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Université de Blida 2 Faculté des Lettres et des Langues Département de français DIDACSTYLE 5 ISSN : 1112-2080 ISBN : 2013-8009 Juin 2014 Mélanges Didacstyle : Au cœur de l’interdisciplinarité. Hommage à Noureddine STAALI

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Université de Blida 2

Faculté des Lettres et des Langues

Département de français

DIDACSTYLE

5

ISSN : 1112-2080

ISBN : 2013-8009

Juin 2014

Mélanges Didacstyle : Au cœur de l’interdisciplinarité. Hommage à Noureddine STAALI

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ÉDITIONS DE L’UNIVERSITÉ DE BLIDA 2

NUMÉRO COORDONNÉ PAR : HAKIM MENGUELLAT, OUARDIA ACI ET HABET DJAZIA

Prochains numéros de Didacstyle :

Didacstyle n°6 : « L’enseignement universitaire : quelle pédagogie

pour quelle évaluation à l’université algérienne ? »

Didacstyle n°7 : « La littérature africaine »

Comité scientifique

Amina BEKKAT (Professeur, Université de Blida 2) ; Malika KEBBAS

(Professeur, Université de Blida 2) ; Dalila BRAKNI (MC- HDR, Université

de Blida 2) ; Nacereddine BOUHACEIN (Professeur, Université de Blida 2),

Amar SASSI (Professeur, Université de Blida 2) ; Attika-Yasmine ABBES

KARA (Professeur, ENS d’Alger) ; Saliha AMOKRANE (Professeur,

Université d’Alger 2) ; Safia ASSELAH RAHAL (Professeur, Université

d’Alger 2) ; Hadj MÉLIANI (Professeur, Université de Mostaganem) ;

Marielle RISPAIL (Professeur, Université Jean Monnet – St Etienne) ;

Claude CORTIER (MC, Université de Lyon) ; Claude FINTZ (Professeur,

Université Stendhal-Grenoble 3).

Président d’honneur

Monsieur Saîd BOUMAIZA – Recteur de l’université de Blida 2

Directrice de la revue et Responsable de la publication

Dalila BRAKNI – Doyenne de la faculté des Lettres et des Langues

Responsable de la revue

Samir HACHADI

Rédactrices en chef :

Ouardia ACI

Houda AKMOUN (chargée de la post-graduation)

Comité de rédaction :

Sid-Ali SAHRAOUI

Djazia HABET

Hakim MENGUELLAT

Abderrezak TRABELSI

Nassima MOUSSAOUI

Secrétariat de rédaction

Djazia HABET

Abderrezak TRABELSI

Contacts

Université de Blida 2 – El Affroun – Blida.

[email protected]

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DIDACSTYLE

Politique éditoriale La revue Didacstyle est une revue annuelle éditée en version papier qui se

veut diffuseur de recherches interdisciplinaires, menées au sein et en dehors

du département de français de la faculté des Lettres et des Langues de

l’université de Blida 2. Ces recherches s’inscrivent dans divers domaines :

Didactique, sociolinguistique, sociodidactique, littérature…

C’est ainsi qu’en prolongement d’une démarche engagée depuis plusieurs

années (1998), Didacstyle publie des numéros thématiques qui font l’objet

d’appels à contribution. Un numéro varia est publié tous les cinq numéros.

Tous les articles, sous anonymat, sont soumis à lecture et à expertise des

membres du comité scientifique et de lecture. Ce comité est international et

est composé de différents professeurs et maîtres de conférence HDR d’Algérie

et d’ailleurs.

Il est à préciser que la revue Didacstyle décline toute responsabilité quant

au contenu des articles. Seuls les auteurs en sont responsables.

Consignes éditoriales

Les marges à respecter sont :

Échelle « papier » : hauteur 23 cm / largeur : 15.5 cm

Marges : haut, bas, droite, gauche : 02 cm ;

Les coordonnées de l’auteur (Prénom, NOM, université

d’appartenance et courriel) doivent être rédigées et placées en haut

et à gauche de la page en police Californian FB – N° 11 ;

Les articles doivent être écrits :

Normal, police Times New Roman – N°12 ;

Le titre de l’article en police Californian FB – N°16 ;

Les sous-titres en en police Californian FB – N°14 ;

Interligne simple (01 pt) ;

Les articles ne doivent pas dépasser les 40.000 signes (espaces

inclus) ;

Les citations de plus de 03 lignes doivent être mises à la ligne,

centrées et en retrait de 02 cm par rapport au texte ;

La résolution des images / photos doit être de 300 pixels (au

minimum) et de format « JPEG » ;

Les tableaux et figures doivent être maintenus dans un format

« Word » (ne pas convertir en image)

Les références bibliographiques :

Dans le texte : (Nom, année : page)

Bibliographie : (NOM, P., (année), Titre, éditions, ville, p./pp.

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SOMMAIRE

Avant-Propos 08

Axe 1 : La stratégie discursive dans les discours

politique et médiatique

Abdelhak Abderrahmane Bensebia

Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie

discursive (le cas du discours politique)

14

Nawal MOKHTAR SAIDIA

L’anaphore comme stratégie discursive dans le

discours de la presse écrite algérienne

26

LINEDA BAMBRIK

Communication théâtrale et mise en scène du

discours

42

Axe 2 : L’enseignement du français : des

programmes aux pratiques de classe

66

Nassima MOUSSAOUI

L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des

productions écrites

68

Emna SOUILAH

Les programmes de français en Tunisie :

Un modèle de locuteur fort pour le cycle

préparatoire de l’école de base

86

Nawel SACI – BOURKAIB

De l’approche contrastive vers le modèle de la

dynamique de transfert des apprentissages :

Le cas des temps verbaux, marqueurs de

modélisation en arabe et en français

108

Souad MERABET

L’apprentissage coopératif : pour créer le désir

d’apprendre et développer l’expression orale en FLE

chez les 3ème A.M.

126

Axe 3 : Langue(s), culture(s) et identité en

contexte plurilingue et urbain

Rachid CHIBANE

Les innovations langagières chez les jeunes

tiziouziens dans un espace urbain :

Comment les jeunes tiziouziens donnent une forme

linguistique aux événements et aux manifestations

socioculturelles vécues ?

142

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Soufiane BENGOUA

La variation de neuf sons de la structure phonétique

du français dans la langue maternelle d’un groupe de

jeunes locuteurs en Algérie

156

Hania AKIR

Le nom du père, entre identité et existence

166

Hafida BENBOUZIANE

Articulation de l’identité « jeune» à travers les

parlers mixtes

174

Hakim MENGUELLAT

Identité plurilingue et représentations sur les

langues des apprenants au cycle moyen :

Le cas de la région de Blida

184

Salah AIT CHALLAL

Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans

les perceptions interculturelles.

Parcours identitaires et altéritaires

194

Samira RABEHI

Image des langues-cultures et motivation en classe

de FLE :

Former à la rencontre de l’Autre

202

Axe 4 : Les nouvelles écritures romanesques

Hatem AMRANI

Le bris entre Verre cassé et Babyface

214

Khadidja BENKAZDALI

Le français comme forme d’expression

contestataire dans À quoi rêvent les loups de Yasmina

Khadra

226

Soumeya BOUANANE

Hommage : Hamid SKIF : « L’Avocat sans robe »

238

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AVANT-PROPOS

Le numéro 05 de la revue Didacstyle intitulé « Mélanges

Didacstyle : au cœur de l’interdisciplinarité » est un numéro hommage

à notre cher enseignant, collègue et ami Feu STAALI Noureddine (1951-

2011). Ce numéro réunit les travaux de chercheurs et jeunes

chercheur(e)s en Didactique, Sociodidactique, Analyse de discours,

Sociolinguistique et Littérature. Ces travaux s’inscrivent dans les axes

suivants :

- Axe 01 : La stratégie discursive dans les discours politique et

médiatique ;

- Axe 02 : L’enseignement du français : des programmes aux

pratiques de classe ;

- Axe 03 : Langue (s), culture (s) et identité en contextes

plurilingue et urbain ;

- Axe 04 : Les nouvelles écritures romanesques

Dans le premier axe (La stratégie discursive dans les discours

politique, médiatique et littéraire), Nawal MOKHTAR–SAIDIA aborde

« l’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse

écrite algérienne ». À partir de l’analyse de dix articles tirés du

quotidien algérien d’expression française le Quotidien d’Oran, elle

montre que les marqueurs anaphoriques jouent un rôle important dans

la cohérence sémantique d’un texte, soit dans la progression des

informations, soit dans la progression du raisonnement. Elle confirme,

à la fin de sa contribution, que l’anaphore est une stratégie

spécifiquement sémantico-pragmatique, permettant d’assurer un

enchaînement cohérent dans le discours de la presse algérienne.

Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA traite de la stratégie

discursive et argumentative dans le discours politique. Partant des

interprétations qu’en donnent les chercheurs en analyse du discours

(DUCROT, GUMPERZ, CHARAUDEAU), il en propose une nouvelle

définition axée sur l’efficacité. Selon l’auteur, une stratégie discursive

efficace doit prendre en compte les composantes de logique, discipline,

fermeté et courage, sociabilité et implication directe.

La contribution de Lineda BAMBRIK s’intéresse aux stratégies

discursives dans deux œuvres littéraires, à savoir Don Quichotte de

Cervantès et Jacques le Fataliste et son maître de Diderot. Elle centre

son travail sur l’étude de la forme doublement dialoguée qui insère ce

corpus dans la communication théâtrale. Elle explique comment les

éléments constitutifs du schéma de la communication de Roman

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Jacobson subissent des perturbations dans leurs fonctions et leurs

définitions traditionnelles. Elle démontre une mise en décalage de la

structure du discours, une écriture de la confusion qui puisse aboutir à

subvertir les dimensions discursives.

Dans le deuxième axe (L’enseignement du français : des

programmes aux pratiques de classe), Emna SOUILAH propose une

révision de la réforme scolaire entreprise en Tunisie en 2007. Elle

examine les nouveaux programmes de français et démontre le décalage

existant entre les compétences visées et les besoins réels des apprenants.

Elle aboutit à la nécessité de réajuster les programmes en les adaptant

au contexte tunisien.

La contribution de Souad MERABET tend à éclairer les

problèmes de motivations lors de l’apprentissage de la production orale

chez les élèves de 3ème du cycle moyen algérien et d’en proposer

quelques pistes de remédiations. L’auteure s’appuie sur les principes de

la pédagogie coopérative pour créer le désir d’apprendre et développer

l’expression orale de ces élèves. Elle présente une expérimentation

réalisée dans un collège de la wilaya de Batna, mettant en place un

dispositif d’apprentissage collaboratif. Elle présente une analyse de

cette démarche qui lui a permis de valider son hypothèse de départ.

Nawel BOURKAIB-SACI soulève, dans sa contribution, la

problématique du transfert des apprentissages de la L1 (l’arabe) à la L2

(le français). Elle s’intéresse particulièrement à la modalité dans ses

rapports avec les formes verbales en supposant que ces dernières, en

tant que marqueurs de modalité, fonctionneraient différemment dans les

deux langues. Cette contribution vise à réfléchir sur une démarche qui

positiverait le recours de l’apprenant à ses acquis en langue source afin

de favoriser l’apprentissage de la langue cible.

Enfin, la contribution de Nassima MOUSSAOUI appelle à

changer la conception de l’erreur, dans le cadre de l’évaluation

formative, pour en faire un moteur de progression et non un obstacle à

l’apprentissage. Après une tour d’horizon des définitions attribuées à la

notion d’erreur, et par conséquent de norme, de grammaticalité et

d’acceptabilité, l’auteure dresse un inventaire des types d’erreurs en

essayant de les adapter aux spécificités des écrits des apprenants

algériens.

Dans le troisième axe, (Langue (s), culture (s) et identité en

contextes plurilingue et urbain) Rachid CHIBANE, dans son article,

s’inscrit en sociolinguistique urbaine et s’intéresse aux pratiques

langagières et socio-langagières des jeunes « tiziouziens » ainsi qu’à la

construction de l’identité de ces jeunes kabyles. Selon l’auteur : « C’est

dans l’espace urbain que se forme un nouveau langage, signe d’un

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groupe social marginalisé. Du fait que la ville est un univers conflictuel,

un conflit linguistique au même titre qu’un conflit social apparaît. »

Hania AKIR nous propose, à travers une analyse de l’acte de

« nommer », un article autours de la construction fondée sur le nom du

père. Ce nom, qui, selon l’auteure, revêt une importance capitale dans

la reconnaissance de soi et la reconnaissance sociale.

Hafida BENBOUZIANE, se propose dans sa contribution de

revenir sur le « langage jeune » et sur le concept d’identité jeune. En

effet, son analyse se focalise sur la volonté des jeunes locuteurs

d’opérer un éventuel marquage identitaire. Cette analyse se fonde sur

les pratiques langagières de ces jeunes.

Hakim MENGUELLAT, se penche, quant à lui, sur les

représentations et l’identité plurilingue des élèves du cycle moyen à

Blida. En effet, il démontre à travers son corpus, composé d’entretiens

semi-directifs transcrits, que les représentations qu’ont les élèves (issus

d’origines et de cultures différentes) sur les langues ont un impact sur

la construction de l’identité linguistique et sociale.

Salah AIT CHALLAL dans son article s’intéresse aux

représentations socioculturelles en contexte plurilingue. Il part du

postulat que ces dernières circuleraient à travers des circuits déterminés

et façonnés. Les représentations permettraient de montrer comment se

construisent et se définissent les identités et l’altérité à travers « un

triple mouvement de sublimation, de projection et d’identification. »

(COLLÈS, 2004 :166), dans le cadre de croisements interculturels.

Samira RABEHI s’interroge dans son article sur la formation au

culturel et à l’interculturel. En effet, elle soulève la problématique de

« l’image de l’Autre » et se demande quel impact / aide pourraient avoir

l’outil informatique (Internet – TICE) sur un éventuel apprentissage axé

sur la motivation d’un apprentissage des langues-cultures.

La contribution de Soufiane BENGOUA, s’oriente vers un

nouveau concept qu’est celui de « sociophonétique ». En effet, il part

de l’hypothèse selon laquelle il y aurait un degré d’exposition au

français qui régirait une certaine variation phonétique chez les jeunes

en termes de perception, mais pas en réalisation. À travers ce travail,

l’auteur a pu mettre en exergue la (s) langue (s) première (s) des jeunes

locuteurs observés. L’objectif étant de réguler cette variation

phonétique en réalisation et en perception.

Dans le quatrième axe (Les nouvelles écritures romanesques), La

contribution de Hatem AMRANI traite de la forme éclatée dans l’écriture

romanesque à partir d’une étude comparée entre l’œuvre d’Alain

MABANCKOU « Verre cassé » et celle de Koffi KWAHULÉ

« Babyface ». Malgré la dissemblance entre les deux romans, l’auteur

conclue à une complémentarité dans la pratique de cette nouvelle forme

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11

d’écriture. En effet, dans le premier roman, la fragmentation du discours

se manifeste par l’intertextualité, en intégrant les propos des autres dans

le discours même de l’auteur, alors que le deuxième roman illustre la

forme éclatée par disposition visuelle fragmentée.

La contribution de Khadidja BENKAZDALI rend compte de la

littérature de l’urgence dans le roman intitulé « À quoi rêvent les loups »

de Yasmina Khadra. L’auteure se demande si la langue française, avec

ses différents registres, en particulier l’argotique et le familiers, permet

d’exprimer la violence, les tabous et les interdits qui ont caractérisé

l’Algérie des années quatre-vingt-dix.

Dans la dernière contribution, Soumeya BOUANANE rend hommage

à Hamid SKIF (1951-2011), journaliste, poète et auteur algérien

d’expression française, contraint à l’exil en 1997, durant la décennie

noire. Après avoir retracé la biographie de Hamid SKIF, l’auteure de

cet hommage achève sa contribution sur une note poétique (extrait d’un

poème de H. SKIF, intitulé Les exilés du matin).

Ouardia ACI,

Djazia HABET,

Hakim MENGUELLAT

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AXE 1

LA STRATÉGIE DISCURSIVE DANS LES

DISCOURS POLITIQUE ET MÉDIATIQUE

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14

Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA LECIAD, Université de Mostaganem Abdelhamid Ibn Badis [email protected]

Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

(Le cas du discours politique)

Le concept de stratégie De point de vue étymologique, le concept de stratégie signifie « l’art

de la guerre » ou « l’art de savoir déployer les troupes pendant la

guerre », et même si cette définition demeure pertinente à nos jours, la

difficulté d’une telle conception tient dans son association aussi à

d’autres domaines et la capacité d’une telle conception à se rendre

compte des mutations actuelles.

D’une part, la stratégie en tant que concept emprunté au domaine

militaire suggère la présence d’une action mesurée, étudiée, un

ensemble de tactiques permettant d’atteindre un but, qui se mesure à

travers la finalité qui lui est assignée. D’ailleurs, derrière chaque

stratégie se cache un objectif, qui pour notre cas d’étude, est d’être

toujours près de l’auditoire, et de jouir d’une place importante dans la

vie quotidienne.

Nous trouvons dans le dictionnaire de la stratégie que ce concept

dérive du mot grec « stratêgos » qui caractérise « un chef d’armée

», tandis que le verbe « stratêgein » signifie « commander un ensemble

de troupes armées ». « STRATÈGE n.m. est un emprunt savant

(1721) au grec stratêgos «chef d’armée général,

«stratège (à Athènes)", "chef militaire", formé de

stratos "armée", "foule", "troupe" et de agein

"conduire». Stratos, dont le sens originel est

"armée installée, qui campe", se rattache à une

racine indoeuropéenne ster "étendre" que l'on

retrouve dans le latin sternere, stratum

"étendre" (-> estrade, strate) ; agein vient d'une

base indoeuropéenne ag- "pousser devant soit

(un troupeau)", comme le latin agere, actum

"conduire" (agir). À l'époque impériale, le latin a

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

15

emprunté au grec le substantif strategus "général

d'armée" et par figure "président (d'un banquet) ».

« STRATÉGIE : n.f. emprunté d'abord

(1562) au latin impérial strategia, du grec

stratêgia, le sens de "gouvernement militaire

d'une province", sorti d'usage. Réemprunté au

début du XIXè s; au dérivé du grec stratêgia

"commandement d'une armée", "charge de

stratège" et "aptitude à commander une armée", il

désigne (1803, Bloch et Wartburg, puis 1812)

l'art de faire évoluer une armée sur un théâtre

d'opérations jusqu'au moment où elle entre en

contact avec l'ennemi, puis, spécialement (1876),

la partie de la science militaire qui concerne la

conduite générale de la guerre et l'organisation de

la défense d'un pays. Dans ces deux valeurs, le

mot est opposé à tactique. Comme ce dernier,

stratégie s'emploie par figure pour parler d'un

ensemble d'actions coordonnées ; d'abord par

métaphore du sens militaire (Pourquoi la paix

n'aurait-elle pas sa stratégie ? E. de Girardin),

ce sens ne s'est lexicalisé que plus tard par

exemple dans stratégie électorale (stratège, en

ce sens se répand peu avant 1914) ; par

extension, il s'est introduit dans le vocabulaire de

l'économie (1973, stratégie défensive), de la

publicité (stratégie de communication) et désigne

généralement la manière d'organiser une action

pour arriver à un résultat.1 »

Les difficultés de toute définition possible peuvent émaner des

cadres disciplinaires uniques ou hétérogènes. En Agriculture, par

exemple, le laboureur a sa propre stratégie, comme en politique, ou en

littérature. En sciences de l’information et de la communication, ce

concept reste, sur le plan définitionnel flou, d’où la nécessité de

l’inscrire dans un cadre disciplinaire précis. Désormais, la première

difficulté peut se dégager de la banalisation de ce concept, pourtant

majeur. Il est employé quotidiennement, sans nuance de sens, avec les

concepts de but, finalités ou encore objectif. Or, chacun sa propre

stratégie, et par conséquent, sa propre définition.

Dans un premier temps, rappelons-nous que le concept de stratégie

qui est emprunté au domaine militaire, suggère une action mesurée, un

ensemble de plans et de tactiques permettant d’aboutir à ce qui est déjà

1 Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, page 3650 et

3651

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Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA

16

visé, ou d’atteindre un but qui se mesure à travers la finalité, qui y est

assignée. D’ailleurs, derrière toute stratégie se cache un objectif.

La stratégie discursive serait donc définie comme l’action menée

grâce aux langages et les interactions sociales, en investissant dans

d’autres stratégies extra langagières. Cette stratégie n’est qu’une

réponse au besoin d’affronter une situation quelconque, ou pour faire

passer une option quelconque, jugée importante.

Le concept de stratégie pourrait se définir comme un ensemble de

moyens mis en œuvre pour agir sur autrui, qui tendent à réaliser ce qui

déjà débuté.

Les stratégies discursives ou les intentions énonciatives participent

à la conception et à la réalisation des activités langagières, dont le

premier objectif semble « déterminer l’efficacité dans et par le discours

».Toutefois, il semble important de distinguer entre les stratégies

discursives comme un engagement pris par la personne ou le groupe, en

empruntant le chemin de la discursivité pour réaliser des objectifs,

et la stratégie dans le discours, comme activité langagière spontanée et

relevant de la nature humaine.

La stratégie discursive peut être définie comme la volonté qui

cherche à manipuler l’auditoire, en investissant davantage dans tout

ce qui est affect, dans tout ce qui est raison, dans tout ce qui est

intentionnel, dans ce qui est réalité, dans tout ce qui a été et dans tout

ce qui sera. Dans un discours politique en particulier, l’accent sera mis

sur les moyens à déployer, qui tendent à dominer et à convaincre. La

fabrication de chaque élément nécessite le recours à une stratégie

partielle ; une stratégie partielle qui déterminera l’efficacité et la

réussite de la stratégie discursive globale.

Le défaut d’une stratégie en général réside d’une part, dans

l’individualisation et les improvisations irréfléchies, sans tenir compte

de l’existence de plusieurs tactiques qui diffèrent selon les structures

hiérarchiques au sein de l’auditoire. D’autre part et toujours dans une

stratégie discursive, ce qui prime doivent être aussi les mots utilisés et

non pas les idées, l’idée réelle n’est jamais dévoilée, mêmes si les

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

17

objectifs demeurent les mêmes, ce qui changent éventuellement sont les

moyens d’agir. L’importance est accordée au sens des mots en excluant

le contexte, car le mot est, par définition, polysémique selon l’usage et

le contexte d’usage.

Stratégie discursive dans le discours La stratégie discursive, dans la théorie de l’argumentation de

DUCROT2, se présente comme une stratégie qui inscrit l’énoncé dans

un cadre dynamique du fait qu’il contient des potentialités

argumentatives et descriptives, qui font déployer plusieurs

compétences pour comprendre les visées illocutoires de chaque

énoncé, en présence. Cependant, le sens réel d’un énoncé ne se dégage

qu’à travers l’étude de sa structure, construite grâce à cet ensemble de

stratégies, qu’il faut considérer aussi comme mécanismes, cherchant le

sens, en investissant davantage dans la structure profonde de l’énoncé,

une conception qui nous rend au cœur de la grammaire générative, qui

cherche à découvrir la valeur sémantique d’un énoncé.

En se versant dans cette théorie, force est de constater que la

stratégie discursive est substituée à la théorie de l’argumentation : les

stratégies discursives sont définies comme des mécanismes qui

cherchent le sens des énoncés, et l’argumentation dans le discours.

Ces stratégies se déploient en vue de découvrir le sens réel, pourtant

profond et dynamique des énoncés. Elles se sont vues aussi déployées

par l’allocutaire, cette fois-ci comme stratégies qui cherchent à

interpréter le sens en présence.

La stratégie discursive efficace pour GUMPERZ3 est celle qui

couvre trois éléments ; — La compétence communicative des

partenaires de l’échange (communicative

competence) ;

— Le principe fondateur de la cohérence

stratégique (a principale of strategic

consistency) ;

— L’interprétation n’est qu’un processus qui

se déduit à partir de l’inférence

conversationnelle ( conversational inference).

Communiquer, c’est informer l’autre, construire de nouvelles

connaissances, capter l’auditoire, de l’influencer, lui permet de faire

comprendre la réalité sociale, interpréter les événements…

2 DUCROT Oswald, Les échelles argumentatives, Paris : Éd. Minuit, 1980,

p.72. 3 GUMPERZ J., Discourse strategies, Cambridge: Cambridge University

Press, 1982.

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Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA

18

Investir dans l’acte de communiquer, c’est aussi produire de

l’influence qui commande le premier processus. En fait, ce qui

prime dans cet acte, c’est plutôt le processus d’influencer.

L’énonciateur ne parle qu’après avoir introduit la dimension

psychologique dans la structure linguistique, permettant ainsi de se

mettre en relation avec l’autre. C’est ici que le sens social devient de

plus en plus en position de force, qui fait appel à d’autres approches

pour le décortiquer.

Charaudeau fait une nette distinction entre le comportement

langagier et le comportement actionnel en vue de définir les concepts

de contrat de communication et de stratégie. Comme tout acte de communication,

la communication médiatique se réalise selon un

double processus de transformation et de

transaction. Dans le cas de la communication

médiatique le “ monde à décrire ” est le lieu où

se trouve l’ “événement” et le processus de

transformation consiste pour l’instance de

production, que Charaudeau appelle « instance

médiatique », à faire passer l’événement d’un état

que l’on peut qualifier de « brut » à l’état de

monde médiatique construit, c’est-à-dire de «

nouvelle ». Mais ce processus se trouve sous la

dépendance du processus de transaction qui

consiste à construire la nouvelle en fonction de la

manière dont l’instance médiatique imagine l’

“instance réceptrice”, laquelle réinterprète la

nouvelle à sa manière.

Ce double processus s’inscrit dans un contrat

qui détermine les conditions de mise en scène de

l’information, orientant les opérations qui doivent

s’effectuer dans chacun de ces processus, l’espace

"spécifier son projet de parole.4

4 SIMUNIC Zrinka, Une approche modulaire des stratégies discursives du

journalisme politique, Thèse de doctorat, Université de Genève, juin 2004,

sous la direction de sous la direction du Professeur Eddy Roulet, p.36.

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

19

Le comportement actionnel est synonyme de l’action qui réclame le

changement par le pouvoir de dire, un changement qui doit aboutir et

qui s’inscrit dans le cadre de l’objectif global. L’objectif tracé demeure

inchangé, par opposition au discours qui se développe, qui se diversifie

en fonction des instances et l’auditoire.

Le comportement langagier se manifeste dans un cadre ouvert. Il

s’agit de dévoiler les intentions et les buts d’un programme politique,

de travailler pour exposer les idées et les éléments qui s’insèrent dans

le cadre du projet défendu, par opposition au comportement actionnel

qui demeure exploité dans un cadre restreint5.

D’un point de vue méthodologique, la notion de stratégie

discursive semble moins exploitée. La stratégie discursive peut être

définie comme un corps discursif complexe, qui tend à convaincre,

sinon à légitimer une action ou à justifier une attitude. Cette définition

provisoire s’emprunte beaucoup au domaine militaire1.

La faiblesse aussi dans la définition de ce qui pourrait être une

stratégie discursive tient, en premier lieu, de cette diversité. Elle est ni

un produit acheté ni le fruit d’un apprentissage. Il s’agit de l’effet

de la société en général, c’est un produit acquis par et pour l’individu,

dans le but de faire face à des situations pas encore approchées. C’est

en quelque sorte, l’intelligence individuelle, qui serait mesurée par

l’action et le langage. Cependant, parler ou communiquer bien n'est

pas un acte mineur. Le désir de réaliser un but témoigne de la présence

d’une stratégie au sein de l’action.

5 BENSEBIA Abdelhak Abderrahmane, Les stratégies discursives dans le

discours présidentiel algérien de 1996 à 2006- Typologie textométrique des

textes en langue française, Éditions EUE, Allemagne. N°ISBN 978-3-8417-

8318-9.

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Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA

20

D’autre part, action et langage, sont des produits distincts, qu’il ne

faut pas prendre ensemble, dans le plan de l’analyse pragmatique, mais

indispensables dans toute doctrine d’analyse à caractère socio-

langagière.

C’est de la « débilité scientifique » de considérer ou de définir la

stratégie discursive comme une action qui a besoin de la composante

linguistique, ou l’inverse. Ce type de stratégie ne peut être défini que

comme principe de fonctionnement social.

En fait, si nous prenons le concept de stratégie seul, nous

constatons que la stratégie n’est pas un produit homogène, et qui

n’accepte d’être comparée avec d’autres types de stratégies. La stratégie

est par définition individuelle, la stratégie efficace, en général, est celle

qui s’alimente directement de la société ou de l’environnement

immédiat. Il existe tant de stratégies au nombre des individus et les

groupes. Le fait aussi de définir la stratégie discursive comme ce que

nous aimons entendre, c’est de la grande supercherie. Cette typologie

de stratégie n’est que l’intelligence sociale, adaptée par les individus,

sans que les traces de la stratégie sociale et individuelle ne soient

perdues.

La stratégie de l’intelligence sociale est la stratégie, empruntée au

domaine militaire, mais au pluriel. La stratégie, en tant que terme

généralisant, étudiant l’action, est à considérer comme un art, une

approche, étudiant les méthodes qui pourront mettre la finalité sur les

bons rails. Les stratégies sont donc cette approche qui prend en charge

chaque stratégie à part entière. La stratégie argumentative, dans cette

nouvelle doctrine par exemple, est à prendre pour une méthode, et non

pas comme une stratégie, du fait qu’elle se caractérise par son caractère

hétérogène, qui s’alimente des différentes approches et sciences,

acquises par celui qui la développe dans le cadre d’une situation

particulière ou globale.

L’argumentation dans le discours n’est pas la même que comme

l’argumentation par le discours. L’énonciateur pourrait développer ses

propos en investissant dans les différentes formes des connaissances et

informations, dont le discours n’est qu’un complément, mais qui mérite,

d’autre part, d’être analysé, sous différents points possibles.

Stratégie discursive entre efficacité et finalité A fortiori, la stratégie n’est que la finalité, un instrument qui analyse

le point de départ. Son efficacité ne se mesure que par le point d’arrivée.

De telle perception, les sciences et les approches qui étudient les

différentes composantes de cette stratégie sont multiples, et aucun

contenu de cette stratégie ne pourra être homogène. Ce point nécessite,

certes beaucoup d’éclaircissements, mais voici en fait, un exemple.

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

21

Un projet politique n’est pas seulement une action et un discours, c’est

plus que ces deux éléments, pourtant indispensables. L’économie, le

social, la diplomatie… chaque composant nécessite la présence d’une

finalité, ou au moins un nombre de buts à atteindre. Par conséquent,

la diplomatie, à titre illustratif, est le projet de toute une Nation, qui

réclame la présence du consentement collectif, malgré la diversité des

partis et les orientations politiques, par opposition aux autres

composants qui ne sont que le fruit d’une réflexion, au moins groupale,

et chaque composant exige la présence d’une multitude d’action, dont

la finalité demeure unique.

Dans cet exemple, parmi d’autres, qui vont suivre, permettent de

montrer qu’il existe plusieurs penchants idéologiques au sein d’un

projet politique, la stratégie est qualifiée de démarche intelligente qui

fait appel à plusieurs doctrines et approches, analysant chaque finalité

à part. Une telle approche met en place le début d’une nouvelle

tentative de « réinscription méthodologique ». À travers cet exemple,

les nouvelles pistes s’éclaircissent. D’autre part, la stratégie

discursive, en tant que composante, dont l’angle d’analyse demeure

multiple, peut être perçue comme une voie, parmi d’autres, s’inscrivant

dans le discours, et dont la diversité des actions et la diversité des

approches d’analyses demeurent apparentes. Il n’y a pas une seule

stratégie discursive, mais une multitude de stratégies discursives au

sein d’un discours politique.

De ce fait, les stratégies discursives sont des composantes de

discours qui investissent beaucoup plus dans les différentes formes de

discours, du corps et du gestuel.

D’autre part, les stratégies ne sont pas uniquement ce listage.

Elles ont besoin aussi d’autres formes de la cognition, de la

psychologie, de l’adaptabilité des connaissances. Elles sont aussi

constituées des connaissances et les informations acquises ou apprises

par le biais des milieux formels ou informels.

Il est clair que le discours n’est pas uniquement des structures

syntaxiques ou linguistiques, c’est beaucoup plus un ensemble de

connaissances à démontrer, à développer, à critiquer…Par conséquent,

les stratégies discursives sont en premier lieu des connaissances et des

informations, adaptées par le fait de discourir.

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Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA

22

Plaidoyer pour une nouvelle définition Les stratégies discursives sont des formes parmi d’autres formes

possibles permettant de faire apparaître notre savoir, dont les approches

d’analyses demeurent compliquées, mais surtout diversifiées, d’où

vient la difficulté de toute intervention méthodologique. La stratégie

globale est celle qui fait appel à d’autres moyens, permettant l’atteinte

d’un but ou d’une finalité. Les stratégies discursives sont aussi à

considérer comme des sous-stratégies qui s’insèrent dans le cadre d’une

stratégie globale. Il n’y a pas de stratégie particulière, mais une stratégie

globale.

Quant à la stratégie de manière générale, il s’agit de prévoir une

situation inédite, savoir comment se comporter et réagir face à une

situation nouvelle. Il est clair que la finalité n’est mesurée qu’à travers

la voie empruntée. L’efficacité est dans la stratégie et non pas dans la

finalité, qui n’est que la somme des buts tracés.

La stratégie est aussi la lecture des données de l’univers immédiat

ou global, de les réunir, de les comparer, de les différencier les unes

des autres pour en tirer des conclusions, mais aussi de comprendre ces

dernières en vue de faire couronner une idée, de dominer ces deux

univers. Cependant, il semble délicat de dominer un univers, par

définition hétérogène, qui n’accepte pas les mesures et les interventions

irréfléchies.

Chaque situation aurait besoin d’une stratégie adéquate, dont le

recours aux composantes, déjà évoquées, demeure déterminé par le

génie du groupe ou de la personne, de la sociabilité, de la raison

comme de la ruse, de la légitimité comme de la manipulation. La

stratégie réelle n’est définie que comme le moyen qui paraît déterminé

aussi par l’éthique, car celui qui tend un piège aujourd’hui, se verra

victime un jour, d’un autre piège, d’une autre personne.

La stratégie est aussi l’idée à faire aboutir, déterminée par le

temps et par un ensemble de moyens efficaces, mais de natures

différentes (tactiques), en menant un combat qui s’alimente en premier

lieu de la morale et qui investit beaucoup dans le changement positif.

La stratégie efficace est celle qui fait fonctionner les stratégies de

compréhension et de production, d’attirer l’auditoire à partir de ses

caractéristiques spécifiques, sans que la ruse ne soit le but, et sans

que la faiblesse ne soit l’obstacle premier. Il est à insister sur les

différentes natures qu’une stratégie pourrait avoir, en ne commençant

pas par les idées, même s’il s’agit d’une donne cruciale, mais par les

lexies en premier lieu, par le degré de l’implication directe dans le

discours et dans la société, et enfin, par tout ce qui est gestuel.

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

23

La force d’une stratégie dans un discours politique tient, avec

beaucoup de force, de la capacité de l’énonciateur à imiter une

personne aimée par la foule, en trouvant aussi sa force dans l’utilisation

des mêmes mots en les adaptant aux différents contextes, en n’excluant

pas les critiques, parfois acerbes, de les adopter et de les adapter,

d’introduire le mécanisme permettant de faire véhiculer les idées,

surtout de s’auto-corriger, devant la foule, de reconnaître les bavures…

L’action doit être encore une fois maîtrisée, l’avancement des

idées n’est pas un enchaînement simple de quelques mots ou de

quelques phrases, et répondre avec aisance à toutes les questions

posées. La stratégie discursive dans un discours politique demeure

capable de s’aligner sur la même ligne de départ, participant à

l’émergence de différentes stratégies, apte à investir dans les

mécanismes qui font naître la pitié, la tristesse, qui seront assistées par

la sympathie et corrigées par la volonté de changer.

Le discours efficace est celui qui embrasse les différentes formes

rhétoriques et de rhétoriques ; nous partons d’une rhétorique

historique, en croisant une autre didactique, et nous terminons par une

rhétorique souvent de la réalité. Désormais, nous insistons davantage

sur la rhétorique didactique qui demeure importante, sinon décisive de

la vie d’un discours politique. Il adopte une vision qui s’ouvre sur la

volonté de changer en diversifiant les idées, les programmes, les

implications, et se termine par l’aboutissement des idées. D’autre part,

que l’accent soit mis sur un discours qui ne promet pas, mais qui

fait fonctionner la société, et qui réalise les objectifs de départ. De

cette conception, nous considérons dans une première expérience que

le discours qui promet est un discours qui s’alimente de la ruse. Le

discours politique ne doit pas investir dans des idées qui ne se

concrétisent pas, sinon qui dépendent de la structure sociale ou

économique d’une nation. Dans un second temps, les objectifs tracés

doivent être réalisables, en suivant un plan d’action s’inscrivant dans le

temps.

À ces deux composantes de la stratégie discursive, viennent

s’ajouter les différentes formes et formules, à partir desquelles dépend

la dimension symbolique du discours. L’habillement surtout, et les

autres éléments extralinguistiques font dévoiler le génie de la personne

ou du groupe, des éléments qui correspondent à chaque circonstance.

Les stratégies discursives ne sont pas une seule recette à appliquer

à toutes les situations ; ce qui est conçu pour la société française n’est

pas forcément valable pour la société algérienne, et c’est d’ici que

tienne la première faiblesse de ce type de stratégies. La deuxième

faiblesse est celle qui nie l’existence de plusieurs idées au sein de

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Abdelhak Abderrahmane BENSEBIA

24

la composante sociale et du groupe. La diversité des idées au sein de

ces structures est un bon signe, que les personnes doivent en profiter6.

Conclusion En guise de conclusion, et à la diversité des stratégies discursives,

il existe plusieurs points et angles d’analyse, permettant ainsi de

justifier les actions et les visions. Les stratégies discursives gardent le

principe d’être analysées linguistiquement pour se rendre compte de la

dynamique de l’action de l’acte de communiquer ou de parler. Investir

dans la composante linguistique, c’est étudier les formes syntaxiques

et sémantique, en vue de déterminer le sens social de l’action et du

discours, de l’âme du discours.

Quant aux autres connaissances, il s’agit d’une difficulté de taille de

les mesurer d’un point de vue vérité ou fausseté. Ce n’est pas le but

tant recherché dans le discours, mais étudier ces connaissances, c’est

aussi vérifier le degré de l’adaptabilité de ces connaissances avec la

situation globale, de la finalité défendue, le degré de l’implication

dans la scène et dans le discours, la qualité de ces connaissances, et

les états de comparaison dressés.

Les stratégies discursives sont des mécanismes qui reflètent le génie

de l’énonciateur. Il s’agit du talent dans la construction du sens par et

dans le discours, qui exige la présence de la pertinence, et de

l’efficacité de la part de l’énonciataire, qui seul pourra déterminer le

sens original de chaque stratégie en présence.

Les stratégies discursives efficaces sont celles qui incorporent dans

leurs structures les composantes : logique, discipline, fermeté et

courage, sociabilité et implication directe. La logique inscrit le discours

et l’action dans la continuité en excluant la ruse et la manipulation.

Quant à la discipline, c’est la morale qui doit primer, et demeure la clé

de voûte qui caractérise la trajectoire des actions.

La fermeté, c’est l’insistance dans et par le discours. Elle met en

place un dispositif qui inscrit l’objectif tracé au départ, comme le but

à atteindre, indépendamment des évènements qui peuvent surgir. Elles

tiennent en compte aussi de la présence de la diversité, qui n’est pas à

exclure, mais qui doit être source de réadaptation des actions et les

discours. Quant au courage, c’est la volonté ferme qui s’engage dès le

départ, en vue d’aboutir à ce qui a été visé. C’est la morale dans

l’action, la foi dans le discours.

6 BENSEBIA Abdelhak Abderahmane, Étude des comportements

langagiers dans les milieux diglossiques, mémoire de magistère, Bibliothèque

de l’Université d’Oran, 2005.

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Vers une nouvelle lecture du concept de stratégie discursive

25

La teneur et la sévérité sont les caractéristiques d’une stratégie

politique globale, mais réelle qui a besoin d’un support langagier, à

côté d’une autre stratégie qui vise le rapprochement social, qui entend

et qui se voit entendue, grâce à la diversité des actions, des discours

qui doivent être conçus pour répondre avec efficacité aux objectifs de

départ. La sociabilité, enfin, c’est investir dans les rhétoriques et les

stratégies de la simplicité ; des stratégies qui relatent la réalité, qui

aspire à changer les données.

Bibliographie BARRY O. A., Les bases théoriques en analyse du discours (textes

imprimés), collection : Textes de Méthodologie, disponibles sur :

http://www.chaire-mecd.ca

BENSEBIA A.A. (2005) : Étude des comportements langagiers

dans les milieux diglossiques, mémoire de magistère, Bibliothèque de

l’Université d’Oran.

BENSEBIA A. A. (2011) : Les stratégies discursives dans le

discours présidentiel algérien de 1996 à 2006- Typologie

textométrique des textes en langue française, Éditions EUE,

Allemagne. N°ISBN 978-3-8417-8318-9.

DUCROT O. (1980) : Les échelles argumentatives, Paris : Éd.

Minuit, p.72.

GUMPERZ J. (1982): Discourse strategies,: Cambridge Cambridge

University Press.

Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, page 3650

et 3651

SIMUNIC Z. (2004) : Une approche modulaire des stratégies

discursives du journalisme politique, Thèse de doctorat, Université de

Genève, sous la direction de sous la direction du Professeur Eddy

Roulet, p.36.

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Nawal MOKHTAR SAIDIA Université de Bouzaréah, Alger 2 (Algérie) [email protected]

L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse écrite algérienne

Notre travail se propose de montrer l’impact que peuvent avoir les

marqueurs anaphoriques en tant que marqueurs de cohésion

susceptibles d’orienter le destinataire vers un déjà dit et/ou de

fonctionner comme des reprises qui synthétisent à l’intention du lecteur

de vastes informations antérieures ; ce faisant, ils opèrent en même

temps une certaine évolution thématique dont l’écart sémantique et

référentiel n’est pas en rupture avec ce qui précède mais en continuité,

afin d’assurer la dynamique textuelle. La problématique choisie induit

deux questions fondamentales auxquelles nous tenterons de répondre :

— Quels rôles peuvent jouer les anaphores dans le discours de la

presse écrite algérienne ?

— Comment et pourquoi les journalistes algériens utilisent-ils les

marqueurs anaphoriques ?

Cette étude porte sur l’analyse d’un corpus constitué d’exemples

puisés dans les textes journalistiques d’un des organes de la presse

écrite algérienne d’expression française : le Quotidien d’Oran. Ce genre

de corpus présente un double intérêt. D’abord, nous avons choisi le

discours journalistique comme support de notre étude, car il est porteur

d’enjeux et de symboles très importants dans l’espace public. Ensuite,

les événements dont s’occupe l’histoire appartiennent à un passé qui n’a

plus de connexion immédiate avec le présent et dont l’existence dépend

d’un réseau événementiel d’avant et d’après, de passé et de présent que

le journaliste doit ordonner et rendre cohérent. A cet égard, nous avons

choisi particulièrement d’étudier les articles parus le 4 ou le 5 juillet, en

2010, 2011 et 2012, parce qu’ils nous permettent d’observer la

représentation du grand événement « la guerre d’indépendance », la

situation des Algériens et le positionnement des journalistes par rapport

au conflit et aux faits criminels qui se multiplient en Algérie entre 1954

et 1962.

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

27

L’objectif de cette communication est donc d’expliciter les

contraintes sémantico-pragmatiques qui déterminent, du moins

conditionnent le choix des anaphores par les journalistes algériens pour

représenter cet événement. En premier lieu, nous commencerons par

rappeler quelques définitions de l’anaphore, dans le but d’en déterminer

les points de convergence et de divergence. Dans un second temps, nous

proposerons d’expliciter les mécanismes de fonctionnement des

marqueurs anaphoriques dans l’établissement et le maintien de la

continuité référentielle du texte journalistique. On étudiera donc le

fonctionnement des diverses expressions référentielles qui peuvent être

utilisées dans l’univers de discours d’information médiatique et

particulièrement dans la presse écrite.

L’anaphore – définition(s) : L’anaphore (du grec ana- « vers le haut », « en arrière », et -phora

« fait de porter ») est un mot derrière lequel se cachent bien des

difficultés. Pour les linguistes une définition rigoureuse n’est pas chose

aisée à délimiter, en raison de ses différentes acceptions. Nous

commencerons par donner quelques extraits de définitions : L’anaphore se définit traditionnellement

comme toute reprise d’un élément antérieur dans

un texte. Plus précisément une expression est

anaphorique si son interprétation référentielle

dépend d’une autre expression qui figure dans le

texte1.

Il y a relation d’anaphore entre deux entités A

et B quand l’interprétation de B dépend

crucialement de l’existence de A, au point qu’on

peut dire que l’unité B n’est interprétable que dans

la mesure où elle reprend –entièrement ou

partiellement– A2.

L’anaphore : une stratégie de désignation dans la presse écrite algérienne

Dans cette section nous tenterons de répondre à la question suivante :

quel est le rôle de l’anaphore, soit pour (re)dénommer, soit pour faire

progresser les différentes désignations au fil du texte, avec quelles

visées discursives et quels effets ?

1 Riegel M., Pellat J-C et Rioul R., 1995, Grammaire méthodique du français,

Paris : PUF, p. 610. 2 Milner J-C., 1982, Ordres et raisons de langue, Paris : Seuil, p. 18. Cité par

Guillot C., 2006, « Le démonstratif en français », Langue française, n°152,

p. 40.

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Nawal MOKHTAR SAIDIA

28

Pour effectuer notre recherche et pour que notre problématique soit

valide, nous avons choisi un corpus totalisant un ensemble de 10 articles

tirés du Quotidien d’Oran qui sont les suivants :

Synthèse des résultats Nous allons présenter dans cette section les différentes

observations réalisées sur les articles ci-dessus en mettant en

évidence les différentes formes d’anaphores produites dans

chaque texte. Le discours de la presse algérienne se caractérise par une forte

densité en lien de cohésion. Ainsi, nous distinguons :

— Les anaphores pronominales : dans ce groupe de reprise

l’antécédent est remplacé par un pronom qui peut être un

pronom personnel, démonstratif, relatif, possessif. Ce type de

reprise sert non seulement à éviter la répétition mais il assure

en même temps la continuité du renvoi aux mêmes entités du

monde, aux mêmes référents, ainsi il contribue également à la

structuration du texte et facilite la progression de l’information.

[T3] « Les Algériens déraisonnables ? Non. C'est la

faute à la Révolution algérienne : elle a placé la

barre trop haut en matière de sacrifice,

d'abnégation, de détermination. Elle a aussi créé

trop d'attentes, trop d'espoirs. »

Afin d’éviter le même lexème, le journaliste a l’habitude de recourir

le plus souvent à la pronominalisation, comme il en est de même pour

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

29

ce passage : le pronom personnel de la troisième personne [elle]

remplace deux fois le lexème [la révolution algérienne]

— Les anaphores nominales strictes dites « fidèles » : on parle

d’anaphore nominale fidèle lorsque le même groupe nominal

est repris tel qu’il est, avec le seul changement de déterminant.

La reprise de ce groupe nominal peut se réaliser par un défini,

un démonstratif ou bien par un possessif.

[T3] « Je parle des militants au long cours, de ceux

qui ont pensé la lutte, qui ont mis en place

l'architecture du mouvement national, qui ont

tenté de doter l'Etat algérien d'institutions en

mesure de pérenniser son indépendance et

d'assurer à l'Algérie une place digne d'elle dans le

concert des Nations. Ces militants ont mesuré le

chemin parcouru, avant de revenir aux

fondamentaux du mouvement national pour se

dire qu'il y avait possibilité de faire mieux,

beaucoup mieux. »

Le syntagme nominal [des militants] est repris par le SN

démonstratif [Ces militants].

Par la répétition du même lexème, ce type d’anaphore établit un lien

de fidélité explicite entre l’antécédent et l’anaphorisant. L’anaphore, En

ce cas, permet d'expliciter le fait que c'est le même référent, alors que

le lecteur pourrait avoir des difficultés de compréhension si le

journaliste avait seulement utilisé un pronom.

De même pour le passage suivant :

[T5] « Le deuxième tournant fut l'« immense fête»

célébrant la proclamation officielle de

l'Indépendance du pays. Une fête marquée par des

«retournements» aussi rapides qu'imprévisibles

de la situation politique et militaire puisqu'en une

journée, il a fallu manifester pour Ben Khedda…

et, quelques heures après, pour Ben Bella…Et,

celui qui n'était pas assez rapide pour saisir le

changement, s'est vite retrouvé, avec beaucoup

d'autres, enfermés, pendant quelques heures, dans

une cellule. Une fête qui a marqué, à mon sens,

pour des décennies, la société algérienne (la

génération des 18 ans et plus d'alors). »

Ici, nous distinguons deux reprises anaphoriques avec article

indéfini. Dans la première forme [une fête marquée par des

«retournements» aussi rapides qu'imprévisibles de la situation

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politique et militaire ] le journaliste introduit un participe, alors que

dans la deuxième [Une fête qui a marqué, à mon sens, pour des

décennies, la société algérienne (la génération des 18 ans et plus

d'alors) ], il utilise une proposition subordonnée relative appositive

qui : « consiste dans la duplication appositive d’un nom déjà pourvu

d’une expansion, pour faciliter la greffe d’une relative sur une structure

en partie saturée »3.

Notons que dans les deux cas, l'indéfini s'explique par le fait que le

journaliste souhaite ajouter une greffe, c'est-à-dire reclasser [la fête de

la célébration de l’indépendance ]en lui associant des caractéristiques

nouvelles, « marquée par des retournements » et « qui a marqué la

société algérienne (la génération des 18 ans et plus d'alors) ».

L'anaphore avec l'indéfini est donc ici un moyen d'introduire des

reclassifications. De ce fait, elle est censée assurer une cohérence

importante dans la progression du texte et participe plus nettement au

processus d’argumentation.

— Les anaphores nominales « infidèles » ou prédicatives, en

particulier catégorielles ou génériques qu’on classe en :

• reprise par hyperonyme : elle consiste à rappeler par un

nom générique un objet de discours préalablement désigné

par un nom spécifique.

[T5] Ce n'est pas ce qu'ils disent qui en témoigne,

mais ce qu'en disent les autres, et les traces que

cette révolution a laissé dans le monde. Il suffit

de voir à quel point leur combat a marqué le

monde sur plusieurs générations, et à quel point

les générations devenues adultes au lendemain de

la seconde guerre mondiale ont été marquées par

l'Algérie, pour mesurer l'ampleur d'un

évènement dont seuls les Algériens, à cause d'une

conjoncture politique défavorable, semblent

négliger la portée.

Dans l’exemple [T5], le SN [leur combat] est un hyperonyme de

[cette révolution]. Ainsi, comme toutes les anaphores infidèles, la

reprise par hyperonyme permet au locuteur d’éviter une répétition

lexicale et mettre à jour les connaissances de l’interlocuteur.

• reprise par synonymie

[T2]

3 MOUGIN P., « la répétition lexicale dans Sodome et Gomorrhe : formes et

signification », Université Paris-III Sorbonne nouvelle. URL : http :

//www.unice.fr/AGREGATION/Mougin.html, consulté le 28/06/2009.

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

31

Le pays a même mis à la mode certains termes,

comme dinosaures, pour évoquer les dirigeants

issus de la guerre de libération. Ce qui aboutit,

en fin de compte, à jeter le discrédit sur une

génération qui a pourtant été la plus influente

du pays depuis deux siècles. Aujourd'hui, le

départ de cette génération, symbolisée par les

moudjahidine et la fameuse famille

révolutionnaire, est revendiqué publiquement.

L’expression [les dirigeants issus de la guerre de libération] est

reprise par son synonyme [une génération], puisque ces derniers ont

nécessairement le même âge les uns que les autres et par une anaphore

fidèle avec le SN démonstratif [symbolisée par les moudjahidines et la

fameuse famille révolutionnaire]. La reprise anaphorique aboutit ici à

une reclassification permettant de diriger l’attention des lecteurs vers

un autre point de vue.

• Reprise par para-synonymie :

[T1] 5 juillet 1962, une Indépendance très «chair»

de l'Algérie trop «chère»

[Une Indépendance très «chair» de l'Algérie trop

« chère »] anaphore infidèle, juxtaposée à l’objet de discours. Cette

juxtaposition permet une recatégorisation de l’objet de discours. En

effet, cette reprise lexicale n’assure pas non plus un pur rappel

d’information « déjà donnée » mais elle est susceptible d’apporter à

propos du référent des informations inédites. De même pour l’exemple

suivant :

[T1] En 1962, par un 5 juillet, la colonisation de

l'Algérie a pris officiellement fin. Notre pays est

devenu indépendant réellement et effectivement.

Dans [T1], nous observons une équivalence entre les deux

expressions [la colonisation de l'Algérie a pris officiellement fin] et

[Notre pays est devenu indépendant], utilisées pour désigner le même

antécédent mentionné sous la forme [Le 5 juillet de la même année

(1962), l'Algérie est proclamée indépendante].

• reprise par nominalisation (ou anaphore présomptive)

l’unité nominalisée reprend « une idée » qui, lors de sa

première apparition était signifiée par une proposition, une

phrase, voir un paragraphe entier. Cette procédure de

nominalisation est liée le plus souvent aux mécanismes de

« conceptualisation ».

[T3]

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L’Algérie n'a pas réussi à édifier une

économie prospère et performante, comme l'a

reconnu le président Abdelaziz Bouteflika, ni à

maitriser le savoir. Il a mis beaucoup d'argent pour

bâtir une industrie, aller vers l'autonomie

alimentaire, généraliser l'école, ouvrir

l'université aux enfants du peuple, mais le

résultat est en deçà des attentes. La frustration est

d'autant plus grande que de grandes énergies ont

été consacrées à ces secteurs, et que des sommes

faramineuses ont été englouties, sans parvenir aux

résultats attendus. Mais à côté de ces ratages, il y

a le reste.

Le SN [ces secteurs] est une anaphore nominale infidèle qui

synthétise le contenu propositionnel de l’énoncé suivant : Il a mis beaucoup d'argent pour bâtir une

industrie, aller vers l'autonomie alimentaire,

généraliser l'école, ouvrir l'université aux enfants

du peuple, mais le résultat est en deçà des attentes.

Ainsi, [ces ratages] est une anaphore conceptualisant le contenu

global de tout l’énoncé

— L’anaphore rhétorique ou littéraire : est un procédé stylistique

qui consiste essentiellement à répéter ou à reprendre un même

mot ou groupe de mots en tête d’une succession de phrases ou

de propositions, que ce soit dans des vers ou des paragraphes.

Ce type d’anaphore est illustré dans [T10] :

T10

Joyeux cinquantenaire, mon pays !

Il est des moments qui nous invitent à célébrer le sacrifice de

millions de nos concitoyens, martyrs de multiples révolutions,

qui se sont dressés contre l'oppression, l'injustice et le déni

d'humanité.

Il est des moments qui nous appellent à chérir la mémoire de

ceux qui ont, de leurs mains nues, défriché le chemin de notre

liberté, par leur sang, insufflé dans notre âme la notion de

dignité humaine et par leur abnégation nous ont permis de nous

mettre debout et de lever nos têtes.

Il est des moments qui nous poussent à crier haut et fort qu'il

n'y a rien de bon dans le colonialisme que d'aucuns cherchent à

glorifier pour justifier leurs massacres, s'absoudre de leurs

méfaits ou bien décorer les livres de leurs écoliers.

Il est des moments qui nous exigent de transcender nos

clivages, surmonter nos divisions et galvaniser les citoyens de

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

33

notre patrie.

Il est des moments qui nous obligent à dire NON à ceux d'entre

nous qui, pour plaire à certains, nuire à d'autres, ou par

égarement fugace, regrettent la présence du colon, de

l'oppresseur, de l'agresseur, du génocidaire.

Il est des moments qui nous imposent de faire table rase de tout

syndrome de Stockholm, de toute trace de scotomisation de

faits historiques et d'idéalisation de l'envahisseur, occupant

illégal et belliqueux d'une Terre, NOTRE Terre, l'Algérie.

Il est des moments qui nous incitent à ne pas regarder

uniquement et exclusivement les années qui ont suivi un

évènement historique (ce que nous faisons à longueur d'année),

mais plutôt à découvrir, déchiffrer et nous approprier les

longues années qui ont précédé cet événement et qui lui ont

permis de se réaliser.

Il est des moments qui nous somment de nous remémorer que

des Algériens comme moi, dont les parents et les aïeux sur

quatre générations étaient TOUS analphabètes par la «

bénédiction » du colon, ont réussi, en une génération, à gravir

TOUS les échelons du savoir grâce à un seul et unique mot qui

s'appelle INDÉPENDANCE.

Il est des moments, rares je le concède mais ô combien

savoureux, qui permettent au Bien de terrasser le Mal, à la

lumière de conquérir la noirceur, à la justice de vaincre

l'iniquité.

Il est des moments qui nous ordonnent, tous ensemble, de

chanter, célébrer, fêter, « youyouter », pétarader, canonner afin

de commémorer la fin de 132 années noires, avilissantes et

dégradantes.

Il est des moments, comme aujourd'hui, où nous devons tous,

à l'unisson, clamer jusqu'à nous égosiller :

Gloire à nos martyrs et joyeux cinquantenaire, mon pays !

Nous remarquons que le journaliste répète la même expression [il

est des moments]en tête de toutes les phrases afin de créer un effet de

symétrie, d’insistance sémantique, de création rythmique, de

parallélisme ou de renforcement de sa représentation de [la célébration

de ce demi-siècle d'indépendance]

Identification des types d’anaphores dans un article de presse algérienne

Un retour aux textes nous montre que le discours de la presse

algérienne tend à privilégier l’emploi des variations lexicales

anaphoriques qui jouent un rôle dans l’introduction de nouvelles idées

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dans le texte et peuvent imposer au lecteur, de par leur contenu

sémantique, un savoir plus détaillé sur ce qui se passe avant, pendant et

après la guerre de libération algérienne. En voici un exemple :

T4

De la liesse à l'amertume

« L'orphelin n'est pas celui qui a perdu son père et sa mère. Le vrai orphelin

est celui qui a perdu l'espoir. » Sagesse africaine.

LA REVOLUTION DE 54 : ENTRE COMBATTANTS ET

«RENTIERS»

Dans toute révolution, il y a deux catégories de gens : les combattants

qui la font et ses rentiers qui cueillent les fruits de sa prébende. Selon

Youcef Sâadi, entre 1954 et 1962, il y avait 350 000 vrais moudjahidine

qui ont accompli leur devoir de « Djihad » face à un ennemi supérieur

en nombre et en matériel militaires. Ils étaient forts de leur foi, de la

noblesse et surtout de la justesse de leur combat. L'Algérie avait pris,

alors, rendez-vous avec l'Histoire.

Un rendez-vous qui avait gonflé d'espoir « les indigènes » pour

recouvrer leur droit imprescriptible et naturel : celui de redevenir « des

hommes » avec toute l'acception de la notion de « radjla.» Ces

moudjahidine se sont donné le serment de ne reculer devant rien ni

personne jusqu'à la victoire ou… la mort.

«Il est, parmi les Croyants, des hommes qui étaient sincères dans leur

engagement envers Allah. Certains ont atteint leur fin. D'autres

attendent encore sans jamais revirer ni revenir sur leur engagement.»

Ce qui explique le nombre de soulèvements qui ont ponctué la présence

coloniale depuis l'Émir Abdel Kader jusqu'au 1er Novembre 1954. FLN

et ALN étaient, alors, constitués d'hommes sincères dans leur

engagement envers Allah et la Patrie. Ils étaient charismatiques par leur

droiture. Ils avaient pour unique ambition la libération du pays et pour

seule arme leur foi en Dieu et en l'Algérie Ils ont pu, de ce fait, gagner

la confiance de leurs compatriotes et mettre en échec une des armées

les plus puissantes et préserver, à la fois, l'unité du pays et du peuple :

Arabes, Kabyles, Chaouis, Terguis se sont battus et morts pour la même

Algérie, une Algérie commune, une Algérie de tous les Algériens. Bref

: pour «une Algérie UNE et INDIVISIBLE.» La Guerre de Libération

fut l'ultime soubresaut des Algériens qui sonna, définitivement, le glas

à la colonisation. «De guerre lasse», le gouvernement colonial a fini par

reconnaître l'indépendance de l'Algérie en ce 5 juillet 1962 après une

présence coloniale de 132 années. Depuis, le temps algérien a pris deux

dimensions : «l'ère pré et post-Indépendance.»

