votre fils à ..., votre fils y est né
et vous n’auriez jamais été en Géorgie avec le père. Donc, personne ne devrait savoir qui est le
père de votre fils et que vous n’auriez pas été mariée avec lui. Comme vous n’avez pas déclaré sa
naissance au Consulat géorgien à Moscou, il vous est en principe toujours possible de changer
le nom de l’enfant en nom géorgien, au moins sur les papiers officiels. Ainsi, vous pouvez éviter
des éventuelles discriminations que vous supposez.
Concernant la situation des mères célibataires en Géorgie, une analyse du D-A-CH de
juin 2011 relève que « [e]s gibt keine, explizit für alleinstehende bzw. alleinerziehende Frauen
konzipierte, staatliche Unterstützung. Jedoch sind alle sozialstaatlichen Leistungen natürlich
6
auch für georgische Frauen zugänglich: Über staatliche Diskriminierung aufgrund des
Umstands, alleinstehende oder alleinerziehende Frau zu sein, gibt es keine Berichte ». La même
analyse souligne l’importance des microcrédits pour les réfugiés retournant au pays, notamment
les femmes: « Da die Vergabe von Mikrokrediten bzw. Hilfe bei Unternehmensgründungen
wesentliche Größen für das wirtschaftliche Bestehen, vor allem für Rückkehrer, aber auch für die
Bevölkerung vor Ort sind, wird diesem Thema besondere Aufmerksamkeit gewidmet.
Hervorzuheben ist, dass auch Frauen die Möglichkeit haben mithilfe dieser Unterstützung ihr
wirtschaftliches Überleben zu sichern. ». Un rapport de la mission d’enquête du D-A-CH d’avril
2011 dit que « (...) Berufstätige Frauen haben keine Stigmatisierung zu befürchten, ihre
Probleme liegen eher in der Praxis - beispielsweise sinkt die Anzahl der Kinderbetreuungsplätze,
während die Preise dafür steigen. Generell sind Frauen im öffentlichen Raum in Georgien
sicher, (. . .). »
Il convient encore à relever qu’un accord de réadmission entre l’Union européenne et la
Géorgie existe depuis mars 2011. Plusieurs initiatives et projets sont en place pour faciliter la
réintégration des migrants retournant en Géorgie, p.ex. la « Targeted Initiative for Georgia »
lancée en décembre 2010 :
« In order to help the returning migrants with their reintegration under the project, a
Tbilisi Mobility Center has been established at the Ministry for Internally Displaced Persons
from the Occupied Territories, Accommodation and Refugees of Georgia. The Center renders its
services to the Georgian migrants, who are returning to Georgia (not only from the European
Union countries) voluntarily, forcibly or via the readmission procedures, and provides them with
the following support:
Elaboration of an individual reintegration plan;
Provision with temporary accommodation and emergency medical assistance;
Designation of specialized training courses for vocational education and covering its
costs in some cases;
Development of business plans and allocation of funds for their implementation in some
cases;
Employment ; »
Etant donné que vous ne disposez pas de papiers pour votre fils, il faut également
mentionner que la « Georgian Young Lawyers Association (GYLA) » offre des conseils juridiques
gratuits en matière d’obtention de documents d’identité.
Quant à votre peur de souffrir des violences de la part de votre famille, il convient de
souligner que vous n’êtes pas forcée de vivre avec votre famille. De toute façon, vous dites
qu’une partie de votre famille aurait également quitté la Géorgie et vivrait aujourd’hui au
Canada et à New York. Vous craigniez que votre père et votre frère commettent un crime
d’honneur, mais vous n’êtes même pas sûr s’ils se trouvent en ce moment en Russie ou en
Géorgie.
