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Ann. Kin ésithér. , 1994, t. 21, n° 5, pp. 227-234 © Masson, Paris, 1994 Étude isocinétique des muscles de l'épaule de sportifs paraplégiques MÉMOIRE P. L. BERNARD (1, 4), M. POCHOLLE (2), P. CODINE (3) (1) Enseignant d'E.P.S., docteur en Sciences et Techniques des activités physiques et sportives, (2) M G.MK., kinésithérapeute chef, (3) Médecin rééducateur, centre de Rééducationfonctionnelle de Fontfroide, rue de Saint-Priest, F 34100 Montpellier. (4) Laboratoire « Sport Santé et Développement », UFR STAPS, 700, avenue du Pic-Saint-Loup, F 34090 Montpellier. De plus en plus de recherches s'intéressent au devenir fonctionnel des personnes traumati- sées médullaires. En complément des études de l'influence du handicap et des effets de réglages du fauteuil roulant sur les réponses à l'exercice musculaire, cette étude cherche à déterminer l'influence du niveau neurologique sur les couples et les puissances musculaires de sportifs paraplégiques. Deux groupes de six sportifs paraplégiques de niveau neurologique différent (SPH et SPB) et un groupe de 6 sportifs valides (SV) ont participé à un test d'évaluation isocinétique des couples et des puissances développées par l'articulation de l'épaule. Le test de flexion- abduction/extension-adduction de type concentrique-concentrique était effectué aux trois vitesses de 60o/sec, 120o/sec et 2IOo/sec sur le côté droit puis sur le côté gauche. Nous avons retenu les variables de travail et de puissance et complété cette analyse par l'étude par la détermination du ratio agoniste/antago- niste des muscles de l'épaule. Les résultats des tests isocinétiques montrent que : - les sportifs paraplégiques avec un niveau neurologique inférieur à DIO (SPB), c'est-à- dire avec une absence de muscles abdominaux et de capacités de stabilisation en position assise, montrent des valeurs de couples et de puissances statistiquement supérieures et signi- ficatives (p < 0,001) que les sportifs para- plégiques de niveau dorsal haut (SPH) et que les valides,. Tirés à part: M. POCHOLLE, à l'adresse ci-dessus. - le niveau neurologique et la propulsion en fauteuil roulant ont une influence sur les puissances musculaires isocinétiques déve- loppées par la ceinture scapulaire. La compa- raison entre SPH et SPB durant les mouve- ments d'extension montrent en effet des différences significatives de travail maximal par répétition (p < 0,001), de travail total (p < 0,001) et de puissance (p < 0,01),. - la propulsion en fauteuil roulant entraîne un développement musculaire spécifique pour les paraplégiques en fauteuil roulant qui disposent de leurs capacités d'équilibration et de stabilisation en position assise,. - pour le ratio agoniste/ antagoniste, les trois paramètres de travail maximal par répétition, de travail total et de puissance, montrent le plus souvent des valeurs comprises entre 30 % et 40 %, voire même inférieure à 30 % dans certaines conditions de test. Ces rapports sont observés chez les trois groupes de sujets et correspondent à un déséquilibre des muscles de l'articulation de l'épaule et à un facteur favorable au développement de douleurs et de traumatismes. Nous pensons que de futures recherches devront nécessaire- ment approfondir les connaissances des capa- cités fonctionnelles des personnes traumatisées médullaires et les facteurs favorables à la prévention des risques liés aux pratiques intensives en fauteuil roulant. Cet article a fait l'objet d'une communication orale au colloque « Sport et Handicap physique», organisé par l'UEREPS de Lille et la fédération française Handisport, les 27 et 28 mai 1993, à Lille.

Étude isocinétique des muscles de l'épaule de sportifs

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Page 1: Étude isocinétique des muscles de l'épaule de sportifs

Ann. Kin ésithér. , 1994, t. 21, n° 5, pp. 227-234© Masson, Paris, 1994

Étude isocinétique des muscles de l'épaule de sportifsparaplégiques

MÉMOIRE

P. L. BERNARD (1, 4), M. POCHOLLE (2), P. CODINE (3)(1) Enseignant d'E.P.S., docteur en Sciences et Techniques des activités physiques et sportives, (2) M G.MK., kinésithérapeute chef,(3) Médecin rééducateur, centre de Rééducationfonctionnelle de Fontfroide, rue de Saint-Priest, F 34100 Montpellier. (4) Laboratoire« Sport Santé et Développement », UFR STAPS, 700, avenue du Pic-Saint-Loup, F 34090 Montpellier.