LES NEGOCIATIONS D'ÉVIAN

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

35

Mais auparavant, les négociations des accords d'Évian furent difficiles et

serrées entre Krim Belkacem, alors ministre des Affaires Étrangères du

Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) et Louis Joxe

et Jean Broglie, négociateurs français délégués par le Général De Gaulle. Le

18 mars 1962, ces Accords furent ratifiés. Le 19, De Gaulle proclama la fin des

hostilités à travers tout le territoire.

Le 1er juillet eut lieu le référendum de l'autodétermination. Les Algériens

ont voté massivement en faveur de l'indépendance à hauteur de 99,7% (non

43% comme le 10 mai dernier). Le Président du GPRA Benyoucef Benkhada

déclara, depuis Tunis le soir même, la victoire du peuple algérien. Le 5 juillet

1962 est née officiellement la République algérienne démocratique et

populaire. Ce fut le couronnement d'une lutte implacable qui a fait sortir les

Algériens de leur longue nuit coloniale durant laquelle ils n'ont jamais connu

le sommeil du juste jusqu'à l'aube. Alors, le soleil de la liberté à point à

l'horizon de leur cher pays. Ils ont, de facto, oublié toutes les souffrances et

sacrifices consentis pour apprécier cette liberté rêvée depuis des générations et

qui, maintenant, s'est concrétisée. Oui, après cinq générations, le peuple

algérien s'est vu bel et bien affranchi du joug colonial. Il s'est rué dans les rues

exprimant sa liesse. Une liesse que l'Histoire nationale a « chairement »

imprimée, dans la mémoire collective, en lettres de feu et de sang. Le slogan

scandé en chœur et du fond des cœurs était « L'ALGÉRIE EST

ALGÉRIENNE »

Cette Révolution était une véritable « Ghazoua » de 7 ans et demi. Près de 8

millions de chouhada sont morts dans les champs d'honneur de 1830 à 1962.

Si la colonisation donnait un froid sibérien au dos, le vent de la Révolution de

1954, au contraire, donna très chaud au cœur vu l'élan patriotique des Algériens

tous amoureux de leur pays. Un million et demi ont donné ce qu'ils avaient de

plus cher : LEUR VIE - (et quoi de plus cher ?) - Ils sont morts pour que vive

l'Algérie, leur amour de toujours, leur amour pour toujours. « Malgré tout et

au-dessus de tout « Bladi nabghik » La Révolution a été menée par des

« Novembristes nobles, intègres et surtout résolus » de la trempe de Boudiaf,

Amirouche, Ben Boulaïd, Ben Mhidi, Didouche, Abane Ramdhan, Ali la

Pointe, Hassiba Ben Bouali, les sœurs Baadj, Ourida Medad et bien d'autres

anonymes parce qu'ils (elles) se sentaient les fils et filles chauds de leur

Algérie, les dignes héritier(e)s de l'Émir Abdelkader, El Mokrani, Ben Badis,

Lalla Nsoumer, la Kahéna …

L'esprit de la Révolution algérienne s'appuyait, pour l'essentiel, sur

l'esprit des « ghazaouat » menées du vivant du Prophète (QSSSL), c'est-

à-dire inspirée du Coran et de la Sunna : Le choix du jour : « lundi », jour de la naissance du Prophète et de la première

Révélation du Coran.

La rédaction de la plate-forme entamée par la formule liminaire coranique

« Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux.»

La consultation comme fondement avant toute action. La direction était

collégiale et non individuelle. Il n'y avait pas de « Zaïm » mais un Conseil

National de la Révolution (CNR) et un Conseil Consultatif et de l'Exécutif

(CCE).

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Le nombre de combattants était réduit : 350 000 moudjahidine selon Youcef

Sâadi. Face à une armada militaire impressionnante.

« Combien de troupes réduites ont vaincu des troupes nombreuses

par la volonté de Dieu.» 1962 : LA CHASSE AUX POSTES PAR DES ARRIVISTES BALZACIENS

Au lendemain de l'Indépendance, nombre de combattants avaient déposé les

armes avec une insigne déférence. Croyant avoir accompli leur sainte mission

du ‘'petit djihad'' et libéré le pays, ils pensaient que d'autres, plus révérencieux,

se chargeront de son édification et son développement à même de faire de

l'Algérie un grand pays capable de rejoindre le concert des grandes nations

développées. Erreur gravissime.

À peine la guerre contre l'occupant fut-elle achevée, qu'une autre plus

ravageuse avait commencé : celle des luttes intestines. Le djihad pour «El

Watan» (la patrie) d'hier a cédé devant la lutte pour «El batane» (le ventre). Le

clanisme, le tribalisme, le «archaïsme», l'arrivisme ont fait le reste. « La paix

à vivre » est devenue « une peine [cauchemardesque] à vivre » (R. Mimouni).

Le sang de nos glorieux martyrs n'avait pas encore séché dans les maquis que

des clans politiques mafieux constitués par des hommes délétères se sont

formés pour s'emparer du pouvoir, colonisant de nouveau le peuple et mettre

main basse sur l'Algérie et s'approprier ses richesses en s'asseyant

superbement, et sans le moindre scrupule, sur le serment des martyrs et les

sacrifices du peuple. Les intérêts claniques l'emportent sur les intérêts

nationaux. Trahison des clercs.

En 1962, le nombre de moudjahidine est passé «mystérieusement» de 350 000

à près de 2 millions. Les MARSiens, plus nombreux alors que les

Novembristes, se sont illico presto «occupés à occuper» le devant de la scène

faisant croire au peuple qu'ils sont les libérateurs du pays à dessein de s'emparer

des postes de pouvoir. Du temps où les militants sincères et téméraires se

faisaient jeter dans la Seine par centaines, ces opportunistes véreux de tous

bords étaient hermétiquement calfeutrés chez eux. Aujourd'hui, toute honte

bue, ils se sont bâti de grandes fortunes en cultivant le culte du faste alors que

les vrais moudjahidine, morts et vivants, se sont battus pour seul objectif de

construire une grande nation algérienne.

L'INDEPENDANCE SUBORNEE

Dès le 5 juillet1962, l'Indépendance avait pris un mauvais tournant. Par

conséquent, le train de l'Histoire avait dangereusement déraillé. La vraie

famille révolutionnaire s'est tapie dans un mutisme de mort. L'Algérie

combattante a abdiqué devant l'Algérie défaillante.

Des responsables véreux, tous niveaux confondus sans science ni conscience,

n'ont cessé de saigner à blanc le pays parce que sans foi ni loi. Moumène

Khalifa (qui ne sera ni extradé ni jugé ni en Algérie ni ailleurs) n'en est qu'un

sinistre modèle du système.

Il n'est, somme toute, que l'arbre qui cache la forêt impénétrable de ramassis.

Ce qui a provoqué – «et continue de provoquer» - la ruine du pays. Ces nababs

n'ont de compte à rendre à personne sinon à eux-mêmes. Ils ont fait du pouvoir

une chasse gardée et de l'Algérie une propriété privée. Ils s'en servent sans

mesure ni modération : barons du sucre, barons du fer, barons du ciment…

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

37

Le FLN de 1954 était l'artisan de l'Indépendance algérienne. Le FLN de 1962

est l'architecte de la déliquescence nationale. Quelle amertume !

Les Algériens ont perdu confiance en leurs dirigeants parce qu'indignes. Ce qui

explique le hiatus abyssal société/pouvoir qui ne cesse de s'élargir. Les

intellectuels postindépendance n'ont pas hésité à dénoncer les dérapages et les

abus des Caïds qui ont trahi le serment des martyrs et conduit le pays vers la

déliquescence actuelle. Dans «La Répudiation», Rachid Boudjedra démontre

comment le peuple est répudié de sa Révolution. Dans «Le Fleuve détourné»,

Rachid Mimouni explique le détournement de l'Indépendance au seul profit

des princes et leurs suppôts excluant le reste du peuple et, particulièrement,

son élite intellectuelle des grandes décisions du pays. Ce qui explique la

déliquescence en stade avancé d'un État inerte en voie de décomposition.

C'est-à-dire l'absence d'un État de Droits faute d'hommes droits : les harraga,

la fuite des cerveaux, la corruption à tous les niveaux, le pillage des deniers

publics, les détournements de fonds colossaux à donner le vertige…. Le pays

vit un moment pathologique de son Histoire. L'État se stabilise dans son état

de dysfonctionnement. C'est le règne du chaos et de l'anarchie qui sont devenus

la règle immuable. Aucun responsable ne semble apte à prendre les décisions

idoines à même d'y remédier, soit par impuissance, incompétence ou

démission. Une situation sans issue. La nomenklatura évince sciemment

l'intelligentsia. Celle-ci ne peut, donc, s'impliquer dans le système pour

représenter «objectivement» l'idéologie sociale. L'échelle des valeurs s'est

renversée chez nous : le pays est dirigé par la queue au lieu et place d'être

gouverné par la tête. On ne gère pas un pays et son peuple comme on gère une

boutique du coin.

ACCOINTANCES PASSENT COMPETENCES

En dépit de l'embellie financière, soit un pécule de 200 milliards de dollars

(tant que vivra M. De Pétrole), la paupérisation du peuple algérien n'a cessé de

prendre des proportions inquiétantes. Preuve supplémentaire que les richesses

nationales sont inéquitablement réparties. Il y a eu libération du pays, mais pas

liberté du citoyen. Ce dernier n'a toujours pas la liberté de choisir lui-même les

candidats à même de le représenter dans les différentes institutions (APC,

APW, APN) parce que les nababs ont décidé de lui imposer leurs hommes qu'il

«faut» à la place qu'il «faut» au moyen de manipulations électorales qui sont

devenues, hélas, proverbiales. Le citoyen a perdu l'espoir, notamment après

l'assassinat de Boudiaf. On n'a pas tué l'homme seulement, on a assassiné

l'espoir des Algériens les plus désespérés, notamment la frange juvénile.

L'intellectuel, doté du pouvoir de la culture, se voit rejeté, en rade de la vie

sociopolitique de sa cité, à la limite de la disgrâce ou, à tout le moins, traité de

«mercenaire de la plume», alors qu'il était, durant la Guerre de Libération, «le

Chevalier de la plume.» D'utile, il est ravalé au rang de futile. Terrible

changement de statut ! Une «hogra» qui ne dit pas son nom. Rappelons nos

princes qu'un État n'est jamais fort par sa puissance militaire, mais plutôt par

la force du savoir, de son équité, de sa Droiture et… de sa Justice sociale. Seul

le savoir est à même de secréter une société rénovée et moderne, d'instaurer

des règles d'une nouvelle socialisation et fraternisation au sein des Algériens,

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de s'attaquer aux injustices qui les accablent par «leurs tyrannosaures». Enfin

d'être à l'origine du bonheur de tous et de chacun.

Dès 1962, l'Algérie s'est vu livrée en pâture au clanisme, à l'incompétence, aux

accointances, aux sans-mérites, aux «sans-Dieu.» Il est tout à fait clair que ces

indus dirigeants produisent, aujourd'hui, la médiocrité, l'inefficacité et une

stérilité tératologiques que notre génération et celles à venir paieront dans leur

chair. La Révolution a réussi mais l'Indépendance a failli : 50 ans de mensonge

politique, 50 ans de régression, 50 ans de médiocratie. « De quoi sera faite

l'Algérie dans 50 ans ?» Au lieu de placarder le portrait du Chef de l'État aux

quatre coins du pays lui donnant une dimension d'ubiquité divine, il siérait

plutôt d'afficher les portraits des martyrs. Ce qui pourrait avoir un impact

psychologique, voire pédagogique sur les esprits, à la fois, des dirigeants et des

citoyens pour plus de scrupule, de conscience nationale et d'abnégation.

Pourquoi ne pas introduire la lettre de Ahmed Zabana, écrite à partir de sa

prison de Barberousse, dans le cursus scolaire à l'instar de celle de Guy

Môquet, morts tous les deux à peu avec le même âge et pour le même idéal :

défendre, de leur vie, leurs pays respectifs ? « Le soleil de l'Indépendance » ne

s'est pas levé pour tous les Algériens. Il a brillé uniquement pour la

nomenklatura qui a su s'accaparer «indûment» les postes de responsabilité

excluant tous ceux qui sont étrangers au sérail.

L'AMERTUME

L'Algé-Rien semble ramasser sa vie -ou ce qui lui en reste- par petits bouts

comme s'il était des morceaux de lui-même tellement qu'il a perdu ses repères

notamment ceux de Novembre 1954, cette grande «Ghazoua» du XX° siècle.

Politique de l'autruche. Les Algériens sont traumatisés à telle enseigne de

vouloir refaire la lumière de leur jour avec un autre astre que le soleil en ce que

leur avenir s'est assombri. Avant l'Indépendance, tout le peuple voyait grand.

Après, on lui a « coupé la vue » pour ne pas voir plus loin que les ambitions

décrétées par l'hypocrisie et le mensonge politiques afin de le mouler dans la

médiocratie au lieu et place de le façonner dans le moule de «l'intellocratie.»

On a fait de ce peuple une horde pour justifier le déni de droit, de justice et de

démocratie érigé en système : le printemps berbère, octobre 1988, la décennie

noire en sont des exemples à méditer pour éviter le printemps arabe. On est en

train d'assassiner l'Algérie à coup de maladresses à répétitions sans vouloir

reconnaître les erreurs pour les corriger. L'agonie du pays a-t-elle commencé ?

Aux vrais libérateurs du pays, le 5 juillet vous est éternellement reconnaissant.

Gloire à nos martyrs (de 1830 à 1962) qui ont arrosé, de leur sang pur, l'arbre

béni de l'Indépendance de l'Algérie qu'ils ont aimée plus que leurs âmes.

Puissent-ils résider en paix dans le Vaste Paradis d'El Firdaous et que les

responsables politiques, à leur mémoire, œuvreront pour le bien de la nation et

le bien-être de leurs compatriotes pour que tous les Algériens deviennent des

Algé-Rois chez eux. Peut-être les rejoindront-ils dans ce même Paradis.

Analyse L’article étudié présente une majorité d’anaphores nominales qui

peuvent servir à mettre en évidence le point de vue de l’auteur, avec

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

39

quelques anaphores pronominales et, en particulier, les pronoms de la

troisième personne (ils, il, lui, le), les possessifs et les pronoms relatifs.

L’emploi de ces reprises nominales varie, d’une part, entre les

formes fidèles et infidèles ; d’autre part, entre les anaphores

conceptuelles et associatives. Prenons par exemple l’expression [La

révolution de 54], reprise par une anaphore infidèle [la guerre de

libération] qui constitue un hyperonyme permettant de décrire l’identité

du référent. En même temps, nous soulignons que le journaliste utilise

de manière très fréquente des anaphores infidèles synonymiques

construites à l’aide d’un hyperonyme corrigé en langue arabe. Par

exemple : [une véritable Ghazoua], [le Djihad], [le Djihad pour El

Watan (la patrie)], [cette grande Ghazoua du XXème siècle]. De même

pour la chaîne anaphorique qui a pour antécédent [les combattants] : Les combattants……350 000 vrais

moudjahidines……..ces moudjahidines………/

FLN et ALN……..hommes

sincères………compatriotes…….8millions de

chouhada………./ En 1962, le nombre de

moudjahidine……..les Marsiens……..les

Novembristes………..les militaires sincères et

téméraires……….les vrais moudjahidines……. /

Aux vrais libérateurs du pays…………nos

martyrs (de 1830 à 1962)

Comme nous l’avons déjà dit, l’anaphore infidèle coréférentielle

peut se réaliser dans un enchaînement hiérarchique qui unit un terme

générique (super-ordonné) [le nombre de moudjahidine] à des termes

plus spécifiques (sous-ordonnés) [les Marsiens] et [les Novembristes]

sert à apporter des informations nouvelles permettant de diriger

l’attention des interlocuteurs vers un autre point de vue.

Notons que l’avantage pragmatique de cette stratégie anaphorique

est, d’une part, de permettre au locuteur d’insérer dans le discours une

nouvelle dénomination et d’apporter des informations à caractère

« subjectif » qui permet de formuler une évaluation ou un jugement

reflétant sa prise de position à propos du référent, d’autre part, elle vise

à maintenir la saillance d’un centre d’attention des interlocuteurs (c’est-

à-dire le fait d’assurer la référence à tel ou tel objet du discours dans un

acte de communication donné). En un sens, elle réalise un continuum

de signification dans le cas d’une argumentation minutieusement

structurée et des enchaînements événementiels d’un article

journalistique.

Une deuxième remarque concerne les anaphores fondées sur des

relations de para-synonymie. Notons que ce type d’anaphore saisit le

référent sous une désignation qui n’est qu’un synonyme plus ou moins

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Nawal MOKHTAR SAIDIA

40

approximatif de la désignation introduite dans le contexte antérieur,

c’est ce qu’illustre le passage suivant : […] Ils ont pu, de ce fait, gagner la confiance

de leurs compatriotes et mettre en échec une des

armées les plus puissantes et préserver, à la fois,

l'unité du pays et du peuple : Arabes, Kabyles,

Chaouis, Terguis se sont battus et morts pour la

même Algérie, une Algérie commune, une

Algérie de tous les Algériens. Bref : pour «une

Algérie UNE et INDIVISIBLE.

Ici, on observe des effets très intéressants d’anaphores nominales qui

permettent d’apporter une évaluation de la part de l'auteur. Ainsi,

l’[Algérie] est répétée avec plusieurs SN différents introduisant des

para-synonymes. Il est à noter aussi que l'emploi de l'article indéfini

dans les trois derniers SN, qui correspond une fois de plus à une greffe

des nouvelles classifications para-synonymiques, [commune], [de tous

les Algériens], [UNE et INDIVISIBLE] sur le nom repris en anaphore

[Algérie].

Pour faire bref, nous avons constaté que la très grande majorité

des anaphores nominales utilisées dans cet article sont de type fidèle ou

infidèle, quel que soit le déterminant (article défini, adjectif

démonstratif ou indéfini, pour les anaphores à insertion et greffe d'une

relative ou groupe comparable). Ces anaphores interviennent pour

réaliser la progression en assurant le lien thème/rhème (information

donnée/information nouvelle) d’une phrase à une autre. Selon

Apothéloz et Reichler-Béguelin4 « les rappels à SN lexicaux variés

dans un même discours se font dans le but de donner des informations

variées sur cet objet de discours ».

Conclusion Pour conclure, nous reprenons l’essentiel de ces résultats dans

l’intention de dégager les différentes stratégies mises en œuvre dans le

discours de la presse algérienne. Commençons par le fait que la

cohérence sémantique d’un texte repose sur les rôles textuels que

peuvent jouer les liens anaphoriques soit dans la progression des

informations, soit dans la progression du raisonnement. Notre étude

menée à partir de données de la presse écrite algérienne, confirme que

cette cohérence peut être assurée par l’emploi de :

4 APOTHÉLOZ D et REICHLER-BÉGUELIN M-J., 1995, « Construction

de la référence et stratégies de désignation ». Dans : BERRENDONNER A et

REICHLER-BÉGUELIN M J Du syntagme nominal aux objets-de-discours.

Tranel 23, p. 227-271.

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L’anaphore comme stratégie discursive dans le discours de la presse …

41

— La répétition d’un nom (anaphore fidèle) permet

d’« accrocher » les unités à intégrer au moyen d’une relation de

cohérence explicite. Dans notre corpus, les anaphores par

répétition sont souvent liées à un simple changement du

déterminant (article indéfini vs article défini ou article défini vs

déterminant démonstratif).

— La variation du nom (anaphore infidèle) est un dispositif

intimement lié aux changements de prises de positions dans les

articles de la presse algérienne. Elle facilite l’enchaînement des

idées dans le texte et fait progresser logiquement la démarche

argumentative.

En résumé, ce qui précède pourrait laisser entendre que les

anaphores nominales, soit fidèles, (elles-mêmes ayant soit un défini ou

démonstratif, soit un indéfini lorsqu'il s'agit d'insérer ou greffer une

relative ou élément comparables), soit infidèles, donc reclassifiantes et

argumentatives, avec les mêmes déterminants, y compris l'indéfini dans

sa fonction pour introduire une greffe, constituent une stratégie

spécifiquement sémantico-pragmatique, destinée à assurer un

enchaînement cohérent dans le discours de la presse.

Bibliographie APOTHELOZ D., (1995). Rôle et fonctionnement de l’anaphore

dans la dynamique textuelle. Langue et culture, Genève : Droz.

BERRENDONNER A., (1983). Cours critique de grammaire

générative, Lyon : Presse Universitaire de Lyon.

CORBLIN F., (1987). Indéfinis, définis et démonstratifs, Genève :

Droz.

GUILLOT C., (2006). Le démonstratif en français, Langue

française, n°152, p. 40.

KLEIBER G., (1994). Anaphores et pronoms. Champs

linguistiques, Louvain-la-Neuve : Duculot.

MILNER J-C., (1982). Ordres et raisons de langue, Paris : Seuil.

MOIRAND S., (2007). Les discours de la presse quotidienne.

Observer, analyser, comprendre, Paris : PUF.

RIEGEL M., PELLAT J-C et RIOUL R., (1995). Grammaire

méthodique du français, Paris : PUF.

REICHLER-BEGUELIN M-J., (1988). Anaphore, cataphore et

mémoire discursive », Pratiques n° 57, « L’organisation des textes »,

p. 18.

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LINEDA BAMBRIK Université d’Oran [email protected]

Communication théâtrale et mise en scène du discours

Le présent travail rapproche deux textes considérés comme jalons

importants de l’histoire littéraire universelle à savoir Don Quichotte de

Cervantès œuvre qui lui a assuré l’essentiel de sa gloire se présentant

en deux tomes publiés à dix ans d’intervalle en 1605 et 1615 ainsi que

Jacques le Fataliste et son maître de Diderot publié de 1778 à 1780.

Les deux textes adoptent d’emblée une forme dialoguée,

l’abondance des dialogues débouche sur une vaste péroraison et sont

perçus comme un effort, une exigence de l’auteur, de donner à imaginer

visuellement les dialogues. Jacques le fataliste et son maître de Diderot

et Don Quichotte de Cervantès, sont deux récits fondés sur un double

dialogue entre les personnages d’un côté, le lecteur et le narrateur de

l’autre, il est donc question de deux couples de narration. La structure

des deux romans est faite d’un entrecroisement entre les propos du

narrateur et le dialogue des deux personnages principaux. Le récit fait

alterner, par des jeux d’imbrications, deux dialogues, deux intrigues.

Une vraie polyphonie marque ainsi le ton des deux textes, passant du

dialogue au monologue réflexif.

La mise en scène de l’énonciation Le dialogue, en tant que forme textuelle, n’est que la manifestation

la plus spectaculaire et la plus évidente d’un mécanisme énonciatif

complexe.

C.Kerbrat-Orécchioni1 précise que, pour qu’on puisse véritablement

parler de dialogue, il faut non seulement que se trouvent en présence

deux personnes au moins qui parlent à tour de rôle, et qui témoignent

par leur comportement non verbal de leur « engagement » dans la

1KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. L’énonciation : de la subjéctité dans

le langage. Paris : Édition Armand Colin. 2002. P60.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

43

conversation, mais aussi que leurs énoncés respectifs soient

mutuellement déterminés.

Une conversation est un texte produit collectivement, dont les divers

fils doivent d’une certaine façon se nouer. Une séquence dialogale

comme le souligne Jean Miche Adam1, est par définition polygérée. La

forme du dialogue dominant tire Don Quichotte de Cervantès et

Jacques le Fataliste et son maître de Diderot vers le théâtre ; une suite

hiérarchisée de séquences appelées échanges.

Cet échange s’effectue dans les deux textes, d’une part entre les

personnages, d’autre part, à un niveau plus complexe entre le narrateur

et le lecteur modèle pour reprendre l’expression d’Umberto Eco. « Le

dialogue est le lieu d’un conflit du sens et d’une rivalité de pouvoir »,

souligne Roman Jakobson2.

À partir de ces indications nous allons essayer d’analyser la part

dialoguée qui prime dans notre corpus, afin de cerner l’importance du

dialogue dans les deux textes et quel est son rôle dans la construction

narrative par rapport à la théâtralité, car les dialogues constituent la

partie prépondérante de l’intrigue.

Le schéma de la communication proposé par Roman Jakobson3,

nous permettra d’emblée d’asseoir les différents paramètres dialogiques

présents dans les deux textes.

Partir de ce schéma de la communication afin de déterminer les

échanges ; nous constatons une relations virtuelle établie entre le

1 ADAM, Jean-Miche, Les textes types et prototypes .Paris : Éditions

Nathan /HER 2001 .p.145. 2 BAYLON, Christian et FABRE, Paul. Initiation à la linguistique. . Paris :

Éditions Nathan. 1990. P32. 3 BAYLON, Christian et FABRE, Paul, Initiation à la linguistique. op.cit. p.31.

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Lineda BAMBRIK

narrateur et le lecteur, le narrateur converse d’une manière explicite

avec son lecteur, d’une part le lecteur empirique, d’autre part, le lecteur

modèle, un rapport de force se construit dans notre corpus. Dispaux4

souligne que : « En s’engageant à dialoguer, on témoigne de l’intention

d’obtenir un accord, même partiel, si cette volonté est absente, la

relation dialectique, s’épuise dans le jeu -spectacle du dialogue

éristique ».

Dans Jacques le Fataliste et son maître de Diderot, le texte

commence par une série de questions et de réponses vives dont les

interlocuteurs sont des inconnus, et portant sur les faits et gestes de deux

autres inconnus, bientôt présentés comme le maître et Jacques, en train

de converser. Ce suspens sera levé quelques paragraphes plus loin, où

l’on comprendra que le questionneur est le lecteur, et le répondeur le

narrateur de l’histoire. La conversation du maître et de Jacques comme

un dialogue de théâtre, avec des répliques précédées du nom du

locuteur : « Le maître : C’est un grand mot que cela.

Jacques : Mon capitaine ajoutait que chaque balle

qui partait d’un fusil avait son billet.

Le maître : Et il avait raison.» p.43.

Quoique l’œuvre : Jacques le Fataliste et son maître de Diderot

s’ouvre par un paragraphe introductif où dialoguent narrateur et

destinataire, commençons par la conversation la plus simple en

apparence, celle qu’échangent Jacques et son maître protagoniste qui

s’imposent par le titre même de l’œuvre : Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard,

comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ?

Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le

plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait

où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait

rien, et Jacques disait que son capitaine disait que

tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas

était écrit là-haut. P.43.

Il y est question du destin, illustré par l’enrôlement de Jacques, sa

blessure, et ses amours, dont l’histoire est interrompue par la nuit et les

incidents de la route. Ces amours deviennent le principal sujet de

curiosité de maître (et donc du lecteur), mais leur connaissance sans

cesse différée en fait peut-être un faux sujet.

Infatigable questionneur, le valet est aussi « Le plus effréné bavard

qui ait encore existé » (p168). À l’auberge, il entre en rivalité avec

l’hôtesse dont « la passion dominante » Est « Le plaisir délicieux de

4 DISPAUX, Gilbert. La logique et le quotidien : une analyse dialogique des

mécanismes de l’argumentation. Paris : Éditions de Minuit. 1984. P36.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

45

pérorer » (P117). Jacques doit se taire pour que le récit de l’hôtesse

commence, et il profite d’une interruption pour expliquer« c’est à ce

maudit bâillon, que je dois la rage de parler » (p168). « Que

deviendrai-je quand je n’aurai plus rien à dire ? » (p170) ; d’un bout à

l’autre du texte, c’est une intarissable cascade de bavards, depuis le

chirurgien à cheval (p.44) jusqu’au chevalier, ivre et hâbleur, vantant

ses prouesses érotiques. Or ce désir du récit est sans cesse contré par

des interruptions qui brisent l’hypnose narrative. En même temps,

comme pour compenser la frustration du lecteur, se met en place une

étonnante machine à raconter, axée sur la polyphonie narrative et la

multiplication des histoires enchâssées.

En effet, si l’on considère le voyage comme l’axe central, le récit

enchâssant, on constate que le récit de ce voyage est sans cesse perturbé,

d’un côté par le discours de l’auteur, de l’autre, par les récits enchâssés.

C’est un roman- conversation qui réorganise les rapports entre l’auteur-

régisseur et les personnages – narrateurs.

Cet art de la conversation était hérité du siècle classique, où Marc

Fumaroli5 l’a défini comme étant une des « institutions » fondamentales

de la société et de la culture. La conversation a gagné en liberté au

XVIIIè siècle. Elle s’est étendue à une catégorie sociale plus vaste. L’art

de la conversation et de la discussion n’est pas l’apanage de

l’aristocratie, même si le loisir le favorise incontestablement.

L’art de la conversation, c’est l’art de la repartie, c’est aussi l’art de

conter des anecdotes.

« Tandis que je disserte, le maître de Jacques ronfle comme s’il

m’avait écouté » (p.218).

La structure fondamentale, et très libre de Jacques le Fataliste et son

maître, c’est un voyage pendant lequel le maître et son valet ne cessent

de bavarder, sur quoi se greffent des anecdotes dans lesquelles d’autres

personnages parlent aussi d’abondance.

L’hôtesse du Grand Cerf a une « passion dominante celle de parler »,

elle « goûte le plaisir délicieux de pérorer » encore faut-il qu’elle

obtienne le silence de Jacques d’où le conflit entre bavard (P143).

Jacques le Fataliste et son maître est un texte tout brouissant de paroles,

d’autant qu’il est encadré par ces propos que sont supposés échanger le

narrateur et son lecteur.

Diderot semble faire alterner des récits en première personne où le

narrateur (Jacques, le maître) raconte selon son point de vue, et des

récits en troisième personne où nous sont présentés, de l’extérieur, des

5 FUMAROLI, Marc. L’Art de la conversation. Sous la direction de Marc

Fumaroli, Anthologie de Jacqueline Hellegouarc’h. Paris : éditions Garnier.

1998.

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Lineda BAMBRIK

comportements impénétrables. En fat cette distinction, inapplicable au

récit de l’hôtesse, ne caractérise qu’en partie un roman dominé par

l’activité prépondérante de l’auteur, archi-narrateur qui joue

perfidement avec l’omniscience. Il s’abstient d’éclairer des

personnages énigmatiques (Gousse, Richard) ou d’éclaircir de sombres

histoires (la mort du capitaine, les derniers sacrements).

On peut donc distinguer trois niveaux de paroles :

Entre le narrateur et son lecteur

Entre Jacques et son maître et, à l’intérieur même des anecdotes

racontées, entre les personnages.

Le sujet de la conversation est annoncé clairement mais sous une

forme interrogative :

« Le moment d’apprendre ces amours est-il venu ? » (p.36). À peine

énoncé, il va être interrompu par la somnolence du maître, par la

rencontre du docteur et de sa femme.

Cependant l’histoire semble progresser et voilà racontant comment

blessé au genou à la bataille de Fontenoy, il a été hébergé par une

paysanne compatissante. Le lecteur peut d’abord se demande si c’est de

cette paysanne que Jacques va tomber amoureux.

Le récit de voyage interfère : arrêt dans l’auberge sinistre où des

bandits ont déjà pris l’essentiel des vivres.

La conversation reprend, mais il n’est plus question des amours :

l’urgence de la situation impose un autre dialogue, c’est seulement

lorsque la menace que constituait ces brigands est dissipée que le maître

redemande : « L’histoire de tes amours ? » (p.47), et que se poursuit le

récit de la blessure au genou, avec l’arrivée des trois chirurgiens :

« Cependant il arriva un chirurgien, puis un second, puis un troisième »

(p.58). Le récit de Jacques est à nouveau interrompu par la chute de

cheval du maître le ramène au thème supposé central : « l’histoire de

tes amours qui sont devenues miennes par mes chagrins passés » (p.52).

Jacques relate ensuite la conversation du paysan et de sa femme

entendue derrière la cloison. Deux conversations vont alors alterner :

celle du paysan et de sa femme, puis le commentaire qu’en fait Jacques

et son maître qui dérive vers des propos plus généraux sur un orage et

l’arrivée à un château allégorique : « Ils furent accueillis par un orage

qui les contraignit de s’acheminer….Où ? Où ? Lecteur, vous êtes d’une

curiosité bien incommode (…) Si vous insistez, je vous dirai qu’ils

s’acheminèrent vers…oui, Pourquoi pas ? Vers un château immense au

frontispice duquel on lisait : « Je n’appartiens à personne et

j’appartiens à tout le monde » (p. 67).

Le maître toujours demandeur, réclame « L’histoire de tes

amours ? » (p.58) ; mais Jacques s’apercevant qu’il a oublié la montre

et la bourse à l’étape précédente, rebrousse chemin.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

47

Le dialogue devient impossible, puisque les deux protagonistes sont

séparés et le narrateur fait mine d’être embarrassé : « Voilà le maître et

le valet séparés, et je ne sais lequel des deux m’attacher de

préférences » (p.59). Jacques est de retour auprès de son maître qui s’est

laissé voler le cheval de Jacques, la conversation reprend et risque de

dériver vers les amours du maître, suit alors le récit par Jacques de

l’opération chirurgicale qui englobe un dialogue de Jacques et du

chirurgien, puis « la conversation du chirurgien de l’hôte et de

l’hôtesse » (p.71). Dès les premières pages donc, sont indiqués ces

divers niveaux de la parole de Jacques et de son maître, conversations

qu’ils relatent, puis conversations avec d’autres personnages qui

peuvent à leur tour raconter des histoires de personnages dont ils vont

relater les paroles.

Après avoir successivement interpellé le lecteur, reproduit une sorte

de scène de théâtre et raconté des actions pendant un paragraphe, le

même « parleur » s’adresse de nouveau au lecteur pour lui démontrer

sa souveraineté sur le récit. Puis se succèdent très rapidement la

narration extra diégétique, le dialogue narrateur- lecteur, de nouveau la

narration extra diégétique et enfin une nouvelle amorce de dialogue

entre le maître et Jacques.

Nous sommes donc, en face d’une extrême mobilité de l’instance

racontante. Par ailleurs, la relation entre le maître et Jacques varie

constamment du geste à la parole, et de la rivalité à la complicité.

En arrière-plan philosophique se pose le problème de la destinée,

présentée comme implacable, mais absurde. Les modes du récit sont

plus variables et agiles. Ce texte est une mise en cause du récit

« objectif ».

Dans le cas du narrateur dans les deux textes ; la conversation

dialogue avec le narrataire est contraire à la position classique comme

celle de la Bruyère6 : L’esprit de la conversation consiste bien

moins à en montrer beaucoup qu’à en faire trouver

aux autres : celui qui sort de votre entretien

content de soi et de son esprit, l’est de vous

parfaitement.

Diderot veut selon Blanchot7 faire de l’expression littéraire une

expérience, il croit que le monologue intérieur, devenu un commentaire

lyrique fera atteindre le point de présence unique ou s’ouvrira à lui, en

une simultanéité absolue, l’infini du passé et l’infini de l’avenir.

6 BRUYERE, Jean, Caractères. Paris : Éditions NRF Gallimard. 1951. P155. 7 BLANCHOT, Maurice. Le livre à venir. Paris : Éditions Gallimard. 1959.

p.270.

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Lineda BAMBRIK

Quelle impatience, grands dieux ! doit être la

tienne, lecteur illustre…ou obscur, de lire cette

préface, où tu penses trouver une exécution

cruelle et vengeresse…..En vérité, je ne te ferai

pas ce plaisir (Don Quichotte TII p.7).

Le narrateur exprime dans cet extrait son refus de faire plaisir au

lecteur et de casser ses attentes, provoquer des ruptures de sens. Ce

passage de discours peut être appréhendé comme un monologue, un

échange intérieur entre l’auteur- narrateur et l’auteur- lecteur.

Comme le souligne, E. Benveniste8 : Le monologue est un dialogue intériorisé,

formulé en langage intérieur entre un moi locuteur

et un moi écouteur », en effet dans le texte de

Cervantès cette pratique du monologue est

omniprésente : « Ils s’y prirent d’une façon si

parfaite et si adroite que ces aventures sont les

meilleures de toutes celles que contient cette

longue histoire (Don Quichotte TII P144).

Le monologue narratif théâtral est un des grands genres du récit ;

pour considérer une pièce de théâtre comme un récit, il faut donc passer

du niveau des dialogues des acteurs- personnages de la représentatio

théâtrale à celui de la pièce comme texte global communiqué par un

auteur narrateur à un public–lecteur. Les deux sont constitués de

répliques interventions.

Le monologue se traduit dans les deux textes par l’évocation

d’éléments biographique, en effet dans le texte de Cervantès la prise de

parole du narrateur –conteur laisse entrevoir la vie de l’auteur : Ce dont je n’ai pu pourtant m’empêcher de

souffrir, c’est qu’il me traite de vieux et de

manchot…Et comme si j’avais perdu mon bras

dans une taverne, et non dans la plus glorieuse

circonstance. (Don Quichotte TII p.7).

L’auteur introduit pour ses lecteurs empiriques, un élément

biographique dans son récit, concernant un détail de son physique et ses

œuvres : « J’oubliais de te dire d’attendre le Persiles, que je suis en

train d’achever, et la seconde partie de Galathée » (Don Quichotte TII

P10).

« Ami lecteur » (Don Quichotte TII 8), le lecteur empirique est

interpellé, sollicité par le narrateur afin de dénoncer le plagiaire, il est

intermédiaire entre ce dernier et le vrai créateur de cette histoire.

Au côté du monologue en relève une autre forme de dialogue sinon

de discours théâtral ; ce qu’on appelle dans le jargon théâtral l’aparté,

8BENVENISTE, Émile. Problème de linguistique générale Paris : Éditions du

Seuil. 1975. P185.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

49

cette pratique est définie dans le dictionnaire comme étant le discours

du personnage qui n’est pas adressé à un interlocuteur, mais à soi-même

et conséquemment au public « Tout le monde se tut, ceux de Tyr et de

Troie…Je veux dire que les assistants étaient suspendus aux lèvres de

l’explicateur » (Don Quichotte TII P188)

Il se distingue du monologue par sa brièveté, son intégration au reste

du dialogue. L’aparté semble échapper au personnage et être entendu

« par hasard » par le public, c’est une forme de monologue : À entendre ce discours de Don Quichotte, qui

ne l’eut pris pour une personne du plus parfait bon

sens ? C’est que, en effet, il ne radotait que

lorsqu’il était question de la chevalerie ; sur tous

les autres sujets il faisait preuve d’une intelligence

claire et libre : de sorte qu’à chaque instant ses

actions démentaient ses discours et ses discours

ses actions » (Don Quichotte TII p.297), mais il

devient au théâtre un dialogue direct avec le

public.

Le dialogue repose sur l’échange constant des points de vue et

l’entrechoc des contextes, il développe le jeu de l’intersubjectivité.

Au contraire l’aparté réduit le contexte sémantique à celui d’un seul

personnage, il signale « la vraie » intention ou opinion du caractère, si

bien que le spectateur sait à quoi s’en tenir et qu’il juge la situation en

connaissance de cause. Dans l’aparté, en effet, le monologuant ne ment

jamais puisque « normalement on ne se trompe pas volontairement soi-

même ».

Ces moments de vérité intérieure sont aussi des temps morts dans le

déroulement dramatique pendant lesquels le spectateur formule son

jugement : « Il y a ici une lacune déplorable dans la conversation de

Jacques et de son maître ….Et les descendants de Jacques ou de son

maître, propriétaire du manuscrit, en riront beaucoup » (Jacques le

Fataliste et son maître p292).

La typologie de l’aparté est autoréflexivité, connivence avec le

public, prise de conscience, décision, adresse directe au public. On

remarque, dans le texte de Diderot et de Cervantès, ce procédé théâtral

qu’est la parabase, en effet, cette technique qui consiste pour l’auteur à

s’adresser directement au public – lecteur souvent par le biais du

coryphée, du cœur ou du messager.

Cette intervention met le dramaturge en mesure d’intervenir

personnellement dans la fiction qu’il crée pour annoncer ou commenter

les évènements, l’action est ainsi interrompue pour faire place à des

considérations qui prennent la forme d’une réflexion sur l’histoire en

cours : « Son maître, il a des yeux comme vous et moi ; mais on ne sait

la plupart d temps s’il regarde. Il ne dort pas, il ne veille pas non plus ;

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il se laisse exister, c’est sa fonction habituelle (….) C’étaient les trois

grandes ressources de sa vie, qui se passait à prendre du tabac, à

regarder l’heure qu’il était, à questionner Jacques, et cela dans toutes

les combinaisons » (p.70). Et puis, lecteur, toujours des contes d’amours

[…] Se sont beaucoup de contes d’amours. Il est

vrai d’un autre côté que puisqu’on écrit pour vous,

il faut ou se passer de votre applaudissement, ou

vous servir à votre goût. (Jacques le Fataliste et

son maître p.238)

La parabase parvient dans notre corpus à briser totalement l’illusion

habituelle de la fiction. Le procédé est systématique dans Jacques le

Fataliste et son maître où Diderot suspend régulièrement son récit pour

adresser au lecteur des réflexions, l’accumulation des digressions

occultera d’ailleurs au lecteur les détails de l’histoire des amours de

Jacques.

La mise en scène du discours La mise en scène apparaît comme un discours global par l’action et

l’interaction des systèmes scéniques, discours où le texte n’est qu’une

composante de la représentation. D’un simple point de vue quantitatif,

on s’aperçoit aisément à la lecture du texte de Cervantès et de Diderot

que le dialogue occupe la plus grande partie du texte. Le dialogue est

dans le roman le lieu où le sens cesse d’être certain et définitif. Après quelques moments de silence ou de toux

de la part de Jacques, disent les uns, ou après avoir

encore ri, disent les autres, le maître s’adressant à

Jacques, lui dit : « Et l’histoire de tes amours ?

Jacques hocha de la tête et ne répondit pas »

(p.284).

On se propose d’étudier comment le lecteur se construit une

représentation des personnages à partir du style des paroles et pensée

qui leur sont attribuées.

Il se dégage quatre grands ensembles, au sein de la polyphonie,

organisés selon un continuum dialectique en fonction de leur rapport au

groupe et à la norme. Le premier des quatre est constitué par le chœur

de la parole cohésive. Il est caractérisé par la prédominance de la

fonction phatique et de préconstruit : proverbes, lieux communs,

redites, clichés, stéréotypes … « On pourrait objecter contre

l’exactitude de celle-ci que l’auteur est arabe et que tous les gens de

cette race sont naturellement menteurs » (Don Quichotte TI p.71).

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

51

L’énonciation proverbiale Selon Maingueneau9, le proverbe, micro genre de discours, implique

une distinction entre énonciation et asserteur, dire un proverbe c’est

accomplir un acte de discours singulier, poser une assertion qu’on

donne pour validée par une entité aux contours indéfinis. On présente

son dire comme l’écho d’un nombre ultime d’énonciations antérieures.

« Les proverbes sont des courtes maximes, tirées de l’expression et

de l’observation de nos anciens sages de l’Antiquité » (Don Quichotte

TII p.472).

Selon Kathleen Gyssels10« L’emploi fréquent des proverbes et plus

généralement d’énoncés gnomiques, nous oblige à prendre en compte

un de ses fondements : l’oralité. En effet, qui dit proverbe, dit insertion

d’un discours qui a trouvé sa genèse dans une pratique orale de verbe,

avant qu’il n’ait trouvé son annotation sous forme écrite. »

Le proverbe est un acte de parole qui cautionne la sagesse d’un

peuple, qui du fait même qu’un sujet parlant se l’attribue, vient rappeler

une évidence, à savoir que tout individuelle qu’une parole puisse être,

elle est néanmoins traversée par d’autres paroles, paroles antérieures,

paroles entendues, paroles retenues. De tous les genres d’oralités, le

proverbe est celui qui soit le plus au service de ce que Glissant appelle

« la Poétique forcée ».

La parole de la ruse s’encorde dans ces phrases lapidaires, dans ses

formules qui, bien qu’archiconnues et approuvées de tous, appellent

l’explication et la réflexion. La première fonction assignée à la

proverbialité est démarcative : elle marque une

pause dans le récit, elle ralentit le tempo

romanesque pour faire un (premier) bilan, pour

alterner le récit des faits, la narration des

évènements par des réflexions méditatives, le

proverbe réfléchit sur la vie et la réfléchit.

Le proverbe dans le récit de Cervantès sert à perforer l’écrit par

l’oral : Il vise à la maintenance de l’ordre conversationnel et social. Le

chœur cohésif inscrit la doxa dans le cycle romanesque. Échos

ironiques, mutisme et parole intérieures ; répliques machinales.

Barthes11 souligne que la mise en scène de la parole est aussi une mise

9MAINGUENEAU, Dominique. L’Énonciation en linguistique française.

Paris : Éditons Hachette Livre. 1999. P149. 10 GYSSELS, Kathleen. Thèse : Filles de solitude. Essai sur l’identité

antillaise dans les (autos) biographies fictives de Simone et André Schwarz-

Bart. Éditions L’harmattan. 1996. 11 BERTHELOT, Francis. Parole et dialogue dans le roman. Paris : Éditions

Nathan. 2001. p.22.

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en scène du pouvoir dans la parole, toute analyse du dialogue demande

une grande attention aux rôles assumés par chacun dans l’échange.

Discours et les axes relationnels Dans son ouvrage Francis Berthelot12 explique que le terme de

dialogue désignant indifféremment un échange verbal entre des

interlocuteurs est défini par trois axes pour caractériser la relation entre

locuteurs :

Axe horizontale : rapport de distance ou de familiarité qui les relie

Axe vertical : la différence hiérarchique ou à l’égalité qui existe entre

eux.

Axe affectif : reflète les sentiments positifs ou négatifs qui les

unissent.

12Op.cit. P21.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

53

L’axe horizontal La distance : différents facteurs ; degré de connaissance

mutuelle, classe sociale, leur âge. La distance apparaît ainsi

comme un élément de tension ; ils tendent à se rapprocher, sauf

si quelque chose les en empêche. Mensonge par omission dans

un cas, par substitution dans l’autre, ces mensonges sont de

l’ordre de la politesse ; un mensonge est adressé à

l’interlocuteur, un autre au lecteur. Ce qui vaut à celui-ci le

plaisir d’assister à un conflit tout en non-dits « Je suis

convaincu que c’est un imbécile (….) je n’hésite pas à lui faire

croire des choses qui n’ont ni queue ni tête, comme cette

histoire de la réponse à la lettre et cette chose qui est arrivée il

y a six ou huit jours, et qui n’est pas encore dans le roman »

(Don Quichotte T2, P239).

La familiarité : est le mode relationnel qui permet le mieux aux

personnages d’exprimer le fond de leur âme. La familiarité est

encore plus frappante quand les deux personnages

n’appartiennent pas à la même classe sociale, car il constitue en

quelque sorte une compensation de la barrière hiérarchique,

cette barrière est maintenue et non pas rompue dans les deux

textes mais de temps à autre on aperçoit de l’affection entre le

maître et le valet dans les deux textes : « Il ne prenait pas une prise de tabac, il ne

regardait pas une fois l’heure qu’il était, qu’il ne

dit en soupirant : « Qu’est devenu mon pauvre

Jacques ?.. » (Jacques le Fataliste et son maître

p.360).

L’axe vertical La hiérarchie : le rapport hiérarchique, qui place un personnage

en position de supériorité par rapport à un autre est, dans la

majorité des cas, une conséquence de leur position sociale

respective ; le duo le plus caractéristique, comme est le cas dans

notre corpus est celui du maître et du valet « Jacques suivait

son maître comme vous le vôtre ; son maître suivait le sien

comme Jacques le suivait ._Mais qui était le maître du maître

de Jacques ? » (Jacques le fataliste et son maître p.95), duo issu

d’une longue tradition dont le théâtre. Ainsi maître et valet,

riche et pauvre établissent dans l’univers romanesque une série

d’axes verticaux ou l’inégalité devient structurante. Cette

inégalité engendre soit des fonctionnements complémentaires

comme est le cas de Don Quichotte et Sancho « Les

extravagances du maître sans la bêtise du valet ne vaudraient

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pas un liard » (Don Quichotte T2, p.22) , soit au contraire

différentes sortes de conflits le cas de Jacques et son

maître : « le Maître_ Et de quoi veux-tu que je convienne, chien,

coquin, infâme, sinon que tu es le plus méchant de tous les

valets et que je suis le plus malheureux de tous les maître »

(p.352). La hiérarchie entre deux personnages, peut s’établir sur

des critères autres que sociaux, exemple la connaissance _

thème littéraire_ qui constitue le ressort majeur des romans à

caractère initiatique que nous retrouvons dans notre corpus car

il est question dans les deux textes de conversation centrée

autour de la connaissance de la vie en général.

Il y ce qu’on peut appeler une transmission mutuelle de savoirs,

comme il est question dans le texte de Cervantès au chapitre XLII

lorsque Sancho prend la fonction de gouverneur. Don Quichotte lui

donne des conseils : « Premièrement, O mon fils ! Tu dois craindre

Dieu ; parce que c’est dans cette crainte que réside

la sagesse : et, si tu es sage tu ne pourras jamais te

tromper. Secondement, il faut bien examiner ce

que tu es et essayer de te connaître toi-même, ce

que de toute les connaissances constitue la plus

difficile » p.293.

Inter conversion

— Égalité _ inégalité

— Inégalité _ égalité

Tôt ou tard, celui qui s’élève (s’abaisse) dans la société devient égal

de ceux qui lui étaient supérieurs (inférieurs) ex : le maître questionne,

l’employé répond, le maître se permet l’ironie, l’employé garde un ton

modeste.

Renversement : le déplacement le plus spectaculaire sur l’axe

vertical, cependant consiste à permuter les positions de deux

personnages l’un commençant par dominer l’autre, pour se voir ensuite

dominé par lui. « Où nous le laisserons pour l’instant parce que nous

voilà requis par le grand Sancho, qui va faire ses débuts dans son

fameux gouvernement » (Don Quichotte T2, p.310).

Le cas est nettement perceptible dans le texte de Cervantès, dans la

mesure où le valet Sancho Panza est au départ un personnage inculte,

sans aucune instruction et qui évolue au côté de Don Quichotte, si bien

que son épouse ne le reconnaît plus, et s’étonne de son

éloquence « Ecoute, Sancho, depuis que tu t’es fait membre de chevalier

errant, tu parles d’une façon si entortillée qu’il est impossible de te

comprendre » (Don Quichotte T2, P40). À côté de son évolution

linguistique et rhétorique Sancho devient gouverneur d’une île comme

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

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le lui avait promis Don Quichotte et de son statut de simple valet il

prend de l’élan et devient gouverneur comme par

enchantement : « Laissons là Don Quichotte, et revenons à Sancho qui

nous réclame : Ainsi le veut la composition de ce récit » (Don Quichotte

T2 p.337).

Comme l’indique le narrateur de ce récit, il y a un renversement de

situation. Au départ, c’est le maître Don Quichotte qui retient toute

notre attention, il est le centre du récit mais au fur et à mesure que

progresse le récit un autre personnage attire notre attention le valet

Sancho Panza qui n’hésite pas à suivre son maître de son délire, afin de

s’enchérir intellectuellement et financièrement. Objectif qu’il atteindra

dans la deuxième partie l’histoire où il est perçu comme la création de

Don Quichotte qui le façonna à son image tout au long de leur voyage : Le traducteur, parvenu à ce cinquième

chapitre, déclare, qu’il le considère comme

apocryphe parce que Sancho y parle dans un autre

style que celui qu’on peut attendre de sa petite

intelligence et qu’il dit des choses beaucoup plus

subtiles. (TII p.38), c’est la partie saine de Don

Quichotte son complément, tous deux font la

paire.

L’axe affectif : les rapports de base On sait que la progression dramatique d’un roman s’effectue par une

succession de conflits où interviennent les objectifs des différents

personnages, il y a des échanges : l’accord, l’enseignement, la requête

et le désaccord. Les quatre rapports principaux à partir desquels le

dialogue donné peut correspondre au développement d’un seul de ces

rapports, ou les combiner sous forme de séquences qui vont se succéder

et ou se superposer. Les quatre rapports sont présents dans le texte de

Cervantès et de Diderot.

— L’accord « Jacques : Vous avez un furieux goût pour

les contes !

Le Maître : Il est vrai ; ils m’instruisent et

m’amusent. Un bon conteur est un homme rare.

Jacques : Et voilà tout juste pourquoi je n’aime

pas les contes, à moins que je ne les fasse.

Le Maître : Tu aimes mieux parler mal que te taire.

Jacques : Il est vrai.

Le Maître : Et moi, j’aime mieux entendre mal

parler que de ne rien dire

Jacques : Cela nous met tous deux fort à notre

aise » (Jacques le Fataliste et son maître p 215).

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Donc il est question dans ce passage_ dialogue entre Jacques et son

maître, d’une relation qui traduit :

— La communion : c’est le niveau zéro du conflit.

le bavardage : c’est l’ennui, avant tout, qui est la base d’un

bavardage, pour les personnages de Diderot, son rôle est celui d’un

passe-temps, qui renforce les liens sans rien impliquer d’essentiel , son

intérêt est de révéler les relations à l’intérieur d’un champ social

donné : « Trompant l’ennui et la fatigue par le silence et le bavardage,

comme c’est l’usage de ceux qui marchent, et quelquefois de ceux qui

sont assis » (p57).

L’objectif commun : les deux personnages rapprochés par un but à

atteindre élaborent une stratégie, cette élaboration étant par essence

verbale, le dialogue s’en fait en général le reflet : propositions,

objections et contre- propositions s’y succèdent à des rythmes variables.

Chez Diderot cela correspond à un type particulier d’objectif commun,

que l’on peut appeler la recherche de la vérité, on le retrouve dans

nombre de romans à caractère philosophique : « Le Maître : Et qu’est-ce que c’est qu’un

homme heureux ou malheureux ?

Jacques : Pour celui-ci, il est aisé. Un homme

heureux est celui dont le bonheur est écrit là-haut,

et par conséquent celui dont le malheur est écrit

là-haut est un homme malheureux.

Le Maître : Et qui est-ce qui a écrit là-haut le

bonheur et le malheur ?

Jacques : Et qui est-ce qui a fait le grand

rouleau où tout est écrit ?

Le Maître : Je crois que oui.

Jacques : Moi, je crois que non. » (P56)

À partir d’un débat sur la solution à un problème donné, le discours

des personnages dérive vers un plan plus général, où la réflexion de

l’auteur peut s’inscrire sous forme dialectique, à ce degré d’abstraction,

le roman rejoint alors le dialogue en tant que genre littéraire. Dans notre

corpus, il se présente sous forme de dialogue théâtral ex : l’indication

du nom du locuteur avant le texte prononcé. Ce sont deux personnages

proches cherchant à faire coïncider leurs visions respectives du monde.

La situation où un personnage vient en aide à un autre est un cas

fréquent de l’objectif commun, le soutien qu’un personnage apporte à

un autre peut aussi définir le rapport qui les unit tout au long de leur

histoire. Le rapport d’aide devient alors le trait constant d’un portrait

de couple, et une ligne de force du roman.

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

57

L’enseignement L’information qu’un personnage ‘A’ fourni à un personnage ‘B’ au

cours d’un dialogue, joue donc dans le roman un double rôle :

— Au niveau extradiégétique : elle a sur le lecteur un

effet direct dans la mesure où elle l’instruit lui –

même : « Ce nom d’albogue est arabe comme tous

ceux qui dans notre langue espagnole

commencent par Al tel que (almohazar,

almorzar, alhambra, alhucema, almacen,

alcancta).

Nous n’en avons que trois d’arabes qui

finissent en i, à savoir : borcegui, zaquizami, et

maraved. Pour alheli et alfaqui, l’origine arabe

est doublement visible ; par l’i final et l’al du

début. » (Don Quichotte T2 p471.).

— Au niveau intradiégétique : elle fait progresser

l’intrigue par les réactions que sa transmission

entraîne.

Rôle vis-à-vis du lecteur — Le désaccord : le conflit d’idées : le cas où deux

personnages s’opposent sur une question théorique est

sans doute le plus spécifiquement littéraire, puisque

l’enjeu de leur désaccord relève du verbal, comme est

le cas dans Jacques le fataliste et son maître de

Diderot et Don Quichotte de Cervantès, le dialogue

devient alors à la fois terrain et objet d’affrontement,

et rejoint de ce fait le dialogue en tant que

genre : « Jacques : Ah ! si je savais dire comme je sais

penser ! Mais il était écrit là-haut que j’aurais les

choses dans ma tête et que les mots ne me viendraient

pas. Ici Jacques s’embarrassa dans une

métaphysique très subtile et peut-être très vraie. Il

cherchait à faire concevoir à son maître que le mot

douleur était sans idées, et qu’il ne commençait à

signifier quelque chose qu’au moment où il

rappelait à notre mémoire une sensation que nous

avions éprouvée. Son maître lui demanda s’il avait

déjà accouché. (Jacques le Fataliste et son maître

p.61).

Dans ce cas la parole du narrateur va dépendre tout d’abord du rapport

que le narrateur entretient avec l’histoire qu’il raconte, en particulier du

fait qu’il en soit ou non un personnage. Dans les deux textes, il est

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question d’un narrateur homodiégétique, le narrateur est un des

personnages de l’histoire.

Si les yeux sont le miroir de l’âme, la parole est celui de l’être, sous

tous ses aspects : être social, être physique, être mental : la dégradation

de l’état mental de Don Quichotte se traduit dans le dialogue par deux

types de décalages : d’ordre interne quand le discours du personnage

accumule incohérences et contradictions : La raison de la déraison que vous faites à ma

raison affaiblit tellement ma raison, que ce n’est

pas sans raison que je me plains de votre beauté

ou encore : les hauts cieux qui de votre divinité

divinement avec étoiles vous fortifient vous font

mériter le mérite que mérite votre grandeur. De

telles phrases avaient fait perdre la tête à notre

pauvre gentilhomme (TI P16).

— D’ordre externe quand il n’est plus en adéquation

avec la réalité qui l’entoure. Dans les états mentaux

perturbés, donc, de même que dans les états d’âme

extrêmes, le personnage initial reste présent « A

entendre ce discours de Don Quichotte qui ne l’eut

pris pour une personne du plus parfait bon sens ?

C’est que, en effet, il ne radotait que lorsqu’il était

question de la chevalerie ; sur tous les autres sujets il

faisait preuve d’une intelligence claire et libre de sorte

qu’à chaque instant ses actions démentaient ses

actions et ses discours ses actions » ( Don Quichotte

T2 , P297), mais il n’apparaît plus qu’à la manière d’un

reflet dans un miroir déformait, certains de ses traits

étant amplifiés, d’autres amoindris, du fait qu’une

partie, voire la totalité, de sa structure logique s’est

effondrée.

La fonction explicative La relation qui existe entre le narrateur est le lecteur est à part

entière, il y a un dialogue constant par différents procédés entre ces

interlocuteurs, néanmoins dans le texte Diderot nous avons remarqué

que la prise de parole du narrateur ou bien l’interpellation du lecteur

était à des fins explicatives, qui forgeait cette relation entre maître

(narrateur) et disciple (lecteur) : Lecteur, j’avais oublié de vous peindre le site

des trois personnages dont-il s’agit ici : Jacques,

son maître et l’hôtesse, faute de cette attention,

vous les avez entendus parler, mais vous ne les

avez point vus ; il vaut mieux tard que jamais. Le

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

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maître, à gauche, en bonnet de nuit, en robe de

chambre (…) l’hôtesse sur le fond, en face de la

porte (…) Jacques, sans chapeau, à droite (…)

(p.149).

L’auteur- narrateur s’introduit dans le récit pour fournir plus de

détails dans le but de faire mieux comprendre l’histoire au lecteur, ou

bien afin de la compléter par des informations. Mais cette intention

perturbe le lecteur puisqu’elle créé un déséquilibre narratif. L’objectif

est de faire perdre le fil pour forger cette écriture du discontinu : Je ne sais de qui sont ces réflexions de

Jacques, de son maître ou de moi, il est certain

qu’elles sont de l’un des trois, et qu’elles furent

précédées et suivies de beaucoup d’autres qui

nous auraient menés Jacques, son maître et moi

jusqu’au souper, jusqu’après le souper (p167).

