Un Nouveau Paradigme Pour La Politique Énergétique Européenne

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    Un nouveau paradigme pour la politique nergtique europenne ?(2me partie)

    Thomas Veyrenc : Ingnieur Suplec, MSc University College London, et diplm del'Institut d'Etudes politiques de Paris (Sciences Po), il travaille dans l'industrie lectrique.Il est Matre de confrences Sciences Po (conomie), et enseigne la libralisation dusecteur nergtique Suplec.

    Rsum :

    En 2009, lUnion europenne sest dote dun cadre dorganisation du secteurnergtique entirement nouveau avec le 3epaquet nergie . Sagit-il dun tournanten matire de politique nergtique pour lUnion ? En poussant un stade encore plusavanc le modle canonique de libralisation des industries de rseau selon la voiehabituellement suivie par la Commission europenne depuis une dizaine dannes, lesnouveaux textes adopts constituent, premire vue, un approfondissement dumouvement luvre depuis la fin des annes 1990. Une tude plus attentive permetnanmoins et cest le plus intressant dy dceler des dispositions susceptibles dervler une inflexion par rapport un modle appliqu auparavant avec succs auxtlcommunications mais avec des rsultats plus contrasts dans lnergie. Au momento lnergie prend une place croissante dans lagenda europen, il convient danalysercette inflexion, et ce quelle signifie pour la politique nergtique europenne en gnral.

    Deux ruptures sont venues modifier le cadre de rfrence de la politique de libralisationentame dans les annes 1990. Au cours des annes 2000, la lutte contre lerchauffement climatique sest progressivement affirme comme une priorit politique delUnion tandis que sont apparues des craintes quant la scurit des approvisionnementsnergtiques europens. La ncessit dintgrer ces nouveaux lments conduit poserfrontalement la question de la cohrence de la politique nergtique europenne qui faitface des enjeux et des attentes de nature htrogne. Linclusion dun article ddi lnergie dans le Trait de Lisbonne ne permettra pas lui seul de faire converger cesattentes parfois contradictoires.

    3. Lmergence des proccupations relatives la scurit dapprovisionnementnergtique la politique europenne de lnergie face au dfi de la cohrence

    En parallle la monte en puissance de la thmatique environnementale dans ledbat europen, lEurope a brutalement pris conscience, dans les annes 2000, du retour de lhistoire et de la possibilit dapparition de crises dapprovisionnementsrieuses moyen terme. Multiplication des crises du gaz avec la Russie, survenuedincidents lectriques europens de grande ampleur, augmentation gnralise des prixde lnergie aboutissant la rapparition dune problmatique de pauvretnergtique au sein mme de lUnion : de nombreux vnements sont venus rappeler lEurope que la scurisation de ses approvisionnements en nergie ntait pas acquise.Ainsi, la rcente popularisation du concept dans le dbat europen signe la fin de laconjoncture des annes 1990 qui avaient vu prvaloir une dynamique dintgration desdiffrents blocs dans le jeu commercial mondial, dans un contexte dnergie bon march.

    Elle est premire vue convergente avec limpratif climatique, car les craintes dunrenchrissement puis dun puisement des ressources dsormais insuffisantes pour

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    alimenter lconomie mondiale vont de paire avec la constatation de linsoutenabilit destrajectoires actuelles de consommation dnergie (ces deux risques jumeaux sontbien considrs comme tels par lAIE). Aussi, bien que temporairement attnues par lacrise qui sest dclare la suite des dfaillances du systme financier international en2007-2008, ces craintes sont dsormais structurantes pour la formulation de la politiquenergtique europenne. Lenjeu dune pleine intgration de la problmatique scurit

    dapprovisionnement la politique nergtique europenne sest ainsi affirme commeune question en soi.

    Dfinir la scurit dapprovisionnement

    Imprcis, lobjectif de scurit dapprovisionnement est premire vueconsensuel. Pourtant, le concept de scurit dapprovisionnement est utilis pour dcrireplusieurs ralits diffrentes.

    1) La dimension qui vient la premire lesprit (peut-tre parce quon y voit leretour de la grande politique ) concerne la scurisation de la disponibilit desressources issues des pays tiers : ptrole, gaz naturel (mais galement uranium). Depuislhiver 2005-2006, une menace concrte (souvent brandie, parfois effective) y est

    associe : la possibilit de ruptures de lapprovisionnement europen en gaz russe (laRussie accusant lUkraine de non-respect de ses obligations contractuelles en matire detransit du gaz produit en Russie destination des fournisseurs clients de Gazprom).Cette formulation du problme de la scurit dapprovisionnement pose frontalement laquestion du cadre dans lequel inscrire les relations avec les pays producteurs (cadreuniquement commercial, ou cadre politique de relations entre Etats, dans lequel lescontrats gaziers ont t historiquement ngocis). Elle aboutit galement poser laquestion des grandes infrastructures (les gazoducs, les pays quils vitent, les pays danslesquels ils tentent daller chercher la ressource, etc.)

    2) Mais une deuxime dimension, tout aussi importante, concerne lensemble desmcanismes de prvention et de gestion des ruptures dapprovisionnement non-programmes. Elle se dcline en mcanismes de stock stratgiques (ptrole, gaz) ainsi

    quen termes de sret de fonctionnement des systmes lectriques et gaziers (cest--dire leur performance technique en prsence de la ressource). Il est peu souvent faitrfrence cette forme de scurit dapprovisionnement, qui apparat pourtantdimportance capitale (les black-out gants en Ontario en 2003, ou bien les incidentseuropens de 2003 en Italie ou de 2006 en provenance dAllemagne sont l pour lerappeler) et croissante (le dfi concerne lintgration de trs larges volumes dnergiesintermittentes sur les rseaux europens). Le rapport Mandil sur la scuritdapprovisionnement de lUnion1 rappelle dailleurs que les crises des annes 2000 ontlargement t des crises de ce type. Aux Etats-Unis, les ouragans Katrina et Rita, qui ontdvast la Nouvelle-Orlans et paralys en 2005 lapprovisionnement en hydrocarbures,constituent un jalon majeur de la rflexion amricaine en matire de scuritdapprovisionnement.

