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UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
Ecole d’orthophonie
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Certificat de Capacité d’Orthophonie
La prise en charge orthophonique de la dysoralité sensorielle
de l’enfant tout-venant : critères d’évaluation de l’efficacité
des massages de désensibilisation.
Soutenu publiquement le 29 juin 2018
Par Sarah DE ROECK
Présidente du jury : Dr Elisabeth PERI-FONTAA, ORL et phoniatre
Directeur de mémoire : Matthieu MARTEL, orthophoniste
Rapportrice : Virginie CLAUDEL, orthophoniste
Assesseure : Isabelle JOUSSELLIN, orthophoniste
Année universitaire 2017-2018
Faculté
de médecine
Remerciements
A Matthieu Martel, qui a accepté de diriger ce mémoire avec enthousiasme et m’a
soutenue dans ses nombreux rebondissements.
A Catherine Senez, qui m’a fait confiance et m’a offert son temps, ses archives et ses
connaissances.
A Elisabeth Péri-Fontaa, pour tout ce qu’elle apporte aux élèves de l’école
d’orthophonie et pour me faire l’honneur de présider ce jury.
A Virginie Claudel, qui a bien voulu se porter garante de la qualité de ce travail.
A Isabelle Joussellin, qui m’a guidée avec beaucoup de douceur vers une posture
professionnelle et qui a accepté de m’accompagner en ce jour très spécial.
Aux orthophonistes et aux parents des enfants de ce mémoire, pour leur implication et
pour tout le travail que cela leur a demandé.
Au professeur Couly et au docteur Philippe, qui ont patiemment répondu à mes mails
pleins de questions.
A Héléna Chabran et à Lionel Landré, pour leurs conseils judicieux et leur
bienveillance dans les pires moments d’angoisse et de remise en question.
A Juliette, pour sa précieuse amitié durant ce cursus et pour toutes les paillettes qu’elle
sème sur son chemin.
A mes parents et à tous mes frères et sœurs, qui m’ont appris à croire en moi et à me
soucier des autres.
A Wandrille, pour son amour et son soutien sans faille dans ce long parcours vers le
métier de mes rêves.
Table des matières
INTRODUCTION ................................................................................................................................. 1
DONNEES PREEXISTANTES ........................................................................................................... 2
LE DEVELOPPEMENT DE L’ORALITE ALIMENTAIRE CHEZ L’ENFANT ..................................................................... 2
L’oralité primaire ........................................................................................................................................... 2
De l’oralité secondaire à l’oralité tertiaire .................................................................................................... 2
LE SYNDROME DE DYSORALITE SENSORIELLE (SDS) ........................................................................................... 3
Le trouble du traitement de l’information sensorielle .................................................................................... 3
Qu’est-ce que le SDS ? ................................................................................................................................... 4
Les chémorécepteurs et mécanorécepteurs en cause ...................................................................................... 5
Le réflexe nauséeux et l’hypersensibilité ........................................................................................................ 7
Le RGO et les régurgitations chez l’enfant ..................................................................................................... 8
Impact du SDS sur la famille et la relation parent(s)-enfant .......................................................................... 8
LA PRISE EN CHARGE ORTHOPHONIQUE ET LES MASSAGES DE DESENSIBILISATION .............................................. 9
Le protocole de massages ............................................................................................................................... 9
L’accompagnement parental ........................................................................................................................ 11
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES ......................................................................................... 12
MATERIEL ET METHODE ............................................................................................................. 13
RESULTATS ....................................................................................................................................... 14
A. ...................................................................................................................................................................... 14
B. ....................................................................................................................................................................... 16
C. ....................................................................................................................................................................... 18
D. ...................................................................................................................................................................... 21
E. ....................................................................................................................................................................... 23
F. ....................................................................................................................................................................... 25
G. ...................................................................................................................................................................... 26
ANALYSE DES RESULTATS .......................................................................................................... 28
DISCUSSION....................................................................................................................................... 33
CONCLUSION .................................................................................................................................... 34
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 35
GLOSSAIRE ........................................................................................................................................ 38
ANNEXES ............................................................................................................................................ 39
1
Introduction
"Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé
s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la
gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je
tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi".
Marcel Proust, Du côté de chez Swan, 1913.
La bouche est un organe essentiel dans la construction de l’être : porte d’entrée des
aliments et des multiples sensations qui les accompagnent, cavité extrasensible permettant les
premières explorations d’objets, articulateur principal des sons de la parole, elle participe aux
deux fonctions majeures que sont l’alimentation et la vocalisation. C’est un organe central du
développement de l’enfant qui bénéficie d’une grande attention de la part des parents.
Malheureusement, ce développement peut être perturbé et certaines familles rencontrent des
difficultés au moment de diversifier l’alimentation de leur jeune enfant. Parfois, c’est un
syndrome de dysoralité sensorielle (SDS) qui freine ses explorations alimentaires. Dans ce
syndrome, les chémorécepteurs de l’épithélium olfactif et les mécanorécepteurs de la bouche
sont en cause (Senez, 2015). Trop sensibles, ils provoquent en réponse à certains stimuli un
réflexe nauséeux très désagréable pour l’enfant qui se protège en développant des aversions
alimentaires. Les parents, démunis et parfois culpabilisés face aux difficultés qu’ils
rencontrent pour nourrir leur enfant, ne savent pas toujours quelle méthode employer, ni vers
quel professionnel se tourner. Selon Catherine Senez, orthophoniste, des massages ciblés et
répétés vont permettre d’augmenter le seuil de réponse des mécanorécepteurs : l’habituation à
la stimulation intra-buccale permettrait de faire céder l’hypersensibilité qui empêche la
diversification alimentaire. Cependant, aucune publication scientifique n’atteste à ce jour
l’efficacité du protocole de massages conçu par madame Senez.
La vocation de cette étude est d’identifier les différents facteurs qui permettraient de mesurer
les bénéfices tirés de cette technique de rééducation que nombre de thérapeutes pratiquent
déjà quotidiennement.
2
Données préexistantes
Le développement de l’oralité alimentaire chez l’enfant
L’oralité primaire
La succion est l’une des premières fonctions à se manifester chez le fœtus, grâce à
l’apparition très précoce d’un réflexe archaïque : dès la 10ème semaine de grossesse,
l’embryon ébauche une succion sous forme de mouvements de langue antéropostérieurs
(réflexe de Hooker) qui permettent la formation du palais, la croissance mandibulaire et
l’insertion des muscles de la langue sur la mandibule. Deux à cinq semaines plus tard la
déglutition se met en place, et le couple « succion-déglutition » sera répété et automatisé in
utero jusqu’à la fin de la grossesse (Thibault, 2007). Ainsi, l’enfant né à terme, entraîné à
sucer et déglutir son liquide amniotique, sera capable d’ingérer le lait, nutriment exclusif et
sécurisant. Un autre réflexe archaïque, le réflexe nauséeux que nous détaillerons plus loin,
permet d’empêcher l’ingestion de substances toxiques et de dégager les voies aérodigestives
supérieures. En d’autres termes, le bébé est programmé pour ne rien avaler d’autre que du lait
durant ses premiers mois de vie. C’est le moment de l’oralité dite primaire, où l’alimentation
est une séquence réflexe dépendant du tronc cérébral.
De l’oralité secondaire à l’oralité tertiaire
L’oralité secondaire, quant à elle, est praxique. Préludée par l’utilisation de la cuillère
vers 4 mois, elle débute réellement vers 1 an, lorsque l’enfant mastique et déglutit de façon
autonome (Couly, 2017). Cette capacité signe le processus de corticalisation des structures.
L’alimentation n’est alors plus un simple réflexe, mais une phase volontaire activant de
nouveaux schèmes moteurs. Une « double stratégie alimentaire », alliant le lait au sein ou au
biberon et les autres aliments introduits au fil des mois à la cuillère, est souvent maintenue
3
jusqu’aux 2 ans de l’enfant dans les pays occidentaux. Cette oralité volontaire ne sera
semblable à celle de l’adulte en termes de mastication et déglutition que vers l’âge de 6 ans.
Enfin, l’enfant grandissant va construire sa propre représentation de l’alimentation, basée sur
son expérience sensorielle et sur l’étayage de son environnement. Cette « oralité tertiaire (ou
oralité « cognitive ») » (Levavasseur, 2017) amène l’enfant à s’inscrire verbalement dans
l’alimentation : « j’aime... », « je n’aime pas... » et à persévérer dans ses préférences comme
dans ses aversions.
Le syndrome de dysoralité sensorielle (SDS)
Le trouble du traitement de l’information sensorielle
Le « traitement de l’information sensorielle », anciennement nommé « intégration
sensorielle » (Ayres, 1963), désigne le processus par lequel le cerveau transforme un message
reçu par le biais des sens en réponse comportementale adaptée. Ce traitement repose d’une
part sur la modulation sensorielle, c’est-à-dire la capacité du système nerveux central (SNC) à
réguler l’intensité des réponses en fonction des stimuli, et d’autre part sur la discrimination
sensorielle qui implique un processus cognitif pour distinguer et interpréter les
caractéristiques de ces stimuli. Ces derniers sont analysés par le SNC selon trois paramètres :
- leur modalité (visuelle, tactile, olfactive, gustative, auditive, vestibulaire,
proprioceptive),
- leur intensité dont la perception est subjective, variant d’un individu à l’autre et même
d’un moment à l’autre chez une même personne,
- leur durée qui implique deux composantes : la durée dite absolue (temps réel durant
lequel un stimulus est appliqué), et la durée « ressentie » de la sensation, souvent plus
longue.
Certains mécanismes neurophysiologiques permettent de moduler la perception des stimuli
sensoriels, comme l’habituation (un stimulus répété va atténuer la réponse des récepteurs
concernés) ou son contraire la sensibilisation.
Le trouble du traitement de l’information sensorielle est un trouble de l’organisation
des stimuli qui entraîne une incapacité à produire une réponse adaptée, et par conséquent gêne
4
certaines activités de la vie quotidienne. L’hypersensibilité sensorielle, définie comme une
réponse trop rapide, trop intense ou sur une plus longue période que la durée absolue du
stimulus, découle d’un trouble de la modulation sensorielle, c’est-à-dire d’un problème dans
la phase initiale du traitement de l’information (Miller, Anzalone, Lane, Cermak & Osten,
2007). Les enfants souffrant d’une hyperréactivité sensorielle présentent des défenses
sensorielles comme par exemple des réactions aversives aux odeurs ou à la texture de certains
aliments, un inconfort démesuré au contact de certains tissus ou de la saleté, ou encore une
intolérance au toucher des personnes ou au brossage des dents...
Les causes de ce trouble demeurent inconnues, mais quelques recherches suggèrent
une composante héréditaire. Une étude de Gavin et al., en 2011, a montré des différences
d’activité neuronale entre les cerveaux d’enfants neurotypiques et ceux d’enfants ayant un
trouble du traitement de l’information sensorielle. Il y aurait donc une dysfonction cérébrale
sous-jacente.
Qu’est-ce que le SDS ?
