Upload
others
View
0
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI
Index AI : MDE 30/23/92
DOCUMENT EXTERNE
Londres, octobre 1992
TUNISIE De lourdes peines à l'issue
de procès inéquitables
Résumé*
Deux cent soixante-cinq sympathisants du mouvement islamiste non reconnu
Ennahda (Renaissance) ont été condamnés les 28 et 30 août derniers à des peines
allant d'un an d'emprisonnement à la détention à perpétuité, à l'issue de deux
procès inéquitables qui se sont déroulés devant les tribunaux militaires de
Bouchoucha et Bab Saadoun à Tunis.
Dans ce document, Amnesty International montre comment les normes
internationales en matière d'équité ont été violées à maintes reprises tout au long
de la procédure. Avant d'être inculpés, bon nombre des accusés avaient été
détenus au secret par la police au-delà de la durée maximale de dix jours autorisée
par la législation tunisienne ; les dates d'arrestation ont été falsifiées sur les
documents officiels présentés devant les tribunaux afin de dissimuler l'illégalité de
cette pratique. Les accusés ont affirmé avoir été torturés pendant leur détention et
contraints d'avouer qu'ils avaient participé à un complot contre le gouvernement,
aveux qu'ils ont ensuite récusés à l'audience. Les deux tribunaux militaires les ont
néanmoins condamnés sur la base de ces aveux non corroborés, et n'ont pas
ordonné l'ouverture d'une enquête sur les plaintes pour torture.
Par ailleurs, les représentants d'Amnesty International ayant assisté aux procès en
qualité d'observateurs ont mis en doute l'indépendance et l'impartialité de ces deux
tribunaux en raison de l'attitude systématiquement hostile adoptée à l'égard des
accusés et de leurs avocats.
* La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Tunisia. Heavy sentences after unfair trials. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY
INTERNATIONAL - ÉFAI - octobre 1992.
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
2
Amnesty International lance un appel pour que tous ceux qui ont été reconnus
coupables et condamnés dans cette affaire bénéficient d'un nouveau procès
conforme aux normes internationales en matière d'équité, ou soient libérés.
L'Organisation demande également l'ouverture d'une enquête indépendante et
impartiale sur les irrégularités commises pendant la phase précédant le procès et
sur les plaintes pour torture formulées par les accusés.
AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI
Index AI : MDE 30/23/92
DOCUMENT EXTERNE
Londres, octobre 1992
TUNISIE De lourdes peines à l'issue
de procès inéquitables
Sommaire
Introduction
1. Le contexte
1.1. Le "complot"
1.2. Les préoccupations d'Amnesty International en Tunisie
2. Les irrégularités de la procédure pendant la période précédant les procès
2.1. La détention prolongée au secret et la torture
2.2. Le manque de contacts avec un avocat
3. Les procès devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab
Saadoun
3.1. Le système de justice militaire
3.2. Les tribunaux et les chefs d'accusation
3.3. La disjonction des procédures
3.4. Les interrogatoires individuels
3.5. La formulation vague et imprécise des accusations
3.6. La restriction des contacts entre avocats et clients, ainsi que de l'accès
aux dossiers
3.7. L'absence d'enquêtes sur la détention prolongée au secret durant la
période précédant le procès et sur la falsification des dates d'arrestation
3.8. L'absence d'enquêtes sur les plaintes pour torture
3.9. La présomption de culpabilité
3.10. Le manque de preuves ou de témoins
Conclusions
Recommandations
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
4
Introduction
Les 28 et 30 août 1992, 265 des 279 membres présumés du mouvement islamiste
non reconnu Ennahda (Renaissance) mis en accusation ont été condamnés à des
peines allant jusqu'à la détention à perpétuité à l'issue de deux procès non
conformes aux normes internationales en matière d'équité.
Ces 279 personnes, accusées notamment de complot en vue de renverser le
gouvernement tunisien, ont été jugées, par contumace pour 56 d'entre elles, par
des tribunaux militaires qui siégeaient dans les camps militaires de Bouchoucha et
de Bab Saadoun, deux quartiers de Tunis proches du centre-ville. Bien que
poursuivis pour des infractions similaires, les accusés ont été répartis, sans motif
apparent, en deux groupes qui ont été jugés séparément. Les charges retenues à
leur encontre étaient formulées de manière vague, peu d'accusés se voyant
reprocher des faits précis. Les armes et autres objets présentés au cours du procès
n'ont pas été attribués aux individus en possession desquels ils auraient été saisis.
Les accusés avaient presque tous été détenus au secret pendant des semaines, voire
des mois, au cours desquels ils auraient été torturés ou maltraités pour les
contraindre de signer des procès-verbaux de police dont ils ont ensuite réfuté le
contenu. L'accusation reposait sur des déclarations non corroborées arrachées par
la police sous la torture. Les dates d'arrestation avaient été systématiquement
falsifiées de manière à dissimuler la prolongation de la garde à vue au-delà de la
durée maximale de dix jours prévue par la loi tunisienne. Au moins quatre
personnes interrogées à propos du complot sont décédées dans des circonstances
qui laissent à penser que la torture a causé ou précipité leur mort. La plupart des
accusés n'ont pas été autorisés à rencontrer un avocat pendant leur détention
préventive, qui s'est prolongée dans certains cas jusqu'à dix-huit mois. Les avocats
n'ont pu avoir accès à la procédure ou au dossier de leurs clients que quelques
jours avant l'ouverture du procès. Un seul témoin à charge a été entendu dans le
procès de Bouchoucha et trois dans celui de Bab Saadoun ; aucun d'entre eux n'a
confirmé les accusations. Des éléments qui auraient pu être favorables aux accusés
ont été passés sous silence par le ministère public.
Les procès – dossiers n° 14339 et n° 76111 – se sont respectivement déroulés
devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab Saadoun entre le 9 juillet
et le 30 août 1992. L'accusation avait requis 28 peines de mort, dont 14 par
contumace. Le verdict a été prononcé les 28 et 30 août : 45 accusés ont été
condamnés à la détention à perpétuité (dont 24 par contumace), 220 autres (32 par
contumace) à des peines comprises entre une et vingt-quatre années
d'emprisonnement et 10 ont été acquittés. Quatre accusés avaient bénéficié d'un
non-lieu.
La Cour de cassation peut rendre un arrêt de cassation pour vice de forme et
ordonner un nouveau procès. Dans la mesure où les autorités tunisiennes ont violé
à tous les stades de la procédure le droit des accusés à un procès équitable,
Amnesty International estime que la Cour de cassation aurait dû déclarer nulles
toutes les décisions et ordonner un nouveau procès ou la remise en liberté des
accusés. L'Organisation réclame également l'ouverture sans délai d'une enquête sur
les plaintes formulées pour détention prolongée au secret, pour falsification des
dates d'arrestation, pour torture et morts en garde à vue, et enfin pour absence ou
restriction des contacts entre avocats et accusés.
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
5
1. Le contexte
Le mouvement islamiste Ennahda a remplacé en janvier 1989, en tant que parti
politique, le Mouvement de la tendance islamique (MTI). Son dirigeant, Rachid
Ghannouchi, vit aujourd'hui en exil. Le mouvement a sollicité une reconnaissance
officielle qui ne lui a jamais été accordée ; il a toutefois été autorisé à publier un
journal, Al Fajr (L'Aube), pendant un certain temps en 1990. Des membres
présumés du mouvement Ennahda ont été arrêtés entre 1988 et 1990 et quelques-
uns d'entre eux ont été condamnés à des peines allant jusqu'à trois ans
d'emprisonnement. Plus de 20 cas de tortures infligées à des partisans d'Ennahda
ont été portés à la connaissance d'Amnesty International pendant cette période (cf.
le document intitulé Tunisie. Les principales préoccupations d'Amnesty
International, index AI : MDE 30/03/90).
Les arrestations massives d'islamistes ont débuté en septembre 1990 après la mort
de Tayeb Khammasi, un lycéen abattu par la police au cours d'une manifestation.
Cet événement a provoqué une série d'autres manifestations, qui ont donné lieu à
des interpellations, celles-ci étant à leur tour suivies de manifestations de
protestation. Les arrestations ont continué pendant l'automne. Parmi les personnes
interpellées figuraient des membres présumés d'Ennahda, dont Habib Lassoued,
accusés de participer à des complots en vue de renverser le gouvernement.
Beaucoup de personnes arrêtées dans ce cadre ont été libérées sans inculpation,
souvent après avoir été maintenues en garde à vue prolongée parfois jusqu'à
quarante jours, et avoir été torturées. En février 1991, des sympathisants présumés
d'Ennahda ont lancé une attaque à Bab Souika contre les bureaux du
Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir. Les
assaillants ont laissé deux gardiens ligotés à l'intérieur de l'immeuble, qu'ils ont
ensuite incendié. L'un des gardiens est mort des suites de ses blessures. En mai
1991, 28 personnes jugées pour avoir participé à cette attaque ont été condamnées
à des peines allant jusqu'à trente ans d'emprisonnement. Néanmoins, le ministère
public a interjeté appel et cinq personnes à l'encontre desquelles avaient été
prononcées en première instance des peines de vingt et trente ans
d'emprisonnement ont été condamnées à mort, deux d'entre elles par contumace.