Il est vrai que la violence domestique ou intrafamiliale est un problème en Géorgie, mais
il convient également de souligner que beaucoup de mesures ont été prises les dernières années
et qu’il est devenu absolument possible de demander une protection auprès des autorités
nationales de la Géorgie. Ainsi, le rapport sur la Géorgie par l’UK Border Agency du 25
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novembre 2010 relève l’adoption d’une loi d’égalité des sexes le 27 mars 2010. En outre, selon
deux ONG, l’attitude de la police envers la violence contre les femmes a considérablement
changé :
« Beide frauenspezifischen NGOs teilten mit, dass sich die Einstellung der Polizei in
Bezug auf häusliche Gewalt in den letzten Jahren sehr stark geändert hat. Es wurde erklärt, dass
die Polizei jedenfalls vertrauenswürdiger geworden ist und bei (Gefahr werden Frauen auch in
der Praxis unter Schutz gestellt. [ET] Erstattet eine Frau Anzeige bei der Polizei, so wird sie bei
Gefahr für 24 Stunden vorübergehend unter Schutz gestellt. Danach kommt der Fall vor Gericht
und die Frau findet für drei Monate Schutz in einem der Frauenhäuser. Es gibt zudem
Möglichkeiten für die Opfer, sofortige Schutzverfügungen gegen die Gewalttäter zu erwirken und
die Polizei kann einstweilige Verfügungen ausstellen. ». Par ailleurs, « Beide NGOs sind auch in
der Prävention von häuslicher Gewalt tätig. Das Bewusstsein der Bevölkerung zu diesem Thema
ist zwar schon gewachsen, trotzdem wird versucht, dieses durch Aufklärung weiter zu steigern.
Es gibt weiters Konzepte zur Rehabilitation für die Täter und Trainings, um häusliche Gewalt
von vornherein zu vermeiden. Hier sind Aufklärungskampagnen gemeinsam mit Juristen, die zum
Beispiel in Schulen vortragen, aber auch Informationen für Ärzte, Lehrer und die Polizei zu
nennen. Opfer von häuslicher Gewalt erfahren von solchen Organisationen mittels Hotlines
(staatliche Hotline verweist teils auf die privaten), aber auch durch Werbung und natürlich
durch Mundpropaganda - die Organisationen existieren ja schon einige Jahre. Einhellig wurde
bestätigt, dass die Regierung den Organisationen bei ihrer Arbeit keinerlei Hindernisse in den
Weg legt, ganz im Gegenteil, private Initiativen sind erwünscht und Kooperationen mit den
zuständigen Ministerien laufen, ebenso gibt es Kontakt zum Ombudsmann. »
De plus, le Parlement géorgien a amendé la législation existante sur la violence
domestique en décembre 2009 :
« The amended version lays the foundation for the protection, assistance, and
rehabilitation of domestic violence victims; provides a framework for the cooperation of various
government agencies in preventing domestic violence; and establishes rehabilitation measures
for domestic violence offenders. It establishes a broader definition of a victim of family violence
as "a family member who has suffered physical, psychological, sexual, or economic violence or
coercion. " It also calls for the establishment of domestic violence crisis centers run by the
Ministry of Labor, Health, and Social Protection or by nongovernmental organizations. Crisis
centers are intended to offer domestic violence victims psychological, medical, and legal
assistance. »
Vous dites que les crimes d’honneur seraient fréquents en Géorgie. Pourtant, nos
recherches ne nous amènent pas à la même conclusion : Les crimes d’honneur existent parmi les
communautés musulmanes, notamment les kistes, mais cette pratique ne semble pas répandue
parmi les géorgiens orthodoxes dont vous et votre famille faites partie.
Il va de même de votre peur de rencontrer des problèmes à cause de l’appartenance de
votre père au parti politique «Union d’Helsinki «table ronde»» (p. 11/16) dirigé par Zviad
GAMSAKHURDIA. Nos recherches n’ont pas permis de tenir pour établi que les anciens
partisans du président GAMSAKHURDIA ou leurs familles soient victimes de discriminations ou
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de persécutions politiques. Par ailleurs, il ne ressort pas de votre récit si votre père a été simple
partisan ou membre actif et engagé de ces mouvements politiques.
Enfin, il convient de souligner que même si la société géorgienne ou votre famille vous
considérerait mal, l’exclusion sociale ou familiale ne serait pas d’une gravité telle qu’elle
rendrait un retour en Géorgie impossible.
Ainsi, vous n’alléguez aucun fait susceptible d’établir raisonnablement une crainte de
persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de
l’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que
vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi modifiée
du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet,
les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que a) vous
craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir
des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes
susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une
violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, suivant le raisonnement élaboré plus haut, des problèmes familiaux et des
craintes d’exclusion sociale ne sauraient fonder la reconnaissance de la protection subsidiaire.
Rien dans votre récit ne démontre que vous risquiez de subir des traitements inhumains ou
atteintes graves contre votre vie en cas de retour en Géorgie.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme
non fondée au sens de l'article 19 §1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et
à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un
délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination
de la Géorgie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.