    3) Enfin, le cur de ces deux dimensions concerne linfrastructure elle-mme :des rseaux robustes sont ncessaires pour permettre lactivation des mcanismes desolidarit court terme (solidarit technique instantan dans le cas des rseauxlectriques, solidarit par diffusion des stocks stratgiques pralablement constitus pourle gaz) et pour permettre de scuriser lapprovisionnement de manire structurelle (laproblmatique des grands gazoducs ou oloducs).

    Ainsi, des problmatiques distinctes relatives la gestion technique des rseaux(harmonisation technique et interoprabilit), au renforcement des grandesinfrastructures, ou aux relations avec les pays producteurs cohabitent dans le vasteconcept de scurit dapprovisionnement. Elles mettent en jeu des bases juridiquesdiffrentes qui conditionnent largement les possibilits daction pour lUnion.

    1Voir le rapport de Claude Mandil Scurit nergtique et Union europenne. Propositions pour la Prsidencefranaise, remis au Premier Ministre en avril 2008

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    En matire de construction de grandes infrastructures, lUnion dispose bien dunepolitique (celle des rseaux transeuropens, cf. infra), mais cest la question de lamodestie des moyens financiers mobilisables en propre par lexcutif europen qui enlimite lambition (20 millions sur la priode 2007-2013). Quant au plan de relanceeuropen dcid lt 2009, en allouant 4 milliards des projets prioritaires dans ledomaine de lnergie - largement dans le domaine des rseaux -, il a constitu une

    contribution significative, mais ponctuelle et disperse.En matire de scurit de fonctionnement des rseaux, le 3e paquet nergie permetdaller plus loin, et confre de nouvelles bases la gestion coordonne des grandssystmes lectriques et gaziers. LUnion a mis en place des mcanismes de solidaritentre les Etats membres en adoptant des directives sectorielles relatives la scuritdapprovisionnement2ainsi quun mcanisme de solidarit sur les stocks stratgiques deptrole. Nanmoins, les premires ne constituent que des cadres minimaux, qui necontraignent que trs faiblement les Etats membres (do la volont de renforcernotamment la directive sur la scurit dapprovisionnement en gaz), tandis que le secondmcanisme est reconnu comme moins efficace que celui mis en place par lAIE.

    Quant aux relations avec les pays producteurs, mme sil existe un dialoguenergtique UE-Russie, il est douteux que lUnion soit en position de raliser de

    vritables choix, faute dune comptence qui lui soit explicitement reconnue sur cedomaine3. Les questions de scurit dapprovisionnement sont souvent considrescomme au cur des comptences rgaliennes des Etats, et devraient le rester lavenir.La politique nergtique extrieure de lUnion europenne se rduit donc des dialogues avec certains pays producteurs au titre de la politique de voisinage.

    Le dilemme de la scurit dapprovisionnement

    Linsertion de la scurit dapprovisionnement dans le champ des priorits de lUnioncomplexifie encore la gamme des choix possibles en matire de politique nergtique. Laquestion de la scurit dapprovisionnement sa dimension externe, la plus symbolique,consiste piloter le niveau de dpendance nergtique envers les Etats tiers. La politique

    nergtique europenne se dcline en trois axes (achvement du march unique pourpromouvoir la comptitivit de lindustrie europenne, dcarbonisation de lindustrieeuropenne pour lutter contre le rchauffement climatique, et renforcement de lascurit dapprovisionnement), dont la convergence possible est souvent affirme dans lalittrature communautaire. Sans doute, une politique rsolue de promotion des nergiesrenouvelables aboutit-elle diminuer la fois le bilan-carbone europen et ladpendance de lUnion europenne envers lextrieur en matire nergtique, et montrerque la politique environnementale peut, sous certaines conditions, concourir aurenforcement de la scurit dapprovisionnement. Mais ces politiques peuvent aussiapparatre partiellement contradictoires4.

    2Scurit dapprovisionnement en gaz naturel : directive 2004/67/CE du Conseil du 26 avril 2004 concernant

    des mesures visant garantir la scurit de lapprovisionnement en gaz naturel)http://europa.eu/legislation_summaries/energy/external_dimension_enlargement/l27047_fr.htmScurit dapprovisionnement en lectricit : directive 2005/89/CE du Parlement europen et du Conseil du 18janvier 2006 concernant des mesures visant garantir la scurit de l'approvisionnement en lectricit et lesinvestissements dans les infrastructures)http://europa.eu/legislation_summaries/energy/external_dimension_enlargement/l27016_fr.htmStocks stratgiques : directive 2006/67/CE du Conseil, du 24 juillet 2006, faisant obligation aux tats membresde maintenir un niveau minimal de stocks de ptrole brut et/ou de produits ptroliers)http://europa.eu/legislation_summaries/energy/external_dimension_enlargement/l27071_fr.htm3Il napparat pourtant pas exclu cette comptence nationale exclusive soit un jour conteste par la Commissioneuropenne, qui pourrait alors obtenir sur le terrain juridique une reconnaissance dune prrogative en lamatire qui lui est refuse sur le plan politique, comme elle la fait rcemment sur la question des accords cielouvert pour le transport arien destination des Etats-Unis (suite un ensemble darrt de la Cour de Justiceen 2002, les accords ciels ouverts conclu par beaucoup dEtats membres avec les Etats-Unis de manirebilatrale ont t considrs comme contraire au principe de libert dtablissement et de prestation reconnuedans les traits bilatralement, et annuls). La Commission a alors ngoci un accord cadre avec laviation civileamricaine (conclu en 2007). Un tel accord cadre avec la Russie en matire nergtique, encadrant les relationscommerciales en matire dapprovisionnement nergtique, pourrait de mme tre envisageable.4Voir lanalyse convaincante de J.-H. Keppler, Building a Common European Energy Policy Around a Market-