La Cour de cassation a par la suite confirmé les cinq peines capitales et les 23
condamnations à des peines d'emprisonnement, après n'avoir consacré que deux
matinées d'audience aux plaidoiries et avoir délibéré seulement dix minutes. Les
trois condamnés à mort ont été exécutés en octobre 1991.
Au cours des premiers mois de 1991, de nombreuses manifestations violentes ont
eu lieu, opposant le plus souvent des étudiants islamistes aux membres des forces
de sécurité. Les étudiants sympathisants d'Ennahda auraient attaqué les membres
des forces de sécurité en lançant des pierres et des cocktails Molotov. Pour leur
part, les forces de sécurité, parmi lesquelles figuraient des brigades mobiles anti-
émeutes nouvellement créées, ont également attaqué les étudiants, s'en prenant
parfois à des groupes qui tenaient des réunions pacifiques ou occupaient des
locaux universitaires. Un certain nombre d'étudiants auraient été tués par des
membres des forces de sécurité entre janvier et mai 1991.
En mars 1992, plusieurs milliers de membres et sympathisants présumés
d'Ennahda avaient été arrêtés et condamnés à des peines allant jusqu'à trois ans
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
6
d'emprisonnement pour, entre autres, appartenance à une organisation illégale ou
participation à des réunions non autorisées.
Les personnes qui ont comparu en juillet et en août 1992 devant les tribunaux
militaires de Bouchoucha et de Bab Saadoun avaient été arrêtées entre octobre
1990 et septembre 1991 et, plus précisément, entre avril et juin 1991 pour la
plupart. Quelque 300 personnes, dont environ 200 membres des forces de sécurité,
ont été interpellées. Bon nombre d'entre elles ont été maintenues en détention
prolongée au secret pendant de longues périodes. Les membres de leurs familles
qui ont tenté d'obtenir des informations ont été renvoyés d'un bureau à l'autre sans
obtenir aucun renseignement et sans pouvoir entrer en contact avec les prisonniers,
contrairement aux dispositions du droit tunisien et aux normes internationales. Les
avocats ont également été empêchés de rencontrer leurs clients ou se sont vu
refuser les examens médicaux qu'ils avaient sollicités en leur nom conformément
au droit reconnu par l'article 13 bis du Code de procédure pénale (CPP) tunisien.
Le 22 mai 1991, le ministre de l'Intérieur a tenu une conférence de presse au cours
de laquelle il a fait état d'un complot qui aurait été ourdi par le mouvement
Ennahda en vue de renverser le gouvernement. Abdelaziz Mahuashi, un
fonctionnaire du ministère de l'Intérieur appartenant à la sûreté, était déjà mort en
garde à vue, apparemment des suites de torture. Un autre cas de mort en garde à
vue est survenu quelques jours après cette conférence de presse, le 26 ou le 27
mai : il s'agit d'Abdelraouf Laaribi, dont le nom figurait sur une liste de personnes
maintenues en garde à vue prolongée, que des représentants d'Amnesty
International avaient remise le 24 mai au ministre de la Justice. Selon des témoins
oculaires, cet homme aurait été vu couvert de sang alors qu'il était détenu dans les
sous-sols du ministère de l'Intérieur situé avenue Habib Bourguiba à Tunis.
Deux autres personnes sont mortes en garde à vue dans les mois qui ont suivi,
apparemment après avoir été torturées au cours d'interrogatoires portant sur le
complot présumé. Selon les autorités, Ameur Degache se serait suicidé en sautant
d'une fenêtre du ministère de l'Intérieur. Quant à Faisal Barakat, il est mort à
l'intérieur du poste de police de Nabeul des suites de torture. Le gouvernement a
versé une indemnité aux familles d'Abdelaziz Mahuashi, d'Abdelraouf Laaribi et
d'Ameur Degache, mais les conclusions des enquêtes ouvertes sur les
circonstances de leur mort n'ont jamais été rendues publiques. En ce qui concerne
l'enquête sur la mort de Faisal Barakat, il semble qu'elle ait été rouverte en juillet
1992, quatre mois environ après qu'Amnesty International eut soumis aux
autorités tunisiennes l'avis d'un expert sur le rapport officiel d'autopsie. L'expert
indique que la mort de Faisal Barakat « résulte de l'introduction d'un corps
étranger dans l'anus sur une longueur d'au moins 15 centimètres ».
En septembre 1991, une nouvelle vague d'arrestations a eu lieu, après que le
gouvernement eut publiquement accusé Ennahda d'avoir voulu assassiner le
président Zine el Abidine Ben Ali en faisant exploser son avion au moyen d'un
missile Stinger. Le plupart des personnes interpellées ont également été
maintenues en détention prolongée au secret et torturées.
1.1. Le "complot"
Bien que beaucoup de personnes qui ont comparu devant les deux tribunaux
militaires aient été arrêtées à l'automne 1990, ce n'est que le 22 mai 1991 que le
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
7
ministre tunisien de l'Intérieur a fourni des détails sur le présumé complot
d'Ennahda. Il a notamment affirmé qu'après l'élection de Sadok Chourou au poste
d'amir (chef) du mouvement à l'intérieur du pays, lors d'un congrès secret qui
s'était tenu à Sfax en 1988, Ennahda avait créé un certain nombre de cellules
militaires au sein des forces armées. Ces cellules auraient communiqué des secrets
militaires à la direction du mouvement et certains membres de l'organisation
auraient été entraînés au maniement des armes. Selon l'acte d'accusation dressé
pour les procès de 1992, le complot devait se dérouler en cinq étapes. L'objectif
d'Ennahda aurait été de commencer par une préparation psychologique au moyen
de slogans et de tracts antigouvernementaux, puis d'organiser des manifestations
de plus en plus violentes. Les autorités auraient alors appelé l'armée en renfort, et
les sympathisants d'Ennahda au sein de l'armée auraient saisi l'occasion pour
renverser le gouvernement. Selon les autorités, l'attaque contre les bureaux du
RCD à Bab Souika s'inscrivait dans le cadre d'une série d'attaques violentes et
d'actes de sabotage qui devaient viser différents centres et certains établissements
d'enseignement. Le bureau exécutif d'Ennahda aurait toutefois décidé de couper
court aux autres étapes en élaborant un plan exceptionnel qui devait permettre au
mouvement de prendre directement le pouvoir après avoir assassiné le président
de la République et plusieurs ministres. C'est dans le cadre de ce plan qu'Ennahda
aurait fait l'acquisition d'un missile Stinger destiné à détruire l'avion présidentiel.
Selon l'acte d'accusation, il avait également été envisagé d'utiliser des véhicules
emplis d'explosifs ou des commandos suicide pour lancer des attaques contre le
palais présidentiel.
1.2. Les préoccupations d'Amnesty International en Tunisie
Amnesty International a exprimé à plusieurs reprises au gouvernement tunisien
son inquiétude à propos de la détention prolongée au secret de suspects politiques
ainsi que des informations faisant état de recours à la torture, de morts en garde à
vue, de procès inéquitables et d'exécutions. Des représentants d'Amnesty
International se sont rendus en Tunisie en mai 1991 et en juillet 1992 pour
discuter des sujets de préoccupation de l'Organisation avec les autorités
tunisiennes. En juillet 1992, le secrétaire général d'Amnesty International a été
reçu par le président Zine el Abidine Ben Ali ; la délégation a également rencontré
les ministres de l'Intérieur, de la Défense, de la Justice et des Affaires étrangères,
de même que Aiyad Ouaderni, premier conseiller à la Présidence pour les droits de
l'homme, Rachid Driss, président du Comité supérieur des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, ainsi que d'autres conseillers présidentiels et
personnalités. Les autorités avaient alors confirmé que les procès des personnes
inculpées de complot en vue de renverser le gouvernement et d'autres atteintes à la
sûreté de l'État seraient ouverts au public et aux observateurs étrangers. Le
ministre de la Défense s'était engagé à ce que la délégation de l'Organisation
puisse avoir accès sans restrictions aux dossiers ; toutefois les demandes réitérées
en ce sens au cours des trois semaines qui ont suivi, émanant aussi bien des
représentants d'Amnesty International que de ses observateurs aux procès, n'ont
pas abouti.
Trois observateurs d'Amnesty International ont assisté aux procès. Un membre du
Secrétariat international de l'Organisation qui avait participé aux entretiens avec le
gouvernement tunisien a assisté entre le 9 et le 13 juillet aux quatre premières
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
8
audiences du procès de Bouchoucha et à l'ouverture du procès de Bab Saadoun le
10 juillet. Jill Heine, avocat inscrit au barreau de New York, a assisté à plusieurs
audiences du procès de Bouchoucha entre le 21 et le 23 juillet. Ezzat Fattah,
ancien procureur en Égypte et actuellement professeur de criminologie à
l'université Simon Fraser en Colombie britannique, a assisté à des audiences du
tribunal militaire de Bab Saadoun entre le 29 juillet et le 1er août ainsi qu'à une
audience du tribunal militaire de Bouchoucha le 30 juillet.
2. Les irrégularités de la procédure pendant la période précédant les procès
Les normes internationales exigent que les personnes détenues soient informées
sans délai des charges retenues à leur encontre et de leurs droits. Elles prévoient
également que les détenus puissent entrer rapidement en contact avec l'extérieur et
notamment avec leur famille, leur avocat et un médecin indépendant. La torture et
toute forme de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant sont prohibées.