De plus en plus de recherches s'intéressentau devenir fonctionnel des personnes traumati­sées médullaires. En complément des étudesde l'influence du handicap et des effets deréglages du fauteuil roulant sur les réponsesà l'exercice musculaire, cette étude cherche àdéterminer l'influence du niveau neurologiquesur les couples et les puissances musculairesde sportifs paraplégiques.

Deux groupes de six sportifs paraplégiquesde niveau neurologique différent (SPH et SPB)et un groupe de 6 sportifs valides (SV) ontparticipé à un test d'évaluation isocinétique descouples et des puissances développées parl'articulation de l'épaule. Le test de flexion­abduction/extension-adduction de typeconcentrique-concentrique était effectué auxtrois vitesses de 60o/sec, 120o/sec et 2IOo/secsur le côté droit puis sur le côté gauche. Nousavons retenu les variables de travail et depuissance et complété cette analyse par l'étudepar la détermination du ratio agoniste/antago­niste des muscles de l'épaule. Les résultats destests isocinétiques montrent que :

- les sportifs paraplégiques avec un niveauneurologique inférieur à DIO (SPB), c'est-à­dire avec une absence de muscles abdominauxet de capacités de stabilisation en positionassise, montrent des valeurs de couples et depuissances statistiquement supérieures et signi­ficatives (p < 0,001) que les sportifs para­plégiques de niveau dorsal haut (SPH) et queles valides,.

Tirés à part: M. POCHOLLE, à l'adresse ci-dessus.

- le niveau neurologique et la propulsionen fauteuil roulant ont une influence surles puissances musculaires isocinétiques déve­loppées par la ceinture scapulaire. La compa­raison entre SPH et SPB durant les mouve­ments d'extension montrent en effet desdifférences significatives de travail maximalpar répétition (p < 0,001), de travail total(p < 0,001) et de puissance (p < 0,01),.

- la propulsion en fauteuil roulant entraîneun développement musculaire spécifique pourles paraplégiques en fauteuil roulant quidisposent de leurs capacités d'équilibration etde stabilisation en position assise,.

- pour le ratio agoniste/ antagoniste, lestrois paramètres de travail maximal parrépétition, de travail total et de puissance,montrent le plus souvent des valeurs comprisesentre 30 % et 40 %, voire même inférieure à30 % dans certaines conditions de test. Cesrapports sont observés chez les trois groupesde sujets et correspondent à un déséquilibredes muscles de l'articulation de l'épaule et àun facteur favorable au développement dedouleurs et de traumatismes. Nous pensonsque de futures recherches devront nécessaire­ment approfondir les connaissances des capa­cités fonctionnelles des personnes traumatiséesmédullaires et les facteurs favorables à laprévention des risques liés aux pratiquesintensives en fauteuil roulant.

Cet article a fait l'objet d'une communication orale au colloque« Sport et Handicap physique», organisé par l'UEREPS de Lilleet la fédération française Handisport, les 27 et 28 mai 1993, à Lille.

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Introduction

L'orientation des paraplégiques vers des acti­vités physiques et sportives adaptées à leurspotentialités physiologiques, nécessite la con­naissance approfondie de leur comportementlors de situations dynamiques. Cette recherchedes conditions optimales de pratiques et deprévention des risques traumatiques, passe né­cessairement par l'évaluation d'un ensemble defacteurs fonctionnels caractérisant chaqueindividu.

En effet, si les activités physiques et sportivespoursuivent en principe des objectifs de santéet de bien-être, elles peuvent involontairementdéboucher sur l'apparition de traumatismes.Parallèlement aux études menées sur les techni­ques de propulsion et l'influence des réglages (2,4, 5, 15, 16, 18) et sur les réponses métaboliqueslors du déplacement en fauteuil roulant (6, 8,13, 19), des études sont réalisées sur le devenirfonctionnel des traumatisés médullaires. Unepartie de ces recherches s'intéresse aux risquesque représentent les déplacements quotidiens enfauteuil roulant et les transferts, indissociablesdes activités quotidiennes. Des travaux ont faitpart des douleurs et des signes cliniques detraumatismes qui affectent ces populations (3,17, 21). De par leurs anatomies et les sollicita­tions intenses auxquelles ils sont soumis, lerachis cervical et la ceinture scapulaire sont desrégions particulièrement exposées aux complica­tions (9, 14, 20).