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    Par exemple, la monte en puissance progressive du systme europen dchange dequotas accompagne dune allocation aux enchres des quotas devrait naturellementprovoquer laugmentation du prix de la tonne de dioxyde de carbone. Ce mouvement, enrenchrissant les cots de fonctionnement des centrales de production au charbon,devrait rendre lexploitation des centrales fonctionnant au gaz naturel comparativement

    moins onreuse (depuis 2000 et la libralisation du march de gros en Europe, environ lamoiti de laccroissement en capacit de production lectrique en Europe provient descentrales gaz lnergie olienne reprsentant la majeure partie de lautre moiti). Or,mcaniquement, dans un contexte de dclin progressif des extractions de gaz natureldomestique du fait de lpuisement programm des rserves de la Mer du Nord et lastagnation des importations depuis lAfrique, ce mouvement augmente la dpendanceeuropenne envers les livraisons russes ! Les dernires projections de lAgenceinternationale de lnergie montraient dailleurs que, quel que soit le scnario5, la part dugaz dans la consommation europenne totale dnergie primaire est voue augmenter,au moment mme o la disponibilit de la ressource sur le sol europen est en fortediminution. Cela signifie ncessairement laccroissement de la dpendance envers lespartenaires extrieurs de lUnion, dans un contexte mondial de rarfaction des sources

    dnergie (les rserves prouves de gaz se montent seulement 70 ans).Rciproquement, la volont de limiter les imports depuis la Russie, si elle devait setraduire lchelle europenne, devrait dboucher en labsence de vritable choixeuropen pour relancer le nuclaire sur des investissements dans des centrales aucharbon, ce qui serait contraire aux ambitions climatiques de lUnion tant que dessolutions de captation/squestration du carbone ne sont pas technologiquement matures.

    Deux options alternatives demeurent envisageables : le retour du nuclaire danscertains Etats membres (prennisation en France, relance au Royaume-Uni et en Italie),ou bien le recours massif aux nergies renouvelables (Espagne, Allemagne). Ces deuxscnarios permettent de rduire la ncessit darbitrer entre scuritdapprovisionnement et objectifs climatiques, mais rassemblent contre eux des critiquesrsolues de la part de leurs opposants : dfaut dacceptabilit sociale pour le nuclaire6,

    prsomption de gchis dargent pour les nergies renouvelables7

    . La relance du nuclaireapparat nanmoins comme une option envisage de plus en plus srieusement par uncertain nombre de pays layant de factooude jureabandonn (en plus de lItalie et duRoyaume-Uni, on peut penser aux Etats-Unis).

    Ainsi, le dilemme de la politique europenne apparat comme une impossibilit dagirde manire symtrique sur les trois leviers, ou, pour le dire autrement, comme le faitque les choix possibles sont borns par lensemble des instruments disposition. Troisbases juridiques diffrentes sont utilises pour mener les diffrents aspects de lapolitique nergtique, et aucune na trait lnergie : la politique de libralisation dusecteur procde de la volont dtendre le march unique aux lendemains de lActeunique ; la promotion des nergies renouvelables est un corollaire de la politiqueenvironnementale de lUnion qui sest affirme progressivement partir des annes1990-2000 ; le pilotage du degr de dpendance extrieure de lUnion en matiredapprovisionnement nergtique sinscrit dans un cadre institutionnel trs peu lisible,combinant les prrogatives des Etats membres avec des initiatives de la Commissioneuropenne prises sur les bases de ses relations extrieures et de la politique de

    Based Approach , in J. Lesourne (ed.), The External Energy Policy of the European Union, IFRI, 20085Source : World Energy Outlook 2009de lagence internationale de lnergie6Technologie non-mettrice de GES, le nuclaire doit encore rpondre la question de la gestion des dchets7Le dbat, qui se porte dans le meilleur des cas sur une analyse cot/bnfice des mcanismes de soutien auxnergies renouvelables, se droule dans tous les pays europens (y compris dans les pays leader : Allemagne,Espagne, Danemark), mais est particulirement vif en France. Voir par exemple le rquisitoire de lInstitutMontaigne sur le cot de lolien (V. Le Biez, Eoliennes : nouveau souffle ou vent de folie , briefing paper delInstitut Montaigne, juillet 2008) et la rponse du Syndicat des Energies Renouvelables en France, ou la rcentepolmique sur le niveau des tarifs dachat garantis la production photovoltaque solaire et sa rvision encatastrophe dbut 2010.

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    voisinage. Linsertion de la scurit dapprovisionnement met ainsi lUnion au dfi de lacohrence dans sa politique nergtique.

    Le nouvel article nergie du Trait de Lisbonne comme remde au dfi de lacohrence ?

    Depuis le 1erdcembre 2009, lUnion est lgitime pour mener une vritable politiquede lnergie. Celle-ci devrait permettre de dpasser les clivages existants pour permettrede mener enfin une vritable politique nergtique europenne. Le nouvel article 194 duTrait (dans sa version consolide) dispose que dans le cadre de l'tablissement ou dufonctionnement du march intrieur et en tenant compte de l'exigence de prserver etd'amliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'nergie vise,dans un esprit de solidarit entre les tats membres : a) assurer le fonctionnement dumarch de l'nergie ; b) assurer la scurit de l'approvisionnement nergtique dansl'Union ; c) promouvoir l'efficacit nergtique et les conomies d'nergie ainsi que ledveloppement des nergies nouvelles et renouvelables ; et d) promouvoirl'interconnexion des rseaux nergtiques . On y retrouve les trois axes de la politiquenergtique europenne prsents ci-dessus, ainsi quune rfrence aux rseaux

    nergtiques qui contribue en fait chacun des objectifs prcdents. A premire vue, lenouvel article renforce ainsi les conditions dune convergence entre les trois piliers de lapolitique nergtique europenne.

    On doit nanmoins ajouter que lalina 3 de ce nouvel article, qui dispose que lesmesures prises en application de larticle n'affectent pas le droit d'un tat membre dedterminer les conditions d'exploitation de ses ressources nergtiques, son choix entrediffrentes sources d'nergie et la structure gnrale de son approvisionnementnergtique, semble limiter demble les possibilits dune vritable communautarisation de la politique dapprovisionnement externe du continent. Lapossibilit dun tel transfert de comptence repose de toute faon sur des limitesvidentes ds quon en analyse les dtails. Lide parfois entendue dun ngociateureuropen unique , donnerait corps la volont de doter lEurope dun seul numro de

    tlphone. Mais elle aurait comme principale consquence de replacer la politiquenergtique dans un cadre de relations intertatiques, donc dans un dialogue politique,au moment mme o la politique europenne consiste dpolitiser au maximum sonpropre march intrieur8. Aussi, force est de constater que dans sa forme actuelle,lUnion semble davantage mme de peser sur la scne mondiale pour crer lesconditions dun vritable march nergtique9 plutt que dengager une activitdiplomatique classique visant scuriser les approvisionnements selon leurprovenance10.