Si on venait à analyser par le biais de cette étude qui vise les

éléments relationnels entre les deux personnages de Diderot, on

constate que d’emblée le titre le dit assez : la relation entre Jacques et

son maître gouverne toute la trajectoire du roman :

L’épreuve qui s’engage entre maître et serviteur comporte deux

enjeux : la quête du pouvoir, la communication d’un savoir et passe par

trois étapes : 1° «un maître est un maître », 2° « la chose » l’emporte

sur « le titre », 3° « Jacques mène son maître ». L’équilibre initial

correspond à l’ordre traditionnel, à cette hiérarchie qui fait du

domestique un objet circulant de maître en maître. Spontanément, le

maître exerce des prérogatives devenues des réflexes : il bat « son

Jacques » ou essaie de le battre (p.45,p 65,p 301) Voilà le maître dans une colère terrible et

tombant à grands coups de fouet sur son valet, et

le pauvre diable disant à chaque coup : celui-là

était apparemment encore écrit là-haut » (p45) ;

ses désirs se veulent des ordres, tant pour la

conduite du voyage (p114, 185, 267, 268) que

pour l’usage de la parole (p.114-185) ; « Jacques,

vous êtes un insolent, vous abusez de ma bonté. Si

j’ai fait la sottise de vous tirer de votre place, je

saurai bien vous y remettre. Jacques (p.226),

Et il entend bien remettre « à sa place » ce serviteur incommode

(p.208) : « Tais-toi nigaud ». Le maître : Vous ne savez ce que c’est que le

nom d’ami donné par un supérieur à un

subalterne.

Jacques : Quand on sait que tous vos ordres ne

sont que des clous soufflet, s’ils n’ont été ratifiés

par Jacques ; après avoir si bien accolé votre nom

au mien, que l’un ne va jamais sont l’autre, et que

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tout le monde dit Jacques et son maître, tout à

coup il vous plaira de les séparer ! Non, monsieur,

cela ne sera pas. Il est écrit là-haut que tant que

Jacques vivra, que tant que son maître vivra, et

même après qu’ils seront morts tous deux, on dira

Jacques et son maître (p.227).

Cependant cet ordre d’apparence immuable est miné par plus d’une

faille :

D’abord l’inconfort du voyage instaure une certaine égalité (p.97,

souper/ Déjeuner p.119) : Le maître de Jacques descend, ordonne le

déjeuner, achète un cheval, remonte et trouve son

Jacques habillé. Ils ont déjeuné et les voilà partis »

que favorise une complicité de « dix ans à vivre

de pair à compagnon. (p.226).

Surtout l’ennui du maître et le génie du discours propre à Jacques en

ont fait un couple indissoluble : « Jacques et son maître ne sont bon

qu’ensemble et ne valent rien séparés non plus que Don Quichotte sans

Sancho » (P110), dans la discussion comme dans le récit, Jacques, fut-

il auditeur, reste en position de supériorité. Comme l’esclave de la

dialectique hégélienne, Jacques, soldat et vainqueur des brigands, a

surmonté la peur de la mort qui tenaille son maître (p60). Et par

l’énergie de son rapport avec le réel (travail et savoir), Jacques domine

sa condition de serviteur : « Un Jacques est un homme comme un autre

(…) quelquefois mieux qu’un autre » (p.226), tandis que l’oisiveté et

jouissance ont fait du maître un automate fatigué, esclave de besoins

qu’il ne peut, à lui seul, satisfaire (s’habiller, se nourrir). Dès le début,

Jacques discute les ordres ou refuse d’obtempérer, et après la scène de

l’auberge, les accès d’autoritarisme du maître ne sont plus que velléités

dérisoires (p.309). L’hôtesse à Jacques : Allons, monsieur

Jacques, parlez, votre maître vous l’ordonne ;

après tout un maître est un maître. Messieurs,

voulez-vous m’accepter pour arbitre ?

Prenant le ton et le grave maintien d’un

magistrat, dit :

Oui la déclaration de M. Jacques, et d’après

des faits tendant à prouver que son maître est un

bon, un très bon, un trop bon maître, et que

Jacques n’est point mauvais serviteur, quoiqu’un

peu sujet à confondre la possession absolue et

inamovible avec la concession passagère et

gratuite, j’annule l’égalité qui s’est établie entre

eux par laps de temps et la recrée sur-le-champ. »

(p.228 -229).

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Communication théâtrale et mise en scène du discours

61

En somme, le jugement de l’hôtesse ne vient que sanctionner une

relation qui existait déjà, mais que Jacques entend sceller à jamais par

un pseudo- contrat entre deux individus inégaux : le vrai maître est celui

qui, par ses actes et sa parole, est indispensable à l’autre « je vous suis

essentiel » (p.200). Ainsi Jacques mène son maître.

Le dialogue de Jacques avec son maître n’est d’autre qu’un

affrontement conceptuel entre deux idéologies antagonistes, deux

positions conceptuellement cohérentes. D’un côté, un esprit

conformiste s’accroche au code moral traditionnel et à ses fondements

spiritualistes : Le Maître : Crois-tu à la vie à venir ?

Jacques : Je n’y crois ni décrois, je n’y pense

pas.

Le Maître : Pour moi, je me regarde comme en

chrysalide, et j’aime à me persuader que le

papillon, ou mon âme, venant un jour à percer sa

coque, s’envolera à la justice divine. (p.256).

Le maître croit à l’immortalité de l’âme, à l’existence du diable

(p.295), à la toute-puissance du Dieu rémunérateur et vengeur : Le Maître : tu es inspiré : est-ce de Dieu, est-

ce du diable ? Je l’ignore. Jacques, mon cher ami,

je crains que vous n’ayez le diable au corps.

Jacques : Et pourquoi le diable.

Le Maître : Je vois que vous n’avez pas lu dom

la Taste13. Il dit que Dieu et le diable font

également des miracles.

Jacques : Et comment distingue-t-il les

miracles de Dieu des miracles du diable ?

Le Maître : Par la doctrine. Si la doctrine est

bonne, les miracles sont de Dieu ; si elle est

mauvaise, les miracles sont du diable.

Ici Jacques se mit à siffler, puis il ajouta : et

qui est-ce qui m’apprendre à moi, pauvre

ignorant, si la doctrine du faiseur de miracles est

bonne ou mauvaise ? Allons, monsieur,

remontons sur nos bêtes. Que vous importe que ce

soit de par Dieu de par Belzébuth. (p.337).

De l’autre un philosophe :

13 Dom Louis Bernard de la Taste (1682- 1754), ancien prieur bénédictin,

évêque de Bethléem, est l’auteur de Lettres théologiques aux écrivains

défenseurs des convulsions et autres prétendus miracles du temps, publiées

entre 1733 et 1740 ; Il soutenait, particulier à propos de l’affaire des

convulsionnaires de Saint- Médard, que Dieu et le Diable font également des

miracles. Il fut réfuté par l’orthodoxie religieuse.

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Lineda BAMBRIK

« C’est que vous ne savez pas, notre hôtesse, que Jacques que voilà

est une espèce de philosophe, et qu’il fait un cas infini de ces petits

imbéciles qui se déshonorent eux-mêmes et la cause qu’ils défendent si

mal. Il dit que son capitaine les appelait le contrepoison des Huet, des

Nicole, des Bossuet » (p.179), un contestataire hardi récuse l’opposition

du Bien et du Mal, du vice et de la vertu, de la raison et de la folie : « Le

maître : Pourrais-tu me dire ce que c’est qu’un fou, ce que c’est qu’un

sage ? »(P55, 196) et proclame son indifférence d’agnostique sur la

question de Dieu et sur celle de l’au-delà. On peut considérer que

Jacques, interrogation sur le sens de la réalité, fait jouer ensemble trois

types de discours : un discours sceptique, un discours sur-déterministe

et un discours humaniste.

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AXE 2 L’enseignement du français :

Des programmes aux pratiques de classe

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

L’erreur … Quelle(s) définition(s), quel (s) statut(s) ? La réflexion sur la notion d’erreur a beaucoup évolué. En effet

beaucoup de chercheurs s’accordent à dire que : L’erreur est un indicateur de réussite. Elle

n’est plus la faute condamnable ni un bogue

regrettable, elle devient le symptôme d’obstacles,

selon l’expression bachelardienne1, auxquels la

pensée des élèves est affrontée. “Vos erreurs

m’intéressent“ semble penser ici le professeur

puisqu’elles sont au cœur même de

l’apprentissage puisqu’elles indiquent les progrès

conceptuels à obtenir ».ASTOLFI J-P. (1999 p :

9)

ASTOLFI part de l’étymologie du mot afin de mieux définir la

notion d’erreur, il dira dans ce sens : « l’erreur retrouve son étymologie

latine « d’errer çà et là » et seulement au sens figuré, celui

d’incertitude, d’ignorance (…) Comment ne pas errer quand on ne

connaît pas le chemin » ? (1999 p : 9)

DESCOMPS propose, quant à lui une définition plus synthétique

donc plus opérationnelle dans le champ des apprentissages. Selon lui,

« l’erreur est un processus non-conforme au contrat ».DECOMPS

(1999 p : 1)

La notion d’erreur est souvent liée à la notion de contrat. Elle serait

à l’origine d’un non-respect des règles qui régissent le contrat encore

1 Selon BACHELARD, les connaissances préscientifiques chez les

chercheurs comme les connaissances initiales des élèves sont perçues comme

purement négatives. Elles relèvent de l’erreur, ce sont des obstacles à la vérité,

il est nécessaire de les prendre en compte. Toujours selon Bachelard, on

connait contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances

mal faites, en surmontant ce qui dans l’esprit même fait obstacle.

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

69

faut-il que l’apprenant ait été mis au courant de ces règles ; a-t-il été

associé au contrat ? Le rapport à l’erreur de la part du sujet est donc plus

équivoque qu’il n’y paraît. COUTAREL définit l’erreur « comme une

connaissance qui fonctionne en dehors de son domaine de validité » car

souvent l’apprenant construit ces connaissances indépendamment de

celui qui enseigne .Toujours selon le même auteur, l’erreur ce n’est pas

seulement ce qui ne répond pas à une norme, « c’est aussi ce qui a été

fait à la place d’autre chose, ce qui a été empêché de se

faire »COUTAREL. O (2007, p : 2)

Dans la même conception de l’erreur, AMIGUES associe l’erreur à

l’objectif attendu et au choix opéré par le sujet .Il dira dans ce sens

que « l’erreur est généralement considérée soit comme un écart entre

la performance réalisée (la réponse) et un but attendu (ou une norme

définie), soit comme le processus responsable de cet écart ».

AMIGUES R. (2004 p : 9)

Nous pouvons constater qu’AMIGUES puise les sources de l’erreur

du processus qui a permis son apparition, par processus que faut-il

cependant entendre : est-ce toutes les opérations mentales, toutes les

stratégies qu’a mobilisées le sujet lors de la réalisation de la tâche, ou

bien, est-ce le processus d’apprentissage mis en place par l’enseignant

qui est générateur d’erreurs ?

Selon les théories constructivistes, l’apprentissage est un processus

de réorganisation des connaissances généralement conflictuelles car les

connaissances nouvelles s’appuient sur des connaissances anciennes,

celles-ci pouvant être remises en cause. Dans ce cas-là, l’erreur

témoigne des difficultés que doit surmonter l’apprenant pour construire

une nouvelle connaissance et l’interaction entre ces deux formes de

connaissances (antérieures et nouvelles) provoque un conflit cognitif

que l’élève doit résoudre .Si l’élève se montre capable de gérer le

conflit, de surmonter l’obstacle, il sera en mesure de corriger son erreur,

la correction montrera qu’il a surmonté ses difficultés en construisant

une nouvelle connaissance.

Dans les pratiques courantes, l’erreur est souvent envisagée

d’un seul point de vue celui de l’élève, il est auteur et responsable de

ses erreurs .Cette conception internalise de l’erreur qui se fonde

sur « une philosophie substantialiste de la formation des connaissances

et l’idéologie individualiste » .AMIGUES, (2004 p : 25) considère que

l’erreur est à situer du seul côté de l’apprenant, ce dernier est le seul à

en faire, il est également le seul à incriminer. Or, il est clair que

l’enseignement peut être à l’origine des erreurs, des apprentissages mal

montés également. Les tâches proposées aux élèves, tout comme les

dispositifs mis à la disposition des élèves, peuvent engendrer des

erreurs. L’enseignant doit donc adopter une démarche qui consiste à

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mettre l’apprenant dans une véritable situation/problème c’est-à-dire

une situation d’apprentissage « où une énigme proposée à l’élève ne

peut être dénouée que s’il remanie une représentation précisément

identifiée ou s’il acquiert une compétence qui lui fait défaut, c’est-à-

dire s’il surmonte un obstacle ».in, La revue française de pédagogie

n°16 citée par HUBERT Michel

Toutes ces définitions témoignent du souci de reconsidérer le statut

de l’erreur et de l’intégrer dans les processus d’apprentissage. Il est, à

ce niveau de notre analyse, intéressant de constater que la psychologie

cognitive a « récupéré » l’erreur, en la dédramatisant puisque tous

les théoriciens de la cognition ont étudié les principes généraux qui

président à la production de l’erreur, leurs travaux ont permis à la

didactique des langues une meilleure prise en charge des difficultés des

élèves, car pour la psychologie cognitive,« l’erreur, tel un iceberg , est

un moyen d’exhiber des processus mentaux auxquels on n’a pas

directement accès ». MARQUILLO LARRUY (2003 p : 12)

L’erreur permet donc de mettre à jour toutes les étapes, toutes les

démarches et autres stratégies que l’apprenant mobilise afin de

construire ses connaissances.

L’erreur et les notions de norme, de grammaticalité et d’acceptabilité

Avant d’essayer d’inventorier les différents types d’erreurs, il nous

a semblé nécessaire d’aborder des notions incontournables dans toute

classification des erreurs. Si l’on retient la définition la plus commune

de l’erreur à savoir : un écart par rapport à une norme, il convient de

définir la notion de norme, et ce faisant, la notion de grammaticalité et

d’acceptabilité.

La notion de norme Henriette WALTER(1988) montre que les modalités du parler des

classes dominantes, bien que souvent non-conforment à l’usage et aux

normes en vigueur (cf. les parlers germaniques) sont devenues la règle,

la norme par excellence. En effet, Même si les envahisseurs ont adopté le gallo-

roman, c’est en raison de leur position sociale

élevée que leur manière de parler et de prononcer

a fini par être valorisée alors même qu’elle était

discordante par rapport au parler habituel des

Gallo –Romans. MARQUILLO LARRUY (2003

p : 12)

Cette auteure donne l’exemple de la liaison du « h », elle impute les

différentes réalisations des liaisons aux influences germaniques,

puisque selon l’origine du mot, on dit « les hanches « et non « les z

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

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hanches », alors que la liaison est assurée dans « les z’hommes ». Cet

exemple montre que la norme est établie en fonction d’influences

sociolinguistiques (classes dominantes) et également linguistiques

puisque le « h » est réalisé différemment selon l’origine des mots dans

un même système linguistique. Chaque groupe social construit son

propre mode de communication linguistique sa propre norme.

D’un point de vue grammatical : La norme n’est pas une notion mais un

concept, une abstraction, construite sur un

système de représentations, elle est une image

construite et déformée par idéalisation des usages

linguistiques des groupes dominants. Elle est par

conséquent impossible à atteindre par quelque

locuteur que ce soit. CUQ JP (1996 p : 56)

Le dictionnaire de linguistique (Larousse 2007) appelle norme « un

système d’instructions définissant ce qui doit être choisi parmi les

usages d’une langue donnée si l’on veut se conformer à un certain idéal

esthétique ou socioculturel ».

Ce même dictionnaire appelle aussi « norme tout ce qui est d’usage

commun et courant dans une communauté linguistique ».

Les différentes réalisations des locuteurs permettent aussi de

démontrer que si les réalisations varient d’un locuteur à un autre, d’une

situation à une autre, faut-il parler d’une seule norme ? Les tenants de

la grammaire normative et prescriptive imposent une norme et une

seule, toutes les variations réalisées sont donc considérées comme des

énoncés incorrects relevant de dysfonctionnements.

Avec la didactique des langues étrangères, le discours sur la notion

de norme a quelque peu évolué, dès les années 70, les représentations

qui admettaient la diversité se sont opposées à la vision unitaire de la

langue. En effet, des oppositions telles que code oral / code écrit,

registre courant / relâché /soutenu ont permis aux didacticiens de mettre

l’accent sur les situations de communication et de ce fait d’introduire

dans leurs analyses d’autres paramètres. À la notion de norme unique

vont se substituer des variations et ces dernières vont induire plusieurs

sortes de normes. Des questions s’imposent donc : autant de sujets que

de normes ? Autant de situations d’interlocution que de normes ? Ces

normes seraient –elles inhérentes aux intentions ce communication et

autres actes de parole ? Quelle instance décide de la norme ?

MARQUILLO LARRUY (2003) distingue cinq types de normes :

— de fonctionnement : elles concernent les règles qui

correspondent aux pratiques linguistiques d’une

communauté.

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— descriptives : elles rendent compte des normes de

fonctionnement en les analysant afin de les rendre plus

explicites, ces normes se contentent de décrire, elles

n’émettent aucun jugement de valeurs, elles sont plus

réduites que les premières parce qu’elles ne peuvent

d’écrire toutes les réalisations effectuées.

— prescriptives : elles introduisent dans les normes de

fonctionnement des modèles à imiter, des règles à

respecter. Ces derniers deviennent la référence donc la

norme.

— évaluatives : elles émettent des jugements de valeurs

selon des critères esthétiques ou moraux (formes

belles, riches, originales ou relâchées).

— Fantasmées : elles sont éloignées des pratiques réelles.

Elles existent dans les représentations que se font les

locuteurs de la norme. Elles constituent une sorte

d’idéal qu’aucun locuteur ne peut atteindre c’est ce qui

a fait dire à MOREAU cité par MARQUILLO (2003

p : 17) qu’une proportion importante de locuteurs se

représentent la norme comme « un ensemble abstrait

et inaccessible de prescriptions et d’interdits, qu’ils ne

voient s’incarner dans l’usage de personnes et par

rapport auquel tout le monde se trouve

nécessairement en défaut »Nous constatons que la

notion de norme « fantasmée » rejoint celle de CUQ.

Cette typologie des normes est pertinente pour l’enseignant de

langues, elle lui permet de se situer quant aux énoncés réalisés par ses

élèves : s’il sanctionne « aller au docteur », il se réfère à la norme

« prescriptive », s’il en tolère l’usage il se réfère à la norme « de

fonctionnement ». La correction des écrits relève de la norme

prescriptive. D’un point de vue pédagogique, c’est à la grammaire de

dire ce qui est correct et ce qui ne l’est pas, c’est aux grammairiens que

revient la tâche de décider de la norme à respecter afin de réaliser des

énoncés corrects donc grammaticalement acceptables, qu’en est-il donc

de la grammaticalité ou de l’agrammaticalité d’un énoncé ?

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La grammaticalité Elle relève des jugements que tout locuteur peut porter sur des

énoncés , il peut donc dire si « une phrase faite de mots de sa langue

est bien formée, au regard des règles de la grammaire qu’il a en

commun avec tous les autres sujets parlant cette langue, cette aptitude

appartient à la compétence des sujets parlants, elle ne dépend ni de la

culture ni du groupe social du locuteur » (Dictionnaire de linguistique).

Voici quelques exemples extraits de productions d’élèves du cycle

secondaire en Algérie : Les élèves préfèrent les matières

scientifiques est une phrase grammaticale.

À la maison Samia est une phase

agrammaticale.

Aimer les maths c’est ce qu’aiment les élèves,

Cette phrase n’est pas totalement agrammaticale, elle est déviante

car le scripteur n’a pas respecté les règles de non répétition, d’emploi

du verbe qui convient etc.…

Selon le même dictionnaire, la grammaticalité se distingue de :

— La signification : le vestibule éclaire le néant est une

phrase grammaticalement correct mais difficilement

interprétable.

— La vérité générale : l’homme mort est vivant ou le

cercle est carré sont des phrases grammaticalement

correctes mais inacceptables parce que

contradictoires.

— La probabilité d’un énoncé : le chien regarde avec

intérêt le film a très peu de chance (ou de risque)

d’être réalisée du moins fréquemment.

L’acceptabilité L’acceptabilité ou la possibilité de comprendre une phrase

grammaticale mais de grande complexité, le cas de l’enchâssement des

relatives est connu :

« La porte que mon ami a cassée qui est dans la maison ne ferme

pas ».

La grammaticalité se fonde sur les jugements et non l’emploi d’un

mot ou d’une expression, autrement dit, ce sont ces jugements qui vont

permettre de comprendre et d’expliquer les différents cas

d’agrammaticalité.

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Erreur et typologies Il existe beaucoup de grilles comportant les erreurs susceptibles

d’être réalisées par les apprenants. Nous n’en retiendrons que celles qui

nous paraissent pertinentes pour notre public et pour notre corpus.

Il convient dans un premier temps de revenir sur le couple erreur/

faute

La dichotomie erreur/ faute renvoie à la distinction compétence /

performance établie par CHOMSKY. L’erreur relèverait de la

compétence et la faute de la performance « un apprenant ne peut donc

corriger ses erreurs, représentatives de sa grammaire intériorisée,

mais peut en principe corriger ses fautes imputables à des lapsus, à la

fatigue ou à diverses causes psychologiques ». BESSE.R PORQUIER

.R (1984 p : 206)

La définition que donnent les deux auteurs rejoint celle proposée par

GALISSON(1980) et par REASON (1993).

GALISSON (1980) distingue trois types d’erreurs :

Erreur de compétence : c’est une erreur due à une

méconnaissance d’une règle linguistique, erreur que

l’apprenant ne peut corriger sans avoir recours au professeur ou

à un manuel (une grammaire ou un dictionnaire).

Erreur de performance ou lapsus : c’est une erreur due à une

non-application d’une règle linguistique connue, erreur que

l’apprenant peut corriger lui-même.

Erreur de stratégie de communication : c’est une erreur due à

une méconnaissance ou à une-non application d’une règle

sociolinguistique.

Pour GALISSON, les causes de l’erreur ne sont pas à chercher

uniquement dans la langue maternelle : erreur de type interlinguale due

à une interférence avec la langue source ; mais aussi il convient d’en

chercher les origines dans les stratégies d’apprentissage et dans les

méthodes utilisées par l’enseignant. En effet, un apprenant algérien dont

la langue 1est l’arabe dira en français :

« Il est venu mon père » car il a reproduit la structure de la phrase de

sa langue 1, nous pouvons imputer ce dysfonctionnement à la langue

source.

Toutefois, dans « vous faisez », le dysfonctionnement n’est pas

interlingual mais intra lingual, il est inhérent à la langue cible, nous

pouvons nous autoriser à dire que cet apprenant a, bien au contraire,

intériorisé la conjugaison des verbes du premier groupe au présent et il

l’a généralisée aux autres groupes de la conjugaison française.

REASON(1993) rappelle que les erreurs prennent un nombre limité

de formes et pour comprendre les causes qui les génèrent, il faut prendre

en considération trois facteurs :

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

75

La nature de la tâche : il est nécessaire, à partir d’une copie d’élève

de déterminer la tâche, de la définir et de demander aux élèves de la

reformuler avant de passer à son exécution.

Les conditions de réalisation : ce sont les conditions dans lesquelles

les élèves exécutent la tâche qui leur est demandée. Se font-ils aidés ?

Ont-ils recours au dictionnaire ? Rédigent-ils à la maison ? En

classe ? Quelles ressources (internes, externes) sont-elles mises à sa

disposition ?

Les mécanismes qui régissent l’activité et la spécificité du sujet : en

expression écrite, il serait intéressant de remonter aux processus

psycholinguistiques mis en œuvre lors de la production écrite, cela

permet de remonter au processus d’écriture et de constater que les

difficultés que rencontrent les élèves résultent souvent de la gestion des

différentes phases ( recherche des idées, lexicalisation, linéarisation et

mise en texte) et les erreurs trouvent souvent leur origine dans le

traitement de l’information par la mémoire et la saturation de celle-ci.

Il distingue donc les échecs de planification (les fautes) et les échecs

d’exécution (ratés et lapsus) ; et il donne aux erreurs un statut plus

générique qui concerne « tous les cas où une séquence planifiée

d’activités mentales ou physiques ne parvient pas à ses fins désirées et

quand ces échecs ne peuvent pas être attribués au hasard ».

REASON.J (1993 p : 25)

REASON distingue trois types d’erreurs liées à des niveaux

d’activité cognitive différents :

Type /1 : les ratés et les lapsus Elles relèvent des habitudes et des comportements routiniers qui

pour des raisons d’inattention ou d’attention excessive sont déviés.

Type /2 : les fautes basées sur des règles Elles résultent d’une mauvaise application d’une bonne règle ou

d’une mauvaise règle. Ces erreurs portent sur « des processus plus

élaborés, de haut niveau, elles mettent en œuvre des stratégies telles

que l’évaluation de l’information disponible, la détermination

d’objectifs et les décisions prises pour atteindre ces objectifs ».

MARQUILLO LARRUY (2003 p : 40) .Ces erreurs sont plus

complexes dans la mesure où pour y remédier, il faudrait déconstruire

ou remonter au processus mobilisés par le sujet.

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a- Faute basée sur une bonne règle Une bonne règle est une règle qui, appliquée dans un domaine précis,

s’est avérée utile et opératoire dans la mesure où son application a

permis à l’apprenant de résoudre un problème. Mais au-delà de ce

domaine, elle doit être réaménagée ; Nos apprenants mettront un

pluriel au verbe et réaliseront « * ils parles » au lieu de « ils parlent » ;

c’est une erreur due à une mauvaise application d’une bonne règle,

l’élève a une connaissance du pluriel des substantifs qu’il applique au

verbe .Le cas de l’élève qui écrit « vous faisez » relève donc de ce type

d’erreur.

b- Faute basée sur une règle fausse Lors de la résolution de problèmes, l’élève dans une première étape

(appelée étape procédurale) applique une règle et réussit la tâche

puisqu’il ne commet pas d’erreur mais celle – ci survient lors de la

seconde étape (appelée méta procédurale, lorsque l’apprenant voudra

généraliser les démarches qui fonctionnaient d’une manière

indépendante dans la première pensant ne pas faire d’erreur, celle-ci est

donc liée à une application rigide et décontextualisée de la règle. Un

exemple, très générateur d’erreurs chez nos apprenants, celui de

l’accord du participe passé employé avec auxiliaire « avoir » quand le

verbe est précédé d’un complément d’objet. Cette erreur s’explique par

le fait que lors de l’étape procédurale, l’élève sait que le participe passé

ne s’accorde pas avec le sujet mais lors de l’étape méta procédurale, il

généralisera à chaque fois qu’il rencontrera un participe passé employé

avec « avoir »,il ne prendra pas en considération la contrainte imposée

par la présence du COD avant le verbe.

Lors de la troisième étape (appelée conceptuelle), l’apprenant

mobilisera des stratégies plus élaborées et, par le biais d’une

observation des contextes d’apparition de l’erreur et notamment

d’explicitation de cette dernière, il élaborera ses propres règles grâce à

une démarche déductive et se corrigera.

Type /3 : Les fautes basées sur les connaissances déclaratives Ces erreurs sont à mettre en relation avec des structures cognitives

plus complexes au cours desquelles il ne s’agit plus d’accorder un

participe passé ou de maîtriser les pluriels irréguliers. Ces erreurs

proviennent de ce que REASON appelle la « rationalité limitée »qui

consiste en l’absence de prise en compte de la totalité des éléments qui

interviennent dans la résolution d’une tâche et de ce fait le sujet ne

traitera qu’une partie du problème et laissera dans l’ombre les autres

parties .

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

77

Ce type d’erreur est quasi permanent dans les productions de nos

élèves car ceux-ci rencontrent beaucoup de difficultés à assurer la

gestion de leurs textes puisqu’ils ne se focalisent que sur certains détails

(orthographe, conjugaison) occultant ainsi tout ce qui concerne les

difficultés d’ordre textuel ou discursif (hiérarchisation des arguments

dans des textes de type argumentatif, maîtrise du système verbal dans

les narrations, gestion de la chronologie dans les textes expositifs …).

Ces erreurs ne peuvent être détectées et corrigées qu’avec l’aide du

professeur .

ALLAL (1993) propose une grille 2des erreurs à dominante

orthographique, celle-ci inspirée des travaux de CATACH, DUPREZ

et LEGRIS (1980) se présente comme suit :

Tableau 1: Grille des erreurs à dominante orthographique

Type d’erreur Explication

Erreurs à dominante

phonétique

Ce sont des erreurs d’ordre oral : omission de

graphème « mecredi » au lieu de « mercredi ».

Confusion de graphèmes « correspandant » pour

« correspondant ».

Problèmes d’inversions « quarte » pour « quatre » ou

d’adjonctions « quartre » pour « quatre ».

Erreurs à dominante

phonogrammique

Ce sont des erreurs liées à la non-connaissance du code

graphique du français. Celles qui altèrent la valeur

phonique : « lontement » au lieu de « lentement », celle

qui n’altèrent pas la valeur phonique : « example » au

lieu d’ « exemple », « vriment » au lieu de

vraiment », »fédéle »au lieu de « fidèle », « viridique »

au lieu de « véridique ».

Erreurs à dominante

morphogrammique

Erreurs concernant les morphogrammes

grammaticaux, celles relatives aux marques du genre

et du nombre et aux terminaisons des verbes, « ils

parlé » au lieu de « ils parlaient ».

Erreurs concernant les morphogrammes lexicaux :

celles relatives : à la non-reconnaissance des mots

« quesque » au lieu de qu’est-ce que », aux préfixes et

suffixes mal orthographiés « naturellemant » au lieu

de « naturellement ».ou encore aux lettres finales

justifiables par dérivation « tapit » au lieu de « tapis ».

Erreurs à dominante

logogrammique

Ce sont des erreurs qui touchent à la physionomie des

mots « du » au lieu de « dû » ou « la » au lieu de

« là », »ou » au lieu de « où ».

2 Nous ne sommes pas restée totalement fidèle aux exemples proposés par

ALLAL .Nous les avons remplacés par des exemples relevés dans les

productions de nos élèves. Ces productions font partie du corpus de notre

mémoire de magister soutenu en juin 2007 et intitulé « Pour une évaluation

formative des productions écrites dans le cycle secondaire en Algérie ».

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Erreurs concernant les

lettres non fonctionnelles

Celles relatives aux : consonnes doubles et

difficilement justifiables « dificiles »

pour »difficiles », aux lettres finales des mots qui

n’ont qu’une explication historique « temp » au lieu

de « temps ».

Erreurs concernant les

idéogrammes

Celles relatives au trait d’union, aux majuscules,

minuscules, …

ASTOLFI (1999) consacre une partie de son ouvrage à ce qu’il

nomme « l’erreur plurielle », sa typologie nous semble rejoindre celle

de REASON mais en partie seulement car ASTOLFI convoque tous

les facteurs susceptibles d’expliquer l’erreur et les conditions dans

lesquelles elle se manifeste. Nous pensons que, parce que complète,

cette typologie reprend tous les cas qui nous intéressent et qui devraient

interpeller nos enseignants car elle permet de reconsidérer l’erreur et

surtout de la prendre en charge en vue de la rentabiliser au maximum.

Détecter les erreurs ne saurait suffire si l’on désire s’inscrire dans une

évaluation formative. Il serait intéressant de mettre en place de

véritables dispositifs de remédiation qui consistent en une prise en

charge des copies, des productions qui constituent une excellente

matière première donc des véritables supports pédagogiques.

Les erreurs relevant de la compréhension de la consigne Souvent les erreurs sont dues aux difficultés que rencontrent les

élèves lors de la lecture des consignes, les énoncés sont soit difficiles,

ambigus, équivoques et/ou plurivoques. La consigne semble sans

difficulté pour celui qui la donne car il en connaît la réponse mais

l’élève peut faire des erreurs parce qu’il n’a pas tout simplement

compris ce qu’on lui demande de faire. Le vocabulaire employé dans la

consigne est souvent source de problèmes, celui-ci doit être simple et

connu de l’élève.

Les erreurs résultant d’habitudes scolaires Ces erreurs résultent de l’inadéquation entre les attentes de

l’enseignant et celles des élèves. Souvent, l’apprenant décode mal les

attentes du professeur à cause d’habitudes presque intériorisées puisque

résultant de pratiques antérieures, l’élève aurait tendance à anticiper et

il anticipe mal .Pour lever toute ambiguïté, le professeur doit aider

l’élève à se représenter la tâche qui lui est demandée, il doit définir ses

attentes car l’élève « raisonne sous influence, par le jeu du contrat

didactique, il sait qu’il est attendu et, si le contrat didactique fonctionne

bien, il sait où on l’attend » . CHEVALLARD Y. cité par ASTOLFI

(1999 p : 10) .Les erreurs surviennent quand l’élève rencontre des

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

79

difficultés à décoder les implicites des situations de classe. Nombreux

sont les élèves qui, habitués à un enseignant ou tout simplement à un

certain type de questions, se voient désarçonnés dès qu’ils changent

d’enseignants ou dès que les questions et les consignes de travail

changent. Il arrive aussi que les habitudes scolaires conduisent à des

résolutions coutumières qui font que les élèves fassent l’économie

d’une opération mentale en adoptant des démarches connues mais non

adaptée à la situation proposée ;de type « après un nom vient

automatiquement un verbe ,alors on conjugue » .

Un exemple :

Les élèves effrayaient courer vers la porte »*.

Outre « effrayaient », une autre erreur est à signaler : l’infinitif

dans « courer »*, là, l’apprenant connaît la règle qui dit que lorsque

deux verbes se suivent, le second se met à l’infinitif, il a donc accordé

puisque selon lui « courir » vient après « effrayer ».

Les erreurs témoignant des représentations des élèves Ces représentations découlent des habitudes scolaires et des

conceptions que se font les élèves de l’apprentissage. Souvent les

enseignants entreprennent l’installation de savoirs nouveaux espérant

un changement de représentations alors qu’ils ne se préoccupent guère

des connaissances spécifiques des élèves, de leurs représentations et qui

souvent perdurent et deviennent sources d’erreurs. Ces conceptions

provoquent souvent un conflit chez l’élève, un obstacle souvent

générateur d’erreurs.

Comment prendre en charge les représentations des élèves, à défaut

d’une véritable approche didactique, il faudrait installer d’autres

rapports avec les élèves, les écouter, les laisser s’exprimer à propos des

objets du savoir car « comprendre la signification profonde des

représentations est un détour indispensable pour modifier le statut que

l’on donne à certaines erreurs des élèves ». ASTOLFI J-P. (1999 p : 17)

L’enseignant doit donc écouter les élèves afin d’analyser leurs

représentations, les confronter pour les comparer. Ces confrontations

vont provoquer des conflits sociocognitifs qui permettent de débloquer

des situations donc de surmonter des obstacles. Il est important

d’encourager des discussions autour d’une notion, même si les élèves

au cours de la résolution d’une tâche ne sont pas avancés, cette

confrontation d’idées ne peut être productive que si elle favorise des

interactions entre les élèves et entre les élèves et l’enseignant et aussi

(et surtout) entre le savoir et les élèves. Les erreurs liées aux opérations intellectuelles

Il arrive que l’enseignant pense que l’élève est capable d’effectuer

des opérations intellectuelles alors que celui-ci ne possède pas les

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Nassima MOUSSAOUI

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capacités requises. Elles paraissent naturelles pour l’enseignant. Les

enseignants ont acquis des automatismes qu’ils pensent installer chez

les élèves .Ils doivent tenir compte de toutes les opérations mentales par

lesquelles l’élève doit passer afin de produire une phrase acceptable.

Erreurs portant sur les démarches adoptées Ce type d’erreur rejoint en partie le précédent, mais au lieu d’ignorer

toutes les opérations mentales que doit effectuer un élève lors de la

résolution d’une tâche, l’enseignant ignore la démarche adoptée par

l’élève, il s’attend à ce que celui -ci ne mobilise qu’une procédure, la

procédure étant le savoir ou le savoir-faire transversal, invariant et donc

souvent convoqué par l’élève car facilitant l’exécution de la tâche.

ASTOLFI propose d’instaurer le dialogue et de provoquer des

interactions qui permettraient aux élèves de s’expliquer sur le

cheminement adopté, de revenir sur le travail effectué pour le

réexaminer et en dégager les caractéristiques, il faut donc favoriser la

métacognition et analyser les démarches adoptées par l’ensemble du

groupe. Confronter les réalisations des élèves ne fera que les rassurer

vu que dans la majorité des cas les productions se ressemblent, les

dysfonctionnements également. Il arrive que l’enseignant, excédé par

les erreurs (souvent désarmé !),propose son texte, cela ne fait que

creuser davantage l’écart entre les travaux des élèves et le « modèle »

porté au tableau, au lieu d’encourager l’élève, de le sécuriser et de lui

montrer qu’il n’est pas le seul à se tromper, on lui impose une sorte de

production parfaite, une sorte d’idéal qu’il n’atteindra jamais !

Les erreurs dues à une surcharge cognitive Dans les activités d’écriture, les erreurs commises par les élèves

s’expliquent en grande partie par le travail de la mémoire et par la

surcharge cognitive au cours de la résolution d’une tâche. Produire un

discours écrit est une compétence qui convoque des sous compétences.

Les enseignants ignorent toutes les difficultés rencontrées par les

scripteurs malhabiles qui en plus essayent d’écrire en langue étrangère.

La prise en compte du fonctionnement de la mémoire est récente. En

effet, pendant longtemps la mémoire « conçue comme un phénomène

d’enregistrement –répétition a été dévalorisée au profit de fonctions

cognitives plus nobles, comme la réflexion, les opérations

intellectuelles, la créativité … ». ASTOLFI J-P. (1999 p : 19) La

psychologie cognitiviste a réhabilité la mémoire et l’a installée au cœur

même de l’apprentissage. Les annotations de type « tu te répètes », ou

« tu n’as pas respecté le plan », n’apportent rien à l’élève, les

enseignants semblent ignorer que la production écrite est « une activité

à tâches partagées, car il faut en parallèle chercher les idées, les

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

81

organiser en paragraphes, vérifier la syntaxe de chaque phrase et au

milieu de tout cela, contrôler aussi l’orthographe » .ASTOLFI JP

(1999, p : 20)

En effet, l’élève, parce que effectuant plusieurs opérations en même

temps, oublie une idée, ou bien occupé à corriger les erreurs

d’orthographe, n’a pas le temps de veiller à l’enchaînement des idées,

sa mémoire de travail ne peut activer en même temps toutes les

informations contenues dans la mémoire à long terme. Les

enseignants gagneraient à réviser avec leurs élèves leurs

productions lors des séances d’auto-évaluation afin de leur permettre de

comprendre les raisons de certains oublis ou de certaines redites. Nous

pensons que les productions de nos apprenants pourraient constituer des

supports pédagogiques que les enseignants exploiteraient avec leurs

élèves.

Erreurs dues à la complexité du contenu Par contenu, nous entendons la spécificité de la langue française. Il

est vrai que, souvent qualifiée de capricieuse, l’orthographe française

pose des problèmes même aux natifs car pour une ligne « de règle », on

a presque deux pages « d’exceptions ». Les problèmes de concordance

des temps, d’accord, de gestion textuelle sont à l’origine des erreurs

commises par la majorité des apprenants. L’analyse de ce type d’erreur

relève d’un travail didactique qui souvent consiste en une remise en

cause des méthodes. Leur réajustement, quand tout simplement il ne

s’agit pas d’une timide réforme de l’orthographe. La prise en charge de

ces erreurs nécessite la mise en place de nouvelles méthodes

d’apprentissage, de véritables dispositifs de remédiation en vue de –

non pas juguler tous les dysfonctionnements – mais au moins de

s’inscrire dans une logique d’apprentissage qui réhabilite l’erreur en

l’intégrant réellement dans les pratiques.

Les erreurs dues à une autre discipline Nous avons en quelque sorte « détourné » le dernier type d’erreur

proposé par ASTOLFI. Celui-ci affirme que les erreurs sont souvent

dues à un apprentissage défectueux dans une autre discipline. Nous

retiendrons ce type d’erreurs dans les situations d’interférence avec la

langue maternelle, par « une autre discipline » nous entendons, donc

« une autre langue », vu que le français (n’ayant pas le statut de langue

seconde) n’est pas langue d’enseignement en Algérie.

Nous arrivons à un moment plus que crucial de la typologie des

erreurs commises par nos élèves. Beaucoup d’erreurs sont inhérentes à

la langue source. Les interpréter revient à passer par des traductions.

Les injonctions de type « ne pense pas en arabe » ne sont d’aucune

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Nassima MOUSSAOUI

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utilité. Toutefois, les activités variées, centrées sur le système

linguistique propre au français permettent sinon d’améliorer la qualité

des écrits du moins de faire comprendre aux élèves que le français et

l’arabe sont deux systèmes linguistiques différents et qu’il convient de

ne pas traduire littéralement mais de conserver l’idée et de l’exprimer

dans une phrase très simple, du moins dans un premier temps .

On doit également introduire des activités de traduction : arabe/

français et français/ arabe afin de monter aux élèves que les deux

systèmes linguistiques fonctionnent différemment.

Avant de clore cet article consacré à la typologie des erreurs, il nous

semble primordial d’aborder l’erreur de type pragmatique, dans ce que

WOODLLEY appelle « l’écrit parole », cet écrit est souvent occulté

par les enseignants qui ne s’attardent que sur « l’écrit langue ». Or

« l’erreur peut être prise en compte dans l’évaluation comme signe de

non-maîtrise du système linguistique ou encore comme obstacle à la

communication ».WOODLLLEY,M P (1993 p :11) L’erreur comme

obstacle à la communication pose de grands problèmes aux

enseignants, il est vrai que les productions des élèves contiennent

souvent des erreurs stratégiques dites pragmatiques car elles relèvent

de la structuration des intentions ou des actes de paroles. Elles

nécessitent des révisions exhaustives des textes voire parfois leur totale

réécriture.

La typologie, telle que mise au point par ASTOLFI, nous a semblé

intéressante car elle permet de rendre compte de toutes les variables

d’une même situation notamment celle qui fait l’objet de notre propos,

l’erreur dans les productions écrites des apprenants du cycle secondaire

en Algérie.

Conclusion Redéfinir le statut de l’erreur, l’intégrer dans les apprentissages, en

faire un allié pédagogique telles sont les conclusions auxquelles nous

sommes arrivée. Nous sommes, toutefois, consciente qu’une réelle

prise en charge de l’erreur passe par des changements de

représentations aussi bien celles des enseignants que celles des

apprenants. Il faut dépouiller le discours sur l’erreur de toutes

connotations appelant la sanction, la faute voire le péché. Le discours

sur l’erreur doit donc changer, celle-ci doit être considérée comme un

moteur dans la progression aussi bien celle de l’élève que celle du

professeur. Le changement d’attitude ne fera qu’éviter la culpabilisation

qui ne fera que bloquer les élèves. Les élèves ne peuvent progresser que

lorsqu’ils se sentent sécurisés. L’erreur doit permettre de cerner les

difficultés de chaque élève et, de différencier les apprentissages afin de

ne plus avoir à proposer des exercices pour l’ensemble de la classe,

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L’erreur et la norme dans l’évaluation formative des productions écrites

83

aussi bien pour ceux qui – à titre d’exemple – maîtrisent une notion

grammaticale que pour ceux qui ne la maîtrisent pas. Ceci permettra à

l’enseignant de construire les bases d’une véritable pédagogie

différenciée .L’erreur devient « un élément accepté, reconnu et objet

d’appropriation, non plus à proscrire mais un des facteurs par lesquels

la compréhension peut s’effectuer, ne serait-ce que par son

repérage ».REUTER.Y (1984 p : 125)

Dans cette perspective, l’évaluation formative prend tout son sens

car elle n’est plus exclue du procès d’apprentissage et sa fonction est

aussi de construire des situations qui favorisent la production des

erreurs, leur repérage et enfin leur maîtrise. Cet article consacré à

l’erreur ne nous a certes pas permis une analyse approfondie aussi bien

des modèles théoriques que de l’erreur elle-même Toutefois, le débat

est ouvert il nous a permis de montrer que l’erreur doit changer de statut

,elle doit être considérée comme « une aide pour l’élève qui, au travers

de l’explicitation de ses choix, mesure la pertinence de la procédure

qu’il a mise en jeu et une aide pour l’enseignant qui, ainsi, peut

comprendre le fonctionnement mental de l’élève » . ROUBEAUD MN

(2005 p : 31)

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Nassima MOUSSAOUI

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125

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Emna SOUILAH Université de la Manouba - Tunisie [email protected]

Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur fort pour le cycle

préparatoire de l’école de base

Problématique Au milieu de la crise que traverse l’école tunisienne,

l’enseignement-apprentissage du français en Tunisie est d’autant plus

préoccupant qu’une régression générale du niveau des apprenants en

langue a été remarquée. Cette régression est attestée par les résultats des

études d’évaluation entreprises - avant l’introduction de la dernière

réforme de l’enseignement de cette langue1 - par l’Inspection générale

du ministère tunisien de l’Éducation et de la Formation en collaboration

avec des experts du service de coopération et d’action culturelle

(SCAC) de l’ambassade de France. Ces évaluations ont été effectuées

dans différents cycles de l’enseignement, moyennant des tests

administrés à différentes populations d’élèves. Comme l’indiquent

Boukhari2 (2006) et Veltcheff3 (2006), la mesure de la compétence

acquise en langue française a donné des résultats peu satisfaisant par

rapport à ce qui est normalement exigé d’un locuteur de langue seconde

et par rapport au nombre d’années consacré à l’enseignement de cette

langue4. Ces études sont venues en fait confirmer la faiblesse des acquis

1 La réforme a été mise en place en 2007 pour le collège et 2008 pour le cycle

secondaire. 2 Inspectrice principale de français de l’enseignement secondaire au ministère

tunisien de l’Éducation et de la formation continue. 3 Service de coopération et d’action culturelle, Ambassade de France, à Tunis,

Tunisie. 4 Il faut noter que l’enseignement du français à l’école publique commence à

partir de la 3ème année primaire. Dans les écoles privées, on enseigne le français

dès la première année primaire.

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

87

en langue française chez les apprenants tunisiens, relevée lors des

examens nationaux et dans les départements de français où le taux

d’échec des étudiants est devenu élevé (Miled : 2010). Cette même

faiblesse a été, par ailleurs, à l’origine du mécontentement général des

employeurs au sujet du niveau de maitrise du français de la part de leurs

employés diplômés des Universités tunisiennes.

Ces constats, négatifs dans l’ensemble, ont relancé la recherche des

causes de la baisse de niveau en langue française en vue de l’élaboration

d’un système de remédiation susceptible de pallier les défaillances et

d’améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage de cette

langue. Nombreuses défaillances ayant été identifiées, une nouvelle

réforme a été rapidement mise en place. Se référant aux courants

pédagogiques modernes dans le domaine de la didactique des langues5,

cette réforme a proposé pour tous les cycles d’enseignement de

« nouvelles » approches méthodologiques, de nouveaux contenus à

enseigner impliquant le renouvellement du matériel didactique.

L’une des grandes mesures prises dans cette réforme est relative à

l’intégration de l’oral comme objet et médium d’enseignement des

activités de la classe de français (l’expression orale devrait préparer les

activités de la grammaire et de la production écrite ; la lecture devrait

être au service de la production orale et écrite ; l’articulation des

activités passe par la pratique de la langue)6. Elle vient pour combler le

déficit constaté dans l’expression orale des apprenants et établir le lien

entre ces différentes activités.7L’objectif visé par ce principe

5 « L’enseignement du français prend appui sur l’apport des théories

d’apprentissage qui mettent l’accent sur le rôle de l’élève dans la construction

progressive des savoirs, savoir-faire et savoir-être ». Programmes de français

du cycle préparatoire de l’école de base, Tunisie, 2006. p. 3. 6 « Un enseignement de la grammaire favorisant la pratique de la langue et qui

s’attache, en priorité, à développer et à affiner les capacités d’expression des

élèves tant à l’oral qu’à l’écrit ». Programmes de français du cycle préparatoire

de l’école de base, Tunisie, 2006. p. 3.

« Tous les contenus linguistiques inscrits au programme […] seront étudiés

en relation étroite avec la lecture, l’écriture et la pratique de l’oral. Ils

constitueront pour l’élève des ressources à mobiliser pour parler, lire et

écrire ». Ibid. p. 17. La réforme a été mise en place en 2007 dans les collèges

et en 2008 dans les lycées.

« Le décloisonnement des différentes activités de la classe de français en

vue de les articuler de façon cohérente ». Ibid. p. 3. 7 Aussi, l’activité de la lecture a-t-elle pour rôle (entre autres) d’aider

l’apprenant à « s’exprimer oralement et par écrit » : « L’élève sera capable de

lire, de comprendre et d’apprécier des textes variés (extraits, œuvres intégrales)

à des fins diverses : s’informer, découvrir d’autres cultures, développer des

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Emna SOUILAH

88

méthodologique de décloisonnement des activités dans ces quatre

domaines (grammaire, lecture, expression orale et écrite) est d’amener

l’apprenant à mobiliser, à des fins communicatives et dans diverses

situations de communication, l’ensemble de ses acquis (linguistiques,

culturels, discursifs et méthodologiques, précisent les textes officiels).

Or ces mesures, malgré les solutions dont elles sont porteuses,

semblent être problématiques quant à leur mise en application dans le

contexte tunisien, compte tenu du flou qui entoure certains de leurs

aspects8. Elles semblent d’autant plus occulter les difficultés liées au

transfert oral-écrit qui fait déjà l’objet d’un grand débat non encore

résolu9.

On s’interroge, dans ce cadre, sur la capacité de cette réforme

d’apporter les vraies solutions aux problèmes posés à l’enseignement

de cette langue en Tunisie. Notre réflexion s’appuiera essentiellement

sur l’hypothèse du choix d’un profil de sortie pour l’apprenant tunisien

qui serait inadéquat pour les raisons que nous allons développer dans

cet article.

Dans cette perspective, le point de vue de G. Vigner (2008)

concernant cette question constitue un appui pour notre travail. En nous

référant au lien qu’il établit entre le modèle du locuteur sous-jacent aux

programmes d’enseignement de français et les compétences visées par

ces programmes, nous réfléchirons sur les exigences imposées à

l’apprenant tunisien et sur leur degré de correspondance avec ses

performances réelles et avec la réalité langagière de ce contexte

d’enseignement-apprentissage.

Nous nous nous focaliserons, dans cet article, sur les nouveaux

programmes de français du cycle préparatoire de l’enseignement de

méthodes de lecture, enrichir son vocabulaire, s’exprimer oralement et par

écrit ». p. 10. 8 Que nous développerons ultérieurement 9 la question est de savoir quelle langue enseigner à l’oral, quelle langue orale

enseignée, quel rapport peut avoir l’oral enseigné avec l’écrit, et quels savoirs

linguistiques véhiculer, ceux relatifs aux structures de la langue orale ou ceux

relatifs aux structures de l’écrit, d’autant que, comme le précise C. Blanche-

Benveniste, les normes de l’oral se distinguent de celles de l’écrit. Elle

souligne à ce sujet que « La langue parlée des conversations n’est pas prévue

en fonction d’une écriture, ni a fortiori en fonction des signes de ponctuation

de la langue écrite»9. A ce propos, Amel Boukhari insiste sur l’idée que : « les

difficultés de l’enseignement de l’oral sont […] inhérentes à son caractère

insaisissable »9. C’est d’ailleurs pour cela qu’ « il est perçu comme un «

mauvais objet pédagogique ».

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

89

base10. Notre propos est de montrer que l’une des raisons de l’échec

attesté de l’enseignement de cette langue est aussi liée à un choix

ambitieux d’un modèle de locuteur sous-jacent à ces programmes, qui

serait proche de celui du natif de cette langue.

Sans aborder la question des nouvelles approches méthodologiques

dont le choix semble être problématique, nous nous limitons à la

présentation des objectifs de l’enseignement du français et des

compétences que cet enseignement se propose de faire acquérir aux

apprenants tunisiens du cycle préparatoire.

Objectifs et compétences visées dans les programmes de français du Cycle préparatoire de l’enseignement de base

L’objectif fondamental de l’enseignement de français au cycle

préparatoire de l’école de base, selon l’optique des nouveaux

programmes, est d’asseoir chez l’apprenant tunisien des compétences

disciplinaires et des compétences transversales durables et

transférables.

Au terme de ce Cycle, les compétences disciplinaires11 devraient

favoriser des activités langagières de production et de réception à l’oral

et à l’écrit, et d’interaction. L’apprenant est appelé à développer une

compétence à communiquer langagièrement qui intègre la composante

linguistique, sociolinguistique et pragmatique avec ce qu’elles

impliquent comme savoir, savoir-faire, savoir être et savoir agir en

situation.

D’autres types de compétences sont également visés : la

compétence-clef apprendre à apprendre et les life skills que Xavier

Roegiers (2010) traduit par les compétences de vie. Dans cette optique,

l’enseignement du français se propose d’aider l’apprenant, d’un côté, à

être autonome dans son apprentissage à partir de l’élaboration de

différents projets disciplinaires et interdisciplinaires et, d’un autre côté,

à s’approprier les valeurs citoyennes grâce à un nouveau contenu

thématique relatif au vivre ensemble introduit dans les programmes.

L’objectif final est de former des apprenants capables d’agir dans des

10 L’enseignement de base en Tunisie, appelé aussi école de base, comprend

deux cycles : le premier cycle ou le cycle primaire qui s’étend sur 6 années

d’études et le second cycle ou le cycle préparatoire qui demande 3 années

d’études. Les élèves sont scolarisés vers l’âge de six ans. Ils commencent à

apprendre le français à l’âge de 8 ans, c’est-à-dire à la 3ème année primaire.

Leur langue maternelle est le dialecte tunisien. 11 Ces compétences seront minutieusement présentées et décrite

ultérieurement.

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90

différentes situations sociales de plus en plus complexes et en tant que

citoyens responsables.

Ainsi l’enseignement du français s’intègre dans un projet plus large

de l’enseignement en Tunisie, de façon générale, celui d’établir un lien

entre l’école et la société et ainsi préparer l’apprenant à l’insertion

sociale.

À la question de savoir si le profil de sortie de l’apprenant visé par

l’enseignement du français correspond aux performances langagières

réelles de l’apprenant tunisien et s’il répond à ses besoins, nous nous

proposons de positionner le modèle du locuteur sous-jacent aux

programmes de français au cycle préparatoire en Tunisie par rapport à

ceux qui sous-tendent les programmes de français en général.

Les modèles de locuteurs sous-jacents aux programmes de français

Pour traiter la question des compétences visées dans l’enseignement

du français, dans un contexte de langue seconde, Vigner propose de

partir des questions suivantes : « Quel niveau de compétence souhaite-

t-on faire atteindre en français par les élèves ? Est-ce celui du locuteur

natif ou bien s’agit-il d’une compétence spécifique liée aux besoins et

usages du français dans le pays ? » (2008, p. 19). L’intérêt de ces

questions est double. D’abord, il est lié au rôle qu’elles jouent dans

l’élaboration d’un curriculum adapté au contexte de l’enseignement de

la langue. D’autre part, il est relatif à l’examen du décalage qui peut

exister entre des programmes proposés à l’enseignement d’une langue,

dans un contexte donné, et les performances langagières réelles des

apprenants de cette langue12.

Vigner présente deux profils de locuteurs : le locuteur natif et le

locuteur bilingue. Le premier est en général associé au modèle de

locuteur fort, le second aurait des compétences spécifiques (liées au

modèle de locuteur bilingue). Le locuteur fort (natif) est présenté

comme un modèle idéal et difficile à atteindre. Mais pour l’atteindre,

l’apprenant devrait développer quatre habiletés relatives à l’oral et à

l’écrit : production et perception : écouter, parler, lire et écrire. Ces

habiletés, il doit savoir les exercer dans des situations de

communication variées et dans différents contextes « sociaux et

culturels », mais aussi dans différents domaines d’usage de la langue :

professionnel, éducatif, public, général, privé, individuel (Vigner, 2008,

p. 19). À ce propos, Vigner insiste sur l’idée que le niveau de

12 Il est impensable d’exiger d’un apprenant incapable de formuler en français

une phase ayant un sens, de savoir manier les différents registres de

langue (programmes 7ème année de base, c’est-à-dire la 1ère année du collège)

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

91

compétence du locuteur fort13, en plus d’être difficilement accessible,

ne répond jamais aux besoins immédiats d’un apprenant du français

langue seconde, et ne peut pas être atteint dans les conditions effectives

de l’enseignement de la langue. De son point de vue, le modèle qui lui

semble être le mieux adapté est celui du locuteur bilingue. La principale

particularité de ce dernier modèle de locuteur est qu’il a déjà et toujours

l’occasion d’utiliser sa langue dans un ensemble large et varié de

situations de communication, tandis que son usage du français se limite

à quelques situations souvent en rapport avec le contexte institutionnel.

De ce fait, l’apprenant du français langue seconde, selon le même

auteur, a besoin d’un profil de compétence propre au FLE (2008, p. 20)

qui privilégie plutôt la transmission du savoir (réception et production

à l’oral et à l’écrit sont en rapport avec le contexte institutionnel) plutôt

que la communication sociale14. Vigner précise à ce sujet que la visée

pragmatique, à effet immédiat, ne constitue pas un objectif prioritaire,

l’apprenant disposant d’une autre langue, sa langue d’origine, pour

assurer ce type d’échange (2008, p. 20). Il opte pour une répartition des

compétences entre la langue d’usage des apprenants et la langue

apprise, répartition qui doit considérer que les apprenants du français

langue seconde ne font usage de cette langue que dans un nombre de

situations relativement limité.

De ce point de vue, il ne peut pas être demandé à un apprenant du

français langue seconde, de la maîtriser à l’instar du natif de cette

langue. Par ailleurs, ce qui peut être raisonnablement exigé de lui est de

développer une compétence spécifique qui lui permet d’accéder à

d’autres savoirs et de les véhiculer dans le contexte institutionnel.

Partant de cette distinction, nous tenterons de décrire le modèle du

locuteur (natif/fort ou bilingue dont les besoins sont spécifiques) adopté

dans les programmes de français relatifs au cycle préparatoire de

l’enseignement de base en Tunisie où l’on attribue à cette langue le

13 D’après VIGNER, le modèle du locuteur fort est un modèle idéal. Il

correspond à celui d’un adulte cultivé et natif du pays. 14 VIGNER précise que « … le français est, dans un grand nombre de pays

d’Afrique noire ou du Maghreb, étranger à une grande partie des élèves […]

s’agit-il en effet de développer une compétence de communication, définie en

termes de compétence sociale, de capacités à échanger avec différents

interlocuteurs ? ou bien s’agit-il d’organiser l’enseignement du français autour

de la transmission de savoir ? » « Quelles originalité pédagogiques dans

l’enseignement du français langue étrangère ? » in Le français langue seconde,

apprentissage et curriculum », Pierre MARTINEZ (dir.), Paris : Maisonneuve

et Larose, 2002. p. 134.

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statut de langue seconde15 et sur les effets de ce choix sur l’élaboration

de ces programmes. Notre propos est de montrer que les compétences

qui y sont visées ne sont pas en totale adéquation avec les performances

langagières des apprenants tunisiens, avec leurs besoins langagiers et

avec le contexte d’enseignement. Cette situation pourrait être

inhibitrice pour l’apprentissage de cette langue.

Le modèle de locuteur adopté par les programmes de français au cycle préparatoire de l’école de base

Il faut d’abord préciser, dans ce cadre, que langue seconde est un

concept extensible qui renvoie à une variété de contextes

d’enseignement-apprentissage de la langue. Chaque contexte a ses

particularités et requiert des méthodes pédagogiques qui lui soient

adaptées. L’une des particularités du contexte tunisien est de dispenser,

en ce qui concerne le mode d’introduction du français, de ce que Vigner

appelle un enseignement différé où l’arabe littéral16 a déjà pris place

quand l’apprenant entame l’apprentissage du français et reste […] dans

une position dominante (2008, p. 12). C’est un contexte où les visées

de l’enseignement de cette langue sont qualifiées de restreintes, par

rapport aux visés extensives où le français est considéré comme une

langue d’intégration scolaire. En effet, en Tunisie, l’enseignement de

cette langue ne supplante pas celui de l’arabe littéral. Le français est

enseigné à une population d’élèves qui apprennent, en premier lieu,

cette langue17. L’introduction de l’enseignement du français survient à

un moment donné de leur scolarité (en 3ème année de l’école de base et

vers l’âge de 8 ans). D’autre part, ces apprenants ont déjà des

compétences dans leur langue maternelle (le dialecte tunisien) qu’ils

pratiquent dans la vie sociale.