Les accusés s'étaient vu régulièrement refuser ces droits et garanties.
2.1. La détention prolongée au secret et la torture
La grande majorité des accusés jugés lors des deux procès avaient été maintenus
en détention prolongée au secret, parfois pendant plusieurs mois. Ils ont affirmé
qu'on les avait torturés ou maltraités pendant cette période pour leur arracher des
aveux. C'est ainsi que Nejib Louati avait été arrêté en novembre 1990 et maintenu
en garde à vue pendant trois semaines au cours desquelles il avait été torturé. Il
avait ultérieurement été placé en détention préventive jusqu'au 24 avril 1991, dans
la Prison du 9 Avril, à la suite de quoi il avait été remis au secret et aurait été
torturé dans les locaux du ministère de l'Intérieur. La famille de cet homme, qui
n'avait pas été autorisée à lui rendre visite pendant plus de deux mois, a affirmé
qu'il portait des traces de torture sur le corps et la plante des pieds lorsqu'elle a été
finalement autorisée à le voir en juillet. Makhlouf Bouraoui, arrêté le 26 avril
1991, avait été détenu au secret dans les locaux du ministère de l'Intérieur jusqu'à
sa comparution devant le juge d'instruction le 26 juin, soit deux mois plus tard.
Ses proches ont affirmé que, lorsqu'ils avaient été autorisés à lui rendre visite pour
la première fois le 3 juillet 1991, il leur avait paru très malade ; selon eux, il ne
pouvait bouger le bras droit et éprouvait des difficultés à marcher.
La garde à vue prolongée et la torture constituent des violations flagrantes des
traités internationaux auxquels la Tunisie est partie ainsi que des lois et de la
Constitution tunisiennes.
L'article 9-3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR)
dispose à propos de la détention au secret : « Tout individu arrêté ou détenu du
chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge
ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires... »
L'observation générale 8-16 du Comité des droits de l'homme précise le sens de
l'expression « dans le plus court délai » en indiquant que « ces délais ne doivent
pas dépasser quelques jours ».
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
9
Le Code de procédure pénale tunisien, qui permettait jusqu'en novembre 1987 la
garde à vue illimitée, a été modifié par la loi 87-70 de novembre 1987 : la période
pendant laquelle un suspect peut être retenu par la police sans pouvoir entrer en
contact avec sa famille ou un avocat est désormais limitée à dix jours maximum.
Aux termes de cette loi, la garde à vue dans les locaux de police est en fait
normalement limitée à quatre jours, mais une prolongation écrite peut être
accordée par le procureur de la République, « en cas d'absolue nécessité », jusqu'à
un maximum de dix jours.
Les dates d'arrestation des personnes jugées par les tribunaux militaires ont été
systématiquement falsifiées par les autorités, apparemment de façon à dissimuler
leur maintien en garde à vue au-delà de la durée limite de dix jours. Les familles
des détenus et leurs avocats se sont vu refuser tout contact avec eux et les requêtes
qu'ils ont introduites en leur nom pour obtenir des examens médicaux n'ont pas
abouti ; ces droits sont pourtant reconnus aux détenus par le Code de procédure
pénale tunisien.
Presque toutes les personnes arrêtées ont été torturées ou maltraitées dans les
commissariats de police et dans les locaux du ministère de l'Intérieur. Amnesty
International a recueilli des informations circonstanciées qui indiquent que
plusieurs centaines de sympathisants présumés d'Ennahda ont été arrêtés et
torturés depuis 1990. Certains de ces cas sont exposés dans le rapport de
l'Organisation daté de mars 1992 et intitulé Tunisie. Détention prolongée au secret
et torture, index AI : MDE 30/04/92. Au moins huit sympathisants présumés
d'Ennahda sont morts en garde à vue depuis avril 1991 dans des circonstances qui
laissent à penser que la torture a causé ou précipité leur mort. Quatre d'entre eux
ont apparemment été interpellés et torturés dans le cadre de l'affaire du complot
présumé ; il s'agit d'Abdelaziz Mahuashi mort le 29 avril 1991, d'Abdelraouf
Laaribi mort le 26 ou le 27 mai 1991, d'Ameur Degache mort vers le 10 juillet
1991 et de Faisal Barakat mort le 8 octobre 1991. Bien que le nom d'Abdelaziz
Mahuashi ait été mentionné dans des communiqués du ministère de l'Intérieur
relatifs au complot présumé, il est à noter qu'il n'était pas cité dans les actes
d'accusation lus au cours des deux procès qui viennent de se dérouler. Quant aux
charges qui pesaient sur Faisal Barakat, dont le nom figurait sur la liste des
accusés au procès de Bab Saadoun, elles ont officiellement été annulées « pour
cause de décès ».
Après avoir passé des semaines, voire des mois, en détention au secret, les accusés
avaient signé des procès-verbaux de police sur le contenu desquels ils étaient
revenus à l'audience. La plupart d'entre eux avaient comparu devant le juge
d'instruction sans être assistés d'un avocat et ont affirmé qu'ils avaient été menacés
en prison d'être ramenés au ministère de l'Intérieur s'ils tentaient de rétracter les
déclarations enregistrées dans les procès-verbaux précédents. Samir Tili, jugé par
le tribunal militaire de Bouchoucha, a affirmé qu'il avait comparu devant le juge
d'instruction sans être assisté d'un avocat, que ses déclarations lui avaient été
dictées par la police et qu'il les avait apprises par cœur. Chedli Mahfoudh, ancien
employé du ministère de l'Intérieur, a déclaré qu'il avait été torturé pendant sa
garde à vue. Il a ajouté qu'il avait signé le procès-verbal d'interrogatoire devant le
juge d'instruction, car celui-ci l'avait averti qu'il le remettrait en garde à vue s'il
persistait à réclamer un examen médical et refusait de signer.
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
10
2.2. Le manque de contacts avec un avocat
Le principe 18-3 de l'Ensemble de principes des Nations unies garantit « le droit
de la personne détenue ou emprisonnée de recevoir la visite de son avocat et de le
consulter et de communiquer avec lui sans délai ni censure ».
Selon la procédure tunisienne, à la fin de la garde à vue, le dossier du détenu est
transmis au procureur de la République, qui peut désigner un juge d'instruction
chargé d'étudier le dossier. Lors de la première comparution, le juge d'instruction
doit notifier au détenu les charges retenues à son encontre et l'informer de ses
droits, notamment celui d'être assisté d'un avocat (art. 69 du CPP). Le détenu doit
indiquer s'il confirme la teneur des procès-verbaux de police. L'inculpé ayant le
droit d'être assisté d'un avocat pour les interrogatoires, le juge d'instruction ne doit
pas l'interroger lors de la première comparution, sauf si l'inculpé est en danger de
mort imminente ou s'il a été appréhendé en flagrant délit. Si l'inculpé désigne un
avocat, il doit pouvoir le consulter sans restrictions (art. 70 du CPP) et ce dernier
doit être avisé vingt-quatre heures avant tout interrogatoire (art. 72 du CPP).
Le juge d'instruction doit décider s'il faut laisser l'inculpé en liberté ou le placer en
détention préventive. L'article 84 du CPP dispose que la « détention préventive est
une mesure exceptionnelle ».
Tous les accusés jugés dans le cadre des deux procès avaient, sans exception, été
placés en détention après leur première comparution devant le juge d'instruction.
La plupart d'entre eux n'ont pas bénéficié de l'assistance d'un avocat pendant leur
détention préventive, qui a duré dans certains cas jusqu'à dix-huit mois. Quant à
ceux qui avaient été en mesure d'obtenir un avocat, ils n'ont pu avoir avec lui que
des contacts très limités. Les avocats se sont plaints de s'être rendus maintes fois à
la prison sans pouvoir rencontrer leurs clients. Toutefois, lorsque des entretiens
ont pu avoir lieu, ils ont dû se dérouler en présence des gardiens et n'ont duré que
quelques minutes. Hedi Ghali, le premier accusé du procès de Bouchoucha, s'est
plaint de n'avoir pas été autorisé à rencontrer son avocat pendant plus d'un an. De
nombreux accusés ont affirmé qu'ils avaient renoncé à l'assistance d'un avocat car
ils craignaient d'être remis en garde à vue. C'est ainsi que Rida Frigui a déclaré
que lorsqu'il avait demandé au juge d'instruction de lui attribuer un avocat, celui-ci
lui avait dit qu'il resterait en garde à vue jusqu'à ce qu'on lui désigne un conseil ;
cet homme avait alors préféré se passer d'avocat plutôt que de prendre le risque
d'être à nouveau torturé.
3. Les procès devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab Saadoun
3.1. Le système de justice militaire
Selon le Code de justice militaire tunisien, promulgué en 1957 et amendé maintes
fois depuis cette date, tous les membres des forces armées peuvent être jugés par
des tribunaux militaires, quels que soient les faits qui leur sont reprochés. Les
civils accusés d'avoir commis des infractions avec un membre des forces armées
peuvent également être jugés par des tribunaux militaires. Les détenus qui relèvent
de la justice militaire sont officiellement incarcérés dans les mêmes lieux que ceux
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
11
qui relèvent des juridictions civiles ; ils comparaissent cependant devant un
procureur militaire de la République et devant un juge d'instruction militaire.