L’alimentation est un processus développemental sensori-moteur, affectif et social qui
dépend des interactions entre les systèmes nerveux, cardio-respiratoire et gastro-intestinal,
ainsi que des stimulations de l'environnement (Rogers et Arvedson, 2005). Une alimentation
variée nécessite non seulement un développement harmonieux des capacités motrices de la
sphère orale (succion, mastication, déglutition) mais également une maturation sensorielle
générale au niveau du goût, du toucher ou encore de l’olfaction. Elle est également largement
influencée par l’environnement, avec d’importantes variables comme la disponibilité, la
quantité, le choix et la préparation des aliments, l’agencement et la durée des repas, ou encore
les interactions sociales qui en découlent... De nombreux éléments sont donc susceptibles de
perturber le développement de l’alimentation de l’enfant. Lorsque les difficultés rencontrées
sont d’origine sensorielle, on parle de dysoralité sensorielle.
Selon Catherine Senez, première professionnelle à évoquer le Syndrome de Dysoralité
Sensorielle, ce trouble se définit par une « hyper réactivité génétique des organes du goût et
de l’odorat ». Une étude de Sauzay et Barrier (2011) estime la prévalence du SDS à 4.86% et
met en évidence des hypersensibilités associées, notamment au niveau tactile (exploration
limitée des objets et des doigts avec la bouche, difficultés à se salir, à toucher la terre ou le
5
sable...). Le SDS décrit par Senez peut prendre plusieurs formes, allant du simple dégoût pour
quelques aliments à l’aversion totale de la nourriture. Il s'exprime souvent par des haut-le-
cœur (réflexe nauséeux), régurgitations, vomissements ou rejets à la vue, à l’odeur ou au
contact de certains aliments liquides ou solides : l'enfant ne peut en tolérer la texture, la
température, le goût... Mais selon Senez, le réflexe nauséeux n’est que le symptôme d’un
phénomène plus complexe. Elle relève d’autres signes d’aversion alimentaire comme un
manque d’appétit, une importante sélectivité combinée à un refus des nouveaux aliments, et
une grande lenteur lors des repas, souvent associée à des problèmes comportementaux. Cette
aversion d’origine sensorielle serait due à une trop grande réactivité des récepteurs
mécaniques et chimiques impliqués dans la prise alimentaire, ce qui rejoint parfaitement la
théorie d’un trouble du traitement de l’information sensorielle. Chez l’enfant tout-venant, ces
problèmes d’alimentation apparaissent généralement au moment du sevrage et de la
diversification alimentaire ou du passage aux morceaux. Les nouveaux aliments et les
nouvelles textures proposés aux enfants hypersensibles leur causent des sensations olfactives
et/ou intrabuccales qui leur sont insupportables et qui les amènent à restreindre leur
alimentation.
Longtemps considérée comme ayant une étiologie psychogène, la dysoralité
sensorielle est aujourd’hui un syndrome à part entière, dont la prise en charge entre
officiellement dans la nouvelle nomenclature des orthophonistes à partir d’avril 2018, grâce à
la création de l’acte spécifique concernant les troubles de l’oralité (AMO 13.5).
Les chémorécepteurs et mécanorécepteurs en cause
L’humain (contrairement aux animaux) ne mange pas essentiellement ce dont il a
besoin, mais surtout ce qui lui procure du plaisir. Les messages sensoriels induisant le plaisir
ou le déplaisir sont « captés mécaniquement ou chimiquement par les récepteurs du nez, la
rétine, la peau et transmis (...) par la traduction réalisée par la sérotonine ». (Gordon-
Pomares, 2004) D’autres capteurs s’ajoutent aux récepteurs sus-cités, comme la muqueuse
buccale ou encore la langue, l’oreille ...
Les mécanorécepteurs en cause dans la dysoralité sensorielle sont les corpuscules de Pacini et
de Meissner qui transmettent les sensations de vibration et la sensibilité tactile, les
thermorécepteurs (du chaud et du froid), et les nocicepteurs (responsables des sensations
6
douloureuses). Les chémorécepteurs également impliqués sont quant à eux situés dans
l’épithélium des papilles fongiformes et caliciformes de la langue et dans la partie supérieure
de la muqueuse nasale. Bien que tous les sens soient largement impliqués dans le plaisir de
l’alimentation (« la vue, l’odorat, le goût, l’audition, la somesthésie, la proprioception, la
thermoception voire le sens vestibulaire » Levavasseur, 2017), nous ne détaillerons ici que les
nerfs sensoriels impliqués dans la reconnaissance du goût, de l’odorat et de la sensitivité
intrabuccale, c’est-à-dire les nerfs transmettant les informations des chémorécepteurs et
mécanorécepteurs précédemment cités :
- Le nerf olfactif (I) est strictement sensoriel. Les cellules olfactives réceptrices se
situent dans la muqueuse olfactive qui recouvre la partie supérieure des parois
externes et internes des fosses nasales. Leur prolongement périphérique se termine à la
surface de cette muqueuse par quelques cils courts et fins. Les fibres nerveuses se
réunissent en rameaux et traversent la lame criblée pour gagner la face inférieure du
bulbe olfactif avant de voyager à travers le tractus olfactif jusqu’au lobe temporal
moyen, dans l’aire olfactive primaire.
- Le nerf lingual (branche du nerf trijumeau V) assure toute l’innervation sensitive,
mais non sensorielle, du dos et des bords de la langue jusqu’au V lingual : il transporte
les sensations de pression, de tact, de chaud, de froid et de douleur.
- Le nerf facial (VII), moteur et sensitif, comporte les fibres sensorielles spéciales du
goût pour les deux tiers antérieurs de la langue.
- Le nerf glosso-pharyngien (IX) est d’abord un nerf sensoriel. Il provient du
myélencéphale et s’étend du crâne jusqu’au pharynx. Il comporte les fibres
sensorielles générales transmettant le toucher, la douleur, la température et la
proprioception du tiers postérieur de la langue, des amygdales et du pharynx (entre
autres) : ce territoire explique qu’il soit à l’origine soit de réflexes de déglutition, soit
de réflexes nauséeux. Il transporte également les fibres sensorielles spéciales du goût
pour le tiers postérieur de la langue.
- Le nerf vague ou pneumo-gastrique (X), moteur et sensitif, reçoit les impressions
gustatives perçues au niveau de la base de la langue, en arrière du V lingual et de
l’épiglotte. Il transporte la sensibilité proprioceptive des muqueuses du laryngo-
pharynx et du larynx, jouant ainsi un rôle protecteur des voies aériennes.
(Rouvière, 1974 ; McFarland, 2009)
7
Le réflexe nauséeux et l’hypersensibilité
Un réflexe est une réaction nerveuse inconsciente qui résulte d’une excitation
organique. Le réflexe nauséeux est un réflexe vital pour le nourrisson, lui permettant de
protéger ses voies aériennes et digestives supérieures en éliminant tout corps étranger
susceptible de les obstruer. « Le réflexe nauséeux est archaïque car c’est un réflexe de
sauvegarde qui évite au bébé d’ingérer ce qui lui déplait, impliquant ainsi une forte
prégnance gnosique préalable. C’est un réflexe segmentaire du tronc cérébral qui recrute
beaucoup sur le plan moteur car il exige la contraction du diaphragme. Plus tard, la
néophobie alimentaire du grand enfant, vers 2-3 ans, peut générer ce réflexe nauséeux, mais
il a alors une origine corticale (aire des émotions). » (G. Couly, communication personnelle,
25 janvier 2018).
Le mécanisme de ce réflexe peut se décomposer ainsi : un récepteur sensoriel est
stimulé par une cause externe, ce stimulus est transmis par les fibres afférentes sensitives à
une zone bulbaire de réception : le centre du vomissement, situé dans le mésencéphale. La
sensation reçue est transformée en impulsion motrice, se traduisant par des nausées (pouvant
aller d’une simple envie de vomir à des vomissements). (Mathieu, 1981, cité par Clavière,
2002).
Le mouvement induit par le déclenchement du réflexe nauséeux est le processus
inverse d’une déglutition : le diaphragme, se contractant, entraîne l’ouverture réflexe du
cardia. Le péristaltisme œsophagien s’inverse, la paroi pharyngée se contracte et le voile du
palais s’élève pour fermer le rhinopharynx. On remarque également une protrusion de la
langue et une ouverture de la bouche. Il existe des variabilités individuelles et familiales de la
sensibilité de ce réflexe. Une hypersensibilité se manifeste par une réaction exacerbée à
certaines odeurs ou certains aliments en raison, comme nous l’avons évoqué plus haut, d’une
hyper réactivité des perceptions olfactives, gustatives, ou proprioceptives. Les « zones
gâchette », c’est-à-dire les aires réflexogènes, sont plus antérieures que la moyenne chez les
personnes hypersensibles. Ainsi, certains enfants ont cette réaction dès lors qu’on introduit un
objet dans leur bouche (comme une cuillère).
8
Le RGO et les régurgitations chez l’enfant
Catherine Senez (2015) présente le RGO comme un signe associé aux aversions
alimentaires d’origine sensorielle, cependant elle évoque majoritairement une population
d’enfants porteurs de handicaps, ce qui sort du cadre de notre étude. En ce qui concerne les
enfants tout-venant, Mouterde (2016) rappelle que « le reflux gastro-œsophagien n’est pas
une maladie mais un phénomène physiologique, quoique probablement inutile, qui se produit
plusieurs fois par jour chez tout un chacun ». Il précise que le nourrisson y est naturellement
sujet « du fait de la quantité de liquide bue par jour, relativement au poids ». Selon ce
gastropédiatre, 100% des nourrissons ont un RGO, 60% d’entre eux le manifestent par des
régurgitations, et seulement quelques-uns subissent des conséquences néfastes comme des
angines, des otites, une toux chronique, des pneumopathies à répétition... Dans ces rares cas,
un lait épaissit suffit à diminuer les régurgitations (bien qu’il n’empêche pas le reflux), mais il
a été prouvé que le couchage en position proclive dorsale n’avait pas d’impact sur le RGO du
nourrisson (Becmeur, Rebeuh et Molinaro, 2009). Le reflux est considéré comme « typique »
jusqu’à l’âge de la marche ; au-delà, les régurgitations doivent avoir disparu ou orienter vers
un autre diagnostic comme le mérycisme (régurgitation d’aliments épais). Par ailleurs, aucun
traitement médicamenteux n’a prouvé son efficacité sur le reflux. Les IPP, souvent prescrites,
traitent uniquement l’acidité gastrique qui est par ailleurs utile et très rarement néfaste.
Dans ce contexte, on peut penser que si le RGO est corrélé à la dysoralité sensorielle,
c’est avant tout parce que le trouble sensoriel de l’enfant incite les parents à proposer des
aliments liquides en grande quantité (grâce au biberon) plus tardivement que la moyenne, et
surtout bien au-delà de l’âge de la marche.
Impact du SDS sur la famille et la relation parent(s)-enfant
Les orthophonistes qui prennent en charge ces petits patients et leur famille le savent
bien : tout le monde est impacté par un enfant qui ne mange pas comme on l’attend. D’abord,
les parents sont confrontés à un échec dans leur fonction nourricière. Ils culpabilisent et
s’inquiètent pour la santé de leur enfant, sa courbe de croissance, d’éventuelles carences...
Cela peut aussi remettre en cause toute l’organisation du quotidien : comment laisser toute la
9
journée à la crèche ou à l’école un enfant qui n’y mangera rien de ce qu’on lui proposera ?
Parfois la reprise du travail par les mères est retardée par le trouble alimentaire de l’enfant.