lrvine et al. (1965) mettent en évidence unefréquence plus élevée des douleurs cervicales etscapulaires chez des personnes blessées médul­laires que chez un groupe de sujets témoinsvalides et ce pour chaque tranche d'âge.Hauptmann et Littmann (1987) présententl'épaule comme le complexe articulaire le plusexposé lors de la propulsion en fauteuil roulantet observent des lésions tendineuses et desruptures de la coiffe des rotateurs. Gellman etal. (1987) ont effectué une enquête auprès de 84paraplégiques et dénombrent 67,8 % douleursdes membres supérieurs et 30 % douleurs lorsdes transferts. Ils notaient par ailleurs que cesdouleurs augmentaient avec l'ancienneté de laparaplégie. Bayley et al. (1987) ont étudié un

groupe de 94 personnes ay2.il: lliJe paraplégiecomplète. 31 personnes présèmG.Ïem des dou­leurs lors des transferts et 23 d'entre ellessouffraient d'un conflit acromio-huméral etd'une atteinte de la coiffe des rotateurs. Enfin,Nadeau et al. (1986) ont réalisé une enquêteauprès de 65 sportifs de haut niveau en fauteuilroulant et déterminé que 49 d'entre eux présen­taient des douleurs sus-lésionnelles contre seule­ment 25 % chez les non-sportifs.

Il nous a donc semblé intéressant d'évaluerl'adaptation à long terme des capacités physi­ques des paraplégiques à travers l'étude despuissances musculaires isocinétiques dévelop­pées par les membres supérieurs et la ceinturescapulaire. Ce travail doit permettre de détermi­ner d'une part si les paraplégiques de niveaudorsal haut développent des puissances mus­culaires significativement supérieures aux autresgroupes afin de compenser la réduction desmasses musculaires du territoire sous-lésionnel.D'autre part, elle doit déterminer si la propul­sion quotidienne en fauteuil roulant entraîne undéveloppement musculaire spécifique des spor­tifs en fauteuil roulant.

Matériel et méthode

POPULA nON

Notre population d'étude est composée de trois groupes(tableau 1) :

- Un premier groupe de six paraplégiques de niveaulésionnel situé entre la quatrième et la huitième vertèbredorsale. Ces personnes sont licenciées au Montpellier ClubHandisport (M.C.H.) et composaient le groupe des« Sportifs Paraplégiques Haut », nommé SPH.

- Un second groupe de six paraplégiques de niveauneurologique situé entre la onzième vertèbre dorsale etla cinquième vertèbre lombaire. Ces six « SportifsParaplégiques Bas », pratiquant en fauteuil roulant ausein du M.C.H., seront appelés SPB.

- Un troisième groupe « témoin », composé de six« Sportifs Valides », sera nommé SV.

MATÉRIEL ET PROTOCOLE

L'isocinétisme est une méthode de travail et d'évalua­tion dynamique de la force musculaire permettant

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Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, nO 5 229

TABLEAU 1. - Caractéristiques anthropométriques et neurologiques des trois groupes de populations.

SPHâge (an)poids (kg)taille (cm)niveaulésiontroubleaccidentsport

R.F.

3055170T5complètespastique1983basket

A.T.

2960170T4-T6complètespastique1983tennis

B.A

3171185T4complètespastique1978tennis

R.P

3366177T8complètespastique1980tennis

CL

3055168T5complètespastique1983tennis

R.A

3770178T5complètespastique1986tennis

m

31.662.8174.6sd

2.947.196.50

SPB

âge (an)poids (kg)taille (cm)niveaulésiontroubleaccidentsport

B.P

2770180L3incomplèteflasque1984tennis

B.L

3053163Tl2incomplètespastique1978tennis

G.S

2463170Tl2complètespastique1988tennis

B.S

2978184Tl1complètespastique1980racmgG.M

2870182Tl2complèteflasque1988tennis

N.E

3277178Tl2-Llcomplèteflasque1988basket

m

28.368.5176.1sd

2.739.358.06

SV

âge (an)poids (kg)taille (cm)sport

v.G

1760175tennisN.G

2180191tennis

B.C

2168176tennisJ.D

2760165tennisCD

2470179tennisCR

2865173tennis

m

2367.1176.5sd

4.147.498.52

d'obtenir, grâce à une résistance auto-adaptée, unecontraction musculaire maximale à vitesse constante, surune amplitude choisie (partielle ou totale) d'unearticulation.

