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Quand elle sourit, ses yeux se plissent, s’illuminent et tout son visage – d’habitude si sérieux, presque sévère – respire alors une sympathie naturelle que seuls possèdent les gens véritablement bons. Lorsqu’elle parle de sa voix douce et jeune, elle choisit ses mots avec soin et les ponctue de points de suspension, comme si elle hésitait devant la précision de sa pensée.
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Du 3 au 22 mai 200912 P O R T R A I TLe Courrier de RussieLe Courrier de Russie
Quand elle sourit, ses yeux se plissent, s’illumi-
nent et tout son visage – d’habitude si sérieux,
presque sévère – respire alors une sympathie
naturelle que seuls possèdent les gens véritable-
ment bons. Lorsqu’elle parle de sa voix douce et
jeune, elle choisit ses mots avec soin et les
ponctue de points de suspension, comme si elle
hésitait devant la précision de sa pensée. C’est
d’ailleurs ainsi qu’elle avance dans son art, en
cherchant, à tâtons, l’expression juste et le geste
parfait.
Comment faire le portrait de quelqu’un qui
refuse de fixer son image ? « On ne peut jamais seconsidérer comme définitif et surtout pas quand onfait du théâtre, car c’est de l’art de l’impermanenceabsolue », expliquait-elle à Fabienne Pascaud1.
Définitive, Ariane Mnouchkine ne l’est effec-
tivement qu’en apparence, avec sa chevelure
vaporeuse poivre et sel devenue sa signature.
Mais, dès qu’il est question de création, elle
innove sans répit, improvise des heures durant
avec sa troupe, cherche, et souvent ne trouve pas.
Mais elle aime passionnément ces moments de
recherche infructueuse.
Son goût de la création lui vient-il de l'en-
fance ? Anglaise par sa mère, issue d’une famille
comptant de nombreux comédiens, et Russe par
son père, Alexandre Mnouchkine, célèbre pro-
ducteur de cinéma, Ariane grandit dans un
milieu artistique. Elle a huit ans lorsqu’elle
assiste au tournage de L’Aigle à deux têtes de Jean
Cocteau. Plus tard, sur le tournage de Fanfan latulipe, elle aide à panser les chevaux, embête les
techniciens, se fait gronder, admire les stars de
cinéma, véritables dieux olympiens à ses yeux...
Mais du cinéma, Ariane n’en veut guère : ce
monde luxueux et, plus généralement, le monde
du travail, lui font peur. Elle rêve d’un univers
transformable où elle ne se sentirait pas à l’étroit.
La révélation du théâtre viendra tôt, juste
après le bac, pendant ses études à Oxford.
Figurante dans une pièce de théâtre, en montant
dans le bus avec la troupe, une pensée l’éclaire
soudain : « Voilà, c’est cela ! C’est ma vie, (…) cejeu ensemble, monter tous sur un navire qui partloin, très loin, découvrir une terre légendaire etintacte. » Un an plus tard, elle fonde
l’Association théâtrale des étudiants de Paris ; six
ans plus tard, elle a sa troupe. Mais comment
l’appeler ? A l’issue d’une nuit de débats et après
avoir rejeté des noms par dizaines – La Vie, Le
Feu, La Lumière… – elle finit par suggérer « Le
Soleil ». C’est ainsi qu’Ariane – petite-fille
d’Hélios, dieu grec du Soleil – créa son Théâtre
du Soleil.
A l’époque, elle a vingt-cinq ans et ne connaît
rien au théâtre. Mais quelle chance de com-
mencer à l’époque bénie d’avant 68, où des fonc-
tionnaires amateurs du genre sillonnent la
France à la recherche de jeunes talents, où des
directeurs de théâtre sont là pour la conseiller,
où, pour agir, le désir suffit ! Très vite, elle s’ori-
ente vers la création collective : dans sa troupe,
les rôles ne sont jamais distribués à l’avance et,
au lieu des longues discussions autour de la table
qui l’ennuient, le spectacle se crée en jouant, dès
le premier jour.
Cette façon de créer est devenue la marque de
fabrique du Théâtre du Soleil. Leur dernier spec-
tacle, Les Ephémères, est construit autour de
mini-séquences surgies de souvenirs personnels
des acteurs et créées en groupe : scènes de vie
dans lesquelles chaque spectateur se reconnaît.
De 450 ébauches, ils n’en ont gardé que vingt-
neuf pour remplir les huit heures de la représen-
tation. « Lorsqu’Ariane Mnouchkine plonge dansle travail, c’est comme si elle germait à travers sesacteurs – c’est très Stanislavsky ! Elle est un met-teur en scène qui est à la fois le miroir, l’auteur, lasage-femme, le semeur. Elle donne naissance à une
vie scénique infinie qui continue à se multiplier au-delà de sa volonté », explique le metteur en scène
Lev Dodine, dont les méthodes de travail se rap-
prochent beaucoup de celles du Théâtre du
Soleil.
« Le théâtre est fait pour raconter des histoiresvraies, dit-elle, mais ce n’est pas seulement untémoignage, c’est aussi une participation à l’his-toire. » Elle s’adresse souvent à des sujets his-
toriques, de la Grèce Antique à la Révolution
Française, de l’histoire de l’Inde à la Seconde
Guerre mondiale. Et, de l’histoire à la politique,
il n’y a qu’un pas… Même lorsque Mnouchkine
s’attaque aux textes classiques, ils prennent, eux
aussi, un tour politique. Tartuffe devient un
islamiste intégriste faisant du charme à une
famille musulmane. Jamais Ariane Mnouchkine
ne propose de grille de lecture, se fixant comme
seul objectif de faire réfléchir le spectateur. Sur
les traces de Jean Vilar, elle entend rendre le
théâtre au peuple. Chaque soir, selon un rituel
inébranlable, elle accueille elle-même le public à
l’entrée de la Cartoucherie, où le Théâtre du
Soleil joue depuis quarante ans et, après le spec-
tacle, elle trouve toujours le temps pour répondre
aux questions des curieux.
Sa passion de l’histoire se révèle aussi dans son
parcours personnel. Depuis la fin des années
1950, elle s’engage contre la peine de mort,
milite contre la guerre d’Algérie, entame une
grève de la faim pour la Bosnie, loge des sans-
papiers dans son théâtre… Le président Sarkozy
lui propose le Collège de France ? Elle refuse,
furieuse de cette tentative de la faire passer pour
une collaboratrice. On débat sur le délit d’assis-
tance aux sans-papiers ? Les manifestants lisent
sa déclaration devant le Palais de Justice : « Jerefuse cette morbide inversion des valeurs qu’ungouvernement sans culture et sans mémoirecherche à nous faire accepter. (…) Citoyens oui,indics jamais. » Son nom de famille vient de
l’hébreu menukha » qui signifie « paix » et
« repos ». Pourtant, à soixante-dix ans, le repos
est certainement la seule chose qu’Ariane
Mnouchkine n’ait point connue.
Daria Moudrolioubova
1 L’art du présent : Ariane Mnouchkine, entretiens avec Fabienne
Pascaud, Paris, Plon, 2005. 245 p.
ArianeMnouchkine,une vie dethéâtre
D.R
.
Ariadne Mnouchkine et son père