Les parents doivent en plus composer avec l’incompréhension, les jugements, les conseils et
les réflexions de leur entourage, parfois même des médecins ! Senez rapporte que « certains
arrivaient après un passage en pédopsychiatrie, ayant été étiquetés comme enfants
« anorexiques », accompagnés par leurs mères minées par les difficultés alimentaires de leur
enfant et une culpabilité induite ». L’enfant aussi culpabilise, de ne pouvoir satisfaire les
attentes de ses parents et d’être à l’origine du stress familial. Levavasseur explique qu’on
observe alors « des parents qui, soit montrent des réponses instables à l’enfant « difficile à
nourrir », soit abandonnent les propositions habituellement faites aux enfants du même âge.
Dans les deux cas, on ne peut retenir que l’aspect délétère pour le développement ». Il est
naturel qu’un parent tente par tous les moyens de faire manger son enfant. Malheureusement
la distraction, le forçage ou encore la punition ne sont pas des attitudes appropriées face à un
trouble alimentaire d’origine sensorielle, et nuisent fortement à la relation parent-enfant en
créant des tensions et des rancœurs.
C’est dans ce contexte particulièrement délicat et douloureux que les orthophonistes
reçoivent les familles qui ont eu la chance d’être bien orientées par leur pédiatre, ou qui ont
mené leurs propres recherches sur internet. Cette détresse doit absolument trouver un accueil
bienveillant pour que se crée l’alliance thérapeutique nécessaire à la prise en charge des
patients.
La prise en charge orthophonique et les massages de désensibilisation
Le protocole de massages
Le protocole de massage préconisé par madame Senez s’inspire de la méthode dite de
« desensitization » (désensibilisation, habituation) (Barber L. M., 1984) utilisée depuis une
trentaine d’années dans la rééducation de la main devenue hypersensible après un
traumatisme ou une chirurgie. Il s’agit de masser fréquemment et régulièrement la zone
concernée par l’hypersensibilité afin de réduire la réponse nerveuse au stimulus répété.
10
L’efficacité de cette méthode de rééducation sensitive de la main a déjà été démontrée
(Göransson I. et Cederlund R., 2011).
En ce qui concerne l’hypersensibilité intrabuccale, on peut penser que les mécanorécepteurs
de la bouche peuvent, tout comme ceux de la main, être désensibilisés par des stimulations
répétées. Senez décrit très précisément dans les formations qu’elle donne et dans son livre
(2015) le protocole qu’elle recommande de suivre à la lettre pour tous les enfants
hypersensibles :
Selon Senez, ces massages doivent être pratiqués 8 fois par jour, en veillant à ne jamais
déclencher le réflexe nauséeux de l’enfant, et ce durant 7 mois, même si des améliorations
11
étaient repérées au bout de quelques semaines. En cas de fièvre, l’enfant étant plus sensible, il
faut réduire l’amplitude des frictions mais ne pas stopper le protocole pour autant. De même,
si par maladresse un réflexe nauséeux est provoqué par un massage, il faut immédiatement
calmer l’enfant puis recommencer la friction en corrigeant son geste, afin de ne pas arrêter la
stimulation sur une sensation désagréable. Cette désensibilisation doit être réalisée par les
parents sur les indications de l’orthophoniste qui a un rôle d’accompagnement tout au long du
protocole.
L’accompagnement parental
C’est un protocole très lourd que l’orthophoniste tente de mettre en place avec la
famille, et cette dernière a besoin de soutien et de conseils tout au long de la désensibilisation.
Dans un premier temps, il s’agit de rassurer les parents, et de bien leur expliquer la cause du
trouble alimentaire de leur enfant. Il est important qu’ils comprennent les mécanismes en jeu
si l’on veut faire céder les « mauvaises » stratégies qu’ils ont parfois mis en place autour des
repas (forçage, chantage, distraction...). Ensuite, l’orthophoniste doit présenter les massages
en montrant les gestes en détail : vitesse, intensité, localisation, amplitude... Le plus important
est de faire sentir aux parents (dans la paume de leur main par exemple) le stimulus qu’ils
devront reproduire si souvent dans la bouche de l’enfant. L’orthophoniste peut leur proposer
de « s’entraîner » sur sa propre main pour vérifier que les parents ont correctement intégré le
geste, car des massages incorrectement réalisés pourraient empirer la situation. Senez
recommande de demander à l’un des parents de faire le massage à l’enfant -après s’être bien
lavé les mains- à chaque consultation, afin que l’orthophoniste puisse vérifier qu’il est
correctement réalisé ou corriger si besoin le geste parental.
Le protocole de massages étant particulièrement long (7 mois), l’accompagnement parental
est indispensable pour aider la famille à tenir sur la durée. Que les progrès soient très rapides
ou au contraire plutôt longs à apparaître, la tentation d’arrêter les stimulations peut être forte
et l’orthophoniste doit encourager, voire remotiver les familles en cours de traitement. Les
consultations, hebdomadaires dans un premier temps puis bimensuelles voire mensuelles par
la suite, sont également l’occasion de faire le point sur l’évolution de l’enfant et de mettre en
place des ajustements à ses nouvelles capacités.
12
Problématique et hypothèses
Le protocole de massages visant la désensibilisation des mécanorécepteurs
intrabuccaux par habituation aux stimuli repose, nous l’avons vu, sur des bases théoriques
solides. Cette méthode de rééducation est enseignée depuis des années par Mme Senez et mise
en pratique par de nombreux orthophonistes. Cependant, aucune publication scientifique
n’atteste à ce jour l’efficacité de cette désensibilisation, ni son impact sur l’alimentation des
enfants tout-venant souffrant d’une dysoralité sensorielle.
Pour pouvoir mener une étude sur l’efficacité d’une méthode de rééducation, il convient de
définir auparavant les critères selon lesquels elle doit être évaluée. Or ce protocole de
massages vise à améliorer l’alimentation, qui est une activité centrale dans la vie de l’homme
comme dans son corps : c’est un processus développemental sensori-moteur, affectif et social,
qui implique tous les sens (la vue, l’odorat, le goût, l’audition, la somesthésie, la
proprioception, la thermoception...) et qui repose en plus sur une représentation psychique,
voire éthique des aliments et de leur consommation. Il y a donc tant de facteurs en jeu dans ce
domaine qu’un premier travail s’impose afin de déterminer ce qui, dans la vie de l’enfant -et
par conséquent de sa famille-, évolue grâce à la prise en charge orthophonique et aux
stimulations intrabuccales.
Notre hypothèse principale est qu’à la suite de la mise en place du protocole de massages, les
prises alimentaires de l’enfant augmentent en ce qui concerne d’une part la quantité ingérée
lors d’un repas et d’autre part la diversité des textures acceptées par l’enfant.
Notre seconde hypothèse est que, comme le soutient Catherine Senez, l’enfant bénéficiant du
protocole de massages présente de moins en moins de réflexes nauséeux et de vomissements
ou régurgitations au fil des mois.
Enfin, nous émettons également l’hypothèse qu’en dehors des repas, d’autres compétences,
domaines et activités du quotidien sont impactés par la désensibilisation : le bavage, le
brossage des dents, la qualité du sommeil, le plaisir d’être câliné, l’humeur de l’enfant ou
encore ses productions langagières.
Valider ou invalider l’une ou l’autre de ces hypothèses permettra de cibler les critères
nécessaires à l’évaluation scientifique du protocole de massages élaboré par Senez.
13
Matériel et méthode
Nous avons contacté une centaine de cabinets d’orthophonie de la région, les uns nous
orientant vers d’autres, susceptibles de recevoir des enfants tout-venant avec un diagnostic de
dysoralité sensorielle. Nous avons ainsi recruté 7 enfants (5 garçons et 2 filles) âgés de 7 mois
à 6 ans 3 mois. Nous n’avons pu assister au bilan et à toutes les séances d’orthophonie que de
2 d’entre eux, mais nous avons fait signer à tous les parents un formulaire de consentement
éclairé (annexe 1) qui leur présentait à la fois le but de notre étude et ce que nous attendions
d’eux. En effet, en tant qu’experts de leur propre enfant, ce sont les parents qui avaient le plus
grand rôle à jouer dans notre enquête : réaliser les stimulations intrabuccales et prendre des
notes, si possible quotidiennes, sur ce que l’enfant acceptait de goûter ou manger, sur le
nombre de régurgitations, vomissements et toux observés, sur le nombre de massages réalisés
dans la journée et sur tout ce qu’ils observaient de nouveau et qui leur semblait lié à ce travail
de désensibilisation. Nous avons choisi de ne pas leur fournir de tableau à remplir afin que
leurs notes soient les plus spontanées possibles, incluant les éléments qui leur semblaient
importants et auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé. Au tout début de leur prise en
charge orthophonique et avant le début des massages, nous leur avons également demandé un
inventaire alimentaire recensant toutes les textures et tous les aliments acceptés par l’enfant.
En fin d’étude, nous leur avons fait remplir un questionnaire de synthèse (annexe 2) pour leur
permettre d’exprimer leur ressenti sur le protocole de rééducation et de faire le point sur les
progrès de leur enfant au niveau alimentaire et dans les autres domaines que nous supposions
être susceptibles d’évoluer.
Les orthophonistes assurant les prises en charge nous ont fourni, au besoin, le compte-rendu
de bilan orthophonique initial et leurs notes de séance, nous indiquant ainsi les conseils
donnés aux parents en cours de rééducation. Des échanges téléphoniques avec les parents
d’une part, et avec les orthophonistes d’autre part, nous ont permis de récolter un maximum
d’éléments pertinents pour l’analyse de l’évolution des enfants. Ainsi, nous avons pu décrire
pour chaque enfant un tableau clinique précis de sa dysoralité sensorielle initiale, avant de
détailler l’évolution dans le temps de sa sensorialité générale et de son alimentation plus
particulièrement.
Etant donnée la grande diversité des profils des enfants et de leur famille, nous avons choisi
de présenter nos résultats sous forme de vignettes cliniques.
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Résultats
Afin de garantir l’anonymat des enfants inclus dans cette étude, nous avons choisi de
remplacer leur nom par une lettre de l’alphabet. Ainsi, ces enfants sont rebaptisés A., B., C.,
D., E., F. et G.
A.
Bilan initial
A. est un garçon de 21 mois au moment du bilan, en novembre 2017. Il a présenté un
développement normal, a été allaité jusqu’à 6 mois et sevré sans difficulté. Nous relevons
cependant dans ses antécédents un important RGO qui a gêné son endormissement pendant un
an, ainsi que des régurgitations importantes et des vomissements en jets. Il tousse le matin et
le soir et cela semble lui faire mal. De plus, ses nuits sont entrecoupées par sa faim. Il met
généralement plus d’une heure à s’endormir et réclame à manger vers minuit, puis vers 6h du
matin. Il a de très grosses amygdales et est souvent enrhumé. Au niveau sensoriel, il aime
toucher les textures comme le sable, les feuilles et les cailloux avec ses mains. Il porte les
objets en bouche, y compris sa brosse à dents. Il est attaché à sa tétine. A. accepte et apprécie
les caresses sur les joues, en revanche il refuse que l’adulte lui présente la cuillère pour
manger : il préfère contrôler lui-même l’arrivée des aliments dans sa bouche et mange seul
avec une fourchette. A. est, comme sa maman, très sensible aux odeurs et il aime que les
aliments soient à température ambiante.