Pour la détermination du couple de force développépar les membres supérieurs à partir du dynamomètre« Biodex », chaque sujet était installé sur le siège mobiled'évaluation isocinétique. Les paraplégiques effectuaientun « transfert » de leur fauteuil roulant vers celui-ci.Une fois sanglé, chaque sujet était placé parallèlement audynamomètre, selon un angle de 15° tandis que 10 cmséparait l'acromion de l'axe de rotation du levier. L'axede l'articulation du sujet était aligné avec l'axe de rotationde la machine. L'enregistrement du débattement arti­culaire de l'articulation de l'épaule ainsi que la détermina­tion de poids du membre supérieur concluaient lapréparation au test. Une période d'une minute à l200/secpermettait à chaque participant de s'échauffer et de sefamiliariser avec le matériel (fig. 1).

Le test de flexion-abduction (F-ABD)/extension-adduc­tion (E-ADD) de cette articulation débutait par l'évalua-

tion du côté droit (D) aux trois vitesses de 600/sec,l200/sec et 2100/sec à laquelle succédait le travail ducôté gauche (G) après une nouvelle installation du sujet.Les acquisitions à vitesse lente (600/sec) et à vitessemoyenne (1200/sec) étaient réalisées sur la base de5 répétitions tandis que l'acquisition à vitesse rapide(2100/sec) comprenait 10 répétitions. Une répétitioncorrespond aux deux mouvements inverses de flexion­abduction/extension-adduction. Après une série de répéti­tions à une vitesse donnée, chaque personne bénéficiaitd'un temps de repos toujours compris entre l minute et1,30 minute puis de deux répétitions de familiarisationet d'ajustement à la vitesse suivante.

Nous avons retenu les quatre paramètres du pic decouple (PC), de travail maximal par répétition (TMR),de travail total (TT) et de puissance (P) et complété cetteanalyse isocinétique par le calcul du rapport des puis­sances développées par les muscles agonistes et antago­nistes de l'articulation de l'épaule. Les muscles agonisteset antagonistes correspondent respectivement aux musclesfléchisseurs-abducteurs-rotateurs externes et extenseurs-

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230 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, n° 5

adducteurs-rotateurs internes. Ce rapport reflète l'équili­bre dynamique entre des groupes musculaires antagonisteset représente l'un des rapports essentiels de l'isocinétisme.

ANALYSE STATISTIQUE

Les valeurs des différents paramètres mesurés ont étéexprimées par leur moyenne + leur écart type. Uneanalyse de variance à deux facteurs a été retenue pourla comparaison des trois groupes de sujets lors des douzeconditions de tests. Les différences étaient considéréessignificatives lorsque p < 0,05.

Résultats

De

grandesdifférencesdepICdecoupleexistent entre les trois groupes de populations(p

<0,001).Lors de l'analyse détaillée desrésultats, nous observons des différences signifi-FIG.

1. - Installation du sujet lors dutest d'abduction-catives (p<0,001) de pic de couple entre les

jlexion/adduction-extension de l'épaule.

SPH et SPB ainsi qu'entre les SPH et les SV

160

1000

140800120

~~I~~lrrn 1 !

100

600E 80

E:z:

:z:60

,,; •• ~'. ','ô400

40

20020 00

0(50(50'-"=(5='-"=(5 ='-"0(5=(5=(5='-"=C)

w..:

w..:WLWw..:w..:WLWw..:w..:LWLW w..:

w..:LWLWw..:L...LWWw..:w..:w~,

000000000000 00=0000=0000

'-0CD'-0'-0~~~~~~~~ cDcDcDCD~~~~~~~~

ASERIES CSERIES

140

160

140120120

100100

E

80 580:z:

60 60Yi

4040

20

20

0

00

0C)0C)0(50C)0(5 0C)0(50C)0(50co0cow..:

~LWLWw..:w..:WLWw..:w..:w w..:w..:wWw..:w..:www..:w..:ww

~

co====co ==== 00coco==00=000<.0

cDcD~~~~~~~~ cDcDcoco~~~'"

BSERIES

DSERIES

• SPH 0 SPB

~ SV

FIG 2. - Valeursde couplesde/orce et depuissance développéeslors du test dejlexion-abduction-rotation externe/extension-adduction-rotation interne de l'articulation de l'épaule (A : valeurs de Pic de Couple. B : valeurs de Travail Maximal par Répétition.C : valeurs de Travail Total. D : valeurs de Puissance).