La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un
recours en réformation devant le Tribunal administratif.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre
l’ordre de quitter le territoire.
Les deux recours doivent faire l'objet d'une seule requête introductive, sous peine
d'irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à
la Cour dans un délai d’un mois à partir de la notification de la présente.
Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n’interrompt pas les délais de la
procédure ».
9
Par requête déposée le 21 mai 2013 au greffe du tribunal administratif, Madame ... a fait
introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée
du 15 avril 2013 portant refus de sa demande en obtention d’une protection internationale et,
d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans la même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une
protection internationale
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en
réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une
demande en réformation a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle
déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la
loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse affirme en premier lieu que ce serait à tort que
le ministre aurait mis en doute sa crédibilité, en lui reprochant notamment de ne pas avoir remis
de document susceptible d’établir son identité. A cet égard, elle rappelle être originaire de ...,
capitale d’Abkhazie, ville qu’elle aurait été contrainte de fuir en 1993, alors qu’à cette date les
Géorgiens, majoritaires dans cette région, auraient été massivement expulsés par les rebelles
indépendantistes abkhazes, soutenus par les forces armées russes. Vu l’urgence, elle aurait fui
sans emporter avec elle le moindre document, la demanderesse soulignant encore que les
registres de la population et les actes de l’état civil conservés auprès des administrations locales
géorgiennes de l’époque auraient tous été détruits, de sorte qu’elle serait dans l’impossibilité de
se procurer le moindre document relatif à son état civil. La demanderesse précise par ailleurs
qu’elle n’aurait pas été en mesure de se voir délivrer des documents d’identité auprès de la
représentation diplomatique géorgienne à Moscou, étant donné qu’elle aurait vécu illégalement
en Russie durant de nombreuses années. Le fils de la demanderesse n’aurait par ailleurs pas de
nationalité, cette dernière expliquant qu’on lui aurait certes donné un certificat attestant de la
naissance de l’enfant à l’hôpital dans lequel elle a accouché, à savoir un hôpital à ... en Russie,
mais les autorités russes auraient néanmoins refusé de délivrer tout document attestant la
naissance de son fils et auraient par ailleurs refusé au père de l’enfant de le reconnaître et ce au
motif qu’il n’aurait pas été marié à la demanderesse. Par ailleurs, le mariage ne leur aurait pas été
permis étant donné que la demanderesse n’aurait pas possédé des documents d’identité. Au vu de
sa situation et du comportement discriminatoire systématique que les autorités russes auraient eu
à l’égard des immigrés géorgiens, Madame ... se serait procurée de faux documents pour voyager
et rejoindre le père de son enfant, lequel aurait serait retourné en Syrie. A cet égard, la
demanderesse met encore en exergue qu’elle n’aurait jamais essayé de cacher le fait qu’elle
s’était procurée de faux documents d’identité et aurait répondu de façon honnête aux autorités
luxembourgeoises, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause son identité
et sa crédibilité. Toujours en ce qui concerne sa crédibilité mise en doute par le ministre, elle
souligne que s’il ressortirait certes du rapport du Service de Police judiciaire qu’elle aurait vécu
en Russie et en Ukraine, il n’en resterait pas moins que ceci serait un simple malentendu, dû au
fait qu’elle n’aurait pas été assistée d’un interprète lors de cet interrogatoire, de sorte qu’elle
aurait été obligée de s’exprimer en langues anglaise et allemande, langues qu’elle ne maîtriserait
que partiellement. Elle explique qu’en réalité, elle aurait affirmé avoir quitté la Russie et s’être
10
rendue en Syrie en passant notamment par l’Ukraine et elle conteste formellement avoir dit
qu’elle aurait résidé en Ukraine. En se prévalant de l’article 7 de la loi du 5 mai 2006, la
demanderesse fait encore plaider qu’elle aurait certes été informée de son droit de se faire assister
par un interprète en date du 28 juillet 2011, mais que cette possibilité ne lui aurait cependant pas
été accordée le 1er août 2011, lors de son interrogatoire auprès de la police, de sorte qu’il ne
saurait être retenu le moindre élément de ce rapport de police pour la décrédibiliser, à savoir
notamment ses déclarations actées en ce qui concerne le prix qu’elle aurait payé pour se rendre
dans l’Union européenne, la demanderesse affirmant que seules ces déclarations auprès de la
direction de l’Immigration seraient à prendre en compte, étant donné que lors de ces différents
entretiens elle aurait été assistée par un interprète conformément à l’article 9 (6) b) de la loi du 5
mai 2006. Elle souligne encore que ce serait à tort que le ministre aurait conclu à un défaut de
crédibilité dans son chef dans la mesure où elle aurait affirmé qu’elle aurait pu s’inscrire à
l’université polytechnique de ... et ce malgré le fait qu’elle aurait demeuré illégalement en
Russie, la demanderesse affirmant à cet égard que si à l’heure actuelle et conformément au site
internet de ladite université il fallait certes des documents d’identité pour s’y inscrire, tel n’aurait
pas été le cas en 2002, date à laquelle elle se serait inscrite à l’université en question et où il
aurait suffi de passer un concours d’entrée et de remplir pour ce faire un formulaire préétabli de
demande de renseignements. Madame ... en conclut que ce serait à tort que le ministre aurait
remis en cause sa crédibilité.