La plainte des parents résulte du petit appétit de leur fils lors des repas. C’est un enfant assez
mince qui « picore » plus qu’il ne mange (maximum 5 cuillerées de purée par repas), à la
maison comme à la crèche. Sa courbe de poids reste cependant normale, grâce aux biberons
aux céréales que ses parents lui donnent le soir et la nuit. A table, il accepte de goûter les
aliments, du bout de la langue, mais il les repose et s’en désintéresse. Il est sélectif et refuse
de manger les morceaux mous, le riz ou encore les légumes verts. Il aime les biscuits apéritifs,
le saucisson, les purées lisses, la banane. A. a presque toutes ses dents mais selon ses parents,
il a tendance à avaler tout rond ce qu’il met en bouche et peut aller jusqu’à s’étouffer. Lors du
bilan, nous n’observons pas de trouble fonctionnel pendant qu’il mange des bretzels, si ce
n’est une légère hypotonie labiale occasionnant un bavage important. Sa langue s’oriente bien
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sur les côtés, mais il mâche peu avant d’avaler. Nous notons également qu’il explore les
morceaux du bout des lèvres avant de les ingérer.
Nous concluons à la suite du bilan que cet enfant présente une hypersensibilité orale et
olfactive dans un contexte de reflux gastro-œsophagien sans doute lié aux biberons nocturnes.
Nous préconisons aux parents d’entamer les massages de désensibilisation intra-buccaux,
ainsi qu’une désensibilisation de l’odorat par habituation. Nous proposons un
accompagnement parental régulier (toutes les 6 semaines environ) afin de suivre leur
évolution. Enfin, nous orientons les parents vers une consultation ORL pour un avis sur la
taille des amygdales du garçon.
Evolution
Les massages sont réalisés deux à trois fois par jour, le soir avant le bain puis avant le
coucher, avec quelques oublis pendant les week-end et les vacances.
En décembre, une amélioration immédiate est constatée après seulement quelques
semaines de massages. Nous constatons que le bavage est beaucoup moins important. Selon
ses parents, A. est plus curieux à table où il manifeste davantage sa faim. Il trie les aliments
dans son assiette, enlève tous les grains de riz qu’il y trouve. Il goûte du bout de la langue
mais ne mange pas de morceaux mous. Il dort mieux, avec moins de réveils nocturnes, mais
son RGO est toujours présent. Nous profitons de cette séance pour observer la réalisation d’un
massage et corrigeons seulement la pression exercée par le doigt au niveau des gencives, que
nous trouvons un peu légère. Au cours du mois, A. s’est étouffé avec un gros morceau de
pomme. Cet épisode l’a effrayé et il n’a plus accepté que de la purée pendant une semaine.
En février, A. mange -parfois tout seul- en plus grande quantité et un tout petit peu
plus varié : il a goûté au fenouil, à la glace, à la courgette crue. Il aime ce qui croque comme
le pain grillé. Il commence à mastiquer ses tétines et à y faire des trous, parfois il joue avec la
brosse à dents électrique. Un léger bavage est toujours présent. Il dort plus longtemps sans se
réveiller, mais il est plus « énervé » au moment du couchage qui dure 20 minutes à une heure.
Il n’aime plus avoir les mains sales à table et demande qu’on lui essuie. A ce stade nous
encourageons les parents à masser également les paumes des mains et les doigts d’A., de
façon appuyée, et à lui proposer des choses à croquer/mastiquer pour contenter son besoin et
éviter qu’il n’avale le plastique des tétines.
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En avril, A. semble avoir moins faim la nuit et ne réclame pas systématiquement ses deux
biberons. A la crèche, il ne mange que les aliments lisses (purées, compotes, soupes) et le
goûter. A la maison il mange plus de textures différentes, mais dans une bien moindre
quantité : galettes de blé noir au jambon et au fromage, poisson pané, purée de légumes,
coquillettes, poulet, knacks, jus de fruits et légumes, amandes germées, raisins secs, sticks
apéritifs, chips de légumes... mais les quantités ingérées sont très insuffisantes et le garçon
contrôle toujours la température avant de mettre en bouche. Il veut manger tout seul. Les
parents déplorent des accidents d’étouffement impressionnants avec des aliments trop gros ou
trop durs qui surviennent surtout lorsqu’A. est fatigué. L’ORL consultée a noté une
hypertrophie des végétations et une hypertrophie amygdalienne très marquée avec une
obstruction quasi-complète de l’oropharynx. Cela engendre l’avancée de la langue et explique
le bavage. Dans ce contexte, une amygdalectomie partielle est réalisée.
Synthèse
Après 5 mois de massages de désensibilisation et une opération réduisant la taille de
ses amygdales, le RGO de l’enfant a diminué et son bavage également. Il y a aussi une
amélioration en ce qui concerne la diversité des textures acceptées et le plaisir qu’il prend à
être touché et câliné. La maman précise que les changements se font majoritairement ressentir
à la crèche lors du repas de midi, mais que le dîner à la maison reste un moment assez court
durant lequel il ne mange pas beaucoup. Malgré tout, il est plus curieux et s’amuse de ses
nouvelles sensations, par exemple en léchant un morceau de citron à plusieurs reprises. Les
parents associent ces évolutions aux massages réalisés ainsi qu’à leurs nombreux
encouragements pour l’accompagner vers la nouveauté. L’opération des amygdales a fait de la
place à sa langue et a permis de réduire en partie le bavage, mais tous ses problèmes
d’alimentation ne sont pas encore réglés
B.
Bilan initial
B. est un garçon de 2 ans 6 mois au moment du bilan en mars 2018. Cet enfant a été
nourri au lait maternel épaissi, par l’intermédiaire du biberon, jusqu’à la diversification
alimentaire à l’âge de 5mois ½. Celle-ci s’est bien passée, avec des purées de légumes. Mais
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le passage à des textures moins lisses n’a pas encore pu se faire. Une texture gluante ou
grumeleuse (banane écrasée dans un yaourt, compote mélangée à de la goyave) déclenche des
vomissements chez cet enfant (hypersensibilité aux textures). Son alimentation se limite donc
au lait avec 2 biberons par jour, aux yaourts, aux purées et aux compotes lisses et sans
morceaux. Il mange aussi des petits pots qui peuvent parfois contenir des petits spaghettis ou
du riz. Sa courbe de poids est normale. Depuis février 2018 il accepte de croquer des biscuits
« boudoirs ». L’orthophoniste relève une hypersensibilité globale : B. n’aime pas du tout que
de l’eau lui tombe sur la tête ou le dos, ni être coiffé, avoir les mains sales ou encore se
promener pieds-nus sur du sable ou de l’herbe mouillée. Le brossage des dents pose un
problème également : B. mord la brosse pour empêcher le brossage. La thérapeute met en
place une désensibilisation et commence en douceur par « le tour de la maison », préliminaire
avant les massages intrabuccaux, décrit par Senez dans son livre : « En utilisant nos deux
mains, paumes ouvertes et posées sur la tête de l’enfant nous allons réaliser une série de
contacts, pressions, lâcher de pression, retraits. Les trajets sont : front-sommet du crâne, les
deux tempes, un œil-sommet du crâne (...), l’autre œil-sommet du crâne, les deux joues et la
bouche-sommet du crâne. Il faut faire ces pressions le plus souvent possible. » Ces gestes sont
associés à une petite comptine qui rend le moment agréable et ludique.
Lorsque ces stimulations seront bien acceptées, les parents pourront passer au protocole
intrabuccal (en avril). L’orthophoniste conseille de donner à B. une petite assiette contenant
les aliments mangés par les parents afin qu’il puisse l’explorer avec les mains à défaut d’y
goûter.
Evolution
Au mois de mars, alors que ses parents le stimulent avec « le tour de la maison », B.
vomit trois fois et régurgite une fois sur une période de 3 jours consécutifs. En cause, des
petites pâtes ajoutées à la purée de légumes. Dans le même mois, il progresse légèrement en
mangeant une fine lamelle de pomme, des « pik et croq » (biscuits croustillants trempés dans
un fromage crémeux), et un morceau de banane écrasée avec un yaourt. Il commence
également à lécher des biscuits apéritifs et du chocolat.
En avril, après une pause de 3 jours due à des vacances chez ses grands-parents qui n’ont pas
pris le relai des stimulations, les parents reprennent « le tour de la maison » trois fois par jour
et entament les massages intrabuccaux deux fois par jour. Au cours de ce même mois, B. a eu
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deux épisodes de régurgitation devant un repas, mais il a par ailleurs progressé davantage : il
croque dans les petits gâteaux et les biscuits apéritifs, accepte de la saucisse et de la banane
écrasée chez sa nourrice, et commence à grignoter des morceaux de pain. Il essaye également
une nouvelle température : la glace à la vanille qu’il laisse fondre pour éviter d’avoir des
morceaux en bouche.
Synthèse
En deux mois de stimulations et seulement un mois de désensibilisation intrabuccale à
raison de deux massages par jour, et malgré une courte pause dans le protocole, le
questionnaire de synthèse rempli par la mère de B. révèle qu’il a progressé au niveau de la
diversité des textures acceptées (il mange de plus en plus d’aliments solides) et du brossage
des dents. Elle associe ces améliorations à l’avancée dans le protocole de massages et
n’identifie pas d’autre facteur susceptible d’y contribuer.
C.
Bilan initial
C. est une petite fille de 7 mois au moment de son bilan orthophonique, en septembre
2017. L’anamnèse révèle des difficultés d’alimentation depuis la naissance car elle est née
avec un douloureux muguet buccal, traité grâce à un antifongique. C. tétant lentement et peu
efficacement, l’allaitement est rapidement devenu difficile -puisque c’est la stimulation
réalisée par le bébé en tétant qui provoque la production de lait par le sein- et le biberon est
venu compléter son alimentation. Des désordres intestinaux ont amené ses parents à lui
proposer du lait de riz, ce qui a bien résolu le problème et lui a permis de finir ses biberons.
Un RGO a été suspecté car elle régurgitait parfois par le nez et un traitement par IPP a été
proposé, sans efficacité constatée. Sujette à des bronchiolites à répétition, C. est tout le temps
encombrée, elle a des stases de glaires au niveau du carrefour oropharyngé et tousse depuis
qu’elle a 1 mois ½. Cet encombrement la fait « ronronner » (sa respiration est bruyante) et
ralentit considérablement la prise du biberon car elle est gênée pour synchroniser sa
respiration et sa déglutition. C. est donc suivie par un kinésithérapeute qui l’aide à dégager ses
voies respiratoires. Par ailleurs un examen du transit a mis en évidence des fausses-routes aux
liquides. L’alimentation à la cuillère pose moins de problème, et la petite fille mange des
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légumes à midi et de la compote au goûter. Le lien main-bouche est bien installé : elle suce
ses doigts et met les objets en bouche. En revanche elle recrache systématiquement une tétine
et elle présente un bavage important. L’ORL consulté n’a constaté aucune anomalie physique.
La demande des parents résulte des difficultés de déglutition des liquides et du temps
nécessaire à la prise des biberons. De plus, C. est sélective et refuse certains aliments et
certaines textures. La maman ne s’imagine pas pouvoir confier sa fille à une nourrice car son
alimentation demande trop d’adaptations. Nous relevons une hypotonie linguale et labiale et
conseillons aux parents de masser le plancher buccal pour stimuler la base de langue et de
tapoter les lèvres et les joues de l’enfant pour tonifier sa sphère orale. Plus tard, nous leur
recommanderons de mettre en place les massages intrabuccaux pour l’aider à supporter
davantage de textures.