    8Soit le ngociateur europen dispose de la facult de contraindre les grands oprateurs europens dansleurs ngociations, et ceux-ci ne sont donc plus libres de mener des stratgies commerciales leur guisecontrairement aux objectifs du march intrieur, soit le ngociateur europen se borne jouer un rledharmonisation, avec des consquences plus symbolique que prescriptrices.9

    On pourrait citer le fameux Trait sur la Charte de lnergie, dont les principales dispositions concernent laprotection des investissements, lapplication des rgles de lOMC pour le commerce des matires et produitsnergtiques (libralisation des prix), linterdiction dinterrompre ou dinterdire le flux de matires premires oude transit en cas de litige, ainsi que des procdures dpolitises de rglement des diffrends entre tatsmembres. Ce trait, dont les dispositions prolongent la charte de lnergie conclue en 1991 aux lendemains dela chute du bloc sovitique, a t sign en 1994 par 51 Etats (dont Communaut europenne et Etatsmembres, Etats-Unis, Japon, Canada, Australie). La Russie, signataire du trait, refuse depuis de le ratifiermalgr un intense lobbying europen dans cette direction (les pratiques commerciales de Gazprom sontcontraires de nombreux articles du Trait : coulement de production sur son march intrieur des prix trslargement infrieurs ceux du march mondial, approche diffrencie et politique de la commercialisationdu ptrole et du gaz aux anciennes rpubliques sovitiques, proposition de conditions commerciales trsavantageux en change dun droit de transit), etc.10 Linstauration dun vritable march mondial dans lequel les oprateurs europens seraient capables deconclure des contrats approvisionnements sur des seules bases commerciales peut apparatre certains commeune perspective dstabilisante (il serait possible pour lEurope de sapprovisionner en gaz directement auMoyen-Orient ou bien dutiliser la flexibilit du march mondial via le dveloppement du gaz naturel liqufi(GNL), mais galement pour la Russie de chercher dautres clients en Extrme-Orient), mais peut se rvlerintressante si lon rappelle que la Russie dpend davantage de lEurope que le contraire (lEurope dpend dugaz russe hauteur de 40 % de ses imports, la Russie exporte 80 % de son gaz en Europe).

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    La problmatique de la scurit dapprovisionnement, dans le nouveau cadre commedans lancien, pose donc lUnion europenne la question de la cohrence de sa politiquenergtique.

    4. La ralit de la politique nergtique europenne aujourdhui

    Elabore comme une politique de libralisation classique maisprogressivement rattrape par le dfi climatique et la scurit nergtique, la politiquenergtique europenne apparat la croise des chemins. Sa formulation a tmarginalement affecte, mais sa ralit beaucoup moins.

    La politique nergtique europenne : nouveauts et continuit

    Le 3e paquet nergie a t ngoci pendant la phase de structuration de lapolitique europenne des 20-20-20 et de monte en puissance de la thmatique de lascurit dapprovisionnement. Les nouveaux instruments quil introduit, sils procdenttoujours de la politique de libralisation proprement dite, tirent galement leur lgitimitdes nouveaux dfis de lUnion en matire de lutte contre le rchauffement climatique et

    de renforcement de la scurit dapprovisionnement. Ainsi, lassociation nouvellementcre des gestionnaires de rseau se voit dote de tches capitales comprenant, outre laresponsabilit dtablir une planification paneuropenne des investissements dans lerseau, une responsabilit accrue dlaboration de codes de rseaux paneuropenstouchant un large spectre allant de lharmonisation des rglementations techniques enmatire de scurit dexploitation des systmes lectriques au raccordement desnouvelles installations de production renouvelable aux rseaux, ainsi quaux modalitsdchanges dnergie lintrieur de lUnion. Si les codes de rseaux relvent encore,dans une certaine mesure, dlments connus de la mthode communautaire(lharmonisation des lgislations nationales comme pralable lapprofondissement estun thme europen rcurrent), la nouveaut la plus significative concerne les dispositionsde planification des investissements dont ont t pourvus les nouveaux rseaux des

    rseaux (ENTSO-E et ENTSO-G11

    : acronyme anglais couramment utilis). Celles-cisinscrivent directement dans la perspective rappele plus haut : dvelopper largementles rseaux pour permettre la rvolution des nergies renouvelables, et le faire lchellede lEurope. Cest dans cette perspective que doit sanalyser la nouveaut introduite quiconsiste confier une association dentreprises (dont beaucoup sont publiques ouparapubliques certes, mais dont certaines sont cotes en bourses) des tches crucialesde planification (lagence europenne de rgulation aura comme mission de contrler letravail des gestionnaires de rseau). Trs clairement, cette introduction duneplanification europenne va bien au-del dune simple poursuite de la libralisationdes annes 1990. Elle ne trouve dquivalent dans aucune autre directive de libralisationsectorielle de lUnion.

    De mme, linclusion dune clause Gazprom dans les directives gaz etlectricit12 constitue une prise en compte des proccupations en matire de scuritdapprovisionnement de lUnion. Enfin, en matire de scurit de fonctionnement desrseaux, le 3epaquet permet daller plus loin, et confre de nouvelles bases la gestioncoordonne des grands systmes lectriques et gaziers. Un projet de rvision de ladirective scurit dapprovisionnement pour le gaz est en prparation.