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(p < 0,008) (fig. 2 A). Lorsque nous compa­rons le pic de couple développé en flexion­abduction-rotation externe (agoniste) et enextension-adduction-rotation interne (antago­ni ste) (fig. 3 A), nous observons que les SPHatteignent en flexion, sur la moyenne des deuxcôtés droit et gauche, aux trois conditions devitesse (60-120-21Oo/sec), 51 %, 72 % et 62 %des pics de couple développés en extension. LesSPB atteignent respectivement aux mêmesconditions des valeurs de 65 %, 72 % et 65 %,tandis que les SV obtiennent des valeurs de72 %, 76 % et 75 %.

Nous observons des différences significativesde travail maximal par répétition entre les troisgroupes de populations (p < 0,001). Lors del'analyse détaillée des résultats, nous observons

des différences significatives (p < 0,001) detravail maximal par répétition entre les SPH etSPB mais pas entre les SPH et les SV(p < 0,73). Les sportifs paraplégiques bas(SPB) sont les plus performants aux trois vitessesdans les quatre conditions de tests (fig. 2 B).Lors de l'étude du ratio agonis te/antagonistenous observons chez les SPH des valeurs de27 %, 29 % et 30 %. Dans les mêmes condi­tions, les SPB obtiennent des valeurs de 33 %,40 % et 39 % tandis que les SV réalisent 33 %,32 % et 43 % (fig. 3 B).

En ce qui concerne le travail total, nousmesurons des différences significatives entre lestrois groupes de populations (p < 0,001). Lorsde l'analyse détaillée des résultats, nous obser­vons des différences significatives (p < 0,001)

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232 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, n° 5

de travail total entre les SPH et SPB mais pasentre les SPH et les SV (p < 0,81). Les sportifsparaplégiques bas (SPB) effectuent le travailtotal le plus élevé dans les quatre conditions detest à 60, 120 et 21Oo/sec (fig. 2 C). Lors del'étude du ratio agonis te/antagoniste du travailtotal, nous observons chez les SPH des valeursde 26 %, 29 % et 30 %. Dans les mêmesconditions, les SPB obtiennent des valeurs de33 %, 37 % et 39 % et les SV des valeurs de32 %, 31 % et 35 % (fig. 3 C).

Les valeurs de puissances des trois groupesde sujets sont significativement différentes(p < 0,001). Lors de l'analyse détaillée desrésultats, nous observons des différences signifi­catives (p < 0,001) de puissance entre les SPHet SPB mais pas entre les SPH et les SV(p < 0,32). Les sportifs paraplégiques bas(SPB) développent les plus hautes puissancesdans les trois vitesses aux quatre conditions detests (fig. 2 D). Lors de l'étude du ratioagoniste/antagoniste de la puissance, nous ob­servons chez les SPH des valeurs de 28 %,28 %et 29 %. Dans les mêmes conditions, les SPBobtiennent des valeurs de 37 %, 39 % et 39 %et les SV des valeurs de 34 %, 29 % et 32 %(fig. 3 D).

Discussion

Cette étude montre globalement que lessportifs paraplégiques de niveau neurologiqueinférieur à la dixième vertèbre dorsale (SPB),et disposant donc des masses musculairesabdominales, développent des couples de forceset des puissances musculaires supérieures auxsportifs paraplégiques de niveau neurologiquecompris entre la quatrième et la huitièmevertèbre dorsale (SPH) et supérieures auxsportifs valides (SV). Pour les sportifs en fauteuilroulant, nous pouvons penser que le potentielmusculaire du tronc, en relation avec le niveauneurologique, influence largement la puissancemusculaire développée par la ceinture scapu­laire. En effet, nous observons des différencestrès significatives de couples de forces et depuissances développés (p < 0,001) entre les