Evolution
En décembre les parents ont remarqué que sa déglutition de liquide est moins
bruyante. Elle n’a plus de régurgitation par le nez, ce qui signifie que son voile du palais
ferme correctement le nasopharynx à la déglutition. Elle est également moins encombrée et
elle ne « ronronne » plus qu’en période de rhume. Les repas sont plus longs qu’auparavant,
mais elle commence à accepter de manger des textures moins lisses, qui lui sont données avec
une petite cuillère en silicone. Nous conseillons à la maman d’essayer de passer à une toute
petite cuillère en métal pour lui offrir de meilleures informations sensorielles. C. porte
absolument tous ses jouets à la bouche et sort beaucoup sa langue pour explorer. Elle reçoit
des massages au niveau des gencives et de la langue, ainsi que des tapotements sur les lèvres
qu’elle semble apprécier.
En janvier, C. accepte les petits morceaux comme des pâtes bien cuites. Au moment des fêtes
de fin d’année, les parents ont oublié de lui faire les massages et s’en sont aperçu au bout de
quelques jours car elle avait de nouveau du mal à boire. Cela s’est amélioré avec la reprise des
massages. C. a plusieurs dents qui poussent et elle essaye maintenant de mordre sa maman
lors des massages, ce qui les rend compliqués à réaliser. Son caractère s’affirme : elle
repousse la cuillère et le biberon, mange davantage avec son père qu’avec sa mère, veut
décider de ce qu’elle mange ou pas. Par exemple, elle goûte les nouveaux fruits et légumes
qui lui sont proposés, mais elle n’accepte que ses gâteaux habituels (des galettes de riz). Le
repas peut durer une heure. Elle commence à manger seule avec sa cuillère en silicone, en
relais avec la cuillère en métal que tient le parent qui la nourrit. La succion reste un peu
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compliquée pour elle. Elle a eu du mal à s’adapter à une nouvelle tétine sur son biberon d’eau.
Nous proposons lors de cette séance de lui faire sentir des odeurs alimentaires (vanille, fraise,
cannelle, citron). Elle semble apprécier et sort sa langue quand l’odeur lui plaît. Nous
conseillons à la maman de mettre en place un petit rituel plaisant pour initier le temps du
repas avec sa fille.
En février, C. mange beaucoup mieux, en seulement 20 minutes. Elle accepte bien les
morceaux et les double-texture. Après le déjeuner elle est fatiguée et ne veut plus de yaourt
mais accepte un biberon qu’elle boit toujours lentement. Elle croque des petits bouts de
bretzel, des biscuits apéritifs. Elle refuse la brosse à dents et n’accepte pas du tout les
stimulations au niveau du palais (elle mord) donc ses parents ne lui massent plus que les
gencives. Elle se met en colère quand on la met dans sa chaise haute, mais se calme quand on
lui apporte son assiette. Elle explore beaucoup les objets avec ses mains. Nous conseillons les
adaptations suivantes : proposer des bâtonnets de légumes cuits qu’elle puisse attraper et
croquer, lui proposer une brosse à dents très souple qu’elle puisse manier seule sur imitation,
passer à la tasse pour boire afin de pallier ses difficultés de succion, et lui montrer, avant de
l’installer pour le repas, une photo de son assiette pleine afin qu’elle comprenne et anticipe les
évènements.
En mars, C. goûte de nouveaux aliments (frites, confiture, mousse au chocolat, nouveaux
biscuits apéritifs...) et de nouvelles texture (légumes en bâtonnets tendres). Elle commence à
mastiquer et réclame davantage de biberons car elle a également moins de mal à téter. Dans
ses jeux, C. donne à manger à sa poupée et lui donne l’exemple en ouvrant et fermant la
bouche. La maman a arrêté les stimulations intrabuccales car sa fille ne se laissait plus faire,
mais elle continue les stimulations faciales, comme pincer ses lèvres vers l’avant, et C.
commence à faire des bisous. Le brossage des dents est toujours impossible : nous leur
proposons d’essayer un doigtier en silicone.
En avril, elle a encore intégré de nouveaux aliments et de nouvelles textures et saveurs
(biscuits aux fruits, crème pâtissière, morceaux d’orange qu’elle croque pour en extraire le
jus, morceaux de poire, thon-mayonnaise...). A midi, elle accepte désormais un yaourt en
dessert à la place du biberon. La maman continue de lui faire les massages externes deux fois
par jour, et a pris l’habitude de stimuler sa base de langue avant de lui donner à boire car cela
semble l’aider. C. met maintenant ses vêtements en bouche et aime croquer sa brosse à dents.
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Synthèse
C. a bénéficié d’environ 4 mois de massages des gencives, à raison de deux massages
par jour avec quelques petites pauses. Elle a beaucoup progressé au niveau de la diversité des
textures et des aliments acceptés. Elle prend plus de plaisir à manger, déglutit mieux et parle
plus. Elle ne fait plus de fausses-routes et elle est moins encombrée. En revanche la prise du
biberon est toujours longue et se fait en plusieurs fois. La maman pense que les améliorations
coïncident avec l’avancée du protocole de massages, mais évidemment la croissance de C.
implique des progrès spontanés et les nombreux changements qui en découlent (notamment sa
nouvelle dentition) sont à prendre en compte.
D.
Bilan initial
Ce petit garçon a 3 ans 7 mois lors de son bilan en septembre 2017. Bébé, il a été
allaité au sein pendant un mois mais il ne tétait pas très efficacement et se fatiguait beaucoup,
ce qui nécessitait de le nourrir toutes les demi-heures. Face à ses difficultés, sa maman a
commencé à tirer son lait pour le lui donner au biberon (essayant tous les modèles et toutes les
tétines du commerce). D. se fatiguait toujours et il fallait souvent le réveiller pour qu’il
continue à téter ; un petit biberon pouvait lui demander 45 minutes d’efforts. Un RGO lui a
valu une prescription d’antiacide qu’il était impossible de lui faire prendre. Son alimentation
s’est diversifiée à 6 mois, avec des purées de carotte « maison » bien lisses et des compotes. Il
ne prenait plus le biberon que le matin. Vers 12 mois, le passage aux morceaux a été très
laborieux. Du jambon mixé dans sa purée lui donnait de violents réflexes nauséeux et cette
texture le faisait vomir très souvent. A 15 mois il pouvait manger quelques coquillettes, mais
seulement une par une. C’était un enfant qui ne portait rien à sa bouche.
Au moment du bilan, D. est un enfant hypersensible aux textures et à la chaleur : il faut le
doucher avec de l’eau presque froide ! Il a un petit appétit, accepte peu d’aliments et ses repas
sont longs (45 minutes pour le mettre à table et jusqu’à 1h30 pour qu’il finisse son repas) et
source de tensions. Le brossage des dents est très compliqué pour lui. Sa maman se souvient
qu’étant petite elle était elle-même hypersensible aux textures et mâchait très longtemps ses
aliments pour lisser le bolus qu’elle avait en bouche. Elle est toujours très sensible aux odeurs.
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Le papa de D., de son côté, a des réflexes nauséeux lorsqu’il se brosse les dents ou qu’un
médecin pose un abaisse-langue dans sa bouche.
L’orthophoniste met rapidement en place le protocole de massages intrabuccaux et un
accompagnement parental. Les parents étant séparés, les séances se font alternativement avec
l’un et avec l’autre.
Evolution
D. passe une semaine sur deux avec chacun de ses parents. Les massages sont réalisés
en moyenne deux fois par jour par le père et cinq fois par jour par la mère, entre les mois
d’octobre et décembre. Durant cette période, D. a beaucoup évolué, notamment en
commençant à lécher et mettre les objets en bouche. Il a un PAI à la cantine qui lui permet
d’emporter des aliments qui le rassurent. Des jeux autour de la sensation de chaleur lui ont
permis de mieux la tolérer. Par exemple, toucher le radiateur, jouer avec le jet de la douche ou
encore s’amuser avec une dînette dans le bain l’ont beaucoup aidé. Un petit rituel a été
instauré avant le passage à table : il pose sa tétine, passe aux toilettes et va se laver les mains
avant d’aller s’asseoir devant son assiette, ce qui prend beaucoup moins de temps
qu’auparavant. Au moment de Noël, les massages sont devenus une contrainte que l’enfant a
de plus en plus de mal à accepter et ses parents arrêtent le protocole.
En janvier, D. a envie de goûter de nouvelles choses comme de la pizza. Le repas ne dure plus
que 30 minutes. La maman contourne les difficultés et résistances de son fils par des
renforçateurs, par exemple en lui proposant deux desserts à condition qu’il mange encore telle
quantité dans son assiette. Il accepte de nouveaux aliments comme les lentilles, les petits pois
et les nuggets. En revanche, il n’a plus envie de venir chez l’orthophoniste et ne comprend pas
pourquoi il doit se rendre à ces rendez-vous (« je ne suis pas malade ! »). Les séances sont
donc espacées.
Au mois de mars, D. réclame à manger quand il a faim (avant il n’exprimait jamais cette
sensation). Depuis le mois de février il a une brosse à dents électrique qu’il adore et qu’il
garde longtemps en bouche. Ce moment est devenu un jeu et un plaisir pour lui. Sa courbe de
poids se rapproche de la normale, et même s’il est toujours dérangé par certaines textures
comme celle du steak haché, il mange presque comme tout le monde et avec plaisir. Le PAI a
donc été arrêté.
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Synthèse
Le questionnaire de synthèse a été rempli par chaque parent séparément et les résultats
ne sont pas du tout similaires. Visiblement, le père et la mère de D. ne partagent pas le même
avis sur le trouble sensoriel de D. ni sur son évolution. Leur regard sur l’alimentation en
général semble différer. Pour le papa, les seules améliorations constatées concernent la
quantité et la diversité des aliments et des textures acceptés par son fils. Il insiste auprès de lui
pour qu’il accepte de manger de tout parce qu’il l’en sait capable. Il ne pense pas que ces
progrès soient liés aux massages de désensibilisation, mais plutôt à son changement d’attitude
face à son fils : « je pense que trop d’importance a été accordée à ses préférences ». Selon
lui, depuis qu’il impose les menus à son enfant -tout en tenant compte de ce qu’il aime, mais
sans lui demander son avis- les repas se passent mieux : « il s’y plie désormais sans opposer
de résistance ».
Selon la maman, d’autres choses ont évolué : le brossage des dents, la durée des repas, mais
surtout l’appétit et le plaisir de manger qui sont vraiment nouveaux pour son fils. Elle dit que
chez elle il prend du plaisir à venir à table, accepte de goûter « même s’il reste difficile ». Le
repas est devenu un moment convivial et agréable. Elle attribue ces progrès à la
désensibilisation : « au début du protocole, il a réellement découvert sa sphère orale et le
développement qu’on peut observer chez un tout-petit était observable chez lui, il léchait tout
et mettait beaucoup à la bouche. Au fil des mois, il a rattrapé son retard ». D. a pris confiance
en lui et veut désormais manger « comme ses copains ».
E.
Bilan initial
E. est un garçon âgé de 6 ans 4 mois lors du bilan orthophonique. Bébé, il a été nourri
au lait en poudre, jusqu’à la diversification alimentaire qui a été très compliquée : les petits
pots lui déclenchaient d’importants réflexes nauséeux. Il est traité par IPP pour un RGO
suspecté. Sa mère le décrit comme un « mangeur à grande vitesse », car il est toujours le
premier à terminer son repas. Il semble gober les aliments sans les mastiquer. A table, il
s’assied toujours en tailleur et n’arrive pas à garder une position assise « conventionnelle ».