    Mais, au-del des dispositions proprement dites du 3epaquet, cest surtout dans laprsentation de la politique nergtique par la Commission europenne que laconvergence des politiques nergtiques et climatiques, ou plutt la requalificationpartielle de la politique nergtique en pilier de la politique climatique, apparat la plus

    11European Network of Transmission System Operators (E : Electricity ; G : Gas)12 Afin de pallier le risque que la dissociation patrimoniale namne des oprateurs intgrs localiss lextrieur de lUnion fairelacquisition dactifs europens stratgiques des fins potentiellement inamicales,une clause a t introduite dans les directives prvoyant la rciprocit dans louverture des marchs et ladissociation des oprateurs

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    perceptible. Les Orientations politiques pour la prochaine Commission prsentes parJos-Manuel Barroso le 9 septembre 2009 au Parlement europen13 tmoignent dundouble mouvement de convergence des politiques environnementales et nergtiquesdans un ensemble appel dveloppement durable, climat et politique de lnergie etdlvation de cet ensemble au rang de priorit de lUnion. De manire intressante, lesdeux passages traitant de lnergie ne font aucune rfrence la politique de

    libralisation proprement dite (rien sur la libert de choix du fournisseur, la libertdtablissement, ou des prix bas, une seule rfrence au march intrieur qui doit tre bien rgul on est loin des annes 1990). La politique de lUnion est prsente unepremire fois comme procdant de lambition d tre la pointe de la lutte contre lechangement climatique et porte comme objectif principal la dcarbonisation de notreapprovisionnement en lectricit et du secteur des transports , au titre de ses bienfaitsenvironnementaux et en termes de scurit dapprovisionnement. Ce dernier thme estdvelopp dans le second passage qui traite de lnergie, celui consacr aux rseaux dufutur, avec lannonce dun nouveau grand projet europen qui consisterait doterlEurope dun nouveau super-rseau europen de llectricit et du gaz () capable denous aider satisfaire plus judicieusement nos besoins croissants en nergie, ce quinous garantira un approvisionnement nergtique sr et stable, en phase avec nos

    objectifs en matire de changement climatique .

    Ces lments de modulation (dans le 3e paquet) et de rupture (dans laprsentation) ne doivent pourtant pas masquer lexistence dune profonde continuitdans la politique nergtique europenne. Le 3e paquet nergie permet lachvement dela libralisation des annes 1990. La politique anti-trust continue dtre le fer de lance delaction communautaire dans le domaine, et le primat constitutionnel dont jouit ledroit de la concurrence dans lUnion europenne est toujours prdominant. La politiqueeuropenne demeure marque par une promotion du modle canonique de base(rgulation anti-trust par une autorit de la concurrence, rgulation sectorielle centresur les conditions daccs aux infrastructures essentielles), qui na aucune chance dtreremise en cause. Et le fait que la connotation quelle porte dans les discours de lExcutif

    europen concerne plutt son aspect industriel que le march proprement dit naltre quemarginalement la faon dont les politiques sont effectivement menes.On en revient donc une limite de la politique europenne en matire

    nergtique, qui est celle du mandat mme de lUnion pour la mener. Jusquau Trait deLisbonne, la politique nergtique ne sest fonde sur aucune base juridique ad hoc(leTrait se bornait affirmer que lUnion peut prendre des mesures dans le domaine delnergie 14) et sest uniquement rattache, juridiquement, ltablissement du marchunique, et non pas la politique climatique, qui prend sa source dautres bases

    juridiques. Lentre en vigueur du Trait de Lisbonne autorise concevoir un autre cadre,mais le nouvel article sinscrit toujours dans le cadre de l'tablissement ou dufonctionnement du march intrieur . La politique nergtique europenne semble doncvoue sincarner durablement encore comme dclinaison du march intrieur.

    Un fdralisme nergtique leuropenne ?

    La vraie nature de la politique nergtique europenne procde ainsi toujoursde louverture des marchs ; elle est fdrale. Ce caractre apparat clairement danslarchitecture gnrale des textes qui la rgissent. Les grands principes dorganisation,communs tous les Etats membres (mise en place dune concurrence sur le march de laproduction et de la fourniture, organisation dune rgulation sectorielle des monopolespour le transport et la distribution), sont consigns dans deux directives15qui confrentaux Etats membres une certaine latitude quant lorganisation prcise du march. Du

    13Jos Manuel Barroso, Orientations politiques pour la prochaine Commissionhttp://ec.europa.eu/commission_barroso/president/pdf/press_20090903_FR.pdf14Article 3, 1 TCE avant lentre en vigueur du Trait de Lisbonne15Directives 2003/54/CE et 2003/55/CE pour llectricit et le gaz respectivement (en cours de remplacementpar les directives 2009/72/CE et 2009/73/CE)

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    fait de la prvalence des choix antrieurs (path-dependency) et de problmatiquesnationales particulires, des modles nationaux diffrents ont ainsi pu tre mis en placeau dbut des annes 2000 : on peut encore parler de marchs nationaux , et pasencore dun vritable march europen. Ces diffrences tiennent toujours aux choixantrieurs en termes de mix nergtique (dveloppement du programme lectronuclaireen France partir des annes 1970, grands barrages hydrolectriques en Scandinavie et

    en Suisse, dveloppement de la filire gazire y compris pour produire de llectricit au Royaume-Uni et aux Pays-Bas et du charbon en Allemagne). Elles se sont prolongespar des choix trs diffrents en matire darchitecture de march et de traitement desmonopoles16 : dans certains pays, les oprateurs historiques ont t dmantelsdemble afin de crer les conditions dune vritable concurrence interne (le secteur adepuis connu une profonde consolidation, toujours en cours) et aboutir une dissociationpatrimoniale des activits de gestion de linfrastructure essentielle, tandis que certainsEtats membres ont voulu conserver lintgrit de leurs grands oprateurs pour en fairedes champions nationaux. Les choix des Etats membres diffrent en matire dergulation des tarifs de vente au consommateur final. Les particularits nationales, mmesi elles sont en voie de sestomper, ont pu se fondre dans la libralisation europennedes premiers temps.

    Les principes gnraux rgissant les changes transfrontaliers sont inscrits dansdeux rglements europens17, rgulirement dvelopps par des actes de droit drivspris selon la procdure de comitologie, rejouant ainsi une musique caractristique de laconstruction europenne : harmonisation des cadres nationaux, rgulation directe dudomaine des changes transfrontaliers. Laccent mis sur le commerce transfrontalier18aentran une relative convergence des architectures de march internes19. En 10 ans, lesprogrs en termes dharmonisation des mcanismes de march et de constitution duneEurope lectrique ont t considrables, allant jusquau couplage de certains marchs,comme par exemple celui actuellement en cours au sein de l Europe carolingienne (cest sans doute moins vrai pour le gaz, du fait notamment de la quasi absence demarch de gros dans certains pays o ce combustible est moins utilis). Le 3e paquet

    devrait encore favoriser cette convergence, en largissant le champ des codes derseaux paneuropens .