En ce qui concerne un éventuel retour en Géorgie, la demanderesse affirme, en se basant
sur le rapport annuel d’Amnesty International de 2012, qu’il serait impossible qu’elle et son fils
retournent dans sa ville ou région d’origine, alors que les autorités de facto de cette région ne
reconnaîtraient pas le droit aux personnes déplacées de regagner leur lieu initial de résidence.
Elle souligne par ailleurs que même si la ville de ... avait été partiellement reconstruite, les
stigmates de la guerre seraient encore présents et la diversité ethnique aurait presque disparu
dans cette région. En outre, elle n’aurait pas d’attaches à ... et sa maison serait
vraisemblablement toujours occupée par des personnes d’origine abkhaze. La demanderesse met
encore en exergue que lors du conflit de l’époque, un quart de million de Géorgiens auraient été
délocalisés et pendant la guerre opposant la Géorgie à la Russie en août 2008, il y aurait de
nouveau eu 200.000 Géorgiens délocalisés. Ni la Russie, ni la Géorgie n’auraient actuellement la
capacité ou la volonté d’accueillir les personnes ainsi déplacées, de sorte qu’il ne lui serait pas
possible de retourner en Abkhazie, ce que le ministre reconnaîtrait d’ailleurs lui-même dans sa
décision sous analyse.
En se basant sur l’article 30 de la loi du 5 mai 2006, ainsi que sur un arrêt de la Cour
administrative du 24 mai 2007, la demanderesse exclut encore toute possibilité de fuite interne
en Géorgie, en affirmant qu’un retour en Abkhazie ne serait pas possible en raison des
persécutions qu’elle et son fils risqueraient d’y subir et que le ministre n’aurait désigné à aucun
moment une partie du territoire géorgien dans laquelle elle pourrait se réfugier avec son enfant.
Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que le ministre n’aurait pas désigné une partie du territoire
géorgien dans laquelle elle puisse s’installer, étant donné qu’il n’existerait aucun endroit en
Géorgie dans lequel elle n’aurait aucune raison de craindre d’être persécutée et dans lequel il
serait raisonnable d’estimer qu’elle et son fils puissent rester, la demanderesse s’appuyant à
l’appui de ces affirmations sur un article paru dans la 23ème édition de la revue « Migration
forcée » de juillet 2005, sur un article de presse du 12 janvier 2010 intitulé « Portrait des
déplacés géorgiens. Etat des lieux et perspectives », sur le rapport annuel d’Amnesty
11
International de 2012 et un article d’Amnesty International du 5 août 2011. Madame ... précise
encore que sa situation particulière de mère célibataire, ainsi que celle de son fils mineur portant
un nom à consonance musulmane, les exposerait d’autant plus et elle souligne que les
développements ministériels d’ordre général quant à ces problématiques ne seraient aucunement
de nature à permettre de conclure qu’il existerait un quelconque endroit en Géorgie où elle
pourrait s’installer sans crainte d’être persécutée, de sorte que ce serait à tort que le ministre lui a
refusé le statut de la protection internationale.
Finalement, la demanderesse estime, en se fondant sur l’article 37 a) et b) de la loi du 5
mai 2006, que si elle ne devait pas se voir accorder le statut de réfugié, elle et son fils
rempliraient néanmoins les conditions requises pour se voir accorder le statut de la protection
subsidiaire, Madame ... soulignant encore que le fait pour elle et son fils de devoir vivre dans la
crainte constante de faire l’objet d’atteintes graves constituerait pour eux de véritables
traitements inhumains, sinon dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne des
Droits de l’Homme.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision ministérielle de refus
serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.