Pour ce qui concerne le modèle de locuteur adopté dans

l’enseignement du français, la lecture des programmes officiels relatifs

au cycle préparatoire de l’école de base tunisienne18 laisse apparaitre

15 Ce statut varie de fait de langue seconde à langue étrangère en fonction de

plusieurs facteurs dont le milieu géographique, social et familial des

apprenants. 16 L’arabe littéral n’est pas la langue d’origine, il constitue pour l’apprenant

une nouvelle langue, différente de l’arabe parlé. Le choix de l’adjectif

« littéral » se justifie par le fait qu’il s’agit d’une variété plus moderne que

l’arabe littéraire. 17 Leur langue maternelle est le dialecte tunisien. L’arabe littéral est

considéré comme une nouvelle langue. 18 Ces sont les trois années du collège. Nous nous référerons parfois aux

programmes de français du troisième degré de l’école de base, pour la précision

que ces textes témoignent dans l’usage des concepts.

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

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quelques-unes de ses particularités. Nous allons dégager ces

particularités à partir des trois rubriques consacrées respectivement à

l’enseignement de l’oral, de la lecture et de l’écriture. On peut lire dans

chacune de ces rubriques l’ensemble des compétences visées par

chacune de ces activités, soit au terme d’une année, soit au terme de

tout le cycle préparatoire.

Mais ces compétences ne sont pas respectivement spécifiques à

chacun de ces domaines, elles sont développées à partir de l’imbrication

de toutes ces activités.

L’articulation de l’oral avec les autres activités Il est important de souligner d’abord que l’objectif final de

l’enseignement du français en Tunisie est de former des élèves capables

de communiquer avec les autres. Cette langue enseignée en tant qu’outil

de communication doit leur permettre, entre autres, de s’ouvrir sur de

nouvelles cultures et de se situer par rapport à elles19.

En harmonie avec ces finalités, l’enseignement de cette langue au

cycle préparatoire de l’école de base est attelé à deux grandes

orientations : développer la compétence de lecture chez les élèves et

affiner leurs capacités d’expression à l’oral et à l’écrit. Dans la même

visée, l’activité de lecture a pour objectif de faire découvrir à

l’apprenant d’autres cultures, mais aussi de lui permettre d’enrichir son

vocabulaire et par conséquent de s’exprimer oralement et par écrit20.

Articulé à cette activité, l’enseignement de l’oral vise à former des

apprenants capables de comprendre des énoncés oraux variés et d’en

produire […] Il mobilise, à cet effet, ses acquis linguistiques, culturels

[…] dans des situations de communication liées aux contextes scolaire

et social.21 Ces extraits des programmes montrent que l’articulation de

l’oral à la lecture se situe à deux niveaux. Le premier niveau est relatif

à la possibilité de réinvestir le vocabulaire appris lors de l’étude des

textes, dans des discours oraux. Le second est lié à l’impératif de

mobiliser les « acquis culturels » dans diverses situations de

communication orale. Néanmoins, l’expression « acquis culturels »

pose problème du moment où, présente dans les rubriques de toutes les

activités, elle n’est jamais expliquée. De plus, les instructions officielles

ne montrent pas non plus comment ces acquis peuvent être mobilisés

dans différentes situations de communication. Quant au moyen de les

19 Les programmes de l’enseignement du français, relatifs à tous les

niveaux d’études. 20 Les programmes de français relatifs au cycle préparatoire de l’école de base.

p. 10. 21 Ibid. p. 6.

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développer, on peut comprendre vaguement que c’est dans les séances

de lecture que l’apprenant peut découvrir quelques éléments d’autres

cultures.

Il reste que, quand il s’agit de travailler sur une œuvre intégrale,

l’élève est appelé à se documenter sur les références culturelles 22 car,

d’après le même texte, la compréhension globale de cette œuvre en

dépend. En ce qui concerne l’articulation entre l’oral et l’activité de

l’écriture, les mêmes textes officiels laissent comprendre qu’elle passe

par les contenus linguistiques aux programmes. En effet, dans les

exercices de production écrite23 les apprenants sont appelés à mobiliser

(entre autres) leurs acquis linguistiques24. Tous ces acquis linguistiques

sont étudiés en relation étroite avec la lecture, l’écriture et la pratique

de l’oral. Ils constitueront pour l’élève des ressources à mobiliser pour

parler, lire et écrire25. Ainsi, dans ce cadre, la pratique de l’oral est

centrée sur la manipulation des faits de langue en contexte. Les acquis

linguistiques sont réinvestis dans les productions écrites et dans d’autres

situations. Ce qui montre que, dans son lien avec les autres activités,

l’oral en constitue le pivot. En plus d’être en corrélation étroite avec les

autres activités, l’oral constitue aussi un objet d’enseignement. Dans ce

type d’enseignement, l’accent est mis sur les spécificités de la

communication orale.

Réception et production à l’oral dans les textes officiels La lecture des programmes officiels relatifs aux trois niveaux

d’études du cycle préparatoire montrent que, dans l’enseignement de

l’oral, les compétences visées au terme de chaque année sont les

mêmes. L’apprenant doit développer une compétence de

communication qui intègre la composante linguistique, culturelle et

pragmatique. Il est énoncé dans les textes officiels que l’élève « doit

être capable de comprendre des énoncés oraux et en produire […] pour

présenter, se présenter, informer, s’informer (donner, demander des

informations), expliquer, justifier et discuter, dans les sens de dialoguer

et d’argumenter. Il mobilise, à cet effet, ses acquis linguistiques,

culturels et méthodologiques dans des situations de communication

22 Ibid. 12 23 Qui a pour but de leur apprendre à « produire des textes de types variés […]

à diverses fins de communication » 24 Ibid. p. 13. 25 Ibid. p.17.

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

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liées aux contextes scolaire et social »26 Les capacités spécifiques27 qui

composent ces compétences sont enseignées d’une manière progressive

et intégrante qui doit respecter un parcours susceptible d’optimiser leur

acquisition (sensibilisation, apprentissage structuré, consolidation,

intégration). La sensibilisation est le premier niveau d’acquisition de la

compétence, l’apprentissage structuré appelle un travail d’entrainement

qui implique de développer la capacité, la consolidation est un

renforcement de la capacité et enfin l’étape de l’intégration, c’est-à-dire

la phase de la mise en œuvre d’une capacité suffisamment maîtrisée par

l’élève et constituant pour lui une ressource à mobiliser dans diverses

situations de communication28. Plus concrètement, la capacité

Dialoguer, par exemple, fait l’objet d’un travail de sensibilisation en

6ème année de base, d’apprentissage en 7ème année de base, de

consolidation en 8ème année de base et d’intégration en 9ème année de

base.

Dans le cadre de cet enseignement, l’activité de réception à l’oral

vise, dans ces trois niveaux d’études, à développer chez l’apprenant,

« les capacités » : écouter et comprendre et celle de production/

interaction les capacités prendre la parole et réagir/interagir. Les deux

premières capacités impliquent d’adopter, dans toutes les situations de

communication, une attitude d’écoute qui permet une bonne réception

du message, d’être en mesure de décoder globalement ce message, et

d’en saisir l’intention de communication. D’un autre côté, les capacités

visées par l’activité de production requièrent de l’apprenant qu’il soit

capable de s’exprimer de façon audible et claire, de prendre en

considération les paramètres de la situation de communication, et de

choisir les éléments prosodiques adéquat à chaque message et à chaque

situation. Cela implique le respect et la maitrise des règles et des

spécificités de la communication orale (respect de l’autre, écoute

attentive, respect des tours de paroles, prise en compte des propos

d’autrui, recours au para-verbal- (intonation, débit, ton) et au non-

verbal - regard, gestes, attitude)29.

Dans cette perspective, l’acquisition de ces capacités est placée dans

une variété de situations de communication, liées aux contextes social

et scolaire. Ce sont des situations :

26 Programmes de français, Cycle préparatoire de l’enseignement de base,

septembre 2006, p. 6/ Programmes de français, Enseignement secondaire,

septembre 2008, p. 6. 27 Les capacités sont présenter, se présenter, informer/s’informer, expliquer,

justifier et discuter. 28 Programmes de français relatifs au cycle préparatoire de l’enseignement de

base. p. 7. 29 Ibid.

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De la vie courante (au marché, au bureau de

poste, au stade, au supermarché, à la gare, à

l’aéroport, dans une agence de voyage, etc.) et de

la vie scolaire (en classe, dans la cour de l’école,

dans un club, à la bibliothèque (uniquement en

9ème), etc.)30.

Il s’agit, pour l’apprenant, de tenir compte, dans tous les cas, du

contexte, du statut de l’interlocuteur et de l’effet à produire. Un niveau

d’exigence sur le plan pragmatique, langagier, linguistique lui est

fixé par rapport à son apprentissage de l’oral. L’élève doit atteindre

aisance verbale, étendue du discours, réussir à participer à un dialogue

à deux interlocuteurs et savoir utiliser un énoncé simple, vocabulaire

courant, énoncé plus complexe, vocabulaire plus élaboré31. Il est appelé

à utiliser un vocabulaire relatif à la communication orale ainsi qu’un

vocabulaire relatif aux thèmes traités32. Concernant les contenus

linguistiques proposés33, les textes officiels recommandent qu’ils soient

exploités en situation et non abordés comme objet d’enseignement et ce

pour favoriser une expression claire et adaptée au contexte. Au terme

du cycle préparatoire, les critères d’évaluation des productions orales

des apprenants sont adéquation des propos à la situation de

communication, cohérence du discours, clarté des propos, correction

de la langue34.

Rappelons que, selon Vigner, dans le cadre des programmes du

français qui adoptent un modèle de locuteur bilingue (modèle approprié

à l’enseignement du français langue seconde), la production orale, étant

liée au domaine éducatif, doit se limiter à des échanges qui se situent

dans la classe. Il faut aussi tenir compte du fait que, d’après le même

chercheur, l’échange oral dans sa composante pragmatique ne

constitue pas un objectif prioritaire (Vigner, 2008, p. 20) dans

l’enseignement/apprentissage d’une langue seconde. Deux conditions

auxquelles les choix officiels tunisiens ne satisfont pas.

En effet, les objectifs de l’enseignement de l’oral dans ce contexte

requièrent un champ d’application très vaste et visent à développer chez

l’apprenant plusieurs compétences dont la compétence

sociolinguistique, celle qui lui permet de communiquer dans n’importe

quelle situation de communication. Ce qui laisse comprendre que les

30 Ibid. 31 Ibid. 32 Ibid. 33 Les contenus linguistiques dédiés à l’enseignement-apprentissage de l’oral

sont différents de contenus programmés pour les séances de grammaire. 34 Ibid. p. 36.

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

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programmes de français tunisiens optent pour un profil d’apprenant qui

se veut être proche du natif de la langue.

Rappelons que, conformément au principe du décloisonnement des

activités de la classe de français (Oral, Lecture, Écriture), recommandé

dans les textes officiels, la pratique de l’oral est liée, dans un sens, à

l’activité de la lecture et à celle de l’écriture. Sans tenir compte du débat

autour du transfert oral-écrit, ces activités doivent s’interpénétrer pour

permettre à l’apprenant de produire des discours oraux et écrits

adéquats et corrects.

Réception et production à l’écrit L’activité de lecture vise à faire acquérir par l’apprenant plusieurs

aptitudes dont lire, comprendre35, apprécier des textes variés […] à des

fins diverses dont découvrir d’autres cultures et s’exprimer oralement

et par écrit. Les textes officiels soulignent que la compétence de lecture

permet à l’apprenant de mobiliser et d’intégrer les acquis linguistiques,

littéraires, culturels et méthodologiques en vue d’appréhender des écrits

aux enjeux thématiques et discursifs de plus en plus complexes ,

compétence qu’il maîtrisera progressivement. Il s’agit, pour lui,

d’étudier des textes appartenant à la littérature française (roman, poésie,

théâtre, fable) et francophone et des textes traduits (Programmes de

français, cycle préparatoire de l’école de base, septembre 2007). Il

doit être à même de lire des textes variés (extraits et œuvres intégrales)

dont il doit rendre compte oralement et par écrit (Programmes de

français, Enseignement secondaire, septembre 2008)

En plus de ces capacités, l’apprenant est appelé à en développer

d’autres de même niveau d’importance. Ces capacités sont apprécier,

rendre compte, s’auto-évaluer, lire et écrire, lire une œuvre intégrale,

lire une image. La capacité rendre compte est basée sur des supports

diversifiés. À côté des textes littéraires de différents genres (nouvelle,

roman, conte, théâtre), sont suggérés des textes documentaires, des

articles de presse, textes publicitaires, sketches, chansons, bande

dessinée, image publicitaire, caricature, photo.

Il faut noter que les textes officiels insistent sur l’idée qu’au fur et à

mesure que l’apprenant découvre des éléments nouveaux d’autres

cultures, il est appelé en retour à les mobiliser et à les intégrer en vue

de mieux approfondir sa compréhension des textes de plus en plus

difficiles. L’activité de lecture doit aussi aider l’apprenant dans sa

production écrite en reformulant les contenus de textes, en répondant

35 Saisir le sens global du texte / construire le sens du texte à partir d’indices

relevés : genre et organisation générale du texte

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par écrit aux questions de compréhension, en réécrivant les textes et en

réalisant « des projets de lecture-écriture ».

La complémentarité des deux activités (lecture-écriture) se laisse lire

dans les recommandations officielles relatives à l’enseignement de

l’écrit. Ces recommandations précisent qu’au terme de ses années du

collège, et du cycle secondaire, l’apprenant doit être capable de

produire des textes de différents types (narratif, descriptif, informatif,

explicatif /argumentatif), de faire des résumés et des comptes rendus, à

diverses fins de communication ». Il est appelé, à cet effet, à

mobiliser ses acquis linguistiques, discursifs, littéraires et culturels, en

mettant en œuvre des stratégies adaptées à la situation d’écrit. Il est

tenu, dans tous les cas, de suivre une démarche bien déterminée lors de

la production des textes. En effet, lors de la première étape du travail

qui est la phase de la planification du texte à produire, l’apprenant doit

fixer les paramètres de la situation de communication et vérifier, dans

la phase de révision, l’adéquation du texte produit avec cette situation.

Dans la phase de la mise en texte, sont rédigés l’introduction, le

développement et la conclusion. Enfin, le travail écrit s’achève par une

révision de tout le texte (autoévaluation, relecture et réécriture).

De façon générale, le travail sur les quatre habiletés de réception,

production à l’oral et à l’écrit implique de respecter un contenu

linguistique bien déterminé. D’ailleurs, ces contenus doivent être

obligatoirement traités lors de ces différentes activités « ils seront

étudiés en relation étroite avec la lecture, l’écriture et la pratique orale »

(programmes de français, école de base et cycle secondaire).

Concernant ces recommandations officielles, relatives aux activités

de réception et de production à l’écrit et à l’oral, deux remarques sont à

souligner. Elles portent sur la question de l’applicabilité des

programmes de français, compte tenu du profil de l’apprenant tunisien

et du contexte d’enseignement-apprentissage de cette langue. La

première a trait à la réitération de l’expression acquis culturels,

expression qui revient dans l’ensemble des recommandations. En effet,

quel que soit son niveau d’études, l’apprenant est appelé constamment

à mobiliser et à intégrer ses acquis culturels, que ce soit lors de sa

production des discours oraux et des textes écrits, ou lors de son

appréhension des textes de lecture. Ce qui suppose, d’après cette

expression régulièrement employée (intégrer ses acquis culturels), que

les apprenants maitrisent déjà certains aspects relevant du domaine

culturel. Or on ne sait pas de quels aspects il s’agit et quel est le

processus de leur acquisition. La deuxième remarque - qui n’est pas

sans lien avec la première - est relative à la nécessité, pour l’apprenant,

d’adapter son écrit et son discours au profil du destinataire et à la

spécificité de chaque situation de communication orale ou écrite,

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

99

situations devenant de plus en plus complexes. Cette tâche semble être

difficile dans un contexte de langue seconde, car elle demande un

travail soutenu sur la composante sociolinguistique et requiert de la part

des enseignants une formation spécifique et une bonne connaissance de

l’arrière-fond culturel de la langue à enseigner.

Les points soulignés seront développés, dans ce qui suit, pour faire

apparaitre le caractère quelque peu trop ambitieux, à notre sens, des

visées des programmes officiels eu égard aux limites manifestes des

performances langagières des apprenants tunisiens.

La complexité des quatre habiletés La question des habiletés de réception et de production est très

complexe. Cette complexité a été mise en évidence et rendue explicite

par les données que Widdowson (1978) a introduites au schéma connu

des Aptitudes de réception et de production où il tient compte de

l’interaction conversationnelle et de la différence entre usage et emploi.

Les trois tableaux présentés ci-dessous illustrent bien cette

complexification.

Tableau 1 : Aptitudes de réception et de production

Tableau 2: Capacités de l’oral

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Tableau 3: Capacités de l’écrit

Dans un souci de précision et de clarification, Widdowson place les

habiletés relatives à l’oral et à l’écrit dans deux tableaux différents

(tableaux 2 et 3). À la différence du premier, ces deux tableaux

distinguent les aptitudes linguistiques des capacités de communication

et articulent les aptitudes de réception et de production aux règles

d’usage et aux règles d’emploi (Widdowson, 1978). Les règles d’usage

permettent de produire des énoncés bien formés grammaticalement

(Germain, Séguin, 1998). Elles renvoient ainsi aux règles linguistiques

qui aident à la production d’énoncés grammaticalement corrects, alors

que la notion d’emploi définit les conventions d’une utilisation

appropriée susceptible d’orienter le choix d’une forme linguistique

adaptée aux paramètres de la situation de communication.

Il faut souligner à cet égard que « capacités de communication »

incluent « les aptitudes linguistiques ». Actuellement, dans le cadre de

l’approche communicative, l’expression compétence de communication

intègre tous ces composants. En effet, les activités langagières dans

diverses situations de communication requièrent l’acquisition d’une

compétence de communication36 avec ses différentes composantes

linguistique (syntaxe, lexique, phonétique), sociolinguistique

(« paramètres socioculturels de l’utilisation de la langue – règles

d’adresse et de politesse, régulation des rapports entre générations,

sexe, statuts, groupes sociaux, codification par le langage des rituels

d’une communauté » (Tardieu, 2008, p. 26) et pragmatique (cohérence,

cohésion, discursivité, etc.).

Concernant les activités de l’oral, le tableau 2 montre qu’il s’agit,

comme le souligne Tardieu, d’enseigner à l’oral non pas la langue, mais

36 La compétence de communication est modélisée autour des trois

composantes suivantes : linguistique, sociolinguistique et pragmatique

(CECRL, 2001)

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101

l’action langagière dans toute sa complexité (Tardieu 2008, p. 26) D’où

cette difficulté de le faire, car en plus d’apprendre à maîtriser les règles

linguistiques (acquérir les aptitudes linguistiques), l’apprenant doit

accéder au domaine de la communication et faire un usage adéquat de

ces règles dans des situations de communication variées. Cette tâche

implique, entre autre, la maîtrise de la composante sociolinguistique

dont le rôle est déterminant dans le décodage et la compréhension des

messages lors des échanges oraux. La nécessité de maîtriser cette

composante est liée à sa capacité d’affecter fortement toute

communication langagière entre représentants de cultures différentes

même si c’est souvent à l’insu des participants eux-mêmes37. Rappelons

que, selon les finalités de l’enseignement de français, cette langue est

envisagée comme un moyen complémentaire (pour l’apprenant) pour

communiquer avec autrui (qui est l’étranger) 38

Ce type d’enseignement-apprentissage est une tâche difficile aussi

bien pour des enseignants non formés dans ce domaine que pour des

élèves non natifs qui apprennent une langue étrangère dans un cadre

institutionnel.

Difficultés d’enseigner les quatre habiletés Concernant la production orale, comme nous venons de le

mentionner, l’apprenant tunisien est appelé à développer toutes les

capacités mentionnées par Widdwoson, qui, faut-il le souligner encore,

ne doivent pas être séparées de leur contexte d’emploi, et à intervenir

dans un ensemble très large de contextes d’échanges sociaux et

culturels que les programmes officiels ont énumérés et fait suivre d’un

signe de ponctuation d’incomplétude (etc.). La visée pragmatique de

ces échanges est fortement appuyée, elle constitue l’un des objectifs

prioritaires de cet enseignement. L’emploi, dans les textes officiels, des

termes écouter, comprendre, contexte social, statut de l’interlocuteur »,

etc. où il est recommandé que les contenus linguistiques […] doivent

être exploités en situation pour favoriser une expression claire et

adaptée au contexte 39 atteste de la forte présence de cette visée. Ce qui

implique un recours fréquent à un registre de langue en adéquation avec

la situation de communication. En outre l’adaptation du discours à la

spécificité culturelle de chaque contexte d’échanges (virtuel) exige une

37 CECRL 2001 38 Programmes de français, cycle préparatoire de l’école de base. p. 8. On y

propose des situations de communication telles que dans un bureau de poste,

ou dans un supermarché, etc. 39 Programmes de français relatifs aux cycles préparatoire de l’enseignement

de base et secondaire, respectivement 2007et 2008

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Emna SOUILAH

102

maîtrise suffisante des règes d’échanges qui lui soient propres. De façon

générale, la lecture des programmes de français montre que l’apprenant

est constamment appelé à combiner les règles d’emploi et les règles

d’usage. On recommande de mettre les premières au service du sens les

contenus linguistiques […] sont à mettre au service de la construction

du sens.

L’activité de la lecture est censée, dans ce cadre, aider l’apprenant à

mieux s’exprimer à l’oral et à l’écrit « L’élève sera capable de lire, de

comprendre et d’apprécier des textes variés (extraits, œuvres intégrales)

à des fins diverses : s’informer, découvrir d’autres cultures, développer

des méthodes de lecture, enrichir son vocabulaire, s’exprimer oralement

et par écrit ». Or les textes de lecture (essentiellement des textes

littéraires)40, qui devraient aider l’apprenant à s’exprimer oralement,

sont réservés uniquement au contexte scolaire. Dans les contextes

extrascolaires, l’apprenant se trouve démuni lorsqu’il est contraint de

réagir adéquatement dans un registre de langue approprié émanant de

contextes n’ayant pas été prévus par l’enseignement. De plus, les textes

de lecture proposés dans les trois manuels scolaires ne peuvent pas

amener l’apprenant à maîtriser les différents registres de langue au point

d’en faire usage dans les différentes situations de communication

virtuelles proposées pour la pratique de la langue en classe.

Au sujet de l’enseignement de l’oral, il faut souligner les points

suivants. Le premier concerne les capacités communicatives à faire

acquérir par des apprenants ayant déjà développé ces capacités dans

leur langue maternelle. La question est de savoir s’il est demandé aux

apprenants tunisiens de transférer (leurs) capacités dans un autre

moyen d’expression, (ici le français), ou d’en acquérir d’autres propres

à une culture qui n’est pas la leur. Or le caractère transférable des

capacités communicatives41, n’a été prouvé par aucune étude

scientifique42. Le deuxième point est relatif au type d’acquis culturels

que l’apprenant doit mobiliser lors de la production des énoncés oraux

dans différentes situations de la vie courante. La question ici, est de

savoir s’il est possible pour un apprenant de langue seconde d’intégrer

les acquis culturels propre à la langue cible lors de sa production des

discours oraux, dans le cadre virtuel d’un supermarché, d’un stade, de

40 Les textes à étudier appartiennent à la littérature française et francophone

mais le recours à quelques textes traduits n’est pas à exclure. Programmes de

français de l’école préparatoire, p. 11. 41 Ce qui nous semble d’ailleurs donner tout leur sens aux travaux sur le

plurilinguisme et à l’approche plurielle de plus en plus développés

actuellement 42 BACHELARD 1970 ; cité par MEIRIEU, cité par Tardieu, VYGOTSKY,

VANPATTEN, cité par ROD ELLIS 2003, cités par TARDIEU, p. 23.

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Les programmes de français en Tunisie : Un modèle de locuteur …

103

bureau de poste, etc., alors qu’il se trouve à l’intérieur de l’institution

et dans son pays natal. Or cet objectif se trouve compromis par les

difficultés suivantes. Premièrement, les moyens par lesquels

l’apprenant a pu acquérir les éléments d’une culture différente ne sont

pas suffisants au point de lui permettre de les investir dans ses activités

orales. Deuxièmement, il n’est pas sûr que les enseignants tunisiens de

français soient (s’ils maîtrisent assez les différents registres de la

langue) en mesure de développer chez les apprenants la capacité

d’adopter le discours approprié à chaque situation proposée. D’autant

plus qu’en Tunisie, ces enseignants ont acquis les capacités

communicatives dans le même environnement socioculturel dans lequel

évoluent leurs apprenants.

Toutes ces difficultés que la visée des programmes de français pose

à l’enseignement-apprentissage de la langue nous mène à la question de

l’intérêt urgent, pour un apprenant tunisien d’apprendre à parler dans

ces situations de communications précises (un stade, une agence de

voyage, supermarché, etc.)

Tant de questions restent sans réponses, elles attestent, à notre avis,

d’une absence de visibilité claire en ce qui concerne les objectifs

prioritaires et moins prioritaires de l’enseignement du français en

Tunisie.

S’ajoute à ces questions, le problème du choix d’une approche qui

soit en adéquation avec les objectifs assignés à cet enseignement et de

la possibilité de son application dans ce contexte. Il faut d’abord noter

que, dans les textes officiels, la question des approches à adopter dans

l’enseignement du français n’est pas abordée de façon explicite. Seuls

quelques principes méthodologiques recommandés permettent de faire

le lien avec l’approche communicative, étroitement liée à l’approche

par les compétences. Dans le cadre de cette approche, toutes les

activités ont lieu à l’intérieur de l’institution. Il est certes important

d’asseoir l’enseignement scolaire de la communication sur des

méthodes de simulation ou de transposition de situations sociales, mais,

il s’agit de choisir les bonnes situations et les moyens appropriés pour

optimiser l’apprentissage en permettant à l’apprenant de découvrir

l’aspect utilitaire de ses acquis.

Or proposer diverses situations de communications de la vie sociale

et insister sur la production de discours qui leur soient adaptés (ainsi

qu’à la maitrise de la composante socioculturelle) implique de recourir

à une approche qui permet au moins, quelques fois, l’exercice de ces

capacités en dehors de l’institution. Cet objectif ne peut être mieux

atteint que par le recours à l’approche actionnelle. Cette approche par

les tâches permet à l’apprenant de transgresser les limites de la classe

et de mettre à l’épreuve ses capacités dans des situations de

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Emna SOUILAH

104

communication réelles. Or la mise en place de l’approche actionnelle

n’est pas possible dans l’environnement extra institutionnel de

l’apprenant tunisien, du moment où cet environnement ne lui offre

aucune possibilité de pratiquer cette langue en dehors de la classe.

Notons aussi que le public scolaire a le français comme langue

d’enseignement plus qu’une langue de communication immédiate.

Il semble donc que les contenus proposés posent aussi un problème

méthodologique à leur enseignement.

C’est dans ce cadre que s’inscrit, à notre avis, l’interrogation de

Boukhari (2006) Ne sommes-nous pas trop exigeants avec des élèves

qui généralement ont de moins en moins l’occasion de pratiquer le

français en dehors de la classe ? (Boukhari, A, p.40). Cette

interrogation rejoint l’idée de Vigner que l’apprenant d’une langue

dispose déjà de sa propre langue qu’il pratique en dehors de la classe et

la réalité montre qu’il n’a donc pas besoin de recourir à une langue

étrangère dans les situations de la vie courante.

Il semble donc que le modèle de locuteur implicitement adopté dans

ces nouveaux programmes de français se rapproche davantage de celui

du natif de la langue que du profil d’un apprenant tunisien dont la

maitrise de la langue doit répondre à des besoins langagiers précis et

moins larges. Il est loin d’être le modèle de locuteur bilingue, celui qui

répond mieux aux besoins langagiers d’un apprenant de langue

seconde. De notre point de vue, l’adoption d’un modèle de locuteur qui

n’est pas en adéquation avec les performances réelles des apprenants et

qui ne répond pas à leurs besoins constitue le point de départ des

difficultés posées à l’enseignement-apprentissage de cette langue.

C’est dans ce cadre que nous adoptons le point de vue de Miled

(2010), selon lequel cette situation risque de conduire à l’apparition de

nouvelles représentations négatives sur la langue. Ces représentations

pourraient être inhibitrices, si les apprenants jugeaient difficile et

inaccessible l’apprentissage de cette langue. Pour toutes ces raisons,

une nouvelle révision de la nouvelle réforme s’impose pour réajuster

les programmes et les adapter à ce contexte d’enseignement-

apprentissage très particulier et pour une réelle prise en charge des

problèmes que nous venons de souligner.

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de base) septembre 2006, Ministère de L’éducation et De La Formation,

Direction Générale des Programmes et de La Formation Continue,

Direction des Programmes et des Manuels Scolaires

Les programmes de français (1ère et 2ème années secondaires)

septembre 2005, Ministère De L’éducation et de La Formation,

Direction Générale des Programmes et De La Formation Continue,

Direction des Programmes et des Manuels Scolaires

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Emna SOUILAH

106

Je communique en français, document du professeur. 7ème année de

base, CNP Ministère de l’éducation et de la formation. Réf. 521702.

Lire et écrire en français. Document d’accompagnement du manuel

de français, 8ème année de l’enseignement de base. CNP, Ministère de

l’éducation et de la formation. Réf. 521802.

Pratique du français, document de l’enseignant, 9ème année de base

CNP, Ministère de l’éducation et de la formation. Réf. 521902.

Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,

enseigner, évaluer (version électronique)

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Nawel SACI - BOURKAIB Université Blida 2, LISODIP (ENS) [email protected]

De l’approche contrastive vers le modèle de la dynamique de transfert des apprentissages :

Le cas des temps verbaux, marqueurs de modélisation en arabe et en français

L’appropriation des temps verbaux du français langue étrangère

chez les élèves algériens est problématique. En effet, à travers un

premier travail de recherche (Magister, 2007), nous avons pu rendre

compte des difficultés des élèves à employer les formes verbales

appropriées aux contextes d’énonciation auxquels ils ont été confrontés,

notamment en production écrite. En continuité à ce travail portant

exclusivement sur l’expression de la temporalité, c’est à la modalité,

dans ses rapports avec les formes verbales, que nous nous intéressons

dans le cadre de cet article. Nous supposons que les formes verbales en

tant que marqueurs de modalité de la langue arabe (L1),

fonctionneraient de manière complètement différente que celles du

français (L2), ceci pourrait être, en partie, à l’origine de la distorsion

telle qu’elle est fréquemment produite par nos apprenants, au niveau

sémantique de l’énoncé entre la valeur modale et la forme verbale

employée. Bien plus, en posant la question du transfert des savoirs et

savoir-faire comme étant à la base de toute construction de

connaissance et d’appropriation du matériau cognitif dont dispose tout

sujet-énonciateur, en l’occurrence chez un apprenant plurilingue1, nous

cherchons à établir les préceptes d’une démarche qui limiterait le

transfert négatif (si ce cas s’avère vrai dans le corpus analysé) et où le

recours à ses acquis en langue source est pensé en termes de profit.

Répondre à ces préoccupations nécessite de notre part une double

investigation : d’abord au niveau linguistique, nous reprenons un corpus

1 Nous ne reviendrons pas dans le cadre de cet article sur le plurilinguisme

avéré chez les élèves algériens : un état de fait établi chez plusieurs

sociolinguistes, en l’occurrence : A.-Y. KARA (2004), Kh. TALEB-

IBRAHIMI (2006), D. MORSLY (2012), I. CHACHOU (2013), etc.

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De l’approche contrastive vers le modèle de la dynamique de transfert …

109

d’énoncés en langue arabe, extraits de l’œuvre de l’écrivain Nadjib

Mahfoud traduit en français par P. Vigreux : les deux ouvrages ont fait

l’objet de nombreuses études linguistiques, notamment contrastive,

comme celles d’A. Abiaad (2001), de M. Chairet (1996) et de L.

Messaoudi (1985), desquelles nous tirerons les exemples pour

comparer entre la modalité et la temporalité dans les deux langues et

d’en déduire le mode de fonctionnement des temps verbaux dans

l’expression de la modalité dans l’une comme dans l’autre. Ensuite à

travers l’analyse de quelques d’emplois authentiques de formes

verbales en français réalisés par des apprenants à l’origine arabophones,

nous essayerons d’un point de vue de la linguistique contrastive

d’établir un lien de cause à effet entre les erreurs commises par ces

élèves et le fonctionnement « purement linguistique » des deux

systèmes verbaux. Enfin nous tenterons d’apporter une éventuelle

solution à la question de la modalisation en situation d’apprentissage du

français langue étrangère, orientée vers la dynamique du transfert des

apprentissages.

Éclairage théorique

La modalité de l’énoncé : essai de définition Le terme de modalité recouvre un champ définitoire très large, selon

que l’on soit en pragmatique, syntaxe, psychologie cognitive, etc. Pour

notre part, c’est dans la cadre de la théorie de l’énonciation que nous

inscrivons notre approche des modalités dans les deux langues (l’arabe

et le français). Nous considérons la modalité comme étant une

dimension sémantique de l’énoncé portant sur la manière dont est

asserté le contenu propositionnel. En ce sens, produire un énoncé c’est

employer certains mots et pas d’autres, les ordonner, conjuguer les

verbes dans un temps/mode et pas un autre, en somme c’est construire

une phrase qui employée dans un contexte énonciatif donné traduit,

entre autres, une valeur sémantique que l’on peut appeler modalité. Au

niveau conceptuel, trois paramètres déterminent le facteur modal d’un

énoncé, S. Polis (2009) :

— Le premier paramètre correspond à la direction

d’ajustement du contenu propositionnel :

lorsque l’énoncé décrit objectivement le réel (l’acte au

sens que lui attribue J. Searle, passe du monde réel à

l’énoncé), on parlera de modalité assertive ;

lorsque l’énoncé porte une injonction (l’acte passe de

l’énoncé au monde réel), on parlera de modalité non-

assertive ou radicale.

— Le second renvoie à l’origine du contenu propositionnel :

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Nawel SACI - BOURKAIB

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o dans le cas de la modalité assertive :

• lorsque le contenu propositionnel est une réalité

énoncée indépendamment de celui qui l’énonce,

on parlera du type aléthique ;

• lorsque le contenu propositionnel est marqué par

l’engagement de celui qui l’énonce reposant sur sa

connaissance du monde, on parlera du type

épistémique ;

o dans le cas de la modalité radicale

• lorsque le contenu propositionnel exprime une

forme de contrainte qui concerne celui qui

l’énonce, de l’ordre de la capacité, du besoin ou de

la volonté, on parlera du type boulique ;

• lorsque le contenu propositionnel exprime une

forme de contrainte d’origine externe, il s’agit du

type déontique.

— Le troisième correspond à la force de validation du contenu

propositionnel : chaque type de modalités suscitées apparaît

selon un certain degré rendant compte de plusieurs valeurs

modales :

o pour le type aléthique, lorsque le degré de validation

est :

• à son maximum (validation maximale), la valeur

modale exprimée par le contenu propositionnel

relève du « nécessaire » ;

• à un degré intermédiaire, la valeur modale

exprimée par le contenu propositionnel relève du

« possible » ;

• nul (invalidation totale), la valeur modale

exprimée par le contenu propositionnel relève de

« l’impossible ».

o pour le type épistémique :

• en cas de validation maximale, la valeur modale

exprimée par le contenu propositionnel relève du

« certain » ;

• pour une validation intermédiaire, la valeur

modale exprimée par le contenu propositionnel

relève du « contestable/probable » ;

• pour une invalidation totale, la valeur modale

exprimée par le contenu propositionnel relève de

« l’exclu »

o pour le type déontique ou boulique :

• la validation maximale relève de «l’obligation » ;

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De l’approche contrastive vers le modèle de la dynamique de transfert …

111

• la validation intermédiaire renvoie au « permis » ;

• l’invalidation totale correspond à « l’interdit ».

Prenons un exemple : « Luc a probablement raté le train ». L.

Gosselin (2005) : Le contenu propositionnel est asserté ; marqué par

celui qui l’énonce avec une validation intermédiaire. La modalité est

donc assertive, de type épistémique centré sur le probable. L’étude

d’une modalité dans un énoncé consiste donc à identifier le type de

modalité, sa valeur, les moyens linguistiques qui ont permis de

l’exprimer et de mesurer sa force de validation dans l’énoncé.

La temporalité linguistique en arabe et en français La temporalité sémantique (liée au temps du calendrier) se traduit

par des formes verbales qui constituent ce qu’on appelle la temporalité

linguistique. En ce sens, l’approche de la temporalité linguistique

revient à décrire l’organisation intrinsèque des formes verbales. Ce que

nous appelons « forme verbale », c’est la forme d’un verbe conjugué à

un temps grammatical dans un mode donné.

Pour la langue arabe, il est communément établi dans la tradition

grammaticale arabe, que tout vocable est le croisement d’une racine (les

consonnes formant le radical du mot) et d’un schème (consonnes ou

voyelles qui une fois rajoutées aux premières leur donnent une nouvelle

signification). Selon Cantineau, « On pourrait comparer le vocabulaire à un

tissu dont la trame serait l’ensemble des racines

attestées dans une langue et la chaine l’ensemble

des schèmes existant. Chaque point d’intersection

de la chaine et de la trame serait un mot », (cité

par G. Bohas, 1993).

À cet égard, pour obtenir une flexion verbale, il faut appliquer aux

consonnes de la racine tel que le verbe [ktb] des schèmes2 : une suite de

voyelles ou d'autres consonnes, qui viendront se placer avant, après et

entre les consonnes de la racine pour générer plusieurs formes verbales.

Selon ce procédé, la morphologie verbale est :

— soit F1 (où F : c’est forme) qui se réalise par exemple

pour le verbe « écrire » à la 3ème personne du masculin

singulier [kataba]. Cette forme (Radical + schème)3,

2 Ces schèmes forment de véritables groupes qui sont toujours les mêmes

et qui, selon le type de lettres qui les composent et la position qu'elles prennent

dans la racine, transformeront celle-ci en un verbe, un adjectif, un nom d'objet,

un nom d'agent, un nom de patient, un nom de lieu etc... Il existe plusieurs

milliers de racines et environ une centaine de schèmes. 3 Cette forme est également appelée FS par L. MESSAOUDI (1985),

« Forme Suffixée » ou Forme verbale à indice personnel Suffixé, du fait que le

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Nawel SACI - BOURKAIB

112

dite en arabe [maḍi], ce qui signifie « passé »,

employée dans un récit montre le procès comme un

fait passé accompli considéré sur un plan autonome

distinct de celui de l’énonciation et se traduit en

français par le passé simple. Au niveau du discours,

elle exprime l’antériorité par rapport au moment

d’énonciation et se traduit en français par le passé

composé.

— soit F2 ou FP (Forme verbale à schème préfixé ou

discontinu), appelée en arabe [muḍare°], se réalise [na

–ktub-u], [ja –ktub-°], [ta –ktub-a], etc ; où les

schèmes antéposés désignent la personne/sujet et les

schèmes post-posés [-u], [-a] et [-°] marquent

respectivement la forme employée seule dans une

proposition indépendante, la forme employée dans une

complétive et précédée de [an] et la forme précédée de

[lam] ou [lā] dans l’expression de la négation.

Principalement employée dans le discours, elle

exprime la concomitance avec le moment de locution.

Le procès y est présenté en cours de réalisation

(inaccompli).

— soit F3 : à partir de F2, on peut former un jussif (une

injonction/un ordre) ayant les formes suivantes : [u –

ktub-°] [u –ktub-bā] [u –ktub- ū]. Dans ce cas, ce sont

les schèmes post-posés qui marquent la personne.

Quant aux formes verbales du français, elles se constituent groupes

de temps et de modes. Le verbe peut alors prendre plusieurs formes

possibles selon qu’il soit au mode du subjonctif, de l’impératif, du

conditionnel ou de l’indicatif et dans ce dernier cas, il peut encore

revêtir plusieurs morphologies : celles de l’imparfait, du présent, du

passé composé, du futur simple, ou du plus-que-parfait, etc. Nous ne

ferons pas ici un descriptif exhaustif de toutes les formes verbales du

français mais nous nous limitons à celles qui rendent compte de

l’intention du locuteur à travers l’énoncé qu’il produit, en l’occurrence

les modes personnels.

À l’instar d’E. Benveniste (1966), toutes les approches énonciatives

des modes et des temps verbaux partent de la distinction fondamentale

entre récit/discours. L’intérêt de cette distinction réside dans le fait que

qu’elle sert à découvrir la valeur réelle d’une forme verbale. Cette

distinction repose sur l’engagement du locuteur : ce que Weinrich

squelette consonantique trilitère (racine à trois consonnes) porte les marques

de la personne en position finale : [katab-tu] [katab-ta], [katab-tum], etc.

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(1989) appelle « attitude de locution », selon qu’il emploie « je » ou

« il » et sur la référence spatio-temporelle dont il part : soit « ici et

maintenant », soit « un moment repère en dehors de l’axe

d’énonciation ». Cela se traduit concrètement au niveau de l’énoncé par

des formes verbales propres au discours (le cas du passé composé) et

d’autres propres au récit (le passé simple) ou encore par le fait qu’une

même forme peut avoir deux valeurs différentes selon qu’elle soit

employée dans le discours ou dans le récit (l’imparfait par exemple).

De cette distinction découlent deux notions inhérentes au procès, en

l’occurrence la forme qu’il revêtit dans un contexte discursif

déterminé :

— la notion de validité et de garantie. Ces deux notions ne

signifient pas l’authenticité de l’expérience vécus mais

renvoient à l’acceptation comme vrai des faits. Un compromis

est en quelque sorte établi en amont entre la personne qui

raconte et celle qui écoute. Dans le récit, le monde raconté est

considéré comme vrai. La personne qui raconte n’a pas besoin

de s’engager, la forme du passé simple du mode indicatif est

par excellence celle qui rend compte de cette valeur. Par contre,

dans le discours, par la présence du « je » énonciatif, par

essence subjectif, la notion de vérité devient relative : tout

énoncé a pour origine le « je/énonciateur » et pour repère le

moment de locution, ce qui est rendu par toutes les formes

verbales de l’indicatif sauf le passé simple. Par ailleurs,

l’engagement du locuteur peut se manifester de manière directe

soit sous forme de contrainte sur le monde extérieur : le procès

prendra la forme de l’impératif ; soit sous forme d’un souhait,

d’une éventualité : le procès sera au subjonctif ou au

conditionnel.

— la notion d’actualisation/désactualisation : lorsque le procès a

pour repère le « je-ici-maintenant », on dit qu’il est actualisé,

ce qui est rendu par l’ensemble des formes verbales de

l’indicatif, sauf le passé simple. Par contre, est désactualisé tout

procès inscrit en dehors du 1er axe (celui du moment de la

parole), ce qui correspond aux formes verbales du subjonctif,

du conditionnel ou du passé simple de l’indicatif.

Interaction entre modalité et temporalité linguistique La temporalité linguistique est exprimée par un procès inséré dans

un type d’énoncé assertif ou radial et dépend entre autre, de sa valeur

modale (aléthique, déontique, etc.). La modalité détermine donc le

choix de la forme verbale en contexte d’énonciation. Or en plus du

lexique et de la structure syntaxique, la forme verbale contribue, elle

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aussi, à l’expression de la modalité de l’énoncé dans lequel elle est

employée. Ainsi l’une dépend de l’autre.

La modalité de l’énoncé et la temporalité linguistique se partagent

les mêmes notions fondamentales liées à l’activité d’énonciation. Elles

ont les mêmes paramètres qui permettent d’identifier d’une part la

valeur de la forme verbale dans un énoncé et de l’autre la modalité

exprimée. Nous n’énoncerons pas ici l’ensemble des composantes

énonciatives déterminant une valeur modale ou temporelle mais

prenons à titre d’exemple la direction d’ajustement liée à l’engagement

du locuteur qui a des conséquences directes sur les relations entre

temporalité et modalité :

— Si la modalité est assertive, le procès s’inscrira dans le réel, ce

qui est rendu au niveau propositionnel par les formes verbales

de l’indicatif ;

o Au niveau de l’origine du facteur modal

• Si la modalité est aléthique, le repère temporel du

procès est désactualisé, le procès se détache de

l’axe de l’énonciation, c’est ici la forme du passé

simple qui sera employée ;

• Si la modalité est épistémique, le procès aura pour

repère le moment de locution, ce sera (sauf le passé

simple) toutes les formes de l’indicatif.

— Si la modalité est radicale, le procès relèvera de « l’ultérieur »

au sens du pas encore réalisé/possible/à réaliser

impérativement, etc. L’expression au niveau propositionnel de

cette forme de contrainte dépend aussi de la force de validation

et correspond soit au conditionnel, soit au subjonctif soit à

l’impératif.

En somme l’approche des modalités de validation des contenus

propositionnels en termes de aléthique, déontique, épistémique, etc.,

c’est en quelque manière répondre à la question : « le locuteur considère

–t-il le contenu propositionnel comme asserté, incertain, possible,

etc. », Gosselin L. (2005), et c’est cette même question qui est à la base

de l’approche des valeurs temporelles des formes verbales employées

dans un énoncé.

Mode de fonctionnement des formes verbales en tant que marqueurs de modalisation en arabe et en français.

De prime abord, c’est la question du corpus qui s’est posée à nous.

Le champ linguistique de l’arabe est très hétérogène. De plus, il existe

de grands écart d’une part, entre l’arabe classique et l’arabe moderne et

de l’autre entre la langue parlée et la langue écrite. En effet la diversité

des dialectes et l’évolution diachronique de l’arabe pose en amont le

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problème du choix du corpus. Pour parer à cette problématique, nous

avons choisi de nous appuyer sur un corpus constitué d’énoncés écrits

en arabe moderne, extraits de l’œuvre de l’écrivain égyptien

contemporain Nadjib Mahfoud, traduit en français par P. Vigreux,

repris et étudié par plusieurs linguistes en l’occurrence A. Abiaad

(2001), M. Chairet (1996) et L. Messaoudi (1985), auxquels nous nous

référons dans notre propre analyse en reprenant précisément les mêmes

exemples. Leur choix du corpus a été motivé par :

— La représentativité de l’auteur dans le monde littéraire arabe

est indéniable. Ses ouvrages sont enseignés dans nos classes ;

— La formation exclusivement arabophone de l’auteur est, nous

semble –t-il un garant de constructions langagières non

affectées de transpositions ou d’interférences d’une langue à

une autre. De plus ses écrits sont purifiés de toute forme

langagière dialectale.

— La traduction faite des énoncés choisis nous facilite

l’approche contrastive que nous voulons entreprendre.

Dans une perspective énonciative portant sur l’arabe et le français4,

l’analyse du corpus se fera d’un côté au niveau de l’énoncif en tant que

forme finale produite par l’énonciateur : c’est la morphologie verbale

employée dans une situation d’énonciation déterminée ; et de l’autre au

niveau de l’énonciatif qui correspond à l’acte et l’attitude de

l’énonciateur, du point de vue du « vouloir dire ou faire ». Il s’agira

donc d’un va-et-vient entre les deux niveaux pour repérer dans l’un ce

qui justifie l’autre. Par exemple : « J’aurais voulu un café », (A. Abiaad,

2001 : 15) : au niveau énoncif, l’emploi du passé, accompli, irréel

traduit au niveau de l’énonciatif une attitude de l’énonciateur pouvant

indiquer dans ce cas des regrets ou des reproches. Par ailleurs le

contexte énonciatif validera la valeur sémantique de cette occurrence.

En somme nous tenterons de savoir à travers des énoncés en arabe

traduits vers le français, quelles sont les formes verbales dans les deux

langues qui marquent la modalité exprimée.

4 On retrouve cette perspective énonciative dans Kitab de Sibawayehi qui

propose de définir l’énoncé comme le résultat d’une stratégie mettant en œuvre

plusieurs opérations énonciatives dans le but de produire un effet spécifique

sur un destinataire à l’intérieur d’une situation donnée, (cité par

GUILLAUME, J.-P., 1993).

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Valeur aléthique et formes verbales de l’arabe et du français Recourir dans une situation de communication donnée, à des

moyens linguistiques pour exprimer une modalité est appelée

modalisation. En ce sens, le fil conducteur de cette analyse est la

question : Par quelles formes verbales modalise-t-on les valeurs

aléthique et boulique ?

1- [mataratajraninwairtafaʔa/ilakamatarawakaʔa]

« Tout oiseau qui vole est condamné à tomber ».

Nous constatons que la vérité objective exprimée dans l’exemple (1)

est rendue par F1. Ainsi la langue arabe rattache la vérité générale à

l’accompli, plus apte à exprimer ce qui est attesté. Et l’achèvement est

une garantie du locuteur sur la vérité de ce qu’il énonce. Donc la

modalité aléthique est exprimée par F1. Cette même attitude du locuteur

vis-à-vis de son énoncé est rendue en français par la forme de

l’inaccompli « vole » et « est ». En effet dans la traduction on retrouve

le présent de vérité générale.

2- [ɣadaraεlmaqha] « Il quitta le café »

L’emploi de F1 dans l’exemple (2) apparaissant dans un cadre

narratif, place le locuteur en situation de rapporter des faits achevés,

attestés donc vrais. Elle marque en ce sens un non-engagement,

garantissant par conséquent l’authenticité des faits. La désactualisation

du procès lui confère une portée aléthique. Cette valeur est rendue en

français par le passé simple du mode indicatif.

3- [samiʔnaεlxutbata] « Nous avons entendu le discours »

Or F1 utilisé dans le discours, exemple (3), n’exprime plus la valeur

aléthique mais rend compte d’une valeur épistémique et il est traduit en

français par un passé composé.

Valeur boulique et formes verbales de l’arabe et du français : le cas du souhait

4- [mataεlmalik/ʔaʃaεlmalik] : « le roi est mort, vive le roi »

Dans la première partie de l’énoncé appartenant au discours,

l’énonciateur atteste le fait que le roi est mort, la modalité assertive est

exprimée par F1, exprimant également la valeur épistémique puisque le

fait est validé par celui qui l’énonce, comme l’exemple (2). La force de

validation relève du certain. Ce qui correspond en français en traduction

au passé composé en raison de la validité du fait énoncé ayant pour

repère temporelle le moment de locution (est mort : un procès achevé

au moment de la parole). Cependant dans la 2ème partie de l’énoncé, la

même forme verbale exprime au niveau de la modalité des valeurs

complètement différentes. En effet, F1 exprime dans ce cas une valeur

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De l’approche contrastive vers le modèle de la dynamique de transfert …

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boulique du fait que l’énonciateur exprime un souhait. Ce qui

correspond en français à la forme du subjonctif « vive ».

5- [aʔtini/aʔtakaalah] : « Donne-moi, que Dieu te donne ».

6- [ħafiðˤakaalah] : « Dieu te bénisse ».

7- [qadmata] : « Il est fort possible qu’il soit mort».

Les procès dans ces énoncés (apparaissant dans le discours)

apparaissent comme désirés, douteux, incertains. Les faits sont ainsi

considérés à travers l'esprit de celui qui parle. Cette valeur est rendue

en français par la forme du subjonctif. La désactualisation du procès

placé sur un autre plan que celui du réel, est rendue en arabe par F1.

8- [laqadaraalahwalakana] : « Dieu fasse qu’il n’en soit rien ».

Dans cet exemple aussi F1 est la marque de la déviation de la valeur

temporelle vers la valeur modale. L’actualisation et la validation à

l’origine propre à F1 ont dans ce type d’énoncé des statuts

métaphorique (l’énonciateur fait comme si le procès était validé et

actualisé). Ce changement de statut n’a pas de conséquence

morphologique sur la forme verbale en arabe. Par contre en français,

lorsque la réalisation d’un procès est de l’ordre du souhait (ce qui

correspond à la modalité boulique), les marqueurs au niveau de la

temporalité linguistique changent, c’est alors un subjonctif qui est

employé.

9- [arʒuantamkuθamaʔiqalilεn] : « J’aimerais que vous restiez un

instant avec moi »

10- [kanajaʔlamuanahatawudulawtasharuʔalaraħatihibinafsiha] :

« Il savait qu’elle eût aimé veiller elle-même sur son repos ».

Dans les exemples (9) et (10) la valeur modale du souhait est

conférée aux verbes [arʒu/tawudu] : F2, au sens de « souhaiter ». Donc

cette valeur est directement prise en charge par le sémantisme du verbe

utilisé. Cependant en français, en plus du sémantisme du verbe

« aimer », le conditionnel (présent et passé de 2ème forme) confère au

procès la valeur de souhait. Reprenons, par souci de clarté, l’ensemble

des éléments de cette analyse dans le tableau suivant :

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Tableau 4: Modalités et formes verbales en arabe et en français.

Il est donc clairement établi que l’articulation entre modalité et

temporalité linguistique s’opère de manière différente dans les deux

langues. L’expression de la modalité en arabe n’a pas de conséquence

morphologique sur la forme verbale mais en français, elle est exprimée

par des modes et des temps verbaux différents. En effet en arabe, la

modalité aléthique est exclusivement rendue par F1 mais en français

elle est traduite soit par le présent de l’indicatif (dans le cas du discours),

soit par le passé simple (dans le cas du récit). C’est aussi vrai pour la

modalité boulique, exprimée en français par soit le subjonctif, soit le

conditionnel alors qu’en arabe, seule F1 est récurrente mais dans ce cas

l’emploi de F2 est possible à condition que le sens du verbe renvoie au

souhait.

Suite à cette approche contrastive, deux questions se posent à

nous :

o Est-ce que cette divergence entre les deux systèmes

langagiers se répercute « négativement » sur

l’appropriation des formes verbales du français chez

les élèves d’origine arabophone ?

o Si c’est le cas, comment pourrait-on alors les aider à

surmonter leurs difficultés inhérentes à l’emploi des

temps verbaux de la langue étrangère ?

Nous tenterons d’y répondre à partir du dispositif expérimental

suivant.

Outil d’investigation, analyse des données recueillies et interprétation

Pour étudier l’expression de modalité à travers les diverses

manifestations des formes verbales dans le texte, nous avons demandé

à un groupe de vingt élèves, inscrits dans l’un des collèges d’Alger-Est

(CEM colonel Si Lakhdar) et choisis de manière aléatoire, de produire

deux courts textes (le premier en relation avec leur vécu et le second lié

au monde fantastique), à partir des consignes suivantes :

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— Un jour, vous avez été témoin d’un grave accident de voiture.

Racontez ce qui s’est passé.

— À la manière des contes de Perrault, relatez les événements

d’une courte histoire invraisemblable.

Du point de vue du choix méthodologique, nous avons opté pour la

production écrite pour la bonne raison que « le meilleur cadre

mobilisateur du transfert des acquis est incontestablement la

production écrite », (M.-A. Ait Djida, 2009). Ces écrits seront

considérés dans une perspective énonciative, telle qu’elle est préconisée

dans le système éducatif algérien, dans la mesure où nous observerons

le fonctionnement des formes verbales dans des actes individuels

d’utilisation.

Dans cette investigation sur le terrain portant sur l’emploi des temps

verbaux par des apprenants algériens, nous avons pu constituer, de

manière non exhaustive, un corpus d’erreurs les plus fréquemment

commises.

Ainsi mis en situations de relater des faits vécus puis de raconter une

histoire dont les faits sont invraisemblables, les dix élèves de 4ème année

moyenne ont produit les énoncés suivants :

[a] : L’homme qui a perdu son honneur a perdu sa vie.

[b] : La mère a travaillé la génération des enfants a réussi.

[c] : Le prince a pris son épée et a tué le dragon.

[d] : Je souhaite que tu partiras à la montagne.

[e] : Je veux que le roi te donnera son aide.

[f] : Pars ! Le ciel t’a protégé.

[g] : J’aime me marié avec toi.

Notons que dans l’expression de la valeur aléthique en [a] et [b], les

formes verbales utilisées, généralement employées à la fin du récit

comme une moralité en un procès désactualisé et non-marqué par celui

qui l’énonce, sont toutes au passé composé. Cet emploi erroné

s’explique par le fait que la notion de vérité générale est exprimée en

arabe par un achevé, accompli F1 que l’apprenant traduit par un passé

et non par un présent. Le passé simple, forme de la désactualisation et

la validation des faits dans le cadre d’un récit fictif, par excellence, est

absent l’ensemble des productions écrites et est remplacé par le passé

composé, comme dans l’exemple [c].

Par ailleurs, dans l’expression du souhait, notamment dans les

exemples [d] à [g], la majorité des élèves non seulement ne considère

aucune contrainte syntaxique du français, notamment dans les

complétives nécessairement au subjonctif, exemples [d] et [e], mais

aussi ont recours presque dans la totalité des cas, soit au futur pour

marquer le fait comme «ultérieur » au sens du pas encore réalisé,

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exemples [d] et [e], soit à une forme du passé, exemple [f], par analogie

à l’arabe où le souhait est rendu par F1 (le passé en arabe), soit au

sémantisme verbal (vouloir, souhaiter, désirer, etc.) tel que dans

l’exemple [g] mais en aucun cas au subjonctif à valeur boulique. Il a été

également observé comme c’est le cas dans ce dernier exemple, qu’au

lieu du conditionnel, les apprenants utilisent dans la plus part des cas,

le présent de l’indicatif par transposition directe de F2 généralement

utilisée en arabe dans des énoncés similaires d’un point de vue

sémantique.

Observons l’ensemble de ces résultats dans le tableau récapitulatif

suivant où l’astérisque précédent le temps verbal signifie que la forme

verbale employée ne convient pas au contexte où elle apparaît :

Tableau 5: Formes verbales appropriées au contexte arabe/français /Formes

employées par les élèves

De manière générale, de cette brève observation des formes verbales

utilisées dans des contextes à valeurs modales aléthique et boulique,

nous pouvons dire que l’élève algérien emploie le temps verbal qui

traduit celui qu’il utilise communément dans sa langue maternelle, en

l’occurrence soit F1, soit F2. En situation d’appropriation de la langue

étrangère, il ne fait correspondre à chaque contexte, en fonction de sa

portée énonciative, la forme verbale adéquate. C’est en définitive une

conséquence directe de l’opération de modalisation qui au niveau de la

temporalité linguistique est fondamentalement différente dans les deux

langues.

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De l’approche contrastive vers l’application du modèle de la dynamique de transfert des apprentissages dans le contexte scolaire algérien

À l’instar des nombreuses recherches en didactique des langues (D.

Gaonac’h, 1971 ; R. Porquier et B. Py, 2004 ; D. Véronique, 2007) qui

ont montré que tout apprentissage quel qu’il soit, se réalise dans un

dispositif d'acquisition « unique », nous convenons alors que c’est dans

un même système cognitif développé lors de l'apprentissage de la L1

que l'élève construit sa compétence en L2. En ce sens, confronté, d'un

point de vue cognitif à des outils morphosyntaxiques de la langue à

apprendre et d'une première langue qu’il connaît déjà, l’apprenant

compare, transfère ses connaissances de la langue source vers la langue

cible, analyse et raisonne, en somme déploie une stratégie

d'apprentissage appelée, selon la terminologie usuelle en didactique des

langues, « transfert de connaissances ».

Ainsi partant du principe que le processus d'acquisition d'une

compétence en L2 repose inéluctablement sur un travail de transfert, où

la L1 fait office de référent, comment peut-on alors éviter une

éventuelle influence « négative » de la L1 sur L2, telle qu’elle est

apparue dans notre corpus d’erreurs commises par des apprenants de

FLE ?