    Ainsi se met progressivement en place une organisation fdrale de la politiquenergtique europenne en matire de libralisation. La comparaison avec les Etats-Unisest alors tentante. Et de fait, si les lignes de partage sont quelque peu diffrentes20, onobserve une logique similaire de sparation des tches : lautorit fdrale le soin derglementer ce qui ressort de lintertatique, et aux Etats (Etats membres dans lUnioneuropenne, Etats fdrs aux Etats-Unis) la prrogative de rglementation desmonopoles locaux et, souvent, de la fixation des tarifs (tarif de rgulation des oprateursnationaux, et tarifs sociaux ou tarifs rglements de vente dans le cas europen surle march du dtail ou de la rglementation totale du march du dtail aux Etats-Unis).

    Cependant, on peut observer deux divergences majeures. La premire tient lorganisation du ple fdral en Europe. Par le 3epaquet, lEurope ne sest effectivementpas dote dune agence de rgulation unique pouvant produire par elle-mme du droit

    16Voir par exemple J.-M. Glachant et Y. Perez, Institutional Economics and Network Industry DeregulationPolicy, Working Paper GRJM, 200717 Rglements (CE) n1228/2003 et 1775/2005 pour llectricit et le gaz respectivement (en cours deremplacement par les rglements (CE) n714/2009 et 715/2009)18 Accent qui explique lattachement de la Commission europenne au dveloppement des interconnexionsinternationales entre Etats membres, et lobjectif fix au Conseil europen de Barcelone en 2002 datteindrepour chaque Etat membre une proportion de 10 % de capacit dimport par rapport la consommation totale19Cette convergence a pris la forme dune gnralisation des mcanismes de march pour grer les congestionsaux frontire entre Etats membres, et de leur progressif couplage sur plusieurs pays20La rpartition des comptences date du Federal Power Act de 1935, toujours en vigueur. Voir ce sujet M.Derdevet et T. Veyrenc, Europe Etats-Unis : des divergences lectriques assumes ? in Revue delEnergie, n581, janvier-fvrier 2008

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    driv en matire nergtique, mais bien dune agence des rgulateurs europens,munie de comptences de coordination et de surveillance de ENTSO-E et de ENTSO-G,mais pas de la possibilit dapprouver formellement les codes de rseaux (ceux-cidevront tre approuvs par la Commission europenne sous contrle des Etats membrespar lintermdiaire de la procdure de comitologie). Sans revenir sur les discussionssouvent complexes ayant abouti cet quilibre institutionnel21, il nexiste pas, au niveau

    fdral europen, dinstance charge de formuler et de conduire la politique nergtiqueeuropenne ce qui renvoie au statut de la libralisation, mene en Europe sur les bases

    juridiques relatives ltablissement du march unique, la libre concurrence et lalibert dtablissement, et non pas au nom dune comptence de lUnion en matirenergtique.

    Sil ne semble pas exister en Europe de ple fdral unique capable deconduire une politique nergtique europenne propre, les solutions mises en place dansles diffrents Etats membres apparaissent paradoxalement bien plus similaires quauxEtats-Unis. Outre-Atlantique, un tiers seulement des Etats a dcid de drguler sonsystme lectrique22, cest--dire de remplacer la rgulation par la concurrence. Parmices derniers, des diffrences radicales dans lorganisation des rformes lectriques

    subsistent. Sans parler des exemples de drgulation faillie comme la Californie (ole systme demeure dans un entre-deux prcaire, le systme tant partiellementlibralis), ou bien les Etats ayant dcid de faire marche arrire (Virginie et Montana), ladrgulation a pris des visages diffrents selon les zones o elle a t mene (NouvelleAngleterre, New-York, Pennsylvanie, rgion des Grands Lacs, Texas)23. Elle a galementpris un tour plus conflictuel : alors quen Europe, le dbat relatif laugmentation desprix dans les pays producteurs bas cot est peu audible sur la scne europenne (il est ce titre rvlateur que la France ait souhait placer son contentieux avec laCommission sur le titre des obligations de service public, alors quil sagit dun problmeclassique dconomie politique li lexistence dun couple gagnant/perdant dans lanouvelle rpartition de la rente occasionne par louverture la concurrenceinternationale), les dbats sont frontalement poss en ces termes aux Etats-Unis et

    orientent le choix de certains Etats de rester lcart du mouvement24

    . Ainsi, il est unpoint sur lequel ne subsiste gure de doute : si le ple fdral est moins fort quauxEtats-Unis, les ples fdrs que sont les Etats membres le sont galement et ontperdu beaucoup plus dautonomie dans lorganisation de leurs marchs ! Lexplication enest finalement assez simple. En Europe, les trois directives successives (1996-1998,2003, 2009) concernant des rgles communes pour le march intrieur de llectricit /du gaz naturel se sont attaches faonner les autorits nationales de rgulation,en alignant leurs objectifs sur lintrt europen et en les rendant indpendants dupouvoir politique national (idem pour les gestionnaires de rseau, progressivement dtachs de leurs attaches antrieures). Un tel mouvement dharmonisation na past ralis aux Etats-Unis25, rendant possible une vritable htrognit entre lespolitiques nergtiques menes par les rgulateurs dans chaque Etat fdr (les PublicUtilities Commissions). Toute prrogative en la matire nest pas refuse aux Etatsmembres, comme en tmoigne la discussion en cours en France sur lorganisation dumarch lectrique franais. Mais lutilisation combine des instruments de contrle de