Il convient de prime abord de rappeler que le tribunal statue en l’espèce en tant que juge
de la réformation ; or, le recours en réformation traduit le choix du législateur de confier au juge
administratif la mission de statuer au fond et de refaire l’appréciation en fait et en droit, « voire
de refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration»1 en se plaçant au
jour où lui-même est appelé à statuer, de sorte qu’il est irrelevant, dans le cadre d’un recours en
réformation, que la décision litigieuse ait été légale et que l’autorité administrative qui en est
l’auteur ait agi dans le cadre des pouvoirs qui étaient les siens au moment de la prise de cette
décision, dès lors que de l’appréciation du juge du fond, indépendamment, c’est-à-dire sans
aucun égard, en faisant abstraction de toute cause d’annulation, « et même si la situation de droit
et de fait ne devait point avoir évolué depuis la prise de la décision », une autre décision est plus
appropriée.
En effet, le juge de la réformation jouit d’une compétence de pleine juridiction, ce qui
signifie qu’il « soumet le litige dans son ensemble à un nouvel examen et qu’il se prononce, en
tant que juge administratif, (....) sur le fond du litige, ayant la compétence de réformer ou de
confirmer les décisions [de l’autorité administrative] (...), quel que soit le motif sur lequel [celle-
ci] s’est appuyé pour parvenir à la décision contestée. (...). Le [ juge] n’est dès lors pas lié par le
motif sur lequel [l’autorité administrative] (...) s’est appuyée pour parvenir à la décision: la
compétence de « confirmation » ne peut clairement pas être interprétée dans ce sens. Ainsi, le
[juge] peut, soit confirmer sur les mêmes ou sur d’autres bases une décision prise par [l’autorité
administrative] (...) soit la réformer (...)2 ».
1 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, Pas. adm. 2012, V° Recours en réformation, n° 11. 2 Par analogie : Projet de loi réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des étrangers, Exposé
des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2005-2006, n° 51 2479/001, p. 95, cité Comité du contentieux des
étrangers, 21 janvier 2012, n° 74280.
12
La mission ainsi circonscrite du juge administratif saisi d’un recours en réformation
l’amenant concrètement à toiser l’affaire qui lui est soumise en lieu et place de l’autorité
administrative auteur de la décision litigieuse, le tribunal analysera dès lors la situation de la
demanderesse, indépendamment des critiques formulées par celle-ci à l’encontre de la décision
ministérielle déférée.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection
internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la
protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant «tout
ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un
certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant
pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne
peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne
pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi
comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme
un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne
concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le
pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes
graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée
à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de
« personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des
persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes
graves dans le pays d’origine.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : «Les
actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève
doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour
constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits
auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de
l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce
qui est indiqué au point a) ».
Quant aux atteintes graves, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou
13
b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un
demandeur dans son pays d’origine ; ou
c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison
d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de
persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels
peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du
territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points
a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une
protection contre les persécutions ou atteintes graves ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié
est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués soient motivés par un des critères de
fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les
opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une
gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de
personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006,
étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier
comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la
loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions
et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays
d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection
subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à
l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le
fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le
demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection
subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou
des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait
aboutir, les articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006 s’appliquant tant à la demande d’asile qu’à
celle de protection subsidiaire.
Or, nonobstant la question de crédibilité du récit de la demanderesse sur lequel elle fonde
sa demande de protection internationale ou encore celle de son appartenance ou non à un
« groupe social » au sens de la loi du 5 mai 2006, critère permettant de déterminer si sa demande
est à examiner dans le cadre de la protection accordée par la Convention de Genève ou plutôt
dans celui de la protection subsidiaire, force est pour le tribunal de relever que les auteurs des
persécutions craintes par la demanderesse sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat.