Les articles 10 à 14 du Code de justice militaire énoncent les diverses dispositions
relatives à la composition des tribunaux militaires. Ceux-ci sont présidés par un
juge civil de la Cour de cassation, assisté de quatre assesseurs appartenant aux
forces armées. Le code dispose que les assesseurs doivent être d'un grade
supérieur à celui de l'accusé du grade le plus élevé.
Les articles 13, 24 et 38 du Code de justice militaire prévoient que les tribunaux
militaires tunisiens appliquent les règles de procédure énoncées par le Code de
procédure pénale. Les condamnés disposent d'un délai de trois jours après le
prononcé du jugement pour former un pourvoi devant la Cour de cassation, qui ne
peut toutefois statuer que sur des questions de procédure. Cela signifie que la
matérialité des faits retenus à l'encontre des accusés n'est plus réexaminée une fois
que le tribunal militaire a rendu sa décision.
3.2. Les tribunaux et les chefs d'accusation
Deux tribunaux militaires ont siégé en même temps dans les camps militaires de
Bouchoucha et de Bab Saadoun, à Tunis.
Lors du procès qui s'est déroulé devant le tribunal militaire de Bouchoucha – le
procès du "groupe de Sadok Chourou" –, 171 accusés, dont 37 jugés par
contumace, étaient poursuivis pour avoir, entre autres infractions, tenté de changer
la forme du gouvernement et comploté contre la sûreté de l'État. Ces crimes sont
passibles de la peine capitale aux termes de l'article 72 du Code pénal tunisien.
Outre les 41 personnes poursuivies de ce chef, les autres, qui étaient accusées de
complicité aux termes des articles 32, 33 et 72 du Code pénal, risquaient
également la peine de mort.
Lors du procès de Bab Saadoun – le procès du "groupe de Habib Lassoued" –, 94
des 108 accusés, dont 19 ont été jugés par contumace, étaient également
poursuivis aux termes de l'article 72 du Code pénal pour avoir comploté contre la
sûreté de l'État et avoir tenté de changer la forme du gouvernement ou, aux termes
des articles 32, 33 et 72, pour complicité, et risquaient la peine de mort.
Il était reproché à l'ensemble des accusés d'avoir aussi fondé une organisation
illégale, de l'avoir fait fonctionner ou d'en avoir été membre. Certains d'entre eux
étaient en outre poursuivis pour d'autres infractions comme le vol ou la détention
d'armes à feu ou d'explosifs.
Les deux présidents – Béchir Kdous pour le tribunal de Bouchoucha et Najib Ben
Youssef pour celui de Bab Saadoun – étaient assistés de quatre assesseurs
appartenant aux forces armées. Ceux-ci n'ont pas été nommément identifiés et on
ignore s'ils avaient reçu une formation juridique ou étaient compétents ; un
document publié par l'Agence de communication extérieure du gouvernement a
cependant précisé que les assesseurs des tribunaux militaires « étaient souvent des
juges recrutés en tant que tels par le ministère de la Défense parmi des juristes
titulaires au minimum d'une maîtrise en droit ».
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
12
3.3. La disjonction des procédures
Les raisons pour lesquelles les autorités ont réparti les accusés en deux groupes
jugés séparément restent peu claires. Les principaux chefs d'accusation étaient les
mêmes dans les deux dossiers. Les personnes jugées dans le procès de
Bouchoucha étaient des civils pour la plupart ; on trouvait parmi eux la quasi-
totalité des dirigeants d'Ennahda, dont Rachid Ghannouchi, qui était l'une des
personnes jugées par contumace. Toutefois, une cinquantaine des accusés
appartenaient à l'armée, à la police ou à l'administration pénitentiaire, ou en
avaient fait partie. Un nombre plus important de militaires ou d'autres
fonctionnaires, en service actif ou ayant appartenu à l'administration, ont comparu
dans le procès de Bab Saadoun, mais des civils membres de la direction
d'Ennahda, comme Ali Laaridh et Ziad Doulatli, figuraient également au nombre
des accusés.
Les avocats de la défense ont demandé la jonction des deux affaires en invoquant
les articles 130 et 131 du Code de procédure pénale, qui disposent que les
infractions commises dans un but commun par plusieurs personnes peuvent être
réunies dans le même dossier. Le caractère artificiel de la division en deux
procédures est apparu lorsque des accusés ont été confrontés à des déclarations
faites par des accusés jugés dans le cadre de l'autre affaire. Les avocats qui
assistaient Ali Laaridh et Sahnoun Jaouhari dans le procès de Bab Saadoun ont
protesté contre l'utilisation à l'encontre de leurs clients d'éléments de preuve et de
documents versés au dossier examiné dans l'autre procès ; leur objection se fondait
sur l'article 151 du Code de procédure pénale, qui prévoit que la décision rendue à
l'issue d'un procès ne doit être fondée que sur les éléments soumis à la discussion
orale pendant ce procès. Toutefois, lorsque le conseil de Sahnoun Jaouhari s'est
élevé contre l'utilisation par le juge d'une déclaration faite par des accusés du
procès de Bouchoucha, le magistrat lui a répondu que la totalité des éléments de
preuve étaient recevables en précisant : « Vous [l'avocat] ne pouvez pas empêcher
le tribunal d'utiliser des éléments de preuve versés à l'autre dossier si, pour des
raisons pratiques, les deux affaires ont été disjointes. »
Les procès se sont respectivement ouverts le 9 juillet devant le tribunal militaire
de Bouchoucha et le 10 juillet devant celui de Bab Saadoun. Les avocats de la
défense s'étant plaints des difficultés considérables qui résulteraient de la
simultanéité des débats, ceux-ci ont été organisés de façon à ce que les deux
juridictions ne siègent généralement pas le même jour.
3.4. Les interrogatoires individuels
L'article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR)
dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la
loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »
L'article 14-3-d prévoit que toute personne accusée « a droit à être présente au
procès ».
Bien que les procès aient été publics et se soient déroulés en présence
d'observateurs étrangers, les observateurs d'Amnesty International estiment que le
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
13
fait que les tribunaux siégeaient dans des camps militaires et que les membres de
ces tribunaux aient manifesté de l'hostilité envers les accusés pendant presque
toute la durée de la procédure avait mis leur impartialité en doute et clairement
indiqué que les accusés ne bénéficieraient pas d'un procès équitable.
Les observateurs étrangers ainsi que les journalistes tunisiens et étrangers
accrédités ont été autorisés à assister aux deux procès après s'être faits enregistrer
auprès de l'Agence de communication extérieure du gouvernement et avoir reçu
un badge. Les proches des personnes jugées à Bouchoucha ont affirmé qu'un
membre de chaque famille était accepté dans la salle d'audience. Les membres des
familles étaient beaucoup moins nombreux à Bab Saadoun, où le nombre de bancs
réservés au public était plus restreint ; on ignore les critères d'admission dans la
salle d'audience. Les deux tribunaux siégeant dans des camps militaires, les
personnes qui ont assisté aux procès ont dû se soumettre à un certain nombre de
contrôles. Le grand public n'était pas admis et les observateurs et journalistes
étrangers n'étaient pas autorisés à être accompagnés d'interprètes. La raison
officielle de ces restrictions était le manque de place. Pourtant, hormis le premier
jour, où tous les accusés détenus, leurs avocats et un certain nombre de
journalistes étrangers étaient présents, de nombreuses places restaient libres.
Le manque de place a également été invoqué par les autorités pour justifier le fait
que les accusés n'aient pas été autorisés à assister à l'intégralité des débats. Ils ont
été amenés un par un dans la salle d'audience pour être interrogés
individuellement en l'absence de leurs coaccusés et ont dû sortir lors de
l'interrogatoire des personnes suivantes. Cette procédure constitue une violation
flagrante des normes internationales en matière d'équité. Elle semble également,
comme l'ont fait observer les avocats de la défense, contraire aux dispositions de
l'article 143 du Code de procédure pénale tunisien, qui dispose : « Les débats sont
publics et ont lieu en présence du représentant du ministère public et des parties. »
Les deux tribunaux ont toutefois rejeté cette objection. Les accusés n'ont donc pas
pu entendre les déclarations faites par leurs coaccusés au sujet de leur rôle
présumé et de leurs activités.
La pratique consistant à interroger les accusés individuellement a entraîné de
nombreuses demandes de confrontation de la part des avocats et de leurs clients.
Les tribunaux y ont accédé dans certains cas seulement, faisant alors comparaître
des accusés ensemble afin de les confronter. Les observateurs d'Amnesty
International estiment que le fait que les accusés n'aient pas été autorisés à
entendre ce que leurs coaccusés disaient à leur propos ni à être présents lorsqu'ils
étaient mis en cause dans des déclarations, ainsi que la difficulté rencontrée, tant
par les accusés que par leurs conseils, pour avoir accès au dossier, ne leur ont pas
permis de préparer efficacement leur défense.