Lorsqu’il n’aime pas ce qu’il y a dans son assiette, il a l’habitude de réclamer un verre d’eau
pour s’aider à manger malgré des haut-le-cœur. L’orthophoniste demande à l’enfant ce qu’il
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aime manger, mais il ne sait pas quoi répondre. Lorsqu’elle interroge la mère sur ce qu’il
n’aime pas, celle-ci répond que la liste est longue. Au cours de ce bilan, la thérapeute observe
E. manger une galette de riz. Il « mastique » principalement avec ses incisives et ne semble
pas apprécier : il remue beaucoup et grimace. Cet enfant semble présenter une dysoralité
sensorielle contre laquelle il a mis en place des stratégies : mâcher le moins possible pour ne
pas être envahi par les saveurs et avaler très rapidement pour éviter de garder en bouche des
textures qui le gênent. Il mange de tout mais sans aucun plaisir et dans un temps record. En
accord avec la maman, l’orthophoniste met en place un protocole de désensibilisation qui
commence avec le « tour de la maison » avant d’entamer les massages intrabuccaux.
Evolution
Les massages sont faits 2 à 3 fois par jour en moyenne à partir du 1er décembre et
l’évolution est suivie à raison d’une séance par mois avec l’orthophoniste. Cette dernière
contrôle à chaque séance la technique de réalisation des stimulations et guide la progression
de l’étendue des mouvements dans la bouche. A la lecture des menus proposés à l’enfant,
nous observons qu’il peut effectivement manger de tout (viande, poisson, légumes, riz,
pâtes...) et qu’il est exposé à toutes les textures possibles. La maman explique qu’en revanche
il faut le forcer pour qu’il goûte.
Au mois d’avril, il semble manger un peu moins rapidement et un peu plus en quantité. Il
accepte plus facilement de goûter de nouvelles choses, mais l’alimentation n’est toujours pas
un plaisir pour cet enfant dont la maman est plutôt exigeante.
Synthèse
Malgré les massages de désensibilisation et l’accompagnement de l’orthophoniste, les
repas ne sont toujours pas agréables pour E. qui a l’air de subir ces moments. S’il mange
moins vite c’est qu’il est sans doute un peu moins gêné par les textures, cependant le forçage
mis en place -même s’il semble efficace pour le faire manger- est sans doute un frein à la
construction d’une représentation agréable de l’alimentation dans l’esprit de cet enfant.
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F.
Bilan initial
F. est une petite fille de 19 mois lors de son bilan en octobre 2017. Elle a une tendance
à l’hypertonicité et a commencé à marcher sur la pointe des pieds. L’anamnèse révèle un
RGO récurrent depuis sa naissance, avec des vomissements en jets. La tétée semblait difficile
et fatigante pour ce bébé qui s’endormait très rapidement. Elle a donc reçu des pipettes de lait
en poudre avant de reprendre le sein. Une alimentation mixte sein-biberons a été mise en
place au cours de ses 3 premiers mois, ainsi qu’un traitement par IPP qu’elle ne prend plus.
C’est une enfant qui est souvent malade, avec des affections ORL récurrentes et des
gastroentérites qui l’empêchent de manger correctement pendant deux semaines. Au moment
de ce bilan elle se situe dans la courbe haute sur le plan de la croissance, mais dans la courbe
inférieure pour le poids. La plainte des parents résulte du petit appétit de leur fille qui semble
avoir faim le matin et le midi mais prend peu de plaisir à manger et se montre très sélective. A
partir de ses 12 mois la diversification a été difficile. Au départ elle privilégiait les petits pots
du commerce, mais elle préfère désormais les repas « maison ». Elle n’accepte plus aucun
morceau ni aliment mou car ils la font vomir et ne se nourrit que d’aliments très lisses :
purées, yaourts, poulet et légumes verts bien mixés. F. met les aliments en bouche avec
beaucoup d’appréhension, mais elle a tendance à croquer dans des matières non alimentaires,
montrant ainsi son besoin de mordre. Elle peut vomir en situation de stress. Sa mère est aussi
sujette aux nausées et sensible à la nourriture et au brossage des dents. Sur le plan sensoriel,
F. est une enfant hypersensible aux sons, aux odeurs, et au toucher : elle ne touche les
matières que du bout des doigts et rejette ce qui est mouillé ou granuleux. Son
hypersensibilité intrabuccale rend bien sûr le brossage des dents très difficile pour elle aussi.
L’orthophoniste propose de mettre en place le protocole de désensibilisation intrabuccale de
Senez associé à une désensibilisation olfactive par habituation. Un accompagnement parental
permettra de suivre l’évolution de l’enfant et une adaptation des textures au fil de ses progrès.
Des activités sensorielles sont préconisées aussi bien à la maison qu’en séance.
Evolution
Les parents avouent ne pas être très assidus dans le protocole de massages, et le suivi
est compliqué car ils sont peu disponibles. En revanche F. est stimulée sur le plan sensoriel
par des activités comme la pâte à modeler, la peinture aux doigts, ou encore le transvasement
26
de semoule sèche. Elle accepte les massages mais est très sensible au niveau des gencives. En
novembre, elle est enrhumée et a plusieurs épisodes de vomissements, mais ils sont en lien
avec la présence de glaires qui la gênent. En décembre, elle accepte de toucher de la carotte et
de la courgette crues puis cuites, mais elle ne supporte pas d’avoir du yaourt sur les mains.
Elle vomit encore au contact de certaines textures en bouche comme avec de la bouillie de lait
aux céréales, mais c’est beaucoup moins fréquent qu’auparavant. A Noël, les parents arrêtent
les massages parce qu’ils ne trouvent pas le temps de les faire et qu’F. commence à les
refuser.
En avril, les parents constatent des améliorations dans plusieurs domaines : la durée des repas,
la diversité des aliments et des textures acceptées, l’appétit et le plaisir de manger de leur fille,
son humeur et la fréquence de ses vomissements. Ils décrivent F. comme étant plus détendue,
allant d’elle-même s’installer à table, ouvrant la bouche plus facilement devant la cuillère et
mangeant plus qu’avant. Elle accepte des textures plus épaisses et pioche dans les assiettes de
ses parents pour manger elle aussi des frites, des épinards, des chips, du chocolat...
Synthèse
Les massages n’ont été faits que pendant deux mois complets, une à cinq fois par jour.
Les parents pensent que cela a accéléré la progression de leur fille mais ils attribuent
essentiellement ses nouvelles compétences alimentaires à un « déclic » pendant des vacances
en famille où elle a apprécié les grands repas conviviaux. Elle y goûtait à tout et prenait du
plaisir à être à table. Au retour de ce voyage elle avait de nouveau moins d’appétit et
aujourd’hui elle mange toujours mieux lorsqu’il y a beaucoup de monde autour de la table.
Les parents se disent soulagés d’avoir pu mettre des mots sur le trouble de leur fille mais
regrettent que les massages de désensibilisation soient la seule méthode de rééducation qu’on
puisse leur proposer. Ils aimeraient avoir une alternative à ce protocole qui est trop
contraignant pour eux.
G.
Bilan initial
Ce petit garçon a bénéficié d’un bilan orthophonique à l’âge de 23 mois, en février
2018. Il est né avec un frein de langue très court qui a été sectionné à 2 jours de vie. Il a été
27
alimenté au sein et au biberon pendant 1 mois puis seulement au biberon. Nous ne relevons ni
RGO ni intolérance alimentaire dans ses antécédents. Ses parents consultent pour un retard de
langage et se plaignent aussi du fait que leur fils ne mange pas de morceaux car cela
déclenche chez lui un réflexe nauséeux important. Il est très sélectif au niveau des textures et
n’accepte que des purées lisses et le biberon. Il lèche un le pain et les gâteaux mais ne croque
jamais dedans et il mange un peu de banane par le biais d’une tétine à grignoter. Il peut
accepter quelques mini-pâtes en forme d’étoiles qu’il avale sans mastiquer, mais s’il y en a un
peu trop d’un coup dans sa bouche cela déclenche systématiquement un haut-le-cœur. Il
n’aime pas qu’on lui essuie la bouche ou qu’on regarde à l’intérieur. Il n’aime pas non plus
qu’on lui brosse les dents mais il joue un peu avec sa brosse. L’orthophoniste propose de
démarrer un protocole de désensibilisation grâce à des massages oro-faciaux à réaliser dans
des moments de détente et aux massages de Senez à reproduire chez G. avant chaque repas.
Elle conseille aussi de varier les aliments proposés à l’enfant dans sa tétine à grignoter pour
l’amener à découvrir de nouvelles odeurs et saveurs.
Evolution
L’accompagnement parental avec l’orthophoniste a eu lieu une fois par mois. Les
stimulations intrabuccales ont été réalisées pendant 1 mois ½, à raison de deux fois par jour.
L’enfant étant à la crèche dans la journée, il a reçu les massages le matin et le soir. Au fil des
séances, l’orthophoniste remontre la technique des massages, observe le geste parental et le
corrige.
En avril, G. commence à manger seul à la cuillère. La thérapeute encourage les parents à faire
découvrir de nouvelles odeurs et textures à l’enfant, et à placer les aliments de côté dans sa
bouche pour favoriser la mastication.
En mai, cet enfant a énormément progressé, aussi bien sur le plan alimentaire (il veut goûter à
tout, croque et mâche ce qu’on lui propose) que sur le plan langagier : il babille beaucoup plus
et produit de nouveaux sons.
Synthèse
Les parents constatent une évolution concernant la production langagière, le brossage
des dents (il commence à se les brosser tout seul), la durée des repas, la diversité des textures
et la quantité d’aliments acceptés par G ainsi que le plaisir qu’il manifeste à table. Ils
associent ces changements aux massages réalisés.
28
Analyse des résultats
Nous remarquons grâce aux éléments mis en avant dans les bilans des enfants de cette
étude que l’hypersensibilité aux textures est souvent liée à une hypersensibilité aux odeurs et
que ces caractéristiques peuvent se retrouver chez au moins l’un des parents comme ceux d’A.
ou D. Nous n’avons pas interrogé tous les parents à ce sujet mais cette théorie est défendue
par Catherine Senez : il y aurait bien un facteur génétique au SDS.
Nous remarquons aussi différentes stratégies servant un même but : se protéger des
sensations désagréables. Ainsi, certains enfants trient les aliments, veulent absolument tenir
eux-mêmes leur cuillère ou leur fourchette, goûtent du bout des lèvres ou du bout de la
langue, mordent la brosse à dents pour l’empêcher d’aller plus loin dans la bouche, mâchent
seulement avec leurs incisives ou au contraire gobent toute leur assiette sans rien mastiquer.
Ces comportements signent un inconfort et il faut savoir les repérer.
Le questionnaire de synthèse rempli par les parents nous a permis de constater que le
protocole de massages tel qu’il est pensé par Senez n’est réalisable pour aucun d’entre eux.
D’une part, la moitié des parents déclarent avoir eu du mal à respecter la fréquence des
massages demandée par leur orthophoniste, bien qu’une seule famille se soit vu recommander
7 massages par jour comme le préconise Senez. Pour toutes les autres, les thérapeutes ne
demandaient que 3 à 4 stimulations quotidiennes. D’autre part, presque tous les parents ont
fait une ou plusieurs pauses pendant le protocole. Les raisons avancées sont souvent les
mêmes : oublis pendant les vacances ou pauses volontaires lorsque l’enfant était souffrant.