En effet, à l’appui de sa demande de protection internationale, la demanderesse met
d’abord en avant ses craintes vis-à-vis de sa propre famille et plus particulièrement vis-à-vis de
14
son père et de son frère, lesquels seraient « très conservateurs » et lesquels n’auraient jamais
accepté qu’elle ait un enfant hors mariage, conçu de surplus avec un musulman. Après avoir
découvert sa grossesse, le père et le frère de la demanderesse auraient coupé tout contact avec
elle et ne lui auraient plus donné d’argent. Tout en admettant qu’elle ne sait pas où se trouvent
actuellement son père et son frère, la demanderesse affirme néanmoins craindre qu’ils
commettent « un crime d’honneur » si elle devait retourner en Géorgie. Dans un deuxième
temps, Madame ... met en avant sa crainte vis-à-vis de la société géorgienne en général, en
affirmant qu’en Géorgie les gens n’accepteraient non seulement pas qu’un enfant puisse naître
hors mariage, mais qu’ils seraient également farouchement opposés à ce qu’une personne
orthodoxe ait une relation avec un musulman, la demanderesse craignant de ce fait d’être rejetée
et de se faire traiter de prostituée et elle affirme que son fils, lequel porterait un prénom arabe,
risquerait de subir des harcèlements et d’être « traumatisé psychologiquement ». Finalement, la
demanderesse met encore en exergue une crainte non autrement précisée basée sur le fait que son
père aurait appartenu au parti politique « Union d’Helsinki « table ronde » ».
Dans la mesure où tant les membres de sa famille, que « la société géorgienne » sont des
personnes privées, sans lien avec l’Etat, la demanderesse ne saurait dès lors faire valoir un risque
réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités géorgiennes ne veulent
ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les persécutions ou atteintes graves
alléguées, en application de l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006. C’est l’absence de
protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou des atteintes graves. A
cet égard, il y a lieu de rappeler les termes de l’article 29 de la même loi, relatif à la notion de
protection : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être
accordée que par : a)l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations
internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour
autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le
faire. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non
temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au
paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution
ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif
permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou
une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ».
L’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil
dans le contexte qu’elle décrit. En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à
bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée
sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection
internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des
autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du
contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit
international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de
l’État fait défaut4.
3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21,
n° 100. 4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
15
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme
suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée
à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes
graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection
nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation
d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela
inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du
pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou
des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de
résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint
dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose
nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux
des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique
pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et
l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission
matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités
en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité
suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ressort des termes de ses auditions que la demanderesse n’a jamais fait
l’objet d’une quelconque atteinte ou persécution concrète dans son pays d’origine en raison de
son statut de mère célibataire, respectivement d’ex-concubine d’une personne musulmane ou
encore de membre de famille d’un partisan du parti politique « Union d’Helsinki « table
ronde » ». Par ailleurs, il résulte des explications circonstanciées de la partie étatique, rapports
internationaux à l’appui, qu’en Géorgie le rejet par la société, respectivement par la famille de
mères célibataires est exceptionnel et qu’il n’existe en outre aucune discrimination en ce qui
concerne les aides sociales auxquelles les mères célibataires peuvent prétendre. De même, il n’est
pas établi que les anciens partisans du président GAMSAKHURDIA, respectivement leurs
familles subissent une quelconque persécution en cette qualité. En tout état de cause, et si les
craintes purement hypothétiques de la demanderesse de se faire harceler par la société géorgienne
en général en raison de son statut de mère célibataire et d’ex-concubine d’une personne de
croyance musulmane devaient s’avérer fondées, force est de constater qu’il lui serait possible de
s’adresser aux forces de police locales pour solliciter une protection adéquate contre ces
individus, étant encore souligné qu’il résulte des développements non contestés de la partie
étatique qu’une loi d’égalité des sexes a été adoptée en date du 27 mars 2010 et que plusieurs
initiatives et projets sont en place en Géorgie pour faciliter la réintégration des migrants. La
même conclusion s’impose en ce qui concerne les craintes de la demanderesse de faire l’objet
d’un « crime d’honneur » de la part de sa famille, étant souligné qu’il résulte des explications
circonstanciées de la partie étatique, rapports internationaux à l’appui, que si la violence
domestique, respectivement intrafamiliale reste un problème en Géorgie, il n’en reste pas moins
que la police géorgienne intervient de façon conséquente en accordant une protection aux
femmes susceptibles de faire l’objet d’une telle violence et que la législation existante sur la
violence domestique a été amendée en décembre 2009 de façon à prévoir une protection, une
assistance et une réhabilitation des victimes de violence domestique. Par ailleurs, et toujours
selon les explications de la partie étatique, il existe des organisations non gouvernementales qui
prêtent main forte aux femmes victimes de violence domestique, respectivement intrafamiliale et
que ces organisations coopèrent tant avec les ministères compétents, qu’avec l’Ombudsman.