SPH et les SPB sur les quatre paramètresmesurés. Par contre, lorsque nous comparonsles SPH et les SV, nous n'observons dedifférences significatives que pour le pic decouple développé (p < 0,008). Ces deuxgroupes de paraplégiques se déplacent quotidien­nement en fauteuil roulant et il est possible quechez les SPH, le manque de capacités destabilisation du tronc et d'équilibration lors dela propulsion ne permettent pas la mise en jeude toute la force disponible. En effet, lemouvement de propulsion se réalise en majeurepartie dans le plan antéro-postérieur et se traduitglobalement par une flexion du tronc sur lescuisses lors du temps de poussée. Ces personnesayant plus ou moins perdu la motricité desmuscles abdominaux et des érecteurs du rachis,une poussée trop puissante entraîne une hyper­flexion, voire une chute antérieure du tronc. Cedéséquilibre perturberait le caractère cyclique etrépétitif de la propulsion et ne pourrait êtreretenu comme une technique de propulsionefficace. Nous pouvons penser que les plusfaibles couples de forces et puissances déve­loppés par les paraplégiques de niveau neurologi­que dorsal sont en relation avec leurs difficultésde stabilisation du tronc. Ces personnes éprou­vent des difficultés à mobiliser les épaulesindépendamment du reste du tronc de partl'absence des muscles abdominaux. Aussi, lesimpératifs d'équilibration nécessaires à la pro­pulsion limitent-ils involontairement la puis­sance utilisée lors de la poussée. Les conditionsjournalières de propulsion ne favorisent pas chezces populations le développement de puissancessupérieures à la moyenne et la compensation,au niveau du territoire sus-lésionnel, de l'atteinteinférieure.

Si, comme nous venons de le voir, le niveauneurologique a une incidence sur la puissancemusculaire isocinétique développée par la cein­ture scapulaire, nous constatons aussi que ledéplacement en fauteuil roulant influence lescouples de force développés. Nous pouvons eneffet émettre l'hypothèse d'un effet bénéfique dela phase active du temps de poussée de lapropulsion sur le développement des couples deforce.

La comparaison entre les SPB et les SV surles mouvements d'extension-adduction-rotation

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interne permet de vérifier cette hypothèse etprésente des différences significatives de travailmaximal par répétition (0,001), de travail total(p < 0,001) et de puissance (p < 0,016). Cesvaleurs démontrent l'influence favorable de lapropulsion sur le développement des puissancesdes muscles extenseurs de l'épaule. Après avoirobservé qu'une atteinte dorso-lombaire n'avaitpas d'influence négative sur le développementdes puissances musculaires de la ceinture scapu­laire, nous observons maintenant que la propul­sion du fauteuil roulant constitue un facteurd'optimisation des capacités musculaires decette région. Chez les SPH, pour les raisonsde manque d'équilibration évoquées précédem­ment, la propulsion en fauteuil roulant n'apas d'influence favorable sur le développementde la puissance isocinétique des muscles exten­seurs-adducteurs de l'articulation de l'épaule.La propulsion en fauteuil est un mouvementqui entraîne, chez des personnes ayant descapacités de stabilisation du tronc, le développe­ment de puissances musculaires supérieures àla moyenne. Ces valeurs observées aux troisvitesses de travail de 60, 120 et 21Oo/sec,représentent néanmoins une source de patholo­gies potentielles. Tout comme les paraplégiquesde niveau dorsal peuvent être désavantagés pardes puissances inférieures, les paraplégiques deniveau lombaire sont sujets aux conséquencesdes hypertrophies musculaires.

En plus de l'analyse des couples développéspar les trois groupes de populations aux diffé­rentes vitesses, il est intéressant d'intégrer lerapport agoniste/antagoniste à l'interprétationdes résultats. Afin de déterminer les facteurs deréduction des traumatismes liés à l'évolution enfauteuil roulant, il paraît indispensable deréaliser ce rapport. La prédominance de l'un desdeux groupes musculaires peut être considéréecomme un facteur de risques de développementde pathologies et de dégénérescences qu'unrééquilibrage musculaire harmonieux tentera deréduire. Les rapports agonistes/antagonisteschez nos trois groupes de sujets ne respectentque partiellement les valeurs de référence quiprésente une supériorité des rotateurs internessur les rotateurs externes dans un rapport de1 à 2/3. En effet, pour le pic de couple, les trois