La réponse à cette interrogation se trouve en partie dans le travail de

J. TARDIF (1999) portant la didactisation5 du transfert6, en considérant

autrement les interactions L1/L2 en situation

d’enseignement/apprentissage. En fait, la réflexion du didacticien a le

mérite de mettre en évidence la complexité du transfert qui, loin de

constituer un processus automatique, requiert de la part des élèves tout

un ensemble de capacités qui doivent être soutenues par des

environnements pédagogiques appropriés et par des pratiques

d’enseignement et d’évaluation orientées vers le développement de

compétences. Le modèle qu’il propose en vue d'encadrer les pratiques

pédagogiques axées sur le transfert part du principe que le transfert des

compétences ne doit plus être considéré comme l'apanage de l'élève

5 Concevoir le transfert en tant qu'objet d'apprentissage 6 Le transfert de compétences étant un mécanisme cognitif qui consiste à

utiliser dans une tâche cible une connaissance construite ou une compétence

développée dans une tâche source, lorsqu’il se trouve intégré au processus

d’apprentissage, il sert à réorganiser les connaissances et faciliter leur

intégration. Et c’est dans cette perspective, que J. TARDIF (1999) présente un

modèle de la dynamique du transfert des apprentissages, en explicitant le rôle

des trois éléments qui composent ce processus, à savoir l’élève, l’enseignant et

le savoir.

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mais au centre de la relation didactique : Élève/Enseignant/Savoir.

Autrement dit, le transfert dépasse la seule sphère de l’apprenant pour

inclure tout l'espace d'intersection entre l'apprenant/l'enseignant/le

savoir. Sa nouvelle démarche de didactisation du transfert des

compétences appliquée à l’enseignement/apprentissage des temps

verbaux, notamment comme moyen d’expression de la modalité dans

une classe de FLE sera alors fondée sur :

— L’élève qui lorsqu’il se trouve face à une situation-problème, il

analyse la tâche en créant de manière graduelle un modèle

mental qui puise lui permettre de la résoudre. Par la suite,

s’établissent, au niveau de la mémoire à long terme, des

interconnexions entre les représentations inhérentes à la tâche

et les connaissances antérieures. De la sorte, il établit des

relations de similarité ou de différence afin de sélectionner la

compétence qui lui permette de résoudre la situation-problème.

En fait, cette opération de relation entre les différentes

connaissances qui se trouvent dans la mémoire concilie les

différences et aide l’élève à créer de nouveaux liens par

inférence. Au final, l’élève aboutit à une organisation nouvelle

des connaissances en établissant des liens entre les

connaissances antérieures et celles qu’il est en train de

construire. L’élève dans l’expression de la modalité en langue

étrangère mobilise alors des connaissances antérieurement

acquises en L1. Cette entreprise renvoie l’élève à une opération

de transfert de ses compétences, essentiellement fondée sur le

contenu de chacun des deux systèmes langagiers en contact et

sur les opérations logiques de leur emploi. Ceci étant,

l’opération de transfert exige un apprentissage qui prendrait en

charge d’un côté le matériau linguistique et de l’autre

l’ensemble des opérations cognitives nécessaires à la

réalisation du transfert. En somme, le transfert des savoirs et

des savoir-faire de la langue arabe vers le français devrait être

un objet d’apprentissage.

— L'enseignant : afin d’orienter l’enseignement sur la

transférabilité des connaissances, les interventions

pédagogiques doivent permettre à l’élève de découvrir les

éléments communs entre L1/L2 et mettre en évidence en

prenant en charge dans leurs pratiques enseignantes le

développement des stratégies cognitives afférentes au

processus du transfert tels que :

o l’encodage des apprentissages de la tâche source

o la représentation de la tâche cible ;

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o l’accessibilité aux connaissances et aux compétences

en mémoire à long terme ;

o la mise en correspondance des éléments de la tâche

source et de la tâche cible ;

o l’adaptation des éléments non correspondants ;

o l’évaluation de la validité de la mise en

correspondance ;

o la génération des nouveaux apprentissages ;

o etc.

— Le savoir enseigné, notamment à travers les manuels scolaires,

doit être réorganisé en tenant compte du transfert de

compétences.

Conclusion Au terme de cette modeste réflexion, nous pouvons dire que

l’inadéquation entre les formes verbales employées dans un énoncé en

français langue étrangère et l’état des faits dont veut rendre compte un

énonciateur à l’origine arabophone est due entre autre au fait que le

principe de marquage morphologique de la modalité d’un énoncé est

fondamentalement différent d’une langue à une autre. En effet, le

contenu propositionnel, son origine et sa force de validation

déterminant la forme verbale à employer dans l’énoncé obéissent à leur

tour à des règles inhérentes à la temporalité linguistique propre à chaque

langue.

Or, transposée en didactique, notre approche contrastive de la

modalisation en arabe et en français, même si elle nous a permis

d’expliquer quelques erreurs d’emploi des formes verbales du français

chez des apprenants algériens, elle ne permet pas à fortiori à ces derniers

de les éviter. Ce qui signifie que ces élèves plurilingues, ayant construit

des connaissances antérieures dans la 1ère langue apprise à l’école

(l’arabe standard), n’ont pas su exploiter leur patrimoine de savoir et

savoir-faire, notamment dans l’expression de la modalité en langue

étrangère, en transférant de manière « positive », leurs acquis de la L1

vers la L2.

Aussi, en vue de proposer quelques pistes didactiques qui prennent

en charge les difficultés rencontrées par des apprenants arabophones en

français langue étrangère, notamment la prise en charge des transferts

négatifs, nous avons fait recours au principe de didactisation du

transfert dans l’apprentissage de la langue étrangère où l'enseignant doit

prendre en charge le transfert dans sa démarche d'enseignement ; où

l'élève doit prendre conscience de cette ressource dans l'apprentissage

de la L2, et où le savoir enseigné doit être conçu en tenant compte des

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Souad MERABET Université ELHADJ Lakhdar - BATNA [email protected]

L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre et développer l’expression

orale en FLE chez les 3ème A.M.

Notre réflexion portera sur le système scolaire algérien qui

préconise l’interaction entre les apprenants du moins pour

l’apprentissage du français or les instructions officielles soulignent que

l’objectif prioritaire de l’enseignement d’une langue étrangère est de

développer la compétence de communication : L’apprentissage du français langue étrangère

contribue à développer chez l’élève tant à l’oral

qu’à l’écrit, la pratique des quatre domaines

d’apprentissage : écouter/parler et lire/écrire. Ceci

permet à l’élève de construire progressivement la

langue française et l’utiliser à des fins de

communication et de documentation (Programme

de la 3ème A.M., 20).

Il est donc important d’avoir recours au travail de groupe dans le

cadre du nouveau programme : La nouvelle organisation de la classe en

binômes ou en groupes est très pertinente parce

qu’elle permet une plus grande communication :

entre enseignant/élèves et élèves/élèves. Cette

interaction permet un meilleur suivi des élèves en

difficulté. (Ibid., 22).

Les relations que l’élève entretient avec ses partenaires, le rôle qu’il

joue au sein du groupe sont également des éléments importants pour

son apprentissage ou comme le souligne G.Ferry : Associé à ses camarades, l’élève échappe à

l’écrasant face à face avec le maître .Il n’est plus

un auditeur passif ou l’exécutant plus ou moins

zélé des consignes magistrales. Il est porté à

s’exprimer, à faire des projets, à prendre des

initiatives, en un mot à devenir actif. (Ferry, 1980,

81).

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

127

Pratiquer une pédagogie de l’oral commence par une réelle remise

en question de nos pratiques de classes tout en proposant des activités

qui suscitent la motivation des apprenants ou comme l’affirme

P.PERRENOUD : La pratique de l’oral ne peut être formatrice

que si elle correspond à un véritable besoin de

s’exprimer ou de comprendre autrement dit une

pédagogie de l’oral passe par la création de

véritables situations de communication, avec de

véritables enjeux entre les interlocuteurs. Les

élèves ne peuvent s’investir dans la

communication que s’ils en voient le sens et

l’intérêt, une pédagogie de l’oral ne peut être

qu’une pédagogie active et fonctionnelle.

(Perrenoud, 1988).

Nous chercherons dans ce cadre à expliquer le rôle des interactions

verbales de quatre groupes coopératifs de 3ème A.M. dans la progression

de leurs capacités d’apprentissage et de production orale en FLE. À ce

titre, nous estimons qu’une didactisation d’activités d’apprentissage

fondées sur une pédagogie de la coopération ne peut que déboucher sur

l’apprentissage beaucoup plus efficace qu’une juxtaposition d’efforts

individuels. De ce fait, nous supposons que la dynamique que crée

l’interaction par la coopération engendrerait la motivation des

participants qui seront par la suite plus intéressés et donc plus actifs. De

plus, les échanges au sein du groupe restreint donneraient aux

apprenants l’habitude de parler, d’exprimer leurs idées, de les

confronter avec celles des autres, ce qui développerait l’expression

orale en FLE.

Cadre théorique : cerner le concept de l’apprentissage coopératif (AC)

La coopération en classe suscite de plus en plus l’intérêt des

chercheurs et des enseignants. Elle se développe à l’intérieur de la

classe, généralement par le biais de méthodes d’apprentissage

coopératif (AC). Ce dernier pourrait être considéré comme un dispositif

d’apprentissage en classe qui met l’accent sur l’entraide des élèves

grâce à la création de groupes hétérogènes restreints travaillant selon

des procédés préétablis pour assurer la participation et la progression de

chacun.

L’AC en classe accroît l’interaction entre les participants et réduit

la durée du discours de l’enseignant ce qui place les apprenants dans

une position centrale et renverse le schéma traditionnel de

l’interaction (l’enseignant monopolise la parole et sollicite l’apprenant

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Souad MERABET

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pour répondre à ses questions) : P. Vayer et C. Roncin disent à ce

propos : Dans le groupe en interaction il ya toujours

des communications donc des échanges et ce sont

ceux-ci qui provoquent les phénomènes

dynamiques propres aux petits groupes (…) la

relation éducative exprimée en termes de

communication est de nature différente de celle

centrée sur l’autorité de l’enseignant où l’on veut

apprendre à l’enfant et lui transmettre des

connaissances. (Vayer et Roncin, 1987, 170)

Par l’AC, les apprenants sont amenés à développer leurs

compétences langagières en langue surtout s’il s’agit d’un

apprentissage des langues étrangères. L.Schiffler parle de la créativité

langagière déclenchée dans les groupes ou les équipes d’apprentissage

en affirmant : Tant qu’il s’agira, dans l’enseignement des

langues étrangères, de former la compétence de

communication, l’entretien avec un ou plusieurs

partenaires sera une forme d’exercice nécessaire.

Travail d’équipe et travail de groupe permettent,

avec une finalité appropriée, d’intensifier les

occasions d’entraînement. Quand il s’agira, dans

l’E.L.E., de stimuler la créativité langagière et de

faire en sorte que l’élève découvre par lui-même

de nouvelles variantes d’exercices ou de nouvelles

situations, ses propres idées peuvent, dans un petit

groupe, se concrétiser mieux que dans la classe

tout entière. (Schiffler, 1991, 96)

En somme, l’AC offre la possibilité aux participants d’entrer en

communication. Ils confrontent leurs idées, en les critiquant ce qui leur

permettent d’apprendre à s’exprimer logiquement et clairement. Ils

découvrent aussi la responsabilité personnelle ainsi que la solidarité et

l’ouverture aux autres.

Méthodologie Sur le plan méthodologique, notre étude dans sa dynamique

interactionnelle s’appuiera sur deux principes :

Sur les principes de la pédagogie de coopération, nous ferons appel

donc à divers travaux particulièrement européens et américains sur

l’AC : Meirieu (1987, 1989), Cohen (1994), Abrami et al. (1996),

Gaudet (1998), Baudrit (2007), …etc.

Sur les principes de l’analyse conversationnelle, nous nous

référerons alors à différents travaux sur l’analyse des interactions

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

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verbales et sur l’approche interactionniste de l’acquisition : Orrecchioni

(1990), Bange(1992), Loht (1995), …etc.

Notre expérience s’inscrit dans le mouvement interactionniste

contemporain qui est fondée sur l’observation, la description et

l’analyse des échanges interindividuels entre apprenants. Notre étude

empirique se veut à la fois quantitative et qualitative ; quantitative dans

la mesure où elle s’appuie sur la quantification du nombre des prises de

parole et la longueur des énoncés ; et qualitative parce qu’elle se base

principalement sur l’analyse d’échanges réels entre apprenants qui

s’entraident pour accomplir un travail collectif.

Deux activités principales feront l’objet de notre recherche ; les

discussions qui se sont déroulées avec la participation de l’enseignant

et une activité de type coopérative à visée fonctionnelle qui correspond,

dans notre cas, à un regroupement de 16 apprenants à caractère

hétérogène répartis en 4 groupes restreints en vue de réaliser un projet

commun qui consiste dans la rédaction d’un portrait par les membres

de chaque groupe. Notre échantillon est composé de 16 apprenants de

3ème A.M. dont l’âge varie entre 13 et 15 ans.

Il faut signaler que notre corpus était constitué de trois

enregistrements. Le premier enregistrement a duré une heure, il a été

réservé aux discussions des quatre groupes. Le deuxième

enregistrement a été effectué lors de la présentation orale des travaux

de groupes, il a duré une heure dont 15 minutes étaient accordées à la

présentation orale de chaque groupe. Le troisième enregistrement a été

consacré à la séance d’évaluation, il a duré une heure durant laquelle

les élèves ont donné leurs opinions concernant l’expérience vécue en

groupe.

Étapes de l’expérimentation

Planification Le travail de groupe s’apprend progressivement ce qui nécessite de

la part de l’enseignant une réflexion profonde et une planification

consciencieuses. De ce fait, lors des premiers essais, il faudrait

commencer par des activités que les apprenants maîtriseront facilement.

La séance de la planification a duré 2h dont les objectifs

d’apprentissage et de coopération étaient d’identifier les étapes de la

description et de former les apprenants à la coopération autrement dit

leur dire que l’objectif principal de cette activité est de les inciter à

s’exprimer en français et à travailler efficacement avec les autres. Dans

cette étape nous avons pris un certain nombre de décisions que nous

allons expliquer ci-après :

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130

La constitution des groupes

Le succès de l’AC dépend en grande partie de l’éventail des niveaux

de capacités qu’on trouve dans chaque groupe. Dans un groupe

hétérogène, les membres les plus avancés peuvent exercer le rôle de

tuteurs vis-à-vis de ceux qui ont besoin d’aide. Ces derniers, quant à

eux, apprennent les stratégies d’apprentissage des premiers. P.

CLEMENT préfère parler des novices et des experts pour qualifier

respectivement élèves en difficulté et élèves en réussite, elle avance

l’idée que : Dans la situation proposée, on ne demande pas

un niveau de compétences donné par rapport

auquel certains seraient en réussite et d’autres en

difficulté. Chacun utilise ses savoirs, plus au

moins élaborés ou en cours de construction, pour

participer à l’activité. [...]. L’élève ‘’expert’’ doit

petit à petit être capable, face aux questions

souvent déstabilisantes de son camarade, de

pousser son raisonnement et du coup de prendre

conscience des procédures qu’il utilisait

spontanément. (Clement, 2007, 28).

Dans la même vision ABRAMI et al. soutiennent les recherches

faites en 1989 par WEBB en affirmant qu’ : « [ces recherches] donnent

à penser que le travail de groupe est plus fructueux lorsque les niveaux

de capacité sont proches que lorsqu’ils sont très éloignés » (Abrami et

al. 1996, 68). Partant de ce qui précède et selon leurs niveaux (avancé,

moyennement avancé et peu avancé), nous avons procédé à grouper les

élèves comme suit :

— Groupe 1 : constitué de deux élèves avancés : Warda et Ahlem

et deux élèves moyennement avancés : Lamia et Yakoub.

— Groupe 2 : constitué de deux élèves avancés : Nadjla et Amina

et deux élèves moyennement avancés : Sara et Abderrahmen.

— Groupe 3 : constitué de deux élèves moyennement avancés :

Amel et Chames el houda et deux peu avancés : Wafa et

Sabrina.

— Groupe 4 : constitué de deux élèves avancées : Amira et

Meroua et deux moyennement avancés : Aymen et Hafidha.

L’attribution des rôles L’attribution des rôles facilite le fonctionnement du groupe : chaque

élève doit remplir son rôle pour que le groupe atteigne son objectif. De

ce fait, Nous avons distribué les rôles dans chaque groupe comme suit : — Un leader ou vérificateur de la compréhension qui s’assure que

les consignes sont claires et les étapes du travail coopératif sont bien

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

131

déterminées. Il peut aussi jouer le rôle d’animateur ou stimulateur en

incitant les élèves à prendre la parole et de participer à la tâche

commune.

— Un secrétaire : son travail consiste à mettre par écrit les réponses

de son groupe.

— Un gardien du temps : il s’assure que la tâche s’accomplit dans

les limites du temps accordé pour l’exécuter.

— Un modérateur ou responsable de silence : il assure la sérénité

des débats et un niveau sonore supportable pour ne pas gêner les

groupes voisins.

Il faut noter que les rôles joués par les participants n’ont de sens

que par le fait de faciliter l’apprentissage et les interactions au sein du

groupe, alors les élèves ne sont pas obligés de les appliquer à la lettre

parce qu’ils risqueraient de se concentrer seulement à jouer les rôles en

négligeant la tâche elle-même.

La structuration de l’interdépendance positive Partant de la conviction que l’oral et l’écrit sont deux aspects

indissociables pour l’apprentissage d’une langue étrangère ou comme

l’affirme P. Martinez : « On insistera sur la perméabilité des deux codes

oral et écrit et leur nécessaire complémentarité plus que sur leur

différence. » (Martinez, 1996, 92). Nous avons demandé aux élèves de

conjuguer leurs efforts pour discuter autour de la rédaction d’un

portrait. Au départ, les élèves n’auront peut-être pas très envie d’agir de

façon coopérative, c’est à dire d’aider les autres à s’exprimer. Il faudrait

donc leur imposer une structure d’interdépendance positive afin de leur

faire prendre conscience du rendement du travail coopératif.

Dans cette activité, nous avons d’abord confié à chaque élève la

responsabilité de rédiger un portrait dans lequel il décrit l’un de ses

enseignants. Ensuite, nous avons demandé aux participants du même

groupe de décrire la même personne afin de créer une interdépendance

positive entre eux. À partir des portraits déjà préparés précédemment,

les élèves se réunissent et s’entraident et discutent en groupes pour

produire un portrait commun et final.

La structuration de la responsabilisation La responsabilisation est une composante essentielle de l’AC. Elle

permet de distinguer la contribution apportée par chaque élève à la tâche

collective ainsi P.C.Abrami et al. affirment : « la responsabilisation

maximise la contribution que chaque élève apporte à son propre

apprentissage et celui des autres » (Abrami et al. 1996, 86). Pour notre

part, Nous avons dressé une liste des règles de fonctionnement pour les

groupes. Nous estimons que cette façon de procéder favorise la

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responsabilisation des élèves et leur prise en charge. Chaque élève

s’engage donc à respecter ces règles lors du travail de coopération :

— Les responsabilités individuelles :

J’accepte de travailler avec tous les membres sans exception et je les

respecte dans mes paroles et mes attitudes.

Je participe activement au travail collectif et j’apporte aide et soutien

aux membres de mon groupe.

Je me sens responsable de ma réussite et je contribue à la réussite de

mon groupe.

— Les responsabilités du groupe :

Nous travaillons à établir des relations harmonieuses entre nous et

nous nous apportons aide et soutien dans nos apprentissages.

Nous essayons d’abord de résoudre nos problèmes avant de

demander l’aide de notre enseignant.

Nous nous respectons et nous nous encourageons et nous nous

sentons tous responsables de la réalisation de notre tâche.

Discussions de groupes et exécution de la tâche

La séance des discussions a duré une heure et les objectifs

d’apprentissages étaient fixés. Les élèves décrivent un de leurs

enseignants oralement et par écrit et ils s’efforcent de s’exprimer en

français. Quant aux objectifs de la coopération, les apprenants

s’entraident pour parler et s’encouragent pour s’exprimer le plus

longtemps en français.

L’aménagement de la classe L’aménagement de la classe porte d’importants messages aux

élèves quant à la façon dont ils doivent se comporter avec leurs

partenaires. Il faut donc aménager l’espace de la classe en conséquence.

Les tables doivent être groupées de manière que les élèves puissent

communiquer facilement et travailler à l’aise sans être encombrés.

Quant à la classe où s’est déroulée notre expérimentation, nous avons

procédé à grouper les membres de chaque groupe autour d’une table.

Les groupes doivent aussi être un peu éloignés pour que les membres

de chaque groupe puissent travailler et communiquer sans être gênés.

Le rôle de l’enseignant pendant les discussions — L’explication

L’enseignant a expliqué aux élèves qu’ils devront s’entraider en vue

de produire des textes. Il a insisté que l’objectif ultime de cette activité

reste un véritable échange en français.

— Suivre le déroulement

Les élèves ont besoin d’être guidés pendant qu’ils travaillent en

groupes. L’enseignant a veillé à suivre de près les groupes en s’assurant

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

133

que chaque élève comprend ce qu’il est censé faire et qu’il se concentre

sur la tâche et apporte sa contribution.

Il a incité les élèves à s’exprimer en français en les encourageant à

demander de l’aide de leurs partenaires avant de demander le sien.

Analyse des discussions Nous nous limiterons dans ce qui suit à analyser les discussions des

quatre groupes, parce qu’elles représentent de véritables échanges

interactifs et les participants étaient placés face à face pour s’exprimer

et échanger leurs idées.

La première remarque que nous pouvons faire, le français est la

langue dominante dans cet enregistrement (Exemple [1]). Ainsi nous

trouvons certains mots ou expressions en arabe dialectal surtout dans

les groupes 2 et 4 :

Exemple [1] :

G2 : Transcription phonétique : [jefas sєt fraz lazєm]

Nadjla : j’efface cette phrase, lazem.

Traduction : Il faut que j’efface cette phrase.

Transcription phonétique : [hadi mоraləmã]

Sara : hadi moralement.

Traduction : Ceci moralement.

Transcription phonétique : [kifah tataktєb krepy]

Nadjla : kifah tatakteb « crépu ».

Traduction : Comment écrit-on « crépu » ?

G3 : Transcription phonétique : [nta wafa wala nta amєl wala ntaji]

Chames el Houda : ntaâ Wafa wala ntaâ Amel wala ntaĩ

Traduction : Celui de wafa, de Amel ou le mien ?

Transcription phonétique : [marajuki wafa]

Amel : maraâyouki Wafa.

Traduction : Quel est ton avis Wafa ?

G4 : Transcription phonétique : [akraj]

Meroua : akray.

Traduction : Lis.

La seconde remarque que nous pouvons faire, l’intervention de

certains élèves se limite à de simples phrases alors que certains

préfèrent garder le silence (Sabrina et Hafida). Cela démontre les

difficultés que ces derniers éprouvent quand ils produisent un discours

en français autrement dit elles sont incapables de maintenir tout un

discours sans aucune difficulté, ni contrainte. Cela nous conduit à

déduire que ces élèves ne maîtrisent pas les ressources linguistiques qui

leur assurent une sécurité parfaite. Il faut aussi souligner que les

silences étaient très nombreux dans les discussions ce qui explique en

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Souad MERABET

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partie une certaine stratégie d’évitement que suivent nos élèves pour

cacher leur incompétence linguistique.

Les énoncés de l’exemple [2] nous ont permis de distinguer de

grands écarts par rapport à la langue cible, qui révèlent la violation des

règles de la langue, ce sont en fait des formes exclues ou

agrammaticales.

Exemple [2] :

G1 : Une bouche ce n’est pas petit et ce n’est pas grand. Quelques

heures ou quelques jours il est très méchant.

G2 : Tu comparé le prof par un lion. Si voulez le décrire au niveau

de l’aspect moral.

G3 : Cette texte de Chames très riche. Je lire pour ce texte moi.

G4 : Toujours aimer cette professeur comme mon père. Son adjectif

purement c’est la modeste.

Quant à la prononciation, les élèves confondent dans l’exemple [3]

entre [o] ouvert et [u], [oe] et [o] ouvert et entre [oe] et [u]. Nous

pensons que ce problème de prononciation est dû au fait que les deux

langues arabe et français sont très éloignées. En effet, tous les phonèmes

de la langue arabe ont généralement une résonance gutturale car ils se

forment dans la partie arrière de l’appareil phonique. En revanche,

l’articulation du français est antérieure car la plupart des phonèmes se

forment dans la partie avant de la bouche.

Exemple [3] :

1-Les phonèmes : [o] ouvert et [u] : G1 : bouche [buƒ] ------ [boƒ].

2-Les phonèmes : [oe] et [o] ouvert : G1 : professeur [profesoer] ---

--- [profesor].

G3 : la peau [po] ------ [poe].

3-Les phonèmes : [oe] et [u] : G1 : Jours [3ur] ------ [3oer]. G2 :

Sérieux [serjoe] ------ [serju].

G4 : monsieur [məsjoe] ------ [məsju].

Nous ajoutons que notre corpus comprend quelques erreurs de la

délimitation du genre et l’accord de l’adjectif qualificatif (Exemple [4])

.Ce type d’erreurs est considéré comme une sorte d’interférence. En

effet, les élèves se trouvent en situation d’apprentissage c'est-à-dire

qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment le français.

Exemple [4] :

G1 : Une bouche…petit, ses yeux rondes. G2 : Cette paragraphe, un

comparaison, la cheveux.

G3 : la premier paragraphe, visage ronde, une foulard. G4 : Cette

prof, un corpulence, ses cheveux…courtes.

Après avoir expliqué les erreurs d’ordre grammatical et phonétique.

Nous avons jugé utile de réunir quelques énoncés qui démontrent que

les élèves s’entraident pour s’exprimer. La première remarque que nous

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

135

pouvons faire c’est que les élèves se corrigent mutuellement (Exemple

[5]). Nous citons à titre indicatif le cas de Sara et Nadjla dans le groupe

2 et le cas de Amira et Meroua dans le groupe 4 :

Exemple [5] :

Sara : (…) la cheveux [la ƒəvoe].

Nadjla intervient : les cheveux [le ƒəvoe].

Sara : Il a une bouche réglère [reglєr].

Nadjla corrige : (…) régulière [regyljєr].

Amira : symathique [simatik].

Meroua : Sympathique [simpatik].

La deuxième remarque consiste dans le fait que les élèves se posent

les questions dans L’exemple [6], c’est le cas des groupes 2, 3 et 4 :

Exemple [6] :

G2 : Nadjla a posé la question à ses partenaires :

Transcription phonétique : [kifah tataktєb krepy].

Nadjla : kifah tatakteb crépus.

Traduction : Comment écrit-on crépus ?

G3 : Amel a posé la question à Chames el Houda : Chames où est la

situation initiale ?

Amel a demandé l’avis de Wafa : Wafa, quel est ton avis ?

Chames el Houda interroge ses coéquipières :

Transcription phonétique : [nta wafa wala nta amєl wala ntaji]

Locutrice Chames el Houda : ntaâ Wafa wala ntaâ Amel wala ntaĩ.

Traduction : Celui de wafa, de Amel ou le mien ?

G4 : Meroua interpelle Aymen : Tu n’as pas participé Aymen,

Pourquoi ?où est ton travail ?

Amira à Aymen :

Transcription phonétique : [waƒ manatha natyrєl]

Amira : wach manaâtha naturelles.

Traduction : Quel est le sens de « naturelles » ?

Meroua à Amira :

Transcription phonétique : [astanaj nabdaw ala viza3 kbal wala ala

alajnin]

Meroua : astanay nabdaw ala visage kbal wala ala alaynin.

Traduction : Attends, on commence par le visage ou par les yeux ?

La dernière remarque que nous pouvons faire, c’est que les élèves

s’encouragent pour s’exprimer surtout dans l’exemple [7] où Meroua et

Amira du groupe 4 ont incité Aymen pour participer à la discussion :

Exemple [7] :

Meroua : Tu n’as pas participé Aymen, Pourquoi ?où est ton travail ?

Amira : Lis ton travail Aymen.

Amira : C’est un bon travail Aymen.

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Il faut aussi mentionner que les membres du groupe 3 veillent à ce

que chaque membre comprenne ce qu’a préparé l’autre (Exemple [8]).

On cite par exemple le cas de Amel qui a pris la responsabilité d’aider

ses partenaires, elle a expliqué à Wafa le texte lu par Chames el Houda :

Exemple [8] :

Transcription phonétique : [set tєkst də ƒams il ja boku də lãformatjõ

parsəkə la sityjasjõ də ƒams tre riƒ 3ə vwala ah ah 3ə pãs wafa kєl lə bõ

tєkst].

Amel : cette texte lu par Chames il y a beaucoup des l’information

parce que la situation de Chames très riche, je, Ah ! Ah ! Je pense Wafa

qu’elle le bon texte.

Traduction : Ce texte lu par Chames contient des informations très

riches, Wafa, je pense qu’elle a un bon texte.

Ainsi, dans l’exemple [9], Amel a assuré la fonction du leader parce

qu’elle a incité ses partenaires à parler. Elle a aussi veillé à son propre

apprentissage tout en aidant les autres à produire un texte collectif

compréhensible par tous.

Exemple [9] :

Amel : Wafa, quel est ton avis ?

Quant au vocabulaire, nous avons remarqué que les élèves

apprennent de nouveaux mots français ce qui les fait progresser dans

leur apprentissage. Nous citons l’exemple du groupe 1 où Warda a

expliqué à ses coéquipières le sens de « rocheux » et l’exemple du

groupe 4 où Aymen a expliqué à Amira le sens du mot « naturelles ».

Il faut noter que les élèves ont éprouvé au départ des difficultés à

prendre la parole, mais avec l’intervention de l’enseignant qui n’a cessé

de faire usage de tous les moyens pour inciter les élèves à parler, ils sont

arrivés à se concentrer sur la tâche, ils ont articulé des mots en français,

ils se sont interrogés et ils se sont encouragés mutuellement ce qui a

créé chez eux un besoin profond à parler dans cette langue.

En guise de conclusion Au niveau du C.E.M ancien, situé au sein de la Daîra de Ras-El-

Aîoun de la Wilaya de Batna, nous avons pu constater que nos

apprenants font usage d’une multitude de codes linguistiques avec des

degrés de maîtrise variable : l’arabe dialectal, le chaoui, l’arabe

institutionnel, le français, l’anglais et parfois le kabyle (le cas de Amel

G3). Nous nous sommes trouvés confrontés à une situation de

multilinguisme fort contraignant dans le cadre d’un processus

d’apprentissage guidé d’une langue étrangère dans un milieu

institutionnel.

Après l’analyse des discussions, nous pouvons déjà confirmer les

hypothèses formulées dans l’introduction, les élèves s’expriment mieux

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L’apprentissage coopératif : pour créer le désir d’apprendre …

137

en français lorsqu’ils se situent en groupe. D’un côté, le groupe

constitue un lieu d’échange au sein duquel ils prennent l’habitude de

parler, de confronter leurs idées avec celles des autres. De l’autre, ils se

sentent plus impliqués pour accomplir l’activité, ils deviennent plus

actifs donc plus motivés dans leur apprentissage.

Certes, l’enseignant qui fait travailler les élèves en groupes, prend

un certain risque, puisqu’il doit leur accorder un crédit de confiance en

leurs capacités mais le travail en groupes coopératifs a pu transformer

l’ambiance de l’apprentissage ce qui a créé un vécu commun entre les

apprenants et l’enseignant. À notre égard, l’apprentissage coopératif est

l’une des stratégies d’enseignement qui devrait être adoptée par les

enseignants pour motiver les apprenants et développer les habilités

d’expression orale en FLE.

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AXE 3

Langue (s), culture (s) et identité en contexte plurilingue et urbain

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Rachid CHIBANE Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou [email protected]

Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace urbain :

Comment les jeunes tiziouziens donnent une forme linguistique aux événements et aux manifestations

socioculturelles vécues ?

Dans ce présent article, nous explorerons les effets humoristiques à

l’œuvre dans des expressions dans le parler des jeunes à Tizi-Ouzou.

Ces expressions qui relèvent de la culture du quotidien expriment une

certaine réalité du vécu des jeunes, à travers une forme linguistique qui

renvoie au sens de l’humour. Ces jeunes donnent une forme linguistique

aux événements et aux manifestations socioculturelles vécues.

L’humour est alors vecteur de valeurs communes, de complicité, de

connivence chez les jeunes qui à travers des expressions humoristiques

développent un sentiment d’appartenance communautaire.

Dans cette dynamique de la pratique langagière des jeunes, nous

explorons la créativité langagière mise au service de l’humour. Pour ce

faire, nous établissons une étude sur le parler jeune sur le plan lexical

et sémantique. Nous avons regroupé dans un premier temps les items

recueillis en nombre de deux en catégorie thématique. Cette procédure

consiste à percevoir les sujets de conversations récurrents dans leur vie

quotidienne. La procédure d’analyse lexicale à laquelle nous faisons

référence est l’approche argotologique. Pour appliquer une description

lexicale sur le parler des jeunes tiziouziens, nous nous rapportons aux

cinq critères que propose Jean-Pierre Goudaillier qui sont posés en

questions pour repérer toute forme argotique dans la langue des jeunes : — « Quelles sont les personnes concernées ?».

— « Quelles sont les situations constatées ?».

— « Quelles sont les fonctions exercées ?».

— « Quelles sont les thématiques abordées ?».

— « Quels sont les procédés utilisés ?».

Ainsi, les jeunes tiziouziens ont un parler qui leur est propre, une

variété qu’ils acquièrent dans la pratique et qui, de ce fait, ne demande

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

143

aucun apprentissage du type formel. Selon les exemples recueillis, il

semble que la spécificité de ce parler se situe fondamentalement dans

le lexique qui est enrichi à l’aide de divers procédés (troncation,

emprunt, etc.). À travers l’analyse du sens des mots recueillis auprès de

nos informateurs, on s’aperçoit que les fonctions cryptique, ludique et

revendicative que l’on peut reconnaitre dans ce registre de langue,

entraînent les jeunes à créer des nouveaux mots ou à innover le sens. Le

répertoire du parler jeune tiziouzien est un véritable réservoir de

vocable pour le kabyle, l’arabe et le français. Il est plus adapté aux

réalités de l’époque dans ce sens qu’il réagit vite pour attribuer un mot

à une chose ou un événement nouveau. Ces mots sont intégrés dans le

quotidien de ces jeunes au point d’en constituer un véritable

dictionnaire pour leur parler

À partir des expressions recueillies, notre analyse a pour objectif

l’analyse du matériel verbal humoristique : le lexique (entre autres

l’insertion des mots français dans la langue kabyle et arabe, les

créations lexicales et les jeux de mots). Cette analyse démontrera

comment ces jeunes moyennent la langue avec un sens de l’humour en

faisant éclater barrières, tabous et préjugés aussi bien sur le plan

linguistique que culturel pour arriver à exprimer leur vécu quotidien.

Après la collecte du corpus oral, nous analyserons dans ce qui suit les

procédés de création des jeunes qui présentent des variations. Nous

tentons de classer ces données selon les thématiques auxquelles elles

renvoient. D’après Amina Bensalah : D’un point de vue méthodologique, le

regroupement par thématiques sociales s’est

révélé avoir une portée heuristique intéressante :

en classant les saillies de langage à potentiel

humoristique, on parvient à une liste de thèmes

investis qui décrivent toute une partie d’un

univers de vie, et qui pourrait fort bien tenir de

table des matières à une étude sociologique sur la

quotidienneté jeune : culture de la débrouille,

activités illicites, objets de convoitise, argent,

assignations identitaires, appartenance urbaine.

(Bensalah A, 2004 :163)

Les titres qui suivent contiennent des mots et des expressions

classées suivant les thématiques qu’ils évoquent :

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Rachid CHIBANE

144

Drogues et pratiques illicites Les jeunes tiziouziens à l’instar des autres jeunes du monde entier

ne sont pas à l’abri des différents fléaux sociaux qui guettent cette

frange de la société. Les pratiques dites illicites semblent avoir un

registre de langue bien propre à elles, chez les jeunes tiziouziens. Pour

désigner et mettre en dérision quelqu’un qui a consommé de la drogue,

les jeunes tiziouziens créent des termes qui provoquent le rire avec des

sonorités particulières.

Le cas de : « mharbech « [mħarbeʃ], « mchaachaa » [mʃaʔˤʃaʔˤ] sont

formés à base de la forme dérivée du participe passif en français : être

drogué, construit avec le cognème « m ».

Le mot [mʃaʔˤʃaʔˤ] (éclairé, luisant, scintillant, lumineux, etc.) a subi un

glissement sémantique, il désigne en langue arabe quelqu’un ou

quelque chose qui est lumineux. Dans ce contexte, il désigne une

personne droguée. Quant au mot [mħarbeʃ] (déglingué, déboussolé,

déraillé, il est dans les nuages, etc.) est un dérivé du nom [laħrabeʃ], de

l’arabe dialectal, il désigne des stupéfiants au pluriel. C’est la même

chose pour « maztoul » [maztul] (il a pris des stupéfiants) qui vient du

mot arabe « zetla » [zetla] qui désigne aussi la drogue. Le domaine des

stupéfiants se trouve être investi d’une charge symbolique de

codification en ce sens que des drogues sont nommées respectivement :

« Madame courage », « ahrabeche » [laħrabeʃ], « zerga »

[zerga], « el ghebra » [elɣebra], « el hamra » [elħamra], « el kif » [elkif],

« lahyouf » [lahjuf], « lavouv » [lavuv], qui sont tantôt au féminin,

tantôt au pluriel et au masculin et un mot composé en français madame

courage). La plupart de ces mots semblent venir de l’arabe dialectal, ce

qui montre l’influence de cette langue sur les jeunes tiziouziens.

Le mot composé « madame courage » est une métaphore qui renvoie

aux stupéfiants. Il est composé de deux mots : le mot madame au

féminin et courage au masculin. Le thème des pratiques illicites semble

préférer l’usage de l’impératif chez ces jeunes comme l’atteste ces trois

exemples : « n'taloo Garo » [ntalʔˤogaro] (roulons un joint), « ndjibo

chikola » [nʤiboʃikola] (ramenons du chocolat), « ndjibo fiha tarf »

[nʤibofihatarf] (roulons un joint).

Le morphème « N » qui est l’équivalent de la deuxième personne du

pluriel en français (nous), nous renseigne sur le fait que ces jeunes

pratiquent ces activités illégales en groupe de pairs (l’esprit de partage),

chose qui leur procure une assurance et une solidarité entre groupes.

Nous remarquons aussi que l’Arabe dialectal domine l’usage dans ce

thème des pratiques illicites. Cela peut être expliqué par le fait que ce

phénomène a connu ses débuts dans le milieu algérois et certaines

régions arabophones frontalières avec le Maroc et la Tunisie ou la

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

145

Libye, avant de se propager par la suite dans d’autres régions du pays,

notamment la Kabylie.

Ces jeunes préfèrent l’usage de ces termes en rabe dialectal en leur

ajoutant d’autres innovations en kabyle « lavouv » [lavuv] qui sont

généralement ignorées par les adultes, ce qui leur permet de s’adonner

à ces pratiques illicites loin de la pression des parents et de la société.

Cette fonction cryptique leur assure une sorte de sécurité et renforce

la solidarité entre eux en les projetant dans un univers bien propre à eux.

D’autres expressions en kabyle et en français expriment le dégout de

cette jeunesse livrée à elle-même. Ils créent des expressions comme jeu

de langage qui sont reliées à des pratiques de la vie quotidienne. Le sens

de ses expressions peut être assimilé à « je suis fatigué, dégouté,

exténué, perdu …), recèle une part d’ironie et d’autodérision renvoyant

au contexte que vivent les jeunes. C’est pourquoi le recours à des

expressions métaphoriques et drôles produit un effet humoristique :

Qarsniyi laxyoudh « [qesnijilaxjdˁ] (mes fils sont rompus, j’ai perdu

mes repères), « thdécharjiyi labatri » [θdiʃarʒijilabatri] (ma batterie est

déchargée), (je suis en période off) (je chôme).

D’un point de vue sémantique, les trois expressions renvoient toutes

à une situation de blocage, de fermeture et de panne générale. Ces

expressions utilisées généralement par des jeunes qui consomment de

la drogue, visent à signifier que la personne est totalement coupée du

monde réel. Elles renvoient aussi à la vie d’oisiveté et de désœuvrement

que mènent ces jeunes. En créant ces expressions, les jeunes tiziouziens

affichent leur volonté de contredire la langue standard et par suite la

société. C’est un moyen à même de dévoiler leur colère, leur

insatisfaction, voir leur mépris.

Ainsi, l’abus d’alcool « pikhu » [pixu] se double d’un autre fléau

non point moins néfaste, à savoir la drogue. Dans ce monde de

délinquants, presque la majorité des jeunes ont connu l’expérience

d’être soit des revendeurs soit des consommateurs. Les jeunes font

recours à la drogue pour s’évader de la réalité et se lancer dans des

hallucinations jovialesv « ntaloo Garo » (roulons un joint).

L’expression « Tham3icht ngoute à goute » [θamʔˤiʃθngutagut] (la vie

parcimonieuse, une avarice) ou « 3ich mlih oulamout » [ʔˤiʃmliħulamut]

(marches ou crèves) renvoient à la vie dure et aux difficultés de subvenir

à ses besoins quotidiens.

Cette situation renvoie à l’état de quelqu’un qui est en réanimation,

sous l’effet de la pauvreté et du mal de la vie, conséquence de la

précarité de la situation économique et l’état de promiscuité dans lequel

ils vivent. Les jeunes usent de ces expressions pour dire que tout est en

veille dans ce pays et ainsi tourner en dérision la situation sociopolitique

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Rachid CHIBANE

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du pays. Dans ce sens l’humour sert à exprimer le désespoir d’une

manière polie.

Enfin, nous pouvons dire que ce parler marginalisé, reflète mieux

les préoccupations quotidiennes et traduit les vicissitudes des jeunes, à

contourner la forme académique et transgresser les normes. Les

déchirures sociales se trouvent formaliser avec une touche de l’humour

qui vient jouer ici le rôle de détente qui évacue le trop-plein de pressions

avant que celles-ci n’explosent. Ces créations verbales, résultats

d’échanges quotidiens et ordinaires se caractérisent par une hybridation

linguistique à connotation humoristique.

Violences symboliques contre l’ordre établi Les mots qui rentrent dans ce deuxième titre abondent dans le parler

des jeunes tiziouziens. Pour qualifier les agents d’ordre public, les

jeunes utilisent les mots suivants : « lahnech » [laħneʃ] (le serpent), « les

stylos bleus » (les policiers en référence à leur tenue), ‘les stylos verts’

(les gendarmes en référence à leur tenue), « doula » [dula] (de l’arabe

[dawla] en français État), ce terme est utilisé pour dire d’une personne

qu’il fait partie du corps des services de sécurité.

« laklab » [laklab] (de l’arabe chien) et « dal’pj » [dalpiʒi] (police

judiciaire) ; On remarque pour ce dernier mot la présence du morphème

« da » du kabyle qui est une marque de respect précédant généralement

les prénoms des personnes respectées. L’usage de cette forme renvoie

au fait où ces derniers sont considérés comme la partie de la sécurité la

plus dure, puisque c’est la police judiciaire qui intervient généralement

dans les quartiers de la ville à la recherche des délinquants et des

voleurs. L’abondance de ces termes et leur accumulation donnent

l’impression d’un véritable déploiement des forces de l’ordre dans les

quartiers. On pourrait supposer, en saisissant le contenu des mots

utilisés, que les jeunes tiziouziens perçoivent les forces de l’ordre,

comme dévalorisantes.

Les mots aux connotations péjoratives leur permettent de renverser

symboliquement leur situation de dominés en dominants. Ils renforcent

ainsi la cohésion de leur groupe en délimitant symboliquement leur

territoire par opposition à celui des forces de l’ordre. Les forces de

l’ordre sont au même titre que les pouvoirs publics ou les représentants

du pouvoir. Ils héritent tous de qualificatifs péjoratifs et dévalorisants.

À leur tête le président de la République suivi de ses ministres qui sont

respectivement nommés « Atika, tharwa natika » [θatwanʔˤatiqa], (les

enfants d'Atika).

Le président de la République « Bouteflika » est surnommé « Atika »

(en référence à sa petite taille). L’inversion de la dominance s’inscrit en

plein dans les expressions utilisées par ces jeunes. D’une part, la

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

147

dévalorisation de l’autre est une sorte de contre violence symbolique

faite à la nation, dans la mesure où leur territoire est stigmatisé et

méprisé. D’autre part, la parole de ces jeunes établit une distinction

essentielle entre le pouvoir officiel représenté par l’État et le pouvoir

officieux représenté ici par le quartier.

Enfin, les jeunes opposent donc consciemment à cet ‘ordre établi

(les forces de l’ordre et les pouvoirs publics), dont ils subissent

quotidiennement la tyrannie, un langage libéré des contraintes, des

règles, exempt de truc à ‘respecter’, des mots qui répondent à leurs

besoins de communication et qui ne restreignent pas leur désir

d’expression. Ces pratiques langagières vont bien avec les aspirations

des jeunes (liberté, opposition à l’ordre établi, etc.). À l’instar de tous

les langages jeunes, elles constituent un acte de contestation et de

rébellion symbolique et manifestent un « refus (...) de la soumission et

de la docilité qu’implique l’adoption des manières de parler légitimes »

(Bourdieu P, 1983 :101). L’abolition des règles linguistiques dans la

communication entre pairs perm et principalement de se libérer de la

contrainte que constitue l’obligation de bon usage.

La culture du corps chez les jeunes tiziouziens Le sport constitue un fait social important chez les jeunes

d’aujourd’hui. Le football était considéré comme le sport le plus

populaire auquel adhèrent toutes les couches de la société qu’elle soit

jeune ou adulte, pauvre ou riche. Cependant, depuis quelques années un

autre sport semble prendre une place très importante, particulièrement

chez les jeunes et les adolescents. Il s’agit de la musculation ou la fitness

du corps. Certains jeunes, notamment ceux appartenant aux couches

sociales aisées pratiquent presque régulièrement ce sport, tandis que

d’autres appartenant aux couches sociales défavorisées, le pratiquent

occasionnellement. Cette situation est exprimée linguistiquement par

les jeunes tiziouziens.

Ainsi, pour désigner quelqu’un qui exhibe son corps ou ses muscles,

les jeunes ont créé le monème « th3aradh » [θʔˤaradˁ] (se dénuder). « Pit

bol » [pitbol] (espèce d’un chien très fort physiquement), « lahdid »

[laħdid] (du mot hadid en arabe qui signifie fer), « zenda » [zenda], « rot

vayler » [rotvajler], sont autant de termes qui désignent ironiquement,

soit ce sport ou celui qui le pratique.

D’autres expressions ont le sens de l’humour et de la dérision quand

elles évoquent ce sport. Les jeunes d’aujourd’hui sont élevés dans un

environnement festif auquel on a supprimé les contraintes. Ils

développent à leur tour cet environnement festif qui donne tout le

succès aux manifestations qui répondent à cette ambiance comme la

fête, la musique, etc. L’expression « lpek lbras assa nas3a thmaghra »

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Rachid CHIBANE

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[lpeklbraasansʔˤaθmaɣra] (travailler le pec et le bras, aujourd’hui on a

une fête), évoque avec dérision ces jeunes qui pratiquent

occasionnellement ce sport (généralement pendant les vacances d’été)

pour exhiber ses muscles et paraître beau et fort.

Cette culture est associée à la drague et la frime chez les jeunes qui

sont généralement libres de séduire les filles pendant ces fêtes. Sachant

que ces comportements sont tolérés pendant ces fêtes (les wa3da, et les

fêtes de mariage), prohibés et interdits en dehors de ces occasions

festives. Les jeunes attendent avec joie et impatience ces moments pour

réussir des rencontres avec les filles et vice-versa. Les fêtes sont aussi

l’occasion de voir et de rencontrer les proches immigrés, on comprend

donc bien ce besoin chez les jeunes, de paraître beau et fort devant les

siens. Le sport est donc associé au jeu de la séduction, une pratique très

prisée par les jeunes générations.

L’expression « zenda lharda Wal3ibada » [zendlhardawalʔˤibada]

(musculation, bizness et croyance), stigmatise les jeunes « frérots », dits

les « frères musulmans » qui sont aussi connus pour leur admiration

pour ce sport. Dans l’imaginaire populaire, la croyance est synonyme

de sécession de toutes activités luxuriantes qui portent atteinte à la

sainteté et à la pureté de la personne. Ici, la culture du corps (le fitness)

est considérée comme un sport réservé aux personnes malveillantes,

agressives et quand il est pratiqué par des croyants, cela est vu comme

une sorte de contradiction et de perversion. Ces derniers, associent la

croyance à la culture du corps en se contentant des petits commerces

informels qu’ils exercent aux alentours des mosquées.

Ces jeunes se démarquent à travers cette expression, de la culture

des frérots qu’ils considèrent comme hypocrite (ils se déguisent derrière

leur croyance). De cette manière, ils rappellent leur autonomie dans les

formes de pensée, leur engagement politique et social est différent, ils

sont rétifs à toutes formes d’engagement conventionnel.

Enfin, les termes par lesquels, les jeunes désignent les pratiques

culturelles sont porteurs d’une dévalorisation du paraître occasionnel

qui exprime le désœuvrement et l’oisiveté et qui éloigne donc les jeunes

de la culture du travail et de la production. Les discours épis

linguistiques rendent ainsi compte dans le même temps d’une

autodépréciation de certaines pratiques et d’une survalorisation

d’autres.

Critiques, insultes et embêtements Les insultes et les embêtements

Il semble que les insultes et les embêtements sont, pour la plupart du

temps, adressés contre le genre féminin, la preuve en est l’usage des

expressions suivantes : « Yeghliyam usarwal » [jaɣljamusarwal] (ton

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

149

pantalon est relâché, elle désigne aussi par métaphore des types de

pantalon pour filles.), « mitra ou bezqa » [mitraubazqa],( un mètre et un

crachat) «métra oud Kika « [mitraudqiqa] (petite de taille), tarteg Alik

Lséchoir « [tartegʔˤliklseʃwar] »(un séchoir est éclaté sur ta tête) (mal

coiffée, cheveux crêpés, tu ne sais pas t’habiller, tu maries les couleurs,

tu mets des vêtements amples, etc.)

Nous remarquons que le sens de l’humour et de la plaisanterie

occupe une grande place dans les critiques quotidiennes des diverses

situations et les commentaires concernant les comportements, la mode

et surtout le genre féminin. Les expressions : « garçon masqué »,

« Anouche » [ʔˤanuʃ], « homlette » [omlet] sont employées pour

qualifier péjorativement une personne de sexe masculin aux

comportements affectés, maniérés, voire même efféminés.

Une chose dépassée ou démodée est désignée par les termes

suivants : « ayana » [ʔˤajana], (démodée), « farcha » [farʃa] (dégradée),

« khourda » [xarda] (friperie), « maychabah loualou » [majʃebahlwalu]

(il ne ressemble à rien). Pour signifier qu’une chose est belle ou une

telle façon de s’habiller est bonne, les jeunes utilisent les expressions

suivantes : « heta » [ħetˁa] (élégant), « style » (élégant), « taa lhik »

[taʔˤlhik] (ça vient de l’étranger), « elle est fashion » (elle est belle),

« actrice », « Shakira » (nom d’une chanteuse américaine d’une beauté

exceptionnelle), « marikan » (américain), « holywwod »

(hollywoodien).

Nous constatons que la beauté et l’élégance sont associées à l’image

de l’étranger, une chose est belle parce qu'elle vienne de l’Occident

[taʔˤlhik], (ça vient de l’étranger). Les jeunes d’aujourd’hui sont très

branchés, ils connaissent toutes les modes et savent très bien discerner

entre les différents produits présents sur le marché algérien (vêtements,

objets électroniques, etc.). D’autres expressions sont utilisées pour

provoquer ou embêter les filles avec un sens d’humour. Pour taquiner

ou commenter le passage des jeunes étudiantes qui résident à la cité

universitaire de Bastos, les jeunes tiziouziens utilisent les expressions

suivantes : « barbies bastos » et « esquimau » (pour une fille qui porte

des vêtements trop serrés).

Ainsi, la profusion de ces termes et de ces expressions, montre que

ces jeunes innovent en matière de langage. Leur effet provocateur est

atténué, car à force d’être répétées, les insultes et les embêtements ont

perdu plus ou moins leur charge. Néanmoins : À travers les insultes et le langage de l’offense,

on comprend donc bien à quel point la parole peut

servir d’arme efficace, si symbolique soit-elle,

dans les relations sociales adolescentes. Efficace

quand elle est utilisée directement, c'est-à-dire de

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Rachid CHIBANE

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face, en présence de l’interlocuteur [...]. (Lepoutre

D, 2001 :126).

Les innovations sont multiples et constituent une concrétisation de

la révolte des jeunes contre la langue standard. C’est une arme qui

défend leur identité sociale. Les insultes et les injures constituent

parfois des vannes, c'est-à-dire : Des remarques virulentes, des plaisanteries

désobligeantes et des moqueries échangées sur le

ton de l’humour entre personnes qui se

connaissent ou du moins font preuve d’une

certaine complicité. (Ibid).

Les jeunes aiment plaisanter, rire et rigoler même si ces ricanements

se font au détriment de leur apparence physique de leur comportement.

Les relations groupales des jeunes Ces termes désignent des groupes d’amis et les gens du même

quartier. Ils témoignent de la solidarité et de la connivence entre ces

jeunes qui ont la conscience d’appartenir au même groupe social. Farida

Boumedienne, dit à ce propos : Ces termes témoignent à travers ces formes

d’appellation entre amis de la conscience des

jeunes de leur appartenance au sein d’un groupe

social représenté symboliquement par une identité

consolidée par des relations de connivence et de

solidarité. (Boumedienne F, 2011 :146).

Ainsi, les termes (hnouma [ħnuma], tawa3na [tawaʔˤna], wild

houmti [wlidħomti]) renvoient à l’idée du groupe, de communauté et

d’identité du groupe. Le jeune tiziouzien s’inclut dans le groupe qu’il

décrit. Il s’autodéfinit, ceci apparaît par exemple dans les termes arabes

qui portent la particule « a » comme désinence de la deuxième personne

du pluriel en français « hbibna » [ħbibna] (notre cher ami), « tawa3na »

[tawaʔˤna] (les nôtres), « hnuma » (les gens de notre quartier), cette

autodéfinition consiste à imposer aux autres ses propres catégories de

pensée. Ce faisant, ils ont donné naissance à un nouveau langage qui est

motivé par l’esprit d’appartenance à un groupe social méprisé et

catégorisé. Le monde de désignation sert à identifier si on appartient ou

non au groupe social, dans le cas présent chez les jeunes : « les jeunes

affichent leur identité et leur appartenance socio spatiale en créant un

cercle de communication réservée aux initiés dans un territoire bien

limité » (Ibid : 147).

Le monème innové « hnuma » [ħnuma] (il vient de « huma » [ħuma]

en arabe qui désigne (quartier) auquel on a instillé le phonème « n »

(marque du pluriel), atteste de la présence dans l’imaginaire des jeunes

locuteurs d’une représentation d’un espace symbolique partagé,

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

151

reconnu et revendiqué, un espace où les jeunes délimitent physiquement

et/ou symboliquement un territoire dans lequel ils projettent leur

identité spatio-linguistique et imposent par là leur mode d’expression.

Enfin, nous pensons que l’espace du quartier et le groupe de pairs

constituent un rempart efficace pour les jeunes et leur identité. Il semble

qu’entre eux l’usage de ces mots se fasse selon des modalités ludiques

et cryptologiques jouant un rôle essentiel dans la cohésion du groupe.

Au sein du groupe de pairs, l’utilisation de ces innovations lexicales,

renforce par sa dimension symbolique l’affirmation identitaire

spécifique aux jeunes, tout en signant l’adhésion au groupe de pairs et

à la communauté du quartier.

L’image de l’autre Les jeunes tiziouziens utilisent des termes et des expressions qui

témoignent des représentations qu’ils se font des personnes qui

n’appartiennent pas à la ville ou qui n’ont pas le même mode de vie

qu’eux. L’expression (issoubed s 20 DA) [isobedsv dinar] (il descend

de la campagne, provincial, il ne sait rien, il descend du bourg, etc.) est

assimilable au mot « djebri » [ʤbri] « villageois » ou ‘montagnard’.

Les deux expressions désignent donc les personnes qui viennent des

villages alentour de la ville de Tizi-Ouzou. Cette qualification

péjorative vise à rappeler à l’autre qu’il n’est qu’un migrant du jour en

ville, puisqu'il retournera dans son village le soir. Une manière aux

Citadins de se démarquer de l’identité de l’autre tout en affirmant leur

propre identité. Contrairement, aux migrants ruraux, dont l’identité

citadine découle d’un ancrage résidentiel récent en milieu urbain, les

Citadins natifs conçoivent leur identité comme intrinsèque à la ville.

Toutefois, si les premiers sont définis comme les occupants endogènes

de la ville, les seconds sont conçus comme exogènes et étrangers.

Ainsi, le monème « menhoum » [manhum] de l’arabe dialectal « des

leurs » montre que ces jeunes mettent des frontières entre eux et les

autres. Le « nous » c’est ce qui les unit, les rassemble, les assemble et

les rapproche, les autres « eux » c’est ce qui les différencie ou les

distancient. Comme le montre Thierry Bulot : « si l’identité peut être

comprise comme un rapprochement de soi, en toute logique, l’altérité

ne peut être que mise à distance » (Bulot T, 2001 :1).

Les expressions « zith ouzemour » [ziθozamur] (l’huile d’olive,

désigne quelqu’un qui est attaché aux traditions, idées dépassées,

dévolues, révolues, etc.), « Chethla ouqardoun « [ʃeθlauqardun] (la

génération du cordon : désigne quelqu’un qui est attaché aux traditions,

dévolu, révolu, etc.), « Wache rahoum darkoum » [waʃrahomdarkom]

(comment vont vos parents ?) : adressée aux villageois par les jeunes

Citadins pour lui signifier qu’il vient de la campagne), renvoient toutes

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Rachid CHIBANE

152

les trois aux villageois qui migrent occasionnellement vers la ville de

Tizi-Ouzou.

Les tiziouziens découpent la ville de Tizi-Ouzou en deux espaces de

légitimité et qui a pour fonction de leur permettre de se situer à la fois

en matière d’appartenance sociale et territoriale. Cela se traduit dans les

discours par une correspondance particulièrement nette entre dualités

interpersonnelles (opposition « nous » et « eux ») et spatiale (opposition

« ici » « là-bas »). Les Citadins conçoivent les villageois comme des

nos civilisés (génération du cordon) qui ne s’adaptent pas à la

modernité. Ces expressions démontrent bien les corrélations étroites

établies entre civilisation et ville d’une part, entre non-civilisation et

village d’autre part.

Notons enfin que cette distinction entre Citadins ruraux est très

présente dans les discours des jeunes tiziouziens. Cette appartenance à

l’aire urbaine tiziouzienne est dans tous les cas de figure, marquée en

langue et en discours par des pratiques langagières singulières. Cette

image négative assignée aux villageois constitue donc une

représentation typiquement citadine, une identité qui implique la

valorisation de soi vise la dévalorisation de l’autre. En outre, comme

nous le mentionnons supra, les identités se construisent en s’opposant

aux autres identités en coprésence : c’est le principe même de la

singularisation et de la différenciation : le Citadin se définit en

opposition au villageois.

Conclusion Ce qui caractérise le langage des jeunes, tel qu’on l’entend pratiquer

dans les écoles par exemple, c’est le déplacement de l’accent tonique,

l’inversion de l’ordre des mots, le détournement du sens des mots

habituel par rapport à leur sens courant et surtout une grande complicité

entre locuteurs visant à donner le maximum d’opacité pendant leur

discussion face à un auditeur extérieur.

Pour faire une analyse cohérente et systématique de ces phénomènes

de « changements » linguistiques et afin d'illustrer la nécessité

d'imbriquer le changement linguistique dans la communauté des

locuteurs, il est indispensable de recourir méthodologiquement à la fois

à des explications internes, structurales et à des explications purement

externes, sociolinguistiques. En prenant des cas de figure tirés du

français du parler des jeunes, nous avons montré que de tels

changements ne peuvent pas être compris en invoquant uniquement des

facteurs internes, et que des facteurs sociaux, tels les niveaux

d'interaction sociale et le mélange de sociolectes dans la grande ville,

ont joué un rôle décisif.

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Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens dans un espace …

153

Se trouvant socialement exclus du système et linguistiquement

désarmé, les jeunes des quartiers, en contact avec toutes les formes de

« déviances », vont se distinguer par leur refus de respecter les

paramètres de la langue commune et de se plier au statu quo -

linguistique. Ce refus se manifeste au niveau lexical : essentiellement

de deux manières : déformation morphologique et déviation

sémantique.