    21Voir notamment la jurisprudence Meroni (1958), selon laquelle une institution ne peut dlguer un pouvoirimpliquant une apprciation qui relve selon le trait de l'ensemble des institutions : la Commission ne peutdlguer que des pouvoirs dexcution exactement dfinis et susceptibles dun contrle rigoureux.22La situation diffre largement pour le gaz, pour lequel un cadre de rgulation homogne a t mis en placepar le gouvernement fdral partir des annes 1980.23Dans de nombreux tats ainsi, louverture du march na concern que le march de gros, et non pas lemarch de dtail (ainsi le consommateur final domestique demeure sous contrat avec son distributeur, sanspossibilit de choisir un fournisseur concurrent).24Voir par exemple le cas de la TVA (Tennessee Valley Authority) au Tennessee, oprateur au statut particuliercr par F.D. Roosevelt sous le New Deal afin de valoriser les ressources hydraulique et la productiondlectricit dans la valle du Tennessee. La libralisation du systme avait t initialement envisage la findes annes 1990, mais a t ajourne suite une analyse cot-bnfice explicite, par peur de faire perdre auxconsommateurs les avantages associs au parc de production hydraulique et nuclaire de loprateur.25Voir P. Joskow, Challenges for creating a comprehensive national energy policy , MIT working paper, 2008

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    conformit et anti-trust par la Commission europenne permet daboutir unehomognit beaucoup plus pousse en Europe. De nature fdrale, mais avec un plefdral ne disposant pas dune forte capacit dentranement et des ples fdrs sansvritable pouvoirs de diffrentiation, voici le paradoxe de la rgulation europenne.

    Un fdralisme sans grand projet ? Le cas de lintgration des rseaux

    Pour exister, un ple fdral a besoin de grands projets. Quel est celui de laCommission ? Lachvement de la libralisation du march de llectricit et du gaznaturel ne peut tre celui-l, laugmentation des prix, puis la crise sont passs par l.Quant la lutte contre le rchauffement climatique, elle saffirme plutt comme unegrande catgorie sous laquelle sordonne lensemble des dispositifs de rgulation desmarchs nergtiques et des instruments de lutte contre le rchauffement climatique.Lambition faite sienne par Jos Manuel Barroso de doter lEurope dun nouveau super-rseau europen de llectricit et du gaz () pourrait tre ce grand projet conditionde marquer une rupture par rapport la politique prcdente des rseauxtranseuropens et avoir les moyens de ses ambitions.

    Rupture par rapport la politique des rseaux transeuropens car celle-ci est, delaveu de beaucoup, un chec malgr limportance des espoirs initiaux qui avaient tplaces en elle. La politique de dveloppement des rseaux transeuropens visait lapromotion de grands investissements europens dans les transports, lnergie et lestlcommunications. Pourtant, force est de constater que de nombreux projets parmiceux qui avaient t initialement retenus nont pas t mens bien et nont pas permisdentraner une dynamique europenne dinvestissement dans les grandes infrastructurestransfrontalires26. Avec le recul, il apparat que non seulement les sommes initialementen jeu apparaissaient trs faibles par rapport aux besoins totaux dinvestissement, maisquen plus les financements complmentaires et majoritaires des Etats membres nontsouvent pas pu tre constitus. La part des financements attribus lnergie tait detoute faon trs modeste, et ne concernait que le soutien aux tudes prparatoires aux

    investissements, et non le financement des infrastructures proprement dites27

    . Lambitionnouvelle de la Commission de revitaliser la politique des rseaux devra faire beaucoupmieux pour tre crdible. Fonde sur le nouvel article du trait attach lnergie, quipromeut la promotion de l'interconnexion des rseaux nergtiques au rang desobjectifs de la politique nergtique europenne, et politise par la prsence du thmedes super-rseaux dans les ambitions de la Commission, elle pourra sappuyer sur lesoutils de planifications 10 ans labors par les nouveaux rseaux. Ses ambitionslgitimes peuvent tre dinvestir les terra incognita que sont la Mer du Nord (pourlolien off-shore) et la Mer Mditerrane (pour le photovoltaque et thermique solaire)et de constituer le vritable pilier industriel de laction de lEurope en matirenergtique. Encore faut-il que lUnion ait les moyens de ses ambitions car cest certain une telle politique sera coteuse.

    La nature de la politique nergtique peut alors sanalyser travers une autregrande ambition annonce par JM Barroso (dans la continuit de son premier mandat dela stratgie de Lisbonne), celle de rendre possible une rvolution dans la recherche etlinnovation pour une socit de la connaissance (cest--dire daugmenter leffort derecherche et surtout son applicabilit par lindustrie) et dappliquer cet objectif au secteurnergtique afin de permettre une dcarbonisation du mix nergtique. En 2007, laCommission sest dote dun outil permettant datteindre cet objectif, le plan SET

    26La politique proprement dite a t lance aux Conseils europens de Corfou et Essen (approbation de 14projets prioritaires), prolonge par les directives en 1996, et actualise au milieu des annes 2000 avec uneliste de 6 axes prioritaires dvelopper pour le gaz, et 9 pour llectricit.27 Elles sappliquaient de plus un nombre trs restreint de projets prioritaires . Dans lnergie,contrairement au cas du transport, le programme il est vrai plus modeste la base a nanmoins t men bien.

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    (Strategic Energy Technology Plan)28, de manire structurer les efforts europens deR&D en matire nergtique pour favoriser latteinte des objectifs 20-20-20. Devantlampleur des efforts accomplir afin de parvenir le plus rapidement possible uneconomie dcarbone, le plan SET part de lide que les efforts europens en matire deR&D dans le secteur nergtique sont largement insuffisants (un sous-investissementchronique touche le secteur nergtique depuis les annes 1980), et quils doivent tre

    doubls. La Commission a ainsi incit les diffrentes filires (nuclaire, olien, rseau,photovoltaque, etc.) proposer chacune un programme de recherche cohrent,rassemblant des acteurs majeurs de leur secteur, sengageant en contrepartie financerune partie de ces programmes de recherche en utilisant les instruments existants.

