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Un récit d'Hervé Baudouy
Que j’ai choisi d’illustrer avec des photos du couple
mythique: Katharine Hepburn et Spencer Tracy
Attendez que la musique de Mozart démarre
Les diapositives changent au clic de la souris
Avec Katharine Hepburn
dans le rôle d’Anouk
et Spencer Tracy dans le rôle de
Michel
Cette histoire se passe de nos jours,
chez Anouk et Michel
Anouk se tenait devant l'évier de la cuisine, et pelait les oeufs pour la
salade préférée de Michel.
Une brise légère se frayait un chemin à travers les rideaux, et portait cette odeur
douce annonçant la pluie.
- C'est bien. Les champs ont besoin d'eau.
Elle sentit les coins de sa
bouche dessiner un sourire: elle
avait pensé à haute voix.
Encore.
Cela lui arrivait souvent...
Peut-être pour peupler le silence ? ...
Elle vit son reflet dans la vitre, et passa une main décolorée par l'âge
dans ses cheveux grisonnants.
Ses yeux se fixèrent sur un des coquillages posés sur le rebord de la
fenêtre.
Elle oublia les oeufs...
Son esprit se mit à flotter dans la brise du temps; les années firent machine
arrière à la vitesse du souvenir...
Jusqu'au jour où Michel lui avait offert une surprise fabuleuse :
une journée au bord de la mer, sans même s'éloigner de la ville !...
.. Ils s'étaient rencontrés à la vieille papeterie où ils travaillaient tous les
deux.
Anouk avait travaillé pendant la guerre, comme des milliers de
femmes :
les hommes étaient loin.
Après avoir quitté l'armée, Michel était revenu pour aider sa mère, veuve et seule,
à s'occuper de la ferme familiale.
Il travaillait à la papeterie pendant la semaine, pour arrondir les fins de mois.
Anouk se dirigeait ce soir-
là vers l'arrêt d'autobus, quand elle
marcha sur une boule de
chewing-gum.
Elle tenta de décoller la
gomme, tout en gardant son équilibre ;
elle ne réalisa qu'elle avait un
public que lorsque Michel apparut à ses
côtés :
- Je vais vous aider...
-Merci, c'est très...
Les mots se figèrent dans sa
gorge quand elle vit les yeux, des yeux verts comme la mer,
profonds comme un vertige ;
des yeux qui
l'attiraient...
Elle se perdit en lui à cet instant précis.
J'ai eu peur que
vous tombiez ...
Il détacha la gomme avec un mouchoir.
- Elle était incapable de parler; elle se contentait de
fixer ces grands yeux
magnétiques, deux océans de
mystère...
-Eh bien, voyons un
peu ; vous ne ressemblez pas à une
Marie-Chantal, ni à
une Zabeth...
Dois-je continuer à
deviner, ou...
-Anouk...Je m'appelle Anouk,
parvint-elle à murmurer, d'une voix tellement
rauque que ça la fit rougir...
-Un joli nom, pour une jolie
fille !
Je sais que nous venons juste de nous rencontrer,
mais ce serait un privilège
pour moi que de vous
raccompagner chez vous...
C'est ainsi
que tout avait
commencé...
Ils devinrent inséparables
; ils sortaient ensemble le
soir;
…pendant le
week-end, ils travaillaient à la ferme.
Ils ressentaient instinctivement le bonheur ou la tristesse de l'autre.
Michel connaissait la
fascination d'Anouk pour
la mer, même si elle
n'y était jamais allée.
Elle collectionnait les coquillages depuis des années ; elle les trouvait aussi bien dans des boutiques de cadeaux que sur
des marchés aux puces.
Passe-temps naïf et obstiné, dont il se moquait gentiment.
Il l'appelait sa "petite sirène perdue".
Ils se voyaient depuis environ trois mois quand Michel lui annonça une
surprise, un dimanche matin.
-Je te ramène chez toi pour
que tu puisses te changer.
Je reviens te chercher dans une
heure, ordonna-t-il
avec un sourire.
- Où allons-nous?
- Surprise ! Habille-toi
décontracté, d'accord ?
Alors qu'elle montait les escaliers, elle détaillait toutes les possibilités : pourquoi
avait-il besoin d'une heure ? La ferme n'était pas si loin. S'habiller décontracté ?
A quel point? Iraient-ils au pique-nique annuel du quartier, au cinéma, au parc ?
Pourquoi ce secret ? Elle passait d'une éventualité à l'autre, modifiant son
habillement en conséquence...
Elle ne trouvait rien, et cela l'énervait.
Elle détestait les surprises,
voulant toujours savoir le pourquoi du comment, et où se trouvait chaque chose dans sa vie.