Les innovations langagières chez les jeunes tiziouziens sont des

produits de contextes sociaux bien déterminés. Ils répondent

paradoxalement à la fois à un besoin de « cryptage » et donc de rejet à

l’encontre de la norme et à un besoin de communicabilité réservée

uniquement aux initiés, à ceux qui sont dans le « coup ». Avant de se

disséminer dans le langage des jeunes, c'est dans les milieux carcéraux

que le verlan a surtout pris racine. Par conséquent et par amalgame, ces

« sociolectes » sont associés à tous les sèmes liés à la délinquance et à

la violence sous toutes ses formes.

Ayant recours - obligatoirement - au lexique usuel, le jeune ne se

conformera pas pour autant aux normes de la tradition. Dans sa bouche,

« le stylo bleu » n'est pas un stylo, mais un policier. La crypticité

s'intensifie au fur et à mesure que les différents procédés de déformation

- ou de transformation se succèdent.

Relativement pauvre dans sa syntaxe, ce langage est

remarquablement riche dans son lexique, dont le sans-gêne constituerait

un refus de la norme. Si l’on prend l’exemple des termes d’insultes

(fréquemment utilisées dans le langage des jeunes), l’on constate qu’ils

font partie d’un discours qui opère une négociation des statuts et des

places entre les locuteurs, en insultant l'autre, le locuteur, selon le

contexte de communication, fait, consciemment ou inconsciemment,

une sélection lexicale dans sa « banque » de mots.

Enfin, cet acte linguistique révèle comment il perçoit l'allocutaire

mais aussi comment il souhaite rendre compte de ce qu'il est dans son

indignation. Les modes d'insultes, ainsi envisagés, deviennent dès lors

marqueurs de frontières hiérarchiques, mais aussi révélateurs des

valeurs du groupe.

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Rachid CHIBANE

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Soufiane BENGOUA Laboratoire ELILAF1, Centre Universitaire de Relizane [email protected]

La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans la langue

maternelle d’un groupe de jeunes locuteurs en Algérie

« Ne doit-on pas plutôt revenir sur les causes qui

sont à l’origine des phénomènes variationnels afin

d’en faire prendre connaissance aux

apprenants ? »i.

Il demeure difficile de cerner les caractéristiques linguistiques d’un

usage dans un environnement où de multiples pratiques langagières

cohabitent avec à chaque fois des variations observables. Le français,

en Algérie et parmi les différentes variétés de l’arabe et du berbère, fait

partie intégrante de ce paysage plurilinguistique. Son usage, à chaque

fois changeant, intéresse la présente étude sur le plan sociophonétique

et sociodidactique.

Notre méthode s’éloigne des généralités avancées lors des travaux

sur la structure phonétique en Algérie. Nous avons ciblé notre analyse

en travaillant sur une variété de l’arabe algérien dont la structure ne peut

être comparée à une autre variété de l’arabe. Nous nous sommes

intéressés en particulier à 09 sons répartis sur 32 positions syllabiques2

1 Environnement linguistique et usages du français en Algérie : une observation

quantitative (laboratoire implanté à l’université de Mostaganem) 2 Les 32 positions syllabiques en perception sont relatives au nombre de fois

où les sons étudiés apparaissent en syllabe initiale, médiane ou finale en

position pré-/inter-/-post vocalique/consonantique. Nous avons décomposé

chaque lexème en segments (syllabe initiale, syllabe médiane et syllabe finale)

et chaque segment, nous l’avons fragmenté en positions (Post Consonantique,

Pré Consonantique, Post Vocalique, Pré Vocalique, Inter Vocalique, Inter

Consonantique).

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La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans …

157

en perception et sur 31 positions syllabiques en réalisation dans l’une

des deux structures phonétiques de la langue maternelle de 77 jeunes

locuteurs évoluant dans une zone périurbaine au nord-ouest Algérien à

Cassaigne3.

S'intéresser au transfert de traits articulatoires dans la structure

phonétique des mots en français, qui intègrent la langue maternelle des

jeunes locuteurs en Algérie, demeure important en identifiant, d'une

part, les paramètres intrinsèques qui régissent ce contexte, autrement

dit, chercher les différentes fluctuations phonétiques relatives à ce

croisement linguistique entre cette variété d’arabe algérien et le français

générant des variations et des altérations phonétiques, et, d'autre part,

essayer d'y remédier en repérant les déclencheurs de cette variation

phonétique sur le plan linguistique et non-linguistique.

Tout au long de cette contribution, nous répondrons aux questions

suivantes : Quelles sont les différentes fluctuations articulatoires et

perceptives qui résultent du contact du français avec l'arabe en Algérie ?

Qu’est-ce qui est à l’origine de cette variation en perception ou en

production ? Quels types de déplacements de traits phonétiques

résulteraient de ces altérations du français ?

La langue maternelle des jeunes locuteurs cassaignois intègrerait

une structure phonétique et un système phonologique spécifiques aux

mots en français et une autre structure phonétique et un autre système

phonologique spécifiques aux mots en arabe. Le lien entre les deux

structures est tel qu’un croisement et une variation s’effectueraient à

chaque fois où le jeune locuteur perçoit ou réalise des mots en français.

Identifier l’écart et mesurer la variation entre la structure

phonétique du français dit de référence et le français utilisé dans la

langue maternelle de nos jeunes locuteurs est notre objectif premier.

Pour se faire, nous allons attribuer la qualification de correcte/

incorrecte4 aux différentes réalisations/perceptions à analyser.

Nous avons analysé de façon globale les données de la perception

(chez les 59 informateurs) et de la réalisation des sons (chez les 18

informateurs) en veillant à :

— Donner le pourcentage de perception correcte et incorrecte chez

chaque informateur ;

3 Zone périurbaine située à 45 km à l’Est de Mostaganem 4 Loin de tout impressionnisme, nous avons qualifié les

réalisations/perceptions de correcte/incorrecte par rapport la

réalisation/perception normée ou scolaire que le jeune locuteur apprendrait à

l’école.

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Soufiane BENGOUA

158

— S’intéresser aux sons qui sont correctement perçus/réalisés à

100% et incorrectement perçus/réalisés à 0% chez le même

informateur ;

— Isoler les positions syllabiques dans lesquelles les sons sont

perçus/réalisés correctement et incorrectement chez le même

informateur ;

— Croiser les données sociolinguistiques relatives à l’âge, au

sexe, à la zone géographique et au degré d’exposition au

français.

Afin de mesurer l’écart à la norme et exploiter les résultats de nos

analyses, nous avons opté pour « perception correcte » relative à une

bonne perception et « perception incorrecte » relative à une mauvaise

perception et nous ne voulions pas théoriser une tendance générale qui

est de « considérer toute variation linguistique en français parlé comme

une réalisation « fautive » eu égard à la norme du français standard »ii,

mais de mettre en pratique une stratégie d’enseignement pour pallier à

cette variation.

Nous avons préféré utiliser les acronymes ci-dessous pour décrire

les différentes positions des sons dans le mot et dans la syllabe :

— Segments dans le mot (réalisation isolée) « SI : syllabe initiale,

SF : syllabe finale, SM : syllabe médiane (pénultième) » ;

— Positions dans la syllabe « PC : post-consonantique, PréC : pré

consonantique, PV : postvocalique, PréV : pré vocalique, IntV :

intervocalique, IntC : inter consonantique ».

Nous pensions que le jeune locuteur en Algérie perçoit les sons du

français dans sa langue maternelle selon son degré d’exposition au

français, c'est-à-dire, suivant le taux de ce qu’il entend et de ce qu’il

utilise quotidiennement en français et dans son entourage. Nous

estimions aussi que la variation de la perception auditive dépend de

plusieurs variables non linguistiques à savoir le sexe, l’âge, la zone

géographique ainsi que d’autres variables internes comme le

positionnement syllabique du son.

Les résultats Des positions syllabiques

Au terme de notre analyse des perceptions et des réalisations, nous

avons constaté, d’abord, que l’origine de la variation phonétique dans

les mots du français qui intègrent la langue maternelle des jeunes

locuteurs de notre enquête est le résultat d’une variation dans la

perception régulée en partie chez les garçons par une variable externe à

savoir le degré d’exposition au français.

Cette variable ne régit pas la variation dans la perception mais la

régule. De plus, nous avons remarqué que la variation dans la

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La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans …

159

perception est régie essentiellement par une variable interne à savoir la

position syllabique du son dans le mot (en SI, SM, SF) et dans le

segment (PréC, PréV, PV, PC, IntV, IntC). Nous avons vu que le même

son est perçu différemment par le même informateur dans deux ou

plusieurs positions syllabiques toujours différentes les unes des autres.

Outre la variation dans la perception, nous nous sommes rendu

compte aussi qu’il y a une variation dans la réalisation de certains sons

qui partagent les mêmes positions syllabiques problématiques ou

altéragènes en perception. Cette variation dans la réalisation est le

résultat de la même variable interne attestée en perception à savoir la

position syllabique du son.

Les données ci-dessous détaillent ce que nous avons trouvé :

— En perception, nous remarquons à travers l’analyse des

perceptions des sons dans les 32 positions syllabiques que nous

avons faites :

Il y a 09 sons perçus correctement avec un pourcentage assez élevé :

le [p], [v], [o], [e], [œ], [y], [ə], [ε] et le [u].

Les mêmes sons sont perçus incorrectement avec un taux inférieur

ou faible : le [e], [p], [ε], [œ], [v], [ə], [y], [o] et le [u].

Le taux de sons perçus correctement est supérieur à celui des sons

perçus incorrectement.

Nous relevons une variation des perceptions des sons d’un groupe

d’informateurs à un autre.

La variation est due en partie au degré d’exposition au français chez

les garçons, car L’altération de la perception est accentuée chez les

informateurs exposés à un faible degré au français.

La variation est régie par une variable interne à savoir celle relative

à la position syllabique.

La perception du son varie chez le même informateur, mais dans des

positions syllabiques différentes.

Il y a 08 sons dans certaines positions syllabiques beaucoup plus

susceptibles à l’altération que dans d’autres positions comme :

[p] en SM PFV, [v] en SF PV, en SM IntV, [o] en SM PC, [e] en

SI PC et IntC,

[ε] en SI PC, [ə] en SI PC, [œ] en SF PréC, [y] en SF PC.

En réalisation, à travers l’analyse des réalisations des sons dans les

32 positions syllabiques, nous remarquons :

Une variation dans la réalisation des différentes positions

syllabiques.

Une variation dans la réalisation des sons dans les positions

syllabiques.

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Soufiane BENGOUA

160

Le taux de réalisations correctes varie d’un groupe d’informateurs à

un autre et il est supérieur au taux de réalisations incorrectes.

08 sons réalisés correctement : [p], [v], [o], [ε], [u], [e], [ə] et le [œ].

07 sons réalisés incorrectement : [e], [ε], [o], [y], [p], [ə] et le [v].

05 sons dans certaines positions syllabiques beaucoup plus

susceptibles à l’altération que dans d’autres positions comme :

[v] en SF PV, [o] en SM PC, [e] en SF PV, [ε] en SI PC, [p] en SM

PV.

Des transferts de traits Nous avons vu précédemment qu’il y a des positions syllabiques

responsables de la variation des sons et par conséquent génératrice

d’altérations. En effet, certaines positions syllabiques possèdent un

caractère catalytique et nous faisons là écho aux propos de R.

Chaudenson : « On sait que la catalyse est une action par

laquelle une substance (le catalyseur) rend

possible, par sa seule présence, une réaction

chimique, généralement en augmentant sa vitesse

de réaction. » iii

La présence d’un son dans une position syllabique précise va se

trouver, de facto, altéré soit en perception ou en réalisation. Par

conséquent, de multiples transferts de traits ainsi que des confusions

différentes résultent de ces différentes variations et altérations en

perception et en réalisation.

En perception

Pour le [p] qui tend vers le [b] trait de voisement

Consonne sourde qui devient sonore Qui disparait amuïssement

Pour le [v] qui tend vers le [f] trait de voisement (non

voisement/assourdissement)

Consonne sonore qui devient sourde

Pour le [o] qui tend vers le [u] ou le [œ] trait d’aperture

(fermeture/ semi-ouverture)

Voyelle mi-fermée qui devient fermée ou mi-ouverte

Pour le [e] qui tend vers le [i] trait d’aperture (fermeture)

Voyelle mi-fermée qui devient fermée

Pour le [ε] qui devient [a] trait d’aperture (ouverture)

Voyelle mi-ouverte qui devient ouverte

Pour le [ə] qui devient [o] trait de postériorité (postériorisation)

Voyelle centrale devient postérieure

Pour le [œ] qui devient [ε] trait d’arrondissement (absence

d’arrondissement/ écartement des lèvres)

Voyelle arrondie qui devient non-arrondie/écartée

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La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans …

161

Pour le [y] qui tend vers le [u] trait de postériorité

(postériorisation)

Voyelle antérieure arrondie qui devient postérieure ou tend vers le [i]

trait d’arrondissement (absence d’arrondissement/ écartement des

lèvres) Voyelle non-arrondie

Nous constatons que la variation phonétique générée par la position

syllabique altéragène en perception n’est en fait qu’une variation dans

les traits articulatoires des sons. En effet, le trait de voisement pour les

consonnes devient variable, car certaines consonnes deviennent sourdes

et d’autres sourdes deviennent sonores. De plus, la consonne [p]

disparait totalement. Pour les voyelles, c’est le lieu d’articulation qui

devient variable à travers les transferts de traits relatifs au degré

d’ouverture, la position de la langue ainsi qu’à la position des lèvres.

Nous schématisons les résultats comme suit :

Figure 1: Processus de transferts de traits et d’altération des sons en perception

En réalisation

Pour le [p] amuïssement

Pour le [v] qui tend vers le [f] trait de voisement (absence de

voisement)

Consonne sonore qui devient sourde

Pour le [o] qui tend vers le [u] trait d’aperture (fermeture)

Voyelle mi-fermée qui devient fermée

Pour le [e] qui devient [i] trait d’aperture (fermeture)

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Soufiane BENGOUA

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Voyelle mi-fermée qui devient fermée Ou tend à disparaître apocope

Pour le [ε] qui tend vers le [a] trait d’aperture (ouverture)

Voyelle mi-ouverte devient ouverte

Ou vers le [i] fermeture Voyelle fermée

En réalisation, nous constatons une variation dans le mode

d’articulation des consonnes, un amuïssement du [p] et une variation

dans le degré d’aperture des voyelles.

Nous pouvons illustrer ce que nous venons de développer comme

suit :

Figure 2: Processus de transferts de traits et d’altération des sons en réalisation

Lecture récapitulative Nous récapitulons de façon précise ce qui a été trouvé :

— La position du [p] en SM PV génère :

Un amuïssement en réalisation ;

Un déplacement dans le trait de voisement +

amuïssement

— La position du [v] en SM IntV et SF PV en perception génère

un déplacement dans le trait du voisement. Le [v] en SF PV

génère un déplacement dans le trait du voisement ;

— La position du [o] en SM PC génère un déplacement dans le

trait d’aperture en réalisation et en perception ;

— La position du [e] en SI PC et IntC génère en perception un

déplacement dans le trait d’aperture. La position du [e] en SF

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La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans …

163

PV génère en réalisation un amuïssement et un déplacement

dans le trait d’aperture ;

— La position du [ε] en SI PC génère en perception et en

réalisation un déplacement dans le trait d’aperture ;

— La position du [œ] en SF PréC génère un arrondissement en

perception ;

— La position du [y] en SF PC génère en perception un

déplacement dans le trait de postériorité et d’arrondissement.

Ces transferts de traits pour les consonnes et les voyelles

s’effectuent à l’intérieur d’une seule structure phonétique à savoir celle

des mots en français. Soit en perception ou en réalisation, les traits

transférés caractérisent uniquement la structure phonétique du français

vu qu’il n’y a pas eu lieu de transfert de longueur ou d’emphase

spécifique à la variété de l’arabe étudiée. Les différents transferts de

traits concernent des sons spécifiques à la structure phonétique des mots

en français. Nous dirons donc qu’il y a eu une variation de traits

articulatoires intra structural, c’est-à-dire, à l’intérieur de la même

structure phonétique.

Synthèse Dans le contexte algérien, il était primordial de nous intéresser au

transfert des traits articulatoires dans la structure phonétique des mots

en français qui intègrent la langue maternelle des jeunes locuteurs; en

identifiant, d'une part, les paramètres intrinsèques qui régissent ce

contexte, autrement dit, chercher les différentes variations phonétiques

relatives à ce croisement linguistique entre cette variété d’arabe algérien

et le français générant des fluctuations et des altérations phonétiques,

et, d'autre part, essayer d'y remédier en repérant les déclencheurs de

cette variation phonétique sur le plan linguistique et non-linguistique.

Les résultats trouvés appuient l’importance du patrimoine

phonétique matrice du jeune locuteur en Algérie à l’idée de prendre en

considération la langue maternelle comme le terrarium d’une bonne

maîtrise du français standard.

Nous avons montré plus haut que la variation phonétique dans les

sons étudiés est le résultat d’une fluctuation dans la perception, elle-

même résultat de l’intervention d’un contexte phonétique spécifique à

savoir un positionnement syllabique particulier des sons. Nous avons

remarqué aussi que le jeune locuteur détient une compétence

phonétique en français qui se greffe à sa langue maternelle et qu’il

utilise en dehors de l’école et qu’il demeure légitime de l’exploiter et

de la mettre en valeur en classe et en situations formelles ; mais en plus,

nous avons identifié les causes relatives à la variation phonétique du

français chez ces jeunes locuteurs, résultat d’une fluctuation dans la

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Soufiane BENGOUA

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perception, elle-même tributaire d’un positionnement syllabique

spécifique des sons.

Nous dirons que le jeune locuteur en Algérie, à travers l’analyse de

09 sons répartis en 32 positions syllabiques en perception et en 31

positions en réalisation, prend en charge deux structures phonétiques

dont les traits articulatoires varient à l’intérieur de la cette même

structure des mots en français. Cette variation de traits est régie par un

positionnement spécifique de syllabes en réalisation, tandis qu’en

perception s’ajoute une autre variable externe, à savoir le degré

d’exposition au français chez les garçons.

Bibliographie CHAUDENSON, R. (1998). Variation, Koinèsation, créolisation :

français d’Amérique et créoles, In Brasseur. P (éds), Français

d’Amérique variation, créolisation, normalisation, Université

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LAURET, B. (2007). Enseigner la prononciation du français :

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par des adolescents en Guyane et à la Réunion : Témoignages de

périphéries, Patricia Lambert, Agnès Millet, Marielle Rispail, Cyril

Trimaille (éds), Variations au cœur et aux marges de la

sociolinguistique, L’Harmattan, Paris.

MOLINARI, Ch. (2008). L’enseignement du FLE face au défi de la

variation, ‘Grandes’ et ‘petites’ langues. Pour une didactique du

plurilinguisme et du pluriculturalisme, G. Alao, E. Argaud, M. Derivry-

Plard, H. Leclercq (eds.), Berne, P. Lang, pp.57-68.

i MOLINARI, Ch. (2008), « L’enseignement du FLE face au défi de la

variation », ‘Grandes’ et ‘petites’ langues. Pour une didactique du

plurilinguisme et du pluriculturalisme, G. Alao, E. Argaud, M. Derivry-Plard,

H. Leclercq (eds.), Berne, P. Lang, pp.57-68, p4. ii LEDEGEN, G. (2007) « Variations syntaxiques dans le français parlé par des

adolescents en Guyane et à la Réunion : Témoignages de périphéries », Patricia

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La variation de neuf sons de la structure phonétique du français dans …

165

Lambert, Agnès Millet, Marielle Rispail, Cyril Trimaille (éds), Variations au

cœur et aux marges de la sociolinguistique, L’Harmattan, Paris, p103. iii CHAUDENSON. R, Variation, Koinèsation, créolisation : français

d’Amérique et créoles, In Brasseur. P (éds), Français d’Amérique variation,

créolisation, normalisation, Université d’Avignon, 1998, p167.

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Hania AKIR Université de Béjaïa [email protected]

Le nom du père, entre identité et existence

La présente contribution vise à mettre en exergue le rôle du nom

du père et de la nomination dans l’établissement, la construction et la

transmission de l’identité et, de ce fait, dans l’affirmation de l’existence.

Cette contribution se doit aussi de souligner qu’une quête du nom du

père peut s’entreprendre à travers l’écriture, qui en général, participe

d’un discours sur l’identité.

Nommer et être nommé constituent des actes linguistiques qui

fondent un discours sur l’identité et sur l’être, affirmant que le nom

propre implique nécessairement un double rapport d’intériorité et

d’altérité. Ainsi, en rappelant que la problématique linguistique de la

nomination reflète tout l’intérêt pour le rapport entre le langage et le

monde, on ne perd pas de vue que celle-ci est un processus symbolique

censé permettre avant tout à un individu de se constituer en tant que

sujet et partant, d’avoir une place dans l’ordre du monde.

Plus qu’une condition de naissance, le nom du père apparaît alors

comme le garant d’une existence et d’un patrimoine.

Le nom du père, une quête absolue au fondement de l’identité et de l’existence

« Le déficit identitaire » (Benramdane, 2007 : 50) dont souffre un

sujet écrivant en quête de filiation paternelle entraîne nécessairement

dans son écriture l’apparition de signifiants qui dessinent, de manière

plus ou moins consciente, un paysage où se cherche une présence : celle

du père. Entre « noms dits et non-dit » (Marthet, 1996 : 311), les détours

onomastiques que suit le parcours sinueux de l’écriture ramènent

l’écrivain vers un centre qui est son propre nom et celui de son père.

C’est alors que l’« on peut se demander si écrire n’est pas mû par la

densité d’un mouvement qui porte à la recherche d’un nom »

(Clerget, 1990a : 31). Le nom du père, objet de la quête du scripteur

sans père, est à l’origine de son écriture : Le nom est support de l’écriture, il est cette

place ouverte sur une absence que l’écriture tente

de combler, d’occuper, de remplir sans jamais y

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Le nom du père, entre identité et existence

167

parvenir. Ecrire revient toujours à tenter le nom.

(Cliche, 1996 : 202).

Les écrits produits par ce scripteur donnent l’impression de n’être

qu’un prétexte pour légitimer la recherche du nom propre confisqué ;

ils cherchent à percer le secret d’un nom que lui-même ne connaît pas

puisqu’il s’interroge sur son identité pour accéder à l’identité véritable.

On peut penser alors que le nom propre est le sujet profond de la

production écrite.

Les écrits participent du discours sur l’identité et comme le précise

Cheriguen (1998, 2008 : 117) « l’apparition du discours sur l’identité

est déjà en soi un discours de crise qui n’est pas seulement identitaire ».

Toute occultation de nom propre entraîne un conflit identitaire ; en

effet, on ne peut nier que « l’anonymat équivaut en quelque sorte au

sacrifice du nom propre, à sa destruction rituelle, à la communication

impossible avec le sans-nom, au « cri sans résonance » » (Lévesque,

1996 : 235). Sans nom du père, l’individu souffre d’une insuffisance de

l’être et perd son sentiment d’existence. En fait, un individu sans nom

n’a pas d’existence, d’ailleurs « rien n’existe qui n’ait de nom »

(Clerget, 1990a : 17). À ce sujet, Clerget (1990a : 32) explique qu’être

sans nom est un désastre au sens d’un non avènement à l’existence car

« nommer, c’est appeler à la vie dans la génération et la société.

L’éradication du nom est mort du nommé ». C’est donc par le nom

propre que l’individu existe, arrive à savoir qui il est, et répond sans

hésitation à l’appel de son nom ; c’est aussi ce nom qui permet son

insertion dans la société et dans l’histoire. Quand le père ne transmet

pas son nom à son enfant, il le prive de toute une partie de son histoire

et le plonge dans le mal-être pendant sa vie entière. Si la plupart du

temps, le père est l’homme qui marque de son nom un enfant, la

paternité ne se réfère pas seulement à une nomination, et le port d’un

nom ne suffit pas toujours à établir une filiation. Quand l’enfant ne porte

pas le nom de celui dont il est issu, mais un autre nom, c’est comme si

ce nom était un nom usuel, un nom d’usage dans la communication de

la vie quotidienne ; alors qu’en parallèle cet enfant a un vrai nom,

ésotérique, lié à l’essence de l’être, et dont il est curieux et nostalgique.

La connaissance de ce nom, qui semble receler l’essence et le secret de

son être, deviendrait pour lui synonyme de force et de pouvoir. Cette

reconnaissance par le patronyme tant recherché pourrait correspondre à

ce que Ricœur appelle « la reprise du sens logique de l’identification

dans son sens existentiel et sa récapitulation dans l’être reconnu à la

faveur des expériences de lutte pour la reconnaissance »1.

1 RICOEUR cité par LE BIHAN (2006 : 24)

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Hania AKIR

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Siblot (1997 : 42) explique que l’être et le nom forment un tout

« où la personne incarne la dénomination, et où celle-ci signifie la

quiddité de celle-là ». Le constat de l’attachement de tout individu à son

nom a conduit Freud, très préoccupé par la problématique du nom de

personne, à écrire dans Totem et tabou que « le nom d’un être humain

est une composante essentielle de la personne, peut-être même un

fragment de son âme »2, estimant que le nom propre d’un individu est

une des propriétés constitutives de ce dernier. D’ailleurs, l’équivalence

sémantique des verbes se nommer et être, dans des énoncés tels que « je

me nomme X » et « je suis X », peut en attester, et impliquer

l’équivalence entre le nom et l’être, ou l’équivalence entre l’individu et

son nom, pour reprendre les termes de Gary-Prieur (2001 : 153). Tout

cela peut mener à une autre équivalence qui est celle des deux énoncés

suivants : « je n’ai pas de nom » et « je ne suis pas (je n’existe pas) » ;

d’où l’on déduit que l’existence de l’être humain tient à celle de son

nom : « je me nomme donc je suis ».

Le nom propre : un rapport d’intériorité et d’altérité Nommer et être nommé constituent des actes linguistiques qui

fondent un discours sur l’identité et sur l’existence : « un discours sur

l’identité est un discours sur l’être, donc un discours pour être »

(Cheriguen, 2008 : 115). En fait, il ne faut pas perdre de vue que la

nomination est un processus symbolique censé permettre avant tout à

un individu de se constituer en tant que sujet et partant, d’avoir une

place dans l’ordre du monde ; c’est dans cette optique que Christin

(1998 : 7) voit dans le nom propre l’instrument qui autorise les

individus à s’affirmer comme des sujets. À ce propos, Cardinal (1996 :

185) considère qu’un sujet est toujours tributaire d’un acte de

nomination qui l’inscrit dans le monde ; c’est aussi en ce sens que

Françoise Dolto affirme que « quand on ne donne pas de nom à un être

humain, on ne lui donne pas le droit de mourir, pour ainsi dire,

puisqu’on ne lui a pas donné le droit de vivre. Un être humain ne vit

que nommé »3.

Par ailleurs, il faut bien se rendre compte que le nom existe pour

soi mais aussi et surtout pour l’autre, car c’est quand « l’autre » désigne

un individu par son nom que cet individu se sent exister : « mon nom

est bien ce par quoi j’existe dans le langage, j’existe dans la parole de

l’autre » (Armengaud, 1990 : 97). Cet état de fait se trouve d’ailleurs

largement confirmé. En effet, Clerget (1990a : 50) écrit « toujours déjà

pour les autres et par eux, le nom ne saurait être pour la seule gloire

2 FREUD cité par GARY-PRIEUR (2001 : 153) 3 DOLTO citée par CARDINAL (1996 : 181)

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Le nom du père, entre identité et existence

169

de soi (Montaigne), ni pour la seule contemplation de son image », et

Cheriguen (1998, 2008 : 122) fait remarquer que « tout questionnement

sur l’identité présuppose une certaine reconnaissance, même non dite,

de l’altérité » puisqu’« il n’y a pas d’identité en soi, ni même

uniquement pour soi. L’identité est toujours un rapport à l’autre »4 ;

confirmant tout cela, Siblot (2007 : 38) déclare que « dans la mesure où

nous ne pouvons désigner les choses « pour elles-mêmes », et que nous

les nommons « pour nous », ces nominations disent nos rapports aux

choses et non les choses « en elles-mêmes » ». Quant à Armengaud

(1990 : 92), elle résume le lien entre le nom propre de l’individu et

autrui, en formulant ce qu’elle appelle une sorte d’idéalisme

linguistique : « être, c’est être nommé. Être interpellé, mentionné. Être,

c’est être un référent dans le discours de l’autre. Ou encore, être, c’est

nommer, donner les noms ». En clair, l’affirmation de l’existence par le

nom propre est toujours, d’une certaine manière, en rapport avec l’autre,

puisque soit on se trouve en position de nommer l’autre, soit en position

d’être nommé par lui, soit on est désigné par lui au cours de son

discours. S’il ne devait pas être attribué et/ou employé par les autres,

pour nous distinguer les uns des autres, le nom propre ne serait d’aucune

utilité et n’aurait aucune raison d’être.

Cependant, le rapport de l’être humain à son nom est un rapport

d’intériorité. En déclarant que l’on grandit avec son nom comme avec

sa peau, Clerget (1990a : 18) cherche à illustrer le rapport profond et

intime de l’être au nom : Le nom propre participe de l’univers

symbolique par la liaison qu’il consacre entre la

personne et son nom. (…) Il est tout à la fois posé

comme attribut de la personne et partie de l’être.

Cela signifie pratiquement que le nom propre et l’être qui le porte

ne font qu’un, qu’en aucun cas ils ne peuvent se trouver séparés, même

pas en pensée, surtout pas en pensée devrait-on dire, car, dans notre

pensée comme dans celle de ceux qui nous connaissent, notre nom est

indéfectible de notre être.

Le nom propre : la force d’une symbolique Si l’idée que l’individu préexiste à son nom fait l’unanimité et que

la nomination d’un être se fait au commencement de sa vie « nommer

un être ou un objet, c’est en inaugurer l’existence » (Clerget, 1990 :

29), après la vie d’un être, son nom demeure et « existe encore dans ce

bref écrit ramassé compact sur une pierre » (Armengaud, 1990 : 97).

Pour sa part, Pariente (1982 : 62) pense que « la seule permanence que

4 CUCHE cité par CHERIGUEN (2008 : 122)

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Hania AKIR

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la nomination confère par elle-même à l’objet, ce n’est pas une

permanence dans l’être, mais une permanence dans le discours », ce

qui signifie que l’on peut continuer à parler d’un individu disparu aussi

longtemps que son nom propre restera dans la mémoire des hommes.

En raison de tout cela, Armengaud (1990 : 99) estime que le nom propre

réside à la fois du côté de la vie et du côté de la mort, considérant ainsi

qu’il constitue un lien entre ces deux aspects antinomiques de

l’existence. Dans cette optique, l’être humain existerait davantage par

son nom que par son corps, puisque le nom survit à son porteur. Par

ailleurs, Armengaud ajoute qu’outre l’ambivalence vie / mort, le nom

propre s’inscrit dans une autre ambivalence qui est celle de la

fascination / délivrance. Effectivement, autant le nom fascine lorsqu’il

est secret ou perdu, autant il délivre lorsqu’il est découvert ou retrouvé :

« obtenir l’aveu du nom de l’autre délivre de l’angoisse due à

l’inconnu » (Armengaud, 1990 : 90). Du reste, la question du pouvoir

de délivrance du nom est multiple ; à titre d’exemple, dans le récit de la

Genèse, on considère que le nouveau nom de Jacob, Israël, vient le

délivrer de ce que pouvait avoir de difficultueux l’identité précédente.

Le Bihan (2006 : 23) rappelle aussi, « l’opprobre qui frappait, il

n’y a pas si longtemps, les enfants qui ne portaient pas le même nom

que leur père. L’injure « bâtard » qui discrédite immédiatement une

filiation, discrédite indirectement un nom propre (celui de la mère) ».

L’identification par le nom propre est, de ce fait, l’objet d’un jugement

de valeur. De plus, le nom exerce une emprise sur son porteur : « tu as

un nom que tu n’as pas réclamé et la vie durant tu es la proie de ce

nom »5. Ce qui signifie que l’individu porte un nom, et qu’inversement

ce nom porte l’individu, dans la mesure où ce dernier est tenu de vivre

(et de mourir) avec son nom, avec tout ce qu’il peut comporter

d’astreignant : « on porte son nom et on est porté par son nom. Ce que

l’on croit porter vous porte » (Armengaud, 1990 : 97).

Le nom propre, et plus précisément le nom du père, est

l’expression de la filiation, de la descendance, de l’ascendance, et donc,

du sang. Dans cet ordre d’idées, « l’identité du nom englobe dans une

sorte de royaume unique les parents morts (…), les vivants et les êtres

à venir. Tous constituent la lignée et s’alignent sur une même

dénomination » (Armengaud, 1990 : 99). Cela fait du nom propre la

trace d’une généalogie, une espèce de témoin qui dit obligatoirement

« de qui l’on naît et d’où l’on vient, il assigne une place, sans

échappatoire possible, en principe » (Lapierre, 1995 : 13). Il est une

marque d’identité en même temps qu’un bien familial, une sorte de

capital, un patrimoine : « le nom propre, patrimoine propre », affirme

5 JABÈS cité par F. ARMENGAUD (1990 : 89)

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Le nom du père, entre identité et existence

171

Le Bihan (2006 : 16) pour qui il y a un lien dès l’origine entre le

patronyme et le patrimoine, expliquant qu’avoir un nom est sans aucun

doute une forme de possession, une possession un peu particulière, mais

une possession quand même. Marque de l’existence (l’être) et marque

de la possession (l’avoir), le patronyme reflète ainsi « l’être et l’avoir »

(Le Bihan, 2006 : 18).

Toutefois, outre l’histoire personnelle et familiale qu’il représente,

le nom (du père) est d’abord une « question de vie et de droit » (Clerget,

1990 b: 9). Il évite à l’être humain sa dispersion, et c’est aussi en cela

que réside la force du nom, dont l’importance, presque aussi vieille que

le monde, remonte à la Genèse où l’on apprenait que les bâtisseurs de

la tour de Babel voulaient se faire un nom : « Faisons-nous un nom et

ne soyons pas dispersés sur toute la terre »6. Cependant, si comme la

Genèse a pu le montrer, la problématique du nom était liée, dans le

temps, aux croyances religieuses, le nom reste encore « primordial pour

toutes les religions importantes » (Vaxelaire, 2005 : 605).

Il est nécessaire de retenir que la problématique linguistique de la

nomination reflète tout l’intérêt pour le rapport entre le langage et le

monde. C’est un fait, pour Socrate déjà, la nomination constituait

« l’acte de langage par excellence » 7; Branca-Rosoff (2007 : 13)

explique à ce propos que « les réflexions sur la nomination remontent

aux sources de la culture occidentale jusqu’à se confondre dans la

Genèse ou dans le Cratyle de Platon avec l’activité même du langage ».

En définitive, l’acte de nomination est perçu comme la condition

de la naissance et le garant de l’existence, car c’est à partir de cet acte

qu’une chose prend vraiment sens, essence et vie. Certains écrivains, à

l’instar de Jean Sénac (1989, 1999), conscients de l’importance de la

nomination, en font un thème principal de leurs œuvres, dans lesquelles

des constructions relatives à la nomination sont recensées et contribuent

à montrer que le nom propre, celui du père, fait partie de leurs plus

grandes préoccupations. À juste titre, le Nom-du-père, grand point de

l’orthodoxie lacanienne, peut constituer parfois la cause du déséquilibre

de toute une vie. Cela se laisse entrevoir tout au long d’une écriture et

même parfois dans ses moindres recoins.

Bien évidemment, on avoue être tenté d’envisager que, le nom du

père ou plutôt l’absence du nom du père (dénotant le refus du père de

donner son nom) se traduit par « le non que dit le père » fondement de

la négation, tel qu’y fait référence Lacan (1974) dans son séminaire Les

non-dupes errent (10). À ce sujet, Vaxelaire (2005 : 658) ne manque

pas de préciser que la question du nom propre a aussi fait l’objet des

6 Genèse (Chapitre XI) cité par Clerget (1990a : 23) 7 Genette cité par Vaxelaire (2005 : 413)

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Hania AKIR

172

légendaires jeux de mots lacaniens et qu’il reste beaucoup à dire de ce

côté-là : « mon nom est un palindrome. À chacun d’en tirer les

conclusions qu’il désire… », rappelant ainsi que la nomination demeure

un élément central dans la psychanalyse.

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Hafida BENBOUZIANE Université Dr Moulay Tahar Saida [email protected]

Articulation de l’identité « jeune» à travers les parlers mixtes

Les recherches récentes menées en sociolinguistique ont montré

l’importance des parlers dans l’étude des différentes langues dans le

monde.

Dans le présent article, nous vous rapportons une étude réalisée

sur le parler des jeunes mostaganémois. Cette étude porte d’une part,

sur les pratiques langagières de ces jeunes et d’autre part sur leurs

représentations. Nous commencerons par : une définition des parlers

jeunes étant donné que : « l’objet social parlers jeunes est d’emblée très

marqué par l’idéologie et donc objet d’appréciation non seulement très

diverses mais aussi souvent passionnelles et polémiques». (Bulot, 2004

:133). Nous présenterons par la suite l’approche choisie afin de

constituer notre corpus et d’analyser les données recueillies. Enfin, nous

verrons comment les jeunes parviennent-ils à marquer leur identité

grâce à ce parler étiqueté « jeune ».

Le parler jeune Le parler est une forme de la langue utilisée dans un groupe social

déterminé comme signe de l’appartenance ou de la volonté d’appartenir

à ce groupe social. C’est : […] l’ensemble des pratiques symboliques

(paroles et autres pratiques symboliques) par

lesquelles nous pouvons exprimer notre identité et

la faire connaitre des autres dans l’espace public

de la sociabilité. (Lamizet, 2004 :76).

Il est généralement relatif à la situation géographique du locuteur

ainsi qu’à son âge.

C’est dans le cadre de la sociolinguistique urbaine que nous nous

intéressons de très près au parler d’une tranche d’âge précise, en

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Articulation de l’identité « jeune» à travers les parlers mixtes

175

l’occurrence les lycéens. Ces jeunes adolescents sont scolarisés dans

différents établissements et évoluent dans des bains linguistiques

hétérogènes.

La post adolescence (de 16 à 19 ans) est une période difficile pour

l’adolescent. C’est un âge de transition sociale assez complexe. Or, dans

ces moments-là, les jeunes investissent beaucoup sur le symbolique.

Appartenant à ce domaine au même titre que les vêtements, la mode,

les accessoires ou les marques, langage devient lieu d’investissement et

de démarcation. De nombreuses études menées par des linguistes de

renommée (Bulot Th, Lamizet B,..) ont confirmé cet investissement des

jeunes sur le parler. Cet investissement se traduit généralement par le

choix d’un vocabulaire spécifique propre à eux et méconnu des autres

dans le but de dissimuler des informations en présence des étrangers.

Ce phénomène est omniprésent chez ces sujets qui aspirent à

l’ascension sociale, ou tout simplement qui veulent témoigner leur

adhésion à un groupe social précis. Pour ce faire, ils en font souvent

trop au niveau du langage, et lui confère diverses fonctions comme le

déclare le linguiste suisse Singy : Le parler jeune a une fonction identitaire, c’est

à- dire qu’il sert à marquer son affiliation au

groupe des jeunes et sa désaffiliation au groupe

des adultes. Il participe à un double mouvement

d’inclusion et d’exclusion. Le langage des jeunes

a également une fonction cryptographique : il

permet de dissimuler des informations en

présence de quelqu’un qui ne le comprend pas.

Enfin, il peut avoir une fonction ludique : on

s’amuse, on joue avec la langue. (Singy, 2006 :12)

L’usage du parler jeune est encore plus percutant chez les jeunes

Maghrébins et, plus particulièrement, chez les sujets algériens issus

d’une société plurilingue, car l’Algérie tout comme le Maghreb est un

lieu propice pour mettre en relation : « langue » et « identité » ; même

s’il faut préciser de quelle identité il s’agit, et admettre le caractère

multiple des identités : Les phénomènes identitaires se gèrent au

Maghreb comme un patrimoine national

fortement symbolique que chacun investit, selon

ses convictions et croyances, de projections

imaginaires et fantasmatiques. (Laroussi, 1996 :

23)

Dans le cadre de notre recherche intitulée « Particularités de

l’usage du français dans le parler des lycéens mostaganémois », il sera

question d’étudier et d’analyser les parlers des jeunes lycéens

mostaganémois car ces parlers sont l’expression d’un mouvement

générationnel posant la différence par l’affirmation des identités, et sont

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Hafida BENBOUZIANE

176

considérés également comme le lieu symbolique où se jouent les

minorations sociales. En effet, il faut rappeler que le langagier (la

langue et son usage selon Bulot, T) est et crée le lien social entre les

individus, et à ce titre tout groupe de jeunes qui produit des énoncés

étiquetés « jeunes » renvoient à la société la complexité des tensions en

cours.

Ces parlers jeunes sont perçus généralement comme une menace

pour la langue nationale alors qu’en vérité ils ne font que rendre compte

de la réalité sociolinguistique langagière actuelle qui s’avère parfois

assez complexe. Ces parlers reflètent les tensions en cours, et font voir

à la société des conflits qu’elle préfère ignorer ou enterrer.

Dans le cas de la société algérienne, la réalité linguistique révèle

une situation très épineuse. Les jeunes algériens recourent de plus en

plus en plus à l’emprunt intégré et non intégré, mais surtout à

l’alternance codique, phénomènes résultant du plurilinguisme. Cette

réalité est apparente dans tous les domaines (culturel, commercial,

artistique, …).

Se situant sur l’une des rives de la méditerranée, l’Algérie, au

même titre que les autres pays du Maghreb n’échappe pas à l’influence

de la culture européenne, et principalement la culture française. Le

contact avec la France et le français, qui restent depuis la colonisation

très présents dans la vie quotidienne, a eu et continue d’avoir pour

conséquence l’emprunt linguistique qui constitue une source

importante de la création linguistique en arabe dialectal.

Comme le décrit l’anthropologue français G. Granguillaume, le

contexte algérien se définit par rapport au triangle linguistique qui est

l’arabe classique, le français et les deux langues maternelles (l’arabe

dialectal et le berbère) : La situation linguistique actuelle est ainsi

triangulaire, la langue maternelle – arabe ou

berbère occupe le champ de la vie familiale et

sociale. Dans la vie scolaire, elle demeure la

langue de relation entre élèves et enseignants, sauf

dans l’acte d’enseigner, qui doit être fait en arabe

(classique) ou en français selon le cas.

(Granguillaume, 1979 : 4 )

Les pratiques étiquetées « jeunes » sont stigmatisées au même

titre que les dialectes régionaux (arabes ou berbère), ils sont rejetés par

le pouvoir politique qui charge la langue nationale : « l’arabe classique»

de symboliser l’unité nationale qui doit par la même occasion effacer

tous les dialectes algériens.

Ces parlers régionaux sont également mal perçus par les locuteurs

algériens qui tout en les utilisant quotidiennement, éprouvent un

sentiment d’insécurité linguistique et de rejet conscient à leur égard. Le

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Articulation de l’identité « jeune» à travers les parlers mixtes

177

malaise éprouvé est essentiellement dû à l’usage fréquent des mots de

la langue française, qui en dépit du fait de sa position de langue

étrangère, continue à occuper une place importante dans les pratiques

affectives des locuteurs algériens.

Il serait crédule de notre part d’imaginer que le conflit linguistique

né avec la colonisation a disparu avec le recouvrement de la liberté.

Loin de là, les effets de cette présence étrangère, en l’occurrence

française, a laissé une empreinte d’une importante profondeur. Le

français reste une « langue étrangère » à statut privilégié en Algérie,

dont l’usage a fonction de différenciation sociale et signe

d’appartenance à la petite bourgeoisie francisée. Elle véhicule

également une culture occidentale et un mode de vie assez différents de

celui des locuteurs algériens.

L’intérêt de notre présente démarche est de nous pencher de très

près sur ces pratiques langagières , et plus particulièrement sur ces

variations interlinguistiques omniprésentes dans tous les domaines, au

sein de la société algérienne, et de montrer qu’en plus de la variable

diatopique, qui est très pertinente dans le code switching , s’ajoutent

d’autres facteurs tout aussi importants, tels que : les représentations

linguistiques, l’environnement familial, ainsi que la classe sociale à

laquelle appartiennent les témoins linguistiques.

Nous nous rapprocherons aussi bien des lycéens évoluant en zone

urbaine que ceux de la zone rurale afin de recueillir leurs pratiques

langagières dans un premier temps, puis dans un deuxième temps, nous

tenterons de collecter leurs représentations linguistiques par le biais

d’entretiens semi-directifs dans le but de savoir ce qu’ils pensent de la

langue française et à quoi ils l’associent. Notre étude portera sur

l'analyse des productions langagières des lycéens mostaganémois afin

de voir la fréquence de l’usage de la langue française chez deux groupes

de jeunes provenant de deux milieux sociaux différents.

Il s’agira au départ de déterminer si les choix linguistiques de ces

jeunes locuteurs sont réellement calculés et prémédités et d’essayer

ensuite, de découvrir les raisons qui les poussent à faire ses choix.

Enfin, nous tenterons de voir comment ces lycéens envisagent-ils le

plurilinguisme et s’ils ont un sentiment de sécurité ou d’insécurité par

rapport aux langues qui les entourent. Aussi nous essayerons de

découvrir quel est leur degré de conscientisation de la complexité du

milieu linguistique dans lequel ils vivent.

Protocole d’enquête Dès le départ, nous situons notre objet d’étude dans le cadre

théorique de la micro-sociolinguistique, dans la mesure où notre

problématique implique un questionnement qui relève à la fois de « la

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Hafida BENBOUZIANE

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structure sociale », « des pratiques linguistiques des groupes » et des «

types de variations ». Autant d’éléments que nous considérons en

rapport avec l’étude des pratiques langagières des jeunes. L’approche

ethno-sociolinguistique nous permettra d’appréhender les variations

que présentent les usages des langues dans les deux contextes distincts

qui nous intéressent, et de tenter de les comprendre afin d’expliquer les

comportements langagiers de locuteurs d’une même communauté ;

mais évoluant dans des sphères linguistiques différentes.

La recherche qualitative et ethnographique s’est traduite par la

méthode de l’observation participante et la présence prolongée du

chercheur sur le terrain (pendant une année scolaire), complétée par des

données obtenues par des questionnaires sociolinguistiques (des

entretiens semi-directifs menés avec les jeunes).

Nous avons fait appel à ces deux types d’enquête à des fins

précises. L’enquête par observation participante nous permettra

d’accéder aux échanges verbaux, d’une grande authenticité. Cela nous

me permettra dans un premier temps, de mesurer la fréquence de

l’usage de la langue française dans chacun des deux groupes, afin de

démontrer que les enquêtés de la ville utilisent réellement davantage de

mots de la langue française que les enquêtés ruraux, et de voir par la

suite, les différentes variations que connait le parler de ces jeunes.

Quant à l’enquête semi-directive, elle a pour objet de compléter

l’enquête par observation participante, d’une part, et de recueillir le

discours des lycéens sur leurs propres pratiques langagières (le discours

épilinguistique). C’est aussi l’occasion de recueillir les valeurs et

appréciations qu’ils attribuent à leurs parlers appelés « jeunes » et aux

différentes langues qu’ils utilisent et alternent dans leurs interactions

verbales.

Analyse et interprétation des résultats obtenus Après la pré-enquête menée auprès de ces lycéens, et l’analyse

quantitative des usages langagiers plurilingues de ces sujets, qui avait

pour enjeu principal le recensement du nombre de mot s de la langue

française utilisé par nos témoins, deux constats flagrants ont été faits. Il

s’est avéré en premier lieu, que le discours de ces jeunes est un mélange,

une alternance, de plusieurs codes distincts : l’arabe dialectal (la derja),

l’anglais et le français :

Exemples : 1-[chriki yela bkit tliké w tpartagé lbak rah, ya

adieu amigos fatek train. Facebook ma yejib bac]

Si tu passes ton temps à partager et à aimer sur

facebook tu ne réussiras pas. Facebook ne te

permettra pas d’avoir ton bac.

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Articulation de l’identité « jeune» à travers les parlers mixtes

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2-[ya lbac ya la France. ELboti wela lmisiria]

Soi je décroche mon bac, soi je m’en vais. Mieux

vaut immigrer clandestinement que de rester dans

la misère.

Les deux exemples illustrent parfaitement ce processus de création

fondé essentiellement sur une sorte de jeu avec les langues. Le locuteur

exploite remarquablement les différents idiomes en présence dans

l’espace communicationnel algérien. Il passe régulièrement d’une

langue à une autre sans se préoccuper de la norme grammaticale. Cette

circulation incessante entre l’arabe dialectale (Chriki), l’anglais (tliké-

to like) et le français (tpartagé- partager) démontre une capacité

étonnante chez ces jeunes locuteurs à créer un parler propre à eux, et un

sens inné de la fonction ludique du langage qui leurs permet de dépasser

aisément aussi bien les formes usuelles que les interdits (culturels,

politiques et même religieux).

Cette pratique ou cette créativité est assez ordinaire dans des

milieux plurilingues comme tel est le cas de la société algérienne. Les

sujets alternent deux ou plusieurs langues en usage dans le milieu dans

lequel ils évoluent. Cette alternance est aussi appelée « Code switching

» dans la terminologie américaine traditionnelle (Gumperz 1989 : 64).

Le second constat qui a attisé notre curiosité dans la pratique

linguistique de nos témoins, c’est le fait que l’alternance codique soit

très peu présente chez les lycéens de zone rurale contrairement à ceux

de la ville, d’où le soulèvement de notre principale question qui se

subdivise à son tour en trois questions. Tout d’abord, qu’est-ce qui

pousse les lycées à alterner deux codes linguistiques ? Ensuite, pour

quels motifs le code switching est moins apparent chez les jeunes de

zone rurale que chez les lycéens de la ville ? Et enfin, que pensent ces

lycéens de ce parler jeune ?

Nous tacherons dans un premier temps, de déterminer les raisons

qui incitent ces jeunes à parler d’une manière singulière, mettant le plus

souvent en œuvre un métissage linguistique riche en emprunt et en

néologisme, et à tant investir sur leur pratique langagière. Ensuite, nous

nous appliquerons à énumérer les besoins auxquels répond cet usage de

mots de la langue française. Enfin, nous analyserons le degré de

conscience de cette alternance, et surtout ce que ces jeunes en pensent.

Il semble que l’usage de mots français dans la pratique linguistique

des jeunes lycéens mostaganémois réponde en premier lieu, à un besoin

naturel qu’éprouve tout locuteur natif d’un milieu plurilingue.

L’univers linguistique dans lequel évoluent ces jeunes locuteurs les

prédispose à ces pratiques mixtes, même si ces dernières apparaissent à

des niveaux généralement distincts. Leur niveau d’apparition dépend

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Hafida BENBOUZIANE

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essentiellement du contexte et du bain linguistique du locuteur

(entourage familial, quartier, niveau intellectuel,…).

En second lieu, nos jeunes sujets traversent une période de

mutation et de formation de l’identité indispensables à leur maturité,

d’où la volonté de se faire remarquer en investissant autant que possible

sur la symbolique langagière. Cet exhibitionnisme et ce désir de se

mettre en avant traduisent la volonté de ces jeunes de montrer qu’ils

appartiennent à une tranche d’âge précise et à une classe sociale

déterminée, car la langue française est selon eux une marque de

modernité, de prestige social.

En outre, c’est le résultat de leur appartenance à un milieu social

propice à l’apprentissage des langues étrangères et plus

particulièrement à celui de la langue française, et ceci favorise, par la

même occasion, son usage. Loin d’être une langue étrangère qu’on

entend uniquement à l’école, la langue française est régulièrement

utilisée par leurs parents et par les personnes qu’ils côtoient

quotidiennement.

En revanche, les lycéens qui appartiennent au milieu rural

semblent rejeter totalement cette langue, et n’en font usage que très

rarement. Cette attitude ou ce choix inconscient sont dû à un certain

nombre de raisons dont les plus importantes semblent être : les

représentations linguistiques, le contexte social et culturel.

Lors des entretiens nous avons demandé à nos enquêtés de la zone

rurale s’ils regardaient les chaines françaises à la télévision. Seul un

enquêté a répondu qu’elle regardé de temps en temps TV5 monde.

À la question : Écoutez-vous la chanson française ? Deux jeunes

filles ont déclaré qu’elles aimaient Céline Dion et M Pokora.

Ces réponses nous montrent clairement que ces lycéens n’ont pas

le moindre contact avec le français en dehors des quelques heures

hebdomadaires de la classe. Ajouté à cela on retrouve une sorte de

stigmatisation de la langue française qui endosse le statut de la langue

de l’ennemi.

Contrairement aux lycéens du centre -ville pour lesquels la langue

française est un signe de prestige, les jeunes de Bouguirat continuent à

détester cette langue en prétextant que c’est la langue de l’oppresseur,

alors que la réalité est toute autre. Ce rejet catégorique de la langue

française s’explique d’une part, par la vision négative qu’ils ont de cette

langue et d’autre part, par leur méconnaissance de cette langue et par

les difficultés qu’ils ont à l’acquérir. Leur mauvais niveau en français

les oblige à rejeter cette langue et à la renier. (Benbouziane, 2009 :63)

Loin de la voir comme un outil linguistique qui leur permettra

d’accéder au savoir et à la nouvelle technologie, ils continuent à la

percevoir comme la langue de l’ennemi, la langue de celui qui a

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Articulation de l’identité « jeune» à travers les parlers mixtes

181

opprimé leur pays pendant de longues années. Les réponses récoltées

lors des entretiens semi-directifs le démontrent clairement. Les propos recueillis lors de l’entretien avec l’enquêté No4

[Alache nehki bel franci, mahiche loughat boyi. França katlat

khoutna w yetmat beniaamna. Liyah ana nekra hadratha] Pourquoi je

parlerai en français, ce n’est pas la langue de mon père. La France a tué

nos frères et a fait de nos cousins des orphelins.

L’enquêté No9 a déclaré :

[tarikh bladi yemnaani bach nahdar francia. Elgwar hagrouna w

stralouna. Rani netaalam fel franci bach nelka cha negoul min nahrag].

L’histoire de mon pays m’interdit d’apprendre cette langue car les

colons nous ont opprimés et exploités. J’apprends la langue française

pour trouver quoi dire quand j’immigrerai en France.

L’exploitation des représentations linguistiques permet d’expliquer

les comportements linguistiques. En s’intéressant aux valeurs

subjectives accordées aux langues, on parvient à expliquer la quasi-

inexistence de la langue française dans le parler des lycéens ruraux.

Ces représentations ont d’ailleurs largement suscité l’intérêt des

sociolinguistiques et des didacticiens. De nombreux sociolinguistes ont

mené des travaux sur les attitudes et les représentations des sujets vis-

à-vis des langues, de leur nature, de leur statut et surtout de leurs usages.

Les lycéens ruraux sont nés et évoluent dans un environnement non

propice à l’apprentissage des langues étrangères et en particulier à celui

de la langue française qui est très mal considérée chez eux. Leurs

parents sont pour la plupart des analphabètes ou des illettrés qui n’ont

pas eu la chance de fréquenter l’école, et par conséquent, ne maîtrisent

pas la langue française. (Benbouziane, 2009 :65)

L’emploi restreint de la langue française dans les pratiques

langagières de nos témoins issus de la zone rurale est, à notre sens, dû

à ce milieu social cloisonné et défavorable à l’apprentissage et à l’usage

des langues étrangères de façon générale et à celui de la langue française

en particulier.

Plus loin dans notre questionnement, nous nous interrogeons sur

l’éventuelle existence d’un parler jeune. Cette dernière question nous

semble bien ambitieuse puisqu’à son tour elle soulève de nombreux

questionnements. Des questions qui ont déjà été posées par de

nombreux linguistes et auxquelles chacun tente d’y répondre en

fonction du contexte dans lequel il œuvre.

Dans son intervention intitulée : « Y-a-t-il un parler jeune ? »,

Bernard Lamizet tente de répondre à sa question de départ en déclarant

:

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Hafida BENBOUZIANE

182

Sans doute n’existe-t-il pas, à proprement dit

de parler jeunes, ne serait-ce d’ailleurs que, parce

que, comme on l’aura vu tout au long de ce texte,

le concept même de jeunesse est mouvant.

(Lamizet, 2004 :97)

Il continue en disant plus loin : Ce qui existe en réalité, c’est un ensemble

ritualisé de pratiques symboliques dont le retour

et la répétition permettent à la fois la

reconnaissance et l’identification de ceux qui les

mettent en œuvre. (Lamizet, 2004 :97).

Nous partageons cette conception puisqu’il nous semble qu’elle

correspond assez bien aux pratiques symboliques de nos jeunes

enquêtés qui s’investissent pleinement dans leurs parlers afin de se

distinguer des autres groupes sociaux et de marquer leur identité jeune.

Conclusion Langue et identité ont toujours été associées étant donné que la

langue représente le symbole de l'appartenance à une communauté ou à

un groupe donné. Cette démarcation se fait, de manière générale, par

des manipulations lexicales et des choix langagiers spécifiques.

Il a été prouvé que la manipulation lexicale, en vue d’un marquage

conscient d’une identité, est souvent pratiquée par les locuteurs jeunes

dans le but de s’affirmer et de se distinguer des autres. L’objectif de

notre enquête est de mettre en avant le rôle de cette volonté des jeunes

d’opérer un double marquage dans la formation de leur parler mixte et

ce à travers une créativité ingénieuse et surprenante. On y distingue

d’une part, le souci de signifier son adhésion à un groupe social « jeune

», et d‘autre part, le désir de se situer vis-à-vis d’une langue qui est au

centre de la polémique.

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184

Hakim MENGUELLAT Université de Blida 2, LISODIP (ENS) Email : [email protected]

Identité plurilingue et représentations sur

les langues des apprenants au cycle moyen : Le cas de la région de Blida

La langue n’est pas uniquement un outil de transmission de savoir,

mais c’est également un moyen d’intégration de l’individu dans un

groupe social. En effet, c’est à travers la langue que se transmettent les

valeurs culturelles et le mode de vie d’une communauté donnée. Cet

objet social est la manifestation, pour l’individu, des structures sociales

existantes ainsi que leur évolution et leur changement. Il constitue de

ce fait un lien d’attachement et d’adhésion au groupe.

Ainsi, la langue en tant qu’objet social est nécessairement objet de

représentations en même temps qu’elle véhicule ces représentations.

L’image que se font les locuteurs de leurs langues et de celles des autres

et les stratégies qu’ils déploient en vue de se les approprier et de les

acquérir sont devenues des facteurs non négligeables dans la mise en

place des méthodes et des modèles théoriques de l’enseignement /

apprentissage des langues. La notion de représentation sociale est

devenue, de ce fait, une référence de plus en plus présente en didactique

des langues.

Dans cette optique, l’objet de notre article gravite autour de la

question des représentations et de sa prise en considération en classe de

langue dans le système éducatif algérien et particulièrement dans la

région de Blida.

En partant du constat unanimement admis que les représentations

sur les langues interviennent soit positivement soit négativement dans

l’apprentissage de ces dernières et que l’école constitue un lieu

privilégié de transmission de ces représentations, nous allons, dans cet

article, nous demander, à travers l’analyse de quelques entretiens semi-

directifs recueillis auprès de quelques élèves, quelles sont les

représentations sur les langues de ces derniers à Blida.

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Identité plurilingue et représentations sur les langues des apprenants au…

185

Essai pour définir les représentations sociales

La notion de représentation sociale issue des travaux du sociologue

Emile Durkheim (1858-1917), reprise et développée ensuite par

Moscovisci (1961), a connu une large diffusion et elle est devenue par

la suite une notion clé de nombreuses sciences relatives à l’Homme et

à la société. Pour Jodelet cette notion revoie à une : « Forme de connaissance courante, dite de

sens commun, caractérisée par les propriétés

suivantes : 1. Elle est socialement élaborée et

partagée ; 2. Elle a une vision pratique

d’organisation, de maitrise de l’environnement

(matériel, social, idéel) et d’orientation des

conduites et communication ; 3. Elle concourt à

l’établissement d’une vision de la réalité

commune à un ensemble social (groupe, classe,

etc.) ou culturel donné. » (Jodelet, 1991, p. 668).