    Pourtant, bien y regarder, le plan SET constitue principalement une liste decourses (shopping list). Sa ralisation demanderait, selon lvaluation de la Commission,un accroissement des investissements annuels de lUnion en R&D de 50 milliards surles 10 prochaines annes29. La faiblesse des marges de manuvre amnageables dans lebudget communautaire du fait de la stabilit laquelle le contraignent les Etats membresrend inimaginable un financement uniquement communautaire de leffort30, et ncessaireune contribution dcisive des Etats membres. Ce qui, dans une priode de vache maigre

    budgtaire, est loin dtre acquis. La conclusion est simple : laccroissement de 50milliards, pour tre souvent claironn, nest pas financ. Du fait de la faiblesse relativedes sources de financement communautaires (le budget 2007-2013 est boucl), lapolitique europenne demeure dans une logique essentiellement normative (dans lespritde la construction europenne historique) et incitative (dans le prolongement de lastratgie de Lisbonne). Ces deux caractres devraient toujours ordonner la ralit de lapolitique nergtique europenne lavenir.

    Conclusion

    La politique nergtique europenne demeure, la base, une politique delibralisation dont les racines plongent au cur des annes 1980 (pour la conception) et

    des annes 1990 (pour la mise en uvre). Elle a t progressivement rattrape par deuxdfis nouveaux : celui dengager rapidement la lutte contre le rchauffement climatiqueen modifiant totalement la faon dont lnergie est produite, transporte et consommeen Europe, et celui de scuriser les approvisionnements de lUnion. Ses objectifs premiersen ont t implicitement modifis. Si ce dplacement a t act dans les discours,scartant de la promotion du modle concurrentiel pour ses propres vertus, la ralit dela politique publique nen a t que peu affecte : de nouveaux outils ont t introduitsdans la lgislation nergtique europenne il serait faux den nier la nouveaut etlimportance potentielle , mais aucune des grandes options de base de la libralisationna t remise en cause. Une des raisons qui expliquent cette absence de remise encause est dordre institutionnel : cest de lintgration du march unique que laconstruction europenne tire la lgitimit premire, mme si la nouvelle base juridiqueconsacre lnergie introduite par le Trait de Lisbonne et le programme de laCommission Barroso constituent des signes tangibles de la volont de ne pas restreindrela politique nergtique au march unique. Mais la raison principale concerne la difficultdaller au-del de la libralisation en effectuant des arbitrages lchelle europenneentre objectifs nergtiques concurrents.

    28 Communication de la Commission au Conseil, au Parlement europen, au Comit conomique et socialeuropen et au Comit des rgions du 22 novembre 2007 intitule : Un plan stratgique europen pour lestechnologies nergtiques (Plan SET) - Pour un avenir moins pollu par le carbone [COM(2007) 723 final]29Parmi ces investissements, la plupart relve du secteur priv (70 % des investissements de lUnion, contre30 % public), mais lobjectif dune rpartition 50/50 semble plus crdible, vu le risque associ certainsinvestissements et leur faible capacit tre pris en charge par le secteur priv. De la mme faon, seulement20 % de linvestissement public dans le secteur de lnergie (non nuclaire) est aujourdhui pris en charge parlUnion au travers de ses diffrents instruments financiers. Source : Commission europenne.30A la marge, des rallocations des crdits dans le cadre du 7 meprogramme-cadre recherche, utilisation desrevenus des enchres de quota dans le rgime post-2013 du systme ETS, pourront tre pratiques

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    Car la difficult de la politique nergtique, cest quelle ncessite de faire deschoix entre modration des prix et matrise des consommations, entre technologies pourdiminuer les missions ou renforcer la scurit des approvisionnements, entre uneapproche diplomatique des relations externes et la confiance envers les mcanismes demarch pour optimiser nos approvisionnements. En lespce, la reconnaissance desdiffrents objectifs de la politique nergtique dans le nouvel article du Trait naboutit

    pas raliser un vritable arbitrage lchelle de lUnion entre ces variables, du fait de lapermanence dapproches diffrentes de ces questions par les Etats membres.

    Ainsi, en labsence dune nouvelle impulsion politique qui napparat pas lordredu jour, certains des dterminants actuels de la politique nergtique de lUnion(primaut du march, caractre secondaire de la politique de scuritdapprovisionnement) ne devraient pas tre structurellement modifis. La libralisationdu march de llectricit et du gaz naturel devrait sachever par une mise en place, sansardeur, du modle canonique europen, en empruntant le lexique plus consensuel delenvironnement et de la scurit dapprovisionnement. La structure desapprovisionnements externes de lUnion ne devrait pas rsulter dune dcision politiqueexplicite des 27, mais des dynamiques de march actuellement luvre, dans uncontexte de permanence de linterventionnisme des Etats membres. Certains liront dans

    cette situation une preuve supplmentaire de lincapacit de lUnion parler dune seulevoix en matire de politique extrieure (et pourront alors proposer davancer dans unpremier temps dans un cadre plus restreint, par exemple pour mettre en place unehypothtique cooprative dachat pour le gaz) ; dautres qualifieront au contraire lavolont de politiser la relation extrieure de lUnion de fausse bonne ide : du fait de lacomplmentarit des pays europens en matire de choix nergtiques, la mise en placede vritables mcanismes de march et de solidarit lintrieur de lUnion devrait suffire assurer lEurope un bouquet nergtique quilibr. Dans tous les cas, la volont derenforcer la scurit de nos approvisionnements extrieurs ne semble pas mme demodifier ce stade la ralit de la politique nergtique europenne.

    Reste la politique climatique. Elle bnficie dobjectifs clairement noncs etcontraignants. Elle constitue ce jour le choix le plus clair de lUnion. Ses implications (le

    niveau de rduction des missions atteindre et sur lequel lUnion peut sengager auniveau international) nont de sens qu lchelle europenne. Si les cots quimpliquedans limmdiat le dfi de la dcarbonisation de notre mix nergtique sont accepts,cest bien la lutte contre le changement climatique qui devrait constituer dans lesprochaines annes le levier principal de la politique nergtique de lUnion.

    Directeur de la publication : Pascale JOANNIN

    La Fondation Robert Schuman, cre en 1991 et reconnue d'utilit publique, est le principal centre derecherches franais sur lEurope. Elle dveloppe des tudes sur lUnion europenne et ses politiques et enpromeut le contenu en France, en Europe et ltranger. Elle provoque, enrichit et stimule le dbat europenpar ses recherches, ses publications et l'organisation de confrences. La Fondation est prside par M. Jean-Dominique GIULIANI.