Selon les observateurs de l'Organisation, une atmosphère lourde régnait la plupart
du temps dans le tribunal, ce qui a pu intimider les accusés et leurs conseils. Les
accusés, qui tournaient le dos aux avocats et au public, n'avaient pas la possibilité
de s'entretenir avec leur conseil ni de voir si un de leurs proches était présent sur
les bancs placés au fond de la salle d'audience. Les accusés étaient amenés au
tribunal dès quatre heures du matin et devaient rester en cellule, parfois jusqu'à
dix-huit heures dans la chaleur étouffante du mois d'août. Les accusés, les avocats
et le public ont été filmés par des caméras vidéo et les caméras du tribunal ont été
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
14
fréquemment utilisées. Toutes les personnes qui tentaient de s'entretenir avec des
proches des accusés ont constaté que des individus en civil, apparemment
membres des forces de sécurité, s'approchaient pour écouter la conversation.
3.5. Le caractère vague des accusations
L'acte d'accusation a été lu sommairement par le juge de Bouchoucha et
intégralement par celui de Bab Saadoun (toutefois, certains des accusés,
notamment Ali Laaridh, se sont plaints de n'avoir pas saisi bon nombre de détails
en raison de la rapidité de la lecture). Dans les deux procès, les charges n'ont été
exposées lors de l'interrogatoire individuel des accusés que de manière
extrêmement sommaire. Les articles du Code pénal n'ont jamais été mentionnés et
il n'en a pas davantage été donné lecture. Les accusés n'ont pas eu connaissance
des faits précis qui leur étaient reprochés et qui avaient motivé leur inculpation.
Ceux qui étaient poursuivis pour incitation de l'armée, par exemple, n'ont jamais
su précisément quels contacts ils étaient supposés avoir établis, à quelle date, en
quel endroit et avec qui. On leur a simplement demandé s'ils connaissaient telle ou
telle personne, sans leur préciser quelle forme particulière l'incitation ou
l'instigation avaient pu prendre. D'autres accusés se sont vu reprocher une
incitation au moyen de discours, de tracts ou d'inscriptions sur les murs, mais on
ne leur a pas indiqué quels étaient les termes employés qui constituaient
l'infraction et pour quel motif.
Un grand nombre d'objets, parmi lesquels des fusils, des grenades artisanales et du
matériel de bureau, notamment des photocopieuses et des machines à écrire,
étaient exposés à l'extérieur des salles d'audience de Bouchoucha et de Bab
Saadoun. Ce matériel n'était cependant pas étiqueté et aucun des accusés ne s'est
vu présenter les armes et explosifs ou autres objets qu'on lui reprochait d'avoir eu
en sa possession et qui auraient été saisis. Lorsque l'avocat d'Emad Mansour
(procès de Bab Saadoun) a demandé à voir l'arme dont il était fait état dans
l'interrogatoire de son client, le juge a répondu qu'il ne pouvait pas dire
spontanément où elle se trouvait et qu'il appartenait à l'avocat de trouver le
numéro de scellé sur l'inventaire et d'essayer ensuite de localiser l'arme parmi les
objets exposés. Huit accusés poursuivis pour « vol à main armée » ont été
interrogés ensemble, mais le juge n'a pas précisé lesquels d'entre eux étaient
armés, alors qu'il ressortait clairement de l'interrogatoire que tous ne l'étaient
manifestement pas. Les avocats de la défense ont demandé, tant à Bouchoucha
qu'à Bab Saadoun, des copies des procès-verbaux de saisie dressés par la police
ainsi que des précisions quant aux détenteurs des armes et l'endroit où celles-ci
avaient été saisies ; tous les avocats se sont plaints que les procès-verbaux de
saisie ne figurent pas aux dossiers de leurs clients.
3.6. Les restrictions imposées aux avocats pour rencontrer leurs clients et consulter leurs dossiers
L'article 14 de l'ICCPR dispose : « Toute personne accusée d'une infraction pénale
a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : [...] b) À disposer du
temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer
avec le conseil de son choix... »
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
15
Les accusés qui comparaissaient devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et
de Bab Saadoun ont été privés de la possibilité de préparer véritablement leur
défense. Les avocats, souvent désignés quelques jours seulement avant l'ouverture
du procès, n'ont pas pu rencontrer librement leurs clients ni avoir accès sans
restrictions au dossier. Lors du procès de Bab Saadoun, les accusés, qui n'avaient
dans la plupart des cas pas été autorisés à consulter un avocat pendant toute la
durée de leur détention préventive – soit parfois plus de dix-huit mois –, ont été
privés à l'audience de la possibilité de parler de leur détention ou d'exposer leurs
opinions politiques ou encore leur rôle au sein d'Ennahda.
Les avocats se sont plaints amèrement et régulièrement, tant dans le tribunal qu'à
l'extérieur, des difficultés et des obstacles qu'ils rencontraient lorsqu'ils tentaient
d'entrer en contact avec leurs clients et plus particulièrement de consulter le
volume considérable de documents accumulés sur une période de près de dix-huit
mois. Il était évident pour les observateurs d'Amnesty International que les avocats
ne pouvaient préparer une véritable défense qu'en étant autorisés à consulter
l'intégralité du dossier et à examiner avec soin tous les documents annexes ou
pièces à conviction.
Un représentant de l'Ordre des avocats de Tunis chargé de faire une copie du
dossier a déclaré, lors d'entretiens avec les observateurs de l'Organisation, que
l'Ordre n'avait été informé qu'à la fin de juin 1992 de la possibilité de copier les
pièces de la procédure. Le dossier remplissait 25 cartons. Après avoir trié les
documents, l'Ordre des avocats a constitué un dossier qui contenait les pièces
considérées comme les plus importantes pour les avocats de la défense. Chaque
avocat n'a toutefois reçu que le dossier de son propre client et, comme le dossier
complet n'était fourni qu'aux membres de l'Ordre, les avocats qui souhaitaient en
obtenir une copie auraient dû consacrer plus d'une journée à la faire eux-mêmes.
Les avocats de la défense ont donc reçu, deux ou trois jours seulement avant
l'ouverture des procès, des dossiers ne contenant que les documents censés
concerner directement leurs propres clients. Comme la plus grande partie des
accusations reposaient sur des déclarations dans lesquelles certains des accusés en
auraient incriminé d'autres, les avocats de la défense se sont plaints à l'audience de
n'avoir pu obtenir une copie de l'intégralité du dossier. Lors de l'ouverture du
procès de Bouchoucha le 9 juillet, les avocats ont sollicité le renvoi afin de
disposer du temps nécessaire pour rencontrer leurs clients et étudier le dossier. Les
tribunaux tunisiens accordent généralement le renvoi demandé par la défense,
même lorsqu'une seule personne est en cause et qu'il s'agit de faits moins
compliqués et passibles de peines moins lourdes que dans le procès de
Bouchoucha. Le président n'a pourtant accepté qu'un ajournement d'une demi-
journée. Dans le procès de Bab Saadoun, les avocats ont argué du fait qu'il leur
était impossible de défendre correctement leurs clients si les deux procès se
déroulaient en même temps et le renvoi leur a été accordé.
Le président du tribunal militaire de Bouchoucha avait annoncé une suspension
avant le début des plaidoiries, mais l'interrogatoire des accusés a été terminé avant
que les avocats n'aient eu accès au dossier dans son intégralité et n'aient disposé
du temps suffisant pour le consulter afin d'avoir une vue d'ensemble des éléments
de preuve. Comme l'a écrit l'un des observateurs d'Amnesty International au
procès : « Il semble évident que la consultation du dossier doit intervenir avant que
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
16
les accusés n'aient été interrogés sur les charges ou qu'on leur ait présenté les
éléments retenus à leur encontre, et non après. »
Les contacts des avocats avec leurs clients, qui n'avaient dans bien des cas pu
avoir lieu pendant la détention préventive, ont été restreints pendant le procès de
Bouchoucha. Le premier renvoi, d'une demi-journée, avait pour objet de permettre
à l'avocat de Hedi Ghali, qui n'avait pas rencontré son client au cours de l'année
précédente, de s'entretenir avec lui avant son interrogatoire. Bien que le juge ait
promis aux avocats qu'ils pourraient s'entretenir librement avec leurs clients, le
conseil de Hedi Ghali n'a pas pu rencontrer le sien l'après-midi même dans la
Prison du 9 Avril. Il a tenté de le voir le lendemain matin avant le début de
l'audience, mais n'a été autorisé à lui parler que pendant moins de cinq minutes
dans une pièce où se trouvaient des membres de la police militaire. Ce n'est qu'à la
suite d'une intervention du bâtonnier que les avocats ont été autorisés à rencontrer
leurs clients sans témoins. Par ailleurs, une avocate a affirmé qu'on lui avait
interdit d'entrer dans la prison parce qu'elle était voilée.
Tous les accusés n'étaient pas assistés d'un avocat. Un certain nombre de ceux qui
étaient jugés à Bouchoucha, entre autres Ali Chniter, Sahbi Atig, Karim Harouni,
Noureddine Amrouni, Abdelmajid Jlasi et Mohamed Mahjoub, qui avaient
initialement refusé de parler parce qu'ils n'avaient pu consulter leur avocat, ont été
rappelés pour être interrogés. Bien que Karim Harouni ait déclaré qu'il n'avait
toujours pas rencontré son avocat, le tribunal l'a interrogé en lui lisant à voix haute
les déclarations qu'il était censé avoir faites devant les policiers et le juge
d'instruction.