Il ressort de cette définition que les représentations sociales sont,

contrairement aux savoirs scientifiques, un ensemble d’informations

dites de sens commun élaborées et partagées par un groupe social sur

un objet, un phénomène ou une situation donnée. L’auteure souligne

également, que les représentations, qui sont un produit social, se

caractérisent par trois aspects principaux.

En premier lieu ces informations assurent la communication entre

les membres de la communauté. Pour échanger et communiquer, il est

impératif de partager le même code qui sert d’intermédiaire entre les

individus et le monde qui les entoure. Les représentations assurent,

justement, la compréhension entre les sujets du même groupe social en

leur faisant partager une même façon de nommer et de répartir

l’environnement et une même vision du monde.

En second lieu, ces représentations sont une reconstruction du réel

c'est-à-dire : qu’il n’existe pas Apriori de réalité objective,

mais que toute réalité est représenté, c'est-à-dire

appropriée par l’individu ou le groupe,

reconstruite dans son système cognitif, intégrée

dans son système de valeur dépendant de son

histoire et du contexte social et idéologique qui

l’environne. Et c’est cette réalité appropriée,

restructurée, qui constitue pour l’individu ou la

groupe la réalité même. (Abric, 1994, p. 12).

Subséquemment, les représentations sociales sont une façon de

s’approprier la réalité en reconstituant cette dernière. Cette

reconstitution de la réalité, qui n’est pas la réalité elle-même, basée sur

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Hakim MENGUELLAT

186

une dimension psychosociale, s’oriente vers l’élaboration d’une vision

commune du monde propre au même groupe social.

En troisième et dernier lieu, les représentations sociales orientent les

conduites en vue de s’adapter à l’environnement et de le maitriser.

L’élaboration sociocognitive de ces connaissances pratiques permet à

l’individu de comprendre, de s’approprier son environnement, d’ajuster

ses conduites et de guider ses rapports sociaux, ce qui lui assure son

appartenance au groupe.

Donc, les représentations sociales sont le résultat d’un processus de

mise en correspondance entre un représentant et un représenté, ainsi que

le résultat de cette relation. Le sujet renvoie au représentant et le

représenté constitue l’objet, «il peut être aussi bien une personne, une

chose, un évènement matériel, physique ou social,

un phénomène naturel, une idée, une théorie, etc. ;

peut-être aussi bien réel qu’imaginaire ou

mythique, mais il est toujours requis. » (Jodelet,

op.cit., p.37).

Qu’en est-il des représentations sur les langues. ?

Place des représentations en didactique Considérer la langue comme un simple moyen de communication ne

permet pas de rendre compte de la nature et des fonctions de cet objet

social. Moyen d’intégration de l’individu dans sa communauté et outil

de transmission des savoirs et des valeurs culturelles, la langue

constitue un phénomène social de genre particulier, du fait qu’il est

objet de représentations et au même temps vecteur de ces dernières : Il existe en effet tout un ensemble d’attitudes,

de sentiments des locuteurs face aux langues, aux

variétés de langues et à ceux qui les utilisent, qui

rendent superficielles l’analyse de la langue

comme un simple instrument. (Calvet, 1993, p.

46).

De ce fait, prendre en considération les représentations des langues

revient à analyser l’image que se font les locuteurs de leur propre langue

ainsi que celles des autres et les processus cognitifs et affectifs qui

Entrent en jeu dans l’appropriation des langues. La didactique des

langues, en intégrant la notion de représentations sociales dans son

champ d’étude, a ouvert la voie à une multitude de travaux qui ont

abouti à un nouveau repositionnement théorique préconisant la prise en

charge dans l’enseignement / apprentissage de la notion de

représentation, comme le souligne Castellotti : L’hétérogénéité même de la notion de

représentation la rend alors particulièrement

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Identité plurilingue et représentations sur les langues des apprenants au…

187

opératoire et productive dans ce domaine, dans la

mesure où elle permet de rendre compte des

sources et références multiples (psychologiques,

affectives, sociales, cognitives ….) mobilisées

dans un processus d’apprentissage et

d’enseignement des langues. (2001, p.24).

La notion de représentation, de paR sa complexité et son emploi

diversifié, est donc un moyen qui permet d’expliquer et d’expliciter

l’apport des facteurs extralinguistiques qui influencent l’apprentissage

des langues. Qu’en est-il des représentations sur les langues en Algérie

et particulièrement à Blida ?

Contexte sociolinguistique blidéen Un contexte sociolinguistique renvoie à une multitude d’interactions

de tous ordres entre les sujets d’une communauté donnée. Les rapports

sociaux créés par ces interactions évoluent perpétuellement dans un

cadre physique et social déterminé. Il est à signaler également, que ces

échanges entre les individus génèrent une infinité de situations uniques

et non reproductibles. Un contexte sociolinguistique peut donc être

qualifié de terrain physique et social, limité et constitué d’un ensemble

d’éléments dont la jonction engendre des rapports sociaux complexes.

Cela dit, le fait d’évoquer le contexte sociolinguistique algérien,

sans préciser le terrain physique et social sur lesquels porte le discours

du chercheur, peut être qualifié D’entreprise hasardeuse et une

généralisation hâtive qui peut mener vers des fausses interprétations de

ce contexte que composent plusieurs terrains différents et imbriqués.

C’est pour cette raison que nous avons choisi de travailler sur un terrain

précis, à savoir la région de Blida, même si cette région, connue pour

son positionnement géographique stratégique et commercial et le

brassage et le métissage des populations, peut être répartie en plusieurs

terrains.

Complexité du terrain blidéen et représentations des langues

Avant d’aborder les représentations dans la région de Blida, il

convient de s’arrêter pour préciser que ce terrain se caractérise par une

insaisissable variation et une réalité linguistique complexe et ambiguë.

En effet, le mélange de langues, qui caractérise le discours quotidien du

locuteur blidéen, ne se présente pas comme une situation diglossique

où se manifesterait une dominance d’une langue sur l’autre. Par ailleurs,

ce discours, qui varie selon les habitudes familiales et les milieux

sociaux, est un plurilinguisme fonctionnel variable en fonction de

plusieurs paramètres également variables tels la résidence, le statut

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Hakim MENGUELLAT

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social, l’appartenance ethnique… etc. Cependant, parmi les paramètres

incontournables dans la description du terrain blidéen, nous pouvons

citer les représentations sur les langues.

Située au nord du pays, pas loin de la capitale Alger et traversée par

la route nationale n °1, la région de Blida occupe une place stratégique

en Algérie. Cette ville-garnison et agricole est convoitée par toutes les

catégories et classes sociales. Actuellement, on assiste à une

cohabitation à côté des Blidéens, des Kabyles, des M’Zab, des Algérois,

ainsi que Des gens des régions de l’intérieur du pays, ce qui a rendu

cette zone cosmopolite et a favorisé un contact et un brassage de

langues.

La rencontre ou la coexistence entre des individus venus DE

différents lieux, non seulement a engendré un parler mélangé et

complexe, maisil a favorisé la cohabitation de groupes d’individus

appartenant à des communautés différentes et véhiculant des

représentations sur les langues également différentes. Cette situation

peu étudiée nous a amené à nous intéresser à l’image que véhiculent les

élèves blidéens sur les langues, pour problématiser l’impact de ces

représentations sur leur apprentissage des langues.

En partant du constat généralement admis qu’il existe « Des liens entre des représentations

favorables à propos de sa propre langue, et des

positionnements d’ouverture vers la diversité et

l’apprentissage d’autres langues » (Moore, op.cit.,

184),

Nous allons analyser les discours de quelques entretiens semi-

directifs, recueillis auprès de quelques élèves sur les langues dans la

Wilaya de Blida, pour connaitre leurs représentations sur ces dernières.

Analyse de quelques entretiens Les discours recueillis sont extraits des entretiens effectués auprès

de plusieurs élèves inscrits dans différents collèges de la région de

Blida1.

Il se dégage des propos des élèves des attitudes et des représentations

sur les langues familiales et scolaires très controversées et

contradictoires. En effet, comme nous allons le voir dans les extraits,

l’ouverture vers les langues et les préférences envers telle ou telle

1 Il est à signaler que les extraits sont tirés des entretiens effectués auprès

des élèves de la région de Blida, qui ont servi comme corpus d’étude à notre

thèse de doctorat soutenue à l’université de Blida le 22 avril 2013, sous la

direction du Professeure Rispail Marielle. Nous précisons, par ailleurs, que la

langue des entretiens était la langue maternelle des élèves (arabe algérien ou

kabyle) et que nous avons effectué la traduction.

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Identité plurilingue et représentations sur les langues des apprenants au…

189

langue sont guidées par des considérations personnelles, familiales et

sociales très différentes.

Le premier enfant, de parents originaires de Kabylie, est né et

scolarisé à Blida. En s’appropriant le parler kabyle, cet élève affiche

une attitude positive pour cette variété par opposition à l’arabe classique

pour lequel il déclare ouvertement son désintérêt. Par ailleurs il

considère la langue française comme langue de science : Enquêteur : si je te demande de me classer ces

langues selon tes préférences ?

Élève 1 : la première c'est le kabyle

Enquêteur : pourquoi ?

Élève 1 : parce que c'est ma langue je l'aime, je

suis kabyle, c'est mon origine, après vient le

français, parce que c'est une langue de science,

l'arabe c'est la troisième parce que elle ne

m'intéresse pas trop.

Le deuxième enfant de mère originaire de Kabylie et de père

originaire de Djijel, est né et scolarisé à Blida. Il distingue l’arabe

classique, qualifié de langue, des autres variétés algériennes, utilisées

uniquement par les Algériens et qualifiées de dialectes : Enquêteur : je t’ai demandé quelles sont les

langues que tu connais, tu m’as dit l’arabe et le

français et tu ne m’as pas dit l’arabe dialectal ?

Pourquoi ?

Élève 2 : l’arabe dialectal n’est pas une langue

c’est celle des algériens, il n’y a que les algériens

qui le parlent

Enquêteur : donc pour toi ce que parlent les

algériens n’est pas une langue

Élève 2 : non, la langue, leur langue qu’ils parlent,

chacun a sa propre langue avec laquelle il parle

Enquêteur : langue ou dialecte ? Je n’ai pas

compris

Élève 2 : la langue c’est l’arabe classique, et le

dialecte c’est derja

Enquêteur : c’est quoi la différence entre eux ?

Élève 2 : la différence ?

Enquêteur : toi tu les as nommées, tu as dit ça

c’est une langue et l’autre un dialecte/ pourquoi ?

Élève 2 : parce que la langue on l’étudie

Enquêteur : et derja vous ne l’étudiez pas ?

Élève 2 : oui

Enquêteur : et y a pas d’autres différences ?

Élève 2 : il n’y en a pas / et derja on le parle ici /

dans toute l’Algérie / et la langue ils ne la parlent

pas

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Hakim MENGUELLAT

190

Enquêteur : ils ne la parlent pas ici en Algérie ?

Élève 2 : oui

Enquêteur : ils ne la parlent qu’à l’école ?

Élève 2 : oui on ne l’a pas parle qu’à l’école.

Le troisième enfant de mère originaire de Blida et d’un père

originaire de Médéa, est né et scolarisé à Blida. Tout en affichant une

attitude positive vis-à-vis du parler blidéen par rapport aux autres

variétés, il déclare que le dialecte est celui qu’on comprend par

opposition à LA langue qu’on ne comprend pas : Élève 3 : toi t’es blidéen, t’as une façon de parler

posée, légère, mais un Algérois comme si je ne

sais pas moi « wech ya kho» (quoi mon frère),

comme ça, elle est lourde, les Oranais c’est

encore pire

Enquêteur : autrement dit, tu veux me dire que

les Blidéens prononcent tout le mot et articulent

bien

Élève 3 : oui, ils prononcent bien le terme.

Enquêteur : et par exemple comme le kabyle

Élève 3 : je n’y comprends rien

Enquêteur : c’est un dialecte ou une langue ?

Élève 3 : une langue

Enquêteur : pourquoi ?

Élève 3 : parce que je ne la comprends pas, je ne

la connais pas

Enquêteur : donc une chose que tu ne

comprends pas, tu la nommes langue

Elève 3 : oui.

Cet enfant affiche également une attitude positive envers l’arabe

classique qu’il sacralise et IL souligne l’importance d’apprendre la

langue anglaise, par rapport à la langue française, qu’il classe première

mondialement : Enquêteur : si je te dis de me classer ces langues

selon leur importance pour toi

Élève 3 : moi, l’arabe classique…

Enquêteur : pourquoi ?

Élève 3 : le dialectal

Enquêteur : mais dis-moi pour quelle raison ?

Élève 3 : l’arabe c’est notre langue, celle du

Coran, de tous les arabes réunis, et le dialectal

pour communiquer avec les gens

Enquêteur : quand je te dis selon l’importance et

la valeur, c’est du genre comment tu l’aimes, pas

juste l’intérêt

Élève 3 : oui l’arabe dialectal parce que c’est

celle du milieu

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Identité plurilingue et représentations sur les langues des apprenants au…

191

Enquêteur : et la troisième ?

Élève 3 : l’anglais

Enquêteur : pourquoi ?

Élève 3 : parce que c’est elle la langue qui est

dans le monde entier

Enquêteur : et la dernière le français

Élève 3 : oui

Enquêteur : pourquoi tu l’as classé en dernier ?

Élève 3 : parce qu’ils ne la parlent pas beaucoup

Enquêteur : dans le monde ?

Élève 3 : oui dans le monde.

Le quatrième enfant, de père et de mère algérois, est né à Alger et il

est scolarisé à Blida, plus à l’aise et habitué à la langue française : il

affiche une attitude positive et une attirance envers l’arabe algérien : Enquêteur : et avec laquelle tu trouves que tu

peux mieux exprimer ce que tu ressens ?

Élève 4 : français

Enquêteur : donc cette langue / tu peux dire que

c’est la première pour toi

Élève 4 : oui je peux, mais l’arabe dialectal la

dépasse

Enquêteur : donc l’arabe dialectal en premier

Élève 4 : oui, je me sens à l’aise, comme le

français tu ne peux pas parler avec n’importe qui

en français…

Il ressort de ces quelques extraits que le profil sociolinguistique des

élèves de la région de Blida est varié et complexe. En effet, issus de

milieux différents, les élèves présentent une identité plurilingue

complexe construite différemment selon l’entourage familial et social.

Les élèves interrogés ont des attitudes et des représentations

divergentes sur les langues de leur environnement. Par exemple,

concernant leur attitude face à l’arabe classique, elle va de l’ignorance

et DE L’hostilité à la sacralisation. Même constat pour les autres

variétés, comme par exemple la variété kabyle considérée par certains

comme une langue, en affichant envers elle un sentiment d’amour et de

possession et par d’autres comme dialecte.

Ces quelques extraits de biographies langagières nous renseignent

sur l’hétérogénéité des profils sociolinguistiques des élèves de la région

de Blida. Ainsi, l’espace classe, comme la ville de Blida d’ailleurs, peut

être considéré comme un espace plurilingue où se côtoient des êtres

plurilingues véhiculant des images et rapports aux langues différents et

divergents.

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Hakim MENGUELLAT

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Conclusion À partir de ce qui précède, nous pouvons déduire que les écoles à

Blida sont un espace plurilingue où se côtoient des langues et des

cultures diversifiées. Cette diversité linguistique et culturelle génère des

représentations et des rapports aux langues hétérogènes et, parfois

mêmes, contradictoires. Cette situation est en grande partie à l’origine

des comportements différents des élèves dans la classe, ce qui nécessite

de rapprocher la relation qui existe entre l’apprentissage et les

représentations dans un milieu plurilingue comme nous le suggère

Moore : En contexte plurilingue, l’analyse des

représentations des langues et du plurilinguisme,

et de leurs liens avec l’apprentissage, laisse

entrevoir des effets de mises en relation des

langues et de transferts de compétences chez les

locuteurs ouverts au plurilinguisme et inscrits

dans des univers éducatifs qui valorisent l’atout

bilingue comme tremplin d’apprentissage.

(Moore, op. cit., p.183).

Il ressort de ce qui précède que sur le plan didactique, une prise en

charge, de la part des enseignants, des représentations et des usages

linguistiques familiaux et sociaux des élèves dans leurs pratiques de

classe pourrait permettre une maitrise de l’hétérogénéité de cet espace

plurilingue et une facilité de transfert de compétences. Il reste à

construire cette prise en charge sur le plan didactique, avec tout ce que

cela entrainerait pour la formation des enseignants en langues.

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194

Salah AIT CHALLAL Université M. Mammeri, Tizi Ouzou. Laboratoire LISODIP, ENS de Bouzaréah, Alger. [email protected]

Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans les perceptions

interculturelles. Parcours identitaires et altéritaires.

Cette communication reprend des aspects soulevés dans notre

recherche doctorale1 qui s’intéresse aux représentations socioculturelles

en contexte plurilingue. Elle part de l’hypothèse que ces dernières,

constituées en faisceaux de stéréotypes, circuleraient à travers des

circuits déterminés et façonnés, à la manière des « autoroutes » de

l’information des spécialistes de la communication, par les médias,

l’école et la famille. Elles permettraient de montrer comment se

définissent les identités et se construit l’altérité à travers « un triple

mouvement de sublimation, de projection et d’identification. » (Collès,

2004 :166), dans le cadre de croisements interculturels. Les stéréotypes,

en tant que construction de lecture (Amossy, 1991 :21-22) et imagerie

imposée par le marketing de l’activité touristique, participent d’un

préconstruit « au sens où celui-ci désigne un type de construction

syntaxique mettant en œuvre du préasserté, et, au sens plus large, où le

préconstruit se comprend comme la trace, dans l’énoncé individuel, de

discours et de jugements préalables dont l’origine est effacée… »

(Amossy, 2007 :107).

Notre corpus interroge des productions d’enfants algériens (école de

Boumerdès) et des textes d’enfants suisses (école de Fribourg) analysés

dans une recherche connexe (Ait challal, 2011). Ces croisements érigent

1 AIT CHALLAL S., (2012), Représentations ethno-socio-linguistiques et

hiérarchisation des langues en contexte familial et scolaire chez des jeunes

locuteurs algériens. Implications didactiques. Thèse de doctorat, ENS,

Bouzaréah, Alger, Juin 2012.

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Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans …

195

des paradigmes pour « lire » et « dire » le monde, selon une géographie

particulière construite avec (et autour) de visions stéréotypées.

La consigne donnée aux apprenants suisses, au nombre de

cinquante, est d’envoyer, en signe de solidarité, un dessin aux enfants

algériens victimes du séisme de mai 20032. Les productions des

apprenants algériens (50) se voulaient des réponses à ces écrits. Mais

celles-ci vont se généraliser à l’évocation d’autres pays, impliqués aussi

dans l’opération de solidarité internationale. Les informateurs avaient

le choix d’utiliser le code iconique ou linguistique ou les deux à la fois.

Il est important de faire remarquer qu’aucune contrainte d’ordre

linguistique ne leur a été imposée. Afin de faire émerger leurs

représentations concernant l’usage des langues, les élèves étaient libres

de rédiger dans la(les) langue(s) de leur choix.

Sur le plan méthodologique, notre démarche combine l’approche

quantitative (choix de pays et récurrence de certains éléments) et

l’approche qualitative, en faisant émerger des écrits et des dessins des

élèves les représentations « identitaires » et « altéritaires » que les

discours médiatique et littéraire favorisent.

Les représentations d’enfants suisses ou l’identité d’origine pour poser l’altérité

Le prisme identitaire semble déterminer la relation à l’Autre. Ainsi,

certains enfants suisses, pour parler de l’Algérie, parlent d’eux-mêmes

et se racontent. Pour Tanja, par exemple, l’Algérie est un prétexte pour

rappeler ses propres origines, avec l’énoncé « Je viens de Macédoine ».

Cette phrase, liée au contexte politique des années 1990 (guerre dans

les Balkans), pourrait suggérer un passé de souffrances.

La mise en étendard de l’identité se retrouve aussi chez Muhammet

qui rappelle son pays d’origine, la Turquie et Fabio qui évoque le

Portugal. On pourrait imaginer les tiraillements communautaristes

qu’ils vivent dans leur pays d’accueil. La religion, en tant que catégorie

mémorielle « lourde » (Boyer, 2003) permet la médiation avec l’Autre.

C’est le cas de Muhammet qui, avec cette formule de politesse

« Bonjour les Algériens » et l’expression lexematisée « Allah U

Akbar », rédigée en caractères latins, crée une sorte de proximité avec

l’Autre. Dans un autre dessin, c’est presque la démarche inverse qui est

adoptée. Son auteur met en avant la dimension graphique de l’arabe,

sans en maitriser l’aspect sémantique. L’énoncé « سلملم » (Selemlem) n’a qu’une lointaine consonance avec « islam ». L’utilisation du code

linguistique, dans un but purement sémiologique permet de mettre en

2 Cette opération a été prise en charge par l’association Terre des hommes, une

ONG suisse.

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drapeau un élément identitaire d’identification et de reconnaissance qui

renvoie, par l’imaginaire, à une identité mythique et fantasmée

nécessaire pour l’ancrage du sujet en situation de crise. C’est dans ce

sens que fonctionne aussi l’expression emblématisée « Olovivo »

(sentiment de vie) qui termine le texte de Tanja. Pour tous ces enfants,

l’appartenance « est moins un statut figé qu’une construction

identitaire, réponse évolutive à une situation socialement dominée là-

bas et pourvoyeuse d’espérance sociale ici », Zarate, 2008 :176-177).

L’imaginaire ethno-socioculturel entre stéréotypes scolaires et images médiatiques

Les images médiatiques semblent façonner la nouvelle identité

européenne à travers la manière de percevoir le pays d’accueil, comme

dans ce dessin d’un élève représentant son école avec, tout autour, les

drapeaux suisse, allemand et français. Cette identité plurielle se

retrouve aussi chez Pascal qui met le drapeau suisse au centre de son

dessin avec, à sa gauche, celui du Liechtenstein avec sa couronne ducale

et à sa droite, celui de l’Allemagne. Cette façon de se représenter

« ensemble » à l’intérieur de la « Communauté » constitue une preuve

que la représentation de la citoyenneté semble évoluer chez certains

enfants grâce au discours politique et médiatique. La Suisse, avec son

système politique participatif et une intégration plurielle, a fait, sur ce

plan-là, « un saut représentationnel », (Windisch, 2007 : 303).

D’autres éléments interviennent dans le mécanisme de

fonctionnement des auto- et hétéro-représentations et qui relèvent de

l’ethno-socioculture. Il en va ainsi des critères physiques ethno-typés

comme la couleur des cheveux et de la peau, véhiculés par « l’air du

temps » (Boyer, 2003 : 34 ). Les personnages suisses (secouristes et

médecins) sont tous blonds alors que les Algériens ont le teint basané.

C’est aussi le cas de cette vision de l’Autre toute « orientale » qui

transparait dans beaucoup de dessins. Les couleurs et les formes qui

désignent la nature algérienne n’échappent pas au prisme du stéréotype

et participent d’une représentation toute « onirique » du Sud où l’ocre,

le rouge et le marron développent une isotopie de la chaleur qui

contraste avec le froid des contrées d’Europe. Encore un stéréotype

médiatique qui fait de ces traits chromatiques, récurrents dans les

publicités et les dépliants des agences de voyage, l’emblème de

l’Afrique.

Les formes contribuent aussi à asseoir les contours de cette identité

« carte postale », dans les dessins. La hutte se décline en formes ovales

et rondes. Les mêmes couleurs et les mêmes courbes sont suggérés par

la femme noire représentée. Le gros collier autour du cou fait partie de

l’apparat dont est parée l’Africaine.

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Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans …

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Le dessin de Janice est typique de cette nature suisse avec ses

montagnes enneigées et l’aiguille de ses clochers ; de même que les

cimes peintes par Mélanie où la majesté du bleu et du blanc n’est pas

sans rappeler les paysages genevois chers à Rousseau.

Il s’en dégage une image de nature sereine, ordonnée humanisée et

domptée (Duborgel, 1994 : 84) qui tranche avec le côté sauvage et

imprévisible de L’Afrique. Là aussi les impressions sont distribuées

selon une vision exotique. Le rôle des adultes dans la construction de

ce type de représentations est important car, à travers leurs projections,

ils « pensent l’enfant lié à la nature et lui offrent alors des images de

nature sauvage ou villageoise » (Chombart de Lauwe, 1991 : 277).

Le bestiaire et la flore portent la trace de cette nature indomptée

comme dans ce paysage « algérien » fait de palmiers et de poissons, ce

majestueux saut du dauphin d’Elodie ou cette mer démontée de Yaw.

Ces images qui relèvent d’un imaginaire enfantin autant que de

stéréotypes de la vie quotidienne autorisent toutes les « alchimies ».

Aurélie fait bien se côtoyer éléphants, lions et papillons alors que Faye

emprunte au chat baudelairien toute son austérité et au grand Sphinx

d’Egypte la majesté de sa stature, même si le regard du géant laisse

couler des larmes. On sait, en tout cas, depuis Le vieil homme et la mer

d’Ernest Hemingway, roman puis film que l’espèce marine est capable

de sentiments et de raison : « garde la tête froide comme un homme ou

comme un poisson », disait le vieux Santiago à l’espadon. Mais alors,

la chute de l’albatros dans cette mer démontée de Yaw symbolise-t- elle

l’abandon face au déchainement des éléments ou le désir d’affronter les

forces de la nature dont les séismes constituent une réplique ?

Les dessins, derrière leur aspect innocent et ludique, révèlent parfois

une dimension d’humanité profonde qui permet de revenir à l’essentiel,

à l’existentiel. C’est le cas de ce tracé de marelle (jeu) qui suggère

l’échelle de Richter où la vie de l’homme se joue, et sur lequel sont

représentés la terre, le ciel et l’enfer. L’expression est doublement

symbolique : elle montre une aspiration à la verticalité « céleste », et

une trajectoire aléatoire, presque chaotique de la destinée humaine.

C’est aussi le cas du dessin de Julia représentant la Terre par l’étoile du

Petit Prince de Saint Exupéry, avec à son « bord », les êtres humains

remplissant les quatre points cardinaux ou plutôt sidéraux. Si l’image

confirme, d’une part, la prégnance des stéréotypes littéraires dans

certaines visions enfantines, elle n’en souligne pas moins leur résistance

et leur vitalité. Les dessins que nous venons de passer en revue laissent

voir des représentations plus ou moins stabilisées, fort usitées dans les

circuits du discours social. Stéréotypes littéraires et images médiatiques

sont les cribles à travers lesquels l’Autre est défini.

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Le regard reste donc prisonnier de schèmes ethno-socioculturels que

charrient les imaginaires croisés. Ils sont porteurs d’identités plurielles

qui laissent suggérer des voies (voix) intermédiaires prometteuses

ouvrant sur des espaces innovants. Des espaces qui sont en même temps

centre et périphérie, une construction complexe qui ne peut être

vraiment appréhendée que par une approche interdisciplinaire.

Les représentations d’enfants algériens à travers le circuit médiatique et migratoire

Le choix de l’Algérie comme forme d’expression première dans

les auto- représentations des enfants est, somme toute, naturel dans la

mesure où toute connaissance de l’Autre passe par la connaissance de

soi. Autrement dit, l’Autre est représenté, « vécu » même, à travers son

propre miroir. Cette démarche permet d’avoir une posture

ethnocentrique rassurante. Parmi les emblèmes récurrents, le drapeau

constitue une modalité parfaite qui fonctionne de façon minimale, avec

un champ figuratif très limité et équivoque (Boyer, idem : 25). Il

constitue, à lui tout seul, un « lieu de mémoire » et une dimension

patrimoniale essentielle à la reconnaissance du groupe. D’autres

symboles apparaissent sur les dessins comme le monument de Riadh el

Feth qui donne la réplique à la célèbre tour parisienne. Des slogans et

sigles rédigés en arabe, en français et en tifinagh soulignent une certaine

réalité plurilingue.

La représentation de la Suisse se fait à travers certains éléments de

la nature comme les montagnes enneigées. Son habitat est caractérisé

par la froideur et l’austérité, avec des maisons propres et bien rangées.

Un énoncé fonctionnant sur un mode allusif renvoie au poids de ce pays

sur la place financière internationale et à son mode de vie élevé : « C’est

bien, vous êtes riches ». Un autre montre comment on peut se construire

des représentations par la médiation d’un membre de la famille, comme

avec cet énoncé : « La Suisse est bien, j’ai mon cousin là- bas ».

La France, en dépit des liens multiples qui l’unissent à l’Algérie est

d’abord évoquée à travers des slogans touristiques : « Paris la classe »,

« Paris Chic » et « Paris top ». Ces énoncés construits sur le mode

publicitaire fonctionnent, ici, comme des slogans que les usagers

« répètent tout en respectant, consciemment ou inconsciemment, l’ordre

de leurs constituants » (Lachkar, 2007 :134).

Le drapeau tricolore se retrouve dans deux dessins, confirmant les

représentations homoglossiques des États-nations, à travers le

syncrétisme : un pays = une langue = un drapeau. La représentation de

la France par Zidane montre comment la « mythification » l’élève en

image patrimoniale de l’hexagone autant que Jeanne d’Arc ou le

beaujolais. C’est aussi le cas de l’ancien Président Chirac, montré dans

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Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans …

199

une posture médiatique (entouré de micros). La reproduction de cette

posture au plan vestimentaire (costume et cravate) et comportementale

(position centrale et forme de rigidité) illustre la finesse des

observations de certains signes liés à la fonction présidentielle

(Bourdieu, 1982 :132-133) et souligne l’impact des images télévisuelles

dans la formation des stéréotypes médiatiques. De même, la lettre qui

lui est adressée : « De la part de Amin à Jacques Chirac », pour le

remercier, semble marquer une certaine proximité que la

(sur)médiatisation du personnage explique.

La référence à l’Espagne se justifie par une certaine proximité avec

l’Algérie, surtout dans cette région agricole qu’est Bordj Menael qui a

vu nombre de ses jeunes s’expatrier en pays ibérique. Ce n’est pas un

hasard si le nom d’Alméria, grenier de l’Espagne apparaît, sur les

dessins. Les jeunes émigrés alimentent, par leurs récits, l’imaginaire des

enfants. D’où cet énoncé : « Je veux connaitre le français pour aller en

Espagne ». La (re) connaissance de ce pays se fait aussi à travers une

autre entrée : le football avec Barcelone et le Real, ce qui confirme

l’impact des chaînes de télévision sur eux.

Le Canada exerce sur les jeunes algériens beaucoup d’attirance pour

plusieurs raisons qui tiennent, en fait, à son éloignement, « Canada

biida » (Le Canada est loin), et sa capacité d’intégration des étrangers.

Il constitue, de ce fait, un horizon non familier, presque inaccessible qui

fait rêver. L’évocation, ici, de cet espace lointain « prend une visée

fortement conative ou dialogique » (Pioffet, 2007: 221) nourri en cela

par les narrations familiales. Il est représenté sur les dessins par le

drapeau et la feuille d’érable. L’évocation de cet espace lointain est

alimentée par les narrations fantasmées des adultes.

Conclusion Ce dialogue « Nord-Sud » via les représentations montre combien

les discours produits présentent, par certains de leurs aspects, des

différences. Ces dernières apparaissent dans les outils mis en jeu pour

représenter l’univers de l’Autre parce que le regard ne s’abreuve pas

aux mêmes sources de l’imaginaire. Les représentations des enfants

suisses sont empreintes d’images d’un orient rêvé, presque onirique

dans la pure tradition des canons stéréotypés du grand siècle. Les

couleurs, autant que les images du bestiaire, témoignent de ce regard

exotique construit aussi bien par la littérature dite viatique que les

dépliants des agences de voyage. Les pratiques culturelles telles que la

lecture et la disponibilité du livre semblent être à la base de cet héritage.

Les enfants algériens ont aussi leur « Sud » même si

géographiquement, il se trouve au Nord. Leurs représentations se

caractérisent par l’absence de référence au bestiaire, ce dernier

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Salah AIT CHALLAL

200

n’occupant pas la même place dans leur imaginaire socioculturel. Leurs

représentations sont médiatiques et empruntent parfois à la littérature

orale. Elles sont tissées par les narrations de sagas familiales qui

restituent les parcours des routes de l’émigration prises par les ainés.

Dans la mouvance de leurs héros expatriés, les enfants traversent, par

l’imaginaire, des territoires et des villes. Ce rêve de grands espaces

n’exprime ni une envie de puissance ni un désir de combler un vide

existentiel. Il pose juste la primauté des nécessités économiques sur

l’exutoire. Quant aux ressemblances entre les enfants algériens et

suisses, elles tiennent à la façon de mettre en étendard des identités

individuelles et groupales pour poser l’altérité. Les langues et les autres

segments de la culture sont perçus comme des marqueurs mais aussi des

médians dans la perception de soi et de l’Autre ; une perception que le

discours adulte et positif façonne par les représentations.

Bibliographie

Ait Challal S., (2011), « Représentations croisées et perceptions

interculturelles en construction », in Estève I. et al. (éd.) Autour des

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identitaire des jeunes issus de l’immigration », in Le français dans le

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p.84

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Stéréotypes littéraires et images médiatiques dans …

201

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Samira RABEHI Université de Sétif 2 [email protected]

Image des langues-cultures et motivation

en classe de FLE : Former à la rencontre de l’Autre.

Confronté d’un coté à la langue à apprendre et d’une première

langue qu’il connaît déjà, et de l’autre à sa culture d’origine et celle de

langue à apprendre, l’apprenant analyse, raisonne et établit des

comparaisons entre la langue-culture source et la langue-culture cible.

Cela dit, qu’est-ce qui le motive à s’investir ou non dans l’apprentissage

d’une langue-culture en classe de FLE ? Qu’est-ce qui freine ou anéantit

son désir d’apprendre et ses efforts ? Quel peut être le rôle d’Internet en

classe de FLE lors d’une approche culturelle ?

Pour y répondre, nous envisageons Internet comme outil pouvant

faciliter l’accès à des savoir-faire en culture et civilisation en combinant

le son, l’image et le texte. Il s’agira également de veiller à introduire

des activités motivantes visant une situation de communication avec un

réel enjeu : tâche à résoudre, interaction entre les interlocuteurs tout en

évitant une lecture seule sur écran.

Aussi, l’hypothèse prévoit-elle qu’Internet et la variation des

documents en classe de FLE seraient l’objet d’une augmentation de la

motivation et de l’intérêt pour l’enseignement d’un contenu culturel qui

mènera l’apprenant à la rencontre de l’Autre.

La notion de culture Le besoin fondamental d’un apprenant d’une langue étrangère est

de connaître la culture véhiculée par cette langue. La connaissance de

la culture est nécessaire à l’apprentissage de la langue, comme la

connaissance de cette dernière est nécessaire à l’accès à la culture.

De ce qui précède, il convient de prime abord, de définir le terme

« culture ». Commençons par la définition donnée par le grand

dictionnaire encyclopédique Larousse pour montrer que la culture est la

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Image des langues-cultures et motivation en classe de FLE : …

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civilisation d’un groupe humain, « ensemble de caractère propre à une

société donnée »1.

La culture est aussi selon le dictionnaire de didactique de français

langue étrangère et seconde «un concept qui peut concerner aussi bien

un ensemble social qu’une personne individuelle ; c’est la capacité de

faire des différences»2 . Il est donc nécessaire de remarquer qu’il n’est

pas question de transmettre et de défendre les valeurs d’une société

supérieure, mais de comprendre et de reconnaître et respecter les

différences.

D’après une autre définition donnée par (Warnier, 2004), la culture

est définie comme : « la boussole d’une société, sans laquelle ses

membres ne sauraient ni d’où ils viennent ni comment il leur convient

de se comporter». Il ajoute à ce sujet en précisant : La culture comme boussole ne dicte pas la

route à suivre. Par contre, elle permet de la suivre

avec constance .C’est une capacité à mettre, en

œuvre des références, des schèmes d’actions et de

communication. C’est un capital d’habitudes

incorporées qui structure les activités de ceux qui

le possèdent.

Aussi en partant de ces deux définitions, nous considérons que la

culture est ce qui nous permet de distinguer entre telle chose et telle

autre ou ce qui nous distingue de tel groupe social ou de tel autre. C’est

aussi ce qui permet de nous orienter et de conditionner notre

comportement. Elle est ce qui constitue le fond de chaque société avec

sa langue ou ses langues, ses traditions, sa mosaïque d’ethnies et toutes

leurs composantes raciales, linguistiques et confessionnelles.

Enseigner la culture savante ou la culture anthropologique ?

Enseigner les langues étrangères notamment le FLE3 dans une

perspective interculturelle c’est tenir compte d’une diversité au sein

d’une classe de par sa constitution alliant une panoplie de culture et/ou

identités. Cela dit, il est nécessaire de distinguer deux composantes de

la culture, et de faire la différence entre la culture savante et la culture

anthropologique.

La culture savante, c’est la littérature, la musique, les arts, mais

c’est aussi les façons de vivre et de se conduire. Cette culture nommée

également la culture cultivée d’après (Porcher, 1995) ; elle occupe une

place importante dans une société, elle a été pour longtemps le seul

modèle enseigné, et cet enseignement ne correspond pas aux besoins

ressentis par les apprenants étrangers, Il s’agit d’acquérir une culture

comportementale.

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Samira RABEHI

204

La culture anthropologique ou partagée, c’est cette culture dont

Porcher montre l’importance, et cette culture qu’il faut introduire dans

l’enseignement. Une langue ne sert pas seulement à communiquer.

C’est aussi une manière de s’identifier.

Cependant cette culture anthropologique constitue une difficulté

dans l’apprentissage des langues étrangères. La didactique semble

actuellement incapable de faire accéder l’apprenant à la culture partagée

pour un natif, l’accès à la culture anthropologique est acquis dans le

milieu familial ; ce n’est pas l’école qui lui dispense cet enseignement ;

mais grâce à des moyens appropriés, il peut être acquis par des étrangers

à l’école.

En contexte algérien, nous sommes loin d’enseigner la culture

partagée, ce qui se traduit toujours par l’ennui des apprenants et par un

échec. C’est (Pothier, 2003) qui écrit ainsi : Si l’on retient l’idée que la culture partagée est

la clé et d’un certain nombre de comportements

sociaux collectifs et individuels, une compétence

culturelle plus axée sur cette culture partagée

devient incontournable pour l’apprenant étranger

(appelé à vivre dans le pays cible ou être en

contact avec des natifs), s’il veut véritablement

comprendre et être compris sans malentendus

interculturels.

Quelques éclairages sur le concept de représentation La notion de représentation est de plus en plus présente dans le

champ d’étude sur les langues étrangères. Elle peut se concevoir comme

étant un système perceptif où les opinions, les règles, les croyances, les

attitudes et les valeurs sociales sont en perpétuelle interaction. Les

représentations peuvent être positives ou négatives, les premières

s’expriment par des attitudes xénophiles, des comportements et des

pratiques d’ouverture à l’autre, tandis que les secondes s’expriment par

des attitudes xénophobes, des comportements de règles et de rejet de

l’autre.

Dans une perspective anthropologique, (Laplantine ,1989) propose

la définition suivante de la représentation : C’est un savoir que les individus d’une société

donnée ou d’un groupe social élaborent au sujet

d’un segment de leur existence ou de toute leur

existence. C’est une interprétation qui s’organise

en relation étroite ou social et qui devient, pour

ceux qui y adhérent, la réalité elle-même.

Pour cet auteur, la représentation traduit la nature des rapports

qu’ont les individus avec leur environnement, et apporte un éclairage

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Image des langues-cultures et motivation en classe de FLE : …

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sur les lieux sociaux, les relations intra et intergroupales. Elle devient

donc un atout principal dans la connaissance des éléments décisifs dans

la réalisation des actes et des pratiques sociales.

En didactique des langues, le concept de représentation a été utilisé

pour traiter des systèmes cognitifs qu’un sujet mobilise face à une

question ou à une thématique, qui a été sujette à un enseignement ou

pas. En ce sens, (petit jean, 1989) définit la représentation comme étant

une activité sociocognitive et discursive à travers laquelle tout individu

opère une interprétation des objets du monde, et les représentations,

« comme les produits de la pensée ordinaire, telle qu’elle se matérialise

dans les croyances, les discours et les conduites des individus ».

Ainsi, la prise en compte des représentations des divers acteurs tels

que les enseignants, le système scolaire, milieu familial, etc., peut ainsi

débloquer des situations d’apprentissage difficiles. Cette approche

interculturelle favoriserait la remise en cause de certains

comportements, la prise de positions des apprenants, et la comparaison

entre les cultures dont le but est d’introduire une forme de relativisme

culturel, dans le sens où il n’y a pas de supériorité d’une culture sur une

autre.

Quel intérêt pour l’interculturel en didactique du FLE ? L’apprenant du français langue étrangère doit impérativement

ajouter à ses compétences générales la présence d’une conscience

interculturelle, cela lui facilite la communication dans différentes

situations d’échange, mais aussi parce qu’elle représente un enjeu

éthique.

Dans le domaine éducatif, nombreux sont les didacticiens qui

relient l’interculturel à l’éducation et lui accordent une place privilégiée

et un intérêt important. À ce propos Abdallah- Pretceille) définit

l’interculturel comme « une construction susceptible de favoriser la

compréhension des problèmes sociaux et éducatifs, en liaison avec la

diversité culturelle ».

D’après (De Carlo ,1998), l’approche interculturelle peut donner

actuellement une réponse possible au défi lancé par les nouveaux

scénarios socioculturels : L’emploi du mot "interculturel" implique

nécessairement, si on attribue au préfixe "inter" sa

pleine signification : interactions, échange,

élimination des barrières, réciprocité et véritable

solidarité. Si au terme "culture " on reconnaît toute

sa valeur, cela implique reconnaissance des

valeurs, des modes de vie et des représentations

symboliques auxquels les êtres humains, tant les

individus que les sociétés, se réfèrent dans les

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Samira RABEHI

206

relations avec les autres et dans la conception avec

le monde ».

Ainsi, pour aborder l’interculturel, il ne s’agit pourtant pas d’inciter

à un mimétisme de comportements. L’interculturel se réalise par

l’exercice et l’expérience dont les finalités de la formation sont la

compréhension des points de vue différents et leur rapprochement. Or

pour l’épanouissement social et intellectuel de l’apprenant, il faut

l’initier à la tolérance et à l’acceptation de l’Autre, et à la diversité

linguistique et culturelle en installant chez lui des savoirs, savoir- être

et savoir-faire qui lui permettront de trouver l’équilibre entre son

identité, ses convictions et les nouveaux acquis de la culture étrangère.

Favoriser la motivation des apprenants en contexte interculturel

Tout apprentissage passe par l’affectif car la motivation des

apprenants est en lien direct avec les émotions qu’ils ressentent

lorsqu’ils sont plongés dans une situation ou une activité scolaire.

Quand les apprenants ressentent du plaisir et de la fierté dans ce qu’ils

font, ils persévèrent pour comprendre les nouveaux apprentissages et

les transférer dans de nouveaux contextes. Pour (Viau ,1994) « La motivation en contexte scolaire est un état

dynamique qui a ses origines dans la perception

qu’un élève a de lui – même et de son

environnement et qui l’incite à choisir une

activité, à s’y engager et à persévérer dans son

accomplissement afin d’atteindre un but ».

À travers cette définition, nous précisons les termes importants :

— L’état dynamique signifie que la motivation change de manière

incessante.

— La perception de l’élève renvoie à l’image qu’il a de lui.

— La perception de l’environnement fait appel aux visions qu’il a

de l’extérieur.

— Le but à atteindre est la visée de l’élève.

Pour motiver les apprenants à développer leurs habiletés

langagières, les enseignants s’assurent que les sujets et thèmes sont

significatifs ou familiers pour eux et reflètent leurs champs d’intérêt.

En outre, il importe d’établir un rapport de confiance avec chaque

apprenant et valoriser les accomplissements personnels ou sociaux de

chacun ou chacune.

Dans une perspective interculturelle, il semble donc que

l’enseignement / apprentissage doit agir tôt auprès des apprenants. Il

existe déjà des activités en classe de langue qui développent chez

l’apprenant une meilleure conscientisation de sa propre culture et de

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celle des autres, dans le but d’opérer une sorte de décentralisation. Mais

il faudrait que les cours commencent encore plus souvent par des

activités interculturelles, voire par une mise en évidence des

représentations que les apprenants se sont faits sur la langue étrangère.

D’un côté, ces représentations peuvent motiver l’apprenant, car il va

apprendre la langue étrangère et s’ouvrir à une autre culture. D’un autre

côté, elles peuvent aussi le démotiver, conduire à un rejet culturel. Dans

certains cas, elles peuvent même engendrer des réactions racistes, de

l’incompréhension fondamentale et des malentendus fatals.

Ces représentations se fondent bien sûr en partie sur l’histoire, les

relations conflictuelles entre les pays. Si nous nous penchons sur le cas

de l’Algérie, il faut bien connaître que la plupart des représentations

faites par les algériens à l’égard des français sont liées à l’histoire, aux

conflits entre les deux pays. Contrairement à ce que nous pouvons

croire, les jeunes algériens peuvent pourtant également avoir des

représentations positives, allant jusqu’à une idéalisation de l’Autre et

de sa culture. Une approche interculturelle dans ce contexte semble

donc plus que nécessaire car elle sert à discuter les représentations, à

les révéler et à les travailler sans pour autant les éradiquer

complètement. Le rôle de l’enseignant du FLE paraît ainsi d’autant plus

essentiel car celui-ci doit miser sur la nécessité de comprendre les

autres, inculquer le respect des autres et éloigner les préjugés en

détectant les représentations dans le discours et le comportement des

apprenants pour les aider à devenir plus tolérants vis-à-vis d’autres

peuples.

L’apport des TICE4 dans le domaine interculturel À l’ère de la mondialisation et du contact de la diversité culturelle,

nous parviendrons aujourd’hui à attester qu’il est impossible

d’enseigner une langue étrangère en faisant abstraction de l’importance

de l’Internet qui semble être un excellent support pour découvrir et se

confronter à cette diversité. En effet, l’utilisation des TICE procure de

nouvelles alternatives à l’enseignement/apprentissage en général, mais

également dans le domaine interculturel. Une mosaïque de document

est désormais disponible tant pour le formateur que pour l’apprenant.

Tout d’abord, les images sont pourvues de données diverses

sociales et culturelles, et transmettent des contenus contextuels

facilitant et étendant l’accès à la situation de communication et son

assimilation par l’apprenant. Ensuite, cette diversification est renforcée

par les nouvelles compositions potentielles entre les images, le son et

les textes.

Les textes, quant à eux, prennent une nouvelle épaisseur grâce à

l’hypertexte. Enfin, les TICE sont aussi le moyen d’atteindre divers

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Samira RABEHI

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types de discours tant oraux qu’écrit tels que les productions

cinématographiques et des médias, textes scientifiques ou publicitaires.

Ces éléments, ne peuvent qu’étendre, étayer, voire modifier, les

approches culturelles et pédagogiques.

En quoi la rencontre de l’Autre est-elle importante ? La nécessité de préparer nos apprenants à la rencontre de l’Autre

nous semble inéluctable dans un contexte de mondialisation et de

mobilité académique. Ainsi, notre préoccupation majeure, aujourd’hui

ne consiste plus à transmettre uniquement un savoir langagier ou

culturel dans la langue cible, mais également à préparer les apprenants

du FLE à la rencontre de l’Autre de ladite langue.

Sous cette perspective, l’internet peut-il justement être un

instrument d’échange et de sensibilisation à l’altérité ?

Ce sont ces points préliminaires qui nous permettront de proposer

des pistes pédagogiques pour mettre en exergue la dimension

interculturelle dans l’enseignement du français langue étrangère.

Pistes pédagogiques Compte tenu de ce qui précède, il semble judicieux de proposer des

pratiques pédagogiques intégrant le recours aux divers documents

authentiques et notamment celles fournies par les TICE qui aident à

décrypter des situations de communication.

Pour ce faire, des activités favorisant, sans jugement, la prise de

conscience par l’apprenant de ses appartenances culturelles ou

l’élaboration de projets communs qui peuvent contribuer à transcender

les différences.

Les contes, la bande dessinée, les multimédias sont alors autant de

supports qui pourraient servir de base de travail pour développer cette

compétence interculturelle et instaurer dans une classe, dans un groupe,

un climat de confiance et de respect. Cela nécessite donc de travailler

avec les apprenants sur l’image de l’Autre, la décentration et l’ouverture

voire la tolérance envers d’autres modes de vie et de repères

socioculturels en nous inspirant de la démarche interculturelle qui se

décline en trois phases :

— Se décentrer : arriver à objectiver sa propre vision du monde et

admettre l’existence d’autres regards,

— Se mettre à la place de l’Autre,

— Coopérer : entreprendre la démarche d’essayer de comprendre

l’Autre, parvenir à décoder et interpréter le message transmis.

Pour mettre en œuvre la démarche citée ci-dessus, nous aimerions

proposer des documents numérisés et les consignes que nous

proposerons porteront sur la compréhension des situations de

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209

communication dans leur globalité. Ainsi, à travers l’observation et

l’étude des productions des apprenants, orales et/ou écrites qui feront

suite à l’étude des dits documents, nous pourrions nous rendre compte

des représentations, des idées préconçues ou encore de l’absence

d’informations pertinentes concernant le rapport à l’Autre. Cela nous

amènera à utiliser la méthode du photolangage via internet qui consiste

en une compilation de documents photographiques utilisés dans

différents contextes parmi lesquels le travail sur l’expression et le

partage des représentations de l’Autre et celles de l’apprenant et ce, en

proposant un projet d’échanges interculturels en ligne afin de faire

entrer nos apprenants en contact avec les natifs de la langue cible.

Ce travail coopératif leur permettra donc d’observer, d’analyser, de

comparer des matériaux similaires provenant de leur cultures

respectives, d’en explorer le sens à travers les points de vue de l’Autre.

Pourquoi travailler avec les contes ? Les contes génèrent des récits de vie quotidienne, questionnements,

tentatives d’explication de faits culturels. En tant qu’œuvre littéraire, le

conte permet d’aborder les problèmes les plus graves qu’affronte une

société, à commencer par celui des rapports entre ses membres, chacune

les traitant à sa manière.

En effet, il y a des contes partout suffisamment universels et

spécifiques pour dire les ressemblances, comme les différences, pour

dire l’origine et en même temps l’intégrer dans un système ouvert de

transformation. Il favorise ainsi une éducation aux droits de l’homme.

Pourquoi travailler avec les bandes dessinées ? Symboles, images, bandes dessinées, dessins animés tiennent une

grande place dans l’imaginaire des jeunes, les bandes dessinées

permettent d’aborder des thèmes divers à travers des supports écrits qui

peuvent ne contenir que très peu de texte, mais dont les éléments non

verbaux servent de base au travail sur l’interculturel.

Dans un groupe, les différences d’interprétation des images peuvent

être nombreuses, chacun est alors amené à prendre conscience que sa

perception du monde et de ce qui l’entoure n’est pas forcement que celle

des autres.

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Samira RABEHI

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Pourquoi travailler avec les médias ? Dans les médias, nous trouvons de nombreux articles qui présentent

des événements ou des reportages liés à l’international ou à des cultures

diverses permettant de déclencher des activités d’échange entre les

apprenants et les natifs de la langue cible. En effet, les propositions

d’exploitation des articles sont d’une grande importance dans

l’apprentissage en autonomie ainsi que dans l’élargissement de la vision

du monde de la classe.

Conclusion Pour conclure, nous dirons qu’une approche interculturelle et

comparative faisant appel aussi bien à la culture d’origine qu’à la

culture cible, est préférable pour la connaissance de l’autre et de soi.

C’est pourquoi les TICE sont conçus comme les supports idéaux pour

permettre des interactions et échanges riches et variés alternant

messages instantanés, mutualisations de documents, envois des textes,

photos ou vidéos, etc.

Cela demande également que l’enseignant motive et incite

l’apprenant à comprendre les points de vue différents et leur

rapprochement en l’initiant à la tolérance et à l’acceptation de l’Autre.

Note : 1Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse 1982, p.28. 2Dictionnaire de didactique du français, sous la direction de

Jean-Pierre Cuq, Ed. Jean Pencreac’h, Paris, Clé

International, 2003. 3FLE : Français Langue Etrangère. 4TICE : Technologies de l’Information et de la

Communication pour l’Enseignement

Bibliographie ABDALLAH-PRETCEILLE, M. (1996). Éducation et

communication interculturelle. Paris : Armand Colin.

DECARLO, M. (1998). L’Interculturel .Paris : Ed. Clé

International.

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France contemporaine réexaminées à la lumière d’une expérience

brésilienne. In JODELET, D., Les représentations sociales. Paris :

PUF : 297-318.

PETIT JEAN, A. (1989). Enseignement/apprentissage de l’écriture

et transposition didactique 97- 98. Metz

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Image des langues-cultures et motivation en classe de FLE : …

211

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Hachette.

POTHIER, M. (2003). Multimédias, dispositifs d’apprentissage et

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Ed. La Découverte.

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AXE 4

LES NOUVELLES ÉCRITURES

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Hatem AMRANI Université de Blida 2 [email protected]

Le bris entre Verre cassé et Babyface

Le roman est un genre qui se cherche incessamment. Il constitue une

sorte de réceptacle de voies (voix) différentes. Ecrire un roman c’est en

grande partie en déplacer les contours, déjà très incertains. En ce sens,

la notion de livre total, établi, prédéfini est rejetée par nombre

d’écrivains. Une œuvre est composition, comme nous allons le voir.

Beaucoup d’auteurs privilégient la forme éclatée, qui leur semble

esthétiquement rentable. En effet, dans les deux exemples que nous

proposons de comparer, il y a deux sortes de fragmentations

intéressantes du discours. Il convient donc de voir dans Verre Cassé1

d’Alain Mabanckou et dans Babyface2 de Koffi Kwahulé, comment se

présentent ces deux conceptions de l’écriture très innovantes.

Verre Cassé ou les discours en chœur Dans Verre Cassé, le bris se présente dans sa dualité, tout comme un

éclat, qui recèle à la fois un état fragmentaire et une dimension

de brillance et de splendeur. Le bris dans sa brillance attire la vue,

l’égaye de son éclat, embellit le paysage. Ce serait l’effet que produit

l’usage de l’intertextualité dans ce roman.

Les titres appelés s’intègrent dans le discoures et recouvrent deux

réalités complémentaires. D’une part la référence à l’œuvre qui porte le

titre cité, rappelant ainsi son essence, et permettant au lecture de

revisiter son monde mnémonique ; et d’autre part, en vertu même de

l’absence de typographie italique, le titre en question ‒ qui n’est autre

qu’un fragment de discours ‒ prolonge le sens des phrases qui le

précédent et qui le suivent comme s’il en faisait intégralement partie.

Le rapport entre le titre, en tant qu’objet cité, et le texte citant est

donc très particulier. D’abord le texte source fait écho, en répétant le

titre en son sein, à l’œuvre citée. Ensuite, comme le conçoit

Compagnon, dans La seconde main, « construire un énoncé en parlant

1 MABANCKOU, Alain, Verre Cassé, Paris, Editions du Seuil, 2005. 2 KWAHULÉ, Koffi, Babyface, Paris, Gallimard, 2006.

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Le bris entre Verre casse et Babyface

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d’une autre énoncé, le prendre pour objet, ne serait-ce que par un geste,

haussement d’épaules ou froncement des sourcils, fait passer au

métalangage »3. Le texte cité, dès lors qu’il est placé au sein d’un

discours, et joue une fonction dans le texte source, devient un objet du

discours citant, qui se l’approprie.

Les titres qui traversent le livre sont des preuves d’érudition, leur

présence est signifiante à plus d’un égard. Un clin d’œil intellectuel et

une connivence en savoir entre l’auteur et le lecteur se mettent en place

à travers cette allusion. Les œuvres de la littérature universelle attirent

l’attention sur leur dimension symbolique, et rappellent l’essentiel de

leurs histoires. Car « le titre, selon Genette, est comme un nom

d’animal, fait index : un peu pédigrée, un peu acte de naissance »4.

L’instance titulaire évoquée dans un autre texte, fait donc re-naître

l’œuvre en celui-là, en rappelant, pour ainsi dire sa « généalogie ».

Chaque récit suggéré contenu dans la forme concise d’un titre se

greffe au récit initial. Si bien que le récit enchâssant s’étoffe, en plus de

sa propre richesse esthétique, des différentes allusions qui semblent, en

ce sens, être autant de pierres précieuses, de nature de couleur et de

formes différentes qui apportent chacune une touche supplémentaire à

la joaillerie romanesque.

L’hétérogénéité de ladite pratique avec cette étendue, charge le texte

en sens et en symbolique tout en mettant la mémoire du lecteur

agréablement en éveil. Le texte instaure avec celui qui le découvre une

sorte de jeu de découverte/interprétation de chaque parcelle textuelle,

qui peut cacher une allusion qu’il convient de retrouver. Selon la

taxinomie de Genette, on pourrait dire qu’il s’agit dans Verre Cassé

d’une parodie. Parodie titrologique propre à Verre Cassé. Car, dès lors

le texte cité est présent dans le discours citant sous une forme modifiée,

ce changement est interprétable, il s’agit d’un effet ludique dont

l’intention est parodique.

Il n’y a pas de distinction visuelle entre le texte et le titre cité,

comme le stipule l’usage courant de la citation : signalée par des

caractères en italique ou soulignés. Il y a en cela transformation de la

nature titulaire. Le discours cache, à travers la typographie normale (ni

italique ni soulignée), les titres. L’indice typographique disparait au

profit d’un décryptage incessant de chaque passage lu. La mémoire est

sollicitée, mais aussi la faculté chez le lecteur de détecter les indices qui

pourraient l’aider à retrouver l’effet caché. Ce qui rend ce jeu plus

plaisant, c’est le fait de l’absence de la ponctuation dans Verre Cassé

3 COMPAGNON, Antoine, La seconde main, ou le travail de la citation,

Paris, Editions du Seuil, 1979, p. 82- 83. 4 GENETTE, Gérard, Palimpsestes, Paris, Editions du Seuil, 1982 ; p. 45.

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Hatem AMRANI

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dont on n’a gardé que la virgule, en ce sens, on pourrait parler de roman-

phrase ininterrompue.

L’aspect ludique de la pratique dialogique dans Verre Cassé

devient, à mesure que la trame romanesque se déroule, un facteur

savamment redondant, conférant au texte des humeurs propres,

adéquates à des contextes particuliers. Ainsi pour atténuer la gravité

d’une situation d’injustice, ou pour diminuer l’aspect tragique d’une

scène, le texte détend l’atmosphère en remettant en place le processus

de lecture ludique et du déchiffrement mnémonique.

Mais cette pratique semble s’étendre au-delà de la dimension

ludique. En effet, on pourrait retrouver un autre versant à la pratique

citationnelle dans Verre Cassé : le bris en ce qu’il est rupture du tout,

de l’unité textuelle.

Les multiples renvois vers d’autres livres empêchent le récit

enchâssant de se dérouler dans le temps, comme l’aurait fait un texte

dirions-nous « ordinaire », au profit de petits récits enchâssés, contenus

avec force dans leurs titres respectifs. On est en face d’un phénomène

de dualité discursive assez étonnant.

Genette affirme dans Seuils que, « comme toute autre instance de

communication, l’instance titulaire se compose au moins d’un message

(le titre lui-même), d’un destinateur et d’un destinataire »5. Ces deux

derniers étant évidents, il convient de s’intéresser au message littéral du

titre. Si l’on considérait le titre, au premier degré, comme une phrase,

une expression, ou une série de mots doués de sens, (sans tenir compte

de la symbolique titrologique), on constate alors que dans Verre Cassé

la signification des mots de chaque titre correspondent, dans

l’ensemble, au récit en question. Prenons cet exemple.