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groupes sont le plus souvent situé au-delà de60 %. A l'inverse, pour les trois autres para­mètres étudiés (Travail Maximal par Répétition,Travail Total et Puissance), les mesures sesituent le plus souvent entre 30 et 40 % voiremême inférieures à 30 %. Ces rapports préoc­cupant peuvent s'expliquer chez les paraplégi­ques qui se déplacent en fauteuil roulant par lemouvement cyclique de propulsion, composéd'un temps de poussée et d'un temps dereplacement. Le temps de poussée constitue letemps actif de mise en jeu de la puissancenécessaire à la propulsion et se rapproche dumouvement d'extension de l'articulation del'épaule. A l'opposé, le temps de replacementest un temps pseudo-passif résultant en partiede la qualité de la poussée. Il n'est donc passurprenant que chez des paraplégiques sportifsqui se déplacent en fauteuil roulant, nousobservions une supériorité des couples et despuissances des muscles extenseurs-adducteurs­rotateurs internes de l'articulation de l'épauleet de tels rapports agonistes/antagonistes. Nousobservons par ailleurs des rapports agonistes/an­tagonistes proches pour les trois groupes depopulation hormis pour le pic de coupledéveloppé. Dans celui-ci, les SPH présente à60o/sec (condition la plus proche de l'isométrie)un rapport nettement plus faible (50,8 %) queles deux autres groupes de population (72,3 et62 %). Ce résultat s'explique par une importantefaiblesse des fléchisseurs (99,3 Nm) et non desextenseurs qui sont proches des valeurs des deuxautres groupes. Cette valeur laisse entrevoir desfaiblesses des fléchisseurs lorsque la résistanceest élevée, c'est-à-dire dans des conditionsproches de la mise en action du fauteuil roulant.Les sportifs paraplégiques représentent unepopulation particulièrement touchée par lespathologies du complexe de l'épaule. La pratiqued'un sport tel que le tennis ne fait que renforcerla prédominance des muscles abaisseurs etrotateurs internes et ainsi le déséquilibre desmuscles agonistes-antagonistes de l'épaule. Ladétermination de ces rapports constitue sansdoute un facteur de prévention des risques dedégénérescence et de pathologies. La recherched'un équilibre musculaire harmonieux entre lesdifférents groupes musculaires mis en jeu dans

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la propulsion, est une des conditions indispensa­ble à la pratique intensive d'activités physiquesadaptées et à l'atteinte des objectifs qui leur sontfixés.

Conclusion

La propulsion entraîne le développement spé­cifique de la puissance musculaire des muscles del'épaule. Au regard du niveau neurologique, nousobservons des différences significatives de travailet de puissance développés lors du test isocinéti­que de flexion-abduction/extension-adduction del'articulation de l'épaule. Les paraplégiques deniveau neurologique dorsal haut ne développentpas, afin de compenser la réduction des massesmusculaires situées sous la lésion, des puissancessignificativement supérieures aux autres groupesde sujets. L'absence de capacités de stabilisationdu tronc et les difficultés d'équilibration durantla propulsion ne favorisent pas le développementde puissances musculaires supérieures à lamoyenne. De plus, nous observons que la propul­sion en fauteuil roulant entraîne le développe­ment spécifique des capacités musculaires desportifs paraplégiques de niveau neurologiquedorsa-lombaire. Ces résultats suggèrent l'effetbénéfique de la phase active de poussée dufauteuil sur le développement des muscles exten­seurs de l'épaule de personnes ayant des moyensd'équilibration en position assise.

Dans l'optique d'étudier l'influence de lapropulsion sur les adaptations musculaires, nousavons intégré l'analyse du ratio agonistes/anta­goniste des muscles de l'épaule. Nous observonsdes valeurs situées entre 30 et 40 % pour lesparamètres de travail maximal par répétition,de travail total et de puissance pour les troisgroupes de sujets. Ces déséquilibres des massesmusculaires agonistes/antagonistes sont des fac­teurs favorables au développement de trauma­tismes et nécessitent la mise en place deprogrammes de rééquilibrage musculaire.

Cette évaluation représente un moyen d'opti­misation des capacités musculaires des sportifsparaplégiques en fauteuil roulant. Elle participepar ailleurs à la prévention des risques dedégénérescences articulaires et musculaires enrelation avec des pratiques physiques intenses.Ce suivi physiologique représente enfin une

condition majeure pour que le sportif, l'ensei­gnent d'APS spécialisé et l'équipe médicale,poursuivent les objectifs assignés aux activitésphysiques et sportives.

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