Dans certains cas, il était patent que les avocats de la défense, soit en raison des
restrictions qui leur étaient imposées pour rencontrer les accusés et consulter les
dossiers, soit par manque de temps, ne connaissaient pas parfaitement les charges
qui pesaient sur leurs clients. D'autres avocats ont dû, dans un temps trop bref,
prendre connaissance à la fois de la nature des accusations et des éléments de
preuve disponibles. C'est ainsi que tard dans la soirée du 1er août, le tribunal a
décidé de ne suspendre l'audience qu'après avoir terminé l'interrogatoire de tous
les accusés. Certains des avocats commis d'office étant absents, le juge a sollicité
la collaboration de ceux qui étaient présents, en leur demandant de se substituer à
leurs confrères. Dans de telles circonstances, il est évident que les accusés ne
pouvaient bénéficier d'une assistance adéquate.
Des avocats commis d'office assistaient bon nombre des accusés. Désignés par la
section de Tunis de l'Ordre des avocats, ils n'avaient été informés qu'à la fin de
juin 1992 que 148 accusés avaient besoin d'avocats. Dans un premier temps, la
plupart des avocats commis d'office étaient des stagiaires. Un représentant de
l'Ordre des avocats a déclaré à Amnesty International que cela tenait au fait que de
nombreux avocats plus expérimentés avaient prévu de prendre leurs vacances ou
devaient plaider d'autres affaires à la date des procès. Cependant, des plaintes
ayant été formulées, un certain nombre d'avocats plus expérimentés ont été
désignés. Les observateurs de l'Organisation ont constaté que, par rapport aux
avocats choisis par les accusés, les avocats commis d'office n'intervenaient que
sporadiquement, parlaient peu et limitaient généralement leurs demandes au
minimum. Ils ne protestaient que rarement lorsque, comme ce fut le cas à Bab
Saadoun, le président ne cessait d'interrompre leurs clients ou de les réprimander.
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
17
Les avocats commis d'office se contentaient presque toujours de réclamer un
examen médical et/ou une confrontation avec les accusés qui auraient mis leurs
clients en cause.
Selon un observateur d'Amnesty International : « S'il existait un doute quant à la
différence de la qualité de la défense des intérêts d'un accusé du fait de la
présence d'avocats choisis par lui, s'agissant notamment d'avocats de renom, ce
doute aurait été balayé lors de l'interrogatoire d'Ali Laaridh. Cet homme était
assisté de plusieurs avocats, dont certains des plus connus bondissaient chaque
fois que le président essayait de l'interrompre ou de le faire taire. Ali Laaridh a
donc réussi à s'exprimer bien plus longtemps que tout autre accusé sur les
charges retenues à son encontre. Son interrogatoire a duré trois heures, soit
beaucoup plus que les vingt ou trente minutes consacrées à la plupart des autres
personnes jugées. Dans l'ensemble, sans aucun doute du fait de la présence des
avocats et de leurs protestations, le président a fait preuve d'une plus grande
retenue lors de l'interrogatoire d'Ali Laaridh que lors de celui de tout autre
accusé auquel il m'a été donné d'assister. »
Au cours du procès, les avocats de la défense ont adressé un certain nombre de
requêtes, oralement et par écrit, au tribunal. Ils ont notamment demandé que les
deux procédures soient jointes, que tous les accusés assistent à l'ensemble des
débats et qu'ils puissent être confrontés aux témoins à charge, y compris lorsqu'il
s'agissait de coaccusés. Les avocats ont également demandé à consulter les
registres de la police afin d'enquêter sur les plaintes formulées pour garde à vue
prolongée ; ils ont réclamé un examen médical de leurs clients et la comparution à
titre de témoins du ministre de l'Intérieur et de Rachid Driss, le président de la
commission désignée par le gouvernement en juin 1991 pour enquêter sur les
plaintes pour torture. Conformément à l'article 199 du Code de procédure pénale,
qui dispose que « tous les actes et décisions contraires aux règles de procédure de
base et aux intérêts légitimes de la défense » sont nuls, ils ont aussi sollicité un
nouveau procès en raison des transgressions répétées de la durée maximale de dix
jours de la garde à vue.
3.7. L'absence d'enquêtes sur la détention prolongée au secret durant la période précédant le procès et sur la falsification des dates d'arrestation
Les tribunaux de Bouchoucha et de Bab Saadoun n'ont pas examiné les preuves de
la falsification systématique des dates d'arrestation en vue de dissimuler la
détention prolongée au secret.
L'exemple de certaines personnes interrogées les 20 et 21 juillet par le tribunal de
Bouchoucha illustre l'ampleur des divergences entre la date réelle d'interpellation
et celle portée sur les procès-verbaux de police. Ali Ben Hrabi a affirmé qu'il avait
été arrêté le 6 avril 1991, mais le procès-verbal figurant au dossier mentionne le
10 juin 1991. Ali ben Ammar Chniter a déclaré qu'il avait été arrêté le 13 avril
1991, toutefois le procès-verbal porte la date du 28 juin 1991. Noureddine
Amrouni a affirmé qu'il avait été interpellé le 8 juillet 1991, mais selon le procès-
verbal il n'aurait été arrêté que le 17 août 1991.
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
18
Abdellatif Mekki, ancien secrétaire général de l'Union générale tunisienne des
étudiants (UGTE), syndicat étudiant dominé par les islamistes, a déclaré qu'il avait
été arrêté le 14 mai 1991. Sa famille a adressé une lettre recommandée aux
autorités le 18 mai 1991 pour s'enquérir de son sort. Quatre jours plus tard, le 22
mai, Abdallah Kallel, le ministre de l'Intérieur, a publiquement annoncé
l'arrestation de cet homme au cours d'une conférence de presse convoquée pour
dénoncer le présumé complot d'Ennahda. La date d'arrestation figurant sur le
procès-verbal est toutefois le 11 juillet 1991.
Ajmi Lourimi, membre du Majlis ech Choura (conseil exécutif) d'Ennahda, a été
arrêté le 4 avril 1991. Son cas a été rendu public par Amnesty International le
19 avril, soit quatre jours après l'expiration de la durée maximale légale de la garde
à vue. Sur la base du récit d'un témoin oculaire, l'Organisation exprimait sa
préoccupation à propos d'informations selon lesquelles cet homme avait été
torturé. Les délégués d'Amnesty International qui se sont rendus en Tunisie en mai
1991 ont évoqué la détention prolongée au secret d'Ajmi Lourimi avec des
ministres et des personnalités gouvernementales. Cet homme a enfin été présenté
pour la première fois au juge d'instruction le 9 juin 1991, après avoir été maintenu
au secret pendant deux mois. Les autorités tunisiennes ont affirmé au cours de
l'année qui a suivi qu'Ajmi Lourimi niait avoir été torturé ; cet homme a toutefois
affirmé lors de son procès qu'il avait été arrêté le 4 avril 1991 et torturé pendant sa
détention. Le juge n'a cependant ordonné aucune enquête.
3.8. L'absence d'enquêtes sur les plaintes pour torture
Les informations parvenues à Amnesty International au cours des trois dernières
années prouvent sans conteste que la détention prolongée au secret est
fréquemment utilisée pour favoriser la torture. Dans les procès qui se sont
déroulés récemment, la détention au secret semble avoir été pratiquée pour torturer
ou maltraiter les détenus en vue d'obtenir les aveux sur lesquels a reposé
l'accusation.
Le gouvernement tunisien a ratifié en 1988 la Convention des Nations unies
contre la torture, dont aucun des articles ne peut être soumis à dérogation quelles
que soient les circonstances. L'article 12 de cette convention dispose : « Tout État
partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une
enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un
acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. »
L'ICCPR et la Convention contre la torture prévalent sur la législation nationale,
ainsi que cela a été rappelé lors de la ratification de ces deux instruments par la
Tunisie et comme le prévoit l'article 32 de la Constitution tunisienne. L'
« inviolabilité de la personne humaine » est garantie par l'article 5 de cette même
constitution. Par ailleurs, les articles 101 et 103 du Code pénal disposent que les
fonctionnaires qui usent de violence contre un individu ou le privent
arbitrairement de la liberté sont passibles d'une peine allant jusqu'à cinq ans
d'emprisonnement.