L’Imprimeur personnage remarquable dans Verre Cassé a vécu en

France, et s’enorgueillit de ce séjour extraordinaire. Il était responsable

de la mise sur papier de plusieurs magazines, d’où son sobriquet

L’ « Imprimeur ». De retour en Afrique après un échec amoureux, il

raconte ses exploits et vante les responsabilités qui lui ont été confiées,

dans ce poste, aux gens du quartier qui sont toute ouïe. J’embauchais donc les Blancs, les Jaunes et

tout et tout, et je les mélangeais avec les autres

damnés de la Terre, donc des Nègres comme moi,

on se comptait sur le bout des doigts (p. 67)

Ce personnage était donc très important et ne faisait pas de

distinction raciale en embauchant les travailleurs, parmi lesquels il y

avait des « damnés de la Terre ». L’allusion au titre de Fanon est

manifeste. On constate cependant que les gens concernés par

5 GENETTE, Gérard, Seuils, Editions du Seuil, 1987, p.70.

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Le bris entre Verre casse et Babyface

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l’expression « damnés de la Terre » sont précisés par le narrateur : ils

sont des immigrés de couleur noire, comme l’est l’Imprimeur lui-même.

Nous pouvons remonter aux raisons de cet emploi particulier en

évoquant la question de l’immigration en France. Une meilleure

connaissance des œuvres de Mabanckou (notamment Bleu-blanc-

rouge, Black Bazar, Tais-toi et meurt) pourrait aussi être utile. Mais en

sommes, les termes sont assez éloquents, et se suffisent à eux-mêmes.

Il s’agit de gens marginalisés, sans droits et qui partent en Europe, le

plus souvent par crainte sur leur vie, mais qui n’arrivent pas à réussir et

deviennent des « damnés de la Terre » à force d’être démunis de tout

droit civique.

Toute cette signification est tirée de la mise en contexte des mots

« damnés de la Terre » avec la situation d’énonciation. Un lecteur qui

ne saurait pas que ces mots renvoie aussi à un livre de Frantz Fanon,

arriverait quand même à percevoir le sens de l’expression et détecter la

valeur de l’emphase, dans le passage.

Cependant, et c’est à ce niveau que le discours de dédouble, si le

lecteur reconnait l’allusion, et à plus forte raison, s’il a lu l’ouvrage en

question, plusieurs niveaux de la signification se présentent à (en ?) lui.

La référence à ce roman nous transporte dans une ère révolue, mais non

oubliée, celle de la traite négrière et de la colonisation. Nous nous

rappelons les misères et les injustices qu’ont subies les colonisés lors

d’une Grande Nuit coloniale qui a duré plus d’un siècle, à laquelle nuit

l’on pourrait ajouter en fond tout un hiver pluriséculaire de traite que le

titre évoque malgré son laconisme. Il est facile pour un lecteur

connaissant Les Damnés de la Terre6 de Fanon de comprendre la

profondeur de l’allusion et peut aussi repérer la valeur symbolique de

la transposition géo-temporelle.

Compagnon constate que « la logique réprouve la coexistence dans

un même discours d’expression d’un langage-objet et d’un

métalangage, car cela crée une équivoque, à l’origine de nombreux

jeux de mots, entre deux valeurs du même mot ou de la même

expression »7. Il s’agit dans Verre Cassé d’une logique propre à ce

roman, où l’équivoque et le jeu de mot sont monnaie courante, et cette

coexistence, « réprouvée » est au service d’un style. La formule titulaire

et le texte citant entretiennent une dimension esthétique dissimulée au

premier regard. Il s’agit, pour reprendre les termes de Bakhtine d’un

6 FANON, Frantz, Les damnés de la Terre, (Editions Maspero) Editions

Anep, (1961) 2006. 7 COMPAGNON, Antoine, La seconde main, ou le travail de la citation,

Op. Cit., p. 83.

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échange dialogique entre deux textes, qui n’a de valeur ni de présence

que chez lecteur, le temps que dure la lecture.

Grâce à cette intersection des significations : littérale, ensuite

titrologique, et en dernier lieu symbolique, le texte démultiplie les voies

de son interprétation et se présente avec un fond particulièrement

enrichi. À travers quelques mots seulement, plusieurs récits se

rejoignent : le palimpseste n’a jamais été aussi présent. Comme si, le

temps de la lecture de ce titre, le lecteur de Verre Cassé lisait deux livres

en même simultanément, et que chacun de ces deux ouvrages

complétait le sens de l’autre. La lecture de l’un se prolonge dans l’autre.

Le lecteur seul peut les faire se réfléchir, en faisant se rejoindre les

différentes voix qui interviennent. L’Imprimeur effectue un saut, dans

l’espace et dans le temps, et devient un personnage dans Damnés de la

terre. C’est à ce moment que l’allusion recouvre toute sa profondeur.

Cette dualité provoque la rupture du prolongement « normal »,

« habituel » du texte. Ce qui remet en question la conception déjà

réfutée par Barthes, dans ses Essais critiques de ce qu’il appelait le

livre-messe « (…), dont il importe peu qu’elle soit dite avec piété

pourvu que tout s’y déroule dans l’ordre»8. L’ordre est ainsi rejeté, au

profit d’une organisation interne minutieusement travaillée et qui

convient aux thèmes abordés, c’est-à-dire à des situations d’extrême

injustice face auxquelles la langue ordinaire se lie. La rupture des

Normes est donc significative, rend compte et décrit des réalités crues

que la langue commune ne peut relater. Mais cette pratique prouve

d’autre part la « flexibilité » du genre roman, et montre à quel point la

réflexion sur ce discours, et la remise en question de ses canons,

peuvent être salutaires et favorable à l’épanouissement de ce genre

littéraire, comme nous proposons de le constater dans l’exemple qui

suit.

Dans la partie suivante nous allons aborder une autre forme de

remise en question des lois génériques. Si Verre Cassé propose une

dualité du discours à travers l’usage spécifique de l’intertextualité,

Babyface nous propose une forme de rupture du discours tout aussi

intéressante. L’éclat se présente dans ce roman de façon visible et sous

plusieurs formes.

Babyface ou le livre-tiroir La carrière de dramaturge de Koffi Kwahulé est pour beaucoup dans

la détermination de sa vocation nouvelle : celle de romancier. La

théâtralisation prend forme et vie sur les planches. Cet esprit est absent

8 BARTHES, Roland, Essais critiques, Paris, Editions du Seuil, (1964),

1991, p. 177.

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Le bris entre Verre casse et Babyface

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dans le livre, à cause de la linéarité du texte et la planéité de la feuille

de papier. Que se passe-t-il quand l’auteur met en scène la parole sur

les pages d’un roman ? Quel effet cela produit-il de tenter la forme du

théâtre dans le roman ? La réponse est claire : nous assistons à un genre

en devenir, à un roman hybride qui prend le lecteur de saisissement et

ne finit pas de le surprendre.

Nous savons à travers de nombreux exemples anciens et plus

récents, notamment celui de Laurence Sterne dans Tristram Shandy, de

Louis-Ferdinand Céline dans Féerie pour une autre fois, et de Michel

Butor, dans Mobile que les contours du roman sont incessamment en

remodelage. Des dispositions particulières du texte, la rupture de la

syntaxe, l’intervention de schémas, de dessins, et des tables musicales

à l’intérieur de romans sont des phénomènes hétérogènes étrangers aux

« normes » romanesques. Koffi Kwahulé va tenter à sa façon dans

Babyface de créer un espace romanesque innovant, qui s’inspirerait à la

fois à la forme du théâtre mais qui lui permettrait aussi de créer une

sorte de désordre voulu et assumé en parfaite adéquation avec les

thèmes extraordinaires traités.

La disposition en colonnes du texte est un procédé utilisé dans

certains ouvrages : journal, magazine, dictionnaires et encyclopédies,

mais complètement absent dans les récits de fiction. Dans Babyface ce

phénomène est présent tout au long du roman, et se rencontre dans les

débuts des chapitres. Plusieurs personnage se coupent la parole, parlent

en même temps et se partagent le même espace de la page à travers une

disposition verticale. Par conséquent, dans la même linéarité,

interrompue par une fine colonne de blanc, on trouve deux séquences

discursives distinctes. La cacophonie jusqu’alors exclusivement

réservée au domaine oral, prend forme et sens à l’écrit. Babyface en est

le meilleur exemple.

Dans certaines pages, le texte est aligné à gauche, dans d’autres à

droite. Cela intervient à plusieurs reprises, si bien qu’on a l’impression

que les parcelles textuelles se présentent comme des tiroirs sur lesquels

on met des étiquettes pour les distinguer.

Les chapeaux en forme d’étiquettes, comme on en trouve dans les

articles journalistiques, se présentent en phrases interrompues,

ponctuées, avec une disposition en vers, et qui donnent une sorte

d’aperçu fragmenté du chapitre à venir. Les parties de chapitres à leur

tour varient en longueur, d’une phrase à quelques pages, séparés,

divisés, rompus par des astérisques. D’ailleurs, le terme fragment est

souvent utilisé dans le texte.

Le bris visuel ainsi proposé dans Babyface met en place une rupture

de la disposition ordinaire du texte sur la page d’un roman. Le texte

« éclate » si bien qu’il est parfois nécessaire de faire plusieurs allers-

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Hatem AMRANI

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retours entre deux pages pour faire se recouper les pièces du discours

en « lambeaux ». La lecture est surprenante, qui se fait reconstitution

des pièces d’un puzzle9. Ce serait l’effet d’originalité souhaité par

l’auteur. Selon ses propos, recueillis lors d’une interview10 accordée à

une chaine de télévision nationale française, Kwahulé affirme, en

expliquant sa conception de l’écriture romanesque, que ce qui est important c’est la travail sur cette

écriture (…) comment on peut pousser le plus loin

possible l’écriture, même en faisant de fausses

notes comme on l’entend souvent dans le free jazz

où l’on a l’impression que le musicien fait de

fausses notes, mais ces fausses notes sont

maitrisées. Et dans le travail sur l’écriture que je

fais (…) j’ai essayé de pousser encore à l’extrême

cette façon que j’avais déjà développée dans le

théâtre, mais le roman me donnait plus d’espace

(…) pour que le lecteur lui-même, le roman lui

échappe, mais, en même temps qu’il ne puisse pas

trop s’en détacher [et] m’arranger pour qu’il ne

puisse jamais laisser le roman

Nous voyons clairement que cette pratique s’affirme d’emblée

réflexion sur l’écriture, comme une sorte de refonte des principes

scripturaires qui poussent le genre à se chercher, en le détachant de ses

frontières. Cependant, cette forme visuellement décousue, littéralement

lacérée que nous venons d’aborder se met au service d’un autre niveau

de rupture cette fois-ci avec la fonction mimétique-réaliste, qui nous

propose une autre grille de lecture du monde.

Il est à constater que Babyface alterne une multiplicité de genres :

l’épistolaire, la poésie, le merveilleux… Le théâtre aussi y a place, à

côté de la chanson. Le jazz semble rythmer les phrases du premier

roman de Kwahulé. La construction du livre d’ailleurs laisse pressentir

l’influence du free jazz. Un genre musical total qui se crée

instantanément sous les doigts des musiciens dont chacun improvise

tout en maintenant l’harmonie du groupe. De la même façon, Koffi

Kwahulé crée un monde tout à fait particulier dans lequel il fait

progresser des personnages à la fois uniques et très communs.

9 L’Oulipien Georges Perec s’est inspiré des règles ce jeu de société comme

une sorte de contrainte stylistique pour construire son « roman » (mentionné

au pluriel, romans, sur la couverture) La Vie mode d’emploi qui a remporté le

Prix Médicis 1978. 10http://www.tv5.org/TV5Site/webtv/video-7331-

Koffi_KWAHULE_entretien.htm.

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Le bris entre Verre casse et Babyface

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Dans ce roman, les événements se passent dans un lieu tout à fait

imaginaire, un pays utopique du nom de République démocratique

d’Eburnéa. Cela permet au romancier de cibler et de relater le vécu de

plusieurs pays africains, sans pour autant ancrer le récit en un point

géographique fixe.

Le livre traite des injustices sociales en faisant intervenir le fait

merveilleux, comme seule échappatoire aux problèmes de la dure

réalité. Ainsi pour traiter des conséquences désastreuses du

régionalisme, comme il en existe dans beaucoup de pays africains,

Kwahulé met en scène un couple mixte, d’ethnies différentes et du

même pays. On ne connaitra pas les patronymes des conjoints, ils se

font appeler par des sobriquets, selon leurs fonctions : le père et la mère.

Le récit stipule que le couple uni depuis longtemps n’était pas

parvenu à concevoir. Et, bien que le ventre de la mère ait été assez grand

pour se faire remarquer par tous les habitants du village qui attendaient

impatiemment le nouveau-né, celle-ci n’arrivait pas à mettre un bébé au

monde. Trois grossesses, aucun enfant. Car « vers le cinquième mois

cependant, le phénomène s'est toujours répété, le ventre de la mère

s'était peu à peu vidé, jusqu'à ce qu'il ne contînt plus de vie » (p. 12).

Révolté, le père va consulter un devin. La sentence tombe, « Tout

émane des parents de [t]on épouse. Ils n'ont jamais accepté que leur

fille épousât contre leur autorité un homme de l'Est » (p. 13). La source

du problème de procréation est déterminée, que faire alors pour briser

ce mauvais sort ?

Les membres de la famille de la mariée s’étaient en effet

farouchement opposés à cette union. Ils ne voulaient pas qu’un enfant

métisse naisse en réunissant par le lien du sang leur ethnie à une autre

issue de l’Est. Ils s’étaient donc arrangés pour que cette union

n’aboutisse en aucun cas à une nouvelle naissance. Ils avaient jeté un

mauvais sort à leur fille dont le ventre n’arrêtait pas de « manger » ce

qui s’y concevait.

Le devin demanda au père de se procurer des ingrédients nécessaires

afin d’accomplir le rituel qui allait annuler l’effet de ce sortilège. Le

père exécuta les consignes à la lettre. Il attendit nuitamment au bord de

la mer qu’un phénomène se déroulât. Une fée sortit de la mer

déchainée : la sirène Mami Wata, déesse de la mer, reine enchanteresse

des pêcheurs et des marins. Mami Wata lui donna des ordres qu’il

exécuta sans discuter.

C’est après des ébats extraordinaires entre le père et une Mami Wata

faite arc-en-ciel, que cette dernière lui annonça que son troisième enfant

naîtrait et serait nommé Katatjé, qu’il « n’aura [it] pas d’autres enfants,

mais [que] cet enfant-là vaudra [it] mille enfant [car] Il sera [it] roi »

(p. 15).

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Hatem AMRANI

222

Nous le voyons donc, devant la situation insoluble de certaines

pratiques sociales, il ne reste plus pour les personnages que le domaine

du surnaturel pour donner explication et remédier aux conséquences

désastreuses de quelques pratiques sociales.

La question du régionalisme et ses effets pernicieux sur la société,

est souvent traitée et analysée par les écrivains africains. Nous la

retrouvons sous la plume d’Alain Mabanckou dans Les Petit-fils nègres

de Vercingétorix et chez Emanuel Dongala notamment dans Jazz et vin

de palme et Johnny chien méchant. Dans plusieurs cas, on fait intervenir

le merveilleux pour traiter de ces fléaux.

Le recours au merveilleux, permet à l’auteur de traduire l’indicible

de certaines situations. L’explication surnaturelle des phénomènes

étranges reste la seule possibilité retenue face à l’ineffable. Barthes

disait dans sa Leçon « La science est grossière, la vie est subtile, c’est

pour corriger cette distance que la littérature nous importe »11. C’est

pour réduire l’écart entre le fait et son assimilation que le merveilleux

prend forme.

On pourrait considérer l’étrange et le mythe à la fois comme

transgression du genre romanesque, et comme dépassement de la

fonction mimétique, en déplaçant les frontières du réel. Car, nous

pensons avec Roger Caillois que « tout fantastique est rupture de

l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable

légalité quotidienne »12.

Ce serait une sorte de miroir brisé, dont le tain déformerait l’image

mirée en y intégrant des remous et des distorsions absents de sa forme

originale. Ce miroir s’inspire de la réalité en en proposant des lectures

différentes. Louis Vax, dans L’Art et la Littérature fantastique pense

que « Le récit fantastique (...) aime nous présenter, habitant le monde

réel où nous sommes, des hommes comme nous, placés soudainement

en présence de l'inexplicable »13.

Nous pouvons dire que l’intervention de plusieurs registres : le

théâtre, l’épistolaire, le merveilleux, la poésie, la chanson…, au sein du

discours romanesque constitue un déplacement de ses frontières, et une

remise en question des lois du genre. L’auteur explore de nouvelles

voies dans le roman pour créer un monde nouveau, dans lequel ses

personnages progressent librement tout en manifestant à la fois leur

11 BARTHES, Roland, Leçon, Paris, Editions du Seuil, 1978, p. 18. 12 CAILLOIS, Roger, Au coeur du fantastique, Paris, Gallimard, 1965, p.

161. Cité par TZVETAN, Todorov, Introduction à la littérature fantastique,

Paris, Editions du Seuil, 1970, p30. 13 VAX, Louis, L'Art de la Littérature fantastique, Paris, P.U.F., 1960, p.

5. Cité par TZVETAN, Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Op.

Cit..

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Le bris entre Verre casse et Babyface

223

différence locale, et leur caractère universel. Car, c’est en partant d’une

situation particulière, qu’on peut arriver au général. En ce sens, si

l’auteur met en place un pays imaginaire, c’est dans l’intention de faire

correspondre cet exemple-figure à beaucoup d’autres exemples.

Conclusion Dans Verre Cassé comme dans Babyface, les auteurs explorent des

chemins scripturaires authentiques, qui leur permettent de donner

librement vie à leur imaginaire. Ces deux exemples sont

complémentaires, car si l’un pratique le fragmentaire dans sa référence

au monde littéraire qu’il met en place, en démultipliant les voies de son

interprétation en vertu d’un usage minutieux de l’intertextualité ; le

second mime l’éclat du réel en le peignant à travers un texte

formellement lacéré, et fait intervenir le merveilleux, à l’endroit même

où se fait la critique de la société.

Ces formes de recherche, de remodelage constituent le rejet de

l’absolutisme d’un Livre-Total, et touchent à l’essence même de la

littérature. Car, comme l’affirmait Barthes dans ses Essais critiques, Rompre matériellement le fil de la phrase par

des alinéas disparates, égaler en importance un

mot et une phrase, toutes ces libertés concourent

en somme : à la destruction même du Livre : le

Livre-Objet se confond matériellement avec le

Livre-Idée, (…) en sorte qu'attenter à la régularité

matérielle de l'œuvre, c'est viser l'idée même de

littérature14

La pratique fragmentaire exauce un vœu cher à la littérature. Le bris

réalise ce vœu : la liberté. Cette autonomie que rend possible l’éclat du

discours est d’autant plus garanti par les dimensions assez longues du

roman qui permettent une construction sur la base de lambeaux épars

que le génie de l’auteur parvient à assembler, et à y conférer profondeur

de sens. On pourrait dire que grâce à cette technique de l’écriture,

pratiquée dans le roman, ce dernier semble être la forme la plus adaptée

à l’hétérogénéité générique, et la plus encline à la souveraineté de

l’auteur.

Alain Mabanckou et Koffi Kwahulé ont choisi chacun une forme

particulière qui leur a permis de s’émanciper des lois contraignantes et

par-là de créer leur propre signature, leur « mythologie personnelle », à

travers le genre romanesque, qui, sous leur plumes devient un tout-

genre, ou un genre total ouvert à tous les imaginaires… Les deux

14 BARTHES, Roland, Essais critiques, Op. Cit., p. 177.

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Hatem AMRANI

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romans ayant emprunté des voies différentes et complémentaires

brandissent la même bannière. La littérature ne peut que s’en vanter.

Bibliographie

Corpus d’étude KWAHULÉ, K. (2006), Babyface, Paris, Gallimard.

MABANCKOU, A., (2005) Verre Cassé, Paris, Éditions du Seuil.

Ouvrages cités BARTHES, R., (1991), Essais critiques, Paris, Éditions du Seuil,

(1964).

———, (1978), Leçon, Paris, Éditions du Seuil.

CAILLOIS, R., (1965), Au coeur du fantastique, Paris, Gallimard.

COMPAGNON, A., (1979), La seconde main, ou le travail de la

citation, Paris, Éditions du Seuil.

DONGALA, E., (1982), Jazz et vin de palme, Paris, Hatier.

(Nouvelles)

———, (2002), Johnny chient méchant, Paris, Serpent à

plumes.(Roman)

FANON, F., (2006), Les damnés de la Terre, (Éditions Maspero)

Éditions Anep, (1961).

GENETTE, G., (1982), Palimpsestes, Paris, Éditions du Seuil.

———, (1987), Seuils, Éditions du Seuil.

MABANCKOU, A., (1998), Bleu-blanc-rouge, Paris, Présence

Africaine. (Roman)

———, (2002), Les Petits-fils nègres de Vercingétorix, Paris,

Serpent à plumes. (Roman)

———, (2009), Black Bazar, Paris, Éditions du Seuil. (Roman)

———,(2012), Tais-toi et meurt, Paris, Éditions La Branche.

(Roman)

PEREC, G., (1978), La Vie mode d’emploi. Romans, Paris,

Hachette. (Roman)

TZVETAN, T., (1970), Introduction à la littérature fantastique,

Paris, Éditions du Seuil.

VAX, L., (1960), L'Art de la Littérature fantastique, Paris, P.U.F. Interview vidéo http://www.tv5.org/TV5Site/webtv/video-7331-

Koffi_KWAHULE_entretien.htm.

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Khadidja BENKAZDALI Université de relizane [email protected]

Le français comme forme d’expression contestataire dans À quoi rêvent les loups de

Yasmina Khadra

Au cours des années quatre- vingt dix, il y’a eu l’émergence de «

littérature d’urgence », qui se voulait être une nouvelle forme d’écriture.

Cette dernière témoigne d’une tragédie fondée sur la réalité algérienne,

à travers laquelle Yasmina Khadra dénonce le régime algérien mis en

place et la barbarie du parti intégriste qui influent négativement sur la

société algérienne post-coloniale. Le besoin de montrer cette réalité de

près repose donc sur une stratégie d’écriture mise en place par cet

auteur. C’est dans ce contexte que le roman d’À quoi rêvent les loups

de Yasmina Khadra a vu le jour. Ce roman ne prend pas en charge les

mêmes préoccupations des années antérieures réduites à dire une

identité malmenée par une idéologie coloniale. Alors, la stratégie

d’écriture s’impose d’elle-même : une écriture dans laquelle deux

visions du monde se rencontrent pour dialoguer sur des tabous et des

interdits.

Notre problématique est centrée sur les questions suivantes : Quel

discours l’auteur tente de dévoiler à travers cette forme d’expression et

comment se fait ce dévoilement ? Le français, est- il la forme

d’expression représentative de la violence du moment qu’il n’y a

aucune neutralité dans la parole des personnages, où tout ce qui est dit

est inspiré d’un vécu ? Dans quelles situations d’énonciation

interviennent les registres du français, à savoir l’argotique et le

familier ? L’usage de ces registres reflète-t-il l’idéologie de l’auteur ?

À quoi rêvent les loups donne aisément à vérifier ces hypothèses de

recherche sur les tendances du français qui influence le texte littéraire

algérien actuel dans ses permanences et ses mutations. Ce roman se

présente comme l’aventure d’une écriture qui voudrait se libérer des

limites traditionnelles de son énonciation. Ce malaise social est ressenti

et dit par les personnages. Ainsi, Yasmina Khadra, cette figure

emblématique de la littérature algérienne, utilise le français avec ses

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Le français comme forme d’expression contestataire dans …

227

différents registres. L’important pour nous est de voir dans quelle

mesure le désir d’émancipation de l’être passe par sa libération, car une

telle écriture révèle de la thématique universelle de la littérature dans sa

fonction de tenter de changer le monde et de comprendre la nature

humaine, et non pas seulement de rapporter un réel ou d’en témoigner1.

L’approche qui nous semble la plus appropriée pour interroger ce

roman, est l’énonciation et l’analyse du discours, du moment que

lorsque l’être s’exprime à travers le discours, il y laisse des traces

révélatrices de son état psychique et émotionnel. Le locuteur se dévoile

au fur et à mesure que le langage se déroule, et le « je » se laisse

appréhender grâce aux éléments énonciatifs laissés à travers les mots

constituant ce que l’on appelle la subjectivité. Cette dernière est donc

la présence du sujet dans son discours. Cette présence est beaucoup plus

visible à travers les éléments implicites qui révèlent les positions du

« je » et les représentations sur le monde qui l’entourent et dans lequel

il gravite.

À priori, le français, cette forme d’expression de contestation, se

veut un regard littéraire sur la société algérienne post coloniale. Dans À

quoi rêvent les loups de Yasmina Khadra qui, sous sa plume, se dessine

un roman contesté, fondé sur la réalité algérienne décomposée et initiée

par les tenants du système que l’auteur n’hésite pas à montrer du doigt

et dont le but est celui de se rendre compte d’un déséquilibre social,

culturel, religieux, voire identitaire du peuple algérien dans sa réalité

nue et éclatée. Ce déséquilibre se manifeste à travers la langue française

écrite sous une nouvelle forme.

Le français dans sa nouvelle forme La difficulté de voir de près la société algérienne post- coloniale

chargée d’incompréhension et de mal entendu, réside dans le fait

d’obéir à la volonté d’un inconscient collectif représenté par

l’imaginaire du peuple algérien qui a besoin de revoir encore sa

mémoire qui relève de l’Histoire récente dans laquelle l’individu perd

ses repères. Le recours donc au français conçu dans sa nouvelle forme,

permet aux différents personnages de l’histoire de s’exprimer en liberté,

de montrer que la violence a pour origine la déception de la population

représentée par le personnage de Nafa Walid qui ne cesse tout au long

1 Sur ce sujet, Marthe Robert disait : « Qui fait un roman, exprime par la même,

un désir de changement qui tente de s’accomplir dans deux directions, ou bien

il raconte des histoires et il change ce qui est ; ou bien il cherche à se marier

au-dessus de sa condition, et il change ce qu’il est ; de toute façon, il refuse la

réalité empirique au nom d’un rêve personnel qu’il croit possible de réaliser à

force de mensonge et de séduction ».(Robert 1972,p.35).

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Khadidja BENKAZDALI

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du roman de manifester son choc et sa désolation. Il est devenu

terroriste par amertume, par excès d’humiliation y compris les tensions

sociales et politiques qui pesaient sur son destin.

Nafa Walid, le personnage central, est un jeune homme beau et

ambitieux. Il rêve de la gloire en faisant ses études sur le cinéma, mais

il se retrouvera chauffeur, travaillant chez une famille très riche. Il

connaîtra toutes les bassesses auxquelles peuvent se livrer les jeunes de

son pays quand ils ont de l'argent et des relations. Dégoûté, il

abandonnera ce métier et se mettra à fréquenter des milieux plus

intégristes où la violence dicte la conduite de notre protagoniste. Le

récit d’À quoi rêvent les loups, s’introduit dans un espace fictionnel

représenté par un immeuble où le personnage central de l’histoire et ses

compagnons terroristes ont péri lors d’un accrochage avec les forces de

l’ordre. Du coup, le récit s’arrête pour prendre un autre tournant et nous

introduit un autre espace beaucoup plus paisible, où Walid Nafa allait

d’une agence à une autre cherchant à être chauffeur de taxi après avoir

vu ses rêves s’effondrer les uns après les autres. Face à cette situation,

nous nous sommes heurté à une difficulté majeure, à savoir l’absence

d’un récit construit et progressif. Les situations narratives sont

détournées, la narration est donc tournée en dérision, mise en abyme

allant à l’encontre d’une conception linéaire de la littérature. De ce fait,

non seulement la progression linéaire du récit est affectée, mais en plus

les signes d’agrammaticalité se font sentir.

L’agrammaticalité Les signes d’agrammaticalité apparaissent dès le début du récit

raconté. La fin de l’histoire est donc connue dès l’incipit. Une marge de

duperie importante est entretenue dans le récit, le doute est semé chez

le lecteur puisqu’il ne sait pas encore que celui qui va être abattu serait

Nafa Walid. L’extrait suivant nous montre implicitement ce moment

tragique : Des sirènes retentissent de loin, se glissent à

travers les échancrures du quartier et viennent

submerger notre refuge. Abou tourab fronce un

sourcil et se met à battre faiblement la mesure

avec son doigt. L’ultime symphonie….Si on

m’avait payé toute les fortunes de la terre, je

n’aurais pas trouvé un titre pareil à tête reposée.

J’ignorais que la proximité de la mort donnait du

talent. [ ]. De mes torts, je n’ai pas de regrets. De

mes joies, aucun mérite. L’Histoire n’aura que

l’âge de mes souvenirs, et l’Eternité la fausseté de

mon sommeil »… Purée ! Il en avait là-dedans,

Sid Ali, c’était un vrai poète…. C’est pas croyable

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Le français comme forme d’expression contestataire dans …

229

comme les gens sont imprévisibles. Je le prenais

pour un attardé, une espèce de chiffe molle, et, au

moment de vérité, il te sort d’on ne sait où un

courage à te couper en deux. Tu te rappelles ? Il a

refusé de se mettre à genoux. Il n’a même pas

frémi lorsque je lui ai enfoncé mon flingue dans la

tempe. Vas-y, qu’il a dit, j’suis prêt. Sa tête a pété

comme un énorme furoncle. Et ça n’a pas entamé

d’un millimètre son putain de sourire. (pp. 14-15)

Dès le début du roman, le récit nous informe que deux personnages

se trouvent enfermés dans un appartement cerné par la police. Tout le

monde est mort, sauf Abou Tourab et un autre personnage dont on saura

plus tard qu’il s’agit de Nafa Walid, le personnage principal de

l’histoire. Dans cet énoncé, les deux protagonistes Nafa Walid et son

ami Abou Tourab veulent se libérer de l’espace clos dans lequel ils se

trouvaient. Cet espace, rendu asphyxiant, retint les deux personnages

dont le rêve majeur était de libérer la population algérienne du pouvoir

politique, du conflit communautaire qui coince la société algérienne

entre fatalité et libération, entre tradition et modernité.

De plus, nous remarquons le caractère étrange d’Abou Tourab qui

définit le bruit des sirènes et des armes comme étant une ultime

Symphonie, car déjà il savait qu’il allait mourir. Son prénom renseigne

sur sa fatalité, c’est celle de retourner à terre quand on meurt. Ainsi,

l’évocation de cet événement anecdotique témoigne du drame algérien

dans lequel la population se baigne. Abou Tourab qui était sur le point

de rendre l’âme, n’éprouvait aucun remords envers la personne qui

venait de tuer. Il s’agit de Sid Ali qui était un poète considéré par la

société, il faisait des louanges à l’F.L.N, donc, il devrait périr, tout

comme Abou Tourab qui se trouvait marginalisé. De plus, l’emploi des

expressions et mots familiers et argotiques comme « flingue », « pété »,

« une espèce de chiffe molle », nous transportent au cœur même de la

violence, à la rencontre d’une Algérie malade, déchirée et ce, à travers

l’histoire de ce personnage qui verra par mal chance sa vie basculer

dans un monde d’où il ne reviendra jamais.

Ceci nous amène à dire qu’à travers ce roman, le plus violent,

consacrée à la réalité algérienne, Yasmina Khadra, nous a livré une

sorte de photographie froide du personnage d’Abou Tourab, faisant

recours au français sous un aspect agrammatical qui ne nécessite pas un

travail de construction , d’organisation et de choix de mots qui

répondent au texte littéraire normé. Nous avons essayé de mettre en

lumière à travers ces expressions, un certain nombre de structures

significatives qui permettent d’éclairer la relation que peut entretenir

l’écriture en français avec les structures sociales et politiques en

explorant les entrailles d’une société à la dérive.

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Khadidja BENKAZDALI

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Le registre argotique En outre, nous nous retrouvons par la suite dans un autre espace

différent du premier, et la situation de communication change : Au moment où la voiture démarra, j’eus

l’impression que ma vie changeait de cap. Je me

sentais léger, décontracté, presque aussi épanoui

qu’une fleur dans le pré. Déjà les rues éprouvantes

de la ville s’éloignaient tandis que, devant moi, un

peu comme la mer Rouge devant Moise, les

grands boulevards écartaient leurs bras pour

m’accueillir. Je n’avais jamais connu pareil

sentiment auparavant. Pourtant, il m’était souvent

arrivé de me croire à deux doigts de décrocher la

lune. Mais, cette fois-ci, mon intuition se

découvrait une verve insoupçonnable, plus qu’une

exaltation, la ferme conviction que cette matinée

de mars se faisait belle pour moi. (pp. 22-23)

Nous remarquons dans cet énoncé que le décor change pour

permettre au récit de transiter par la Casbah pour continuer dans un

labyrinthe, où il est impossible pour Nafa de rebrousser chemin. Ce

personnage quitte la casbah qui est décrite comme un lieu

d’enfermement et d’étouffement, pour aboutir aux mains des terroristes.

Ces derniers ont tout fait pour écarter Walid de toute attache filiale et

lui offrir ainsi la liberté nécessaire pour investir des espaces qui peuvent

lui garantir son émancipation sociale. Il a beau chercher des métiers qui

répondent à son profil d’artiste, en vain. C’est la raison pour laquelle, il

s’est acharné contre cette société, suit le chemin dans lequel baigne son

ami Dahmane qui, lors d’une discussion, il lui avait dit : Je me dis que notre société est incompatible

avec l’art. En tout cas, c’est le sentiment que j’ai

quand je joue. Les gens te regardent d’un air

détaché. Tu es là pour les divertir pas plus. Et moi,

je m’imagine saisissant ma mandoline pour

l’écraser sur un crâne, n’importe lequel, taper

dans le tas puisqu’ils se valent tous. Tu te rends

compte ? Un artiste rabaissé au rang de bouffon

que l’on renie dès la fin du spectacle. Mais la

vérité est ailleurs, si tu veux savoir. Ce n’est pas

le peuple qui est ingrat, ou inculte. C’est le

système qui fait tout pour l’éloigner de la noblesse

des êtres et des choses. (p. 69)

Ces propos témoignent de l’indifférence des gens envers la musique

qui la considère comme une dépravation, elle divertit la foule sans pour

autant mériter sa considération. Voilà ce que représente l’art dans cette

société. Néanmoins, nous allons voir dans un autre témoignage de ce

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Le français comme forme d’expression contestataire dans …

231

personnage, que le manque de considération de l’art ne revient pas aux

gens, mais aux tenants de la société qui imposent un système politique

qui ne va pas avec la vocation de l’art. Ce que je veux, c’est faire quelque chose de

ma putain de vie. Être utile. Participer à un

ouvrage, pas forcément un édifice grandiose ;

juste une activité sérieuse et collective, avec des

gens fiers de leur petite contribution, et d’autres

attentifs à leur enthousiasme. Servir sans avoir le

sentiment de ramper, de lécher les bottes et les

paillassons. Bouger, merde ! Ne pas croiser les

bras en attendant de moisir à l’ombre de

l’exclusion. Tu comprends, toi ? Faire quelque

chose…Avec le FLN, tout est permis certes, mais

ignoré. I-gno-ré ! Tu peux faire naitre des houris

sur ta guitare, on s’en fou. Il n’est pire ennemie du

talent que l’indifférence. Le Fis a beau déclarer les

soirées musicales interdites au même titre que le

tapage nocturne, je suis sûr qu’il me laissera

chanter les louanges du Prophète dans le respect

et la béatitude.

Ce que j’attends, c’est le changement, la

preuve que les choses s’époussettent, avancent.

Dans quel sens, je me contre fiche. Mais pas le

marasme. Pitié ! Pas le marasme. Je ne supporte

plus. Alors, vive le Fis kho2. Je me laisserais

volontiers pousser la barbe, quitte à

m’enchevêtrer dedans, et j’écouterais les prêches

fastidieux à longueur des journées, parce qu’au

moins, à la mosquée, j’ai l’impression que l’on

s’adresse à moi, que l’on se préoccupe de mon

avenir, que j’existe. (p. 70-71).

La parole devient un outil de médiation car ce personnage est le

porte-parole d’une société déstabilisée par les déboires du régime ;

Dahmane va opter pour un changement d’identité en portant des noms

de dénonciation et de révolte, le but est aussi arriver à instaurer un

discours de changement qui semble donner sens au roman, plus

particulièrement, un sens de vie du peuple algérien. Les mots employés

acquièrent un statut qui dépasse celui qui leur est assigné par la

narration, entraînent une mystification esthétique. Il est clair qu'ils sont

utilisés d'une manière ou d'une autre selon les compétences

idéologiques du sujet de l'énonciation, ainsi que selon les tensions qui

2 Ce terme est péjoratif, il signifie « frère ». Nous ne pouvons le prononcer

qu’à la personne qui nous est intime.

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Khadidja BENKAZDALI

232

agissent sur lui. Nous remarquons que l’adjectif, « i-gno-ré », est

agrammaticalement écrit. Dahmane s’est acharné contre le FLN qui

ignore les ambitions des gens et les met à l’écart. Ce personnage rebelle

est conscient que le fait de suivre la voie des intégristes islamique n’est

pas la bonne, mais , il s’en fiche pas mal, l’essentiel, c’est que le

changement allait se faire, il s’agit d’avoir une place dans ce milieu

intégriste pour qu’il se fasse respecter par tout le monde. La phrase

annoncée par lui en témoigne « parce qu’au moins, à la mosquée, j’ai

l’impression que l’on s’adresse à moi, que l’on se préoccupe de mon

avenir, que j’existe. »

Parallèlement, O. Ducrot a bien montré Qu’un très grand nombre de morphèmes, ou

expressions, […], sans être eux-mêmes

illocutoires, ne peuvent se décrire que par rapport

à l'orientation pragmatique du discours, à

l'affrontement des interlocuteurs, à leur façon

d'agir l'un sur l'autre par la parole »"3. Les paroles

de Dahmane ont un caractère accusateur et

insultant. La violence des mots choquent le

lecteur. La sémantique des passions à des degrés,

les structures tensives, permettent sans doute de

détecter dans les actes de parole que sont, entre

autres, l'injure ou le blasphème, les différences

tensives et graduelles telles qu'elles sont décrites

par Jacques Fontanille dans "Sémiotique du

discours"4. Ses passages expriment, en détails,

que les islamistes qui recrutaient de jeunes gens

vulnérables en leur donnant le sentiment que leur

vie pouvait avoir un sens. Par conséquent, Nafa

Walid, va suivre le mouvement parce que ses

idées furent brouillées ; la confusion mentale dans

laquelle il était plongé l'avait conduite à adapter

un comportement sauvage. Ainsi, la raison a cédé

place à la folie mortelle.

D’abord, il devint un chauffeur de l’une des plus prestigieuses

familles d’Alger. Il découvre du même coup l’univers totalement

corrompu de la nomenklatura algérienne. Aux yeux de ces riches, et au-

delà de l’inimaginable, les lois communes ne s’appliquent pas. Nafa va

3 DUCROT Oswald, 1972, Dire et ne pas dire, Éditions Hermann, p.128. 4FONTANILLE Jacques, 1998, Sémiotique du discours, Presses Universitaires

de Limoges.

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Le français comme forme d’expression contestataire dans …

233

passer par la cruelle expérience. Une nuit, on lui ordonne l’ordre de

faire disparaitre le cadavre d’une adolescente morte d’une overdose

dans le lit du jeune riche pour qui travaillait Nafa. Il ne pouvait pas

refuser, sinon, c’est lui qui serait accusé de meurtre et il serait condamné

car jamais la police ni la justice n’oseraient s’attaquer à une famille

aussi influente. Terrorisé, Nafa avait obéit, mais cette nuit d’horreur le

poussait à réfléchir pour aller vers un autre milieu où il pourrait trouver

du salut. Or, il s’est trompé d’adresse, car plus tard, il finira par égorger

un bébé parce que des hommes totalement corrompus l’ont humilié et

lui ont fait perdre le respect de lui-même. Parce que les Islamistes qui

recrutaient des gens de caractère aussi frêle que celui de Nafa, ont su

l’accueillir et lui donnaient le sentiment que sa vie pouvait avoir un

sens. Parce que les fanatiques musulmans qui prêchaient la guerre totale

contre le pouvoir ont su joué sur tous les ressorts de sa virilité et ont

réussi à le convaincre à céder à la tentation de la violence. La mort de

la jeune fille que nous avons cité en témoigne. Les gens riches ont jeté

le corps de cette fille qui était comme si c’était un objet banal que l’on

jette à la poubelle sans regret et sans remords. Le Fis, ce Front islamique

de Salut méprise aussi ce genre de filles qui sortent avec des hommes

riches dans le but de ramasser une somme d’argent même si ça va à

l’encontre de leur dignité et à l’encontre de la conduite sociale. Le

fanatisme religieux impose des règles qui déterminent la conduite des

individus, leur rappelant les traditions et les coutumes à respecter. Dans

une étude sur la société algérienne, Pierre Bourdieu5 écrit : La tradition est communiquée par les anciens

et, essentiellement, sous la forme de traditions

orales, conte, légende, poèmes, chansons, à

travers lesquels se transmet ce réseau serré de

valeurs qui enserrent l’individu et inspire ses

actes. Ces enseignements semblent viser une

double fin : livrer d’une part le savoir des anciens,

et d’autre part l’image idéale de soi que forme le

groupe. (1970 Bourdieu, p. 83).

Cela veut dire que ce groupe de la société impose un enseignement,

qui témoigne de la longévité des valeurs des anciens, celui

d’emprisonner par exemple l’émancipation féminine comme c’est le

cas du personnage de Hanene. Cette dernière voulait se faire une place

dans la société. Or, la société algérienne est régie par des lois des

hommes à l’esprit rétrograde.

Hanene est cultivée ; son frère n’a pas accepté qu’elle aille au travail,

qu’elle enlève le voile. Il l’avait tué sur un coup de folie sans la moindre

hésitation car elle a bravé les interdits et brisé les tabous. Dans l’extrait

5 BOURDIEU, Pierre. 1970. Sociologie de l’Algérie. P. 83 Paris : Puf.

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Khadidja BENKAZDALI

234

suivant, on nous montre une scène où la mère de Hanane parle de la

sauvagerie de son fils qui ne cesse de leur rendre la vie infernale : Son monstre de frère la persécute. Les cheikhs

lui ont sinistré l’esprit. Il ne parle que d’interdit et

de sacrilège. En vérité, il est jaloux de la voir

réussir là où il n’arrête pas d’échouer. Il est jaloux

de son instruction, de son poste, de sa fiche de

paie. Pour cette raison, il la bat. À chaque fois que

ses cicatrices se referment, il s’arrange pour les

rouvrir. C’est sa façon à lui de la séquestrer, de

l’empêcher de « flirter » avec les hommes. (p 135)

À travers cet énoncé, nous remarquons que les propos de la mère

relèvent de la colère, du mécontentement et de son impuissance face à

son fils qui ne cesse de torturer sa sœur sous l’unique raison : celle

d’aller à l’encontre des traditions et de la religion en oubliant que sa

sœur est avant tout une femme , symbole de la terre, de la mère qui a

porté l’homme dans son ventre, l’avait mis au monde dans la douleur,

et voilà comment qu’elle est récompensée.

En outre, Walid avait un faible pour Hanene dont la mort lui a brûlé

le cœur. Au fond de lui, il n’a jamais la conscience tranquille. Il avait

mal choisi sa voie, car c’est dans ce chemin que Hanene, victime de

l’ignorance et l’entêtement de ce groupe intégriste avait péri. Rangé par

les remords, Walid affirmait : La mort de Hanane m’avait choqué. C’était

comme si elle m’avait éconduit après m’avoir

longuement appâter. [….]. J’avais du chagrin pour

cette fille rayonnante, tranquille et discrète, mais

je m’interdisais de chercher d’autres

interprétations susceptibles de me piéger dans

d’inutiles toiles d’araignée. Je ne me sentais pas

de taille. J’étais fragilisé par les déceptions qui se

succédaient au chevet de mes rêves. Je m’estimais

aussi vulnérable qu’un moucheron à portée d’un

caméléon. Il me fallait coûte que coûte me

reprendre en main. (p. 140-141)

Walid avait l’intention de se ressaisir, l’expression suivante nous

montre cela « Il me fallait coûte que coûte me reprendre en main »,

mais la confusion mentale dans laquelle il se trouvait, l’avait conduite

à s’opposer à ses parents et à ses amis. Parce que la guerre civile qui a

opposé les militaires algériens et les bandes armées islamistes fut d'une

violence et d'une sauvagerie incroyables, l'abominable est devenu

inconcevable et il l’avait commis. Il a fini par devenir tueur. D’abord,

il s’est approché de la mosquée, lieu de culte fréquenté par les Saints,

puis, petit à petit, il commençait à assister aux réunions organisées par

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Le français comme forme d’expression contestataire dans …

235

les groupes islamistes, l’encourageant à s’affirmer sur tous les plans :

politique, social et religieux.

Sur le plan social, on lui a donné du travail, il a pu ramasser de

l’argent, et la situation matérielle de sa famille commence à s’améliorer.

Il a même réussit à marier sa sœur dont aucun prétendant ne s’est

présenté à cause de leur pauvreté. L’inconvénient, c’est qu’il était tout

le temps absent, il se rendait même au Maquis, mais, en réalité, il n’était

jamais satisfait de cette nouvelle situation, de ce nouveau mode de vie.

De temps à autre, il rentre à Alger, voir son père et sa mère, mais son

père le traite d’assassin. Il a beau chercher à le convaincre en lui disant

que le mouvement islamiste allait lui offrir une vie meilleure, lui avoue

qu’il n’a pas trouvé le courage de s’afficher en société, trop de piston et

de corruption pour pouvoir trouver du travail. Donc beaucoup de choses

le séparent de la vie qu’il voudrait avoir. Le maquis, c’est son histoire,

sa destinée, c’est dans ce lieu qu’il a acquis sa vraie identité et joue

pleinement son rôle de porteur de Salut, luttant contre les dirigeants du

système et contre les gens qui n’ont pas foi au parti islamique.

Malheureusement, la voie intégriste l’avait mené à la mort. Cette mort

qui n’était pas du tout méritée car Walid aurait pu accéder à une vie

meilleure sans pour autant aller vers l’enfer.

Ainsi, l’auteur de ce texte s’est révélé comme étant un écrivain

rebelle qui a poussé un cri de révolte contre la violence engendrée par

les systèmes sclérosés qui régissent la société. Il avait le souci d’alerter

le lecteur sur les dangers du prêt-à-penser et de la paresse intellectuelle,

porteurs de régression, voire de fanatisme. En faisant appel au registre

familier, au français qui n’est pas normé. Et tout en se détachant de

l’instant, Yasmina Khadra conjugue travail formel et recul mémoriel. Il

voulait témoigner en faisant appel à l’écriture de l’urgence qui, selon

Dominique Fisher6, « l’écriture de l’urgence, placée sous le signe de

l’anamnèse, se déroule hors de tout format fixe, aux frontières de la

fiction, du récit, du récit de paroles, de l’autobiographie et de

l’historiographie ». L’urgence aurait nécessairement des implications

formelles, permettant de défier les nomenclatures et les démarcations

génériques car dans L’urgence, il y’a une volonté de remplir un devoir

de mémoire.

En guise de conclusion, Khadra se révèle un écrivain visionnaire.

Un souffle épique donne à son œuvre une dimension universelle. À quoi

rêvent les loups reste un titre particulier où il est question de loups, ces

animaux de la famille des canidés vivant à l’état sauvage et se

6 FISHER Dominique, Écrire l’urgence, Assia Djebar et Tahar Djaout, Paris,

L’Harmattan, coll. « Etudes transnationales, francophones et comparées »,

2008, p. 18.

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Khadidja BENKAZDALI

236

nourrissent de leurs proies. Cela nous renvoi dans une grande partie à

l’image de la société algérienne postcoloniale où des gens qui, dans les

maquis, et dans les villes, se livrent à toutes sortes de cruautés, jour et

nuit. Il s’agit ici d’une image particulière qui revoie à une cruauté qui

ressemble à celle des bêtes féroces qui ne vivent que de chair et de sang

pour subvenir à leurs désirs de survie. la touche personnelle que

Yasmina Khadra a ajouté à son récit, reste incontournable pour raconter

avec pointe et précision l’Histoire d’une Algérie meurtrie par la

violence, d’où le concept de littérarité qui rejoint aussi le concept

d’agrammaticalité pour montrer une nouvelle forme la langue française

qui semble dire au lecteur qu’une règle de communication est violée,

met en avant une sorte d’agrammaticalité, du non-sens produits par un

intertexte que le lecteur doit retrouver pour comprendre la signifiance

du texte. Le français est perçu dans À quoi rêvent les loups, comme

étant une expression contestataire, une dénonciation de la violence en

Algérie, donnant par la force connotative des mots une réflexion

profonde sur les dimensions sociales et historiques de l’œuvre.

Bibliographie Corpus d’analyse

KHADRA YASMINA, (2000), Á quoi rêvent les loups ?, Julliard,

1999 : Pocket.

BOURDIEU, Pierre. (1970). Sociologie de l’Algérie, Paris : Puf. p.

83.

DUCROT Oswald. (1972). Dire et ne pas dire, Principes de

sémantique linguistique, Éditions Hermann .p.128.

Dominique Fisher, (2008), Écrire l’urgence, Assia Djebar et Tahar

Djaout, Paris, l’Harmattan, coll. « Etudes transnationales, francophones

et comparées », p. 18.

JACQUES Fontanille, (1998), Sémiotique du discours, Presses

Universitaires de Limoges.

ROBERT, Marthe. (1972), Roman des origines et origines du

roman, Paris : Crasset.

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Soumeya BOUANANE Université de Blida 2 [email protected]

Hommage : Hamid SKIF : « L’Avocat sans robe »

« Je lis les livres jusqu’au nom de l’imprimeur,

les achète chez les bouquinistes, les marchands à la

sauvette étalant leurs trésors sur une feuille de

plastique ; les emprunte, les loue pour quelques

dinars(…). Je suis né un livre à la main »1

Cet extrait de Chahrazed, l’une des nouvelles du recueil les

escaliers du ciel semble bien caractériser Hamid Skif ou « l’avocat sans

robe»2. Il s’agit de l’un des écrivains algériens « polygraphe » qui a su

dépeindre le désarroi des déshérités de ce monde. Non seulement il leur

a accordé la parole dans ses nouvelles et romans mais aussi il a imité

leur cri, à la fois, de détresse et de colère, dans ses poèmes. Hélas,

Hamid Skif n’est plus de ce monde, mais ses œuvres demeurent et son

cri retentit à travers différents pays du monde. Toutefois, il est de notre

devoir de faire sortir cet écrivain d’un anonymat partiel. En effet, il fait

partie de ceux qui méritent d’être connus, lus et appréciés...

Hamid Skif de son vrai nom Mohamed Benmebkhout, originaire de

Boussaâda, est né le 21 mars 1951 à Oran. À l’âge de douze ans ; Hamid

Skif approche le monde de la littérature et du journalisme à travers

l’admiration qu’il vouait à son grand-oncle. Ce dernier a été l’un des

premiers animateurs francophones à Radio Baghdad. Cinq années plus

tard, le jeune Hamid mûrit son rêve et s’initie au théâtre auprès de Kateb

Yacine. Ainsi, il sera l’un des membres fondateurs de la troupe

1 SKIF Hamid, Les escaliers du ciel, Alger, APIC éditions, 2009, p. 39. 2 Expression utilisée par l’écrivain le 23 Septembre 2005 à Heidelberg (en

Allemagne) lors de la réception du prix littéraire « Hild-Domin- Preis » de la

littérature en exil.

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Hommage : Hamid SKIF : « L’Avocat sans robe »

239

régionale d’Oran ; « Le théâtre de la mer ». Or Hamid Skif le poète, se

fera connaître en 1971 en participant à l’Anthologie de la nouvelle

poésie algérienne. Il s'agit d'un recueil de poèmes de jeunes poètes

algériens, choisis et rassemblés par Jean Sénac. Notre jeune créateur

obtiendra sa première distinction littéraire en 1984 ; il sera ainsi primé

pour son scénario Une si tendre enfance.

L’âme créatrice de Hamid Skif s’est développée et s’est forgée par

les diverses activités assumées. Ainsi il a été tour à tour reporter et

journaliste au quotidien La République et à la revue Révolution

Africaine. H. Skif a été aussi chef de département à l’Office du cinéma

d’Alger (ONCIC) et chef de bureau à l’A.P.S (d’Oran, de Ouargla et de

Tipaza).

À l’instar, d’un grand nombre d’intellectuels algériens, Skif a

été contraint à l'exil en 1997. Sa destination première et celle de toujours

fut Hambourg et là-bas il va se consacrer à la création littéraire dans le

cadre du programme de soutien "Écrivains en exil" dispensée par le

PEN- CLUBS. Cette ville allemande va être le lieu d’une production

littéraire prolifique, ainsi notre écrivain va s’investir dans la poésie, la

nouvelle et le roman. Ces trois genres littéraires représentent trois types

d’expression servant à dépeindre différents maux sociaux. En effet, le

vécu algérien, l’expérience personnelle de l’écrivain et la quête de

la justice et de la vérité représentent les points majeurs de l’écriture de

Skif. Avec un style digne d'un conteur, Skif fait voyager ses lecteurs

avec des mots dont la presse allemande et la critique algérienne

reconnaissent la puissance et la profondeur. Il entame donc sa carrière

avec Nouvelles de la maison du silence, ensuite il nous conduit dans les

sentiers de l'imaginaire de Citrouille fêlée et nous offre une pause

d'humour en publiant La princesse et le Clown. D'ailleurs, Skif ne

manque guère d'ironie en exprimant sa colère dans une lettre adressée à

Monsieur le président. Le même style chargé d'émotions diverses

favorise la tracée de La géographie du danger. Sa dernière création fut

un recueil de nouvelles, sorte d'hommage à la Casbah d'Alger par le

biais de ses traditions, ses senteurs et ses femmes, intitulé Les escaliers

du ciel. Un livre que Anissa Kahla, auteur de la postface, décrit par : «La voix des femmes d'Algérie, une Algérie

des profondeurs qui s'exprime à travers ces

images et ces mots. Le prétexte en a été la Casbah,

ce bastion de notre histoire qui meurt chaque jour,

ensevelissant des centaines d'années d'histoire et

un peuple souffrant, mais si fier, si obstiné et dont

le combat des femmes est le symbole»3

3 SKIF Hamid, 2009(pour l'édition présente), Les escaliers du ciel, Alger :

APIC. p. 123.

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Soumeya BOUANANE

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Ce parcours à travers les maux de l'Algérie a été marqué par des

escales poétiques teintées avec l'encre de la douleur.

Il va sans dire que Hamid Skif était plus connu à Hambourg qu'en

Algérie mais La géographie du danger, demeure un roman connu aussi

bien en Algérie qu'en terre d'exil depuis sa publication en 2005. Cette

œuvre, qui dévoile les aléas de l’émigration clandestine à travers les

aventures d’un jeune maghrébin caché dans une chambre depuis

plusieurs mois, pousse les jeunes algériens, et pas uniquement, à bien

réfléchir avant de penser à cette forme de fuite ou de suicide. Ce

message a valu une certaine notoriété et reconnaissance à l'auteur car

on peut le considérer comme l'un des premiers écrivains à s'être

intéressé à « L'émigration clandestine ».

Par ailleurs, les œuvres de Hamid Skif, ont été traduites en plusieurs

langues tel que : l’italien, l’espagnol, l’arabe,…, ultime preuve de la

trace laissée par l'écrivain dans la mémoire de la littérature francophone.

Hamid Skif s’est éteint tel qu’une bougie dans le silence, le

vendredi 18 mars 2011, à cinq heure du matin suite à une longue

maladie. Il laisse derrière lui un riche palmarès jalonné de plusieurs

distinctions littéraires, entre autres : le fait d’être nommé Chevalier des

palmes académiques françaises en 2005.

De même son style qui mêle puissance du mot et humour pour dire

l'indicible et prêter sa voix à tous ceux qui souffrent, a été salué par

plusieurs ouvrages critiques et un Dictionnaire des romanciers

algériens, à paraitre dans les prochains jours.

Ses œuvres — Les romans : La princesse et le clown(2000), Monsieur le

président(2002), La géographie du danger(2006).

— Les Nouvelles : Nouvelles de la maison du silence (1986,)

Citrouille Fêlée (1998), Les exilés du matin(2005), Les

escaliers du ciel (2006).

— Poésies : Poèmes de l’Adieu, La rouille sur les paupières,

Poèmes d’El Asnam et d’autres lieux, Lettres d’absence, Le

serment du scorpion.

Quelques mots de Skif « Ne crains pas de naitre

Ni de renaitre

Le feu

S'il ne donne que la cendre

Allume aussi la clarté4

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Hommage : Hamid SKIF : « L’Avocat sans robe »

241

Ton cri

Ceux que tu entends dans la forêt des âmes

N'est pas la moisson

Du malheur

Il est le signe qu'une porte s'est ouverte

Une porte que tu peux prendre

Glisse sur la terre

Va devant

Marche

La porte sera toujours ouverte

Si tu veux la voir »

Extrait de Les Exilés du matin.

«J'habite les lieux de ma métamorphose. Les

langues importent peu. Il suffit de connaitre les

mots du dictionnaire des esclaves : travail, pas

travail, porter, (…) »

Extrait de La géographie du danger5

5 SKIF Hamid, 2006, La géographie du danger, Alger : APIC. p. 15.

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HOMMAGE À STAALI NOUREDDINE

Département de français – Université de Blida 2

Achevé d’imprimer en juin 2014

Didacstyle

ISSN : 1112-2080

ISBN : 2013-8009

Il n’est jamais facile de trouver les mots qu’il faut lors de la perte

d’un être cher. La mort est toujours amère et parfois inacceptable.

Cher Monsieur STAALI, vous nous avez quittés un 30 juillet 2011

sans faire de bruit… Votre gentillesse, votre générosité, votre sourire et vos

légendaires cravates ont fait de vous un être « vrai », un être qui nous manque

tous les jours.

Passionné de littérature, enseignant de didactique du texte littéraire,

M. STAALI manifestait de l’intérêt pour toutes les disciplines.

Nous, amis, collègues et, étudiants de M. STAALI, tenons à lui rendre

un modeste hommage à travers ce numéro de Didacstyle qui se veut

interdisciplinaire en quatre axes.

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Image des langues-cultures et motivation en classe de FLE : …

2منشورات جامعة البليدة

ديداكستيل

5

ر.د.م.د : 1112-2080 ر.إ.ق. : 2013-8009

2014 جوان :

في قلب تعددية التخصصاتنورالدين سطاعليتحية لألستاذ

2جامعة البليدة كلية اآلداب واللغات قسم اللغة الفرنسية

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ديداكستيل

الرئيس الشرفي للمجلة:(2أ.د/ السعيد بومعيزة )رئيس جامعة البليدة

:ومسؤولة النشررئيسة المجلة (واللغاتدليلة براكني )عميدة كلية اآلداب

مدير المجلة:سمير حشادي )رئيس قسم اللغة الفرنسية(

رئاسة التحرير: وردية آسي )مسؤولة الشعبة(

رئيس القسم للبحث العلمي(هدى أكمون )نائبة

هيئة التحرير: سيد علي صحراوي

حكيم منقالت

جازية حابت

نسيمة موساوي

طرابلسي عبد الرزاق

أمانة التحرير: جازية حابت

طرابلسي عبد الرزاق

حابت وجازية آسي ووردية منقالت حكيم من: كل العدد هذا بتنسيق قام

الهيئة العلمية:)أستاذة التعليم العالي، جامعة مليكة كباس(؛ 2)أستاذة التعليم العالي، جامعة البليدة أمينة بقاط

)أستاذ التعليم نصر الدين بوحساين(؛ 2)أستاذ التعليم العالي، جامعة البليدة عمار ساسي(؛ 2البليدة

قة ياسمين قارةعتي(؛ 2)أستاذة محاضرة، جامعة البليدة (؛ دليلة براكني2العالي، جامعة البليدة

)أستاذة التعليم صليحة أمكران)أستاذة التعليم العالي، المدرسة العليا لألساتذة، الجزائر العاصمة(؛

الحاج (؛ 2)أستاذة التعليم العالي، جامعة الجزائررحال -صفية أصالح(؛ 2العالي، جامعة الجزائر

)أستاذة التعليم العالي، جامعة سانت ايمريال ريسب)أستاذ التعليم العالي، جامعة مستغانيم(؛ ملياني

)أستاذ التعليم كلود فينتزفرنسا(؛ - 2)أستاذة محاضرة، جامعة ليون كلود كورتييهفرنسا(؛ -إتيان

(.2العالي، جامعة ستيندال غرونوب

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الجزائر –البليدة –العفرون – 2جامعة البليدة [email protected]

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