Bien que Senez recommande de ne surtout pas arrêter dans ces moments-là, voir son enfant
malade et devoir lui faire subir des prises médicamenteuses malgré son hypersensibilité
amènent les parents à renoncer aux stimulations intrabuccales.
Un tableau récapitulatif des réponses des parents au questionnaire se trouve en annexe
(annexe 3). Pour plus de clarté dans les résultats et pour pouvoir répondre avec précision à nos
hypothèses de départ, nous avons choisi de morceler son contenu.
Voici donc un premier extrait du tableau, synthétisant les réponses aux questions ciblant la
mise en place et le respect du protocole sur la durée. En ce qui concerne D. dont les parents
29
sont séparés, la colonne D1 correspond aux réponses de son père et la colonne D2 correspond
à celles de sa mère.
A B C D1 D2 E F G
Durée 5 mois 1 mois 4 mois 2 mois ½ 2 mois ½ 5 mois 2 mois 1 mois ½
Nombre de
massages
quotidiens
3 3 2 2 5 3 4 2
Difficultés à
mettre le
protocole en
place
non non oui oui non non oui oui
Pause(s)
dans le
protocole
oui oui oui oui oui non oui non
Note : le protocole de massages est toujours en cours pour les enfants B., E. et G. Leurs résultats sont
donc susceptibles d’évoluer.
Ces constatations nous amènent à penser que le protocole de massages tel que l’a
conçu Senez sera très difficilement évaluable par une étude. En effet, les enfants tout-venant
ne sont que rarement gardés à la maison et leurs parents ne les ont donc pas « sous la main »
dans la journée, ce qui rend la réalisation de 7 massages intrabuccaux par jour très difficile. Il
faudrait éventuellement impliquer la nourrice ou un personnel de la crèche où l’enfant est
gardé pour pallier ce problème, mais cela paraît délicat. De plus, les séances
d’accompagnement parental sont souvent espacées de 3 à 6 semaines dès le début de la prise
en charge, soit parce que les parents sont peu disponibles, soit parce que les orthophonistes
formés aux troubles de l’oralité sont eux-mêmes débordés et n’ont que peu de créneaux à
proposer. Le suivi de la technique de massage et de l’assiduité des familles s’en trouve
fortement compromis... nous ne pouvons qu’espérer que de plus en plus de professionnels se
forment à ces troubles et à leur prise en charge. Cependant, malgré la discontinuité et la
moindre quantité des stimulations réalisées par les parents, tous les enfants de notre étude ont
progressé d’une manière ou d’une autre.
30
Afin de cerner les éléments qui permettraient de mesurer l’efficacité de la
désensibilisation menée tant bien que mal par les parents des enfants hypersensibles, nous les
avons interrogés sur les progrès qu’ils avaient pu constater dans plusieurs domaines. Les
parents ont répondu 1 s’ils ont remarqué une amélioration, 0 dans le cas contraire.
Premièrement, nous leur avons demandé s’ils avaient vu la diversité des textures acceptées
par leur enfant augmenter : la réponse est oui pour tous les enfants qui présentaient une
sélectivité au moment du bilan (E. mangeait de tout malgré ses haut-le-cœur). Deuxièmement,
nous les avons interrogés sur l’appétit de leur enfant, ou du moins sur la taille des portions
qu’il arrivait à manger. Les réponses nous indiquent que 5 enfants sur 7 mangent davantage
aujourd’hui qu’au moment du bilan orthophonique.
A B C D1 D2 E F G Total
Diversité des textures
acceptées 1 1 1 1 1 0 1 1 6
Appétit, quantité
d’aliments acceptée par
repas
1 0 0 1 1 1 1 1 5
Note : pour les items où les parents D1 et D2 ont répondu la même chose, nous n’avons compté
qu’une voix. Ainsi, toutes les réponses sont prises en compte sans que le groupe ne soit déséquilibré
par le fait que deux personnes aient répondu séparément au sujet d’un même enfant.
Ces résultats valident partiellement notre première hypothèse : tous les enfants
acceptent de nouvelles textures dans leur alimentation après une période de massages et
plus de la moitié d’entre eux mangent quantitativement mieux.
Notre deuxième hypothèse concernait la diminution du nombre de réflexes nauséeux,
de régurgitations ou de vomissements au cours du temps. Seulement 3 enfants étaient sujets
aux régurgitations et vomissements récurrents au moment du bilan (A., B., et F.). Tous les
trois ont vu leur fréquence diminuer :
A B C D1 D2 E F G Total
Fréquence des
régurgitations /vomissements 1 1 0 0 0 0 1 0 3
31
Quant aux réflexes nauséeux, ils concernaient les enfants B., D., E., F. et G. au moment de
leur bilan. La question de la diminution de leurs haut-le-cœur n’a pas été directement posée,
mais les progrès de ces enfants concernant les nouvelles textures intégrées à leur alimentation
ou encore l’amélioration de leur brossage de dents nous permettent d’affirmer que 4 de ces 5
enfants sont moins sujets aux réflexes nauséeux. Seul l’enfant E. ne semble pas avoir
beaucoup évolué de ce côté-là, peut-être à cause de son âge (6 ans 10 mois).
Ces résultats valident notre seconde hypothèse : l’enfant bénéficiant du protocole de
massages présente de moins en moins de réflexes nauséeux et de vomissements ou
régurgitations au fil des mois. Cependant, on peut se poser la question de la diminution de
l’efficacité de la désensibilisation parallèlement à l’avancée en âge de l’enfant, ce qui pourrait
faire l’objet d’une autre étude.
Enfin, nous pensions que l’impact de la désensibilisation pouvait être plus large et que
d’autres progrès constatés en dehors des repas pourraient constituer des critères d’évaluation
de l’efficacité des massages. Nous avons donc soumis nos hypothèses aux parents par le biais
du questionnaire et nous les avons interrogés sur tous les éléments qui apparaissaient
problématiques pour l’un ou l’autre des enfants au moment du bilan orthophonique, puis nous
avons regroupé leurs réponses dans un tableau :
A B C D1 D2 E F G Total
Brossage des dents 0 1 0 0 1 0 0 1 3
Production langagière 0 0 1 0 0 0 0 1 2
Bavage 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Qualité ou durée du sommeil 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Humeur générale 0 0 0 0 0 0 1 0 1
Plaisir d’être touché, câliné 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Note : notre panel de base s’élevant à 7 enfants, nous considérons tout score inférieur à 4
comme non signifiant.
Ce tableau ne montre aucune grande tendance quant à l’amélioration de l’un ou l’autre
de ces domaines à la suite des massages de désensibilisation. Notre troisième hypothèse est
donc invalidée. En revanche, d’autres items concernant le repas remportent un score égal à
32
4 et il serait donc intéressant de prendre ces éléments en compte lors de l’évaluation de
l’efficacité du protocole, avec un panel bien plus large :
A B C D1 D2 E F G Total
Durée des repas 0 0 0 0 1 1 1 1 4
Plaisir de manger 0 0 1 0 1 0 1 1 4
Pour clore cette analyse, nous ajoutons que tous les parents, à l’exception du père de
D., associent les progrès de leur enfant à son avancée dans le protocole de massages.
33
Discussion
Nous savons que les résultats de notre étude sont à prendre avec la retenue qu’impose
un si petit échantillon de patients. De plus, certains enfants ne sont suivis que depuis très peu
de temps et leur évolution est loin d’être terminée, ce qui biaise sans doute leur analyse. Nous
nous demandons également dans quelle mesure l’amygdalectomie subie par l’un de nos sujets
pourrait impacter son évolution : s’il progressait très rapidement dans les semaines à venir,
l’opération pourrait-elle remettre en question notre diagnostic de dysoralité sensorielle ? Et
qu’en est-il du poids de l’accompagnement parental ? Est-ce que certains conseils donnés aux
parents seraient plus efficaces que les stimulations intrabuccales qu’ils réalisent ?
Nous avons constaté que le protocole de désensibilisation de Catherine Senez n’est pas
suivi à la lettre et que même les professionnels qu’elle a formés renoncent à imposer 8
stimulations par jour sur une période de 7 mois à des parents qui travaillent et dont l’enfant est
gardé ou scolarisé. On pourrait donc penser qu’aucune étude ne viendra valider l’efficacité
d’un tel protocole si celui-ci n’est pas scrupuleusement respecté. Pourtant, face à la synthèse
des résultats de nos sujets, nous avançons qu’un protocole allégé et adapté aux familles que
nous recevons permet tout de même de faire céder l’hypersensibilité des enfants et
d’améliorer leur alimentation.
Dans l’hypothétique projet de mener une étude sur l’objectivation de l’efficacité des massages
de désensibilisation des enfants tout-venant souffrant d’un SDS, nous pouvons donc retenir
les critères d’évaluation suivants :
- Augmentation de la diversité des textures acceptées, de l’appétit et du plaisir de
manger
- Diminution des réflexes nauséeux, vomissements et régurgitations
- Normalisation du temps passé à table
Ces mesures prises sur un échantillon d’enfants tout-venant souffrant d’un SDS et suivant un
protocole de massages intrabuccaux devraient être confrontées à celles d’un groupe-contrôle
comprenant des enfants présentant les mêmes critères d’inclusion mais dont la prise en charge
orthophonique se limiterait à une guidance parentale, sans protocole de désensibilisation.
34
Conclusion
Le syndrome de dysoralité sensorielle est encore méconnu et peu de parents sont
informés de son existence. De plus, trop peu de pédiatres pensent à orienter les enfants décrits
comme des « petits mangeurs » vers les orthophonistes. Ce manque de connaissances sur le
traitement des informations sensorielles laisse de nombreux enfants en souffrance face à
l’alimentation et condamne leur rapport à la nourriture. Devenus adultes, beaucoup d’entre
eux continuent d’éviter certaines textures et catégories d’aliments, se retrouvant sur des
réseaux sociaux dans des groupes tels que « néophobie alimentaire ou trouble de
l’alimentation sélective ». Nous pensons que si les enfants concernés étaient pris en charge et
de façon précoce -dès l’apparition des problèmes, lors de la diversification alimentaire- il n’y
aurait plus autant d’adultes dits « néophobes » ni sélectifs sur le plan des textures.
Nous espérons que ce mémoire aura permis aux néophytes de comprendre le SDS, ses
mécanismes physiologiques et ses symptômes. Nous souhaitons également que les médecins
prescripteurs qui reçoivent ces enfants en première instance sachent dorénavant repérer les
signes qui témoignent d’un trouble sensoriel et orientent leurs patients vers les professionnels
qui y sont formés. Enfin, nous aimerions que ce travail et ses résultats ouvrent la voie à une
nouvelle étude qui prouverait, selon les critères distingués plus haut, que les massages de
désensibilisation constituent une méthode de rééducation qui fonctionne et qu’il faut
promouvoir.
35
Bibliographie
Ouvrages :
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Moulineaux : Elsevier Masson. 154 p.
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Mémoires et thèses
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Site web
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developpement/volet-2/trouble-du-traitement-de-linformation-sensorielle-spd/
38
Glossaire
Antiacide : substance qui neutralise l’acide gastrique.
Bolus (alimentaire) : masse compacte formée sur la partie supérieure de la langue par les
aliments mastiqués et mélangés à la salive.