Cependant, les tribunaux de Bouchoucha et de Bab Saadoun se sont montrés
indifférents aux plaintes pour torture formulées par les accusés. Comme l'a écrit le
professeur Fattah, observateur d'Amnesty International au procès de Bab Saadoun :
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
19
« Un observateur averti (et même une personne non avertie) ne pouvait manquer
de constater que certains des accusés n'étaient pas dans une condition physique
excellente ni même normale. Bien qu'aucun d'entre eux n'ait dû être porté ou
amené dans un fauteuil roulant jusqu'à la salle d'audience, certains éprouvaient
des difficultés à marcher. D'autres, qui ne pouvaient pas rester debout pendant
leur interrogatoire, ont demandé l'autorisation de s'asseoir, qui leur a été
accordée [...] Il faut également noter que bon nombre de ceux qui ne présentaient
pas de signes visibles de douleur ou d'infirmité se sont plaints d'avoir été torturés
par les membres des forces de sécurité. D'autres ont affirmé qu'ils avaient été
menacés par les policiers et le juge d'instruction. En réalité, pendant que je me
trouvais dans la salle d'audience, très rares ont été les personnes interrogées qui
n'ont pas fait état de contrainte, bien que la question n'ait été posée à aucune
d'entre elles. »
Les accusés qui ont comparu devant le tribunal de Bouchoucha ont été
fréquemment autorisés à évoquer longuement leur détention au secret et les
tortures qui leur avaient été infligées, mais ce ne fut pas le cas pour les personnes
jugées par le tribunal de Bab Saadoun. Selon un observateur d'Amnesty
International qui a assisté au procès qui s'est déroulé dans ce dernier tribunal,
« aucun des accusés qui se sont plaints d'avoir été torturés ou menacés n'a été
interrogé sur les détails, les méthodes, les modalités et les circonstances dans
lesquelles les tortures auraient été infligées ; on ne leur a pas davantage demandé
s'ils pouvaient identifier leurs tortionnaires ni si l'un de leurs coaccusés avait été
témoin des faits ou en avait eu connaissance ». Ceux qui ont tenté d'expliquer au
tribunal « comment ils avaient été torturés ont été immédiatement interrompus par
le président et n'ont pas pu s'exprimer. Certains ont toutefois réussi, avant d'être
interrompus ou en dépit des tentatives pour les réduire au silence, à dire comment
ils avaient été déshabillés et suspendus par les pieds pendant des heures, ou à
décrire les sévices sexuels qu'ils avaient subis. Lotfi El Amdouni a juste pu dire
qu'il avait été brûlé au fer rouge avant d'être interrompu par le président ».
« Le juge a constamment affirmé qu'il suffisait que les accusés disent que leurs
déclarations avaient été obtenues sous la contrainte ou la menace et que les
détails et les modalités n'étaient ni importants ni pertinents. Chaque fois que l'un
des accusés tentait de montrer au juge des traces de torture, celui-ci l'en
empêchait en lui disant qu'il n'était pas expert en médecine. Bien que le président
ait accepté, devant l'insistance des avocats, qu'il soit fait état de torture dans le
procès-verbal, il a catégoriquement refusé que les détails soient exposés
oralement et encore moins retranscrits. Ce fut notamment le cas lorsque l'un ou
l'autre des accusés affirmait que ses proches parentes avaient été humiliées par
des membres de la sûreté, notamment en étant déshabillées ou insultées en sa
présence. Plutôt que d'ordonner l'ouverture d'une enquête, le magistrat a menacé
les accusés de les inculper de diffamation ou d'outrage envers les forces de
sécurité. Emad Mansour a reçu la même menace quand il a affirmé que Faisal
Barakat avait été tué par des membres des forces de sécurité. »
L'observateur de l'Organisation a ajouté que le président « avait systématiquement
refusé de faire examiner les accusés par un médecin, sauf lorsqu'ils affirmaient
avoir toujours des traces de torture, dix-huit mois après les faits. Par conséquent,
les plaintes formulées par ceux qui ne présentaient pas de cicatrices ou qui ont été
victimes de tortures psychologiques ne seront pas suivies d'enquêtes ».
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
20
Comme nous l'avons indiqué plus haut, certains des accusés ont affirmé que
lorsqu'ils avaient comparu devant le juge d'instruction et avaient sollicité un
examen médical ou l'assistance d'un avocat, le juge leur avait répondu que cela
impliquait leur replacement en garde à vue en attendant d'être examinés par un
médecin ou de pouvoir rencontrer un avocat. Les accusés ont déclaré que,
craignant d'être à nouveau torturés en garde à vue, ils s'étaient résignés à ne pas
réclamer d'examen médical et à se passer de l'assistance d'un avocat. Sahbi Atig,
qui comparaissait devant le tribunal de Bouchoucha, a affirmé que son avocat
n'était pas présent lors de sa première comparution devant le juge d'instruction et
que, lorsqu'il avait réclamé un examen médical ainsi que la possibilité de
rencontrer son conseil, il avait été remis en garde à vue et ramené dans les locaux
du ministère de l'Intérieur, où on l'avait, selon ses dires, atrocement torturé.
Les plaintes concernant la détention au secret et la torture avaient été soumises à la
Commission Driss, instaurée en juin 1991, et qui avait rendu son rapport au
président Ben Ali en septembre 1991. Les juges de Bouchoucha et de Bab
Saadoun ont déclaré aux accusés que la Commission Driss avait été créée un an
auparavant pour enquêter sur les plaintes pour torture et qu'il n'était donc pas
nécessaire qu'elles soient examinées par le tribunal. Toutefois, ni le rapport de la
commission ni la liste des détenus qu'elle avait interrogés ou examinés n'ont été
rendus publics et on ignore donc dans quelle mesure la commission d'enquête a
reconnu que certains des accusés avaient été torturés. Les démarches entreprises
par les avocats pour que le rapport de la Commission Driss soit joint au dossier
n'ont pas abouti.
Au cours des procès, les autorités tunisiennes ont prétendu que les accusés avaient
reçu pour instructions, dans le cadre d'un plan de défense élaboré par Ennahda, de
dire qu'ils avaient été torturés. Elles ont précisé que ces instructions étaient
contenues dans le "document n° 24" rédigé par le mouvement. Amnesty
International n'a toutefois pas encore réussi à obtenir des autorités une copie de ce
document. Il semble étonnant, alors que les autorités nient catégoriquement que
des tortures aient été infligées, qu'elles fassent preuve d'une telle réticence pour
ordonner des enquêtes exhaustives et impartiales sur les plaintes pour torture
formulées par les sympathisants d'Ennahda. Il est tout aussi surprenant que les
tribunaux aient eu le même comportement s'ils étaient persuadés que les
accusations étaient mensongères. Amnesty International pense que la conclusion
la plus évidente que l'on puisse en tirer est que les autorités savaient pertinemment
que les détenus avaient été torturés et qu'elles ont constamment cherché à
dissimuler ce fait.
Les juges de Bouchoucha et de Bab Saadoun ont fini par accepter, après les
demandes réitérées d'examen médical déposées par les avocats de la défense, que
les accusés qui présentaient toujours, plus d'un an après les faits, des traces de
tortures présumées soient examinés par des médecins. Parmi les 69 personnes
examinées figurait Abdellatif Mekki, cité plus haut, et dont la date officielle
d'arrestation était postérieure de deux mois à la date réelle – le 14 mai 1991 – et de
plus de six semaines à l'annonce publique de son interpellation par le ministère de
l'Intérieur. Cet homme a dit lors de son interrogatoire par le tribunal le 20 juillet
qu'il avait été torturé pendant sa détention prolongée au secret dans les locaux du
ministère de l'Intérieur. Il a affirmé avoir reçu des coups sur les oreilles et les
organes génitaux et a ajouté qu'il avait signé le procès-verbal sans même l'avoir lu,
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
21
après avoir été torturé et menacé d'autres sévices. Abdellatif Mekki a déclaré qu'un
autre étudiant détenu au même étage était mort des suites de torture et qu'il avait
craint de subir le même sort s'il refusait de signer le procès-verbal.
L'examen médical pratiqué le 28 juillet sur Abdellatif Mekki par trois professeurs
de médecine a révélé, outre la présence d'un ulcère probablement lié à la tension
nerveuse, « une atrophie du testicule gauche avec hydrocèle » et « des cicatrices
correspondant à des lésions traumatiques anciennes sur différentes parties du
corps, sans qu'il soit possible d'en déterminer la date exacte ». Un médecin légiste
qui a examiné le rapport pour l'Organisation a fait observer que « [les trois
professeurs] avaient interprété leurs conclusions sans tenir compte du récit fait
par la victime. S'ils avaient choisi de le faire, ils auraient pu facilement décider si
les cicatrices pouvaient ou non correspondre aux dires de la victime. En prenant
le parti de ne pas le faire, ils ont sciemment rendu leur examen inutile ».
3.9. La présomption de culpabilité
L'article 14-2 de l'ICCPR dispose : « Toute personne accusée d'une infraction
pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie. »
La présomption d'innocence est également garantie par l'article 12 de la
Constitution tunisienne, qui dispose : « Tout prévenu est présumé innocent jusqu'à
l'établissement de sa culpabilité à la suite d'une procédure lui offrant les
garanties indispensables à sa défense. »
Les accusés sur lesquels pèsent de lourdes charges, dont certaines sont passibles
de la peine capitale, devraient avoir la garantie d'être jugés par un tribunal
indépendant et impartial. Cela est tout particulièrement important dans les procès
politiques, où l'État, qui mène l'accusation, est également présent en tant que
victime.
Le magistrat qui présidait le tribunal de Bouchoucha a mis l'accent, lors de
l'ouverture du procès et à plusieurs reprises au cours des débats, sur son désir
d'ouverture et s'est déclaré prêt à écouter les doléances des accusés et de leurs
conseils. Les accusés jugés à Bouchoucha ont donc eu la possibilité de s'exprimer
longuement pendant leur interrogatoire et de décrire les tortures qui leur avaient
été infligées ainsi que les irrégularités de procédure relevées pendant la période de
détention précédant le procès.