16
En résumé, au regard des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que la
demanderesse ne puisse pas obtenir une protection suffisante dans son pays d’origine.
A titre superfétatoire et en ce qui concerne l’allégation de la demanderesse qu’aucune
fuite interne ne serait possible dans son chef et que la décision ministérielle alléguée devrait
encourir la réformation dans la mesure où le ministre serait resté en défaut de déterminer un
endroit en Géorgie dans lequel il n’existe aucune raison pour la demanderesse de craindre d’être
persécutée et dans lequel il serait raisonnable d’estimer qu’elle et son fils puissent rester, ces
développements sont à rejeter dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la demanderesse
peut bénéficier d’une protection adéquate dans son pays d’origine et n’a de ce fait pas à craindre
de subir des persécutions ou atteintes graves. A titre encore plus superfétatoire il y a encore lieu
de souligner que si le ministre, dans sa décision sous analyse, n’a certes pas explicitement, de
façon positive, défini une région où la demanderesse et son fils pourraient s’installer, il l’a
néanmoins fait de façon implicite en retenant que la seule région où la demanderesse ne pourrait
pas s’installer serait celle d’Abkhazie, laquelle n’autorise pas le rapatriement des réfugiés
internes de la guerre de 1992-1993, le ministre ayant de ce fait implicitement mais
nécessairement retenu que la demanderesse et son fils peuvent s’établir dans toutes les autres
parties de Géorgie sans devoir craindre une quelconque persécution ou atteinte grave, ces parties
devant être considérées comme accessibles par la demanderesse, celle-ci ayant admis ne pas
avoir d’attaches particulières en Abkhazie, de sorte à pouvoir s’établir ailleurs. Finalement, il y a
encore lieu de souligner que le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, a
désigné la ville de Tbilissi, comme endroit sûr dans le chef de la demanderesse, en donnant à
considérer que cette ville se caractérise par une population mélangée, composée tant
d’orthodoxes que de musulmans ou encore de juifs et qui serait reconnue pour sa tolérance
religieuse.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le
ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié et du statut conféré par la
protection subsidiaire présentée par la demanderesse comme étant non fondée. Le recours est
par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du
ministre d’accorder à Madame ... le statut de réfugié et celui conféré par la protection
subsidiaire.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation
contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de
protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la
décision déférée est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la
loi.
La demanderesse fait plaider en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut
de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être
annulé.
17
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à
bon droit d’accorder à la demanderesse un statut de protection internationale, de sorte qu’il a
également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, elle conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif
qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre
circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. La demanderesse estime
en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 c)
et 2 e) de la loi du 5 mai 2006. Elle considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais
traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup
plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce
risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection
internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains
ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. L’ordre de
quitter le territoire ne serait pas une conséquence légale du refus de protection internationale
alors qu’il existerait des critères bien particuliers qui interdiraient l’éloignement d’un étranger
vers un pays où il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH,
qui seraient étrangers à ceux selon lesquels un statut de protection internationale peut être
accordé. La demanderesse soutient encore que la situation de détresse dans laquelle elle et son
fils seraient plongés en cas de retour en Géorgie, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des
mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant, sans pour autant
faire référence à une quelconque décision de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce
sens. Elle soutient encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du
29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la
personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre
vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2 de la même loi comme étant la décision
négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre
de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que
le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les
peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des
souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du
délai imposé à la demanderesse et son fils pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans
la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est
cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la
Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est
susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est
l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention
d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements
prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas
être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il
existe un droit à ne pas être éloigné quand une telle mesure aurait pour conséquence d’exposer à
18
la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à
un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du
requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc
s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la
CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle
dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la
situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en
Géorgie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef de la demanderesse
de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi
du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ainsi
qu’à l’existence d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de son pays, de
sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette
conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le
tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la
demanderesse et de son fils en Géorgie soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3
de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement,
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 15 avril
2013 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée du 15 avril 2013
portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
5 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
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Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président,
Alexandra Castegnaro, juge,
Olivier Poos, juge,
en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen
Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 19.5.2014
Le Greffier du Tribunal administratif