Mais, depuis qu'elle avait rencontré Michel, elle allait de surprises en surprise : sa
gentillesse, sa douceur et, elle devait bien l'admettre, sa virilité...
Elle vit arriver la vieille camionnette alors qu'elle enfilait
ses sandales.
Elle vola en bas des marches, passa la porte en coup de vent et le rencontra en
boulet de canon sur le perron.
Ho ! Doucement ! Il y a le feu ? Il souriait de voir son excitation.
Quand il lui ouvrit la portière,
elle remarqua qu'il y avait
quelque chose sous une bâche,
sur le plateau arrière.
- Qu'y a-t-il là-dessous ? Ou allons-nous ?
C'est loin ? Ma tenue , ça va?
Michel se pencha et,
d'un baiser,
arrêta les questions.
- Tu es très belle !
Plus de questions
pour l'instant. Allons-y.
Ils arrivèrent bientôt à la rivière, à ce coude qui avait longtemps servi de baignade.
C'était maintenant ensablé, et les baigneurs avaient émigré ailleurs.
Anouk sauta de son siège et regarda Michel soulever la bâche. Il sortit d'abord une
pelle et se mit à dégager une grande surface. Puis de grands
seaux de sable apparurent, qu'il déversa, et qu'il étala
avec sa pelle. Puis ce furent successivement un parasol, des serviettes de plage, de la lotion solaire, des
lunettes de soleil
et enfin des coquillages de toutes sortes, de toutes tailles et de toutes les couleurs.
Anouk avait l'impression d'assister à un remake de Mary Poppins avec son sac
magique..
Il arrangea rapidement tout sur le
sable, conduisit
Anouk vers une serviette et lui piqua une fleur
sauvage dans les cheveux.
-Bienvenue à la plage !
Elle voulut parler, mais il posa un doigt sur sa bouche.
-Écoute... Entends-tu les mouettes, et
les vagues qui chantent sur la
côte ?
Il respira profondément .
-Ah ! Rien ne vaut le parfum de l'océan par une si belle journée ! L'odeur de l'eau salée, le sable
mouillé, et même les poissons! Tu sens le sel sur tes lèvres ?
Regarde : les bateaux de pêche! Qu'est-ce qu'ils attrapent à ton avis ? Des crevettes,
des crabes, du thon ?
Encore une fois, Anouk était sans voix, refoulant des larmes... Il avait
fait tout ça pour elle...
Il ramena vers lui le panier de pique-nique.- J'ai sorti des palourdes ce
matin à Villemer, à côté du phare, dit-il négligemment, en ouvrant une
casserole fumante.
Elle finit par retrouver sa
voix:
- Mais où les as-tu
trouvées ?
- Je te l'ai dit, à Villemer. Il
sourit malicieusement
.
Ils passèrent l'après-midi sur "la plage", alors qu'il lui décrivait joyeusement les détails de leur plage et de leur océan, ils mangèrent les palourdes et de la pastèque, le tout arrosé de bière.
Alors que l'ombre éteignait lentement la plage, ils emballèrent tout, à regret, sauf le
sable et les traces de leurs pas...
C’est ainsi que tout avait suivi …
..Ses pensées revinrent vers la salade aux
oeufs; elle essuya une larme sur la
joue.
Une fine pluie tombait à présent, et les coins-coins furieux de Philomène, l'oie, lui
rappelèrent qu'elle devait donner à manger aux animaux. Pour l'instant, ils
attendraient.
Elle plaça la salade aux oeufs et des fruits sur un plateau, avec des fleurs des champs
dans un petit vase.
En montant l'escalier, elle se dit que les souvenirs aident à
traverser le malheur, maintenant que Michel ne
connaissait plus son nom, et ne savait même plus qui il était.
Elle haïssait la maladie qui lui avait volé sa mémoire, et détruit
sa vie à elle.
Pendant qu'il mangeait, elle lui
parla de cette journée à la
plage...
Elle le regardait, attendant une réponse, un
sourire, un signe, n'importe quoi
qui ressemblât au Michel qu'elle
aimait toujours.
Son silence lui donna la réponse :
elle sut qu'il lui revenait de garder
l'amour et de conserver les
souvenirs.
Pour eux deux.
Texte d’après le récit de Hervé Baudouy
Musique :Andante du concerto pour violon N°4
de MozartPhotos : Internet
Daniel Août 2007 [email protected] Ce diaporama numéro 28 est strictement privé. Il est à usage non commercial.
Alzheimer : 24 millions de malades dans le monde et un nouveau cas toutes les 7 secondes selon une récente étude parue dans la revue médicale britannique The Lancet