Cependant, à Bab Saadoun, les accusés ont été traités comme si leur culpabilité
était déjà établie. L'observateur d'Amnesty International qui a assisté au procès a
déclaré : « Le juge posait les questions d'une manière qui était très intimidante
pour les accusés [...] Il a, un nombre incalculable de fois, exprimé son indignation
face à ce qui leur était reproché, en faisant des commentaires personnels (parfois
sarcastiques). Il posait des questions manifestement orientées, de manière à faire
apparaître la moindre reconnaissance partielle des faits comme un aveu de
l'ensemble des charges [...] Le juge accordait une confiance illimitée au contenu
des procès-verbaux de police et à ceux de l'instruction, bien que les accusés ne
cessent de se plaindre d'avoir fait des aveux sous la torture ou d'avoir signé sous
la contrainte. Les déclarations des accusés à l'audience qui ne correspondaient
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
22
pas à celles qu'ils auraient faites devant la police ou le juge d'instruction étaient
accueillies avec incrédulité, scepticisme, voire tournées en dérision. »
3.10. Le manque de preuves ou de témoins
L'accusation reposait presque exclusivement dans les deux procès sur des aveux
non corroborés qui, selon les accusés, leur avaient été arrachés sous la torture ou
étaient faux. Un seul témoin à charge a été entendu à Bouchoucha et trois à Bab
Saadoun. Aucun n'a confirmé les accusations de participation à un complot en vue
de renverser le gouvernement. Les accusés ont déclaré que le ministère public
avait passé sous silence les éléments qui auraient pu leur être favorables.
Le deuxième jour du procès de Bouchoucha, le ministère public a tenté de réfuter
les affirmations des accusés selon lesquelles leurs déclarations avaient été
obtenues sous la contrainte, en présentant au tribunal un enregistrement vidéo des
accusés au moment où ils étaient supposés faire des aveux. Les avocats de la
défense se sont opposés à cette initiative, déclarant qu'il s'agissait d'un élément
totalement nouveau qui ne figurait pas au dossier. Ils ont indiqué, comme leurs
clients, que rien ne permettait de savoir à quel moment le film avait été réalisé et
s'il s'agissait de déclarations recueillies par la police ou par le juge d'instruction.
Les accusés semblaient figés et avaient le regard fixé sur l'enregistrement. Hedi
Ghali a fait observer que seule la partie supérieure de son corps apparaissait à
l'écran et que, si on avait montré ses membres inférieurs, des traces de torture
auraient été visibles. Le tribunal a fait droit à la requête de la défense et
l'accusation a retiré les films.
Un témoin à charge a été entendu à Bouchoucha et trois à Bab Saadoun.
Abdelkader Jdidi, le témoin à charge de Bouchoucha, s'est présenté dans la salle
d'audience sans avoir été régulièrement cité ; il a toutefois été autorisé à faire une
déposition à la demande du ministère public. Cet homme a déclaré qu'il avait
assisté à une réunion importante d'Ennahda, mais qu'il n'avait pas été question de
complot en vue de renverser le gouvernement. Selon les personnes présentes, il a
fondu en larmes durant son témoignage et a été récusé par l'accusation. La défense
a ultérieurement demandé qu'il soit rappelé pour être entendu comme témoin à
décharge, mais le tribunal a refusé.
Deux des trois témoins de l'accusation à Bab Saadoun travaillaient dans des
carrières et l'un d'entre eux a identifié un des 108 accusés comme ayant utilisé des
explosifs dans le cadre de son travail. Le troisième témoin, qui était policier, a
affirmé avoir été attaqué par des personnes dont le visage était recouvert d'une
cagoule. La défense a demandé la citation d'un certain nombre de témoins à
décharge, parmi lesquels Rachid Driss, qui avait présidé la commission chargée
d'enquêter l'année précédente sur la détention prolongée au secret et sur les
tortures infligées à certains des accusés. Ces demandes ont été rejetées.
Quelques-uns des accusés ont affirmé que la police avait fait une sélection
minutieuse des éléments de preuve, en laissant de côté tous ceux qui auraient pu
atténuer les charges. Ali Laaridh s'est plaint devant le tribunal de Bab Saadoun que
la police avait saisi des cassettes dans lesquelles il prônait la patience et la
tolérance, mais qu'elles ne figuraient pas parmi les éléments fournis au tribunal par
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
23
l'accusation, car elles n'allaient pas dans le sens de la thèse du ministère public.
L'un des avocats a demandé que ces cassettes soient versées au dossier, mais le
juge a refusé au motif qu'il n'existait pas d'autre preuve de leur existence que les
assertions de l'accusé. L'avocat a plaidé que la police ne cherchait pas à recueillir
des éléments favorables à la défense et a fait observer que le tribunal devait réunir
tant les éléments à charge que ceux à décharge ; le juge a refusé de répondre.
Conclusions
1. Pratiquement tous les dirigeants d'Ennahda, y compris ceux qui vivent à
l'étranger, ont été jugés par les tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab
Saadoun. Les procès ont fourni à l'État l'occasion d'essayer de présenter des
éléments de nature à prouver qu'Ennahda est une organisation qui tente de
renverser le gouvernement par la violence. Les observateurs d'Amnesty
International ayant assisté aux procès pensent qu'aucun élément convaincant
n'a été présenté pour prouver qu'un tel complot ait existé.
2. La plupart des personnes jugées avaient été détenues illégalement au-delà de la
limite de dix jours prévue par la loi tunisienne pour la garde à vue ; elles
affirment qu'on les a torturées ou maltraitées pendant cette période pour leur
arracher des aveux. Les dates d'arrestation ont été falsifiées en vue de
dissimuler la détention prolongée au secret. Les autorités ne semblent pas avoir
pris d'initiatives pour expliquer ce recours systématique à la détention illégale
au secret ou pour que ceux qui l'avaient imposée ou avaient falsifié les dates
d'arrestations de manière à dissimuler cette pratique aient à répondre de leurs
actes.
3. De nombreux accusés se sont plaints d'avoir été torturés ou maltraités pour
signer des aveux mensongers. Aucune de ces plaintes n'a cependant fait l'objet
d'une enquête satisfaisante et les tribunaux ont retenu à titre de preuve les
aveux contestés. C'est sur la base de ces aveux qu'ils récusaient que les accusés
ont été condamnés.
La Commission Driss, nommée en juin 1991, a enquêté sur les plaintes pour
torture formulées par des prisonniers politiques, mais ses conclusions n'ont
toujours pas été rendues publiques par le gouvernement. S'agissant de la seule
enquête qui ait été effectuée, il est impératif que le rapport intégral de la
commission et ses conclusions soient rendus publics sans délai.
4. Les récents procès ne se sont pas déroulés conformément aux normes
internationales. La plupart des accusés se sont vu refuser tout contact avec
leurs conseils durant la période précédant les procès et les avocats n'ont pas
bénéficié des facilités requises pour leur permettre de défendre correctement
leurs clients à l'audience. L'endroit où siégeaient les tribunaux, l'attitude des
présidents et l'atmosphère qui régnait dans les salles d'audience laissent à
penser que les magistrats n'étaient pas impartiaux et que les accusés ne
pouvaient pas bénéficier d'un procès équitable. La disjonction de la procédure
semble avoir eu pour objet de rendre la tâche particulièrement difficile aux
avocats et aux accusés. Le fait que les tribunaux se soient abstenus d'enquêter
de manière exhaustive sur les plaintes pour torture formulées par les accusés et
qu'ils aient été apparemment enclins à accepter sans restriction des aveux non
TUNISIE. De lourdes peines à l'issue de procès inéquitables MDE 30/23/92 - ÉFAI -
24
corroborés et contestés indique également que les accusés n'ont pas bénéficié
d'un procès équitable. Ce sujet de préoccupation est renforcé par l'absence
d'autres éléments de preuve et notamment de témoins à charge.
Recommandations
Au vu des conclusions et constatations ci-dessus, Amnesty International prie
instamment les autorités tunisiennes de prendre immédiatement des mesures pour
:
1. ordonner un nouveau procès qui se déroulerait conformément aux normes
internationales ou remettre en liberté toutes les personnes déclarées coupables
et condamnées à des peines d'emprisonnement à l'issue des procès qui se sont
déroulés récemment devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et Bab
Saadoun ;
2. effectuer une enquête exhaustive, indépendante et impartiale, dont les
conclusions devraient être rendues publiques, sur les irrégularités durant la
période précédant le procès et notamment la détention prolongée au secret, la
falsification des dates d'arrestation et le manque de contacts entre les détenus
et leurs avocats. Les personnes coupables de violation des droits des détenus
devraient être identifiées et faire l'objet de poursuites pénales ou de mesures
disciplinaires ;
3. faire en sorte que toutes les plaintes pour torture formulées par les accusés
fassent sans délai l'objet d'une enquête exhaustive et impartiale. Cette enquête
devrait également porter sur les circonstances de la mort en garde à vue de
Faisal Barakat et d'autres détenus.
Les conclusions de cette enquête devraient être rendues publiques, de même que
celles de la Commission Driss. Les tortionnaires présumés devraient être traduits
en justice et leurs victimes indemnisées.
La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Tunisia. Heavy Sentences after Unfair Trials. Seule la version anglaise fait foi.
La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - octobre 1992.
Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à :