Chémorécepteur : cellule nerveuse capable de détecter des substances chimiques et de
relayer cette information vers le système nerveux central.
Dysoralité : ce terme recouvre l’ensemble des difficultés d’alimentation par voie orale.
IPP : les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des molécules qui réduisent la
production d'acidité gastrique en agissant sur la pompe à protons.
Mécanorécepteurs : récepteurs sensoriels localisés dans les différentes épaisseurs de la peau,
responsables de la sensibilité cutanée sur la base de 3 stimuli : la pression, le toucher et la
vibration.
Muguet buccal : mycose liée à la prolifération d'une levure présente à l'état naturel dans la
cavité oro-pharyngienne.
Oralité : concerne toutes les fonctions dévolues à la sphère oro-faciale, dont la bouche est
l’organe-clé (ventilation, alimentation, expression et sensorialité).
PAI : (plan d’accompagnement individuel) mis en place par le médecin scolaire, il permet à
certains enfants de bénéficier de certaines adaptations à leurs difficultés.
Réflexe archaïque : réponse motrice automatique à un stimulus présente chez le nouveau-né
et amenée à disparaître dans ses premières semaines ou premiers mois de vie.
Tétine à grignoter : tétine à réservoir dans lequel on peut glisser un morceau d’aliment afin
de permettre à l’enfant d’en découvrir la saveur sans l’exposer à la texture.
V lingual : ligne d’angle à pic postérieur à partir de laquelle se disposent les neuf à onze
papilles caliciformes de la langue.
39
Annexes
40
Annexe 1
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ
Je soussigné(e), ............................................................................................................déclare
accepter, librement, et de façon éclairée, de participer avec mon enfant comme sujets à
l’étude intitulée : La prise en charge orthophonique de la dysoralité sensorielle du jeune
enfant : évaluation de l’efficacité des massages de désensibilisation, sous la direction de
Matthieu Martel, orthophoniste.
Promoteur : Centre de Formation Universitaire en Orthophonie, Faculté de Médecine, 4 rue
Kirschleger, 67000 Strasbourg.
Investigateur principal : Sarah De Roeck, 5ème année.
But de l’étude : démontrer l’efficacité du protocole de massages de désensibilisation dans la
prise en charge orthophonique d’une dysoralité sensorielle chez un enfant à développement
normal.
Engagement du participant : l’étude va consister à mesurer objectivement l’évolution de
l’oralité de votre enfant. Dans cette optique, vous vous engagez
- à mener à bien les massages préconisés par votre orthophoniste tels qu’ils vous seront
expliqués,
- à faire l’inventaire de ce que votre enfant accepte de goûter ou manger, avant le début
des massages puis une seconde fois à la fin du protocole,
- à prendre des notes quotidiennes et à nous les transmettre une fois par mois. Ces notes
rendront compte du nombre de régurgitations, de vomissements ou de toux
observés chez votre enfant, et du nombre de massages réalisés au cours de la
journée. Vous pourrez ajouter les progrès ou les éventuelles difficultés que vous
constaterez sur le plan alimentaire.
Vous commencerez à prendre ces notes 7 jours avant de démarrer le protocole de massages.
Engagement de l’investigateur principal : il s’engage à mener cette recherche selon les
dispositions éthiques et déontologiques, à protéger l’intégrité physique, psychologique et
41
sociale des personnes tout au long de la recherche et à assurer la confidentialité des
informations recueillies. Il s’engage également à fournir aux participants tout le soutien
permettant d’atténuer les effets négatifs pouvant découler de la participation à cette recherche.
Liberté des participants : le consentement pour poursuivre la recherche peut être retiré à tout
moment sans donner de raison et sans encourir aucune responsabilité ni conséquence. Les
réponses aux questions ont un caractère facultatif et le défaut de réponse n’aura aucune
conséquence pour le sujet.
Information du participant : les participants ont la possibilité d’obtenir des informations
supplémentaires concernant cette étude auprès de l’investigateur principal, et ce dans les
limites des contraintes du plan de recherche.
Confidentialité des informations : toutes les informations concernant les participants seront
conservées de façon anonyme et confidentielle. Le traitement informatique n’est pas
nominatif, il n’entre pas de ce fait dans la loi Informatique et Liberté (le droit d’accès et de
rectification n’est pas recevable). La transmission des informations concernant les participants
pour l’expertise ou pour la publication scientifique sera elle aussi anonyme.
Déontologie et éthique : le promoteur et l’investigateur principal s’engagent à préserver
absolument la confidentialité et le secret professionnel pour toutes les informations
concernant les participants.
Fait à.......................................................... le ....................................................., en 2
exemplaires.
Signatures :
Le participant L’investigateur
principal
42
Annexe 2
Bonjour,
Vous avez participé à mon étude avec votre enfant, et je vous en remercie. Afin de
clôturer ce travail et dans le souci de recueillir vos avis de parents, j'ai créé ce court
questionnaire qui ne devrait pas vous prendre plus de 10 minutes.
Je sais que la prise en soin de l'oralité alimentaire de votre enfant est exigeante et
parfois difficile. Aucun jugement ne sera porté sur vos réponses. L'objectif est de rendre
compte aux médecins et aux orthophonistes de VOTRE réalité de parents.
Merci encore pour votre implication dans ce travail !
1. Indiquez le prénom de votre enfant
2. Quand avez-vous débuté la prise en charge orthophonique concernant
l’oralité de votre enfant ? Date :
Ex : 02/03/2018
3. Si vous avez mis en place le protocole de massages, à quelle date avez-vous
commencé les stimulations à l’intérieur de la bouche de votre enfant ? Date:
Ex : 02/03/2018
4. Quand les avez-vous arrêtées ? Date:
Ex : 02/03/2018
43
5. En moyenne, combien de massages par jour avez-vous réalisés ?
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
6. Avez-vous fait des pauses d’un ou plusieurs jours au cours du protocole de
massages ?
Oui Non
7. Si oui, de quelles durées et pour quelles raisons ?
8.
Avez-vous rencontré des difficultés à mettre en place ou à respecter le
protocole de massages ?
Oui Non
9.
Si oui, lesquelles ?
44
10. Avez-vous constaté une évolution de votre enfant concernant :
le bavage
le brossage des dents
la durée des repas
la diversité des aliments
acceptés
la diversité des textures
acceptées
la quantité d’aliments
acceptée / l’appétit
le plaisir de manger
la qualité/durée du
sommeil
l’humeur
le plaisir d’être touché, câliné
le transit intestinal
la fréquence des régurgitations ou
vomissements
la production langagière
Autre(s) :
11. Pouvez-vous préciser les changements observés ?
45
12.
Pensez-vous que ces changements coïncident avec l’avancée du protocole de
massages ?
Oui Non
13. Pensez-vous que ces changements soient dus à d’autres facteurs ? Si oui,
lesquels ?
14. Si vous avez quelque chose à ajouter, libre à vous !
46
Annexe 3
Tableau de synthèse des réponses au questionnaire parental
A B C D1 D2 E F G Total
Durée du protocole 5
mois 1
mois 4
mois
2 mois
½
2 mois
½
5 mois
2 mois
1 mois
½ _
Nombre de massages quotidiens
3 3 2 2 5 3 4 2 _
Difficultés à mettre le protocole en place
non non oui oui non non oui oui 4
Pause(s) dans le protocole oui oui oui oui oui non oui non 5
Coïncidence des changements avec l’avancée
du protocole oui oui oui non oui oui oui oui 7
Diversité des textures acceptées
1 1 1 1 1 0 1 1 6
Appétit, quantité d’aliments
acceptée par repas 1 0 0 1 1 1 1 1 5
Fréquence des régurgitations /vomissements
1 1 0 0 0 0 1 0 3
Brossage des dents 0 1 0 0 1 0 0 1 3
Production langagière 0 0 1 0 0 0 0 1 2
Bavage 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Qualité ou durée du sommeil 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Humeur générale 0 0 0 0 0 0 1 0 1
Plaisir d’être touché, câliné 1 0 0 0 0 0 0 0 1
Durée des repas 0 0 0 0 1 1 1 1 4
Plaisir de manger 0 0 1 0 1 0 1 1 4
Centre de Formation Universitaire en Orthophonie de Strasbourg
Université de Strasbourg Année universitaire 2017-2018
La prise en charge orthophonique de la dysoralité sensorielle de l’enfant tout-venant :
critères d’évaluation de l’efficacité des massages de désensibilisation.
Mémoire présenté par Sarah De Roeck en vue de l’obtention du Certificat de Capacité d’Orthophonie
Résumé : Le syndrome de dysoralité sensorielle touche de nombreux enfants dits « tout-venant », c’est-à-dire dont le développement est par ailleurs normal. Ce trouble du traitement des informations sensorielles se révèle fréquemment au moment de la diversification alimentaire et se définit le plus souvent par une hypersensibilité face aux sensations provoquées par la texture, l’odeur ou même la température de
certains aliments. Les enfants hypersensibles développent des mécanismes de défense face aux stimulations qui leur sont désagréables et peuvent devenir très sélectifs sur le plan alimentaire, ce qui impacte à la fois leur santé mais aussi leur équilibre familial, à cause des tensions que leur comportement engendre lors des temps de repas. Le rapport psychique de ces enfants à la nourriture est également en jeu et risque d’être condamné par ce trouble du traitement des informations sensorielles. Pourtant, nous pensons que lorsqu’il est pris en charge de façon précoce et grâce à un
protocole de massages de désensibilisation, le syndrome de dysoralité sensorielle peut disparaître au profit d’une alimentation sereine et variée. L’objectif de cette étude est de cerner les éléments qui
semblent évoluer significativement au cours d’une prise en charge orthophonique visant la
désensibilisation de la sphère orale, notamment grâce à l’analyse de vignettes cliniques et des réponses fournies par les parents de ces patients à un questionnaire que nous leur avons soumis. Grâce aux résultats de notre étude, nous sommes désormais en mesure de proposer à un potentiel chercheur un protocole d’évaluation de l’efficacité de ce type de rééducation. Mots clés : trouble du traitement de l’information sensorielle, hypersensibilité, désensibilisation Abstract : The syndrome called “dysoralité sensorielle” affects many children, whose development is otherwise perceived normal. This sensory processing disorder is often found when food diversification is introduced. It is mostly defined by hypersensitivity to sensations caused by the texture, smell or even temperature of certain foods. Hypersensitive children develop defense mechanisms against unpleasant stimulations and they can become very selective in terms of food. Those aspects seem to affect both their health and their family balance, because of the tensions that their behavior generates during meal times. The psychological relationship of these children with the food is also involved and may be condemned by this sensory processing disorder. However, we think that an early treatment with a desensitization massages protocol can replace this syndrome by a serene and varied nutrition. The objective of this study is to identify the elements that seem to evolve significantly during speech therapy desensitization of the oral sphere, particularly through the analysis of clinical cases and the answers provided by the parents of these patients to a questionnaire that we submitted to them. Thanks to the results of our study, we are now able to propose to a potential researcher a protocol to evaluate the effectiveness of this type of rehabilitation. Keywords : sensory processing disorder, hypersensitivity, desensitization
46 pages
Présidente du jury : Docteur Elisabeth Péri-Fontaa (ORL, phoniatre),
directeur de mémoire : Matthieu Martel (orthophoniste),
rapportrice : Virginie Claudel (orthophoniste),
assesseure : Isabelle Joussellin (orthophoniste).